Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.24053/PFSCL-2023-0025
121
2023
5099
Charles Mazouer : La transcendance dans le théâtre français. Tome I. De l’origine aux Lumières. Paris, Champion, « Convergences (Antiquité – XXIe siècle), 6 », 2021. 406 p
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2023
Volker Kapp
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Comptes rendus PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0025 346 Charles Mazouer : La transcendance dans le théâtre français. Tome I. De l’origine aux Lumières. Paris, Champion, « Convergences (Antiquité - XXI e siècle), 6 », 2021. 406 p. Après avoir publié un volume sur Le Théâtre français du Moyen Age (1998, 2 2016), un autre sur Le Théâtre français de la Renaissance (2002, 2 2013) et trois volumes sur Le Théâtre français de l’Âge classique (2006-2014), Charles Mazouer est bien préparé pour se pencher cette fois-ci sur le thème de « la transcendance », dans l’histoire du théâtre français. Ce premier volume consacré aux époques allant des débuts jusqu’au siècle des Lumières commence par « La source antique » (13-44), pour passer ensuite aux Pères de l’Église « Des dieux au Dieu des chrétiens. Transcendance tragique et transcendance chrétienne » (45-60) et au théâtre du Moyen Âge sous le titre « Dieu sur la scène » (61-110). Il traite « Le conflit des transcendances » jusqu’à Montchrestien (111-164), le théâtre classique dans le long chapitre « Présence et effacement des transcendances » (165-312) pour finir par celui des Lumières « L‘éloignement de la transcendance » (313-380). À la fin de chaque chapitre se trouve une bibliographie qui énumère un certain nombre d’études et surtout les nombreuses publications de l’auteur lui-même sur chaque période. Ces renvois à ses travaux précédents peuvent rassurer le lecteur du fait que Mazouer est familier de l’abondance des sources qu’il analyse. La « Préface » (9-12) part d’un « petit ouvrage qui a nourri des générations d’étudiants » (9), Le théâtre et l’existence (1952) de Henri Gouhier pour rappeler que « le théâtre interrogea le mystère de la vie humaine, s’efforçant de poser, sinon de résoudre, l’énigme de la condition des hommes » (9). Ce « mystère » et non une définition de la notion de transcendance, sert de base à un panorama des différents efforts s’efforçant de déterminer la condition humaine par une action théâtrale. Il est raisonnable de commencer par un regard rapide sur l’Antiquité gréco-romaine dont s’inspirent beaucoup de dramaturges des époques traitées dans les chapitres suivants. Au début de la partie sur les Pères de l’Église, il avertit ne pouvoir fournir un exposé « en forme de la dogmatique chrétienne » mais se contenter de montrer « la distance entre les deux transcendances - la grecque et la chrétienne » (46). « Toute la patristique, grecque et latine, s’acharne » (48) contre la tragédie antique, parce que la « Providence chasse la fatalité et, regard et volonté d’amour, ouvre une histoire de la liberté, comme le dit un des plus grands théologiens catholiques du XX e siècle » (50). Une note revoie à Joseph Moingt, absent toutefois de la bibliographie de ce chapitre mais présent dans celle du chapitre suivant. Péguy mentionné (253) à propos de Polyeucte et honoré d’une note concernant Phèdre (299) ne figure Comptes rendus PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0025 347 dans nulle bibliographie, pas plus que Chateaubriand, Sainte-Beuve ou Claudel mentionnés plusieurs fois. Selon Mazouer, il faut attendre Boèce « à la charnière des V e et VI e siècles, pour que la question métaphysique ressurgisse, par un biais tout à fait original » (54), il aurait pu se référer à Edgar de Bruyne pour noter qu’il fournit les bases pour ce que le Moyen Âge qualifiera d’esthétique. Le chapitre sur cette époque commence par un renvoi au volume de Mazouer sur Le Théâtre français du Moyen Âge et par son étonnement face à « la volonté de ce théâtre religieux médiéval de récapituler en quelque sorte le plan divin sur le cosmos et sur l’humanité » (64). Les « mystères » traitant le monde juif « contribuent singulièrement à resserrer et à ordonner dans une unité plus profonde les histoires disparates du Viel Testament » (76). L’auteur renonce à « analyser les aspects humains de Jésus » pour mettre en évidence « les signes et les manifestations de sa divinité » (77). Il peut invoquer les données littéraires puisque « les mystères n‘hésitent pas à limiter, à circonscrire le Dieu transcendant, à faire de lui un personnage de théâtre, qui apparaît assez systématiquement sur la liste initiale des personnages » (102). Le christianisme autorise à présenter « un Dieu proche des hommes » puisque l’Incarnation du Fils « renforce encore cette proximité » (105). Mais « le Dieu incompréhensible et terrible devient par trop proche des spectateurs, trop familier » (107), surtout chez « les fatistes les plus médiocres » (107) que Mazouer dépiste partout. Les jugements sur ce théâtre sont souvent négatifs, par exemple sur les mystères consacrés aux saints où la mise en scène théâtrale de la transcendance est « devenue banale » (93). L’Homme juste et l’Homme mondain présente « son encyclopédisme dogmatique de façon plus intellectuelle que visuelle et scénique, ce qui rend cette moralité particulièrement indigeste » (96). L’interdiction de la représentation des mystères de la Passion à Paris et la publication de la Défense et illustration de la langue française de Du Bellay en 1548 marquent des « ruptures » (111) et « la double culture des dramaturges de la Renaissance - chrétienne et antique » entraîne « deux visages de la transcendance » (113) qui se contredisent. Quatre personnages de l’Ancien Testament - Abraham, Saul, David, Esther, retiennent l’attention des dramaturges. Le David de Montchrestien « déporte terriblement l’intérêt sur sa passion pour Bethsabée » (127), mais son Esther « avec le plus d’art, va le plus loin et le plus profond » (130) et il illustre la « thématique de l’inconstance des choses humaines, typique de l’automne de la Renaissance » où se rencontre « plus d’une image poétique de goût baroque » (157). Les Juives est selon Mazouer le « chef-d’œuvre de Garnier et probablement de toute la tragédie de la Renaissance » (136). Les développements du chapitre 5 sur le théâtre classique sont familiers au spécialiste parce qu’ils reproduisent ce que l’auteur a déjà publié dans ses Comptes rendus PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0025 348 nombreux livres et articles sur cette époque. J’ai été toutefois surpris du renvoi à « l’étude fondamentale » (212) d’Hélène Baby sur La Tragi-comédie de Corneille à Quinault (2001), renvoi que je ne connaissais pas des ouvrages précédents de Mazouer. En vérifiant mon hypothèse dans son Théâtre et christianisme j’ai retrouvé la citation de l’exergue du Soulier de Satin de Claudel (ibid., 426) et les mêmes remarques sur ce genre littéraire, mais pas le nom d’H. Baby. Cependant en lisant un alinéa entier sur Bélisaire (ibid., 429 cf. 215) j’ai compris alors la note 91 disant : « Pour Antigone, Le Véritable Saint Genest et Venceslas, je me sers librement des analyses proposées dans mon Théâtre et christianisme. Études sur l’ancien théâtre français, Paris, Champion, 2015, p. 424-436 » (214). La note 193 répète à propos de la question générale de la religion dans le théâtre de Molière : « Nous y reprenons librement quelques idées utiles et quelques formulations pour la présente question de la transcendance » (271). Je n’ai vérifié la reprise des « idées utiles » ni des « formulations » mais je m’en autorise en constatant les qualités connues des publications de Mazouer pour me dispenser de présenter les détails du chapitre sur le classicisme. Le dernier chapitre consacré au siècle des Lumières présente les théories poétiques, les tragédies, les drames bourgeois et les comédies ainsi que les mélodrames. Il souligne des contrastes en notant que « la Fatalité aveugle de Diderot n’est pas la providence assez abstraite à quoi se tient Voltaire, malgré la souffrance humaine » (315). Il apprécie Voltaire mais rappelle le jugement de Chateaubriand d’après lequel avec Voltaire, « l’acquis des Lumières se réalise, au prix d’une pauvreté spirituelle majeure » (361). Le bilan regrette que « le théâtre du XVIII e siècle reste assez décevant » en reconnaissant que « les œuvres théâtrales de ce siècle sont celles de Marivaux ou de Beaumarchais » (377). Volker Kapp
