Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.24053/PFSCL-2024-0013
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2024
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Colas Duflo : Les Aventures de Télémaque de Fénelon ou le roman politique. Paris, Champion, « Champion Commentaires, 3 », 2023. 145 p.
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2024
Volker Kapp
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PFSCL, LI, 100 DOI 10.24053/ PFSCL-2024-0013 Colas Duflo : Les Aventures de Télémaque de Fénelon ou le roman politique. Paris, Champion, « Champion Commentaires, 3 », 2023. 145 p. Le titre « roman politique » pourrait irriter ceux qui connaissent les quiproquos de la discussion historique sur le genre auquel il faut inscrire cette œuvre destinée à l’éduction du petit-fils de Louis XIV. Mais le chapitre, dont le titre reproduit l’énoncé fénelonien selon lequel il s’agit d’une « narration fabuleuse en forme de poème héroïque » (20), constate que le modèle littéraire est bien « l’épopée antique », mais « Fénelon ne parle pas d’épopée, ne serait-ce que parce que le Télémaque est en prose » (21). Se référant à la Télécomanie de Faydit, Duflo rappelle que le genre du roman « en son entier, encore mal identifié, est considéré comme de la sous-littérature sans véritables normes et sans goût, composé de fictions invraisemblables et faciles pour le rêve et le divertissement » (22). Reconnaissant ici le résumé d’un débat complexe, on est satisfait du don de synthèse qui se manifeste dans toute la présentation d’un ouvrage qui a marqué la littérature tant française qu’européenne aussi bien que la pensée politique. Duflo ne semble pas disposé à confronter les lecteurs français de son commentaire avec la critique écrite en langue étrangère. C’est pourquoi il renvoie à l’étude bien connue d’A. Cherel Fénelon au XVIII e siècle (1917, 2 1970) mais non à Ch. Schmitt-Maaß, Fénelons ‘Télémaque’ in der deutschsprachigen Aufklärung (1700-1832), Berlin- Boston 2018, 2 vols., dont le titre annonce une étude des Lumières de langue allemande, mais dont les analyses abondantes englobent toute l’Europe des Lumières et dont la bibliographie complète admirablement celle de Cherel. Mais les notes de ce commentaire illustrent bien les approches multiples de la critique en ce qui concerne le Télémaque et la présentation éclaire les facettes nombreuses de sa signification et de son influence. Les quatre chapitres commencent par l’intitulé « Pour Télémaque… » (11- 28) cherchant à saisir l’enjeu de l’ouvrage adressé primordialement au duc de Bourgogne, et l’auteur y prend ses distances vis-à-vis du « catalogue un peu borgésien » (25) de Langlet-Dufresnoy. Duflo aborde ensuite les trois éléments centraux de la « Mythologie, pédagogie, mystique » (29-64), passe à l’enjeu du « roman politique » (65-94) et aboutit au thème « Apprendre à gouverner » (95-133) englobant ainsi la vaste gamme des domaines dans lesquels le Télémaque suscite un débat concernant des préoccupations des contemporains et des philosophes du XVIII e siècle. L’épilogue (133-135) part de « la fin abrupte » du Télémaque interprétée comme une invitation à « différentes lectures possibles » (133) et présente le discours de Mentor dans le livre XVIII ainsi que la réforme de Salente en tant que récapitulation des « enseignements sur le bon souverain » (133), mais aussi en tant qu’inquiétude Comptes rendus PFSCL, LI, 100 DOI 10.24053/ PFSCL-2024-0013 242 « sur l’inadéquation entre l’idéal et la réalité politique » (134), thème qui préoccupera Terrasson dans Sethos et Pechméja dans Télèphe. Se référant à Palimpsestes de Genette, Duflo étudie les emprunts à l’Odysée et à l’Énéide et s’enthousiasme de l’épisode du livre I où Mentor et Télémaque passent au milieu de la flotte troyenne : « Grand moment de jeu littéraire, très post-moderne dans sa façon d’écrire et d’agencer une intrigue : le lecteur est invité dans un monde entièrement référencé culturellement, livresque et fictionnel, et qui se dit comme tel » (34). Il souligne donc la modernité de Télémaque en reconnaissant toutefois que cette « mosaïque de sources antiques est sans doute l’aspect du texte de Fénelon qui nous est aujourd’hui le plus difficile à apprécier » (38). La mythologie gréco-latine est, à l’époque, « un objet esthétique dont l’usage est en soi un signe de littérarité du texte » (40), qui, à la différence de notre époque, faisait alors « partie de l’éduction du jeune homme » (40). Duflo cite François-Xavier Cuche qualifiant le Télémaque de « sans doute le seul manuel pédagogique jamais élevé à la dignité de chef-d’œuvre littéraire » (44). Fénelon recourt à la fiction parce que, grâce à l’imagination, le « mécanisme d’adhésion fictionnelle permet une expérience par procuration » (45) et sa tentative de modifier la mode de la pastorale « s’accorde avec l’éloge de la simplicité, la condamnation du luxe et de la fausse grandeur » (48). Les amours plaisantes des bergers, qui prévalent dans le genre galant, sont abordées dans l’épisode de Calypso en relation avec le modèle de Didon dans l’Énéide, mais Fénelon « se sert de la mythologie païenne pour exprimer un discours chrétien » (59) et grâce à la mythologie grecque, il supplante la vision lascive du plaisir « par une bonne image féminine représentant la pureté » (59). Abordant le thème du roman politique, Duflo reconnaît que le Télemaque n’est pas uniquement un texte « palimpseste », « pédagogique », « mystique », mais « avant tout, un grand livre de philosophie politique narrative » (65). « Sur le plan diégétique comme sur le plan extradiégétique, la finalité du récit est de former un futur roi » (66). Ses personnages sont inventés pour énoncer des « propos de manière vraisemblable et légitime » et la fiction est « organisée comme la mise en scène d’un ou de plusieurs problèmes philosophiques » sous « forme d’expérience de pensée organisée et narrative » (67). Le charme de son récit provient du « répertoire d’exemples auxquels rattacher des conduites possibles » (70) en faisant « émerger la leçon politique de l’examen de cas particuliers » (78). Le Télémaque est évoqué par les historiens de l’utopie, mais les cités visitées comme par exemple l’île de Crète « ont une histoire, et la raison politique […] travaille sur un donné, qu’elle améliore » (81). La Bétique est un « témoignage lointain sur un âge d’or pré-politique » (82) et Salente incarne « une réforme réussie » (83). Fénelon s’approprie Comptes rendus PFSCL, LI, 100 DOI 10.24053/ PFSCL-2024-0013 243 toutes les ressources stylistiques de l’épopée antique pour thématiser la guerre, dont il flagelle l’horreur exaltant la paix selon l’idéal d’une politique chrétienne. Selon Duflo, l’épisode des jeux organisés sur l’île de Crète est « le plus proche de ses modèles antiques », mais tellement modifié qu’il est « un refus complet des valeurs épiques » (95). Parmi les souverains bons ou mauvais, Idoménée est « à la fois le cobaye de la politique éducative de Mentor et un Télémaque de substitution » qui illustre « les bons effets de son éducation politique » (109). Les « doubles tiennent une fonction significative » (110). Leur multiplicité, par exemple dans Mentor et Termosiris, autoportraits de Fénelon, est « un élément du travail de philosophie narrative à l’œuvre dans le texte » (113). Le choix des conseillers et leurs côtés positifs ou négatifs est l’occasion de montrer qu’il « faut une force surhumaine pour surmonter la faiblesse humaine dans les rois » (118). Fénelon adhère au principe selon lequel le bon roi « doit être un père pour ses sujets » (122) et se propose « de préparer un futur roi pour la France » (128). Colas Duflo commente magistralement le Télémaque et met ainsi à la disposition du lecteur un instrument qui permet de ressentir le plaisir que procure le texte. Volker Kapp
