eJournals Vox Romanica 82/1

Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
10.24053/VOX-2023-005
121
2023
821 Kristol De Stefani

La morphologie de la 1re personne singulier du futur et du conditionnel dans les parlers francoprovençaux valaisans

121
2023
Andres Kristolhttps://orcid.org/0000-0001-7487-9503
All’inizio del XX secolo, nei Tableaux phonétiques des patois suisses romands (TP, 1925), Gauchat e Jeanjaquet precisano che alcuni dei loro informatori rispondevano con forme del condizionale a stimoli formulati al futuro, e viceversa. Oggi, e grazie al fatto che l’evoluzione linguistica nel corso del XX secolo è stata trascurabile nei paradigmi del futuro e del condizionale, i dati raccolti tra il 1994 e il 2001 per la realizzazione dell’Atlante linguistico audiovisivo del Vallese francoprovenzale (ALAVAL, Diémoz/Kristol 2019) ci permettono di vedere più chiaro in questa apparente confusione e quindi di rivedere il giudizio di Gauchat/ Jeanjaquet. Nei dialetti interessati, i testimoni non si sono sbagliati nell’uso delle forme incriminate, ma hanno risposto con forme perfettamente corrette nei rispettivi sistemi. L’esame della distribuzione geolinguistica delle diverse forme suggerisce che l’attuale sincretismo tra futuro e condizionale risulta dall’interazione tra paradigmi che utilizzano le stesse desinenze in funzioni opposte in dialetti immediatamente vicini.
vox8210141
DOI 10.24053/ VOX-2023-005 Vox Romanica 82 (2023): 141-157 La morphologie de la 1 re personne singulier du futur et du conditionnel dans les parlers francoprovençaux valaisans * Andres Kristol (Université de Neuchâtel) https: / / orcid.org/ 0000-0001-7487-9503 Riassunto: All’inizio del XX secolo, nei Tableaux phonétiques des patois suisses romands ( TP , 1925), Gauchat e Jeanjaquet precisano che alcuni dei loro informatori rispondevano con forme del condizionale a stimoli formulati al futuro, e viceversa. Oggi, e grazie al fatto che l’evoluzione linguistica nel corso del XX secolo è stata trascurabile nei paradigmi del futuro e del condizionale, i dati raccolti tra il 1994 e il 2001 per la realizzazione dell’ Atlante linguistico audiovisivo del Vallese francoprovenzale ( ALAVAL , Diémoz/ Kristol 2019) ci permettono di vedere più chiaro in questa apparente confusione e quindi di rivedere il giudizio di Gauchat/ Jeanjaquet. Nei dialetti interessati, i testimoni non si sono sbagliati nell’uso delle forme incriminate, ma hanno risposto con forme perfettamente corrette nei rispettivi sistemi. L’esame della distribuzione geolinguistica delle diverse forme suggerisce che l’attuale sincretismo tra futuro e condizionale risulta dall’interazione tra paradigmi che utilizzano le stesse desinenze in funzioni opposte in dialetti immediatamente vicini. Mots-clés: Francoprovençal, Géographie linguistique, Morphologie verbale, Futur, Conditionnel, Syncrétisme 1. Introduction L’ Atlas linguistique audiovisuel du francoprovençal valaisan ALAVAL , axé sur des phénomènes de morphologie et de syntaxe des parlers francoprovençaux valaisans, en ligne depuis l’automne 2019 (http: / / alaval.unine.ch/ ), constitue une documentation - ou plutôt un sondage - dans un domaine relativement peu étudié de la linguistique francoprovençale, conçue pour identifier si possible des «zones molles» du système qu’il vaudrait la peine d’examiner plus en détail 1 . * Version révisée d’une communication présentée dans le cadre d’un colloque consacré à la morphologie verbale du francoprovençal à l’Université de Lausanne en juin 2022. 1 Pour l’expression de la partitivité (cf. Kristol 2014), les matériaux de l’ ALAVAL ont pu alimenter les travaux de l’équipe zurichoise d’Elisabeth Stark et al. (cf. Stark/ Gerards 2020, Stark/ Davatz 2022) qui ont permis d’approfondir l’analyse de l’emploi de l’article partitif et du de partitif en francoprovençal valaisan et valdôtain. 142 DOI 10.24053/ VOX-2023-005 Andres Kristol Vox Romanica 82 (2023): 141-157 La notion de sondage est particulièrement appropriée pour le domaine de la morphologie verbale: avec notre méthodologie d’enquête (cf. Kristol 1998 et la préface de l’ ALA- VAL en ligne 2 ) et pour ne pas abuser de nos informatrices et informateurs, généralement déjà d’un âge certain, il était impossible d’alourdir le questionnaire (comme nous aurions bien aimé le faire) pour explorer tous les recoins du système verbal. On sait aussi que la plupart des locuteurs dialectophones ne sont pas conscients de la grammaire de leurs parlers, de sorte qu’il est difficile de les interroger sur des paradigmes verbaux. À ce sujet, Dietrich (1945: 91) déjà, écrit: «Je ne dissimule pas les difficultés que j’ai rencontrées à faire conjuguer mes braves témoins. Un assez grand nombre de réponses ont dû être extorquées; beaucoup de questions restèrent sans réponse». Quant à nous, comme on le verra, lors de nos enquêtes nous n’avons rien extorqué à personne et nous nous sommes bien gardés de faire conjuguer nos témoins, pour éviter l’apparition d’artéfacts. Je me limiterai ici à une seule question de morphologie verbale, mais qui m’a donné du fil à retordre, une question pour laquelle je ne voyais pas clair du tout au moment où j’ai établi les cartes correspondantes de l’ ALAVAL : c’est la morphologie de la 1 re personne singulier du futur (1 Sg . Fut ) et du conditionnel (1 Sg . cond ) dans les parlers valaisans. À présent, il me semble que la lumière est en train de se faire, en particulier grâce au dialogue entre les données anciennes, à savoir les enquêtes de l’ ALF et des Tableaux phonétiques ( TP , Gauchat et al. 1925), et les nouvelles données récoltées pour l’ ALAVAL . Quand mon équipe et moi-même, en 1994, avons élaboré le questionnaire pour notre enquête, nous avons bien sûr consulté les travaux de géolinguistique de nos prédécesseurs, l’ ALF et surtout les TP qui, malgré leur titre, offrent souvent aussi des informations morphologiques. Trois cartes de l’ ALF , avec 7 points d’enquête en Valais, sont consacrées à la 1 Sg . Fut : 469 je l’enverrai , 1202 je saurai ça et 1410 je verrai . Deux cartes s’intéressent à la 1 Sg . cond : 807 je mangerais et 1419 je voudrais 3 . Les TP , avec 15 points d’enquête valaisans, comprennent exactement une colonne de données pour la 1 Sg . Fut (131 j’achèterai ) et une colonne pour la 1 Sg . cond (192 je voudrais ) . À cela s’ajoutent trois colonnes pour d’autres personnes du paradigme: la 3 Sg . Fut il faudra ainsi que la 2 pL . cond vous voudriez et la 3 pL . cond ils devraient 4 . En réalité, ces chiffres cachent un problème important. En effet, dans les notes de bas de page, dans les TP , on trouve un avertissement répété. 2 http: / / alaval.unine.ch/ uploads/ alaval_docs/ 1_ALAVAL_Introduction.pdf, en particulier les p. 16-18. 3 Les autres personnes du paradigme du futur font l’objet des cartes suivantes de l’ ALF : 28 et 575 (2 Sg ), 29 et 514 (3 Sg ), 97 et 1696 (1 pL ), 532, 869 et 1418 (3 pL ). La 2 pL . Fut n’est pas représentée. Les autres personnes du conditionnel font l’objet des cartes suivantes: 98 (2 Sg ), 498 et 537 (3 Sg ), 515 (1 pL ), 516 (2 pL ), 10 et 1366 (3 pL ). 4 La documentation ainsi disponible, en dehors de la 1 Sg , est trop ténue pour une analyse comparative (et diachronique) des données de l’ ALAVAL avec celles des TP . Mais de toute façon, ce sont les attestations de la 1 Sg qui m’ont permis d’élucider la question qui m’intéresse ici. 143 DOI 10.24053/ VOX-2023-005 La 1SG du futur et du conditionnel en francoprovençal valaisan Vox Romanica 82 (2023): 141-157 - Pour la col. 131 j’achèterai , on lit: «La forme obtenue est parfois celle du conditionnel». - Inversement, pour la col. 192 je voudrais , on apprend que «Plusieurs sujets répondent par le futur». Des observations similaires se retrouvent pour toutes les autres colonnes des TP consacrées à des formes du futur et du conditionnel. - À la col. 158 il faudra , on lit: «Les sujets répondent souvent par le conditionnel». - La col. 337 vous voudriez , précise «Il a y parfois confusion du conditionnel avec le futur». - La col. 309 ils devraient , enfin, confirme: «Il y a parfois confusion avec le futur.» Malheureusement, la présentation des données dans les TP - comme dans l’extrait ci-dessous (fig. 1) où je me limite aux matériaux valaisans pour les formes de la 1 Sg - ne fournit aucune clé pour savoir quelles seraient les formes erronées ou confondues. Rien n’indique quelles formes ne correspondent pas à l’intitulé de la colonne; les astérisques, nombreux, renvoient uniquement à des «notations divergentes», à des différences de perception entre les deux enquêteurs (je reviendrai sur cette question). On pourrait même se demander si les enquêteurs eux-mêmes avaient des doutes quant à l’identification des formes, et ont préféré laisser régner un certain «flou artistique». Figure 1. La présentation des données dans les TP 144 DOI 10.24053/ VOX-2023-005 Andres Kristol Vox Romanica 82 (2023): 141-157 Voici donc la question que je chercherai à élucider ici, à l’aide des matériaux actuellement disponibles, tout en me limitant évidemment aux parlers valaisans. Qu’en est-il de ces confusions? pourquoi les témoins des TP répondent-ils par le futur à la place du conditionnel (et l’inverse)? Est-il possible de «remettre de l’ordre» dans les formes attestées au début du XX e siècle? 2. Les formes du futur Dans l’élaboration de notre questionnaire, avertis par les observations des TP , nous avons évidemment essayé de formuler des énoncés qui devaient éviter le danger d’une confusion entre des futurs et des conditionnels. Reste à vérifier si nous avons réussi. La partie de notre questionnaire consacrée spécifiquement à la morphologie du futur s’adressait uniquement aux informatrices. Elle prévoyait deux énoncés à la 1 Sg . Fut : - À Nouvel An, je reverrai tous mes petits-enfants . - Je me souviendrai toujours de toi . Dans les deux cas, il nous semblait que l’information temporelle ( à Nouvel An , toujours ) était assez claire pour éviter l’apparition des formes du conditionnel. À part cela, étant donné que le futur simple roman de tous les verbes remonte à la périphrase du latin tardif infinitif + habeo , nous n’avons pas jugé nécessaire de «tester» des verbes issus de toutes les conjugaisons latines. Après coup, je regrette un peu ce choix, car nos résultats montrent qu’il aurait pu être utile d’augmenter légèrement le nombre de questions. En effet, notre méthode d’enquête était axée sur l’obtention de réponses aussi spontanées que possible et évitait de mettre nos informatrices et informateurs dans un carcan grammatical. Elle leur laissait une grande liberté de reformuler à leur guise les énoncés proposés. Conséquence: ce n’est pas le conditionnel qui nous a joué des tours, mais les alternatives pragmatiques du futur simple - le présent et le futur composé - qui ont en partie empêché la récolte des formes attendues. Ainsi, pour la première question ( À Nouvel An, je reverrai tous mes petits-enfants ), même si nos enquêtes se sont généralement déroulées au cours du semestre de printemps et que le prochain Nouvel An était encore très loin, l’implication subjective de nos informatrices a fait que plus d’un tiers des réponses obtenues, 7 sur 19, ont été formulées au présent ou au futur composé. L’idée de pouvoir revoir les petits-enfants a manifestement créé une sorte d’immédiateté ou de proximité psychologique, ce qui correspond bien aux caractéristiques sémantiques du présent et du futur composé. Ainsi, notre informatrice d’Hérémence répond avec une belle périphrase au futur composé: (1) ʊ bɔn -ŋ ˈɐʒə tɔʁnˈɛ ˈɛʁə ty lə pʏtˈɪ ʒ ɛ̃fˈ- Au bon an je vais revoir (litt. tourner voir ) tous les petits-enfants. 145 DOI 10.24053/ VOX-2023-005 La 1SG du futur et du conditionnel en francoprovençal valaisan Vox Romanica 82 (2023): 141-157 D’autres locutrices ont aussi généralisé la portée de l’énoncé et n’ont pas répondu à la première personne du singulier, mais à la troisième, avec un sujet indéterminé. C’est le cas de notre informatrice de St-Jean (Anniviers) qui répond également au futur composé et reformule sa réponse à la troisième personne, en ajoutant une précision très personnelle qui montre bien son implication dans l’enquête: (2) ɔ nɔvej an nɔ ve rɛvˈɛːrə tɔ mʊ̃ pʏtˈi ʒ ɛ̃fˈan ɛ j ɛn e vỹt ɛ j ʊ̃ À Nouvel An, on va revoir tous mes petits-enfants, et j’en ai vingt-et-un. Dans l’ ALAVAL , de telles réponses étaient évidemment perdues pour la question précise de la morphologie verbale, mais nous ne sommes jamais revenus en arrière, pour «obliger» nos témoins à répondre comme nous l’aurions voulu. De toute façon, leurs réponses nous fournissaient une foule d’autres renseignements: sur le fonctionnement du futur composé, sur l’expression de la répétition, et j’en passe. Si on ne les trouve pas sur la carte du futur simple, leurs réponses peuvent donc figurer dans d’autres parties de l’atlas. La récolte a été meilleure pour le deuxième énoncé ( Je me souviendrai toujours de toi ), où les 19 réponses obtenues sont toutes au futur simple. Par rapport à notre réseau d’enquêtes de 21 points valaisans, les informations ne manquent que pour Chalais (où notre informatrice, âgée de plus de 90 ans - la dernière locutrice du village - a déclaré au bout d’une demi-heure qu’elle était fatiguée et on a dû arrêter l’enquête et plier bagage) et pour Vouvry où nous n’avons plus trouvé d’informatrice. Le résultat est présenté à la carte correspondante de l’ ALAVAL , disponible sur internet (http: / / alaval.unine.ch/ atlas? carte=53110). Je ne m’y arrête pas, car il faudra la comparer avec la carte analogue du conditionnel (http: / / alaval.unine.ch/ atlas? carte=61110), pour détecter d’éventuelles confusions entre les deux formes. Et de toute façon, comme je l’ai déjà mentionné, je dois avouer qu’au moment où j’ai rédigé ces deux cartes, leur comparaison ne m’a pas permis d’y voir plus clair. Pour essayer de me sortir de l’impasse, j’ai commencé à réunir une synthèse de toutes les informations disponibles grâce aux trois enquêtes géolinguistiques réalisées en Valais, l’ ALF , les TP et l’ ALAVAL 5 . En recoupant les trois sources, on obtient des informations pour 32 parlers. On tiendra évidemment compte du fait qu’il y a presque un siècle entre les deux premières enquêtes ( ALF et TP ) et la nôtre 6 . Je précise que quand les TP fournissent deux formes, avec la première suivie de l’astérisque dans les tableaux et la deuxième dans les notes de bas de page (cf. fig. 1), il s’agit de deux transcriptions alternatives d’une seule et même forme, par les deux 5 Après avoir réalisé dans un premier temps les tableaux avec les formes verbales complètes provenant des trois sources, je me limiterai ici aux désinences pour faciliter la comparaison. 6 Pour l’ ALF et les TP (formes en italique), je reproduis les transcriptions originales telles quelles, sans le moindre transcodage, et jusqu’au moindre signe diacritique. Pour l’ ALAVAL , je reprends évidemment nos propres transcriptions, en API, entre crochets. Les résultats des différentes enquêtes pour une même localité sont séparés par des points-virgules. Pour des raisons de place, dans les tableaux, j’ai abrégé ALAVAL en AV . 146 DOI 10.24053/ VOX-2023-005 Andres Kristol Vox Romanica 82 (2023): 141-157 enquêteurs 7 . En revanche, quand l’ ALF et l’ ALAVAL fournissent plusieurs formes, elles proviennent de différents verbes. Dans le tableau 2, consacré aux formes du futur, j’anticipe: j’ai antéposé un point d’interrogation aux formes qui pourraient être suspectées de confusions entre le futur et le conditionnel, comme on le verra en comparaison avec le tableau analogue du conditionnel (fig. 4): futurs AV 13 Liddes [? ɹ] TP 17 St-Gingolph ri*, r ALF 976 Bourg-St-Pierre ? r, ? r, ? r AV 25 Vouvry - AV 9 Isérables [ri, ˈrːi] TP 18 Collombey rā*, r() ALF 978/ TP 25/ AV 17 rĭ, r, rĭ; r*, r; [ˈrɪ] AV 23 Troistorrents [ˈʁɑ, ˈʁɑ, ʁɑ] TP 26/ AV 20 Savièse rĭ; [ˈrɪ, ˈrɪ, ˈɹɪ] AV 24 Val-d’Illiez [ˈʁɑ, ʁɑ] AV 1 Arbaz [ˈʁi, ˈri] TP 19 Champéry r*, rā TP 27 Ayent rĭ ALF 968 St-Maurice r, r, ? rĭ ALF 979/ AV 11 Lens rk, rt, rt; [ˈri] TP 20 Martigny r*, ré AV 16 Montana [ˈri] AV 12 Les Marécottes [ˈʁ, ˈʁe] TP 28/ AV 15 Miège r; [ˈreɪ] TP 23/ AV 7 Fully ? ri*, ? r; [? ˈʁaə, ʁə 8 ] AV 8 Hérémence [ˈɹi] ALF 988/ TP 30/ AV 6 Évolène rk, rk, ? r; rĭ; [ˈʁiᶢ, ˈrɪ] AV 4 Chamoson [? ˈʁa, ˈʁɛ] TP 24/ AV 5 Conthey ? r*, rè; [? ˈrɛ, ? ˈr, ˈræ] TP 29 Grône r*, rìk AV 3 Chalais - ALF 977 Le Châble ? r, ? r, ? r ALF 989 Vissoie) rĭ, rĭ, ? r TP 22/ AV 14 Lourtier rā*, ra(); [ˈɛ 9 , ? ˈʴ] AV 19 St-Jean [ˈre] TP 21/ AV 18 Orsières r; [ˈʁaɛ, ˈʁæɛ] TP 31 Grimentz ? rēyò Figure 2. Les désinences de la 1 Sg . Fut dans les parlers valaisans 7 Ces «notations divergentes» sont précieuses, essentielles: c’est une caractéristique des TP , et un de leurs points forts. L’honnêteté absolue d’indiquer les divergences de perception entre les deux enquêteurs (Gauchat et Jeanjaquet pour les points d’enquête valaisans) illustre les incertitudes inévitables d’une enquête directe, seule méthode disponible au début du XX e siècle, avant l’avènement du magnétophone. À cet égard, la version digitalisée des TP par Hans Geisler et son équipe [Düsseldorf] (http: / / tppsr.phil.hhu.de/ #page-top), heureusement «protégée» par un mot de passe, est inutilisable, car elle néglige complètement ces variantes. Ce n’est pas le lieu ici d’insister sur les autres points faibles, nombreux, de l’entreprise de Geisler, qui compromettent sérieusement l’utilité de sa base de données, dont il faut déconseiller la consultation, en tout cas dans son état actuel. 8 La désinence [ʁə] à Fully provient de la 1 Sg du verbe se souvenir qui a connu un déplacement d’accent sur le radical, et par conséquent un affaiblissement de la désinence: [i mə ʃvˈədʁə] ‘je me souviendrai’. 9 Dans plusieurs parlers de la région, les matériaux de l’ ALAVAL permettent d’observer une tendance à l’amuïssement du [r] dans les désinences du futur et du conditionnel. 147 DOI 10.24053/ VOX-2023-005 La 1SG du futur et du conditionnel en francoprovençal valaisan Vox Romanica 82 (2023): 141-157 Quand on compare les formes des deux premières enquêtes, ALF et TP , avec celles de l’ ALAVAL pour les points d’enquête communs (Fully, Conthey, Lourtier, Orsières, Savièse et Miège pour les TP et l’ ALAVAL , Lens pour l’ ALF et l’ ALAVAL , Nendaz et Évolène pour les trois enquêtes), on constate que dans la grande majorité des cas, les résultats coïncident (parfois, les données de l’ ALAVAL présentent quelques nuances supplémentaires). Voici quelques exemples: - Les trois parlers du Val d’Illiez, Troistorrents, Val-d’Illiez et Champéry, avec Collombey, dans la plaine, possèdent des formes du futur en [ra], depuis le début du XX e siècle. - Pour Fully et pour Orsières, je considère que la transcription r des TP et nos formes [ˈʁaɛ, ˈʁæɛ] se valent. - Pour Nendaz, notre transcription [rɪ] correspond à celles qu’on trouve dans l’ ALF , alors que les TP notent r *, r . - Pour Savièse, nos formes [rɪ] correspondent à celle des TP . Dans le domaine de la morphologie verbale, l’évolution linguistique au cours du XX e siècle, entre les témoins de 1900-1910 et la dernière génération de locuteurs que nous avons pu enregistrer à la fin des années 1990, apparait donc comme très faible. De ce point de vue, les données de l’ ALAVAL me semblent tout à fait utilisables pour essayer de voir plus clair dans les hésitations exprimées dans les TP . Lorsqu’on reporte les formes de ce tableau sur la carte du Valais romand (fig. 3), on constate que la presque-totalité des formes potentiellement ambigües, signalées par les points d’interrogation, se trouve dans la zone III, en Valais central. En revanche, - le Chablais, la zone I, présente de manière cohérente (à l’exception de St-Gingolph) des formes en [rɑ], - la zone II, St-Maurice, Les Marécottes et Martigny, a (ou avait) des formes en [rɛ]. Seule la forme en [ri] de St-Maurice, dans l’ ALF , est ambigüe, - à partir de Savièse sur la rive droite et d’Isérables sur la rive gauche du Rhône, tout le reste du Valais, la zone IV, présente des formes non ambigües, généralement en [ri], plus rarement en [re]. Il n’y a qu’à Grimentz, dans les données des TP , qu’on trouve de nouveau une forme qui prête à confusion entre le futur et le conditionnel. En outre, deux formes isolées en r / r  dans les matériaux de l’ ALF (à Évolène et à Vissoie, à côté de formes en ri ou r  k 10 , plus nombreuses) qui se confondent avec celles du conditionnel, sont sujettes à caution. 10 Les formes avec [k] ou [ɡ] reflètent l’aboutissement d’une diphtongue durcie, d’un ancien [i] long. Dans les parlers concernés, ce sont des variantes facultatives des formes sans consonne finale. 148 DOI 10.24053/ VOX-2023-005 Andres Kristol Vox Romanica 82 (2023): 141-157 Figure 3. Répartition géolinguistique des formes de la 1 Sg . Fut 11 Cette carte illustre une observation que j’ai souvent faite: établir une carte géolinguistique est une démarche heuristique, et pas seulement illustrative. Ce n’est qu’au moment où je transforme un tableau de formes en carte que je commence à voir quels sont les principes (s’il y en a) qui se cachent derrière la multitude apparemment anarchique des formes individuelles recueillies au cours de nos enquêtes. 3. Les formes du conditionnel Pour le conditionnel, la documentation disponible dans l’ ALAVAL est un peu plus riche que pour le futur. D’une part, c’est grâce au fait qu’un premier énoncé de notre questionnaire ( J’aimerais que tu te lèves à six heures et quart ) s’adressait aux témoins des deux sexes (ce qui double le nombre d’attestations disponibles pour chaque parler) et qu’un deuxième énoncé était prévu dans la partie du questionnaire qui s’adressait aux hommes ( Je n’aimerais pas qu’une guêpe me pique ). Je ne pense pas que ces deux phrases puissent prêter à confusion avec le futur. Il est vrai que dans certains cas, nos informatrices et informateurs ont reformulé leur réponse en remplaçant j’aimerais par je voudrais , mais en l’occurrence, la forme obtenue ainsi est toujours un conditionnel de la 1 Sg ; ces réponses sont donc parfaitement utilisables. C’est ce qu’illustre l’énoncé de notre témoin de Liddes qui nous procure même les deux formes, avec un bel exemple de reformulation spontanée: 11 Voir en annexe la liste alphabétique des abréviations désignant les points d’enquête. 149 DOI 10.24053/ VOX-2023-005 La 1SG du futur et du conditionnel en francoprovençal valaisan Vox Romanica 82 (2023): 141-157 (3) ʋødrˈe prø pa ke na wej ɑmɛrˈe pa c na wˈiːpə l mə pikˈœsɛ Je voudrais bien pas qu’une guê.. j’aimerais pas qu’une guêpe elle me pique. En outre, nous avons recueilli plusieurs cas de reformulations spontanées pour d’autres énoncés du questionnaire ( j’aimerais te voir (à la 1 Sg ) à la place de la 3 Sg attendue il faudrait que je te voie ), comme dans la réponse de l’informatrice de Conthey: (4) n amœrˈɛɔ tœ vˈrə mɪ ʃɔvɛ̃ mi ʃɔˈɛ̃ J’aimerais te voir plus souvent.. plus souvent. En fin de compte, nous disposons ainsi de 71 attestations pour la 1 Sg . cond , plus de 3 attestations en moyenne pour chacun de nos 21 points d’enquête ( ALAVAL , carte n° 61110, en ligne). La synthèse des données disponibles (fig. 4) permet de constater une fois de plus que dans la plupart des parlers, la morphologie de la 1 Sg . cond est restée stable depuis le début du XX e siècle: dans les points d’enquête communs (Fully, Conthey, Orsières, Nendaz, etc.), les données de l’ ALAVAL coïncident largement avec celles de nos prédécesseurs: conditionnels ALF 976 Bourg-St-Pierre rĭ, r TP 17 St-Gingolph rĭ AV 9 Isérables [ˈraɛ, ˈraj, ˈrɛe] AV 25 Vouvry [ˈʶe, ʁe, ˈɹi, re] ALF 978/ TP 25/ AV 17 Nendaz r, r; r; [ˈrɔ, ˈrɔ, ro] TP 18 Collombey rĭ AV 23 Troistorrents [ˈʁi, ɹi, ˈʁi, ˈʀiː, ʁɪ] TP 26/ AV 20 Savièse rā*, r; [ˈr, ˈrɔ, ˈʳɔ, ˈɔ] AV 24 Val-d’Illiez [ˈʀi, ʏ, ʶi] AV 1 Arbaz [ˈre, ˈre] TP 19 Champéry rĭ TP 27 Ayent rè ALF 968 St-Maurice rĭ, (r) ALF 979/ AV 11 Lens r, r; [ˈraɔ, ˈrɑɔ, ˈraːvə] TP 20 Martigny rĭ*, rì AV 12 Les Marécottes [ˈʁɪ, ˈʁi] AV 16 Montana [ˈrɑɔ, ˈr, ˈrɑvə, ˈrɑvɔ] TP 23/ AV 7 Fully ? rāy; [? ˈʁɑːɪ, ? ʁɑjə, ? ˈrɑɪ, ? ˈrɑɪ] TP 28/ AV 15 Miège rò; [ˈræj, ˈræjʊ, ˈræj, ˈrɑjɔ] AV 4 Chamoson [? ˈʁaɛ, ? ˈʁaj, ? ˈʁaɛ, ˈʁæ] AV 8 Hérémence [ˈrɑɔ, ˈɹɑʋ, ˈrɑɔ, ˈrɑɔ] TP 24/ AV 5 Conthey ? r; [? ˈre, ? ˈre, ˈrɛɔ, ? ˈʁaj, ? ˈʁaɛ] ALF 988/ TP 30/ AV 6 Évolène r, r; rk; [ˈræi, ˈre] ALF 977 Le Châble ? r, ? r TP 29 Grône rāv TP 22/ AV 14 Lourtier r; [ˈɹe, ˈɹɛɪ, ? ɹɛ, ɹʏ] AV 3 Chalais [ˈraɪ, ˈreə] TP 21/ AV 18 Orsières r; [ˈʀe, ˈʀe] ALF 989 Vissoie r, r AV 13 Liddes [ˈre, ˈre, ˈre] AV 19 St-Jean [ˈreɪ, ˈri, ˈreɔ, ˈrɛjɔ] TP 31 Grimentz rĕyò Figure 4. Les désinences de la 1 Sg . cond dans les parlers valaisans 150 DOI 10.24053/ VOX-2023-005 Andres Kristol Vox Romanica 82 (2023): 141-157 De nouveau, d’un point de vue géolinguistique, l’apparente anarchie de ces formes se réduit considérablement, et ce sont plusieurs grandes zones qui se dessinent (fig. 5): Figure 5. Répartition géolinguistique des formes de la 1 Sg . cond - Une grande zone de formes en [ri], attestées dans les trois enquêtes, va du Chablais jusqu’à Martigny. À la différence du futur, ces formes sont communes aux zones I et II; dans les deux régions, elles ne produisent aucune ambigüité entre le futur et le conditionnel. Dans les données de l’ ALF , une seule forme résulte sans doute d’une inattention ou d’un malentendu et doit être écartée: n mdjyr ( ALF carte n° 807, P. 968 St-Maurice; cf. la désinence r dans la carte) est une première personne du pluriel. - La zone IV est plus morcelée. Un petit groupe de parlers du Valais épiscopal (Lens, Montana, Hérémence et Grône) présente des formes bisyllabiques du type [rɑɔ, rɑvɔ] (avec quelques petites nuances) dont le vocalisme correspond aux désinences de l’imparfait (cf. la carte http: / / alaval.unine.ch/ atlas? carte=52110 en ligne), ou [ˈrɑjɔ, ˈræj, ˈrɛjɔ], etc. (Miège, Chalais, St-Jean, Grimentz). Il faut sans 151 DOI 10.24053/ VOX-2023-005 La 1SG du futur et du conditionnel en francoprovençal valaisan Vox Romanica 82 (2023): 141-157 doute penser qu’un nombre de stimulus plus élevé dans le questionnaire aurait pu produire des allomorphes plus nombreux encore 12 . - Un deuxième groupe de parlers de cette zone (Arbaz, Ayent, Évolène, Vissoie) utilise des formes monosyllabiques en [re] ou [rɛ], qui s’opposent à des formes du futur en [ri]. - Les formes en [ro] de Savièse, dans les données de l’ ALAVAL , semblent résulter d’une monophtongaison des formes bisyllabiques enregistrées au début du XX e siècle. En réalité, les attestations de Lens et de Miège indiquent que les formes monophtonguées étaient déjà bien présentes vers 1900 et ont pu coexister avec les formes bisyllabiques. À Nendaz, en revanche, les formes en [ro] sont stables dans les trois enquêtes. - Dans l’ensemble du corpus, il n’y a que le parler de Lourtier qui semble avoir connu un véritable changement de paradigme: de la forme en [ro] - comme à Nendaz - attestée dans les TP et confirmée par Bjerrome (1957: 88), nos deux témoins, dans les quatre attestations que nous avons recueillies, ont passé à des formes en [re, rɛ], analogues à celles que l’on observe dans les parlers voisins du Val d’Entremont (Orsières et Liddes). Quand on voit ces différences morphologiques, considérables, entre les différentes régions valaisannes, pourtant si proches les unes des autres, on commence à comprendre pourquoi nos témoins déclarent souvent qu’ils ont de la peine à comprendre leurs voisins… - Reste à examiner de plus près la zone centrale, la zone III, entre Fully, Chamoson, Conthey et les points d’enquête du val de Bagnes (Le Châble, Lourtier) et du Val d’Entremont (Orsières, Liddes, Bourg-St-Pierre), où se concentrent les nombreuses formes ambigües qui confondent le futur et le conditionnel. Là encore, à l’exception du [ro] du conditionnel de Lourtier et en négligeant quelques petits détails que je ne pourrai pas analyser ici, on observe des formes parfaitement stables - c’est à dire les mêmes ambigüités - depuis le début du XX e siècle (fig. 6). Si mon interprétation de ce constat est exacte, les parlers du Valais central sont caractérisés depuis longtemps, à la première personne du singulier, par l’emploi de 12 Le polymorphisme de ces désinences est parfaitement caractéristique pour le fait dialectal, comme j’ai eu l’occasion de le montrer dans d’autres contextes (Kristol 2016, 2018, sous presse): dans de nombreux parlers, on observe une importante variation interne non seulement entre les différents locuteurs du même parler, mais aussi dans les réponses d’une seule et même personne. Toutes ces variantes se valent, sont librement interchangeables et parfaitement grammaticales. Ainsi, lors d’une présentation de l’ ALAVAL à un public de dialectophones valaisans, à Savièse en octobre 2019, après avoir thématisé le polymorphisme de la 1 Sg du présent d’ aller dans plusieurs parlers, j’ai demandé aux personnes présentes quelle était selon elles la forme «juste» parmi les différents allomorphes d’un même parler. La réponse a été immédiate et unanime: toutes . Ce n’est que dans des langues fortement normées comme le français que l’on croit qu’à chaque fonction morphologique doit correspondre une seule forme. 152 DOI 10.24053/ VOX-2023-005 Andres Kristol Vox Romanica 82 (2023): 141-157 formes qui ne permettent plus de distinguer entre le futur et le conditionnel. Le seul parler de cette zone qui semble maintenir une distinction parfaite est celui d’Orsières qui a des formes bisyllabiques r  ( TP ) et [ˈʁaɛ, ˈʁæɛ] ( ALAVAL ) pour le futur, et une forme monosyllabique [re] pour le conditionnel, dans les TP et dans notre propre enquête. En dehors de cette zone, dans le parler voisin d’Isérables, on observe en revanche une répartition des formes exactement inverse (monosyllabique pour le futur, bisyllabique pour le conditionnel). Une fois de plus, on comprend pourquoi nos témoins déclarent qu’il est souvent difficile de se comprendre entre parlers immédiatement voisins: ici, les mêmes formes sont employées pour des fonctions opposées. Mais c’est peut-être là que se trouve l’amorce initiale pour l’abandon de la distinction entre les deux paradigmes qui caractérise les parlers du Valais central. En effet, exception faite d’Orsières et d’Isérables, dans tous les autres parlers de cette zone, il s’est produit une sorte de télescopage entre le futur et le conditionnel: tantôt, ce sont les formes bisyllabiques qui se sont propagées, tantôt ce sont les formes monosyllabiques qui semblent s’imposer dans les deux séries. Et à Conthey, par exemple, par un mouvement double, les deux séries de formes s’utilisent dans les deux paradigmes, en provoquant un polymorphisme généralisé. Je dirais que ce phénomène n’a rien de traumatisant en soi pour le linguiste qui observe le phénomène: on sait qu’une évolution tout à fait analogue s’est produite dans de nombreuses variétés de français parlé ordinaire, où les formes de la première personne du futur et du conditionnel tendent également à se confondre, que ce soit en [e] ou en [ɛ], selon les régions. futurs conditionnels TP 17 St-Gingolph ri*, r rĭ AV 25 Vouvry - [ˈʶe, ʁe, ˈɹi, re] TP 18 Collombey rā*, r() rĭ AV 23 Troistorrents [ˈʁɑ, ʁɑ, ˈʁɑ] [ˈʁi, ɹi, ˈʁi, ˈʀiː, ʁɪ] AV 24 Val-d’Illiez [ˈʁɑ, ʁɑ] [ˈʀi, ʏ, ʶi] TP 19 Champéry r*, rā rĭ ALF 968 St-Maurice r, r, ? rĭ rĭ, (r) TP 20 Martigny r*, ré rĭ, rì AV 12 Les Marécottes [ˈʁ, ˈʁe] [ˈʁɪ, ˈʁi] TP 23/ AV 7 Fully ? ri*, ? r; [? ˈʁaə, ʁə] ? rāy; [? ˈʁɑːɪ, ? ʁɑjə, ? ˈrɑɪ, ? ˈrɑɪ] AV 4 Chamoson [? ˈʁa, ˈʁɛ] [? ˈʁaɛ, ? ˈʁaj, ? ˈʁaɛ, ˈʁæ] TP 24/ AV 5 Conthey ? r*, rè; [? ˈrɛ, ? ˈr, ˈræ] ? r; [? ˈre, ? ˈre, ˈrɛɔ, ? ˈʁaj, ? ˈʁaɛ] ALF 977 Le Châble ? r, ? r, ? r ? r, ? r 153 DOI 10.24053/ VOX-2023-005 La 1SG du futur et du conditionnel en francoprovençal valaisan Vox Romanica 82 (2023): 141-157 TP 22/ AV 14 Lourtier rā*, ra(); [ˈɛ, ? ˈʴ] r; [ˈɹe, ˈɹɛɪ, ? ɹɛ, ɹʏ] TP 21/ AV 18 Orsières r; [ˈʁaɛ, ˈʁæɛ] r; [ˈʀe, ˈʀe] AV 13 Liddes [? ɹ] [? ˈre, ˈre, ˈre] ALF 976 Bourg-St-Pierre ? r, ? r, ? r rĭ, ? r AV 9 Isérables [ri, ˈrːi] [ˈraɛ, ˈraj, ˈrɛe] ALF 978/ TP 25/ AV 17 Nendaz rĭ, r, rĭ; r*, r; [ˈrɪ] r, r; r; [ˈrɔ, ˈrɔ, ro] TP 26/ AV 20 Savièse rĭ; [ˈrɪ, ˈrɪ, ˈɹɪ] rā*, r; [ˈr, ˈrɔ, ˈʳɔ, ˈɔ] AV 1 Arbaz [ˈʁi, ˈri] [ˈre, ˈre] TP 27 Ayent rĭ rè ALF 979/ AV 11 Lens rk, rt, rt; [ˈri] r, r; [ˈraɔ, ˈrɑɔ, ˈraːvə] AV 16 Montana [ˈri] [ˈrɑɔ, ˈr, ˈrɑvə, ˈrɑvɔ] TP 28/ AV 15 Miège r; [ˈreɪ] rò; [ˈræj, ˈræjʊ, ˈræj, ˈrɑjɔ] AV 8 Hérémence [ˈɹi] [ˈrɑɔ, ˈɹɑʋ, ˈrɑɔ, ˈrɑɔ] ALF 988/ TP 30/ AV 6 Évolène rk, rk, ? r; rĭ; [ˈʁiᶢ, ˈrɪ] r, r; rk; [ˈræi, ˈre] TP 29 Grône r*, rìk rāv AV 3 Chalais - [ˈraɪ, ˈreə] ALF 989 Vissoie rĭ, rĭ, ? r r, r AV 19 St-Jean [ˈre] [ˈreɪ, ˈri, ˈreɔ, ˈrɛjɔ] TP 31 Grimentz ? rēyò rĕyò Figure 6. Synthèse: formes distinctes et confondues du futur et du conditionnel Une comparaison de ces données avec les formes de la 2 Sg , 3 Sg et 3 pL dans les cartes correspondantes de l’ ALAVAL 13 permet de constater qu’une tendance similaire au syncrétisme entre le futur et le conditionnel existe également dans de nombreux parlers valaisans pour les autres personnes grammaticales, mais avec des répartitions géographiques très variables. Ce phénomène n’est pas nouveau; les enquêtes de l’ ALF , même avec leur réseau beaucoup moins dense, permettent d’entrevoir la même tendance au début du XX e siècle déjà. L’absence de données comparables dans les TP empêche cependant une analyse plus détaillée. 13 Cartes ALAVAL n° 53210 pour la 2 Sg . Fut , 61220 pour la 2 Sg . cond , 53310 pour la 3 Sg . Fut , 61310 pour la 3 Sg . cond , 53610 pour la 3 pL . Fut , 61600 pour la 3 pL . cond . 154 DOI 10.24053/ VOX-2023-005 Andres Kristol Vox Romanica 82 (2023): 141-157 4. Conclusion Au départ de cette contribution, il y a l’observation des TP (1925) selon laquelle «les sujets de leurs enquêtes répondraient souvent au futur à la place du conditionnel, et l’inverse». Sur la base des examens présentés ici, je pense qu’on serait en droit de reformuler les notes de bas de page des TP : en ce qui concerne les formes valaisannes, en tout cas - je n’ai aucune nouvelle donnée pour les autres parlers romands -, les informatrices et informateurs de Gauchat et al. n’ont pas commis d’«erreurs». Ils n’ont pas répondu par un futur à un stimulus au conditionnel, et l’inverse: ils ont simplement employé des formes parfaitement correctes de leur parler qui ne permettent pas de distinguer les deux paradigmes. La «remarque» de la col. 131 pourrait donc devenir «La forme obtenue - surtout en Valais central - peut être commune au futur et au conditionnel», et celle de la col. 192 «Plusieurs sujets - en particulier en Valais central - répondent par des formes communes qui ne distinguent pas entre le futur et le conditionnel». Les TP , avec leur documentation trop ténue (une seule forme du futur, une seule forme du conditionnel, pour chaque parler) n’ont simplement pas été en mesure de livrer une analyse satisfaisante des formes observées. Quant aux raisons qui pourraient expliquer le syncrétisme entre le futur et le conditionnel dans une partie des parlers valaisans, syncrétisme attesté depuis le début du XX e siècle (en l’absence de données plus anciennes), la documentation disponible ne permet de formuler que des hypothèses. À mon avis, l’analogie, souvent invoquée en morphologie verbale comme «moteur» de l’évolution, ne fournit pas ici un cadre explicatif suffisant 14 . En revanche, il ne me semble pas exclu que l’origine du phénomène soit de nature géolinguistique. Comme on a pu l’observer ici pour la première personne du singulier, différentes formes pour le futur et pour le conditionnel, qui utilisent parfois les mêmes désinences pour des fonctions opposées, se côtoient dans des parlers immédiatement voisins, dans un espace dialectal relativement exigu. Dans cette situation, la confusion (ou fusion? ) des deux paradigmes, soit par un polymorphisme généralisé, soit par l’abandon de l’une des deux formes, est pour ainsi dire «programmée». Des cas de figure similaires ont pu être observés dans d’autres secteurs du système morphologique, en francoprovençal valaisan 15 . 14 Dans les données de l’ ALAVAL , de réels phénomènes analogiques s’observent en revanche par exemple à l’imparfait, entre les paradigmes des différentes conjugaisons (voir les commentaires des cartes ALAVAL 52110, 52120, 52210, 52220, etc.). 15 Pour le polymorphisme généralisé résultant de l’abandon de la déclinaison bicasuelle de l’article défini dans les parlers valaisans occidentaux, cf. Kristol (2018: 347-49); pour l’abandon de l’opposition masculin/ féminin dans les formes du clitique sujet de la 3 e personne du singulier et du pluriel, cf. Kristol (2016: 165-67). 155 DOI 10.24053/ VOX-2023-005 La 1SG du futur et du conditionnel en francoprovençal valaisan Vox Romanica 82 (2023): 141-157 Bibliographie ALAVAL (AV) = d iéMoz , F./ K riStoL , A. 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TP = g auchat , L./ J eanJaquet , J./ t appoLet , E. 1925: Tableaux phonétiques des patois suisses romands , Neuchâtel, Attinger. 156 DOI 10.24053/ VOX-2023-005 Andres Kristol Vox Romanica 82 (2023): 141-157 Annexe: Liste alphabétique des abréviations désignant les points d’enquête sur les cartes Ar Arbaz Li Liddes Ay Ayent LM Les Marécottes Bo Bourg-St-Pierre Lo Lourtier Cl Chalais Ma Martigny Cm Chamoson Mi Miège Co Collombey Mo Montana Cp Champéry Ne Nendaz Ct Conthey Or Orsières Év Évolène SG St-Gingolph Fu Fully SJ St-Jean Gm Grimentz SM St-Maurice Gn Grône Sv Savièse Hé Hérémence Tr Troistorrents Is Isérables VI Val-d’Illiez LC Le Châble Vo Vouvry Le Lens Vs Vissoie 157 DOI 10.24053/ VOX-2023-005 La 1SG du futur et du conditionnel en francoprovençal valaisan Vox Romanica 82 (2023): 141-157 The morphology of the 1st person singular of the future and conditional tenses in the Francoprovençal dialects of Valais Abstract: At the beginning of the 20th century, Gauchat and Jeanjaquet, in their Tableaux phonétiques des patois suisses romands ( TP , 1925), specify that some of their informants responded with forms of the conditional to stimuli formulated in the future tense, and vice versa. Currently, and thanks to the fact that the linguistic evolution during the 20th century was negligible in the paradigms of the future and the conditional, the data collected between 1994 and 2001 for the realization of the Audiovisual Linguistic Atlas of Valaisan Francoprovençal ( ALAVAL , Diémoz/ Kristol 2019) allow us to see more clearly in this apparent confusion and thus to revise Gauchat/ Jeanjaquet’s judgment. In the dialects concerned, the witnesses were not mistaken in the use of the incriminated forms, but responded with forms that were perfectly correct in their respective systems. The examination of the geolinguistic distribution of the different forms suggests that the current syncretism between the future tense and the conditional results from the interaction between paradigms using the same verbal endings in opposite functions in immediately neighbouring dialects. Keywords: Francoprovençal, Linguistic geography, Verbal morphology, Future tense, Conditional, Syncretism