eJournals Vox Romanica 82/1

Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
10.24053/VOX-2023-016
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2023
821 Kristol De Stefani

Francesco Montorsi, Mémoire des Anciens. Traces littéraires de l’Antiquité aux XIIe et XIIIe siècles, Genève (Droz) 2022, 376 p. (Publications romanes et françaises 275)

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2023
Alain Corbellarihttps://orcid.org/0000-0002-0476-6797
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349 DOI 10.24053/ VOX-2023-016 Vox Romanica 82 (2023): 349-351 Besprechungen - Comptes rendus Galloromania F rancesco m onTorsi , Mémoire des Anciens. Traces littéraires de l’Antiquité aux XII e et XIII e siècles , Genève (Droz) 2022, 376 p. ( Publications romanes et françaises 275). On pourrait croire rebattu le sujet des rapports de la littérature française médiévale avec l’Antiquité. En réalité, si l’on s’est beaucoup penché, à la suite de Faral et de Curtius, sur les motifs empruntés de manière plus ou moins directe à la littérature antique, si un Aimé Petit ou un Raymond Cormier se sont intéressés au problème de l’anachronisme dans le roman antique, si un Marc-René Jung et d’autres érudits ont étudié de près les traditions manuscrites des textes imités de l’Antiquité, une enquête restait à mener sur la mémoire dont les faits de civilisation antiques ont été l’objet chez les auteurs du Moyen Âge central. C’est désormais chose faite avec Mémoire des Anciens , le livre, relativement bref, mais très dense, que Francesco Montorsi (F. M.) vient de faire paraître aux éditions Droz. Se concentrant sur la période allant du milieu du XII e à la fin du XIII e siècle, F. M. n’a pas seulement inclus dans son corpus des œuvres romanesques (parmi lesquels les romans antiques, ainsi que des textes comme Athis et Prophilias , occupent évidemment une place clé), mais également des chroniques et des ouvrages historiques, dont la prise en compte contribue à renouveler notre vision des questions, non seulement de survivances, mais plus encore de continuités qui relient la littérature vernaculaire du Moyen Âge aux realia de l’Antiquité. Abordant tour à tour, dans des chapitres bien équilibrés, les questions liées à la rhétorique et à l’écriture de l’histoire, à la perception du paganisme comme idolâtrie, à la divination et aux sacrifices, aux rituels funéraires, à l’art des tombeaux, à la sculpture, au théâtre et à la guerre, F. M. dresse un panorama convainquant des éléments sur lesquels le Moyen Âge se faisait de ce que nous appelons aujourd’hui l’Antiquité une idée à la fois informée et déformée. Évitant les deux écueils de la dénonciation de l’anachronisme et de l’assimilation abusive, il propose une lecture nuancée de textes qui s’efforcent, avec plus d’honnêteté qu’on ne le croirait, de saisir les spécificités d’une culture qui leur échappe partiellement et dont ils n’hésitent cependant pas à se déclarer les héritiers. Le chapitre le plus original est peut-être le deuxième, qui pose l’idée d’«idolâtrie» comme prépondérante dans la compréhension du fait religieux dans les sociétés non chrétiennes, qu’elles soient pré-chrétiennes (comme celles de l’Antiquité) ou para-chrétiennes (comme l’Islam), cette distinction elle-même n’ayant en fait que peu de sens pour les médiévaux qui placent dans un même continuum les anciens Gréco-Romains et les Musulmans. Dans le même ordre d’idées, F. M. montre pertinemment que «le rapport entre fiction et mythologie a donc quelque chose d’ambigu» (p. 98). Il vaut, de fait, la peine de rappeler dans ce contexte que le mot polythéisme a été «forgé en 1580» seulement et qu’au XVII e siècle «le concept d’idolâtrie est encore prépondérant dans les réflexions sur les croyances non chrétiennes» (p. 72), Furetière n’hésitant pas à dire dans son Dictionnaire que «[t]ous les Dieux du Paganisme n’étoient que des statues» (cité p. 194). 350 DOI 10.24053/ VOX-2023-016 Vox Romanica 82 (2023): 349-351 Besprechungen - Comptes rendus Le chapitre IV sur le traitement du corps défunt, spirituellement intitulé «cadavres exquis», comprend aussi son lot de considérations neuves, en particulier sur le curieux remplacement de certaines scènes d’enterrement par des crémations dans L’histoire ancienne jusqu’à César (p. 149), sur la substitution d’embaumements à des incinérations dans les romans antiques (p. 150), ou inversement sur l’insistance sur l’incinération dans d’autres textes, procédé permettant de «faire surgir le souvenir du monde antique dans son altérité distinctive» (p. 151). Cette dernière remarque donne ainsi à F. M. l’occasion d’un développement bienvenu sur l’usage complexe de l’anachronisme, plus volontiers assumé par les médiévaux qu’on ne le pense parfois. Dans le chapitre V sur les tombeaux, F. M. rappelle que «plusieurs chercheurs ont vu dans ces tombeaux une mise en abyme de l’acte créateur» (p. 163), remarque qu’il développe et qui lui permet de rebondir dans la conclusion en insistant sur le fait qu’«une étude trop centrée sur la lettre des textes peut occulter certains aspects des dynamiques mémorielles à l’œuvre dans la culture médiévale» (p. 283). F. M. plaide ainsi pour une «méthode archéologique» ( id .) qui permet de reconstruire la «mémoire des Anciens» selon une esthétique de la trace plus que de l’inscription. Le chapitre VII, sur les spectacles, est également très riche, différenciant finement le théâtre qui «joue un rôle considérable dans la mémoire médiévale de l’antiquité» (230) du cirque qui n’a «pu servir aux auteurs des XII e et XIII e siècle pour illustrer le monde romain» (p. 234). Ici encore l’étude du souvenir des vestiges donne la main à la lecture des textes littéraires. Un précieux dossier iconographique (malheureusement en noir et blanc) suit l’étude (p. 295-307), illustrant certaines des distorsions qui y ont été décrites, ainsi de Ninus représenté comme un empereur carolingien (p. 295) ou Philippe de Macédoine à qui sont attribuées les armes des rois d’Angleterre (p. 296). On se permettra toutefois de formuler quelques regrets, qui sont en fait plutôt des suggestions de prolongements. Il est ainsi un peu dommage qu’un texte comme La Vengeance de Notre Seigneur ne soit pas du tout évoqué par F. M.: cette chanson de geste très atypique illustre en effet de manière parlante la thèse du chapitre II postulant une certaine indifférenciation des diverses formes d’idolâtrie, puisqu’on y voit Vespasien délivrer Jérusalem des Sarrasins! Le Voyage de Charlemagne à Jérusalem et Constantinople aurait également pu être mis à contribution dans le chapitre VI sur l’art des anciens, car, sous couvert de nous décrire les merveilles de Byzance, cette chanson de geste drolatique conserve quelques éléments descriptifs se souvenant de la Rome antique. Quoique dans une moindre mesure, le Cligès de Chrétien de Troyes et l’ Eracle de Gautier d’Arras auraient aussi pu être sollicités sous cet angle. Et il eût été loisible de prolonger ce chapitre sur l’art par un petit appendice sur la peinture, en particulier pour évoquer le personnage d’Apelle tel que le met en scène le Roman d’Alexandre , voire pour s’interroger sur ces étranges scènes des romans arthuriens (de la Continuation Gauvain du Conte du Graal à La Mort Artu ) qui mettent en scène un art représentatif mimétique dont les médiévaux avaient perdu l’habitude et qui fait par là implicitement référence à la peinture antique. Dans un registre proche, la question des tombeaux aurait aussi pu s’enrichir d’une allusion à La Mort Artu , où les inscriptions funéraires jouent le rôle structurant que l’on sait. 351 DOI 10.24053/ VOX-2023-017 Vox Romanica 82 (2023): 351-353 Besprechungen - Comptes rendus Relevons aussi, au chapitre des détails, que lorsqu’il rappelle que le mot «histoire», dans la langue médiévale «désigne la narration. Pas n’importe quelle narration, surtout la véridique» (p. 30), F. M. manque une occasion de rappeler l’usage fait par certains romanciers, comme Béroul, du mot «estoire» pour désigner un récit de référence dans un cadre où la véridicité historique ne fait pas vraiment sens. Enfin, détail de langue un peu curieux dans un livre à l’écriture par ailleurs fluide et entraînante, l’appellation de «condottiere» appliqué à Alexandre (p. 183) est un peu malheureuse, un conquérant n’étant pas assimilable à un chef de guerre mercenaire. La bibliographie est extrêmement riche; on signalera toutefois à F. M. qu’il aurait pu, dans le chapitre VII, sur le théâtre, évoquer avec profit les considérations de Simon Gabay dans sa thèse sur L’Acteur au Moyen Âge. L’Histrion et ses avatars en Occident de saint Augustin à saint Thomas , soutenue en 2015 à l’Université d’Amsterdam. Mais en fin de compte ces quelques regrets sont peu de choses et, tel quel, le livre de F. M. est appelé à devenir la nouvelle référence sur un sujet d’histoire culturelle qui intéresse directement la problématique très actuelle des relations entre peuples et civilisations. À travers les cas évoqués dans Mémoire des Anciens , c’est un pan essentiel de la construction identitaire de l’Occident durant une période clé de son histoire qui nous est restitué, nous permettant de mieux comprendre par quels filtres la référence antique a innervé l’affirmation d’une société dont nous sommes les héritiers directs. Alain Corbellari (Université de Lausanne/ Université de Neuchâtel) https: / / orcid.org/ 0000-0002-0476-6797 ★ s Tève b obillier , Le manuscrit des Six âges du Monde. Généalogie d’une lutte contre le diable de la Création à l’Apocalypse , Prilly (Les Presses Inverses) 2022, 272 p. Le manuscrit des Six âges du Monde est l’un des trésors des Archives du canton du Valais. Objet d’une exposition de la Médiathèque du Valais qui s’est tenue de fin 2022 à début 2023 (et où n’était malheureusement visible qu’un fac-similé plutôt médiocre hâtivement scotché sur un support de fortune), il a ensuite été présenté dans une exposition de la Fondation Bodmer consacrée aux plus beaux manuscrits médiévaux de Suisse. Il a fait, pour ces occasions, l’objet d’un livre de Stève Bobillier (S. B.), docteur en philosophie médiévale de l’EHESS, professeur de philosophie au Collège Saint-Michel de Fribourg, chef de chœur et spécialiste de bioéthique. Son ouvrage, à la fois érudit et vulgarisateur, propose plusieurs pistes pour comprendre la genèse et les fonctions de ce texte qui se présente sous la forme d’un rotulus de huit mètres de long sur 47 centimètres de large, et qui raconte l’histoire de l’humanité, en deux colonnes parallèles mettant en dialogue l’histoire sacrée et l’histoire profane, de la Genèse à la Mort du Christ. S’il n’est pas le plus long rotulus conservé (certains vont jusqu’à 32 mètres), il se situe dans une moyenne déjà honorable au sein de ce format manuscrit, idéal pour l’exposition des généalogies, qui fut particulièrement prisé aux XIV e et XV e siècles. Le manuscrit de Sion a appartenu à la fin du XV e siècle au fameux patricien sédunois Georges