eJournals Vox Romanica 82/1

Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
10.24053/VOX-2023-017
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
2023
821 Kristol De Stefani

Stève Bobillier, Le manuscrit des Six âges du Monde. Généalogie d’une lutte contre le diable de la Création à l’Apocalypse, Prilly (Les Presses Inverses) 2022, 272 p

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2023
Alain Corbellarihttps://orcid.org/0000-0002-0476-6797
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351 DOI 10.24053/ VOX-2023-017 Vox Romanica 82 (2023): 351-353 Besprechungen - Comptes rendus Relevons aussi, au chapitre des détails, que lorsqu’il rappelle que le mot «histoire», dans la langue médiévale «désigne la narration. Pas n’importe quelle narration, surtout la véridique» (p. 30), F. M. manque une occasion de rappeler l’usage fait par certains romanciers, comme Béroul, du mot «estoire» pour désigner un récit de référence dans un cadre où la véridicité historique ne fait pas vraiment sens. Enfin, détail de langue un peu curieux dans un livre à l’écriture par ailleurs fluide et entraînante, l’appellation de «condottiere» appliqué à Alexandre (p. 183) est un peu malheureuse, un conquérant n’étant pas assimilable à un chef de guerre mercenaire. La bibliographie est extrêmement riche; on signalera toutefois à F. M. qu’il aurait pu, dans le chapitre VII, sur le théâtre, évoquer avec profit les considérations de Simon Gabay dans sa thèse sur L’Acteur au Moyen Âge. L’Histrion et ses avatars en Occident de saint Augustin à saint Thomas , soutenue en 2015 à l’Université d’Amsterdam. Mais en fin de compte ces quelques regrets sont peu de choses et, tel quel, le livre de F. M. est appelé à devenir la nouvelle référence sur un sujet d’histoire culturelle qui intéresse directement la problématique très actuelle des relations entre peuples et civilisations. À travers les cas évoqués dans Mémoire des Anciens , c’est un pan essentiel de la construction identitaire de l’Occident durant une période clé de son histoire qui nous est restitué, nous permettant de mieux comprendre par quels filtres la référence antique a innervé l’affirmation d’une société dont nous sommes les héritiers directs. Alain Corbellari (Université de Lausanne/ Université de Neuchâtel) https: / / orcid.org/ 0000-0002-0476-6797 ★ s Tève b obillier , Le manuscrit des Six âges du Monde. Généalogie d’une lutte contre le diable de la Création à l’Apocalypse , Prilly (Les Presses Inverses) 2022, 272 p. Le manuscrit des Six âges du Monde est l’un des trésors des Archives du canton du Valais. Objet d’une exposition de la Médiathèque du Valais qui s’est tenue de fin 2022 à début 2023 (et où n’était malheureusement visible qu’un fac-similé plutôt médiocre hâtivement scotché sur un support de fortune), il a ensuite été présenté dans une exposition de la Fondation Bodmer consacrée aux plus beaux manuscrits médiévaux de Suisse. Il a fait, pour ces occasions, l’objet d’un livre de Stève Bobillier (S. B.), docteur en philosophie médiévale de l’EHESS, professeur de philosophie au Collège Saint-Michel de Fribourg, chef de chœur et spécialiste de bioéthique. Son ouvrage, à la fois érudit et vulgarisateur, propose plusieurs pistes pour comprendre la genèse et les fonctions de ce texte qui se présente sous la forme d’un rotulus de huit mètres de long sur 47 centimètres de large, et qui raconte l’histoire de l’humanité, en deux colonnes parallèles mettant en dialogue l’histoire sacrée et l’histoire profane, de la Genèse à la Mort du Christ. S’il n’est pas le plus long rotulus conservé (certains vont jusqu’à 32 mètres), il se situe dans une moyenne déjà honorable au sein de ce format manuscrit, idéal pour l’exposition des généalogies, qui fut particulièrement prisé aux XIV e et XV e siècles. Le manuscrit de Sion a appartenu à la fin du XV e siècle au fameux patricien sédunois Georges 352 DOI 10.24053/ VOX-2023-017 Vox Romanica 82 (2023): 351-353 Besprechungen - Comptes rendus Supersaxo, d’où le «S» de sa cotation AEV (Archives de l’État du Valais) ms. S 109. Georges Supersaxo le tenait peut-être de son père l’évêque Walter, mais nous ne possédons aucun renseignement sur ses précédents propriétaires. Tout ce que l’on sait de son origine est qu’il a été copié dans le Nord de la France, probablement à Paris, à la fin du XIV e siècle (les quelques picardismes relevés par S. B. sont insuffisants pour prouver une origine plus septentrionale, les traits picards étant, comme on le sait, monnaie courante dans la scripta centrale à cette époque). Un manuscrit rémois (BM Reims ms. 61) présente avec lui de fortes analogies, au point que S. B. va jusqu’à dire que «les illustrations sont de la même main» (p. 101). En réalité, de petits détails (voir par exemple le dessin des cornes des démons, p. 100-01) semblent plutôt prouver le contraire, mais, même si les illustrateurs ne doivent pas être confondus, le second était selon toute vraisemblance un émule ou un camarade d’atelier du premier. On soulignera la grande qualité des enluminures, simplement dessinées au trait: l’une (reproduite p. 211) fait même voir des expressions faciales caractérisées (douleur et colère) que l’on aimerait dire en avance sur leur époque. Seules deux d’entre elles ont été, plus tardivement, rehaussées de couleurs vives. S. B. propose une lecture d’abord contextuelle puis linéaire du manuscrit, émaillée de remarques sur la vision médiévale de l’histoire et sur l’articulation des temporalités religieuse et profane. Étonnamment, l’histoire s’arrête à la passion du Christ, alors que les autres rotuli du même type se poursuivent généralement jusqu’à l’histoire contemporaine. Mais S. B. ne se prive pas d’évoquer dans son commentaire les croyances millénaristes et en particulier le joachimisme. Des extraits du texte en moyen français sont transcrits avec une traduction en regard. Le lecteur frustré du fait que l’intégralité du texte ne soit pas éditée pourra scanner un QR-code reproduit en page 90 et sur le deuxième rabat de couverture: il trouvera sur le site dédié au manuscrit non seulement une édition et une traduction intégrale, mais également des vidéos faisant intervenir des spécialistes commentant l’histoire et le contenu du rotulus de Sion. Signalons en passant, au vu d’une comparaison rapide entre le texte transcrit aux pages 181-84 et la photographie bien lisible du fragment manuscrit reproduite en page 182, qu’une bonne relecture de la transcription serait peut-être utile: en ligne 3 de la page 181, il faut lire querre et non querré ; en ligne 10 omme et non homme , et en ligne 10 de la page 183 en sauf et non en saus , ce qui implique qu’une traduction par «à part» (qui correspond d’ailleurs au texte biblique du Livre de Tobie ici fidèlement traduit), plutôt que par «en saumure», serait préférable. S. B. termine son ouvrage par quelques considérations sur la réception et la postérité du texte, liant en particulier l’intérêt que pouvait lui porter Supersaxo au contexte de chasse aux sorcières qui s’intensifie grandement en Valais à la fin du XV e siècle, et mettant son contenu en parallèle avec la décoration du somptueux plafond de la Maison Supersaxo de la capitale valaisanne. On peut être un peu gêné par l’aspect hybride de l’ouvrage, qui navigue constamment entre propos de vulgarisation et remarques plus spécialisées. S’il esquisse une présentation de la tradition textuelle, qui remonte à Pierre le Mangeur et, surtout, à son élève Pierre de Poitiers et à son Compendium historiae in genealogia Christi , S. B. ne donne en fait que peu de détails 353 DOI 10.24053/ VOX-2023-018 Vox Romanica 82 (2023): 353-355 Besprechungen - Comptes rendus sur la transmission du texte et les particularités de cette version française relativement peu répandue. Il faut accorder ici une mention toute spéciale aux Presses Inverses, éditrices de cet ouvrage qui, en dépit de son prix modique et de ses dimensions modestes (16 x 22,7 cm), est un véritable livre d’art: l’élégance de la typographie rend la lecture constamment agréable et met en valeur les nombreuses illustrations, magnifiquement reproduites, tirées pour l’essentiel du manuscrit de Sion, mais comprenant également quelques échantillons du manuscrit de Reims, qui permettent la comparaison avec le manuscrit valaisan, ainsi que des images liées à la famille Supersaxo et à leur demeure sédunoise dont est en particulier reproduit le fameux plafond sculpté. Le résumé de chacun des six âges est ponctué par des clichés successifs déroulant le rotulus sur fond noir. Enfin, véritable tour de force, l’intégralité du document est reproduite sur la tranche du volume qui permet ainsi d’en donner une vision complète quoique, naturellement, illisible à cette échelle. Un bel hommage à un joyau du patrimoine manuscrit de Suisse. Alain Corbellari (Université de Lausanne/ Université de Neuchâtel) https: / / orcid.org/ 0000-0002-0476-6797 ★ n ina m ueGGler , «Bon pays de France». Enjeu national et joutes poétiques sous le règne de François I er , Genève (Droz) 2023, 616 p. ( Cahiers d’Humanisme et Renaissance 190). Cette étude fondatrice, d’une maturité et d’une érudition exceptionnelles, surprend du début à la fin par sa finesse et sa cohérence. On peine à croire qu’il s’agit là d’un premier essai, tant l’analyse approfondie et contextualisée de chacune des œuvres de cet immense corpus réussit à tisser des liens intertextuels sans perdre aucunement le sens de l’ensemble ou le recul critique. La gageure était assurément de veiller à ce que «l’enjeu national» ne devienne pas une grille de lecture généralisante et simplificatrice où la spécificité de chaque composition serait diluée. Défi relevé haut la main, puisque le regard de Nina Mueggler ne force jamais le trait ni ne tombe dans la facilité. Tout en nuance et en subtilité, son parcours à travers ces joutes poétiques offre un éclairage pionnier à la fois sur les textes considérés et sur le règne de François I er , et ceci avec une concision admirable: rien à retrancher, pas d’ennui! Aussi bien dans l’introduction et la conclusion générales que dans les sections introductives et conclusives des quatre parties (et des chapitres qui les composent), le propos est à chaque fois relancé et remodelé avec brio, sans aucune redite, avec une parfaite unité de style et de ton. En bref, un pur plaisir pour la communauté scientifique, et l’on se réjouit qu’un tel tour de force ait été récompensé du prix de la relève du Collegium Romanicum helvétique. Nos plus vives félicitations à l’autrice! L’introduction, fort élégante, définit l’enjeu national au moyen de cinq clés d’entrée: le roi (c’est-à-dire la personne royale dans son interaction avec l’Église, le Parlement de Paris, la chancellerie, les pouvoirs locaux, sa sœur Marguerite de Navarre), la religion, la géographie, la hiérarchie sociale et la langue.