Vox Romanica
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0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
10.24053/VOX-2024-007
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Kristol De StefaniClara Wille
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Richard Trachsler
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Clara Wille 213 DOI 10.24053/ VOX-2024-007 Vox Romanica 83 (2024): 213-216 Clara Wille 28 novembre 1944 - 24 octobre 2024 Richard Trachsler (Universität Zürich) Peu avant son quatre-vingtième anniversaire, s’est éteinte, à Zurich, notre collègue et amie Clara Wille. Sous des statuts variés, elle a fait partie du Romanisches Seminar de l’Université de Zurich pendant plus de trente ans et a participé à nos rencontres scientifiques presque jusqu’à la fin. Au gré de ses intérêts et en fonction de son agenda toujours notoirement surchargé, des générations d’étudiants ont pu apercevoir, lors du passage d’un conférencier invité, cette dame à la silhouette mince et au port élégant qui parlait peu, mais avec tout le monde, et trouvait toujours un mot encourageant pour ces jeunes qui désespéraient de jamais arriver au bout de leur thèse, même si, au fond, elle ne voyait pas où était le problème puisqu’il suffisait de travailler plus et mieux. Seuls les participants aux rencontres doctorales en littérature française du Moyen Âge la connaissaient de manière plus intime. Avec certains, elle a noué, au-delà de toute différence d’âge, des liens d’amitié forts. Clara Wille est née le 28 novembre 1944 dans une très grande famille de Suisse, l’aînée d’une fratrie de quatre, dont elle était la seule fille. Alors que ses frères ont tous pu faire de brillantes études universitaires, Clara, malgré les avis extrêmement positifs de tous ses professeurs, n’a pas pu aller jusqu’à la maturité. À vingt ans, elle quitte le domicile familial et commence à tracer sa voie toute seule: elle se marie et mène une vie indépendante où l’on la voit participer à des regattas , mais aussi exercer des métiers plus traditionnels, en particulier ceux de secrétaire dans un cabinet d’avocat et d’enseignante de langue. À cette période mouvementée remontent une admiration indéfectible pour Mick Jagger, mais aussi un sens très affirmé de l’effort et de la responsabilité à laquelle nous engagent nos choix. Après son divorce une dizaine d’années plus tard, elle décide de passer la maturité et de s’inscrire à l’université. Elle arrive à l’université de Zurich au début des années 1980, pour y faire des études de français, de latin classique et de latin médiéval. Elle termine son parcours en 1991 avec un mémoire sur Proust. Mais dès 1988 elle est recrutée à l’École Cantonale de Küsnacht, où elle enseignera le latin et le français jusqu’à sa retraite en 2007. Parallèlement, elle a mené dix autres vies qu’elle ne mélangeait pas, sauf exception. Son existence académique débute véritablement en 2004 quand elle accepte de participer à mon projet de recherche financé par le FNS portant sur la Prophetia Merlini de l’écrivain latin Geoffroy de Monmouth et ses traductions vernaculaires. Dans le cadre de cette recherche, elle s’occupe du volet compliqué, à l’époque tota- 214 Richard Trachsler DOI 10.24053/ VOX-2024-007 Vox Romanica 83 (2024): 213-216 lement tombé en friche, des commentaires latins aux vaticinations merliniennes. Sur ce domaine portera aussi sa thèse. Il s’agit de l’édition, accompagnée de la traduction allemande, du commentaire attribué autrefois à Alain de Lille, mais dont elle a pu prouver qu’il s’agit en réalité d’Alain «de Flandres», un évêque connu par ailleurs et acteur majeur dans les milieux politiques de son époque. Au milieu de la masse des commentaires latins de la Prophetia Merlini , l’ Explanatio d’Alain est la seule tentative exégétique portant sur la totalité de la Prophetia Merlini , ce qui explique la longueur du texte. Le projet FNS s’arrêta en 2008; la thèse, co-dirigée par moi-même et le regretté Peter Stotz, médio-latiniste rigoureux et précis, qui s’est chargé de la quasi-totalité du travail de direction, fut soutenue en 2014. Non pas parce qu’elle n’aurait pu l’être en 2009, mais parce que la candidate, et non les directeurs, n’était pas satisfaite du résultat jusqu’à en avoir éclairé, avec la ténacité et le sens de la perfection qui lui étaient propres, les moindres détails. Sans surprise, le travail a pu être publié presque immédiatement, en 2015, en deux volumes totalisant près de 900 pages sous le titre Prophetie und Politik. Die Explanatio in Prophetia Merlini Ambrosii des Alanus Flandrensis . Durant la longue phase d’élaboration de sa thèse et un peu au-delà, elle a aussi assuré des charges de cours, en Littérature française du Moyen Age et en Philologie médiolatine, et a publié des travaux liés à la problématique de la prophétie médiévale ou portant sur le bestiaire prophétique et la littérature animalière en général. On rappellera ici seulement qu’elle reçut, en 2017, l’ Essay Prize de la Société Internationale Arthurienne pour son étude «Matthæus und die Königinnen. Der Kommentar des Matthæus Parisiensis zu den Prophetia Merlini des Galfred von Monmouth». Ce qui caractérise toutes ses études c’est qu’elles concernent en grande partie des textes latins, qu’elle présente, édite et commente. Mais le point le plus important pour nous spécialistes de littérature française est que tous ces textes ont exercé une influence capitale sur le monde vernaculaire puisqu’il s’agit de textes qui faisaient partie de l’enseignement que suivaient les mêmes clercs qui se mettaient ensuite à écrire leurs œuvres en français. Son dernier grand chantier a été l’étude des commentaires latins aux œuvres d’Ovide. Les commentaires à l’ Ars amatoria , sur lesquels nous avons travaillé ensemble, et, surtout, les commentaires aux Métamorphoses , où elle retrouvait aussi son amie médio-latiniste Carmen Cardelle de Hartmann. La participation de Clara Wille au grand projet collectif de l’édition-traduction du Commentaire vulgate aux Métamorphoses ovidiennes s’inscrit dans le droit fil de son effort de mieux faire connaître la matière qui s’enseignait dans les universités que fréquentaient nos auteurs vernaculaires. Dans le cadre de ce projet, Clara Wille a traduit, dans le premier volume, les Livres II et III, dans le second, qui paraîtra à titre posthume, elle signe les Livres VI, VII et X. Elle avait promis au jeune co-directeur du projet, dont elle appréciait les qualités humaines autant que les compétences de latin, sa participation au dernier volume. Qui a connu Clara sait combien elle aura été désolée de ne pas avoir pu honorer son engagement. Clara Wille 215 DOI 10.24053/ VOX-2024-007 Vox Romanica 83 (2024): 213-216 Clara Wille avait une maîtrise sûre de la langue latine et a généreusement partagé ses connaissances en la matière avec tous les collègues zurichois, comme en témoignent toutes les notes de remerciement qui ponctuent nos productions à nous tous. Elle était membre de la Société Internationale Renardienne, de la Branche Suisse de la Société Arthurienne et de la Société Internationale de Littérature Courtoise 1 . Elle venait volontiers aux Congrès des différentes institutions, souvent avec d’autres membres du groupe des jeunes chercheurs zurichois. Ces voyages avaient parfois l’allure d’une sortie d’école, mais Clara y participait avec un plaisir authentique. Elle est venue avec nous manger dans le Chinatown de Chicago, elle a exploré avec nous les folkloriques Medieval Conferences de Kalamazoo et elle a essayé, littéralement, tous les lits du maintenant défunt Grand Hôtel de Bangor sans en trouver un seul qui lui convienne. Pour des générations de jeunes chercheurs elle a été un modèle: exigeante et disciplinée, mais d’abord à l’égard d’elle-même, toujours ponctuelle et courtoise, volontiers d’avis que nous pouvions tous faire un effort symétrique, mais très consciente aussi du fait que nous allions nous embourber à mi-chemin, elle était parfaitement à l’aise dans toutes les situations. Quand il s’est agi, au Congrès Arthurien de Bristol en 2011, de participer, au dernier moment, au banquet de clôture, on l’a vue sortir, de sa valise pourtant minuscule, une petite robe noire et des chaussures pour le soir. Avec Clara Wille est partie une chercheuse tout à fait unique et, probablement, l’une des dernières à avoir exercé, avec conviction et détermination, le métier d’enseignante de français dans un lycée tout en publiant des études répondant aux critères les plus élevés de la recherche scientifique. Par cette constante exigence qu’on la voyait s’imposer à elle-même dans tous les domaines, mais qu’élégamment elle se gardait de demander aux autres, elle a délibérément opté pour une certaine solitude. Nous avons néanmoins aspiré à nous montrer à sa hauteur et à l’y rejoindre. De manière discrète et invisible, Clara Wille a ainsi laissé son empreinte sur les études médiévales au Romanisches Seminar de Zurich de ce dernier quart de siècle. Bibliographie de Clara Wille Livres 2015: Prophetie und Politik. Die Explanatio in Prophetia Merlini Ambrosii des Alanus Flandrensis , 2 vol., Berne, Peter Lang. 2021: Commentaire Vulgate des Métamorphoses d’Ovide. Livres I-V , ed. f. t. c oulSon / P. a. m artina , trad. P. a. m artina / c. W ille , Paris, Garnier. 1 On trouvera des notices nécrologiques dans Reinardus 36 (2024), 46 Encomia (2024) et le Journal of the International Arthurian Society 13 (2025). 216 Richard Trachsler DOI 10.24053/ VOX-2024-007 Vox Romanica 83 (2024): 213-216 Études 2002a: «La Symbolique animale de la Prophetia Merlini de Geoffroy de Monmouth selon un commentaire du XII e siècle attribué à Alain de Lille», Reinardus 15: 175-90. 2002b: «Quelques observations sur le porc-épic et le hérisson dans la littérature et l’iconographie médiévale», Reinardus 17: 181-201. 2007a: «Le dossier des commentaires latins des Prophetie Merlini », in: r. t rachSler et al . (ed.), Moult Obscures Paroles, Études sur la prophétie médiévale , Paris, PUPS: 167-84. 2007b: « Murena id est Lampreda : Quelques observations lexicologiques et culinaires», Reinardus 20: 170-87. 2008: «Les prophéties de Merlin interprétées par un commentateur du XII e siècle», Cahiers de Civilisation médiévale 51: 223-34. V eYSSeYre , g./ W ille , c. 2008: «Les Commentaires latins et français aux Prophetie Merlini de Geoffroy de Monmouth», Médiévales 55 (Automne): 93-114. 2009: «Der Reiher, das Neunauge und der Igel. Tiernamen im romanischen Mittelalter», in: S. o Bermaier (ed.), Tiere und Fabelwesen im Mittelalter , Berlin/ New York, De Gruyter: 79-101. 2010: «Le Tigre dans la tradition latine du Moyen Âge: Textes et iconographie», Reinardus 22: 176-97. 2017a: «Le Vultur dans le De animalibus d’Albert le Grand», Reinardus 29: 262-82. 2017b: «Matthæus und die Königinnen. Der Kommentar des Matthæus Parisiensis zu der Prophetia Merlini des Galfred von Monmouth», Journal of the International Arthurian Society 5/ 1: 141-66. 2018: «Les manuscrits des Prophetie Merlini avec commentaire. Les différentes familles de commentaires», in: h. t étrel / g. V eYSSeYre (ed.), L’ Historia regum Britannie et les «Bruts» en Europe. Tome II. Production, circulation et réception (XII e -XVI e siècle) , Paris, Classiques Garnier: 59-79. 2018: t rachSler , r./ W ille , c., «Les traductions vernaculaires d’Ovide au Moyen Âge et les commentaires latins. Le cas de l’ Ars amatoria », Medioevi 4: 173-91. Entrée d’encyclopédie 2011: «Tiger» [entrée dans: ] Tiere in der Literatur des Mittelalters. Ein interdisziplinäres Lexikonprojekt . Comptes rendus B ourgain , P. (ed.) 2000: Poésie lyrique latine du Moyen Âge , Paris, Librairie Générale Française-Le Livre de Poche; Revue critique de philologie romane numéro double 4-5 (2003-2004): 17-19. V an D en a Beele , B. (ed.) 2005: Bestiaires médiévaux. Nouvelles perspectives sur les manuscrits et les traditions textuelles , Louvain-la-Neuve, Institut d’études médiévales; Revue critique de philologie romane 11 (2010): 121-29.
