eJournals Vox Romanica 83/1

Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
10.24053/VOX-2024-014
0217
2025
831 Kristol De Stefani

Poèmes abécédaires français du Moyen Âge (XIIIe-XIVe siècles), sous la dir. de Marion Uhlig, éd et trad. d’Olivier Collet, Yan Greub, Pierre-Marie Joris, Fanny Maillet, David Moos, Thibaut Radomme et Marion Uhlig, Paris (Champion) 2023, 360 p. (Champion Classiques Moyen Âge 60).

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Alain Corbellarihttps://orcid.org/0000-0002-0476-6797
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238 DOI 10.24053/ VOX-2024-014 Vox Romanica 83 (2024): 238-241 Besprechungen - Comptes rendus lé, mais pas de roi pêcheur, et il y a bien des scènes de repas, mais pas de procession mystérieuse. Ph. W. insiste toutefois, et non sans raison, sur le repas eucharistique offert aux pauvres par l’hôte du chevalier (fragment VII), argumentant que l’hostie apportée dans le graal au roi mehaigné dans le roman de Chrétien de Troyes possède également une valeur eucharistique, même si elle est individuelle. On notera aussi, parmi les indices de convergence avec le Conte du graal , le motif de la révélation tardive du nom de Ruodlieb: ce dévoilement n’est cependant pas thématisé comme tel et n’est pas motivé par un péché caractérisé. Enfin, la structure narrative assez lâche de Ruodlieb ne présente guère de point de contact bien saillant avec celle du Conte du graal . On pourra toujours dire que Chrétien a considérablement modifié sa source, mais à ce stade l’hypothèse devient décidément bien peu économique. Retenons, pour terminer, la remarque de Ph. W. pour qui le terme «livre» ne peut au XII e siècle s’appliquer «qu’à un ouvrage en latin» (316), ce qui semblerait exclure que le livre donné par Philippe de Flandres fût d’origine bretonne (on a connu Ph. W. plus accueillant aux sources celtiques! ). Pourtant, si le déplacement de perspective qui ne met plus le graal au centre de l’intrigue du récit est incontestablement stimulant, il ne semble pas interdit de proposer d’autres pistes que celle des «conseils». À cet égard, celle de la vengeance des meurtriers de sa famille (totalement introuvable dans Ruodlieb ) ne rend-elle pas mieux compte de la trajectoire de Perceval? Mais la discussion reste ouverte, et il faut être reconnaissant à Ph. W. de l’avoir brillamment rouverte. Alain Corbellari (Université de Lausanne/ Université de Neuchâtel) https: / / orcid.org/ 0000-0002-0476-6797 ★ Poèmes abécédaires français du Moyen Âge (XIII e -XIV e siècles) , sous la dir. de m aRion u hLig , éd et trad. d’o LivieR C oLLet , Y an g Reub , P ieRRe -m aRie J oRiS , F annY m aiLLet , d avid m ooS , t hibaut R adomme et m aRion u hLig , Paris (Champion) 2023, 360 p. ( Champion Classiques Moyen Âge 60). m aRion u hLig / t hibaut R adomme / b Rigitte R oux , Le Don des lettres. Alphabet et poésie au Moyen Âge , Paris (Les Belles Lettres) 2023, 656 p. Ces deux ouvrages complémentaires sont issus d’un projet de recherche, «Jeux de lettres et d’esprit dans la poésie manuscrite en français (XII e -XVI e siècles)», dirigé par Marion Uhlig (M. U.), professeure à l’Université de Fribourg, projet pour le moins couronné de succès, puisqu’il a abouti en un temps record à l’édition de deux beaux livres qui éclairent d’un jour tout à fait neuf des textes à la fois bien connus dans leur principe, mais en fin de compte fort peu glosés dans tous leurs tenants et aboutissants. Chacun sait en effet que les médiévaux ont accordé une attention toute particulière à la signification individuelle des lettres de l’alphabet, glosant presque à l’infini sur elles et les réunissant volontiers dans des poèmes fort logiquement ici appelés «abécédaires». M. U. et son équipe ont donc suivi à la trace les aventures mouvementées de ces signes parlants, pro- 239 DOI 10.24053/ VOX-2024-014 Vox Romanica 83 (2024): 238-241 Besprechungen - Comptes rendus duisant une brève édition parue chez Champion et un fort ouvrage de synthèse dont l’éditeur ne pouvait évidemment être que… Les Belles Lettres! Parlons tout d’abord de l’anthologie: réunissant le célèbre Abécés par ekivoche d’Huon le Roi de Cambrai, l’ ABC Plantefolie , l’ ABC Nostre Dame de Ferrant, l’ ABC a femmes , l’ ABC contre ceuls de Metz d’Asselin du Pont-à-Mousson, et la Rescription qui lui correspond de Lambelin de Cornouailles, et enfin le «Salut abécédaire à la Vierge Marie» de Guillaume de Digulleville, elle réunit l’essentiel des textes abécédaires que l’on peut rattacher à l’ancien français stricto sensu . Une introduction à trois (ou plutôt à six) mains ouvre l’édition: M. U. propose avec sensibilité un historique et une définition des poèmes abécédaires du corpus (7-26), Olivier Collet (O. C.) en dessine brièvement une «cartographie» un peu en porte-à-faux (26-31), et Thibaut Radomme (T. R.) en décrit avec maîtrise le contexte manuscrit (31-47). Cinq introductions particulières (l’ ABC Plantefolie et l’ ABC Nostre Dame de Ferrant, ainsi que les deux textes liés à la «guerre de Metz» qui fit rage de 1324 à 1326 étant respectivement regroupés) donnent plus de détails sur la nature des textes et le choix des manuscrits, offrant, soit dit en passant quelques redondances avec la bibliographie qu’il aurait été possible de simplifier. La ténuité du corpus a par ailleurs favorisé l’expansion des notes, et rien ne laisse à désirer du point de vue de la compréhension philologique de ces poèmes où ne manquent pas les obscurités de syntaxe ou de vocabulaire. Il faut dire qu’avec des cadors de l’édition de texte tels O. C. et Yan Greub comme collaborateurs et relecteurs il y avait peu de chance que les éditions soient bâclées! Chaque détail de traduction est soigneusement discuté et aucun des termes dont on souhaiterait une explication n’a été oublié. Enfin, n’oublions pas le considérable travail d’harmonisation des textes effectués par Fanny Maillet. Ce magnifique travail d’équipe aboutit ainsi à un volume d’une grande densité dont les 357 pages rendent bien compte de la diversité de la fécondité du principe alphabétique dans des poèmes dont les visées sont extrêmement contrastées: si l’ Abécés par ekivoche d’Huon le Roi est le «seul témoin de notre corpus à adopter vis-à-vis [des lettres] une démarche herméneutique» (22), les deux poèmes de la Guerre de Metz montrent tout le profit que la satire peut tirer du procédé alphabétique. Le volume de synthèse, fort de ses 650 pages, a, quant à lui, été rédigé conjointement par M. U. et T. R., avec l’aide l’historienne de l’art Brigitte Roux (B. R.), à qui il doit ses somptueuses illustrations: B. R. a en effet amoureusement exploré les manuscrits médiévaux les plus divers pour en tirer les plus belles et, parfois, les plus inattendues lettres ornées dont un bouquet orne chacun des chapitres dédiés aux lettres glosées. Des lettres ou plutôt des signes puisqu’aux chapitres consacrés aux 24 lettres (I/ J et U/ V étant évidemment respectivement réunies dans le même chapitre, et le W n’y arrive en quelque sorte qu’en contrebande car il est inconnu des alphabets français médiévaux) s’en ajoutent quatre autres qui commentent le 7 tironien, le 9 tironien, le titulus (c’est-à-dire le tilde, lié à l’inscription qui surmonte Jésus sur la Croix) et la clausule «Alpha et Oméga», signes que reprennent plusieurs poèmes abécédaires à la fin de leur énumération. Ce parcours peut bien sûr être lu à la suite, mais on peut également opter pour une lecture vagabonde sautant de lettre en lettre: la richesse de l’information et les bonheurs d’écriture sont chaque fois au rendez-vous. Par ailleurs, bien que M. U. et T. R. se soient 240 DOI 10.24053/ VOX-2024-014 Vox Romanica 83 (2024): 238-241 Besprechungen - Comptes rendus alternativement répartis les lettres (leurs parts respectives sont détaillées en p. 9), l’on ne peut qu’admirer l’unité de ton qui résulte de l’ensemble: on aurait peine à déconnaître les auteurs si ce n’était ici ou là par quelque tic de langage (on ne trouve par exemple l’expression «le beau sexe» que sous la plume de T. R! ) ou par quelque expression espiègle (plus fréquentes, semblet-il, chez M. U., mais c’est sans doute là une impression subjective). Chaque chapitre propose un parcours qui accroche à la lettre qui en fait l’objet des considérations d’une grande diversité: tantôt on nous raconte les aventures de la lettre (ainsi l’histoire de la distinction du i et du j, ou du u et du v, est-elle précisément expliquée), tantôt on prend prétexte d’une connotation particulièrement insistante donnée par un ou plusieurs des textes abécédaires pour dériver vers des considérations qui mêlent à des degrés variables, le littéraire, l’historique, le théologique, voire le grammatical: ainsi, la lettre C permet-elle d’expliquer au lecteur non familier de l’ancien français la distinction des démonstratifs cist et cil (103), exemple tout à fait révélateur, soit dit en passant, de l’ambition de M. U. et de T. R qui entendent s’adresser aux médiévistes comme aux profanes, avec peut-être un brin d’optimisme, car les non-spécialistes risquent malgré tout d’avoir un peu de peine à suivre certains des développements de cet ouvrage dont la densité et l’allure parfois sinueuse demandent souvent une lecture soutenue et concentrée. C’est en effet, mine de rien, toute une encyclopédie de la culture médiévale, ou peut-être devrions-nous plutôt dire un dictionnaire amoureux du Moyen Âge qui se déroule devant nous au détour des lettres et au hasard de leurs associations: P va ainsi vers Prudence et Patience, N vers Nature et Nourriture, F vers Fille, Fruit, Fleur et Feuille… Le corpus est élargi à d’autres textes que ceux de l’édition: on notera en particulier une revalorisation du Congé pris au siecle seculier de Jacques de Bugnin qui marque un progrès sur de précédentes exégèses (173). Rutebeuf, Jean de Condé et d’autres auteurs de dits des XIII e et XIV e siècles, mais aussi Joinville ou Mandeville sont volontiers sollicités. Une thématique, cependant, est omniprésente et donne, malgré tout, une forte unité au volume: celle du culte marial, d’ailleurs explicitement revendiquée par plusieurs des poèmes de l’anthologie. Presque toutes les lettres nous renvoient ainsi, d’une manière ou d’une autre à la Vierge, à ses qualités, à son action, à son rapport à son fils, mais aussi, a contrario , à son rapport au Mal: la lettre M n’est-elle pas à la fois l’initiale de Marie et de mal? Ce qui n’empêche pas que, «solaire et spéculaire, puisque parfaitement symétrique, le M rayonne au centre numérique de l’alphabet médiéval» (277). À sa suite immédiate, N, «lettre défigurée, sert de repoussoir à la perfection de M» (305); puis, heureusement, si l’on ose dire (on se prend au jeu d’une sorte de narration implicite qui donnerait sens à la suite des chapitres), «symbole de l’homme et du monde qui l’habite, le O compte parmi les lettres les plus expressives de l’alphabet» (323). Les lettres deviennent ainsi de véritables personnages auxquels on s’attache et dont les gloses s’enrichissent les unes les autres, de la même manière que les héros d’un roman voient leur personnalité se complexifier à mesure que se densifient leurs interactions avec les autres protagonistes. Il reste cependant à espérer que le retour presque constant à des signifiances religieuses n’indispose pas le lecteur agnostique qui pourra difficilement s’empêcher de penser que le Moyen Âge est décidément obsédé par une pensée chrétienne totalisante, pour ne pas dire totalitaire. M. U. et T. R. ont courageusement assumé ce risque, et l’ouvrage ne se réduit 241 DOI 10.24053/ VOX-2024-015 Vox Romanica 83 (2024): 241-243 Besprechungen - Comptes rendus heureusement pas à cette dimension: il nous restitue un Moyen Âge certes persuadé que tout est dans tout et que le monde est un grand livre qui ne demande qu’à être déchiffré, mais, ce faisant, il ouvre à l’analogie des perspectives qui constituent du même coup l’antidote à la vision unilatérale que certains auteurs de poèmes abécédaires semblent un peu trop exclusivement cultiver. C’est incontestablement un gai savoir qui se dégage, comme d’une corne d’abondance, de ce Don des lettres . Des regrets? Peut-être celui que la bibliographie ne sépare pas, passée la liste des sept poèmes du corpus édité, les autres textes abécédaires (en particulier les quatre textes en moyen français qui permettent à O. C. de dire un peu abruptement, en p. 26 de l’édition, que le «corpus regroupe onze textes») des œuvres littéraires simplement appelées à titre de renfort interprétatif. Ainsi, les textes abécédaires latins sont certes rapidement énumérés dans l’introduction de l’édition (10-11), mais les lister plus précisément en bibliographie n’aurait peut-être pas été inutile. On signalera à cet égard, pour apporter une pierre minuscule à cette somme si riche, que Michel Burger cite dans ses Recherches sur la structure et l’origine des vers romans (1957, p. 123 et 127-28) les fragments de deux hymnes abécédaires recueillies dans un manuscrit latin du IX e siècle. Enfin, autre minuscule cerise à ajouter sur le gâteau, et comme M. U. ne rechigne pas à aller au-delà du Moyen Âge pour citer quelques rêveries plus modernes sur les lettres de l’alphabet, rappelons les réflexions sur la lettre Z proposées par Balzac dans son étonnante nouvelle Z. Marcas . Alain Corbellari (Université de Lausanne/ Université de Neuchâtel) https: / / orcid.org/ 0000-0002-0476-6797 ★ h eLdRiS de C oRnouaiLLeS , Le Roman de Silence , éd. par Danièle James-Raoul, Paris, (Champion) 2023. À partir des années 1980, Le Roman de Silence est un texte incontournable dans le champ des études littéraires médiévales de l’autre côté de l’Atlantique. Il a été édité en anglais et en italien, puis traduit en anglais, en espagnol et en français entre les années 1990 et 2000. Toutefois, une édition française du texte manquait, c’est pourquoi ce récent ouvrage de D. J.-R. a été attendu avec impatience par les expert · e · s, puisqu’il vient pallier ce manque. Cette édition du Roman de Silence se présente comme un travail très complet de longue haleine. L’établissement du texte à partir du seul manuscrit conservé - le Nottingham University Library, WLC/ LM/ 6, aussi appelé manuscrit de Middleton ou de Wollaton - est accompagné d’un appareil critique qui comprend le contexte de l’œuvre, l’analyse du texte, l’étude littéraire, la présentation du manuscrit, l’étude de la langue, les principes d’éditons, les notes, un glossaire et un index des noms propres. Toutes ces rubriques sont des outils primordiaux pour la bonne compréhension de l’œuvre et des ressources indispensables pour la communauté académique. Le contexte de l’œuvre revient sur l’énigme du prétendu auteur du texte, Heldris de Cornouailles, en confirmant le manque d’information historique sur cet individu, mais le texte