Vox Romanica
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0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
10.24053/VOX-2024-015
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Kristol De StefaniHeldris de Cornouailles, Le Roman de Silence, éd. par Danièle James-Raoul, Paris, (Champion) 2023.
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Leticia Dinghttps://orcid.org/0009-0007-3656-8561
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241 DOI 10.24053/ VOX-2024-015 Vox Romanica 83 (2024): 241-243 Besprechungen - Comptes rendus heureusement pas à cette dimension: il nous restitue un Moyen Âge certes persuadé que tout est dans tout et que le monde est un grand livre qui ne demande qu’à être déchiffré, mais, ce faisant, il ouvre à l’analogie des perspectives qui constituent du même coup l’antidote à la vision unilatérale que certains auteurs de poèmes abécédaires semblent un peu trop exclusivement cultiver. C’est incontestablement un gai savoir qui se dégage, comme d’une corne d’abondance, de ce Don des lettres . Des regrets? Peut-être celui que la bibliographie ne sépare pas, passée la liste des sept poèmes du corpus édité, les autres textes abécédaires (en particulier les quatre textes en moyen français qui permettent à O. C. de dire un peu abruptement, en p. 26 de l’édition, que le «corpus regroupe onze textes») des œuvres littéraires simplement appelées à titre de renfort interprétatif. Ainsi, les textes abécédaires latins sont certes rapidement énumérés dans l’introduction de l’édition (10-11), mais les lister plus précisément en bibliographie n’aurait peut-être pas été inutile. On signalera à cet égard, pour apporter une pierre minuscule à cette somme si riche, que Michel Burger cite dans ses Recherches sur la structure et l’origine des vers romans (1957, p. 123 et 127-28) les fragments de deux hymnes abécédaires recueillies dans un manuscrit latin du IX e siècle. Enfin, autre minuscule cerise à ajouter sur le gâteau, et comme M. U. ne rechigne pas à aller au-delà du Moyen Âge pour citer quelques rêveries plus modernes sur les lettres de l’alphabet, rappelons les réflexions sur la lettre Z proposées par Balzac dans son étonnante nouvelle Z. Marcas . Alain Corbellari (Université de Lausanne/ Université de Neuchâtel) https: / / orcid.org/ 0000-0002-0476-6797 ★ h eLdRiS de C oRnouaiLLeS , Le Roman de Silence , éd. par Danièle James-Raoul, Paris, (Champion) 2023. À partir des années 1980, Le Roman de Silence est un texte incontournable dans le champ des études littéraires médiévales de l’autre côté de l’Atlantique. Il a été édité en anglais et en italien, puis traduit en anglais, en espagnol et en français entre les années 1990 et 2000. Toutefois, une édition française du texte manquait, c’est pourquoi ce récent ouvrage de D. J.-R. a été attendu avec impatience par les expert · e · s, puisqu’il vient pallier ce manque. Cette édition du Roman de Silence se présente comme un travail très complet de longue haleine. L’établissement du texte à partir du seul manuscrit conservé - le Nottingham University Library, WLC/ LM/ 6, aussi appelé manuscrit de Middleton ou de Wollaton - est accompagné d’un appareil critique qui comprend le contexte de l’œuvre, l’analyse du texte, l’étude littéraire, la présentation du manuscrit, l’étude de la langue, les principes d’éditons, les notes, un glossaire et un index des noms propres. Toutes ces rubriques sont des outils primordiaux pour la bonne compréhension de l’œuvre et des ressources indispensables pour la communauté académique. Le contexte de l’œuvre revient sur l’énigme du prétendu auteur du texte, Heldris de Cornouailles, en confirmant le manque d’information historique sur cet individu, mais le texte 242 DOI 10.24053/ VOX-2024-015 Vox Romanica 83 (2024): 241-243 Besprechungen - Comptes rendus permet de déduire quelques hypothèses sur sa personne. Ainsi, D. J.-R. démontre qu’à partir de la scripta , il est probable que l’auteur soit originaire du Nord-Nord-Est, qu’il ait été un clerc ayant accompli un cursus complet d’études. Le texte témoigne d’un statut de l’auteur de lettré confirmé par la maîtrise des latinismes ainsi que des diverses connaissances en termes bibliques, au sujet du fonctionnement féodal et juridique de l’époque, ainsi que dans le domaine médical. D’ailleurs les connaissances concernant ce dernier sont essentiellement mobilisées pour décrire les douleurs de l’accouchement de la mère de l’héroïne. Par conséquent, l’éditrice rappelle les hypothèses énoncées par la critique qui propose de voir une femme derrière le pseudonyme d’Heldris. Les pistes intertextuelles confirment la pluralité des sources qui a influencé ce texte. L’éditrice revient sur la filiation avec la Matière de Bretagne. En effet, par la présence de Merlin à la fin de l’histoire, Le Roman de Silence se place en périphérie de la légende arthurienne. L’éditrice reprend et développe une hypothèse intéressante et pertinente de Felix Lecoy, selon laquelle Le Roman de Silence n’est pas une réécriture de l’histoire de «Grisandole» présente dans Les Premiers faits du roi Arthur , comme la critique s’accorde à le dire, mais que les deux textes découlent d’une source commune perdue 1 . Cette hypothèse contribue à confirmer la datation du texte proposée par D. J.-R. aux alentours de 1215 coïncidant avec le concile de Latran IV et dont certaines influences se perçoivent dans le texte. Une intertextualité plus diffuse est inventoriée - le mythe de Tristan et Iseut, la Bible, Ovide, l’ Eneas - qui témoigne surtout d’un fond culturel commun. Le motif du travestissement est exemplifié en mobilisant diverses références littéraires allant des plus exploitées par la critique comme les récits hagiographiques des saintes trans (notons une coquille à la page 38 «véritaxe sexe») ou le Roman des sept Sages , à celles passées plus inaperçues telles que le Roman de Dolopathos , ou encore plus étrangement une des métamorphoses d’Ovide dont le récit est particulièrement similaire au récit de Silence , Iphis . L’étude littéraire propose une analyse fine sur les éléments de style et de versification, ainsi que sur les grandes thématiques qui parcourent l’œuvre. L’importance de la Cornouailles est démontrée à travers le nom de l’auteur, mais aussi le patronyme des personnages, notamment celui de Cador, qui se retrouve déjà chez Geoffroy de Monmouth. Mise à part le rapport géographique, les sujets centraux du texte sont essentiellement le lien entre parole et silence, ainsi que la question de l’identité de l’héroïne. Entre silence et parole, l’éditrice analyse la manière dont le Roman de Silence met en scène la parole de façon multiple. Elle reprend et poursuit sa thèse, afin de démontrer que le texte donne lieu à un parcours de communication qui engendre une succession de transgressions, allant de la privation de l’héritage, au mariage incestueux entre Silence et Ebain, en passant par le travestissement 2 . De plus, l’étude des noms des personnages féminins - Silence, Eufème et Eufémie - permet également d’établir un lien entre la parole, le secret et les femmes. Ces trois personnages incarnent trois féminités romanesques, ainsi que trois conceptions théologiques du silence selon la typographie de Raoul Ardent (1193-1200). Ce dernier distingue le 1 L eCoY , F. 1978: «Corrections. Le Roman de Silence d’Heldris de Cornualle», Romania 99: 109-12. 2 J ameS -R aouL , D. 1997: La Parole empêchée dans la littérature arthurienne , Paris, Champion. 243 DOI 10.24053/ VOX-2024-015 Vox Romanica 83 (2024): 241-243 Besprechungen - Comptes rendus silence mauvais de celui qui se tait alors qu’il devrait révéler ce qu’il sait (Eufème); le silence bénin de celui qui n’a rien d’important à dire (Eufémie); et le silence excellent de celui qui attend le bon moment pour s’exprimer (Silence). Effectivement, le silence de Silence est bénéfique dans le sens où il permet l’abolition de la mesure injuste qui interdit aux femmes d’hériter. Ainsi, le texte est un apprentissage à la fois de savoir se taire et bien parler, devenant, dès lors, une mise en scène de l’art de communication. La communication rompue ne peut renaître qu’en passant par le silence qui lui permet d’éclore de nouveau. De la sorte, le monde du Roman de Silence dépeint un univers où la communication est mauvaise et le but est de la rétablir. Au sein de la fiction, la parole circule de manière dysfonctionnelle: ironie, raillerie, injure, médisance ou encore mensonge ponctuent le récit. La fin ne peut se rétablir que par l’arrivée de Merlin qui lui seul peut restaurer la vérité en dévoilant la nature des personnages. La parole empêchée de Silence a aussi pour but de masquer son identité, puisque l’intrigue de l’histoire se concentre sur cette jeune fille élevée en fils pour des questions d’héritage. Être soi ou un autre, c’est tout le débat interne qui se joue chez l’héroïne. Le choix du nom est un premier marqueur identitaire, mais le nom de l’héroïne est multiple entre Silence , la forme neutre, Silencia , au féminin, ou Silencius , au masculin, tout en prenant en considération le nom que l’héroïne se choisit lorsqu’elle se déguise en jongleur, Malduit , «mal dirigé, mal éduqué». La raison de la multiplicité de ces noms est le travestissement de Silence. Un travestissement qui conduit à une androgynie du personnage ainsi qu’à un débat interne entre Nature et Noreture. Concernant les thématiques du travestissement et de l’androgynie, l’éditrice se contente surtout de décrire la manière dont ceux-ci se développent dans le texte; ce que nous pouvons déplorer, car ces sujets ne sont traités qu’en surface, alors que l’éditrice nous a offert une analyse particulièrement fine concernant la parole et le silence. Si D. J.-R. ne s’étonne pas que les études genre se sont emparées du texte, il est presque dommage qu’elle se limite uniquement à évoquer le travestissement, l’androgynie et le jeu entre le masculin et le féminin, sans mentionner les études plus récentes en termes de fluidité de genre et de queernees 3 ou de transidentité 4 . Enfin, on regrettera l’absence d’une traduction accompagnant le texte édité, ainsi que le fait que l’ouvrage est peu abordable (financièrement) pour les étudiant · e · s, sachant que c’est un texte qui rencontre un franc succès lorsqu’il est travaillé en classe. Ces éléments ne remettent aucunement en question la qualité de l’ouvrage et nous saluons l’excellence de cette édition de texte. Leticia Ding (Université de Lausanne) https: / / orcid.org/ 0009-0007-3656-8561 ★ 3 d ing , L. 2020: «Une héroïne étrange: l’hybridité de Silence en habit de jongleur dans Le Roman de Silence», Loxias 70. 4 m aiLLet , C. 2020: Les Genres fluides , Paris, Arkhê.
