Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
10.24053/VOX-2024-018
0217
2025
831
Kristol De StefaniGaston Tuaillon, Le francoprovençal. Tome deuxième, Saint-Nicolas – Vallée d’Aoste (Imprimerie Duc) 2023, 128 + xxvii p.
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2025
Mathieu Avanzihttps://orcid.org/0000-0002-0688-2310
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252 DOI 10.24053/ VOX-2024-018 Vox Romanica 83 (2024): 252-254 Besprechungen - Comptes rendus g aSton t uaiLLon , Le francoprovençal. Tome deuxième , Saint-Nicolas - Vallée d’Aoste (Imprimerie Duc) 2023, 128 + xxvii p. Le francoprovençal, tome deuxième constitue la suite et la fin d’un ouvrage portant sur cet ensemble dialectal de la Gallo-Romania qu’on appelle depuis Ascoli 1 francoprovençal , en raison des similitudes d’évolution qui le rapproche à la fois des parlers provençaux (nom que l’on donnait naguère aux dialectes d’oc) et des parlers français (car c’est ainsi qu’on appelait anciennement les dialectes d’oïl). Le volume est signé par un éminent spécialiste de la question, Gaston Tuaillon, romaniste et dialectologue savoyard reconnu pour son expertise sur le francoprovençal, auquel il a dédié sa carrière entière. Publié de façon posthume 2 , ce volume était fortement attendu (le tome premier, paru en 2007 3 , l’annonçait déjà). Préparé par Jean-Baptiste Martin (qui le préface, 7-8), avec l’aide de Fabio Armand (pour la saisie informatique d’une partie du texte) et de Rosito Champétavy (pour la cartographie), à partir de matériaux en partie inédits transmis à l’Institut Pierre Gardette à la suite du décès de Gunhild Hoyer, ce deuxième volume a été publié grâce au soutien du Centre d’études francoprovençales (CEP) et par l’intermédiaire de sa directrice, Christiane Dunoyer, qui explique l’intérêt d’une telle publication dans un préambule (5-6). En 2007, Gaston Tuaillon signait le premier tome d’un ouvrage consacré à la synthèse de nos connaissances actuelles sur le francoprovençal. Avec ses 240 pages et son cahier de 34 cartes en couleur (XXXI p.), le volume comportait 13 chapitres, formant deux grandes parties. Dans la première, la plus copieuse (10 chapitres), l’auteur traitait des critères définitoires du francoprovençal et de la question de ses frontières, notamment par rapport aux domaines d’oc et d’oïl (v. notamment la question du traitement de a en position accentuée, et du statut paroxytonique de son accentuation). Il en profitait pour proposer un solide état de l’art relatif aux controverses qui ont accompagné la reconnaissance de ce domaine en tant qu’aire dialectale indépendante (comme le débat entre Meyer et Ascoli, sur l’hypothèse du superstrat burgonde), tout en donnant des précisions importantes sur les propriétés formelles du francoprovençal tel qu’il est parlé dans les Alpes et au-delà (dans les Pouilles, notamment), des plus connues aux moins connues (les doubles série morphologiques, p. ex.). La seconde partie de l’ouvrage permettait de rendre compte, en trois chapitres, de «phénomènes remarquables» à l’intérieur de cet ensemble. Un chapitre était dédié à la palatalisation des occlusives palatales ([k] et [g]) devant e / i et a (chap. XI), un autre était consacré au passage de [u] à [y] (chap. XII), un dernier au statut du hiatus en fin de mot, qui s’est formé à la suite de l’amuïssement d’une consonne intervocalique (types ita , uta , ata , etc., chap. XIII). Ce second opus comporte deux chapitres supplémentaires, qui suivent la numérotation du premier volume, et qui sont consacrés à deux autres «phénomènes remarquables»: «La diphtongaison spontanée latine du III e siècle» (chap. XIV, 9-85) et «Les néo-oxytons du francoprovençal» (chap. XV, 87-117). Comme le premier, ce deuxième tome se termine par un cahier 1 a SCoLi , g. i. 1874: «Schizzi franco-provenzali», Archivio glottologico italiano 3: 61-120. 2 Gaston Tuaillon est décédé en 2011. 3 t uaiLLon , g. 2007: Le francoprovençal. Tome premier. Définition et délimitation. Phénomènes remarquables , Aosta, Musumeci Éditeur. 253 DOI 10.24053/ VOX-2024-018 Vox Romanica 83 (2024): 252-254 Besprechungen - Comptes rendus de 15 cartes (numérotées de 35 à 51), qui illustrent l’argumentation déroulée dans les deux chapitres qui précèdent (sauf la dernière, qui représente le domaine francoprovençal et qui a été réalisée par le CEP). Dans le chapitre sur la diphtongaison, Tuaillon revient sur une problématique à peine effleurée dans le premier volume, à savoir celle de la diphtongaison spontanée qui a affecté le E bref latin (type pĕdem ) et le O bref latin (type bŏvem ). En pratique, l’auteur cherche à tester sur un ensemble plus vaste l’hypothèse de Duraffour 4 , qui stipule que la diphtongaison spontanée a bien eu lieu en francoprovençal, contrairement à ce que d’autres ont pu arguer à la lumière de données médiévales, et qui ont mis sur l’influence du français les formes diphtonguées modernes. Tuaillon montre ainsi, à la suite de l’examen d’un grand nombre de sources modernes, que la diversité des formes qu’on rencontre en synchronie (avec des diphtongues et des timbres simples tantôt similaires au timbre latin, tantôt similaires aux timbres français) s’explique par des raisons de simplification, et que la diphtongaison, si elle n’a pas eu lieu à l’époque médiévale dans certaines localités, peut s’expliquer par l’influence de l’occitan. Comme pour le reste de l’ouvrage, le nombre de sources dépouillées par Tuaillon est titanesque, et les résultats sont complexes, compte tenu du fait que chacun des mots étudiés à son histoire, et sa géographie (à témoin, si la diphtongaison de pĕdem donne des résultats assez cohérents entre les points, les choses se compliquent quand on observe l’évolution de des correspondants latins de mots comme ‘fièvre’, ‘pierre’ ou encore ‘bœuf ’ ou ‘sœur’). Les synthèses cartographiques permettent toutefois que la complexité des phénomènes traités, inhérente au francoprovençal, soit plus digeste pour le lecteur. En ce qui concerne le deuxième chapitre, il s’agit d’une version déjà publiée d’un précédent article consacré aux «néo-oxytons du francoprovençal» 5 , c’est-à-dire aux mots francoprovençaux qui sont accentués sur leur syllabe finale, et non sur leur pénultième (le préfixe néo indique ici qu’il s’agit d’un phénomène récent dans l’histoire de cet ensemble de dialectes). Ainsi, le mot fenna (< lat. fēmĭna , ‘femme’), originellement prononcé [fˈɛna], peut être prononcé [fɛnnˈa], voire [ˈfna]. Après avoir rappelé que cette innovation ne touche qu’une certaine série de mots, et qu’elle demeure inconnue sur les trois-quarts du domaine (v. carte n° 50), Tuaillon cherche à cerner, sur la base de l’étude de poèmes rédigés dans des variétés de francoprovençal où ces néo-oxytons existent, les conditions qui ont pu permettre cette évolution, attestée pour la première fois au XVII e s. dans le Dauphiné. L’argumentation repose sur le développement d’une hypothèse formulée par Duraffour (loc. cit.), qui stipule le fait suivant: l’accentuation originale d’une voyelle brève entraîne une plus grande tension de la consonne qui le suit, et donc le renforcement de la voyelle d’après. Si la force de la voyelle finale finit par devenir plus grande que celle de la voyelle originellement accentuée, il y a alors un déplacement de l’accent de mot, et c’est ainsi qu’on passe du paroxytonisme à l’oxytonisme. Ici encore, le nombre de données examinée est titanesque. 4 d uRaFFouR , A. 1932: Phénomènes généraux d’évolution phonétique dans les dialectes franco-provençaux d’après le parler de Vaux-en-Bugey (Ain) , Grenoble, Institut phonétique de Grenoble. 5 t uaiLLon , G. 2006: «Les néo-oxytons du franco-provençal», Lingue e idiomi d’Italia (1/ 2): 7-35. 254 DOI 10.24053/ VOX-2024-019 Vox Romanica 83 (2024): 254-262 Besprechungen - Comptes rendus Sur le plan formel, l’ouvrage est de très grande qualité. Seul le tableau p. 11 comporte un décalage sur sa première ligne; dans le cahier de cartes, le texte de la figure 36 a été rogné en bas. On apprécie que la ligne graphique du premier volume ait été conservé, que ce soit pour le texte comme pour les cartes. Cela donne aux deux tomes une cohérence, et on espère que pour une prochaine édition, les deux soient réunis dans un seul et même volume. La publication de ce deuxième tome, 16 ans après le premier, est un événement important pour les romanistes comme pour les spécialistes du francoprovençal. Elle permet de rendre hommage au travail inlassable de Gaston Tuaillon et d’enrichir considérablement notre compréhension de cette famille de dialectes si particulière. Grâce à la profondeur et à l’originalité des analyses développées, ainsi qu’à la clarté apportée par les éléments cartographiques, ce second tome est une contribution majeure à notre connaissance du francoprovençal. Mathieu Avanzi (Université de Neuchâtel) https: / / orcid.org/ 0000-0002-0688-2310 ★ J ean -P ieRRe C hambon , Recherches sur la toponymie de l’arrondissement de Lure (Haute- Saône): linguistique historique, dialectologie, traces d’histoire , Strasbourg (eL i P hi ) 2023, xvi + 651 p. Jean-Pierre Chambon, dès 1978, mais surtout depuis les années 2000, a publié pas moins de 57 contributions sur la toponymie de l’arrondissement de Franche-Comté où sa vie est enracinée 1 . Ces recherches ont paru, fort diversement, dans des bulletins de sociétés d’érudition locales, des revues, des mélanges, un ouvrage à chapitres, sous forme d’articles ou de notules, parfois même de fragments ou d’excursions dans des contributions dont les titres, sans rapport avec la toponymie luronne, ne permettent guère de soupçonner la teneur. Le premier mérite des Recherches est de réunir en un seul volume cet ensemble éclaté et disparate en aspirant les données et les analyses et les reversant, non sans que leur auteur les ait au besoin réécrites, rectifiées, mises à jour ou remises en perspective, augmentées ou prolongées, lissées et assorties de renvois, dans une macrostructure aussi homogène que possible, quoique relativement souple, formée d’un répertoire alphabétique de 323 notices 2 . Ce répertoire souplement structuré (nous y reviendrons) constitue le noyau des Recherches («2. Toponymes de l’arrondissement de Lure: données et analyses», p. 25-587) et, du fait 1 Ce décompte appelle la mise à jour d’un autre décompte, remontant à 2017 («la toponymie est [...] la thématique centrale de non moins de 137 articles de [ Jean-Pierre Chambon], parus entre 1975 et 2017, de dix-neuf comptes rendus (1978-2016) et de deux mises en relief (2006 et 2014)» [Hélène Carles, in: C hambon , J.-P. 2017: Méthodes de recherche en linguistique et en philologie romanes , vol. 2, Strasbourg, eL i P hi , p. 939]). 2 Dont les titres sont pourvus d’une cote alphanumérique: «A1. En l’Abandonnement (Mignafans)», «A2. Les Abateux (Alaincourt) et congénères» (p. 25), etc. Nous renverrons le cas échéant d’abord à la cote (et aux divisions numérotées, par exemple §L13/ 3.4), puis soit à la note (la numérotation des notes repartant de 1 sous chaque notice: §L13 N1), soit à la page pour le corps des (divisions de) notices courant sur plus d’une page (par exemple §L13/ 5 p. 307).
