eJournals Vox Romanica 83/1

Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
10.24053/VOX-2024-019
0217
2025
831 Kristol De Stefani

Jean-Pierre Chambon, Recherches sur la toponymie de l’arrondissement de Lure (Haute- Saône): linguistique historique, dialectologie, traces d’histoire, Strasbourg (ELiPhi) 2023, xvi + 651 p.

0217
2025
Jérémie Delormehttps://orcid.org/0009-0005-8449-0901
vox8310254
254 DOI 10.24053/ VOX-2024-019 Vox Romanica 83 (2024): 254-262 Besprechungen - Comptes rendus Sur le plan formel, l’ouvrage est de très grande qualité. Seul le tableau p. 11 comporte un décalage sur sa première ligne; dans le cahier de cartes, le texte de la figure 36 a été rogné en bas. On apprécie que la ligne graphique du premier volume ait été conservé, que ce soit pour le texte comme pour les cartes. Cela donne aux deux tomes une cohérence, et on espère que pour une prochaine édition, les deux soient réunis dans un seul et même volume. La publication de ce deuxième tome, 16 ans après le premier, est un événement important pour les romanistes comme pour les spécialistes du francoprovençal. Elle permet de rendre hommage au travail inlassable de Gaston Tuaillon et d’enrichir considérablement notre compréhension de cette famille de dialectes si particulière. Grâce à la profondeur et à l’originalité des analyses développées, ainsi qu’à la clarté apportée par les éléments cartographiques, ce second tome est une contribution majeure à notre connaissance du francoprovençal. Mathieu Avanzi (Université de Neuchâtel) https: / / orcid.org/ 0000-0002-0688-2310 ★ J ean -P ieRRe C hambon , Recherches sur la toponymie de l’arrondissement de Lure (Haute- Saône): linguistique historique, dialectologie, traces d’histoire , Strasbourg (eL i P hi ) 2023, xvi + 651 p. Jean-Pierre Chambon, dès 1978, mais surtout depuis les années 2000, a publié pas moins de 57 contributions sur la toponymie de l’arrondissement de Franche-Comté où sa vie est enracinée 1 . Ces recherches ont paru, fort diversement, dans des bulletins de sociétés d’érudition locales, des revues, des mélanges, un ouvrage à chapitres, sous forme d’articles ou de notules, parfois même de fragments ou d’excursions dans des contributions dont les titres, sans rapport avec la toponymie luronne, ne permettent guère de soupçonner la teneur. Le premier mérite des Recherches est de réunir en un seul volume cet ensemble éclaté et disparate en aspirant les données et les analyses et les reversant, non sans que leur auteur les ait au besoin réécrites, rectifiées, mises à jour ou remises en perspective, augmentées ou prolongées, lissées et assorties de renvois, dans une macrostructure aussi homogène que possible, quoique relativement souple, formée d’un répertoire alphabétique de 323 notices 2 . Ce répertoire souplement structuré (nous y reviendrons) constitue le noyau des Recherches («2. Toponymes de l’arrondissement de Lure: données et analyses», p. 25-587) et, du fait 1 Ce décompte appelle la mise à jour d’un autre décompte, remontant à 2017 («la toponymie est [...] la thématique centrale de non moins de 137 articles de [ Jean-Pierre Chambon], parus entre 1975 et 2017, de dix-neuf comptes rendus (1978-2016) et de deux mises en relief (2006 et 2014)» [Hélène Carles, in: C hambon , J.-P. 2017: Méthodes de recherche en linguistique et en philologie romanes , vol. 2, Strasbourg, eL i P hi , p. 939]). 2 Dont les titres sont pourvus d’une cote alphanumérique: «A1. En l’Abandonnement (Mignafans)», «A2. Les Abateux (Alaincourt) et congénères» (p. 25), etc. Nous renverrons le cas échéant d’abord à la cote (et aux divisions numérotées, par exemple §L13/ 3.4), puis soit à la note (la numérotation des notes repartant de 1 sous chaque notice: §L13 N1), soit à la page pour le corps des (divisions de) notices courant sur plus d’une page (par exemple §L13/ 5 p. 307). 255 DOI 10.24053/ VOX-2024-019 Vox Romanica 83 (2024): 254-262 Besprechungen - Comptes rendus même de cette conformation, ne produit pas l’effet d’assommoir d’un dictionnaire lu dans l’ordre des articles; au contraire, sa lecture, menée dans l’ordre des notices, est allante. Il est précédé d’une section introductive («1. Prologue: les parlers dialectaux et l’histoire des langues dans l’arrondissement de Lure», p. 1-23) et suivi d’une récapitulation («3. Éléments de bilan», p. 589-612) et de deux annexes («4. Références bibliographiques et sigles», p. 613-46; «5. Annexe: cantons et communes de l’arrondissement de Lure (vers la fin du XX e siècle)», p. 647-51). Les pages liminaires comportent une préface de Martin Glessgen (p. ix xii ) et un avant-propos de l’auteur (p. xiii xiv ) où celui-ci éclaire d’une phrase sa double intention quant à l’objet de l’ouvrage (p. xiv ): Nous espérons qu’il donnera [...] un aperçu attractif des différents aspects de la toponymie de l’arrondissement de Lure et qu’il pourra montrer l’intérêt que présente l’étude scientifique des noms propres géographiques, non seulement pour la linguistique et la sociolinguistique historiques, mais aussi pour l’histoire locale et régionale, en particulier quand les textes et la documentation archéologique font défaut. Avant d’entrer dans l’examen de détail, il nous faut d’abord signaler que l’écriture des contributions dont procèdent les Recherches s’est faite sporadiquement à plusieurs mains; leurs co-auteurs en sont Andrea Castro Quintana (§R12), Jean-Paul Chauveau (§P17), Alain Guillaume (§C27 et V8), le même et Louis Jeandel (§R4 et 14), Jean Hennequin (§C42, E9, L15, 17, P8, R6), L. Jeandel seul (§C21, Q1, R10, S12, T9), Éric Lozovoy (§V11) et Philippe Olivier (§M1). A. Guillaume a concouru, sans les signer, à d’autres contributions (§A1, 2, 6, 7, 11-13, 16, 17, 20, B12, 34, C9, 11, 13-15, 24, 25, 35, 38, E8, 11, F10, 19, G3, 4, J2, L1-3, M19, 20, O4, P4, 18, R1, S7, 8, T6, V10), de même que J. Hennequin et L. Jeandel (§B27, C41, G9, 18, L6, M3, 7, 18, P5, 6, R8), ou que L. Jeandel seul (§A18, 19, 24, B16, 35, C6, 12, 27, 29, D2, 8, E6, F3, 9, M3, 7, 8, 12, 15, 16, N3, 4, O3, P2, R2, 5, 19, S6, T3, V1, 3). Le nom de ces trois collaborateurs et co-auteurs prépondérants, joint à celui d’un autre collaborateur de J.-P. Chambon, Daniel Curtit 3 , dont l’apport semble plus diffus (cf. p. xiii ), est toutefois porté sur la page de titre à la seule ligne des collaborateurs; nous suivrons ici le parti simplificateur de l’éditeur de restreindre l’autorité de l’ouvrage à son principal auteur, en désignant ce dernier comme «l’auteur» (c’est-àdire non son seul auteur, mais bien son auteur principal). Il nous faut ensuite souligner que la rigueur et la prudence observées par l’auteur dans l’établissement de ses données et la construction de ses analyses rendent ces dernières difficilement vulnérables; nos remarques les plus critiques pourront sembler dès lors peser plus lourdement sur la mise en œuvre de la documentation. On retiendra du prologue 4 qui ouvre les Recherches , un survol des langues historiquement présentes sur le territoire luron et un énoncé des desiderata de la recherche dialectologique 3 Tous noms portés par des animateurs de la Société d’histoire et d’archéologie de l’arrondissement de Lure. 4 Repris de C hambon , J.-P. 2016: «Les parlers dialectaux (patois) et l’histoire des langues dans l’arrondissement de Lure», Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de l’arrondissement de Lure 35: 18-36. Cette contribution est elle-même reprise d’une conférence prononcée à l’invitation de l’Université Ouverte de Franche-Comté (cf. p. 1), qui se donne pour mission «de partager, de transmettre 256 DOI 10.24053/ VOX-2024-019 Vox Romanica 83 (2024): 254-262 Besprechungen - Comptes rendus en domaine comtois d’oïl, l’appel à valeur de manifeste lancé par l’auteur en faveur d’une «linguistique de sauvetage», comme tentative de réponse à la «situation de perte patrimoniale et scientifique» à laquelle conduit l’abandon des pratiques dialectales: «Trois types d’action de sauvetage scientifique peuvent être envisagés: collecter des matériaux nouveaux; recueillir des informations sociolinguistiques; rassembler et éditer scientifiquement les textes littéraires. Ces actions sont à la portée de toutes les bonnes volontés» (p. 20-21). Et encore, huitième et ultime point du mémorandum qui clôt le prologue: «Toutes les bonnes volontés peuvent trouver à s’employer dans la linguistique de sauvetage » (p. 23). L’esprit d’ouverture au public des «bonnes volontés» et l’idéal de sauvegarde qui animent l’auteur de ce petit manifeste, dont on ne s’étonnera d’ailleurs guère qu’il soit du nombre des premiers signataires de la déclaration de Heidelberg 5 , guident les notices du répertoire: celles-ci, sagacement composées et limpidement formulées, et qui se proposent, en manière de sauvegarde, de retracer l’histoire des noms, s’adressent en effet autant à l’attention des spécialistes de lexicologie historique, d’onomastique et de dialectologie (gallo)romanes qu’à l’intelligence du public des «bonnes volontés»; c’est dire combien l’intention de l’auteur est étrangère aux pratiques de vulgarisation racoleuses (et, il faut bien le dire, condescendantes) où le partage du savoir cantonne ses ressorts à l’anecdotisme et au divertissement. Occupant le cœur des Recherches , les 323 notices du répertoire sont reprises de publications échelonnées de 1978 à 2023, à l’exception notable de vingt d’entre elles, manifestement inédites (§A3, 10, B18, C18, 33, D5, E10, G10, 16, L4, M2, 6, 22, N1, P3, 11, 14, 21, T7, 14), et d’une vingt-et-unième qui l’est peut-être (§Q1; cf. corrigenda infra ). La majeure partie des notices (71%) sont tirées du Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Lure ( BullSHAARL ), où elles ont notamment paru annuellement en série de 2002 à 2021, sous le titre «Contributions à l’étude de la toponymie de l’arrondissement de Lure (Haute-Saône)»; une autre partie, d’importance toute secondaire (16%), procèdent de la Nouvelle Revue d’onomastique , tandis que les treize pour cent restants se ramènent à quelques titres de bulletins et de revues ( Haute- Saône SALSA , Quaderni di semantica , RLaR , RLiR , ZrP ), mais surtout à des mélanges d’hommages (7%). On notera au passage que le gros des Recherches datent des années 2010 (62% des notices remontent aux années 2011-2020) et que l’intérêt de l’auteur pour elles est allé crescendo depuis les années 2000 (seuls 24% des notices concernent la période 2001-2010), au point que le début des années 2020 (2021-2023) couvre, inédits inclus, 20% des notices 6 ; cette observation statistique donne tout lieu de croire que le filon n’est pas épuisé et qu’une suite sera donnée aux Recherches . [les savoirs], de susciter l’envie d’apprendre à tout âge et [...] de s’ouvrir le plus possible à son environnement [social]» (URL: http: / / universite-ouverte.univ-fcomte.fr/ pages/ fr/ menu61/ presen tation/ l-universite-ouverte-17286.html [08.05.2024]. 5 Cf. URL: http/ / hadw-bw.de/ fr/ recherche/ centre-de-recherche/ dictionnaire-etymologique-de-lancienfrancais-deaf/ declaration-de-heidelberg [08.05.2024]. 6 Certaines notices reprenant à plusieurs sources à la fois, le total des pourcents est supérieur à cent. Cf. par exemple §M16, qui puise sa matière dans les opus 2 (2003), 8 (2009), 10 (2011) et 12 (2013) de la série des «Contributions» parues dans BullSHAARL , ainsi que dans la livraison de 2013 de RLiR (77: 437-60). 257 DOI 10.24053/ VOX-2024-019 Vox Romanica 83 (2024): 254-262 Besprechungen - Comptes rendus La nomenclature est guidée par des mots-clefs faisant saillie sur des titres de notices souvent très lapidaires: Abandonnement dans « En l’Abandonnement (Mignafans)» et Vy dans « Vy-lès-Lure (chef-lieu de commune)» justifient la cotation «A1», respectivement «V16» des deux notices, et leur position à la première page (25), respectivement aux dernières pages (583s.) du répertoire. Ces titres purement toponymiques, d’incidence souvent multiple (cf. « Chapendu (Raddon-et-Chapendu) et congénères» [§C17]; « Le Rahin (rivière) et Roye (cheflieu de commune» [§R4]) et qui gouvernent des notices modelées sur une notice-type (cf. ci-dessous), cèdent parfois le pas à des formulations plus ciblées (telles «Ambiévillers (cheflieu de commune): formes anciennes et formes dialectales» [§A10], «frm. sigle : un technicisme d’origine détoponymique; le Sigle (Melisey) et congénères» [§ S14]) ou plus englobantes (ainsi de «Les noms de lieux burgondes en * -ingôs dans les environs de Lure: réseau toponymique et ancien peuplement» [§I1]) débouchant sur des notices hors modèle. La notice §O6, si minimale soit-elle, est typique du cadre d’établissement des données et de construction de l’analyse auquel souscrit l’auteur: O6. Aux Oseraules (Francalmont) 7 Aux Oseraules , nom d’un terroir de Francalmont 8 a été formé sur la dénomination franc-comtoise de l’érable; cf., par exemple, Brotte-lès-Luxeuil [ɔzrɔl] (s. f.) ou Montbéliard ôserale (s. m.) 9 . Le référent de Aux Oseraules est localisé dès le titre par rapport au territoire communal qui l’emboîte, et la source de la reprise signalée par une note (l’absence de note indiquerait qu’on a manifestement affaire à un inédit). Le corps de la notice s’ouvre sur une formule de dénomination permettant de cerner à gros traits le référent («un terroir de Francalmont»); une deuxième note établit non seulement la (seule) source du signifiant (un cadastre), mais, dans le même temps, suggère au lecteur une consultation qui lui donnerait, s’il en éprouvait le besoin, le moyen de s’assurer plus finement du référent (en l’espèce, la version topotouristique de la Carte de France au 25.000 e publiée par l’IGN, par ailleurs si souvent convoquée par l’auteur dans les notices du répertoire, n’est d’aucun secours). L’unique phrase de la notice se poursuit par l’énoncé d’une hypothèse formationnelle, appuyée par quelques témoignages lexicaux (en l’espèce, c’est, à défaut de confirmation in loco, vers les parlers comtois des environs que se tourne l’auteur); une ultime note en précise la source («FEW 24, 100a»), renvoie incidemment, à travers une entrée (« aCeRabuLuS » 10 ), vers ce qu’on soupçonne d’être un étymon lointain du toponyme ( acerabŭlu ), et suggère, pour d’autres témoignages, deux autres consultations (l’ Atlas linguistique et ethnographique de la Franche-Comté 11 et le GPSR ); pour une seconde confirmation étymologique, la consultation (des dernières lignes) de l’article érable du GPSR ; pour des parallèles formationnels, celle de la liste de toponymes choisis dressée dans cet article. Enfin, l’absence de discussion motivationnelle s’entend comme une hypothèse in absentia sur la motivation objective du toponyme, en fait la seule qui s’accorde 7 [Note de l'auteur: ] Chambon 2018b, 142-43. 8 [Note de l’auteur: ] Cadastre de 1836 (B6, 1021-1070). 9 [Note de l’auteur: ] FEW 24, 100a, aCeRabuLuS ; voir encore ALFC 391 et GPSR 6, 638-39. 10 À corriger en acerabŭlus . 11 d ondaine , C./ d ondaine , L. 1972-1991: Paris, Éditions du CNRS. 258 DOI 10.24053/ VOX-2024-019 Vox Romanica 83 (2024): 254-262 Besprechungen - Comptes rendus à l’hypothèse formationnelle précédemment énoncée: présence d’érables dans le lieu. Pour concise qu’elle soit, cette notice est révélatrice autant de l’intérêt que l’auteur porte à l’histoire du nom, si modeste fût-elle, que du désintérêt (tout relatif) qu’il nourrit vis-à-vis de son origine, et, en cela, est tout à fait représentative d’un des fondements de son approche des toponymes (cf. infra ). C’est sur cette base de présentation et d’analyse que sont construites la plus grosse part des 323 notices du répertoire, mais rares sont celles où données et analyses, les unes douteuses, obscures, pour le moins déroutantes, les secondes sujettes à discussion, n’inspirent pas une problématique, voire conjointement plusieurs à l’auteur des Recherches . Celui-ci, typiquement, considère les diverses «solutions [qui] ont été avancées au sujet de [X]» et, procédant par exhaustion, les expose toutes, mais, jugeant qu’«aucune [d’elles] ne convainc», ce qu’il a soin de démontrer, reconnaît «qu’il convient par conséquent d’essayer [d’en] trouver une [...] de rechange» 12 , à quoi il s’attelle méthodiquement, quitte, le cas échéant, à concéder en fin de compte que «ce n’est là qu’une solution d’attente, faute de mieux» 13 , voire à admettre que sa «conclusion est décevante[,] preuve que l’étymologie (gallo)romane est loin d’être achevée» 14 . Les conditions justifiant l’élaboration d’une problématique sont exposées clairement dès les premières lignes de la notice («rarement étymologie de toponyme fut plus assurée[; ] il y a pourtant matière à prolonger la réflexion au-delà de la simple identification formelle de l’étymon» 15 ), puis les différents aspects de cette problématique sont examinés pas à pas, l’examen de l’un étant plus ou moins conditionné par celui du précédent, à l’intérieur d’une chaîne argumentative («il convient en premier lieu de [...]» > «on doit remarquer aussi l’absence de [...]» > «on peut tenter de mieux assurer la datation de [...]» > «[ce qui] pouss[e] à croire que [...]» 16 ) dont la ciselure (paragraphage serré, discours concis, formulations anti-redondantes et anti-équivoques) capte l’attention du lecteur et la retient jusqu’à la fin. La construction de ces notices à suspense, dispositifs scientifiques doublés d’objets littéraires, atteint parfois la virtuosité (cf., entre autres, §A3, B1, F20, I1, L10, 13, M14, 16, O5, Q1, R4, T4, V1, 11 17 ). Nomenclature alphabétique et composite, puisant aussi bien dans les noms ( Abandonnement , Chapendu , Oseraules , Rahin , Vy ...) que dans le lexique ( sigle ...) ou la morphologie dérivationnelle (* -ingôs ); structure interne des notices modelée sur une épure dont la mise en œuvre aboutit, selon les nécessités de l’exposé, à des édifices de trois lignes (« Aux Oseraules ») ou d’une douzaine de pages (« Le Rahin [...] et Roye »): tels sont les deux axes structurants qui 12 Ces trois citations sont tirées des incipits de §F21/ 1, 2 et 3. 13 §C32/ 6. 14 §M12/ 8. 15 §V16 p. 584. 16 §V16/ 1, 2, 3 et 3/ 3. 17 Ce choix (qui nous incombe) recoupe en bonne partie celui que propose l’auteur (p. 590) pour illustrer l’une des idées-forces qui se dégagent des notices du répertoire: envisager impérativement «l’histoire des toponymes [...] en tenant compte des contextes sociolinguistiques et en se plaçant du point de vue de la linguistique variationnelle» (p. 589). C’est dire combien la rhétorique sert ici l’exposé d’une méthode. 259 DOI 10.24053/ VOX-2024-019 Vox Romanica 83 (2024): 254-262 Besprechungen - Comptes rendus confèrent au répertoire une élasticité propre à en dynamiser la lecture (dynamique qu’on perd, peu ou prou, à lire les notices en désordre). Au demeurant, l’entrée dans les notices, pour qui voudrait s’affranchir d’une lecture ordonnée du répertoire, ne transite par aucun index à proprement parler. Les «éléments de bilan» qui suivent le répertoire en font office, quoiqu’ils ne «recherche[nt pas] l’exhaustivité» (p. 589), ne soient pas construits comme des index, et servent, en fait, une autre ambition: celle d’arrimer une représentation en raccourci du répertoire à l’exposé d’une méthode attachée à la mise «en œuvre [de] la conception de l’étymologie comme étymologie-histoire du mot, conception devenue classique en lexicologie, mais rarement retenue dans les travaux de toponymie (gallo)romane [...], lesquels se concentrent avant tout sur l’étymologie-origine» 18 . Les renvois aux notices illustrant de manière caractéristique les fondements de cette mise en œuvre sont présentés aux p. 590-92 («histoire interne des signes toponymiques dans leur contexte sociolinguistique» [39 renvois], «histoire des rapports entre les signes toponymiques et leurs référents» [95 renvois]); cette mise en œuvre peut conduire à de «nouvelles solutions étymologiques» (p. 592, 26 renvois), mais ne résout pas toutes les énigmes («toponymes et hydronymes d’origine inconnue ou incertaine» [ib., 16 renvois]). Le système désignationnel fait l’objet d’un «essai de classement» (p. 593), distinguant les formations datant de «l’Antiquité et [du] haut Moyen Âge» (p. 593-95: «agglomérations secondaires romaines» [2 renvois], «établissements agricoles» [28 renvois], «exploitation du sous-sol et métallurgie» [3 renvois], «gestion et exploitation des forêts» [2 renvois], «rivières, franchissements, aqueducs» [8 renvois], «défense territoriale publique» [4 renvois], «cimetières et paroisse» [4 renvois], «terroirs» [13 renvois], formations récentes révélatrices de «vestiges antiques» [4 renvois]), et les formations remontant à des «couches plus récentes», ou relevant d’une «chronologie non déterminable avec précision» (p. 595-603): «milieu naturel» d’une part (103 renvois), «sphère anthropique» de l’autre (200 renvois), dont la classification interne est remarquablement détaillée (jusqu’à trois sous-niveaux). L’apport des Recherches à la linguistique historique fait l’objet d’un ultime bilan (p. 604-12), tant en matière de phonétique (50 renvois) que de morphologie (67 renvois), de lexique (235 renvois) ou de syntaxe (33 renvois). Celui qui chercherait in fine la trace d’un index étymologique en serait pour ses frais; un tel bricolage, projetant mécaniquement les toponymes, lesquels demeurent proximalement des délexicaux, des déonymiques ou des délocutifs, vers des étymons qui ne refléteraient, au mieux, que le lexique, les noms propres ou les formules dont procèdent les noms de lieux, jurerait évidemment comme une absurdité par rapport à la méthode exposée dans les Recherches . Remarques diverses. - (1) Des propositions peu convaincantes d’Ernest Nègre ou de Gérard Taverdet (trop souvent fondées, chez cet auteur, sur des arguments ad populum ou des étymologies obvies 19 ) fournissent assez souvent à l’auteur une base de discussion; dans la tranche 18 §L15 p. 313. En la matière et à l’échelle du répertoire, cette notice (« Luze ») a rang de manifeste. L’approche qu’elle défend est commentée par Martin Glessgen dans la préface (p. xii ). 19 Cf. §P15/ 1: «le nom nous parle encore et il se passe de commentaire». 260 DOI 10.24053/ VOX-2024-019 Vox Romanica 83 (2024): 254-262 Besprechungen - Comptes rendus §E7-G8, la concentration de rejets dont G. Taverdet a à pâtir résulte d’un aléa alphabétique mais n’en est pas moins cruelle. (2) Au système notionnel qui charpente les analyses répond une terminologie, rarement rencontrée chez d’autres toponymistes, employée ici avec rigueur et à-propos: accrétion , cristallisation , contrépel , diffraction , dilemme interprétatif , effet de Buben , fausse régression hypercorrective , homographisation , imaginaire linguistique , jalon chronologique indirect , scission des axes évolutifs , série suffixale déanthroponymique , seuil du nom propre , etc. En l’absence d’un index notionum , nous ne pouvons qu’encourager les bonnes volontés (en particulier parmi les étudiants? ) à dépouiller les Recherches de leur terminologie et à en tirer un glossaire. (3) L’auteur allie de manière convaincante pratique du terrain (cf. par exemple §M16 N22), observations topographiques (cf. § M7/ 5, S14, etc.) et inférences topologiques (cf. §C27/ 3, P17/ 5, etc.). On a l’impression que ses intérêts de toponymiste le guident non pas seulement vers les noms (comme seraient guidés des onomasticiens de bureau) mais aussi vers les lieux, et c’est sans doute en partie à cette «topophilie» 20 que ses analyses doivent leur sagacité. (4) Sauf erreur, il n’apparaît pas que l’auteur ait consulté ou cherché à consulter, en ce qui concerne les feuilles couvrant l’arrondissement de Lure, l’«état justificatif des noms» dressé vers le milieu du XX e siècle en vue d’établir la Carte de France au 50.000 e ; or, ce document répertorie, entre autres, des formes toponymiques vernaculaires (indiquées par «les habitants, les guides, etc.»), des «renseignements divers» (tels que «signification, prononciation locale, formes anciennes ou patoises, remarques»), la «nature du détail auquel s’applique [tel] nom» 21 , autant de données propres à nourrir la discussion. (5) Le fichier toponymique du Glossaire des patois de la Suisse romande est consultable en ligne (‹fichiers-muret.unine.ch/ manager/ #/ 1: 2› 22 ) et pallie dans une certaine mesure l’incomplétude du site ‹toponymes.ch›, souvent consulté par l’auteur, parfois vainement (cf. §L13 N47); pour étoffer sa documentation et appuyer son propos, nous lui signalons volontiers les toponymes A la Lonjagne (Forel-sur-Lucens [Vaud], fiche n o 1162/ 043), Longeagne (Puidoux [ib.], 1283/ 191) et Londzagne (Fully [Valais], 2026/ 370), à ajouter §L13/ 5.1. (6) La voie d’accès la plus démocratique au contenu du GPSR ne résidant pas dans la manipulation des volumes papier mais dans la consultation du site ‹portail-gpsr.unine.ch›, lequel ne permet pas la recherche par volume et page, mais seulement par forme, les renvois aux articles du GPSR ne devraient pas s’exonérer d’une indication des entrées; rien, par exemple, ne permet (sauf à feuilleter laborieusement les pages dans le visualisateur) au lecteur du site outillé a minima de retrouver les données [odœː] et [ovdø], sourcées «GPSR 1, 550» (§L11 N4), s’il ne sait pas de manière sûre qu’elles sont citées sous l’entrée aqueduc du GPSR . (7) «Sauf indications contraires, la carte au 1: 25 000 de l’IGN a été vue sur le site Géoportail de l’IGN» (p. xv ); mais en quelle(s) année(s)? Le «graphe de mosaïque [de la] carte topogra- 20 Cf. t uan , Y.-F. 1961: «Topophilia», Landscape 11/ 1: 29-32. 21 IGN, état justificatif des noms de la Carte de France au 50.000 e (campagne 1949), feuille de Bonneville, n o XXXIV-30, minute n o 88. 22 Sans moteur de recherche; les rédacteurs du GPSR , que l’auteur ne semble pas avoir consultés systématiquement, disposent en revanche d’un répertoire alphabétique de toponymes groupés entre congénères par types (comme L ongeagne ), dressé par Paul-Henri Liard. 261 DOI 10.24053/ VOX-2024-019 Vox Romanica 83 (2024): 254-262 Besprechungen - Comptes rendus phique (SCAN25)» du site Géoportail 23 situe la «récolte des données», pour l’est de la Haute- Saône, à 2018 et 2019, et le tableau de «composition des données [des] cartes IGN classiques» du même site date la mise à jour du 19 octobre 2023 (et l’édition de la carte de base du 1 er juillet 2023). Comme le Géoportail ne dispose pas, semble-t-il, d’une fonction «voyage dans le temps» (contrairement au site Swisstopo de l’administration suisse), on ne peut guère s’assurer tout à fait de ce que l’auteur a lu sur la carte, et c’est probablement dans les distorsions qui séparent les états successifs de cette carte qu’il faut chercher la raison des rares renvois qui manquent leur cible: ainsi de «vers la cote 450» (§C27/ 3.2), qui, au mieux, vise désormais l’un des points non cotés qui forment le tracé de la ligne isohypse 450 au sud-est de l’Étang Mama, ou de «près de la cote 306» (§V9/ 1), qu’on situerait plus volontiers aujourd’hui, si l’on comprend bien le renvoi, par rapport à la cote 307 indiquée sur la carte entre les écritures Prés de l’Ognon et la Grande Goutte . Au final, ces rares réserves n’obèrent pas notre appréciation de l’ouvrage: (1) nous croyons que l’auteur des Recherches a su montrer l’efficacité de son approche de l’objet toponymique (où l’«étymologie-histoire» prime l’«étymologie-origine») et que celles-ci sont appelées à faire date dans les progrès de notre discipline; (2) nous sommes enclin (a) à recommander comme essentielle la lecture des Recherches aux étudiants en dialectologie, en linguistique générale ou en sciences du langage que les questions d’onomastique ou, plus largement, de lexicologie historique intéressent; (b) à préconiser à leurs professeurs et maîtres l’emploi des Recherches comme support de séminaire; (3) nous pensons détenir avec ces Recherches une preuve que la conjonction des meilleurs spécialistes de notre science et des meilleures volontés parmi le public des érudits produit quelquefois des fleurons. Soit dit en passant, l’édition des Recherches est impeccable, hormis quelques peccadilles, surtout des coquilles et des fautes de renvoi: (1) §B1/ 1 et 7.1: le diacritique dont est souscrit ‹ɛ› dans ‹[le balastjɛːʁ]›, à peine lisible, se lit comme un point (sans correspondance dans l’API), mais représente peut-être l’ouverture ([ɛ̞]? ) ou la fermeture ([ɛ̝]? ); pour le moins, écriture à contrôler. (2) §B7 N1: ‹2019› à corriger en ‹2019d›. (3) §B14 N1: ‹2012› à corriger en ‹2012a›. (4) §B28/ 2: dernière phrase («Dans une zone [...] dépatoisisation de (i)») embrouillée; à reformuler. (5) §B31 N1: ‹2021a,121› à corriger en ‹2021a, 121›. (6) §C5/ 2.1 p. 126: ‹Savoie› à corriger en ‹Haute-Savoie›. (7) §F1 N15: ‹Boukezzouk› à corriger en ‹Boukezzoula›. (8) §I1 N2: ‹35); entre› à corriger en ‹35; entre›. - En outre, note en partie contradictoire: «entre 453 et 459» ne s’oppose pas à «peu avant 460» (§ I1 p. 270) et n’a pas lieu d’être compté parmi les «autres dates [...] en circulation». (9) §J1 N1: ‹2021, 128› à corriger en ‹2021a, 128›. (10) §L10/ 4: ‹del’aire› à corriger en ‹de l’aire›. (11) §L11 N4: «sens non précisé»; en fait, si (‘conduite d’eau généralement couverte, canal souterrain’). 23 URL: http/ / geoportail.gouv.fr [14.05.2024]. 262 DOI 10.24053/ VOX-2024-019 Vox Romanica 83 (2024): 254-262 Besprechungen - Comptes rendus (12) §L11/ 1: ‹[ovdø]› à corriger en ‹[ɔːvdøː]›. (13) §L13/ 4: ‹ longyne › à corriger en ‹ lonjygne ›. (14) §M3 N1: ‹2013› à corriger en ‹2013a›. (15) §M16 N1: ‹2009a 132› à corriger en ‹2009a, 132›. (16) §M16/ 1.1 p. 366: ‹naturelle› à corriger en ‹naturelles›. (17) §M16/ 1.1 p 367: ‹définif 9 Nous› à corriger en ‹défini 9 . Nous›. (18) §Q1 N1: «Chambon/ Jeandel 2022» est un renvoi orphelin (sans correspondance dans les références bibliographiques) à une source que nous n’avons pas été en mesure d’identifier; celle-ci a-t-elle bien été déjà publiée? Ou Q1 n’est-elle pas une notice inédite? (19) §R4 N1 et R14 N1: «Chambon/ Guillaume/ Jeandel» à corriger en «Chambon/ Jeandel/ Guillaume» (cf. p. 622). (20) §R4/ 4.5: «la forme la plus ancienne de la rivière» à corriger en «la forme la plus ancienne du nom de la rivière». (21) §R13 N1: «Chambon/ Castro Quintana 2019» est un renvoi orphelin. À ajouter p. 622: C hambon , J-P./ C aStRo q uintana , a. 2019. «Les types toponymiques oïliques Revenue , Revenu , et frm. revenue , terme de sylviculture», NRO 61, 69-78. (22) §S5 N1: ‹Chambon 2006b, 128-130; 2019, 134› à corriger en ‹Chambon 2006, 128-130; 2019b, 134›. (23) §V1/ 3: «dans le Hainaut et dans les départements français suivants: Yvelines, Nord, [...] Doubs, cantons de Fribourg et du Valais, Haute-Savoie, [...] Creuse» à corriger en «dans le Hainaut et dans les départements français suivants: Yvelines, Nord, [...] Doubs, Haute-Savoie, [...] Creuse, ainsi que dans les cantons de Fribourg et du Valais». (24) §V8/ 1.3.1: l’explication «c’est pourquoi nous avons noté * lo(ë)range et * Lo(ë)range dès notre titre» ne s’applique pas au titre de la notice (p. 571: « La Vie Lorage (Dambenoît-lès-Colombe), La Vie l’Orage (Ailloncourt); Étang de Lorange (Corravillers)») mais à celui de la contribution dont celle-ci représente une adaptation (cf. p. 622: «Chambon, Jean-Pierre/ Guillaume, Alain, 2016. «Des vestiges de frcomt. * lo(ë)range “lorraine” et * Lo(ë)range “Lorraine” dans la microtoponymie de la Haute-Saône? », NRO 58, 41-47»); à préciser. (25) §V11 N1: «Chambon/ Lozovoy 2019» (aussi p. 592) est un renvoi orphelin. À ajouter p. 622: C hambon , J.-P/ L ozovoY , é. 2019: «Noms d’anciens habitats conservés dans la microtoponymie du nord-est de la Franche- Comté: le cas de la Voie de Veau (Trémoins)», BullSHAARL 38, 114- 18. (26) P. 594: ‹(F1)› à ajouter derrière ‹ Fauverge ›. (27) P. 609: ‹(L14)› à ajouter à la suite de ‹* ume “lieu humide”›. (28) P. 618: ‹Chambon, Jean-Pierre, 2002b. [...] (Haute-Saône. [1]› à corriger en ‹Chambon, Jean-Pierre, 2002b. [...] (Haute-Saône). [1]›. (29) P. 621: ‹Chambon, Jean-Pierre, 2017d. [...] ZrP 133, 693-901› à corriger en ‹Chambon, Jean- Pierre, 2017d. [...] ZrP 133, 893-901›. Jérémie Delorme (Glossaire des patois de la Suisse romande, Neuchâtel) https: / / orcid.org/ 0009-0005-8449-0901 ★