lendemains
ldm
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.24053/ldm-2021-0034
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2021
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Pour une archéologie de l’image dialectique. La rencontre de Walter Benjamin avec Proust et les surréalistes
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2021
Stefano Marchesoni
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84 DOI 10.24053/ ldm-2021-0034 Dossier Stefano Marchesoni Pour une archéologie de l’image dialectique La rencontre de Walter Benjamin avec Proust et les surréalistes Parmi les concepts les plus importants du Livre des passages, on trouve sans doute celui d’image dialectique (dialektisches Bild). En lisant les principaux travaux critiques consacrés à ce sujet, on serait presque tenté de dire que ce concept surgit soudain vers la moitié des années 1930 par une sorte de création à partir du néant. Dans ce qui suit, je me propose au contraire de reconstruire une généalogie possible (il y en a sans doute plusieurs) de la notion très énigmatique d’image dialectique. Selon mon hypothèse, les racines de ce concept doivent être recherchées tout d’abord dans les essais écrits par Benjamin à la fin des années 1920, notamment celui sur Proust et celui sur le surréalisme. Même si l’expression dialektisches Bild n’y figure pas directement, on dirait que l’un des enjeux philosophiques de ces deux essais est bien la tentative de repenser de fond en comble le statut du Bild. En fait, ce que Benjamin appelle Bild n’est pas simplement une image, mais beaucoup plus: une véritable expérience composite qui, en agissant comme un seuil magique, ouvre dans le monde un espace ultérieur que l’on pourrait appeler, en faisant référence à la pensée de Gilles Deleuze, l’espace du virtuel, comme j’essayerai de le montrer. C’est donc une archéologie de l’image dialectique qu’il s’agira d’esquisser ici. Cette archéologie devra tenir compte pour commencer des traits qui marquent la spécificité du dialektisches Bild, notion qui malgré son rôle décisif à l’intérieur du Livre des passages reste problématique et difficile à définir. 1 On peut repérer toutefois au moins cinq caractéristiques distinctes qui nous aideront à l’éclaircir. Premièrement, l’image dialectique rend lisible le passé grâce à une sorte de „télescopage entre présent et passé“. 2 Elle coïncide donc avec le „Jetzt der Erkennbarkeit“ (GS V: 578, 591-592, 1038). 3 Et elle sera définie aussi comme „la mémoire involontaire de l’humanité délivrée“ („Das dialektische Bild ist zu definieren als die unwillkürliche Erinnerung der erlösten Menschheit“, WuN XIX, 141). Il y a donc un lien très étroit entre image dialectique et rédemption. Deuxièmement, l’image dialectique ne se situe pas dans le vaste domaine du visuel, mais sur le plan linguistique: „der Ort, an dem man sie antrifft, ist die Sprache“ (GS V, 577). Sa construction aussi bien que son épiphanie seront donc indissociables de la lecture. On ne voit pas les images dialectiques, on ne peut que les lire. 4 Par ailleurs - et c’est notre troisième point - l’image dialectique vient interrompre le flux des représentations comme une „césure“: „Es ist die Zäsur in der Denkbewegung“ (GS V, 595). La „dialectique“ ici en question a une nature paradoxale: loin de cautionner le déroulement d’un processus qui aboutirait à une synthèse à même de pacifier les conflits, la dialectique envisagée par Benjamin interrompt le processus DOI 10.24053/ ldm-2021-0034 85 Dossier par le truchement d’une intensification de la tension entre les extrêmes. L’image dialectique pourra se révéler seulement là où la médiation échoue et la concomitance des deux déterminations opposées donne lieu à une situation inédite - et à sa façon explosive. Quatrième caractéristique: l’image dialectique est intimement liée au moment du réveil, même si elle peut s’épanouir en tant que „Traumbild“ (GS V, 55). On se heurte ici à une question qui est au cœur de la correspondance entre Benjamin et Adorno en 1935: est-ce que l’image dialectique doit être conçue comme un phénomène psychologique lié à l’inconscient collectif? 5 Sans entrer dans ce débat passionnant, qui va bien au-delà des limites de mon article, je m’en tiendrai à la dernière version de l’exposé Paris, capitale du XIX e siècle (1939), où il n’y a plus trace de l’idée d’un inconscient collectif et où Benjamin semble miser sur l’image dialectique comme antidote à la fantasmagorie capitaliste. Car la modernité resterait enfermée dans la fantasmagorie de la marchandise, tandis que l’image dialectique est censée rompre cet enchantement mortifère en nous réveillant du rêve mythique dans lequel nous sommes tombés malgré nous. D’où la nécessité pour Benjamin de marquer sa distance critique par rapport au surréalisme: „Während Aragon im Traumbereiche beharrt, soll hier die Konstellation des Erwachens gefunden werden“ (GS V, 571). Et encore: „Das Jetzt der Erkennbarkeit ist der Augenblick des Erwachens“ (GS V, 608). Mais à quoi bon se réveiller? Nous en arrivons finalement au dernier trait, le cinquième, qui marque l’originalité du dialektisches Bild. Le sens premier aussi bien que l’enjeu de ce réveil ne peut être que politique. L’image dialectique déploie pleinement sa puissance seulement lorsqu’elle déclenche et innerve une action collective. La XV e thèse sur le concept d’histoire nous en fournit la preuve flagrante: le souvenir des insurgés parisiens de 1830 qui, „au même moment et sans concertation“, tirent sur les horloges peut être vu comme un exemple parfait d’image dialectique, dans lequel tous les motifs que nous venons d’analyser se trouvent imbriqués et résumés. On appellera donc image dialectique la constellation formée par les thèmes suivants: mémoire (au sens tout à fait spécial de l’Eingedenken), 6 langage, interruption, rêve-réveil, action collective. Quand et comment cette constellation a-t-elle pris forme dans l’œuvre de Benjamin? Il me semble que l’année décisive est 1929 avec la publication à quelques mois d’intervalle des essais Der Sürrealismus. Die letzte Momentaufnahme der deutschen Intelligenz et Zum Bilde Prousts. En d’autres termes, c’est par la lecture croisée de la Recherche et des textes surréalistes, notamment Le Paysan de Paris d’Aragon et Nadja de Breton, que Benjamin réussira à se frayer un chemin vers une profonde redéfinition de ce qu’on appelle Bild. Ces deux essais devront donc être lus en parallèle, comme les deux volets d’une même recherche autour du statut de l’image. Avant de nous pencher sur l’analyse détaillée des motifs mentionnés, il faut souligner le point de départ commun à ces deux textes: lorsqu’on s’approche des œuvres de Proust aussi bien que de celles des surréalistes, on se retrouve confronté tout d’abord à une Erfahrung, à une expérience dans laquelle la distinction même 86 DOI 10.24053/ ldm-2021-0034 Dossier entre la littérature et la vie se retrouve brouillée jusqu’à disparaître. Ainsi, Benjamin présente les surréalistes comme „un cercle d’hommes étroitement unis [pour] faire éclater du dedans le domaine de la littérature en poussant la ‚vie littéraire‘ [Dichterisches Leben] jusqu’aux limites extrêmes du possible“ (Œuvres 2, 114). Et dans le premier paragraphe de l’essai sur Proust, il est justement question de sa vie, une vie dans laquelle tout „n’est pas parfait [musterhaft], mais tout y est exemplaire [exemplarisch]“ (Œuvres 2, 136). Benjamin choisit donc de présenter la Recherche au public allemand en esquissant un portrait (Bild) de son auteur, parce que „l’image de Proust est la plus haute expression physiognomonique que pouvait atteindre l’écart croissant entre la littérature et la vie“ (ibid.). Si les surréalistes s’aventurent „bis an die äußersten Grenzen des Möglichen“ (GS II, 296), Proust pour accomplir son œuvre s’était installé „im Herzen der Unmöglichkeit“ (GS II, 311). Dans un cas comme dans l’autre l’expérience littéraire se trouve soumise à une intensification telle qu’elle se fait forme de vie. Ce qui est d’ailleurs souligné par le fait que les deux essais s’achèvent respectivement sur la souffrance physique (Leiden) de Proust et sur l’idée d’une „innervation corporelle de la collectivité“ chez les surréalistes. On dirait que la littérature arrive à s’inscrire ici dans le corps même de l’écrivain, conformément à une perspective critique assez originale que Benjamin qualifiera de „matérialisme anthropologique“. À la recherche du „monde déformé dans l’état de ressemblance“: Proust La centralité du motif de l’image dans l’essai sur Proust est clairement révélée par son titre: Zum Bilde Prousts. Étrange titre, qui se prête à deux lectures différentes selon l’interprétation du génitif: objectif ou subjectif? Dans le premier cas on pourrait traduire Pour un portrait de Proust, tandis que dans le deuxième, plus subtil et peutêtre aussi plus pertinent, il faudrait entendre plutôt Sur l’image selon Proust, ou bien Sur le concept proustien d’image. On dirait que le choix de Maurice de Gandillac dans sa traduction (L’image proustienne) représente donc un compromis acceptable puisqu’il garde l’ambiguïté du titre allemand. C’est bien dans le cadre marqué par cette ambiguïté que le texte de Benjamin se déroule, en passant sans cesse de la physionomie de Proust (sa santé précaire, ses extravagances, son inassouvissable désir de bonheur...) à sa recherche d’un Bild qui ne se laisse pas tout à fait réduire à une simple image - et vice versa. Car la vie et l’œuvre de Proust seraient animées selon Benjamin par une nostalgie dévorante, par une Heimweh presque insoutenable: „Déchiré de nostalgie, il gisait sur son lit, nostalgique d’un monde altéré, transporté dans l’état de ressemblance où perce le vrai visage surréaliste de l’existence“ (Œuvres 2, 140). 7 Une première remarque s’impose au lecteur: non seulement Proust est présenté ici comme un grand écrivain surréaliste, ce qui représente déjà une proposition plutôt originale, mais Benjamin dans ce passage emploie la même expression („visage surréaliste“) qu’il avait utilisé dans l’essai sur le surréalisme (sorti en février 1929, tandis que celui sur Proust sera publié entre fin juin et début juillet de la même année), là où il écrivait DOI 10.24053/ ldm-2021-0034 87 Dossier que seule la révolte fait „entièrement ressortir le visage surréaliste“ de Paris. Pour ajouter juste après: „Et aucun visage n’est aussi surréaliste que le vrai visage d’une ville“ (Œuvres 2, 121). Mais qu’est-ce qu’un visage surréaliste? On pourrait l’imaginer peut-être comme une couche toujours déjà oubliée de l’expérience. Une couche foncièrement liée à l’enfance, constituée par un agrégat d’affects et percepts qui restent foncièrement inassignables, voire même indisponibles: unverfügbar, pour reprendre un concept récemment développé par Hartmut Rosa (2020). Depuis sa jeunesse Benjamin a toujours montré une profonde fascination pour cette dimension infantile, impersonnelle et pré-subjective de l’expérience. C’est bien de cette dimension qu’il s’agit dans une série de fragments écrits entre 1914 et 1919 sur les questions de la couleur et de la Phantasie. 8 On dirait que le monde ne pourra nous dévoiler son visage surréaliste que si nous nous laissons emporter par ces moments extatiques qu’il nous arrive de traverser dans de très rares occasions, pour s’échapper le plus souvent juste avant de s’épanouir. Par ailleurs, cette recherche du visage surréaliste de l’existence qui fascinait tant Benjamin sillonne tous les morceaux de la Berliner Kindheit um neunzehnhundert. La rédaction de ce recueil est en effet le résultat d’un apprentissage exigeant: en lisant et en traduisant Proust, Benjamin a non seulement découvert la puissance de la mémoire involontaire, mais il a appris également l’art d’accueillir les images offertes par cette faculté mystérieuse et bouleversante, de les chérir pour leur permettre de se déployer dans l’écriture. 9 Mais, pour revenir au passage cité plus haut, ce visage surréaliste, quoi qu’il en soit, il ne pourra se manifester que „dans un monde altéré, transporté dans l’état de ressemblance“. Maurice de Gandillac a essayé ici de traduire une expression très énigmatique: „der im Stand der Ähnlichkeit entstellten Welt“. Pourquoi „entstellt“? Et à quoi ressemble ce „Stand der Ähnlichkeit“? Qu’est-ce qu’un „état de ressemblance“? Pour ce qui concerne la notion de „entstellt“, il s’agit là sans doute d’une reprise du concept freudien de Entstellung, qui est au cœur de la Traumdeutung, notamment du chapitre IV („Die Traumentstellung“). 10 C’est dans nos rêves que nous avons la possibilité d’accéder à un monde déformé par rapport à la réalité dont nous faisons l’expérience en état de veille. On dirait tout de même que Benjamin ici nous invite à renverser cette perspective: cette Entstellung n’est pas simplement une déformation, elle nous permet plutôt de corriger notre vision habituelle du monde - une vision qui, en nous renfermant dans la dualité sujet-objet, nous empêche de percevoir tout ce foisonnement de sensations impersonnelles que l’écriture proustienne arrive en revanche à cerner et à décrire avec une étonnante précision. Voilà donc l’enjeu tout à fait surréaliste de la lecture benjaminienne de Proust: faire de la déformation non pas un mécanisme de défense qui est censé déguiser nos désirs inconscients, comme le voulait Freud, mais plutôt la clé de voûte pour avoir accès à cette couche oubliée de l’expérience qui est un agrégat des sensations sans sujet, une sorte de pur sentir anonyme. Ce monde déformé se trouve, on l’a vu, dans un „état de ressemblance“. En d’autres termes, à ce niveau pré-subjectif de l’expérience, on assiste à des relations 88 DOI 10.24053/ ldm-2021-0034 Dossier de ressemblance qui ne cessent de se tisser et de se défaire. Il faut quand même souligner que cette Ähnlichkeit est tout d’abord ancrée dans la dimension pratique et mimétique du corps, elle ne se situe pas sur le plan théorique de la contemplation et de la reconnaissance des objets. C’est précisément cela que Benjamin nous montre clairement dans l’essai sur la faculté mimétique (Lehre vom Ähnlichen, écrit en 1933). Avant même qu’un monde d’objets prenne forme, il y a tout un jeu de similitudes et de correspondances qui pourrait être décrit comme l’avoir-lieu du monde. Il s’agit là d’un Spielraum dans lequel des images jaillissent en frétillant selon une dynamique tout à fait anarchique. Ou mieux: ici la ressemblance est à elle-même loi et principe. Le „génie mimétique“ (GS II, 206) est ici le seul maître du jeu. Pourquoi Proust se livre-t-il à cette recherche obstinée du „monde déformé dans l’état de ressemblance“? Benjamin l’explique sans ambiguïté: Proust recherchait cette „frêle et précieuse réalité“ (eine gebrechliche kostbare Wirklichkeit) qu’on appelle ‚Bild‘. Finalement c’est bien le ‚Bild‘ qui „surgit de la structure des phrases proustiennes comme, à Balbec, des mains de Françoise tirant les rideaux de tulle, le jour d’été antique, immémorial, momifié“ (Œuvres 2, 141). On apprend ici premièrement que le ‚Bild‘ est une réalité (Wirklichkeit), non pas une simple reproduction de la réalité. Deuxièmement, cette réalité est indissociable du langage, vu qu’elle surgit „aus dem Gefüge der Proustschen Sätze“. En troisième lieu, il s’agit d’une réalité qui est toujours déjà vieille, voire immémoriale (alt, unvordenklich), telle qu’une momie ressuscitée (mumienhaft). L’idée de ‚Bild‘ en tant que réalité renvoie à l’œuvre sulfureuse de Ludwig Klages, un auteur que Benjamin avait lu attentivement (il l’appréciait beaucoup d’ailleurs en tant que graphologue, au point de l’inviter à tenir une conférence pour la Freie Studentenschaft à l’été 1914). Dans Vom kosmogonischen Eros (1921), Klages explore de façon originale les liens primordiaux entre désir érotique, ivresse (Rausch) et image. 11 Parmi les expressions qu’il utilise pour décrire la vision extatique des images, certaines seront reprises littéralement par Benjamin, notamment le verbe aufblitzen: selon Klages, les images éclatent de façon imprévisible, comme des éclairs. Vu leur caractère d’apparitions impromptues, les images risquent de s’éclipser sans laisser aucune trace de leur passage: elles sont extrêmement fugaces et fragiles (gebrechlich, comme l’écrit Benjamin). D’où l’importance cruciale du langage. Pour revenir donc à Proust: une fois l’image surgie grâce à la mémoire involontaire, ce sera au langage d’essayer de la garder, de lui apprêter un espace où elle puisse finalement s’épanouir. On dirait que le langage est donc une forme de Bildraum, d’espace-image. Ce qui trouve d’ailleurs confirmation dans le fait que les exemples de Bildraum choisis par Benjamin à la fin de l’essai sur le surréalisme sont de nature purement langagière: le mot d’esprit, l’injure, le malentendu (Witz, Beschimpfung, Mißverständnis). Dans l’espace-image ouvert par l’écriture proustienne, on assiste donc à l’avènement d’images immémoriales: „images que nous n’avions jamais vues avant de nous en souvenir“ (GS II, 1064; traduit par nous), précise Benjamin dans une annotation DOI 10.24053/ ldm-2021-0034 89 Dossier intitulée Aus einer kleinen Rede über Proust, an meinem vierzigsten Geburtstag gehalten (1932). Le Bild nous permet de retrouver le passé perdu: le passé en tant que passé, un passé pur qui n’aura jamais été présent parce qu’il n’est pas un ancien présent. Dans Différence et répétition, Gilles Deleuze se penche précisément sur ce genre de paradoxes lorsqu’il écrit à propos de Proust: Combray ne ressurgit pas comme il fut présent, ni comme il pourrait l’être, mais dans une splendeur qui ne fut jamais vécue, comme un passé pur qui révèle enfin sa double irréductibilité au présent qu’il a été, mais aussi à l’actuel présent qu’il pourrait être, à la faveur d’un télescopage entre les deux. Les anciens présents se laissent représenter dans la synthèse active par-delà l’oubli, dans la mesure où l’oubli est empiriquement vaincu. Mais là, c’est dans l’Oubli, et comme immémorial, que Combray surgit sous forme d’un passé qui ne fut jamais présent: l’en-soi de Combray. S’il y a un en-soi du passé, la réminiscence est son noumène ou la pensée qui l’investit (Deleuze 1968: 115). Combray surgit selon Deleuze „dans l’Oubli, et comme immémorial“: „unvordenklich“, nous disait déjà Benjamin, qui insiste justement sur le rôle fondamental de l’oubli dans la mémoire involontaire proustienne: „La mémoire involontaire [das ungewollte Eingedenken] de Proust n’est-elle pas, en effet, beaucoup plus proche de l’oubli que de ce que l’on appelle en général le souvenir? “ (Œuvres 2, 136). C’est donc au plus profond de l’oubli que l’on retrouve ce „monde déformé dans l’état de ressemblance“ qui est proche du monde du rêve (Traumwelt). Ce monde du rêve dans lequel, écrit Benjamin, „les événements surgissent, jamais identiques mais semblables: impénétrablement semblables à eux-mêmes“ (Œuvres 2, 140). Tout ce qui se passe dans la „Traumwelt“ se soustrait au principe d’identité. „Nie identisch“: voilà la devise déroutante de ce monde déformé. On se heurte ici à une énigme difficile à résoudre: comment quelque chose peut être „impénétrablement semblable“ à soi-même (undurchschaubar ähnlich) sans pour autant avoir une identité quelconque? Tout simplement parce qu’il ne s’agit pas d’une chose! C’est plutôt à des événements que nous avons affaire ici. Car Benjamin écrit précisément: „was vorgeht“. L’espace-image est donc peuplé par des images-événements qui jaillissent de la mémoire involontaire pour s’étaler de façon perceptible dans la prose proustienne. Ce colossal effort d’écriture reste toutefois enfermé dans l’intérieur d’une chambre bourgeoise boulevard Haussmann, tandis que les surréalistes essayeront de faire de l’espace-image un espace de partage, une aventure collective et politique. Pour sortir de la chambre de Proust, il nous faudra donc descendre dans la rue en compagnie des surréalistes. Sortir de l’intérieur bourgeois: l’espace-image des surréalistes Si l’œuvre de Proust est innervée par „son culte passionné de la ressemblance“ (Œuvres 2, 140) ainsi que par „une aspiration au bonheur, aveugle, insensée, fanatique“ (ibid.: 138), c’est plutôt autour de l’ivresse (Rausch) que tournent les péripéties 90 DOI 10.24053/ ldm-2021-0034 Dossier des surréalistes. Toutefois, selon Benjamin, l’enjeu reste le même dans les deux cas: l’exigence impérieuse de se frayer un chemin vers la „réalité des images“. Cette centralité des images se trouve déjà clairement étayée dans le tout premier texte benjaminien consacré au surréalisme: Traumkitsch, écrit en 1925 et publié en janvier 1927 dans la Neue Rundschau. Benjamin y affirme tout d’abord le lien profond et mystérieux entre les rêves et l’histoire: „Le rêve participe à l’histoire“ (Œuvres 2, 7). Mais ce qui nous intéresse tout particulièrement dans Traumkitsch est l’idée selon laquelle les rêves nous permettraient de saisir l’image des choses. Cependant, il ne s’agit pas de l’image des choses telles qu’elles sont, comme une sorte de copie pâle de la réalité matérielle, mais d’une image qui révèle ce qui restait imperceptible dans la chose et par là inaccessible aux sens, notamment le fait d’être usée, son „abgegriffenste Stelle“ (GS II, 620). Car dans le rêve la main se saisit des choses „par l’endroit le plus usé“ (an der abgegriffensten Stelle). Et Benjamin poursuit: „Le côté par lequel la chose s’offre au rêve, c’est le kitsch“ (Œuvres 2, 8). L’image onirique aurait donc un caractère étrangement tactile: elle nous permet de tâter les contours usés des choses, ou pour mieux dire de leurs images. Par conséquent l’obsession des surréalistes pour les rêves devrait être comprise comme la tentative de „pénétrer au cœur des choses abolies“ (ins Herz der abgeschafften Dinge vorzustoßen) (Œuvres 2, 9-10). Étrange renversement de la psychanalyse: tandis que l’attention de Freud se concentrait sur le psychisme individuel, les surréalistes, eux, „suivent moins la piste de l’âme que celle des choses“ (der Seele weniger als den Dingen auf der Spur) (ibid.: 10). Ce qui les passionne n’est rien d’autre que „la force du monde disparu des objets“ (die Kraft der abgestorbenen Dingwelt) (ibid.). Le grand essai sur le surréalisme reprend et développe ce motif, qui en toute évidence a profondément inspiré le projet du livre sur les passages de Paris: Le surréalisme peut se glorifier d’une surprenante découverte. Le premier, il a mis le doigt sur les énergies révolutionnaires qui se manifestent dans le ‚suranné‘ [die revolutionären Energien, die im ‚Veralteten‘ erscheinen], dans les premières constructions en fer, les premiers bâtiments industriels, les toutes premières photos, les objets qui commencent à disparaître [auszusterben], les pianos de salon, les vêtements d’il y a cinq ans, les lieux de réunion mondaine quand ils commencent à passer de mode. Le rapport de ces choses à la révolution, voilà ce que ces auteurs ont mieux compris que personne (Œuvres 2, 119). De quelles „énergies révolutionnaires“ s’agit-il ici? Dans quel sens les choses démodées cacheraient-elles quelque chose comme un potentiel politique explosif? C’est peut-être à cause du fait que le „suranné“ (das Veraltete, terme souligné dans le texte par l’usage des guillemets) vient déranger notre présent, voire notre adhésion naïve au présent, en ouvrant au sein de ce présent une petite brèche, une sorte de trou qui pourrait interrompre, fût-ce pour quelques instants, le déroulement habituel de nos actions. En se faufilant dans cette brèche, les surréalistes arrivent à démanteler cette fantasmagorie que nous appelons ‚réalité‘. En s’accrochant aux objets DOI 10.24053/ ldm-2021-0034 91 Dossier démodés, ils vont pouvoir s’aventurer dans une expérience inouïe que Benjamin décide d’appeler ‚Bildraum‘, terme que Maurice de Gandillac propose de traduire par ‚espace d’images‘ - tandis que, pour en garder la spécificité, il faudrait rendre à mon avis littéralement par l’expression ‚espace-image‘. Pour essayer d’éclaircir ce concept élusif, sans aucune prétention d’en épuiser l’exceptionnelle densité, il nous faudra examiner attentivement le tout dernier paragraphe de l’essai sur le surréalisme. On assiste là à une accélération soudaine dans la prose de Benjamin, accélération qui touche à son paroxysme avec l’allégorie qui clôt le texte: celle du „cadran d’un réveil qui sonne chaque minute pendant soixante secondes“ (Œuvres 2, 134) - troublante allégorie qui défie l’interprète. On dirait qu’ici le style choisi par Benjamin a quelque chose de mimétique, comme Irving Wohlfarth l’avait déjà remarqué à propos du Fragment théologico-politique: 12 l’écriture atteint un tel niveau d’intensité qu’elle semble se métamorphoser en geste politique, en appel impérieux à se livrer au collectif pour se soulever sans hésitation. Mais qu’est-ce donc que l’espace-image? Benjamin le décrit d’abord comme le „monde d’une actualité universelle et intégrale“ (die Welt allseitiger und integraler Aktualität), c’est-à-dire comme „le monde messianique“ (GS I, 1235), selon une note que l’on retrouve dans les manuscrits rédigés pendant le travail aux thèses sur le concept d’histoire. L’actualité dont nous parle Benjamin n’a strictement rien à voir avec l’usage surmené qu’on fait de ce terme dans nos sociétés de l’information automatique, où la consommation boulimique des ‚actualités‘ fait partie de nos habitudes les plus courantes. En revanche, il s’agit là d’une interruption du flux permanent des informations grâce au surgissement d’une image dans la mémoire involontaire, comme on l’a vu en parlant de Proust. Ce monde de l’actualité intégrale qui est donc l’espace-image s’ouvre, poursuit Benjamin, „dans le mot d’esprit, dans l’injure, dans le malentendu, partout où une façon d’agir [ein Handeln] engendre et constitue elle-même l’image, l’engloutit et la dévore“ (Œuvres 2, 133). Le Witz, la Beschimpfung, le Mißverständnis: l’espaceimage s’éclot donc tout d’abord sur le plan linguistique. 13 Mais dans les trois cas mentionnés ici, le langage semble sortir brusquement du cadre sémantique de la signification pour se faire événement. Mot d’esprit, injure et malentendu ne renvoient à rien en dehors de leur propre avoir lieu. Dans les trois cas il se passe quelque chose qui interrompt la communication en bouleversant la situation donnée. Il faudra donc essayer de composer avec, en improvisant. Ces événements de langage nous bousculent comme des gestes dont on ne connaît pas la signification. Il nous faudra l’inventer chemin faisant. Ces événements de langage peuvent donc légitimement être décrits par Benjamin comme expressions d’un „Handeln“ qui ne renvoie à aucun sujet: il s’agit d’un agir anonyme et sans sujet, cependant très inventif et fructueux. Cet agir n’est en fait rien d’autre que l’espace-image lui-même: comme le souligne Benjamin, le „Handeln“ extrait de soi-même l’image (aus sich herausstellt). Mais attention au coup de théâtre suivant: une fois produite l’image, l’agir en question va tout de suite l’arracher, ou mieux l’emporter avec soi (in sich hineinreißt) pour finalement la dévorer (frißt). C’est une sorte de drame dionysiaque en trois mouvements 92 DOI 10.24053/ ldm-2021-0034 Dossier qui se déroule ici sous nos yeux: aus sich herausstellen, in sich hineinreißen, fressen. Le moins qu’on puisse dire, c’est que dans ce drame l’image n’arrive pas à se dresser en quelque chose d’autonome et d’autosuffisant. Elle reste inséparablement liée à l’action dans son avoir lieu. On dirait qu’elle n’est rien d’autre que l’expression immédiate de l’agir. Curieux renversement de l’idée de Sorel selon laquelle le prolétariat aurait besoin d’un mythe, c’est-à-dire d’un ensemble d’images, pour passer à l’action. Benjamin, qui connaissait très bien les Réflexions sur la violence (1908), ne partage pas l’enthousiasme de Sorel pour les mythes, malgré son admiration pour le mythe de la grève générale prolétarienne. 14 C’est bien le caractère véritablement sublime de ce mythe qui l’intéresse: sublime, donc trop puissant pour être réduit à un ensemble d’images, fussent-elles intensément révolutionnaires. On dirait donc que par le truchement de l’espace-image Benjamin cherche à purifier l’idée sorelienne du mythe qui risquait de prêter le flanc à une sorte de fétichisme narcissique du prolétariat en action. Il faut le rappeler encore une fois: l’espace-image ne doit pas „être exploré sur le mode de la contemplation“ (ist kontemplativ überhaupt nicht mehr auszumessen) (Œuvres 2, 133). Tout cela implique logiquement une conséquence politiquement cruciale: le Bildraum sera nécessairement Leibraum, un „espace-corps“ (traduction littérale qui encore une fois me semble mieux rendre justice à l’original que celle de „espace corporel“ choisie par Maurice de Gandillac). L’insistance de Benjamin sur la dimension corporelle de l’action politique est symptomatique: son matérialisme anthropologique est une reprise originale de la philosophie de la praxis marxienne, qui en se méfiant des grandes médiations dialectiques d’ascendance hegelienne ose s’approcher le plus possible des affects suscités par le partage d’une expérience collective. C’est une politique du corps collectif qui est esquissée ici: „Auch das Kollektivum ist leibhaft“ (GS II, 310). Les surréalistes pourront donc nous apprendre les rudiments d’un matérialisme anthropologique par lequel, selon Benjamin, on pourra franchir les limites du „matérialisme métaphysique de Vogt et de Boukharine“ (Œuvres 2, 134). On le voit très bien ici: le concept de matérialisme anthropologique est manié par Benjamin tout d’abord comme un outil critique et polémique qui doit lui permettre de mieux déblayer le terrain par rapport au marxisme dogmatique. Il suffit d’examiner l’étrange filiation proposée par Benjamin pour ressentir une sorte de choc (je propose ici une traduction à la lettre de l’original allemand): Le matérialisme métaphysique légué par Vogt et Boukharine ne se laisse pas traduire sans discontinuité dans le matérialisme anthropologique tel qu’il a été mis en pratique par l’expérience des surréalistes, et précédemment par celle d’un Hebel, d’un Georg Büchner, d’un Nietzsche, d’un Rimbaud (GS II, 309-310). Pour mieux comprendre le sens du matérialisme anthropologique, il faudrait donc essayer d’expliquer clairement ce que des auteurs aussi différents que Hebel, Büchner, Nietzsche, Rimbaud, Breton et Aragon (auxquels on devrait ajouter aussi DOI 10.24053/ ldm-2021-0034 93 Dossier Marcel Proust) ont en commun. Tâche difficile, qui va bien au-delà des limites de cet article. Je hasarderai quand-même une réponse tranchante: dans tous ces auteurs, on ressent un même goût pour l’immédiat; ou mieux: la même attention pour le fait d’être affecté par un événement. Ce sont les événements dans leur singularité qui les fascinent: les événements et leurs effets inattendus sur les corps, non pas les narrations ou les explications qui sont censées donner un sens aux dits événements en les ramenant à leurs causes supposées. Par ailleurs, l’affect premier lié à l’événement n’est rien d’autre que l’ivresse, véritable pivot des péripéties surréalistes. C’est donc cette ivresse (Rausch), liée à l’immédiateté de l’événement, qui traverse comme un éclair sublime les écrits de Hebel, Büchner, Nietzsche, Rimbaud. Benjamin appelle cette ivresse très spéciale „illumination profane“ (profane Erleuchtung) (GS II, 297). C’est elle qui „nous familiarise“ (uns heimisch macht) avec l’espace-image. C’est en elle que corps et Bildraum s’interpénétreront „si profondément que toute tension révolutionnaire se transformera en innervation corporelle collective, toutes les innervations corporelles du collectif en décharge révolutionnaire“ (GS II, 310; traduit par nous). Ce que Benjamin essaie de saisir dans ce passage si difficile à décrypter est un phénomène bien mystérieux: il s’agit de l’avoir lieu d’un soulèvement à partir d’un affect collectif qui d’un coup circule parmi les corps en les mobilisant et en les entraînant dans une sorte de nouvelle dimension. Moyennant le concept physiologique d’innervation, que l’on retrouve souvent dans les écrits de Freud, Benjamin n’hésite pas à présenter l’action révolutionnaire comme un acte gratuit, imprévisible et impersonnel, comme un événement qui, telle qu’une décharge électrique, traverse les corps individuels pour les exposer à une sorte de métamorphose. 15 Grâce à cette innervation collective, poursuit Benjamin, „la réalité sera parvenue à cet autodépassement qu’appelle le manifeste communiste“ (hat die Wirklichkeit so sehr sich selbst übertroffen, wie das kommunistische Manifest es fordert). Comme Benjamin nous l’a déjà montré dans sa lecture de Proust, la ‚réalité‘ dont on parle couramment n’épuise en aucun cas la richesse de l’expérience, une richesse qui nous reste la plupart du temps cachée et inaccessible. De temps en temps, des épiphanies passagères nous rappellent qu’il y a bien plus que cette réalité. À l’instar de Proust, les surréalistes ont essayé de saisir ces épiphanies (ces illuminations profanes) pour construire à partir d’elles un espace-image que Breton appelait justement surréalité. En suivant Benjamin, il faut souligner que le sens de cette aventure poético-existentielle n’est pas du tout l’aménagement d’un paradis artificiel dans lequel se soulager de l’ennui causé par la routine, mais bien plutôt une révolte contre le monde tel qu’il est. Le partage collectif de l’ivresse prôné par les surréalistes est une anticipation ici et maintenant d’une forme de vie finalement autre, en d’autres termes: du communisme. Le concept de Bildraum est donc un concept éminemment politique par lequel Benjamin a essayé d’approfondir et de radicaliser sa critique du mythe, entamé au début des années 1920 avec sa Critique de la violence et surtout avec son essai sur les Affinités électives de Goethe. Ce qu’il appelle mythe, loin de se réduire à un 94 DOI 10.24053/ ldm-2021-0034 Dossier ensemble de narrations liées à des croyances religieuses, doit plutôt être compris, à l’instar de Roland Barthes, comme un mécanisme de naturalisation des rapports sociaux qui en occulte le caractère historique en nous contraignant par là à une sorte d’éternel retour du même. 16 Au cœur de ce mécanisme on trouve tout simplement l’image au sens du Schein: l’apparence qui nous séduit en nous assujettissant. Si le mythe est le triomphe de l’image-apparence (du spectacle, dirait Guy Debord), le Bildraum par contre est une sorte d’image-événement qui pourra finalement nous arracher à la contemplation passive des fantasmagories mythiques. Paradoxale antiimage, si par ‚image‘ on entend la „représentation ou reproduction de l’apparence visible des êtres et des choses“, selon la définition de l’Académie française. L’espace-image représente donc une étape fondamentale dans la recherche qui mène Benjamin jusqu’à l’élaboration du concept d’image dialectique. Cette dernière arrive d’une certaine façon à transposer sur le plan épistémologique la force explosive dégagée par l’espace-image sur le plan pratique. Puisqu’il s’agit d’une force, pour mieux en dessiner les contours on pourrait avoir recours au concept deleuzien du virtuel. Réel sans être actuel, le virtuel joue un rôle crucial dans la texture même du monde: „Le virtuel doit même être défini comme une stricte partie de l’objet réel - comme si l’objet avait une de ses parties dans le virtuel, et y plongeait comme dans une dimension objective“ (Deleuze 1968: 269). 17 Sauf que normalement le virtuel reste caché et inaccessible, exactement comme, dans la lecture benjaminienne de Proust, ce „visage surréaliste“ des choses lié au „monde déformé dans l’état de ressemblance“. En esquissant l’idée d’un espace-image, Benjamin nous pousse à imaginer une sorte d’expérience inouïe du virtuel en tant que tel. Quoi que l’on fasse de cette expérience, après l’avoir endurée le monde ne sera plus le même. Barthes, Roland, Mythologies, Paris, Seuil, 1957. Bischof, Rita, „Plädoyer für eine Theorie des dialektischen Bildes“, in: Klaus Garber / Ludger Rehm (ed.), global benjamin. Internationaler Walter-Benjamin-Kongress 1992, München, Fink, 1999, 92-123. Caygill, Howard, Walter Benjamin. The Colour of Experience, London / New York, Routledge, 1998. Debray, Régis, Vie et mort de l’image, Paris, Gallimard, 1992. Deleuze, Gilles, Différence et répétition, Paris, PUF, 1968. Hansen, Miriam Bratu, Cinema and Experience. Siegfried Kracauer, Walter Benjamin, and Theodor W. Adorno, Berkeley / Los Angeles, University of California Press, 2012. Kahn, Robert, Images, passages: Marcel Proust et Walter Benjamin, Paris, Kimé, 1998. 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La référence aux Gesammelte Schriften (Frankfurt/ Main, Suhrkamp, 1972sq.) sera donnée entre parenthèses par l’abréviation GS (suivie par le numéro de volume et l’indication de la page), celle aux Werke und Nachlaß (Berlin, Suhrkamp, 2008 sq.) par l’abréviation WuN, celle aux traductions françaises (Œuvres, 3 volumes, Gallimard, Paris, 2000) par l’abréviation Œuvres suivie par le numéro de volume et celui de la page. 2 „Telescopage der Vergangenheit durch die Gegenwart“ (GS V, 588). 3 On lit par exemple dans Zentralpark: „Das dialektische Bild ist ein aufblitzendes. So, als ein im Jetzt der Erkennbarkeit aufblitzendes Bild, ist das des Gewesenen [...] festzuhalten“ (GS I, 682). Cf. aussi GS V, 578. 4 „Das, was im ‚Bild‘ ‚abgebildet‘, zu ‚sehen‘ wäre, ist nicht da, entzieht sich immer schon und dieses Sich-Entziehen ist ein textuelles, in dem es sich zugleich ereignet“ (Menke 1994: 51). 5 Cf. la lettre de Adorno à Benjamin du 2 août 1935 (GS V, 1127-1136). 6 Sur le concept d’Eingedenken, je renvoie à Marchesoni 2016. 7 „Zerfetzt von Heimweh lag er auf dem Bett, Heimweh nach der im Stand der Ähnlichkeit entstellten Welt, in der das wahre sürrealistische Gesicht des Daseins zum Durchbruch kommt“ (GS II, 314). 8 Cf. GS VI, 109-129 (fragments d’esthétique qui tournent en large partie sur la question des couleurs et de la fantaisie) aussi bien que GS VII, 19-26 pour le texte Der Regenbogen. Gespräch über die Phantasie (1915). Sur ces fragments cf. Caygill 1998. 9 Sur les différents liens entre l’essai sur Proust et les morceaux de la Berliner Kindheit cf. Kahn 1998. 10 Sur le rapport Benjamin-Freud cf. Weigel 1997. 11 Il faut rappeler que le livre sur la puissance cosmogonique d’Eros est présenté par Klages lui-même comme l’approfondissement de son essai Vom Wesen des Bewußtseins (1921). Le chapitre 6 de ce dernier écrit („Die Seele als Bildseele“) est consacré à l’exaltation de la „Wirklichkeit der Bilder“. Benjamin fait référence à cet essai dans un fragment intitulé Schemata zum psychophysischen Problem (GS VI, 78-87). 12 „Die konstative Ebene ist auch hier von der performativen nicht zu trennen. Das Fragment setzt die restitutio, von der es spricht, selber um. Seine Sprache restituiert, übersetzt den Sprachleib. [...] Die Sprache hat gleichsam zur Un-mittel-barkeit zurückgefunden, ist wieder zum Medium geworden, hat im Einzelnen, der Walter Benjamin hieß […], sein Medium gefunden“ (Wohlfarth 2002: 201). 13 „Wenn Benjamin von einem Bild- und einem Leibraum spricht, so sind dies nicht zwei Räume, sondern einer, der als Sprachraum beide in einem konstituiert. Denn die Bilder sind 96 DOI 10.24053/ ldm-2021-0034 Dossier Sprachbilder (was nicht heißt, daß sie aus Wörtern bestehen müssen), und der Leib, an dem alle Bilder sich orientieren, ist ein sprechender, gesprochener und beschrifteter“ (Nägele 2005: 604). 14 Dans sa Critique de la violence Benjamin, après s’être arrêté longuement sur la distinction développée par Sorel entre grève politique et grève générale prolétarienne, non seulement présente cette dernière comme un „moyen pur“, donc comme forme exemplaire d’action non violente, mais il n’hésite pas à exalter cette idée comme „profonde, morale et authentiquement révolutionnaire“ (Œuvres 1, 213). 15 „In Benjamin’s dictionary, innervation broadly refers to a neurophysiological process that mediates between internal and external, psychich and motoric, human and machinic registers. These concerns - in particular the fate of the human sensorium in an environment altered by technology and capitalist commodity production - place the concept squarely in the framework of what Benjamin names the tradition of ‚anthropological materialism‘“ (Hansen 2012: 133). 16 „Si notre société est objectivement le champ privilégié des significations mythiques, c’est parce que le mythe est formellement l’instrument le mieux approprié au renversement idéologique qui la définit: à tous les niveaux de la communication humaine, le mythe opère le renversement de l’anti-physis en pseudo-physis“ (Barthes 1957: 252). 17 Sur le concept de virtuel dans Différence et répétition cf. Marchesoni 2019.
