lendemains
ldm
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.24053/ldm-2022-0014
925
2023
47186-187
Un parcours franco-allemand
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2023
Nicole Bary
ldm47186-1870015
DOI 10.24053/ ldm-2022-0014 15 Dossier Nicole Bary Un parcours franco-allemand Quand j’ai pensé à quitter l’enseignement à la fin des années 70, j’ai d’abord songé à ouvrir une galerie qui serait un lieu non seulement d’exposition, mais aussi de rencontres de plusieurs pratiques culturelles et artistiques. Mon expérience de coorganisatrice du Festival Peinture et Musique à Saint Hugues de Chartreuse m’avait orientée dans cette voie. Un ami m’a fait remarquer que „mon fonds de commerce“ était l’Allemagne, son histoire et sa littérature. Cette remarque pleine de bon sens m’a incitée à créer une librairie - avec un lieu d’exposition - pour en faire un espace d’échanges, de rencontres, de découvertes, de transmission de savoirs. C’est ainsi qu’est née la librairie Le Roi des Aulnes. Avec le recul il m’apparaît aujourd’hui que mon travail au cours de ces quarante dernières années a été en constante métamorphose, de la librairie à l’édition en passant par l’organisation de rencontres et de lectures d’écrivains sans oublier la traduction; les différentes étapes de ce travail, indissociables les unes des autres, l’une fécondant la suivante, peuvent cependant se résumer à quelques mots: transmission et passage, et aussi découverte et défrichage. Transmission de l’œuvre au lecteur, transmission de la parole de l’auteur au public, passage d’une langue à l’autre, transmission d’œuvres d’un territoire littéraire à un autre territoire. Découverte d’auteurs peu ou pas encore connus en France, défrichage de territoires littéraires méconnus. La librairie Le Roi des Aulnes: un lieu nouveau pour un nouveau dialogue „Librairie des pays de langue allemande“, tel était le sous-titre affiché sur la vitrine du Roi des Aulnes: cette précision peut sembler incongrue aujourd’hui. À l’époque aussi elle a provoqué de nombreuses questions. La plupart de ceux qui la posaient énuméraient rapidement trois pays ‚occidentaux‘, l’Allemagne (de l’ouest, la RFA ) l’Autriche et la Suisse (alémanique), mais le quatrième, la RDA , était généralement oublié. Je n’ai jamais eu - et je n’ai toujours pas - l’outrecuidance de penser que je débarquai sur une terre vierge au printemps 1980 à l’ouverture du Roi des Aulnes. Il existait déjà des départements de livres allemands dans des librairies universitaires ainsi que des librairies allemandes à Paris - dont bien sûr la librairie ‚historique‘ Martin Flinker fondée dans l’île de la Cité dès la fin de la guerre. Martin Flinker pouvait à juste titre s’enorgueillir d’avoir été, pendant plusieurs décennies, le médiateur entre les écrivains allemands et français et d’avoir œuvré à faire connaître la littérature germanophone de l’entre-deux-guerres et celle des émigrés, contribuant ainsi à une meilleure compréhension réciproque des deux pays dans une période difficile. Or, avec le temps, les échanges entre les écrivains français et allemands, les écrivains allemands et le public français s’étaient largement taris. Il me semblait important de poursuivre l’œuvre si magistralement initiée par Martin Flinker et de faire 16 DOI 10.24053/ ldm-2022-0014 Dossier connaître, traduire, de donner à lire les écrivains plus jeunes, nés juste avant, pendant ou après la guerre. Précédant ou accompagnant les profonds changements de la société allemande dans les années 60 et 70, ils avaient amorcé une véritable révolution en posant un regard sans compromis sur le passé allemand récent, entrepris un travail de deuil qui me paraissait d’autant plus important que la France et sa littérature s’enfonçaient dans l’amnésie. À la fin des années 70, la littérature contemporaine germanophone, y compris de RDA , était objet d’études et de recherches à l’université, sans toutefois trouver beaucoup d’échos hors des milieux universitaires, en particulier dans l’édition. Il faut aussi se souvenir que la germanistique française était depuis 1945, et encore bien plus depuis 1968, idéologiquement bipolarisée: deux blocs semblaient vouloir refléter la guerre froide. Une réception de la littérature ouest-allemande chez les uns, chez les autres celle de la littérature est-allemande. Rares étaient les électrons libres qui osaient aller de l’une à l’autre. Michel Cullin à qui nous rendons hommage était l’un d’eux. C’était aussi la ligne que je m’étais fixée. S’il était indispensable à mon sens que les quatre pays de langue allemande soient également représentés dans cette nouvelle librairie par leurs livres, en langue originale et en traduction, je voulais néanmoins mettre l’accent sur la littérature de la RDA , insuffisamment connue et traduite à l’époque. Je me souvenais de mon malaise pendant certains cours de la Sorbonne dans le cadre de ce qu’on appelait alors „Études pratiques“, en réalité des cours d’histoire et de civilisation, qui faisaient une impasse totale sur les territoires à l’est de l’Elbe, évoquant dans un même souffle la RDA („Die Zone“) et les territoires octroyés à la Pologne et l’ URSS à Yalta: tous les territoires perdus en somme! En 1961 étudiante à Munich, j’ai mesuré le désarroi de mes camarades d’études berlinois, de retour de Berlin après les vacances d’été, après la construction du mur: leur ville défigurée, coupée en deux signifiait l’impossibilité de se rendre dans la partie orientale de la ville où vivaient une partie de leur famille ou leurs amis. Le Roi des Aulnes: un lieu de rencontres par-delà les obstacles Organiser à la librairie des rencontres et des lectures d’écrivains faisait également partie de mon projet. Je rappelle que dans les années 70/ 80, la lecture d’auteur n’était pas une pratique courante en France alors qu’elle l’était dans les pays germanophones. Pour préparer l’ouverture de la librairie, j’avais dans les années précédentes noué des contacts avec des éditeurs ‚engagés‘ comme Klaus Wagenbach, le collectif de Rotbuch, Hans Altenhein et Ingrid Krüger, les éditeurs de Luchterhand Literaturverlag, ou Christoph Schlotterer chez Hanser, qui se sont intéressés à la dimension culturelle de mon projet, au-delà de son aspect commercial. Soit dit en passant, la plupart de ces éditeurs, écrivains eux-mêmes, étaient désireux d’entretenir, voire de renouer, le dialogue avec des écrivains et intellectuels français. J’ai également fait la connaissance de quelques auteurs, sociétaires de la Autorenbuchhandlung de Francfort et de Berlin-ouest, dont Peter Härtling, Lothar Baier et DOI 10.24053/ ldm-2022-0014 17 Dossier Erich Fried, qui se sont révélés des soutiens indéfectibles du Roi des Aulnes. Peu à peu le projet a pris de l’ampleur et d’autres pierres angulaires sont venues s’ajouter comme le libraire et éditeur de Graz Max Droschl et le groupe des écrivains styriens autour d’Alfred Kolleritsch et de sa revue Manuskripte; les écrivains turcs germanophones autour de Zafer Şenocak et de sa revue Sirene; Heimrad Bäker et les Éditions Neue Texte à Linz ainsi que leur groupe de poètes avant-gardistes, en particulier Reinhard Priessnitz, qui a inauguré la tradition des lectures à la librairie; sans oublier Heinz Ludwig Arnold et son équipe de Text und Kritik. En ce qui concerne la RDA , tout a été un peu plus compliqué, mais le collectif de Rotbuch et les éditeurs de Luchterhand, qui depuis peu publiaient sous licence quelques écrivains de RDA , de même que Peter Härtling et Erich Fried, et aussi le traducteur et poète ami Alain Lance m’ont ouvert certaines portes, celle de Christa Wolf entre autres; le metteur en scène Bernard Sobel qui avait travaillé comme dramaturge à la Volksbühne aux côtés de Benno Besson et dirigeait entretemps le théâtre de Gennevilliers, m’a mise en contact avec Christoph Hein. Sur le papier, quarante ans plus tard, les choses semblent très simples. Mais à l’époque, il fallait compter avec les arcanes compliqués de la RDA , les pressions de son ambassade et plus tard celles de son Centre culturel à Paris. Depuis les années 60 j’étais déjà allée à plusieurs reprises en RDA , sans toutefois réussir à créer de vraies relations avec des habitants. Ma connaissance du pays était surtout livresque, littéraire, celle que m’avaient transmise des romans, poèmes, essais de Christa Wolf, Brigitte Reimann, Stefan Heym, Klaus Schlesinger, Volker Braun, entre autres. En RDA , les livres, surtout les livres de Belletristik, étaient un bien rare et très convoité. Bien avant leur mise en librairie, les lecteurs avaient déjà passé commande chez leurs libraires et souvent leurs commandes dépassaient le nombre d’exemplaires attribués à chaque librairie par le tout puissant Leipziger Kommissions- und Großbuchhandelsgesellschaft ( LKG ), l’organe - monopole d’état - de diffusion des maisons d’édition de RDA . C’est donc avec le département international de cet organisme installé à Leipzig, Buchexport, que j’ai dû prendre contact. J’allais bientôt m’apercevoir que le LKG avait un mode de fonctionnement surprenant. Pour une commande de cinq exemplaires de certains romans très demandés par la clientèle parisienne, je recevais six semaines, voire deux ou trois mois plus tard, un ou deux titres commandés et d’autres livres, en quantité ceux-là et qui n’avaient pas été commandés, comme Berlin, Hauptstadt der DDR ou Unsere schöne DDR , ou encore des romans d’auteurs connus pour être les thuriféraires du régime, voire des livres de propagande. La facture stipulait que le LKG ne tolérait aucun retour. Cette pratique commerciale obligeait donc la librairie à accepter des livres qu’elle ne voulait pas. C’est ainsi qu’un bras de fer s’est engagé dès le début avec cet organisme. Mes tentatives de négociation n’ont pas abouti puisque le LKG a fini par cesser de livrer la librairie. J’ai dû avoir recours à son commissionnaire à Berlin-ouest. Et curieusement, les livraisons ont repris juste avant la visite officielle d’Erich Honecker à Paris en janvier 1988! 18 DOI 10.24053/ ldm-2022-0014 Dossier Faire venir les écrivains est-allemands s’est avéré bien plus difficile encore. Parfois les écrivains ne recevaient tout bonnement pas mon invitation. Parfois le visa de sortie du territoire leur était refusé. Parfois deux envoyés du Centre culturel ou de l’ambassade venaient me prévenir que les auteurs ne pourraient pas venir, car „ils n’avaient aucune envie de venir à Paris“ ou „parce que la France leur refusait l’entrée sur son territoire“ (sic). Vérifications faites auprès des intéressés, il s’agissait la plupart du temps de courrier non distribué au destinataire, de demandes de visa de sortie du territoire qui s’étaient perdues dans le labyrinthe de l’administration estallemande. L’ambassade de France à Berlin, son ambassadeur Joëlle Timsit et son conseiller culturel Jean-Louis Leprêtre ont été d’une grande aide pour résoudre ces difficultés politico-administratives. Le prolongement du dialogue à travers l’association Les Amis du Roi des Aulnes Qu’il s’agisse de l’Allemagne de l’est, de l’ouest, de l’Autriche ou de la Suisse, ce sont toujours les livres, les échanges réguliers avec les auteurs qui ont nourri mon travail pour faire de la librairie un lieu de rencontres et de dialogue. En 1983, une association, Les Amis du Roi des Aulnes ( ARA ) a été créée pour accompagner et soutenir le travail culturel de la librairie, et prendre en charge l’organisation matérielle et financière des lectures et rencontres. Ceci n’a été possible qu’avec le soutien régulier d’institutions publiques françaises et allemandes. Qu’elles en soient remerciées. Des partenariats se sont plus ou moins rapidement mis en place, avec la Maison Heinrich Heine, le Centre culturel autrichien, la Maison des écrivains qui venait d’ouvrir à Paris et le Centre national du Livre, de même que certains instituts français à Francfort, Sarrebruck et Berlin-ouest entre autres, plus tard avec le Goethe-Institut et les Maisons franco-allemandes. De ces partenariats sont nées lectures, rencontres, mais aussi des manifestations d’ampleur comme, entre autres, la semaine des écrivains styriens, celle des écrivains turcs germanophones, des rencontres de poètes allemands et français et last but not least Les Lettres d’Europe et d’ailleurs. C’est également ainsi qu’est née une collaboration étroite avec la Direction du Livre du ministère de la Culture pour l’organisation les Belles Etrangères de la RDA , celles de l’Autriche et les programmes culturels des différents salons du livre de Paris qui ont accueilli des écrivains germanophones en 1989, 2001, sans oublier, en 2017, les rencontres d’écrivains français et allemands en amont de la Foire du Livre de Francfort. Une nouvelle étape: l’approfondissement du travail de traductrice et d’éditrice dans un cadre européen C’est la rencontre avec un livre, une écriture, un auteur qui a donné une nouvelle orientation à mon travail, je veux parler de Herta Müller et de Niederungen, paru en DOI 10.24053/ ldm-2022-0014 19 Dossier 1984 chez Rotbuch. Le choc esthétique et culturel a été tel que j’ai immédiatement éprouvé le désir de traduire ce texte, c’est-à-dire de lui trouver un éditeur. Après le refus de la plupart d’entre eux, c’est une petite maison d’édition qui s’est lancée dans l’aventure et m’a proposé la traduction du récit paru entretemps Der Mensch ist ein großer Fasan auf der Welt. Jusque-là je n’avais traduit que des récits ou des poèmes, de Rosa Ausländer par exemple, pour Le Nouveau Commerce, une revue littéraire de tradition et de belle tenue qui m’a soufflé l’idée, quelques années plus tard, de créer une revue des littératures allemandes LITTER all dont le premier numéro est sorti en 1989. Son objectif était - et demeure - de publier des inédits d’écrivains germanophones trop peu ou mal connus du public français. Au début des années 90, la librairie n’était plus compatible avec les nouvelles orientations que je voulais donner à mon travail. Je manquais de temps pour me consacrer aux trois activités que j’aspirais désormais à mener en parallèle: la traduction, l’édition et l’organisation de rencontres d’écrivains avec la participation des traducteurs et traductrices pour fidéliser aussi un public non germanophone dans le cadre de l’ ARA . J’ai choisi de remettre la librairie dans d’autres mains. Après la chute du Mur, la fin des régimes communistes dans les pays de l’est européen, il m’a semblé indispensable de placer les échanges littéraires francoallemands dans un contexte plus européen, d’organiser des rencontres non seulement avec des écrivains de ces deux espaces linguistiques, mais aussi avec un pays tiers, surtout de l’est européen si mal connu en France, de créer un dialogue est/ ouest, et aussi nord/ sud. Ainsi sont nées des rencontres franco-germano-polonaises à Paris et à Wrocław, franco-germano-bulgares à Sofia, Paris et Potsdam, franco-germano-espagnoles à Nantes et à Séville, sans oublier des rencontres franco-germano-turques à Istanbul et Marseille, et enfin à Aix-en-Provence le festival Les Lettres d’Europe et d’ailleurs. Ces rencontres annuelles qui réunissent depuis le début des années 2000 autour d’auteurs francophones et germanophones des écrivains du sud et de l’est européen mettent en évidence les convergences ou les divergences thématiques et esthétiques des différentes littératures européennes. Si leur but est naturellement de contribuer à faire connaître les œuvres et leurs auteurs, elles sont aussi l’occasion de rencontres des écrivains entre eux, l’occasion pour eux de se lire et de mieux se connaître, et il n’est pas rare qu’à cette occasion des échanges et des relations durables se nouent entre eux. À la suite de rencontres d’écrivains berlinois, puis d’écrivains estet ouest-allemands à Strasbourg que j’avais coordonnées en 1985/ 1986, un éditeur strasbourgeois, La Nuée bleue, m’a sollicitée pour une collection de littérature allemande centrée sur la littérature de RDA . Mais après la chute du Mur de Berlin, la littérature de RDA et la littérature allemande en général n’intéressaient plus beaucoup le public français. La collection s’arrêta. Une éditrice très engagée dans la publication des littératures étrangères, surtout des littératures latino-américaines, m’offrit de continuer dans sa maison le travail entrepris à Strasbourg. C’est ainsi qu’est née la „Bibliothèque allemande“ aux éditions Métailié. À ce jour elle compte une trentaine d’auteurs, une cinquantaine de livres ont été publiés. Parmi eux: Christoph Hein, 20 DOI 10.24053/ ldm-2022-0014 Dossier Herta Müller, Melinda Nadj Abonji, Anna Seghers, Vladimir Vertlib, Thomas Melle, Marcel Beyer, SAID , Maja Haderlap, Sherko Fatah, Natacha Wodin, Volker Braun, Kristof Magnusson, Galsan Tschinag etc. Si bon nombre d’écrivains publiés dans la „Bibliothèque allemande“ ont choisi de vivre et d’écrire en Allemagne, en Autriche ou en Suisse alémanique, leur langue maternelle est le persan, le hongrois, le touva ou le russe. Ce n’est pas un hasard; c’est un choix éditorial. Leur parole, leur écriture a profondément modifié le paysage littéraire germanophone au début du XXI ème siècle, tant par leur esthétique que par les thèmes qu’ils abordent. Ces écrivains ont une autre histoire, leurs repères littéraires et culturels sont à la fois dans l’espace germanophone et hors de cet espace. L’histoire récente de l’Allemagne, celle de la division et de la réunification, a fortiori celle des années brunes et de la culpabilité n’est inscrite ni dans leur biographie ni dans celle de leur famille. Leur histoire est celle du déplacement, du changement de perspective, de la relativité de toute perspective. Ils sont des passeurs et passeuses de frontières, leur écriture est habitée par les langues de leur enfance, leurs rythmes, leurs métaphores, leurs images. Elle distord et enrichit la langue et la littérature qui la reçoit. Avant de conclure, je voudrais évoquer à nouveau Michel Cullin et saluer l’immense travail qu’il a accompli pendant son mandat à l’ OFAJ . Il a ouvert des horizons nouveaux en désenclavant cette institution du cadre franco-allemand devenu un peu étroit au fil du temps, en suscitant des projets avec des pays tiers. Il a œuvré sans relâche pour placer les échanges culturels franco-allemands, et en particulier littéraires, au sein des échanges européens, sans oublier que les intellectuels et artistes russes, ukrainiens, biélorusses, turcs, ceux des deux rives de la Méditerranée appartiennent aussi à ce territoire culturel. Libraire, traductrice, éditrice ne sont pas seulement des étapes, mais surtout les facettes d’un même projet: découvrir, créer des contacts, établir le dialogue, transmettre. Dans sa méditation sur l’acte de traduire, la poétesse et traductrice Mireille Gansel compare les traducteurs à des pasteurs qui font transhumer leurs brebis d’un territoire à un autre. Oui, les traducteurs font transhumer les mots d’une langue à l’autre, d’un humus, d’un terreau à un autre où ils pourront comme dans l’original s’épanouir. Un peu différemment. Dans une autre langue. Et au cours de cette transhumance, en passant d’une terre à une autre, d’une langue à une autre, ils accomplissent l’acte fondamental de l’écriture, la mise à distance fondatrice „qui donne à voir le familier dans l’étranger et l’étranger dans le familier“. Pour moi, traduire est l’expérience même de l’altérité, non pas seulement parce qu’en traduisant, on va à la rencontre de l’autre, mais parce que traduire, comme écrire, signifie une prise de conscience de l’altérité en soi, de la différence entre soi et soi, la découverte de ce lieu intime où se fonde la créativité de chacun.
