eJournals lendemains 47/186-187

lendemains
ldm
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.24053/ldm-2022-0030
925
2023
47186-187

Malaise devant l’avenir

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2023
Jan Knobloch
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160 DOI 10.24053/ ldm-2022-0030 Dossier Jan Knobloch Malaise devant l’avenir Remarques sur une constellation contemporaine L’identification du ‚malaise face à son propre présent‘ comme ‚fil rouge‘ 1 qui se tisse à travers la littérature française du moment est tentante. On peut néanmoins être frappé par le mot ‚présent‘. Lorsqu’on pense aux nombreuses œuvres appartenant au registre de la dystopie, de la (post-)apocalypse ou du catastrophisme écologique, la question se pose de savoir s’il n’existe pas une variante de ce sentiment qu’on pourrait appeler plutôt un malaise face à son propre avenir. Loin des scénarios spectaculaires qui peuplent les films et les séries à gros budget, certains textes d’Antoine Volodine ou de Michel Houellebecq, de Marie Darrieussecq (Notre vie dans les forêts, 2017) ou d’Olivia Rosenthal (Mécanismes de survie en milieu hostile, 2014), mais aussi une pièce comme Gaïa Global Circus (Pierre Daubigny / Bruno Latour / Frédérique Ait-Touati / Chloé Latour, 2013) 2 semblent être des expressions complexes de cette affectivité temporalisée. Existe-t-il donc un nouveau malaise dans la civilisation qui serait un malaise face à l’avenir? Et comment cela se négocie-t-il dans les textes littéraires? Les signes ou les symptômes révélateurs de ce malaise devant l’avenir ne sont pas difficiles à trouver aujourd’hui. En France, les discours catastrophistes, les narrations qui décrivent une fin imminente se multiplient. On peut penser aux mutations (de plus en plus désespérées) du discours écologiste, aux actions de Youth for Climate ou aux débats autour de la génération „child free“ (cf. Debest 2014; Cain 2020). Une des grandes tendances qui ont marqué le champ littéraire au cours de ces dernières années en France, au moins dans le domaine de la non-fiction, renforce le diagnostic: il s’agit de ce que les adeptes de l’effondrement appellent la „collapsologie“ ou l’„effondrisme“ (Rasmi/ Citton 2020). Compilant les alertes sur le futur, lancées par différentes disciplines, les collapsologues partent du principe que l’effondrement est inéluctable. D’après eux, sans s’en rendre compte, l’humanité aurait déjà pris les décisions qui lui feront franchir une multitude de seuils critiques dans un futur proche. Le malaise véhiculé par la collapsologie est donc d’abord celui d’une illusion de stabilité rompue. Après la parution de Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes (2015), vendu à plus de 100 000 exemplaires en 2021, un écosystème complexe de discours et de pratiques s’est formé autour de la notion de ‚collapsologie‘. Il inclut des imprimés et des textes en ligne, des conférences, un magazine „collapso“ et des ateliers de transformation intérieure qui proposent de faire ensemble le „deuil d’un monde qui meurt“ (Chamel 2019). Même s’il faut certainement critiquer le phénomène d’un point de vue philosophique (cf. Charbonnier 2019; Larrère/ Larrère 2020), ainsi qu’expliquer son succès d’un point de vue anthropologique en soulignant l’attrait du registre apocalyptique et d’un héritage New Age (cf. Chamel 2019), il est à prendre au sérieux DOI 10.24053/ ldm-2022-0030 161 Dossier en tant que moment culturel, comme étape dans l’histoire des mentalités. Les collapsonautes, selon Yves Citton et Jacopo Rasmi, sont les représentants d’un nouveau „grand récit“ (Citton/ Rasmi 2020: 14-19). Si le discours effondriste peut donc être lu comme symptôme des transformations du malaise, c’est parce qu’il indique une profonde modification de l’imagination du futur. Celui-ci n’apparait plus comme „espace d’espoir, de planification et d’organisation, [comme] lieu d’utopies“ (Horn 2014: 12, trad. J. K.), mais se résume principalement à l’image de la catastrophe. Il semble d’ailleurs qu’il ne s’agit pas que d’un phénomène de marketing. En France, d’après un sondage réalisé par l’IFOP en 2019, 65% des Français sont d’accord ou plutôt d’accord avec l’idée que „la civilisation telle que nous la connaissons va s’effondrer dans les années à venir“ (IFOP 2019: 5). Si on veut parler, dans ce cas, de malaise (et non de „Pretraumatic Stress Syndrome“, comme l’a proposé E. Ann Kaplan, 2016: 1sqq.), alors c’est d’un malaise qui s’inscrit toujours plus dans le présent en partant du futur: un futur qui se présente comme l’annonce de sa propre absence, un futur qui n’existe pas. Mais comment se représenter la puissance d’agir (agency) de ce qui n’existe pas? Au début de son livre Ghosts of my Life, Mark Fisher a proposé la figure du spectre comme noyau conceptuel d’un programme qu’il appelle, avec Jacques Derrida, la hauntology: 3 „think of hauntology as the agency of the virtual, with the spectre understood not as anything supernatural, but as that which acts without (physically) existing“ (Fisher 2014: 18). Le spectre est ici la figure d’une répression qui se réfère à un évènement futur, un objet imaginé, réprimé dans le présent (on n’y ‚croit pas‘) et qui revient à la surface comme symptôme spectral. Freud futuriste Freud ne pouvait pas concevoir ce malaise provenant d’un avenir effacé. Revenir sur son texte classique pour penser le malaise du présent, c’est surtout poser la question de sa conception du futur. Comme on le sait, dans Das Unbehagen in der Kultur (1930), Freud recourt avant tout au passé, notamment à une reconstruction sommaire des premiers actes culturels (la marche debout ou la maitrise du feu) pour établir son modèle de l’évolution de la culture. Cette évolution va dans le sens d’une augmentation du renoncement aux pulsions, imposée par le regroupement progressif des individus. Pour Freud, le présent de 1930 est caractérisé par une hausse massive du sentiment de culpabilité. Elle provient du conflit entre les désirs de l’individu (érotiques et destructifs) et le surmoi (individuel et collectif). Ce qui rend le surmoi d’autant plus inquiétant dans la perspective du futur, c’est qu’il ne consiste pas seulement en des normes et des interdictions du père ou de la société. Il comprend aussi les pulsions auxquelles l’individu a renoncé et qui sont par la suite reportées sur son intérieur pour s’ajouter au surmoi. Par conséquent, la censure qui nous attaque de l’intérieur deviendrait plus stricte avec chaque renoncement. Pourtant, Freud ne s’attarde pas trop longtemps sur la question de savoir comment cette dynamique se développera si elle perdure indéfiniment dans le futur. Il semble la concevoir de deux manières qui ne sont pas toujours compatibles. 162 DOI 10.24053/ ldm-2022-0030 Dossier D’une part, on trouve chez Freud l’idée d’un développement linéaire. Le progrès technologique engendre en même temps une croissance du malaise, en ce sens que „le progrès de [la civilisation] se paie d’une perte de bonheur, du fait de l’accroissement du sentiment de culpabilité“ (Freud 2010: 155). C’est là l’interprétation courante du Unbehagen comme texte assez sombre et pessimiste. Et Freud, en 1930, pense surtout au danger représenté par les mouvements régressifs qui propagent de retourner derrière la culture pour se débarrasser de son malaise, comme les Lebensreformer ou les national-socialistes. D’autre part, une deuxième manière de concevoir le futur se trouve dans les marges. Elle reste presque cachée, et il est curieux de noter combien elle se heurte au pessimisme apparent du texte. À plusieurs reprises, Freud semble dire qu’un progrès dans l’économie des pulsions est en fait concevable. Lorsqu’il distingue, dans la section cinq, la critique légitime de la culture de ce qu’il appelle la „Kulturfeindlichkeit“ (le „point de vue […] hostile à la civilisation“, ibid.: 80), Freud manifeste une croyance modérée en l’avenir qui est celle de la bourgeoisie de son époque. Elle fait surface à plusieurs reprises: „Nous pouvons espérer imposer peu à peu à notre culture des modifications qui satisfassent mieux nos besoins et qui échappent à cette critique.“ 4 Freud voit bien que cet optimisme caché l’oblige à historiser sa théorie. Ainsi, dans la dernière section, la croyance que la contradiction entre individu et société serait immuable est comparée à l’illusion d’optique de „l’œil stupide“ qui croit que les constellations des étoiles seraient „figé[es] dans un ordre éternellement identique“ (ibid.: 165). 5 Cette métaphore planétaire suggère des mouvements de l’histoire qui dépassent la perception humaine. C’est dans ce contexte que Freud exprime, avec le plus de clarté, son espoir que la contradiction entre le développement individuel et la formation de la civilisation, qu’il qualifie de „querelle dans la gestion de la libido“ [„Zwist im Haushalt der Libido“], puisse trouver un équilibre dans „l’avenir de la civilisation“ [„Zukunft der Kultur“] - „même si elle [la querelle] pèse présentement si lourd sur la vie individuelle“ (ibid.: 166). Si Freud reste bien entendu sceptique envers les utopies des socialistes et des „communistes“ (ibid.: 121) qui promettent d’abolir d’un coup socialement des contradictions qu'il estime psychologiques, on n’est pas loin ici de l’espoir d’une certaine perfectibilité de la société. Ce qu’il faudrait montrer ensuite, c’est que cette perfectibilité se base, en dernière instance, sur la définition freudienne de la culture ellemême. Celle-ci est déterminée comme négation de la nature: elle comprend „toutes les activités et les valeurs qui sont utiles à l’être humain en mettant la terre à son service [ihm dienstbar machen], en le protégeant contre la violence des forces naturelles, etc.“ (ibid.: 85). Dans la perspective généalogique de 1930, la nature apparait comme danger, ainsi que comme une ressource à exploiter. Elle se réduit à ce qui est „utile“ à l’homme lorsqu’elle est bien domestiquée. C’est dans cette construction classiquement moderne du terme ‚nature‘ que réside le penchant optimiste de l’essai de Freud. Elle est conçue comme „catégorie non codée“ (Latour 2015: 26), c’est-àdire comme réservoir éternel de développement. La métaphysique moderne d’un DOI 10.24053/ ldm-2022-0030 163 Dossier homme séparé du monde non-humain promet la résolution du conflit psychique dans le futur. Dans la psychanalyse des vingt dernières années, l’évolution du malaise actuel a surtout été discutée en termes d’une libération problématique du désir individuel. Celui-ci se débarrasserait du surmoi limitant. Dans son livre Apocalypses sans royaume (2013), Jean-Paul Engélibert retrace cette historisation du malaise dans les travaux de psychanalystes comme Jean-Pierre Lebrun, Charles Melman, Marie- Jean Sauret ou François Richard (cf. Engélibert 2013: 80-84). „Pour eux“, note Engélibert, „ce qui caractérise notre période se résume au harcèlement de la limite et de la figure qui l’incarne: le père“ (ibid.: 80). Le père n’est plus une figure qui limite ou qui censure le désir, mais „celui qui donne l’exemple de sa satisfaction“ (ibid.). Cette nouvelle situation serait donc caractérisée par „la fin de l’économie psychique organisée autour de la limite“ (ibid.) et par la manipulation de l’individu par les objets auxquels il est livré. Dans ce contexte, le fardeau d’être civilisé se déplace de la culpabilité vers la responsabilité d’être soi, de l’interdiction vers la demande d’initiative individuelle (cf. Ehrenberg 2000: 9-21). Si la deuxième moitié du XX e siècle est donc marquée par la suspension de la limite et par l’inscription de l’impératif de consommation dans le surmoi, la figure de la limite revient avec force vers la fin du XX e siècle (pensons notamment à la notion des „limites planétaires“ ou aux „planetary-scale tipping points“; cf. Barnosky et al. 2012). Cette réapparition de la limite est accompagnée de toutes les résistances que l’on peut attendre d’un tel retour du surmoi. Elles peuvent prendre la forme de la négation, du rejet agressif ou du refoulement dans le climato-scepticisme, par exemple. Cependant, il ne s’agit plus d’une limite morale: il s’agit d’une limite matérielle qui s’inscrit dans le présent à partir de nos projections du futur. C’est ce qui nous hante, dans le sens de Mark Fisher, ce qui remplit la culture présente de spectres qui sont les figures d’un futur perdu (cf. Fisher 2014: 27). Si la culture est le renoncement organisé aux pulsions et qu’il en résulte un malaise, le présent est le moment où la culture nous annonce un renoncement massif aux pulsions dans l’avenir, un renforcement du surmoi par ce qu’on doit attendre. D’où les réactions parfois brutales contre la culture et la science qui „prescrivent“, d’où aussi la revendication farouche d’une „liberté“ individuelle qui consisterait à consommer sans limite. Par conséquent, ce qui se forme, n’est-ce pas une conscience accrue de la culpabilité, moins pour ce que nous avons fait (le remords), mais vis-à-vis de ce qui s’annonce? L’idée freudienne selon laquelle un tel renoncement créerait de nouvelles formes de culpabilité, causées par la réinscription de la limite dans le surmoi, pourrait peut-être nous aider à mieux comprendre le retour d’éléments quasi religieux dans le discours et dans les pratiques écologiques (culpabilité, pénitence, confession, condamnation). 164 DOI 10.24053/ ldm-2022-0030 Dossier Abolir le malaise Comme Dominique Rabaté l’a bien montré, dans les romans de Michel Houellebecq, la langue des personnages est caractérisée par cette même disparition du surmoi. Tout ce qui se pense peut être dit, dans une transparence totale qui trahit la platitude intérieure (Rabaté 2015: 269-271). L’idée même d’une intériorité du sujet, pleine de culpabilité et de pulsions réprimées, est vidée de son sens. D’une certaine manière, ceci est aussi vrai pour Daniel1. Le protagoniste de La Possibilité d’une île, roman publié en 2005 chez Fayard qui oscille entre apocalypse et post-apocalypse, est un humoriste désabusé qui a fait carrière en disant ouvertement les choses que son public voudrait dire tout en s’abstenant de le faire. La gêne, les limites morales du dicible, les interdits du racisme et du sexisme sont franchis par Daniel sous couvert d’humour. Il canalise ainsi les pensées passées sous silence ou non avouées de ses auditeurs, qu’il méprise car ils l’applaudissent. „Finalement“, avoue-t-il, le plus grand bénéfice du métier d’humoriste, et plus généralement de l’attitude humoristique dans la vie, c’est de pouvoir se comporter comme un salaud en toute impunité, et même de pouvoir grassement rentabiliser son abjection, en succès sexuels comme en numéraire, le tout avec l’approbation générale. (Houellebecq 2005: 22sq.) La construction temporelle du roman présente l’humour et le second degré comme des signes apocalyptiques, symptômes d’une fin qui approche, d’un sense of an ending (cf. Kermode 1968) contemporain. Mais l’ambiguïté radicale du roman tient aussi à autre chose. Le temps fictionnel est coupé en deux, de telle sorte que le niveau temporel du présent, marqué par une forte pression eschatologique, est constamment contrasté avec un temps qui se situe après la catastrophe (Boulard 2017: 219sq.). Cet ‚après‘ se trouve dans les narrations des „néo-humains“, des clones qui survivent dans des stations high-tech (les îles du titre), isolés les uns des autres, dans un futur post-catastrophique éloigné de 2000 ans. Les clones sont libérés du désir humain: ils existent dans un aplatissement vaguement agréable de toute pulsion. Insérées dans le livre, leurs narrations de vie constituent le commentaire des épisodes de vie racontés par Daniel1. D’un côté, cette disposition des récits reflète la numérotation des chapitres de la Bible (Van Ceunebroeck 2011), évoquant par voie intertextuelle le livre de Daniel - livre prophétique de l’Ancien Testament écrit au II e siècle avant J.-C. et qui a fortement influencé le genre apocalyptique (surtout sa plus fameuse manifestation, L’Apocalypse de Jean). De l’autre côté, le fait que le présent soit commenté par un futur partiellement libéré du malaise suscite la question de la culpabilité. Le dédoublement des récits met en scène le retour de la limite évoqué plus haut. Comme l’a montré Frank Kermode (1968), l’Apocalypse est une fiction de la concordance qui réorganise les étapes de l’histoire pour leur donner un sens, en les orientant vers une fin, et c’est de cette manière que le malaise du présent se trouve intégré dans une structure temporelle globale chez Houellebecq. Le malaise prend son sens en étant transformé en étape préliminaire de la fin. DOI 10.24053/ ldm-2022-0030 165 Dossier Suivant cette réflexion, on remarque que les clones sont les spectres de l’humain. Ils existent, mais ne sont pas vraiment vivants, purifiés des désirs et des sentiments humains, trop humains. Dans l’impossibilité de sortir de leurs îles, dispersées sur la surface d’un monde inhabitable, ils personnifient la puissance d’agir limitée des humains du futur. Leurs commentaires sont ce qui hante le présent, un nouveau surmoi qui interrompt la continuité du récit de Daniel1. Après l’effondrement, les clones ont renoncé au désir individuel en transformant génétiquement leur corps. Mais ils ont aussi renoncé au développement sociétal, éliminant le regroupement des individus qui génère la souffrance: „tout groupe est éteint, toute tribu dispersée“ (Houellebecq 2005: 139). Si l’on prend en compte que l’œuvre de Houellebecq est surtout préoccupée par une anthropologie négative du désir (Knobloch 2022: 271-324), il devient clair que le roman ne s’intéresse pas principalement au clonage, mais que la technologie sert de prétexte à une réflexion sur la possibilité de faire disparaitre l’ego. Dans l’isolement et l’absence de contact corporel, les clones ne connaissent pas (ou presque pas) la souffrance infligée par l’autre. Ils constituent donc une tentative ambiguë de résoudre le malaise du présent. Leurs narrations de vie, en établissant un lien entre les générations, garantissent une forme limitée de renaissance, une vie éternelle établie par l’écriture. Mais la fin du roman met aussi en scène le retour des sentiments humains. Ceux-ci, semble-t-il, ne peuvent pas être abolis entièrement. Du moins, Houellebecq nous laisse dans le doute à ce propos. Car les néo-humains ne se contentent pas de rejeter l’humain, ils en ont aussi la nostalgie et éprouvent le désir de connaitre les rites, l’association humaine et le désir lui-même. Les dernières phrases du texte évoquent la trahison du monde: „Le futur était vide; il était la montagne. Mes rêves étaient peuplés de présences émotives. J’étais, je n’étais plus. La vie était réelle“ (Houellebecq 2005: 474). La perspective des spectres a aussi pour fonction d’attribuer la responsabilité. Elle génère de la culpabilité. Si l’humanité a franchi une limite matérielle vers le début du XXI e siècle, cela est dû à la disparition même de la limite: „Augmenter les désirs jusqu’à l’insoutenable tout en rendant leur réalisation de plus en plus inaccessible, tel était le principe unique sur lequel reposait la société occidentale“ (ibid.: 83). Comme souvent chez Houellebecq, ce présent est décrit dans les termes de la dépression, de l’aliénation sociale, du vide sentimental et de la „compétition narcissique“ (ibid.: 22). Mais cet „Unbehagen in liberal capitalism“ (Žižek 2010: ix) se reflète aussi dans une certaine surconsommation matérielle et sexuelle qui est subtilement tissée dans le déroulement de l’action. On peut penser par exemple au fait que le roman se déroule dans le sud de l’Espagne en été. Tandis que la chaleur excessive est évoquée à plusieurs reprises, le narrateur traverse le paysage hostile dans une Mercedes 600 SL roulant à 250 km/ h (Houellebecq 2005: 135sq.), scène qui préfigure la fin de l’humanité amenée par la „fonte des glaces“ et le „Grand Assèchement“ (ibid.: 112sq.). Comme une apocalypse, l’effondrement de la civilisation humaine entraine un nouveau monde qui est en même temps la révélation de la vraie nature du présent, en ce sens qu’il éclaire ou révèle la fausseté des pratiques néolibérales à la lumière de leur fin. 166 DOI 10.24053/ ldm-2022-0030 Dossier Si le roman propose néanmoins une résolution du malaise face au futur, c’est parce qu’il opère une déculpabilisation qui est des plus ambiguës. Le traitement des angoisses du présent par le futur post-humain se révèle être l’inversion radicale de la perspective humaine: dans le commentaire des clones, l’ancien monde est certes condamné pour son déchaînement du désir, mais sa disparition n’est pas déplorée, mais au contraire joyeusement saluée. La négation de l’humain est ici la négation de la volonté comme source de la souffrance. La peur de l’avenir se transforme en joie paradoxale; elle entraine la fin du „domaine de la lutte“ (cf. Houellebecq 1994). La base intertextuelle de ce renversement est à chercher dans le pessimisme radical d’Arthur Schopenhauer (source importante aussi de Freud, surtout des textes tardifs et de la controversée pulsion de mort). Dans son œuvre majeur, Le Monde comme volonté et comme représentation (1819/ 44/ 59), Schopenhauer avait exigé que, face à un monde déformé par le désir sauvage de la volonté, il faudrait inverser la hiérarchie entre l’être et le néant. Le non-être deviendrait ce qui a de la valeur, pendant que l’être aurait valeur de néant (cf. Schopenhauer 1993: 556). Dans son commentaire En présence de Schopenhauer (2017), Houellebecq qualifie cette idée de „profondément consolante; elle contribue en effet à couper les racines de l’envie, source si féconde de malheurs humains“, et présente „avant tout le non-être comme une extinction des douleurs“ (Houellebecq 2017: 72). Or, Possibilité transforme cette exigence en oscillation entre utopie et dystopie (cf. Chrostek 2011). Du point de vue des post-humains, il semble juste et souhaitable que le monde des hommes touche à sa fin. Dans la perspective du futur, les hommes du présent apparaissent comme des ‚sauvages‘, une force aveugle qui provoque l’effondrement. Citant le regard raciste d’un anthropologue qui visite des tribus qu’il considère comme barbares, le narrateur post-humain revisite la société néolibérale du XXI e siècle pour analyser ses rituels ‚primitifs‘, interprétés comme signes de la fin: Les derniers siècles de la civilisation humaine, c’est un fait peu connu mais significatif, avaient vu l’apparition en Europe occidentale de mouvements inspirés par une idéologie d’un masochisme étrange, dite „écologiste“ bien qu’elle n’eût que peu de rapports avec la science du même nom. […] Nous avons aujourd’hui un peu de mal à comprendre ces concepts de „nature“ et de „droit“ qu’ils manipulaient avec tant de légèreté, et nous voyons simplement dans ces idéologies terminales un des indices du désir de l’humanité de se retourner contre ellemême, de mettre fin à une existence qu’elle sentait inadéquate (Houellebecq 2005: 443sq.). Le renversement du malaise proposé par le roman se fonde donc sur l’exterritorialisation de l’humain, et se réalise dans la mesure où le narrateur incite le lecteur à adopter lui-même ce point de vue post-humain. La „défamiliarisation“ du contemporain (cf. Jameson 2005: 286) est censée permettre à la lectrice de se situer à l’extérieur du présent condamné. La différence des styles (cynique et second degré dans le récit de Daniel1, froid et détaché, descriptif et impassible dans le récit posthumain) véhicule les deux manières d’être au monde: dans le malaise humain (qui est en même temps source de l’autodestruction) et dans le détachement gnostique de toute participation (Knobloch 2022: 271-324). Si le roman semble nous proposer DOI 10.24053/ ldm-2022-0030 167 Dossier une solution narrative au malaise face à l’avenir, cette solution reste hautement trompeuse, dépolitisante et passive. Elle consisterait en l’abandon de l’attachement à la terre. Nostalgie pour le futur Sans pouvoir l’aborder en détail, considérons un autre exemple. Douze ans après Michel Houellebecq, en 2017, Marie Darrieussecq publie le court roman Notre vie dans les forêts chez P.O.L, dans lequel on retrouve la figure du clone comme spectre du capitalisme tardif. Comment ne pas ressentir, en le lisant, un malaise face à la disparition du futur? Ce qui structure le texte d’un point de vue temporel, c’est le mode du futur perdu (ce que Mark Fisher appelle la „slow cancellation of the future“, Fisher 2014: 2-29). Cette temporalité y détermine les pensées et les actions des personnages. Le roman, se déroulant dans un futur proche, traite du clonage, des complexes hommes-machines et de la déconnexion des sociétés hyperconnectées; mais il n’élude pas la question du trauma. Viviane, la narratrice autodiégétique, est une ancienne psychologue qui s’est retirée de la „ville panoptique“ (Reati 2006: 129- 136) pour se réfugier dans la forêt. Avec d’autres fugitives, elle tente de former une nouvelle communauté nomade et non-numérisée sous les arbres. Au lieu de confronter le futur post-catastrophique à un récit du présent, Darrieussecq procède par une narratrice qui raconte les erreurs du passé pour analyser comment les choses ont pu en arriver là. Ainsi, elle explique que sa génération a nettement sous-estimé le potentiel de développement de surveillance, en faisant ses pronostics „sans compter sur l’œil et la mémoire robotiques, sur le temps infini qu’ont les machines, sur leurs infinies capacités de recoupement“ (Darrieussecq 2019: 30). Le malaise face au futur est ainsi déplacé dans une rétrospective de la catastrophe. Les erreurs du passé sont parfois représentées comme des tentatives ratées de renoncement: l’évasion de la mère par exemple qui, pour obtenir un peu de „paix“ (ibid.: 68), avait imité les oiseaux disparus ou éteint les appareils. Cela révèle une grande naïveté au regard d’un présent où les appareils ont colonisé les corps. Ces pratiques de résistance, on peut le supposer, sont les nôtres, et elles arrivent trop tard. La seule réaction qu’elles provoquent chez la génération de Viviane est un rire amer. Par contre, les nouvelles contraintes qui limitent la puissance d’agir dans le futur sont représentées par l’espace de la forêt: lieu utopique et refuge dans les dystopies classiques, la forêt ne peut plus être ce foyer intact de la nature dans l’Anthropocène. Chez Darrieussecq, en effet, elle est décrite comme lieu sombre, lieu de pénurie et de lutte pour la survie, un endroit froid et humide où la qualité de vie diminue rapidement (ibid.: 15sq.). À première vue, l’intrigue semble réactiver des topoï classiques du genre de la science-fiction, avec la révélation, vers la fin du roman, que la narratrice à qui il manque un œil, un rein et la moitié d’un poumon est elle-même un clone. Elle a été créée comme réservoir d’organes pour une classe supérieure qui vit à distance de manière invisible. Au lieu de nous présenter, comme Houellebecq, des clones qui 168 DOI 10.24053/ ldm-2022-0030 Dossier survivent aux humains, ici, les clones constituent la classe subalterne qui alimente la vie éternelle des humains, ce qui constitue, de manière significative, une perspective d’en bas plutôt que d’en haut. Les clones sont des spectres dans la mesure où ils sont les métaphores d’une expérience traumatisante à venir: dans leurs corps blessés, fantomatiques et endormis au début du récit, puis réveillés au fur et à mesure, 6 devient visible ce qui était resté „excluded from perception and, consequently, from both the archive as the depository of the sanctioned, acknowledged past and politics as the (re)imagined present and future“ (del Pilar Blanco/ Peeren 2013: 9). L’anagnorisis finale de la protagoniste ne résume pourtant pas à elle seule le malaise de la narration, qui est transmis surtout par la syntaxe, pressante et hâtive, et le style essoufflé. Ce style, symptôme et en même temps instrument de production de malaise chez le lecteur, presse la narration vers une fin prévue (la fin de la narratrice et la fin de la société de la forêt). Ce n’est pas une coïncidence si le roman rappelle Malone meurt de Beckett, 7 deuxième roman de sa trilogie publié en 1951. Ce roman pose également la question de la relation entre la mort, la souffrance et le pouvoir réparateur du récit. Là où Malone veut se raconter „des histoires ni belles ni vilaines, calmes“ (Beckett 2004: 8) pour se distraire des douleurs du corps et de l’esprit, Viviane essaie de rassembler les pièces de sa vie pour établir une fiction concordante qui relie l’avant et l’après: „Du nerf. Il faut que je raconte cette histoire. Il faut que j’essaie de comprendre en mettant les choses bout à bout. En rameutant les morceaux. Parce que ça ne va pas. C’est pas bon, là, tout ça. Pas bon du tout“ (Darrieussecq 2019: 11). Il est important de noter que, chez Darrieussecq comme chez Houellebecq, c’est l’acte d’écrire et de lire qui revêt une importance centrale pour limiter le malaise en connectant l’avant et l’après de l’effondrement. Dans les deux cas, l’impossibilité d’imaginer un futur viable produit une sorte de rétrofiction médiatique: un futur imaginé dans lequel la littérature occupe une position centrale dans le champ des médias. Chez Darrieussecq notamment, l’accent est mis sur le fait qu’il s’agit d’une écriture non-numérique: „J’écris pour comprendre et témoigner, sur un cahier ça va de soi, avec un crayon en bois à mine de graphite, ça se trouve encore: rien de connectable“ (ibid.: 16). Dans le roman, cette écriture non-technicisée a plusieurs fonctions: premièrement, elle sert à l’analyse rétrospective des raisons de l’effondrement, transformé en futur II (le présent est analysé comme passé d’un futur postcatastrophique); deuxièmement, elle sert de mémoire pour l’histoire perdue; troisièmement, elle génère la résistance politique. Cette „media resistance“ (Syvertsen 2017: 35-53) est liée au caractère analogue de la littérature: ainsi, ce sont les métaphores qui „font bugger“ (Darrieussecq 2019: 45) les algorithmes de contrôle; et c’est la communication par voie de petits papiers roulés qui permet la conspiration à l’abri de la surveillance numérique (ibid.: 86, 106, 115). Comment qualifier ce retour à la littérature dans les ruines? La notion de nostalgie s’impose - une nostalgie qui rétablit les lettres comme instrument privilégié de la critique du pouvoir. Mais la narratrice précise qu’il ne s’agit pas d’une nostalgie que Freud qualifierait de régressive: „Oh, n’allez pas croire que je suis passéiste. Je n’ai DOI 10.24053/ ldm-2022-0030 169 Dossier aucune nostalgie pour le passé vu qu’il mène à notre présent. J’ai de la nostalgie pour le futur“ (ibid.: 36). C’est l’état du monde contemporain qui dévalue la nostalgie pour le passé, compris comme sa cause. La nostalgie ne se réfère donc pas à un état imaginé comme antérieur à la culture dans le sens que Freud considèrerait comme illusoire. Elle désigne plutôt l’imagination d’un présent qui ne serait pas encore marqué par la puissance d’agir de ce qui ne sera jamais, futur absent qui renvoie ses ombres en arrière dans le temps. Chez Darrieussecq, l’acte d’écrire est luimême un spectre du futur perdu. La nostalgie se réfère précisément à cette temporalité moderne dans laquelle le futur conserve encore son aura d’espoir, de planification et de conception (Horn 2014: 12). Darrieussecq semble donc avancer que ce sont les livres qui hébergent un tel présent plein d’avenir. Il est par exemple question d’un livre de Victor Hugo (il s’agit de Quatrevingt-treize, sans que la narratrice mentionne le titre) où l’on peut lire cette phrase: „Il y avait sur la mer on ne sait quelle sombre attente“ (Darrieussecq 2019: 144; cf. Hugo 2001: 109). La lecture de la phrase fait du bien à la narratrice parce qu’elle lui offre, comme elle note, un „immense réservoir de possibles“ (ibid.). Dans la projection temporelle du récit, le malaise face à son propre avenir est donc transformé en nostalgie d’un temps où un avenir était encore envisageable. L’anachronisme de la culture lettrée revêt luimême un potentiel de résistance analogique. En fin de compte, la nostalgie ne serait pas exclusivement régressive, mais constituerait la base d’une éventuelle littérature hantologique, équivalent fonctionnel de ce que Mark Fisher appelle la musique hantologique: In hauntological music there is an implicit acknowledgement that the hopes created by postwar electronica or by the euphoric dance music of the 1990s have evaporated - not only has the future not arrived, it no longer seems possible. Yet at the same time, the music constitutes a refusal to give up on the desire for the future. This refusal gives the melancholia a political dimension, because it amounts to a failure to accommodate to the closed horizons of capitalist realism (Fisher 2014: 21). Barnosky, Anthony D. et al., „Approaching a state shift in Earth’s biosphere“, in: Nature, 486, 2012, 52-58. Beckett, Samuel, Malone meurt, Paris, Minuit, 2004. 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Žižek, Slavoj, Living in the end times, London, Verso, 2010. 1 C’est ainsi que le formule le descriptif du colloque dont est issu le présent dossier. 2 La réinterprétation du mythe de Gaïa par Latour et Lovelock est un bon exemple de cette dynamique: Gaïa est la figure terrible et menaçante du futur annoncé par le nouveau régime climatique, figure qui suscite la peur et l’horreur en personnifiant les signes avant-coureurs de ses actions futures. Elle se constitue à travers les interactions de l’humain et du nonhumain dans le système terre (cf. Latour 2015). 3 Il s’agit de tout un champ de recherches qui se forme dans les années 90, surtout dans le sillage de Spectres de Marx (1993) de Jacques Derrida. Pour une histoire du spectral turn, cf. del Pilar Blanco/ Peeren (2013). 4 „Wir dürfen erwarten, allmählich solche Abänderungen unserer Kultur durchzusetzen, die unsere Bedürfnisse besser befriedigen und jener Kritik entgehen“ (Freud 1955: 475, ma traduction). Curieusement, cette phrase qui inscrit une profonde ambiguïté dans le texte de Freud a été supprimée de la traduction de Lortholary. 5 Lortholary affaiblit le sens de „blöde[s] Auge“ (Freud 1955: 501) en le traduisant par „courte vue“ (Freud 2010: 165). 6 Il n’est pas impossible de voir dans les clones une allégorie du modèle structurel de la psyché. Il s’agit de ‚moitiés‘ (ou doubles) inconnues de la personne qui agissent de manière impulsive et qui suivent aveuglément leurs désirs. Ils ne sont pas capables d’association non-sexuelle ou de projet politique. La rencontre avec les moitiés, en principe cachées, perturbe ceux qui s’y reconnaissent. Les deux moitiés (en l’occurrence, le moi et le ça) obéissent à une entité externe qui les contrôle imperceptiblement (le surmoi). 7 Pour une lecture qui met en avant Molloy (1951) comme intertexte, cf. Kim 2020: 81sq.