eJournals lendemains 47/186-187

lendemains
ldm
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.24053/ldm-2022-0031
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2023
47186-187

Les „fêlures généalogiques“

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2023
Cornelia Ruhe
ldm47186-1870172
172 DOI 10.24053/ ldm-2022-0031 Dossier Cornelia Ruhe Les „fêlures généalogiques“ La transmission de la violence chez Wajdi Mouawad et Camille de Toledo C’est toujours la guerre qui fait bouger les choses. (Jacques Derrida 1997: 127) 1. Transmettre la fêlure généalogique Le malaise contemporain concerne bien souvent la mémoire des guerres et de la violence qui, bien que lointaine, se propage de manière parfois insidieuse. Un trauma survenu dans le passé familial, transmis de manière intergénérationnelle et, surtout, tu et occulté, peut ainsi hanter plusieurs générations comme une sorte de malaise, profond parfois, qui peut, à son tour, entrainer des conséquences traumatiques. De la sorte, la mémoire refoulée peut mettre en danger la cohésion de la société, dont la famille est, selon Sigmund Freud, la „cellule primaire“. La violence s’insère dans les structures familiales pour y être transmise par la voie généalogique. C’est à l’intérieur des familles, c’est par le sang - versé et partagé - que la violence se répercute et, tant que cette lignée n’est pas brisée, l’histoire ne peut pas prendre de tournant pacifique. Mémoire et oubli, bien que paraissant des forces opposées, ne vont que trop souvent de pair. En s’appuyant sur les thèses de l’historien Christian Meyer, Aleida Assmann a montré qu’au niveau de l’histoire officielle d’un pays, des phases d’oubli et de mémoire se suivent et se complémentent (Assmann 2011; cf. Meyer 2010 et Ruhe 2020: 11sq.): dans une première phase et pour la génération immédiatement concernée, l’oubli peut s’avérer nécessaire, car les accusations et les règlements de comptes qui semblent forcément accompagner le travail de mémoire risqueraient de produire une scission de la société. L’oubli peut être à ce moment-là d’une plus grande importance pour la cohésion sociale que la mémoire. Bien que nécessaire, l’oubli ne devra toutefois être que passager, car, paradoxalement, ce qui dans un premier temps assure l’union d’une société développera à la longue une force explosive qui la minera jusqu’à ne plus pouvoir être contenue. Par conséquent, toujours selon Assmann, ce qui devra suivre à une époque d’oubli et de refoulement sera nécessairement une époque de travail mémoriel intense. Dans le cas de familles marquées par la violence extrême, cette partie de l’histoire familiale, trop traumatique pour être intégrée, est bien souvent refoulée. La mémoire étant transmise de façon intergénérationnelle, ce n’est bien souvent pas la génération immédiatement touchée par un passé traumatique qui lève le voile de l’oubli, mais celle des enfants et des petits-enfants: la „generation of postmemory“ (Hirsch DOI 10.24053/ ldm-2022-0031 173 Dossier 2012) est hantée par un malaise plus que par des souvenirs concrets. 1 Bien que l’existence de ce que Camille de Toledo nomme la „fêlure généalogique“ (de Toledo 2020: 81) se traduise par ce malaise, la „chain of transmission“ (Hirsch 2012: 95), qui aiderait à comprendre sa propre biographie sur la toile de fond de l’histoire familiale, a été rompue ou il lui manque un chainon parfois décisif. L’enquête devient alors le moyen le plus à même de mettre à nu un passé qui est devenu „a ghostly presence, a palimpsest whose marks remain distinguishable beneath the surface of the present“ (Barclay 2011: xx). Un point en commun de bon nombre de textes mettant en scène la reconquête d’un passé qui se dérobe est une structure palimpsestique. Selon une logique aussi implacable qu’étonnamment universelle, les histoires violentes, traumatiques s’occultent les unes les autres, ce qui rend leur recouvrement d’autant plus difficile. Les textes qui relatent ces processus d’enquête montrent que les connexions entre différentes étapes de l’histoire ne sont pas toujours facilement accessibles, mais forment des palimpsestes, comme l’explique Max Silverman: The relationship between present and past therefore takes the form of a superimposition and interaction of different temporal traces to constitute a sort of composite structure, like a palimpsest, so that one layer can be seen through, and is transformed by, another. […] hence producing a chain of signification which draws together disparate spaces and times (Silverman 2013: 3). Dans la pièce de théâtre Forêts de Wajdi Mouawad (2006) et le roman Thésée, sa vie nouvelle de Camille de Toledo (2020) que j’aimerais explorer, la structure palimpsestique est complexe, car différents drames se superposent pour occulter l’origine traumatique du malaise qui mine le présent des enfants de la postmémoire. 2. Les chimères et les monstres - Forêts (2006) 2 2.1. Palimpseste historique Dans les deux premières pièces de la tétralogie théâtrale de Wajdi Mouawad, qui lui ont valu la reconnaissance du public et de la critique, le fond sur lequel les spectateurs lisent et comprennent l’action est celui de la guerre civile au Liban, bien que ni le pays ni le conflit ne soient nommés explicitement. La troisième pièce, Forêts, semble trancher avec ce contexte en ce qu’elle aborde les conflits franco-allemands depuis la guerre de 1870/ 71. 3 Selon l’auteur, l’intérêt pour ces guerres, surtout pour la Première Guerre mondiale, ne l’a finalement pas mené bien loin de ses origines: [L]a Première Guerre mondiale […] est considérée aujourd’hui par les philosophes et les historiens comme la matrice du monde moderne. La mère du XX e siècle, celle qui accouchera, dans le sang et dans l’horreur, des hommes de maintenant. Aussi parce que sa naissance provoqua la chute de l’Empire ottoman, et que l’Empire ottoman fut cette vague de cinq siècles qui noya tout le Moyen-Orient, le pont était fait entre le sujet du spectacle et mes origines (Mouawad 2009: 60). 174 DOI 10.24053/ ldm-2022-0031 Dossier Les trois guerres, en moins de cent ans, durant lesquelles Français et Allemands se sont affrontés ne constituent pas le principal centre d’intérêt de Mouawad; c’est au contraire la question de la réconciliation qui le préoccupe: „comment deux peuples qui se sont à ce point haïs peuvent-ils en venir à se serrer la main? “ (ibid.: 61). La pièce s’ouvre sur une annonce de grossesse, qui signe aussi, paradoxalement, l’arrêt de mort de la mère Aimée, atteinte d’un cancer. Sous l’impact de la liesse provoquée par la chute du mur de Berlin d’un côté et, de l’autre, du choc provoqué par les quatorze morts de la tuerie de l’École polytechnique de Montréal, qui a lieu quelques jours plus tard, Aimée décide de garder l’enfant qu’elle nommera Loup. Aimée ne mourra finalement que 16 ans plus tard d’une tumeur qui „se développe[…] autour d’un objet solide situé au cœur de [son] cerveau“ (Mouawad 2006: 28), objet qui s’avèrera être soit un jumeau parasite, soit un fragment d’os - j’y reviendrai. Après la mort de sa mère, Loup décide de commencer des investigations sur sa famille avec l’aide du paléontologue français Douglas Dupontel. Compliquées par le fait qu’Aimée a été adoptée, les investigations mènent jusqu’à la guerre francoallemande de 1870/ 71 et à plusieurs générations de la famille Keller, famille aux relations incestueuses et violentes. Pendant l’Occupation, les descendants de la famille Keller se révèlent impliqués dans la collaboration: ils sont responsables de la production des „wagons et [d]es rails pour transporter les prisonniers vers les camps“ (ibid.: 144). Ludivine, la dernière descendante de cette famille, sera adoptée et entrera dans la Résistance au cœur d’un réseau nommé „Cigogne“. Lorsque sa meilleure amie, Sarah, qui est enceinte, est sur le point d’être arrêtée et déportée, Ludivine se laissera déporter à sa place et trouvera la mort à Treblinka. Luce, l’enfant de Sarah, sera exfiltrée au Québec, adoptée par une famille québécoise et donnera plus tard naissance à Aimée, la mère de Loup, qui sera adoptée à son tour. Géopolitiquement, la pièce couvre des événements et des espaces qui vont de la guerre de 1870/ 71 à la chute du mur de Berlin et à la tuerie de l’École polytechnique, en passant par la Première et la Deuxième Guerre mondiale, allant de la forêt des Ardennes jusqu’à Montréal. Comme dans les deux premiers volets de Le Sang des promesses, l’histoire de la violence européenne et de ses traumatismes traversent l’Atlantique et continuent d’y hanter les esprits, en créant une mémoire qui se globalise tout en restant toujours concrètement localisée. La pièce s’ouvre sur la fête de l’„anniversaire d’avant la naissance“ (ibid.: 18) de Loup, une fête qui, dans les souvenirs de sa mère Aimée, a lieu le 9 novembre 1989. 4 Cette première scène peut déjà être lue comme un cas exemplaire de la mémoire palimpsestique. Dans une allocution à ses amis, Aimée déclare qu’elle a tendance à l’oubli: Je ne suis jamais allée en Europe, en Asie et encore moins en Afrique et la seule fois que j’ai traversé une frontière, c’était pour aller à Plattsburgh […]. Mais pour être tout à fait honnête, chers amis artistes, je me sens un peu perdue quand on s’exclame devant la chute du mur de Berlin. Je ne dis pas que ce n’est pas un événement historique, je dis juste que ça n’a jamais fait partie de ma vie! (ibid.: 15sq.) DOI 10.24053/ ldm-2022-0031 175 Dossier Elle se sent déconnectée des événements en Allemagne, tout en ayant choisi, pour fêter la nouvelle de sa grossesse, une date lourde d’histoire, comme le constatent les invités: „Le 9 novembre ne coïncidera pas qu’avec la chute du mur, il coïncidait déjà avec la Nuit de Cristal: synagogues brûlées, maisons détruites, juifs allemands tués, blessés, déportés! “ (ibid.: 19). 5 Derrière l’événement festif qu’est la chute du mur en apparaît ainsi un autre, devenu un symbole de la persécution des juifs par les nazis. Tout en se déclarant oublieuse et peu concernée par des événements historiques sur d’autres continents, la date qu’Aimée se souvient avoir choisie pour annoncer sa grossesse témoigne déjà, sans qu’elle en soit consciente, de sa relation avec les grands événements de l’histoire européenne. Cette mémoire enfouie émergera d’abord sous la forme de ses crises d’épilepsie qui la renvoient au passé européen de sa famille, puis sous la forme de l’os-embryon enkysté dans son cerveau. 2.2. L’os palimpseste L’os-embryon que les médecins découvrent dans la tête d’Aimée - donc exactement là où on localise généralement la mémoire - est caractérisé de manière ambiguë. Il acquiert, à différents niveaux, le caractère d’un palimpseste. Pour le rendre visible, il faut avoir recours à la radiographie, qui permet de voir ce qui est sous la surface. Pour saisir les différentes significations de l’os, il est nécessaire de creuser l’histoire familiale et européenne. Les médecins déclarent d’abord qu’il s’agit „[d’u]n embryon. […] Votre jumeau. […] Mais vous l’avez intégré à votre propre métabolisme, le forçant à conserver un état embryonnaire“ (ibid.: 30). Pour désigner ce phénomène, le langage médical a choisi le terme d’ischiopagus, populairement appelé ‚jumeau cannibale‘. Aimée aurait donc cannibalisé son jumeau dans le ventre de sa mère. La trace de ce conflit, le fœtus dans son cerveau, se trouve maintenant au centre d’une tumeur cancéreuse qui menace la vie d’Aimée. Tout en la mettant en danger de mort, l’embryon-os lui est en même temps nécessaire: Il semble que votre système nerveux se soit imbriqué, telles des racines autour d’un caillou, autour de cet os, rendant par là son extraction impossible. L’enlever, c’est vous arracher les racines de la vie (ibid.: 29). La ‚lutte‘ entre Aimée et son jumeau cannibalisé serait donc un combat à mort, un combat que les deux perdront finalement. En même temps, la tumeur qui s’est développée autour de l’embryon fait aussi remonter le passé familial lors des crises d’épilepsie d’Aimée. La lutte contre son jumeau se révèle être la cause du cancer d’Aimée. C’est un conflit intérieur, qui déclenche la maladie que le médecin caractérise par des mots qui pourraient tout aussi bien être une métaphore d’un état psychique: [U]ne maladie ancienne, archaïque, qui a ses racines dans nos gènes. Là, au plus intime de notre être, une succession d’événements liés au hasard, à l’hérédité ou à l’environnement se produisent à notre insu, affectant les normes qui régissent nos cellules (ibid.: 31). 176 DOI 10.24053/ ldm-2022-0031 Dossier Comme le comprendra sa fille bien plus tard, la lutte qu’Aimée a menée, à son insu, avec son jumeau parasite est effectivement due „à l’hérédité“. Elle entretient des liens avec l’histoire douloureuse de sa famille qui, tout en formant une partie vitale d’Aimée - et des autres membres de sa famille -, s’avérera mortelle. Après la mort d’Aimée, l’objet ossuaire dans son cerveau est soumis à d’autres examens et il devient évident qu’il ne s’agit pas ou pas seulement d’un jumeau parasite, mais en même temps d’une mâchoire supérieure. Cette mâchoire, comme le paléontologue Douglas Dupontel l’explique à Loup, se trouve être la pièce manquante d’un puzzle très particulier auquel son père, également paléontologue, avait voué sa vie. Avec un groupe de chercheurs, il s’est vu confier, à la fin de la guerre, avec d’autres scientifiques, la mission de fouiller les sols des camps de concentration pour tenter de sauver les restes des humains qu’on avait assassinés et dont on a voulu effacer jusqu’à la trace même de leurs cendres. Tirer du néant ceux qu’on a voulu y précipiter (ibid.: 56sq.). Il y trouvera les fragments d’un crâne féminin, „probablement concassé à coup de marteau“ (ibid.: 57) qu’il passera sa vie à reconstituer. Pour accomplir cette tâche, pour „tirer du néant“ au moins cette „femme d’une vingtaine d’année“ (ibid.: 57), il ne manque que la mâchoire supérieure qui se trouvera, deux générations ou soixante ans plus tard, dans le cerveau d’Aimée. Sans qu’elle en soit consciente, Aimée, l’oublieuse de l’histoire, porte ainsi dans son cerveau un objet ambigu qui la relie, elle la Québécoise, à plus d’un siècle d’histoire européenne: le conflit fratricide entre Français et Allemands qui trouve un premier apogée dans la guerre de 1870/ 71 et une issue heureuse avec la chute du mur en 1989, mais qui continue de la miner et de gangréner jusqu’à la vie de sa fille. La violence d’une histoire familiale pourtant escamotée à travers différentes adoptions transatlantiques ne cesse qu’avec la mort du dernier membre de la famille, même si le silence n’est pas brisé. 6 Il revient ainsi au plus jeune membre de la famille, Loup, de retrouver les traces de cette histoire et de comprendre que l’os est „a somatic symptom that is the mysterious materialization of a historical trauma“ (Jones Choplin 2018: 110). En 1850, Alexandre Keller fonde une entreprise strasbourgeoise qui produit pendant la Deuxième Guerre mondiale les wagons et les rails qui transporteront les prisonniers vers les camps nazis et la mort. Alexandre entretient une relation incestueuse avec la femme de son fils Albert, Odette, qui tombe enceinte. Elle raconte à Albert que son père l’a violée et donne naissance aux jumeaux Edgar et Hélène. En 1874, Odette et Albert s’installent avec leur fils Edmond et les jumeaux, qu’Albert a adoptés, „dans un domaine au milieu de la forêt des Ardennes“ (Mouawad 2006: 108), donc dans la région qui sera au cœur des combats de la Première Guerre mondiale. Dans ce lieu reclus, Albert recrée un zoo, sorte d’Arche de Noé qui témoigne de leur désir de couper les liens avec une société dont ils veulent se protéger pour élever leurs enfants „loin de la suspicion des hommes et de leur perversité“ (ibid.: 99). DOI 10.24053/ ldm-2022-0031 177 Dossier Ill. 1: Forêts de Wajdi Mouawad, Arbre généalogique Bien qu’il tente de mettre sa famille à l’abri des dangers de l’extérieur, Albert ne peut la protéger de ceux venant de l’intérieur, ni de lui-même: à l’image de son père, il commence une relation incestueuse avec sa sœur-fille Hélène, de laquelle naîtront deux filles, Jeanne et Marie. Quant à ses fils, condamnés à la solitude dans la forêt, ils seront „sacrifi[és]“ (ibid.: 123) à la volonté de leur père. Une nuit, Edgar surprend les ébats incestueux d’Albert et Hélène. Dans un accès de fureur, il tue le père et viole la sœur avant de se donner la mort. Neuf mois après le drame, Hélène accouche de jumeaux: une fille, Léonie, et un „garçon auquel elle ne sut pas donner de nom. Un enfant informe, monstrueux, mais vivant, bien vivant“ (ibid.: 133). Edmond, le frère d’Hélène, partira dans le monde, pendant la Première Guerre mondiale dont il ignore tout. Il espère trouver un moyen d’y entraîner la famille et de la sauver du „paradis“ (ibid.: 99) devenu enfer. Découvrant un monde en guerre qui le rend fou, il ne retourne dans la forêt des Ardennes qu’après que l’„enfant monstrueux“ ait tué Hélène. Entretemps, Lucien, un déserteur des tranchées qui a pénétré dans la forêt, est devenu le père de l’unique enfant de Léonie, Ludivine. Léonie, incapable d’affronter le monde en dehors de la forêt, confie sa fille à un orphelinat. Issue de deux générations de jumeaux, Ludivine va, de manière symbolique, intégrer son propre jumeau - elle est en effet hermaphrodite (cf. ibid.: 149). Ainsi, l’histoire de sa famille, pleine de bruit et de fureur historique, est censée s’achever avec elle, qui est stérile. 178 DOI 10.24053/ ldm-2022-0031 Dossier Adulte, Ludivine rejoint un réseau de la Résistance où elle se lie d’amitié avec une jeune femme juive, Sarah Cohen. La découverte de son appartenance à la famille Keller, impliquée dans le génocide des juifs, fait d’elle une coupable innocente, lien entre les bourreaux dont sa famille abonde et les victimes que risquent de devenir ses amis et leurs familles. La certitude de ne pas pouvoir enfanter fait mûrir en Ludivine la décision de se sacrifier pour son amie et de se choisir, de la sorte, un destin de victime et non pas de bourreau. Luce, l’enfant de Sarah, qui croira toute sa vie être la fille de Ludivine, est envoyée au Québec et adoptée par une femme amérindienne et son mari canadien. Plus tard, elle se mariera avec un homme amérindien et donnera naissance à Aimée, adoptée à son tour, qui porte la trace concrète de cette lourde histoire familiale dans son cerveau même. De fausses pistes en impasses, Loup et Douglas Dupontel réussissent à joindre les différents fils reliant les familles Keller et Cohen et à reconstituer leur histoire. L’inceste en tant que malédiction quasi divine qui, par trois fois, touche les premières générations de la famille Keller, n’a produit que des monstres ou alors, au bout de la lignée, avec Ludivine, des descendants stériles, suggérant par là que la violence s’éteindrait de manière quasi naturelle. Après deux générations de jumeaux, Ludivine l’hermaphrodite réunit les traits des deux jumeaux de sexe opposé en une même personne et préfigure ainsi la jumelle cannibale Aimée. En tant qu’enfant adoptée, Ludivine ne découvrira qu’à l’âge adulte la généalogie incestueuse et parricide dont elle est issue. Son histoire constitue une sorte de trêve dans la continuité de la violence qui a profondément marqué sa famille. L’intériorisation du conflit, qui, bien qu’oublié, continuera à couver, est symbolisée par l’intériorisation du jumeau. Bien que pour Loup, le trauma familial - la violence et l’inceste, mis à distance à travers trois adoptions successives - se soit transformé en malaise, une pacification durable ne sera rendue possible que par la mise à nu de tous les abîmes de l’histoire familiale; ce n’est qu’alors que le plus jeune membre de la famille se verra capable d’affronter un avenir sans rancune et optimiste pour sa famille. 2.3. La parole et l’amitié L’hermaphroditisme de Ludivine et l’absorption de son jumeau par Aimée ont en commun le fait qu’il s’agit d’un phénomène génétique rare nommé chimérisme. Réunissant en une même personne des cellules de deux organismes génétiquement distincts, Ludivines et Aimée sont à considérer comme des êtres hybrides que la médecine appelle chimères. Ce clin d’œil à la mythologie grecque ne me semble pas anodin chez un auteur aussi familier avec le théâtre antique que l’est Mouawad. La chimère mythologique est un monstre féminin, composé d’éléments de différents animaux, qui ravageait des régions entières avant que Bellérophon ne réussisse à la tuer grâce à sa monture, le cheval ailé Pégase. Bien que ni Aimée ni Ludivine ne soient des monstres dans le texte de Mouawad, elles descendent de „monstres“, comme la pièce le souligne à plusieurs reprises. De plus, elles absorbent ou cannibalisent leurs jumeaux respectifs dans un processus involontaire qui n’en DOI 10.24053/ ldm-2022-0031 179 Dossier est pas moins monstrueux. L’intériorisation chimérique du conflit par Ludivine, puis par Aimée, ne signifie pas sa solution: au lieu de passer par une violence manifeste, celle-ci gangrènera plusieurs générations de l’intérieur jusqu’à ce qu’elle se matérialise dans la tumeur d’Aimée que seule l’imagerie médicale pourra rendre visible. Mais il y a plus: suite à leur hybridité génétique, Ludivine et Aimée transmettent la mémoire de trois guerres, et cette mémoire ravagera jusqu’à leur descendance lointaine. Elle fera d’elles, paradoxalement, des monstres dont la violence ne réside pas dans leurs actes, mais dans un passé qui ne passe pas et dont la trace dévastatrice ne se perdra même pas avec plusieurs adoptions. Alors que la chimère mythologique est vaincue à l’aide du cheval ailé Pégase, symbole de l’inspiration poétique (tout en étant lui-même une chimère), la monstruosité qui émane de la mémoire de Ludivine et d’Aimée ne peut être vaincue que grâce à la parole, grâce à une littérature qui affronte les monstres, qui les fait siens, comme Bellérophon domestique Pégase pour pouvoir d’autant mieux aller les combattre. Pour permettre une réconciliation avec sa propre histoire, il faut que Loup défasse les nœuds de mémoire de plusieurs générations et procède à un travail de mémoire, qu’elle découvre le trauma à l’origine de son malaise. Les horreurs du passé sont transmises par la voie du sang, qui génère des monstres et finira par „arrêter la progression du temps“ („stop time from advancing“, Jones Choplin 2018: 113). Chez Mouawad, le moyen le plus puissant pour faire face à un monde monstrueux, à part la parole de la littérature, est l’amitié: celle de Sarah et de Ludivine permettra la survie de Luce et, ainsi, le prolongement d’une généalogie vouée à la disparition. Cependant, comme toujours chez cet auteur, l’amitié recèle également une part ambivalente: en mêlant à jamais la lignée des Keller et celle des Cohen, l’amitié assure la continuité de la mémoire même au-delà d’un océan - ce qui, en principe, est positif -, mais d’une mémoire qui, dans le cas de la pièce, s’avère funeste pour tous les membres de la famille. En même temps, ce n’est qu’à travers l’amitié que l’espoir en l’humanité subsiste: l’amitié entre Ludivine et Sarah transcende la dichotomie entre victime et bourreau et permet une union qui va audelà de la consanguinité qui, elle, s’est montrée incapable de pacifier l’histoire sanglante. 3. Se retourner - Thésée, sa vie nouvelle de Camille de Toledo Le drame initial est raconté une première fois au tout début de Thésée, sa vie nouvelle de Camille de Toledo: le suicide du frère ainé, qui sera suivi de près par la mort de la mère et, quatre ans plus tard, par celle du père. Bien que le protagoniste, „le frère qui reste“ (de Toledo 2020: 38 et passim), se voie incapable d’oublier ces événements dévastateurs, Thésée se décide à „échapper […] à ce cycle des morts“ (ibid.: 24) pour „viser l’avenir“ (ibid.: 31): il quitte Paris pour Berlin avec ses trois enfants pour y „inventer ce qu’il nomme sa revivance“ (ibid.: 22, italiques dans l’original), tout en étant conscient de l’ironie qui consiste à „bâtir une autre vie“ au „cœur de l’ancien charnier“ (ibid.: 59) qu’est l’Allemagne. 180 DOI 10.24053/ ldm-2022-0031 Dossier Tout comme les oublieuses de l’histoire chez Mouawad, „ce qu’il [Thésée] cherche à tout prix, c’est l’oubli et une table rase pour relancer la vie“ (ibid.: 22): il voudrait essayer de laisser l’histoire familiale derrière lui. Même dans sa nouvelle vie à Berlin, il y a pourtant des signes qui lui indiquent le chemin du passé: lors de ses promenades, il bute contre les fameuses „Stolpersteine“ (ibid.: 63), les pierres d’achoppement dans les trottoirs des villes allemandes, qui tentent de restituer la mémoire des victimes du nazisme et lui rappellent donc les „pièces manquantes“ (ibid.: 38) de son histoire à lui. Avec sa tentative d’oubli ou du moins de détournement du passé, le protagoniste suit une tradition familiale que le texte prend soin de retracer depuis le début du XX e siècle: Nissim, venu avec son frère Talmaï, l’arrière-grand-père du protagoniste, d’Andrinople (aujourd’hui Edirne), est si fier d’être „nouvellement français“ (ibid.: 202) et de s’assimiler (cf. ibid.: 49) que les lettres qu’il écrit à son frère du front entre 1914 et 1918 où il „se réjouit de se battre pour la France“ (ibid.: 209) sont en français. Le grand-père Nathaniel „ne parlera pas du passé“ (ibid.: 88) et ses parents „né[s] de ce grand cover-up de l’après-guerre“ (ibid.: 99, italiques dans l’original) se conforment également au „onzième commandement [de la famille] / [de] ne pas rouvrir les fenêtres du temps“ (ibid.: 102, italiques dans l’original). En tant „qu’individu[s] moderne[s]“, ils voudraient ne pas „s’inscrire dans le temps long et continu des identités répétitives de l’ascendance“ (Demanze 2009: 11), mais s’inventer une nouvelle vie. Ils voudraient échapper à la contrainte, aux „fêlures généalogiques“ que la mémoire semble leur imposer. Certaines œuvres précédentes de de Toledo s’inscrivent dans cette même trajectoire: dans son essai Le hêtre et le bouleau. Essai sur la tristesse européenne (de Toledo 2009), il se pose la question de la nature des fondements culturels de l’Europe, en se référant à Jacques Derrida. Tout en réfléchissant à la hantise par la mémoire des guerres du XX e siècle, de Toledo suggère que la conservation trop minutieuse de cette hantise risque de peser sur les siècles futurs et de les vouer à un raidissement qui irait de pair avec une organisation trop ordonnée de la mémoire. La pétrification muséale de la hantise européenne dans des monuments de commémoration construits à la place des „anciennes blessures“ de „la ville coupée“ (de Toledo 2020: 59) entrainerait le risque de „l’astasie“ (de Toledo 2009: 51), de rester figé dans un geste de prosternation, d’être dans l’impossibilité de se tenir debout. Selon l’essai de de Toledo qui précède Thésée, sa vie nouvelle de douze ans, la „tristesse européenne“ qui s’exprime dans ces mémoriaux empêcherait la culture de passer outre et d’aller vers un futur qui garderait les traces du passé sans les fossiliser de manière univoque (cf. Ruhe 2019: 140sq.). La hantise conserve les traces d’un trauma historique et collectif, elle permet sa survie sous forme de malaise. Ce ne sera pourtant qu’en se retournant sur son passé et en se détournant littéralement de cette nouvelle vie à Berlin que Thésée accèdera à „sa vie nouvelle“. Tout comme le corps d’Aimée dans Forêts, qui a littéralement englouti la mémoire et en souffre, le corps du narrateur de Toledo réclame la mémoire en produisant diverses pathologies: une „douleur dans ses tempes, l’inflammation des racines de DOI 10.24053/ ldm-2022-0031 181 Dossier ses dents, les os du dos“ (de Toledo 2020: 64). „Les os du dos ne me portent plus […]; il y a en moi une espèce de corps que je peux sentir, qui m’écrase“ (ibid.: 93) - il se voit donc lui-même littéralement en position d’astasie, incapable de rester debout. Tout comme celui de la protagoniste de Mouawad, le „corps-mémoire“ (ibid.: 116) de Thésée l’incite à se retourner sur son passé (ce dont il est physiquement incapable; cf. ibid.: 151), bien qu’il ne doive pas mourir pour permettre à la génération suivante de lever le voile sur le passé. Le narrateur de de Toledo se mettra finalement lui-même à l’écoute de son corps et apprendra à lire ses maux comme autant d’empreintes corporelles de la „rupture généalogique“ incomplète (ibid.: 43). L’échec de son entreprise de „dépossession“, pour emprunter le terme de Laurent Demanze (2009: 19), que le „corps-mémoire“ signale par les maux qu’il développe place le protagoniste de de Toledo au cœur d’une contradiction, puisque d’une part, il congédie la longue durée du temps généalogique pour s’inventer singulièrement, tandis que de l’autre, il doit se faire le dépositaire des vies ancestrales estompées par l’accélération historique de la modernité. En deux mots, il est à la fois dépossédé de son inscription généalogique et possédé par ces vies antérieures de l’ascendance (Demanze 2009: 12, italiques dans l’original). Le texte de Mouawad traduit ce tiraillement par les différentes couches de la mémoire qui se font concurrence. Le récit de de Toledo semble avoir, dès le début, abandonné toute tentative d’occultation et être entièrement voué au recouvrement d’une mémoire aussi douloureuse que nécessaire. Le protagoniste a accepté sa situation d’héritier, il a compris que son désir d’un avenir libre, de l’oubli du passé est futile, qu’il lui faudra désormais accepter la „charge du survivant“ (de Toledo 2020: 65). Son enquête ne vise tout d’abord pas le passé, mais commence par sa tentative de trouver les causes de ses maladies. Ce n’est qu’après avoir épuisé les conseils de la médecine officielle et après avoir abandonné l’espoir d’y trouver un remède facile qu’il accepte de faire le lien entre le passé qu’il évite et les maux qui le tourmentent. C’est alors que commence sa véritable enquête: l’„immersion longue“ (Demanze 2019: 33) requise, selon Demanze, à l’enquête réussie, mènera Thésée à l’intérieur de son propre corps qu’il lui faudra apprendre à écouter, comme le lui explique son thérapeute: [T]u verras apparaître un corps-mémoire […] le corps-mémoire, c’est ce que sait le corps, ce qu’il t’amène à découvrir; […] ce qui est dans tes os, qui a sédimenté au fil des siècles, ce sont les roches des ancêtres, toutes celles et ceux qui t’ont précédé; c’est ça que le corps veut que tu découvres (de Toledo 2020: 152). Tout comme l’investigation des protagonistes de la pièce de Mouawad les mène littéralement à l’intérieur du corps de la mère Aimée, l’enquête du protagoniste de de Toledo le mène à l’intérieur de son propre corps. En creusant patiemment, couche après couche, un passé familial occulté, Thésée se découvrira lui-même être un „palimpseste des identités“ (Demanze 2009: 14), un corps-palimpseste. 182 DOI 10.24053/ ldm-2022-0031 Dossier Paradoxalement, les preuves de ce que Thésée devra puiser en lui-même s’avèrent être tout à fait matérielles: contrairement à d’autres textes-enquêtes, le protagoniste de de Toledo ne devra pas se mettre à la recherche de traces anéanties ou consulter les archives pour retrouver, fidèle à son nom, le fil d’Ariane qui le relie à ses ancêtres. Il lui suffira d’ouvrir les „trois cartons remplis du souvenir des siens“ (de Toledo 2020: 22) pour trouver l’issue du labyrinthe et pour, en même temps, affronter „le monstre“ (ibid.: 67) qu’il avait jusqu’alors évité en reniant le passé. Cependant, ce „monstre“ qu’il bravera finalement n’est pas la Shoah et les victimes qu’elle a faites dans la famille de Thésée, mais ressemble plutôt à la chimère de Mouawad. Le geste suicidaire du frère ainé est relié au suicide de l’arrière-grandpère Talmaï (qui porte un nom fort pertinent, signifiant „celui qui se cache“; ibid.: 57), qui désespère de la mort prématurée de son fils Oved et se suicide d’une „balle dans le crâne“, „le trente novembre 1939, quelques mois après la déclaration de guerre / ayant perdu tout espoir de voir la paix revenir en Europe“ (ibid.). Toutefois, le narrateur insiste sur le fait que la mort de Talmaï ainsi que le récit qu’il lègue à sa famille sur la vie et la mort de son fils Oved, qui, lui, a une „passion […] pour les lignées, la généalogie et les pièces manquantes“ (ibid.: 38), „fut recouvert[e] par tous les autres morts de la guerre, les disparus, les déportés, les exterminés“ (ibid.: 58). Ill. 2: Thésée, sa vie nouvelle de Camille de Toledo (2020), arbre généalogique DOI 10.24053/ ldm-2022-0031 183 Dossier La mort individuelle de l’ancêtre, son geste désespéré, a donc été ensevelie sous la mémoire plus envahissante, car collective, des victimes de la Shoah. Ce n’est qu’en déterrant les histoires individuelles et concrètes de Nissim, de Talmaï et d’Oved sous la strate écrasante de la mémoire collective et en bravant les tabous familiaux que le protagoniste pourra véritablement commencer une „vie nouvelle“. * * * L’élan des textes analysés semble orienté vers le futur, vers une libération des générations futures du poids des „fêlures généalogiques“ que leurs corps trahissent par autant de pathologies: la tentative d’occultation d’autant de mémoires douloureuses échoue chez Mouawad, seul le recouvrement de la mémoire rendra un avenir heureux possible. Le protagoniste de Thésée, sa vie nouvelle a, lui aussi, dépassé la phase du déni, il a accepté qu’il est inévitable de se confronter au passé pour la génération de la postmémoire si elle ne veut pas, elle aussi, faire partie de „la lignée des hommes qui meurent“ (de Toledo 2020: 28). Il affirme ainsi l’enchaînement de l’oubli et de la mémoire tel qu’il est proposé par Aleida Assmann, tout en soulignant que l’enquête sur l’histoire familiale n’est entreprise qu’à contrecœur et après avoir épuisé tout moyen de refoulement - il montre ainsi qu’il ne s’agit pas seulement d’un devoir imposé ou d’une injonction sociale, mais bien d’une nécessité physique, quasi essentielle. La structure palimpsestique des deux textes témoigne, d’un côté, de la continuité de la violence qui contamine la conscience et fera des victimes jusqu’au moment où la mémoire douloureuse est affrontée ouvertement, pour montrer, d’un autre, de quel zèle les familles ont dû faire preuve pour refouler le passé. Assmann, Aleida, „Vergessen oder Erinnern? Wege aus einer gemeinsamen Gewaltgeschichte“, in: Sabina Ferhadbegovic / Brigitte Weiffen (ed.), Bürgerkriege erzählen. Zum Verlauf unziviler Konflikte, Konstanz, Konstanz UP, 2011, 303-320. Barclay, Fiona, Writing Postcolonial France. 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Puzzle, racines, et rhizomes, Arles/ Montréal, Actes Sud / Leméac, 2009. 184 DOI 10.24053/ ldm-2022-0031 Dossier Ruhe, Cornelia, „L’archéologie urbaine. La disparition du terrain vague dans la fiction française contemporaine“, in: Jacqueline Broich / Wolfram Nitsch / Daniel Ritter (ed.), Terrains vagues. Les friches urbaines dans la littérature, la photographie et le cinéma français, Clermont- Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2019, 131-144. —, La mémoire des conflits dans la fiction française contemporaine, Leiden/ Boston, Brill/ Rodopi, 2020. Silverman, Max, Palimpsestic Memory. The Holocaust and Colonialism in French and Francophone Fiction and Film, New York, Berghahn Books, 2013. de Toledo, Camille, Le hêtre et le bouleau. Essai sur la tristesse européenne, Paris, Seuil, 2009. —, Thésée, sa vie nouvelle, Paris, Verdier, 2020. 1 Laurent Demanze a analysé cet écartèlement entre un désir de se construire indépendamment du passé familial et „une revenance des ancêtres, qui prennent possession des héritiers“ (Demanze 2009: 13). 2 Je reprends ici l’argumentation du chapitre „De la productivité de l’amitié - Forêts (2006)“ (Ruhe 2020: 201-210). 3 Olivia Jones Choplin suggère que c’est peut-être la raison pour laquelle „Forêts has received the least amount of critical attention“ (Jones Choplin 2018: 106). 4 La date est corrigée par le paléontologue Douglas Dupontel, qui constate que „[d]’après le dossier médical de votre mère, cette fête a eu lieu le 16 novembre 1989, une semaine après la chute du mur de Berlin“ (Mouawad 2006: 20 et 26). 5 Les invités oublient que les deux dates ont un antécédent dans l’histoire de l’Allemagne: celle de la proclamation de la première république allemande, le 9 novembre 1918. 6 En cela, la pièce reprend le sujet des deux premiers volets de la tétralogie, qui traitent aussi de la nécessité de briser le silence régnant autour des secrets familiaux.