lendemains
ldm
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.24053/ldm-2022-0035
925
2023
47186-187
Aurélie Barjonet / Karl Ziegler (ed.): Zola Derrière le Rideau de Fer. Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion 2022, 209 p
925
2023
Brigitte Sändig
ldm47186-1870209
DOI 10.24053/ ldm-2022-0035 209 Comptes rendus Die Publikation ist, ungeachtet der unterschiedlichen Qualität der einzelnen Beiträge, in ihrer Gesamtheit ein Stück bewahrenswerter Zeitgeschichte. Brigitte Sändig (Berlin) ------------------ AURÉLIE BARJONET / KARL ZIEGER (ED.): ZOLA DERRIÈRE LE RIDEAU DE FER. VILLENEUVE D’ASCQ, PRESSES UNIVERSITAIRES DU SEPTENTRION, 2022, 208 P. Aurélie Barjonet et Karl Zieger, tous les deux universitaires et spécialistes de la réception littéraire, notamment des œuvres d’Émile Zola, 1 présentent un volume qui unit des témoignages de la réception zolienne dans les pays de l’ancien ‚camp socialiste‘; ils ont réussi même à obtenir des rapports venant de la Bulgarie et de l’Albanie, des pays qui, d’habitude, ne se trouvent pas au centre de l’attention. Pour la plupart des cas, les contributions viennent des pays en question, ce qui assure de la part de leurs auteurs la connaissance intime de la vie culturelle et, notamment, des conditions de la réception des œuvres littéraires. Comme l’envergure et la qualité de la réception d’un auteur ou d’une œuvre se manifestent par le nombre d’éditions et de traductions et par l’importance et le caractère des paratextes, les contributions analysent et jugent ces faits d’une manière assidue et détaillée. (Pour la plupart, d’ailleurs, celles-ci étendent l’analyse aux années précédant l’existence du rideau de fer; malgré leur importance, ces analyses n’ont pas pu être prises en considération dans ce compte-rendu vu qu’elles sortent du cadre donné.) Le fait primordial qui unit tous les rapports est la dépendance inconditionnelle de la vie culturelle de la situation politique dans les pays dits ‚socialistes‘; il en résulte l’importance des réflexions, théorèmes, verdicts prononcés par des personnalités dominant la vie politique et culturelle des époques respectives. Toutes les contributions font preuve, c’est à souligner dès de début, d’une connaissance profonde de cette situation dans toutes ses tournures et tous ses effets. Les directeurs du volume le constatent dans leur introduction: Dans les pays en question, toutes les sphères de vie, ainsi la vie culturelle jusqu’à la réception d’un auteur, étaient influencées, voire dominées par la politique; par conséquent, théoriquement, la valeur d’un auteur fut mesurée en raison de sa conformité aux préceptes politiques. Toutefois, la pratique réceptive ne suivit pas forcément cette directive rigide; ici, les conditions historiques, l’influence inhibitrice ou encourageante de cer- 1 Aurélie Barjonet, Zola d’Ouest en Est. Le naturalisme en France et dans les deux Allemagnes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010; Lire Zola au XXIe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2018; Karl Zieger, Die Aufnahme der Werke von Émile Zola durch die österreichische Literaturkritik der Jahrhundertwende, Berne, Peter Lang, 1986; Zola en Europe centrale, Valenciennes, Presses universitaires, 2011. 210 DOI 10.24053/ ldm-2022-0035 Comptes rendus taines personnalités font leur effet - abstraction faite des modifications des préceptes politiques mêmes. 2 Le ‚cas Zola‘ fut, grosso modo, un cas à double tranchant pour les pays autrefois ‚socialistes‘: selon l’idéologie dominante, il était possible de voir l’auteur, d’une part, comme un des premiers défenseurs littéraires des ouvriers et du combat des classes, comme adversaire implacable du monde bourgeois. Mais d’autre part, il était possible qu’il ait dû être critiqué pour sa théorie naturaliste, déterministe qui s’exprimait dans ses romans comme dans ses œuvres théoriques. Selon les témoignages des huit contributions, la réception zolienne s’est positionnée dans ce cadre, durant l’époque ‚socialiste‘ historiquement assez brève, de différentes manières, mais observant toujours l’opinion directrice émanant de l’Union Soviétique; et, en général, le qualificatif de ‚réalisme socialiste‘ qui fut à l’époque le but à atteindre, n’était guère attribuable aux œuvres de Zola. Le rapport donné par Galyna Dranenko pour l’Union Soviétique remonte jusqu’aux années d’après la Première Guerre mondiale et même jusqu’à l’époque tzariste; par le titre de „naturaliste naturalisé“, attribué à Zola, l’auteure souligne l’enracinement de celui-ci dans la culture russe et soviétique. Pourtant, elle note deux périodes différentes de réception en Union Soviétique: Zola, apprécié par Lounatcharski et même par Staline en tant qu’écrivain et homme politique, fut critiqué dans la première période pour sa théorie naturaliste; après la Deuxième Guerre mondiale, en revanche, Zola fut consacré ouvertement, avant tout par les éditions populaires parues en masse; ces volumes, qui reposaient parfois sur des traductions problématiques, contenaient souvent des préfaces ou des postfaces destinées à diriger le lecteur vers l’interprétation ‚juste‘ de l’œuvre. Cependant, l’auteure loue la qualité des trois éditions des Œuvres Complètes de Zola parues en russe et d’une autre en ukrainien; elle mentionne également la traduction des œuvres de Zola dans les langues originales des différents peuples de l’URSS. Pour la Pologne, Anna Kaczmarek-Wisniewska constate également une différence dans la réception d’avant et d’après la guerre, mais dans le sens inverse: tandis que Zola fut d’abord hautement apprécié - on le mit sur le même niveau que Balzac, Stendhal et Flaubert -, le dogme de Lukács gagne du terrain après la guerre, dogme qui a sévi quelques années et selon lequel seul Balzac, grâce au fameux „triomphe du réalisme“, était le grand réaliste, alors que Zola n’était qu’écrivain mineur. Mais, la critique polonaise, d’esprit vif et ouvert, réfuta une pensée aussi étroite. Dans les années du dégel, les traductions douteuses ont été remplacées par des traductions fidèles, surtout par l’édition intégrale des Rougon-Macquart. Dans ce cadre, la plus grande valeur a été attribuée à Germinal comme soi-disant précurseur du réalisme socialiste. 2 Cf. à ce propos un travail semblable, décrivant la réception d’Albert Camus dans les différents pays de l’Est: Brigitte Sändig (ed.), Camus im Osten. Zeugnisse der Wirkung Camus’ in Zeiten politischer Teilung (Camus à l’Est. Témoignages de la réception de Camus à l’époque de la guerre froide), Potsdam, Universität Potsdam, 2000. DOI 10.24053/ ldm-2022-0035 211 Comptes rendus Quant à la RDA, Aurélie Barjonet constate sous le titre „Une réception personnifiée“ un cas particulier: la réception zolienne portée et propagée à peu près par une seule personne, l’éminente romaniste Rita Schober. Grâce à elle qui traduisait et éditait les œuvres de Zola, d’abord les romans les plus appropriés à la ligne politique et puis tous les volumes des Rougon-Macquart, Zola était un des auteurs français les plus connus et lus en RDA - bien au contraire de la faible réception en République Fédérale. D’ailleurs, Rita Schober a contribué, par ses travaux sur Zola, à surmonter le verdict impératif de Lukács. Pour la Tchécoslovaquie, un état double à l’époque, Kateřina Drsková constate une réception double en conséquence: la Tchéquie apparaîtra plus francophile que la Slovaquie. Mais, le plus important était, ici et là, l’arrière-fonds politique: Durant les premières années de la République Tchécoslovaque, quand la vie culturelle fut alignée strictement selon le modèle soviétique, les phrases de Jdanov et de Lukács ont eu une portée sacro-sainte; mais, vers la fin des années cinquante déjà, alors qu’une libéralisation réticente se faisait place, le romaniste pragois Jan O. Fischer qualifia Zola dans une préface de Germinal de „classique de la littérature française“; une telle modification du jugement fut soutenu aussi par la référence à la position de Zola dans l’affaire Dreyfus. Enfin, le Printemps de Prague de 1968 a rendu obsolète de telles mesures de précaution. En ce qui concerne la situation après 1989, l’auteure constate, comme dans les autres contributions, un déclin général de l’intérêt culturel. Sous le titre „Une réception sous le signe de Lukács? “ (avec un point d’interrogation! ), Sándor Kálai analyse la réception ambigüe de Zola en Hongrie. D’abord, en effet, le jugement négatif de Lukács y a pesé sur Zola. Sándor Kálai souligne que Lukács formulait son jugement en tant que philosophe marxiste, non en tant que critique littéraire. Selon lui, Lukács, en s’appuyant sur Engels, a prôné le fameux „triomphe du réalisme“, qu’il attribue à Balzac plutôt qu’à Zola. Ce verdict péremptoire fut tempéré au cours des années cinquante durant lesquelles, d’ailleurs, Lukács a perdu son rôle d’idéologue en chef. Les romans de Zola, avant tout Germinal et L’Assommoir, ont paru à grands tirages jusqu’en 1989; Zola fut lu par le grand public, mais regardé plutôt comme classique mineur. En Roumanie, dans un pays où la francophilie a favorisé en général la réception des œuvres de Zola, celle-ci a toutefois connu, selon Ioana Galleron, trois périodes différentes: une première, durant jusqu’en 1968, pendant laquelle les impératifs idéologiques ont été les plus oppressants, une deuxième où les stéréotypes se sont dilués peu à peu, et une troisième, caractérisée par une tendance nommée ‚protochronisme‘, accompagnatrice d’une fermeture politique du pays: en voulant faire prévaloir des phénomènes de la culture roumaine, on les compara aux grandes figures et légendes de la culture mondiale, réduisit même ces dernières à des copies de modèles roumains. Ainsi, pour notre cas particulier, on interpréta les personnages de Zola comme semblables aux héros de contes roumains. 212 DOI 10.24053/ ldm-2022-0035 Comptes rendus Pour la Bulgarie, Marie Vrinat-Nikolov constate une interruption de douze ans, de 1947 à 1960, de la réception zolienne. Tandis qu’on publia et lit Zola en grande mesure avant cette date, Zola fut complètement supprimé pendant ces années-là, marquées par le contrôle de la vie culturelle par le Parti Communiste. Le triomphe du „réalisme socialiste“ fit même apparaître le naturalisme comme une tendance littéraire décadente. Ce fut en particulier Todor Pavlov, disciple fidèle de la politique culturelle soviétique et idéologue en chef bulgare, qui imposa ce verdict. Même à partir de 1960, époque où l’on recommença à publier les romans de Zola, il fallut toujours, dans les préou postfaces, excuser les penchants naturalistes de Zola. Pour l’Albanie, Tomorr Plangarica parle d’une „réception communiste aux antipodes“ d’une réception qui, tout en reprenant les clichés et réticences habituels envers Zola, les utilise pour publier et propager ses œuvres. Ainsi, Zola ne fut pas mesuré à l’aune du modèle Balzac, mais considéré en général comme un des plus grands écrivains français réalistes et, en particulier, comme un auteur qui, tout en franchissant les barrières du naturalisme, a introduit dans la littérature mondiale les thèmes éminents du prolétariat et de la lutte des classes. Toutefois, après 1990, Zola n’est plus présent dans les travaux universitaires; ce sont en revanche les journalistes qui découvrent des détails capables de rapprocher le lecteur albanais de Zola, y compris même des ancêtres albanais de l’auteur. Les analyses fournies dans les rapports, résumés ici d’une manière forcément générale, sont basées sur des listes, des statistiques, des graphiques minutieux qui permettent de regarder et de juger en détail le sort de Zola dans les différents pays dits ‚socialistes‘. Il s’agit d’un grand travail de compilation qui amène le lecteur à réfléchir sur un des systèmes de contrôle intellectuel et émotionnel les plus rigides qui existent… Or, un tel travail ne témoigne pas seulement d’un chapitre clos de l’histoire littéraire, mais appelle aussi à la vigilance envers des manœuvres de manipulation en général. La postface d’Yves Chevrel intitulé „Zola: une œuvre résiliente“ résume l’histoire ambigüe des œuvres de Zola dans les pays de l’Est, où elles ont suscité „un malaise général“ (186), mêlé de „marques d’admiration et de restriction“ (189). C’est justement cette ambiguïté qui fait de Zola un cas particulièrement intéressant, parce qu’elle révèle les oscillations qu’il y avait même dans une politique culturelle rigide, parce qu’elle met en relief les marques nationales spécifiques qui caractérisent les pays divers, tous pourtant contrôlés par l’Union Soviétique, et parce qu’elle témoigne, last but not least, de la portée des personnalités - dans le bon comme dans le mauvais sens. Pour résumer, les directeurs de ce volume et les chercheurs et chercheuses qui y ont contribué illustrent une phase d’histoire culturelle d’une haute valeur. Brigitte Sändig (Berlin) ------------------
