eJournals lendemains 47/188

lendemains
ldm
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.24053/ldm-2022-0044
0513
2024
47188

La grille d’écriture

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2024
Cornelia Ortlieb
ldm471880037
DOI 10.24053/ ldm-2022-0044 37 Dossier Cornelia Ortlieb La grille d’écriture Les tracés de la ligne de Flaubert, observées point par point Gustave Flaubert est un auteur qu’il faut lire sous forme de manuscrit: tous ses textes publiés sont en réalité le résultat d’un long et dur processus, d’une écriture tentative et scrupuleuse, qui réduit, focalise et ratifie, jusqu’au moment de la concentration maximale. 1 En conséquence, il y a aussi une multitude de griffonnements, de notes et d’essais à la recherche de la description juste ou de la phrase parfaite, et aussi le retour multiple de certains éléments connus, que l’on peut considérer dans ces essais autographes comme une série sans fin. Cette „scène d’écriture“ („Schreibszene“), dont on discute en Allemagne depuis des décennies déjà, est toujours une scène de la reconstruction: on ne la voit pas, on ne l’observe pas, mais on en voit les traces - ou bien on croit en voir les traces - dans l’écriture elle-même, ou plutôt dans ce moment que l’on peut appeler avec Roland Barthes, la scription. 2 Le „dossier de l’écriture“ de Barthes, ici au sens de l’écriture manuelle, le graphisme, contient, comme l’annonce le titre, plusieurs variations aussi de la classification et de l’ordre systématique et alphabétique. En outre, il renvoie au corps qui écrit, à ses mouvements et à ses gestes, mais aussi à sa position immobile qui exige de la force, si l’on pense par exemple aux enfants qui doivent apprendre à rester immobiles à table ou sur une chaise, ce qui nécessite au moins une certaine coordination de la tête, des yeux et de la main. 3 En outre, il faudrait également tenir compte du corps des choses: Le mot écriture est ambigu: tantôt (pour simplifier) il renvoie à l’acte matériel, au geste physique, corporel, de la scription, dont l’écriture, conformément à l’étymologie, n’est que le produit substantiel (‚avoir une belle écriture‘); tantôt, à l’autre bord, ‚au-delà du papier‘, il renvoie à un complexe inextricable de valeurs esthétiques, linguistiques, sociales, métaphysiques […] (Barthes 2006: 110sqq.). Mais si nous nous intéressons au papier, nous entrons dans une autre conception de l’écriture de Barthes, une autre des variations: „L’écriture n’est en somme rien d’autre qu’une craquelure. Il s’agit de diviser, de sillonner, de discontinuer une matière plane, feuille, peau, plage d’argile, mur“ (ibid.: 98sq.). La craquelure, traduit en allemand: der Haarriss, tout comme, à nouveau traduit en français, la fendille ou encore la fissure capillaire, nous rappelle le vocabulaire des beaux-arts, de la peinture: un vieux tableau n’a plus le vernis clos, mais quelques fissures, de même que la toile ou des vêtements se déchirent, de manière presque invisible. Cela signifie que l’on trouve aussi partout des actions matérielles, ce sont aussi les choses et les matériaux qui travaillent, comme le décrit Barthes dans une variation sur la Matière: „S’il y a ‚subjectivement‘ autant d’écritures que de corps, il y a aussi, historiquement, autant d’écritures que de supports: le support détermine le type d’écriture parce qu’il 38 DOI 10.24053/ ldm-2022-0044 Dossier oppose des résistances différentes à l’instrument traceur, mais aussi, plus subtilement, parce que la texture de la matière (son glacé ou son rugueux, sa dureté ou sa mollesse, sa couleur même) oblige la main à des gestes d’agression ou de caresse“ (ibid.: 172sq.). L’abondance des manuscrits de Flaubert permet une telle lecture et observation comparative: „As far as the Bibliothèque Nationale mss. are concerned, these break down into overall plans, detailed scenarios, recapitulative plans, drafts, fair copies of chapters and fair copies of the whole work - all of which allows us to follow the text through the various phases of its elaboration“ (Wetherill 1984: 178). 4 Sous l’aspect d’une exploration qui s’intéresse à la modalité de l’écriture et au processus qui permet de reconstruire des traces sur le papier, le concept de texte se modifie: on préférera choisir un terme qui suggère quelque chose de moins fixe et de moins fermé comme le graphème ou le griffonnage, ou encore des verbes comme brouillonner ou crayonner. Et on recherche toujours un équilibre entre l’observation d’un graphème comme événement d’écriture singulier, un ordre plus général des effets observés et la reconstruction d’un procès partiellement imaginé pour un seul auteur ou même une seule main qui écrit. Dans ce contexte, Christoph Hoffmann constate, pour une telle étude des techniques et des pratiques des écrivains dans le domaine de la science: „Il est donc toujours vain d’espérer obtenir des conclusions universellement valables sur l’importance de l’écriture dans le processus de recherche à partir des travaux d’un seul chercheur ou d’un seul groupe de recherche“ (Hoffmann 2013: 189). En outre, le même écrivain trouve évidemment plusieurs méthodes plus ou moins tentatives d’organiser ses matériaux, de chercher les mots justes, de corriger et replacer, et on ne sait peut-être pas du tout s’il y a un système ou plutôt une série contingente d’essais et de mises à l’épreuve. I. Le manuscrit absent et le début de la scène. Les dédicaces de Flaubert: Les Memoires d’un fou Si on s’intéresse à un auteur de ‚l’âge des manuscrits‘, 5 il faudrait toujours revenir au manuscrit, c’est-à-dire revenir au manuscrit lui-même, et non au document numérisé, car on ne peut voir les traces de cette résistance sur la surface d’un écran, bien qu’à l’ère de la pandémie, on soit heureux de pouvoir travailler avec un manuscrit qui est déjà numérisé, ce qui semble également évident. Mais l’imagination de la scène d’écriture se double et se dédouble si on ne voit jamais l’objet de sa recherche, si on ne peut pas expérimenter la texture du papier, son poids, ses qualités tactiles, tout ce que nous devrions savoir pour parler de cette ‚scène‘ au sens strict (cf. Campe 1991). Nous avons cependant appris à improviser et sommes désormais habitués à parler de manuscrits sans les voir, ou de voir les images agrandies sur un écran ou sur le mur d’une salle de conférence, et nous continuerons, comme toujours, à parler d’un objet absent en imaginant une scène passée. De plus, nous essayons de corriger la capacité des moyens philologiques, y compris les moyens de la critique textuelle, pour retrouver le sérieux de l’analyse, bien que nous utilisions le succédané, le remplacement ou encore le supplément, le document numérisé. DOI 10.24053/ ldm-2022-0044 39 Dossier En outre, nous revenons à un début de l’écriture de Flaubert, non pas, évidemment, pour chercher une origine qui n’existe pas, mais en hommage à la critique génétique qui nous a donné de si riches réflexions sur le début, la continuation et le devenir des textes ou, comme nous préférons le qualifier, de la scription, comme Barthes l’a décrit (cf. Cadiot/ Haffner 1993). Un tel début est aussi le récit Les Mémoires d’un fou de Flaubert, dans lequel est représentée pour la première fois la fameuse scène de la rencontre avec une femme qui, en un seul instant, change toute la vie - ici écrit par un jeune homme de dix-sept ou dix-huit ans qui reflète déjà - en écrivant - la scène de l’écriture (Flaubert 1838). Ce début a d’ailleurs plusieurs débuts: le manuscrit, qui est publié sur Gallica ainsi qu’une transcription diplomatique sur le site de l’Université de Rouen, nous montre d’abord deux dédicaces et aussi le début d’un travail avec le point et le trait ou bien le tiret et la ligne. 6 Pour aller plus loin, nous ne prélevons que quelques points dans ce matériau si riche: la première dédicace déclare „je te donne mes pensées; triste cadeau! / Accepte les - elles sont à toi comme mon cœur“ (Flaubert 1838: 2). Le cœur fait aussi partie de la deuxième dédicace. Bien qu’on ne puisse lire le mot que sous forme de rature, il est remplacé par le mot „âme“, mais il est écrit une troisième fois en majuscule à la fin de la deuxième dédicace (ibid.: 3). De plus, on peut lire ici qu’il s’agit d’un „roman intime“ - qui n’existe pas. C’était un projet qui n’a jamais vu le jour - ou qui se trouve dans „ces pages“, mais, „peu à peu en écrivant, / l’impression personnelle / perça à travers la fable, l’ame le cœur à travers / remua la plume et l’ecrasa. / J’aime donc mieux laisser cela dans le mystère des conjectures, pr toi elles n’en sont / tu n’en feras pas“ (ibid.). Ce passage, en tant que scription sur le papier, est évidemment autoréflexif: Alors qu’il est impoli de corriger et de rayer quelque chose dans une telle dédicace comme dans une lettre, les ratures sont ici réellement significatives, car on voit comment „l’impression personnelle“, qui devient plus forte que la première et qui une fois précisée n’est plus du cœur, mais de l’„ame“ (sans accents, comme presque toujours dans ces manuscrits), change le sujet avec une formule très intéressante, „le mystere des conjectures“ (ibid.). Conjecturer signifie supposer ou présumer quelque chose, mais la conjecture a également un sens technique dans le processus de la publication de textes, pensons à l’amélioration conjecturale; en allemand die Konjektur. Il s’agit là de la pratique de compléter le texte quand il présente des lacunes - des lettres, des mots ou une signification. 7 En revanche, la première dédicace se présente comme un tableau ou un poème dans le grand cadre blanc de la page et, en reprenant l’appel, comporte le mot „cœur“, suivi d’une signature qui n’est pas privée ou intime, mais la signature typique, professionnelle, d’un artiste ou d’un écrivain. La dédicace est datée à la dernière ligne: „4 janvier 1839“ (ibid.: 2). La deuxième dédicace est au contraire une lettre adressée à l’ami Alfred [Le Poittevin] et se termine par un appel: „Adieu pense à moi et pour moi“ entre deux lignes qui marquent à nouveau la fin, mais ici aussi comme parenthèse pour les mots „de cœur“ (ibid.: 3). 40 DOI 10.24053/ ldm-2022-0044 Dossier Ill. 1: Flaubert, Les Mémoires d’un fou, première dédicace (Flaubert 1838: 2) DOI 10.24053/ ldm-2022-0044 41 Dossier Ill. 2: Flaubert, Les Mémoires d’un fou, deuxième dédicace (Flaubert 1838: 3) 42 DOI 10.24053/ ldm-2022-0044 Dossier II. Confessions en points et lignes. Le manuscrit de Les Mémoires d’un fou Nous passons au début suivant. Le manuscrit des Mémoires d’un fou comprend treize chapitres numérotés en chiffres romains; il commence avec des méditations mélancoliques et le début d’un récit autobiographique, c’est-à-dire une sorte de Confessions à la manière de Rousseau. De plus, une rature après le neuvième chapitre, marqué par quelques points et lignes, prépare le deuxième, le vrai début, annoncé à plusieurs reprises: „Apres trois semaines d’arrêt“, peut-on lire dans la première phrase à la manière d’un titre, puis après une pause, également marqué du changement de page, de ce titre, du trait sous ces cinq mots, de la lacune sous le trait, et puis des points qui suggèrent un nouveau début et peut-être aussi une continuation, car normalement on les voit à la fin d’une phrase, comme medium de l’évocation, de suggestion etc. C’est également le cas ici sur cette page, qui se termine d’un trait énergique et, qui, dirions est fermé une fois de plus (Flaubert 1838: 53). Vient ensuite une nouvelle page, le chapitre numéro „X“ - la scène des scènes de ce récit, et aussi du futur récit de Flaubert, la narration d’une apparition, d’un évènement exceptionnel qui va changer toute la vie (Flaubert 1838: 54). C’est aussi un souvenir, comme on le lit ici, qu’il faut d’abord retrouver dans sa mémoire, en s’approchant doucement, dans un mouvement d’avancée puis de recul, en expérimentant quelque chose et en le corrigeant au moment même où on l’écrit. On y trouve également une recherche d’images: ce retour au souvenir est comparé avec le fait de retrouver des „ruines chéries“, comme on peut le lire dans la marge de gauche, mais aussi à un autre retour, celui d’un soldat qui retrouve sa modeste maison - ce qui signifie normalement, après un combat ou une bataille (ibid). Ce qui se trouve sous la rature, c’est le récit de ce retour, la description de la petite maison, puis la rencontre avec les parents - tout cela est rayé (ibid.). De plus, on trouve d’abord la formule de la „cicatrice“ qui reste, du cœur qui bat, „au moment de retracer cette page de ma vie“, métaphore réflexive et description littérale en même temps, car c’est le moment de la scription qui trace et qui retrace la page, cette page. Sur la page suivante, nous voyons ensuite l’autre moment, qui, comme nous l’avons déjà dit, est préparé à plusieurs reprises comme quelque chose qui était autrefois, qui a disparu, qu’il faut retrouver, mais qui est malgré tout soudain là, avec une présence extraordinaire, fortement sensuelle, qui finit par être indicible, comme l’annoncent les points en bas de la page: mais le passé parait semble rapide tout l’oubli es* retreci le cadre qui l’a continu - cependant p r moi aux battem tout semble vivre encore j’entends et je vois le fremissement des feuilles je vois jusqu’au moindre ins* moindre pli de sa robe. - j’entends le timbre de sa voix, comme si un ange chantait près de moi. DOI 10.24053/ ldm-2022-0044 43 Dossier Ill. 3 Flaubert, Les Mémoires d’un fou: „Après trois semaines d’arrêt“ (Flaubert 1838: 53) 44 DOI 10.24053/ ldm-2022-0044 Dossier Ill. 4: Flaubert, Les Mémoires d’un fou: X J’aborde ici (Flaubert 1838: 54) DOI 10.24053/ ldm-2022-0044 45 Dossier Voix douce et pure. - qui vous ennivre et qui vous fait mourir d’amour voix qui a un corps tant elle est belle et qui seduit, comme s’il y avait un charmé à tes mots . . . . . . . . . (Flaubert 1838: 55). Après cette évocation d’une impression étourdissante qui sollicite tous les sens, suivent deux pages décrivant l’environnement de cet été d’un jeune homme de quinze ans qui passe les vacances dans un petit village au bord de la mer et se promène à la plage. Ensuite, la mer et le sable sont décrits ou suggérés, et à la lecture, nous nous retrouvons avec lui au centre de l’épisode sur une seule page (Flaubert 1838: 58). Il s’agit du sauvetage d’un manteau féminin qui risquait d’être mouillé par la mer, qui se trouve à la ligne invisible entre la mer et le rivage ou, comme il est écrit sous la rature, „sur le sable“. Le manteau est également une composition de lignes, rouge avec des rayures noires et de larges „franges de soie“ qui sont déjà touchées par l’eau: ce jour là une charmante pelisse rouge avec les rayes rayes rivage noires etait laissée sur le sable. la marée montait, - le rivage etait festonné d'ecume - et la m déjà un flot plus fort avait mouillé les franges de soie de ce manteau. ple placer au loin Je l’otai l’etoffe en etait moelleuse et legère. c’etait un manteau de femme - (Flaubert 1838: 58) Le passage qui traite du sauvetage est à nouveau une évocation sensuelle, maintenant du sens tactile, qui réagit à la texture de ce vêtement intime, qui représente ici manifestement sa propriétaire. Puis l’intrigue continue, comme un récit de mémoire: on se retrouve à l’auberge après cette journée à la plage, Elle exprime ses remerciements, puis il y a un petit dialogue, suivi d’une autre évocation de sa beauté, que nous pouvons prendre en considération pour conclure cette observation. C’est la vision d’une femme du passé qui est présente sur le papier au moment de ce souvenir. Cela commence par une rature parlante concernant la situation de ce dialogue. Si on lit ce qui est rayé, on voit un petit enfant de deux ans sur les genoux de la femme assise - mais il a déjà disparu sur cette page corrigée: c’etait une jeune femme as* assise à vo* avec son mari et tenant sur ses genoux un charmant enfant de deux ans. près d’une 46 DOI 10.24053/ ldm-2022-0044 Dossier petite table à la table voisine - quoi donc lui demandai-je preocuppé ? - d’avoir ramassé mon manteau n’est-ce pas vous? - Oui madame repris-je embarrassé elle me regarda. Je baissai les yeux et rougis quel regard en effet! - comme elle etait belle cette femme! - je vois ardente encore cette prunelle sous un sourcil noir se fixer sur moi comme un soleil - (Flaubert 1838: 59) L’apparition d’abord banale - une rencontre de voisins de table dans une auberge - se transforme ainsi en drame des regards. Et la seule correction concerne ici l’adjectif, puisqu’elle ajoute le mot oublié „ardente“, et on comprend que l’on lit ici un coup de foudre, le début d’une obsession pour la femme, d’abord pour cette femme, qui par un échange de regards est maintenant évoquée en détail par un regard tactile, approchant et envahissant, écrit d’un trait, sans correction, de la prunelle jusqu’à la peau qui termine la page: „elle etait grande, brune avec de / magnifiques cheveux noirs qui lui / tombaient en tresses sur les epaules / son nez etait grec ses yeux etaient / brulants son/ ses sourcil hauts [sic] et / admirablement arqués - sa peau“ (Flaubert 1838: 59). 8 Ce n’est évidemment pas la fin, mais un autre début, celui du voyeur qui continue à toucher du regard cette femme extraordinaire et nous raconte cette obsession de la voir passer, „nu“, comme il l’écrit par métonymie, car ce ne sont évidemment que quelques parties du corps qui sont littéralement nues, mais il s’agit aussi du mouvement quand elle passe de l’eau au sable. Elle est deux fois sur une page une telle passante d’une beauté divine, jusqu’ au commentaire final: „J’etais immobile de stupeur / comme si la Venus fut descendue / de son piedestal et s’etait mis à marcher“ (Flaubert 1838: 62), qui nous rappelle l’autre Vénus, Aphrodite née de l’écume et sortie des flots (de la Méditerranée). 9 Cette entrevue se trouve au centre des Mémoires d’un fou, qui racontent la solitude, la mélancolie et l’amour fou d’un très jeune homme - et on peut véritablement observer la construction de ce souvenir et de ces mémoires comme un travail sur le papier. III. La loi de la répétition ou à la recherche du début dans L’Éducation sentimentale Nous passons à un deuxième exemple, une scène identique et différente en même temps: au début de L’éducation sentimentale, nous observons également plusieurs débuts, beaucoup de débuts manuscrits et aussi une obsession similaire de la répétition ‚en lignes‘, comme on peut le voir avant même l’acte de lire ou de déchiffrer. DOI 10.24053/ ldm-2022-0044 47 Dossier Flaubert avait commencé à prendre des notes au printemps 1862 et finit le manuscrit sept ans plus tard, en mai 1869. Dans cette „longue genèse de l’œuvre“, qui comprenait quelques ruptures et d’autres projets d’écriture inclusive, la première partie fut achevée fin 1865 (Dord-Crouslé 2019: 1). De très nombreuses autres pages manuscrites nous sont parvenues de ce travail: pour arriver à la fin de son roman, „sans compter la documentation rassemblée dans les carnets de travail ou partiellement reversée ensuite dans les dossiers de Bouvard et Pécuchet, Flaubert a noirci près de 3000 feuillets (plans, scénarios et brouillons), conservés pour l’essentiel à la Bibliothèque nationale de France (NAF 17599-17611), mais dont certains ensembles continuent aujourd’hui encore à faire surface lors de ventes. Ainsi, 52 feuillets de résumés et plans sont réapparus lors de la vente de la bibliothèque de Pierre Bergé le 11 décembre 2015“ (ibid.) De plus, le travail s’est poursuivi même après la première édition du texte, et il est remarquable que Flaubert insiste sur les autres mains qui ont copié et recopié son texte, un copiste professionnel, mais aussi d’autres personnes, puis divers lecteurs, en corrigeant et ajoutant des signes et des mots (cf. ibid.: 2; De Biasi / Boltz 2009). Il faut donc se limiter ici à quelques exemples significatifs et à une vision sélective et se concentrer une fois de plus sur le début, qui n’est pas le manuscrit relié de L’éducation sentimentale, signé par l’auteur, conservé à la Bibliothèque Nationale de France, numérisé dans Gallica (Flaubert 1864-69). C’est plutôt le retour paradoxal au ‚manuscrit avant le manuscrit‘, ici au ‚brouillon‘, pages également reliées avec des notes typiques à l’encre et au crayon, corrigées, biffées et raturées d’innombrables fois, numérisées et gardées en ligne dans Gallica. 10 Et pour mieux comprendre nos arguments courants, il faut ouvrir le site Internet pour lire et voir dans une perspective stéréoscopique. On commence alors par le début dans plusieurs sens, par la première partie, le premier chapitre, par la page „I“ comme on peut le lire en haut de la page, probablement de la main de Flaubert. Et cela ne le restera pas, comme on le voit en feuilletant - seulement peut-être la partie rayée d’une croix ou d’un grand X (1r). Et cela recommence encore une fois de la même manière, encore une fois rayé (2r), puis une troisième fois, encore le même Numéro I, mais aussi l’écriture rayée (3r) - avec des différences, bien sûr, qu’il faudrait regarder et même lire, puis la quatrième (4r), et aussi une autre ou la même, la cinquième maintenant, il ne reste presque rien de non-rayé sous les ratures (5r). Tout cela peut nous rappeler le paradoxe de la signature décrit par Jacques Derrida, d’être à la fois unique et répétable, y compris le même moment, comme dans ces pages numéro 1 (Derrida 1972). Cette paperasserie apparait, se réalise, se produit littéralement sur le papier. Mais nous nous intéressons aussi à ce qui va disparaître et qui ne se trouve que sur ce papier, une autre obsession de la ligne: on note en feuilletant le sixième début, le septième, le huitième, toujours la page „I“ (6r, 7r, 8r), puis beaucoup de pages diverses, des notes rayées etc. Plus tard, cela reprend et on trouve ainsi à la page „37“ (nombre au crayon) de ce livre manuscrit une autre page, le numéro II (17r). Cette partie de texte, qui sera un jour placé quasiment au début du livre et de la 48 DOI 10.24053/ ldm-2022-0044 Dossier narration, décrit la vue du fameux „bateau“ ou „petit navire“ sur lequel Fréderic Moreau, le protagoniste, vient de monter, et on aura plusieurs variations de ces phrases, évidemment nous en choisirons une du début - et il est intéressant de noter qu’une remarque de Flaubert, ailleurs, associe le „style“ et „le canot“. Dans une lettre à Luise Colet du 24 avril 1852, il conçoit „un style qui vous entrerait dans l’idée comme un coup de stylet, et où notre pensée enfin voguerait sur des surfaces lisses comme lorsqu’on file sur un canot avec un bon vent arrière“ (Flaubert 1980: 79 [24 avril 1852]). 11 En lisant la scène, nous sommes pour ainsi dire aussi à bord de ce bateau et de là, nous voyons, nous regardons, nous observons le paysage, et le texte nous dira à la page suivante que c’est aussi une nouvelle expérience, car se trouver au bord d’un tel bateau est „le Plaisir tout nouveau d’une excursion maritime“ (18r). Mais que voit-on au juste? Toujours des lignes, au sens d’une image ou au sens figuré, mais aussi au sens littéral. Au début d’une petite promenade du regard, on lit et voit: „La rivière etait bordée par des grèves de sable; des foins, au milieu, y formaient de larges lignes vertes“ (17r). Ce sont des impressions de couleur, mais aussi, selon nous, de géométrie: le paysage se révèle cultivé, les rivages et les grèves ne sont pas de nature ‚naturelle‘, mais, comme le mot „lignes“ pour l’herbe fauché, „les foins“ nous montre qu’il y avait du travail, de la cultivation - et aussi un regard cultivé, si l’on veut. Et ce passage, qui n’était pas rayé, est tout de même répété - puis rayé (18r): nous retrouvons les bords, les sables, les foins dans une ligne, mais il y a maintenant une autre ligne, une ligne de crayon, qui fait disparaître cette image dans le futur de cette écriture progressive. Ce qui restera après la rature, c’est uniquement le fleuve, avec, après le trait de crayon, les „trains de bois“ et le „bateau sans voile“, donc encore des lignes sur la surface de l’eau, et ainsi nous notons aussi un changement de perspective. Sur la même page (18r) se trouve également, comme on le voit de loin déjà, un grand passage entièrement barré d’une croix, mais également encadré. Cette image crayonnée ressemble au dos d’une enveloppe, mais ces lignes ne détruisent pas la scription, et ainsi peut-être, quand nous lisons, il y a là, chez nous sur le bateau, des gens que l’on regarde ou pas. Car on peut lire sous les lignes et grilles: „C’étaient des ouvriers, des boutiquiers, des marchands de vin / de Berry; - la coutume étant alors de se vêtir salement en voyage, / tous portaient de vieilles calottes grecques ou des chapeaus déteints, de maigre habits noirs“ etc. (18r). Ainsi, comme s’il s’agissait d’un dessin, on ne voit que les contours de ces hommes et pas de couleurs, sauf le noir pâli des vêtements de travail sales. Puis cela continue à la page suivante (19r) - en négligeant, comme toujours dans ce genre d’observation, le verso, qui est tout à fait diffèrent - et en feuilletant, on voit à nouveau la rivière, cette fois sans rature des „lignes verts au bords sablée“, mais montrant aussi le retour des autres voyageurs et leur rature et leur supplément sur le bord droit de la page. Sous la première ligne large et noire, on peut lire, en s’inspirant de la formule de Roland Reuß pour les manuscrits de Franz Kafka: Lire ce qui était raturé (Reuß 1995): „C’étaient des gens de boutiques accompagnés de femmes“, DOI 10.24053/ ldm-2022-0044 49 Dossier complété par „leurs“ (19r). Ainsi, il ne s’agit pas de quelques femmes quelconques, mais de „leurs“ femmes; elles sont mariées, ces personnes, et dans une version ultérieure, elles auront aussi des enfants. En outre, on remarque deux lignes plus bas „les marchands“, y compris ceux „de vinet“ et „de Berry“, mais ces mots sont strictement raturés, ou annulés (19r). Ils reviennent encore une fois à gauche, dans une transcription de mémoire, selon nous, mais comme écrit de mémoire: „C’etait [sic] des boutiquiers, / des ouvriers, / des marchands de vin de / Berry La coutume etant ‚alors‘ de se vêtir salement en / voyage, tous portaient de vieilles calottes ‚grecques‘ ou des chapeaux / deteints“ (19r, marge de gauche). 12 On a comme l’impression que cela est recopié, y compris l’ajout au crayon de „grecques“, d’abord oublié, mais il s’agit selon nous d’une répétition permanente du vocabulaire, sans le transcrire littéralement, mais en répétant sans cesse le geste de la scription. Cette partie d’une description est destinée à constituer, selon nous, une sorte de tableau de paysage ou de genre, ou une sorte de cadre pour la scène et le portrait qui vont suivre. Cela représente évidemment beaucoup de travail d’écriture, de correction, de remplacement de quelques détails, et tout cela pour préparer une certaine vision, la femme assise, au milieu d’un banc, également une composition de lignes - le moment dans la diégèse qui va tout changer, et évidemment aussi un premier moment fort pour cette écriture. IV. Sensations diverses et la scène de la scène Nous notons que cela prend du temps - on feuillète, on lit, on relit toujours les mêmes phrases qui ouvrent le dialogue entre Frédéric et un monsieur qui se présente comme „Jacques Arnoux“, et où se répète toujours la question: „Vous etes [sic] artiste? “ (42r, pass.) ou „Vous etes [sic] peintre? “ (35r, 37r, pass.), posé de multiples fois par Frédéric, sur cinq pages, dix pages, vingt pages, finalement plus de cinquante pages - et puis cela recommence: „La rivière était bordée par des grèves de sable des joins au milieu y formaient de larges lignes vertes“ - ainsi, cela n’avance pas (44v). On le retrouve soudain sur une page où l’on trouve d’abord une description du monde en marge, c’est comme un petit tableau de genre, les couleurs des vêtements, le pont sale, des sensations acoustiques (52r) - et si on omet un passage, on peut voir de près la femme extraordinaire et inoubliable. Désormais, en lisant sous la croix crayonnée, on remarque: „Frédéric voulut rejoindre sa place et ouvrait la cloison des Premières / derangea deux chasseurs avec leurs chiens“ (52r). On note ensuite, il „vit“ - rayé, remplacé par „frolant“, c’est à dire l’idée qu’il passe en touchant doucement la femme - ce verbe aussi a été rayé - et puis une autre version, strictement rayée, dont nous lisons le premier mot: „frolait“ - le reste est difficile, mais ce qui nous intéresse d’avantage, ce sont les trois points ici, encore une fois le signe de l’indicible (ibid.). L’écrivain ou le narrateur caché a beaucoup de choses à dire qui ne peuvent pas être dites, c’est à dire écrites, comme on le voit en feuilletant les pages suivantes. L’indicible se trouve ici dans le commentaire qui est ajouté à droite, dans une petite 50 DOI 10.24053/ ldm-2022-0044 Dossier Ill. 5: Flaubert, L’Éducation sentimentale (premier manuscrit / brouillon, 52r) DOI 10.24053/ ldm-2022-0044 51 Dossier écriture probablement plus tardive que le graphème qui l’accompagne, car l’encre et aussi le geste ont légèrement changé (53r). Il s’agit d’un commentaire qui double et remplace le premier sur le mode de la question rhétorique à la page précédente: „Comment ne l’avait il pas vue plutôt? “, rayé d’un trait fragile de crayon (52r). Cette question et cette phrase reviennent pourtant à la page suivante, sur une nouvelle ligne qui contient au début plusieurs points, déclarant: „....Comment ne l’avait pas vue plutôt? “ (54r). Mais au milieu de ces deux efforts se trouve le fameux énoncé évocateur et aussi comparatif, et on trouve même une autre page suivante qui réunit en une seule ligne tous les deux modes de dire l’inexprimable, la question rhétorique et l’énoncé, après encore une fois „quand il vit...“ à la ligne au-dessus: „Comment ne l’avait plus vue plutôt“, ajoutée à gauche de la phrase déjà terminée, qui se rattache - ou ne se rattache pas - au début précédant „Où donc [mot barré] se trouvait-elle? C’était [sic] comme une apparition“ (55r). Désormais, sur cette page, comme nous le dit une autre phrase, elle se trouve non pas „au milieu du banc“ comme auparavant, mais: „Elle est assise à gauche“, quand on ne lit pas ce qui est barré ou: „Elle était assise, au milieu du banc, à gauche, toute seule […]“ (ibid.). À la recherche de la position parfaite, cette écriture se repositionne aussi elle-même de nombreuses fois. Cela se produit, comme en peut l’observer sur le brouillon, en trouvant la juste description de la sensation visuelle, mais aussi à cause de l’effort pour nommer ce qu’on ne peut pas décrire, le moment extraordinaire et surtout la beauté indicible de cette femme - qui est à nouveau composée en contours, avec des lignes parlantes, sur la même page avec de nombreuses ratures explicites concernant par exemple ses vêtements (55r). Il y a toujours les trois points après l’introduction de la perspective de Frédéric - „il vit“ - et une grande confusion concernant ses vêtements, les lignes des bandes du chapeau, les points de la robe de mousseline (55r, 56r, 57r, 58r, 59, 60r) et puis l’idée retrouvée et nouvelle du sauvage. Ici, l’objet sauvé n’est plus un manteau, mais un objet très connu, un châle. Il s’agit aussi d’une scène extraordinaire, que l’on retrouve ici à plusieurs reprises. Une version, qui restera au fond, est écrite sans corrections jusqu’au point névralgique: Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, au milieu de la mer, durant les soirs humides, en envelopper sa taille, s’en couvrir les pieds, dormir dedans! Mais, entraîné par les franges, il glissait peu à peu, il allait tomber dans l’eau, Frédéric fit un bond et le rattrapa. Elle lui dit: Je vous remercie, monsieur (61r). Ce qui sera annulé n’est visible que sur cette page (et ses variations): le problème de cette scène d’écriture n’est pas, comme nous l’avons vu, le châle, sa description comme un vêtement intime et l’idée insistante ou intrusive qu’il touche le corps de la femme. C’est plutôt le moment de la rencontre après le sauvage, les échanges de regard, à nouveau, comme dans Les Mémoires d’un fou, le regard, encore une fois, ce qui n’est pas étonnant dans un roman à ce point habité par le fait de voir, par l’obsession du voyeur. 13 Mais le moment de mettre fin à cette statique du regard et 52 DOI 10.24053/ ldm-2022-0044 Dossier de l’observation est venu lorsque le châle commence à glisser, infime partie d’un mouvement qui sera plusieurs fois modifié. Il y a d’abord eu un contraste marqué au début d’un nouveau paragraphe: „Mais le châle, entrainé par le poids des franges, peu à peu [il] glissait“ - „le châle“ a immédiatement été annulé et remplacé par le pronom „il“ à gauche, „peu à peu“ a été rayé d’un trait d’encre (61r). Ce mouvement minimal, initié par le (non-)„poids“ des „franges“, une composition de lignes d’étoffe légère, se déroule si doucement qu’il faut en outre ajouter deux fois „peu à peu“ audessus et au-dessous de la phrase, désormais après „glissait“ (ibid.). Mais ce supplément est aussi rayé deux fois, tout comme son ajout sous un autre ‚barrage‘ noir, qui laisse tout de même supposer l’adverbe „lentement“. L’indication du lieu futur est également écrite et rayée deux fois: Le châle glisse „dans l’eau“ - mais à la fin, il sera sauvé avant de toucher la surface mouillée (ibid.). Ces corrections invitent à quelques réflexions sur la technique de Flaubert à ‚peindre‘ des scènes en accordant une attention particulière aux corps féminins et à leur environnement textile (Fehringer 2017). Le travail de Flaubert se concentre alors ici sur ce moment de la première vraie rencontre ou interaction, cachée sous quelques lignes et ‚barrages‘ d’encre noirs. Sous le noir, on trouve d’abord un „regard“, un mot rayé et repositionné d’une phrase ajoutée à droite, qui précise: „son regard était si tranquille et doux qu’il le frappa penetra jusqu’au fond de l’âme“ (61r). Mais le paragraphe entier et barré d’une grande croix et les marges à droite contiennent également un autre adjectif, noté lisiblement au crayon: „limpide“ (ibid.). Il est impossible de décider si nous voyons ici la correction spontanée ou ultérieure, un moment de création ou de rédaction. Mais tout l’ensemble montre l’indicible et suggère que c’est elle qui doit parler pour surmonter l’obstacle. À la page suivante, on trouvera une solution - ou un autre essai: elle parle, elle remercie, et son regard est à nouveau traité et annulé, nous pouvons déchiffrer „son regard était si limpide“, l’adjectif ajouté sur la ligne, prenant la place de „tranqu[il]“ ou de „franc “ (61r). Ce qui se passe lorsque le regard revient est à nouveau indicible, et c’est pour cela que les regards sont modifiés puis rayés. Mais ces mêmes regards ne sont pas non plus rayés, au contraire, mais transformés par un complément au-dessus de la ligne: „Leurs yeux alors se rencontrèrent“ (ibid.) - et là est la véritable scène de la scène! V. Multitude d’observations. Sans fin Comment peut-on alors conclure? Que peut-on résumer? Nous le savions déjà, nous connaissions évidemment déjà cette écriture ‚scrupuleuse‘, mais il n’en reste pas moins que c’est tout autre chose de la contempler, de l’observer, de la suivre attentivement sur le papier. Et si nous avions plus de temps ou de patience, nous pourrions évoquer toutes ces variantes - ou même variations - et aussi leur fonction, par exemple, comme nous l’avons vu, pour dédier un livre qui serait un roman intime, une confession, un récit autobiographique - réel ou faisant partie d’une fiction. On pourrait encore mentionner les variantes par souci du détail dans la description des DOI 10.24053/ ldm-2022-0044 53 Dossier lieux, des paysages, des personnes, comme une sorte de dessin qui commence littéralement avec les points et les lignes que l’on trouve partout ici, à tous les niveaux de la scription ou de l’écriture. On possède - ou on posséderait - bien sûr aussi un répertoire de ces points, lignes, carrés, X, ratures ou effacements et de leur sémantique différente, que l’on pourrait utiliser pour une sorte de typologie, que l’on pourrait ensuite comparer avec d’autres écritures semblables. Cependant, ce qui est fascinant, ce qui choque parfois même, selon nous, c’est véritablement l’obsession - et le travail sur le manuscrit - que l’on voit et que l’on lit dans cette scription, une autre forme d’intimité et de ‚voyeurisme‘ - qui semble toucher l’écrit et qui nous touche, qui nous saisit: ces grilles d’écriture et cette griffe de Flaubert qui se révèle dans et sous les points, les lignes et les ‚barrages‘ d’encre sur le papier. Barthes, Roland, Variations sur l’écriture. Variationen über die Schrift [1973], französischdeutsch, trad. Hans-Horst Henschen, Mainz, Dieterich, 2006. Biasi, Pierre-Marc de / Boltz, Déborah, „Ajouts, omissions, substitutions: la main fautive des copistes dans le texte de L’Éducation sentimentale“, in: Flaubert. Revue critique et génétique, 1, 2009, DOI: 10.4000/ flaubert.376. Bohnenkamp, Anne / Bremer, Kai / Wirth, Uwe / Wirtz, Irmgard (ed.), Konjektur und Krux. Zur Methodenpolitik der Philologie, Göttingen, Wallstein, 2010. 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Biografie, München, Hanser, 2021. 1 C’est pour cela que l’écriture de Flaubert est aussi un exemple extraordinaire pour toutes les questions concernant l’édition adéquate depuis le début de l’ère du numérique, cf. Callu 1993: 63, et particulièrement Debray-Genette 1993. 2 Le concept de la scène d’écriture a été développé par Rüdiger Campe et n’a cessé d’être modifié jusqu’à aujourd’hui (Campe 1991). Repris et transformé par Martin Stingelin, Sandro Zanetti et Davide Giuriato, la scène d’écriture fait partie d’une réflexion diversifiée sur la généalogie de l’écriture (cf. la série de livres Stingelin/ Zanetti/ Giuriato 2004sqq., qui réunit de nombreuses analyses inspirées par la critique génétique française). Le dernier tome traite de la ‚littérature de pencil‘ (cf. Morgenroth 2022). 3 Barthes souligne que ce travail du corps est contrôlé d’une force en partie technique et en partie morale: „Parce qu’elle prolonge le corps, l’écriture engage immanquablement une éthique; à la fin du XIXe siècle, on vante les avantages de l’écriture droite: elle oblige l’enfant à tenir son corps droit, de front, les deux bras sur la table, les deux yeux à égale distance du papier; confusion courante de la gymnastique et de la morale, on exploite l’amphibologie du droit, qui est à la fois rectitude physique et droiture morale: écrire droit, c’est écrire franc; à la limite, c’est obligatoirement ne pas mentir“ (Barthes 2006: 144sq.). 4 Wetherill ajoute que la différence des types n’est pas aussi simple ou évidente comme cette remarque le laisse entendre: „Each type contains elaboration (stylistic, documentary, plot) which one would more readily associate with an earlier stage. The sequence is therefore to a large extent hypothetical: the classifications we might establish never exclude other types of writing“ (ibid.). DOI 10.24053/ ldm-2022-0044 55 Dossier 5 C’est aussi le sous-titre du premier tome de la série Zur Genealogie des Schreibens (cf. Stingelin/ Giuriato/ Zanetti 2004). 6 On pourrait même, en reprenant un terme de Jean Paul, parler d’une certaine Punktiermanier (manière et art de faire des points) (cf. Ortlieb 2011). 7 En Allemagne, cette technique a également été discutée en la confrontant avec la Krux: lorsque la conjecture tente d’améliorer un texte, ce signe (la croix stylisée) marque que l’on essaie de laisser le texte ‚comme il est‘ (cf. Bohnenkamp/ Bremer/ Wirth/ Wirtz 2010). 8 Pour ȇtre complet, il faut ajouter que la femme imaginée ressemble à Élisa Schlesinger, voir pour le portrait répéte Jaloux 1970. Elle est désignée comme la première et seule femme aimée de Flaubert - ou mal aimée, cf. Doucin 1984 - ou d’abord aimée, mais ensuite transformée dans un mythe bien exploité par l’artiste (cf. Winock 2021: 202). 9 Aphrodite ou Vénus, qui a au moins une liaison métonymique avec Maria, est aussi une allégorie de la création artistique (cf. Fricke 2010); cf. aussi la note de bas de page 13. 10 Gustave Flaubert: L’Éducation sentimentale, https: / / gallica.bnf.fr/ ark: / 12148/ btv1b600008 66/ f40.item. Les indications entre parenthèses se réfèrent à la numérotation des pages du manuscrit dans l’édition numérique. 11 Fehringer souligne que le verbe filer établit un autre lien au language textile (Fehringer 2017: 6). 12 L’écriture dans les marges a une tradition qui remonte aux débuts de l’écriture (cf. par exemple Jackson 2001); ses diverses fonctions pour l’écriture littéraire sont discutées dans Metz/ Zubarik 2008. 13 Cette obsession se manifeste également dans l’itération; cf. par exemple: „chaque matin j’allais la voir / baigner, je la contemplais de loin / sous l’eau, j’enviais la vague molle / et paisible qui battait sur ses flancs / et couvrait d’ecume cette poitrine / haletante“ (Flaubert 1838: 61).