lendemains
ldm
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.24053/ldm-2023-0014
0923
2024
48189
La désagrégation du sujet précaire à l’ère néolibérale à travers l’écriture ,ultra-violente‘ d’Emmanuelle Richard
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2024
Antonella Ippolito
ldm481890163
DOI 10.24053/ ldm-2023-0014 163 Dossier Antonella Ippolito La désagrégation du sujet précaire à l’ère néolibérale à travers l’écriture ,ultra-violente‘ d’Emmanuelle Richard La figure de l’employé précaire dans la ,littérature du travail‘ entre fiction et témoignage: quelques considérations préliminaires L’interprétation de la vie en fonction de critères liés à la sphère de la production et renvoyant souvent au binôme succès-échec est devenu un thème majeur des écrits sur la postmodernité. À ce titre, on souligne la difficulté du sujet contemporain à se définir dans un espace où les lieux et les parcours stables de construction identitaire (au niveau matériel et/ ou symbolique) ont été remplacés par une recherche continue de reconnaissance sociale et une reconstruction permanente de soi. Les conséquences que les transformations du travail produisent sur l’expérience émotionnelle des sujets à l’époque du ,nouveau capitalisme‘ font l’objet de l’analyse de Richard Sennett. En particulier dans son essai The Corrosion of Character. The Personal Consequences of Work in the New Capitalism, 1 paru en 1998, le parcours de deux personnages réels devient l’emblème d’un changement culturel: un père et son fils incarnent le passage d’un modèle de vie basé sur la poursuite d’objectifs planifiés à long terme à un nouveau modèle qui ne contemple que la nécessité de changer, forçant l’individu à une éternelle re-négociation de soi-même, de ses relations et de ses capacités. En ce nouvel idéal de ,flexibilité‘, Sennett reconnaît un système de pouvoir qui sape à la base la personnalité et les relations sociales de l’individu contemporain, en effaçant progressivement toute certitude et point de repère ainsi que sa capacité d’auto-narration. Autrement dit, le sujet n’arrive plus à ,se raconter‘, à apercevoir sa propre histoire comme une séquence cohérente d’événements (succès tout comme échecs), toute linéarité des parcours de développement personnel étant désormais disparue, fragmentaire et fragmentée dans la durée des expériences de travail. À bien des égards, la littérature de l’extrême contemporain se fait porteuse de ces expériences en les interprétant. Depuis les années 1990, le thème du travail émerge chez un grand nombre d’auteurs de langues romanes: des textes narratifs assez variés, caractérisés par de différents procédés de mise en scène et de structures formelles et énonciatives, placent leur diégèse dans le monde du travail en décrivant la situation souvent miséreuse de l’individu dans un monde régi par les lois du néolibéralisme. On assiste donc à la multiplication récente d’ouvrages portant sur les conditions de travail dans de différents milieux - l’usine, le chantier, le garage, le bureau, l’agence. 2 Parmi les textes, plusieurs semblent accueillir une réflexion ultérieure qui porte sur les nouvelles modalités du travail précaire/ intérimaire: on peut arriver jusqu’à affirmer que la figure de l’ouvrier a été de plus en plus remplacée par celle du travailleur précaire, tout comme l’usine par l’idée plus générique d’,entreprise‘ (cf. Grenouillet 2012: 197sq.; Labadie 2016). Le succès de textes comme Le 164 DOI 10.24053/ ldm-2023-0014 Dossier Quai de Ouistreham de Florence Aubenas (2010) témoigne d’une volonté de comprendre, en lui donnant du sens, l’expérience actuelle des salariés temporaires qui, parfois par choix, mais souvent faute de mieux, acceptent des ,petits boulots‘. À travers le personnel narratif convoqué, les auteurs analysent une classe sociale sur laquelle retombe toute sorte d’incertitude; ils remettent en question la réalité des rapports socio-économiques produisant chez l’individu protagoniste une souffrance psychologique et physique (cf. Grenouillet 2012: 200). Le travailleur précaire, ,nouveau pauvre‘, isolé par rapport à un monde collectif qu’il n’a aucun moyen de modifier, est une particule élémentaire vouée à l’isolation: le manque de garanties professionnelles dans un univers social basé sur le travail intérimaire remet profondément en question les valeurs basiques du vivre dans la collectivité et empêche souvent le citoyen de s’y reconnaître. 3 L’inquiétude qui s’étale de la vie professionnelle à la sphère privée se définit donc comme la caractéristique majeure de la condition contemporaine telle que la nouvelle littérature du travail la décrit. Le discours sur la prise de conscience des ,petites gens ‘ , dont la condition misérable s’apparente à celle des minorités qui peuplaient le paysage discursif de la littérature sur les banlieues, s’est donc imposé comme l’une des grandes tendances du début du XXI e siècle. Tout en renonçant à une esthétique réaliste ou naturaliste stricto sensu, les récits relèvent du réalisme comme posture narrative en ce qu’ils se posent la question de la restitution par des moyens littéraires d’une expérience collective et qu’ils rendent compte d’un monde en donnant voix aux dominés, à leurs points de vue et leurs perceptions du monde. Dans ce contexte, la plupart de ces narrations proposent une sorte d’expérimentation au niveau formel et de composition, en sollicitant le lecteur à travers une remise en question de la narration linéaire et des procédés traditionnels d’écriture. La mise en fiction de la précarité professionnelle et existentielle, tout en opérant un „travail de distanciation, voire de poétisation“ (Grenouillet 2012b: 74), a tendance à manipuler la temporalité du récit en le fragmentarisant. La narration reflète par ce biais sur le plan textuel le caractère instable et déstabilisant des expériences représentées. Désintégration (2018) d’Emmanuelle Richard: Une mise en fiction (au féminin) de la précarité sociale et de l’écriture Désintégration, troisième roman d’Emmanuelle Richard paru en 2018 aux éditions de l’Olivier, s’inscrit tout à fait dans ce courant. La narration à la première personne brosse un tableau de l’expérience de la précarité à partir d’une situation doublement dominée, car elle procède d’une double volonté, celle de décrire les difficultés du sujet protagoniste dans une société qui a fait de l’instabilité un système de vie, mais aussi celles du sujet écrivant en tant que femme. En puisant de l’expérience de l’auteure, le récit procède, comme plusieurs ,romans de travail‘, d’un accord sur l’existence d’un monde commun à celle-ci et à son lectorat: l’écriture serait justement le reflet de ce monde, bien que transfiguré par l’élaboration artistique. DOI 10.24053/ ldm-2023-0014 165 Dossier L’anonyme protagoniste, fille de petits fonctionnaires et grandie avec des complexes à l’égard du statut social de sa famille, essaie de subsister à Paris pour y poursuivre des études de lettres dans le but d’obtenir le niveau minimal pour accéder à un concours dans l’administration publique, en enchaînant toute une série de jobs alimentaires non qualifiés. Pourtant, elle s’inscrit dans un perpétuel entre-deux, car elle n’en reste pas moins du côté des avantagés. L’espace de l’appartement où elle vit en colocation, les salles de l’université, les magasins où elle travaille deviennent le cadre d’une confrontation continue et défiante entre les deux faces d’une France ,à double vitesse‘ opposant d’un côté la narratrice, de l’autre la haute bourgeoisie parisienne qui méprise (ou est accusée de mépriser) les classes laborieuses, jeunes ,nantis‘, ,fils de‘, qui n’ont jamais connu de l’intérieur les affres des emplois de galère et de la nécessité de faire ses courses en comptant à chaque fois son argent. Le fossé qui se creuse entre la protagoniste et ceux qui ont réussi déjà par leur naissance, le constat amer de l’inégalité du partage des richesses, l’identification à la tâche et les sentiments croissants d’humiliation donnent lieu à une ,éducation sentimentale négative‘ à travers l’envie et la frustration. Le résultat est la haine pure et violente qui, au fil des pages, étouffe la narratrice jusqu’à l’aveuglement. Les observations détaillées à l’intérieur du microcosme focalisé dans la fiction (l’appartement) mènent à une démystification du mythe néolibéral de la réussite à travers la volonté. De toute façon, l’intention dénonciatrice reste limitée par rapport à la catégorie des récits militants dans lesquels la première personne représente une collectivité; la situation n’en demeure pas moins individuelle, il n’y a pas de volonté d’expliquer ou de témoignage engagé. La protagoniste du roman est bien au centre d’une expérience d’introspection incorporant des fragments d’un discours politique, mais le texte ne se configure pas comme reportage social et ne met pas en évidence un arrière-plan documentaire. Elle déchantera vite dans une société soidisant méritocratique qui masque tout un univers d’inégalités sociales. La haine et le désir de violence ne seront que l’exutoire de cette volonté frustrée. En raison de sa structure, Désintegration est une expérience de lecture assez compliquée. La représentation de la précarité se fait dans une forme littéraire ellemême d’apparence ,précaire‘, flexible, qui semble accepter le défi de raconter une existence caractérisée par l’incohérence et la déstabilisation dans un cadre narratif cohérent. Tout d’abord, Emmanuelle Richard construit son récit sur le principe d’une succession de trois parties ordonnées selon une progression basée sur le développement des sentiments négatifs de la narratrice par rapport à son contexte de vie (Le monde, La haine, Horizon). En outre, la première section (Le monde) est basée sur l’alternance de deux narrations, référées à deux périodes séparées par dix ans d’intervalle et montées en parallèle. La description de la misère vécue par la narratrice dans sa jeunesse se tisse ainsi aux scènes successives focalisées sur son rôle actuel en tant qu’écrivaine affirmée. L’introduction du deuxième plan temporel sert aussi de prétexte pour présenter la situation romanesque du dîner avec l’,hommefleur‘, un célèbre régisseur identifié uniquement à travers son corps entièrement tatoué et son albinisme. Ainsi, la subversion de la chronologie du récit inscrit le temps 166 DOI 10.24053/ ldm-2023-0014 Dossier et les situations dans l’univers mental subjectif du ,je‘ narrant, en utilisant à maintes reprises les tons du monologue (cf. ibid.: 51-52). En même temps, elle est un artifice qui mobilise deux rythmes narratifs en donnant de l’évidence au thème de l’écriture, qui permettra à la narratrice de basculer du côté de la réussite et donc de voir le monde devenir enfin accueillant. L’écriture reste en effet le seul endroit où elle ne se posera jamais la question de l’,être à sa place‘ qui l’étreint dans toute autre situation: elle continuera tout simplement ses tentatives, en dépit de toute frustration. La figure du régisseur ,homme-fleur‘ et l’attraction qu’il exerce sur la protagoniste semble incarner d’un côté la quête inassouvie de l’amour inconditionné, évoquée à maintes reprises à travers toutes les sections du texte, de l’autre (par le motif du tatouage) l’ambition esthétique/ artistique qui constitue le seul territoire où un affranchissement est possible. Les différentes sections du texte, fragmenté par les zooms en avant et en arrière et superposant la voix de la protagoniste à celle de l’auteure à succès qu’elle est devenue, sont marquées par un style qui a très peu d’une écriture de l’intime et développe plutôt un récit factuel, ,brut‘, parfois simulant un ,degré zéro de l’écriture‘. Toutefois, la narration est marquée par un travail stylistique évident, dans lequel la répétition s’emploie à faire écho au rythme aliénant des emplois et de la vie quotidienne. Tandis que l’absence de procédés dialogiques traduit du point de vue formel l’incommunicabilité entre les classes sociales représentées, les mots des interlocuteurs de la narratrice sont dans la plupart des cas incorporés à la syntaxe littéraire, ce qui renforce l’impression d’une fusion vertigineuse des différents langages (y compris les néologismes, les anglicismes et les formes de verlan typiques de la culture pop) dans le vaste monologue de conscience d’une protagoniste qui ,s’observe vivre‘. Dans ce sens, le choix de privilégier des phrases courtes semble luimême ajusté pour refléter cette atmosphère, en reproduisant la succession enchaînée de gestes et d’actions apparemment vides de sens qui structurent les mornes journées des ,nouveaux pauvres‘. Les chapitres d’ouverture comme prologue programmatique: imperméabilité des classes sociales et émancipation à travers le corps Au sein de cette structure, on remarquera la fonction programmatique des chapitres qui ouvrent la première partie (Le monde) par rapport au reste du texte. Le récit est centré sur la soirée du dix-huitième anniversaire de la protagoniste et sur sa rencontre sexuelle avec un „jeune cow-boy“ qui s’avère être un artiste engagé pour l’occasion (cf. ibid.: 11-19). Les deux courtes séquences décrivant la situation, dont la première porte directement sur l’approche sexuelle, sont également organisées comme un cadre autour d’un monologue fortement marqué par la répétition insistée de la phrase „Je ne sais plus quand“ (ibid.: 20sq.). En focalisant un différent plan temporel, ceci met en scène la protagoniste, devenue écrivaine, en proie à une grave crise dépressive, liée en partie à la fin d’une relation. La description de la fête d’anniversaire organisée avec deux amies appartenant à la bourgeoisie aisée contient DOI 10.24053/ ldm-2023-0014 167 Dossier déjà le noyau thématique du texte: elle est basée sur le contraste fondamental entre deux groupes sociaux, ce qui donne l’occasion de présenter la relation entre les classes en termes de manque absolu de communication, voire d’incapacité des riches à comprendre la vie des pauvres: [...] j’avais voulu des chips, elles avaient répondu traiteur [...]. J’avais argué que mes parents ne pourraient pas payer, l’obstacle économique s'ajoutant à mon absence d’envie pour ce type d’ambiance, et Juliette avait choisi de comprendre ,veulent‘ au lieu de ,peuvent‘ (ibid.: 29). Les choses s’étaient enclenchées et emboîtées en cascade [...]. Comment expliquer à Claire et Juliette que la majorité des choses qu’elles aimaient je les trouvais pour ma part d’un ennui morne et que si j’espérais ne jamais vivre la vie de mes parents, il en allait de même pour celle des leurs? [...] Comment mieux exprimer que je ne l’avais fait ce que j’avais déjà formulé, à savoir que nous n’avions pas d’argent pour ce qu’elles projetaient d’organiser? (ibid.: 30sq.). En conséquence, la narratrice se voit confinée dans une situation permanente de non-participation et de simulation („exercice permanent de ma double vie et de mes personnalités multiples“, ibid.: 31). La conclusion en est que toute forme de relation avec les classes aisées (incarnées par les copains et copines) n’est qu’un jeu vide d’apparences „à l’image de cette fête“ (ibid.: 32). La relation avec le jeune cow-boy présentée dans la scène d’ouverture prend à l’apparence la forme d’un laisser-faire. Le désir du personnage masculin semble s’imposer à celui de la protagoniste sans qu’elle le souhaite vraiment. En fait, même si l’expérience s’avère décevante, la curiosité de la jeune fille pour ce qui va se produire est réelle, tout comme le respect pour ce qu’elle-même souhaite, l’emmenant à établir des limites au garçon qui voudrait des choses qu’elle ne désire pas. Le but de la scène est d’introduire le motif de la sexualité recherchée comme langage d’affirmation, clé d’accès à la possibilité de ,vivre une vraie vie‘ en choisissant qui être. Il s’agit là d’une quête d’émancipation et de participation qui, indirectement, remet en cause les rôles de genre introjectés par l’éducation et les conventions sociales: C’était la deuxième fois que je le faisais - ou plutôt ,laissais faire‘, car, à vrai dire, il est tellement difficile pour une fille de se mettre à ,participer‘ sans se regarder agir, de se fiche de la honte inoculée très tôt par toutes les parties environnantes (École, Parents, Patrie, Culture, Corps collectif des pairs) (ibid.: 16sq.). Cette recherche de soi à travers les relations sexuelles se poursuivra dans la suite de l’histoire. Dans une perspective qui, bien que de loin, rappelle certains procédés mis en œuvre par des auteurs comme Virginie Despentes, la narratrice de Désintégration projette son propre épanouissement en subvertissant d’une certaine manière les caractéristiques supposées masculines par des schémas stéréotypés (ibid.: 100- 104), en ignorant d’ailleurs la réprobation masculine qui la marque du stigme de ‚fille facile‘ („être mal perçue pour l’usage que je faisais de mon corps m’était vite devenu indifférent, voire honorifique, après toutes ces années à faire tapisserie“, ibid.: 100). Par ses histoires d’amour d’un soir, le personnage féminin créé par Richard essaie 168 DOI 10.24053/ ldm-2023-0014 Dossier de se construire comme sujet choisissant toujours en action, de se réapproprier le monde tout en remettant en question des rapports qui ne sont que le reflet de rapports de domination: il fallait être idiot [...] pour [...] se laisser enfermer par la norme, les codes, les schémas et la partition de ce qui peut et ne peut pas se faire et au bout de combien de temps, selon que l’on se situe dans la case ,fille‘ ou dans la case ,garçon‘ (ibid.: 101). Mes parents aussi avaient tenté de me conditionner dans ce domaine autant que dans d’autres. Ils n’avaient eu de cesse de me répéter que c’était différent (les choses en général) parce que j’étais une fille et, toutes les fois où je leur avais demandé de m’expliquer en quoi et pourquoi ça l’était [...] ils n’avaient rien su me répondre (ibid. 104). On retrouve ici, dans le sillage d’Annie Ernaux, l’allusion à la sphère familiale comme entité qui transmet une identité de genre normative basée sur la subordination du féminin au masculin. Par la subversion de ces modèles, la narratrice s’arme de la possibilité de choisir (même de décevoir la convoitise masculine, cf. ibid.: 102) comme moyen de résistance à l’infériorisation imposée par des situations extérieures, mais aussi de la disqualification intériorisée qui est le résultat de leur réitération. ,Je‘ contre ,eux‘: Recherche de codes, échec et renoncement De toute façon, même le sexe ne permet pas de véritable relation entre les groupes sociaux. À mesure que l’on avance dans le récit et que la protagoniste perçoit sa propre isolation et les rapports de domination sociale comme écrasants et inévitables, les relations d’un soir laissent de plus en plus souvent un goût amer d’insatisfaction permanente et encore une fois de ,lassitude‘, de renoncement (cf. ibid.: 135-139). L’incompréhension totale entre la narratrice et son colocataire lors d’un rapport sexuel (ibid.: 91) n’est que l’énième cas de malentendu empêchant toute relation. Il s’agit là d’un thème qui, lui aussi, s’annonce dès le début du récit par la juxtaposition constante entre le ,moi‘ et la collectivité des jeunes riches („Ils“, „Ces gens“) comme les deux faces de la société française. Les bourgeois, représentés comme des privilégiés par leur naissance (il n’est pas surprenant qu’on les indique pour la plupart comme „le fils S.“, „le fils M“, etc.) sont par leur nature même incapables de mener à bout une communication efficace avec les ,pauvres‘ dont ils ne partagent pas les expériences de vie: „J’ai pris peu de choses après avoir hésité devant chaque produit. Il [sc. Lukasz] a cru que j’étais ladre. Il a dit que si c’était comme ça il ne ferait plus les courses avec moi“ (ibid.: 55). La seule interaction possible entre les colocataires sera très éphémère et n’aura pas lieu dans l’appartement, mais dans un ,non-lieu‘, une esplanade encombrée d’objets-déchets où pour un soir ils auront l’impression d’être „une bande“ (ibid.: 133). Le défi pour la narratrice sera de s’emparer des outils matériels, langagiers et culturels, du ton et des gestes appropriés pour communiquer d’égal à égal et ne pas DOI 10.24053/ ldm-2023-0014 169 Dossier se laisser assigner à la porte de certains milieux. Elle commence par s’enrichir tout d’abord d’objets, dans une frénésie consumériste: […] épreuve de confrontation, conjointement à celle de la possession, afin de m’endurcir et de m’affermir dans l’exercice de l’appropriation de certains codes, d’un certain naturel, d’un mime de l’aisance et de la décontraction au contact de certaines matières et gammes de produits (ibid.: 61). L’effort pour maitriser les codes comportementaux s’approche bien du discours sociologique des romans autofictionnels d’Annie Ernaux, tels que La honte (1997) ou Les années (2008), qui souligne la distance des langages adoptés par les différents groupes sociaux: Des gens passaient à l’appartement. Leur language m’était autant étranger qu’abscons. Ils disaient parceuque en détachant chaque syllabe et prononçaient toutes les liaisons. Ils disaient des phrases dans lesquelles ils conjuguaient ,je ne pourrais pas‘ à tous les temps et à tous les modes [...] à propos de n’importe quel sujet ils avaient les mots pour le dire (ibid.: 73). Je les hais pour le plus grand des passe-droits: la correction, la fluidité et la maîtrise de ce langage aseptisé et policé qui est la norme dans les lieux dits d’excellence (ibid.: 110). L’appropriation du langage pratiqué du côté opposé du champ social et des repères culturelles qui le soutiennent prendra la forme d’un véritable déguisement: […] moi qui jusque-là ne voyais pas de problème ou ce qu’il pouvait y avoir de hiérarchisant à ne pas connaître ce cinéma indépendant situé près de la place de Clichy en venant de banlieue, je me mis à sentir en défaut avec récurrence; en défaut d’avoir pris jusqu’à l’âge de quinze ans l’enseigne Promod pour une marque de prêt à porter quasiment haut de gamme; en défaut de m’habiller comme je m’habillais avec les moyens que j’avais. [...] Je me mis à tenter en partie de me déguiser (ibid.: 76). Le motif du déguisement est souligné à plusieurs reprises et mis en abyme à travers plusieurs références, p. ex. à travers l’allusion à une expérience vécue par le père de la narratrice dans sa jeunesse, lorsque son costume de Carnaval ,fait maison‘ avait fait l’objet de la dérision par des amis plus riches (ibid.: 84). Comme tout jeu de simulation et dissimulation, même la tentative d’appropriation des codes communicatifs bourgeois est inexorablement vouée à l’échec, les riches pointant toujours du doigt les écarts entre deux mondes. Cet écart s’appuie, entre autres, sur l’ignorance de repères de ,haute culture‘ ou bien sur le manque supposé d’une sensibilité artistique: [...] ils finissaient toujours par me dire Tu ne connais pas le Guggenheim, Tu ne connais pas les entretiens Hitchcock-Truffaut, Tu ne connais pas Pierre et le Loup de Prokofiev, Tu ne connais pas... sans tenter de m’apprendre, ce qui me faisait sentir idiote. [...] la sensation de n’être jamais là où il fallait, de ne jamais correspondre et, à la longue, d’être méprisable, finit par me contaminer (ibid.: 75). 170 DOI 10.24053/ ldm-2023-0014 Dossier Dans cette perspective, toute forme d’art est présentée en premier lieu comme ,art de classe‘, opposée carrément au monde pratique du travail (cf. ibid.: 82) et revendiquée comme propriété exclusive par un groupe qui s’octroie une sensibilité supérieure: [...] quand mon père s’était finalement résolu à entrer à La Poste [...] sa bande de copains amateurs de théâtre s’était de nouveau moquée de lui. Ils l’avaient méprisé. Méprisé pour avoir fait le choix du concret [...]. Ces derniers se rangeaient du côté des artistes. Ils se prévalaient de posséder un supplément d’âme et des qualités intrinsèques, comme souvent les amateurs de culture (ibid.: 85). La différence riches-pauvres est donc ressentie comme une différence de type culturel, empêchant tout dialogue et pour cela apparentée à la distance qui sépare l’Europe des cultures asiatiques, comme le montre le motif récurrent du ‚sourire japonais‘: Je souris bêtement de toutes mes dents (on raconte que lorsque les Japonais sentent la différence culturelle trop importante pour permettre la communication entre les parties en présence, ils ne contestent pas, n’expliquent pas, ne démontrent pas: ils se contentent de sourire) (ibid.: 72). Honte, haine et fantasmes de violence comme résultat d’un conflit de classe intériorisé La constatation d’une inadéquation sociale impossible à surmonter se concentre initialement dans un sentiment de honte qui imprègne chaque instant lorsque la narratrice se voit forcée à „ravaler ses ambitions comme une vieille morve“ (ibid.: 173) et que même sa relation amoureuse avec un jeune homme lui aussi anonyme, lui aussi en décrochage scolaire et travailleur précaire surexploité, s’écroule sous le poids de l’incertitude et des difficultés économiques. Les ‚McJobs‘ comme les appelait Douglas Coupland (1991), 4 sont assimilés dès le début à l’humiliation: 5 La morne réalité des tâches quotidiennes déconstruit au fur et à mesure le mythe de l’ambition récompensée dans un monde du travail qui place la rentabilité et le profit comme priorité absolue. La honte sociale assume toutefois dans Désintégration des traits tout à fait différents par rapport à la prose auto-sociobiographique contemporaine. La narratrice ne partage pas avec les protagonistes des textes d’Annie Ernaux le conflit intérieur qui ressort de la honte du milieu familial d’origine aussi bien que du fait même d’éprouver ce sentiment; l’angoisse vague d’être devenue une ,ennemie de classe‘ ne la hante pas. Elle ne perçoit pas l’expérience de ,transfuge de classe‘ comme une trahison ou un manque de loyauté envers le sien, d’autant plus que cette même expérience reste ratée pour la plus grande partie de l’histoire et réduite tout au plus à un petit emploi en CDI qui ne fait que consolider la frustration: „Et pourtant nous n’étions même pas de vrais pauvres. ,Pauvre‘ n’était pas le mot exact approprié [...]. Jamais DOI 10.24053/ ldm-2023-0014 171 Dossier nous ne sautions un repas même quand il s’agissait de tenir une semaine avec vingt euros à deux“ (ibid.: 168). La prise de conscience des conditions socio-culturelles et économiques qui la rendent isolée et „mal assortie“ par rapport au groupe d’interaction renforce, au contraire, un lien de solidarité à l’égard du milieu familial, la sensation de revivre des „bribes d’humiliations“ déjà vécues par ses parents et l’urgence de „venger sa race“ (citation indirecte d’Annie Ernaux; cf. ibid.: 131 6 ). On soulignera par exemple qu’au début de l’histoire, la recherche des codes appropriés de comportement n’a pas le but de faciliter l’‚acceptation‘ ou l’intégration dans un groupe de pairs, mais la capacité d’être à l’aise dans le plus grand nombre de situations en passant facilement d’un milieu à l’autre: „je fantasmais de parvenir à posséder les codes d’une variété de groupes la plus étendue possible afin de me mouvoir avec fluidité dans chacun d’eux sans appartenir à aucun. Je me voulais illimitée“ (ibid.: 57). La recherche consumériste des ‚jolies choses‘ se fait elle aussi, au moins pour un certain temps, comme une recherche de beauté pure qui n’est pas sans évoquer Perec (cf. ibid.: 168), et pas comme adhésion à des codes vestimentaires par lesquels la narratrice refuse de se laisser intimider et qu’elle décide en pleine conscience de défier. La description de la soirée au club à laquelle la protagoniste participe en se composant une tenue ,correcte‘ avec le peu qu’elle possède a été expliqué par Richard comme une réaction à la lecture d’un témoignage ernausien concernant un souvenir de jeunesse (cf. Richez 2019). 7 Chez Emmanuelle Richard, les efforts vains pour sortir de l’entre-deux social déterminent une honte qui apparaît au fur et à mesure que la protagoniste vit l’expérience (réelle ou perçue) de l’isolement et de l’exclusion. Au tout début du texte, il n’y a pas de honte ni de jalousie, plutôt de la curiosité. La véritable honte ressortira du renoncement à soi, d’un sentiment d’infériorité intrinsèque - „être l’échec“ (Richard 2018: 174; cf. 174-175): „J’avais fini par intégrer que j’étais moins bien qu’Eux. Arquée à vie. Sous-merde. Perdante courbée. Baisser la tête, filet de voix. Rien dire, jamais. Pas protester. Pouvais plus. Honte de tout. Incorporée“ (ibid.: 174). La honte refluera en dégoût chronique, colère et ,haine de classe‘ de plus en plus violente et féroce, haine pure et permanente en réaction au mépris. Celle-ci, aussi bien que le désir de violence dans lequel les sentiments qui étreignent la narratrice se concrétisent, constituent un thème qui prend de l’ampleur au fil de la narration et qui finit par prédominer dans la deuxième partie, intitulée justement La haine. Peu à peu, l’échange communicatif entre la protagoniste et les ,autres‘ devient impossible aussi parce qu’elle est complètement aveuglée à leur égard et interprète toute expérience comme la trace évidente d’une arrogance et d’un mépris généralisés. L’auteure fait un effort explicite pour montrer l’ambivalence des sensations de sa protagoniste aussi bien que de sa position. Un entretien d’embauche avec deux recruteuses maghrébines qui semblent la mépriser en tant que représentante d’une catégorie privilégiée est donc présenté comme un moment ultérieur où elle fait l’expérience de la minorité (cf. ibid.: 156). Le regard discriminateur dont la narratrice, Française „yeux bleus à la peau de Javel“ (cf. ibid.: 157), se croit l’objet adopte une 172 DOI 10.24053/ ldm-2023-0014 Dossier perspective contraire à celle décrite par le discours courant. Par ce biais, Richard refuse toute position essentialiste donnant au ,pauvre‘ et marginalisé une connotation positive incontestée. La colère sociale de la protagoniste semble se nourrir d’elle-même à partir du moment où elle commence à voler sur son lieu de travail, essayant par là de renverser en partie l’iniquité qu’elle y vit, jusqu’au moment où elle éclate. C’est un détail auditif qui agit en élément déclencheur de ses fantasmes de destruction: la réplique „Qu’est-ce que j’peux faire, j’sais pas quoi faire“ de Pierrotle-Fou chantonnée par des jeunes élégants en plein milieu de la rue (cf. ibid. 108sq.). La citation du film de Godard, qui rentre à plein titre dans la ,monnaie culturelle‘ validée du côté du bon goût, et pour ainsi dire dans un comportamentalisme de classe, devient ici une devise dans laquelle l’insouciance et l’assurance supposées des privilégiés se cristallisent. Quelque chose „craque“ alors dans la narratrice (cf. ibid.: 107), faisant en sorte que la haine gagne en véhémence et que la colère monte, menaçante, sans que le lecteur sache à quoi cela pourrait mener. Les fantasmes de violence deviennent alors un leitmotiv du texte, soutenu par des allusions intermédiales de plus en plus fréquentes. La construction intermédiale du texte dans le jeu libérateur de l’écriture Désintegration rassemble en fait dans sa structure narrative assez complexe un large éventail de réminiscences intertextuelles et intermédiales. Parmi les nombreuses allusions à des textes qui, de quelque manière, portent des traces thématiques en relation indirecte avec le récit, on signalera par exemple la référence à La peau et les os (1949) de Georges Hyvernaud (cf. Richard 2018: 140). Avec son portrait acéré d’une condition de captivité et son discours pourfendeur des hypocrisies sociales, le roman que la narratrice choisit de se faire offrir semble véhiculer une allusion à la précarité économique comme une nouvelle forme de captivité qui inflige au sujet l’absence d’espoir et la perte progressive de dignité. Il en va de même pour le monologue La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès (1977, publié 1980 et 1988), qu’elle écoute au théâtre du Châtelet par la voix de Romain Duris (cf. Richard 2018: 194). La référence est à notre avis encore significative, car là aussi il s’agit de la mise en scène d’un personnage condamné à un gouffre de solitude, qui connaît les difficultés de la pauvreté et du travail à l’usine et qui décrit l’expérience de ceux à qui d’ordinaire la parole n’est pas accordée: l’oppression sociale et la vie saccagée par les lois du „petit clan des salauds techniques qui décident“ (Koltès 1988: 19). Assister au monologue est encore une fois l’occasion pour raviver la haine à travers la sensation que le texte fait partie de la culture perçue comme hégémonique: Devant l’homogénéité des spectateurs sur place, je connus une réaction à la fois physique et épidermique. Je fus saisie de nausée et de tremblements. J’eus envie de poser une bombe. La peau de mes avant-bras se recouvrit instantanément de plaques (Richard 2018: 194). DOI 10.24053/ ldm-2023-0014 173 Dossier Le mépris de la narratrice pour la culture ‚comme il faut‘ en arrive à une critique envers les prétendues attitudes féministes de l’élite, comme le montre l’allusion à un récent succés éditorial considéré à tort „un grand texte féministe“ (ibid.): 8 Comme si tout était question de misogynie, comme si tout relevait de la domination masculine et de la structure phallocrate systémique. Fallait pas charrier non plus. [...] Relève la tête plutot et travaille, va faire un meilleur livre et arrête de nous bassiner avec ta petite soupe publicitaire éhontée, tu te fous du monde (ibid.). Plusieurs allusions intermédiales renvoient constamment au cinéma et à la musique contestataire comme le rap ou le hip-hop. Des références au verlan et au vocabulaire spécifique de ces genres musicaux, comme ienclis pour clients, apparaissent tout au long du récit et des citations explicites tirées de textes de groupes ou interprètes assez connus (PNL, Nekfeu, Damso) sont placés en exergue avant chaque section, esquissant les motifs du texte à venir. Le titre de l’œuvre, qui était à l’origine delui de Démission, est lui-même intermédial: Il fait référence au film éponyme franco-belge de Philippe Faucon (2011) qui dépeint le phénomène de la radicalisation religieuse chez les jeunes de banlieue. Emmanuelle Richard a expliqué le choix du titre en rapport avec les circonstances de naissance du roman. La volonté d’explorer d’un point de vue narratif les mécanismes de la colère intérieure aurait été entre autres déterminé par l’expérience personnelle pendant la vision du film. Pendant une phase de recherche de travail marquée par la frustration, l’auteure se serait par moments identifiée aux anti-héros de Faucon, eux aussi livrés au conflit entre le sentiment d’exclusion et les injonctions indirectes de réussite provenant du milieu social jusqu’à ce qu’ils trouvent dans la haine du djihad armé un langage d’affirmation. Désintégration lui aurait alors paru comme le titre parfait pour un roman qui se propose de représenter les mêmes mécanismes psychologiques, en éliminant l’idée de ,défaite ou d’abandon‘ toujours présente dans Démission et proposant au lecteur une polysémie très efficace (cf. Richez 2019). Le terme Désintégration évoque ainsi tout d’abord le renversement intérieur de la protagoniste, la perte d’intégrité, la désagrégation de la personnalité qui s’accompagne de la précarité de l’existence matérielle, mais aussi les fantasmes de destruction violente de l’ordre social perçu comme une évidence et l’échec (ou le rejet en bloc) de toute communication, à partir de la cohabitation entre les personnages du roman. De cette manière, la référence intermédiale, explicitée dans la dernière partie du récit, superpose deux phénomènes sociaux profonds caractérisés tous deux par l’exclusion et la marginalité, et fait du ,racisme social‘ ressenti par la narratrice l’équivalent du racisme religieux et culturel des protagonistes du film („je me radicalisais“, Richard 2018: 189). La colère et le désir de violence deviennent l’expression commune d’une quête de dignité face à l’imperméabilité des classes sociales. Seule alternative: l’émancipation à travers l’écriture marquant la dernière étape d’un parcours de combat qui exprime l’aspiration à devenir soi-même. 174 DOI 10.24053/ ldm-2023-0014 Dossier Böhm, Roswitha, „Vers une poétique du précaire: le monde des salariés dans l’œuvre d’Anne Weber“, in: Wolfgang Asholt / Marc Dambre (ed.), Un retour des normes romanesques dans la littérature française contemporaine, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2011, 197-211. Copland, Douglas, Generation X: Tales for an Accelerated Culture, New York, St. Martin’s Press, 1991. Ernaux, Annie, La honte, Paris, Gallimard, 1997. —, Les années, Paris, Gallimard, 2008. —, „Raisons d’écrire“, in: Nottingham French Studies, 48.2, 2009, 10-14. 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Richez, Guillaume, „Entretien avec Emmanuelle Richard (première partie)“, https: / / chroniques desimposteurs.wordpress.com/ 2019/ 03/ 07/ entretien-avec-emmanuelle-richard-premiere-partie (publié le 7 mars 2019, dernière consultation 20.04.2023). Richez, Guillaume, „Entretien avec Emmanuelle Richard (deuxième partie)“, https: / / chroniques desimposteurs.wordpress.com/ 2019/ 03/ 13/ entretien-avec-emmanuelle-richard-deuxieme-partie (publié le 13 mars 2019, dernière consultation 20.04.2023). Sennett, Richard, The Corrosion of Character. The Personal Consequences of Work in the New Capitalism, New York, Norton, 1998 (trad. française Le travail sans qualités. Les conséquences humaines de la flexibilité, Paris, Albin Michel, 2000). Thumerel, Fabrice, „Entretien d’Annie Ernaux avec Fabrice Thumerel. Ambivalences et ambiguïtés du journal intime“, in: Fabrice Thumerel (ed.), Annie Ernaux: une œuvre de l’entredeux, Arras, Artois Presses Université, 2004, 245-252. 1 Traduction française: Le travail sans qualités. Les conséquences humaines de la flexibilité, Paris, Albin Michel, 2000. 2 Ce phénomène concerne aussi la cinématographie: on rappellera le ‚triptyque du travail‘ de Stéphane Brizé (La loi du marché, 2015; En guerre, 2018; Un autre monde, 2022). 3 Sur la „poétique du précaire“, cf. la recherche de Roswitha Böhm concernant l’œuvre de Anne Weber (Böhm 2011). 4 Le terme ‚McJob‘ a été inventé par Douglas Copland dans son best-seller de 1991, Generation X: Tales for an Accelerated Culture. Copland (1991: 6) définit un McJob comme „un emploi mal payé, sans prestige, sans dignité, sans avantages, sans avenir, dans le secteur des services“ („a low-paying, low-prestige, low-dignity, low-benefit, no-future job in the service sector“). 5 Cf. la description du travail d’aide-retoucheuse chez Celio (ibid. 48): „je foncerais sans respirer jusqu’au soir pour aller m’agenouiller devant des hommes distingués de qui je prendrais les mesures de longueur de jambes“). 6 „Plus lointainement, une phrase de mon journal intime atteste que je lie le désir d’écrire à une conscience de classe: ‚j’écrirai pour venger ma race‘“ (Ernaux 2009: 10). DOI 10.24053/ ldm-2023-0014 175 Dossier 7 La référence est à une soirée où la jeune Ernaux aurait refusé l’invitation à une fête parce qu’elle n’avait pas de robe de danse. „Je me rappelle avoir trouvé insupportable l’idée que certains endroits du monde pouvaient être interdits pour des raisons économiques“, observe Emmanuelle Richard (dans Richez 2019). L’épisode est en fait relaté dans les journaux intimes et considéré par Ernaux comme la première impulsion à l’écriture (cf. l’entretien avec Fabrice Thumerel 2004: 245-252). 8 On soupçonnerait ici une reférence cachée à Celle que vous croyez (2016) de Camille Laurens.
