lendemains
ldm
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.24053/ldm-2023-0018
0414
2025
48190-191
Populaire, démocratique, militant
0414
2025
Matthias Kern
ldm48190-1910031
DOI 10.24053/ ldm-2023-0018 31 Dossier Matthias Kern Populaire, démocratique, militant L’imaginaire des classes populaires pendant l’entre-deux-guerres chez les duos Jean Renoir/ Jacques Prévert et Julien Duvivier/ Charles Spaak En 1936, le terme ‚populaire‘ est en pleine effervescence dans l’espace français - et le cinéma ne fait pas exception. À la suite de l’élection du Front populaire, les arts s’interrogent expressément sur la place accordée au ‚peuple‘ et aux manières de s’adresser à lui. Ainsi naît le cinéma comme art populaire dans les deux sens du terme: d’une part, un art qui jouit d’un grand succès commercial et qui attire les masses et, d’autre part, un art censé exprimer les conditions de vie, les aspirations et les préoccupations de ce que l’on appelle le ‚peuple‘ pendant l’entre-deux-guerres. En effet, les films qui mettent en scène les classes populaires sont légion dans les années 1930 et préfigurent même l’ascension du Front populaire: parmi les premiers, il faut compter Sous les toits de Paris (1930) de René Clair, mais également un grand nombre d’autres films de fiction plus tardifs comme La rue sans nom (1934), adaptation du roman éponyme de Marcel Aymé réalisée par Pierre Chenal, de nombreux films de Marcel Carné comme Jenny (1936) ou Hôtel du Nord (1938), et les films de propagande comme La Vie est à nous (1936/ 1969) de Jean Renoir ou Le Temps des cerises (1938) de Jean-Paul Le Chanois. Cet engouement pour les classes populaires au grand écran ne surprend guère, étant donné que le Front populaire poursuit des stratégies multiples pour promouvoir sa „politique culturelle“ et créer une nouvelle culture populaire en France (Ory 1994: 19-21). Le champ cinématographique récupère en outre plusieurs réflexions qui occupent le champ littéraire depuis les années 1928 et 1929, où les débats autour de l’existence d’une littérature populaire, prolétarienne ou ouvrière ont engagé des auteurs divers comme Henri Barbusse ou André Thérive et ont provoqué l’essor de plusieurs groupes littéraires éphémères comme celui du roman populiste de Léon Lemonnier, celui des auteurs prolétariens d’Henry Poulaille, ou même l’Association des Écrivains et des Artistes Révolutionnaires ( A.E.A.R. ) du parti communiste. Autrement dit, le cinéma se nourrit de ces mouvements et adapte plusieurs romans, ce qui conduit à une reprise des présupposés esthétiques de la littérature de cette période. Néanmoins, deux films vont au-delà de la simple reprise de l’esthétique de la littérature de l’entre-deux-guerres en proposant des scénarios originaux et une réinterprétation particulière des imaginaires et des partis pris littéraires: il s’agit du Crime de Monsieur Lange (1936) de Jean Renoir et Jacques Prévert, ainsi que de La Belle équipe de Julien Duvivier et Charles Spaak (1936). Ces deux films peuvent non seulement montrer l’‚espace des possibles‘ du champ cinématographique lorsque celuici met en scène les classes populaires, mais illustrent également l’ambiguïté politique du terme de ‚peuple‘ et ses différentes interprétations. Car si les deux films 32 DOI 10.24053/ ldm-2023-0018 Dossier sont aujourd’hui reliés au courant du ‚réalisme poétique‘ de l’entre-deux-guerres, leurs choix dans la mise en scène du ‚peuple‘ divergent clairement. Enfin, ils montrent aussi la manière dont le public réagit à la représentation des classes populaires - et contribuent ainsi à une interprétation politique de la part ‚populaire‘ du cinéma. Afin de montrer la manière dont les cinéastes de l’entre-deux-guerres envisagent le ‚peuple‘, je reviendrai dans un premier temps sur le courant du réalisme poétique et son rapport aux classes populaires. Ensuite, une première analyse du film de Renoir et Prévert montrera comment les cinéastes cherchent à exprimer leur position politique de gauche dans un film de fiction. Enfin, une étude approfondie de La Belle équipe et de ses deux fins illustrera comment un film à prétentions apolitiques véhicule toutefois les convictions politiques de ses réalisateurs et de son époque - et comment l’intervention du public peut en changer la donne. Réalisme poétique, populisme, fantastique social - l’essor d’un peuple littéraire au cinéma Pendant l’entre-deux-guerres, l’industrie du cinéma en France fait face à une crise profonde: premièrement, l’avènement du film parlant crée un déséquilibre entre les studios français et ceux, plus en avance, de l’espace allemand et américain. Si Hollywood présente à partir de 1927 son premier film sonore, The Jazz singer, les studios en France n’importent ces techniques qu’à partir de 1929 et doivent payer cher afin de pouvoir utiliser les procédés brevetés en Angleterre ou en Allemagne, étant donné que les entreprises RCA , Western Electrics et Tobis sont alors les seules à posséder les droits d’exploitation de l’enregistrement des dialogues en Europe (Prédal 2013: 115sq.). Par conséquent, les sociétés de production françaises cherchent à rentabiliser leurs efforts par de nouveaux investissements afin de contrôler le marché depuis la production et jusqu’à la diffusion des films, mais ces stratégies d’intégration verticale conduisent une grande partie des entreprises au bord de la faillite. En outre, l’arrivée du cinéma parlant promeut la naissance de nouveaux métiers du cinéma, comme celui du dialoguiste et du scénariste. Si le muet n’avait pas encore besoin de ces professions, celles-ci deviennent indispensables avec l’avènement du parlant (Töteberg 2018: 398) et offrent de nouveaux horizons aux jeunes écrivains - notamment masculins - qui n’auraient pas encore réussi à se faire un nom au sein du champ littéraire. Les métiers de scénariste et de dialoguiste sont ainsi assumés à titre d’activité principale par certains écrivains francophones comme Charles Spaak, Henri Jeanson et, surtout, Jacques Prévert au début des années 1930. Ces nouveaux agents prennent au sérieux leur activité et inventent un langage cinématographique qui doit à la fois s’approcher de l’expression quotidienne et transmettre une certaine poésie. Par conséquent, les scénarios que ces dialoguistes écrivent affirment clairement leur proximité avec les démarches littéraires de leur époque (Billard 1995: 252-258). La naissance d’un nouveau style de film parlant s’explique donc en partie par l’entrée de ces nouveaux agents. DOI 10.24053/ ldm-2023-0018 33 Dossier Les réalisateurs et les studios, à leur tour, participent à la transformation de l’esthétique du cinéma français. Peinant à suivre le modèle hollywoodien, les petites entreprises de production françaises développent un style plus intimiste: désormais, le film français insiste sur l’identité française et la plupart des réalisateurs tournent des drames et comédies situés au milieu de la société (Andrew 1995: 9-11). En résulte une autre „optique“ 1 qui souligne l’importance du décor, une mise en récit qui évoque la vie quotidienne et la reprise de narrations qui proviennent de la littérature. En effet, les adaptations littéraires sont fréquentes, l’exemple le plus connu étant Madame Bovary (1934) de Jean Renoir. Si l’innovation du film parlant, la crise financière des grandes entreprises de production et plus tard aussi la fuite de nombreux créateurs allemands face au nazisme facilitent l’entrée de nouveaux agents dans le champ - scénaristes, dialoguistes, réalisateurs, acteurs et décorateurs - et renouvellent l’optique du cinéma français, ces explications ne suffisent pas à comprendre l’essor du réalisme poétique. En effet, le cinéma adapte aussi les éléments structuraux de la littérature et plus précisément ceux du courant du roman populiste, fondé en 1929 par l’angliciste et romancier Léon Lemonnier. Cet héritage est explicitement évoqué dans un essai du réalisateur Marcel Carné en 1933. Sous le titre „Quand le cinéma descendra-t-il dans la rue? “, Carné esquisse un nouveau cinéma qui s’écarte de la comédie musicale et notamment des milieux qu’il représente en se fondant sur les préceptes de Léon Lemonnier: Et qu’on ne vienne pas nous dire que la littérature ferait défaut. Sans parler de Mac Orlan ou de Jules Romains, nombre de romanciers actuels ne se sont pas fait faute de se pencher sur certains quartiers de Paris et d’en saisir l’âme cachée sous le visage familier de leurs rues: André Thérive avec Sans âme; Bernard Nabonne avec Grenelle et La Butte aux Cailles; Robert Gairic avec Belleville; Eugène Dabit avec Petit-Louis, Les Faubourgs de Paris et surtout Hôtel du Nord […]. Populisme, direz-vous. Et après? Le mot, pas plus que la chose, ne nous effraie. Décrire la vie simple des petites gens, rendre l’atmosphère d’humanité laborieuse qu’est la leur, cela ne vaut-il pas mieux que de reconstituer l’ambiance trouble et surchauffé des dancings, de la noblesse irréelle des boîtes de nuit, dont le cinéma, jusqu’alors, a fait si abondamment son profit! (Carné 1933: 14) Carné stipule dès 1933, avant le tournage de Jenny (1936), son premier longmétrage, que la littérature ne doit pas uniquement servir de source aux scénarios, mais qu’elle doit également proposer un système de représentations sociales. Il ne s’agit pas seulement de montrer les lieux et les activités des classes populaires, mais aussi d’en extraire une signification secrète qui reste normalement inaperçue. Contrairement à la photographie de son époque - Carné cite Kertész, Man Ray, Brassaï et Krull -, contrairement aussi à la littérature, le cinéma ignorerait la représentation des milieux modestes et pauvres. Pour cette raison, Carné s’inscrit consciemment dans cet héritage intermédial et revendique avec insistance le terme de populisme pour le cinéma. L’article de Carné prouve donc que dès les années 34 DOI 10.24053/ ldm-2023-0018 Dossier 1930, les artistes de divers domaines étaient conscients de l’envergure de l’esthétique populiste, que Carné repère aussi dans la photographie. En outre, l’article indique certains éléments qui sont au cœur de l’esthétique populiste au moment de sa transposition au cinéma: on note en particulier l’importance primordiale du décor qui doit évoquer le sentiment d’authenticité. Pour Carné, il ne s’agit pas de transposer le réalisme ou le naturalisme au grand écran, mais de montrer la part mystérieuse, joyeuse ou ‚sympathique‘ du monde réel, ce que Léon Lemonnier revendiquait déjà pour le roman populiste: Ce fut l’erreur des naturalistes de le [i. e. le peuple] prendre pour un troupeau bestial en proie à ses instincts et à ses appétits. Sans prétendre distribuer des prix de vertu, nous croyons qu’il est possible de le peindre autrement, en montrant, non seulement ses qualités, mais la pittoresque rudesse de sa vie (Lemonnier 1930: 73). La référence au Manifeste du roman populiste de Lemonnier est évidente chez Carné: les deux auteurs évoquent la part pittoresque de la vie quotidienne et Lemonnier souligne aussi l’importance de montrer „les croyances obscures et secrètes“ (Lemonnier 1930: 57) des personnages, ce qui correspond à „l’âme cachée“ de la vie populaire chez Carné. En outre, Carné cite des auteurs qui se situent bien au milieu de la nébuleuse du roman populiste 2 et il reprend aussi la tonalité contestataire qu’oppose à la bonne société le Manifeste du roman populiste - „la noblesse irréelle des boîtes de nuit“ chez Carné, „les personnages du beau monde, les pécores qui n’ont d’autre occupation que de se mettre du rouge, les oisifs qui cherchent à pratiquer des vices soi-disant élégants“ chez Lemonnier (1930: 59sq.). Carné prévoit ainsi la direction de l’inspiration littéraire du cinéma: au lieu de s’inspirer des avant-gardes ou des textes d’auteurs consacrés comme Proust ou Gide, le cinéma prend comme modèle le populisme littéraire, un courant anti-moderne et très conventionnel au niveau formel, mais qui se focalise sur la représentation des classes populaires. Le populisme cinématographique devient alors une composante magistrale du cinéma de l’entre-deux-guerres que l’on résume aujourd’hui sous le terme de ‚réalisme poétique‘. 3 Mais Marcel Carné n’est pas seul responsable du rapprochement entre les champs cinématographique et littéraire. En réalité, ce rapprochement est plus évident dans le cas de son scénariste principal, Jacques Prévert, avec lequel il réalise au total huit films. 4 Prévert, aujourd’hui surtout considéré comme la voix poétique qui représente le mieux l’esprit de l’immédiat après-guerre (Blakeway 1990: 15), adhère au milieu des années 1920 au groupe surréaliste et en reste un membre important jusqu’à sa rupture en 1928, suite au conflit qui l’opposera à l’attitude autoritaire d’André Breton (ibid.: 42). Avant ses premières activités au cinéma, il est donc déjà entré dans le sous-champ littéraire de l’avant-garde. Après sa rupture avec Breton, le député communiste Paul Vaillant-Couturier le recommande aux anciens membres du groupe de théâtre de propagande Prémices qui se renomme en 1932, suite à l’arrivée de Prévert et en hommage à la Révolution DOI 10.24053/ ldm-2023-0018 35 Dossier russe, Octobre. 5 Mais l’activité du groupe Octobre ne s’arrête pas au théâtre d’agitprop: en effet, le groupe constitue une première plateforme cinématographique pour Jacques et son frère Pierre Prévert, qui réalisent ensemble L’Affaire est dans le sac, sur un scénario de Jacques Prévert (Ory 1990: 273). Malgré le budget et le temps de tournage restreint, malgré la faible qualité du scénario et la mauvaise maîtrise technique, et même malgré son échec économique (Crisp 2002: 312), le film marque l’entrée de Prévert dans le champ cinématographique; il lui fera également connaître Jean Renoir. Si Marcel Carné et Jacques Prévert se distinguent donc au niveau de leur situation biographique et de leur position au sein du champ cinématographique, les deux cinéastes se rencontrent autour de leur intérêt pour la littérature comme source d’inspiration esthétique, comme dans leur volonté de mettre en scène le ‚peuple‘ de leur temps. D’autres cinéastes de l’entre-deux-guerres comme Charles Spaak et Julien Duvivier partagent ce même projet, conduisant la critique à considérer la plupart des productions de cette période comme des exemples du réalisme poétique ou du „populisme tragique“ (Billard 1995: 245-266). Mais que signifie ‚peuple‘ dans ce contexte et comment les cinéastes le représentent-ils? C’est ce qu’il s’agit d’étudier à travers l’exemple des films Le Crime de Monsieur Lange et La Belle équipe. La victoire du ‚peuple‘ autonome: Le Crime de Monsieur Lange de Jean Renoir et Jacques Prévert Le Crime de Monsieur Lange compte aujourd’hui parmi les exemples du cinéma engagé de Jean Renoir, quoique ses prises de position y transparaissent de manière bien moins évidente que dans le film de propagande La Vie est à nous, qu’il tourne simultanément mais qui n’est diffusé qu’à la fin des années 1960. Dans Le Crime de Monsieur Lange, Renoir met en scène les classes populaires de manière empathique, montrant les difficultés économiques auxquelles les travailleurs doivent faire face, ainsi que leurs luttes pour la justice sociale et l’égalité. Au centre de la trame figure une petite maison d’édition indépendante, située dans une arrière-cour avec une blanchisserie. Amédée Lange, un employé de la maison d’édition, décide de publier un roman populaire à succès pour sauver l’entreprise. Après le triomphe du livre, son patron Batala disparaît avec l’argent, laissant les employés sans salaire. Ensemble, ils décident de prendre le contrôle de l’entreprise et de vivre en autogestion, célébrant le grand succès des romans de jeunesse que Lange continue à écrire. Mais Batala revient et exige une part des bénéfices, mettant ainsi en péril l’indépendance de la coopérative ouvrière. Lange tue Batala et s’enfuit en Belgique avec l’une des blanchisseuses. La manière dont l’assassinat se trouve relativisé et le fait que Lange réussisse à se dérober à la justice, suscite des critiques véhémentes dans la presse de droite, tandis que les critiques de gauche sont pour la plupart enthousiastes. En effet, les deux camps politiques relèvent les mêmes éléments dans le film de Renoir pour les 36 DOI 10.24053/ ldm-2023-0018 Dossier louer ou les récuser: ainsi, Fernand Lot écrit-il pour Comœdia à propos du Crime de Monsieur Lange que Jean Renoir nous apporte aujourd’hui une œuvre ‚populiste‘ du meilleur aloi: sensible, humaine, mettant en valeur les travaux, les soucis et les rêves de quelques humbles, soucieuse de détails vrais, d’un rythme si aisé qu’on oublie que c’est là un effet de l’art, interprétée enfin à ravir (Lot 1936b). Jean Fayard, à cette époque critique pour l’hebdomadaire d’extrême droite Candide, remarque le talent du réalisateur, mais note surtout que le film représente une „drôle d’histoire, décousue, à vagues tendances populistes et à laquelle nous ne nous intéresserons jamais“ (Fayard 1936b). Bonne ou mauvaise critique, les deux films reçoivent toujours l’étiquette d’œuvre populiste, qui souligne cette nouvelle tendance visant à représenter avec sympathie les milieux ouvriers et celui des petits employés. Cette sympathie se traduit notamment par la mise en scène et la manière dont les personnages interagissent avec les „espaces d’action“ 6 qui les entourent. Le public découvre au début du film des espaces populaires exigus, comme la cour intérieure qui abrite la plupart de l’action du film: on y voit notamment une publicité de la maison d’édition qui couvre la fenêtre du cycliste Charles, avant de faire la connaissance des concierges et de la blanchisseuse Valentine (Renoir 2004: 00: 07: 31-00: 08: 42); c’est également ici que les personnages prennent les photos de couverture pour la série d’„Arizona-Jim“ (Renoir 2004: 00: 59: 45-01: 00: 45), là encore qu’aura lieu l’assassinat de Batala mettant fin à l’aventure collectiviste des imprimeurs (01: 12: 04- 01: 14: 55) ou que naîtra l’amour entre Charles et la blanchisseuse Estelle (00: 54: 29- 00: 57: 30). Cette scène illustre bien comment Renoir présente les conditions de vie insalubres dans les milieux populaires: Charles habite dans une petite chambre au rez-de-chaussée dans la loge de ses parents, sa seule fenêtre est couverte par la publicité de l’imprimerie de Batala. Dès le début du film, il s’en plaint auprès de son père incompréhensif et passif (00: 07: 47-00: 08: 05). Son comportement n’est cependant pas partagé par tout le monde: en effet, Lange prend l’initiative d’enlever la publicité après la fondation de la coopérative. Au concierge, qui craint les conséquences de cet acte, Lange rétorque: „Moi, la consigne, on s’en fout! L’hygiène d’abord! Le soleil, c’est la santé! “ (00: 54: 52-56). La scène montre clairement que les classes populaires vivent dans des conditions misérables en raison de la domination des ouvriers par la bourgeoisie. En effet, la coopérative ouvrière s’avère à la fois plus efficace et plus humaine que le patronat bourgeois, ce que cette scène doit illustrer de manière exemplaire. La séquence devient donc un symbole pour les bienfaits du collectivisme. Dans le film de Renoir, la représentation de l’exiguïté est explicitement liée à la condamnation du capitalisme et de l’oppression des ouvriers. Le crime auquel le titre du film fait allusion revêt alors une signification similaire. Au lieu d’esthétiser la violence, l’assassinat de Lange est à son tour une allégorie de la libération nécessaire des ouvriers opprimés par la classe bourgeoise; le meurtre devient le moment de la lutte des classes. Dans Le Crime de Monsieur Lange, la DOI 10.24053/ ldm-2023-0018 37 Dossier victime de l’assassinat est l’escroc Batala, qui incarne à la fois ‚l’autre‘, celui qui ne fait pas partie de la communauté, et le mal qui menace les personnages populaires (Keit 2010: 48). La première entrée du personnage et son costume marquent d’emblée l’écart qui le sépare de ses employés: sous son manteau, il porte un frac noir et un nœud papillon, alors que Lange est habillé d’un costume épais et usé (00: 14: 24- 00: 14: 45). Le contraste est d’autant plus flagrant que les autres employés de l’imprimerie défilent en bleus de travail ou en salopettes sales. Enfin, son jeu qui multiplie les tapes affectueuses sur la tête de ses employés (00: 14: 43/ 00: 15: 09) l’identifie clairement comme l’incarnation du patronat. Contrairement à cette opposition entre patrons et employés, la coopérative de la cour, ainsi que le succès des romans de Lange, marque un rapprochement entre deux univers qui se présentent d’abord comme hermétiquement fermés: celui des hommes, la maison d’édition, et celui des femmes, la blanchisserie. Les nouvelles couvertures des romans édités après la reprise de l’entreprise exigent des photographies et les ouvriers décident de se photographier avec les blanchisseuses et le concierge en déguisements du Far West (00: 59: 45-01: 00: 45). Les mondes féminin et masculin se rapprochent ainsi, comme lors de la fête organisée par le fils des concierges dans la loge: tout le personnel du film y figure et des relations amoureuses se nouent (01: 03: 18-01: 06: 41). Sur le plan personnel comme professionnel, les hommes et les femmes se réunissent donc et forment une communauté populaire avec son propre espace - la cour - et ses usages communs - la photographie, la fête. Le ‚peuple‘ du film de Prévert et Renoir est donc présenté comme une communauté qui inclut les hommes et les femmes et qui dépasse aussi la classe ouvrière, étant donné que Lange est représenté comme un petit employé du bureau de Batala. Néanmoins, cette communauté se distingue nettement de la bourgeoisie, incarnée par le patron Batala, de ses pratiques illégales et de son avarice. De sorte que Prévert et Renoir dressent ici un portrait militant du ‚peuple‘, compris à la fois comme une classe opprimée par le pouvoir, mais aussi comme une force active, capable de gérer ses propres entreprises et prête à des sacrifices pour la liberté de tous: Lange tue Batala afin de sauver la coopérative et se sacrifie ainsi pour le bien commun. Cela correspond bien à l’idéal communiste de l’époque, dont le film véhicule clairement les convictions politiques. Échec ou victoire des ouvriers? La Belle équipe Quoique La Belle équipe compte également parmi les œuvres centrales du réalisme poétique, au même titre que Le Crime de Monsieur Lange, le duo du scénariste Charles Spaak et du réalisateur Julien Duvivier présente une mise en scène différente des classes populaires. Le rapport entre le populisme et La Belle équipe est établi dès la sortie du film: 7 de nombreux critiques qualifient le film de populiste (ceux-là même qui avaient accompagné la sortie du film de Renoir et Prévert), soit pour l’encenser, soit pour en 38 DOI 10.24053/ ldm-2023-0018 Dossier faire le procès. Fernand Lot qualifie dès le sous-titre de son compte rendu La Belle équipe d’„admirable film populiste de Julien Duvivier, servi par une interprétation de grande classe“ et il constate que l’œuvre est „sensible sans sensiblerie, original[e] sans effort, populiste sans vulgarité“ (Lot 1936a). Du côté de la critique d’extrême droite, le film ne jouit pas d’une telle appréciation laudative: Jean Fayard déplore la mauvaise qualité du scénario en affirmant que „son roman populiste [i. e. celui du scénariste Charles Spaak] est aussi niais que mélodramatique“ (Fayard 1936a), même s’il loue les efforts de mise en scène ainsi que le jeu des acteurs. Autrement dit, le film de Duvivier et Spaak entre dans la même dynamique que celui de Prévert et Renoir: la critique libérale et la critique de gauche reçoivent le film avec enthousiasme, l’extrême droite critique le sujet qui ne lui semble pas digne du cinéma, bien que cette fois Fayard ne puisse pas nier la qualité technique du film. Si l’on considère la trame du film, on comprend que Jean Fayard s’oppose à la mise en scène de personnages populaires comme protagonistes, car le déroulement de l’action se distingue clairement de l’approche de Renoir et Prévert: un groupe d’ouvriers au chômage gagne à la loterie et décide d’investir cet argent dans un projet commun. Les ouvriers achètent une propriété en ruine dans la proche banlieue de Paris pour y installer une guinguette. Après le premier enthousiasme, la grande camaraderie entre les personnages connaît quelques accrocs: tout d’abord, Jacques tombe amoureux de la fiancée de son compagnon Mario et afin de ne pas menacer leur projet commun, il vend sa part et émigre au Canada. Mario et sa fiancée, à leur tour, doivent fuir la France parce que Mario est un immigré clandestin. Cependant, le trouble est surtout semé par l’arrivée de l’ex-femme de Charles, Gina, qui réclame une partie de l’argent de Charles et entame une aventure avec Jean, engendrant de nouvelles tensions entre les personnages. Surgit donc une autre ligne de faille de la communauté qui conduit finalement à l’assassinat de Charles par Jean et à l’arrestation de celui-ci. Le film se termine sur une note pessimiste qui semble nier l’efficacité de tout projet collectiviste et qui a également été interprétée comme une prise de position contre les loteries. 8 Il importe de relever que les comptes rendus, dans la plupart des journaux, soupçonnent un message politique du film. Et même si les créateurs du film refusent dès le début ce genre d’interprétation, le public perçoit le dénouement de la trame comme une récusation du collectivisme. En règle générale, les comptes rendus de l’époque se montrent souvent mécontents de la fin du film, jugée trop pessimiste ou trop peu logique. Cet avis semble partagé par le public qui manque au rendez-vous dans les salles populaires, tant et si bien que le producteur de La Belle équipe, Arys Nissotti, en viendra à prendre des mesures insolites (Bonnefille 2002: 209sq.): il exige de Julien Duvivier et Charles Spaak une fin alternative, moins sombre et capable de traduire l’optimisme du Front Populaire. Spaak et Duvivier s’opposent à l’idée, mais finissent par accepter d’intégrer une fin différente s’ils peuvent présenter les deux dénouements alternatifs à un public ‚test‘ dans un cinéma populaire de banlieue. 9 À la sortie du cinéma, le public est prié de remplir un carton et de voter pour sa fin préférée. Le verdict est écrasant: 305 des 366 votes reçus s’expriment en DOI 10.24053/ ldm-2023-0018 39 Dossier faveur du dénouement optimiste, à la grande contrariété de Duvivier, pour qui ce dénouement optimiste dénature le message du film (Wybon 2017: 00: 17: 47-54). Néanmoins, la fin optimiste de La Belle équipe a généralement été gardée comme dénouement définitif du film. C’est elle qui est diffusée en Angleterre et aux États- Unis, alors que la fin pessimiste est montrée en Allemagne; jusqu’à sa restauration en 2016-2017, le film a pratiquement toujours été montré avec la fin optimiste (Bonnefille 2002: 209sq.). 10 Autrement dit, c’est cette fin remaniée qui couronne La Belle équipe de succès et qui garantit à l’œuvre de Duvivier de devenir un classique du cinéma français. Ces remarques illustrent bien la manière dont Duvivier et Spaak imaginent le ‚peuple‘ de leur film, mais aussi comment le point de vue du public influe sur la manière dont les classes populaires sont finalement représentées au cinéma. Comparé au Crime de Monsieur Lange, il devient clair que le duo de La Belle équipe présente le ‚peuple‘ comme une communauté essentiellement masculine et portée à la violence. Le personnage principal Jean, joué par Jean Gabin, incarne le stéréotype de l’ouvrier sympathique, mais irrationnel - ce qu’il montrera à nouveau dans Le Jour se lève (1939) de Carné et Prévert. Jean est l’incarnation de la masculinité, de la force et du sens de la camaraderie (Vincendeau 1993: 182sq.). De manière concomitante, il correspond au mythe de l’ouvrier héroïque tel qu’il figure aussi dans le roman populiste et la littérature prolétarienne. Mais si dans ces romans, le prolétairepatriarche est aussi le personnage auquel le lecteur doit s’identifier, cette identification est ici malaisée dans la mesure où Jean devient criminel; d’un air résigné, il assume la responsabilité de son crime et constate que „C’était trop beau pour réussir“ (Duvivier 2017: 01: 38: 18). Contrairement à la plupart des romans populistes, La Belle équipe brosse donc un portrait ambivalent du personnage appartenant au ‚peuple‘: sympathique, diligent, solidaire et fort, mais porté à la criminalité. La fin optimiste présente une vision plus flatteuse de la classe ouvrière et perpétue l’imaginaire de l’ouvrier héroïque. Dans ce cadre, La Belle équipe se rapproche encore de la littérature de l’époque et se distingue du mélodrame français classique souvent programmé dans les cinémas. Le film présente donc un changement bienvenu pour le public et réalise le rêve „escapiste“ (Crisp 2002: 95-106) du cinéma en présentant l’hétérotopie d’une guinguette ouvriériste où chacun serait égal à l’autre. Mais la raison fondamentale qui explique la préférence du public pour la fin optimiste est plus pragmatique encore: le public populaire d’une salle de cinéma périphérique, comme par exemple „Le Dôme“ à La Varenne, doit forcément s’identifier avec les héros de La Belle équipe (Guillaume-Grimaud 1986: 71). Dans le climat du Front Populaire qui vient d’assumer la responsabilité du gouvernement et qui promet des réformes pour l’amélioration des conditions de vie des ouvriers, l’image du succès d’un groupe d’ouvriers a de fortes chances d’emporter l’adhésion du public. Les créateurs de La Belle équipe ont beau nier l’intention politique du film, l’accueil de la critique et du public et le vote en faveur de la fin optimiste montrent clairement que le film dispose d’une portée politique que le public saisit et qu’il cherche à tourner à son propre avantage. 40 DOI 10.24053/ ldm-2023-0018 Dossier Conclusions Même si les deux films évoqués paraissent la même année et explorent tous deux les opérations collectivistes, leur vision des classes populaires diffère largement. La solidarité des ‚petites gens‘ s’avère plus universelle dans Le Crime de Monsieur Lange, notamment parce que l’identité du protagoniste est plus complexe que celle des ouvriers dans La Belle équipe: Amédée Lange n’est pas ouvrier, il est simple employé et assistant de l’imprimerie. De fait, il se situe entre la bourgeoisie du type de Batala et les ouvriers machinistes de l’imprimerie. La Belle équipe, quant à elle, se sert pleinement des stéréotypes établis par la littérature afin de dresser le portrait simpliste d’une classe populaire, composée exclusivement d’ouvriers. Renoir et Prévert imaginent ainsi une union heureuse du ‚peuple‘, capable d’affronter la bourgeoisie, alors que Duvivier et Spaak présentent une classe ouvrière dont la solidarité est menacée dès le début par les tensions sexuelles et le caractère impulsif des personnages. La fin pessimiste semble démontrer que les ouvriers ne pourront jamais prendre une position de force en raison de leur incapacité à contrôler leur violence. Ainsi, la vision du ‚peuple‘ de Duvivier et Spaak correspond à une position de droite, quoique l’extrême droite condamne toute production ayant comme protagonistes des ouvriers. Dans le climat du Front populaire, il n’est guère surprenant que la version optimiste de ce film prenne le dessus: elle montre la classe ouvrière victorieuse et libérée. Au niveau narratif, cette version a par ailleurs l’avantage de désambiguïser les protagonistes qui deviennent des personnages auquel le public peut facilement s’identifier. Ainsi, la version optimiste de La Belle équipe s’imprègne de l’esprit du Front populaire et rend compte de l’image que les classes populaires nourrissent d’elles-mêmes pendant l’entre-deux-guerres: émancipées, fortes et dynamiques. Or, si Le Crime de Monsieur Lange semble confirmer ce point de vue sur les classes populaires, les œuvres du réalisme poétique qui sortent en salle après 1936 - telles Hôtel du Nord, Le jour se lève, La Grande illusion - abandonnent cet optimisme qui reste éphémère dans le cinéma français de l’entre-deux-guerres. À plus forte raison, les films analysés forment le centre d'un imaginaire de la classe ouvrière en tant que force créatrice. Andrew, James Dudley, Mists of regret: culture and sensibility in classic French film, Princeton, Princeton Univ. Press, 1995. Billard, Pierre, L’âge classique du cinéma français. Du cinéma parlant à la Nouvelle Vague, Paris, Flammarion, 1995. Blakeway, Claire, Jacques Prévert. Popular French theatre and cinema, Rutherford/ London, Fairleigh Dickinson University Press, 1990. Bonnefille, Eric, Julien Duvivier. Le mal aimant du cinéma français, Paris, Harmattan, 2002. 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Töteberg, Michael, „Die Ufa sucht keine Dichter. Der Drehbuchautor: Die Industrie kreiert einen Schriftsteller-Typus“, in: Andreas Blödörn / Christof Hamann / Christoph Jürgensen (ed.), Erzählte Moderne. Fiktionale Welten in den 1920er Jahren, Göttingen, Wallstein, 2018, 395- 407. Turk, Edward Baron, Child of Paradise: Marcel Carné and the Golden Age of French Cinema, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1989. Vincendeau, Ginette, „Gabin unique: le pouvoir réconciliateur du mythe“, in: Claude Gauteur / Ginette Vincendeau (ed.), Jean Gabin. Anatomie d’un mythe, Paris, Nouveau Monde, 1993, 93-206. Wybon, Jérôme, Au Fil de l’eau. L’Histoire de La Belle équipe, Pathé Distribution, 2017. 1 Le terme d’optique se construit en parallèle du terme d’écriture, tel qu’il se retrouve chez Roland Barthes et décrit les choix esthétiques possibles des réalisateurs pendant une certaine période (Andrew 1995: 19). 2 Le terme de ‚nébuleuse‘ est repris de Jeanyves Guérin qui constate l’existence d’une „nébuleuse néo-naturaliste dans laquelle s’inscrivent [au-delà de l’école populiste] Henri [sic! ] Poulaille, Eugène Dabit, Louis Guilloux, Marcel Carné et Jean Renoir et, d’une certaine façon, Louis-Ferdinand Céline“ (cf. Guérin 2001: 24). Nous parlons ici de ‚nébuleuse populiste‘ afin de souligner la diffusion large de l’esthétique du roman populiste au sein du champ littéraire et cinématographique. 3 Selon Turk, Carné ressent une aversion profonde face à ce vocable (Turk 1989: 110): Carné emprunte plus volontiers le terme de ‚fantastique social‘ parce qu’il dénoterait une proximité plus évidente aux qualités escapistes que le cinéma de l’époque cherche à promouvoir. En revanche, Turk lui-même disqualifie cette dernière appellation parce qu’elle 42 DOI 10.24053/ ldm-2023-0018 Dossier suggérerait un „tempering of fantasy by attention to the ‚real‘ and social - the precise opposite of what Carné claims he does“. Il faut néanmoins souligner que Turk se trompe à propos du terme ‚fantastique social‘. Comme je l’ai montré ailleurs, l’approche de Carné ne signifie pas une limitation du fantastique par l’attention à la représentation du ‚réel‘, mais un effort pour découvrir une certaine transcendance du quotidien (Kern 2021: 184-192). 4 Jenny (1936), Drôle de drame (1937), Le Quai des brumes (1938), Le Jour se lève (1939), Les visiteurs du soir (1942), Les Enfants du paradis (1945), Les Portes de la nuit (1946) et - avec Jacques Ribemont-Dessaignes - La Marie du port (1950), adaptation d’un roman de Georges Simenon. 5 Malgré cet engagement auprès d’un groupe théâtral de gauche, Prévert continue à garder personnellement ses distances avec le parti communiste (Blakeway 1990: 44; Ory 1990: 272). 6 Cette notion est la traduction de l’anglais „action spaces“ (McCann 2004). 7 Même les critiques contemporains constatent la parenté avec le populisme littéraire. L’historien du cinéma Pierre Billard considère que dans La Belle équipe „s’exprime l’essence même du populisme“ (Billard 1995: 270). 8 Le compte rendu de L’Humanité y revient explicitement: „On nous dit que M. Duvivier a voulu prouver par là que les loteries et autres miroirs aux alouettes ne peuvent, en aucun cas, servir à relever des chômeurs qui sont ‚tombés‘. Nous voulons bien le croire, mais cela n’apparaît guère et les journaux fascistes ont pu écrire non sans apparence de raison que la Belle équipe condamne un essai de collectivisme“ („La belle équipe“ 1936). 9 Si Bonnefille prétend que la nouvelle fin a été seulement tournée après le peu de succès de la version originale (cf. ibid.: 209), il est pourtant beaucoup plus probable que les deux fins existaient dès le début comme le dit Guillaume-Grimaud et que de cette façon, le réalisateur a seulement dû présenter un autre montage de son film (Guillaume-Grimaud 1986: 71). 10 À la sortie du DVD de la version restaurée, Pathé décide de montrer La Belle équipe dans sa version originale et inclut la scène centrale de la fin optimiste dans un documentaire qui figure dans les extras, Au fil de l’eau, cité antérieurement. Si le choix de restituer la version originale est compréhensible, il est néanmoins étonnant d’observer que les producteurs ont choisi de cacher la fin remaniée dans les extras et de ne pas la restaurer alors qu’elle a marqué la mémoire des cinéphiles.
