eJournals lendemains 48/190-191

lendemains
ldm
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.24053/ldm-2023-0020
0414
2025
48190-191

Arletty, sous les feux de la rampe

0414
2025
Anne-Sophie Donnarieix
ldm48190-1910056
56 DOI 10.24053/ ldm-2023-0020 Dossier Anne-Sophie Donnarieix Arletty, sous les feux de la rampe Quelles que soient les perspectives théoriques choisies pour aborder la définition parfois ardue de la notion, la ‚popularité‘ du cinéma reste toujours intimement liée à ses premiers représentants: les stars portées à l’écran, ces acteurs et actrices qui s’imposent devant la caméra et comptent pour beaucoup dans les succès commerciaux et critiques de films auxquels ils prêtent leur corps et leur voix. Autant de personnalités devenues, dans l’imaginaire collectif, des figures de proue du septième art, icônes magnifiées de toute une mouvance artistique, d’un milieu socioculturel, d’une époque historique. Ainsi de Jean Gabin et de son célèbre „T’as d’beaux yeux tu sais“ (Le Quai des brumes, 1938), de Jeanne Moreau en héroïne moderne dans les Amants (Louis Malle, 1958), de Brigitte Bardot en égérie des années 1960 ou encore de Louis de Funès, véritable lieu de mémoire du comique français dans La Grande Vadrouille (Gérard Oury, 1966), L’aile ou la cuisse (Claude Zidi, 1976) ou la saga des Gendarmes. Parmi les générations plus récentes, mentionnons encore des acteurs comme Marion Cotillard, Omar Sy ou Léa Seydoux qui jouissent d’une reconnaissance internationale et s’imposent comme les garant.e.s d’une certaine identité française dans des structures cinématographiques désormais largement mondialisées. 1 L’acteur est en effet régulièrement considéré, pour reprendre l’expression de Vincent Amiel, comme „l’objet premier du cinéma“ (2007: 7-9): sa simple apparition éclipse celle de son personnage; c’est sur lui que se focalise l’image filmique, autour de lui que s’en construit le sens. 2 Mais sa résonance médiatique dépasse le seul empan filmique et implique de prendre en compte un contexte plus large, à la fois socioculturel, politique, historique et économique, dans la mesure où l’acteur porte aussi les valeurs d’une époque. Il incarne l’image qu’une société se construit d’elle-même, rend compte de ses impensés, de ses peurs, de ses fantasmes. À travers l’exemple d’Arletty, figure représentative de l’âge d’or du cinéma français dans les années 1930 et 1940, j’aimerais étudier le rôle de la vedette au cinéma, non seulement en tant que garante du succès commercial des films qui la mettent à l’honneur, mais également en tant que phénomène culturel, lié à l’histoire de la réception du septième art comme aux structures collectives, sociales et psychologiques par lesquelles l’acteur se voit promu, fort de sa visibilité médiatique, au rang de héros, de mythe, d’icône. Car le phénomène Arletty ne s’est pas arrêté lorsque l’actrice, en 1966, quitte définitivement les studios de tournage à la suite d’un accident qui la laisse presque aveugle, ni même lors de son décès, en 1992. Aujourd’hui encore, elle est considérée comme l’une des plus grandes figures du cinéma de l’époque, et érigée en vedette du film français. Comment comprendre la popularité de l’actrice? Quels aspects de sa carrière, de sa vie, de son jeu, expliquent cette notoriété au long cours? Et que révèlent-ils du système médiatique qui préside à la création des stars et à leur inscription pérenne, DOI 10.24053/ ldm-2023-0020 57 Dossier au-delà des succès éphémères, dans une tradition nationale transséculaire? On tentera d’esquisser quelques réponses à ces questions en revenant d’abord sur la notion de star et sur les fondements socioculturels, cinématographiques et économiques qu’elle recouvre, avant d’analyser ensuite le parcours d’Arletty, depuis ses premiers seconds rôles et jusqu’à sa révélation, à la fin des années 1930. À travers l’étude de ses collaborations avec Marcel Carné dans Hôtel du Nord (1938) et Les Enfants du Paradis (1945) - deux productions qui marquent ses plus grands succès d’actrice -, on tentera de replacer la popularité d’Arletty dans un contexte qui ne se limite pas aux talents de l’actrice ou aux soubresauts sulfureux de sa biographie, mais qui tient aussi au nouveau type social créé par ses rôles et aux succès d’un courant artistique, le ‚réalisme poétique‘, qui mêle des productions légères fondées sur le divertissement populaire à la mélancolie plus noire portée par l’époque de l’Occupation allemande. De l’acteur au symbole culturel À travailler sur la notion d’acteur, une première distinction s’impose entre deux champs méthodologiques distincts dans leurs approches: celui des études dites ‚actorales‘ et celui des star studies. Les études actorales s’intéressent avant tout au jeu de l’acteur. 3 Elles croisent des méthodes d’analyse stylistique ou théorique (type de formation, modalités de présence corporelle à l’écran, gestuelle, intonations, etc.) et n’abordent qu’en marge la question de l’inscription médiatique de l’acteur ou de l’actrice dans le milieu cinématographique et social. Les star studies en revanche, initiées notamment par les travaux de l’universitaire britannique Richard Dyer (1979) et conçues dans le prolongement des cultural studies, se penchent précisément sur la question de cette inscription médiatique. L’acteur n’est pas envisagé depuis un point de vue strictement ‚technique‘ mais comme un „signe culturel“, selon l’expression de Susan Hayward (2003). Son image tient alors autant à des données factuelles (biographiques par exemple) qu’à une construction affective, liée aux rôles incarnés par l’actrice ou l’acteur, et qui déterminent en retour son image auprès du public - et son potentiel économique. Selon cette approche, les stars s’insèrent dans un système cinématographique et socio-économique dont elles sont tributaires et sans lequel elles ne pourraient exister. Pour Richard Dyer, [l]es stars sont une caractéristique fondamentale du cinéma populaire, autant dire du cinéma tout court. Elles se définissent à la fois en termes sociaux et esthétiques, sans qu’on puisse séparer les deux aspects. Socialement, les stars sont une des raisons qui incitent le public à aller voir un film en particulier et les films en général, peut-être même la raison principale. Elles incarnent de façon consensuelle et intense des comportements sociaux; elles sont essentielles pour le financement et la rentabilisation des films. Sur le plan esthétique, les scénarios sont construits ou modifiés en fonction des stars auxquelles ils sont destinés; elles déterminent la réalisation et le montage, le style visuel et sonore des films, ainsi que la façon dont ils sont appréciés et compris (Dyer 2004 [1979]: 5). 4 58 DOI 10.24053/ ldm-2023-0020 Dossier Cette double tension sociale et esthétique, qui lie le domaine de la réception à celui de la production, préside à l’émergence d’un „vedettariat“ dans la période d’aprèsguerre (Le Gras / Sellier 2015: 87), véhiculé notamment par le nouveau culte des acteurs et actrices qui se propage dans les journaux populaires et les magazines cinéphiles de l’époque. 5 On retrouve ce double fondement de l’image médiatique dans la définition que propose Edgar Morin de la star. Pour le philosophe et sociologue français, les stars représentent l’un des paradoxes les plus féconds du cinéma: si le grand écran est conçu dans ses débuts pour calquer le réel et l’être humain depuis un parti pris résolument réaliste et mimétique, il contribue aussi à créer des „demi-divinités, créatures de rêve issues du spectacle cinématographique“ (Morin 2015 [1972]: 7), où la tension réaliste cède le pas au travail d’édification mythique, plus proche de l’image fantasmée. Pour Morin, le mythe de la star repose sur une „interpénétration réciproque“ de la vie privée de l’acteur et des personnages qu’il joue. La star détermine les multiples personnages des films; elle s’incarne en eux et les transcende. Mais ceux-ci la transcendent à leur tour: leurs qualités exceptionnelles rejaillissent sur la star. Tous les héros que Gary Cooper enferme en lui le poussent à la présidence des États-Unis, et, réciproquement, Gary Cooper ennoblit et grandit ses héros, les garycooperise. Le joueur et le joué se déterminent mutuellement. La star n’est plus qu’un acteur incarnant des personnages, elle s’incarne en eux et ceux-ci s’incarnent en elle (ibid: 37). La porosité de l’acteur à ses rôles, et des rôles à l’acteur, n’engage pas seulement un mécanisme de transfert, elle implique selon Morin un véritable processus de „divinisation“. Parce qu’elles revêtent des qualités humaines magnifiées par les rôles héroïques qu’elles ont tenus, les stars réactivent l’engouement populaire pour les dieux et les déesses d’antan, dans un vingtième siècle sécularisé mais en manque de mythes 6 (ibid.: 39) - et sans doute n’est-il pas anodin que le terme ‚star‘, en renvoyant aux cieux constellés, évoque en filigrane l’idée d’une transcendance perdue. Aussi l’étude de la popularité des acteurs implique-t-elle de considérer plusieurs aspects et de situer l’analyse au croisement entre: 1. une perspective technique, liée à la performance de l’acteur et à la qualité de son jeu; 2. une perspective sociale qui inclut l’image médiatique de l’acteur en tant qu’individu et rend possible des mécanismes de transfert et d’identification collective; 3. une perspective économique fondée non seulement sur la valeur ‚commerciale‘ des vedettes, mais aussi sur les moyens financiers engagés dans les productions cinématographiques et les budgets alloués à leur publicité et distribution; 4. un contexte de réception historique tenant compte de l’évolution du goût des spectateurs, des courants esthétiques ou du statut social de l’institution cinématographique. DOI 10.24053/ ldm-2023-0020 59 Dossier Arletty, figure du populaire? Léonie Bathiat, de son nom de naissance, voit le jour à Courbevoie, dans la région parisienne, en 1898. Fille d’un père auvergnat, elle grandit entre la banlieue parisienne et la petite ville de Montferrand, dans un milieu social éclectique, parmi des prêtres et des artisans révolutionnaires, des hommes politiques et des pilotes d’avion. Elle fait ses premiers pas sur scène dans les années 1930; après quelques expériences de théâtre et d’opérettes, on lui confie, en 1935, des seconds rôles dans des productions plus importantes comme Pension Mimosas de Jacques Feyder ou Amants et Voleurs de Raymond Bernard. Mais c’est avec Marcel Carné qu’elle connaîtra ses plus grands succès, d’abord avec Hôtel du Nord (1938), puis dans Le Jour se lève (1939), Les Visiteurs du soir (1942) et enfin Les Enfants du Paradis (1945). Elle incarnera aussi, au théâtre, des premiers rôles dans Un tramway nommé désir (1949) de Tennessee Williams, La descente d’Orphée (1959) ou Les monstres sacrés (1966) de Jean Cocteau. Du point de vue de la perspective actorale, les rôles tenus par Arletty rendent compte d’une certaine polyvalence: des comédies de boulevard aux tragédies, des films commerciaux à des scénarios aux visées esthétiques plus ambitieuses, Arletty incarne des personnages hétérogènes. Ainsi de la figure androgyne et diabolique de Dominique dans Les Visiteurs du soir, de la prostituée moqueuse et geignarde dans Hôtel du Nord, de l’allégorie du désir mélancolique dans Les Enfants du Paradis, ou encore du personnage à demi fou de Blanche dans Un tramway nommé désir. Mais par-delà la diversité de ces rôles, c’est surtout la figure nouvelle et populaire de la parisienne libérée qui marquera les esprits (d’Hôtel du Nord aux Enfants du Paradis), tour à tour provocante, exubérante et impulsive, simple dans son amour de liberté, qui multiplie les amants et refuse les attaches - une figure féminine donc à la fois moderne et transgressive dans la mesure où elle déroge aux normes familiales d’une France encore largement conservatrice. À cela s’ajoute une ‚image‘ d’actrice constante d’un film à l’autre: 7 même silhouette gracile à la démarche nonchalante, mêmes répliques lapidaires et pétillantes, même voix surtout, aisément identifiable, avec son timbre rauque et son accent des faubourgs. Néanmoins, le ‚mythe‘ d’Arletty ne se limite pas à ses performances d’actrice, il engage aussi une représentation médiatique qui dépasse le seul cadre cinématographique et se construit sur la frontière entre ses rôles et sa vie privée. Aujourd’hui encore, Arletty est célèbre pour les scandales qui n’ont pas manqué d’émailler son parcours, comme cette relation avec l’officier allemand Hans Jürgen Soehring sous l’Occupation, qui lui vaudra d’être arrêtée à la Libération, ou encore son refus de la Légion d’honneur, lorsqu’elle adresse au ministère de la Culture, en 1983, la même réponse désinvolte que Marcel Aymé trente ans plus tôt: „Vous m’avez poursuivi et accusé de trahison et d’intelligence avec l’ennemi […], votre Légion d’honneur, vous pouvez vous la carrer dans le train“ (Monnier 1984: 34). D’elle resteront également des peintures, celles de Kees van Dongen et de Moïse Kisling par exemple, pour qui elle n’hésite pas à poser nue, et de nombreuses biographies. 8 60 DOI 10.24053/ ldm-2023-0020 Dossier Fig. 1: Kees von Dongen, Arletty, lavis d’encre, 1931. Fig. 2: Moïse Kisling, Nude Portait of Arletty, huile sur canevas, 1933. Bien après son décès en 1992, la presse continue à lui consacrer de nombreuses émissions sur des chaînes de télévision et des radios à forte audience. 9 Mentionnons encore une fiction biographique, Arletty, une passion coupable, réalisée par Arnaud Sélignac et diffusée en 2015, dans laquelle Laetitia Casta interprète le rôle d’Arletty. Ces témoignages garantissent la pérennisation de la notoriété de l’actrice bien audelà du seul public de nostalgiques et de spécialistes; ils font d’elle un monument cinématographique, véritable lieu de mémoire lié à l’époque de gloire du cinéma des années 1930 et 1940, mais aussi au contexte socioculturel de Paris sous l’Occupation. DOI 10.24053/ ldm-2023-0020 61 Dossier Arletty et le peuple en fête: Hôtel du Nord Hôtel du Nord paraît au cinéma en 1938. Le film est une adaptation du roman d’Eugène Dabit (1929), L’Hôtel du Nord, publié onze ans auparavant et dont il reprend la trame générale. Dans sa forme comme dans son contenu, le film, à l’instar du roman, est d’abord ‚populaire‘ en tant qu’il braque ses projecteurs sur le petit peuple. Celuici est composé par un collectif de personnages issus de milieux modestes qui se partagent, le temps du film, les chambres d’un hôtel en bordure du canal Saint- Martin. Parmi eux, des hôteliers, un éclusier et sa femme, une bonne, un gendarme, des ouvriers de passage, un criminel et une prostituée (Arletty). Il existe toutefois une différence notoire entre les versions filmique et romanesque: si le roman d’Eugène Dabit s’inscrit dans une veine résolument naturaliste, avec un narrateur soucieux d’éviter le folklore facile et de retranscrire la réalité sociale dans toute sa complexité et sa misère, Marcel Carné propose au contraire une vision du peuple plus joyeuse et nostalgique, moins réaliste, plus magnifiée (Ramirez/ Rolot 2012: 71-80). Les scènes festives abondent dans ce film qui s’ouvre sur la célébration enjouée d’une première communion et se termine une nuit de 14 juillet, alors que le petit peuple réuni rit, boit, danse. Et le destin tragique des deux amants venus se donner la mort dans la chambre n° 16 - noyau dur de l’intrigue - se referme, de fait, sur l’image d’un couple heureux, bien vivant et réconcilié, devant l’hôtel à l’aube. Fig. 3: Hôtel du Nord (1: 25: 05). C’est précisément cette gaité qui donne au film son aspect ‚populaire‘ dans le sens le plus usité du terme (‚ce qui plaît au plus grand nombre‘): la représentation du petit peuple parisien est une représentation dorée, davantage propice à fonder le mythe et à susciter l’adhésion du public que la noire laideur d’un naturalisme ‚populiste‘. Par un double mouvement de simplification et de fixation, le film recrée une atmosphère pittoresque et largement fictionnalisée: réduction des personnages à quelques traits reconnaissables, fixation dans un lieu immuable (l’hôtel) et dans un présent aux allures d’éternité. Aucun ton de révolution sociale ne vient inquiéter la douce torpeur du film: à la différence de son homologue livresque, Hôtel du Nord nous 62 DOI 10.24053/ ldm-2023-0020 Dossier présente un peuple heureux, pétillant et immobile. Inoffensif. Selon Francis Ramirez et Christian Rolot, [l]’image populaire est ainsi devenue disponible pour exprimer une unité perdue de la société, une sorte d’harmonie conviviale située en deçà de notre monde divisé et fonctionnel. Cette nostalgie […] fait du film de Marcel Carné une référence mythique de la mémoire patrimoniale. Ce petit monde de mariniers, d’amoureux, de belles filles légères et de mauvais garçons moralistes est un monde rond, fermé sur lui-même, plein de rire et de bénignité qui place la vie en société sous le signe de la fête (Ramirez/ Rolot 2012: 78). Le personnage de Renée, jouée par Arletty, contribue pour beaucoup à cette bonne humeur dont elle incarne à elle seule la force vive. Rappelons que la prostituée constitue dans le cinéma des années 1930 un type social déjà populaire, qui accompagne régulièrement la vision du ‚petit peuple‘ et dont les exemples sont légion: on pense aux personnages de Lulu dans La Chienne de Jean Renoir (1931), d’Angèle dans le film éponyme de Marcel Pagnol (1934) ou de Marthe dans Le Val d’enfer de Maurice Tourneur (1943). Arletty reprend ce rôle dans Hôtel du Nord et dans Fric- Frac (1939) en y apportant „sa touche gouailleuse et canaille“ (Pallin/ Zorgniotti 2021: 318sq.), qui marque de manière pérenne l’imaginaire filmique des prostituées au grand cœur. 10 Fig. 4: Hôtel du Nord (1: 19: 17). Loin des misères que l’on serait en droit d’attendre dans la peinture de la femme publique (sensiblement plus amère dans le livre de Dabit que dans le film de Carné), le rôle d’Arletty est l’un des rares à ne comporter aucune profondeur tragique: drôle, loquace, moqueuse, Arletty offre aux spectateurs des scènes cocasses et des répliques cinglantes. On connaît le fameux „Atmosphère? Atmosphère? Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère? “ (59: 50) devenu l’une des phrases les plus connues du cinéma français, mais aussi les barbarismes régulièrement employés par le personnage avec cette ‚couleur locale‘ du petit peuple qui tend vers un comique facile, DOI 10.24053/ ldm-2023-0020 63 Dossier parfois presque forcé, mais non moins efficace. Les exemples abondent, du „je m’inhalate“ (6: 40) à l’adjectif „fatalitaire“ (59: 00), prononcés par une voix à l’accent banlieusard tranchant, tandis que les petites gens se voient ainsi définis linguistiquement par leur difficulté à manier le beau langage. Si cette mise à distance marquée implique un certain regard en surplomb, le rire n’est pas tant moqueur qu’empathique, et le rôle d’Arletty emporte rapidement l’adhésion des spectateurs et spectatrices, au détriment du premier rôle féminin joué par l’actrice Annabella, à laquelle Arletty vole la vedette. 11 La popularité du rôle tient donc aussi au succès commercial d’un film qui sait ménager les attentes de son public, tant dans son contenu que dans sa forme. En magnifiant par le rire la vision de petit peuple parisien, en recourant à un scénario romanesque riche en contrastes et rebondissements (départs avortés, amours impossibles, intrigues criminelles), en plaçant aussi des vedettes populaires telles qu’Annabella et Louis Jouvet en tête d’affiche, Hôtel du Nord s’assure un succès dont procède celui d’Arletty et que les performances remarquées de la jeune actrice viendront renforcer. Les Enfants du Paradis: le cinéma populaire sous la Libération La réalisation des Enfants du Paradis débute en 1943, mais le film ne sera porté aux écrans qu’en 1945. Sa trame principale relie le destin de plusieurs figures historiques tirées du Paris de Charles X et de Louis-Philippe: le mime légendaire Jean-Baptiste Gaspard Deburau (1796-1846) qui jouait au Théâtre des Funambules, sur le boulevard du Temple; Frédérick Lemaître (1800-1876), acteur de théâtre renommé au XIX e siècle; Pierre-François Lacenaire (1800-1836), criminel, poète et assassin célèbre. Ces trois personnages, auxquels vient s’ajouter un quatrième, le compte Édouard de Montray, nouent tous des relations amoureuses ambiguës avec un personnage fictif, celui de Garance, composé pour et incarné par Arletty. Si Les Enfants du Paradis permet à Arletty d’asseoir une notoriété déjà croissante, c’est d’abord grâce au succès critique et commercial du film. Élu en 1993 „meilleur film français de l’histoire du cinéma“ (Polanski 1999) et considéré comme l’un des points culminants de l’âge d’or du septième art en France, il rassemble dès sa sortie en salles, en 1945, près de 5 millions d’entrées. Le contexte, soulignons-le, est favorable: non seulement Les Enfants du Paradis est l’un des rares films à avoir pu être tourné pendant l’Occupation allemande, 12 mais sa sortie, stratégiquement retardée jusqu’à l’armistice, en fait „le grand événement culturel de la libération“ (Sellier 1997: 56). Avec un budget de 55 millions de Francs, il se distingue par des moyens colossaux mis en place pour un projet aux allures de fresque épique. Long métrage de 182 minutes, structuré en deux parties, Les Enfants du Paradis s’étale sur un temps fictionnel de dix années et rassemble une foule de figurants aux côtés d’un casting ambitieux d’acteurs alors déjà en vogue, parmi lesquels Arletty, Jean-Louis Barrault, Maria Casarès et Pierre Brasseur. 64 DOI 10.24053/ ldm-2023-0020 Dossier Fig. 5: Affiche du film Les Enfants du Paradis (1945). Le succès du film tient en outre à son inscription dans un registre à la fois esthétiquement ambitieux et intrinsèquement populaire. Dans la veine du ‚réalisme poétique‘ de Marcel Carné, Les Enfants du Paradis constitue une ode aux petites gens, ceux-là mêmes qui composent le ‚paradis‘, c’est-à-dire la partie haute de la salle de spectacle où se pressent les plus pauvres, les places n’y coûtant presque rien. La notion de peuple, on le sait, est primordiale dans la conception qu’a Marcel Carné du cinéma. 13 Dans un article intitulé „Quand le cinéma descendra-t-il dans la rue? “, publié en 1933 dans Cinémagazine, le metteur en scène insiste sur la nécessité de représenter „le monde pittoresque et inquiétant“ des quartiers populaires: Populisme, direz-vous? Le mot pas plus que la chose ne nous effraie. Décrire la vie simple des petites gens, rendre l’atmosphère d’humanité laborieuse qui est la leur, cela ne vaut-il pas mieux que de reconstituer l’ambiance trouble et surchauffée des dancings, de la noblesse irréelle, des boîtes de nuit dont le cinéma a fait jusqu’alors si abondamment profit? (Carné 1933: 14) Un réalisme lié à la représentation du ‚petit peuple‘ donc, mais également ‚poétique‘ dans la mesure où le film entreprend de transfigurer la réalité quotidienne: il constitue une échappatoire artistique, une fuite souvent mélancolique vers les rivages de l’imaginaire. Aussi cette esthétique accompagne-t-elle de manière serrée une réflexion sur l’art - et plus particulièrement sur les arts du spectacle que sont le pantomime et le théâtre. Les personnages oscillent entre ces deux univers (celui du mime Deburau, celui de l’acteur Lemaître), tandis que la vie réelle des personnages risque à tout instant de sombrer elle aussi dans la fiction. La frontière se veut poreuse: Garance est la Desdémone de Frédérick Lemaître, qui finira d’ailleurs par jouer Othello, et Deburau, sous les traits d’un Pierrot mélancolique, rejoue sur scène son amour dés- DOI 10.24053/ ldm-2023-0020 65 Dossier espéré pour cette même Garance au Théâtre des Funambules. Écartelés entre réalité et rêves, les personnages présentent le spectacle comme art de la fuite, espace d’une vie idéale dans laquelle eux-mêmes cherchent leur rôle. Et derrière les planches de la scène, c’est bien sûr aussi du cinéma qu’il s’agit, machine à fabriquer des rêves dans un monde contemporain décevant et hostile. Cette approche métaréflexive explique le succès d’un scénario qui a su toucher à la fois le grand public et un public plus intellectuel, davantage en recherche d’esthétisme et de profondeur critique. 14 Le film enfin s’articule tout entier autour du personnage de Garance. Cette centralité du personnage féminin, qui marque une évolution sensible face au cinéma d’avant-guerre (Sellier 1997: 58), offre à Arletty l’un de ses rôles les plus remarqués. Garance constitue non seulement le centre gravitationnel de l’intrigue, mais sa présence à l’écran détermine aussi l’agencement structurel du film, qui s’ouvre sur son apparition, Boulevard du Crime, et se referme, au même endroit, sur sa disparition parmi la foule. Il s’agit là d’un rôle féminin donc plus important, du point de vue du scénario, mais aussi plus complexe que la Raymonde d’Hôtel du Nord: le personnage de Garance se construit à la croisée entre plusieurs archétypes féminins qui lui confèrent un caractère ambigu, proche à la fois de la femme fatale, lascive et dangereuse, et d’une féminité plus traditionnellement passive, effacée derrière le désir qu’elle suscite. Point de convergence des regards masculins de quatre hommes à la virilité précaire, elle incarne une projection érotique tour à tour charnelle et idéelle, presque métaphysique - ‚lunaire‘. Et la présence d’ailleurs discrète mais soutenue de la lune qui illumine les nombreuses scènes nocturnes n’est peut-être pas sans évoquer cette trace transcendante dans la nostalgie de laquelle Edgar Morin sonde l’origine des stars. 15 Dans la célèbre scène qui présente Garance en égérie inaccessible, incarnant son propre rôle sur les planches du théâtre, le travail de divinisation joue à plein, savamment orchestré par des jeux de lumière qui mettent en relief le visage d’Arletty, toute de blanc vêtue, impassible et surélevée, arborant les attributs d’une déesse antique. Sur fond de mise en scène théâtrale, Arletty se transforme alors en personnification de l’Art, selon un imaginaire féminin où le désir est d’ordre avant tout esthétique 16 et oppose le personnage d’Arletty à une Maria Casarès incarnant au contraire l’immanence, le quotidien d’une réalité qui trop souvent déçoit - et que délaisse précisément le personnage de Pierrot. La féminité complexe de Garance est également réhaussée par la grande variété de ses costumes, depuis les habits modestes qui évoquent sa naissance dans les faubourgs de Ménilmontant et jusqu’aux robes somptueuses qui laissent entrevoir le corps nu de l’actrice. L’érotisme des vêtements ne laisse pourtant guère de place à des images trop sulfureuses ou provocantes qui risqueraient de choquer le public, et le jeu d’Arletty se distingue explicitement du caractère pétillant et parfois grossier de ses premiers rôles: les mouvements sont plus lents, le sourire figé, le regard plus triste. Le ton change aussi, et les dialogues composés par Jacques Prévert mettent 66 DOI 10.24053/ ldm-2023-0020 Dossier Fig. 6: Les Enfants du Paradis (1: 07: 20). à ses lèvres des phrases moins enlevées qui gagnent en profondeur. Plus „d’atmosphère“ gouailleuse ici, plus de barbarisme, mais des propos poétiques à la syntaxe désarmante de simplicité, qui laissent sourdre une mélancolie tenace: „Tout de même, j’ai eu la chance d’être heureuse. Malgré tout“ (2: 22: 37), „C’est tellement simple, l’amour“ (58: 10). * * * On le voit, la popularité d’Arletty et la place durable qu’elle a su acquérir dans la mémoire collective nécessitent d’être envisagées depuis un point de vue pluriel qui ne se limite pas aux seules performances de l’actrice, ni même au succès des films qui la portent à l’écran. Leur étude implique également une dimension culturelle fondamentale pour comprendre les attentes projetées par le public sur les personnages cinématographiques, et la manière dont ceux-ci sont composés en réaction au contexte politique, économique et social qui voit leur naissance. Il semble ainsi indispensable d’envisager la popularité d’Arletty au croisement entre plusieurs aspects qui se conjuguent les uns aux autres. Outre la qualité technique d’un jeu qui lui permet d’incarner des personnages diversifiés (1), sa popularité, dès les années 1930, tient aussi à la nature comique des rôles qu’on lui confie, comme celui de la parisienne populacière qu’elle reprendra fréquemment, propice à susciter le plaisir du public (2). Sa visibilité se fonde encore sur l’accueil chaleureux réservé aux films dans lesquels elle apparaît (3) - et notamment Les Enfants du Paradis - lequel dépend en retour non seulement de la qualité du film, mais encore du contexte particulier de sa projection (4), des moyens mis en œuvre à sa réalisation (5), ou encore de la renommée de son équipe et des noms prestigieux comme ceux de Marcel Carné, Jacques Prévert, Louis Jouvet, Pierre Brasseur, Jean-Louis Barrault, Annabella… (6). La popularité de l’actrice provient enfin de l’image médiatique portée, dans le cas d’Arletty, sur une vie privée riche en scandales, apte en ce sens à captiver l’attention ou la curiosité du public et à alimenter le mythe de la star (7). Porosité DOI 10.24053/ ldm-2023-0020 67 Dossier donc de l’actrice à ses rôles, et des rôles aux images, mais aussi des images à leurs contextes de production ou de réception - nous retrouvons là l’idée d’interpénétration avancée par Edgar Morin. Depuis ses rôles divertissants et jusqu’à des productions cinématographiques ambitieuses, Arletty se sera imposée comme l’icône d’une époque, divinisée tant par les traces qu’elle aura laissées sur les écrans que par la mémoire d’une période que l’on considère aujourd’hui, depuis notre distance critique et peut-être aussi nostalgique, comme l’une des plus glorieuses de l’histoire du cinéma français. Albera, François (ed.), Vers une théorie de l’acteur, Lausanne, L’âge d’homme, 1994. 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Trends in Contemporary French Popular Cinema, Newcastle, CSP, 2007. 1 En témoignent le large succès de la production Netflix Lupin, avec Omar Sy en acteur principal, le casting de Léa Seydoux aux côtés de Daniel Craig dans les derniers James Bond (007 Spectre, 2015; No time to die, 2021) ou de Marion Cotillard dans plusieurs films de Christopher Nolan (Inception, 2019; Batman - The Dark Knight Rises, 2012). Avec quelques 46 millions de dollars de revenus en 2022, Marion Cotillard est d’ailleurs l’une des actrices françaises les plus lucratives dans l’industrie cinématographique mondiale. Sur la spécificité et la visibilité du film français contemporain dans le champ cinématographique mondial, cf. Waldron/ Vanderschelden (2007). 2 „On peut même se demander si les acteurs ne sont pas devenus l’objet premier du cinéma, plus que leurs personnages […]. On dira que c’est tout simplement l’apanage des grands acteurs d’éclipser leurs personnages. Mais au cinéma, il n’est pas besoin d’être grand pour cela, puisqu’en définitive, il ne reste jamais de trace que de l’acteur; ce qui a pour conséquence, entre autres, d’en faire l’élément privilégié de l’intertexte (à la place, précisément, du texte), l’élément privilégié de l’identité (culturelle, nationale), et l’élément privilégié de l’acte poétique“ (Amiel 2007: 9). 3 Pour un aperçu théorique des divers champs étudiés, cf. notamment Naremore (2014 [1988]), Albera (1994), Amiel/ Nacache/ Sellier/ Viviani (2007) ou encore Damour (2017). 4 La citation est extraite de la préface rédigée par Richard Dyer en janvier 2004. 5 Sur la genèse de la théorisation de la notion de ‚star‘ dans la France d’après-guerre, notamment à travers les articles du magazine Cinémonde, cf. Le Gras (2015: 81-100). 6 Edgar Morin (2015 [1972]: 39): „Quand on parle du mythe de la star, il s’agit donc en premier lieu du processus de divinisation que subit l’acteur de cinéma et qui fait de lui l’idole des foules“. 7 C’est ce que Michel Bouquet nomme „densité de présence“, au théâtre. Cf. Damour (2017: 7-17). 8 Pour des biographies très personnelles de l’actrice, cf. Monnier (1984), ou encore Gilles (2000). 9 Cf., entre autres, les documentaires Arletty-Soehring, Hélas! Je t’aime signé Frédéric Mitterrand (2020) et diffusé sur France 5, et Coco Chanel, Arletty, l’absolue liberté, d’Anelyse DOI 10.24053/ ldm-2023-0020 69 Dossier de Lafay-Delhautal (2017) diffusé sur France 3, ou encore l’entretien radiophonique rediffusé récemment sur France Culture, „Moi d’abord je suis anarchiste de toute façon! “ (1987). 10 Sur l’imaginaire filmique de la prostituée et ses filiations, cf. Wagner (2007). 11 Marcel Carné notera d’ailleurs dans La Vie à belles dents: „Il faut dire qu’Arletty était l’âme du film. [Elle] transcendait certaines répliques, certains mots d’auteur que je n’aimais guère à cause de leur pittoresque outré, comme la fameuse ‚Atmosphère‘ à laquelle son talent, sa magie d’artiste, firent le succès que l’on sait“ (Carné 1975: 137). 12 Sur les modalités du cinéma français sous l’Occupation allemande, cf. Thaisy (2006). Le tournage des Enfants du paradis se révèle houleux: outre les nombreuses interruptions liées aux coupures d’électricité ou aux alertes aériennes, Carné emploie plusieurs Juifs, dont Joseph Kosma et Alexander Trauner qui travaillent dans la clandestinité. D’autres fuiront la France entre-temps, occasionnant de multiples retards dans le calendrier de production. Cf. Turk (1989). 13 Sur la question du populaire dans les films de Marcel Carné, je renvoie aux belles analyses de Kern (2020; 2021). 14 Le film, d’ailleurs, reste 54 semaines en exclusivité et rassemble quelques 41 millions de recettes (Siclier 1981: 167). 15 „L’érotisme, c’est l’attrait sexuel qui se répand sur toutes les parties du corps humain, se fixe notamment sur les visages, les vêtements, etc. c’est aussi l’imaginaire ‚mystique‘ qui se répand sur tout le domaine de la sexualité. Les nouvelles stars sont toutes érotisées, alors qu’autrefois la vierge et le justicier étaient d’une pureté mariale ou lohengrinienne, que la vamp ou le méchant fixaient sur eux l’appel bestial ou destructeur de la sexualité“ (Morin 2015 [1972]: 29). 16 Sur la constitution filmique de la féminité comme projection du désir artistique, cf. l’étude de Serafim (2022), et notamment la quatrième partie intitulée „Die Frau als Personifikation der siebten Kunst“.