eJournals lendemains 48/190-191

lendemains
ldm
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.24053/ldm-2023-0027
0414
2025
48190-191

Lire les Essais ‚en esclats‘

0414
2025
Tom Conley
ldm48190-1910139
DOI 10.24053/ ldm-2023-0027 139 Dossier Tom Conley Lire les Essais ‚en esclats‘ Quels seraient les lendemains de la lecture des Essais? La question s’impose tout en convoquant une suite d’autres: Qu’est-ce que c’est que de lire les Essais ‚en éclats‘? Comme mode d’emploi, méthode, manière de lire à bâtons rompus? En éclatant le sens reçu du texte, quand on traite des fragments de mots dans le cadre des chapitres dans lesquels ils s’éparpillent, s’agit-il d’un dessein d’aller ‚à contrepoil‘? D’‚épater‘ un lectorat qui s’appuie sur la matière qu’annoncent les titres des chapitres? De faire montre d’un jeu d’esprit, d’éclater le sens reçu ou le legs d’un essai? En d’autres mots, d’en faire une création autre que ce qu’ordonne ou perpétue l’industrie critique? De s’en prendre à la bonne volonté ou à la sagesse du ‚ suffisant‘ lecteur, lecteur à qui il incombe la tâche de situer l’auteur et son texte et de les cadrer selon le contexte précis - comme l’a fait si bien Pierre Villey - d’où il est sorti? Serait-ce celui qui, grâce à une formation ou ‚ institution ‘ solide, le lit sous l’angle de l’histoire littéraire? À l’écoute d’‚éclat‘, on est tenté de penser, au dire de Maurice Blanchot, à une parole „ayant la force d’un verbe, cependant absent: brisure, brisées sans débris, l’interruption comme parole quand l’arrêt d’intermittence n’arrête pas le devenir, mais au contraire le provoque dans la rupture qui lui appartient“ (Blanchot 1969: 451). Ainsi une lecture ‚en éclats‘ serait-elle articulée sur un principe, au sens psychique du mot, de déplacement, sinon même de contradiction, d’un auteur qui est autre; d’un moi morcelé, de sorte que dans son altérité, le texte de Montaigne soit un objet moins historique, au risque de ressasser une formule rabattue de Heidegger, que ‚toujours déjà‘ critique, plutôt désarçonnant que bienséant, inquiétant que rassurant. S’il y a, comme l’avait remarqué Sainte-Beuve, „du Montaigne dans chacun de nous“ (Sainte-Beuve 1878: 412), il est à voir, en insérant des lopins tirés des Essais dans un contexte autre que celui que reconstituent les biographes (Donald Frame, Roger Trinquet, Philippe Desan, et d’autres), comment des lecteurs et lectrices de toute farine verraient émerger bon nombre de tensions, forces de „devenir“ 1 qui seraient de nos jours à la fois pertinentes et actuelles? On se demande si les Essais seraient de l’ordre - ou du désordre - d’une telle parole de fragment. S’impose donc encore une question portant sur les enjeux d’une lecture du texte ‚en éclats‘, tout en l’admirant à partir d’une gamme inouïe de sources et du biais de son évolution. Au même titre, il nous incombe de souligner, en vue du temps hic et nunc, son altérité et sa diversité. 2 Selon la tradition du genre de réflexion personnelle ou intime que lancent les Essais, sous le titre éponyme, s’agit-il d’une écriture spéculative plutôt qu’affirmative, qui pose des questions auxquelles toute réponse, quelle qu’en soit la matière ou la forme, ne peut qu’être mise en cause? Ou bien, afin de cerner leur „commistion“, sous l’angle de leurs brisures et scintilles? 3 Et surtout, aux endroits de l’ensemble où, s’éclatant, les mots se lisent en bribes et, de ce fait, deviennent une parole „en archipel“? 4 Il est à parier que les effets se feraient 140 DOI 10.24053/ ldm-2023-0027 Dossier sentir partout dans les Essais, mais c’est surtout dans „De la vanité“ où la parole de fragment devient un mode d’écriture et de lecture créatives. Dans ce sens, la critique anglophone, du moins depuis Maurice Croll et Richard Sayce, et de nos jours Sarah Bakewell, tient compte des ellipses et des apories de l’œuvre, se réjouissant des lieux où la parataxe fait qu’à chaque instance que l’on aborde le texte, l’impression est de reprendre un fil brisé, de réinventer, de reconsidérer, au risque d’une tautologie, ce que c’est ‚l’expérience‘ de l’essai. 5 Or, et souvent à notre insu, à chaque fois que nous engageons le texte, nous nous apercevons comme ‚acteurs‘ en face d’un ‚auteur‘, qui certes peut nous sembler familier mais à la fois nous est intime et ‚autre‘. On a donc l’impression de reculer au fur et à mesure qu’on avance; de regarder en arrière autant qu’en avant; de tâtonner, au dire de Montaigne dans l’essai ultime du troisième volume, en queue d’une suite d’exemples qui ‚clochent‘, de broncher. Comme s’il décrivait la surface de la page imprimée des Essais, „je bronche plus volontiers en pays plat, comme certains chevaux que je connois, qui chopent plus souvent en chemin uny“ (1067). 6 Puisqu’il est „à cheval“, charrié par son mode de transport auquel il tient la bride, dirait-on qu’en lisant l’essai, grâce à la parole ‚en éclats‘, qu’inlassablement nous changeons de vitesse, nous allons tantôt au ralenti, tantôt „à sauts et à gambades“? Comme tout amateur des Essais le constate, le style - chatoyant, mais non moins saccadé ou „boyteux“ - est tel que la forme du contenu va de pair avec celui-ci; que surtout dans l’édition de 1588, là où l’auteur est „sur manière, non sur la matiere du dire“ (928), la disposition de l’écriture imprimée est à considérer; en effet, que sous les yeux du „diligent lecteur“ les mots se brisent et se fendent. Au dire des analystes, la forme d’une parole en fragment „anticipe sur“ ce qu’elle „signifie“. 7 Il s’avère que l’instance d’une lettre, d’une bribe ou d’un lambeau d’un mot, surtout à l’incipit, en tête d’un chapitre ou à la fin, à la lisière de l’imprimé, en face du blanc de la page, devient un point de repère où, paradoxalement, on retrouve son nord en même temps qu’on s’y perd. À titre d’exemple, cela se manifeste en tête du chapitre „Apologie de Raimond Sebond“. Tout au début, à l’ombre des remarques sur la cruauté à la fin du chapitre précédant, suivant l’évocation de „[m]a maison“ (438), ayant traduit et remis en forme lisible l’énorme Theologia naturalis, Montaigne se pose la question de ce que c’est de ‚loger‘ dans le monde. Où est-ce qu’il ‚se situe‘? À quel échelon se trouve-t-il dans la hiérarchie du vivant? Commençant par le souvenir du père, le meilleur qui „fut onques“ qui avait bâti le domicile familial, se consacre à une démolition inouïe de la portée de ce que c’est d’‚habiter‘ et de constituer un habitus. Sur les treize instances de „loger“ dans le même chapitre - bien plus que n’importe où ailleurs dans les trois volumes -, c’est la dixième, sorte de prisme, qui réfracte et fait ‚éclater‘ son sens. Dans un alongeail, dans les marges de l’Exemplaire de Bordeaux, avant qu’elle ne dégringole tout aussitôt, l’espèce humaine se place au même échelon que celui de Dieu. „Nul ne peut estre heureux sans vertu, ny la vertu estre sans raison, et nulle raison loger ailleurs qu'en l’humaine figure; Dieu est donc revestu de l’humaine figure“ (532). Partout où l’infinitif se reprend, en son itération et répétition (en somme, DOI 10.24053/ ldm-2023-0027 141 Dossier trente-sept fois dans les Essais), „loger“ et, par inférence, „logement“ signifie un endroit situé nulle part, lieu qui serait insolite ou hypothétique. Par voie de déplacement et de déracinement, le mot et ses variantes, à chaque instance, une sorte de passepartout ici et ailleurs dans les Essais, se mue en parole morcelée, en parole de fragment. De tels bribes et lopins de mots se remarquent aux endroits intermédiaires où le texte se revêt de chiffres. Isolés dans l’entre-deux des chapitres, ils s’éclatent en hiéroglyphes ou en rébus. Parfois sous forme de nombres, des figures se recèlent dans les mots: ainsi volume III, chapitre 3, „De trois commerces“ qui traite de quatre sujets („le mediter“ ou méditation sur ce que c’est que la méditation, l’amitié, les femmes, les livres); ou le chiffre primaire et impair des „Vingt & neuf sonnets d’Estienne de la Boetie, à Madame de Grammont Comtesse de Guissen“, titre qui coiffe le vingt-huitième chapitre du premier volume (imprimé en 1580 et 1582), marquant au moyeu même du volume un effet d’excentricité. D’emblée c’est tout aussi évident aux essais de grande taille, dans lesquels des particules de mots deviennent des jalons au long du trajet de lecture, comme le chapitre „V“, dont le chiffre romain, monogramme ayant affaire aux v-ers de V-irgile. C’est vers la fin de „De la vanité“ où l’écriture se réjouit, si l’on veut, de sa „facture de fracture“. Misant sur des lambeaux et morceaux de mots, Montaigne considère l’aspect des formules qu’il est en train de scruter (comme l’attestent les annotations encrées dans l’Exemplaire de Bordeaux). Lui (ou le texte même) a l’air de se réjouir d’un art latent du lopin, de ce que Albert Thibaudet allait appeler „lopinisme“. 8 „Je m’esgare, mais plutost par licence que par mesgarde“ (994), à savoir, par „permission“ (Nicot) ou „leave, libertie, permission, sufference“ (Cotgrave). Vers la fin s’annonce une poétique de fragment et de mots morcelés, dans un passage que tout amateur des Essais sait par cœur: [b] Cette farcisseure est un peu hors de mon theme. Je m’esgare, mais plustot par licence que par mesgarde. Mes fantasies se suyvent, mais par fois c’est de loing, et se regardent, mais d’une veue oblique. [c] J’ay passé les yeux sur tel dialogue de Platon mi party d’une fantastique bigarrure, le devant à l’amour, tout le bas à la rhetorique. Ils ne creignent point ces muances, et ont une merveilleuse grace à se laisser ainsi rouler au vent, ou à le sembler. [b] Les noms de mes chapitres n’en embrassent pas tousjours la matiere; souvent ils la denotent seulement par quelque marque, comme ces autres [c] tiltres: l’Andrie, l’Eunuche, ou ces autres [b] noms: Sylla, Cicero, Torquatus. J’ayme l’alleure poetique, à sauts et à gambades. [c] C’est une art, comme dict Platon, legere, volage, demoniacle. Il est des ouvrages en Plutarque où il oublie son theme, où le propos de son argument ne se trouve que par incident, tout estouffé en matiere estrangere: voyez ses alleures au Daemon de Socrates. O Dieu, que ces gaillardes escapades, que cette variation a de beauté, et plus lors que plus elle retire au nonchalant et fortuite. C’est l’indiligent lecteur qui pert mon subject, non pas moy; il s’en trouvera tousjours en un coing quelque mot qui ne laisse pas d’estre bastant, quoy qu’il soit serré. [b] Je vois au change, indiscrettement et tumultuairement. Mon stile et mon esprit vont vagabondant de mesmes. Il faut avoir un peu de folie qui ne veut avoir plus de sottise, [c] disent et les preceptes de nos maistres et encores plus leurs exemples. [b] Mille poetes trainent et languissent à la prosaïque; mais la meilleure prose ancienne (et je la 142 DOI 10.24053/ ldm-2023-0027 Dossier seme ceans indifferemment pour vers) reluit par tout de la vigueur et hardisse poetique, et represente l’air de sa fureur. (994-95) Les fantaisies se „suyvent“ en roulant „au vent“, et „souvent“ - sous vent - se désagrègent en lambeaux. Or, au contraire de ceux qu’il dénote comme ses meilleurs lecteurs, ici, c’est celui, l’„indiligent lecteur“ - nonchalant, distrait, oisif - qui „pert“, qui perçoit la forme parcellaire, mosaïquée même, de l’essai: en scintille ou flash, dans les caractères qui s’entre-miroitent. Dans ce passage, le „vent se lève“ où, par le biais de la poésie, le texte „tente de“. Sous la fougue et furie de l’inspiration, c’est en mouvement, en „diligence“, au dire de Cotgrave, „[s]peed; sedulitie; diligence, quicknesse; much travel, or studie“, que l’écrivain se cerne „par avanture“, en se lisant, en écrivant à fleur de page. Ainsi, dans les passages de Plutarque où il „oublie“ son thème, l’auteur le perçoit d’un point de vue „oblique“, tel que le sujet que signale le titre du chapitre, est à traiter comme chez Blanchot, une sorte de „parole morcellaire“. Ainsi l’auteur ajoute, dans les marges, en bas de la page, encore un fragment: Par ce que la coupure si frequente des chapitres, de quoy j’usoy au commencement, m’a semblé rompre l’attention avant qu’elle soit née, et la dissoudre, dedeignant s’y coucher pour si peu et se recueillir, je me suis mis à les faire plus longs, qui requierent de la proposition et du loisir assigné. En telle occupation, à qui on ne veut donner une seule heure on ne veut rien donner. Et ne faict on rien pour celuy pour qui on ne faict qu’autre chose faisant. Joint qu’à l’adventure ay-je quelque obligation particuliere à ne dire qu’à demy, à dire confusément, à dire discordamment. (995-96) „Joint qu’à l’adventure ay-je quelque obligation particuliere à ne dire qu’à demy, à dire confusément, à dire discordamment“: la phrase fait appel à l’incipit de l’essai, „[i]l n’en est à l’avanture aucune plus expresse que d’en escrire si vainement“ (945). À l’aventure, c’est-à-dire par hasard, impertinemment, en s’ouvrant aux lecteurs: si c’est à propos ou hors de propos (ou, dans le registre ‚coprographique‘ ou stercoraire de l’essai, orde propos, or de propos) que l’essai vise l’avant par l’après, le devant par derrière. 9 Du coup, sur les talons de l’incipit, il y a l’anecdote du „Gentilhomme qui ne communiquoit sa vie que par les operations de son ventre“ (946). Rappelant cette „a van ture“ de l’incipit (c’est moi qui souligne), le bas corporel, indiqué par ce mot-clef, fait partie d’un faisceau de formules qui varient sur -ven-. La particule ou (pour les fins de cet ensemble d’essais), l’éclat de ce mot, „[a] shiver, splinter, or little peece of wood broken off with violence“ et ce qu’il fait „esclater“, surtout „par esclats“ („peece-meale, in sheevers, into a thousand peeces“) 10 invite une lecture autant dans le sens de son itinéraire rompu, sujet (ou opération) de sa narration, que celui d’une parole ou poème de fragment, vu et tout aussitôt disparu dans sa parataxe et paragrammaire. Semées partout dans l’essai, les grains de vanité se rattachent à ce que va remarquer l’auteur sur l’indifférence du temps passé et du temps présent. Au risque d’une effraction de grammaire ou de l’invention d’un néologisme douteux, quand le texte se lit de loin ou d’un biais anamorphique, d’un point de vue à la fois oublique DOI 10.24053/ ldm-2023-0027 143 Dossier et oblique, „la vanité“ s’entend en écho de „l’avant“ ou de „l’avanité“. 11 Le titre s’infléchit en faisant ressortir une sorte d’‚avant-ité‘, promesse d’une spéculation sur le paradoxe qui fait que la durée du temps se recèle dans celle du discours et, en même temps, dans son instantanéité, à savoir, son éclat. En plus, si le sens de l’obliquité a affaire à l’oubli ou l’„oubliance“, les mots et les formules sont à lire en anamorphose ou en aberration. 12 Pour cette raison il se peut que dans un alongeail portant sur la composition du chapitre, l’auteur se donne la liberté d’engager l’art poétique de l’essai par voie de flashback et de „contre-diction“: „Au rebours, je m'emploie à faire valoir la vanité mesme et l’asnerie si elle m’apporte du plaisir, et me laisse aller apres mes inclinations naturelles sans les contreroller de si pres“ (996). Tout d’un coup, comme s’il sautait du coq à l’âne, J’ay veu ailleurs des maisons ruynées, et des statues, et du ciel, et de la terre: ce sont tousjours des hommes. Tout cela est vray; et si pourtant ne sçauroy revoir si souvent le tombeau de cette ville, si grande et si puissante, que je ne l’admire et revere. Le soing des morts nous est en recommandation. Or j’ay esté nourry dés mon enfance avec ceux icy; j’ay eu connoissance des affaires de Romme, long temps avant que je l’aye eue de ceux de ma maison: je sçavois le Capitole et son plant avant que je sceusse le Louvre, et le Tibre avant la Seine. J’ay eu plus en teste les conditions et fortunes de Lucullus, Metellus et Scipion, que je n’ay d’aucuns hommes des nostres. (996) En renchérissant sur „la vanité mesme“, sans aucune indication, sans formule phatique, l’essai s’interrompt, s’arrête, et se regarde. À ce qu’il semble, tâchant de s’extraire du temps actuel, époque criblée par les guerres de religion, l’auteur se déplace de chez lui, „à sauts et à gambades“, s’imaginant à Rome à l’âge antique. Aux antipodes de Paris (soit malgré, soit en vertu de ses verrues et „tasches“, ville qu’il aime du fond de son cœur), point cardinal de la géographie de l’essai, la ville éternelle se voit habitée par une parenté lointaine qui lui revient en fantasmagorie. 13 „Le soing des morts nous est en recommandation“ (ibid.). Si, par „maison“, l’auteur entend la notion d’une famille humaine, d’une longue durée, il est impossible de voir comment ce qu’il dit de son asnerie se lie à la vision des „maisons ruynées“. S’agiraitil ici d’un retour au domicile, au château tel qu’il venait de le décrire dans „De trois commerces“? Ce retour se déroulerait sous nos yeux, si l’on pense à l’idiolecte du cinéma, sous la forme de mots en ‚images-mouvement‘ ou en ‚images-perception‘, en fondu enchaîné, ou encore, dans l’acte de voir et de lire, comme une sorte de pano-travelling imaginaire. Ce serait donc une vision on ne saurait plus freudienne, dans laquelle se confondent l’espace et le temps, vis-à-vis du souvenir récent du voyage de l’auteur en Italie, dans lequel, d’une éminence, il a été témoin de Rome au temps passé vis-à-vis du temps présent, témoin d’une ville stratifiée par les couches et sédimentations successives de son histoire. 14 Ainsi l’éclat ou l’éblouissement d’une scène originaire se détache des images reçues de la fondation de la ville, telles celles qui se trouvent dans les cosmographies universelles du même moment. 15 La phrase qui suit en dit beaucoup, surtout d’un point de vue oblique: „Or j’ay esté nourry dés mon enfance avec ceux icy; j’ay eu 144 DOI 10.24053/ ldm-2023-0027 Dossier connoissance des affaires de Romme, long temps avant que je l’aye eue de ceux de ma maison: je sçavois le Capitole et son plant avant que je sceusse le Louvre, et le Tibre avant la Seine“ (c’est moi qui souligne) - serait à lire d’un point de vue anamorphique. Est-ce que sa maison ou domicile comprend sa parenté, ses aiëux et ses ancêtres? Et tout autant, au sens propre, est-ce aussi le château qu’a bâti son père? Si c’est le cas (on a l’impression que l’auteur choit dans des souvenirs du passé), on trouverait, à la suite de „j’ay esté nourry dès mon enfance“, l’image mentale ou le souvenir du Capitole ressemble à un sein maternel qui l’aurait nourri et d’où il s’est sevré. Là où „je sçavois le Capitole et son plant avant que je seusse le Louvre, et le Tibre avant la Seine“ (996), l’imparfait du subjonctif de ‚savoir‘, „seusse“, est doublé par une homonymie, „suce“, indiquant que Montaigne s’imagine comme Romule au mamelon de la louve fondatrice de la vie et de la ville „commune et universelle“. Ainsi, en juxtaposant le Tibre à la „Seine“, telle que le nom de celle-ci s’énonce, il y va d’une scène primitive ou originaire qui entraîne un déplacement à la fois en „avant“ et, post facto, après. Par voie d’homonymie et de ressemblance, la „Seine“ équivaut à la scène originaire (ou le sein originaire? ) que décrit l’auteur en se souvenant de sa première enfance. Et qui plus est, se „trouvant inutile à ce siecle“ (c’est moi qui souligne), il se transite de son milieu (où sévissent les guerres de religion) à „l’estat de ceste vieille Romme, libre, juste, et florissante“, ville imaginaire, utopique, sorte de non-lieu mis en repoussoir vis-à-vis de la France contemporaine. Eu égard à une espèce de cartographie historique disposée en strates (indiquée par „l’assiette“, „plant“, ou plan) de la ville et des „places que nous sçavons esté habitées par personnes desquelles la mémoire est en recommendation“ (997), il éprouve un sentiment bienheureux, pas du tout traumatisant, de séparation et d’isolation. C’est ce qui enjolive encore ce qu’il dénomme „un si vain plaisir“ là où „[n]os humeurs ne sont pas trop vaines, qui sont plaisantes“ (ibid.). Du reste, écrit-il, „[l]a fortune m’a faict quelques faveurs venteuses, honnoraires et titulaires, sans substance“. Parmi ces „faveurs vaines“, il fait imprimer à même la page une copie de sa „bulle authentique de bourgeoisie romaine“ (999). Document qui accorde le droit de cité à l’auteur, en sa belle enflure, la bulle est d’une forme et facture au contraire de la teneur et manière de l’essai. Mise en évidence par le geste narcissique de l’inclure dans le tissu des réflexions, elle se dévalorise - se dégonfle, ou comme un ballon, s’explose ou s’éclate - à la pensée qu’en tant que telle il y a autant de „bulles“ qu’il y a de copies des Essais. Comme il vient de faire, en aplatissant la distance et durée de temps entre l’époque antique et le temps présent, dix-huit ans depuis la mort de son père, il se moque du commerce de la gloire et de l’éclat public qu’il entraîne. Lectrices et lecteurs de ce fameux passage se réjouissent en remarquant comment l’emphase s’éclate et s’éparpille aux cinq instances de l’abréviation S. P. Q. R., ressortissant du latin curial, qui sautent aux yeux: DOI 10.24053/ ldm-2023-0027 145 Dossier Quod Horatius Maximus, Martius Cecius, Alexander Mutus, Almae Urbis Conservatores De Illustrissimo Viro Michaele Montano, Equite Sancti Michaelis Et A Cubiculo Regis Christianissimi, Romana Civitate Donando, Ad Senatum Retulerunt, Senatus Populus Que Romanus De Ea Re Ita Fieri Censuit: Cum veteri more et instituto cupide illi semper studiosèque suscepti sint, qui, virtute ac nobilitate praestantes, magno Reipublico nostrae usui atque ornamento fuissent vel esse aliquando possent, Nos, majorum nostrorum exemplo atque auctoritate permoti, praeclaram hanc Consuetudinem nobis imitandam ac servandam fore censemus. Quamobrem, cum Illustrissimus Michael Montanus, Eques sancti Michaelis et à Cubiculo Regis Christianissimi, Romani nominis studiosissimus, et familiae laude atque splendore et propriis virtutum meritis dignissimus sit, qui summo Senatus Populique Romani judicio ac studio in Romanam Civitatem adsciscatur, placere Senatui Populo Que Romano Illustrissimum Michaelem Montanum, rebus omnibus ornatissimum atque huic inclyto populo charissimum, ipsum posterosque in Romanam Civitatem - 1000 - adscribi ornarique omnibus et praemiis et honoribus quibus illi fruuntur qui Cives Patritiique Romani nati aut jure optimo facti sunt. In quo censere Senatum Populum Que Romanum se non tam illi Jus Civitatis largiri quam debitum tribuere, neque magis beneficium dare quam ab ipso accipere qui, hoc Civitatis munere accipiendo, singulari Civitatem ipsam ornamento atque honore affecerit. Quam quidem Senatus consulti auctoritatem iidem Conservatores per Senatus Populi Que Romani scribas in acta referri atque in Capitolii curia servari, privilegiumque hujusmodi fieri, solitoque urbis sigillo communiri curarunt. Anno ab urbe condita cxdcccxxxi. post Christum natum mdlxxxi. iii. Idus Martii. Horatius Fuscus, sacri Senatus Populi Que Romani scriba. Vincentius Martholus, sacri Senatus Populi Que Romani scriba. (999-1000) Signalé en majuscule, l’acronyme on ne peut plus officiel ou banal s’entendrait en français sous l’inflexion „est-ce (S) pet (P) Q (cul) R (air/ erre)“. Lue ainsi, à haute voix et pour ainsi dire à contrepoil, la formule se moque de l’autorité du Sénat et du peuple de Rome. S. P. Q. R.: serait-elle aussi une marque, macule même, qui varie sur l’aspect ‚spéculaire‘ du chapitre consacré au regard que l’auteur porte sur luimême? Si la réponse est affirmative, elle indiquerait que le précepte de Delphes, dernier mot de l’essai, serait aussi le double ou la contrepartie de la „bulle“. Or, s’agissant des vicissitudes de vivre, l’auteur propose qu’un sujet porte son regard et à l’avant et à l’arrière, à la fois à la bouche et à l’anus. 16 En termes empruntés encore à la cinématographie, c’est une vision à la fois en flashback et en flash forward, et en avant et en arrière. Donc, la bulle, sorte de déjection ou reste, excrétion au bas corporel du chapitre, rappelle et remonte à la première phrase de l’essai, où les caractères sont ceux même du titre en majuscule qui se voit au-dessus. En lisant „De la vanité“ en vue des signifiants qui se remarquent et reviennent inlassablement, on constate une multiplication d’instances de mots forgés sur -ven-. Particule, bribe, éclisse, fragment faisant partie d’un réseau de signes, le graphème - homonyme de vent, force de convection et de différence dont la cause remonte au réchauffement inégal de l’atmosphère - serait le jalon d’un itinéraire ou d’une route (ou via rupta) de lecture qui se bifurque d’une phrase à l’autre. Synonyme d’une „aventure“, ou plutôt d’une „avanture“, il présage un voyage qui s’ouvre sur l’inconnu. 17 „Il n’en est à l’avanture 146 DOI 10.24053/ ldm-2023-0027 Dossier aucune plus expresse“ (945). Rappel de la célèbre remarque en préface des réflexions sur le nouveau monde et sur l’expédition douteuse qu’avait entreprise Nicolas Villegagnon afin d’établir une colonie protestante en „France antarctique“, à la baie de Guanabara, au début des „Cannibales“ - nous „embrassons tout, mais nous n’estreignons que du vent“ (202, c’est moi qui souligne), -vensignale le „commerce“, l’économie et - sur un plan où le mot fait allusion à la fois à la mobilité et à la facture de l’essai - à sa condition de possibilité et à sa mise en page. Parole de fragment, sortie, à ce qu’il semble, de ce que de nos jours on appellerait l’inconscient de l’écriture, -venfait allusion au jeu du hasard et du destin ou de la destination qui marque le chapitre et, du coup, impose une lecture en lopins, qui procède de fragment en fragment. En guise d’une conclusion abrupte, on constate néanmoins qu’„esclat“ figure peu fréquemment dans les Essais, et là où il s’énonce, le sens est ou neutre ou polysémique. Dans „De mesnager sa volonté“, l’auteur se félicite d’avoir vécu une vie ‚ordinaire‘, comme il la décrit dans „De la vanité“, tout en jouant sur le rapport entre écriture et ablution, en faisant état de „ses excremens d’un vieil esprit“ (946). Ici, „[m]es meurs sont mousses, plustost fades qu’aspres. […] Ma fortune le veut ainsi. Je suis nay d’une famille qui a coulé sans esclat et sans tumulte, et de longue memoire particulierement ambitieuse de preud’hommie“ (1021, c’est moi qui souligne). La phrase rappelle combien il „desire mollement“ ce qu’iI désire (1004). Du côté de l’ostentation, éclat résume l’histoire de Phryné, qui „perdoit sa cause entre les mains d'un excellent advocat si, ouvrant sa robbe, elle n’eust corrompu ses juges par l’esclat de sa beauté“ (1058). Or, s’il y a éclat, ce n’est pas à la cour d’appel, mais dans les débris et brisures de l’écriture. Il se figure dans une parole de fragment, en deçà et aux interstices des mots, qui trahit, démentit ou contourne le sens reçu du texte. Pour ce numéro de lendemains, on dirait que l’avenir de la lecture et de la réception des Essais pourrait s’orienter ainsi, sous le signe d’une aventure autant vigilante que créatrice. Bakewell, Sarah, How to Live: Or a Life of Montaigne In One Question and Twenty Attempts at an Answer, London, Chatto & Windus, 2010. —, „Montaigne on Empathy“, in: Philippe Desan (ed.), The Oxford Handbook of Montaigne, New York, Oxford University Press, 2016, 600-614, DOI: 10.1093/ oxfordhb/ 9780190215330.013.35 Baltrušaitis, Jurgis, Aberrations: Essai sur la légende des formes, Paris, Flammarion, 1983. —, Anamorphoses: Ou thaumaturgus opticus, Paris, Flammarion (Les perspectives dépravées), 1984. Belleforest, François de, La Cosmographie universelle, vol. 1, Paris, Michel Sonnius, 1575. Béroalde de Verville, Le Moyen de parvenir, ed. 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Quant à l’altérité, v. mon coup d’essai, „Montaigne and Alterity“, in The Oxford Companion to Montaigne, éd. Philippe Desan, New York et Oxford, Oxford University Press, 2016, pp. 699-714. 3 „Commistion: f. A commixtion; a mixing, or mingling of several things together “, in: Randle Cotgrave, A Dictionnaire of the French & English Tongues, London, Adam Inslip, 1611. 4 Cf. René Char, „La Parole en archipel“, in: id., Œuvres complètes, Paris, Gallimard (Bibl. de la Pléiade), 1982. Et au sujet du contexte des Essais, cf. Frank Lestringant, Bribes d’îles: la littérature en archipel de Benedetto Bordone à Nicolas Bouvier, Paris, Classiques Garnier, 2019, surtout sur les îles qui bougent, 64-67. 5 Maurice Croll, „Attic“ and the Baroque Style: the Anti-Ciceronian Movement, Princeton, Princeton University Press, 1969; Richard Sayce, The Essays of Montaigne: A Critical Exploration, Evanston, Ill., Northwestern University Press, 1972; Sarah Bakewell, How to Live, or a Life of Montaigne: In One Question and Twenty Attempts at an Answer, London, 148 DOI 10.24053/ ldm-2023-0027 Dossier Chatto & Windus, 2010; récemment Sarah Bakewell, „Montaigne on Empathy“, in: Philippe Desan (ed.), The Oxford Handbook of Montaigne, New York, Oxford University Press, 2016, 600-614, DOI: 10.1093/ oxfordhb/ 9780190215330.013.35. 6 Montaigne, Les Essais, ed. Pierre Villey / Verdun L. Saulnier, Paris: PUF, 1965. Les indications de pages entre parenthèses se réfèreront à cette édition. 7 Floyd Gray, Le Style de Montaigne, Paris, Nizet, 1958; Jacques Lacan, „L’Instance de la lettre dans l’inconscient“, in: id., Écrits, Paris, Seuil, 1966, 495. 8 Montaigne, ed. Floyd Gray, Paris, Gallimard, 1963. Dans Montaigne et les livres, Gray infère que l’hybridité des Essais a pour cause l’écriture en lopins ou fragments paradoxalement totalisants, en „membres espars“ (Paris, Classiques Garnier, 2013, 268-69). 9 Pour ce qui concerne la „coprographie“ de l’essai, cf. Gisèle Mathieu-Castellani, Montaigne, de l’écriture à l’œuvre, Paris, PUF, 1982. Cf. aussi, à propos du discours stercoraire chez Béroalde de Verville, Michel Jeanneret, Des mets et des mots: Banquets et propos de table à la Renaissance, Paris, Corti, 1987. 10 Randle Cotgrave, Dictionarie of the French and English Tongues, Londres, Adam Inslip, 1611, https: / / gallica.bnf.fr/ ark: / 12148/ bpt6k50509g/ f2.item, s.v. ‚esclat‘. Cf. aussi Jean Nicot, Trésor de la langue françoyse, tant ancienne que moderne, Paris, David Douceur, 1606, https: / / gallica.bnf.fr/ ark: / 12148/ bpt6k50808z. 11 Sur l’ouïsme [à propos du jeu du o ouvert ou du o fermé], dont il s’agit au seizième siècle du jeu de mots dans les facultés de droit, „j’ai laissé mon Bodin/ boudin à la bibliothèque“): cf. Ferdinand Brunot, Histoire de la langue française, v. 2: Le seizième siècle, Paris, Colin, 1905, 251-52. 12 Cf. Jurgis Baltrušaitis, Aberrations: Essai sur la légende des formes, Paris, Flammarion, 1983; id., Anamorphoses: Ou thaumaturgus opticus, Paris, Flammarion (Perspectives dépravées), 1984. Il s’agit aussi de ce que Béroalde de Verville nomme stéganographie, l’art de mettre des formes en superposition et aberration tel que le polymathe le résume du point de vue du bas corporel aux dernières lignes de son Moyen de parvenir (1616), livre coprographique par excellence: Vous, qui avez mine d’estre homs Et qui semblez estre hommasses, Apportez quatre gros ès troncs Afin que l’œuvre se parfasse. (Le Moyen de parvenir, ed. Michel Renaud, Paris, Gallimard (folio classique), 2006, 262). 13 Quoique le sens de „fantasmagorie“ se lie à Balzac (surtout dans La Peau de chagrin, paru en 1831), et aux romantiques, en dérivation de fantasme, il signifie une „projection dans l’obscurité de figures lumineuses animées simulant des apparitions surnaturelles“ (Trésor de la langue française). Affilié au phénomène de la lanterne magique, telle celle chez Proust, au début de Combray, qui projette sur les plis du l’image de „Golo, plein d’un affreux dessein“, ici, dans cet essai, il se figure dans le travail du souvenir des effets qui ressemblent à (ou anticipent sur) une fantasmagorie. À propos de l’histoire de la lanterne magique, cf. Pasi Väliaho, Projecting Spirits, Stanford, Stanford University Press, 2021. 14 Ce qui rappelle la description à la fois historique et stratigraphique (voire, stéganographique s’il est question des couches de l’histoire) de la ville dans Malaise de la civilisation, en anglais sous le titre „Civilization and its Discontents“ („Das Unbehagen in der Kultur“, paru en 1930), in: The Standard Edition of the Complete Psychological Works of Sigmund Freud, Volume XXI (1927-1931), ed. James Strachey, London, The Hogarth Press and The Institute of Psycho-Analysis, 1995, 57-146. 15 François de Belleforest, La Cosmographie universelle, v. 1, Paris, Michel Sonnius, 1575, 538-56; André Thevet, Cosmographie universelle … illustree de diverses figures veues par DOI 10.24053/ ldm-2023-0027 149 Dossier l’Auteur, & incogneuës de noz Anciens et modernes, v. 2, Paris, Chez Guillaume Chaudiere…, 1575, f.f 716v°-726r. 16 Pour ce qui concerne la „bulle“ (dont l’homonyme anglais est riche de sens), cf. Mary McKinley, Les Terrains vagues des ‚Essais‘: Itinéraires et intertextes, Paris, Champion, 1996. 17 Quant à l’aspect commercial d’une „aventure“, cf. Michael Nerlich, Ideology of Adventure: Studies in Modern Conciousness, 1100-1750, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1987.