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Construction discursive des représentations de stages professionnels dans des entreprises de la région du Rhin supérieur

Une étude de cas

0813
2014
978-3-7720-5535-5
978-3-7720-8535-2
A. Francke Verlag 
Katharina Höchle Meier

La mobilité professionnelle est un sujet jusqu'à présent peu traité en linguistique. Dans sa thèse, Katharina Höchle Meier analyse les représentations de stages professionnels telles qu'on peut les trouver dans le discours des acteurs (apprentis/étudiants en stage, responsables dans les entreprises). L'espace concerné par les stages est celui du triangle entre la Suisse, la France et l'Allemagne, une région non seulement trinationale, mais aussi plurilingue. Les questions sous-jacentes centrales sont entre autres celles de savoir pourquoi les uns offrent des stages et pourquoi les autres y participent, d'une part, et quelles expériences les stagiaires ont faites pendant leur stage, d'autre part. Il s'agit non seulement de saisir quelles représentations les acteurs se font des stages, mais aussi comment celles-ci peuvent être amenées à être modifiées. L'auteure porte un intérêt particulier aux questions de savoir dans quelle mesure le discours de l'entreprise sur les stages se distingue de celui des jeunes participants et quel est le rôle du plurilinguisme dans l'entreprise en général et dans les stages en particulier. La mobilité professionnelle est un sujet jusqu'à présent peu traité en linguistique. Dans sa thèse, Katharina Höchle Meier analyse les représentations de stages professionnels telles qu'on peut les trouver dans le discours des acteurs (apprentis/étudiants en stage, responsables dans les entreprises). L'espace concerné par les stages est celui du triangle entre la Suisse, la France et l'Allemagne, une région non seulement trinationale, mais aussi plurilingue. Les questions sous-jacentes centrales sont entre autres celles de savoir pourquoi les uns offrent des stages et pourquoi les autres y participent, d'une part, et quelles expériences les stagiaires ont faites pendant leur stage, d'autre part. Il s'agit non seulement de saisir quelles représentations les acteurs se font des stages, mais aussi comment celles-ci peuvent être amenées à être modifiées. L'auteure porte un intérêt particulier aux questions de savoir dans quelle mesure le discours de l'entreprise sur les stages se distingue de celui des jeunes participants et quel est le rôle du plurilinguisme dans l'entreprise en général et dans les stages en particulier.

<?page no="0"?> A. FRANCKE VERLAG TÜBINGEN ROMANICA HELVETICA VOL. 135 Katharina Höchle Meier Construction discursive des représentations de stages professionnels dans des entreprises de la région du Rhin supérieur Une étude de cas <?page no="1"?> ROMANICA HELVETICA EDITA AUSPICIIS COLLEGII ROMANICI HELVETIORUM A CURATORIBUS «VOCIS ROMANICAE» VOL. 135 <?page no="3"?> Katharina Höchle Meier Construction discursive des représentations de stages professionnels dans des entreprises de la région du Rhin supérieur Une étude de cas 2014 A. FRANCKE VERLAG TÜBINGEN <?page no="4"?> Information bibliographique de la Deutsche Nationalbibliothek La Deutsche Nationalbibliothek a répertorié cette publication dans la Deutsche Nationalbibliografie ; les données bibliographiques détaillées peuvent être consultées sur Internet à l’adresse http: / / dnb.dnb.de. Publié avec l’appui du Fonds national suisse de la recherche scientifique. © 2014 · Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG Dischingerweg 5 · D-72070 Tübingen Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Gedruckt auf chlorfrei gebleichtem und säurefreiem Werkdruckpapier. Internet: www.francke.de E-Mail: info@francke.de Satz: Informationsdesign D. Fratzke, Kirchentellinsfurt Druck und Bindung: docupoint GmbH, Magdeburg Printed in Germany ISSN 0080-3871 ISBN 978-3-7720-8535-2 <?page no="5"?> Pour ma mère <?page no="7"?> VII Remerciements Ce livre est l’aboutissement de ma thèse, défendue en 2012 à l’Université de Bâle. Ce projet a reçu le soutien d’une série de personnes qui méritent ici d’être remerciées. Tout d’abord, j’aimerais remercier Georges Lüdi, mon directeur de thèse et chef pendant cinq ans, de m’avoir guidée sur ce chemin passionnant qu’est la recherche. Je lui suis reconnaissante d’avoir stimulé ma réflexion et d’avoir enrichi ce travail de ses précieuses remarques critiques. Je lui exprime toute ma gratitude pour sa patience et son soutien. Je remercie également Gianni D’Amato, Simona Pekarek Doehler et Victor Saudan d’avoir évalué mon travail ; leurs commentaires précis et généreux m’ont permis de significativement améliorer le manuscrit. J’aimerais également exprimer un chaleureux merci à toutes les personnes dans les entreprises (directeurs, responsables des ressources humaines, responsables de la formation, apprentis, étudiants et autres) et dans les différentes institutions, qui se sont montrées disponibles et motivées à répondre à mes questions d’entretien. Leur aimable coopération m’a permis de constituer une base de données riche et solide pour mes investigations. Enfin, je tiens à remercier mes proches et mes amis qui m’ont tous --d’une manière ou d’une autre -- soutenue et encouragée à ne pas lâcher prise pour mener à bien ce travail. Je pense en particulier à mon mari Stefan Meier, ainsi qu’à Moira Gamma, Linda Grimm- Pfefferli, Anne-Sylvie Horlacher et Patchareerat Yanaprasart. Binningen, en février 2014 Katharina Höchle Meier <?page no="9"?> IX Table des matières Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VII Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Thème de la recherche et pertinence du sujet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Présentation de la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Structure de la thèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 1 . Contextualisation : la région du Rhin supérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 1 .1 Remarques générales sur la région du Rhin supérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 1 .2 Le contexte linguistique dans la région du Rhin supérieur . . . . . . . . . . . . . 19 1.2.1. D’un espace historiquement unilingue à un espace multilingue . . . . . . . . . 19 1.2.2. Différentes formes de diglossie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 1.2.3. Une troisième langue : l’anglais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 1.2.4. Un déséquilibre de la présence des langues. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 1 .3 Le contexte éducatif dans la région du Rhin supérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 1.3.1. Du contexte européen au contexte régional . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 1.3.2. Le contexte éducatif en Suisse du Nord-Ouest . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 1.3.3. Le contexte éducatif au Bade-Wurtemberg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 1.3.4. Le contexte éducatif en Alsace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 2 . L’apprentissage : un type de formation professionnelle dans la région du Rhin supérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 2 .1 Une voie de formation commune : l’apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 2 .2 La signification de l’apprentissage dans les pays du Rhin supérieur . . . . . . 36 2 .3 Les langues étrangères enseignées pendant l’apprentissage . . . . . . . . . . . . . 37 2.3.1. Suisse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 2.3.2. Allemagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 2.3.3. France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 2 .4 Une possibilité de stage pendant la formation professionnelle initiale : le Certificat Euregio . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 2 .5 Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 3 . Cadre conceptuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 3 .1 Etat de la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 3.1.1. Les travaux portant sur le plurilinguisme au travail- . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 3.1.2. Les recherches dans le domaine des échanges/ stages . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 <?page no="10"?> X 3 2 Echanges/ stages et mobilité professionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 3 3 La dimension interculturelle dans la mobilité professionnelle . . . . . . . . . . 56 3 4 La dimension de l’acquisition des langues dans les échanges/ stages . . . . . . 61 3 5 Les représentations sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66 4 Méthodologie et terrain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 4 1 Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 4.1.1. Le corpus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 4.1.2. L’analyse des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 4 2 Terrain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 4.2.1. La ‘philosophie’ de <Fabrique A> en matières de langues et de formation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 4.2.2. Accès au terrain <Fabrique A> . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82 5. Les représentations des stages professionnels des acteurs . . . . . . . . . . . . . . . . 84 5 1 La perspective de l’entreprise : pourquoi offrir des stages ? . . . . . . . . . . . . . 84 5.2. La perspective des stagiaires : pourquoi participer à un stage ? . . . . . . . . . . 92 5.2.1. Motivations et défis pour les apprentis avant le stage . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 5.2.2. Motivations et défis pour les apprentis en rétrospective . . . . . . . . . . . . . . . . 98 5.2.3. Motivations et défis pour les étudiants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 5.2.4. Expériences avec les stages et bénéfices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 5.2.4.1. D’une expérience interculturelle à une compétence interculturelle . . . . . . . 113 A propos des manières de travailler . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 A propos de la nourriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 A propos des mentalités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 A propos du plurilinguisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120 5.2.4.2. De l’expérience interculturelle au développement personnel . . . . . . . . . . . 122 Ouverture, flexibilité et indépendance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122 Expériences avec le dialecte alémanique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123 Expériences avec la langue étrangère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124 Acquisition de connaissances professionnelles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132 6 Discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135 6 1 Polyphonie dans le discours sur les objectifs et les bénéfices des stages . 135 Le discours sur la dimension interculturelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135 Le discours sur la dimension linguistique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137 Le discours sur la dimension du développement personnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138 Le discours sur la dimension professionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138 6 2 Le potentiel des stages pour une modification des représentations . . . . . . 139 6.2.1. Représentations de l’autre et de soi-même . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139 6.2.2. Représentations de la nécessité de l’anglais. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141 6.2.3. Représentations du plurilinguisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146 <?page no="11"?> XI Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148 Rapports et recommendations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159 Sites web consultés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161 Articles de journal et communiqués de presse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164 Annexe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166 Annexe I : Conventions de transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166 Annexe II : Table des cartes et tableaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 <?page no="13"?> 13 Introduction Thème de la recherche et pertinence du sujet Les échanges sont un instrument important dans le cadre des politiques linguistiques scolaires en Europe. En Suisse, une agence en particulier est chargée de les faciliter ; elle est située à Soleure, et l’auteure de la présente thèse y a précisément travaillé pendant une année. 1 Dans cette agence, il y a notamment des échanges qui se déroulent au-delà de la période scolaire. Or, la période de l’apprentissage joue un rôle-clé dans ce contexte, dans la mesure où les apprentis arrivent avec une formation scolaire de base - et donc des compétences approximatives en allemand, français et/ ou anglais - et que c’est en collaboration avec l’école professionnelle et l’entreprise qu’ils approfondissent ces compétences. La manière dont les compétences à atteindre sont définies varie entre des indications floues et des descripteurs très précis. L’idée est que les compétences linguistiques des apprentis se rapprochent des besoins effectifs grâce à l’enseignement et aux échanges/ stages, même si pour ces derniers la dimension linguistique n’est pas l’objectif principal. Il y a ainsi des années que les politiciens de l’éducation proposent d’exploiter la période de l’apprentissage pour approfondir systématiquement les compétences linguistiques des jeunes dans le cadre d’échanges/ stages d’apprentis dans d’autres régions linguistiques et/ ou à l’étranger. Des recherches préalables ont montré les bénéfices que les échanges/ stages dans la région de la langue cible offrent aux élèves (Hodel 2005) et en particulier aux apprentis (Saudan 2003). Le présent travail porte sur des stages professionnels d’apprentis et d’étudiants dans la région du Rhin supérieur, soit entre les cantons suisses de Bâle-Ville, Bâle-Campagne et le Jura ainsi que l’Alsace et le Bade-Wurtemberg. L’accès est mis sur la manière dont ces stages professionnels sont construits discursivement par les différents acteurs impliqués dans les stages. L’espace concerné par les stages est celui du « Dreiländereck » (triangle) entre la Suisse, la France et l’Allemagne : la région est trinationale, mais elle est aussi plurilingue-avec comme langues locales le français et l’allemand - les dialectes inclus -, l’anglais et d’autres langues issues de l’immigration. De plus, il y a une très forte mobilité au niveau du marché du travail, d’une part entre la France et la Suisse et d’autre part entre l’Allemagne et la Suisse. Par ailleurs - et c’est ce qui rend la thématique plus complexe - la région est caractérisée par des conditions institutionnelles spécifiques pour la formation professionnelle initiale dans chaque pays, mais aussi par des concepts de stage transfrontaliers (Certificat Euregio [http: / / www.euregio-zertifikat.de], TriProCom [http: / / www.triprocom.org], Formation professionnelle sans frontières [http: / / www.formation-pamina.fr], Go for Europe [http: / / www.goforeurope. de]). Il semble donc que le contexte géo-politico-linguistique de la région est particulièrement favorable à des échanges/ stages - dans la mesure où il permet des échanges/ stages à courte distance. Cependant, on se trompe si on pense que ces échanges/ stages se limitent à la région et aux langues voisines. Entre-temps, avec l’importance croissante de l’anglais, le rayon des échanges/ stages s’est élargi vers des pays anglophones. Par ailleurs, il existe des stages sans composante linguistique du tout, par exemple quand des apprentis germanophones font des stages en Allemagne ou en Suisse alémanique. Présentation de la recherche A l’intérieur de la région du Rhin supérieur, il y a des entreprises régionales qui organisent des échanges/ stages, toutes pour des raisons différentes et avec des objectifs différents. 1 Il s’agit du Centre suisse de compétence pour les échanges et la mobilité de la Fondation ch, http: / / www.ch-go.ch (autrefois ch échange de jeunes/ ch Jugendaustausch). <?page no="14"?> 14 Dans notre enquête, nous nous posons entre autres les questions suivantes : Quelle est la place de la formation professionnelle en général et des stages professionnels en particulier dans la ‘philosophie’ de l’entreprise ? Comment l’entreprise se positionne-t-elle dans la région du Rhin supérieur ? Quel rôle joue le plurilinguisme dans l’entreprise en général et dans les stages en particulier ? 2 Dans quelle mesure le discours de l’entreprise sur les stages se distingue-t-il de celui des jeunes participants ? Notre approche est qualitative, c’est-à-dire que les données sont pertinentes pour nos terrains, mais pas représentatives dans le sens statistique, et elle est ethnographique dans le sens que notre recueil de données se compose de plusieurs dimensions : dans une moindre mesure, il s’agit d’observation participante, de notes de terrain, de l’analyse du paysage sémiotique et de l’analyse conversationnelle 3 . L’élément principal cependant constitue l’analyse des représentations sociales telles que nous pouvons les appréhender dans le discours, recueillies à travers des entretiens semi-directifs. Nos questions de recherche résultent d’un cadre conceptuel que nous esquissons ici en ne présentant que brièvement les notions nécessaires ; elles seront traitées en détail dans le chapitre 3. Un champ de concepts pertinents tourne autour des notions d’acquisition en interaction et de répertoire plurilingue. Chaque apprenti participant à un échange/ stage a son propre parcours acquisitionnel en langues étrangères. La situation de l’échange/ stage met en œuvre des compétences plurilingues ou plutôt un répertoire plurilingue acquis pendant ce parcours. Ce répertoire plurilingue permet ensuite aux jeunes de communiquer en situation d’interaction exolingue. Quiconque consulte des offres d’emploi sur la page web d’une entreprise ou dans des journaux tombe sur ce qui est exigé pour le poste en matière de compétences linguistiques. L’employé potentiel est-il censé maîtriser l’ensemble des langues mentionnées, et jusqu’à quel niveau ? Souvent, ces compétences ne sont pas explicitées, et on peut lire des expressions comme « bonne connaissances », « bonne maîtrise », « connaissances linguistiques fluides », « langue maternelle » etc. Mais qu’est-ce que ces expressions signifient réellement ? Quelles compétences linguistiques ou répertoires plurilingues sont demandés dans le monde du travail ? Et comment acquière-t-on ce répertoire ? Ces questions nous mènent à la notion d’acquisition en interaction, laquelle contient une dimension scolaire avec par exemple la maturité bilingue ou l’enseignement par immersion ainsi qu’une dimension extraet postscolaire- avec les échanges/ stages ; c’est à cette dernière que nous nous intéressons particulièrement (chapitre 3.4.). Jusqu’à présent, nous avons systématiquement utilisé les deux termes- d’échanges et de stages. Effectivement, la distinction n’est pas évidente. C’est pourquoi nous considérons qu’il est important de clarifier ce que nous entendons par ces termes, tout en les liant avec celui de mobilité professionnelle (chapitre 3.2.). Une des caractéristiques de la mobilité est le fait qu’une personne part dans une autre région linguistique (que ce soit à l’intérieur d’un pays plurilingue comme la Suisse ou à l’étranger). Par conséquent, cette personne entre en contact avec d’autres cultures aussi. Nous porterons donc un intérêt particulier à la dimension interculturelle dans la mobilité, à la relation entre les dimensions interculturelle et linguistique, et enfin à la notion de compétence interculturelle (chapitre 3.3.). Cette dernière devient de plus en plus importante dans « une activité économique internationale croissante, exigeant des contacts de plus en plus intenses avec les interlocuteurs étrangers » (Lee/ Laurent 2005 : 13). 2 Au début de notre recherche, nous sommes partie de l’idée que la langue constituait l’objectif premier des stages. Au cours de l’enquête cependant, nous avons constaté que la langue n’était qu’une dimension des stages, mais pas la seule et pas forcément la plus importante. C’est pourquoi nous avons subordonné la question sur le rôle de la langue à la question de la place de la formation professionnelle et des stages au sein de l’entreprise. 3 Pour des raisons organisationnelles et le fait que nous avons interviewé la plupart des stagiaires après leur stage, nous n’avons pu recueillir qu’un seul exemple d’interaction : il s’agit de l’apprenti suisse alémanique Tim lors de son stage en France. <?page no="15"?> 15 Puisque l’analyse des représentations sociales est au cœur de notre recherche, il est indispensable de regarder de plus près ce que signifie cette notion et dans quelle mesure elle est liée avec d’autres notions proches comme par exemple celle de stéréotype (chapitre 3.5.). La présente thèse s’inscrit dans un cadre analytique plus large, à savoir celui du projet de recherche européen Dylan (Dynamique des langues et gestion de la diversité) 4 , ainsi que le module bâlois rattaché à ce même projet. Ce cadre analytique se compose de quatre dimensions interreliées : les pratiques langagières, les représentations du plurilinguisme et de la diversité linguistique, les politiques/ stratégies linguistiques ainsi que le contexte linguistique. Pour la recherche de la thèse présente, nous nous concentrerons avant tout sur la dimension des stratégies ou, en d’autres termes, celle de la gestion des langues, dans le sens que les échanges/ stages peuvent être considérés comme un élément dans la gestion des langues dans les entreprises. Nous présenterons plus en détail le cadre analytique de ce projet dans le chapitre-3.1., mais nous aimerions dire un mot ici sur l’utilisation des résultats et des publications de l’équipe de recherche pour notre propre travail. Ils sont issus d’un travail collectif avec une constellation variable de collaborateurs et d’auteurs. 5 Faisant nous-même partie de ce groupe de recherche, il est évident que ce travail comporte des idées qui sont nées de cette réflexion commune et que nous nous y référerons le moment venu. Nous avons récolté nos données sur un terrain particulièrement intéressant. Il s’agit de <Fabrique A> 6 , une entreprise d’origine suisse et allemande et fortement implantée dans la région du Rhin supérieur, qui produit des instruments de mesure et offre toute une panoplie de services dans le domaine de la technologie industrielle. Structure de la thèse Cette recherche est structurée en six chapitres principaux. Le premier chapitre nous permettra de contextualiser notre recherche. Il s’agira de montrer que la région dans laquelle se situe notre enquête est une région hautement plurilingue : elle se caractérise d’une part par un bilinguisme alémanique/ français historique et d’autre part par un plurilinguisme récent qui comprend aussi l’anglais et les langues issues de l’immigration (1.2.1., 1.2.2., 1.2.3.). Nous essayerons de cerner l’importance de ces différentes langues, tant au niveau de l’économie qu’au niveau de l’enseignement des langues dans les trois parties de la région du Rhin supérieur (1.2.4., 1.3.). Dans le deuxième chapitre, nous expliquerons ce que les notions de- formation professionnelle-et d’apprentissage-veulent dire et quelle est leur importance dans les pays du Rhin supérieur (2.1., 2.2.). Dans ce contexte, il nous faudra être attentive aux caractéristiques des systèmes de formation professionnelle en Suisse, en France et en Allemagne. Nous porterons un intérêt particulier à l’enseignement des langues dans le cadre de la formation 4 Ce projet, d’une durée de cinq ans (2006-2011), est un projet de recherche intégré au 6 e Programme-cadre européen et issu de la Priorité 7 « Citoyenneté et gouvernance dans une société fondée sur la connaissance ». Il rassemble 19 universités partenaires provenant de 12 pays européens. Pour un aperçu du projet, voir Berthoud (2008) ; les résultats principaux ont été publiés dans « The Dylan Postcard Collection » et « The Dylan Project Booklet » (2011), http: / / www.dylan-project.org. 5 Le « noyau » du module bâlois se composait de Georges Lüdi, Patchareerat Yanaprasart et l’auteure de la présente thèse. D’autres collaborateurs ont contribué à des moments différents à ce projet (par ordre alphabétique) : Lukas A. Barth, Alexandre Duchêne, Moira Gamma, Carmela Garifoli, Linda Grimm-Pfefferli et Fee Steinbach Kohler. Au cours des cinq ans de durée du projet, plusieurs étudiant(e)s ont fait des stages (dans le cadre desquels ils ont aussi transcrit des données analysées dans le présent travail), écrit des travaux de séminaire et des mémoires de master (dont Sara Vallepulcini (2011) qui nous a fourni des résultats de recherche pour le terrain <Fabrique A France>). Qu’ils soient tous ici remerciés. 6 Pour des raisons de confidentialité, nous utiliserons le pseudonyme <Fabrique A> pour désigner cette entreprise régionale. D’autres entreprises avec lesquelles nous avons travaillé dans le cadre du projet Dylan, mentionnées dans le chapitre 3.1.1., seront anonymisées de la même manière. <?page no="16"?> 16 professionnelle (2.3.) et présenterons, en guise d’exemple, un programme d’échanges/ stage particulièrement pertinent pour la région, à savoir le Certificat Euregio (2.4.). Le troisième chapitre remplira un double objectif : d’une part, nous présenterons l’état de la recherche dans les domaines du plurilinguisme au travail et des échanges/ stages-(3.1.) ; ce sera aussi l’occasion d’entrer plus en détail sur le projet Dylan dans le cadre duquel se situe le présent travail. En fonction de nos questions de recherche, nous traiterons ensuite des concepts-clés pour notre travail, à savoir les notions d’échanges/ stages et de mobilité professionnelle (3.2.), celle de la dimension interculturelle-dans la mobilité professionnelle (3.3.), celle de l’acquisition des langues dans le cadre d’échanges/ stages (3.4.) et celle de représentation (3.5.). Dans le quatrième chapitre, nous expliquerons en détail notre démarche dans la recherche empirique. Dans la première partie, nous nous concentrerons sur la méthodologie, à savoir le corpus, les entretiens et l’analyse des données (4.1.). Dans la deuxième partie, nous présenterons plus en détail notre terrain et la ‘philosophie’ de l’entreprise. Nous expliquerons comment nous avons eu accès au terrain et comment nous avons pu nouer contact avec les personnes interviewées (4.2.). Finalement, le cinquième chapitre, que nous repartirons en deux volets, présentera en détail les résultats de notre analyse. Les deux volets concernent les deux groupes d’acteurs principaux, à savoir les responsables (directeurs, responsables des ressources humaines, responsables de la formation, 5.1) ainsi que les stagiaires (5.2.). Nous chercherons à comprendre pourquoi les uns offrent des stages et pourquoi les autres y participent, d’une part, et quelles expériences les stagiaires ont faites pendant leurs stages, d’autre part. Nous essayerons de saisir quelles représentations les acteurs se font des stages et comment celles-ci peuvent amener à être modifiées. La discussion dans le sixième chapitre nous permettra de mettre en relation nos résultats, de réintégrer les différentes dimensions séparées et de revenir sur nos questions de recherche. Nous montrerons que les participants impliqués évaluent de manière différente les objectifs et les bénéfices de ces stages (6.1). Il s’agira alors de comprendre dans quelle mesure l’expérience du stage peut contribuer à une modification des représentations des stagiaires (6.2.). <?page no="17"?> 17 1 Contextualisation : la région du Rhin supérieur 1 1 Remarques générales sur la région du Rhin supérieur L’intérêt principal de cette recherche est un format de formation professionnelle initiale dans les trois pays de la région du Rhin supérieur qui implique des stages à l’étranger. Pour mieux comprendre le « pourquoi » et les objectifs de ces stages, il est utile de connaître le contexte dans lequel ceux-ci se déroulent. Il s’agit d’un contexte régional où les constellations linguistiques sont très différentes, un fait qui a une influence sur le format que nous analysons. Dans ce premier chapitre, nous aimerions donc donner une vue d’ensemble du contexte linguistique et éducatif dans les trois pays de la région. La Conférence franco-germano-suisse du Rhin supérieur, qui s’engage dans divers domaines dans la région (tels que l’aménagement du territoire, l’éducation, la santé, l’économie, l’agriculture, la jeunesse), décrit l’espace franco-germano-suisse du Rhin supérieur comme « un bassin de vie commun pour ses habitants. Les différentes cultures et traditions constituent la richesse de cette région située au cœur de l’Europe, et ne sont en aucun cas des obstacles » (cf. http: / / www.oberrheinkonferenz.org/ fr). Le territoire de la région du Rhin supérieur couvre 21’500 km² et se compose de l’Alsace, de la Suisse du Nord-Ouest (cantons de Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Argovie, Soleure et Jura), du Pays de Bade (partie ouest du Bade-Wurtemberg) et de la partie sud du Palatinat. En 2010, environ 6 millions de personnes habitaient dans la région du Rhin supérieur, dont la majorité dans l’agglomération bâloise, suivi du Pays de Bade, de l’Alsace et du Palatinat du sud. Un peu plus de la moitié des habitants de la région exerce un travail ou est à la recherche d’un emploi. Toutefois, on note des différences significatives : en 2010, le taux d’activité des personnes entre 15 et 65 ans variait entre 73 % pour l’Alsace et 82 % pour la Suisse du Nord-Ouest. Il existe aussi des différences notables en ce qui concerne le taux de chômage : en 2010, 8.5 % de la population active alsacienne était sans emploi ; en Palatinat du sud, le taux s’élevait à 5.3 %, au Pays de Bade à 4.8 % et à 3.9 % en Suisse du Nord-Ouest. En tant que région frontalière, la région du Rhin supérieur est prédestinée à un marché du travail transfrontalier. En 2010, 96’000 personnes de la population active exerçaient leur travail dans un des pays limitrophes (63 % de l’Alsace, 36 % du Pays de Bade) (cf. Conférence du Rhin supérieur, Faits et chiffres 2010). Bien qu’il y ait un nombre considérable d’Alsaciens qui fait la navette avec l’Allemagne, le gros des travailleurs frontaliers vient de l’Alsace et de l’Allemagne vers la Suisse. Or, comme le titrait la Basler Zeitung du 1 er novembre 2010, le taux de frontaliers alsaciens est en diminution. Alors qu’il y avait en 2003 en tout 55’000 frontaliers en Suisse du Nord-Ouest, dont 31’600 venaient de l’Alsace, le taux de frontaliers s’élevait à 58’000 en 2008, dont moins de 30’000 provenaient de l’Alsace. En 2010, le nombre de frontaliers allemands dépassait celui des frontaliers alsaciens de 2’500 personnes. La raison principale de cette baisse s’expliquerait par des compétences en allemand insuffisantes, comme le confirme aussi Christoph Koellreuter, l’ancien directeur du ‘think tank’ metrobasel : « Immer wenige junge Elsässer sprechen Dialekt oder Deutsch. Der Arbeitsmarkt verlangt aber zunehmend Sprachfertigkeiten : Die Industriearbeitsplätze haben abgenommen und die Ansprüche sind gewachsen. Der deutsche Anteil der Grenzgänger nimmt massiv zu. Ein Südelsässer, der nicht zumindest rudimentär Dialekt spricht, wird auch für die Migros- Kasse nicht mehr angestellt ». (Basler Zeitung, 12 décembre 2010) Cependant, les Alsaciens - ou plus précisément les acteurs politiques - sont conscients de ce problème de langue et cherchent à trouver des solutions. Dans des spots publicitaires et à travers des affiches, on encourage la population alsacienne à apprendre l’allemand et le dialecte alsacien. Philippe Richert, ancien président de la région Alsace, souligne l’importance <?page no="18"?> 18 de l’allemand pour la région : « Das Beherrschen der deutschen Sprache ist für unsere Region längst nicht mehr nur eine Identitätsfrage. Deutschkenntnisse sind ein ausschlaggebender wirtschaftlicher Trumpf » (Basler Zeitung du 6 octobre 2010). Au niveau économique, le Rhin supérieur est une région très forte. En 2010, le produit intérieur brut s’élevait à 208 milliards d’euros, soit 34’900 euros par habitant. En comparaison, le PIB de la Suisse du Nord-Ouest s’élevait à 43’400 euros, celui du Bade-Wurtemberg à 31’000 euros, celui de l’Alsace à 28’000 euros et celui du Palatinat du sud à 22’900 euros. L’association mentionnée metrobasel (http: / / www.metrobasel.ch), dont le territoire se compose de cinq cantons suisses (Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Argovie, Soleure et Jura), trois cantons français (Sierentz, Huningue et Ferrette) et un landkreis allemand (Lörrach) et qui correspond donc au sud de la région du Rhin supérieur, se propose d’être une plate-forme et une voix qui soutient les efforts de la politique, de l’économie et de la société civile. Le but de la vision metrobasel 2020 est le maintien et le renforcement de la compétitivité internationale ainsi qu’un développement durable de la région métropolitaine de Bâle. Voici une carte du territoire de metrobasel qui comprend aussi les régions qui nous intéressent ici : Carte I : Le territoire de metrobasel (source : metrobasel, http: / / www.metrobasel.ch) <?page no="19"?> 19 D’autres associations qui encouragent la collaboration trinationale sont l’Eurodistrict trinational de Bâle (ETB [http: / / www.eurodistrictbasel.eu/ ]), fondé en 2007 et qui met l’accent sur l’aménagement du territoire, l’infrastructure et le renforcement d’une identité trinationale, ainsi que la Metropolitankonferenz Basel (http: / / www.metropolitankonferenz-basel.ch), fondée en 2012 et qui se concentre sur l’infrastructure de la circulation et sur l’éducation, la recherche et l’innovation. 1 2 Le contexte linguistique dans la région du Rhin supérieur Après cette brève présentation générale de la région du Rhin supérieur, nous aimerions décrire plus en détail le contexte linguistique dans lequel se situent les entreprises qui offrent des stages à des jeunes en formation. 1.2.1. D’un espace historiquement unilingue à un espace multilingue Si l’on considère la situation historique de la région, il faut noter qu’à l’exception du canton du Jura actuel, l’ensemble du territoire du Rhin supérieur est à l’origine un territoire alémanique, comme le montre la carte suivante : Carte II : Le territoire historiquement alémanique de la région du Rhin supérieur (source : Wikipedia, http: / / fr.wikipedia.org/ wiki/ Fichier : Alemannic-Dialects-Map-French.png) On subdivise les dialectes alémaniques en dialectes haut-allemands (« hochdeutsch ») et bas-allemands (« niederdeutsch »). Parmi les dialectes haut-allemands, on distingue le « mitteldeutsch » (parce que géographiquement au milieu) et le « oberdeutsch » dont fait partie l’alémanique. A son tour, ce dialecte est subdivisé en trois : au nord, c’est-à-dire en Alsace, au Bade central (« Mittelbadischen ») au sud du Wurtemberg et à Bâle, on parle le bas-alé- <?page no="20"?> 20 manique (« Niederalemannisch »). Le haut-alémanique (« Hochalemannisch ») est parlé dans la partie sud de la Forêt Noire, dans le Sundgau alsacien, au Mittelland suisse et en Suisse de l’Est. Le « Höchstalemannisch » est parlé dans la partie sud de la Suisse alémanique, dans l’Oberland bernois ainsi qu’au Valais (cf. Löffler 1991 : 94). La situation linguistique de la région était - et l’est toujours - un défi pour la création d’un espace culturel et économique. Aujourd’hui, la région du Rhin supérieur est une région officiellement bilingue : des textes de lois des pays respectifs désignent l’allemand comme langue officielle dans les cantons suisses de Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Soleure et Argovie ainsi que dans le Pays du Bade, et le français comme langue officielle dans le canton suisse du Jura et en Alsace. Les régions germanophones ainsi que l’Alsace se trouvent en plus dans une situation particulière, à savoir celle d’une diglossie. Pourtant, l’allemand et le français ne sont pas les seules langues parlées dans la région. Les langues de l’immigration, surtout dans les villes (Bâle, Mulhouse, St-Louis, Lörrach etc.) 7 , ainsi que l’anglais comme langue internationale véhiculaire, ont une très grande importance. Dans ce qui suit, nous porterons un intérêt particulier à la situation diglossique et à l’importance croissante de l’anglais dans ces régions. 1.2.2. Différentes formes de diglossie En Suisse, la diglossie 8 concerne deux variétés d’une même langue, l’allemand standard et le dialecte suisse allemand. L’attribution des fonctions des deux variétés est normalement décrite par le terme de « diglossie médiale » (Kolde 1981), ce qui veut dire que les dialectes alémaniques sont parlés et l’allemand standard suisse (« Schweizer Hochdeutsch ») est écrit. Cependant, l’usage du dialecte au cours des dernières années montre qu’une séparation stricte entre variété parlée et variété écrite ne reflète pas la réalité.-D’une part, il y a des situations où le dialecte est écrit, par exemple dans les formes de communication modernes telles que SMS, courriels, chats etc. qui sont très proches de l’oralité et, de plus en plus fréquemment, pour des avis de mariage, de naissance ou de décès, ainsi que pour les cartes postales. D’autre part, il y a des situations où l’allemand standard est parlé, comme par exemple dans des contextes institutionnels, dans les bulletins de nouvelles à la télévision et à la radio, ou dans la communication avec des personnes non germanophones et même germanophones qui ne comprennent pas le dialecte ; c’est souvent le cas avec des Allemands d’autres parties de l’Allemagne que le Bade-Wurtemberg qui viennent travailler en Suisse. Effectivement, le taux d’Allemands a massivement augmenté entre 1997 et 2008 ; il a passé de 3 % à 7 % (cf. Migration und Integration in Basel-Stadt 2010 : 41). Il y a des domaines où le nombre d’employés allemands est frappant, par exemple dans les hôpitaux, dans l’industrie pharmaceutique ou dans l’enseignement supérieur. L’obligation de parler l’allemand standard avec leurs collègues déplaît à beaucoup de Suisses allemands parce qu’ils le perçoivent comme la langue de l’école, alors que le dialecte est vécu comme la langue de tous les jours et pour tout ce qui est personnel et affectif. Werlen (2004 : 22-24) parle de « langue de distance » et de « langue de proximité », von Matt de « langue de la tête » et de « langue du cœur » (cf. l’article de von Matt, paru dans le Tagesanzeiger du 16 octobre 2010). Une étude de l’Université de Zurich a même révélé un « Hochdeutschkomplex » de la part des Suisses allemands qui dévalorisent leur emploi de l’allemand standard (cf. Werlen 2005 : 29). Alors que Ferguson mettait au cœur de la définition de la diglossie la séparation sociale avec l’idée que la classe supérieure parlerait la langue standard et la classe inférieure le dia- 7 Pour des détails sur les langues de l’immigration en Suisse voir p.ex. Lüdi/ Werlen et al. (2005), Lüdi (2008). 8 Le terme de diglossie a été inventé par Ferguson (1959) et développé par Fishman (p. ex. Fishman 1971) et d’autres (cf. Lüdi 1990 pour une vue d’ensemble). Le terme désigne l’attribution de fonctions spécifiques à deux variétés linguistiques ou plus. Celles-ci peuvent concerner les couplages du type langue standard/ dialecte, langue nationale/ langue régionale, langues officielles/ langues de la migration (cf. Lüdi 2007b : 134). <?page no="21"?> 21 lecte, il n’y a jamais eu de telle distinction pour la diglossie en Suisse alémanique (cf. Lüdi 2007b : 134). Le dialecte est la langue quotidienne utilisée par toutes les couches sociales et dans toutes les régions. 80.5 % de la population résidente et 90.8 % des citoyens suisses en Suisse alémanique parlent presque exclusivement le dialecte à la maison (cf. Werlen-2004 : 8). Le dialecte est utilisé par 98 % de la population en milieu professionnel, alors que l’allemand standard est représenté par 46.6 % (cf. Lüdi 2007b : 134). La situation des dialectes en Allemagne est tout autre qu’en Suisse. Bien que la gamme des dialectes en Allemagne soit assez large (il y a des dialectes appartenant aux trois grandes familles « Oberdeutsch », « Mitteldeutsch » et « Niederdeutsch »), ceux-ci ont subi un autre sort. Au nord, les dialectes ont pratiquement disparu, ceci avant tout à cause de leur grande distance par rapport à la langue standard. 9 Au milieu et au sud de l’Allemagne, les dialectes sont encore plus vivants et utilisés dans la vie quotidienne, même dans les villes 10 , mais leur usage est quand même en recul (cf. Ammon 1995 : 368). Au Bade-Wurtemberg, ceci est dû à un mouvement fort d’immigration et de migration interne depuis la fondation du land en 1952 (cf. http: / / www.baden-wuerttemberg.de/ de/ unser-land/ land-und-leute/ bevoelkerung) : cette migration concernait des personnes déportées pendant la Seconde guerre mondiale et qui sont restées en Allemagne, des travailleurs étrangers et d’autres parties de l’Allemagne, des Allemands de Russie et, à partir de 1990, des personnes des pays de l’ancienne RDA, donc des gens qui ne parlaient pas allemand du tout ou qui parlaient un autre dialecte allemand. Cette situation a obligé la population autochtone à parler l’allemand standard. De manière générale, on peut dire que le statut des dialectes par rapport à l’allemand standard en Allemagne est différent de celui décrit pour la Suisse. Kurt Sonntag, le président du Alemannisches Institut Freiburg, constate : « Der Unterschied ist frappierend : In Basel ist Mundart ein Adel. Im Badischen fehlt ihm das Prestige » (cf. « Dem Alemannischen fehlt’s an Prestige », Basler Zeitung du 29 mars 2007). En effet, le dialecte est réservé à la sphère privée et à la communication non publique au lieu de travail, alors que l’allemand standard est utilisé dans des situations publiques et formelles (cf. Ammon 1995 : 371). L’allemand standard est la langue à apprendre à l’école et la langue d’enseignement ; le dialecte ne sert que comme moyen de passage à la langue standard pour des enfants dialectophones. Ce fait mène à ce que la maîtrise rudimentaire de la langue standard est souvent perçue comme un signe d’éducation insuffisante par des adultes et à ce que les couches sociales ‘supérieures’ évitent le parler dialectal marqué même en sphère privée (Ammon 2004 : XLV). On pourrait donc conclure que l’on a affaire ici à un exemple de la définition de la diglossie de Ferguson dans le sens où les couches sociales ‘supérieures’ auraient tendance à parler l’allemand standard et les couches ‘inférieures’ le dialecte. Pourtant, il faut être prudent avec cette conclusion, car, selon Ammon, cette différence entre les couches sociales ne serait pas évidente et souvent superposée par une variation spécifique dépendant de la situation (Ammon 2004 : XLV). Dans les régions où les dialectes sont encore vivants, il existe des associations qui aimeraient les protéger et promouvoir (par exemple la « Muettersproch-Gsellschaft » [http: / / www. alemannisch.de] ou le « Förderverein Schwäbischer Dialekt e.V. » [http: / / www.schwaebischer-dialekt.de/ ]). Au niveau de l’école, le projet « Mundart in der Schule » (http: / / www. alemannisch.de/ muinschule/ ) soutient l’encouragement du dialecte : les écoles sont encouragées à organiser des journées de projet, des fêtes etc. avec des auteurs, des chansonniers et des comédiens dialectophones. 9 Dans les villes, le bas-allemand n’est pratiquement plus parlé, et même dans les régions rurales, seule la population âgée dans le monde paysan le parle (cf. Ammon 1995 : 368). 10 Voir à ce propos l’étude ethnographique de Debus/ Kallmeyer/ Stickel (« Mannheimer Stadtsprachenprojekt ») qui a montré l’usage fréquent du dialecte : « Die Mannheimer-Sprache ist im sozialen Leben der Stadt nicht auf einige eingegrenzte Situationen beschränkt, sondern allgemein verbreitet, mit den üblichen Abstufungen zwischen « breitem Dialekt » und dialektal gefärbter standardnaher Sprache für bestimmte offizielle, formelle Gelegenheiten. Das entspricht der allgemeinen Lage in der Südhälfte Deutschlands » (Debus/ Kallmeyer/ Stickel 1994/ 1 : 19). <?page no="22"?> 22 Dans le cas de l’Alsace, on pourrait même parler d’une triglossie, car les langues présentes sont le français, l’allemand standard et le dialecte alsacien. 11 La question des langues est une question complexe, pleine de débats et de visions contradictoires. La perception des langues en Alsace par ses habitants est fortement liée aux événements historiques dans cette région, à savoir les changements d’appartenance politique de l’Alsace à la France ou à l’Allemagne, et à la politique linguistique en matière d’éducation (cf. 2.2.1.) (cf. http: / / portal-lem.com/ fr/ langues/ alsacien.html). Une étude des pratiques, usages déclarés et représentations 12 des Alsaciens par rapport aux trois langues, menée par Bothorel-Witz, a montré que les trois langues en présence ont des statuts très différents (Bothorel-Witz 2000). Au cours des cinquante dernières années, le rapport de force des langues en présence a changé : le français a progressé et domine aujourd’hui, le dialecte a reculé et le taux de connaissances déclarées en allemand-est problématique (Bothorel-Witz 2000). Dans la pratique, le français est la langue ayant la plus grande fonctionnalité, le meilleur statut et la plus grande valeur sociale en Alsace ; il est utilisée dans quasiment toutes les situations de la vie et est considéré comme le « système-étalon auquel se mesurent les attributs, les fonctions et les valeurs sociales des deux autres variétés » (Bothorel-Witz 2000 : 4). 13 L’espace d’utilisation privilégié du dialecte est le foyer familial, ce qui tiendrait à trois types de représentations fortement répandues : d’une part, on attribuerait au dialecte le statut de non-langue à cause de son caractère exclusivement oral. D’autre part, une « vision romantique du dialecte pur et authentique, non marqué par les interférences avec le français, est très largement prédominante quel que soit le profil du locuteur » (Bothorel-Witz 2000 : 5). Finalement, une politique linguistique scolaire qui a pendant longtemps donné la priorité à l’acquisition du français aurait véhiculé l’idée que l’acquisition du dialecte se fait au détriment du français et vice versa (cf. Bothorel-Witz 2000 : 5-6). Pourtant, des recherches récentes ont montré que le dialecte trouve sa place aussi dans d’autres domaines, notamment dans des communications coopératives ou stratégiques (p.ex. comme langue de connivence entre un PDG et ses ouvriers ou comme un argument de vente sur le terrain), et est même valorisé comme levier d’accès à l’apprentissage de l’allemand (Bothorel-Witz/ Choremi 2009 : 124). L’allemand par contre n’a jamais eu le statut d’une langue parlée en Alsace et est seulement utilisé dans la production écrite, et ceci dans une mesure restreinte : outre des documents électoraux régionaux rédigés dans les deux langues et quelques produits d’une littérature régionale d’expression allemande, « la production écrite d’un allemand ‘endogène’ se limite à la presse et, plus particulièrement, à l’édition bilingue des deux quotidiens régionaux » (Bothorel-Witz 2000 : 4). Au niveau de l’oral, l’allemand est présent à travers les médias, mais plus rarement dans les médias audio-visuels régionaux que dans les médias exogènes de langue allemande (Bothorel-Witz 2000 : 4). Dans le domaine professionnel, l’allemand a perdu son importance. A côté du français et de l’anglais, il est de moins en moins utilisé, « relié à un passé plus ou moins révolu » et considéré comme une valeur ajoutée à l’anglais lorsqu’il s’agit de définir les exigences linguistiques dans le processus d’embauche (Bothorel- Witz/ Choremi 2009 : 114). Pourtant, la connaissance de l’allemand est considérée comme étant utile par un grand nombre de professionnels en Alsace. 14 Le canton du Jura est le seul canton suisse francophone faisant partie de la région du Rhin supérieur. De par son histoire - le Jura ayant appartenu pendant des siècles à l’Evêché de 11 Nous n’avons pas oublié l’anglais mais puisqu’il sera traité dans un chapitre à part, nous n’en tenons pas compte ici. 12 La notion de représentation sera traitée dans le chapitre 3.5. 13 Néanmoins, tout comme les habitants d’autres régions de France, les Alsaciens ont une perception négative de « leur » français, c’est-à-dire de la variété du français parlé en Alsace (« français régional »), dans le sens qu’il se distingue d’une norme prescriptive unanimement acceptée. Bothorel-Witz explique que « dans les représentations, le français régional d’Alsace constitue une variété fautive et relève, en quelque sorte, de la norme du ‘proscrit’ » (Bothorel-Witz 2000 : 5). 14 Cf. l’enquête de Bothorel-Witz qui a montré que 68 % des enquêtés jugent la connaissance de l’allemand très utile, 29 % assez utile (2000 : 7). <?page no="23"?> 23 Bâle - le canton est fortement lié à la région bâloise, malgré la frontière linguistique qui existe depuis toujours. Contrairement à la Suisse alémanique, les cantons romands ne connaissent pas la situation de diglossie. Depuis le XIX e siècle, les cantons de la Suisse romande se sont orientés, pour se créer un facteur d’identité face à la majorité alémanique dans la Confédération Helvétique, à la langue et culture françaises ; la perception du dialecte en France comme la langue du paysan a mené à une forte diminution des patois romands. Pourtant, il y a des endroits en Suisse romande où les patois ont survécu jusqu’à l’heure actuelle, comme dans certains villages valaisans, fribourgeois, vaudois et jurassiens (Bickel/ Schläpfer 2000 : 154). Il existe même des initiatives pour sauvegarder et diffuser les patois, comme par exemple le projet Djâsons - patois jurassien (http: / / www.image-jura.ch/ djasans/ ) dans le canton du Jura ou la Fondation du Patois (http: / / www.patois.ch) dans le canton du Valais (d’autres informations sont disponibles sur le site http: / / www.patoisduvalais.ch). 1.2.3. Une troisième langue : l’anglais Nous avons pu constater des situations linguistiques très différentes dans les trois régions abordées, qui connaissent toutes la situation de la diglossie : alémanique/ allemand en Suisse et en Allemagne, alémanique/ français en France. Cette situation induit des différences notables dans les trois pays : Au Bade, l’allemand standard a plus ou moins évincé, ou au moins fortement réduit, l’usage du dialecte alémanique ; en Alsace, le français a minorisé l’alsacien, et en Suisse alémanique, le dialecte reste la langue la plus importante. Or, il y a une troisième langue, à savoir l’anglais. La question de l’anglais n’est pas une question spécifique de la région, mais une question qui a une influence considérable sur la présence et la perception des autres langues mentionnées dans la région. L’anglais jouit d’un énorme prestige et est prédominant dans des domaines tels que l’aéronautique ou la navigation, dans des milieux culturels (musique, cinéma, sport), dans le journalisme et le domaine publicitaire. Il est utilisé dans la recherche scientifique (Carli/ Ammon (éds.) 2007), dans les nouvelles technologies de communication et dans les entreprises (Truchot 1990 : 73s.). A part ce statut de langue internationale, l’anglais est souvent choisi comme lingua franca (voir p.ex. Hülmbauer/ Seidlhofer 2013, Hülmbauer/ Böhringer/ Seidlhofer 2008, Seidlhofer 2006, Knapp/ Meierkord éds. 2002, House 2003, Jenkins 2007, Mauranen/ Ranta éds. 2009). Il peut être choisi comme stratégie de communication monolingue (principes ‘one language only’ [OLON], ‘one language at a time’ [OLAT]) ou comme stratégie de communication multilingue (principes ‘all languages at all time’ [ALAT], ‘all languages at the same time’ [ALAST]) (cf. Lüdi/ Höchle/ Yanaprasart 2013). L’usage fréquent de l’anglais par des locuteurs non natifs mène au développement d’un anglais contenant des traces des autres langues des locuteurs (Pitzl 2009, Böhringer/ Hülmbauer/ Seidlhofer 2009) et donc différent de l’anglais langue étrangère qui s’oriente vers des normes de locuteurs natifs (Hülmbauer/ Böhringer/ Seidlhofer 2008 : 27). Outre les traces linguistiques, il y a évidemment aussi des traces de cultures et de systèmes de valeurs différents qui doivent être prises en compte (Böhringer/ Hülmbauer/ Seidlhofer 2009 : 21, Lüdi/ Höchle/ Yanaprasart 2013). Des recherches dans des entreprises situées dans la région du Rhin supérieur ont montré que la représentation fréquente de l’English only ne correspond pas forcément à la réalité et qu’il y a beaucoup de formes différentes par rapport à l’usage de l’anglais (voir p.ex. Lüdi/ Höchle/ Yanaprasart 2013, 2012a, b, 2010a, b, c). Les résultats du recensement fédéral de 2000 en Suisse par exemple ont également montré qu’on ne peut pas généraliser : les chiffres présentent un usage nuancé de l’anglais et des langues nationales selon les régions et les secteurs professionnels. En Suisse allemande, 24 % des personnes exerçant un métier qualifié non manuel indiquent utiliser régulièrement l’anglais contre 22.3 % et 10.9 % qui utilisent le français et l’italien respectivement. Pour les métiers qualifiés manuels, l’anglais est moins utilisé (7.1 %) que le français (7.7 %) et l’italien (7.3 %) (Lüdi/ Werlen et al. 2005 : 47). En Suisse romande, l’anglais est presque aussi souvent utilisé que l’allemand dans les métiers qualifiés non manuels (16.2 % et 16.3 % respectivement), par contre, la différence est plus <?page no="24"?> 24 grande pour les métiers qualifiés manuels (3.3 % et 7.8 % respectivement) (Lüdi/ Werlen et al. 2005 : 51). En Suisse italienne, l’écart entre les deux catégories professionnelles par rapport à l’anglais est encore plus frappant : alors que 11 % des employés dans des métiers qualifiés non manuels indiquent utiliser l’anglais, ce ne sont que 1.8 % dans les métiers qualifiés manuels (Lüdi/ Werlen et al. 2005 : 55). La comparaison des différents cantons montre que l’anglais est présent au travail avec un taux de 35.9 % à Bâle-Ville contre 19.7 % à Bâle-Campagne, 18.3 % en Argovie, 15.0 % à Soleure et 5.0 % au Jura (Lüdi/ Werlen et al. 2005 : 116). Par ailleurs, il y a des différences selon la grandeur des entreprises : alors que l’anglais est régulièrement utilisé pour la communication professionnelle orale dans 70.8 % des grandes entreprises (>250 de collaborateurs) contre 62.5 % pour le français et l’allemand respectivement, il n’est pas la langue la plus utilisée dans les petites (10-49 collaborateurs) et moyennes (50-249 collaborateurs) entreprises : le français est plus fréquemment utilisé que l’anglais, mais moins fréquemment que l’allemand (français 41.0 %, anglais 33.1 %, allemand 56.7 % dans les petites entreprises, 61.5 %, 53.9 % et 72.1 % respectivement dans les moyennes entreprises) (Andres et al. 2005 : 35). En plus, on peut constater des décalages entre les chiffres effectifs et la perception des gens : les résultats de l’enquête linguadult 15 ont montré que l’anglais est considéré comme la langue la plus utile par 86 % de la population en Suisse allemande, romande et italienne, le français et l’allemand étant au deuxième rang avec 42 % respectivement. Pourtant, cette impression ne se reflète pas dans l’emploi de l’anglais : même si l’anglais est le plus fréquemment et de manière active utilisé pour les paramètres « vacances à l’étranger » et « Internet » ainsi que de manière réceptive dans l’utilisation des médias (cinéma, radio, télé, journaux etc.), les langues nationales sont plus fréquemment utilisées de manière active pour les paramètres « vacances dans d’autres régions de la Suisse », « voyages d’affaires dans d’autres régions linguistiques en Suisse », « conversations avec des amis », « conversations au travail ». L’anglais n’a donc pas la fonction de lingua franca qui lui est souvent attribuée (Werlen 2008 : 8). Quant à la France, l’Enquête quantitative sur les pratiques linguistiques dans les PME travaillant à l’international d’UBIFRANCE, menée à la demande de la Délégation à la langue française et aux langues de France (DGLFLF [http: / / www.dglf.culture.gouv.fr.]) a montré que 29 % des employés utilisent l’anglais comme langue principale et que cet usage serait plus prononcé en Alsace que dans d’autres régions de la France (Bothorel-Witz/ Choremi 2009 : 118). Une étude des représentations du plurilinguisme dans des entreprises alsaciennes, différant par la taille, le degré d’internationalisation, le secteur d’activités etc. 16 , a révélé que l’anglais est surtout employé dans la communication externe, alors que la communication interne se fait en français (Bothorel-Witz/ Choremi 2009). Pourtant, la France a un instrument qui endigue l’usage de l’anglais, au moins dans des documents écrits : la Loi relative à l’emploi de la langue française, dite Loi Toubon (1994), prescrit l’utilisation exclusive du français dans tout document adressé au grand public (publicités, modes d’emploi, factures etc.) et aux salariés (annonces d’emploi, contrat de travail, règlements internes etc.- [http: / / www.dglf.culture. gouv.fr/ lois/ loi-fr.htm]). 15 linguadult est une enquête sur le plurilinguisme individuel réalisée par Iwar Werlen dans le cadre du PNR56 « Diversité des langues et compétences linguistiques en Suisse », http: / / www.linguadult.ch. 16 Cette étude a été faite par le module strasbourgeois du projet Dylan. Les membres principaux du groupe de recherche étaient Arlette Bothorel-Witz, François-Xavier Bogatto, Thiresia Choremi, Dominique Huck, Claude Truchot et Irini Tsamadou-Jacoberger. Leur tâche de recherche consistait en l’analyse de la gestion du plurilinguisme et des idéologies sous-jacentes dans cinq entreprises implantées en Alsace et ce à travers des entretiens thématiques avec une vingtaine d’acteurs sur leurs pratiques, leurs compétences et le traitement des langues (voir p.ex. Bothorel-Witz/ Tsamadou-Jacoberger 2012). <?page no="25"?> 25 Par ailleurs, il est intéressant d’étudier l’emploi de l’anglais dans le paysage linguistique 17 d’une ville. Lüdi (2007b) par exemple a montré que l’anglais est très présent dans le paysage urbain dans la ville de Bâle. Le français, par contre, est beaucoup moins présent, malgré sa proximité géographique avec l’Alsace, le grand nombre de frontaliers et le taux d’usage du français au travail de 30.6 %. Une explication à la forte présence de l’anglais dans le paysage linguistique pourrait être que cette présence dépend moins de la situation démographique de la langue en question que de sa position dans le système de valeurs des langues dans la société respective (cf. Lüdi 2007b : 146-147). A Bâle, l’anglais prend une place de plus en plus importante comme langue (d’origine) des migrants : le nombre de migrants venant d’Inde ou des Etats-Unis est plus élevé que celui des migrants venant des régions traditionnelles de l’immigration (Balkans, Turquie) (cf. Migration und Integration in Basel-Stadt 2010 : 42). Souvent, il s’agit d’-« expats 18 » dont le séjour en Suisse est limité et qui ne voient pas la nécessité d’apprendre l’allemand. Bogatto/ Bothorel-Witz (2012) ont étudié les langues figurant sur les écrits urbains non institutionnels du paysage de la ville de Strasbourg. Ils ont constaté que l’anglais occupe la seconde place après le français sur les enseignes monolingues des commerces de prêt-à-porter et que d’autres langues comme p.ex. le dialecte alsacien, l’allemand, l’italien ou le turc ont une présence plus périphérique si non anecdotique. La faible présence de l’allemand est expliquée par un souhait de « gommer les traces du passé allemand de l’Alsace et de marquer une forme de distanciation […] avec l’allemand et l’Allemagne » (Bogatto/ Bothorel- Witz 2012 : 333). Quant aux écrits plurilingues, on trouve le plus souvent les combinaisons anglais-français/ français-anglais et, à moindre degré, les combinaisons dialecte-français/ français-dialecte. Comme à Bâle, « l’international prend le pas sur le local ou sur le régional » à Strasbourg aussi (Bogatto/ Bothorel-Witz 2012 : 333). Nous avons parlé de l’anglais comme lingua franca plus haut. En effet, ce phénomène est observable aussi dans la communication entre les habitants de la région du Rhin supérieur. Nous aimerions illustrer cela avec un exemple provenant de notre corpus. Selon l’expérience de Volker K. 19 , responsable de la formation professionnelle dans une chambre de commerce et d’industrie allemande, la communication entre un jeune germanophone et un jeune francophone se ferait très souvent en anglais, faute de maîtriser la langue de l’autre : Englisch ist wichtig, also Englisch ist soFORT die Brücke zur Verständigung, SOfort, also im Elsass, sofort. Eher noch als Französisch. Es sei denn, auf der anderen Seite ist ein Elsässer, dann ist es natürlich Deutsch. Also ganz klar, zuerst, erste Brücke der Verständigung, man probiert es in Deutsch im Dreiländereck, und dann gleich Englisch, und mit ganz ganz ganz grossem Abstand Französisch. Klaus M., un responsable de la formation d’apprentis dans une entreprise au Bade-Wurtemberg, parle même d’un « cauchemar » lorsqu’un apprenti français et un apprenti allemand communiquent en anglais. Nous avons déjà parlé du fait que l’allemand est de moins en moins parlé par les jeunes Alsaciens ; nous verrons dans le chapitre 1.3. ce qu’il en est de l’apprentissage de l’allemand en Alsace et du français en Suisse et en Allemagne. Un autre responsable de la formation allemande plaide pour un trilinguisme allemand/ anglais/ français pour un employé dans la région : 17 « The landscape of public road signs, advertising billboards, street names, place names, commercial shop signs, and public signs on government buildings combines to form the linguistic landscape of a given territory, region or urban agglomeration » (Landry/ Bourhis 1997 : 25). Voir aussi Gorter (éd. 2006), Backhaus (2007), Shohamy/ Ben-Rafael/ Barni (2010). 18 Les « expatriates », plus court « expats », ne sont pas un groupe clairement défini. Couramment, on désigne comme « expat » une personne hautement qualifiée qui travaille dans un environnement professionnel surtout anglophone et qui séjourne à l’étranger pour une durée déterminée (cf. Basler Zeitung, 19 mars 2011, « Eine Parallelgesellschaft, die geschätzt wird »). 19 Les noms de toutes les personnes interviewées ont été remplacés par des pseudonymes, voir à ce propos le chapitre 4.1.1. <?page no="26"?> 26 Und ich sehe halt eine sehr starke Bedeutung in den Sprachen, das wird in Zukunft noch wesentlich wichtiger werden. Und Deutsch und Englisch, das isch Standard, das müssen Sie draufhaben und in Zukunft müssen Sie eine dritte Sprache können. Wenn Sie jetzt hier in der Region sind, das hängt halt vom Aufgabengebiet ab, für mich würd’s jetzt sehr viel Sinn machen, auch Französisch zu können, weil dadurch könnt ich halt mit den französischen Schulen da wesentlich besser kommunizieren, da tu ich mich brutal schwer. (Leonard B.) Ce trilinguisme est-il seulement un souhait personnel d’un employé ou serait-ce un but à viser par l’économie régionale ? Quelle est la valeur qu’ont ces trois langues sur le marché dans la région ? Nous essayerons de trouver une réponse à ces questions en regardant de près la ‘philosophie’ de l’association metrobasel, mentionnée au début de ce premier chapitre. 1.2.4. Un déséquilibre de la présence des langues L’enquête faite par Morel (2008) auprès de l’association metrobasel (une association économique ayant un « désir d’intégration régionale » et de « relier des populations de cultures et langues différentes » cf. Morel 2008 : 32) a montré une répartition très inégale des langues parlées sur le territoire de l’association. L’allemand standard est la seule langue de l’administration (documents juridiques, formulaires d’inscription, communiqués de presse, site internet, fascicules d’information) et du travail. Le français, parlé par tout le monde, est aussi présent à l’oral, mais marginal par rapport à l’allemand. L’anglais-est présent dans la communication globale, mais pas au niveau local. Le dialecte n’a pas de signification sauf au niveau informel (Morel 2008 : 18-26). Dans sa Vision 2020, une intervention en matière de politique linguistique est thématisée : l’association vise un trilinguisme allemand/ français/ anglais par exemple en encourageant l’apprentissage des langues étrangères à l’école par la mise en place d’un enseignement bilingue ou l’institutionnalisation de programmes d’échanges trinationaux (Vision 2020, version française p. 10-14). Cependant, il n’est question ni des autres langues nationales (l’italien étant plus fréquemment parlé à Bâle comme langue maternelle que l’anglais), ni des langues de l’immigration, ni des dialectes alsacien et suisse allemand (cf. Morel 2008 : 14-15). Le rapport metrobasel report 2006 qui date de la même année que la Vision 2020 (2006) parle déjà moins de cette politique linguistique et témoigne d’une perception du bilinguisme français/ allemand comme problématique. Il est perçu comme facteur « isolateur » si on lit que pour réunir les populations de la région et de faire d’eux en même temps des êtres humains ouverts au monde, celles-ci doivent « auch die Weltsprache Englisch lernen » (metrobasel report 2006 : 9), comme si l’apprentissage des langues locales ne menait pas à cette ouverture. Une analyse du rapport laisse supposer une conception hiérarchique des langues : l’allemand est la langue la plus forte et qui doit être maîtrisée par les francophones s’ils veulent s’intégrer à la région ; un germanophone par contre n’aurait pas nécessairement besoin de savoir le français (Morel 2008 : 15-17). Des entretiens que Morel a menés avec des responsables de metrobasel bâlois, jurassiens et alsaciens ont révélé que la perception du plurilinguisme régional n’est pas la même. Tandis que les uns considèrent que c’est seulement la langue voisine qui crée un « Wir-Gefühl », d’autres favorisent l’anglais et préféreraient une diglossie allemand/ anglais ou français/ anglais. Leur message semble être : l’anglais doit être appris par tout le monde, le français seulement par ceux qui le veulent (Morel 2008 : 31). La discussion autour du plurilinguisme dans l’espace de metrobasel fait émerger une question de pouvoir entre deux visions opposées : la vision traditionnelle du bilinguisme allemand/ français vs. une vision plus moderne d’un bilinguisme allemand/ anglais, ce qui signifierait, dans le sens de metrobasel, que le rôle du français dans le répertoire se rétrécit en vertu de la faiblesse économique des cantons où l’on parle français. La situation de trilinguisme décrite a des conséquences pour le contexte éducatif. Les trois régions doivent se poser la question de savoir combien de langues et lesquelles ensei- <?page no="27"?> 27 gner dans les écoles.- C’est sur ce sujet que nous nous concentrerons dans le prochain chapitre. 1 3 Le contexte éducatif dans la région du Rhin supérieur 20 1.3.1. Du contexte européen au contexte régional L’enseignement des langues est un enjeu important de la politique linguistique en Europe. En 1995, la Commission européenne estime dans son Livre blanc sur l’éducation et la formation, dans le contexte du programme Lifelong learning 21 , que chaque citoyen européen devrait maîtriser trois langues communautaires 22 : La maîtrise de plusieurs langues communautaires est devenue une condition indispensable pour permettre aux citoyens de l’Union de bénéficier des possibilités professionnelles et personnelles que leur ouvre la réalisation du grand marché intérieur sans frontières.-(Commission européenne 1995 : 54) Savoir d’autres langues, connaître d’autres cultures permettrait de mieux connaître l’autre et de s’adapter à d’autres milieux de travail et de vie. Apprendre des langues étrangères devrait être possible pour tous les citoyens européens et non pas réservé à une élite ou aux personnes qui ont l’occasion d’en apprendre grâce à leur mobilité géographique : Il devient nécessaire de permettre à chacun, quel que soit le parcours de formation et d’éducation qu’il emprunte, d’acquérir et maintenir la capacité à communiquer dans au moins deux langues communautaires autres que sa langue maternelle. 23 Depuis plusieurs années, la Commission européenne propose des programmes dans les domaines de la formation scolaire, professionnelle et tertiaire pour encourager des séjours à l’étranger ou l’échange de jeunes. Le programme Apprentissage tout au long de la vie (Lifelong learning (LLL)) comprend des programmes spécifiques pour les écoles (Comenius), l’enseignement et la formation professionnels (Leonardo da Vinci), l’enseignement supérieur (Erasmus) et l’éducation des adultes (Grundtvig) ; des activités extrascolaires comme l’échange de jeunes, l’engagement bénévole à l’étranger etc. sont intégrées dans le programme Jeunesse en action. Le Conseil de l’Europe souligne également l’importance de l’apprentissage de plusieurs langues pour tous les citoyens-« de sorte que les Européens deviennent effectivement des citoyens plurilingues et interculturels capables de communiquer avec les autres Européens dans tous les domaines » (Beacco/ Byram 2007 : 7). Pour atteindre ce but, le Centre européen pour les langues vivantes (CELV) 24 a mis en œuvre le programme Apprendre par les langues (2012-2015) au sein duquel figure le projet Programmes de mobilité pour un apprentissage plurilingue et interculturel durable (PluriMobil [http: / / plurimobil.ecml.at]) visant particulièrement le développement de compétences linguistiques et interculturelles. En Suisse, en France et en Allemagne, il existe toute une série d’offres d’échanges/ stages pour des jeunes - apprentis et étudiants - pendant ou juste après leur formation professionnelle (pour la Suisse voir le site http: / / www.berufsberatung.ch, pour la France voir http: / / eduscol.education.fr/ et pour l’Allemagne voir le rapport Organisation des Bildungs- 20 Nous ne parlerons pas ici de la formation professionnelle ; elle sera le sujet du chapitre 2. 21 Cf. le site de la Commission européenne [http: / / ec.europa.eu/ education/ lifelong-learning-programme/ index_fr.htm] et le Memorandum sur l’éducation et la formation tout au long de la vie de la Commission européenne (2000). 22 On parle aussi du modèle 1+2, c’est-à-dire la langue première + deux langues étrangères. 23 C’est nous qui soulignons. 24 Avec la Division des politiques linguistiques et le Secrétariat de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires à Strasbourg, le CELV à Graz forme le Service des politiques linguistiques et de la formation en langues du Conseil de l’Europe. <?page no="28"?> 28 wesens in der Bundesrepublik Deutschland (2010), p. 324ss). Dans tous les trois pays, des stages sont possibles dans le programme mentionné Leonardo da Vinci. Mais il existe aussi des programmes spécifiques pour des jeunes en formation professionnelle pour la région transfrontalière du Rhin supérieur. Parmi les programmes bilatéraux entre la France et l’Allemagne, il y a par exemple le programme Formation professionnelle sans frontières (http: / / www.formation-pamina.fr/ pamina/ ? page_id=2) qui vise entre autres l’apprentissage de la langue voisine dont la maîtrise serait un élément central pour la mobilité professionnelle transfrontalière. Le Programme d’échanges franco-allemands en formation professionnelle (http: / / www.reseauetudiant.com/ savoir/ cours-et-formation-1/ trouver-stageetranger-dfs-sfa.htm) permet à des élèves de lycées professionnels et techniques, des Centres de formation d’apprentis et des établissements de formation continue de suivre une partie de leur formation en France ou en Allemagne où ils découvriront la vie professionnelle et socioculturelle. Le projet Go for Europe (http: / / goforeurope.de) a été établi par le land du Bade-Wurtemberg et offre des stages à des apprentis allemands dans des entreprises en Europe ainsi que des stages à des apprentis étrangers dans des entreprises allemandes locales. Un projet qui s’adresse à des jeunes en formation dans les trois pays du Rhin supérieur est le projet Trinationale Professionnelle Communication (TriProCom [http: / / www.triprocom. org]). Il combine l’enseignement des langues et la formation professionnelle et propose à des élèves et apprentis des visites d’entreprise, des rencontres de classes transfrontalières et des stages courts. Un projet qui s’adresse spécifiquement à des apprentis de la région du Rhin supérieur est le Certificat Euregio [http: / / www.euregio-zertifikat.de] auquel nous reviendrons dans un chapitre à part (chap. 2.4.) parce que ce projet a une importance particulière pour la présente thèse. 1.3.2. Le contexte éducatif en Suisse du Nord-Ouest Officiellement, la Suisse est un pays quadrilingue avec pour langues nationales l’allemand, le français, l’italien et le romanche (cf. Article 4 de la Constitution fédérale) - pourtant, compte tenu du fait que d’autres langues que les langues nationales sont en réalité parlées sur le territoire, il faut parler d’une Suisse plurilingue. Des mesures dans le domaine de la gestion de ce plurilinguisme sont donc indispensables. En Suisse, la compétence pour l’éducation et la culture incombe aux cantons. Il n’existe pas de ministère national de l’éducation, mais une instance politique qui assure la coordination au niveau national : la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP, [http: / / www.cdip.ch]). L’action de la CDIP est fondée sur des accords (ou concordats) intercantonaux juridiquement contraignants. Il est évident que les langues représentent un enjeu de taille dans un pays officiellement plurilingue. Depuis 1975, l’enseignement d’une deuxième langue nationale est obligatoire à partir de la 5 e année pour tous les élèves suisses (cf. Recommandations et décisions concernant l’introduction, la réforme et la coordination de l’enseignement de la deuxième langue nationale pour tous les élèves pendant la scolarité obligatoire du 30 octobre 1975). Successivement, l’anglais a été introduit comme deuxième langue étrangère, normalement à partir de la 7 e année. En 1997, la CDIP a décidé de faire élaborer un concept pour l’enseignement des langues en Suisse. De cette volonté est né le Concept général des langues (1998)-intitulé « Quelles langues apprendre en Suisse pendant la scolarité obligatoire ? ». Les principes et objectifs généraux ont été énoncés de la manière suivante : « En plus de la langue nationale locale, tous les élèves apprendront au minimum une deuxième langue nationale et l’anglais ; ils se verront, en outre, offrir la possibilité d’apprendre une troisième langue nationale et éventuellement d’autres langues étrangères. […] Les cantons germanophones offrent en principe le français comme deuxième langue nationale, les cantons francophones l’allemand. Les cantons du Tessin et des Grisons tiennent compte des spécificités de leur situation linguistique respective. […] Les cantons respectent et encouragent les langues présentes dans leur population scolaire et les intègrent <?page no="29"?> 29 dans les horaires/ plans d’études. » (Concept général des langues, partie I « Principes et objectifs ») Les moyens avancés pour atteindre ces objectifs concernaient entre autres l’encouragement de l’enseignement bilingue et des échanges linguistiques, la diversification des méthodes d’apprentissage/ d’enseignement des langues et l’introduction du Portfolio européen des langues (PEL). 25 C’est notamment ce Concept général qui a contribué à ce que la CDIP adopte, en 2004, une stratégie nationale pour le développement de l’enseignement des langues (cf. Enseignement des langues à l’école obligatoire : stratégie de la CDIP et programme de travail pour la coordination à l’échelle nationale, décision du 25 mars 2004) . Les éléments essentiels de cette stratégie ont été repris dans l’Accord intercantonal sur l’harmonisation de la scolarité obligatoire (Concordat HarmoS [http: / / www.cdip.ch/ dyn/ 11737.php]). Très contesté, cet accord a été voté dans 22 cantons jusqu’à présent : 15 cantons y ont adhéré, dont Bâle-Ville et Bâle- Campagne, le Jura et Soleure, la décision dans le canton d’Argovie étant encore en suspens. Un des changements essentiels du Concordat HarmoS est l’avancement de l’enseignement des langues-à l’école primaire : tous les élèves doivent apprendre une deuxième langue nationale et l’anglais au plus tard à partir de la 3 e et de la 5 e classe. Des standards de formation HarmoS applicables à la fin de la 6 e et de la 9 e classe accompagnent ces dispositions. Le choix de la première langue étrangère est coordonné au niveau régional. La question de l’ordre d’introduction des langues a mené à des débats violents et émotionnels, car certains cantons voulaient choisir le français tandis que d’autres préféraient l’anglais. La question a aussi été fortement discutée dans les cantons de la Suisse du Nord- Ouest : fallait-il choisir l’anglais comme première langue étrangère, l’anglais étant une langue internationale et indispensable pour le citoyen moderne ? Ou fallait-il plutôt opter pour le français compte tenu de son statut de langue nationale et de langue voisine avec le Jura et l’Alsace ? Finalement, la décision a été prise en faveur du français dans les cantons de Bâle- Ville (à partir de l’année scolaire 2011/ 12), Bâle-Campagne (à partir de l’année scolaire 2012/ 13) et Soleure, en faveur de l’anglais dans le canton d’Argovie. Le Jura a également décidé de donner la priorité à la langue nationale et voisine allemande. Ces décisions, et plus généralement les recommandations de la CDIP, ont mené, en 2006, à l’élaboration du Projet Passepartout - Fremdsprachen an der Volksschule (http: / / www.passepartout-sprachen.ch/ de.html) des cantons le long de la frontière linguistique (Berne, Bâle-Campagne, Bâle-Ville, Fribourg, Soleure et Valais). Jusqu’à présent, nous avons parlé de l’enseignement des langues étrangères seulement. Mais le Concept général ainsi que le Concordat HarmoS proposent aussi des actions pour encourager l’acquisition de la langue locale, une question particulièrement pertinente pour les cantons germanophones diglossiques. D’une part, cela concerne les compétences en allemand standard des élèves autochtones pour lesquels l’allemand est la langue première, d’autre part, cela concerne les enfants issus de familles migrantes de pays non germanophones scolarisés dans les écoles suisses allemandes. 26 En 2004, la CDIP a réagi aux mauvais résultats de l’étude PISA par rapport aux compétences de lecture et d’écriture des élèves en recommandant d’encourager l’acquisition de la langue standard dès l’école maternelle. A 25 Le PEL est un instrument développé par le Conseil de l’Europe pour « contribuer au développement de l’autonomie de l’apprenant, du plurilinguisme ainsi que de la sensibilité et de la compétence interculturelles et pour permettre aux utilisateurs de consigner les résultats de leur apprentissage linguistique ainsi que leur expérience d’apprentissage et d’utilisation de langues ». (Cf. http: / / www.coe.int/ t/ dg4/ education/ elp/ default_fr.asp) 26 En 2000, le taux de la population parlant une langue autre qu’une langue nationale s’élevait à 13.1 % pour le canton de Bâle par rapport à un taux de 9 % pour la Suisse entière (cf. Werlen 2004 : 3), 7.7 % pour Bâle-Campagne, 8.7 % pour l’Argovie, 7.5 % pour Soleure et 4.0 % pour le Jura. Les langues parlées à Bâle sont le serbo-croate et les langues slaves en général (2.5 %), l’albanais (1.3 %), le portugais (0.8 %), l’espagnol (2.1 %), l’anglais (1.4 %), le turc (2.2 %) et autres (2.8 %). (Cf. http: / / www.statistik-bs.ch/ themen) <?page no="30"?> 30 la suite de ces recommandations, les deux Bâle ont introduit l’allemand standard comme langue d’enseignement principale aux écoles primaires (Bâle-Ville en 2006, Bâle-Campagne en 2008). Aujourd’hui, cela vaut aussi en Argovie et dans la plupart des cantons alémaniques. Depuis 2008 et 2009 respectivement, l’utilisation de l’allemand standard est aussi obligatoire dans les écoles maternelles des deux Bâle, toutefois sans obligation pour les enfants de le parler. 27 Quant aux élèves alloglottes, le canton de Bâle-Ville en a tiré les conséquences et a été le premier canton à établir des cours d’appui pour les enfants de trois ans ayant des compétences insuffisantes en allemand. 28 1.3.3. Le contexte éducatif au Bade-Wurtemberg L’Allemagne est officiellement un territoire unilingue avec comme langue officielle l’allemand (« Amtssprache ist Deutsch » (cf. Webseite des Bundesministeriums für Justiz)). En réalité, elle est plurilingue-compte tenu de la présence de plusieurs minorités linguistiques 29 et de langues de l’immigration. L’organisation de l’éducation en Allemagne est similaire à celle de la Suisse dans le sens qu’il y a une institution faîtière, la Ständige Konferenz der Kultusministerien (KMK [http: / / www.kmk.org]), mais que chacun des 16 länder a son propre système éducatif et applique différemment les décisions communes. Ceci mène à des différences au niveau structurel, mais aussi au niveau de l’ordre d’introduction des langues, de la durée de l’enseignement dans la langue respective ou du nombre d’heures hebdomadaires en langue étrangère (cf. Quetz 2010 : 170). L’histoire de l’enseignement des langues en Allemagne a connu plusieurs moments cruciaux. Le premier remonte à 1969 où une décision de la KMK prise en 1964 devient réalité : désormais, chaque élève allemand de l’école secondaire apprendrait, outre sa langue première, au moins une langue étrangère, à savoir l’anglais. En plus, des contrats spécifiques entre l’Allemagne et la France auraient dû encourager l’enseignement du français dès 1963, mais ces efforts n’ont rencontré aucun succès. 30 27 En 2009, le Conseil de l’Education du canton de Bâle-Ville a décidé que les instituteurs dans les écoles maternelles devaient enseigner la moitié du temps en dialecte et l’autre moitié en allemand standard. Un groupe d’intérêt (Basler-IG Dialekt, http: / / www.igdialekt.ch) a lancé une initiative contre cette décision ; il voulait que le dialecte reste la langue d’enseignement principale et que l’allemand standard soit utilisé dans des séquences spécifiques. En mai 2011, l’initiative « Ja zum Dialekt » ainsi qu’une contre-proposition du Conseil d’Etat ont été votées et approuvées. Aujourd’hui, la contre-proposition qui prévoyait des objectifs d’apprentissage équivalents pour les deux variétés de l’allemand est en vigueur. En même temps, une initiative pour le dialecte à l’école maternelle a été approuvée dans le canton de Zurich. (Cf. l’article dans le Tagesanzeiger « Zürcher und Basler stärken die Mundart in Kindergarten » du 15 mai 2011) 28 Il s’agit du projet « Mit ausreichenden Deutschkenntnissen in den Kindergarten » qui prévoit que tous les enfants ayant des connaissances d’allemand insuffisantes suivent un programme de cours d’appui de deux demi-journées par semaine pendant six mois avant d’entrer au jardin d’enfants. Pour des détails voir le rapport Migration und Integration in Basel-Stadt (2010 : 84) ou le Communiqué de presse « Deutsch für Dreijährige : Basel-Stadt geht voran » (2009). 29 Par exemple les Sorabes à l’Ouest, les Frisons au Nord, les Danois à la frontière danoise, les Sinti et Roma, et les locuteurs du bas-allemand (Plattdeutsch, Niederdeutsch) au Nord. Le bas-allemand est depuis 1999 reconnu comme langue minoritaire ; ainsi, il figure dans la Charte des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l’Europe comme langue à part, n’appartenant pas à l’allemand proprement dit (« Hochdeutsch »). 30 En 1963, le président français et le chancelier allemand ont signé le Traité franco-allemand de la coopération-qui prévoyait entre autre des efforts dans le domaine de l’éducation : « Les deux gouvernements reconnaissent l’importance essentielle [...] dans chacun des deux pays de la langue de l’autre. [...] Toutes les possibilités seront offertes aux jeunes des deux pays pour resserrer les liens qui les unissent et pour renforcer leur coopération mutuelle. Les échanges collectifs seront en particulier multipliés » (§C, Education et jeunesse). <?page no="31"?> 31 Des acteurs politiques du Bade-Wurtemberg par exemple ont signé, en 1984, une convention avec l’Alsace qui, sous le nom d’« Apprendre la langue du voisin », avait pour objectif de promouvoir et de soutenir les efforts pour apprendre la langue voisine de l’autre région, ceci en offrant trois leçons hebdomadaires facultatives pour les élèves allemands en 3 e et les élèves français en 4 e année : La capacité de compréhension réciproque est à la base de toute collaboration fructueuse. A cet égard, la langue joue un rôle tout à fait déterminant. C’est pourquoi les jeunes doivent être préparés à un avenir européen commun par la maîtrise d’une langue autre que leur langue maternelle.-(Déclaration conjointe du Ministerium für Kultus und Sport Baden-Württemberg et de l’Académie de Strasbourg, 15 mai 1995, Préambule) Le deuxième jalon a été l’introduction généralisée d’une langue étrangère, de facto l’anglais, à l’école primaire en 2005 (cf. Quetz 2010 : 172). Cependant, il y a 38 écoles primaires qui enseignent le français comme première langue étrangère le long de la Rheinschiene (un terme par lequel on entend un corridor frontalier de 180 km de longueur et 30 km de largeur le long du Rhin), ce qui est relativement peu par rapport au land entier. Dans les lycées, il y a une grande diversité de langues enseignées : anglais, français, latin et espagnol dans tous les länder ; grec ancien, russe et italien dans beaucoup de lycées ; et plus rarement le portugais, le chinois, le japonais et le turc dans quatre länder. Dans des régions où habitent des minorités linguistiques où la communication avec le pays voisin doit être encouragée, les élèves peuvent aussi apprendre le néerlandais, le sorabe, le danois ou le bas-allemand. 31 Des initiatives de rendre obligatoire le français comme première langue étrangère dans les lycées le long de la Rheinschiene (i. e. à partir de la 5 e année) ont été rejetées, surtout par les parents, mais aussi par les acteurs politiques. L’argument du Ministère de l’éducation et des affaires culturelles que l’apprentissage du français faciliterait aux enfants l’accès au plurilinguisme et leur apporterait de meilleures chances sur le marché du travail, n’a pas été entendu (voir à ce propos p.ex. les articles « Französisch-Zwang passé » ou « Fremdsprachenstreit » de Spiegel online, 2007). Aux collèges d’enseignement secondaire (Realschulen), on trouve toujours l’anglais et le français, mais moins des langues comme l’espagnol ou le russe. Aux collèges d’enseignement général (Hauptschulen), l’offre est encore plus réduite, se limitant à l’anglais uniquement (cf. Quetz-2010 : 173-174). Outre la pression de l’économie et de la politique de l’éducation d’apprendre l’anglais, il y a un facteur structurel qui rend difficile la survie de l’enseignement du français : des élèves qui apprennent le français comme première langue étrangère à l’école primaire ont souvent des problèmes au moment du passage à l’école secondaire à trouver une école qui continue le français en 5 e classe et qui ne le commence pas qu’en 6 e ou 7 e année (cf. Quetz- 2010 : 175-176). La prédominance de l’anglais a encore une autre conséquence : Meissner/ Lang ont observé que plus de 20 % des bacheliers n’ont des compétences linguistiques que dans une seule langue étrangère (Meissner/ Lang 2005, cités dans Quetz 2010 : 175). Pour les élèves des collèges d’enseignement secondaire et général, la situation n’est pas meilleure. Il semble donc que l’Allemagne soit encore loin du but « 1+2 » de la Commission européenne. Malgré tout, la volonté pour le plurilinguisme est indéniable : « Sprachenlernen in der Schule muss der Sprachenvielfalt in der Gesellschaft Rechnung tragen. Mehrsprachigkeit und der Erwerb interkultureller Kompetenz sind Voraussetzung für den interkulturellen Dialog. Sie sind entscheidendes Zukunftspotenzial in und für Europa sowie weltweit ». (Bildungsplan Realschule Baden-Württenberg 2004 : 68) Néanmoins, le système éducatif devrait encore faire beaucoup plus d’efforts pour atteindre ce but. Même certains partis politiques, comme par exemple le parti libéral (FDP), rendent 31 Nous verrons dans le prochain chapitre que la France encourage également l’enseignement des langues régionales. <?page no="32"?> 32 attentif au fait que limiter l’enseignement des langues à l’anglais serait dangereux. Bien que l’importance de l’anglais soit accentuée, l’importance des langues voisines n’est pas négligée non plus : « Englisch ist die Hauptverkehrssprache in der Welt. Exzellente Kenntnisse in Englisch sollten daher zentraler Baustein jeglicher Bildungspolitik in Europa sein. Darüber hinaus sollte die Mehrsprachigkeit auch weitere europäische Sprachen umfassen, zuvorderst die Sprache des jeweiligen Nachbarn » (Europawahlprogramm 2004, cité dans Quetz 2010 : 182). 1.3.4. Le contexte éducatif en Alsace Comme la Suisse et l’Allemagne, la France se retrouve confrontée à une hétérogénéité linguistique tant au niveau géographique qu’au niveau de ses élèves : à part les élèves francophones, les autres parlent des langues régionales ou des langues issues de l’immigration. S’y ajoute l’anglais comme langue véhiculaire indispensable. Pour réagir à cette diversité linguistique, la France a introduit l’enseignement d’une langue vivante dans les programmes officiels depuis 1998. Quatre ans auparavant, la Loi Toubon stipulait que « la maîtrise de la langue française et la connaissance de deux autres langues font partie des objectifs fondamentaux de l’enseignement » (Art. 11-II). La France semble donc accepter en principe la décision de la Commission européenne de l’« 1+2 ». Pourtant, il paraît que cet objectif existe surtout dans la loi, mais pas forcément dans la pratique. Ceci se voit d’une part dans le fait qu’une seule langue étrangère est obligatoire au baccalauréat (Huck/ Bothorel-Witz/ Geiger-Jaillet 2007 : 58). D’autre part, l’enseignement des langues semble n’avoir que très peu, voire aucune importance pour l’éducation nationale (cf. Lettre d’information No. 40 de l’Observatoire européen du plurilinguisme) : Il ne figure pas sur le tableau de bord du système éducatif, ce que montre le rapport L’état de l’école du ministère de l’éducation nationale (2010) qui contient 29 indicateurs statistiques concernant les coûts, les activités et les résultats du système éducatif français dont aucun ne traite de l’enseignement des langues. Compte tenu de ce signal de la part de l’Etat, on peut légitimement douter que les régions de la France qui ont pourtant une certaine autorité dans le domaine de l’éducation puissent vraiment changer la situation. Il faut savoir qu’en France, le système éducatif est en principe organisé de manière centralisée. Cela signifie que c’est le gouvernement qui le définit, mais qu’il y a des académies dans les régions respectives qui appliquent la politique prescrite par l’Etat, tout en tenant compte du contexte local et en collaborant avec les collectivités territoriales. En Alsace, il s’agit de l’Académie de Strasbourg (http: / / www.ac-strasbourg.fr). Un des objectifs du projet de l’académie 2007-2011 s’appelle Du bilinguisme légué au plurilinguisme choisi : apprendre les langues vivantes et s’ouvrir à l’international au cœur de l’Europe. Cet objectif concerne « l’apprentissage de la langue allemande dès le plus jeune âge sur la base d’un enseignement extensif pour la très grande majorité des élèves et sur la base du cursus bilingue pour un nombre croissant » 32 , mais aussi, pour ouvrir davantage la région « non seulement vers ses voisins immédiats, mais aussi vers les pays et les langues d’une Europe voire d’un monde dont l’Alsace est à présent le partenaire », l’apprentissage de l’anglais et la prise en compte des langues maternelles des migrants. L’exigence d’une seule langue étrangère pour le baccalauréat mène au danger que l’anglais soit privilégié aux dépens d’autres langues comme l’allemand. Ce dernier reste une langue importante en Alsace, et s’est vu attribuer par l’Académie de Strasbourg en 1991 « la triple vertu d’être à la fois l’expression écrite et la langue de référence des dialectes régionaux, la langue des pays les plus voisins et une grande langue de diffusion européenne et internationale » (cf. Circulaires rectorales du 20 décembre 1994). Cette valorisation a été préparée 32 Par ‘enseignement extensif’, on entend l’enseignement de l’allemand pendant 1 à 3 heures hebdomadaires dès l’école maternelle. Pour plus d’informations concernant les possibilités d’enseignement bilingue voir http: / / www.ac-strasbourg.fr/ sections/ education_formation/ offre_de_formations/ enseignement_des_lan/ view. <?page no="33"?> 33 par la désignation officielle de l’allemand comme langue régionale dans les années 1980 33 et en 1994 par la Loi Toubon, qui définit certes le français comme la langue de l’enseignement, mais qui admet aussi l’enseignement des langues régionales et en langues régionales : « La langue de l’enseignement […] est le français, sauf exceptions justifiées par les nécessités de l’enseignement des langues et cultures régionales ou étrangères » (Art. 11-I). En fait, la valorisation de l’allemand comme langue digne d’être enseignée a changé plusieurs fois par le passé, ceci à cause de l’appartenance politique changeante de l’Alsace. 34 Ce nouveau statut a mené, au début des années 1990, à la création d’écoles bilingues français/ allemand publiques (des écoles privées ayant déjà existé avant). 35 En 2008, 16’000 élèves au niveau primaire, soit 8.5 % sur l’ensemble du territoire- alsacien, fréquentaient un établissement scolaire où le français et l’allemand étaient enseignés à parité horaire 36 . Au collège, cela concernait environ 2‘400 élèves et au lycée environ 750 élèves (filière ABIBAC (Baccalauréat-Abitur), cf. http: / / portal-lem.com/ fr/ langues/ alsacien/ donnees_essentielles.html). Bothorel-Witz explique ce taux bas par la perception souvent négative de l’allemand et du dialecte, ce qui aurait mené à une « réticence que aussi manifestent les parents d’élèves des régions ‘les plus dialectophones’ à l’égard des sites bilingues à parité horaire » (Bothorel-Witz 2000 : 7). Le problème de l’allemand ne réside pas au niveau du primaire, mais au niveau du secondaire. Bien que la continuité de l’enseignement bilingue soit assurée dans les collèges, il y a souvent une rupture et un changement de langue vers l’anglais dès la 5 e année. Cela tiendrait à des problèmes organisationnels et linguistiques tels qu’une maîtrise insuffisante de l’allemand oral des enseignants alsaciens, des connaissances insuffisantes du système éducatif français d’enseignants étrangers étant des ‘native speakers’, entraînant un contact insuffisant des élèves avec la langue allemande même à l’école (Huck/ Bothorel-Witz/ Geiger- Jaillet 2007 : 62). Pourtant, ce choix ne serait pas nécessaire, car en Alsace, chaque élève a la possibilité d’apprendre deux langues vivantes à partir de la 5 e . A l’école primaire, chaque élève devrait en principe avoir 1 à 3 heures d’allemand par semaine dès l’école maternelle (enseignement extensif). D’ici 2013, l’enseignement de trois heures d’allemand pour tous les élèves du primaire devrait être la règle (cf. Haut-Rhin magazine Haute-Alsace no 32, 2010). Cependant, les efforts pour promouvoir le bilinguisme et l’apprentissage de l’allemand ne semblent pas obtenir le résultat escompté, vu que de plus en plus de jeunes Alsaciens maîtrisent insuffisamment l’allemand (cf. chap. 1.1.) et que l’anglais est souvent perçu comme la langue unique valant la peine d’être apprise. 33 Les langues régionales et minoritaires, aussi appelées « langues de France », sont les langues « parlées traditionnellement par des citoyens français sur le territoire de la République, et qui ne sont langue officielle d’aucun Etat ». On en compte plus de 75 aujourd’hui, dont par exemple l’alsacien, le breton, le catalan ou le corse (cf. le site web Les langues de France). Les critères de définition s’inspirent de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. En rebaptisant la Délégation générale à la langue française en Délégation générale à la langue française et aux langues de France, le gouvernement a marqué la reconnaissance de la diversité linguistique en France. 34 Tandis que l’allemand était la langue officielle et scolaire entre 1870 et 1918 et que le dialecte subissait une revivification, le français a été (ré)introduit comme langue officielle et langue nationale dès 1918 ; l’allemand ainsi que l’option du bilinguisme ont été écartés de l’école. Entre 1940 et 1944, l’Alsace a été défrancisée par l’Allemagne nationale-socialiste, ce qui a mené à une aversion contre tout ce qui était allemand, y compris la langue. Lorsque le français devient de nouveau langue officielle et nationale ainsi que langue unique enseignée et d’enseignement à l’école primaire, l’allemand et le bilinguisme ne sont pas seulement de nouveau mis à l’écart, mais subissent de nombreux interdits (interdit dans l’enseignement ainsi que dans la vie politique, sociale et culturelle) (cf. le site web Langues d’Europe et de la Méditerranée). 35 La mise en place d’écoles bilingues publiques constituait une réaction à l’initiative de parents ayant créé l’Association pour le bilinguisme dès les classes maternelles (A. B. C. M. - Zweisprachigkeit, [http: / / www. abcmzwei.eu]). 36 ‘Paritaire’ signifie un enseignement en allemand et en français réparti à 13h hebdomadaires pour chaque langue. <?page no="34"?> 34 2 . L’apprentissage : un type de formation professionnelle dans la région du Rhin supérieur Le fait que chacun des trois pays de la région ait un autre système éducatif et, par conséquent, un autre système de formation professionnelle est un problème pour les stages, tant au niveau de l’organisation et de la coordination qu’au niveau de l’importance que leur attribuent les responsables de la formation et les entreprises. Dans la recherche empirique qui est la base de notre travail, nous avons travaillé avec des jeunes en formation, apprentis et étudiants, et pouvons donc analyser d’une perspective bottom up comment ceux-ci voient leur formation. Des entretiens avec les responsables de la formation à l’intérieur des entreprises nous donnent des informations sur la perspective top down. Pour mieux comprendre les propos des uns et des autres, il nous faut savoir comment la formation professionnelle est gérée par les trois pays en question. Nous avons donc mené des recherches sur plusieurs sites web concernant la formation professionnelle afin d’obtenir les informations suivantes : qui sont les acteurs principaux de la formation professionnelle ? ; que disent les bases légales à ce sujet ? ; quelles sont les différentes possibilités de formation professionnelle ? ; et enfin, particulièrement intéressant pour nous, quelles sont les langues enseignées pendant la formation professionnelle ? Une difficulté que nous avons rencontrée est celle de la terminologie. Par exemple, nous avons constaté des différences dans les désignations des types d’école entre la Suisse et l’Allemagne. Pour notre travail, nous avons décidé d’utiliser une désignation traduite en français et de mettre entre parenthèses la désignation originale. 2 1 Une voie de formation commune : l’apprentissage Dans les trois pays, la formation professionnelle peut être obtenue par voie scolaire ou par apprentissage. En voie scolaire, les jeunes fréquentent pendant deux à trois ans une école à plein temps et obtiennent un diplôme qui leur permet d’entrer dans le monde professionnel. 37 La voie par apprentissage se caractérise par le fait que la formation est dispensée alternativement dans une entreprise et une école professionnelle tout en donnant la priorité à la formation en entreprise ; l’école est un complément à celle-ci et transmet ce que cette dernière ne peut pas transmettre. L’apprenti passe donc la majorité du temps de formation en entreprise (selon les métiers, entre trois et quatre jours par semaine). Ce système de répartition entre entreprise formatrice et école professionnelle est appelé « système dual » en Suisse et en Allemagne. En France, on rencontre les termes « par apprentissage » ou « en alternance ». 38 Dans le système dual/ par apprentissage, l’apprenti a un statut d’employé salarié : il signe un contrat d’apprentissage pour la durée de la formation (qui varie selon la spécialité) et est rémunéré pour son travail par l’entreprise. Dans le tableau ci-dessous, nous donnons une vue d’ensemble simplifiée sur la formation duale/ par apprentissage dans les trois pays de la région du Rhin supérieur : 37 En Suisse, ce sont par exemple les écoles de métier (Lehrwerkstätten) et les écoles de commerce (Handelsmittelschulen), en Allemagne les lycées professionnels (Berufsfachschulen) et techniques, en France les lycées professionnels. 38 Ce dernier est ambigu parce qu’il y a d’autres moyens de formations en alternance, surtout des offres de formations transitoires. « En alternance » signifie en premier lieu un enseignement en entreprise et en école, mais pas forcément un apprentissage dans le sens où nous l’entendons. <?page no="35"?> 35 Tableau I : Vue d’ensemble du système dual/ par apprentissage dans la région du Rhin supérieur Suisse 39 Allemagne 40 France 41 Durée de la formation professionnelle 2-4 ans selon le diplôme envisagé 2-3 ans selon le diplôme envisagé 2-3 ans selon le diplôme envisagé Formation pratique dans l’entreprise formatrice 3-4 jours/ semaine, selon la formation 3-4 jours/ semaine, selon la formation 2-3 jours/ semaine, selon la formation Formation scolaire 1-2 jours/ semaine (env. 400-800 heures/ an) dans une Berufsfachschule 42 12 heures/ semaine 43 (env. 600 heures/ an) dans une Berufsschule 44 400-675 heures par an dans un Centre de formation des apprentis (CFA) 45 Diplômes obtenus par la voie en apprentissage Attestation fédérale de formation professionnelle (AFP) en 2 ans ; Certificat fédéral de capacité (CFC) en 3 ou 4 ans Certificat de qualification professionnelle dans un métier spécifique : Gesellen-, Gehilfen-, Facharbeiterbrief (formation en entreprise) Certificat d’aptitude professionnelle (CAP) en 2 ans ; Baccalauréat professionnel (Bac pro) en 3 ans (ou en 2 ans avec un CAP) 46 Possibilités de continuer la formation au niveau du tertiaire 47 maturité professionnelle donnant accès aux hautes écoles spécialisées et, avec un examen complémentaire, aux études dans les universités et les écoles polytechniques fédérales école spécialisée (Fachschule) ou école d’enseignement général du premier degré (Berufsaufbauschule) Etudes courtes pour le Brevet de technicien supérieur (BTS) ou le Diplôme universitaire de technologie (DUT) Nombre de spécialités 250 350 200 pour le CAP 70 pour le Bac pro 39 40 41 42 43 44 45 46 47 39 Des détails sur la formation professionnelle en Suisse sont disponibles sur le site http: / / www.doku. berufsbildung.ch. 40 Pour plus d’informations sur le système éducatif en Allemagne voir le rapport Organisation des Bildungswesens in der Bundesrepublik Deutschland 2010, pour des détails sur le système de formation professionnelle au Bade-Wurtemberg voir le site web Berufliche Bildung in Baden-Württemberg. 41 Des informations plus détaillées sur le système éducatif en France sont disponibles dans le rapport Organisation du système éducatif en France 2009/ 2010, sur le système de formation professionnelle dans le rapport Das Berufsbildungssystem in Frankreich. 42 En Suisse, les apprentis développent d’autres aptitudes pratiques professionnelles dans des cours interentreprises obligatoires mis sur pied par les branches professionnelles et se situant à l’intermédiaire entre l’entreprise formatrice et l’école professionnelle. 43 Ces douze heures peuvent être organisées de manière différente : à deux journées hebdomadaires, en alternance entre deux journées dans une semaine et une journée dans la semaine suivante, ou encore en bloc. 44 L’équivalent allemand aux cours interentreprises en Suisse sont les ateliers-écoles ou Centre de formation interentreprises. 45 Le temps de présence au CFA varie entre 2-3 jours par semaine et des cours en bloc. 46 Une réforme de la formation professionnelle en 2009 a fait du Brevet d’études professionnelles (BEP) jusqu’alors remis après deux ans de formation un diplôme intermédiaire qui ne peut être obtenu qu’au cours de la formation au Bac pro. 47 Nous n’indiquons ici que les possibilités en lien direct avec l’apprentissage. Les systèmes éducatifs actuels ont ou ont de plus en plus, dans le cas de la France, une perméabilité assez grande pour permettre des voies de formation très flexibles. <?page no="36"?> 36 2 2 La signification de l’apprentissage dans les pays du Rhin supérieur Même si les trois pays connaissent le format de l’apprentissage, il y a de grandes différences par rapport au prestige associé à cette voie de formation. En Suisse et en Allemagne, l’apprentissage connaît une longue tradition ; c’est donc une voie qui est valorisée, ce qui explique que deux tiers des jeunes Suisses et Allemands se décident pour cette formation. Dans les diverses documentations sur l’apprentissage disponibles sur Internet, on peut lire que l’apprentissage permet à des jeunes d’entrer dans le monde professionnel en suivant une formation et garantit la relève de personnel qualifié. Les jeunes obtiennent une formation de base solide à travers la formation professionnelle qui est la base d’un lifelong learning et ouvre une multitude de perspectives professionnelles. Les formations varient en fonction des qualifications professionnelles requises et des places de travail à disposition. Pourtant, il faut être prudent de ne pas idéaliser cette voie de formation. Il y a tout un débat politique sur la question du concours entre la formation en lycée et la formation duale. Dans le contexte de ce débat, il est d’une part question d’encourager la formation gymnasiale et universitaire pour pallier le manque de personnel qualifié au niveau universitaire. On peut expliquer ce manque par le fait que la formation duale focalise avant tout sur le secteur manufacturable et industriel et qu’il manque des formations dans les secteurs techniques et des services (voir à ce propos les articles de l’historien Philipp Sarasin, « Wieso die Schweiz so bildungsfeindlich ist », et du professeur d’histoire Rudolf Strahm, « Der Bildungsdünkel ist das Problem », parus dans le Tagesanzeiger en octobre 2011). Une solution à cette problématique serait de promouvoir davantage la maturité professionnelle ainsi que d’adapter et la voie gymnasiale et professionnelle aux nouvelles conditions (voir les articles de Philipp Gonon, professeur pour la formation professionnelle à l’Université de Zurich, « Bildungsverachtung oder Bildungsdünkel ? »,- et de l’économiste Patrik Schellenbauer, « Die Schweiz wurde vom Erfolg überrumpelt », parus dans le Tagesanzeiger en octobre 2011). En France en revanche, le débat est plutôt mené en faveur de la formation en lycée et la formation duale ne joue qu’un rôle marginal. La formation en lycée (de préférence un lycée général avec un baccalauréat général) s’impose avec force comme la voie royale dans la conscience de beaucoup de Français. Lorsque les élèves doivent s’orienter professionnellement à la fin de la 3 e année (9 e année scolaire), les enseignants et parents ont tendance à les orienter vers des formations en lycée, coûte que coûte. En bref, on peut dire que les bons élèves vont au lycée, alors que les mauvais font un apprentissage (cf. Livre vert de l’AGEFA PME et le rapport Der Aufbau des Bildungswesens). Cependant, il y a eu une réforme de la formation professionnelle au début des années 1980, dont les objectifs étaient d’élever le niveau de qualification des jeunes (en réduisant la formation de Bac pro de 4 à 3 ans), d’améliorer leur intégration dans la vie professionnelle ainsi que leurs chances de formation continue, de réduire le nombre de jeunes quittant l’école sans diplôme, et de faciliter la perméabilité entre l’enseignement professionnel et l’enseignement général/ technologique voire entre CAP et Bac Pro (cf. le rapport Organisation du système éducatif en France 2009/ 2010). Depuis quelques années, le nombre d’apprentis en France augmente, mais il est toujours assez faible par rapport à l’ensemble des jeunes en formation. Malgré le débat mentionné en Suisse, le système dual est considéré en Suisse et en Allemagne à la fois comme une chance et un investissement. Les entreprises donnent la chance à des jeunes d’entamer une carrière professionnelle, mais profitent à leur tour de cet investissement dans la mesure où ces jeunes collaborent de manière productive à l’entreprise, et ceci déjà pendant leur formation. A moyen et long terme, investir dans la formation des jeunes est profitable pour une entreprise parce qu’elle dispose ensuite de personnel qualifié. En France, les responsables de la formation, mais aussi les entreprises, comprennent de plus en plus que la formation professionnelle, et surtout l’apprentissage en relation avec un système de formation continue bien développé, est un instrument indispensable pour ouvrir <?page no="37"?> 37 aux salariés français des possibilités de travail dans l’ensemble de l’Europe (cf. le rapport Das Berufsbildungssystem in Frankreich). Ainsi, la Région Alsace a créé des brochures à l’intention des jeunes (Choisis l’apprentissage et double tes chances) et des entreprises (J’embauche un apprenti et je double ses chances de réussir). La brochure explique aux apprentis les avantages d’un apprentissage : l’accès direct à la vie professionnelle et un salaire, ce qui ne serait pas garanti pour les élèves du lycée professionnel. En plus, la Région Alsace offre un soutien financier pour le premier équipement, le transport aux CFA et la restauration des apprentis. La brochure destinée aux entreprises explique ce que former un apprenti veut dire et quelles sont les aides financières que l’entreprise peut obtenir ; l’enjeu est de convaincre les entreprises de former des apprentis en leur montrant que c’est une excellente manière de ‘produire’ du personnel qualifié. Un de nos informateurs illustre cette valorisation différente de l’apprentissage en France et en Suisse/ Allemagne en nous racontant avoir vécu deux réactions différentes de la part des entreprises lorsque celles-ci se sont retrouvées dans l’obligation de faire des économies : Les directeurs d’entreprise suisses auraient proposé d’embaucher moins d’apprentis parce qu’ils les considéreraient comme un investissement, alors que les directeurs français auraient proposé d’embaucher des apprentis parce qu’ils les considéreraient comme une main d’œuvre bon marché. Cet écart dans la perception de la même voie d’apprentissage ne pose pas seulement problème pour l’organisation de stages (cf. chap. 2.4.), mais elle a aussi posé problème pour notre recueil de données dans le sens où nous n’avons trouvé qu’un seul ‘vrai’ apprenti français, les autres interviewés français étant tous des étudiants. Nous y reviendrons plus tard dans le chapitre consacré au terrain et à la méthodologie (chapitre 4.). 2 3 Les langues étrangères enseignées pendant l’apprentissage Pour obtenir des informations sur les langues étrangères enseignées pendant la formation duale, nous avons consulté les ordonnances de formation spécifiques des trois pays respectifs qui déterminent les conditions cadre pour une formation, ainsi que les plans de formation qui sont les instruments pédagogiques nécessaires. Par rapport à la Suisse et à l’Allemagne, il a été assez facile de trouver les documents en question ; ils sont disponibles pour les différents métiers sur le site de l’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT [http: / / www.bbt.admin.ch/ index.html ? lang=fr]) et du Bundesinstitut für Berufsbildung (BIBB [http: / / www.bibb.de]) respectivement. Pour la France, l’accès aux documents a été plus difficile ; quelques appels auprès d’instances relatives à la formation professionnelle (Chambre des métiers, CFA, Rectorat) ont été nécessaires pour obtenir un document sur l’enseignement des langues vivantes qui vaut pour le niveau des diplômes CAP et Bac pro. 2.3.1. Suisse Tandis que les ordonnances de formation mentionnent seulement la langue d’enseignement, mais pas les langues enseignées, les plans de formation définissent les exigences par rapport aux langues étrangères, qui varient selon la durée et le type d’apprentissage (cf. Lüdi 2010d : 49-50) (voir Tab. II). Les exigences en langues étrangères vont donc de cours facultatifs en une langue étrangère à l’enseignement obligatoire en deux langues étrangères. Selon l’OFFT, seulement 15 à 20 % des nouvelles ordonnances de formation depuis 2005 prescrivent l’enseignement obligatoire de langues étrangères (OFFT 2011). Quant à l’importance de l’enseignement des langues en formation professionnelle initiale, on en trouve des indications dans le Programme d’études cadre pour la maturité professionnelle : l’enseignement des langues donne aux apprenants « les aptitudes linguistiques susceptibles de les faire participer pleinement à la vie en société dans leur pays et à l’étranger, de contri- <?page no="38"?> 38 Tableau-II : Langues enseignées pendant l’apprentissage en Suisse Métier Durée d’apprentissage Langue Niveau à atteindre 48 Electronicien avec maturité professionnelle 4 ans 2 e langue nationale et anglais B2 Electronicien CFC 4 ans anglais technique- A2 (production) et B1 (compréhension) Gestionnaire du commerce de détail CFC 3 ans 2e langue nationale ou anglais A2 Employé de commerce CFC 3 ans, profil B 2e langue nationale ou anglais A2 Profil E (formation élargie) 2 e langue nationale et anglais B1 Assistant de bureau AFP 2 ans Cours facultatifs 2 e -langue nationale ou anglais A1 (pour l’entrée au profil B de la formation commerciale) 48 buer à leur épanouissement et de développer la compréhension interculturelle » (c’est nous qui soulignons). L’enseignement des langues est considéré comme offrant aux apprenants « de nouvelles perspectives de développement personnel et professionnel » et facilitant l’acquisition de diplômes internationaux, ainsi que comme un élément d’importance primordiale en Suisse multilingue. De plus, maîtriser des langues étrangères « permet la collaboration et la mobilité à l’échelle nationale et internationale ». Dans le cas des métiers en orientation commerciale, le programme cadre contient un paragraphe sur l’importance de l’enseignement bilingue et de séjours ou d’échanges dans la région linguistique afin de favoriser le développement de compétences linguistiques et de savoir-être. Dans les plans de formation pour les niveaux du CFC et de l’AFP, l’enseignement des langues n’est plus thématisé de manière aussi détaillée. Si mention il y a, elle se limite à l’indication des niveaux à atteindre (selon le CECR) et, parfois, des compétences visées. Un apprenti en orientation technique en Suisse alémanique n’obtient plus d’enseignement du français du tout, mais seulement d’anglais technique, cependant avec des dotations différentes : par exemple, un apprenti électronicien a 160 heures d’anglais technique par année et devrait être capable à la fin de son apprentissage de « s’exprimer oralement en continu » ou d’« écrire des textes cohérents ». Cependant, le niveau visé pour la production orale et écrite est le A2, alors que le niveau visé pour la compréhension (écouter, lire) est le B1 ; la compréhension est donc plus importante que la production. Un polymécanicien à l’école professionnelle de Liestal par exemple reçoit 120 heures d’enseignement en anglais technique et devrait être capable de lire des textes spécialisés simples tels que des manuels ou des instructions d’emploi. Par contre, un mécatronicien d’automobiles n’a que 10 leçons d’anglais pendant toute sa formation et devrait être capable d’expliquer en allemand des informations de service et des schémas en anglais (« einfache, mit Bildern ergänzte Serviceinformationen und Werkstatthandbuchtexte sowie Elektroschemas in englischer Sprache auf Deutsch erklären », Lüdi 2010d : 50) et devrait connaître et appliquer des abréviations et désignations spécifiques pour le métier dans des activités pratiques (« gebräuchliche, 48 Le point de référence pour les compétences linguistiques à acquérir est la grille d’évaluation décrite dans le Cadre européen commun de référence pour les langues. Le CECR est un référentiel proposé par le Conseil de l’Europe en 2001 qui définit, outre les cinq compétences (production écrite et orale, compréhension écrite et orale, interaction), six niveaux de compétence (du locuteur débutant au niveau A1 jusqu’au locuteur expérimenté au niveau C2) et des domaines d’emploi de la langue (travail, école, études). <?page no="39"?> 39 berufsspezifische englische Abkürzungen und Bezeichnungen benennen und für praktische Tätigkeiten sinngemäss anwenden », Lüdi 2010d : 50). Or, il est légitime de se demander dans quelle mesure ces compétences visées correspondent aux besoins réels des futurs employés des entreprises. Lüdi (2010d : 50) cite l’exemple d’un directeur d’une PME bâloise recrutant son personnel dans la région du Rhin supérieur, et qui se plaint du fait que les jeunes Suisses et Allemands ne savent plus le français et les jeunes Alsaciens plus l’allemand, ce qui rendrait difficile la communication sur le lieu de travail. Faute de compétences suffisantes, l’anglais ne serait pas une alternative, en tout cas pas pour les professions d’orientation technique, bien que pour beaucoup de parents, de directeurs d’entreprises et d’hommes politiques, l’anglais serait la clé de la réussite professionnelle et une alternative à une 2 e langue nationale. Cette perception n’est pas en contradiction avec ce que nous venons de dire par rapport au choix de l’anglais dans la communication entre un jeune francophone et un jeune germanophone ; en effet, dans les deux cas, des compétences différentes sont requises (communication quotidienne vs. communication professionnelle). Une enquête mandatée par SEC Suisse et la CSEPC (2011) 49 aboutit à la même conclusion : La majorité des apprentis employés de commerce ne maîtrise l’anglais et la deuxième langue nationale (allemand ou français respectivement) qu’à un niveau élémentaire : seulement 6 % des apprentis suisses alémaniques et romands respectivement atteignent le niveau B1 en compréhension écrite-en deuxième langue nationale ; pour la compréhension orale, les chiffres vont de 35 % à 29 % respectivement. Quant à l’anglais, 84 % des apprentis suisses alémaniques et 56 % des apprentis romands comprennent l’anglais oralement au niveau B1, et 42 % et 25 % respectivement l’anglais écrit (Péquignot/ Balzer 2011 : 23). Depuis 2007, l’OFFT soutient le projet Plate-forme 2 e langue pour la formation professionnelle initiale qui vise à encourager l’enseignement et l’apprentissage d’au moins une deuxième langue pendant la formation. Cet enseignement/ apprentissage dépasserait le seul objectif linguistique : « Il apporte un regard sur une autre culture, il élargit l’horizon des connaissances et des expériences, il renforce la joie d’entrer en relation et de communiquer, et ceci aussi bien sur le plan professionnel, dans la formation continue ou le cadre privé. » Le problème qu’auraient les jeunes - bel et bien plurilingues - serait qu’ils perdraient leur bagage linguistique pendant leur formation sans cours réguliers en langue étrangère. Le projet ambitionne donc que les écoles professionnelles ainsi que les entreprises formatrices « doivent à l’avenir assurer, renforcer et étendre ces aptitudes linguistiques, afin que les jeunes professionnels puissent aisément répondre aux exigences linguistiques » (cf. http: / / www.2sprachen.ch). Lors de la Conférence sur les places d’apprentissage en novembre 2011, l’OFFT a renforcé l’importance de la mobilité pendant la formation professionnelle initiale dans le contexte d’un monde de travail globalisé (OFFT 2011). 2.3.2. Allemagne Comme pour la Suisse, nous avons également consulté les ordonnances de formation et les plans d’études cadre en école professionnelle de certains métiers pour savoir si des langues étrangères étaient enseignées, et le cas échéant, quelles langues cela concernait. Certaines ordonnances de formation définissent les langues à enseigner (en l’occurrence l’anglais), notamment pour les électroniciens pour appareils et systèmes et pour les dessinateurs industriels, alors que d’autres ne parlent que « d’une langue étrangère » sans la définir, qui concernerait les agents dans le commerce de gros et le commerce d’importation et d’exportation. C’est dans les plans de formation que l’on trouve les indications les plus détaillées touchant à l’enseignement des langues. 49 SEC Suisse (http: / / www.secsuisse.ch) et la Conférence suisse des écoles professionnelles commerciales (http: / / www.skkbs-csepc.ch/ htm/ 1166/ fr/ Home.htm) ont mandaté une enquête sur les connaissances linguistiques de 1500 apprentis employés de commerce du dernier semestre (e-profil) en Suisse alémanique (AG, BS, LU, SO, ZH) et Suisse romande (GE, NE, VD, BE-fr). Les données ont été recueillies au moyen d’un questionnaire et du test BULATS (Business Language Testing Service). <?page no="40"?> 40 En Allemagne, les contenus de la formation professionnelle scolaire sont regroupés en domaines d’apprentissage (Lernfelder) et non pas en branches séparées. L’enseignement d’une langue étrangère ne fait donc pas l’objet d’une leçon spécifique mais il est intégré dans les différents domaines d’apprentissage. Tableau III : Temps d’enseignement d’une langue étrangère dans les écoles professionnelles en Allemagne Métier Durée d’appr . Année d’apprentissage Heures d’enseignement en langue étrangère, intégrées dans les domaines d’apprentissage Agent dans le commerce de gros et le commerce d’importation et d’exportation 3 ans 1 ère année 40 (+ 80 facultatifs) Agent technico-commercial 3 ans 2 e et 3e année 40 (+ 80 facultatifs) Electronicien pour appareils et systèmes 3.5 ans 1 ère , 2 e et 3 e -année 40 Agent dans le commerce de détail 3 ans 1 ère année 40 Dessinateur industriel 3.5 ans 2 e année 3 e et 4 e année 80 120 A titre d’exemple, l’enseignement d’une langue étrangère dans la formation d’un agent dans le commerce de gros et le commerce d’importation et d’exportation comprend 40 heures, intégrées dans le domaine d’apprentissage « Verkaufsgespräche kundenorientiert führen » et ceci seulement en 1 ère année. Pourtant, les länder ont la possibilité d’offrir en supplément 80 heures d’enseignement facultatif (les documents respectifs (ordonnances de formation, plans d’études cadre etc.) sont disponibles sur le site du Bundesinstitut für Berufsbildung [http: / / www.bibb.de]). Quant aux compétences visées, les plans de formation n’indiquent pas de niveau concret, mais définissent ce que l’apprenti devrait être capable de faire. Dans le programme d’études cadre, les exigences sont décrites de la manière suivante : « Anwenden einer Fremdsprache bei Fachaufgaben : -fremdsprachige Fachbegriffe verwenden, fremdsprachige Informationen nutzen, Auskünfte in einer Fremdsprache erteilen ». Les apprentis dans la branche du commerce de l’importation et de l’exportation doivent en outre être capables d’exercer plusieurs travaux en langue étrangère (« in einer Fremdsprache kommunizieren, fremdsprachige Offerten, Gebote und Abschlussbestätigungen erstellen, fremdsprachige Warendokumente bearbeiten, fremdsprachiges Material auswerten »), ainsi que de faire une analyse de cas en langue étrangère dans leur l’examen final (cf. plan d’études cadre pour les agents dans le commerce de gros et le commerce d’importation et d’exportation). Le même nombre d’heures (40 + 80 facultatives) est dispensé dans la formation pour un agent technico-commercial. L’enseignement en langue étrangère a lieu en 2 e et 3 e année et vise la maîtrise de la correspondance commerciale (« Sie beherrschen auch fremdsprachige kaufmännische Korrespondenz »). La formation d’un électronicien pour appareils et systèmes prévoit un enseignement en anglais de 40 heures intégrées dans les domaines d’apprentissage dès la 1 ère année d’apprentissage. Les apprentis devraient apprendre à comprendre des documentations et des documents techniques en anglais, appliquer des termes techniques en anglais pour illustrer des faits, chercher des informations dans des médias germanophones et anglophones, comprendre des informations de produits, et enfin se procurer des informations liées à des <?page no="41"?> 41 commandes en anglais (cf. plan d’études cadre pour électroniciens pour appareils et systèmes [http: / / www.bibb.de]). L’apprenti en formation d’agent dans le commerce de détail reçoit également 40 heures d’enseignement de la langue étrangère, ceci uniquement en 1 ère année. Il doit acquérir des termes techniques et des locutions typiques en langue étrangère et devrait être capable de donner des renseignements simples en langue étrangère (« situationsgerecht einfache Auskünfte in einer fremden Sprache [geben]) » (cf. plan d’études cadre pour les agents dans le commerce de détail [http: / / www.bibb.de]). Comme dernier exemple, nous citerons la formation d’un dessinateur industriel. L’enseignement fait partie du domaine d’apprentissage « Technische Kommunikation », doté de 80 heures en 1 ère année et de 120 en 3 e et 4 e année : « Die Fachsprache Englisch ist der Technischen Kommunikation zugeordnet. Sie soll die Bereitschaft fördern, englischsprachige Unterlagen wie Zeichnungen und Anwenderinformationen zu lesen und gegebenenfalls zu übertragen ». Ceci signifie « allgemeine Ausdrücke der Fachsprache Englisch kennen, übersetzen und aussprechen » (2 e année), « Zeichnungen aus dem englischen Sprachraum interpretieren, übersetzen und bearbeiten ; englischen Texten die wesentlichen Inhalte entnehmen ; einfache Zusammenhänge in der Fachsprache Englisch formulieren » (3 e / 4 e année). En conclusion, le nombre d’heures consacrées à l’enseignement d’une langue étrangère est relativement bas et n’est pas clairement défini puisque l’apprentissage de la langue étrangère fait partie de domaines d’apprentissage spécifiques. Il est évident que pour les apprentis appartenant aux différents métiers de commerce, l’usage oral de la langue étrangère est important alors que les électroniciens ou les dessinateurs industriels doivent surtout être capables de lire et de produire en langue étrangère. 2.3.3. France Comme nous l’avons dit, il a été beaucoup plus difficile de trouver des informations sur les langues enseignées dans les CFA en France. La consultation des sites web de différents CFA dans le but de savoir quelles langues étaient enseignées, pour quel métier et à raison de combien d’heures n’a pas mené au résultat escompté. Toutefois, un collaborateur de l’Académie de Strasbourg nous a informée qu’il existe des référentiels sur les langues vivantes étrangères enseignées selon les différentes voies et niveaux de formation. Les deux niveaux qui nous intéressent - le CAP et le Bac pro - sont réunis dans le même référentiel (Langues vivantes étrangères Baccalauréat professionnel et certificat d’aptitude professionnelle) qui vaut pour tous les types de formation professionnelle, c’est-à-dire scolaire ou par apprentissage. Selon le collaborateur de l’Académie, les CFA ne dispenseraient pas toujours de formation en langues au niveau du CAP mais offriraient des cours facultatifs, habituellement en allemand et en anglais. Nous avons donc compris que l’organisation de l’enseignement des langues étrangères pendant la formation professionnelle est complexe et diffère selon les métiers et les établissements (lycées professionnels et CFA). Selon le référentiel, l’enseignement des langues étrangères est « une composante essentielle de la formation générale et professionnelle » et contribue au « développement de la citoyenneté et à l’enrichissement du rapport aux autres. Indissociables de l’exploration des cultures étrangères, les apprentissages des langues vivantes […] préparent ainsi à la mobilité dans un espace européen et international élargi ». L’objectif principal de l’enseignement des langues étrangères est la dimension interculturelle qui « confère à cet apprentissage une fonction plus large que celle de l’acquisition des moyens linguistiques nécessaires à la communication immédiate dans la vie quotidienne ». L’enseignement des langues étrangères est centré sur l’approche dite « actionnelle », c’est-à-dire sur les activités de communication. Bien que les cinq compétences définies dans le CECR mentionnées soient visées, la priorité est clairement mise sur l’expression orale en continu et l’interaction orale. Puisque ce référentiel est valable pour la voie scolaire et par apprentissage, il ne définit que les grandes lignes et laisse une certaine flexibilité pour l’adapter aux différents modes, <?page no="42"?> 42 rythmes et durées de l’apprentissage. Pourtant, il définit clairement les niveaux à atteindre pour les langues, dont l’enseignement a commencé à l’école élémentaire ou en 6 e année : un apprenti en formation pour le CAP devrait atteindre le niveau A2, un apprenti en Bac pro le niveau B2, que ce soit par voie scolaire ou par apprentissage. Tableau IV : Nombre d’heures dispensées en langue(s) étrangère(s) aux CFA en France Métier Durée d’apprentissage Compétences linguistiques à acquérir Nombre d’heures en moyenne Divers 2 ans (CAP) A2 57 par an Electrotechnique Artisanat et métiers d’art 3 ans (Bac pro) B2 60h par an dans 1 LE Commerce Comptabilité Vente 3 ans (Bac pro) B2 116h par an dans 2 LE Le référentiel propose dans trois volets et pour six langues étrangères (allemand, anglais, arabe, espagnol, italien et portugais) des éléments dont les enseignants devraient tenir compte dans les différentes voies de formation : le premier volet concerne les « contenus linguistiques et culturels » : partant du principe que langue et culture sont deux aspects indissociables, le référentiel propose une liste ouverte de réalités et de faits culturels propres aux mondes germanophone (en l’occurrence, il s’agit presque exclusivement de l’Allemagne) ou anglophone (Royaume-Uni et Etats-Unis), par exemple dans les domaines « vivre et agir au quotidien », « étudier et travailler », « s’informer et comprendre », « se divertir et se cultiver ». Les deux autres volets contiennent des listes de propositions par rapport à la prononciation, la lecture et l’écriture (phonèmes, accentuation, intonation) et par rapport aux outils de la communication (s’adresser à quelqu’un, répondre, décrire, raconter, expliquer, exprimer son point de vue etc.). 2 4 Une possibilité de stage pendant la formation professionnelle initiale : le Certificat Euregio Nous avons vu que le nombre d’heures dispensées en langue étrangère dans les écoles professionnelles et les CFA variait et qu’il était en général plutôt bas. Les autorités de l’éducation suisse par exemple en sont conscientes et réfléchissent à des moyens pour intensifier l’enseignement des langues étrangères pendant l’apprentissage. Une possibilité serait l’encouragement de l’enseignement bilingue tel qu’il est pratiqué dans les écoles professionnelles du canton de Zurich. 50 Une autre possibilité consisterait à organiser des stages pour les apprentis. Il est vrai que les apprentis peuvent acquérir par voie informelle des compétences linguistiques au sein de leur entreprise formatrice, par exemple dans le contact avec les collègues, clients ou fournisseurs étrangers (cf. Lüdi 2010d). Cependant, la voie plus formelle, à travers des échanges/ stages dans la région de la langue cible, leur permettrait de faire une expérience concrète d’ouverture linguistique et culturelle. En Suisse, le Concept général des langues de la CDIP (1998) a proposé d’encourager les échanges linguistiques pour les élèves et les 50 L’enseignement bilingue « dans la langue nationale du lieu où se trouve l’école et dans une autre langue nationale ou en anglais » est favorisé dans l’ordonnance de la formation de gestionnaire du commerce de détail CFC du 8 décembre 2004 et pratiqué dans les écoles professionnelles du canton de Zurich (cf. Brohy/ Gurtner 2011 et Lüdi 2010d). <?page no="43"?> 43 apprentis, et en avril 2011, l’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT) a exprimé la volonté d’encourager les stages d’apprentis en Suisse et à l’étranger avec l’objectif d’améliorer leurs compétences linguistiques en vertu du fait que l’économie suisse deviendrait de plus en plus internationale (cf. l’article dans 20 minutes du 26 avril 2011 « Apprentis bientôt délocalisés à l’étranger ? »). Ces séjours dans une région alloglotte peuvent prendre la forme d’un échange comme dans le cas de l’échange de places d’apprentissage (cf. http: / / www.ch-go.ch/ programme/ piaget) ou celle de stages pendant lesquels les apprentis travaillent dans une entreprise à l’étranger. 51 Souvent, des conditions structurelles différentes rendent difficile la réalisation du stage. Par exemple, un stage pendant la formation duale peut être perçu comme difficilement réalisable parce que les apprentis manquent les cours à l’école professionnelle pendant le temps passé en stage. Pourtant, il y a des moyens de surmonter cet obstacle, comme le montre l’entreprise de technologie Bühler de Saint-Gall : pendant les deux mois où les apprentis travaillent au centre de production en Chine, ils suivent les cours à l’école professionnelle par enseignement à distance. 52 Un programme dans la région du Rhin supérieur qui tient compte de ces conditions est le programme déjà mentionné du Certificat Euregio ou Euregiozertifikat, connu aussi sous les noms de formation (Eu)regio ou formation trinationale. Il a été élaboré à l’initiative d’une entreprise régionale qui forme des apprentis depuis le début des années 1990 ; aujourd’hui, il est géré par la Conférence du Rhin supérieur. Depuis vingt ans, ce programme est censé augmenter la motivation des entreprises et des apprentis à participer à des stages en leur fournissant un cadre légal et symbolique. Ce certificat tient compte des différents types de formation dans la région du Rhin supérieur et s’adresse à deux groupes cibles : principalement à des jeunes en formation, c’est-à-dire des apprentis dans le système dual de même que des élèves dans une école de qualification professionnelle dans la région (« berufsqualifizierende Vollzeitschule »), mais aussi à des formateurs. 53 Selon le programme, chaque apprenti ayant effectué un stage d’au moins quatre semaines dans une entreprise faisant partie de la formation Euregio obtient - à condition d’avoir terminé sa formation avec succès - une confirmation de son séjour sous forme de certificat (les Allemands et les Français obtiennent en supplément une mention dans le « Europass mobilité 54 », les Suisses dans le « Bildungspass 55 »). En général, ces stages ont lieu à partir de la deuxième année d’apprentissage, compte tenu du fait que les apprentis ont besoin de connaissances professionnelles de base pour pouvoir profiter de leur séjour à l’étranger. Ils partent donc pour une durée de quatre à huit semaines dans une entreprise participant au programme de l’autre côté de la frontière. Si possible, les apprentis vont dans deux pays, mais cela dépend du type de formation et aussi de leurs 51 Pour la distinction entre échange et-stage voir chapitre 3.2. 52 Avec la mise en œuvre de cette idée, l’entreprise a gagné le deuxième rang du prix ENTERPRIZE 2010, remis par la fondation Enterprise et l’Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle (IFFP). Cf. Geschäftsbericht 2010 de Bühler. 53 Parmi ce deuxième groupe cible figurent des formateurs, des responsables de formation et des enseignants de lycées professionnels, à condition que le lieu de formation et de travail se trouvent dans le territoire sous mandat de la Conférence du Rhin supérieur. Pour eux, le projet Certificat Euregio- offre des séminaires de formation continue trinationaux ainsi que des mini-stages avec le but d’obtenir des qualifications complémentaires et d’améliorer la qualité des stages transfrontaliers. 54 L’Europass mobilité est un document développé par la Commission européenne et le Cedefop « qui permet de consigner les savoirs et compétences acquis dans un autre pays européen ». 55 Le « Bildungspass » a été créé en 1978 par la Fédération suisse pour la formation continue (FSEA). Son détenteur « kann jede Art von Weiterbildung eintragen lassen, seien dies Kurse, Praktika, oder ehrenamtliche Tätigkeiten. Seit kurzem lässt sich sogar die Mobilität erfassen. Hierzu zählen beispielsweise Auslandaufenthalte, Tagungen oder ausländische Messebesuche », (cf. http: / / www.weiterbildung.ch/ bildungspass-zeigen-was-man-kann). <?page no="44"?> 44 compétences linguistiques. Il y a des entreprises en France où des connaissances du français ‘plus ou moins parfaites’ (Klaus M., formateur) seraient exigées (cela concerne p.ex. les apprentis en formation d’agent technico-commercial), et d’autres où des connaissances même très approximatives suffiraient (c’est le cas pour les apprentis en formation de technicien qui travaillent beaucoup avec des dessins et des machines). Ces stages dans la région se distinguent d’autres stages internationaux par le fait que les distances sont tellement courtes que cela ne vaut pas la peine pour les apprentis de déménager. Si on déduit de ces quatre ou huit semaines deux jours d’école professionnelle chaque semaine que les apprentis sont obligés de suivre, on arrive à une durée de 12 ou de 24 jours de séjour dans l’entreprise à l’étranger. On pourrait argumenter que le taux d’immersion dans la langue et la culture cible est trop faible. Il n’est pas évident de déterminer dans quelle mesure la durée d’un séjour à l’étranger et le développement de compétences linguistiques et interculturelles sont liés. La recherche scientifique ne donne d’ailleurs pas de réponses claires à ce sujet. De plus, la grande majorité des enquêtes ne concerne pas les stages d’apprentis, mais des séjours effectués dans le cadre de la formation scolaire ou universitaire (study abroad programs). L’enquête de Dwyer (2004) sur les programmes d’études à l’étranger confirme l’opinion générale selon laquelle la durée d’un séjour est décisive pour le participant : plus long sera le séjour, plus grand en sera le bénéfice pour le participant. Pourtant, elle montre aussi que même des séjours plus courts (des séjours de semestre de 16 semaines, des cours d’été de six à sept semaines) contribuent au développement interculturel et personnel (Dwyer 2004 : 158). Selon Koller (2010), il faut des contacts interculturels intenses pour développer une conscience interculturelle ; elle évoque à ce propos des séjours à l’étranger d’une durée plus longue (« längere Auslandsaufenthalte », 2010 : 29), sans toutefois préciser cette durée. Chieffo/ Griffiths (2009), qui luttent pour faire accepter de courts séjours dans des universités américaines, relèguent même au second plan la durée d’un séjour en affirmant que les conditions cadre et les objectifs du programme seraient tout aussi si non plus importants (Chieffo/ Griffiths 2009 : 368). Dans le cadre de la présente enquête, nous avons porté notre attention plus sur les objectifs des stages que sur les conditions cadre ; les résultats seront présentés dans le chapitre 5. Bien qu’il y ait des entreprises qui soient très actives dans cette formation Euregio, les chiffres montrent que, même vingt ans après l’établissement de ce projet, le taux de participation reste faible. Selon un collaborateur à la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) Hochrhein-Bodensee, il ne dépasse pas les 5 %. Il explique ce chiffre par le fait que la plupart des entreprises n’accorderaient pas beaucoup d’importance aux langues étrangères : Die Fremdsprachen werden im Berufsleben überschätzt. Natürlich ist es etwas Edles, Fremdsprachen zu beherrschen, aber 80-90 % der täglichen Arbeit für die meisten aller Angestellten läuft in der jeweiligen Landessprache ab. Also auch junge Leute, die zuerst auf Fremdsprachen setzen, und dann auf eine kaufmännische Ausbildung, die zäumen das Pferd von der falschen Seite auf. Unsere Betriebe brauchen Praktiker, die als Zusatzqualifikation gut sind in Fremdsprachen. Damit sammelt man Pluspunkte. […] Für eine Optimierung des Geschäftsverkehrs, für den Erfolg eines Unternehmens ist natürlich eine Fremdsprache enorm wertvoll, ganz klar, also nicht wegzudenken, nur nicht in dem Volumen, wie es manchmal geglaubt wird. Selon les dires de ce collaborateur, les entreprises de vente au détail par exemple ne voudraient pas de formation en langues étrangères parce qu’elles n’en auraient pas besoin. Pourtant, rappelons-nous que l’enseignement des langues étrangères est prévu pour les différentes formations d’agents de commerce en Allemagne (le plan de formation pour l’agent de commerce de détail est aussi valable pour les vendeurs de détail). Par contre, il y a des entreprises intéressées par le projet dans le secteur de l’industrie, même si elles sont peu nombreuses. Ceci peut paraître étonnant car selon les plans de formation en Allemagne, la langue étrangère enseignée pendant les formations techniques est l’anglais et non pas sa langue voisine, le français. <?page no="45"?> 45 Selon le collaborateur de la CCI, seules 10 à 15 entreprises allemandes y participent régulièrement. Dans le cadre d’une enquête, la CCI a demandé aux entreprises quelle importance elles attribuaient aux langues étrangères et combien elles étaient prêtes à dépenser à cet effet. L’enquête a montré que pour presque toutes les entreprises, les langues étrangères étaient très importantes, mais qu’elles ne devraient rien coûter. Or, les stages ne coûtent pas énormément : l’entreprise qui accueille n’a pas de frais supplémentaires parce que les apprentis obtiennent leur salaire de l’entreprise formatrice du pays d’origine. Cependant, l’amélioration des compétences linguistiques n’est pas le seul objectif d’un stage dans le cadre du-Certificat Euregio, comme on peut le lire sur leur page web : « Pourquoi se former dans un pays voisin ? Pour découvrir un nouvel espace culturel, pour acquérir d’autres techniques et découvrir une organisation d’entreprise différente, pour renforcer la maîtrise de [la langue voisine], pour obtenir des compétences professionnelles élargies : un complément de formation à l’étranger suppose ouverture d’esprit, flexibilité, adaptabilité - compétences reconnues par le monde du travail ». (http: / / www. euregio-zertifikat.de) Compte tenu de ces objectifs, le faible taux de participation par les entreprises est d’autant plus surprenant. Pourtant, selon la page web, 20 entreprises ont rejoint le programme en 2010. Pour donner plus de visibilité au-Certificat Euregio-surtout au niveau du grand public, les certificats sont remis lors d’une cérémonie officielle qui a lieu, depuis quelques années, à l’Europapark, un parc d’attractions à Rust/ Bade-Wurtemberg. Entre octobre 2009 et octobre 2010, 265 personnes ont effectué un stage- Euregio : 146 Français (dont 130 sont allés en Allemagne et 16 en Suisse), 82 Allemands (dont 28 sont allés en France et 54 en Suisse), ainsi que 37 Suisses (dont 33 sont allés en Allemagne et 4 en France). Nous entrerons dans les détails plus tard sur les éventuels bénéfices que retirent les apprentis du Certificat Euregio (chapitre 5). Mais nous aimerions quand même citer ici les propos de quelques responsables de la formation, qui montrent que les expériences faites et les compétences acquises pendant un stage peuvent être importantes : pour Mirjam D., une responsable de formation d’une entreprise allemande, par exemple, le bénéfice d’une telle expérience tient au fait qu’une personne est partie à l’étranger, qu’elle a osé quitter son nid et qu’elle a « über den Tellerrand hinaus[geschaut] ». Sebastian R., responsable du Certificat Euregio à la Berufsberatung, Berufs- und Erwachsenenbildung (BBE) de Bâle, cite l’exemple d’un boulanger-pâtissier allemand ayant fait un stage en Suisse et ayant obtenu un poste en France grâce à ses expériences interculturelles documentées dans le Certificat Euregio. On peut affirmer qu’au niveau régional, le Certificat Euregio a la même fonction que le Portfolio Européen des Langues (PEL), à savoir documenter des expériences interculturelles. 56 Avec ces stages, un nouvel acteur entre en jeu : l’entreprise. Ce ne sont pas les autorités scolaires qui ont eu l’idée d’offrir des stages aux apprentis, mais les responsables de formation des entreprises qui à un moment donné ont eu besoin de personnel qualifié et qui ont vu qu’il existait des différences de mentalité et de culture entre trois pays pourtant si proches géographiquement. Les stages sont devenus un complément à l’enseignement scolaire des langues et sont pour ainsi dire à l’intersection entre l’école professionnelle et l’entreprise. Rapprocher l’école (prise dans le sens large, du primaire au secondaire) et les entreprises (en tant que « lieux d’acquisition de savoirs complémentaires ») est aussi une priorité formulée dans le Livre Blanc de la Commission européenne de 1995 où le potentiel de l’apprentissage est mis en avant : C’est une méthode de formation adaptée à tous les niveaux de qualification, et pas seulement aux plus bas. […] L’apprentissage apporte en effet aux jeunes, simultanément, 56 Il est vrai que le PEL met l’accent sur la documentation des compétences linguistiques et interculturelles acquises. Dans le Certificat Euregio par contre, les compétences linguistiques ne sont pas particulièrement mentionnées. <?page no="46"?> 46 les connaissances nécessaires et une expérience de vie et de travail dans l’entreprise. En leur donnant un premier contact avec le monde de la production, il leur donne des atouts considérables pour une entrée réussie sur le marché de l’emploi. La promotion de l’apprentissage au niveau européen sera une valeur ajoutée pour les jeunes comme pour les entreprises. (Commission européenne 1995, 43-44). 2 5 Bilan Les chapitres 1 et 2 nous ont permis de situer la formation professionnelle initiale dans son contexte particulier, à savoir la région du Rhin supérieur. Au niveau de l’économie, c’est une région en plein essor, et plusieurs institutions ont été créées pour poursuivre dans cette lignée de développement. La mobilité transfrontalière est un fait, mais elle est parfois rendue difficile à cause des compétences linguistiques insuffisantes de la population active. Ces compétences linguistiques sont indispensables parce que la région du Rhin supérieur se caractérise aussi et surtout par son trivoire plurilinguisme. Pourtant, les langues présentes dans la région (l’allemand, y inclus les dialectes suisse alémanique et alsacien ; le français et l’anglais, et les langues de la migration) n’ont pas le même statut, et leur emploi dans les trois pays respectifs en général et dans les entreprises en particulier est différent. Bien que les autorités responsables de la formation linguistique dans les trois pays soient confrontées à des contextes nationaux particuliers - ce qui est aussi visible dans des systèmes éducatifs assez différents - elles ont comme préoccupation commune l’encouragement de l’enseignement et de l’apprentissage des langues. Des efforts de maintes années dans ce domaine ont abouti à un principe théoriquement reconnu que chaque élève de la région du Rhin supérieur peut apprendre au moins deux langues étrangères outre sa langue première. Cependant, on note de nettes différences par rapport à la réalisation pratique de ce principe, l’enseignement et l’apprentissage des langues n’étant pas partout considérés comme primordiaux. Au niveau de la formation professionnelle initiale, ce ne sont pas en premier lieu des différences de système qui sautent aux yeux, mais le prestige inégal de la formation duale. Alors que le système dual est prestigieux en Suisse et en Allemagne, il est considéré comme une formation moindre en France. Pourtant, il y a de sérieux efforts qui sont faits en Alsace de la part de Région Alsace pour améliorer le prestige de la formation par apprentissage. En ce qui concerne l’enseignement et l’apprentissage des langues pendant la formation professionnelle, les efforts déployés pour les langues pendant la formation à l’école obligatoire (les lycées inclus) ne semblent pas les mêmes dans les trois pays du Rhin supérieur. Il y a des métiers pour lesquels aucune langue étrangère n’est enseignée. Or, là où l’enseignement des langues fait partie du curriculum, force est de constater que le nombre d’heures dispensées en langue étrangère est relativement bas. Cet enseignement ne suffit pas pour équiper les jeunes avec les compétences linguistiques nécessaires pour une communication professionnelle efficace. Par conséquent, il faut chercher d’autres moyens pour donner aux jeunes la possibilité de ne pas seulement développer des compétences linguistiques, mais aussi d’acquérir une expérience interculturelle et personnelle, indispensable pour une carrière professionnelle réussie dans un monde de plus en plus globalisé. De fait, la mobilité pendant la formation professionnelle devient de plus en plus importante. Le programme Certificat Euregio que nous avons présenté est un exemple d’efforts dans ce domaine. Ce programme constitue le cadre à notre enquête dont l’objectif est double : D’une part, il y a un intérêt pour la politique éducationnelle. Le fait qu’un programme comme le Certificat Euregio soit né de l’initiative d’une entreprise montre que les efforts d’une politique éducative européenne en matière de langues sont effectivement nécessaires pour satisfaire aux besoins du monde de travail. L’analyse des représentations de stages professionnels peut illustrer le bénéfice de projets de mobilité tels qu’ils sont promus par des institutions comme la Commission européenne et le Conseil de l’Europe. D’autre part, nous nous servons pour <?page no="47"?> 47 cette analyse de méthodes utilisées en linguistique appliquée. L’intérêt pour cette dernière ne réside pas seulement dans l’application de ses méthodes, mais aussi et surtout dans le fait que notre analyse des représentations est liée aux domaines de l’acquisition des langues et du plurilinguisme. Nous nous demandons dans quelle mesure un stage peut contribuer à l’acquisition des langues (3.4.) et quel rôle jouent d’autres dimensions dans cette tâche à part la dimension linguistique, notamment la dimension interculturelle (3.3.). Ce chapitre servira aussi à clarifier certaines notions pertinentes pour notre enquête, en l’occurrence les notions d’échanges/ stages (3.2.) et de représentations (3.5.). Avant de passer à ces réflexions plutôt théoriques, nous nous intéressons à l’état de la recherche, d’une part dans le domaine du plurilinguisme au travail (3.1.1.), et, d’autre part, dans le domaine des échanges/ stages (3.1.2.), recherches auxquelles la présente thèse est censée apporter de nouveaux éléments et de nouvelles perspectives. <?page no="48"?> 48 3 . Cadre conceptuel 3 1 Etat de la recherche 3.1.1. Les travaux portant sur le plurilinguisme au travail Notre attention se focalise avant tout sur les recherches menées dans le cadre du plurilinguisme au travail au sein d’entreprises en Suisse et dans la région du Rhin supérieur. Le volume de Sociolinguistica (Truchot éd. 2009) intitulé Choix linguistiques dans les entreprises en Europe par exemple présente des études sur le plurilinguisme dans des entreprises alsaciennes (Bothorel-Witz/ Choremi 2009 et Truchot/ Huck 2009) et suisses (Lüdi/ Barth/ Höchle/ Yanaprasart 2009). Parmi les travaux existants, il faut également mentionner une enquête quantitative de Andres et al. (2005) sur l’emploi des langues en Suisse. Dans cette étude, les auteurs s’interrogent sur le positionnement de l’économie et des employés suisses par rapport à la formation en langues étrangères à l’école, de même que sur le rôle de l’anglais par rapport aux langues nationales, et enfin sur les besoins actuels et futurs des entreprises et des individus. Dans sa thèse, Stalder (2010) enquête sur le terrain d’une multinationale et de deux entreprises suisses, afin de percer les pratiques et les stratégies de communication déployées par les employés lors de réunions professionnelles internationales. Un autre exemple de recherche menée sur le plurilinguisme au travail en Europe est la thèse de Vollstedt (2002), dont le but est d’analyser les problèmes auxquels une entreprise peut être confrontée, problèmes qui émergent de difficultés de communication dues à la langue. L’auteure s’intéresse à la communication interne de l’entreprise ainsi qu’aux difficultés de communication causées par des barrières linguistiques et à leur impact sur l’activité de l’entreprise. Elle analyse les réactions des entreprises à ces difficultés de communication ainsi que des domaines de l’aménagement linguistique à l’aide d’études de cas et présente des possibilités d’intégrer l’aménagement linguistique dans des processus de planification à long terme. Des travaux portant sur les représentations du plurilinguisme dans les entreprises ont été faits par Bothorel-Witz/ Tsamadou-Jacoberger (2012) pour l’Alsace et par Millar/ Cifuentes/ Jensen pour le Danemark (2012). La recherche dans le domaine du plurilinguisme n’intéresse pas seulement les linguistes, mais aussi les économistes, qui tous deux mettent l’accent sur la valeur économique des langues et sur les besoins linguistiques (p.ex. Grin/ Sfreddo 2010). La présente recherche s’inscrit dans le cadre du projet Dylan, dont la question centrale peut se résumer comme suit : est-il possible de créer une société fondée sur la connaissance qui encouragerait la compétitivité économique et la cohésion sociale dans le cadre d’une Union européenne très plurilingue comme aujourd’hui, et si oui, comment? Le projet a analysé la manière dont les acteurs gèrent cette diversité linguistique, ainsi que les conditions sous lesquelles cette diversité linguistique constitue un atout plutôt qu’un obstacle pour les entreprises, les institutions européennes et l’éducation tertiaire. A ces trois champs de recherche-s’ajoutaient des thèmes transversaux, tels que l’efficacité et l’équité, l’émergence de nouvelles langues d’interaction entre locuteurs (par exemple l’anglais comme lingua franca) et la perspective historique du plurilinguisme en Europe. Afin de répondre à ces questions, il a fallu développer un cadre analytique spécifique. Ce cadre contient quatre dimensions-interreliées de multiples façons : les pratiques langagières, plus précisément les pratiques orales et interactionnelles ; les représentations du plurilinguisme et de la diversité linguistique, telles qu’on peut les observer dans le discours et dans l’interaction ; les politiques linguistiques des Etats et des institutions publiques, ainsi que les stratégies linguistiques du secteur privé ; et le contexte linguistique des acteurs. Ce cadre analytique peut être visualisé comme suit (voir Tab. V). L’objectif des groupes de recherche du projet Dylan n’était pas d’analyser ces quatre dimensions séparément, mais au contraire d’en montrer les liens et la manière dont elles s’influencent mutuellement. <?page no="49"?> 49 Tableau V : Cadre analytique du projet Dylan (source : http: / / www.dylan-project.org) Notre étude fait partie des travaux portant sur la dimension des entreprises menés par le groupe de recherche de l’Université de Bâle, et dont les questions de recherche peuvent se formuler comme suit : a) de quelle manière les entreprises gèrent-elles la diversité linguistique (policies and strategies), b) quelles sont les pratiques linguistiques observables dans ces mêmes entreprises (language practices), et (c) quelle est la relation entre ces deux champs? Autrement dit, l’enjeu consistait à mesurer l’impact de la gestion sur les pratiques (top down), mais aussi à évaluer dans quelle mesure des pratiques langagières pouvaient se développer indépendamment des mesures de gestion appliquées (bottom up). 57 Pour trouver des réponses aux questions mentionnées, deux autres dimensions du cadre analytique ont été prises en compte, à savoir celle des représentations et celle du contexte.- C’est à travers les représentations dont on trouve des traces dans le discours des acteurs que l’on cherche à comprendre comment la gestion de la diversité est perçue et vécue. Les représentations et les pratiques et donc la gestion des langues peuvent à leur tour être influencées par le contexte (pour des résultats de recherche voir p.ex. Lüdi 2009b, Lüdi 2010a, Lüdi/ Barth/ Höchle/ Yanaprasart 2009, Lüdi/ Höchle/ Yanaprasart 2010a, 2010b, 2010c, Yanaprasart/ Pfefferli 2008). Le questionnement majeur de la présente étude concerne la dimension des stratégies ou de la gestion des langues. 58 Des mesures de gestion des langues peuvent être prises dans des 57 Les terrains de recherche du module bâlois sont divers et se situent à trois niveaux : des entreprises internationales ayant leur base en Suisse (<Agro A>, <Banque A>, <Pharma A>, <Pharma B>), des succursales suisses d’entreprises internationales basées à l’extérieur (<Service financier A>, <Assurance A>), des entreprises travaillant dans toutes les régions linguistiques de la Suisse (<Service public A>, <Service public B>, <Grand magasin A>) ainsi que des entreprises opérant dans la région métropolitaine de Bâle (<Hôpital A>, <Banque B>, <Fabrique A>). Dans le cadre de la présente thèse, <Fabrique A> représente le terrain principal ; des résultats de recherche sur d’autres terrains cités seront pris en considération afin d’étoffer nos résultats. 58 Ce terme remplace celui de ‘stratégie’ qui peut être compris dans le sens de « stratégies linguistiques formulées et/ ou mises en œuvre par les entreprises » ou dans le sens de « stratégies de communication choisies dans un contexte caractérisé par une polyglossie générale » (Lüdi 2010b : 8). Il faut comprendre par là « l’ensemble des mesures prises par l’entreprise pour intervenir sur les représentations langagières ainsi que sur la construction et la mise en œuvre des répertoires linguistiques de ses membres en communication interne aussi bien qu’externe » (Lüdi 2010b : 8). <?page no="50"?> 50 domaines divers : elles peuvent concerner le paysage sémiotique, la politique d’embauche (avec un accent mis sur les compétences langagières requises), la communication interne (choix de langue dans des réunions et pour des documents écrits etc.), la formation continue des employés en langues étrangères, mais aussi les efforts que les entreprises et les systèmes éducatifs fournissent ensemble dans la formation initiale des apprentis, c’est-à-dire l’organisation d’échanges ou de stages professionnels. C’est cette dernière mesure qui est au centre de cet ouvrage. Pourtant, il n’est pas encore clair ici dans quelle mesure les échanges/ stages sont effectivement perçus par les entreprises comme une mesure de gestion des langues, ou plutôt comme un élément du développement personnel - voire comme les deux. Nous cherchons à trouver des réponses en tenant compte de la dimension des représentations, c’est-à-dire en analysant le discours des acteurs pour comprendre comment les échanges/ stages sont effectivement perçus. Puisque les représentations peuvent être influencées par le contexte, nous tiendrons compte, dans le cadre de notre recherche sur le terrain <Fabrique A>, du contexte géo-politico-linguistique de la région du Rhin supérieur d’une part (chap.-1), et, d’autre part, du contexte éducatif à la fois de la région et de l’Union européenne (chap.-2), dont l’entreprise doit et veut tenir compte pour son rendement économique et dans le souci de former du personnel qualifié. Notre réflexion a commencé avec la présentation d’exemples de recherche sur le plurilinguisme au travail puis nous a menée au monde de l’éducation. C’est précisément à ce croisement entre les recherches sur les langues au travail, les langues dans la formation professionnelle et la formation professionnelle en tant que telle que se situe la présente thèse. Comme nous l’avons vu dans les chapitres portant sur la contextualisation (chap. 1) et sur le contexte éducatif (chap. 2), des échanges/ stages peuvent être un moyen encouragé par les écoles et les entreprises pour tenir compte du contexte plurilingue du monde actuel et des besoins linguistiques et interculturels des citoyens modernes. Mais qu’en est-il du fondement théorique du sujet des échanges/ stages ? Donner une réponse à cette question constitue l’enjeu des prochains paragraphes. 3.1.2. Les recherches dans le domaine des échanges/ stages La formation linguistique, que ce soit dans le système dual ou académique, représente la continuation de ce qui a été fait à l’école, ceci dans le sens du lifelong learning promu par la Commission européenne, dont les échanges/ stages ne sont qu’un élément parmi d’autres. Les échanges/ stages ont été étudiés par différentes disciplines, comme la linguistique, la pédagogie interculturelle ou la psychologie interculturelle. En linguistique, il existe un certain nombre d’ouvrages pédagogiques (Alix/ Kodron 2004 ; Barth 2001 ; Christ 1992 ; Byram 1995 ; Conseil de l’Europe 1993 ; Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) 1999), mais aussi des ouvrages qui traitent des aspects plus spécifiques des échanges/ stages (cf. Fondation ch (2006), Ogay (2000) et Hodel (2005) pour les échanges à l’intérieur de la Suisse ; Colin/ Müller (1996) pour des échanges organisés par l’Office franco-allemand pour la jeunesse). Un ouvrage récent est la thèse de Hodel (2005) dans laquelle l’auteur examine des stages linguistiques obligatoires de quatre semaines en région francophone pour des élèves de 4 e -année (soit 2 ans avant la maturité) de l’école cantonale du canton d’Obwald en Suisse centrale. 59 Dans le cadre de cette expérience, les élèves habitent dans des familles d’accueil et font leur stage en entreprise, à la ferme ou dans une institution sociale. Le but de ces stages n’est pas seulement l’amélioration des compétences linguistiques, mais aussi le renforcement du lien avec la langue et la culture française dans ce canton situé loin de la frontière avec des régions francophones et où le français est peu présent dans la vie culturelle et les médias (cf. Hodel 2005 : 13). Dans son étude, Hodel se pose la question de savoir ce que le stage lin- 59 Le recueil de données se base sur des approches quantitative (modèles classiques) et qualitative (ethnométhodologie) et se compose de questionnaires (stagiaires et directeurs de stages), d’enregistrements d’interactions (stagiaires, directeurs de stages), ainsi que de tests de la compréhension et production orale, de journaux linguistiques, de courts entretiens et d’essais des stagiaires. <?page no="51"?> 51 guistique signifie pour les apprenants, quel peut en être le bénéfice (linguistique, personnel et social) et de quels facteurs ce bénéfice dépend (cf. Hodel 2005 : 253s.). Hodel s’inspire des théories de l’acquisition des langues courantes, notamment du courant interactionniste. Il distingue, en se référant au Cadre Européen commun de référence (CECR) (Conseil de l’Europe 2001), sept compétences pertinentes dans le stage (compétence psycho-sociale, socioculturelle, sociolinguistique, linguistique, pragmatique, stratégique et compétence d’apprentissage) (cf. Hodel 2005 : 119s.). Un des résultats de la recherche de Hodel est le constat que la compétence psycho-sociale dans un stage (c’est-à-dire la disposition à la communication, l’ouverture et la curiosité, la confiance en soi) est encore plus importante que la compétence linguistique ; de plus, sa recherche a montré une amélioration significative des compétences linguistiques des élèves, surtout en ce qui concerne la communication orale (cf. Hodel 2005 : 253s.). En 2006, la Fondation ch pour la collaboration confédérale publie les résultats d’une enquête par questionnaire auprès de 2000 élèves et 100 enseignants suisses sur des échanges scolaires à l’intérieur du pays. L’analyse des données révèle que cinq facteurs -- qui ne se limitent pas au niveau essentiellement linguistique --sont pertinents pour les acteurs des échanges : la compréhension globale (c’est-à-dire la gestion de la langue étrangère dans le cadre de l’échange et l’expérience qu’on peut communiquer même avec des moyens linguistiques limités) est le facteur le plus important pour les acteurs. Les autres facteurs mentionnés par les questionnés concernent le contact avec les gens dans la région d’accueil (voir que ceux-ci sont compréhensifs et vont vers les jeunes), la compétence interculturelle (connaître des gens d’une autre région linguistique et voir qu’il vaut mieux rencontrer les gens et communiquer avec eux que rester attaché à ses idées préfabriquées), la prise de conscience que l’échange est une excellente manière d’entrer en contact avec d’autres jeunes, et finalement le rapport à la langue du partenaire, à savoir une motivation à l’apprendre. Parmi les ouvrages qui se situent au croisement entre les domaines scolaire et professionnel, on peut citer Gyr (1992), qui analyse la pratique et les problèmes de volontariats de jeunes filles suisses alémaniques en Suisse romande en mettant l’accent sur leur motivation, leurs représentations, leurs attentes et leurs expériences mais aussi le bénéfice linguistique qu’elles tirent de cette aventure. On peut également mentionner l’étude de Lüdi/ Pekarek/ Saudan (2001) qui traite du développement des compétences discursives à travers l’interaction dans l’apprentissage d’une L2 à l’intérieur et à l’extérieur de l’école (niveaux secondaire- I, écoles professionnelles, secondaire II et mobilité estudiantine). De son côté, Saudan (2003) analyse la « construction et la mise en œuvre des savoir-faire discursifs/ interactionnels en français langue seconde » (Saudan-2003 : 118), d’une part dans l’enseignement aux écoles du secondaire I et aux écoles professionnelles commerciales en Suisse alémanique, et d’autre part dans le cadre de stages professionnels en région francophone. Dans sa recherche auprès d’élèves, enseignants et apprentis suisses alémaniques 60 , Saudan examine « l’articulation entre apprentissage en milieu scolaire et en milieu extrascolaire » et fait l’hypothèse « que les contextes de communication et d’apprentissage en classe et pendant un échange sont complémentaires » (Saudan 2003 : 44). Saudan montre les insuffisances et les faiblesses de l’approche communicative 61 , pourtant recommandée dans l’enseignement des langues étrangères en Suisse depuis 1975, mais dépassée dans le contexte des nouveaux enjeux socio-économiques liés à la mondialisation. Il propose-une pédagogie des échanges qui soit mieux intégrée dans le système éducatif, par exemple par la « création de-fonctions spécifiques dans les institutions et le développement de curricula et de plans d’études intégrant des phases scolaires et extrascolaires d’apprentissage » (Saudan 2003 : 235). 60 Pour le recueil des données, Saudan a utilisé tout un ensemble de méthodes comme l’enquête par questionnaire, l’entretien semi-directif, l’observation participante, les enregistrements audio et vidéo avec protocole d’enquête, la transcription et la micro-analyse d’interactions ainsi que des journaux de bord. 61 Nous reviendrons à cette notion dans le chapitre 3.4. <?page no="52"?> 52 En effet, Saudan démontre la complémentarité des contextes de communication et d’apprentissage scolaires et extrascolaires, dans la mesure où les deux ont pour objectif l’appropriation d’une compétence de communication. Il constate qu’il n’y a pas de formes de communication et d’apprentissage typiques pour l’un ou l’autre contexte, mais qu’elles sont employées dans les deux, selon des « modalités discursives différentes » (Saudan 2003 : 189) et plus fréquentes dans l’un ou l’autre. Parmi les facteurs qui déterminent la fréquence, on peut citer par exemple le nombre d’interactants (dialogue, interactions polyadiques), les symétries et asymétries relationnelles, le degré de contingence (être plus ou moins obligé de communiquer en langue étrangère) et l’exploitation des ressources disponibles (par exemple la mise en œuvre de tous les moyens langagiers et communicatifs pour accomplir une tâche professionnelle pendant un échange). La recherche de Saudan doit donc « être située dans le courant constructiviste et interactionniste où le contexte est traité comme un espace coconstruit dans les échanges » (Piotrowski- 2003 : 164). Saudan arrive à la conclusion que la classe de langue peut jouer un rôle central « dans la construction de certaines capacités discursives-et interactionnelles des élèves », mais que les échanges ont des potentiels acquisitionnels importants dans la mesure où « les expériences pendant un échange confrontent les apprenants à des tâches cognitivo-discursives riches et cela dans des contextes variés » (Saudan 2003 : 251-252). Pour que les échanges puissent développer leur potentiel acquisitionnel, certaines conditions devraient être remplies, à savoir des « connaissances linguistiques de base en L2 chez les apprentis », une « bonne préparation de l’apprenti » (plutôt par rapport à des savoir-faire que par rapport à des savoirs), « la définition d’un contrat explicite entre tous les participants par rapport aux objectifs, besoins et attentes réciproques », « des contextes d’interaction adaptés aux besoins et aux possibilités des apprentis », « une articulation systématisée entre l’échange et l’enseignement scolaire habituel » et la « sensibilisation des enseignants et des responsables de formation aux enjeux discursifs et interactionnels dans l’acquisition d’une L2 » (Saudan 2003 : 252-253). Des recherches dans les disciplines de l’économie, de la pédagogie et de la psychologie interculturelles abordent la question des stages dans le cadre de la formation professionnelle par un autre biais. Busse/ Fahle (1998) proposent une étude de l’impact à long terme des stages à l’étranger pour des jeunes en formation et des jeunes professionnels sous l’aspect de la formation professionnelle et de la politique du marché du travail. La WSF Wirtschaftset Sozialforschung (2007a et b) a analysé de manière quantitative l’impact de programmes réalisés dans le cadre de Leonardo da Vinci sur des jeunes professionnels et des jeunes en formation par rapport au développement des compétences professionnelles, personnelles et socioculturelles et en tenant compte de l’arrière-fond socio-économique. Dans son ouvrage, Kristensen (2004) donne une vue d’ensemble sur différents programmes de séjour à l’étranger pendant la formation professionnelle initiale en Europe et montre que des stages en entreprise peuvent être un puissant outil didactique. Il identifie et décrit les aspects pédagogiques du stage dans ses différentes étapes (avant, pendant et après) et donne des exemples de ‘good practice’. L’ouvrage de Heimann (2010) dépasse le descriptif et aborde la thématique du développement d’une compétence interculturelle pendant des stages en entreprise à l’étranger. La recherche 62 se situe d’une part dans les disciplines de la pédagogie et psychologie interculturelles, mais aussi dans celle de la didactique de la formation professionnelle. Après une analyse de la littérature scientifique sur l’apprentissage interculturel, Heimann présente les résultats de son enquête auprès de neuf entreprises engagées dans les secteurs de la formation, de l’aviation, du transport et la logistique, de la construction automobile et de l’économie. Heimann constate que les responsables dans les entreprises priorisent différemment les objectifs des stages, ce qui serait perceptible dans la manière dont les stages sont préparés, accompagnés et suivis (Heimann 2010 : 245). Par ailleurs, les entreprises poursuivraient 62 Le recueil des données se compose d’entretiens d’experts, de l’analyse de documents écrits ainsi que de l’observation non participante (enregistrement de la présentation de fin de stage). <?page no="53"?> 53 des buts organisationnels (stage comme bénéfice pour l’entreprise) et individuels (potentiel d’acquisition et de développement des stagiaires) qui ne seraient pas toujours compatibles. Partant d’une didactique générale et d’une approche constructiviste, Heimann propose des bases pour la réalisation didactique de stages à l’étranger qui impliqueraient a)-une réflexion continue des organisateurs et responsables de la formation sur les objectifs et pratiques des stages en incluant les stagiaires, b) la promotion de la compétence interculturelle pendant toute la formation, c) l’accompagnement des stagiaires par les responsables de la formation qui doivent leur enseigner la compétence d’apprentissage et d) la rédaction de journaux d’apprentissage ou de portfolios par les stagiaires pour documenter leur processus d’apprentissage. Finalement, nous constatons que les ouvrages sur les stages d’étudiants sont beaucoup plus nombreux que sur les stages d’apprentis. Stadler (1994) a fait une enquête auprès d’étudiants américains et a proposé un modèle didactique pour l’apprentissage global et interculturel dans le cadre de stages à l’étranger. Bien qu’il se situe au niveau d’étudiants voire d’adultes, l’ouvrage plus récent de Jackson (2008) nous semble particulièrement intéressant pour notre perspective parce que l’auteure met l’accent sur des programmes d’échanges dont le but est le développement de compétences linguistiques et interculturelles. Elle s’intéresse particulièrement au développement d’identités bi-/ multilingues et bi-/ multiculturelles à travers le temps et l’espace et s’interroge sur ce qui se passe quand des étudiants se trouvent dans un pays inconnu : quel peut être l’impact du séjour à l’étranger sur leur identité et leurs perceptions de la langue et culture d’accueil ; quels facteurs ont une influence sur leur disposition de communiquer en langue seconde ; et enfin, dans quelle mesure les stagiaires peuvent-ils être mieux soutenus pendant leur séjour? 63 Avec sa recherche, Jackson a démoli le mythe selon lequel des apprenants profiteraient automatiquement d’un séjour à l’étranger rien qu’en étant exposés à une langue et à une culture étrangères. Elle plaide pour une planification et une mise en œuvre soigneuses des séjours et postule que toutes les phases méritent d’être considérées attentivement : le pré-séjour, le séjour en tant que tel et le postséjour (cf. Jackson 2008 : 240s.). Jackson cite toute une série de recherches ayant été faites dans le domaine de l’acquisition d’une langue seconde et en psychologie interculturelle. Pour la linguistique, on peut citer Freed (1995), qui montre à l’exemple d’étudiants américains que ceux qui sont partis à l’étranger sont plus « fluent » dans la langue seconde que les collègues restés chez eux ; Parker/ Rouxeville (1995) et Coleman (1997), qui, à travers une enquête menée auprès de plusieurs étudiants européens aboutissent à la conclusion que la préparation, l’accompagnement et l’évaluation des stages sont chacune à leur manière des étapes indispensables ; ou Murphy-Lejeune (2002), qui a montré comment l’expérience de la mobilité peut changer les concepts « space » et « home » dans la perception des étudiants dans l’environnement inconnu. En psychologie interculturelle, les recherches se sont concentrées sur les conséquences des études à l’étranger aux niveaux affectif, comportemental et cognitif (p.ex. Ward/ Bochner/ Furnham 2001), sur l’influence de l’interaction sociale et de la réception par les hôtes, sur l’identité et l’adaptation des stagiaires (p.ex. Kashima/ Loh 2006), sur le développement d’une compétence et d’une personnalité interculturelles (p.ex. Kim 2006), ou sur la durée des séjours (Dwyer 2004). Cependant, Jackson constate que la plupart de ces recherches sont des enquêtes statistiques ou des états des lieux de grande envergure, sans qu’elles tiennent vraiment compte du contexte social, historique et politique de la situation d’apprentissage ou des expériences, perceptions et transformations effectives des stagiaires. L’objectif de ce survol de l’état de recherche n’est pas d’être exhaustive, mais de montrer dans quels domaines et sur quels aspects de la mobilité les enquêtes ont été faites. Nous constatons que la recherche sur les échanges/ stages extrascolaires prête surtout attention à 63 Jackson répond à ces questions en faisant des entretiens avant, pendant et après le séjour avec des étudiantes chinoises qui apprennent l’anglais et partent en Angleterre pour quelques mois dans le cadre d’un programme d’échange spécifique. <?page no="54"?> 54 la mobilité d’étudiants et que les enquêtes sur la mobilité des apprentis sont très clairsemées. De manière générale, on peut dire que la recherche en matière d’échanges/ stages se limite à des études ponctuelles qui sont encore loin de refléter une recherche systématique. Ceci est d’autant plus étonnant que les échanges/ stages sont encouragés au niveau politique depuis des années (voir les différents programmes d’échanges/ stages de la Commission européenne, la mention de la mobilité dans le Livre blanc de cette dernière de 1995, les différentes recommandations de la CDIP et le Concept général des langues en Suisse, cf. chapitre-2). A travers cette thèse, nous essayons de faire un pas en avant en proposant des pistes de réflexion pour combler cette lacune. Notre objectif est de montrer de manière approfondie à partir de l’exemple concret des stages organisés par l’entreprise <Fabrique A> dans quelle mesure les différentes dimensions de la mobilité professionnelle peuvent être vécues pendant un stage et dans quelle mesure elles sont liées. Ce chapitre n’a pas seulement montré dans quels domaines les enquêtes sur la mobilité ont été menées, mais aussi qu’il y a toute une série de termes utilisés pour désigner un séjour à l’étranger, comme par exemple échanges, stages, mobilité professionnelle etc. Il nous semble donc nécessaire de considérer de plus près ces notions et de nous attarder sur la définition du terme de mobilité tel qu’il est entendu dans le cadre de la présente recherche. 3 2 Echanges/ stages et mobilité professionnelle Jusqu’à présent, nous avons toujours utilisé les termes d’échanges et de stages, auxquels nous ajoutons maintenant celui de mobilité professionnelle. Effectivement, il règne un certain flou lorsqu’il s’agit d’évoquer les séjours à l’étranger. Pour clarifier cette situation, nous aimerions dans les pages qui suivent réfléchir à ces différentes notions. La mobilité est définie comme « le caractère de ce qui peut se mouvoir, changer de place, de position » (Le Petit Robert). Elle peut prendre des formes différentes : mobilité sociale (changement de statut social des individus), spatiale (mobilité virtuelle, mobilité physique de personnes et de biens), internationale (expatriation ou impatriation, recouvrant tout ce qui est lié à l’envoi de salariés à l’étranger) ou professionnelle. Les raisons de la mobilité peuvent être diverses : familiale, économique, politique, éducative, professionnelle etc. Les distances sont différentes aussi : on peut bouger dans un espace géographique plutôt étroit ou plutôt large (cf. nos apprentis qui bougent à l’intérieur de la région du Rhin supérieur, mais partent aussi dans des pays européens plus lointains ou encore dans des pays de l’autre côté des océans). De même, la ‘phase mobile’ peut varier entre une durée de quelques jours et de plusieurs mois voire plusieurs années (dans notre contexte, il s’agit de séjours qui durent entre 6 semaines et 12 mois). Les acteurs de la mobilité peuvent être amenés à être mobiles de manière imposée ou requise par eux-mêmes, improvisée ou planifiée. Les formes actuelles de mobilité sont tellement nombreuses qu’on peut même parler de « mobilités » au pluriel (Gohard-Radenkovic/ Murphy-Lejeune 2008 : 128) en définissant le terme de mobilités comme « recouvr[ant] toutes les formes et situations possibles de déplacements » (Gohard- Radenkovic/ Rachedi 2009 : 5) dans l’espace et dans le temps. Les acteurs de la mobilité sont d’une part ceux qui se déplacent, donc des élèves, des étudiants, des stagiaires, des enseignants, des formateurs, des chercheurs, des cadres, des expatriés, des immigrés etc., et d’autre part aussi ceux « qui sont sollicités par les individus ou groupes en situation de mobilité » comme par exemple des enseignants, interprètes, formateurs ou d’autres co-acteurs dans le domaine des langues (Gohard-Radenkovic/ Murphy-Lejeune 2008 : 129). Toute personne mobile est confrontée à de nouvelles situations et de nouvelles expériences. Si on veut mettre en évidence les enjeux qui accompagnent les mobilités, il faut tenir compte des « expériences antérieures et [d]es ressources acquises, [du] ‘capital de mobilité’ qui se constitue (Murphy-Lejeune 2003), [d]es stratégies mises en œuvre pour s’adapter, [d]es modifications personnelles des représentations, valeurs et comportements vis-à-vis de l’autre et de soi » (Gohard-Radenkovic/ Murphy-Lejeune 2008 : 129). <?page no="55"?> 55 Le déplacement dans un autre environnement linguistique et culturel permet à l’acteur social d’apprendre de nouvelles choses : apprendre une autre langue ou une autre manière de s’exprimer, connaître une autre manière de vivre, de travailler etc. Dans le contexte d’échanges/ stages, qu’ils soient scolaires ou professionnels, il s’agit en règle générale de la transmission, de l’acquisition et de la mise en place de savoirs et compétences scolaires ou professionnelles particulières. 64 A l’intérieur de la mobilité scolaire ou professionnelle, il existe aussi une mobilité intellectuelle : partir pour découvrir, pour apprendre, pour s’améliorer, pour devenir plus compétent, plus performant, plus compétitif, plus efficace ou simplement plus heureux, plus satisfait de sa propre vie. 65 Dans le contexte de la présente recherche, nous nous intéressons particulièrement à la dimension formative de la mobilité professionnelle, à savoir une mobilité qui a lieu pendant la formation (raison éducative) ou après la formation (au début de la carrière professionnelle). Cette mobilité peut être aussi bien déterminée et conditionnée par l’entreprise dans le but d’exploiter d’une manière flexible sa main d’œuvre que recherchée par la personne mobile elle-même dans l’objectif d’aller ‘voir ailleurs’. La recherche sur le terrain de <Fabrique A> dans le cadre de la présente thèse, mais aussi sur d’autres terrains dans le cadre du module bâlois du projet Dylan (<Banque B>, <Service public A>, <Service public B>) a montré qu’on peut distinguer deux types de mobilité professionnelle : le séjour pendant la formation, destiné à des apprentis et à des étudiants (<Fabrique A>, <Banque B>), et celui après la formation, réservé à des jeunes professionnels ou des employés expérimentés (<Service public A>, <Service public B>). Nous parlerons de stages dans le premier cas parce que ces séjours sont comparables à des changements de section ou à des stages professionnels faisant partie de la formation générale, et d’échanges dans le deuxième cas parce que la pratique d’échanger sa place de travail avec un collègue est fréquente. En effet, il y a une dimension de réciprocité qui est inhérente au terme d’échange chez <Service public B>, puisque l’employé ne peut pas partir en Suisse romande si la collègue romande ne se rend pas en Suisse alémanique. Le terme d’échange est surtout utilisé dans le domaine scolaire où il désigne la mobilité spatiale (rencontres mutuelles) ou virtuelle (lettres, courriels) de classes entières, de groupes d’élèves ou d’élèves individuels, et ceci dans le but souvent d’améliorer les compétences linguistiques. Dans le domaine de la formation professionnelle initiale, des échanges dans le sens de rencontres mutuelles sont plutôt difficiles à réaliser à cause des différents systèmes de formation professionnelle des pays respectifs (et en Suisse même au niveau des cantons). Puisque la réciprocité manque dans le cas de <Fabrique A> et que d’autres objectifs que la langue sont souvent aussi pertinents que celle-ci, nous préférons parler de stages. Pourtant, nous continuerons à utiliser simultanément les deux termes d’échange/ stage là où il s’agira d’évoquer le format du séjour en général. La notion d’apprentissage est une notion centrale du stage. Selon Zumbihl (2005), le stage doit être conçu et vécu comme une expérience d’apprentissage. Même si l’objectif d’un stage peut être l’acquisition de nouveaux savoirs professionnels, l’expérience individuelle du stagiaire demeure essentielle voire plus importante encore. Dans ce processus d’apprentissage expérientiel, l’acteur de la mobilité se construit personnellement de manière à trouver un équilibre entre ce qu’il sait déjà et ce qu’il aura acquis. C’est une occasion de prendre de la distance vis-à-vis de ses propres références, valeurs et comportements. Toutefois, le stage ne peut pas seulement amener à des réflexions, mais aussi à des changements. Selon Murphy- Lejeune, « la mobilité signifie avant tout nouveauté, donc adaptations et transformations » (2004 : 8). Les étudiants - et bien sûr aussi les apprentis - seraient des stagiaires idéals parce 64 Dans ce qui suit, nous reprenons en partie des réflexions qui sont publiées dans un article d’un numéro spécial du Bulletin suisse de linguistique appliquée (Höchle/ Yanaprasart 2012). 65 La dimension intellectuelle de la mobilité est aussi étudiée dans le domaine des sciences sociales, p.ex. dans les ouvrages de Cresswell (2006) et Urry (2007). Pour une introduction plus générale, voir Söderström et al. (2013). <?page no="56"?> 56 qu’ils auraient encore une certaine flexibilité qui leur permettrait une intégration aisée, rapide et complète : « Le voyage étant entrepris à un moment-clé de leur formation et de leur socialisation, où prennent forme attitudes et aspirations, le potentiel d’apprentissage est considérable » (Murphy-Lejeune 2003 : 13). Ces jeunes acteurs de la mobilité - apprentis et étudiants - qui, pendant leur séjour dans une autre région linguistique, font des expériences diverses, sont au cœur de notre enquête. Les raisons pour lesquelles ces jeunes font un stage seront traitées dans le chapitre 5. Si nous considérons que la mobilité professionnelle est un élément central de notre monde globalisé --un monde qui rassemble des personnes de langues et cultures différentes amenées à vivre et travailler ensemble --alors les acteurs de la mobilité doivent précisément faire l’apprentissage de cette diversité à travers leur stage. Par conséquent, nous pouvons affirmer que la dimension interculturelle constitue une dimension essentielle du stage. C’est ce point que nous allons aborder en détail dans le chapitre suivant. 3 3 La dimension interculturelle dans la mobilité professionnelle Le chapitre sur l’état de la recherche a mis l’accent sur le fait que la dimension interculturelle est une dimension importante non seulement dans la mobilité professionnelle, mais dans la mobilité en général. Comme nous allons le voir dans le chapitre consacré aux résultats (chap.-5.), la dimension interculturelle englobe aussi des représentations sociales récurrentes sur le terrain. Dans ce contexte, nous nous posons les questions suivantes : - Quelle est la part de la dimension interculturelle dans la mobilité ? - Quels sont les liens entre la dimension linguistique et la dimension interculturelle dans le cadre d’un échange/ stage ? - Dans quelle mesure la dimension interculturelle est-elle liée à des questions de stéréotypes et de représentations sociales ? Pour répondre à ces questions, il nous semble indispensable de réfléchir d’abord sur la notion d’interculturel-qui implique une relation ou un échange (inter-) entre deux ou plusieurs cultures. Cependant, les cultures modernes ne correspondent plus à des entités closes et homogènes où frontière nationale et langue correspondent, comme l’a par exemple constaté Herder dans ses « Ideen zur Philosophie der Geschichte der Menschheit » parues entre 1784-1791 où il a défini les cultures comme des « boules » ou des « îles ». La réification des cultures comme « la culture française » ou « la culture asiatique » ne tient plus : les cultures modernes se caractérisent par une diversité de modes de vie qui transgressent les frontières nationales et linguistiques. Des mouvements migratoires, de nouvelles voies de communication et des contacts économiques mènent à une imbrication de cultures. La culture peut être vue comme « multiforme et diverse de par son éventail de valeurs, croyances, pratiques et traditions […] et dès lors négociable et relevant de choix personnels » (Conseil de l’Europe, 2009 : 8). On peut donc considérer la culture comme un « processus dynamique via lequel les représentations et les frontières des groupes ou des communautés sont renégociées et redéfinies, en fonction des besoins du moment » (Conseil de l’Europe 2009 : 9). L’imbrication des cultures signifie aussi que les individus développent des identités multiples en appartenant simultanément à des groupes sociaux différents (groupe national, ethnique, linguistique, religieux, d’appartenance sexuelle etc.) (Conseil de l’Europe 2009 : 8). Bouger à l’intérieur de et entre ces groupes signifie pour les individus être confrontés à des valeurs, des croyances, des manières de faire etc. diverses. Il se créent ainsi des « in-between spaces » ou « third spaces » entre les cultures (cf. Bhabha 1994), où peuvent se manifester une forte créativité cognitive et différentes formes d’usage des langues dans une entreprise (cf. Lüdi et al. 2013). Cette diversité culturelle est devenue une réalité dans de nombreuses entreprises. Gérer cette diversité et travailler de manière efficace demande de la part des collaborateurs des <?page no="57"?> 57 compétences particulières qu’on désigne par le terme de compétence interculturelle. Elle est devenue une compétence-clé pour les individus, pas seulement dans leur vie privée, mais surtout dans leur vie professionnelle, et devrait, selon Byram (1997), Jordan/ Roberts (2000) « facilite[r] le travail d’adaptation en contexte de mobilité » (Dervin 2004). 66 L’entreprise qui est au centre de notre recherche est certes une entreprise nationale et régionale, mais elle entretient aussi des contacts avec des clients, fournisseurs, vendeurs, producteurs etc. à l’étranger. La compétence interculturelle représente ainsi « une valeur cruciale pour les individus et les entreprises pour surmonter les défis provenant de différences culturelles » (Lee/ Laurent 2005 : 14). 67 Dans la littérature managériale, la notion de compétence interculturelle a largement été étudiée, et souvent associée au concept de l’expatriation. Pour les entreprises, employer des personnes « culturellement compétent[e]s » qui peuvent facilement gérer des contacts interculturels leur permet de « réaliser des bénéfices supplémentaires ». Selon Lee/ Laurent, la compétence interculturelle peut être définie comme l’ensemble des connaissances, habiletés, capacités et compréhensions qui permettent à une personne qui possède ces qualités de comprendre les comportements, les valeurs, et les approches de vie de personnes différentes, et d’agir ainsi de manière acceptable par d’autres pour faciliter la communication et la collaboration.-(Lee/ Laurent 2005 : 14) La compétence interculturelle-comprendrait deux dimensions : premièrement, des connaissances culturelles profondes seraient indispensables ; deuxièmement, un rôle particulier incomberait à l’individu comme porteur de cette compétence (Lee/ Laurent 2005 : 15). Plusieurs auteurs ont montré que la compréhension de ce second point ne va pas de soi. Déjà Ladmiral/ Lipiansky dans une étude de 1989 soulignent que le terme d’interculturel est ambigu 68 et qu’il faut « moins le comprendre comme le contact entre deux objets indépendants (deux cultures en contact) qu’en tant qu’interaction où ces objets se constituent tout autant qu’ils communiquent » (Ladmiral/ Lipiansky 1989 : 10). Bien qu’ils parlent d’interaction d’objets, ils soulignent aussi que ce ne sont pas les cultures qui interagissent, mais bien entendu les membres de ces cultures. On parle alors de communication interculturelle, notion par laquelle il faut entendre « les relations qui s’établissent entre personnes ou groupes appartenant à des cultures différentes » (Ladmiral/ Lipiansky 1989 : 11). En effet, quelle que soit la raison pour laquelle on part à l’étranger (échange ou stage professionnel, tourisme) et quels que soient les objectifs (acquérir du savoir, découvrir de l’art ou des paysages…), « cela entraîne aussi le contact avec des modes de vie, des manières de penser et de se sentir incarnés dans des groupes et des individus concrets » (Ladmiral/ Lipiansky 1989 : 11). La communication interculturelle est un élément essentiel de la compétence interculturelle. Earley/ Ang (2003), dont le travail résume des recherches sur l’interaction interculturelle, proposent trois facettes de la compétence interculturelle-liées à des questions de cognition, de motivation et de comportement. Lee/ Laurent résument ces trois points comme suit : 66 Voir Earley (1987), Schneider/ Barsoux (2003) et Lainé (2004) sur l’importance de la compétence interculturelle pour des cadres expatriés, des dirigeants internationaux ou pour les responsables de gestion d’équipes multiculturelles. 67 La publication du Centre européen pour les langues vivantes à Graz (CELV) « Compétence interculturelle pour le développement de la mobilité professionnelle (ICOPROMO) » propose à des formateurs d’étudiants ainsi qu’à des cadres et des employés un modèle théorique et des activités de formation pour développer la compétence interculturelle (CELV 2007). 68 Welsch (1995) rejette même le terme d’interculturalité : selon lui, cette notion ne ferait que compléter la vision traditionnelle des cultures et réagirait au fait que « die Kugelverfassung der Kulturen notwendig zu interkulturellen Konflikten führt ». Il propose de parler de transculturalité parce que ce concept rendrait mieux compte de l’estompement des frontières, de l’imbrication et des points communs des cultures. <?page no="58"?> 58 Autrement dit, pour être interculturellement compétent, une personne doit développer une cognition plus sophistiquée qui l’aidera à comprendre des sens particuliers dans d’autres cultures, elle doit rester motiver pour les interactions interculturelles, et elle doit aussi savoir comment se comporter dans des situations concrètes. (Lee/ Laurent 2005 : 15) On retrouve ces facettes de manière légèrement différente dans les modèles de Gertsen (1992) et Iles (1995), repris par Rakotomena (2005) dont nous résumons ici les propos : selon ces modèles, la compétence interculturelle aurait une dimension communicative (langue, mimiques, gestes) et comportementale (des savoir-être tels que le respect, la flexibilité et l’écoute), une dimension cognitive (les connaissances sur la notion de culture), et une dimension affective (la sensibilité et la compréhension par rapport à l’autre). Dans la recherche scientifique (p.ex. Lee/ Laurent 2005 : 13), mais aussi dans la littérature pédagogique (p.ex. Conseil de l’Europe 2009 : 24ss.), on trouve toute une série de compétences requises pour être interculturellement compétent. Le fondement de la compétence interculturelle résiderait dans « les attitudes de la personne interagissant avec des personnes d’une autre culture » (Conseil de l’Europe 2009 : 24). Voici quelques exemples de compétences requises telles qu’elles sont formulées dans l’Autobiographie de rencontres interculturelles du Conseil de l’Europe (2009). - le « respect de l’altérité » qui s’exprimerait dans « la curiosité et l’ouverture d’esprit, la volonté de relativiser (la « justesse naturelle » de) sa propre culture et de croire en (la « justesse naturelle ») d’autres cultures » (Conseil de l’Europe 2009 : 24) - la « tolérance à l’égard de l’ambiguïté » qui signifierait d’accepter qu’il y ait des « différences de comportements, de normes et d’opinions des membres d’autres cultures », donc d’accepter l’ambiguïté, et de « s’en accommoder de manière constructive » (Conseil de l’Europe 2009 : 25) - l’« empathie », c’est-à-dire la « capacité de se projeter dans la perspective d’autrui et de s’identifier à ses opinions, motivations, modes de pensée et sentiments » (Conseil de l’Europe 2009 : 25) - une « conscience communicative », c’est-à-dire la « capacité de reconnaître des conventions linguistiques différentes, des conventions de communication - verbale ou non verbale - différentes, notamment dans une langue étrangère, et leurs effets sur les processus du discours, et de négocier les règles adaptées à la communication interculturelle » (Conseil de l’Europe 2009 : 26) Pour résumer, nous pouvons définir la compétence interculturelle comme « un ensemble de capacités requises pour une interaction réussie avec une ou un groupe de personnes de culture différente » (Rakotomena 2005 : 681/ 682) ou encore comme « Fähigkeit und Fertigkeit von Fremdsprachenlernern […] über Differenzen-zwischen der eigenen und der Zielkultur zu wissen, diese in konkreten Situationen zu erkennen und Strategien zu entwickeln, einfühlsam auf die Gepflogenheiten der anderen Kultur einzugehen » (Volkmann 2002 : 12). La notion de différence est une notion récurrente dans le contexte de l’interculturel. Or, on peut concevoir ces différences de plusieurs manières. Dans la perspective dite ethnocentriste, les différences servent à distinguer ce qui « sépare le tien du mien, les proches et les étrangers, les ‘gens d’ici’ et les ‘gens d’ailleurs’ » (Ladmiral/ Lipiansky 1989 : 138). Cependant, on peut aussi interpréter les différences dans le sens de chercheurs français comme Abdallah- Pretceille, Zarate ou Porcher selon lesquels « la rencontre avec l’autre ne consiste[rait] plus à le réduire à son appartenance culturelle (entendre nationale « elle est française (sic ! ) …alors c’est normal qu’elle réagisse de cette façon ») par une sorte de déterminisme culturel, mais de discerner toute rencontre, qu’elle soit intraou inter-, comme une rencontre de l’hétérogénéité. Il ne s’agit plus de connaître l’autre mais de la re-connaître dans sa diversité ». (Dervin 2004 : 69) <?page no="59"?> 59 Il ne s’agit pas ici de nier que des cultures aient des traits particuliers, des attitudes, croyances et comportements qui sont communs à leurs membres. Toutefois, il est important de ne pas utiliser le constat de la différence pour déprécier une autre culture : « Die Feststellung von Unterschieden zum eigenkulturellen Denken und Handeln ist im interkulturellen Diskurs zulässig, solange damit keine herabsetzende Wertung fremdkultureller Identität verbunden ist. » (Koller 2010 : 29) Dans un sens plus métaphorique, on pourrait dire qu’il faut « d’abord regarder votre propre culture dans un miroir avant d’observer par la fenêtre les autres cultures qui vous intéressent ou avec lesquelles vous désirez entretenir des échanges » (CELV 2005 : 7). Des différences de comportements, de valeurs, de croyances etc. font souvent obstacle à une compréhension partagée. Apprendre à se connaître soi-même est tout aussi important qu’avoir conscience de l’autre. Deux facteurs rendraient possible la compréhension mutuelle : premièrement, « l’aptitude à ‘se décentrer’ de sa propre culture, c’est-à-dire à prendre conscience de ce qui n’est généralement pas conscient », et deuxièmement, « l’aptitude à adopter le point de vue d’autrui et à accepter que sa façon de voir les choses puisse aussi lui sembler « naturelle » ». En d’autres termes : il s’agit de « ‘désapprendre’ ce qui semble naturel et de respecter fondamentalement l’altérité » (CELV 2007 : 25). Le processus constant d’apprentissage impliquant « élargissement, amélioration et, avant toute chose, reformulation de compétences antérieurement acquises dans le cadre de l’éducation scolaire et non scolaire et développées essentiellement par le biais de l’expérience » (CELV 2007 : 40), et de désapprentissage exigeant « de reconnaître la validité d’autres points de vue » (CELV 2007 : 41)-serait constitutif de l’apprentissage interculturel. Un rôle primordial incomberait à une réflexion sur sa propre expérience qui générerait un processus d’apprentissage expérientiel (voir chap. 3.2.). En effet, la compétence interculturelle n’est pas développée automatiquement. Il semble qu’un accompagnement adéquat ainsi que la stimulation de processus d’autoréflexion soient également très importants (Dervin 2004, Leutwyler/ Lottenbach 2008, Jackson 2008, Vande Berg/ Connor-Linton/ Paige 2009, Fondation ch 2006). L’autoréflexion peut signifier que les apprenants réfléchissent à des différences et des points communs des cultures concernées ainsi qu’à leurs représentations avant de partir et échangent leurs idées dans des discussions communes (Fondation ch 2006 : 38). De même, l’accompagnement d’un mentor pendant le séjour de mobilité discutant des expériences concrètes avec les apprenants peut encourager le processus d’apprentissage interculturel (Vande Berg/ Connor-Linton/ Paige 2009 : 25). Parmi les instruments pédagogiques qui peuvent aider à encourager le processus de réflexion interculturel et linguistique, on peut mentionner par exemple le Portfolio Européen des Langues ou l’Autobiographie de Rencontres Interculturelles (Conseil de l’Europe 2009) ou les documents du projet PluriMobil du Centre européen pour les langues vivantes (Egli Cuenat et al. 2011). La prise de conscience que « notre perspective est limitée par son ancrage local » est souvent vécue comme un défi lors de rencontres interculturelles qui peut « d’abord être source de paralysie ou de confusion, mais [qui] nous ouvre d’immenses possibilités d’élargir notre horizon » (CELV 2007 : 27). Pour que cet élargissement d’horizon ait lieu, il faut aux individus concernés justement cette compétence interculturelle qui leur permet d’accepter les différences et de les considérer comme un enrichissement. Selon Koller, beaucoup de gens - adolescents ou adultes - ne se rendraient pas compte de leur appartenance à une/ des culture/ s spécifique/ s. Il leur faudrait donc des contacts interculturels intenses pour développer une conscience interculturelle : « Erst das Vorhandensein eines solchen kulturellen « Selbstbewusstseins » ermöglicht einen konstruktiven Umgang mit Vertretern anderer Kulturen und ein interessiertes, offenes Zugehen auf das Andere ». (Koller 2010 : 29) Koller n’indique pas à partir de quelle durée de stage cette conscience se développerait. Nous avons déjà parlé de la difficulté de donner une durée idéale pour le développement <?page no="60"?> 60 d’une compétence interculturelle dans le chapitre 2.4. Dans le contexte des stages qui sont au centre de la présente recherche, nous trouvons une variation de durées. Effectivement, la durée des stages varie entre quelques jours passés dans l’entreprise à l’étranger pour la majorité de stagiaires, six semaines pour un certain nombre d’entre eux à quelques mois pour une minorité. Notre analyse ne nous permettra pas de faire des énoncés généralisables sur la durée idéale des stages. Nous avançons ici l’hypothèse que même un contact assez court et à première vue superficiel avec d’autres cultures amène les apprenants à confronter leurs propres schémas culturels et qu’il les rend sensibles aux schémas culturels des autres. Comme moyen pour se rendre compte des spécificités culturelles des autres et de soimême, Gibson propose la métaphore de l’iceberg « with the tangible expressions of culture and behaviour above the water and the underlying attitudes, beliefs, values and meanings below the surface » (2006 : 16). Parmi les notions visibles, on pourrait compter la langue, la nourriture et les vêtements. Rendre visible ce qui se trouve sur la partie immergée de l’iceberg serait un but de la mobilité (Koller 2010 : 83). L’image de l’« autre » peut jouer un rôle crucial dans les rencontres interculturelles : elle peut « favoriser ou entraver le contact, selon que l’« autre » est perçu comme abordable ou distant, attaché ou non à des traditions familiales ou peu connues ». Qui plus est, « l’ « autre » est généralement perçu non pas comme un individu isolé, mais comme le membre d’une communauté présentant les mêmes caractéristiques » (Conseil de l’Europe 2009 : 11). L’image de l’« autre » est souvent un lieu de représentations qui permettent à un groupe de se définir et de se faire reconnaître par les autres ; cette représentation est faite d’images, de symboles, de stéréotypes, de mythes originaires, de récits historiques qui offrent à la conscience collective une figuration de sa « personnalité » et de son unité. (Ladmiral/ Lipiansky 1989 : 9/ 10) Ces représentations - positives ou négatives - de l’« autre » ou de soi-même permettent à l’individu d’expliquer le monde et de s’identifier à une collectivité donnée. 69 Cette identification (Conseil de l’Europe 2009 : 14) a un caractère rassurant dans la mesure où elle nous permet de trouver des réponses à des expériences incompréhensibles ou difficiles dans le pays étranger (Ladmiral/ Lipiansky 1989 : 149). Dans les entretiens menés pour les besoins de la présente recherche, la question de l’identité a seulement été effleurée, le but de l’enquête n’étant pas de mesurer l’impact d’un séjour à l’étranger sur la construction de l’identité d’un individu (voir à ce propos par exemple Yanaprasart 2006). Pourtant, la notion demeure importante pour nous dans la mesure où l’identité est étroitement liée aux représentations sociales et joue un rôle dans la perception de soi et des autres lorsque nos stagiaires nous parlent de leurs expériences sur le lieu du stage. Un des moyens des êtres humains pour exprimer leur(s) identité(s) est la langue. Elle est porteuse des représentations sociales, elle traduit « des façons de voir et de comprendre le monde différentes » (Yanaprasart 2006 : 69) et elle sert à les exprimer. On peut distinguer trois sous-composantes faisant partie de la communication interculturelle : - la conscience de la langue : Dans le cadre du travail dans des équipes multiculturelles, cette dimension concerne par exemple la conscience de l’influence de la langue choisie (p.ex. lorsque les personnes présentes ont des compétences asymétriques) ou d’une lingua franca (p.ex. des locuteurs natifs doivent adapter leur manière de parler aux locuteurs non natifs). Elle comprend aussi la conscience de la tolérance à l’ambiguïté (p.ex. un même message peut être compris ou perçu de manières différentes), ainsi que la conscience de l’existence de styles de communication divers (p.ex. par rapport à des tours de parole, à la préférence donnée à l’écrit ou à l’oral etc.) (CELV 2007 : 35). - la communication non verbale : Un message peut être renforcé, mais aussi contredit par la dimension non verbale. Dans le contexte de la communication interculturelle, une 69 Pour l’instant, nous nous limitons à mentionner ces notions ici ; elles seront traitées en détail dans le chapitre 3.5. <?page no="61"?> 61 importance particulière semble incomber à des formes non verbales comme le langage corporel, le contact visuel, les gestes ou la tenue vestimentaire (CELV 2007 : 34). - la communication verbale : C’est incontestablement la dimension qui est en général centrale pour l’enseignement des langues. Selon Canale/ Swain (1980 : 7-11), cette dimension englobe quatre compétences, dont la compétence grammaticale, la compétence sociolinguistique, la compétence discursive et la compétence stratégique (CELV 2007 : 34). Ce lien avec différentes dimensions de la langue dans la dimension interculturelle nous amène à une autre réflexion, notamment celle de savoir dans quelle mesure un apprenant peut profiter des échanges/ stages pour son apprentissage linguistique. Ce questionnement sera le sujet du prochain sous-chapitre. 3 4 La dimension de l’acquisition des langues dans les échanges/ stages Dans le domaine de l’acquisition des langues, il existe plusieurs conceptions théoriques qui ont toutes influencé la didactique et la méthodologie de l’enseignement d’une L2. Les modèles behavioristes considéraient l’acquisition d’une langue comme un processus externe selon le schéma stimulus - réaction - feedback ; une langue serait donc apprise en développant des automatismes, des habitudes verbales (p.ex. Skinner 1957). Un enseignement selon ce modèle repose sur un contexte scolaire ‘strict’, qui accorde un rôle central à l’enseignant qui donne des stimuli auxquels l’apprenant réagit, en insistant sur l’acquisition par imitation, répétition et correction où l’erreur est exclue (Saudan 2003 : 84). Alors que l’environnement est central pour le modèle behavioriste, les processus intrapsychiques sont plutôt valorisés par les modèles psycho-cognitifs comme la grammaire universelle de Chomsky, la théorie de l’interlangue (interlanguage) de Selinker (1972) ou la théorie de l’input de Krashen (1981). Ce dernier distingue deux formes d’appropriation d’une L2 : l’apprentissage est considéré comme conscient, explicite et guidé, alors que l’acquisition est inconsciente, implicite et naturelle (Saudan 2003 : 86). Cette dernière dépendrait du « comprehensible input », c’est-à-dire du processus de compréhension des données proposées à l’apprenant. Selon Selinker, l’apprenant développe dans l’apprentissage d’une L2 un système linguistique spécifique qui contiendrait des traits de la L1 et de la L2, ainsi que des traits indépendants des deux langues (Saudan 2003 : 87). A la base du concept de l’interlangue de Selinker se trouve la théorie des ‘erreurs’ linguistiques des apprenants de Corder (1967, 1971, 1980) selon laquelle celles-ci seraient des indices d’un processus actif d’acquisition. Les théories psycho-sociales enfin élargissent la conception de l’acquisition des langues d’une vision purement linguistique et intrapsychique vers une vision qui prend en compte « une dimension fondamentale des activités humaines, à savoir celle qui consiste à transmettre des savoirs et des savoir-faire au cours d’activités accomplies à deux ou à plusieurs, autrement dit dans des interactions sociales » (Matthey 1996 : 30). L’importance de l’interaction a déjà été mise au centre par des théories générales du développement cognitif (Vygotsky 1985) et par rapport à l’acquisition de la L1 (Bruner 1985). Avec d’autres, ils ont montré que « le fait d’apprendre doit être considéré en même temps comme un processus social, situé, qui se développe en relation avec d’autres activités dans le cadre d’une pratique sociale donnée » (Saudan 2003 : 91). Les théories de ces deux psychologues reposent sur l’idée qu’un apprenant a besoin d’un expert qui le soutient dans son apprentissage (Saudan 2003 : 99) et que c’est dans l’interaction avec celui-ci qu’il acquiert la langue. Selon Vygotsky (1985), il y aurait une zone intermédiaire entre ce que l’apprenant sait déjà et ce qu’il est en train d’apprendre. Cette zone proximale de développement (ZPD) est déterminée par « la disparité entre l’âge mental, ou niveau de développement présent, qui est déterminé à l’aide des problèmes résolus de manière autonome, et le niveau qu’atteint l’enfant lorsqu’il résout des problèmes non plus <?page no="62"?> 62 tout seul mais en collaboration » (Vygotsky 1985 : 270). Bruner (1985) parle de format qu’il définit comme « l’ensemble des interactions d’assistance de l’adulte permettant à l’enfant d’apprendre à organiser ses conduites afin de pouvoir résoudre seul un problème qu’il ne savait pas résoudre au départ » (Bruner-1998 : 148). L’aide de l’expert, ou l’étayage, peut se faire à un niveau local et ponctuel à travers des corrections ou séquences de reformulation, ou à un niveau plus global à travers des activités qui incitent l’apprenant à prendre des initiatives et des risques et ainsi à devenir autonome (Saudan 2003 : 100). En linguistique, les interactionnistes ont repris l’idée que c’est l’apprenant qui sollicite de l’aide et le natif qui la fournit-dans le contexte de l’interaction en situation exolingue : L’interaction sociale est réglée par des normes de comportement qui peuvent demander des activités de tutelle ou d’étayage, inciter à partager les responsabilités pour parvenir au résultat envisagé, exiger d’offrir, pour permettre de progresser, des « modèles de faire », et qui peuvent ainsi contribuer à l’acquisition. » (Krafft/ Dausendschön-Gay 1994 : 148) Les données du natif sont conditionnées par les productions de l’apprenant ; celles-ci sont interprétées par le natif dont les données sont elles-mêmes interprétées par l’apprenant. Il y a ainsi une dialectique entre plusieurs mouvements, à savoir un mouvement d’autostructuration « par lequel l’apprenant produit des énoncés en utilisant les moyens offerts par son interlangue », un mouvement d’hétérostructuration « par lequel le natif intervient dans le mouvement précédent pour des raisons diverses (aider l’apprenant, le corriger, infléchir son discours, etc.) » et un mouvement double d’interprétation « qui va orienter d’une part les interventions hétérostructurantes du natif, d’autre part leur prise en charge éventuelle par l’apprenant » (de Pietro/ Matthey/ Py 1989 : 102). Le terme d’exolingue est utilisé pour des situations de communication où il y a une asymétrie entre les compétences linguistiques des locuteurs. 70 Cette asymétrie peut se manifester dans la communication entre des personnes parlant en principe la même langue, mais ayant des arrière-fonds différents, comme c’est par exemple le cas pour un avocat et un accusé ou un médecin et un malade. Lorsqu’il s’agit de situations de communication où deux langues sont présentes - et c’est cette situation qui nous intéresse ici - l’exemple prototypique est celui de la communication entre un apprenant et un locuteur natif, où l’asymétrie des compétences linguistiques peut être très forte. Depuis Noyau/ Porquier (1984), la notion d’exolinguisme « a permis de penser de manière interactionnelle l’ensemble des situations de discours où un apprenant s’efforce de communiquer dans la langue de l’autre » (Py 1996 : §8). Pourtant, pour qu’une situation exolingue soit considérée comme asymétrique, il faut qu’elle soit définie comme telle par les interlocuteurs-et que les rôles soient connus : « le natif peut et doit enseigner sa langue, l’alloglotte doit donner des quittances du savoir qu’il reçoit, sous la forme généralement d’une répétition de la proposition du natif » (de Pietro/ Matthey/ Py 1989 : 110). Une caractéristique pour définir une situation comme exolingue est la formulation transcodique, un terme qui désigne l’« emploi potentiellement conscient d’une séquence perçue par l’apprenant comme appartenant à une autre langue (normalement L1), dans le but de surmonter un obstacle communicatif » (Lüdi 1993 : 127). La formulation transcodique est une des stratégies communicatives, verbales aussi bien que non verbales, employées par des apprenants pour communiquer malgré tout. Une autre caractéristique tient aux séquences didactiques, qui servent elles aussi à résoudre des problèmes communicatifs. Dans leurs recherches, de Pietro/ Matthey/ Py constatent qu’il y a dans la conversation exolingue des séquences particulièrement favorables à l’acquisition et marquées par cette dialectique de mouvements mentionnés plus haut. Ils appellent ces séquences des « séquences potentiellement acquisitionnelles » (SPA) qui contiennent trois étapes : 1) manifestation d’un 70 A l’inverse, on parle d’endolingue lorsqu’il n’y a pas d’asymétrie ou « lorsque les divergences codiques ne représentent plus une donnée pertinente dans la gestion du discours, autrement dit, lorsqu’elles ne sont plus perçues comme significatives par les participants à l’événement langagier. » (de Pietro 1988 : 71 ; voir aussi Lüdi/ Py 1995) <?page no="63"?> 63 obstacle d’encodage par l’apprenant, 2) intervention-proposition du natif, et 3) ratification de l’apprenant (de Pietro/ Matthey/ Py 1989 : 108). Les théories décrites ont sensiblement influencé l’enseignement des langues secondes. Ainsi, la conception psycho-sociale de l’acquisition d’une L2 a contribué au développement de l’approche communicative 71 dans les années 1970. Cette approche part du principe que la langue est avant tout un outil de communication et remet au second plan la grammaire. Elle privilégie l’acquisition d’une compétence de communication qui s’exerce à travers cinq pratiques de base, à savoir la compréhension et la production orales et écrites-et l’interaction (Conseil de l’Europe 2001). La mise au centre de l’apprenant et de l’acquisition de stratégies d’apprentissage (en introduisant la notion d’apprendre à apprendre) a mené à de nouvelles formes didactiques, telles que l’éveil aux langues, l’enseignement par immersion ou l’enseignement bilingue (voir par exemple les projets du PNR56 sur l’enseignement bilingue aux niveaux secondaire II et tertiaire (cf. Gajo/ Berthoud 2008) et sur la maturité bilingue en Suisse (cf. Näf/ Elmiger 2008), ou le projet européen sur le potentiel du Content and Language Integrated Learning (CLIL [http: / / www.clilcompendium.com/ index.html]) ainsi que les échanges/ stages. Une deuxième dimension qui a modifié l’enseignement des langues étrangères est celle de la cognition située. La conception psycho-sociale selon laquelle il suffit d’interagir pour acquérir a été remise en question (cf. Arditty/ Dausendschön-Gay 1997). En vue d’une redéfinition de la notion de compétence, Mondada/ Pekarek (2000) et Pekarek (2005) ont mis l’accent sur le fait qu’il faut plus qu’une interaction entre un apprenant et un expert pour développer des formes d’acquisition. Rapprochant les approches socioculturelles et interactionnistes du fonctionnement cognitif, elles considèrent que les processus cognitifs sont situés, c’est-à-dire que nos pensées, capacités d’action et interprétations du monde sont structurées dans le cadre d’activités pratiques (Pekarek 2005 : 42). La compétence langagière n’est plus considérée comme étant individualisante, décontextualisée et isolante : nos activités pratiques et nos processus cognitifs se situent dans les rapports que nous avons avec autrui et dans les contextes socioculturels dans lesquels nous agissons et interagissons (Pekarek 2005 : 42). Les processus interactifs jouent donc un rôle primordial dans « la construction de compétences, de structures, d’identités et de faits sociaux » (Pekarek 2005 : 47). La cognition et les compétences sont situées, d’une part, dans les « contingences locales des activités quotidiennes » et d’autre part, dans la « définition historique, socioculturelle de la situation » (ibid.). Cette conception a des conséquences pour le domaine de l’acquisition langagière-dans la mesure où il existe une « continuité entre mobilisation et élaboration des compétences, entre usage et acquisition du langage : les compétences ne sont pas simplement mobilisées dans l’activité (langagière) ; elles sont susceptibles d’être élaborées et reconfigurées à travers l’activité collective ». Dans ce sens, les compétences sont « profondément liées à des pratiques sociales » (Pekarek 2005 : 48). La compétence n’est donc pas entièrement individuelle, mais se manifeste dans et par des activités collectives. Filliettaz/ de Saint-Georges/ Duc (2008) ont appliqué l’idée des approches situées de la cognition, développée entre autres par Lave/ Wenger (1991) à la construction et la circulation des savoirs/ compétences professionnels dans le cadre de la formation professionnelle initiale. Ils considèrent l’interaction comme une « unité particulièrement fructueuse pour étudier les processus de mise en circulation du savoir » et partent de trois propositions : 1) les apprentissages professionnels « ne se déploient pas de manière abstraite et décontextualisée mais se rapportent aux logiques des actions et des situations dans lesquelles s’engagent les apprenants » ; 2) les apprentissages « ne peuvent être pleinement conçus sur le plan indi- 71 Pour une analyse critique de l’approche communicative voir Saudan (2003). Selon Saudan, il serait faux de parler de l’approche communicative au singulier parce qu’il s’agirait de « différentes pratiques didactiques et éducatives qui s’inspirent d’un ensemble hétérogène de théories et d’hypothèses, de notions, de principes ou d’objectifs, de techniques formatives, de rapports d’expériences ou d’études de cas » (2003 : 24). <?page no="64"?> 64 viduel ; ils reposent au contraire sur des ressorts éminemment collectifs, culturels, sociaux, interpersonnels » ; et 3) les apprentissages professionnels « ne se construisent pas à l’extérieur du langage et plus généralement des systèmes de signes à disposition dans les environnements de la formation » (Filliettaz/ de Saint-Georges/ Duc 2008 : 44). Ces propositions ont été faites par rapport à la formation professionnelle initiale en contexte endolingue, mais nous les considérons comme tout aussi valables dans le contexte exolingue, tout en tenant compte du fait que des compétences linguistiques limitées peuvent entraver la dimension langagière. Pour les théories de l’appropriation d’une langue seconde, la distinction de Krashen entre apprentissage et acquisition était très importante. Dans la tradition de l’enseignement des langues à l’école plutôt formel avec un accent sur la grammaire, il était pour ainsi dire logique que l’appropriation du savoir explicite soit attribuée au milieu scolaire et à l’acquisition guidée, et celle du savoir implicite au milieu naturel et à l’acquisition non guidée (voir p.ex. Klein 1989, 29-36). Dans les années 1980, Noyau (1984) a essayé de mettre en relation les types de savoir définis par Krashen avec des types d’appropriation de langues en parlant d’acquisition dans le cas d’appropriation de langues étrangères par des adultes immigrés (voir aussi Perdue 1982). Pourtant, dans les années 1990, la distinction a été remise en cause (Porquier 1994) car les deux types de connaissances étaient considérées comme nécessaires pour construire une compétence en L2 et pouvaient être retrouvés dans les deux milieux d’appropriation 72 . Avec l’arrivée de nouvelles méthodes dans le cadre de l’approche communicative, grammaire d’usage et grammaire de référence n’étaient plus si clairement attribuables à l’un ou à l’autre contexte d’appropriation : l’emploi de la langue n’était plus réservé au milieu naturel, mais pouvait aussi figurer en milieu scolaire ; de même un travail sur des connaissances grammaticales pouvait avoir lieu tant en milieu scolaire que naturel. La distinction entre acquisition guidée et non guidée au sens absolu ne fait donc plus sens. Malgré tout, elle peut toujours être utilisée par rapport au processus de correction, plus fréquent en milieu scolaire que naturel (p. ex. dans des SPA), ainsi que par rapport à l’input ; celui-ci est très contrôlé en milieu scolaire, où la progression grammaticale est en général primordiale,- et moins contrôlé en milieu naturel, où ce qui importe est de pouvoir dire ce que l’on a envie de dire. Pourtant, il peut aussi y avoir contrat didactique dans des situations naturelles pendant des stages (Dausendschön-Gay/ Gülich/ Krafft (1989). Krafft/ Dausendschön-Gay distinguent entre une « tutelle pour communiquer » et une « tutelle pour apprendre » (1994 : 143). En principe, c’est la première qui prévaut dans une situation exolingue, mais « si les partenaires veulent ‘faire mieux’, s’ils veulent établir des rapports didactiques, il faut une connivence spéciale », à savoir un contrat didactique. Cependant, ce contrat est rarement explicite ; il semble que « la situation générale (par exemple le séjour linguistique d’une adolescente dans une famille française) ou des spécificités du rapport social entre deux partenaires sont telles que les interactants peuvent se permettre des activités d’enseignement et d’apprentissage. (Krafft/ Dausenschön-Gay 1994 : 144) Filliettaz (2008) et Filliettaz/ de Saint-Georges/ Duc (2008) parlent de contrat didactique aussi dans le cadre d’interactions en formation professionnelle initiale en situation endolingue. Les résultats de leur recherche ont montré que la compétence langagière joue un rôle essentiel dans l’acquisition de compétences professionnelles. Les dimensions langagières des activités de travail constituent à la fois de potentiels obstacles dans la mesure « où la rencontre avec des univers de référence nouveaux, souvent techniques, génère des formes d’opacités linguistiques qui se surajoutent aux autres dimensions de la compétence professionnelle en construction », mais aussi des ressources dans la mesure où c’est par une interaction de compétences langagières et d’autres modes sémiotiques (gestes, manipulation d’objets etc.) que ces obstacles sont surmontés. Par ailleurs, ces dimensions langagières constituent aussi des objets 72 Dans notre enquête, nous ne distinguons pas entre acquisition et apprentissage et n’utilisons le terme d’appropriation comme terme générique que dans ce chapitre pour des raisons de clarté. Dans les autres chapitres, acquisition, apprentissage et appropriation sont utilisés comme des synonymes. <?page no="65"?> 65 de l’interaction dans la mesure « où l’activité métalinguistique à l’œuvre dans ces situations montre que des acquisitions langagières sont potentiellement rendues possibles dans ces environnements de travail » (Filliettaz 2008, 35s. ; Filliettaz/ de Saint-Georges/ Duc (2008). Le changement de paradigme avec l’approche communicative et la conception de la cognition située a aussi redéfini l’objectif de l’enseignement des langues : on ne considère plus comme objectif l’acquisition d’un « native-like control of two or more languages » tel que le propose Bloomfield (cf. Lüdi 2011b : 96), mais on vise un plurilinguisme fonctionnel, c’està-dire la capacité d’un individu d’adapter le choix de langue à la situation et de passer d’une langue à l’autre indépendamment de l’équilibre entre ses propres compétences et celles de l’interlocuteur (Grosjean 1982, Lüdi/ Py 1984, Conseil de l’Europe 2001). Le CECR (Conseil de l’Europe 2001) met l’accent sur le développement d’un profil de compétences partielles qui serait flexible et adapté aux besoins communicatifs du locuteur. Il faut dire aussi que depuis longtemps, la recherche ne considère plus-les langues pratiquées par une personne plurilingue comme une simple addition de « systèmes linguistiques », appréhendés chacun pour soi, mais comme une espèce de « compétence intégrée » (Grosjean 1985, Lüdi/ Py 1986, 2003). Par conséquent, la notion classique de compétence a été remplacée par celle de répertoire langagier (Gumperz 1982). Ces répertoires langagiers plurilingues peuvent donc être considérés comme-un ensemble de ressources - verbales et non verbales - mobilisées par les locuteurs pour trouver des réponses locales à des problèmes pratiques,-et mises en œuvre de manière située. On peut, dans ce contexte, employer la métaphore de Lévi-Strauss (1962 : 27) de la « boîte à outils » pour bricoleurs, c’est-à-dire que l’apprenant utilise ce qu’il sait déjà et ce qu’il apprend de nouveau pour mener à bien des activités verbales dans n’importe quelle situation communicative. On arrive donc à une conception du plurilinguisme qui n’exige pas une maîtrise ‘parfaite’ d’une langue, mais qui privilégie un parler plurilingue 73 faisant preuve d’une mise en œuvre créative des ressources linguistiques. Cette vision favorise une didactique qui met au centre la compétence plurilingue de l’apprenant qui est vu comme autonome et auto-guidé ; cette « didactique du plurilinguisme » 74 prend en compte le savoir et savoir-faire linguistique de l’apprenant comme potentiel et ressource pour l’apprentissage d’autres langues (Wiater 2006) ; elle combine l’apprentissage scolaire et extrascolaire ainsi que des langues préet post-apprises dans la perspective d’un apprentissage tout au long de la vie. Les nouvelles formes didactiques susmentionnées permettent plus d’interactions spontanées qui obligent l’apprenant à mobiliser plus de ressources (savoirs, savoir-faire, savoirêtre, savoir-apprendre, Conseil de l’Europe 2001 : 16) que celles dont il est habituellement fait usage dans la classe de langue traditionnelle. Dans le contexte de notre enquête, nous considérons les stages comme un lieu particulièrement propice pour l’appropriation d’une langue seconde (dans le sens d’acquisition), à condition qu’il y ait effectivement interaction entre apprenant et natif (ce qui dépend de la manière dont le stagiaire est intégré dans l’entreprise d’accueil). Nous concevons l’interaction comme une pratique sociale « where linguistic and other competencies are put to work within a constant process of adjustment vis-à-vis other social agents and in the emerging context » (Mondada/ Pekarek Doehler 2004 : 502). Promouvoir de nouvelles conceptions et formes d’enseignement auprès des autorités de l’éducation, des enseignants, des parents et des élèves n’est pas évident. Des idées fixes, des représentations, sur la manière dont les langues sont apprises et devraient être apprises sont profondément enracinées dans la tête des gens. Les réflexions de ce chapitre nous amènent à nous poser certaines questions par rapport à l’apprentissage et l’enseignement des langues : D’une manière générale, quelles représentations se font les acteurs concernés de l’acquisition/ apprentissage des langues ? L’interaction prend-elle une place importante 73 Pour un article récent sur le parler plurilingue voir Lüdi 2011b, sur le répertoire plurilingue comme objectif de l’enseignement des langues voir Lüdi 2011a. 74 Il y a tout un débat autour de la terminologie. En allemand, on parle de « Mehrsprachigkeitsdidaktik » (Wiater 2006, Hufeisen/ Neuner 2003) ou « Tertiärsprachendidaktik » (Hufeisen/ Neuner 2003), en français plutôt d’« approches plurilingues » (Candelier 2008). <?page no="66"?> 66 dans leurs représentations ? Quelle image les acteurs se font-ils du plurilinguisme : ont-ils une représentation plutôt additive ou plutôt intégrative ? Avant de répondre à ces questions (chapitres 5 et 6), nous aimerions préciser la notion de représentation. 3 5 Les représentations sociales La notion de représentation sociale est polysémique parce qu’elle est utilisée dans plusieurs disciplines et connaît des traditions de recherche différentes. Nous suivrons ici la tradition française constructiviste et discursive telle qu’elle a émergé des théories de la psychologie sociale et de la linguistique. Un tout autre cas de recherche se présente par exemple dans la tradition anglophone et scandinave (voir à ce propos Millar/ Cifuentes/ Jensen 2012). 75 Le premier à avoir utilisé la notion de représentation est l’anthropologue Durkheim. Sous le terme de représentation collective, il distingue la pensée collective de la pensée individuelle (Durkheim 1895). Le concept a été repris par la psychologie sociale (Moscovici 1961, Abric 1994, Moliner 2001) selon laquelle une représentation est « une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Jodelet 1989 : 53). Les représentations font donc partie de notre savoir sur le monde extérieur et nous aident à l’interpréter. Elles sont sociales « dans le sens où les locuteurs-acteurs font appel à des cadres de référence partagés, qu’ils utilisent comme des grilles de lecture pour interpréter et donner sens au monde qui les entoure, et pour s’y positionner » (Moore/ Py 2008 : 273). Ces grilles de lecture sont générées collectivement, c’est-à-dire dans des interactions entre individus appartenant à un même groupe, et partagées par les membres de ce groupe. Ce sont des « microthéorie[s] prête[s] à l’emploi » (Py 2004 : 8), donc « immédiatement disponibles » et ne requérant « aucun travail autre que l’acte de leur mise en œuvre énonciative » (ibid.). Bien qu’elles fassent partie « des connaissances et des croyances indispensables à la vie sociale », cela ne veut pas dire que tous les membres de la communauté culturelle envisagée y adhèrent, mais que les représentations « définissent des vraisemblances, lesquelles permettent aux membres de calculer le sens probable de certains énoncés » (ibid.). Pour que les représentations puissent remplir cette fonction, il leur faut un certain degré de stabilité. Cette stabilité a été identifiée par les psychologues sociaux. Cela dit, ceux-ci ont aussi identifié une caractéristique tout à fait contraire : le caractère mouvant des représentations. Celles-ci doivent donc posséder un caractère stable si elles veulent servir de moyen d’interprétation du monde, mais aussi un caractère flexible pour pouvoir intégrer de nouvelles informations. Pour rendre compte du caractère à la fois stable et mouvant des représentations, Abric (1994) propose le modèle du système (ou noyau) central et du système périphérique. Le système central constitue la partie stable et normative de la représentation et est déterminé par les conditions historiques, sociologiques et idéologiques, par la mémoire collective et le système de normes. Le système périphérique par contre est flexible et hétérogène et concrétise le noyau central dans le contexte. C’est là où peuvent être faits des ajustements et l’intégration de nouvelles informations. Pourtant, cette distinction a suscité des critiques, par exemple par Moscovici, qui remarque que ces notions n’ont qu’une « valeur indicative sans avoir une signification très précise » (Moscovici 1961 : 241) ou encore par Bataille (2002), selon lequel ce seraient les éléments périphériques qui formeraient la partie stable des représentations dans la mesure où ils moduleraient les sens des éléments centraux abstraits et symboliques du noyau central. 75 Les notions centrales sont celle de « anchoring », c’est-à-dire la comparaison de nouveaux savoirs à des savoirs existants et l’éventuelle intégration des premiers dans les deuxièmes, de même que celle d’ « objectification », c’est-à-dire la manière dont de nouveaux savoirs sont concrétisés ou matérialisés, surtout sous forme d’images ou de métaphores (p.ex. la ‘barrière linguistique’). <?page no="67"?> 67 Dans ce contexte, on peut distinguer deux notions, à savoir celle de représentation de celle de stéréotype. Ce dernier consiste en une « tendance spontanée à la schématisation et la rationalisation » (Ladmiral/ Lipiansky 1989 : 138) et est l’expression verbale d’une croyance « qui projette sur les autres une image figée, souvent négative » 76 (Lüdi/ Py 1995 : 161). Cette croyance est un hétéro-stéréotype, c’est-à-dire une « croyance[] par l[a]quelle[] un groupe se démarque des autres » (ibid.) et se distingue des auto-stéréotypes du groupe, c’est-à-dire l’idée que le groupe a de lui-même. Le stéréotype est fondé sur la relation entre les deux. Un groupe se définit par un ensemble de traits et « définit l’altérité des autres groupes par d’autres traits différentiels. Ces hétéro-définitions […] se figent dans des formules - les stéréotypes - qui décrivent et interprètent le monde extérieur » (Lüdi/ Py 1995 : 161). La distinction entre stéréotypes et représentations n’est pas facile. Ce qui distingue les deux notions est le fait que le stéréotype est beaucoup plus rigide et plutôt utilisé de manière négative (souvent avec la formule ‘Tous les XY sont xy’) alors qu’une représentation a, autour de son centre stable, une périphérie mouvante. Dans le cadre de notre travail, nous avons délibérément choisi de ne pas parler de stéréotypes, mais uniquement de représentations, tout en considérant le stéréotype comme une forme de représentation qui se manifeste dans des formules figées. Contrairement à une perspective psychosociale, nous adoptons une approche interactionniste et discursive des représentations (p.ex. Mondada 1998, Py 2004). Cette approche met l’accent sur le rôle du langage dans la formation et l’expression, mais aussi dans la diffusion des représentations. La prise en compte du contexte discursif s’oppose à l’idée des représentations comme image stable-dans la conception psychosociale : Une représentation sociale existe dans et par un discours. C’est dans et par le discours que les représentations se construisent, se modifient et se transmettent. C’est aussi dans et par le discours qu’une représentation sociale est diffusée et circule dans un groupe social. (Moore/ Py 2008 : 276) Selon Gajo (2003 : 527), c’est grâce à leur thématisation que des savoirs se transforment en objets de discours qu’on peut repérer dans le texte. Le processus de construction dans le discours leur confère leur caractère social et partagé, qui se manifeste « sous forme d’ensembles de propositions récurrentes à caractère interdiscursif » (Lüdi 2010b : 18). Cependant, la notion de stabilité utilisée par l’approche psychosociale est aussi employée dans le contexte de l’approche interactionniste, mais avec une autre signification : ce sont les propositions récurrentes que l’on retrouve dans le discours de plusieurs acteurs qui confèrent aux représentations « grâce à un haut degré de stéréotypicité (Py 2004), un certain degré de stabilité » (Lüdi 2010b : 18). Lüdi et al. (2013) parlent dans ce contexte d’(en)doxa, deux termes provenant d’Aristote par lesquels ce dernier distinguait deux niveaux de représentations sociales. Il définissait l’(en)doxa comme des « commonly held beliefs accepted by the wise/ by elder rhetors and/ or by the public in general » ; l’endoxa était considérée comme plus stable parce qu’elle avait été « testée » dans des débats argumentatifs dans la Polis (cf. Lüdi et al. 2013). Dans le contexte des entreprises, on peut parler d’endoxa lorsqu’une représentation est approuvée et légitimée par des managers à un haut niveau de la hiérarchie. S’il s’agit d’une représentation récurrente, mais à des niveaux plus bas de la hiérarchie et qui peut se distinguer de l’endoxa, on parle de doxa (Lüdi et al. 2013). Dans la perspective discursive, deux optiques peuvent être adoptées : d’une part, on peut analyser le discours sur la langue, c’est-à-dire le contenu des représentations sur une ou plusieurs langues, sur les langues en contact, sur l’altérité culturelle etc. ; la langue est donc un objet de représentation. D’autre part, on peut s’intéresser à la manière dont ce discours est construit ; la langue est donc perçue comme un lieu d’existence, de construction et de trans- 76 Plus rarement, un stéréotype peut aussi être utilisé de manière positive, comme dans le cas de l’exotisme (valorisation de l’autre et de l’ailleurs, mais souvent d’une manière mythique et idéalisée) (Ladmiral/ Lipiansky 1989 : 140). <?page no="68"?> 68 formation de la représentation (Matthey 1997, Py 2000). Si les représentations sociales sont construites dans le discours, dans l’interaction, la manière de dire est pertinente. Cependant, la question de la forme pose un problème de méthode dans le sens où surgit la question de savoir comment l’appréhender. Nous traiterons cette question dans le chapitre consacré à la méthodologie (chapitre 4.1.2.). Nous avons dit plus haut que bien que la représentation soit sociale, cela n’impliquait pas forcément l’adhésion de tous les membres d’un même groupe à cette représentation. Pour distinguer l’accès et l’adhésion à une représentation, on peut distinguer les représentations de référence (Py 2004) ou préfabriquées (Moore/ Py 2008) des représentations d’usage (Py 2004) ou en construction (Moore/ Py 2008). Les premières se manifesteraient dans des expressions verbales préfabriquées : maximes, clichés, dictons, proverbes ou expressions stéréotypées, alors que les représentations d’usage sont souvent implicites ou se manifestent, le cas échéant, comme l’aboutissement d’activités réflexives ou de formulations a posteriori facultatives (qui peuvent bien entendu consister dans la citation d’expressions préfabriquées), comme récit d’une expérience et formulation de sa morale, ou encore comme description d’une habitude ou d’une préférence. (Py 2004 : 13) Alors qu’énonciateur et destinataire ne sont pas visibles dans la représentation de référence, les représentations d’usage sont des énoncés « situés dans un certain contexte discursif en relation avec un contexte pratique […] et explicitement pris en charge par un énonciateur particulier » (Py 2004 : 13). La difficulté qui se pose dans l’analyse des représentations est celle de distinguer entre les représentations de référence et d’usage, car souvent, elles s’entremêlent. Un énonciateur peut par exemple utiliser une expression préfabriquée (représentation de référence) et en même temps s’en distancier (représentation d’usage). On en trouve une illustration chez Lüdi (2010b : 18), qui cite l’exemple d’une collaboratrice dans le discours de laquelle on retrouve une formule préfabriquée (faisant partie de l’endoxa de l’entreprise) et en même temps des discours d’autres locuteurs de tous les niveaux de la hiérarchie de l’entreprise (sous la forme d’un discours rapporté). On peut utiliser, pour parler de cette multiplicité de voix (qu’elles soient complémentaires ou contradictoires), la notion de polyphonie. Ce terme prend ses origines chez Bakhtine (1929/ 1977 ; 1978), qui -- dans des études consacrées aux romans de Dostojewski - a montré qu’il y avait plusieurs sujets cognitifs, dans le sens où l’auteur, ou plutôt le narrateur, agissait comme un participant parmi d’autres dans le dialogue (cf. Lüdi et al. 2013). Lüdi résume Bakhtine comme suit : « En d’autres termes, un énoncé résulte moins d’un acte individuel que d’une activité sociale et est profondément marqué par un réseau de relations dialogiques, intertextuelles » (Lüdi 2010c : 91). Plus tard, Ducrot et d’autres ont précisé cette notion dans le cadre d’une théorie de l’énonciation postulant qu’un énonciateur n’est pas un personnage homogène, mais adopte des rôles discursifs différents (Ducrot 1984). Ce qui rend l’emploi de la notion de polyphonie difficile est son caractère fortement polysémique. Elle a été reprise par exemple par Billiez/ Millet (2004) qui définissent polyphonie comme étant « constituée des items et des thèmes récurrents de façon interet intra-groupale », et la monophonie comme « l’émergence d’une récursivité itématique ou thématique spontanée spécifique à un sujet » (Billiez/ Millet 2004 : 44). Elles parlent de monophonie collective ou de noyau central lorsque des items sont utilisés de manière suffisamment fréquente et qu’il n’y a pas de disparité dans la fréquence entre les groupes (Billiez/ Millet 2004 : 47). Bothorel-Witz/ Tsamadou-Jacoberger entendent par monophonie collective l’absence de variation et constatent qu’elle se traduit de différentes manières. D’une part, elle se traduit par un consensus entre les entreprises analysées « qui ressort du contenu des représentations sociales et de leur mise en mots » (Bothorel-Witz/ Tsamadou-Jacoberger-2012 : 59). Ces éléments représentationnels stables et partagés seraient perceptibles dans ce que les acteurs disent et dans la manière dont ils le disent. Des formes récurrentes peuvent donc aussi apparaître au niveau de la mise en mots des représentations sociales. La monophonie collective <?page no="69"?> 69 peut aussi se manifester dans des stratégies discursives (p.ex. une stratégie d’esquive) partagées par les acteurs ou dans des processus d’évaluation positive (majoration) ou négative (minoration). Une analyse plus fine des entreprises et des acteurs révèle des différences de perception dans les représentations sociales partagées. Ces différences seraient visibles dans les écarts entre le discours des décideurs et celui des collaborateurs (Bothorel-Witz/ Tsamadou-Jacoberger-2012 : 65). Cette polyphonie est pour ainsi dire le pas intermédiaire entre la monophonie collective et la polyphonie des énonciateurs particuliers (Mondada 2004 : 258). L’analyse du discours sur permet de voir « les parts plus instables, plus dynamiques des représentations (liées à l’interaction ellemême et à l’expérience forcément mouvante de l’énonciateur), mais aussi la possibilité qu’a le sujet, selon le contexte, de marquer son appartenance groupale ou, inversement, à construire son identité propre. » (Bothorel-Witz/ Tsamadou-Jacoberger-2012 : 66) Dans la présente thèse, nous adoptons l’approche discursive décrite plus haut, c’est-à-dire que nous analyserons d’une part le discours sur la langue et d’autre part la manière dont ce discours est construit. Nous retiendrons d’Abric la distinction entre noyau central et éléments périphériques et entendons par le premier terme des représentations stables et partagées par tout le monde ((en)doxa, en termes aristotéliciens), et par le second terme des représentations que l’on trouve chez les uns, mais pas chez les autres, autrement dit la polyphonie dans le discours dans le sens de Bakhtine et de Ducrot. <?page no="70"?> 70 4 . Méthodologie et terrain 4 1 Méthodologie Le but de ce chapitre est de montrer pourquoi nous avons choisi quel type de données et quelles méthodes nous avons utilisées par les analyses. Le cadre conceptuel présenté dans le chapitre précédent nous a permis de préciser nos questions de recherche. Rappelons que nous nous intéressons particulièrement à trois points concernant les stages : la place qui leur est accordée dans la philosophie de l’entreprise, le rôle que joue le plurilinguisme dans ce type d’expériences, et enfin la polyphonie qui caractérise le discours des différents acteurs lorsqu’ils sont amenés à parler des stages. Nous pouvons encore affiner nos questions de recherche en les divisant en deux volets. Dans le premier, il s’agira de comprendre pourquoi une entreprise offre des stages et pourquoi des jeunes y participent (=- « …parce que »), et à quelles fins ils le font (=- « …pour que ») : S’agit-il pour eux d’améliorer leurs compétences de communication, d’accroître leur motivation à apprendre des langues ou, plus généralement, de développer des compétences professionnelles ? Y a-t-il, dans la formation linguistique, d’autres dimensions ? Le deuxième volet traitera des expériences réelles des acteurs et des bénéfices des stages. Dans les deux volets, nous nous intéressons à la question de savoir dans quelle mesure les propos de l’entreprise et ceux des jeunes se distinguent. Qu’est-ce qui se passe pendant les stages ? Dans quelle mesure les attentes - construites dans la tête des participants - correspondent-elles aux expériences faites en réalité ? Peut-on observer des tendances ? A un niveau plus général, nous nous demanderons aussi s’il y a des comportements typiques chez les apprentis qu’on ne trouve pas chez les étudiants et vice-versa, et s’il y a des aspects qui sont plus importants pour l’un des deux groupes. Nous tenterons de répondre à nos questions de recherche en analysant les représentations perceptibles dans le ‘discours sur’. Nous nous intéressons à deux dimensions des représentations sociales : d’une part à leur contenu, en analysant quelles sont les représentations des acteurs par rapport aux raisons, objectifs, défis, bénéfices etc. des stages, et d’autre part à leur forme, en étudiant avec quels moyens linguistiques ces représentations sont exprimées. Un intérêt particulier sera porté au travail de formulation et de modalisation du discours. Le fait de travailler dans une région trinationale nous offre la possibilité d’aborder la question des représentations des stages en tenant compte des différences que les stagiaires et les responsables de la formation perçoivent par rapport à la mentalité de leurs voisins, leur manière de travailler et de vivre etc. Pour répondre à nos questions de recherche, nous avons besoin d’une méthodologie qui s’inscrit, comme nous l’avons dit dans l’introduction, dans le cadre d’une approche qualitative. Les méthodes qui se sont révélées pertinentes pour notre terrain sont principalement l’ethnographie de la communication et des travaux portant sur l’entretien semi-directif, ainsi que l’analyse du discours. De manière ponctuelle, nous utiliserons aussi quelques outils et concepts de l’analyse conversationnelle. L’ethnographie de la communication est un courant interactionniste nord-américain qui prend ses origines dans l’anthropologie et qui a été fondé dans les années 1960 par Hymes (p.ex. 1962) et Gumperz/ Hymes (p.ex. 1972). Son domaine de recherche concerne « l’étude comparative des comportements communicatifs dans diverses sociétés ». Sa démarche de terrain s’appuie « sur l’observation des pratiques communicatives » (Charaudeau/ Mainguenau 2002 : 233) à travers des méthodes comme l’observation participante et les entretiens (directifs, semi-directifs, libres). Hymes part d’une conception dynamique de la communication comme action sociale, c’est-à-dire que la notion de communication ne se limite pas au verbal, mais qu’elle comprend aussi « l’engagement des individus dans les relations sociales ainsi que leurs inscriptions dans un système de savoirs et de normes culturels » (Charaudeau/ <?page no="71"?> 71 Mainguenau 2002 : 234). De cette conception dynamique est issue la notion de compétence communicative, que Hymes définit comme « une connaissance conjuguée de normes de grammaire et de normes d’emploi », c’est-à-dire un savoir linguistique et un savoir sociolinguistique (Hymes 1984 : 47). L’ethnographie de la communication a aussi été pertinente pour le développement de l’analyse du discours, une méthode employée dans différentes disciplines des sciences humaines et sociales et qui étudie « the relationship between form and function in verbal communication » (Renkema 2004 : 1). Bien que l’analyse du discours soit --de par son utilisation dans différentes disciplines --une approche instable, on peut néanmoins distinguer quelques grands pôles de recherche dont nous nous limiterons à mentionner ici « les travaux qui inscrivent le discours dans le cadre de l’interaction sociale » (Charaudeau/ Mainguenau 2002 : 44) dans la mesure où ils sont particulièrement pertinents pour notre étude. Deux aspects du discours méritent d’être soulignés ici (cf. Charaudeau/ Mainguenau 2002 : 189) : le premier est celui du contexte qui est important pour l’analyse de la forme, notamment lorsque des interviewés utilisent des pronoms (nous/ eux) ou des adverbes (ici/ là). Le deuxième aspect est celui du processus de modalisation, autrement dit le degré de prise en charge du locuteur face à son discours selon qu’il adhère ou non à ses propos ou commente sa propre parole (sur ce point voir la notion de hedge traitée dans le chapitre 4.1.2.). La deuxième méthode que nous appliquerons, bien que dans une mesure très marginale, est celle de l’analyse conversationnelle. Ce terme est la traduction française de la notion anglaise de conversation analysis, un courant de l’ethnométhodologie développé aux Etats-Unis dans les années 1970 par Sacks, Schegloff et Jefferson (p.ex. 1974 ; Sacks 1989, 1992). Au centre de l’analyse conversationnelle se trouve la parole et, étant considérée comme une activité centrale de la vie sociale, « la façon dont elle est organisée dans les échanges quotidiens » (Charaudeau/ Mainguenau 2002 : 38). Il s’agit de comprendre comment les échanges quotidiens sont élaborés de manière collaborative par les participants et comment une action est accomplie. Parmi les phénomènes interactionnels étudiés dans cette perspective, on compte par exemple les tours de paroles et les séquences (Gülich/ Mondada 2007). Pour notre propos, nous analyserons deux courts enregistrements d’interaction ainsi qu’une présentation orale d’un apprenti suisse qui fait un stage en France pour tenter de saisir comment un jeune homme qui affirme ne pas parler très bien le français arrive pourtant à communiquer avec ses formateurs (cf. chapitres 5.2.2. et 5.2.4.2.). 4.1.1. Le corpus Une manière de dégager les représentations sociales que se font les acteurs est de les faire parler des stages dans un entretien. Parmi les différents types d’entretiens qualitatifs, nous avons choisi d’opérer avec l’entretien semi-directif. 77 L’avantage de ce type d’entretien par rapport à un entretien structuré est qu’il laisse une certaine flexibilité à la personne interviewée, notamment celle de choisir elle-même les thèmes évoqués et leur ordre. En même temps, le fait que l’entretien semi-directif suive un certain canevas avec quelques invariants permet de cadrer l’entretien tout en garantissant la possibilité de le comparer avec d’autres entretiens semi-directifs. Notre corpus se compose d’entretiens semi-directifs d’une durée de 15 à 90 minutes recueillis chez <Fabrique A> et mettant en scène une quarantaine d’acteurs (apprentis, étudiants, responsables de la formation, responsables du personnel, directeurs d’entreprises/ managers) ainsi que deux personnes travaillant dans le domaine de la formation professionnelle et/ ou trinationale dans la région du Rhin supérieur. 77 Helfferich rend attentif au fait qu’il existe différentes typologies dans la littérature scientifique et que souvent, une combinaison de deux ou plusieurs types d’entretiens est choisie (Helfferich 2005 : 13, 35ss.). <?page no="72"?> 72 Tableau VI : Vue d’ensemble des entretiens 78 Suisse France Allemagne Apprentis 7 0 7 Étudiants 0 4 79 2 Jeunes professionnels 80 1 0 0 Hauts responsables 81 2 1 1 Responsables de la formation 82 3 3 3 Responsables de la formation professionnelle dans la région du Rhin supérieur 1 0 83 1 79 80 81 82 83 La situation différente de la formation professionnelle dans les trois pays de la région du Rhin supérieur a eu une influence sur le recrutement de nos jeunes interlocuteurs. Le fait de ne pas avoir trouvé d’apprentis français (cette voie n’étant pas privilégiée en France, cf. chapitre-2.2.) nous a obligée à intégrer dans notre corpus des entretiens avec des étudiants français. Cependant, puisque l’occasion s’est présentée, nous avons également fait des entretiens avec des étudiants allemands. Les étudiants français s’étaient lancés dans des études en ingénierie, électrotechnique, « International Business Management » ou « Conduite de projets en environnement international » et étaient venus en Allemagne pour y effectuer leur stage. En revanche, les étudiants allemands suivaient ce que l’entreprise appelle les « études intégrées » en électronique, c’est-à-dire une combinaison d’études se déroulant à la fois dans les locaux de l’université et en entreprise-pour la pratique ; en quelque sorte, cela correspond à la formation duale pour les apprentis, mais à un niveau supérieur. Nous verrons dans le chapitre 4.2. quels sont les efforts déployés par <Fabrique A> dans le domaine de la formation. Il aurait été intéressant de confronter les représentations sociales dans le discours des acteurs avec leurs pratiques effectives (p.ex. Lüdi/ Höchle/ Yanaprasart 2013, 2012a, 2010b, 2010c). Plus précisément, il aurait pu s’avérer utile d’enregistrer les stagiaires au travail d’une part pour voir comment ils communiquaient avec les personnes dans la région d’accueil, quelles stratégies de communication ils utilisaient etc., et d’autre part pour confronter leur discours avec les pratiques réelles. Pour des raisons pratiques, ces enregistrements n’ont pas pu être réalisés Toutefois, une occasion s’est présentée lors du stage de l’apprenti suisse allemand Tim en France : nous avons pu enregistrer quelques minutes de conversation entre Tim et ses formateurs dans laquelle ceux-ci lui demandent comment il avance dans son travail ; nous avons aussi enregistré sa présentation de fin de stage de vingt minutes auprès des formateurs dans laquelle il explique en français ce qu’il a fait et appris pendant le stage. 78 Les sigles utilisés pour désigner les différentes entreprises seront expliqués dans le chapitre 4.2. 79 Un des étudiants français (Etienne) est aussi un ancien apprenti : il a fait un Diplôme universitaire de technologie (DUT) par apprentissage pendant lequel il a passé trois mois à <Fabrique A Allemagne> et a obtenu le Certificat Euregio. Ensuite, il a fait une école d’ingénieurs par apprentissage en France, mais a continué à travailler en Allemagne. Au moment de l’entretien, il était embauché par <Fabrique A Allemagne> et rédigeait une thèse d’industrie dans le cadre d’études d’ingénieur en Allemagne. 80 Dans le cas de <Fabrique A Suisse>, il s’agit d’un employé qui a fait la formation Euregio en tant qu’apprenti il y a environ dix ans. 81 Parmi les hauts responsables, nous comptons des directeurs d’entreprise et des responsables des ressources humaines. 82 Par responsables de la formation, nous entendons des personnes qui ont d’une manière ou d’une autre affaire à la formation initiale en tant que formateur, que ce soit au niveau administratif et organisationnel ou au niveau pratique. Le terme de formateur est parfois utilisé comme synonyme pour des raisons de lisibilité. 83 Pour des raisons indépendantes de notre volonté, l’entretien prévu avec une responsable française n’a pas pu avoir lieu. <?page no="73"?> 73 Notre corpus est complété par une série de documents écrits tels que des brochures, des documents sur la ‘philosophie’ de l’entreprise, des pages web et des magazines internes. Tableau VII : Vue d’ensemble des stagiaires interviewés nom pays métier type de formation lieu(x) du stage chez Fabrique A durée du stage (en semaines) Alain ALL électronique apprentissage Angleterre 6 Angelo CH électronique apprentissage Allemagne (production) 6 Annie FR International Business Management master trinational Allemagne (production) 24 Aurel CH électronique apprentissage Allemagne (vente) 6 Claudia ALL agent technicocommercial apprentissage France (vente), Suisse 6/ 12 Edith ALL agent technicocommercial apprentissage France (vente), Suisse, Angleterre 6/ 6/ 6 Enzo CH électronique apprentissage Allemagne (production) 7 Etienne FR ingénieur appr./ études Allemagne (production) ? Gaël FR électrotechnique études Allemagne (production) 52 Graziella ALL agent technicocommercial apprentissage Suisse, Angleterre 6/ 6 Jens ALL électronique apprentissage Angleterre 6 Jonas CH électronique apprentissage, maturité professionnelle, formation continue France (production), Allemagne (production) 6/ 7 Lucien FR Conduite de projets en environnement international (CPEI) études Allemagne (production) 20 Nicole ALL dessin industriel apprentissage France (production), Suisse 4/ 8 Oliver ALL électronique études intégrées Singapour 24 Philipp CH électronique apprentissage France (vente), Allemagne (production) 6/ 6 Rosario CH électronique apprentissage France (vente) 6 Sascha ALL électronique études intégrées Canada 16 Silvan CH polymécanique apprentissage Allemagne (production) 4 Tim CH électronique apprentissage France (vente), Allemagne (production) 6/ 6 Viktoria ALL dessin industriel apprentissage France (production), Suisse 8/ 6 <?page no="74"?> 74 Tableau VIII : Vue d’ensemble des responsables interviewés nom pays fonction Boris H. Suisse formateur en mécanique Corentin H. France (vente) technicien spécialisé, formateur Denis D. France (vente) coordinateur réparation, formateur Klaus M. Allemagne (production) ancien responsable formation initiale et continue, formateur Konrad W. Suisse ancien directeur du groupe Fabrique A Leonard B. Allemagne (production) responsable développement du personnel Mirjam D. Allemagne (production) responsable formation initiale et continue, formatrice Reinhard G. Allemagne (production) chef ressources humaines Renaud H. Suisse chef ressources humaines Reto S. Suisse chef de section formation professionnelle, formateur Roger L. France (vente) responsable service clients, formateur Tom W. France (vente) directeur centre de vente Tommaso C. Suisse coordinateur formation professionnelle, formateur Les entretiens chez <Fabrique A> ont été faits entre juillet 2007 et mars 2011. Ils ont tous eu lieu sur la place de travail des interviewés et ont été enregistrés avec un appareil digital. La documentation des entretiens consiste en un guide d’entretien, des notes de terrain et une transcription sociologique. 84 Pour des raisons légales, nous avons donné aux interviewés une déclaration de confidentialité et les avons fait signer à leur tour une déclaration d’accord. Dans ces déclarations, nous leur avons garanti l’anonymat en leur donnant un pseudonyme. Tous les noms d’interviewés cités sont donc des noms fictifs. Pour permettre au lecteur de distinguer plus facilement les responsables et les stagiaires dans le texte, nous avons choisi d’utiliser le prénom plus la première lettre du nom de famille (fictifs) pour les premiers, et uniquement le prénom (tout aussi fictif) pour les seconds. En règle générale, les entretiens ont été faits à deux 85 : l’auteure de la présente thèse a été accompagnée soit par une autre étudiante soit par le responsable du groupe de recherche bâlois qui est en même temps le directeur de thèse. Les critères pris en compte pour le choix du binôme d’intervieweurs ont été d’une part leurs disponibilités, et d’autre part le type de personne interviewée ; en effet, l’intervieweur peut avoir une influence sur le comportement de l’interviewé. Lorsque l’intervieweur et l’interviewé se voient pour la première fois, ils se jugent, forment des attitudes d’attentes et se comportent selon ces attentes. Un aspect de ces premiers jugements est la perception de l’autre comme « très différent » ou comme une personne ayant des points communs avec sa propre personne (Helferrich 2005 : 119). Par exemple, une jeune apprentie pourrait se sentir intimidée par la présence d’un professeur d’université. Pour tenir compte de ces éléments, les entretiens avec les stagiaires ont été faits 84 Nous aimerions remercier ici tous les étudiants qui nous ont aidée à transcrire le nombre considérable d’entretiens accumulés pour les fins de la présente recherche. 85 Parmi les exceptions, on peut compter l’entretien avec l’ancien directeur de <Fabrique A Suisse> et l’ancien responsable de la formation, ainsi que deux entretiens avec des apprentis chez <Fabrique A Allemagne>. <?page no="75"?> 75 - en règle générale - par l’auteure de la thèse et une étudiante, alors que ceux concernant les responsables ont été menés par l’auteure et le professeur. En fin de compte, nous n’avons pas eu l’impression que la présence de l’une ou de l’autre personne a été un problème, ni pour les apprentis ni pour les hauts responsables. En effet, la présence d’une personne qui pose des questions et une personne qui y répond présente une situation de communication particulière. Abell/ Myers définissent l’entretien « as one kind of interaction, in which both or all participants construct the event moment to moment, and there are complex shifts in the roles and relations of interviewer and interviewee(s) » (Abell/ Myers 2008 : 158). Par conséquent, chaque entretien allie des principes d’interaction et de coopération : « In diese Kommunikationssituation bringen beide, die interviewende und die erzählende Person, ihre eigenen […] Relevanzsysteme und Wirklichkeitskonstruktionen ein. Auch wenn nur eine Person erzählt, ist der Text doch eine Ko-Produktion und die Interviewenden sind Ko-Produzierende ». (Helfferich 2005 : 80) L’entretien comme ‘texte’ est donc le produit de l’entretien comme processus d’interaction commun (Helfferich 2005 : 12). Cela ne demande pas seulement des compétences spécifiques de la part de l’enquêteur (cf. Helfferich 2005 : 83ss.), mais cela signifie aussi que les questions préparées dans le guide d’entretien ne peuvent pas être posées dans l’ordre et la formulation prévus. De plus, chaque situation d’interview est différente des autres par le fait que l’interlocuteur change. Il nous a donc fallu établir un guide d’entretien « modèle » qui puisse être adapté, d’une part à la personne de l’interviewé, et d’autre part à la situation de l’entretien. Dans ces guides d’entretien revenait un certain nombre de champs conceptuels (comme par exemple « motivation-pour le stage », « objectifs-des stages », « attentes par rapport aux stages »). Il ne s’agissait pas de termes scientifiques mais de termes appartenant au langage ordinaire des interviewés. Ceux-ci ont parfois repris nos termes et parfois répondu avec leurs propres mots. Pourtant, dans notre analyse, ces termes ont servi de termes scientifiques et ne sont pas utilisés comme éléments de catégorisation : nous ne les reprendrons pas pour notre grille d’analyse, mais ferons de nouvelles catégories à partir du contenu des réponses. Pour l’exemple cité ci-dessus, ce serait le « pourquoi » des stages. Quant à la durée des entretiens, ceux menés avec les apprentis ont duré entre 20 et 30 minutes (ceux menés avec les hommes étaient un peu moins longs que ceux avec les femmes), ceux avec les étudiants entre 40 et 50 minutes. Nous ne pouvons faire que des hypothèses pour expliquer ces différences : premièrement, l’âge pourrait jouer un rôle. Les étudiants ont autour de 25 ans, les apprentis autour de 18. On peut supposer que les premiers sont déjà plus mûrs et savent mieux réfléchir sur les expériences faites pendant leur stage et les lier à d’autres expériences. Deuxièmement, il semble que le facteur du gender joue aussi un rôle : les apprentis sont en général moins loquaces que les apprenties. Troisièmement, la profession choisie peut également avoir une influence : les entretiens les plus courts ont été réalisés avec les apprentis dans le domaine industriel (électronique, informatique, polymécanique) tandis que ceux avec les apprenties dans le domaine commercial (agent technico-commercial) étaient un peu plus longs. Est-ce un hasard si ce ne sont que des hommes dans le premier groupe et que des femmes dans le deuxième ? Le lien existant entre la profession et le sexe est probable, mais comment expliquer alors que les trois apprenties en dessin industriel ont parlé plus de 30 minutes ? Nous pouvons donc simplement noter cette tendance sans toutefois pouvoir la prouver. Le caractère plutôt taciturne de certains apprentis a eu un impact certain sur le déroulement des entretiens. Alors qu’il suffisait de poser une question ouverte aux étudiants, formateurs et hauts responsables pour qu’ils parlent, ce ne fut souvent pas le cas pour les apprentis. Il nous a fallu poser des questions beaucoup plus précises et certaines fois leur souffler nous-mêmes le mot-clé alors que nous avions espéré l’obtenir de leur part. Ces entretiens sont donc beaucoup plus dirigés que le reste des données. Cependant, nous ne pensons <?page no="76"?> 76 pas que les apprentis aient voulu adopter une stratégie particulière avec ce comportement : ils étaient tous prêts à nous parler de leurs expériences ; certains voulaient même en savoir plus sur le projet de recherche dans le cadre duquel l’entretien avait lieu. En somme, ils ont fait de leur mieux, mais il nous semble aussi qu’ils ne pouvaient pas en dire plus. Leurs réponses montrent qu’ils ne veulent pas ou ne peuvent pas encore réfléchir plus sur leurs expériences pendant le stage ; on peut légitimement penser que celles-ci sont encore trop proches mais qu’avec un peu de distance, les réponses seraient plus élaborées. En tout cas, l’entretien avec un ancien apprenti en électronique (Jonas) ayant effectué son stage il y a dix ans et travaillant toujours chez <Fabrique A Suisse> est beaucoup plus long que ceux avec les électroniciens plus jeunes. Les entretiens ont en général été faits dans la langue première de la personne interviewée, c’est-à-dire soit en suisse-allemand, en allemand ou en français. Le choix de la langue n’a pas été thématisé avec les interviewés germanophones, comme ce fut le cas avec les interviewés francophones. L’étudiante Annie par exemple nous a salués en allemand, mais sachant qu’elle était française, nous lui avons demandé si l’allemand lui convenait ou si elle préférerait parler français ; elle s’est décidée pour l’allemand. Avec l’étudiant Gaël, ce fut l’inverse ; c’est nous qui l’avons salué en français parce que nous l’avions entendu parler français devant la porte. A notre question de savoir quelle langue il préférait, il a répondu que cela lui était égal, mais qu’il pourrait parler allemand si nos questions n’étaient pas trop difficiles. Dans le cas de l’étudiant français Lucien, parlant l’anglais mais pas l’allemand, le choix de la langue a été thématisé entre les deux intervieweurs et l’étudiant ainsi que le responsable de la formation. La proposition d’un des intervieweurs de parler français a été acceptée par les autres ; à la fin de l’entretien, l’étudiant a voulu savoir pourquoi nous avions fait l’entretien en français. Par contre, le choix de la langue n’a pas été matière à discussion au début de l’entretien avec l’étudiant français Etienne. Les premiers tours de parole se sont faits en allemand, mais puisque les deux intervieweurs appartenaient à l’institut universitaire des études françaises, l’entretien en tant que tel a été commencé par eux en français. Au cours de l’entretien, il a été question de la langue qu’Etienne utiliserait pour expliquer les objets qui se trouvaient sur son bureau : il a répondu que ce serait en allemand. L’entretien a donc continué en allemand jusqu’au moment où, vers la fin de l’entretien, Etienne a dû noter son nom pour notre documentation. Son nom a fait l’objet de commentaires de sa part, et c’est là qu’un des intervieweurs a de nouveau parlé en français. Il y a donc des entretiens avec les étudiants français qui ont été faits entièrement ou partiellement en allemand. Des fautes de langue dans les transcriptions ne sont donc pas des fautes de frappe de la transcriptrice, mais correspondent au ton original de trois Français parlant allemand. 4.1.2. L’analyse des données Avant de s’attaquer à l’analyse des données, il a fallu respecter un certain nombre d’étapes préalables. Premièrement, il a fallu choisir un logiciel adéquat pour l’analyse. Notre choix s’est porté sur le logiciel en allemand ATLAS.ti 86 . Deuxièmement, il a fallu établir une liste de mots-clés, en nous basant sur nos guides d’entretien, et coder les entretiens avec ces motsclés. Pour des raisons pratiques, le travail de la création des mots-clés ainsi que du codage a été réparti en deux temps : d’abord les entretiens avec les stagiaires, ensuite ceux avec les responsables dans les entreprises ainsi que les responsables de la formation professionnelle dans la région. En fonction des guides d’entretien, nous avons choisi les mots-clés suivants pour les entretiens avec les stagiaires : celui d’« organisation du stage » pour regrouper tout ce qui a affaire à la décision de faire un stage, au choix du lieu, aux heures de travail pendant le 86 Le logiciel a été créé à l’Université technique de Berlin entre 1989-1992 et s’oriente à la Grounded Theory et à la quantitative Inhaltsanalyse. L’acronyme ATLAS signifie « Archiv für Technik, Lebenswelt und Alltagssprache », ti. veut dire « Textinterpretation ». <?page no="77"?> 77 stage, à l’évaluation du stage et aux problèmes organisationnels ; celui de « pédagogie du stage » pour marquer les endroits où il est question de préparation et suivi du stage ainsi que des tâches accomplies pendant le stage. D’autres mots-clés pertinents pour l’analyse sont la « motivation pour le stage », les « défis du stage », les « attentes des stagiaires », les « attentes de l’entreprise » (dans la perspective des stagiaires), les « expériences des stages », les « bénéfices du stage » et le « lieu d’origine vs. le lieu du stage » (ce mot-clé est proche d’un autre mot-clé utilisé, à savoir la « dimension interculturelle », mais nous l’avons utilisé pour marquer spécifiquement les passages où les stagiaires nous ont parlé des différences de mentalité, de travail etc. qu’ils ont perçues). Pour pouvoir tenir compte de ce qui a affaire avec la langue, nous avons utilisé les mots-clés « biographie linguistique » et « compétences linguistiques », mais avons ajouté la « perception personnelle des langues », la « motivation d’apprendre des langues étrangères », la « communication exolingue » et les « stratégies de communication ». En plus, nous avons attribué un mot-clé « anglais », « allemand », « suisseallemand », « français » et « alsacien » pour les passages où les stagiaires ont parlé de ces langues. Pour le codage des entretiens avec les différents responsables, nous avons bien sûr pu utiliser un certain nombre de mots-clés introduits par rapport aux stagiaires, comme par exemple ceux d’« organisation du stage », « pédagogie du stage » et « bénéfices du stage ». Néanmoins, il a fallu ajouter de nouveaux mots-clés pour prendre en compte la perspective de l’entreprise, comme par exemple les « objectifs du stage », les « attentes entreprise/ université », les « expériences avec les stagiaires » et la « communication avec les stagiaires ». Puisque nous travaillons dans la région trinationale du Rhin supérieur, un certain nombre de mots-clés qui rendent compte de ce contexte particulier se sont révélés nécessaires, comme la « formation Euregio » en général, les « bénéfices de la formation Euregio », la « formation professionnelle », la « formation transfrontalière/ internationale », la « collaboration transfrontalière », la « région du Rhin supérieur ». Avant d’analyser les données, il a fallu troisièmement choisir parmi les mots-clés ceux qui nous semblaient particulièrement intéressants, à savoir tous ceux touchant à la motivation, aux objectifs, aux attentes, aux défis, aux expériences et aux bénéfices des stages ; ce sont ces thèmes que nous avons choisis pour structurer notre chapitre d’analyse (chapitre 5). Les autres mots-clés n’ont pas été regroupés sous des thèmes spécifiques, mais sont utilisés dans le texte quand ils nous semblent pertinents. Cependant, notre analyse ne se limite pas à dégager des entretiens les thèmes évoqués par rapport aux stages professionnels. Nous nous intéressons aussi à analyser les représentations sociales partagées et les représentations personnelles des acteurs telles qu’elles émergent du discours (cf. chapitre 3.5. ; Bothorel-Witz/ Tsamadou-Jacoberger 2012), ce qui mène à une valorisation de la forme. Par conséquent, nous portons un intérêt particulier à la manière dont les acteurs parlent des stages en regardant quelles traces de l’énonciateur sont perceptibles dans le discours. Benveniste (1966) --dans le cadre de la linguistique de l’énonciation en France --a été le premier à étudier la façon dont le locuteur s’inscrit dans son énoncé (=acte d’énonciation). L’énonciation se définit comme « l’acte de production » d’un énoncé et donc comme un acte individuel d’utilisation de la langue. Benveniste distinguait l’énonciation historique (des textes où il n’y a pas de traces du locuteur, le récit au sens strict) et l’énonciation personnelle (le discours où il y a deux interlocuteurs qui manifestent leur présence). Ducrot/ Todorov (1972) parlent de « l’empreinte du procès d’énonciation dans l’énoncé », c’est-à-dire « les éléments appartenant au code de la langue et dont pourtant le sens dépend de facteurs qui varient d’une énonciation à l’autre, par exemple je, tu, ici, maintenant etc. » (Ducrot/ Todorov 1972 : 405). Ces traces sont observables entre autres dans l’emploi de moyens linguistiques spécifiques ainsi que de formes paraverbales (pauses, hésitations, rires). Dans notre analyse, nous regroupons les marqueurs de la présence de l’énonciateur ainsi que les indices qui modalisent le discours sous le terme de hedge - terme inventé par Lakoff en 1972 et qui prend son ori- <?page no="78"?> 78 gine dans la logique formelle et la sémantique. 87 Lakoff regroupait sous le terme de hedges des mots comme « pour ainsi dire » ou « en principe » qui nuancent le degré de vérité d’une proposition et qui indiquent dans quelle mesure quelque chose ou quelqu’un appartient à une catégorie donnée. Ainsi, la phrase « Une poule est pour ainsi dire un oiseau » serait considérée comme vraie ; même si la poule n’est pas un oiseau prototypique, elle partage plusieurs critères avec la catégorie ‘oiseau’. Par contre, la phrase « Une chauve-souris est pour ainsi dire un oiseau » serait considérée comme fausse ; le fait que la chauve-souris vole ne suffit pas pour la compter parmi les oiseaux (Lakoff 1972 : 471). Dans les années 1980, Brown/ Levinson utilisent le terme de hedge dans le contexte de l’expression linguistique de politesse partant de l’idée que, dans la communication en faceà-face, chaque interlocuteur s’efforce de sauver sa propre face et celle de l’autre (cf. Clemen 2000). Des hedges seraient utilisés par exemple pour atténuer un acte potentiellement menaçant pour la face (un « face-threatening act »), notamment lorsqu’on critique l’interlocuteur à travers un énoncé du type « Peut-être, tu devrais vraiment essayer de travailler plus dur » (Brown/ Levinson 1988 : 116-117). Les hedges seraient également mobilisés pour atténuer la force illocutoire d’un énoncé (p.ex. « Tu veux bien me rendre un service, n’est-ce pas ? ) (Brown/ Levinson 1988 : 145-172). Pour Brown/ Levinson, un hedge peut aussi être non verbal- et concerner un geste, la mimique ou l’expression de « mmh » ou « aah » (Brown/ Levinson 1988 : 172). Darian rattache les hedges à la formulation d’hypothèses dans des textes scientifiques. Une hypothèse serait toujours provisoire (« tentative », Darian 1995 : 101), et les hedges seraient un moyen d’exprimer ce caractère provisoire. Selon Darian, des hedges peuvent apparaître partout dans le discours et prendre des formes linguistiques diverses : des noms (« la conception que… »), des verbes (« nous concluons… »), des verbes modaux (« cela pourrait contribuer à… »), des adverbes (« vraisemblablement... »), des adjectifs (« des opinions actuelles favorisent… »), des articles (« une solution est… ») des pronoms (« certains pensent que… »). Cependant, nous avons trouvé une catégorie supplémentaire dans notre corpus ; ceci s’explique par le fait que nous n’avons pas analysé de documents écrits, mais du discours oral. En effet, les stagiaires utilisent souvent des particules comme « bon », « voilà », « en fait », « halt » ou « eben ». A la liste proposée par Darian s’ajoute donc notre propre catégorie des « particules modales ». Selon Darian, des hedges peuvent s’employer comme des - « intensifiers » : ’définitivement’, ‘plutôt’, ‘effectivement’ ; - « approximators » : ‘environ’, ‘quelques’, ‘en quelque sorte’ - « impersonalizations » : ‘L’opinion moderne est…’, ‘d’après cette conception…’- - « indicators of personal involvement » : ‘nous aimerions proposer…’. Ayant introduit une nouvelle catégorie de hedges avec les particules modales, nous pouvons définir une cinquième fonction, à savoir celle de l’« attenuator » (‘eigentlich’, ‘halt’, ‘je ne sais pas’, ‘je dirais’…). Markkanen/ Schröder (1992) analysent le phénomène des hedges également dans des textes scientifiques et suivent l’approche de Brown/ Levinson. Selon eux, les fonctions des hedges se situent à quatre niveaux : hedging 1) réduit la responsabilité d’un locuteur pour le degré de vérité d’une proposition, 2) modifie la validité d’une proposition ou le poids de l’information donnée, 3) signale l’attitude d’un locuteur envers la proposition ou peut masquer son attitude et 4) protège le locuteur contre de la critique éventuelle et réduit le danger d’être repoussé par le destinateur. Le locuteur construit ainsi une « haie » (« hedge ») protectrice autour de lui pour ne pas devoir prendre toute la responsabilité concernant le degré de vérité, la validité et le poids d’une proposition. Pour notre analyse, nous reprenons 87 Kleiber/ Riegel (1978) ont proposé une traduction du terme hedge en français et parlent d’enclosure linguistique. Nous maintiendrons cependant, en accord avec la plupart de la littérature scientifique, l’emploi du terme anglais. <?page no="79"?> 79 les catégories et fonctions des hedges proposées par Darian et Markkanen/ Schröder respectivement. Nous avons dit avoir fait une cinquantaine d’entretiens. Evidemment, ce grand nombre de données enregistrées produit une quantité énorme d’informations. Pour l’analyse des données, nous n’avons pas pu tenir compte de toutes ces informations de la même manière. La majorité pourtant a été analysée en détail, d’autres points ont été intégrés dans notre texte de manière indirecte et sous forme de résumé, d’autres n’ont pas été retenus du tout. Nous avons également mentionné que notre recherche était une recherche qualitative. En conséquence, nous ne nous intéressons pas aux chiffres statistiques ; par ailleurs, notre corpus est trop petit pour faire une recherche quantitative. Nous n’avons donc pas utilisé les fonctions quantitatives disponibles dans le logiciel ATLAS.ti. 4 2 Terrain Dans ce chapitre, nous présenterons le terrain sur lequel nous avons recueilli nos données. <Fabrique A> est un des leaders mondiaux dans le domaine des instruments de mesure, des services et des solutions dans la technologie industrielle. C’est une entreprise familiale qui comprend plus de 85 sociétés indépendantes (= le groupe <Fabrique A>) avec plus de 8’500 collaborateurs dans plus de 40 pays. 88 L’entreprise est fortement implantée dans les trois pays de la région du Rhin supérieur et exploite ses relations transfrontalières mais aussi plus généralement ses contacts internationaux pour profiter, dit-elle, de la possibilité de réunir des gens de langues et de cultures différentes afin d’augmenter la créativité et la flexibilité sur les marchés. Dans la région du Rhin supérieur se trouvent plusieurs sociétés du groupe <Fabrique A>, dont le holding, des centres de production et des centres de vente. D’autres centres de production, dont chacun est spécialisé sur un type d’instrument de mesure, se trouvent également en Chine et aux Etats-Unis. Les centres de vente sont beaucoup plus nombreux, éparpillés dans le monde entier, et vendent tous les produits, mais ceci pour des marchés définis ; les centres de vente et de production sont des sociétés autonomes en ce qui concerne leur gestion - elles ont chacun leur propre directeur, leur propre département des ressources humaines, leurs propres responsables de la formation etc. - mais sont soumises à l’application de la philosophie de l’entreprise telle qu’elle est définie dans des documents écrits. L’endoxa M êMe si nous soMMes des sociétés autonoMes , nous appartenons tous au MêMe groupe d ’ entreprises est intériorisée par les différents acteurs qui témoignent d’un fort sentiment d’appartenance (« …das mr ei Gruppe sin, dass mer irgendwo dure zämeghöre […] dass mir alli in eim Boot sin », Reto S.) et une forte identification à l’entreprise (« j’ai le sang bleu 89 hein, je suis <Fabrique A> à cent pour cent », Roger L.). Nous avons pu recueillir des données dans les quatre entreprises marquées en caractères gras dans le schéma ci-dessous qui représente la structure du groupe d’entreprises : 88 Pour notre recueil des données, trois sociétés ont été pertinentes. Nous les distinguons au sein du groupe <Fabrique A> en parlant de <Fabrique A Suisse>, <Fabrique A Allemagne> et <Fabrique A France>. <Fabrique A Suisse> désigne le holding et le centre de production en Suisse du Nord-Ouest, <Fabrique A Allemagne> le centre de production au Bade-Wurtemberg et <Fabrique A France> le centre de vente en Alsace. Parfois, les acteurs mentionnent d’autres sociétés au Bade-Wurtemberg et en Alsace. Dans ces cas-là, nous indiquerons entre crochets qu’il s’agit du centre de vente pour le Bade- Wurtemberg et du centre de production pour l’Alsace. Dans le cadre des entretiens, d’autres sociétés du groupe Fabrique A à l’étranger ont été mentionnées : lors de leur première occurrence, nous parlerons de <Fabrique A Singapour>, <Fabrique A Canada> et <Fabrique A Angleterre>, mais n’utiliserons que le nom du pays dans la suite du texte. 89 Le bleu est la ‘corporate couleur’ de l’entreprise. <?page no="80"?> 80 Tableau IX : Structure du groupe <Fabrique A> 4.2.1. La ‘philosophie’ de <Fabrique A> en matières de langues et de formation Puisque <Fabrique A> concerne tout un groupe d’entreprises, nous avons décidé de ne présenter que la philosophie générale (la corporate culture) du groupe d’entreprises et de ne pas entrer en détail sur les sociétés analysées. Nous avons eu accès à la philosophie de l’entreprise à travers une série de documents intitulés Charte, Credo ou Spirit, mais aussi à travers le discours des dirigeants. Ces documents décrivent les valeurs-clés du groupe d’entreprises ainsi qu’un cadre stratégique clair 90 ; la Charte est valable pour toutes les sociétés du groupe et est remise à chaque collaborateur et collaboratrice, ensemble avec le Credo. Les documents contiennent aussi des principes de base et des règles de conduite, notamment sur la communication (« Nous communiquons ouvertement. Nous pratiquons la transparence de l’information, librement et de façon respectable », Credo), mais nous ne trouvons aucune mention sur la gestion des langues - bien qu’un collaborateur nous ait dit que nous y trouverions quelques lignes. Un rôle-clé est attribué aux collaborateurs : le Credo postule qu’une « qualité exemplaire de nos produits et services » est seulement possible avec des collaborateurs « motivés et engagés ». Ainsi, un point de la Charte de <Fabrique A> dit : Nos collaborateurs sont importants pour nous : notre compétitivité repose, aujourd’hui et demain, sur leurs connaissances et leurs aptitudes […]. Seuls des collaborateurs motivés, satisfaits et connaissant un succès personnel nous permettent de réaliser des performances de pointe pour nos clients. (Charte, §7.1) <Fabrique A> formule des attentes concrètes à l’adresse de ses collaborateurs, mais leur rend leur engagement en encourageant leur épanouissement : Nous attendons de chaque collaborateur qu’il développe ses connaissances et capacités par un apprentissage permanent (…). Nous le soutenons dans cette démarche par des programmes de formation continue. (Charte §7.5) On peut conclure de cet alinéa que les connaissances linguistiques sont implicitement comprises dans les « connaissances » et « aptitudes » des collaborateurs. 90 Un principe déjà ancien mais toujours valable dit qu’il faut « erst dienen - dann verdienen ». Le service aux clients et la « loyauté et la responsabilité globale » (Spirit de <Fabrique A>) sont des principes considérés comme beaucoup plus importants que la maximisation du profit. <?page no="81"?> 81 Puisque <Fabrique A> considère son personnel comme le moteur de son succès, il est évident qu’elle veut employer du personnel qualifié et bien formé. Ainsi, ce groupe d’entreprises accorde beaucoup d’importance à la formation. La formation en système dual a une longue tradition et une grande importance chez <Fabrique A>. 91 Un facteur de réussite pour une entreprise opérant au niveau mondial est l’orientation vers l’international. <Fabrique A> fait grand cas de ce que les jeunes gens fassent des expériences à l’étranger et améliorent leurs compétences linguistiques. Ainsi, la formation Euregio est mentionnée dans une brochure d’information sur la formation au sein du groupe d’entreprises (Willkommen ! Wir bereiten Sie auf spannende Aufgaben vor ! ). Selon cette brochure, l’idée du concept Euregio serait de « neben praktischer Sprachkompetenz auch Werte wie Flexibilität und Aufgeschlossenheit oder die Fähigkeit zur Integration und Kooperation vermitteln - Dinge, die über eventuelle kulturelle, wirtschaftliche oder administrative Hürden helfen ». Les mêmes informations sont disponibles sur un CD, sur lequel le Certificat Euregio est présenté par les apprentis eux-mêmes. Cependant, il existe d’autres possibilités de se former au sein du groupe d’entreprises, par exemple en faisant des études intégrées, c’est-à-dire en alternance avec un apprentissage et des études dans une école supérieure spécialisée. Selon Klaus M., l’ancien responsable de la formation de <Fabrique A Allemagne>, l’entreprise forme de manière ciblée son personnel à l’aide de ce programme : « Sie haben den notwendigen theoretischen Hintergrund, wichtige praktische Erfahrungen-und - was ganz wichtig ist - sie sind von Anfang an verbunden mit <Fabrique A> » (<magazine interne> 2005 : 63). L’encouragement de la relève est un aspect très important pour le groupe d’entreprises. Puisque de moins en moins de jeunes s’intéresseraient à la technique, selon Klaus M., les entreprises devraient prendre des mesures. Parmi ces mesures d’encouragement, on peut mentionner des Centres électroniques pour les jeunes, des projets au sein desquels des apprentis et des ingénieurs accompagnent des collégiens dans leurs cours de technique ou bien des visites d’entreprise pour des élèves intéressés qui peuvent ensuite y faire un stage d’initiation. Selon Klaus M., environ un tiers des apprentis allemands peuvent être recrutés de cette manière (cf. <magazine interne> 2005 : 69). De plus, le groupe d’entreprises se positionne comme formateur important dans la région en organisant des soirées d’information sur les différentes professions ou en se présentant à des salons de métiers (Berufsschau, Science Days). Il reste que l’encouragement de la relève ne se limite pas à l’espace de l’Europe centrale : <Fabrique A> participe financièrement à des programmes d’aide qui mettent l’accent sur l’Europe orientale et l’Asie ; elle a aussi établi de tels programmes en collaboration avec des universités ou écoles supérieures spécialisées allemandes. Des jeunes gens de l’Europe de l’Est ou de l’Asie suivent un cursus de mastère en Allemagne avec une bourse de <Fabrique A>. Les étudiants font plusieurs stages au sein du groupe d’entreprises et sont accompagnés pour leurs mémoires de diplôme. Parmi les autres offres du groupe <Fabrique A> faites pour les étudiants, on peut aussi mentionner des places de stage ainsi que l’accompagnement pour des mémoires ou des thèses. Ces opportunités de formation sont d’ailleurs mentionnées dans la section « Karriere » de la page web du groupe d’entreprises (disponible en anglais et en allemand). Tandis que les stages sont mentionnés dans la section qui s’adresse aux étudiants, le Certificat Euregio ne l’est pas dans la section destinée aux futurs apprentis. La page contient seulement un court texte qui explique pourquoi un apprentissage chez <Fabrique A> est intéressant, tout en s’accompagnant d’une liste des branches d’activités concernées. Le site web indique également que la qualité de la formation est très élevée et que la formation est organisée selon le système dual. La possibilité d’effectuer des stages dans le cadre du Certificat Euregio n’est pas thématisée. 91 En tout cas dans les sociétés en Suisse et en Allemagne, voir chapitre 2. <?page no="82"?> 82 Dans la rubrique « collaborateurs » dans la section « Karriere » du site web, l’importance des collaborateurs - surtout jeunes - est encore une fois soulignée : Wir bilden junge Menschen aus, unterstützen sie im Studium, als Diplomanden und Doktoranden. Unsere Beschäftigten profitieren von unserem internationalen Umfeld und von unserem nachhaltigen Wachstum. Weiterbildungsangebote nach Maß unterstützen Sie in Ihrer persönlichen Entwicklung. (www.karriere.<fabrique A>.com) De même, la brochure Technik macht Spass ! Ausbildung und Perspektiven bei <Fabrique A> affirme : « Die Auszubildenden sind für <Fabrique A> eine bedeutende Investition in die Zukunft, um den Bedarf an qualifizierten Mitarbeitern weiterhin zu sichern. Sie sind ein wesentlicher Erfolgsfaktor für das Unternehmen ». 4.2.2. Accès au terrain <Fabrique A> Sachant que <Fabrique A> organise des stages, l’auteure de la présente thèse a pris contact avec l’ancien directeur du groupe de l’entreprise, Konrad W. Elle a été invitée pour un entretien exploratoire avec l’ancien directeur et le responsable de la formation de <Fabrique A Allemagne> de jadis, Klaus M. Etant lui-même très engagé dans l’organisation des stages, Konrad W. a tout de suite donné son accord pour une thèse sur les stages de <Fabrique A>. Puisque le responsable de la formation de <Fabrique A Allemagne> a participé à l’entretien exploratoire, le recueil des données s’est d’abord concentré sur cette entreprise. L’organisation des entretiens avec les stagiaires s’est faite à travers Klaus M. au début, et à travers une autre collaboratrice de la formation, Mirjam D., lorsque Klaus M. a changé de place de travail à l’intérieur de l’entreprise. A des moments différents, d’autres entretiens ont été réalisés avec Mirjam D., Klaus M. et son successeur Leonard B. ainsi qu’avec huit apprentis allemands, quatre étudiants français et deux étudiants allemands. Le contact avec l’entreprise suisse <Fabrique A Suisse> s’est de nouveau fait à travers un courriel de l’auteure du présent travail à la direction de l’entreprise. Par la suite, plusieurs personnes des ressources humaines ont été indiquées et contactées. Finalement, c’est le formateur Reto S. qui s’est occupé de l’organisation des entretiens avec sept apprentis et trois formateurs, dont aussi Reto S. lui-même. Un des apprentis, Tim, était sur le point de partir chez <Fabrique A> en Alsace lorsque nous avons mené notre premier entretien. Lui et ses formateurs ont donné leur accord pour une visite à sa place de stage en France. En fin de compte, nous pouvons même parler de deux visites : la première étant destinée à l’interviewer et à enregistrer de courtes séquences au travail, et la deuxième nous ayant permis d’assister à sa présentation de fin de stage. Une quatrième rencontre suivie d’un entretien a eu lieu après que Tim avait terminé son stage en vue de dresser un bilan de son stage en France, mais aussi en vue d’anticiper son stage en Allemagne. Enfin, un dernier entretien a eu lieu après le stage en Allemagne. La majorité des stagiaires interviewés avaient déjà fait leur stage et nous ont accordé l’entretien après-coup. Cependant, il y avait deux apprentis allemands et deux apprentis suisses qui devaient encore partir en stage au moment du recueil des données et qui ont pu être interviewés avant et après le stage (Jens avant son stage chez <Fabrique A> en Angleterre ; Graziella après son stage en Suisse, mais avant son stage en Angleterre ; Philipp après son stage en France, mais avant et après son stage en Allemagne ; Tim avant, pendant et après son stage en France ainsi qu’avant et après son stage en Allemagne). Indépendamment des entretiens avec les apprentis coordonnés par les formateurs, il a été possible d’interviewer un employé de <Fabrique A Suisse>, Jonas, ayant terminé son apprentissage une dizaine d’années plus tôt et qui avait également fait un stage dans le cadre du Certificat Euregio. Ce contact a été établi de manière informelle lors d’une soirée conviviale. Les contacts avec < Fabrique A France > se sont faits à travers les formateurs suisses. La visite de Tim à son lieu de stage en France a également nécessité l’accord des formateurs français. La personne responsable, Roger L., a consenti à un entretien avec lui et son collègue <?page no="83"?> 83 Corentin H. Une fois sur place, un troisième formateur, Denis D., s’est également mis à disposition pour un entretien. Le troisième groupe cible d’informateurs est celui des responsables du personnel (Renaud H. pour <Fabrique A Suisse> et Reinhard G. pour <Fabrique A Allemagne>) et les managers (Tom W. pour <Fabrique A France>). Ces personnes ont été directement contactées par l’auteure de la thèse ; les dates d’entretien ont ensuite été fixées par les assistantes respectives. Le dernier groupe d’acteurs est celui des responsables pour la formation professionnelle dans la région trinationale du Rhin supérieur, Sebastian R. et Volker K., avec lesquels les dates d’entretien ont été fixées de manière bilatérale avec l’auteure de la thèse. <?page no="84"?> 84 5. Les représentations des stages professionnels des acteurs Dans ce chapitre, nous présenterons les résultats de notre recherche. Nous regroupons nos résultats en deux grands volets. Le premier traite de la perspective de l’entreprise, voire des responsables de la formation (5.1.), le deuxième de la perspective des stagiaires (5.2.), à la fois dans sa dimension prospective (avant le stage), et rétrospective (après le stage). Notre intérêt portera sur les questions de savoir pourquoi les acteurs offrent ou participent à des stages, donc quelles sont les raisons, les motivations, les objectifs, les attentes et les défis, mais aussi les bénéfices des stages et pour les stagiaires et pour l’entreprise. Nous ne nous limitons pas aux stagiaires ayant fait leur stage dans la région du Rhin supérieur, mais tiendrons compte de tous les stagiaires, y compris ceux partis en Angleterre ou en dehors de l’Europe. 5 1 La perspective de l’entreprise : pourquoi offrir des stages ? Dans le prochain chapitre, nous verrons ce que les responsables de la formation - qui doivent réaliser le concept du Certificat Euregio - disent par rapport aux stages. Dans quelle mesure leurs propos correspondent-ils à l’(en)doxa- ou en diffèrent-ils ? Quels sont selon eux les objectifs des stages et les bénéfices tant pour les stagiaires que pour l’entreprise ? Nous avons cité dans le chapitre 4.2. une brochure dans laquelle le groupe <Fabrique A> mentionne le Certificat Euregio et considère - outre les compétences linguistiques - la flexibilité, l’ouverture d’esprit et la capacité à l’intégration et à la coopération comme des éléments-clés du stage. Sur la page web du Certificat Euregio, on trouve les objectifs suivants : - obtenir le Certificat Euregio pour augmenter ses chances sur le marché du travail (local) - découvrir un pays étranger, sa culture et ses habitants - découvrir une entreprise à l’étranger, la culture d’entreprise, la manière de travailler - acquérir de nouvelles connaissances professionnelles - améliorer ses compétences linguistiques Nous retrouvons certains de ces objectifs chez Konrad W., le directeur du groupe d’entreprises de jadis qui a fortement encouragé la formation Euregio. Il commence par expliquer comment l’idée d’organiser des stages est née au début des années 1990. Pour Konrad W., il existe incontestablement un lien entre un besoin croissant de personnel qu’il ne trouvait pas sur le marché-à ce moment-là et le fait de se trouver dans une situation particulière à la frontière de trois pays : D Überlegig isch sinerzit gsi, um Himmelswille, mir hän eigentlich do in dr Regio e wunderbari Plattform, und wenn me die Plattform oder, es tönt eso militärisch, Exerziergrund, aso wenn mr döte die Möglichkeit hän, die Lüt döt inne usz’bilde und do rotiere z’loh, denn isch das für uns e Vorteil. Les stages étaient donc d’abord une mesure de recrutement du personnel. Il faut néanmoins mentionner encore un autre aspect : puisque <Fabrique A> est un groupe d’entreprises qui opère au niveau mondial, le fait que les apprentis apprennent à connaître une autre culture ne pourrait qu’être bénéfique pour l’entreprise. Selon Konrad W., des différences de culture et de mentalité existeraient aussi au niveau régional : Dört isch dr Grund isch dä gsi, dass mr gseit händ, e Sproch spräche isch ei Sach, Kultur vom andere verstoh isch en anderi Sach. Und zwar aso sehr grundsätzlich. Mir hän das festgstellt, dass Franzose und Dütschi, die hän prima mitnander technisch rede chönne, aber wenn’s denn um grundsätzlichi Sache gange isch, hän sie eifach e anderi Verhaltenswys gha. […] ich chönnt Ihne Dutzendi vo Bispil sage, wo Dütschi und Franzose und <?page no="85"?> 85 au Schwyzer mitenand nit korrespondiere händ chönne, NIT wäge dr Sproch, d’Sproch isch gange, sondern wäge de Kulturunterschied. Und s’isch aso uns eine vo de wäsentliche Punkt isch gsi, e Exerziergrund z’ha, dass me JUNGI Lüt drzue bringt, Kulturunterschiede mitenand usztrage […] dr wäsentlichi Punkt isch eigentlich nit nur d’Sproch, sondern das Erfasse vo dr Kultur vom andere. En Dütsche wird vilmeh froge, funktioniert das, das isch so die schwizerisch dütschi Art und Wis, funktioniert das, e Franzos will wüsse, WIE genau technisch funktioniert das, aso es sin eifach Unterschied, die liged au in dr Usbildig begründet. Und das isch aso eine vo de wäsentliche Pünkt gsi, dass me gseit het, unseri Lüt, die mir nochhär useschigged in die ganzi Wält, die miend in dr Lag si, uf dr ander iz’goh, si Kultur z’verstoh. Das heisst au, d Frogekultur isch e ganz en anderi. Das wird meischtens überseh. Und d Sproch isch ei Problem, aber d Kultur isch s’ander Problem. Konrad W. met l’accent sur la dimension linguistique comme un aspect important dans la communication entre des gens de différents pays, tout comme la dimension interculturelle. C’est la raison pour laquelle des stages entre des apprentis germanophones de la Suisse et des apprentis allemands sont tout aussi encouragés que des stages entre des apprentis suisses-allemands/ allemands et français. Quant aux compétences linguistiques des jeunes germanophones, Konrad W. n’attend pas des compétences parfaites, mais des compétences qui permettent de comprendre et de se faire comprendre - aussi bien au niveau linguistique qu’interculturel : « Es goht nit drum, dass eine perfekt Französisch spricht, sondern dass er sich ywandfrei und vernünftig verständlich mache cha. Und au e bitzeli dr Kulturfaktor verstoht ». Tel est le discours qu’on retrouve dans l’entreprise, qui fait partie de la philosophie de l’entreprise et que nous pouvons considérer comme l’endoxa parce qu’il est légitimé par l’ancien directeur du groupe d’entreprises qui a fortement marqué la stratégie de <Fabrique A> en matière de formation et de stage. Nous pouvons résumer cette endoxa comme suit : nous voulons forMer du personnel qualifié pour un Marché international ; les stages sont un Moyen d ’ y arriver . Dans ce qui suit, nous nous intéressons à la question de savoir quels sont les objectifs des stages dans la perspective des responsables de la formation dans les trois sites de <Fabrique A> dans la région du Rhin supérieur et dans quelle mesure leurs propos correspondent ou au contraire diffèrent de l’endoxa. A <Fabrique A France>, nous avons interviewé trois formateurs (deux Français et un Belge 92 ). Ils sont tous d’accord sur l’objectif principal du stage concernant les stagiaires : « les faire pratiquer le français, dans le cadre de la [formation] trinationale » (Denis D.). Lorsque nous posons la question de savoir si selon eux, le stage aurait encore d’autres objectifs à part la langue, Roger L. et Corentin H. répondent clairement que non, que « à ma connaissance, c’était l’objectif numéro un, le français » (Corentin H.). L’expression à ma connaissance laisse entendre une certaine incertitude par rapport aux objectifs des stages. Dans les réponses des formateurs français, nous percevons aussi la représentation sociale partagée ou doxa selon laquelle un stage serait avant tout fait pour des raisons linguistiques. Nous répétons notre question si pour eux, le stage aurait encore d’autres objectifs, et c’est alors que Roger L. poursuit : « Notre vision à nous, c’est que si on a un stagiaire, l’idée c’est de trouver un sujet de stage pour qu’il nous fasse avancer sur quelque chose ». C’est une vision très économiste qui n’a rien à voir avec des idéaux inatteignables : les deux partis donnent et reçoivent quelque chose. Pour le stagiaire, il serait « quand même hyper important […] en terme de motivation », pour sa « satisfaction personnelle » et « pour se sentir utile » (Roger L.) qu’il y ait un « objectif professionnel technique derrière » (Corentin H.) : Evidemment, il y a une partie technique parce que nous sommes une société technique et il [le stagiaire] fait une formation technique, donc c’est également ce qui l’intéresse, donc ce qui lui permet d’avancer, et tout cela se fait en français. (Corentin H.) 92 Roger L., le formateur belge, parle français et « un tout petit peu » anglais ; Corentin H., un des deux Français, parle français, anglais et allemand. L’autre Français, Denis D., dit avoir appris le français à l’école, sa langue première étant l’alsacien. Il parle toujours l’alsacien et « [s]e débrouille en allemand quand [il est] obligé ». <?page no="86"?> 86 Cela ne servirait à rien de faire un stage pour faire un stage, mais je dirais ce qu’on privilégie quand même, et il faut bien en être conscient, c’est qu’on privilégie avant tout la langue française. (Roger L.) Pour les formateurs, il est clair (« évidemment ») qu’il y a un côté professionnel dans le stage, mais que ce travail se fait en langue étrangère ; la langue est donc acquise en exécutant des activités professionnelles (Dubs 2006, Filliettaz/ De Saint-Georges/ Duc 2008). Cependant, ils nomment comme condition du stage que le travail exécuté par l’apprenti serve idéalement à l’entreprise. Mirjam D., une responsable de la formation allemande, le formule comme suit : Also man vesucht schon da für beide eine win win Situation herzustellen. Der [=le stagiaire] bekommt wirklich was mit, aber er bringt auch in irgendeiner Form einen Mehrwert für die Abteilung. Wenn das funktioniert, ist das eigentlich das Optimale. Les trois formateurs français mettent l’accent sur l’amélioration de compétences linguistiques de l’apprenti en parlant français au travail. Celle-ci est bien un élément des stages selon l’endoxa, mais pas l’élément primordial et surtout pas le seul. Des « connaissances interculturelles » que l’on obtient lorsqu’on « découvr[e] un nouvel espace culturel » (page web Certificat Euregio) sont tout aussi importantes que des connaissances en langue étrangère. Aucun des trois formateurs ne mentionne la dimension interculturelle. Faut-il interpréter ce constat comme un indice pour la représentation que les différences culturelles sont négligeables puisqu’il s’agit de pays voisins ? En revanche, Tom W., leur supérieur, considère la dimension interculturelle comme étant l’objectif principal des stages. Nous trouvons donc un premier indice de polyphonie au sein de la même entreprise (polyphonie intragroupale) : nous pouvons considérer qu’à la fois le directeur et les formateurs adhèrent à l’endoxa de former du personnel qualifié, mais qu’ils y apportent des variations dans le sens où ils ne priorisent pas les mêmes compétences que ce personnel qualifié devrait acquérir. Nous pouvons parler dans ce cas de doxa, c’est-à-dire de discours partagés par certains membres de l’entreprise, mais auxquels tous n’adhèrent pas ou pas de la même manière. Pour Tom W., passer la frontière permettrait de relativiser ce qu’on connaît (Koller 2010, CELV 2007, Heimann 2010) : Denn stellt me eigentlich fescht, dass das andere, cha me pro und contra si, aber me gseht denn schlussändlich d Differänze, und me lehrt eigentlich eso mit andere Kulture umzgoh, und öb jetz das Franzose, Schwizer oder Dütschi sin, oder Chinese und Inder, spielt denn schlussändlich kei grossi Rolle meh. […] Und es isch denn eso, dass au die Lüt en anderi Basis hän, aso wenn öpper so e trinationali Usbildig gmacht het, denn het är üblicherwis eifach das Kulturelle, das Interkulturelle eigentlich sehr guet glehrt, scho elei mit dene Lüt, won är die ganzi Zit kenne lehrt. (Tom W.) Pour Tom W., il est moins important que les apprentis entrent en contact avec une culture particulière. Ce qui compte pour lui c’est qu’ils fassent l’expérience de travailler avec des gens d’une autre culture et qu’ils développent une compétence interculturelle (Byram 1997, Jordan/ Roberts 2000, Dervin 2004, Conseil de l’Europe 2009). Le formateur suisse Tommaso C. parle aussi de l’atout interculturel et illustre l’idée de la formation Euregio avec un exemple concret : D Idee isch, dass die Lernende merke, äne an dr Gränze wird au mit Wasser kocht. Aber wurum koche die anderscht ? Oder wurum hän si jetzt en anderi Steckdose, obwohl si mit em gliche Wasserkocher eigentlich wän koche ? Aso das erkenne, was wird gmeinsam gmacht, was mache die andere anderscht, was isch besser, was kan i drus mitnäh für mi, mi verbessere, was kan i aber au den andere villicht mitteile, hey, mir mache s eso, hän dir das emol usprobiert ? Aso dä Ustusch und vor allem, die Gränze, wo me in de Köpf het. Das het au dr Konrad W. gseit, die Gränze, wo me in de Köpf het, dass me die abbaut. Le fait que le discours du directeur français et d’un formateur suisse se ressemble nous confirme à nouveau cet aspect polyphonique du discours, cette fois-ci au niveau inter- <?page no="87"?> 87 groupal. Le thème de l’interculturalité évoqué par Tom W. et repris ici par Tommaso C. à travers les notions de « Gränze-in de Köpf », « Ustusch », « Gränze abbaue » et les questions qui mèneraient à la réflexion sur soi et sur les autres, est un thème récurrent et fonctionne comme une doxa, une représentation partagée, au sein de l’entreprise. Pour Tommaso C., l’important lors d’un stage serait que les apprentis se rendent compte des différences et des points communs entre leur pays d’origine et le pays d’accueil, qu’ils y réfléchissent et essaient d’en tirer quelque chose pour leur avenir. En utilisant le discours rapporté (« das het au dr Konrad W. gseit »), une manière privilégiée de se référer à l’endoxa, il montre qu’il a intériorisé le discours de l’entreprise. Lorsqu’il continue, il rapporte un autre discours, qui n’est pas celui de l’entreprise, mais un discours bien partagé parmi les instances officielles de la région du Rhin supérieur : Aso dass jetzt do e Gränze isch und in Dütschland isch s komplett anderscht, und in Frankrich komplett anderscht, das stimmt nid. Aso die Region do im Dreiländereck isch au gschichtlich, historisch sehr äng verbunde, aso wit meh, als jetz zum Bispil mir mit dr Innerschwiz. Und dass die politischi Gränze, dass die nid so nid au in de Köpf isch, zum die abbaue, das isch so s Zil vo dr Regiousbildig. Dans la dernière phrase de cette citation, Tommaso C. répète le discours de l’entreprise lorsqu’il parle de l’abolition des frontières dans les têtes ; le discours de Tommaso C. est donc polyphonique puisqu’il utilise deux discours différents pour parler de la dimension interculturelle (polyphonie intra-individuelle). Résumant ses propos, Tommaso C. indique comme points importants « Horizonterwiterig, Ustusch, Verbesserig, und Abbau vo de Gränze ». Cependant, même s’il est persuadé de l’effet positif des stages, il relativise leur impact lorsqu’il dit que pendant un séjour de six semaines, on peut juste semer la graine qui doit pousser ensuite (« me ka e Some legge und denn muess das wachse »). Pourtant, il mentionne de manière anecdotique un exemple d’échange interculturel couronné de succès : il raconte qu’un apprenti suisse aurait trouvé la femme de sa vie pendant son stage en Allemagne et vivrait avec elle là-bas. Nous retrouvons un discours similaire autour de la notion de « frontière » chez la formatrice allemande Mirjam D. Elle parle même- d’- « animosités » à la frontière et perçoit les stages comme une entraide entre voisins. Elle dit qu’elle constate, dans des entretiens réguliers avec ses apprentis, que le stage contribue effectivement à l’objectif d’abolir les frontières dans la tête : Gerade mit den Schweizern ist es für mich echt so ein Stück Nachbarschaftshilfe ((rire)) sag ich mal. So in die Ecke, weil es gibt ja immer so diese Animositäten an der Grenze, ja, jeder sagt so, ah, die Schweizer und die Schweizer wieder, oh, die Deutschen und was ich immer als Rückmeldung bekomme von denen, wenn die in <Fabrique A Suisse> eingesetzt waren, dass sie sagen, die Leute waren supernett. Und das nehmen die mit. Die sagen einfach, die Welt ist anders, auch die Arbeitswelt ist eine andere, aber nicht im Negativen, gar nicht. Sondern sie sagen, sie wurden unglaublich herzlich aufgenommen, die Leute sind sehr sehr nett, sie sind häufig entspannter als in Deutschland und solche Dinge und das sag ich mal, das ist so für mich ein bisschen auch wiederum ein Abbau ((rire)) von Grenzen im Kopf, dass die einfach, glaub ich, nach diesen sechs, sieben Wochen eine andere Einstellung gegenüber der Schweiz haben. Und auch ihren, den Schweizer Kollegen haben, ja ? Und eben auch das wieder ihnen dann nachher helfen kann, wenn sie dann mal irgendwo in ihrem Job sind und sie dann da wieder jemanden mal brauchen oder Kontakte knüpfen müssen, dann tun sie das mit einem anderen Gefühl. Und das ist mir persönlich und ich denk auch der Firma wichtiger als dieses Papier zu haben. Das bestätigt’s halt einfach noch mal und du hast was in der Hand und du hast was zum Mitnehmen, aber das ist nicht das, auf das es wirklich ankommt. Le discours de Mirjam D. est en grande partie déterminé par l’(en)doxa, mais elle renchérit sur le discours de l’entreprise en utilisant toute une série de marqueurs de sa présence en tant qu’énonciatrice (Benveniste 1966) tels que « für mich », « glaub ich », « mir persönlich ». Elle <?page no="88"?> 88 admet que l’objectif de l’abolition des frontières serait plus important que le certificat en tant que tel, et avance l’idée que cela correspondrait à l’esprit de l’entreprise (« ich denk auch »). Dans le discours du formateur suisse Reto S. 93 , un autre objectif des stages apparaît, ce qui montre que la polyphonique intragroupale constatée pour l’entreprise française existe aussi au sein de l’entreprise suisse. Pour Reto S., le point central des stages serait le fait que les apprentis découvrent toute la gamme de produits de <Fabrique A> : Aso rein vo de fachliche Arbet, vo de Schwerpunktusbildig, müesst mer eigentlich sage, und das isch ein sehr grosse, wichtige Punkt, mir hän do <Fabrique A Suisse> hauptsächlech no [type d’instruments] und in <Fabrique A Allemagne> [centre de vente et centre de production] und au in <Fabrique A France> [centre de vente] do lerne sie unsere andere Geräte vo unserer <Fabrique A> Gruppe [kenne] […] aso für sie düet sich emol de für die Lernende mol die ganzi Produktpaletten uf. Was häm mir in de <Fabrique A> Gruppe. Und das isch, säg jetz mol, de grossi herusleuchtende Vorteil, und lerne die au kenne. Même si Reto S. met en avant- la dimension technique et pratique à travers la connaissance d’autres appareils, cela ne veut pas dire qu’il ne voit pas d’autres facteurs dont les stagiaires pourraient bénéficier, comme par exemple la connaissance avec une autre culture de travail ou, dans le cas des apprentis suisses qui partent en France, l’amélioration de leurs compétences linguistiques. Ce dernier point serait même un attrait particulier-du stage : Zum Beispiel die wo d BM mache, Berufsmaturität, oder, für die isch das nomal Gutzeli, die chöme au nocher und säge, das händ Sie bestimmt au in de Interviews, das isch jetzt dürfte Stoll äh Conidi, das sind zwoi so Kandidate, wo sage, ja, s’isch doch e weng mit de Sprochkenntnisse hoch. 94 Peu après dans l’entretien, Reto S. mentionne encore un autre point, lié au fait de connaître une autre culture (d’entreprise), qu’il considère comme un bénéfice des stages : Wobei ähm ich jetz au merk, es wird au Ängschte abbaue, aso es sind no anderi Kriterie, wo die junge ähm Erwachsne dörfe profitieren, oder. Wirklich mol witers weg, oder mol was erwartet mich döt ? Alles wildfremdi Lüt. Les stagiaires profiteront donc aussi des stages au niveau personnel. Mais la conjonction « wobei » signale que Reto S. considère ces points-là plutôt comme des aspects secondaires des stages et pas forcément comme des objectifs fixés à l’avance. Lorsque nous re-posons la question de savoir dans quelle mesure les apprentis profiteraient des stages selon lui, il répond : Ebe, sie im Endeffekt, sie lerne mol anderi Kultur, sehn mol, wie goht’s <Fabrique A Allemagne>, in <Fabrique A France> ab. Und äh de gröschti, und des ebe de Peak, die ganzi <Fabrique A> Gruppen, oder. Sie äh sie sehn einfach, dass mir ei Gruppe sin, dass mer irgendwoduure zämeghöre. […] und des macht au d’Stärki vo uns’re Firmegruppen us, das Gemeinsame, oder, dass mir […] gemeinsami Lösunge chönne abiete. Und das (wend) äh dass mir alles alli in eim Boot sin, au das vilicht e wenig so durebringt. Aber ebe, des mit de die andere kennelerne, und e weng die anderi Kultur, des isch momentan eigentlich de Peak, wo ich eigentlich seh. Résumant ce que Reto S. considère comme les avantages (« peaks ») des stages, nous retenons que c’est avant tout l’acquisition de nouvelles connaissances professionnelles sur les autres appareils produits au sein du groupe d’entreprises ; l’idée derrière est la mobilité des colla- 93 En fait, Reto S. est un Badois ayant travaillé pendant longtemps chez <Fabrique A Allemagne> ; il est donc un exemple pour la mobilité interne prônée par le groupe d’entreprises. 94 Puisque nous n’avons pas pu faire d’entretien avec M. Stoll, nous pouvons seulement rapporter ce que Rosario Conidi nous a dit par rapport à ses progrès : il pense que son stage a été bénéfique dans le sens où il a contribué à améliorer ses compétences en compréhension orale ; pourtant, c’est nous qui avons dû explicitement poser la question à l’apprenti sur ses éventuels progrès, et pas lui qui en a parlé le premier, ce qui laisse penser que ses progrès linguistiques ont été moins significatifs pour l’apprenti que ne le pensait son formateur. <?page no="89"?> 89 borateurs à l’intérieur du groupe <Fabrique A> (voir les propos de Reinhard G. ci-dessous). Par conséquent, il serait important que les stagiaires voient d’autres cultures (d’entreprise), qu’ils saisissent ce sentiment d’appartenance au groupe et qu’ils voient que la collectivité est un atout pour l’entreprise. A part les avantages mentionnés, Reto S. en voit encore un autre-qui a affaire au développement personnel des stagiaires : le stage augmenterait la compétence sociale et la compétence méthodologique : Jo guet, wie swie gön Sie nochher aso vo de Sozialkompetenz oder zum Teil au vo de Methodekompetenz ähm hensie göhn nochher kan gwüssi Sache anderschter dra. Oder tün irgendwo dure äh Ängschte, oder, an gwüssi Projekti oder Ufgabe göhn sie anderschter dört dra denn. Oder vilicht au im Uftrete. Il est pourtant étonnant que Reto S. mentionne ces aspects lorsque nous lui demandons quels seraient les bénéfices pour l’entreprise. Nous voyons donc que les efforts de l’entreprise de contribuer au développement personnel de ses collaborateurs sont fortement liés aux objectifs économiques. D’une certaine manière, Reto S. adhère aussi à l’endoxa de former du personnel qualifié, mais comme nous l’avons constaté dans le cas des responsables français, il y met sa propre interprétation de ce que ‘qualifié’ signifie. Le discours de Reto S. à propos du potentiel des stages pour le développement personnel se retrouve aussi chez des responsables allemands (polyphonie intergroupale). Ainsi, Leonard- B., un responsable de formation allemand- estime que le contact avec les gens à l’étranger mènerait à une ouverture d’esprit (= compétence interculturelle), et le fait d’être dans un pays étranger favoriserait le développement de l’indépendance et de l’assurance des jeunes gens, ce qui serait ensuite perceptible dans leur personnalité (Murphy-Lejeune 2003, 2004, Zumbihl 2005). Klaus M. partage cette opinion : Aso man sieht das ja auch so, das sind ja jetzt keine Massen, man sieht also wirklich, die Azubis merken das selber kaum, wie die also persönlich wachsen. Die gehen mal raus, lernen eine andere Organisation kennen, andere Umgebung, das gibt viel Selbstbewusstsein in die Sprachkompetenz. Ce qui nous frappe dans cet énoncé, c’est l’affirmation de Klaus M. selon laquelle les stagiaires ne se rendraient pas compte de leur développement personnel. Nous verrons dans le chapitre suivant (5.2.) que cette impression de Klaus M. ne correspond pas tout à fait à la réalité ; nous avons l’impression que les stagiaires sont bel et bien conscients des bénéfices du stage sur leur développement personnel. Nous voyons dans le discours des responsables de la formation que les objectifs des stages sont multiples et que les responsables n’y accordent pas tous la même importance. Nous pouvons faire l’hypothèse que cette priorisation n’existe pas seulement au niveau des formateurs, mais aussi entre les formateurs et les stagiaires. En effet, nous avons vu dans les entretiens avec les apprentis Tim et Philipp que ce qui semble être pertinent pour leur formateur Reto-S. - connaître la gamme des produits (« des was ich an de Lernendi witergeh ha, isch ebe de Uftrag, sich d Produktepalette äh kenne z lerne ») - n’est pas perçu par eux comme étant l’aspect principal du stage (cf. chap. 5.2.). A notre question de savoir s’ils communiquent aux stagiaires des attentes concrètes par rapport aux stages, les responsables de la formation disent ne le faire que rarement. Pourtant, ils ont bien des attentes, mais il ne semble pas nécessaire de les communiquer parce qu’elles circulent inévitablement au sein de l’entreprise pendant les pauses café ou les conversations de couloir entre formateurs et stagiaires ou entre apprentis. Mirjam D. par contre a formulé des objectifs concrets quant aux stages lorsque nous lui avons posé la question : Ich denk, das Ziel ist, es ist schon eine Erwartungshaltung da. Ja eben, die Erwartungshaltung ist auch von meiner Seite, wenn ich jemanden habe, dass jemand eben mitarbeitet, dass er sich interessiert, dass er da auch fragt, dass er auch also gerade in unserem Bereich, erwarte ich von den Leuten auch eine gute Sozialkompetenz. Weil wir halt Ansprech- <?page no="90"?> 90 partner sind für ganz viele und für ganz viele der erste Ansprechpartner, dass heisst, so wie wir ihnen begegnen, das identifizieren die erst mal mit der Firma. Und da erwarte ich halt, dass jemand auch entsprechend Freundlichkeit mitbringt, Höflichkeit mitbringt, Hilfsbereitschaft. Les attentes de la formatrice concernent le comportement général des stagiaires, qui aurait une influence sur la réputation de l’entreprise. Ce comportement ne serait pas spécifiquement lié aux stages mais serait de manière générale attendu d’un apprenti. En ce qui concerne les objectifs et les bénéfices des stages pour les jeunes, le message de la part de la direction du groupe d’entreprises est clair : les stages sont un instrument pour forger la personnalité des jeunes et les rendre ouverts d’esprit, flexibles et capables de communiquer - tant au niveau linguistique que culturel. Mais comme le fait remarquer Konrad W. : « Es isch durchus nit nur e altruistischs, sondern e durchus egoistischs Projäkt ». Les stages ne sont pas offerts dans le seul but d’encourager le développement personnel des jeunes collaborateurs, mais doivent également être bénéfiques pour l’entreprise pour garantir une relève qualifiée. Nous retrouvons ce discours à plusieurs reprises dans les propos des responsables du personnel et des responsables de la formation. Lorsque Tom W. dit que les stages permettraient de gérer des différences culturelles, peu importe avec quelles cultures, il le dit aussi du point de vue de celui qui a la tâche de recruter du personnel qualifié : Das heisst, me bechunnt döt eigentlich Lüt, wo wirklich d Basis hän für in d Wält usezgoh. Und das isch natürlich öppis, wo wahnsinnig wichtig isch, wenn i das das alueg, mir hän Produktione au in China und Indie. L’idéal serait que des jeunes sans obligations familiales fassent des expériences à l’étranger - leur jeunesse ayant un double avantage-selon Tom W. : d’une part, cet âge serait idéal pour mener une réflexion sur les différences culturelles de notre monde et pour éduquer les mentalités : « Wemme so Sache gseht eifach in dr Lehr relativ jung, denn cha me so verschiedeni Sache uflöse und verstoh, um das isch es eigentlich gange ». D’autre part, les jeunes seraient, en règle générale, célibataires et sans enfants, ce qui rendrait le stage beaucoup plus facile ; en effet, dès qu’un collaborateur fonde une famille, un séjour à l’étranger coûterait trop cher à l’entreprise. Roger L. y voit également une plus-value certaine pour l’entreprise-dans la mesure où l’entreprise forme ainsi son personnel : Pour moi, il y a toujours une plus-value pour l’entreprise […] les gens [le groupe d’entreprises] veut bien les prendre dès le départ et les amener donc un petit peu les former pour avoir les gens (xxx) formés en quelque sorte sous la coquille <Fabrique A>. […] Donc, [le groupe d’entreprises a] vraiment cette vocation, c’est d’avoir des gens qui sont un petit peu des gens de l’interne et qu’ils font mûrir en interne quoi. Et je pense que l’idée, l’idée première à la base de la formation trinationale, c’était aussi d’avoir des gens qui parlent plusieurs langues. Les propos de Roger L. montrent qu’il a profondément intériorisé l’endoxa et la philosophie de l’entreprise d’être un groupe, et il la confirme en témoignant son accord par « pour moi ». Roger L. parle aussi explicitement du lien entre la plus-value pour l’entreprise et le plurilinguisme. Leonard B., le formateur allemand, souligne l’importance de collaborateurs plurilingues à tous les niveaux hiérarchiques parce que cela donnerait une bonne image de l’entreprise et permettrait de fidéliser les clients : Selbst unser Küchenpersonal, die sind in Englischkursen, weil es kommt einfach gut an, wenn Sie englischsprachige Gäste haben und äh wir haben teilweise äh Gästeessen mit Bewirtung und wenn das Küchenpersonal dann einfach mal Guten Tag oder einfach das Gericht auf Englisch vorstellen kann, ne, da brechen Sie einfach das Eis und wo die Gäste einfach sagen oh, die geben sich Mühe und mit so Kleinigkeiten, ne, versuchen Sie dann die Bindung dann zu stärken. <?page no="91"?> 91 Reinhard G., le responsable du personnel de <Fabrique A Allemagne> parle également de l’atout linguistique, mais aussi de l’atout interculturel et personnel : Also für uns ist sie [la formation Euregio] natürlich insofern ein Stück weit abgehoben, weil die Menschen ja nicht nur mehrere Sprachen lernen, sondern sie lernen einfach ein Stück weit die anderen Kulturen kennen. Und ich glaub einfach, dass dadurch die Ausbildung auch die Auszubildenden auf jeden Fall gewinnen, was ihre Persönlichkeit angeht, so Themen wie Einstellen auf andere Kulturen, Thema wie Flexibilität, andere Firmen kennen lernen. Deshalb hat das für uns grundsätzlich eine hohe Wichtigkeit, weil wir wollen ja auch einen Austausch der Mitarbeiter später hier in der Regio schon haben, und wir sagen nicht, wenn du in <Fabrique A Allemagne> deine Ausbildung machst, kommst du nie in die Schweiz oder nach Frankreich, das ist ja nonsens, sondern wir tauschen ja aus und ich glaub schon, dass das hilft, und ich HAB auch den Eindruck, dass es zumindest einen Grossteil der Auszubildenden auch motiviert, dass die da auch Spass daran haben. Reinhard G. thématise la notion d’interculturalité en parlant d’ouverture (« Einstellen auf andere Kulturen », « andere Firmen kennen lernen ») et de flexibilité. En tant que responsable du personnel, Reinhard G. suit l’endoxa et confirme son accord en ajoutant « ich glaube einfach/ schon ». Il mentionne encore un autre point, très important aussi, à savoir que les stages sembleraient être (« ich HAB den Eindruck ») un moyen de motivation pour la plupart des jeunes gens. La dimension de la mobilité des collaborateurs au sein du groupe d’entreprises mentionnée par Reinhard G. et plus haut par Reto S. est aussi soulignée par l’ancien responsable de la formation allemand, Klaus M. Il cite l’exemple de deux apprentis qui auraient fait leur stage en Irlande et y seraient restés lorsque deux postes de techniciens de service se seraient libérés. Klaus M. est persuadé qu’ils n’auraient pas accepté de rester sans avoir fait de stage. Selon Klaus M., il ne s’agirait pas seulement de garder les apprentis allemands ou de les envoyer à l’étranger, mais aussi de faire venir par exemple un jeune Français ayant fait son stage en Allemagne, l’atout étant qu’il est déjà connu de l’entreprise. Le contexte de ces arguments est bien sûr celui de la philosophie du groupe d’entreprises. Nous avons expliqué dans le chapitre 4.2. qu’il y avait des centres de production spécialisés sur un type d’instruments de mesure et des centres de vente locaux. Or, il serait dans l’intérêt de l’entreprise d’envoyer des gens qui connaissent ces appareils, soutiennent le marketing ou le service et transfèrent du know-how (« ureigenes Interesse fachlicherseits, denen Leute zu schicken, die sich mit unseren Geräten gut auskennen », Mirjam D.). Le deuxième objectif serait de renforcer la communication au sein du groupe d’entreprises : « Also es ist halt eine künftige Zusammenarbeit ist halt eine völlig andere, wenn der [le stagiaire] schon mal da war » (Mirjam D.). Le fait que les contacts noués pendant un stage faciliteraient un futur contact est aussi mentionné par Boris H. et Klaus M. qui voit un certain avantage à connaître les gens dans une autre société chez un collaborateur ayant fait son stage il y a dix ans. Dans cette première partie de résultats, nous avons vu que le discours sur les stages des responsables était fortement polyphonique. L’endoxa (vouloir former du personnel qualifié) semble être connue par tous et en principe partagée. Pourtant, on perçoit une certaine polyphonie dans le discours sur les compétences que ce personnel qualifié devrait acquérir. Nous trouvons des éléments communs au niveau interet intragroupal mais auxquels les acteurs n’adhèrent pas de la même manière ; nous parlons dans ce cas de doxa. Dans ce qui suit, nous nous demanderons dans quelle mesure les stagiaires reprennent le discours de l’entreprise et des responsables de la formation respectivement. Les notions d’ouverture, de flexibilité, d’indépendance etc., se retrouvent-elles aussi chez les stagiaires ? Y a-t-il d’autres notions que ces derniers mentionnent ? Y a-t-il des différences dans les priorités que se fixent les stagiaires par rapport à celles de leurs supérieurs ? <?page no="92"?> 92 5.2. La perspective des stagiaires : pourquoi participer à un stage ? Dans les prochains chapitres, nous tenterons de répondre aux questions formulées ci-dessus. Nous trouverons des réponses à travers l’analyse du discours des stagiaires qui ont répondu à plusieurs questions concernant les stages, comme par exemple celles de savoir pour quelles raisons ils avaient fait un/ des stage/ s, quelles étaient leurs attentes, quels étaient les défis qu’ils avaient rencontrés et quels étaient selon eux les bénéfices de ces stages. Nous organiserons ce chapitre en plusieurs sous-chapitres : les deux premiers traiteront des motivations et des défis du stage dans la perspective des apprentis avant (5.2.1.) et après le stage (5.2.2.). Le troisième chapitre mettra l’accent sur la perspective des étudiants (5.2.3.) et le quatrième traitera de la question des bénéfices des stages (5.2.4.). 5.2.1. Motivations et défis pour les apprentis avant le stage Pour des raisons organisationnelles, nous avons dû faire la plupart des entretiens après que les apprentis avaient fait leur stage. Pourtant, nous avons eu la chance d’interviewer quatre apprentis à la fois avant et après leur stage. Il s’agit de deux apprentis suisses, Tim et Philipp, partis en France et en Allemagne, puis de deux apprentis allemands, Jens et Graziella, tous deux partis en Angleterre. Nous commençons par restituer les motivations de Tim avant son stage en France. La raison pour laquelle Tim fait ce stage est toute simple : le stage fait partie de sa formation et cette participation est fixée dans son contrat d’apprentissage. Ses sentiments par rapport à ce stage sont ambigus : Also irgendwie bin i gspannt, was uf mi zue chunnt, aso, uf die ander Art ((sourire)) e kli Französisch lerne und so, also Französisch bin i no unsicher, und so, jo, eifach, wird scho irgendwie goh. D’une part, Tim est nerveux parce qu’il ne sait pas ce qui l’attend en France, où il travaillera dans un centre de vente et pas dans un centre de production comme en Suisse ; d’autre part, il nous exprime des craintes très concrètes à l’idée de devoir se débrouiller dans une langue étrangère. Bien qu’il ait eu quatre ans de français et trois ans d’anglais à l’école secondaire, il dit ne pas avoir de très bonnes connaissances ni dans l’une ni dans l’autre langue, avant de nous confier une certaine préférence pour l’anglais : KH : Wie schätze Sie so Ihri Fähigkeite i in däne beide Sproche ? TF : Ähm es goht. ((rire)) KH : ((rire)) TF : Nit so gross. Ähm Französisch kan i e bitzeli, halt eifach so s Wichtigste. KH : Also so in de Ferie cha me sich unterhalte ? So in däm Stil ? TF : Jä, also knapp. Halt eifach s Wichtigste kan i uf Französisch und Änglisch kan i au nit allzu vil, aber do kan i scho kli meh, also würd i jetzt sage. Le fait qu’il soit capable de dire « les choses essentielles » (« s Wichtigste ») en français et un peu plus en anglais semble rassurer Tim de sorte qu’il ne juge pas nécessaire de se préparer concrètement au stage, d’autant plus qu’il a entendu dire que les gens en France parlaient aussi un peu l’allemand et l’anglais : °I dänk ich wird au nüt mache (im Momänt) (xxx).° Also sie könne dört, das han i vo de andere ghört, au zum Teil chli Dütsch und Änglisch könne sie au, °also vo däm här dänk ich wird das scho irgendwie go.° Bien qu’il témoigne d’une attitude plutôt ‘cool‘ envers le stage (« wird scho irgendwie goh »), c’est quand même la langue qu’il considère comme pouvant être le plus grand défi du stage : <?page no="93"?> 93 Ähm (3) Die grösst Herusforderig dänk ich wird d Sproch si. Also vor allem zum Bispiel wenn me öppis sage wot oder so oder öpper erklärt einem öppis und me verstoht’s zum Bispiel irgendwie nit, will’s halt eifach so zevil Fremdwörter het, wo me nit kennt, wo me halt eifach vom Sinn här nit verstoht. °Das (isch’s so)° und ähm oder me probiert’s irgendwie z’sage und nochhär fallt eim grad s’Wort nit i ((sourire)) und weiss nit wie witer jo. Ce que Tim trouverait embêtant c’est de ne pas pouvoir se faire comprendre ou de ne pas être compris. Ainsi, le stage est pour Tim avant tout un moyen de surmonter ces obstacles linguistiques : KH : Und ähm was hän Sie für Erwartige an das Praktikum ? Was sött Ihne das bringe oder was wünsche Sie sich ? TF : Also Erwartige hani insofärn, dass ich ehm mir wünsch, dass ich kli mini Französischkenntnis ka ufbessere, do e kli flüssiger und sicherer wärde. KH : Und so vom Technische här ? TF : Vom Technische här, han i jetzt eher weniger Erwartige so, jo. Tim voit comme objectif principal du stage en France l’amélioration de ses compétences en français et moins celui d’acquérir de nouvelles connaissances techniques. Lorsque nous interrogeons Tim avant son stage en Allemagne (qui a lieu après le stage en France), il nous semble être très confiant parce qu’il pense que le travail dans le centre de production sera grosso modo le même qu’en Suisse. Sa joie de partir est toute relative (« jo jo ») et il ne semble pas avoir beaucoup réfléchi à ce qui l’attend en Allemagne. La seule question qu’il se pose est celle de savoir dans quelle section il travaillera. Il pense que travailler en Allemagne est presque la même chose que travailler en Suisse : KH : Mmh. Und jetz gönd Sie jo denn au nach de Summerferie uf <Fabrique A Allemagne> ? TF : Jä. KH : Freue Sie sich do druf ? TF : (jo jo). (1.5) Aso ich dänk, s’wird öppe ähnlich si wie do, <Fabrique A Allemagne> KH : Mmh. (2) Hän Sie do spezielli Erwartige, was Sie denn dört wärde machen oder erläbe ? TF : Äh, nei. (1) Aso wobi, mer wüsse scho, wo mer ane kömme in <Fabrique A Allemagne>. KH : Mmh. TF : Aber aso, amir swüsse no nid, wär wo ane kunnt. (1) De einti kunnt Reparatur und der ander Platz isch ähm Lötprozäss. La langue étant aussi l’allemand, elle ne représente pas un défi comme c’était le cas lors du stage en France. Les défis que Tim peut s’imaginer ont uniquement affaire au travail : Aso vermuetlich, ich dänk jetz mol eher d’Arbet eso. Aso je nachdäm. Guet, kunnt ä druf a, was me bekunnt. Selon ces propos, la seule chose qui change réellement pour Tim à l’aube de son stage en Allemagne est son lieu de travail. Il ne semble pas penser au fait que parler la même langue ne signifie pas automatiquement partager les mêmes valeurs culturelles (cf. 3.3.) : Puisque l’allemand est une langue commune à la Suisse et à l’Allemagne, il en conclut que les deux pays seraient interchangeables, la seule différence étant que les deux sites produiraient des appareils différents. Tim fait référence ici à la représentation sociale qui dit : ‘Nous sommes dans une même région linguistique, donc nous partageons la même culture’. Philipp, le collègue de Tim, ne dit pas explicitement que le stage fait partie de la formation, mais puisqu’il travaille dans la même section et sous le même formateur, nous partons du principe que pour lui, le stage est aussi obligatoire. Malgré cette obligation, il dit qu’il se réjouit de partir en Allemagne. En fait, c’est plutôt un hasard que nous ayons parlé avec Philipp avant son stage en Allemagne : nous l’avions interviewé à propos de son stage en <?page no="94"?> 94 France et nous lui avions demandé s’il n’allait pas partir en Allemagne. Il nous a alors dit qu’il s’y rendrait quelques semaines plus tard : PG : Nach de Ferie. Do freu i mi druf. ((rire)) KH : Isch das en anders en anderi, wie sölli sage ? Fifändsisch das en anderi Vorfreud as uf das Praktikum jetz in <Fabrique A France> ? PG : +Mmh,+ ((hésitation)) jo. +Jo, döt verstoht me d’Lüt. Jo, do weiss i eifach, dass’s guet cha laufe.+ ((rire)) Und in Frankrich han i’s nid g’wüsst, obwohl’s denn guet usegloffen isch. Eigentlich d Arbet isch halt nid so grad der Hammer gsi, aber ha mi mit de Lüt verstande. Philipp est motivé pour le stage en Allemagne ; nous retrouvons la même représentation que chez Tim, à savoir l’identification d’une même langue avec une même culture. Le fait que les gens sur le lieu du stage parlent allemand semble également suffire à Philipp pour le rassurer et fonctionne comme une véritable garantie que tout se passera bien. Il reprend cet argument lorsque nous voulons savoir quelles sont ses attentes par rapport à ce stage : PG : +Mmh+, (2) jo, schwirig. Döt verstoht me sich jo denn. Das isch eigentlich wie Arbet do. ((hésitation)) KH : Was glaube Sie, git’s denn döt irgend en anderi Herusforderig ? Oder isch es eifach genau glich ? Egal, <Fabrique A Allemagne>, <Fabrique A Suisse> ? PG : +(jo),+ ((hésitation)) das weii weiss es +nid.+ ((rire)) Vilwohrschinlich wird’s scho besser si wämit dr Arbet as bi <Fabrique A France>. Wil döt händ sie au vil Lehrling, döt wüsse sie glaub’s au, wie me mit dene umgoht ((rire)). Philipp ne semble pas avoir beaucoup réfléchi à ce que travailler en Allemagne signifie. Pourtant, il fait une hypothèse (« vil- [=-peut-être] », « wohrschinlich ») qu’il base sur l’expérience qu’il a faite en France. N’étant pas content du travail qu’on lui a donné en France, il en conclut que les responsables concernés n’ont pas d’expérience avec les apprentis, ce qui pourrait être différent en Allemagne. Philipp soulève ici un point important concernant l’organisation des stages voire concernant l’accompagnement des stagiaires. Faute d’espace suffisant, nous ne développerons malheureusement pas ce point dans le cadre de cette recherche. 95 Alors que ces deux apprentis suisses font un stage parce qu’ils sont plus ou moins obligés de le faire et témoignent d’une attitude plutôt passive (du type ‘puisqu’il faut le faire, faisonsle’), il en est autrement pour les deux apprentis allemands interviewés avant leur stage. Sans que nous posions directement la question des raisons et des objectifs du stage, Jens nous en parle dès le début lorsque nous mentionnons son stage en Angleterre : JS : Und, ja, ich hoff’ (darauf eben), dass wir dort auch, ja, d’Sprache au verbessern kann. Also, bei mir halt, jo. KH : Mhm. Was ist sonst Ihre Motivation, diesen Aufenthalt zu machen ? JS : Ja, also, ich freu mich scho druf, also, es isch schon, denk ich, ’ne Erfahrung wert. Viele aus der Gruppe von uns wollten das eigentlich nit, weil sie (einfach) kei Luscht hatten, so. Vielleicht woweil sie au ’n bissle Angscht hatten vorm Englischen Sprechen oder so. Aber ich denk, das isch ’ne gute Erfahrung und so, zum Englische v- Englisch verbessern. Isch denk scho gut. Pour Jens, il semble être logique qu’il parte en Angleterre pour améliorer ses compétences en anglais. Il témoigne d’une envie personnelle de s’y rendre, contrairement à ses collègues qui ne voulaient pas partir, probablement parce qu’ils avaient peur de parler anglais. Il se 95 En fait, nous trouvons ici une confirmation de ce que nous avons vu dans d’autres enquêtes sur les stages (chapitre 3.1.2.) : souvent, des stages sont organisés sans que des questions d’organisation et d’accompagnement soient discutées avec les responsables. Heimann (2010) propose même d’inclure les stagiaires dans la planification. <?page no="95"?> 95 distingue ainsi de ses collègues en se positionnant comme quelqu’un qui n’a pas peur de parler une langue étrangère. Partir en Angleterre est pour Jens tout simplement une bonne expérience et une chance dont il faut profiter. Ceci devient clair dans la suite de l’entretien où Jens nous explique que cinq apprentis au total ont manifesté l’intérêt de partir et que trois ont finalement été choisis (y compris lui-même), ceci à cause de ses bons résultats et de sa bonne collaboration. Le stage est donc, dans ce cas-là, une manière de récompenser les bons apprentis. Lorsque nous voulons savoir si ses formateurs lui ont communiqué des attentes, il répond : Die Ausbilder erwarten natürlich schon, dass mer halt dort was lernt. Auch so, von den Geräten her, wie sie gebaut werden, es werden ja andere dort gebaut, andere Gerätetypen. Und natürlich auch vom Sprachlichen. Aber ich mein, das isch auch in meinem Interesse, so, dass ich das lern. Jens mentionne deux objectifs du stage : acquérir de nouvelles connaissances professionnelles et améliorer ses compétences linguistiques. Bien que ce soit aussi le discours de ses formateurs, Jens le fait sien, car il y voit un bénéfice pour lui-même (« das isch au in meinem Interesse ») : KH : Eben, was sind dann IHRE Erwartungen an das Praktikum ? Was erhoffen Sie sich davon ? JS : Ja, eben, dass ich sprachlich weiterkomm, ganz klar, das isch eigentlich der Hauptpunkt, wieso ich dort hin geh. Auch für meine Zukunft dann. Weil einfach Englisch gebraucht wird heutzutage. Und dann noch, ja, auch die Geräte. Falls man da vielleicht mal später wieder dort hin kommt, dass man die auch kennen lernt. Jens est un jeune homme qui réfléchit à ce qui pourrait lui être utile pour son avenir : il a intériorisé la représentation sociale partagée que des connaissances en langues étrangères - et surtout en anglais - sont indispensables. En outre, ne pouvant pas savoir quel sera son avenir professionnel, il pense que connaître d’autres appareils pourrait un jour lui être utile, pour le cas où il retournerait en Angleterre ou irait dans une autre société du groupe <Fabrique A>. Jens est un apprenti très motivé à l’idée de faire un stage et décidé à en profiter au maximum au niveau linguistique. Il pense qu’au début, il aura des difficultés avec la langue (« es wird schwierig »), au vu des récits de ses collègues, déjà partis en Angleterre : Also, ja, halt so hab ich’s gehört von denen, wo schon dort waren, dass es einem nit so (anfänglich), nicht so einfach isch. Am Anfang. Und dass man da schon die Ohren spitzen muss. Jens en tire ses propres leçons et dit qu’il se préparera au stage ; il fait ainsi partie de ces apprentis peu nombreux qui anticipent leur stage : KH : Ja. Bereiten Sie sich irgendwie speziell auf dieses Praktikum vor ? JS : Also, vom Handwerklichen nicht, aber vom Sprachlichen schon. Also, ich hab mir jetzt auch, also, ja, von meinem Bruder, auch so wieder so Englisch-CDs geholt, so zum Lernen, einfach um mir ’n paar Vokabeln so auch so bissle Umgangssprache, so. Und einfach auch die einfacheren Sätze. So. Vielleicht auch noch ’n bissle technisches Englisch, was mer sowieso schon in der Schule machen, das (mal) dort noch ’n bissle verbessern. Jo. Nous reviendrons plus tard sur la représentation sous-jacente de l’acquisition des langues. Pour l’instant, nous voulons juste rendre attentif au fait que Jens s’est préparé et que cette préparation a été utile, comme il nous le confirme dans l’entretien accordé après le stage. Il indique avoir répété du vocabulaire : « Grundvokabeln (…) und auch so ein bissle Businessenglisch und auch technisches Englisch- zum Beispiel in der Werkstatt ». Il explique qu’il avait mis ces mots sur une liste qu’il avait apprise par cœur, et qu’effectivement, cela lui avait été utile. <?page no="96"?> 96 Même si la langue prend une place importante dans les pensées de Jens, ce n’est pas le premier point qu’il mentionne lorsque nous lui demandons ce qui pourraient être selon lui les défis du stage 96 : KH : Um nochmal auf Ihr Praktikum zurückzukommen, was denken Sie, welchen Herausforderungen werden Sie sich dort stellen müssen ? JS : Erschtmal Selbständigkeit. Also, dort wird man nicht bekocht und so. Also, man muss halt alles machen. KH : Wohnen Sie jetzt noch zu Hause, oder ? JS : Ja, genau. Und, jo, man muss sich halt selbstständig versorgen, man muss einkaufen gehen, man muss Wäsche waschen, muss Haushalt halten, da’sch ja ’n, wie ’n, isch ’n Apartment und da muss mer halt zu dritt leben, miteinander auskommen, aufräumen, putzen. KH : ((rire)) JS : Das muss man in den sechs Wochen schon mapaar Mal machen. KH : Ja, wäre zu empfehlen ((rire)) JS : Ja, schon ((rire)) L’expérience d’être indépendant pour la première fois de sa vie et de gérer un ménage avec deux autres jeunes hommes semble être plus important qu’une éventuelle insécurité de la langue. Pourtant, Jens mentionne la langue lorsque nous voulons savoir s’il y a quelque chose qui lui fait peur ou le rend incertain : KH : Gibt es irgendwas, wovor Sie ein bisschen Angst haben vielleicht oder, ja, unsicher sind ? JS : mm (1) Unsicher vielleicht nit. Vielleicht, eben, im Sprachlichen. Dass ich dort vielleicht nit so gut mitkomm, oder halt, dass sie, eben, dass er der, dass der Kontakt so schlecht isch zwischen uns, so im Sprachlichen, dass ich da irgendwie nix blick oder so. Oder dass ich dann Geräte falsch zusammenbau und dann so Fehler gibt, und dass halt so ’n bissl Stress gibt. Aber so richtig Angscht oder so hab’ ich eigentlich nit, sonsch würd ich mich nit freue ((rire)). KH : Gibt es was, auf was Sie sich am meisten freuen ? JS : Ich denk, auch so mal die andern Stso, eben, so englische Städte kennenlernen oder so. Wir fahren auch mal nach London oder so. Und, eben, die im letschten Jahr ham mer auch Tickets bekommen für ein Fussball-Spiel. Vielleicht gibt’s das dieses Jahr auch wieder. Jens reprend les deux termes « Angst » et « unsicher » que nous avons utilisés dans notre question, mais il les qualifie comme étant inadéquats. Le terme de « Angst » lui semble totalement inapproprié, car selon lui, avoir peur et se réjouir de partir ne vont pas ensemble. Jens considère le défi non pas comme quelque chose qui fait peur, mais comme une occasion d’apprendre de nouvelles choses et d’élargir son horizon. Comme Tim, Jens peut s’imaginer une situation où il n’arriverait pas à comprendre son interlocuteur. Il raisonne encore plus loin en pensant aux conséquences que la non-compréhension pourrait entraîner, notamment quant à la construction fautive d’un appareil. La langue n’est donc qu’un aspect parmi d’autres, mais de loin l’aspect le plus essentiel, bien qu’elle soit décisive pour la bonne exécution du travail. Faire des expériences telles que vivre en collocation, visiter des villes anglaises et suivre un match d’une équipe de foot étrangère est tout aussi important pour Jens qu’améliorer ses compétences linguistiques. La langue et l’indépendance sont des dimensions essentielles du stage pour Graziella. Avant l’entretien, elle avait déjà fait un stage en Suisse, où on parlait allemand et pendant lequel elle avait continué à habiter chez ses parents. En Angleterre, elle souligne que ce sera différent : 96 Les apprentis allemands se rendent toujours à trois en stage en Angleterre. Ils se partagent un appartement pendant les six semaines de séjour et ont à disposition une voiture appartenant à l’entreprise. <?page no="97"?> 97 KH : Ja. Was, denken Sie, kommt auf Sie zu in England ? GP : Hm. Also iich denk, also es wird am Afang wirklich schwierig, die z’verstoh. Und ich war halt au no keine sechs Wuche allei, also ich wohn no bi mine Eltere, und sechs Wuche dann ohni Eltere und ohni Familie, das wird au, denk ich, ’ne Erfahrung und, ebe, ich mach das au gern, es isch jetz nit so, dass es einfach, oh Gott, kann’s mir überhaupt nit vorstelle, i freu mich au druf. Und, ja. Es wird halt scho, ich bin halt au gspannt, uf welche Abteiluin welche Abteilung ich kumm, das isch halt dann au so e Ding, wenn mer in eini kunt, wo’s einem nit so gfallt, das isch dann halt dann au blöd. Graziella est une jeune femme qui réfléchit beaucoup à son stage et qui semble avoir beaucoup parlé à la fois avec des collègues qui se sont déjà rendues sur place et avec celles qui partiront avec elle : Ich war no nie in England, also d’s fmer stellt sich halt scho Froge, wie wird es, wie kunt mer mebe, mit der Sproch klar, verstoht mer die ? Wie gibt mer sich selber ? Verstönd die dann au eine, oder hockt mer do und kriegt kein Wort use ? ((rire)) So Sache halt, so Vorstellungen wirklich hemmer no nit wirklich. Klar, vo de Erzählungen, wie’s vo de and’re war, mit’m Esse, dass s’Esse nit so toll sei, dass alles immer nach Essig schmeckt und da macht mer sich jetz au Gedanke, nehme mer was mit, nehme mer irgendwelche Spaghetti oder so mit ((rire)) [...] Schmeckt viel wird mit Essig irgendwie g’macht, also au Chips und das Züg schmeckt schinbar nach Essig und irgendwie (drum wir) schwätzen halt jetz au die ganz Zit, wie mache mer’s und au mi’m Auto, mir hend alli drei de Führerschin, mir würde auch e Firmefahrzüg grad am Wucheend, wem mer irgendwo anderscht hi fahren, würde mr au kriege, wüsse mer au no nit, öb sich überhaupt jemand getraut, dann z’fahre, weil, also ich glaub, also ich persönlich werd’s glaub nit mache und, ja. Mer stellt sich halt Froge, wie’s wird. Und aber jetz so ’n richtiges Bild ka mer sich dann halt au wirklich erscht dört mache und danoch dann sage war’s so wie mer sich’s vorgstellt het oder so wie, ja. Comme les autres apprentis cités, Graziella se demande comment elle se débrouillera dans une langue étrangère, même si elle mentionne encore d’autres points importants : elle réfléchit à son propre comportement, ce qu’elle devra faire pour que la communication fonctionne. Elle réfléchit aussi à des questions comme celle de la nourriture, qu’elle considère comme primordiale, mais aussi à l’organisation de son temps libre. Elle sait que ce que les autres lui racontent n’est pas à prendre à la lettre et qu’il faut aller vérifier sur place si les récits des autres et ses propres représentations s’avèrent justes ou fausses. Par ailleurs, une des raisons pour lesquelles Graziella effectue ce stage (alors qu’elle n’y est pas contrainte) est liée à l’expérience de l’interculturalité. Une autre raison enfin tient à l’amélioration de ses compétences linguistiques : Um das halt auch das kennenlerne, wie das dort isch und, ebe, es isch halt ’ne einmalige Chance, s’macht nit jede Betrieb und ich will das halt wirklich gerne sehn, wie die dort halt arbeite, wie’s andersch isch und unter anderem halt auch Eum min Englisch zu verbessern. Dass ich do halt no kuck’, wie kumm ich klar sechs Woche in ner andere Sproch. Le « unter anderem » signale que Graziella subordonne l’amélioration de ses compétences linguistiques à l’expérience interculturelle. Ce qui nous frappe dans cette affirmation c’est l’emploi fréquent du hedge ‘halt’. Cette particule modale allemande est souvent utilisée comme synonyme et variante dialectale de la particule ‘eben’ (ce mot est utilisé une fois dans les propos de Graziella ci-dessus) (cf. Helbig/ Helbig 1995). Les deux mots peuvent traduire une certaine résignation, soit une acceptation par le locuteur de la situation exprimée dans la proposition et un refus de discuter davantage du sujet (Bross : 2012 : 192). Leur fonction est donc d’atténuer le contenu propositionnel. Dans ce cas-là, cela signifie potentiellement que Graziella ne souhaite pas partager avec l’interlocuteur son enthousiasme débordant quant au stage. Pourtant, cette interprétation est douteuse puisque Graziella ne cache pas son enthousiasme à l’idée de faire cette expérience (« einmalige Chance », « ich will das halt wirklich gerne sehen »). Nous considérons l’emploi du ‘halt’ plutôt comme une tendance du <?page no="98"?> 98 parler jeune (cf. Neuland 2008) et comme une marque prononcée du dialecte alémanique chez Graziella. Lorsque nous voulons savoir ce dont elle se réjouit le plus, Graziella plaisante : « Sechs Wuche ohni El+tere.+ ((rire)) », mais atténue en disant : Nee, ähm. Weiss nicht. Also, hab jetz nit irgendwie so ’n, ich freu mich allgemein einfach, dass ich die Chance nutzen kann. Und dass mer dann halt aufs Land oder ebe, dass mer am Wucheend mol furt könne, das mamir hend auf jede Fall vor, nach London z’goh. Und so halt. Und dass mer halt au mal klekilernt, die, ja, was die in der Freizit so mache, wie des halt so isch. Klar, au wie’s bim Schaffe isch, öb das ähnlich wieder isch wie hier, oder öb die ganz anderscht (so) freu mich uf im gsamte jetz uf nix uf schfnix irgendwie Spezielles.- L’opportunité d’aller visiter Londres est très importante pour Graziella. Elle l’évoque à plusieurs reprises et postule que « des wem mir auf jede Fall mache, also ich falso ich persönlich ich hab auch gli gsagt, wenn ihr zwei nit mit gön, dann geh’ ich au allei », un avis qu’elle ne partage plus à son retour (cf. chap. 5.2.2.). En tant que joueuse de foot, elle se réjouit aussi d’aller voir un match, car selon ses termes le foot anglais serait très différent du foot allemand. 5.2.2. Motivations et défis pour les apprentis en rétrospective Nous avons vu dans le chapitre sur les apprentis interviewés avant le stage qu’il y en a qui ont beaucoup réfléchi et se posent toutes sortes de questions par rapport aux objectifs, aux défis du stage et à leurs attentes, alors que d’autres ne semblent pas s’être posé beaucoup de questions et partent avec l’attitude « on verra ». Les apprentis suisses Rosario et Enzo par exemple expliquent avoir fait le stage sans avoir eu le choix : « Also jo will’s halt eifach abote worde isch do ((sourire)). Also ich ha jo eigentlich nit jetzt e Wahl gha […] es isch au im Vertrag eso gsi, also » (Rosario) ; « s’isch inbegriffe in de Lehr, mir händ die trinationali Usbildig bi uns dinne » (Enzo). Angelo, un autre apprenti suisse, raconte qu’un formateur lui aurait confié au début de son apprentissage qu’il pourrait aller travailler en France ou en Allemagne. A ce momentlà, il aurait pensé « jo, das-wär sicher emol guet und so Sache, das Züg so kenne lerne. » Il reprend le discours de l’entreprise lorsqu’il explique pourquoi il a fait ce stage : Aso es isch jo eifach drum gange do s’Euregiozertifikat z’erhalte und jo, das bringt jo nochhär au spöter nochhär öppis, wenn du chasch vorwiese, dass du dört und dörte gsi bisch, und eigentlich wäge däm.- Und sunscht villicht no e bitzli go aluege, wie sie dört so schaffe, d’Mentalität und jo. Das isch es eigentlich so die Hauptdinger. Ces quelques lignes résument la réponse donnée par Angelo à la question de savoir quelle était sa motivation à effectuer un stage. Or, nous n’y trouvons pas d’engagement personnel de sa part qui montrerait qu’il est persuadé de ce qu’il dit (cf. ‘indicators of personal involvement’ de Darian, cf. chapitre 4.1.2.). Ce qui compte pour lui est la remise d’un certificat après le stage, et pas les expériences qu’il pourrait éventuellement faire sur le chemin vers l’obtention de ce papier. Un indice de cette attitude distante d’Angelo est le hedge ‘jo’ répété à plusieurs reprises. Ici, ‘jo’ n’est pas utilisé dans le sens d’un oui qui traduirait l’affirmation d’une proposition. Nous voyons deux autres emplois : Dans la littérature scientifique sur les particules modales en allemand, l’usage de ‘jo’/ ‘ja’ permet de signaler à son interlocuteur que le savoir est partagé et donc connu (Bross : 2012 : 192). En utilisant ‘jo’ dans ses propos (« Es isch jo drum gange », « das bringt jo nochhär au öppis »), Angelo fait référence à la doxa selon laquelle le but d’un stage est clairement la remise d’un certificat qui pourrait être utile pour la carrière professionnelle. Dans l’expression « und jo », le hedge n’est plus utilisé pour signaler un savoir partagé, mais plutôt dans le sens de ‘voilà, c’est comme ça’ ou ‘voilà, je n’ai rien d’autre à ajouter’ ou encore ‘je ne sais plus quoi dire’. L’emploi de particules dans ce sens-là est fréquent chez les adolescents, surtout lorsqu’ils doivent parler librement dans le cas d’une présentation (Rüegg 2003 : 141) - une situation comparable à la situation de l’entretien. <?page no="99"?> 99 Le fait que ce stage se déroule dans un autre pays et dans une autre culture (d’entreprise) est au second plan pour lui, comme le montrent les mots « eifach », « eigentlich », « und sunscht » (autrement), « villicht » (peut-être) et « e bitzli » (un peu). Pourtant, les défis pour Angelo n’étaient pas d’ordre interculturel, mais d’ordre professionnel. Ce qui a constitué pour lui un défi lors de son apprentissage est aussi ce qui s’est révélé motivant lors de son stage : Sicher emol so s’Verständnis vo de verschiedene Schaltige, dass de das eso, dass die Bauteil e so chasch zämmesetze, dass nochhär au das usechunnt wo du willsch, also nit dass nochhär irgendwie e komischs Signal usechunnt, [...] das isch eigentlich eins vo de gröschgröschte Herusforderige nochhär eifach widr so, chunnt au widr s’Änglisch und dass de die Bauteil richtig chasch iordne, was si mache und so Sache. Malgré l’obligation de partir, un certain nombre d’apprentis nous ont aussi dit qu’ils se réjouissaient de partir afin de rompre avec la routine au travail : « [i ha mi] eigentlich gfreut, wil s isch au mol öppis anders halt » (Silvan, CH). Pourtant, la joie de Silvan est à relativiser, ce qui est visible dans l’emploi de deux hedges qui atténuent ses propos (« eigentlich », « halt »). Philipp, l’apprenti suisse cité dans le chapitre précédent par rapport à son stage en Allemagne, a aussi fait un stage en France. Comme chez Jens, le discours de l’entreprise résonne dans le discours de Philipp lorsqu’il dit que les stages ne seraient pas une obligation, mais un privilège : Eigentlich isch es jo bi uns, aso, mir DöRFE das mache. Und ich bi au gärn gange. Trotzdäm halt wäge dr +Sproch, zerscht het s mi e chli agschisse. Und nochhär han i gmerkt, dass es mit em Aenglisch cha dri goh+ ((rire)). Und au d Lüt sin nätt gsi, nachene het s mr gfalle. Aber so zerscht wäge dr Sproch han i scho chli +Schiss gha. Was sölli dört ? Frankrich, cha kei Wort Französisch. Alles verlehrt, won i e bitzli glehrt ha+ ((rire)). Philipp témoigne d’une attitude positive par rapport au stage en disant qu’il est parti avec plaisir, malgré sa crainte de pratiquer une langue étrangère : « mit Französisch chan i gar nüt afo ». Il avoue que la langue - le français bien entendu, et non pas l’anglais ! - a créé des incertitudes. Pourtant, il semble que ce qui compte pour cet apprenti à travers l’expérience du stage, c’est de vivre une aventure à l’étranger et de pouvoir faire du travail intéressant - ce qui devient clair lorsque nous l’interrogeons à son retour pour savoir si ses attentes ont été comblées : GL : Händ SIE Erwartige gha an de a de Stage ? (3) PG : +Jo+, eifach, jo, gueti, interessanti Arbet, (aber) ((réfléchit)) GL : Mmh. PG : Und, jo, wäge de Sproch bin i unsicher gsi, aber (ebe), +Französisch het mi nid interessiert.+ ((rire)) GL : Mmh. PG : (Darum) weiss gar nid, öb i +denn scho so plant ha, Änglisch z’lerne. S’han i glaub’s erscht denn eso am erschte Tag g’merkt, dass i au mit däm (xxx) durechum.+((sourire)) Und denn han i das halt chönne ufbaue. D’après les dires de Philipp, son espoir d’accomplir un travail intéressant ne s’est pas concrétisé. 97 Encore une fois, il mentionne son aversion contre la langue française et répète qu’il a communiqué en anglais. A notre question de savoir si les formateurs lui avaient communiqué avant le stage ce qu’ils attendaient de lui, il répond d’abord « nit so wirklich ». La réponse qu’il nous donne lorsque nous insistons nous rappelle le discours des formateurs : « +jo eifach dass me emol im Usland gschafft het+ und d Kultur e chli kenne lernt ((rire)) ». Lorsque nous 97 Philipp a eu pour tâche de dresser un inventaire des outils dans l’atelier de réparation de son lieu de travail - une tâche qui ne lui a pas plu, mais qui a en revanche été très utile pour les collaborateurs de <Fabrique A France>. <?page no="100"?> 100 demandons à Philipp si cette attente a été comblée, sa réponse est très courte-(« jo jo ») ce qui nous donne l’impression qu’il n’a pas porté beaucoup d’intérêt à l’aspect culturel du stage. Nous avons déjà dit dans le chapitre 5.2.1. que Philipp n’a pas vraiment réfléchi avant le stage à ce qui pourrait l’attendre en Allemagne. Ce qui semble rassurer Philipp c’est le fait que la langue de la région d’accueil ne soit pas étrangère. De plus, il travaillera dans un centre de production comme en Suisse. Cependant, dans l’entretien après le stage, il dit avoir eu des attentes : KH : Hän Sie persönlich spezielli Erwartige gha an das Praktikum ? PG : eifach au d’Kultur vo Dütschland e chli besser kenne lerne KH : mmh, und ? PG : und eifach mol e Iblick döt übere, au mit de Lehrling emol öbbis z’mache. KH : und isch das nochhär denn au so gsi, oder sin Sie do enttüscht worde in Ihrne Erwartige ? PG : jo, nei, isch alles rächt guet gsi. Il comprend notre « und ? » comme une invitation à poursuivre, alors que nous voulions savoir si son bain dans la culture allemande avait été un succès ou non. Sa réponse est courte et superficielle ; les mots « alles » et « rächt » témoignent de peu d’enthousiasme par rapport à cette expérience de stage - d’ailleurs, le « jo » est à comprendre comme un « ben » ou un « alors » mais pas comme une affirmation. Alors que Philipp avait de la peine à imaginer un défi particulier avant de se rendre en stage, il en a découvert un sur place. Toutefois, Philipp met presque cinq secondes avant de nous en faire part : Hm (4.5) Herusforderig ? (1) jo eifach dört es Problem finde, wo dra ligt’s, und e gueti Lösig z’finde, isch rächt schwer gsi, und alles mögliche usprobiert, aber s’Beschte isch immer nonig usechoh, aso sie sind aso irgendwie ((rire)) zwei Johr an däm. Philipp pensait que le travail en Allemagne serait plus ou moins le même qu’en Suisse (cf.-5.2.1.) - dans les deux cas, il s’agit de centres de production - mais il semblait ne pas savoir que les deux lieux produisaient des appareils différents et que cela pouvait constituer un défi professionnel pour lui. Cet exemple montre que le formateur de Philipp, Reto S., n’a pas tort d’encourager la découverte de la gamme d’appareils et de produits chez <Fabrique A>. Nous retrouvons le discours de Reto S. chez Tim, qui disait ne pas avoir d’attentes particulières par rapport au stage en Allemagne (cf. 5.2.1.). La réponse est grosso modo la même lorsque nous l’interviewons après le stage, sauf qu’il thématise la question des connaissances professionnelles, et notamment celle de connaître de nouveaux appareils : KH : Und was sin Ihri persönliche Erwartige gsi ? TF : Ähm, ich ha eigentlich keini grosse Erwartige gha, usser ebe dass ich halt die Grät mol ka kenne lehre und mol kli ka gseh, wie’s in <Fabrique A Allemagne> lauft und so. Ces propos nous montrent une fois de plus que le discours des apprentis est largement nourri du discours des responsables. Tim l’a intériorisé (« dass ich halt die Grät… »), mais combine l’intériorisation avec une prise de distance en utilisant des hedges tels que « ebe », « halt », « kli », « und so ». D’ailleurs, l’utilisation de nouveaux appareils représente aussi ce que Tim considère comme le défi majeur de son stage en Allemagne : « mit däne Grät öbbis mache, will die sin zum Teil sin sie doch rächt anderscht ufbaut wie die do, jo ». Par contre, le défi du stage en France correspond effectivement à ce que Tim avait dit avant le stage : la langue. Il nous l’a confirmé dans l’entretien fait avec lui pendant le stage, mais aussi après son expérience : KH : Was isch die gröschti Herusforderig gsi ? (4.5) TF : Das isch däh sprochlich gsi am Afang. Aso ebe, dass me sich dra gwöhnt, und vor allem de erscht, nei, de zweit Tag isch’s glaub gsi, do het me eifach mol ähm, suscht <?page no="101"?> 101 isch mer kli überall gsi und het kli gluegt, was sie döt machen und so, und die hän eim das denn erklärt. Und de halt, ebe bi gwüssnige, die hän denn halt Rücksicht gno, anderi hän am Afang, nochher aber schnäll gredet, und jo, denn ganz normal. Und denn je nachdäm halt ä no (1) halt würklich nid grad sehr dütlich. Aso, das isch denn scho e Herusforderig gsi, dass me do no mitkunnt. Schnäll und nid sehr dütlich und denn, jo. Ce qui nous semble important dans ce passage est le fait que Tim distingue plusieurs ‘phases de compréhension’,-dont il mentionne explicitement la première : au début du stage, la compréhension de la langue étrangère serait très difficile, mais avec l’habitude, cela deviendrait plus facile. Lors de notre visite à Tim sur sa place de stage vers le milieu de son séjour (soit après trois semaines), nous avons pu observer comment il se débrouillait dans la communication exolingue avec ses formateurs. Dans l’exemple 1, Tim est en train de travailler à une maquette avec laquelle il y a manifestement eu un problème. Le formateur, Corentin H., intervient : Exemple 1 98 27 ((CH prend une partie de l’appareil dans sa main et la regarde)) 28 CH : oui, c’est bien (..) c’était quoi le quoi le problème alors ? 29 TF : ((Il regarde avec l’air de ne pas avoir compris)) 30 CH : c’était quoi le problème ? 31 TF : comment ((ne comprend toujours pas)) 32 CH : le problème que tu as rencontré (.) pourquoi est-ce que ça ne 33 marchait pas bien là-bas ? 34 TF : mmh ((acquièscement)) 35 CH : c’était dû à quoi ? (1) il y avait une résistance qui n’était pas bien 36 dimensionnée ? 37 TF : ähm oui [(xxx)] 38 CH : [une mauvaise] résistance ? 39 TF : oui : (.) l’est le ehm : (..) range ((fait un mouvement de la main pour 40 illustrer)) 41 CH : l’échelle. 42 TF : l’échelle [oui.] 43 CH : [l’échelle] tu avais l’échelle de combien à combien ? 44 TF : ((Il hoche de la tête)) oui 45 RL : c’est quoi ce (xxx) 46 CH : l’échelle de trois: de deux milliampères tu m’as dit avant ? 47 TF : ((Il acquièsce)) 48 CH : deux milliampères 49 TF : mmh (((acquièscement)) mmh 50 CH : jusqu’à: vingtsept (..) 51 TF : mmh (((acquièscement)) 52 CH : c’est ça ? 53 TF : oui. 54 CH : deux à vingtsept (.) et là cette fois-ci c’est trois virgule huit à 55 vingt. ((Il le fixe, il attend une réponse)) 56 TF : oui 57 CH : d’accord. (.) et tu penses que ça marchera mieux ? 58 TF : oui 98 TF = l’apprenti suisse alémanique Tim, CH-= le formateur français Corentin H., RL = le formateur français Roger Laurentin. <?page no="102"?> 102 Cet extrait illustre un cas de communication exolingue extrême où nous pouvons observer toute une série de stratégies d’hétéro-facilitation (Alber/ Py 1986 : 85s.) : L’apprenant Tim se trouve dans une situation de non-compréhension parce qu’il n’arrive pas à déchiffrer la question du locuteur natif, en l’occurrence son formateur. Apparemment, il y a un problème sur lequel apprenti et formateur doivent se mettre d’accord. Aux lignes 28 et 30, Corentin H. demande à Tim s’il est parvenu à comprendre la nature du problème concernant la maquette. Bien que le mot ‘problème’ soit le même mot en allemand (‘Problem’) et donc compréhensible pour Tim, Corentin H. n’arrive pas à se rendre intelligible. Ce n’est qu’à la ligne 32 que ce dernier a recours à la technique de l’(auto-)reformulation (Gülich/ Kotschi 1987 : 50) en paraphrasant sa question (« pourquoi est-ce que ça ne marchait pas bien ») que Tim semble comprendre. Cette reformulation est accompagnée par une (auto-)ponctuation, un procédé qui « consiste à segmenter un message en petites unités faciles à verbaliser, de telle manière que leur articulation […] conduise le destinataire dans la direction de l’interprétation souhaitée » (Alber/ Py 1986 : 85). Tim arrive à déchiffrer « pourquoi » et « ça ne marchait pas » et ratifie l’énoncé reformulateur (Gülich/ Kotschi 1987 : 49) par « mmh » (l. 34). Lorsqu’il est clair pour Tim qu’il y a un problème, Corentin H. veut amener Tim à identifier ce problème. Corentin H. continue le travail d’hétéro-facilitation en appliquant la technique de la mention (Alber/ Py 1986 : 86 ; Lüdi 1989 : 414)) : il donne des mots importants comme « résistance » (l. 35) et « mauvaise résistance » (l. 38) qui devraient servir à Tim pour reconstruire le sens du message. En effet, Tim semble comprendre de quoi parle le formateur et fait une tentative d’expliquer la ‘mauvaise résistance’ (l. 39). A défaut du terme correct en français, Tim a recours à une formulation transcodique en anglais à travers le mot « range ». Le formateur fournit le mot français « échelle » (l. 41) à son apprenti qui le répète. Bien que le travail de formulation soit au centre de cet extrait d’interaction, certains indices témoignent aussi d’un processus d’acquisition : le travail autour de ‘range’ et ‘échelle’ (l. 39-42) peut être considéré comme une séquence potentiellement acquisitionnelle (Matthey 1996 ; de Pietro/ Matthey/ Py 1989, (cf. chap. 3.4.)). Tim signale par l’hésitation et le geste qu’il y a un obstacle lexical. Ces balises « représentent […] le premier mouvement d’une séquence de travail lexical » (Lüdi 1993 : 130) : l’apprenant signale un obstacle et utilise une formulation transcodique pour pallier le manque lexical, puis le locuteur natif propose une formulation en langue cible que l’apprenant ratifie. Le mot ‘range’ reste pourtant le seul input de Tim-dans notre corpus : après que le formateur lui a fourni le terme, le travail de formulation hétéro-facilité continue (l. 43-58). Ce qui nous semble particulièrement intéressant dans cet exemple est la question de savoir ce que Tim est capable de faire avec des compétences en français très limitées (ce qui n’est pas seulement notre interprétation, mais aussi l’auto-évaluation de Tim). Nous pouvons observer qu’il a besoin d’aide à la formulation - aide qu’il obtient du locuteur natif. Immédiatement après, lorsque le formateur s’en est allé, nous demandons à Tim de nous expliquer ce qu’il fait : Exemple 2 99 69 KH : vous pouvez peut-être nous expliquer en français ce que vous faites ici ? 70 TF : ähm oui (..) je fais un maquette ((il se lève et montre des éléments 71 du doigt)) 72 KH : mmh 73 MG : mmh 74 TF : ehm (.) ici c’est coffret (.) et ici (.) c’est ehm : (.) c- (.) c’est le 75 mémogrAphe. 76 KH : mmh 77 MG : mmh 99 KH/ MG = chercheuses, TF = l’apprenti Tim. <?page no="103"?> 103 78 TF : c’est un regisun registrateur de Fabrique A ((prononciation 79 française)) 80 MG : mmh 81 TF : (entre xxx) et ehm (.) ici je fais deux (.) simulateurs 82 MG : mmh 83 TF : et deux simulateurs pour le entrée digitale et ça (.) >c’est le 84 simulateur pour le entrée analogue< 85 MG : mmh 86 TF : et : (.) oui ça c’est le Dings (.) circuite ((prononce le t)) 87 Schaltung 88 MG : [mmh] 89 TF : [en fran]çais simulatEUr ? (..) et maintenant il y a un: problEME (..) 90 avec ça et je change les: composantes (.) oui. La tâche donnée par les chercheuses est différente de celle donnée par le formateur dans l’exemple 1. Avec ses moyens linguistiques limités, Tim est sollicité à décrire plus en détail le problème identifié. Tim met en œuvre les ressources verbales dont il dispose : il enchâsse le vocabulaire technique (‘maquette’, l. 70 ; ‘coffret’, l. 74 ; ‘mémographe’, l. 75 ; ‘simulateurs’, l.-81 ; ‘entrée digitale’, l. 83 ; ‘entrée analogue’, l. 84) dans des structures syntaxiques très simples et répétitives (‘je fais’, l. 70, 81 ; ‘ici c’est’, l. 74 ; ‘c’est’, l. 74, 78, 83 ; ‘ça c’est’, l. 83). Parfois, ses ressources arrivent à une limite, comme à la ligne 86 où le terme ‘Schaltung’ pose problème : Tim revient à l’allemand (‘Dings’, l. 86) parce que ses moyens linguistiques ne lui permettent pas d’utiliser un mot français comme p.ex. ‘truc’ ou ‘chose’. Ensuite, Tim propose un éventail de solutions où il change entre français/ allemand/ français (‘circuit’, ‘Schaltung’, ‘simulateur’, l. 86-89) et dont il retient finalement ‘simulateur’. Effectivement, on trouve dans le dictionnaire la traduction ‘Schaltung’ pour ‘circuit’, par contre, on ne la trouve pas pour ‘simulateur’. A la ligne 89, Tim reprend le terme ‘problème’ qu’il n’est pas arrivé à comprendre dans l’interaction avec son formateur (exemple 1). Dans une séquence avec le formateur Roger L. enregistrée quelques minutes plus tard, celui-ci explique que Tim a déjà commencé la préparation de sa présentation de fin de stage. L’apprenant s’est doté d’un vocabulaire dont il avait besoin pour la présentation. Tim acquière ce nouveau matériau linguistique de manière située (voir chapitre 3.4. ; Mondada/ Pekarek Doehler 2004), c’est-à-dire que le fait de devoir accomplir une tâche spécifique demande de Tim d’« acquérir un-matériau linguistique immédiatement opérationnel » et d’« investir ce matériau dans la conduite de diverses activités discursives » (Giacomi 2006 : 26), dans son cas la présentation de son stage. Ce travail de vocabulaire n’est pas restreint à la communication exolingue car tout apprenti doit apprendre de nouveaux mots techniques, qu’il fasse son apprentissage dans une entreprise en région d’origine ou d’accueil et alloglotte (cf. Filliettaz 2008, Filliettaz/ De Saint-Georges/ Duc 2008). Le travail de vocabulaire permet à Tim de répondre à la tâche donnée par les chercheuses qui est tout à fait à la mesure de ses ressources parce qu’il doit parler d’un travail qu’il a commencé à faire et qu’il sait comment accomplir. Revenons à la question de la motivation. Alors que les uns disent ne pas avoir pu choisir s’ils voulaient faire un stage ou pas, d’autres y voient plutôt une chance, même s’ils ne l’ont pas saisie de leur propre gré. Aurel est à cheval entre ces deux pôles : selon lui, le stage aurait été ‘semi obligatoire’ (« miesse-dörfe ») : il en aurait été dispensé s’il n’avait absolument pas voulu faire cette expérience, même si l’entreprise attendait quand même de lui qu’il le fasse. Aurel témoigne d’une véritable répugnance à devoir partir en Allemagne. Rétrospectivement, il nous raconte quelle a été sa réaction lorsqu’il a appris qu’il devait faire un stage en Allemagne : <?page no="104"?> 104 I ha dänggt, nei, jetzt muess i das no mache, muess i no uf Dütschland go. Aso i ha das eigentlich gar nit guet gfunde. Aso am Afang het’s mi eigentlich uf Dütsch gseit (1.5) jo [agschisse]. C’est nous qui finissions la phrase en lui fournissant le mot qu’il n’ose pas dire, « emmerdé ». Il rit et poursuit Genau. (1.5) Jo. Das isch halt nid so (…) ich ha’s halt mit de Dütsche au nit grad so wahnsinnig guet. Und do han i dänggt, was chunnt jetzt do uf mi zue sächs Wuche lang nachhär do übere pändle. Le verbe « muess » mis en italiques et répété deux fois indique qu’Aurel a très fortement ressenti l’obligation de la part de l’entreprise d’effectuer un stage. Il explique ses réticences en disant qu’il n’aime pas trop ‘les Allemands’ - ce qui rappelle la représentation sociale partagée disant que les Suisses et les Allemands ne s’entendraient pas - et manifeste une certaine peur de devoir partir ‘là-bas’ sans trop savoir ce qui l’attend. Lorsque nous lui demandons s’il aurait préféré aller dans un autre pays, il nie en répétant « nei, das uf kei Fall, das uf kei Fall ». De manière hypothétique, cela signifie qu’il aurait préféré rester chez lui et ne pas partir du tout, mais lorsque nous le lui disons, il relativise en disant que son aversion contre les Allemands provient peut-être du fait qu’il ne s’entendait pas très bien avec son formateur, qui est un Allemand. Aurel projette donc son expérience faite avec un seul Allemand (en l’occurrence un formateur peu apprécié) sur tous les Allemands. Aurel témoigne aussi d’une incertitude par rapport à ce qui l’attendra en Allemagne (« was chunnt jetz do uf mi zue »), mais ceci ne l’a pas pour autant motivé à se préparer au stage en s’informant par exemple sur l’entreprise <Fabrique A Allemagne> de l’autre côté de la frontière ou en réfléchissant à la manière dont il pourrait profiter du stage. Aurel explique pourquoi : Ich bi am Afang eigentlich so bitzli so mit dr läck-mr-am-Arsch-Stimmig übere gange denn […] [ich ha] eifach gfunde jo, chum, machsch s’Beschte drus und gohsch eifach mol und luegsch emol. Cependant, la réponse à la question de savoir comment il évalue son stage contraste avec ce qu’il a dit précédemment : « Schlussändlich isch es e super Zit gsi und ich würd jederzit wider übere goh, wenn i chönnti. » Comme pour les autres apprentis, nous étions curieux de savoir quels pouvaient être les défis que représente un stage en Allemagne pour un jeune électronicien suisse : AJ : +Di gröschti Herusforderig+ (10) hm ((lentement, réfléchissant)) (5) KH : Schwirig z’sage ? AJ : No schwirig z’sage, jä. (3) Ich dänk, sicher eifacht ähm (2) die (...) vile Grät (neue G-) aso eigentlich di vile Grät (1.5) eigentlich eso iz’präge, wie me sie teschte duet. (...) Wil do wird jedes Grät wird völlig andersch teschtet und nocher neu kalibriert und (...) dass me (..) (do nachert) nid irgendöppis verwächslet, wil das isch jo (.) sehr vil Gäld, wo do inne steggt. (2) Dass me so würklich de Kopf (..) Kopf so über’s (.) in de Sach bi de Sach het. (...) Wil mer sin jo, eigentlich het’s g’heisse, all Wuche (..) e neui e neus Grät. (..) Aso neui (...) Ab- Unterabteilig, sage mer’s mol so [...] Aso glaub das isch glaub s’Schwirigschte gsi jetzt. Eifach so vil Informatione in so churzer Zit. (...) Dänk i. Aurel a beaucoup de peine à répondre à cette question, ce que montrent les pauses, parfois assez longues, et la répétition de « ich dänk » et « ich glaub » - peut-être qu’Aurel a tant de difficultés à répondre parce qu’il n’a jamais vraiment réfléchi à ce qui a demandé de lui un effort particulier. Outre ces exemples d’apprentis ayant une attitude plutôt indifférente par rapport au stage, nous trouvons aussi des apprentis qui ont une attitude plus positive et plus active. L’apprenti <?page no="105"?> 105 allemand Alain considère son stage en Angleterre comme une chance et sa participation comme un privilège : KH : Was war Ihre Motivation, dieses Praktikum zu machen ? AB : Aso einmal natürlich die Möglichkeit, in ein anderes Land zu gehen, dort die Kultur ähm kennen zu lernen, die Menschen und eben natürlich auch mal in einem anderssprachigen Land zu arbeiten, mir das mal anzuschauen wie das ist und eben ich hatte dann die Möglichkeit und (.) wollte die dann auch wahrnehmen und habe dann das auch gemacht ja (mmh), >über ein Ausschlussverfahren< wurde dann entschieden wer gehen DARF und ich hatte das Glück gehen zu dürfen ja. Pour Alain, il est tout naturel de profiter de la possibilité de faire un stage pour partir dans un pays étranger, connaître la culture, les gens et une autre manière de travailler. Dans le cas d’Alain, les attentes de la part des formateurs étaient claires : KH : Gab es bestimmte Erwartungen von Seiten der Firma an dieses Praktikum ? Wurde Ihnen da etwas mitgeteilt, du solltest das und das machen ? AB : Ja das mh das gab’s und zwar stand eigentlich wirklich nur das Englischlernen im Vordergrund, aso uns wurde gleich von Anfang an gesagt hört zu, es kommt uns nicht darauf an, dass ihr hier viel arbeitet, sondern dass ihr viel mit uns Englisch redet und es halt einfach LERNT, aso das war wirklich der Hauptgrund dorthin zu gehen, dass sie uns Englisch beibringen und aso halt das fördern einfach. C’est un des cas rares de notre corpus où les formateurs ont explicitement communiqué les enjeux du stage. Bien que la langue constitue la principale raison pour laquelle Alain effectue un stage, il ne la mentionne qu’au deuxième plan lorsque nous voulons connaître les défis auxquels il a été confronté pendant le stage : AB : Also, eine Fr- Herausforderung war auf jeden Fall mal das eigenständige Wohnen, weil ich wohne noch Hause bei meinen Eltern, ich bin neunzehn Jahre alt und dieses komplett eigenständige Wohnen und sich um alles zu kümmern, wirklich ALLES, und das dann halt auch noch auf eine andere Sprache, das war eigentlich so die grosse Herausforderung. KH : Und ? gemeistert ? AB : Ja, doch. KH : ((rire)) AB : Doch. Das hat eigentlich gut geklappt, aso ich habe es mir, bevor ich hingegangen bin, schlimmer vorgestellt hier, als ich dann zurückkam. KH : mmh. AB : <Es war eigentlich>, JA, es hat Spass gemacht, es war eine tolle Erfahrung, es war (.) nicht so, dass ich jetzt sagen würde, das würde ich jetzt nicht noch mal machen. L’indépendance - une notion que nous avons déjà rencontrée chez Jens et Graziella - est également mentionnée par Alain. Cependant, la réponse d’Alain montre qu’apprenti et entreprise pondèrent différemment les principaux aspects du stage : alors que pour l’entreprise, il s’agit clairement pour le stagiaire d’améliorer ses connaissances linguistiques, le défi majeur pour l’apprenti n’est souvent pas la langue, mais l’indépendance jusqu’alors inconnue - ceci en combinaison avec le fait de faire cette expérience d’indépendance dans un pays où l’on parle une langue étrangère. L’indépendance semble faire partie de la doxa parmi les apprentis, qu’ils en parlent avant ou après avoir fait leur stage. Nous avons vu qu’elle était aussi mentionnée par les responsables de la formation, mais que ceux-ci y accordaient moins d’importance que les stagiaires. L’enjeu de vouloir connaître une autre culture cité chez Alain peut sembler plus évident lorsqu’il s’agit d’un pays non voisin et où une autre langue est parlée. Pour l’apprentie allemande Claudia par contre, les différences culturelles sont un aspect important pour les stages dans la région et même entre des pays se situant dans le même espace linguistique : <?page no="106"?> 106 Ich fand, mich hat’s einfach interessiert, mal in `ne andere Kultur reinzukucken, weil kucken ob’s da überhaupt Unterschiede gibt, weil irgendwie ist es so nah. Und man hat’s gar nicht so, denkt man gar nicht so, dass es so grosse Unterschiede gibt, und das hat mich einfach interessiert. Und in Frankreich war’s halt so, dass ich unbedingt halt noch bisschen besser Französisch lernen wollte. Und deshalb mal kucken, ob man auch damit klar kommt. Claudia a fait un stage en Suisse et un autre en France. Dans les deux cas, elle a cherché à savoir s’il y avait des différences culturelles entre ces pays et l’Allemagne. En effet, on a souvent tendance à penser qu’il n’y a pas de grandes différences entre tous ces pays à cause de leur proximité géographique ; dans le cas de la France, l’aspect linguistique s’est évidemment révélé important. Claudia s’est montrée très motivée à l’idée d’effectuer des stages. Elle nous explique que la possibilité de la formation Euregio est une des raisons pour lesquelles elle a alors postulé pour une place d’apprentissage chez <Fabrique A>. Edith, une autre apprentie allemande, qui est partie en Suisse, en France et en Angleterre, affirme que la rotation entre ces différents lieux faisait pour ainsi dire partie de la formation. Par rapport à la France, elle dit que c’était une offre de la part de l’entreprise : « Das ist ja alles freiwillig jetzt vom Unternehmen auch gewesen und sie haben es mir angeboten, wer Französisch kann, der darf das machen oder wer da Interesse HAT, der darf das machen, wenn es dann zeitlich auch passt. » Elle mentionne aussi l’aspect culturel, mais met l’accent sur l’amélioration de ses compétences en français : Also, ich wollte mich auf jeden Fall sprachlich verbessern und einfach, aso es ist so, wenn man im Ausland ist, ist es etwas ganz anderes, als wenn man das in der Schule lernt. Also, wenn man im Ausland ist, da wird man wirklich gezwungen zu reden und wirklich halt so auch langsam in der Sprache zu denken und sich einfach versuchen zu kommunizieren und zu verständigen und deswegen, das war eigentlich der Reiz, auch die Kultur teilweise kennen zu lernen und ja. Elle voit dans le fait d’être exposée à une langue étrangère et de devoir communiquer en cette langue un atout certain pour l’apprentissage de la langue (cf. chap. 6.2.3.). Son défi a donc été la langue, à la fois en France et en Angleterre. Outre la dimension linguistique, le stage en Angleterre comprenait encore un autre défi pour elle : Also in England halt vor allem, weil wir uns auch versorgen mussten, wir mussten einkaufen, wir mussten die Zutaten sag ich mal lesen, was ist da drin oder was ist das denn jetzt eigentlich, was wir da in der Hand halten ? Im Supermarkt. Klar, da mussten wir uns schon, aso da war der Horizont dann schon weiter. So jetzt in Frankreich ist es eher nur das Geschäftliche und in England war es eben das komplette Paket. Ces propos confirment ce que nous avons déjà constaté chez Alain, Jens et Graziella, à savoir que l’indépendance est un enjeu pour les apprentis, ce qui est d’ailleurs tout à fait compréhensible à cet âge-là, vu que la plupart de ces jeunes gens ne sont encore jamais allés à l’étranger sans leur famille. Il semble que cette dimension soit un point où se distinguent, selon Edith, un stage à l’étranger pendant lequel on reste chez soi et un stage pendant lequel on habite aussi à l’étranger. Pour elle, cela fait partie de l’élargissement de l’horizon ; le stage ne serait « complet » que si on partait aussi de chez soi. Pour pouvoir bien profiter de son stage en France, Edith s’est préparée en répétant du vocabulaire : Aso ich habe mir jetzt vor Frankreich, habe ich mir natürlich noch mal kurz das Französischwörterbuch genommen und noch mal ein paar Sachen einfach rausgesucht, aso dass ich das einfach wieder sicher drauf habe, aber jetzt für England, man ist sowieso mit in der Schule und so die ganze Zeit mit dem Englisch eigentlich vertraut und dass man da Englisch denken muss. Von dem her war das dann auch so ok. <?page no="107"?> 107 Il semble évident pour elle (« natürlich ») de parcourir un peu le dictionnaire et de chercher « quelques trucs » (« ein paar Sachen ») avant de partir en France. Par contre, elle n’a pas jugé nécessaire de faire le même type de préparation pour son stage en Angleterre. Son argument est qu’elle serait beaucoup plus familière avec l’anglais parce qu’elle l’entendrait partout, « in- der Schule und so die ganze Zeit ». Ce qui nous frappe dans les propos d’Edith, c’est qu’elle adopte une posture personnelle quand elle parle du français en utilisant la première personne, alors que sa position est plus neutre et plus générale lorsqu’elle parle de l’anglais en utilisant la troisième personne. Elle fait référence ici à la représentation sociale partagée qui dit que l’anglais serait une langue qu’on apprendrait pour ainsi dire ‘en passant’ parce qu’on y serait continuellement exposé. C’est un argument que nous avons déjà entendu dans le discours de Konrad W. lorsqu’il parlait des débuts de la formation Euregio. Les chambres de commerce et d’industrie du Rhin supérieur auraient toutes été enthousiastes à l’idée de ce nouveau concept : Die hän alli gseit, das isch e tolli Sach, mir bechöme d’Lehrling sozusage fertig bache, die drei Sproche spräche, s’Änglisch tiemer nit speziell lehre, es isch jo hütte eso, dass jede s’Änglisch mitbechunnt, dass är kommuniziere ka in Änglisch, und äh das isch e gueti Sach. Konrad W. a intériorisé la représentation sociale partagée qui existe d’une part dans un espace plus vaste et d’autre part au sein de l’entreprise et qui est devenue l’(en-)doxa. En répétant que « produire » des apprentis sachant trois langues serait une « bonne chose », Konrad W. exprime son accord personnel avec la représentation sociale. Graziella, apprentie allemande elle aussi, est partie en Suisse et en Angleterre. Par rapport au premier stage, elle témoigne d’un grand intérêt envers ce type d’expérience-et se considère heureuse d’avoir pu en profiter : Also, es wird halt angeboten, wir müssen’s ja nicht machen, das isch freiwillig, aber ich find, so ’ne Chance sollte man schon nutzen, s’isch halt schon sehr interessant, (.) und da’s jetzt nicht (.) um die Welt isch, es isch ja grad in der Nöche in der Nähe, und es war wirklich interessant und es hat Spass gemacht. (2) Soalso, ich bin der Meinung, sowas, wem mer das angeboten bekommt, soll man das schon ausprobieren und nutzen. Le stage en Suisse n’a pas constitué de défi particulier pour elle. Selon ses propos, c’était plus ou moins comme chez elle (« eigentlich jetzt nit anderscht wie hier jetzt »), surtout parce qu’elle s’est retrouvée dans des sections où elle avait déjà travaillé en Allemagne : Do lernt mer dann au nit wirklich viel, wie es goht hauptsächlich drum, dass mer halt au wirklich sieht, wie’s dort isch. Ebe, dass mer halt vergleiche kann mit <Fabrique A Allemagne>. Und dass es halt, ja, also so wirklich lerne tut mer jetz nix, also, dodedurch, dass mer hier vilicht auch scho in der Abteilung war, ich war in drei Abteilunge hier scho, kenn ich das auch, wie’s do isch, also konnt ich’s dort auch schneller anwende. Und aber jetz so Herusforderung gab’s jetzt dört nit wirklich. Graziella trouve qu’elle n’a pas appris beaucoup de choses nouvelles au niveau professionnel, mais considère cet aspect comme étant négligeable au vu de l’objectif du stage qui serait d’obtenir la possibilité de faire des comparaisons avec l’entreprise que l’on connaît. La comparaison entre ce qu’on connaît et ce qui est nouveau est un aspect de la compétence interculturelle (cf. chap. 3.3). Dans les propos de Graziella résonne l’(en)doxa selon laquelle le stage serait avant tout une expérience interculturelle. La proximité géographique est un avantage pour Graziella. La possibilité de visiter un autre pays semble l’intéresser, que ce soit un pays germanophone ou pas. Bien sûr, elle veut aussi saisir la chance de faire un stage en Angleterre. Comme chez Tim ou Philip, la langue étrangère provoque des insécurités chez Graziella : elle est consciente qu’elle devra communiquer en anglais pendant six semaines, et elle ressent une certaine appréhension face à cette tâche exigeante. La langue est aussi le premier point qu’elle a mentionné lorsque nous lui avons demandé quels pourraient être les défis d’un <?page no="108"?> 108 stage en Angleterre, hormis les questions d’indépendance et le fait de ne pas savoir dans quelle section elle travaillera et quelles excursions elle fera avec ses collègues (cf. 5.2.1.) ; Graziella avait aussi parlé à plusieurs reprises de son projet d’aller à Londres qui semblait être très important pour elle. C’est aussi ce qu’elle mentionne en premier lieu lorsqu’il s’agit pour elle d’expliquer quel était le défi majeur du stage : Also die gröschti Herusforderung das mit Engmit London. So dass mer dört allei es war einmol scham Afang schwierig allei in der Wohnung, ebe wer macht was ? Wie wird’s ufteilt ? Es gibt nur ein Fernseher. [...] Ja, sfas’war halt am Afang so gschafft ma alles ? Das war so, krieg ich das uf d’Reihe ? Und dann war’s halt nomol, ebe, mit London goh, döweil das war halt Liverpool, ok, do fahrsch mit’m Zug so weiss nit. Do ware mer dann scho in London. War dann kei so s- Sach meh. Aber so allei nach London z’goh, und dann nur zu zweit. Und dört alles finde und, ja, mtfmit Bus flaufsch jetz ane oder, des war dann scho so die gröschti Ding. Kriegsch das wirklich ane ? Schaffsch das allei ? Oder gohsch da total under ? Les points qu’elle mentionne correspondent grosso modo à ceux qu’elle avait mentionnés dans l’entretien avant le stage (cf. 5.2.1.). Le seul point où elle dévie de ce qu’elle avait précédemment affirmé concerne l’excursion à Londres : nous nous rappelons qu’elle avait dit vouloir aller seule à Londres si ses collègues renonçaient à l’accompagner le moment venu. Cependant, c’est exactement cette expérience qu’elle considère comme le plus grand défi, et sa détermination d’aller seule à Londres a pourtant été remplacée par des doutes : « Ich weiss es, ja, ich weiss nit, wie’s gsi wär, wenn ich allei gsi wär. Ich glaub, dann hätt i’s glaub nit gmacht, dass ich nach London gange wär. » Pour finir, nous aimerions revenir à Jens et voir si ce qu’il nous dit après le stage correspond à ce qu’il nous a dit avant. Interrogé sur les défis du stage avant son départ, Jens mentionne comme point primordial l’indépendance- et pas la langue. Après le stage, c’est l’inverse : KH : Was würden Sie sagen, was war für Sie die grösste Herausforderung in diesem Praktikum ? JS : (2) Mmm : (1) grösste Herausforderung ? (1) Erst mal die englische Sprache zu verstehen, das war auf jeden Fall, also in der ersten Woche auf jeden Fall. Dann selbständig leben vielleicht, ((rire)) also auch wirklich mal, auch mal zu sagen, jawohl wir haben jetzt unter der Woche, aber ich muss jetzt einkaufen gehen und dann halt wirklich auch mal waschen oder so was, dann auch Wäsche aufhängen, so halt. Das Selbständige einfach [...] und ja (2) sonst (3) gab es eigentlich keine. Beim Joggen vielleicht ((rire)) Herausforderung, ja weil man die Wege nicht kannte und dann ist man halt irgendwo ins Jenseits gejoggt und hat dann nicht mehr zurückgefunden, ja, aber sonst, (1) also auf jeden Fall das Sprachliche. Das denke ich, war die grösste Herausforderung. Und vielleicht das Handwerkliche noch. Zum Beispiel schweissen oder so was, weil [...] also ich habe davor noch nie geschweisst und dort halt gleich schweissen, (1) das war halt dann schon, (2) auf jeden Fall eine Herausforderung. Und (2) ja. (1) Das Auto Fahren vielleicht noch ((rire)), aber sonst eigentlich nichts mehr. Au début, la réponse de Jens semble être claire et facile : les défis du stage comprenaient la langue et l’indépendance. Jens semble avoir terminé sa liste (« sonst (3) gab es eigentlich keine »), mais au fur et à mesure, d’autres points surgissent, marqués par des pauses ainsi que des hedges intensificateurs comme « also auf jeden Fall » ou atténuateurs comme « vielleicht noch ». Parfois, ces points lui semblent ridicules ou pas importants, ce qu’il signale par un rire. 5.2.3. Motivations et défis pour les étudiants Nous avons dit dans le chapitre consacré à la méthodologie que nous n’avions pas trouvé d’apprentis français et que nous avions donc interviewé des étudiants pour tenir compte de la perspective française. Alors que pour les apprentis, il n’est pas tout à fait clair dans <?page no="109"?> 109 quelle mesure ils sont obligés de participer aux stages, la situation est plus tranchée pour les étudiants : les stages font partie intégrante de leur formation, mais les étudiants sont plus ou moins libres de choisir le lieu de stage. Dans ce qui suit, nous verrons pourquoi ils ont choisi de partir à l’étranger. Pour les deux étudiants allemands de <Fabrique A Allemagne>, Sascha et Oliver, c’était une évidence qu’ils ne resteraient pas en Allemagne-pour faire leur stage : Dass ich ins Ausland gehe, war mir sowieso ohnehin klar. Das habe ich mit Freuden angenommen, dieses Angebot. Ausserhalb Europas wollte ich eben auch [...] ich wollte auf jeden Fall in ein Land, wo man Englisch spricht um da meine Kompetenzen zu verbessern. (Oliver) Oliver explique que le stage a concerné au final cinq personnes et que plusieurs lieux ont été proposés par le groupe <Fabrique A>. Lui s’est beaucoup intéressé aux pays asiatiques, et a manifesté l’intérêt de partir chez <Fabrique A> à Singapour parce que ce serait « Asien light » (c’est-à-dire l’Asie en version « modérée ») et que son chef --qui y avait travaillé --le lui avait recommandé. Lorsque nous demandons à Oliver pourquoi il a choisi de faire un stage à l’étranger, il cite le discours de ses formateurs : Also zum einen kam das von Firmenseite aus. Sie hat gesagt, sie WOLlen das, dass mit dieser dualen 100 Ausbildung die Leute auch ins Ausland gehen. Zum einen, um Kontakte zu knüpfen, innerhalb der <Fabrique A>-Gruppe, zum anderen, um sich persönlich fortzubilden, einfach über diesen Tellerrand hinauszuschauen, andere Kulturen mal zu sehen. Macht’s später im Arbeitsleben auch einfacher bei Verhandlungen oder Gesprächen mit anderen, und natürlich die Sprachkompetenz zu verbessern. Wir wurden allerdings dazu nicht gezwungen, das war von der Firma so gewünscht, aber wir mussten dieses Angebot nicht annehmen, es gab auch schon Leute, die das ausgeschlagen haben. Äh, für mich war es eine ganz tolle Erfahrung, ich war zum ersten Mal da ausserhalb Europas. Und äh, muss auch sagen, ich habe nur davon profitieren können. Und, also alles, WAS die Firma damit erreichen wollte, sage ich mal, wurde auch tatsächlich erreicht. Le discours d’Oliver est polyphonique : dans la première partie, Oliver raconte en discours rapporté ce que ses formateurs lui ont dit, tout en utilisant aussi leur terminologie : cela se voit d’une part dans la reprise du terme « Tellerrand », par exemple utilisé par Mirjam D., et d’autre part dans l’emploi de l’article défini « diesen » par lequel Oliver montre qu’il considère ce « Tellerrand » comme étant connu par les interlocuteurs ; ce terme peut être compris comme synonyme du terme « frontière », fréquemment employé par les responsables de la formation. Il est significatif de noter comment Oliver pondère les différents objectifs du stage : du point de vue de l’entreprise, nouer des contacts au sein du groupe d’entreprise semble être le point principal, même si le-développement personnel-semble également important. L’amélioration des compétences linguistiques est mentionnée comme troisième point, après les avantages du séjour à l’étranger. La langue est pour ainsi dire un ajout évident, ce que montre la formule « und-natürlich ». Oliver semble donc tout à fait d’accord avec l’argumentation de l’entreprise, qu’il fait sienne. Ce n’est que dans la deuxième partie qu’Oliver adopte une perspective plus personnelle, d’abord en manifestant son appartenance au groupe des étudiants (« wir »), et ensuite en se positionnant en tant qu’individu (« für mich »). Les deux dernières phrases sont une sorte de justification qui donne raison à l’entreprise d’offrir des stages à l’étranger et qui montrent que les objectifs fixés par l’entreprise peuvent être atteints. Avant de partir, Oliver a été préparé au stage par l’entreprise, plus précisément par la société suisse qui lui a montré les appareils avec lesquels il aurait affaire à Singapour et qu’il 100 Oliver se réfère ici à la formation ‘intégrée’, offerte par <Fabrique A Allemagne> (cf. 4.1.1., 4.2.1.). Comme dans le cas de la formation professionnelle initiale, le terme ‘dual’ désigne la combinaison entre une formation pratique en entreprise et une formation théorique (à l’école professionnelle pour l’apprenti, à l’université ou haute école spécialisée pour l’étudiant) ; pourtant, le terme ‘dual’ reste réservé à la formation professionnelle initiale dans le contexte de notre recherche. <?page no="110"?> 110 ne connaissait pas. Quant à l’anglais, Oliver n’a pas fait de préparation particulière : à l’université, il a fait six heures d’anglais hebdomadaires ce qu’il a évalué comme étant suffisant. L’autre étudiant allemand, Sascha, a aussi eu la possibilité de faire un stage à l’étranger. Il a été d’emblée évident pour lui que son choix se porterait sur un pays anglophone (« wo Englisch auf jeden Fall- die Muttersprache ist »). Il ajoute : « deshalb habe ich mal die asiatischen Länder da ausgenommen ». Puisque <Fabrique A Allemagne> était en contact étroit avec une société du groupe <Fabrique A> au Canada, Sascha a tout naturellement choisi de partir là-bas. Comme Oliver, Sascha a aussi reçu de l’entreprise une formation sur des appareils qu’il ne connaissait pas. Par ailleurs, il s’est senti plutôt bien préparé au niveau linguistique grâce aux cours d’anglais reçus à l’université. Alors que Sascha a pu se préparer aux niveaux linguistique et professionnel, il n’a en revanche pas pu anticiper certaines situations comme celle dont il nous parle dans l’extrait suivant et qui ont constitué pour lui un vrai défi : Ja, die Herausforderung war eigentlich am Anfang, ich bin da hingeflogen und wusste nicht mal eigentlich wo ich genau wohn und dann kam dann auch die Frage, so am Flughafen vom Zollbeamten, wo ich dann wohnen werde und dann kam halt gleich mal keine Ahnung ((rire)). Ja, die einzige Adresse, die ich hatte, war von der Firma. Und des war einfach des Ungewisse, was man da genau, wo man wohnt, wie das aussieht, wo man da hinkommt. Annie est une étudiante française qui a grandi en Alsace et qui est bilingue français/ allemand. Elle fait un master trinational en « International Business Management » et a déjà passé des semestres à l’étranger dans des régions voisines. Obligée de faire un stage et de chercher ellemême une place, elle a décidé d’en chercher une en Allemagne, ceci pour des questions de « Lebensqualität » (soit de qualité de vie) parce qu’elle habite près de la frontière allemande et met moins de temps à aller en Allemagne que par exemple à Colmar ou à Mulhouse. Une amie à elle lui a recommandé de faire un stage chez <Fabrique A>, aussi au vu de la bonne réputation de <Fabrique A Allemagne> ; ce serait une entreprise « die viel Wert in der [sic] Ausbildung leg[t] » et qui accepterait régulièrement des stagiaires avec l’option de les embaucher après. Annie a donc décidé de postuler dans cette entreprise. Elle dit ne pas s’être préparée au stage : Nein nein weil des war nicht das erste Mal, dass ich im Ausland war und da die erste Erfahrung im Ausland, das war doch dieses erstehm Theoriesemester und dann merkt man, s’dauert ein bifwenig, aber es kommt von alleine. Die erste Arbeit hatte ich schon in diesem Semester geleistet, indem ich die Wörter gelernt hab. Le fait d’être déjà une fois allée à l’étranger rassure Annie. Pendant son premier séjour, elle a remarqué qu’elle devait se laisser un peu de temps jusqu’à ce que les choses se mettent en place et qu’elle soit à l’aise avec le vocabulaire. Repartir à l’étranger est donc beaucoup moins angoissant pour elle que si c’était pour la première fois. Ainsi, Annie ne considère pas que ce soit un défi majeur de partir à l’étranger ou de devoir parler une langue étrangère. Par contre, ce l’est beaucoup plus au niveau de nouvelles tâches professionnelles à accomplir : à <Fabrique A Allemagne>, Annie a fait une recherche sur la formation continue en entreprise et a développé un module d’e-learning. De son plein gré, elle avait confié à la personne responsable qu’elle aimerait aussi accomplir d’autres tâches. Ainsi, elle a fait des remplacements, et c’est à l’occasion d’un remplacement qu’elle s’est vu imposer un défi : la collègue qu’elle remplaçait avait organisé un séminaire pour une quarantaine de personnes mais cette dernière est partie en vacances lorsque ce séminaire a eu lieu ! Bien qu’Annie ait été en contact avec elle, tout comme avec une autre collègue à qui elle pouvait demander conseil, cette situation a procuré beaucoup d’adrénaline à Annie. Il semble qu’Annie ne se soit pas laissé impressionner par la situation puisqu’elle ajoute : « oder hat man gesagt einfach gemacht, wie man dewie man’s denkt ». Bien qu’Annie ne le dise pas explicitement, nous retrouvons ici le discours récurrent des apprentis sur le développement de l’indépendance (professionnelle et personnelle) pendant le stage. <?page no="111"?> 111 Lucien, un étudiant venant de Franche-Comté, suit un cursus qui s’appelle « Conduite de projet en environnement international » et s’est aussi retrouvé dans la situation de faire un stage. Bien qu’il ait pu le faire sans problèmes en France, Lucien a décidé lui-même de partir à l’étranger pour améliorer ses compétences en anglais. Son argumentation « parce qu’on sait tous que l’anglais est nécessaire » fait référence à la représentation sociale partagée qu’il faut savoir l’anglais ; l’emploi du pronom indéfini « tous » est une trace de cette récurrence. Si cette argumentation ne surprend pas et qu’il est compréhensible que Lucien veuille améliorer son anglais (une langue importante dans le cadre de sa formation mais aussi en vue d’un futur travail), en revanche le choix de l’Allemagne pour effectuer ledit stage nous étonne franchement. Lucien nous explique qu’il n’y avait pas d’offres pour faire un stage aux Etats-Unis (le seul espace anglophone qui l’aurait intéressé). Il ajoute que l’entreprise irlandaise figurant sur la liste du professeur ne lui convenait pas, et que des camarades lui avaient confié qu’« en Allemagne, ils avaient déjà un très bon niveau d’anglais ». Ainsi, il a décidé de contacter trois entreprises en Allemagne, <Fabrique A Allemagne> ayant été la première à lui répondre favorablement. L’étudiant français Gaël poursuit des études en électrotechnique d’une école d’ingénieurs française et a, après une année d’études en Allemagne dans le cadre du programme européen Erasmus (http: / / ec.europa.eu/ education/ lifelong-learning-programme/ erasmus_de.htm), décidé de repartir en-Allemagne et de prolonger son stage obligatoire de six mois à une année pour la simple et bonne raison que six mois lui semblaient trop courts : Und ich habe gesagt, ja ich möchte gerne in Deutschland studieren, aber nicht nur ein Semester, ein Semester für mich es lohnt sich nicht, weil äh für die Sprache, für alles, denn nach ein Semester kann man wirklich das Leben ein bisschen geniessen und ja wirklich verstehen, was man sagt und alles. Dans ses propos, Gaël plaide pour des stages de longue durée. Il pense qu’un stagiaire a besoin d’un certain temps pour s’habituer à une nouvelle situation et à une nouvelle langue et qu’il est souvent dommage de repartir dès que l’on se sent plus à l’aise (cf. Dwyer 2004). Pour Gaël, les raisons de ce stage et son prolongement volontaire sont les suivantes : Wie gesagt, ich bin in einer Ingenieurschule und äh die Erfahrung in einer Firma ist einfach super super wichtig. Also ich meine für mein Lebenslauf und äh das ist, die Kenntnisse, die Grundkenntnisse sind, ja okay, ich mein, das ist auch wichtig, aber die Erfahrung jetzt. Ich mein, in Frankreich jedes Jahr gibt’s Hunderte und Hunderte Ingenieur, die äh, die aus der Schule, die äh in Firmen besorgt werden und äh, um die einzelne Ingenieur zu unterschieden, das äh steht in dem Lebenslauf, wo welche Erfahrungen äh, wie viel Erfahrungen hat der Ingen-, der junge Ingenieur. Hat er, ja, war er im Ausland, hat er im Ausland studiert. Also ich weiss es, in Frankreich, das wär sehr, das ist fast die Regel, ich mein, man muss, um Chance, um Glück, um Chance zu haben, ein Beruf zu, ein Job zu kriegen, man muss im Ausland studieren, also zumindest ein Semester und äh gute Erfahrungen sammeln. Und in dem Fall, wenn ich das nicht machen hätte, ja ich hätte einfach keine sechsmonatige Praktikum gemacht wie ich gesagt habe, also in Frankreich und das, ich denk das ist ein (einfach) Punkt einfach. Gaël qualifie clairement l’expérience d’avoir travaillé à l’étranger comme l’objectif principal du stage, ceci en vue de sa future carrière professionnelle (« super super wichtig »). Il considère le stage comme un bonus et comme une manière de se distinguer des autres jeunes ingénieurs. Les connaissances acquises en allemand sont pour lui en même temps une condition et un aspect secondaire, mais négligeables par rapport à l’expérience (« okay, ich mein, das ist auch wichtig »). Lorsque nous voulons savoir de Gaël quels sont ses défis professionnels, il ne comprend d’abord pas la question : KH : Was sind für Sie so die Herausforderungen hier ? Bei der Arbeit ? GA : Was meinen Sie ? KH : Äh, ja was, gibt es Sachen, die vielleicht für Sie nicht so einfach sind ? Wo Sie wirklich gefordert sind ? Des défis ? <?page no="112"?> 112 GA : Äh, ja. (1) Uh, ja, pfff. Also vielleicht, ja, Vortrag zum Beispiel vor, ich sollte mein Projekt vorstellen auf Deutsch, das ist weil, jetzt wenn ich rede, ich kann einfach Fehler machen, ich rede ein bisschen so ungefähr, aber wenn man ein Projekt vorstellen muss, dann es muss genauer sein. Und ich hab’s im Mai gemacht äh, ein paar Mal und das war eine Schwierigkeit. Aber sonst, nein. Ce n’est qu’après avoir posé la question une deuxième fois et lui avoir donné le terme en français que Gaël comprend la question. Pourtant, il a toujours de la peine à y répondre, plus pour ce qu’elle signifie que pour des éventuels problèmes de langue. Apparemment, le stage ne présente pas beaucoup de situations qui sont particulièrement difficiles pour lui. Après une pause de réflexion et quelques hedges (« äh, ja », « uh », « pfff », « also vielleicht »), il mentionne la langue, plus précisément le fait que dans une situation de communication orale plutôt informelle - comme c’est le cas dans l’entretien qu’on mène avec lui - il doit moins faire attention à parler sans fautes que dans une situation de communication plus formelle - comme c’est le cas quand il doit présenter son projet à des supérieurs. Cette affirmation correspond tout à fait à l’attitude générale de Gaël-qui dit de la communication avec ses colocataires (dont un Français, plusieurs Allemands, un Américain et un Yéménite) : Ja, wie gesagt, ich bin, ich habe Erasmus, als Erasmus studiert und ich kenne das schon mit verschiedene Sprache zu handeln. Wenn es nicht auf Deutsch passt, es passt auf Englisch und wir können alle, das ist nicht so, nicht so schwierig. La représentation du plurilinguisme de Gaël va vers celle du répertoire plurilingue qu’on met en œuvre selon la situation ; il n’attribue pas trop d’importance à parler une langue correspondant à la norme, mais l’essentiel pour lui est d’arriver à une situation mutuellement intelligible pour tout le monde. D’ailleurs, c’est Gaël qui a décidé, après une courte phase de négociation, que la langue de notre entretien serait l’allemand et pas le français. Le quatrième étudiant français, Etienne, est en fait un ancien apprenti de <Fabrique A France [centre de production]> qui a ensuite commencé des études. Nous le considérons comme stagiaire bien que, stricto sensu, il n’était pas en stage lorsque nous l’avons interviewé, mais travaillait à sa thèse (thèse d’industrie). Cependant, Etienne a fait un long parcours de formation qui l’a mené à plusieurs reprises chez <Fabrique A> : pendant son DUT (Diplôme universitaire de technologie, niveau bac+2) par apprentissage chez <Fabrique A France [centre de production>, il a passé quelques semaines chez <Fabrique A Allemagne> pour obtenir le Certificat Euregio. Il y est ensuite retourné pendant des études d’ingénieur en France et a finalement été embauché sur le site allemand où il travaille à sa thèse. Selon ses termes, Etienne est venu en Allemagne pour « faire autre chose que ce que je faisais en France », c’està-dire pour faire de la recherche et du développement au lieu de la maintenance électrique. Etienne partage la représentation sociale selon laquelle « apprendre une langue à l’école, c’est pas l’idéal, c’est plutôt apprendre à aller dans le pays pour apprendre la langue », mais il spécifie que la langue n’est pas la raison principale pour laquelle il est venu en Allemagne : C’était vraiment pour faire quelque chose d’autre. Et aussi pour avoir ce certificat Euregio qui permet de mieux trouver du travail dans le pays étranger, enfin en Allemagne, en Suisse surtout. Et aussi en France, c’est bien vu aussi, surtout en Alsace, d’être, de montrer qu’on est bilingue. Donc, c’est un avantage. Etienne pense que le Certificat Euregio pourrait lui être utile pour la recherche d’un poste dans la région. Il semble qu’Etienne pense avant tout à travailler en Allemagne ou, mieux encore, en Suisse, mais pas forcément en France, ce qu’il montre par l’ordre dans lequel il mentionne ces trois pays et l’adverbe « surtout ». Quant à la France, son pays d’origine, il l’ajoute en dernier lieu par un « et aussi », mais il semble que ce pays soit moins concret que les pays germanophones ; alors qu’en Allemagne et en Suisse, le Certificat Euregio serait important pour trouver du travail, il serait seulement « bien vu » en France d’être bilingue. <?page no="113"?> 113 5.2.4. Expériences avec les stages et bénéfices Les chapitres 5.2.1., 5.2.2. et 5.2.3. ont montré que les stagiaires partent pour leur stage avec un degré de motivation variant de ‘peu motivé’ à ‘très motivé’ et que certains ont des attentes assez concrètes alors que d’autres sont plutôt incertains par rapport à ce qui pourrait les attendre sur le lieu du stage. Dans ce qui suit, nous nous intéressons aux différentes expériences que les stagiaires ont faites à l’étranger et dans quelle mesure ils peuvent en tirer bénéfice. Il est important de souligner ici que nous n’avons pas accès à LA ‘vérité’ de ces expériences, mais seulement à des expériences verbalisées dans un récit (cf. Maurer 1999 : 183). Ces bénéfices peuvent être, comme nous l’avons vu, d’ordre linguistique, interculturel, professionnel ou personnel. Cependant, il serait inutile de réserver à ces dimensions des chapitres séparés parce qu’elles s’entremêlent : un bénéfice linguistique par exemple peut aussi être perçu comme un bénéfice personnel pour le stagiaire ou encore comme un bénéfice professionnel lorsqu’il s’agit d’un stagiaire qui a besoin de la langue étrangère en question pour bien exercer son travail sur le lieu de formation. Nous sommes partie de l’idée que le stage est avant tout une expérience interculturelle qui mène d’une part au développement d’une compétence interculturelle et d’autre part au développement personnel, par rapport auquel nous comptons aussi les bénéfices linguistiques et professionnels (cf. Höchle/ Yanaprasart 2012). Dans nos entretiens, nous avons explicitement posé les questions suivantes : - Quelles sont les différences ou au contraire, quels sont les points communs que vous pouvez constater entre votre pays/ lieu de travail de départ et le pays/ lieu du stage ? - Dans quelle mesure pensez-vous avoir profité du stage ? Nous avons ajouté une question pour les stagiaires étant partis dans un pays alloglotte : - Quelles expériences avez-vous faites avec le plurilinguisme sur le lieu du stage ? Il était parfois difficile pour les stagiaires de répondre aux questions sur les différences ou points communs entre le lieu d’origine et le lieu du stage. Dans ces cas-là, nous avons dû leur fournir de l’aide en nommant des domaines spécifiques comme la culture en général, la culture d’entreprise, la manière de vivre etc. De même, certains stagiaires éprouvaient des difficultés à se rendre compte dans quelle mesure ils avaient pu profiter du stage ; là aussi, nous les avons aidés en mentionnant quelques-uns de ces bénéfices à travers les quatre dimensions évoquées ci-dessus. Malgré certains cas où notre aide s’est avérée nécessaire, nous avons quand même trouvé de nombreux aspects qui ont été mentionnés par les stagiaires eux-mêmes (perspective émique) que nous avons ensuite regroupés en trois thèmes principaux : la manière de travailler, la nourriture et le comportement des gens. Ce sont ces éléments qui, selon la métaphore de l’iceberg (Gibson 2006, Koller 2010), se retrouvent à la surface comme étant facilement repérables. Ce sont ces trois thèmes que nous aimerions développer en détail dans le prochain chapitre. 5.2.4.1. D’une expérience interculturelle à une compétence interculturelle A propos des manières de travailler Un premier thème qui ressort de l’analyse du mot-clé « lieu d’origine vs. lieu du stage » en combinaison avec les « expériences de stages » et les « bénéfices du stage » concerne la manière de travailler dans l’entreprise d’accueil, l’atmosphère de travail (contacts entre les collaborateurs, comportement des chefs, comportement des collaborateurs vis-à-vis des stagiaires) et les coutumes locales. L’apprenti suisse Silvan a eu l’impression que ses collègues allemands avaient plus de contacts entre eux en dehors du travail qu’il n’en a lui avec ses collègues suisses - une impression partagée par son collègue Aurel. L’Allemande Nicole par contre trouve que les Suisses ont plus de contacts privés que les Allemands. Viktoria, Allemande elle aussi, trouve que les Suisses ont plus de contact au niveau privé que les Français, mais a constaté une différence au niveau du contact dans le sens de collaboration au travail : <?page no="114"?> 114 Also in <Fabrique A France> [centre de production] ist mir aufgefallen, da wird halt miteinander gearbeitet, aber auch so ein bisschen für sich selber. Also da ist, kann man nicht sagen, da ist wirklich ein beständiges Miteinander da geht auch jeder jetzt, sag ich jetzt mal so seinen eigenen Weg. Er macht seine Arbeit und dann kennt er vielleicht sein Umfeld gar nicht. In <Fabrique A Suisse> ist es GANZ anders. Da wird sehr viel miteinander kommuniziert. Also da wird jeder irgendwann mal von jemandem gefragt, ob man helfen kann, was jetzt auch speziell das Zeichenprogramm angeht. Und auch im privaten Bereich habe ich bemerkt, dass in <Fabrique A Suisse> sehr viel miteinander unternommen wird, also man geht zum Beispiel samstags oder sonntags vielleicht Tennis spielen oder so. Quant à la rigidité au travail, les impressions sont diverses, mais en général, on perçoit les autres comme plus décontractés. Dans les propos des stagiaires, on retrouve aussi les représentations sociales partagées des germaniques travailleurs et des Français détendus. Les stagiaires suisses disent à propos des Français : « sin alli chli lockerer (…) sin lustig druf » (Adriano), « jo vilicht schaffe sie döt e chli weniger ((rire)) aso weniger sträng als in dr Schwiz, alli e chli gmietlich » (Philipp) ; à propos des Allemands, ils disent : « sie händs sehr (…) locker däne gnoh » (Aurel), « jo döt sin würklich alli wenn’s Schluss isch mit Schaffe [...] so abere gwüsse Zit isch eifach niemerts me ume, ganzi Firma leer ((rire)) » (Philipp). Jonas, un ancien apprenti suisse travaillant chez <Fabrique A> depuis une dizaine d’années, ayant effectué un stage en France et en Allemagne, décrit les différences comme suit : Jo, aso jo aso d’Arbetsmentalität äh in Frankrich isch ganz andersch gsi ähm die händ äh (1) jo, foht scho a, dass sie am Fritig irgendwie am zwölfi Fürobe mache. Und wenn sie am Morge chöme, denn, jo, chöme sie halt irgendwenn +mol+ ((rire)) Und schaffe und (2)-sie schaffe ähm vilicht au bitzli langsamer. Und in <Fabrique A Allemagne>, won i gsi bi, döt bin i in de Forschig und Entwicklig gsi, aso döt bin i denn meh mit all de Entwickler zäme gsi und die näme’s nomol e bitzli anderscht. Das sind denn scho äh die, wo bitzli intensiver schaffe, und vo däm här isch de Unterschied scho, vorhär bin i, in <Fabrique A France> [centre de production] bin i wirklech in de Produktion gsi. Aso die, wo au kei Usbildig uf däm hän im Prinzip, das isch en irgendwie, die sind igschafft worde, meh nid, und in Dütschland isch denn halt wirklech äh en Usbildig dehinter gsi. Jonas aussi s’explique ces différences par le fait d’avoir fait ses stages dans des sections très différentes où travaillent des gens avec des formations inégales. En revanche, certains Allemands pensent que les Suisses seraient moins stressés : « In der Schweiz war auch irgendwie die Arbeit eher locker, die haben nicht so einen Stress gemacht » (Claudia) ; « also d’Schweizer sind lockerer drauf wie wir » (Graziella) ; « in der Schweiz sind die nit so hektik hektisch wie hier, schön langsam und sind fröhlicher, hab ich das Gefühl, und sehen alles nit so eng » (Nicole). L’apprenti suisse Enzo confirme cette impression en disant que, selon ses expériences, les Allemands seraient plus travailleurs et plus rigoureux que les Suisses : Dass di Dütsche vischvil härter schaffe wie d’Schwizer. Aso s’isch mer so vorcho. Wil döt wird alles strikt agluegt, me döf nur so und so vil mache, so und so lang döf me Pause mache und all das Züg, und es dunggt mi do aso eifach in dere Abteilig, woni jetz bi, isch vil lockerer. Da heisst’s, jo, gohsch mol in d’Pause und chunnsch irgendwenn mol wider. Denn machsch dini Arbet, und wenn das gmacht hesch, machsch wider e klini Pause. Aso jo. (.) […] Dau de Mittag het’s mi dunggt, die händ strikt ihri halb Stund gmacht, denn sin si wider go schaffe. Il atténue ses propos en répétant qu’il avait l’impression (« s isch mer so vorcho », « es dunggt mi », « het s mi dunggt ») que c’était ainsi. Evidemment, il ne peut pas vérifier si c’est le cas dans d’autres sections, parce qu’il n’en connaît pas d’autres. L’étudiant français Etienne partage la même impression qu’Enzo, mais par rapport aux Français : C’est aussi, je ne sais pas si c’est un cliché, mais je trouve les gens en Allemagne plus stricts, plus rigoureux qu’en France. Par contre, ils ont moins de je dirais d’imagination, bon ce n’est <?page no="115"?> 115 pas une critique, c’est juste oui c’est aussi ce qu’on entend toujours que l’Allemagne est stricte et rigoureuse et la France c’est un peu plus je trouve pas le mot d’imagination, j’ai remarqué ça aussi, mais c’est pas flagrant, mais c’est comme ça. On retrouve dans les propos d’Etienne la représentation sociale partagée selon laquelle les Allemands seraient stricts. Le discours d’Etienne est parsemé de hedges qui signalent une prise de distance par rapport à ce qu’il dit : les atténuateurs « je ne sais pas », « je dirais », « c’est juste », des indices d’implication personnelle (‘indicators of personal involvement’) comme « je trouve », « j’ai remarqué ». Malgré tout, il adhère en principe à cette représentation dont il parle en utilisant une formulation impersonnelle (« c’est aussi ce qu’on entend toujours ») et qu’il trouve confirmée (« j’ai remarqué », « c’est comme ça »). Manifestement, un critère important mentionné par les stagiaires pour qu’ils se sentent bien ou mal dans l’entreprise d’accueil est le degré de décontraction des gens (usage fréquent du mot locker). En fonction de la rigidité plus ou moins forte du lieu de travail, les stagiaires ont remarqué toute une série de comportements dans l’entreprise d’accueil : par exemple, les apprentis germanophones qui se sont rendus en France et en Angleterre ont eu de la peine à s’habituer à ne pas faire de pause petit-déjeuner autour de neuf heures - une coutume allemande liée au fait que les salariés commencent à travailler vers sept heures du matin, ce qui est plus tôt qu’en France (pour ce même genre d’exemples voir Yanaprasart 2006). Cette réalité est vécue comme un « choc » de la part des apprentis habitués à cette pause. En effet, interrogé sur les différences entre le travail dans une entreprise allemande et une entreprise anglaise, Jens nous dit, après un petit moment de réflexion : Mmm : (2) Die machen dort kein Frühstück ja. Das war ((rire)) am Anfang echt hart, also. Man ist praktisch von zu Hause los und dann hat man wirklich geschafft von sieben bis um zwölf eigentlich. Le fait que Jens accompagne son propos d’un rire montre un certain embarras, mais l’intensificateur « echt » ajouté à l’adjectif « hart » exprime que ce qu’il décrit a effectivement été un problème pour lui, en tout cas au début. Alain dit aussi avoir été « un peu choqué » au début quand il a compris qu’il n’y aurait pas de pause petit-déjeuner : Also es gab keine Frühstückspause, das hat mich am Anfang ein bisschen schockiert, weil wenn man das halt gewohnt ist, dann fehlt es einem, aber ansonsten ist es eigentlich das Gleiche. Dans le contexte de l’interculturel, le mot ‘choc’ peut être relié au concept du ‘choc culturel’. Un choc culturel peut survenir lorsque l’on se rend compte que l’idée qu’on s’est faite de l’autre s’avère fausse. Souvent, ce choc culturel signifie « simplement un décalage de représentations entre un « modèle idéal » construit avant le départ et un « modèle pratique » qui recouvre le quotidien » (Yanaprasart 2006 : 66). Hofstede (1994) parle de choc culturel lorsque la découverte de la fausse idée mène à une insécurité ou un malaise face à l’inconnu et qu’un effort de compréhension mutuelle est nécessaire pour que la relation des deux personnes ne soit pas détruite. Dans le cas d’Alain, nous ne parlerons pourtant pas de « choc culturel » bien qu’Alain utilise le mot « choqué ». Le mot ‘choc’ est polysémique et l’expression ‘être choqué’ est souvent utilisée par des jeunes dans la langue courante pour parler de quelque chose qui étonne ou qui produit un effet (cf. http: / / www.linternaute.com/ dictionnaire/ fr/ ). Le fait de ne pas avoir pu faire de pause n’a pas vraiment posé de problème à Alain ; en atténuant l’adjectif « choqué » par le hedge « ein bisschen », il montre qu’il ne considère pas ce ‘choc’ comme étant grave, mais plutôt comme quelque chose qui l’étonne. De plus, nous retrouvons ici cette dimension du ‘début difficile’ que nous avions déjà constatée chez Tim (dans son cas, par rapport à la langue) : pour Jens et Alain, ce nouveau rythme de travail a été difficile au début. Ceci étant dit, nous pouvons raisonnablement penser qu’après un certain temps (le temps de s’habituer à cette nouvelle situation), l’absence de pause n’a plus été un problème pour eux. <?page no="116"?> 116 Les cultures d’entreprise se distinguent aussi dans les manières de se dire ‘bonjour’. Les apprentis germanophones Tim et Rosario ont trouvé bizarre qu’en France, tout le monde se serre la main en arrivant sur le lieu de travail le matin parce qu’en Suisse, les pratiques rendent compte en général d’un simple bonjour collectif (ou même pas ! ) : Also was total anderst isch, isch zum Bispiel am Morge wenn do d’Lüt kömme, ehm bi uns isch’s eifach irgendwie so kollektiv Morge zämme oder gar nüt ((rire)). (Tim) Rosario, qui a fréquenté le même lieu de travail que Tim, confirme cette habitude et témoigne aussi d’une grande suprise à ce propos : Also mir isch ufgfalle, dass am Morge, wenn öpper in Ruum chunnt, chunnt är eim immer z’erscht cho d’Hand ge, also so, wenn me au nie öppis eigentlich mit däm z’tue het. D’Lüt chömme immer, schüttle d’Hand und denn göhn sie wider. Das hani vo do nit so kennt ((sourire)). L’étudiant français Lucien, par contre, a fait l’expérience inverse lorsqu’il est arrivé dans l’entreprise d’accueil allemande : Même s’il y a un point que, c’était savoir que je vais en Allemagne,-et j’ai été surpris sur le fait que, ça va peut-être vous paraître bizarre, mais moi quand je suis arrivé, j’ai serré la main à chaque personne puisqu’en France, on fait ça tout le temps. Ils ont été surpris et après j’ai compris pourquoi, parce que ça se fait pas beaucoup ici. Et ça fait bizarre, mais on s’y fait.- La manière dont Lucien nous raconte cette expérience montre deux choses : premièrement, nous interprétons la phrase « ça va peut-être vous paraître bizarre » comme une excuse et l’expression d’un sentiment d’embarras face à son récit parce qu’il a fait preuve d’un comportement qui n’a pas été compris par les autres. Deuxièmement, il est tout aussi surpris de la coutume de salutation allemande que l’étaient les apprentis suisses à propos de la coutume française. La phrase « savoir que je vais en Allemagne » suivie de l’expression de la surprise nous amène à supposer que Lucien partait de l’idée que l’Allemagne et la France étaient culturellement proches. Pour Lucien, la manière de faire allemande est « bizarre », mais il ne semble pas avoir eu beaucoup de difficultés à accepter que c’était ainsi. L’apprenti suisse Philipp relate une expérience particulière pendant son stage en Allemagne : Denn nochene git’s das dumme ‘Mahlzeit’ ((rire)) Wemme zwüsche zäh bis irgendwie drei am Nomittag umelauft, egal in weli Richtig, es chunnt eine +Mahlzeit+ ((prononciation lente et pointue)) ((rire)) seisch ich gang go ässe, no chunsch zrugg +vom Ässe, chunsch zrugg, no seit är Mahlzeit+ ((rire)) oh das närvt denn ((rire)) das isch s’Einzige gsi wo gnärvt het ((rire)). Deux choses nous frappent dans cette affirmation : d’une part, l’adjectif « dumme » et le verbe « närve » renforcé avec « denn » - des mots qui indiquent une dépréciation de cette coutume allemande. D’autre part, nous sommes surprise par le nombre de rires. Cependant, ces rires n’apparaissent pas seulement ici, mais tout au long de l’entretien. Nous les interprétons donc moins comme un signe de dérision de la part de Philipp que comme la manifestation d’un embarras de devoir parler de ses expériences de stage ou comme un moyen de se distancier de ce qu’il dit. 101 101 Le rire a été étudié dans plusieurs disciplines, dont la philosophie (Bergson 1900), la sociologie (Goffman 1961), la littérature (Bakhtine 1969) et la linguistique ; c’est dans le cadre de l’analyse conversationnelle que des chercheurs s’intéressent au rire. Jefferson (1985) par exemple a montré « dass Lachen eine geordnete Sprechhandlung darstellt, die wegen ihrer interaktionellen Effekte eingesetzt wird. Selbst ein Lachen, das aus einer Person herausbricht und scheinbar nicht zurückgehalten werden kann, sei eine klare kommunikative Anweisung an die Beteiligten, für das Gesagte oder für ein Verhalten nicht verantwortlich gemacht zu werden » (Jefferson, citée dans Merziger 2005 : 59) (c’est nous qui soulignons). <?page no="117"?> 117 A propos de la nourriture Un deuxième thème fréquent qui émerge des entretiens concerne la nourriture - un domaine où les représentations sociales partagées sont très fortes. Parfois, les représentations sociales semblent se confirmer. Alors que l’apprenti suisse Angelo évalue positivement le travail et le contact avec les gens pendant son stage en Allemagne, il mentionne comme point négatif évident la nourriture : « Jo negativ s’Ässe, isch klar gsi ((rire)) [...] Nochhär hesch’s eifach gässe damit öppis im Buch ka hesch und jo ». Son collègue Aurel évalue la cantine comme très bonne, même s’il a dû s’habituer à la cuisine allemande : Jo klar, an die dütschi Hausmannskost muess me sich halt scho chli dra gwöhne, aber (.) das isch ebe scho zum Teil sehr deftig gsi, und immer sehr vil Würscht. Il associe une nourriture consistante (« deftig »), contenant beaucoup de saucisses (cf. le terme « dütschi Hausmannskost »). En revanche, le fait que les repas soient moins chers et plus copieux (Tim) a été vécu comme quelque chose de positif. Parfois pourtant, on est étonné par les propos de certains stagiaires, notamment par ceux de Claudia en France : In Frankreich gab’s immer Rotwein in der Kantine, also immer freitags. […] Immer wenn sie einen Jahresabschluss gemacht haben, gab’s noch Sekt. Das fand ich ganz lustig. Claudia constate que les Français boivent de l’alcool au travail. Son auto-représentation par contre lui dit qu’on ne le fait pas. Ce constat est accompagné d’étonnement que sa représentation ne fonctionne pas. Dans cette expérience de Claudia semble résonner - sans que cela soit évident - une représentation sociale plus générale selon laquelle les Français aiment bien boire du vin. Bien sûr, les différences culinaires ne se limitent pas à la région du Rhin supérieur, mais dépassent la manche. Edith, une apprentie allemande, s’est rendue en Angleterre et trouve que la culture alimentaire anglaise est très différente de la culture alimentaire allemande (« ist natürlich ein ganz ganz grosser Unterschied, finde ich, zu uns »). Elle en conclut que c’est beaucoup mieux en Allemagne qu’en Angleterre. Le mot « natürlich » montre que cette différence n’a pas été une surprise pour elle, mais qu’elle s’est imposée comme une évidence. Les deux « ganz » qui renforcent le qualificatif « gross » signalent une hiérarchie claire des deux cultures alimentaires. Toutefois, il arrive aussi aux stagiaires de revoir leur opinion, comme Jens en Angleterre : Also Essen war echt, also so wie man immer hört so das englische Essen scheisse ist, hat sich eigentlich bei mir nicht so bestätigt. War eigentlich immer gut […] Also man konnte es essen ((rire)). Les hedges « echt », « eigentlich » et « also » témoignent de ce travail de distanciation par rapport aux représentations sociales. On constate ce même effort chez Lucien, un étudiant français en stage en Allemagne : « La nourriture est différente, mais pas forcément moins bonne, même si on apprécie plus la nourriture de sa maman ». Les propos des stagiaires contiennent - de manière plus ou moins évidente - des représentations sociales partagées- qui sont confirmées (la nourriture des Allemands serait plus consistante (« deftig ») et ils mangeraient beaucoup), construites (les Français aimeraient bien boire un verre) ou infirmées (la nourriture anglaise n’est pas si mauvaise que ça). Il n’est pas étonnant que la nourriture soit un thème important pour les stagiaires car se nourrir est quelque chose de vital et donc quelque chose qui a une grande influence sur le bien-être à l’étranger. Dans le cas d’Oliver, l’étudiant allemand parti à Singapour, la différence de culture alimentaire est même vécue comme une expérience enrichissante - un aspect qu’il regrette ne pas avoir chez lui en Allemagne. Même si Oliver trouve que la nourriture en Allemagne est « fantastisch », il est enthousiaste à l’idée d’évoquer la richesse de la nourriture asiatique, qui <?page no="118"?> 118 connaît des degrés d’acidité différents - agréables et moins agréables - qu’on ne trouverait pas dans des plats asiatiques en Europe parce que les repas seraient « europäisiert ». A propos des mentalités Un troisième thème récurrent dans les entretiens concerne la mentalité des gens de la région d’accueil, l’ouverture et leur style de vie. Claudia, une apprentie allemande, dit avoir rencontré des gens très gentils- en Suisse alémanique : Also in der Schweiz, die waren echt alle total nett. So ganz herzlich und freundlich und haben sich total um einen gekümmert, von Anfang an. Und also, da war ich echt begeistert. So lieb sind die alle, also, haben einen gleich eingeladen, noch abends. Les termes que nous avons mis en italiques indiquent qu’elle ne s’attendait pas à être si bien accueillie. Edith témoigne aussi de la surprise lorsqu’elle dit : Ja, die Schweizer Mentalität fand ich eigentlich ganz toll. Ich weiss nicht, es ist alles so ein bisschen locker und also ich war positiv überrascht auf jeden Fall. Also, bin gut ausgekommen mit den Schweizern. Par contre, elle a de la peine à s’exprimer sur la mentalité des Français qu’elle peut seulement décrire comme différente de celle des Suisses : « Aso es war, ich weiss nicht, wie ich die Franzosen beschreiben soll, aber aso es war auf jeden Fall anders wie in der Schweiz. » L’étudiante française Annie a constaté des différences entre les habitants de la région du Rhin supérieur lorsqu’ils sont amenés à évaluer et apprécier quelque chose. Elle trouve que les Suisses et les Allemands seraient plus directs que les Français - une impression qu’elle illustre en racontant une expérience de shopping : tandis qu’une Française lui aurait dit de manière discrète et prudente que tel ou tel vêtement ne lui allait pas, l’Allemande aurait affirmé très directement que les vêtements en question étaient impossibles à porter. Jens a aussi ressenti des différences de mentalité ; il trouve les Anglais plus ouverts que les Allemands : England ist, ehm : (2) ein bisschen wie soll ich sagen, offener einfach. Also es ist eine Differenz da auf jeden Fall. Also die Engländer sind auch anders drauf irgendwie. Was wäre jetzt ein Beispiel ? (4) Die nehmen zum Beispiel alles total ernst, aber im Endeffekt doch nicht. Jens a quelques difficultés à décrire « les » Anglais (« wie soll ich sagen »). Il réfléchit à des exemples et nous en donne quelques-uns qui ont affaire avec le sentiment de sécurité qui existe dans les entreprises anglaises, mais aussi dans la vie quotidienne. 102 Pour Jens, cette « conscience de la sécurité » représente une différence essentielle entre les Anglais et les Allemands. Quant à la mentalité des gens, il reprend la notion d’ouverture : Und sonst, menschlich (1), ja (2) offener vielleicht. VIElleicht. Weiss nicht, ob das jetzt jeder Engländer ist, also es heisst ja auch, also Graziella hat zum Beispiel mir gesagt, dass sie in [London] anders rauf sind. Also dass sie zu Deutschen nicht mehr so freundlich sind wie jetzt zum Beispiel in [lieu du stage]. Jens relativise ses propos en ajoutant un ‘peut-être’, en répétant ce mot de manière accentuée et en disant « weiss nicht ». Les propos de sa collègue Graziella le rendent incertain car ils relativisent ses propres expériences sur le lieu du stage. En effet, lors de soirées en pub, Jens a rencontré des gens très gentils et très ouverts, ravis de rencontrer un Allemand : 102 Il raconte que lors de sa visite dans une autre entreprise, il a dû passer un long test de sécurité avant de pouvoir entrer, et mettre une veste de sécurité. Une fois entré, il aurait constaté que les employés ne portaient pas de veste de sécurité. D’autres exemples concerneraient des cyclistes qui rouleraient sans lumière mais avec une veste de sécurité, ou encore la sonnerie d’un détecteur de fumée à laquelle personne ne réagirait. <?page no="119"?> 119 Dann hat er so gesagt, hä, die sprechen aber scheisse Englisch. (xxx) dann uns halt gefragt, ja wo kommt denn ihr her. Aus Deutschland, dann huuu und dann war eine Mordsaufregung und dann (ging’s schon ab). Wenn sie hören, dass jemand Fremdes, sag ich jetzt mal, da ist, dann geht es schon ab. Weil sie zeigen dann auch Mordsinteresse und so. (..) Eben woher du kommst, was du machst, wieso du hier bist. Edith semble partager la représentation sociale qui fait des Anglais des parfaits « gentlemen » lorsqu’elle dit qu’elle les trouve polis. Pourtant, elle pense qu’ils posent parfois des questions uniquement par politesse et qu’ils sont un peu superficiels : Ja, die Inselbewohner ist es, also sie sind sehr sehr Gentlemen, die Engländer. Die sind alle, also sie fragen gerne oberflächlich, so übers Wetter, über das letzte Wochenende, aber dann alles so, sie fragen eher eben wie es einem geht und es ist Höflichkeit, es ist aber nicht so wirklich aso Interesse, finde ich, aso teilweise einfach. Par l’emploi du terme « Inselbewohner » (insulaires), Edith reprend un terme socialement partagé par lequel on distingue les Britanniques des habitants de l’Europe continentale. Sascha, l’étudiant allemand qui s’est rendu au Canada, a également constaté une certaine superficialité de la part des Canadiens. Cependant, cette expérience ne semble pas l’étonner : puisque le Canada se trouve sur le même continent que les Etats-Unis, il semble logique pour lui que la mentalité des Canadiens ressemble à celle des Américains : Dass jeder auf der Strasse irgendwie jeden mal anspricht, sei’s läuft einer mit dem Hund rum, dann geht’s gleich los, ich hab au einen und die ganze Kommunikation die geht recht schnell. (Es ist doch) wie man’s eigentlich auch kennt von den USA auch recht oberflächlich dann.- La représentation de la superficialité des Américains s’appliquerait donc aussi aux Canadiens, peut-être de la même manière que les stagiaires considèrent la mentalité des Allemands et des Suisses alémaniques comme étant plus ou moins la même au vu de la proximité géographique et linguistique de ces deux régions. Un autre point qui a frappé Sascha au Canada concerne la conception différente que les Canadiens attachent à la fin de semaine. Alors que pour les Allemands, le week-end est un temps propice à la détente à la maison, les collègues canadiens partiraient fréquemment faire du camping le vendredi soir pour ne rentrer que tard le dimanche soir. Sascha a aussi noté que les Canadiens étaient moins ponctuels que les Allemands ; arriver vers 20 heures 30 pour un rendez-vous pris à 20 heures ne gênerait personne. La ponctualité a également été mentionnée par Jens et Tim, par rapport aux horaires de bus en Angleterre et en France respectivement. Les stagiaires ont aussi constaté des différences par rapport au code vestimentaire des gens dans le pays du stage. Graziella et Jens nous ont confié qu’en Angleterre, ils devaient s’habiller de manière plus chic qu’en Allemagne (blouse/ chemise et pantalons autres que jeans). Oliver, un étudiant allemand, trouve que la manière de s’habiller à Singapour/ en Asie est une des différences les plus frappantes d’avec l’Allemagne/ l’Europe : Das Erste, überhaupt das Erste, was mir aufgefallen ist und noch gut in Erinnerung ist als ich nach Singapur kam, dass die Leute alle sehr langweilig angezogen waren, sag ich mal übertrieben. Also alle sehr gleich und keine auffälligen Farben. Ses propos rappellent la distinction entre pays « individualistes », à savoir les pays occidentaux, et les pays « communautaires », à savoir asiatiques, faite par Bollinger et Hofstede (1987) - une distinction qu’il faut toutefois traiter avec prudence (cf. Yanaprasart 2006 : 46). En Asie, Oliver a pris conscience d’un trait de mentalité très différent entre les Européens et les Asiatiques et qui lui a causé quelques problèmes au début : Ich habe schon feststellen dürfen, dass es dort eine ganz andere Mentalität ist, gerade Geschäfte abzuschliessen. […] Da wird auch oftmals ein Vertrag NUR mündlich geschlossen. […] Äh, da zählt dann vielmehr wirklich das gesprochene Wort, der Handschlag, äh, wo <?page no="120"?> 120 man merkt, sie haben, diese Ehre ist dort noch viel höher oder überhaupt ausschlaggebend auch für Geschäfte. Was hier bei uns eigentlich gar nicht in diesem Rahmen der Fall ist. […] Das ist dort ganz anders. Also da möchte niemand sein Gesicht verlieren, wenn er ein Wort gibt, hält er das. Da kann man sich wirklich drauf verlassen, hundertprozentig. Auf der anderen Seite hat genAU diese Einstellung die Sache auch schwierig gemacht manchmal, äh, weil WEnn jemand einen Fehler begangen hat […] haben sie öfter mal versucht, das zu vertuschen, weil sie eben ihre Ehre nicht verletzt sehen wollten, ihr Gesicht nicht verlieren wollten. […] Und da hatte ich am Anfang meine Mühe mit, weil wir HIER, speziell auch bei <Fabrique A Allemagne> zu einer sehr offenen Fehlerkultur erzogen werden. Alors qu’il semble logique que les stagiaires soient confrontés à des différences culturelles lorsqu’ils quittent l’Europe, les effets de surprise sont plus inattendus chez les stagiaires qui restent dans la région- parce que les différences culturelles sont certainement moins évidentes : Also was jetzt so kulturell angeht, würde ich sagen, ist es schon ein kleiner Unterschied zwischen den drei Ländern, (…) weil, ja wie soll man das beschreiben ? Ich, das ist, man muss es eigentlich gesehen haben ». (Viktoria, apprentie allemande) Nous avons parlé dans le chapitre 3.5. des relations entre autoet hétéro-stéréotypes. En effet, nous trouvons à plusieurs endroits des remarques critiques des stagiaires à propos de leur propre culture, comme par exemple chez l’apprentie allemande Edith. Lorsqu’elle parle du rythme de travail, elle décrit les Français comme étant travailleurs : « da war strikt NUR-Mittagspause und sonst gar nichts. Also die waren wirklich nur so zum Schaffen da ». Comparant l’Allemagne avec la France et la Suisse, elle trouve qu’en Allemagne ce serait « eher schweizerisch ». Elle enchaîne en utilisant comme auto-stéréotype ce que nous avons vu comme hétéro-stéréotype, à savoir que les Allemands seraient plus travailleurs : Also, wir haben natürlich, wir Deutschen wir sind ja schon sehr strikt und wirklich wir möchten jetzt arbeiten und wir arbeiten jetzt und dann haben wir um neun Uhr Pause und bis neun Uhr fünfzehn ((rire)). Wir machen zwar Frühstückspause, klar aber, es ist nicht ganz so lolocker wie in der Schweiz, aber, es ist (auch ok). La répétition fréquente du pronom personnel « wir » et l’expression « wir Deutschen » montre clairement qu’Edith s’identifie aux personnes dont elle parle. En même temps, elle se distancie de cette attitude : la deuxième partie de la première phrase fait écho à un discours rapporté (« wir möchten jetzt arbeiten… »), et le rire d’Edith renforce le caractère plutôt comique de sa description. La manière de travailler plus détendue (« lockerer ») des Français - très appréciée par les apprentis suisses et allemands - n’est pas perçue comme positive par une étudiante française. Annie, dont le rythme de travail personnel semble plutôt correspondre au rythme des germanophones, trouve le rythme des Français plutôt inefficace et paresseux : Ich hab mich immer aufgeregt, weil bidiese fünfunddreissig Stunden pro Woche Geschichte machen die Mittag zwei Stunden Pause, ehm, fangen erst um neun an, mm : man braucht etwas, man möchte zu jemand gehen, Frage stellen, geht nicht, noch nicht da oder macht noch Mittag. Pour se distancier clairement du comportement de ses compatriotes, Annie ne parle pas de « wir », mais de « die ». En choisissant ce pronom personnel, Annie signale clairement qu’elle n’approuve pas cette attitude. A propos du plurilinguisme Des remarques critiques sur des compatriotes ont également été faites par plusieurs Français lorsque nous parlions de plurilinguisme. Lucien est impressionné par le fait que les Allemands « pratiquent trois langues », alors que « nous en France, on a du mal avec deux ((rire)) ». Et <?page no="121"?> 121 Annie commence à rire lorsqu’elle dit parler l’anglais après que nous lui avons demandé si elle parlait encore d’autres langues outre le français et l’allemand) : AK : Ja Eng-Englisch ((rire)) HA ! KH : Sie lachen ((rire)) AK : Ja, weil, eh also, den Ruf, das die Franzosen haben, dass die so schlecht Englisch können, isch kein Ruf das isch so. L’opinion d’Annie est partagée par Gaël 103 : In Frankreich, jeder weiss, dass die Franzosen sind sehr schlecht in Fremdsprache, das ist wahr. Und das ist auch wahr, dass die Deutsche gut, gut Eng-, sie können gut Englisch. Ja, wie gesagt, diese, dieses Verhältnis mit Ausländer, ich denke in Frankreich, das könnt es kann nicht wirklich so sein, weil wir haben immer Schwierigkeiten, um mit andere Sprache zu äh, mit, umja äh umzuschalten, nee, oder ? Umzuschalten ? Äh, und wir reden immer auf Französisch. Gaël a recours à la représentation sociale selon laquelle les Français seraient mauvais en langues étrangères alors que les Allemands sauraient bien parler l’anglais. En disant « jeder weiss » et en utilisant deux fois le marqueur discursif « es ist wahr », il souligne la vérité de ses représentations (rappelons-nous d’ailleurs que les ‘bonnes’ compétences en anglais des Allemands étaient l’une des raisons pour lesquelles Lucien est venu en Allemagne). Au début, Gaël parle de manière générale de « die Franzosen » et « in Frankreich », mais après, il utilise un « wir » par lequel il signale son appartenance à ce groupe. C’est intéressant dans la mesure où cela contredit le comportement de Gaël qui montre qu’il n’appartient pas aux personnes dont il parle. Il ne semble avoir aucun problème à passer d’une langue à l’autre et à parler une langue étrangère. D’ailleurs, c’est lui qui a décidé que l’entretien serait en allemand. Par rapport aux compétences linguistiques de la région du Rhin supérieur, Annie pense qu’apprendre l’allemand est une nécessité pour un Français habitant dans la région et voulant y travailler. Pour elle, aller travailler de l’autre côté de la frontière est une chose tout à fait banale dans une région comme celle du Rhin supérieur : Das war schon immer so, man hat sich nie Frage stellt, wo man arbeiten gehn, man hat einfach ah da gibt’s Arbeit, da geht man hin, punkt […]. Man geht über die Grenzen, das ist normal, so, gehört das gehört dazu. Elle ne comprend pas ses collègues du même âge qu’elle qui ne sont pas prêts à parler allemand et qui peinent à trouver un travail : Mit dem Master, das war ich halt nur mit Franzosen […] die wollen nicht Deutsch sprechen, und dann brauchen die neun Monate, bis die ein Job haben, und wenn sie einen bekommen, dann verdienen die mit fünf Jahres Studium pfff tausendfünfhundert Euro, wenn sie Glück haben, und dann also beschweren sie sich alle, aber irgendwie kann ich halt nicht nachvollziehen, dass man sich nicht einfach sagt, jetzt mach doch was, aso, besonders wenn man hier in der Region wohnt. Ich mein, das ist so reich ; die Franzosen gehen nach Deutschland einkaufen, die Deutschen kommen in Frankreich einkaufen, für so ein Mischmasch müsst ich denk man soll alle davon profitieren können, und wenn man’s machen kann, dann ist es prima, aber nicht danach sagen, oje nein, da muss ich Deutsch sprechen ! - Notons que l’apprentissage de l’allemand a été facilité pour Annie du fait qu’elle a souvent entendu parler le dialecte autour d’elle de par ses grands-parents et que ses parents l’ont fait regarder la télévision allemande précisément pour qu’elle se familiarise avec l’allemand. Elle raconte que dans les cours d’allemand au lycée, elle savait parfois des mots qu’elle n’avait 103 Gaël évoque par expérience le fait que les Allemands changent beaucoup plus facilement de langue et passent à l’anglais en présence d’une personne étrangère. <?page no="122"?> 122 jamais appris : « Im Gymnasium […] da kamen Wörter, die hatte ich halt nie gelernt, aber die waren da ». Puisqu’elle comprend le dialecte alsacien et parle l’allemand standard, la diglossie en Suisse n’a pas posé de problèmes à Annie. Lors d’un stage en Suisse, elle n’a pas eu de difficultés de compréhension ; elle s’est exprimée dans son propre dialecte : « Ich versteh’s schon [le suisse allemand], und dann hab ich halt irgendwie auf mein Dialekt +Antwort gegeben+ ((rire)). » Pour conclure ce chapitre, nous relevons une réaction récurrente dans l’analyse du discours des stagiaires sur leurs expériences interculturelles, à savoir celle de la surprise lorsqu’ils ont constaté que la réalité n’était pas comme ils se l’étaient imaginée. Ces moments d’étonnement n’ont pas seulement un impact sur la perception de l’autre, mais aussi sur la perception de soi-même, et contribuent donc au développement personnel. 5.2.4.2. De l’expérience interculturelle au développement personnel Ouverture, flexibilité et indépendance L’analyse des mots-clés « bénéfices du stage » et « expériences du stage » a montré que pour un certain nombre de stagiaires l’expérience la plus importante est d’être ouvert et flexible (« offe für Neus », « flexibel » (Enzo)). Plusieurs ont dit avoir appris qu’on ne peut pas toujours attendre de l’autre qu’il vienne pour aider ou répondre aux questions, mais qu’il faut faire le pas pour aborder les gens : « Rede mit de Lüt, domit me zum Erfolg chunnt » (Enzo). Pour Claudia, participer à l’organisation d’un séminaire pour des clients internationaux a été une expérience précieuse pour son développement personnel : Halt einfach offen für neue Kulturen und alles. […] Weil ich hab dann einfach gedacht, jetzt bisch halt mal nicht schüchtern, sondern fragst wirklich, wenn dich was interessiert. Gehst auf die Leute zu. Und also nach dem Seminar fällt mir’s einfach ein bisschen leichter, so einfach auf die Leute zuzugehen. Contrairement aux propos du responsable de la formation allemand Klaus- M. (cf. chapitre-5.1.), les stagiaires se rendent bel et bien compte de ce que le séjour à l’étranger leur a apporté au niveau personnel. Alain trouve aussi qu’il est devenu plus ouvert et qu’il a acquis cette ouverture dans son contact avec les gens : Gerade wenn man gezwungen ist mit vielen Leuten sich zu befäzu befassen, es verändert sich schon was, man wird offener und es fällt einem leichter auf Leute zuzugehen wie davor. Gaël se considère aussi comme plus ouvert ; il a l’impression qu’il pourrait dorénavant travailler n’importe où et avec n’importe qui (« dass ich irgendwo arbeiten kann, mit irgendwelchen Menschen arbeiten kann oder ein Gespräch haben kann »). D’ailleurs, le bénéfice serait immédiat : « Also, wenn man freundlich zu den Leuten ist, es waren alle dort freundlich zu mir, ich denke das ist überall so auf der Welt, wenn man irgendwo hingeht und man eigentlich nicht so wirklich einen Halt hat, woran man sich heben kann, wenn man Freundliches gibt und freundlich ist zu den anderen Leuten, dann kommt auch Gutes zurück. Das habe ich dort gemerkt, auf jeden Fall. (Alain) Alain généralise son expérience faite en Angleterre quand il dit qu’être gentil permettrait d’être traité de manière bienveillante où qu’on aille. Viktoria s’est rendu compte que cette gentillesse n’allait pas de soi, mais qu’elle dépendait aussi de son propre comportement : Also in Frankreich hab ich gelernt von mir aus muss auch irgendwas kommen, ich kann nicht nur Erwartungen stellen, sondern ich muss auch was dafür tun. […] also das Zwischenmenschliche, da kann man selber auch noch irgendwas beitragen. Wenn ich jetzt, <?page no="123"?> 123 also ich bin ja als Aussenstehende in die Abteilung gekommen, die schon jahrelang oder miteinander arbeiten, dass man sich auch integrieren muss. Also es kommt auch auf einen selber drauf an, wie man sich gibt, ob man irgendwie verschlossen ist oder offen auf die Sache zugeht. D’ailleurs, cette prise de conscience est également-importante pour Viktoria au niveau du travail : elle explique qu’elle a connu des situations où elle a eu besoin d’informations rapidement et où elle ne pouvait pas juste attendre que l’information vienne à elle ; après le stage, elle ose ainsi plus aborder les gens et leur dire ce dont elle a besoin pour mener à bien son travail. D’autres stagiaires ont fait des expériences similaires lorsqu’il s’agissait d’auto-gérer leurs problèmes : Wenn e Problem gha hesch, s’isch keine zu dir cho. Hesch immer miesse sälber.-(Silvan) In Frankreich war das halt ganz anders, du musstest dich wirklich um alles selber kümmern, alles so selbstständig machen. […] Dass man auch lernt, jetzt sich durch irgendwas durchzubeissen wenn’s auch jetzt mal nicht so toll ist. (Claudia) Ich musste mich selbständig irgendwie durchkämpfen, musste auf jeden Fall, aso ich denke, ich bin selbstbewusster auch geworden und stärker einfach. Einfach auch mal ja : den Mut zu haben mal zu fragen so, wie war das noch mal oder stimmt das jetzt, habe ich das richtig verstanden ? Einfach noch mal die Gegenfrage zu stellen oder ja, das hat mir schon, aso ich fand, das hat mir schon, hat mich weiter gebracht persönlich. (Edith) Il reste que les stagiaires n’ont pas seulement développé une certaine indépendance par rapport à la gestion des problèmes, mais aussi de façon plus générale par rapport à la gestion de la vie quotidienne. Ce point est particulièrement pertinent pour les stagiaires qui ont quitté le cocon familial ou leur domicile, donc pour ceux qui sont partis en Angleterre ou encore plus loin : Die Erfahrung, auf sich eigentlich allein gestellt zu sein, dass man nicht jemanden hat, wo man dauernd hingehen kann, hey iich brauche mal Hilfe, aso dass man nicht dauernd eine Stütze neben dran hat, dass war eine klasse Erfahrung. (Alain) Les stagiaires reviennent avec plus de confiance : « Ich habe es mir, bevor ich hingegangen bin, schlimmer vorgestellt » (Alain). Expériences avec le dialecte alémanique Nous avons affirmé dans la section 5.1. qu’aux dires des responsables dans les entreprises, la langue ne représentait pas un enjeu pour les stagiaires. C’est sans doute vrai pour les Allemands et les Suisses allemands qui sont partis dans une autre région germanophone. A leur arrivée en Allemagne, les apprentis suisses ont choisi des stratégies différentes. Certains semblent s’être dit « je pars en Allemagne, les gens y parlent l’allemand standard, donc je parlerai l’allemand- standard aussi ». D’autres ont donc parlé l’allemand standard et ont ensuite opté pour le suisse allemand après avoir reçu une confirmation de leurs collègues allemands qu’ils le comprenaient. Aurel raconte que ses collègues n’ont même pas compris sa question lorsqu’il a demandé s’il devait parler l’allemand standard ou le dialecte ; c’est à croire que la différence entre les deux variétés leur semblait moindre. D’autres stagiaires suisses semblent s’être dit « je pars en Allemagne, mais c’est si proche de la Suisse que je n’ai pas besoin de parler l’allemand standard » : ils ont donc dès le début parlé le suisse allemand et ont justifié ce choix avec l’argument de la proximité ainsi que par l’impression que les Allemands là-bas parlaient un mélange d’allemand standard et de dialecte : « Si hän jo au-nit DAS perfekte Hochdütsch und so. Si hän au so, mi dunkt s, au so schwizerdütschi Iflüss und so Zügs, denn isch s irgendwie e Mischig drzue » (Angelo). Certains stagiaires nous disent avoir fait l’effort de parler l’allemand standard au début, mais d’avoir vite changé pour le suisse allemand lorsqu’ils se sont aperçus que leurs collègues allemands parlaient aussi un dialecte : <?page no="124"?> 124 Aso am Afang, wo mr cho sin am Empfang, hämmer Hochdütsch gredet. Aber (denn het sie so) uns so no son e halb halb Dütsch, halb Schwizer halb Hochdütsch zrugg gredet, (und denn han i irgendwenn) gfunde, jo, denn isch’s denn verstönd sie uns uf Schwizerdütsch, hämmer Schwizerdütsch witer gredet, denn het sie s immer no verstande, (hani dänggt) jo, isch guet. (Aurel) Tim est le seul apprenti suisse qui ait parlé l’allemand standard sur le lieu du stage : « Das han ich eifach irgendwie automatisch-[gmacht]. » Les autres ont seulement parlé l’allemand standard avec des collègues étrangers ou des Allemands venant d’autres parties du pays. Quant aux apprentis allemands, comprendre le suisse allemand ne leur a jamais posé problème, à l’exception parfois de certains mots 104 : Ja ich versteh Schweizerdeutsch […] war überhaupt kein Problem. Also manchmal wenn irgend so ein Ausdruck, hab ich halt nicht verstanden. Aber das isch ja dann kein Problem gewesen. (Claudia) Edith raconte que les collègues suisses ont demandé si cela posait un problème de compréhension pour elle qu’ils parlent le dialecte, ce à quoi elle a toujours répondu par la négative. Nicole qualifie la communication avec les Suisses allemands comme étant drôle (« witzig »). Par ailleurs, elle note que le dialecte suisse est assez proche du dialecte badois. D’ailleurs, on aura remarqué que les propos de la plupart des apprentis allemands sont marqués par le dialecte badois 105 , en particulier ceux de Jens et Graziella. 106 Expériences avec la langue étrangère La situation s’est présentée différemment pour les stagiaires partis dans une région alloglotte. Pour tous ces stagiaires, communiquer dans une langue étrangère a d’abord été une expérience difficile : Aso am Afang isch schwierig gsi, wenn sie schnäll rede, dass me’s verstoht, was sie reden ähm, und das isch am Afang +(blblbbl)+ ((illustre avec la voix ce que ‘parler vite’ veut dire)). (Tim) So die erschte Wuch, die erschte zwei war’s halt scho schwer, da het ma selber nit viel gschwätzt, man musst sich wirklich konzentriere, um zuzuhöre, was sie überhaupt sage und um alles z’verstoh. (Graziella) Also, es war schwierig. Ich hab manchmal ge-, also so, schon gedacht, also das hätten sie mir schon auf Deutsch sagen können, weil sie’s ja perfekt können. Aber das haben sie wirklich überhaupt nicht gemacht. Also eigentlich war’s ja gut, weil ich sollt’s ja eigentlich lernen, aber es war schon anstrengend. (Claudia) Le témoignage de Claudia montre qu’elle s’attendait à ce que les gens dans la région d’accueil s’accommodent à elle- et à sa langue ; au contraire, elle se plaint qu’ils ne l’aient pas fait bien qu’ils en aient eu les compétences. En même temps, elle est tout à fait consciente du fait qu’un des buts du stage consiste précisément en l’amélioration de ses connaissances en langue étrangère. En effet, un accord entre les sections du site allemand et du site français stipulait que les collaborateurs parlent strictement français avec les stagiaires. Edith a apprécié cette stratégie, mais la relativise en disant que certains collègues auraient quand même eu recours à l’allemand dans des situations où elle ne comprenait vraiment pas. 104 Notons que ce n’est pas un phénomène inhérent aux variétés de standard et de dialecte, mais que cela peut aussi arriver chez les locuteurs des différents dialectes suisses ou allemands. 105 Ceci vaut également pour les responsables allemands à l’exception de Reinhard G. qui est originaire de l’Allemagne du nord. 106 Graziella avait de véritables difficultés à parler l’allemand standard lors de l’entretien ; nous l’avons informée que nous la comprendrions aussi si elle parlait le dialecte, et c’est ce qu’elle a fait dans la suite de l’entretien. <?page no="125"?> 125 Un accord similaire était de mise entre les sections allemande et anglaise. Etant donné que les apprentis allemands partaient toujours à trois et se partageaient un appartement, il était évident qu’ils parlent allemand entre eux. Ceci dit, dès qu’ils étaient sur le terrain de l’entreprise, ils étaient obligés de parler anglais. Jens raconte que le chef (qui est d’ailleurs un Suisse allemand) avait expliqué cette règle comme suit : Weil wir es halt nur so lernen. Halt wenn wir dort in der Kantine sitzen und dann Deutsch reden, das ist halt dann schon anders, na, wie, und es wird dann auch nicht so gemocht, weil die anderen verstehen uns ja dann net, na, isch genau das Gleiche, wie wenn hier so bei uns in der Kantine ein Chinese sitzt und auf Chinesisch sagt, das Essen schmeckt scheisse oder so was, dann verstehst du es halt nicht. Cette règle n’était donc pas seulement faite pour que les apprentis améliorent leur anglais, mais aussi pour qu’il n’y ait pas d’exclusion ni des Allemands ni des Anglais. Les stagiaires ont eu des réactions différentes de la part de leurs collègues à l’étranger. Claudia a fait l’expérience de collaborateurs français qui correspondaient à la représentation sociale selon laquelle les Français auraient une conception normative vis-à-vis de leur propre langue et vis-à-vis d’autres langues. Selon Claudia, ils auraient eu des exigences élevées (« hohe Ansprüche »), l’auraient fait répéter une phrase incorrecte et auraient aussi été agacés (« ziemlich, ja, genervt ») lorsqu’elle avait des difficultés à les comprendre. Claudia était assez ‘choquée’ (« ziemlich geschockt ») par ce comportement au début (pour la signification du mot ‘choc’ voir le chapitre 5.2.4.1.). Pourtant, les réactions ressenties par les stagiaires comme étant négatives restent rares. Edith, qui a fait son stage au même endroit que Claudia, a fait une expérience tout à fait contraire : [Die Kollegen]-haben sich immer gefreut, wenn mal was kam von mir und wenn ich mal versucht habe, ein Gespräch aufzubauen. Sie haben es auch immer wieder gesagt, aso ich soll auf jeden Fall Französisch REden und haben MICH dann auch während der Arbeit etwas gefragt und so. Aso private Sachen einfach.Was hast du am Wochenende gemacht oder so oder was. Graziella était timide et réticente à parler au début, mais la réaction de ses collègues l’a rassurée et a contribué à ce qu’elle ne perde pas courage : Aber die wadie sind dört gar nit so, die wüsse, dass mir das lerne und dass mir keine s- Engländer sind, und das isch einfach dass sie dich so, ja, reschpektiere isch vilicht s’falsche Wort, aber dass sie sich Müh gän und sich au mit dir unterhalte und nit sage, ja, du schdich steck ich jetz in die Abteilung und dört schaffsch jetz einfach sechs Wuche und fertig, sondern dass sie sich halt au wirklich um dich kümmere und mit dir schwätze über alles. Alain a également eu des réactions positives. Il nous parle d’un collègue anglais qui avait un fort accent (« einen sehr extremen Akzent ») et qu’il comprenait très mal (« wirklich sehr sehr schlecht verstanden »). Malgré cela, ce collègue aurait été patient avec lui et n’aurait pas développé d’opinion négative à son sujet : Auch wenn wir uns unterhalten haben und er hat gemerkt, ich habe ihn nicht verstanden und konnte ihm auch nicht darauf antworten, das war trotzdem nicht, dass er irgendwie gedacht hat (1) blöder Azubi aus dem Ausland oder so. Der war trotzdem freundlich und das hat schon gut getan zu merken, dass die einen dann nicht so abschieben, weil man halt nicht die Sprache richtig kann, perfekt. La question de l’accent évoquée par Alain est un sujet qui revient à plusieurs reprises dans les entretiens. D’une part, l’accent est thématisé par rapport à la compréhension des locuteurs dans la région d’accueil. Les stagiaires en Angleterre avaient, au moins au début, des difficultés à comprendre les collaborateurs qui venaient de villes anglaises différentes, avec tous des manières différentes de parler (« de eine redet halt total langsam und so verschwommen, <?page no="126"?> 126 der andere halt total schnell und knackig », Jens) ; mais il y avait aussi des collaborateurs asiatiques par exemple qui auraient été plus difficiles à comprendre (« der het dann au no e weng glispelt, das war dann auch wieder schwerer, den z’verstoh », Graziella). D’autre part, l’accent des stagiaires lorsqu’ils parlaient la langue étrangère est un trait qui les a tout de suite marqués comme étrangers, ce qui n’était selon eux pas un désavantage ; en effet, ceci a eu pour conséquence que beaucoup de gens ont adapté leur manière de parler ce qui a souvent mené à des contacts avec les locaux lorsque ceux-ci se sont aperçus qu’ils avaient affaire à des étrangers. Toutefois, avoir un accent ou non peut même devenir une question d’identité, comme le témoigne le cas d’Etienne chez lequel les représentations des langues en général, du ‘parler parfait’ et de l’accent sont particulièrement saillantes. Depuis quelques années déjà, Etienne - un Français dont les parents sont Alsaciens mais qui ne parle pas lui-même l’alsacien - travaille en Allemagne. Il s’est mis en couple avec une Allemande et habite en France. Bien que ses parents soient Alsaciens et qu’il ait eu des cours d’allemand à l’école « comme tout le monde en France », cette quantité d’exposition à la langue ne semble pas avoir suffi à Etienne pour l’apprendre. Il nous confie ne pas avoir su parler l’allemand en arrivant chez <Fabrique A Allemagne>, mais avoir « réussi à [s]e débrouiller », et avoir appris « comme-ça » au fur et à mesure. Dans les propos d’Etienne, on observe une opposition entre une conception traditionnelle des langues (‘apprendre l’allemand en suivant des cours pour le parler correctement et sans accent’) et une conception plutôt récente (‘se débrouiller’, ‘apprendre en passant’). ‘Apprendre en passant’ signifie mobiliser ses ressources plurilingues individuelles dans une situation de communication exolingue, ce qui est observable dans les phénomènes de code-switching, de code mixing ou encore de changement de langue de référence (Lüdi/ Py 2009). Pennycook (2007) et Garcia (2008) parlent dans ce contexte de multilanguaging et translanguaging respectivement. La conception additive du plurilinguisme est particulièrement visible lorsqu’Etienne nous parle des langues qu’il utilise. Dans sa vie quotidienne, il utilise l’allemand, alors qu’au travail c’est l’allemand mais aussi l’anglais. Etienne dit avoir un « bon niveau » dans les deux langues. De manière générale, il pense qu’il sait mieux l’allemand que l’anglais, mais en ce qui concerne le travail, il trouve que c’est plus simple de parler en anglais (beaucoup de termes techniques sont en anglais, même si la langue de communication reste l’allemand). Etienne note à propos de l’allemand qu’il est devenu-« tellement important » que cela a des répercussions sur son français : Je perds mon français en fait, réellement, j’ai du mal, je cherche mes mots en français alors qu’en allemand ça vient, je réfléchis en allemand, je rêve en allemand, c’est dès fois c’est dommage. Dans ses propos est perceptible la représentation d’une concurrence des langues, voire d’un bilinguisme soustractif (Lüdi 1998) : on perd une langue lorsqu’on en apprend une autre. Evidemment, Etienne ne perd pas comme il l’affirme son français, qui est sa L1, mais puisque l’allemand est la langue qu’il utilise le plus actuellement, c’est la première langue dans laquelle il pense, réfléchit et rêve aussi. Etienne semble percevoir le fait de réfléchir et de rêver en allemand comme une ‘trahison’ par rapport à la L1. Les langues sont perçues comme un concours auquel on perd ou gagne : « Je pense que j’ai perdu en anglais et j’ai gagné en allemand ». Il est intéressant de constater que l’allemand et l’anglais n’ont pas le même impact sur Etienne : l’allemand lui semble menaçant alors que ce n’est pas le cas de l’anglais. De plus, il y a une langue qui semble affecter son identité et l’autre pas ; la langue perçue comme menaçante est celle parlée au quotidien, alors que celle utilisée pour le travail (anglais = langue technique) ne menace pas. Ce type de raisonnement en vient à dire que l’anglais -- dans ses domaines d’emploi (essentiellement le travail) -- ne fait pas peur parce qu’il n’influence pas l’identité (la langue pratiquée dans la sphère privée étant l’allemand). L’analyse de l’entretien avec Etienne révèle aussi une représentation normative de la langue : quand il parle une langue, il est important pour lui de la parler correctement et <?page no="127"?> 127 quand il commet des fautes, il « essaie de [s]e corriger ». Pour Etienne, le fait de ne pas avoir d’accent étranger fait partie du ‘parler correct’ : « J’essaie aussi de perdre mon accent. Je trouve que c’est une bonne chose de perdre un accent ». Tandis qu’il perçoit l’effort de perdre son accent en parlant allemand comme positif, Etienne n’est pas du tout content du fait que selon ses amis français, il « récupère un accent allemand en français ». Pourtant, il s’agit plutôt d’un renforcement de l’accent alsacien d’Etienne à cause de l’impact de l’allemand. Pour Etienne, la question de l’accent devient une question d’identité-culturelle : « Je ne veux pas perdre le français, je suis encore chauvin, je suis encore Français ». Le renforcement de l’accent allemand/ alsacien est perçu par Etienne comme étant le signe d’une « perte » du français. L’exemple d’Etienne nous semble particulièrement intéressant parce qu’il illustre des expériences touchant profondément à la personne et à l’identité du stagiaire. En général, les expériences des stagiaires avec la langue étrangère sur le lieu du stage sont moins profondes. Nous pouvons constater que malgré un début parfois difficile, l’expérience de communiquer en langue étrangère reste une expérience réjouissante et motivante pour les stagiaires. Au fur et à mesure, la plupart perdent leur inhibition et commencent à parler la langue étrangère. Jens aussi était réticent à parler anglais au début et s’est fait des soucis sur ce que les autres pourraient penser de lui : Was sich, denke ich, am besten verbessert hat, isch die Scheu einfach davor Englisch zu reden. Also das hat man bei mir, denk ich au gemerkt, so in der ersten Woche so war es mir nicht so wohl so Englisch zu reden einfach, weil das kommt ja für die rüber wie so ein (2) ja (1) so ja, scheisse halt, so (1) gebrochen einfach. Ceci étant dit, au fur et à mesure, il est devenu plus sûr de lui. Un signe encourageant de cette confiance lui a été donné lors d’une soirée en discothèque en Allemagne quelque temps après son stage en Angleterre lorsqu’un Américain s’est adressé à lui en anglais. Jens dit de cette rencontre : Das war eigentlich kein Problem. Das war praktisch wie eine zweite Sprache jetzt so. Also man hat nicht gesagt, uh Scheisse, der spricht Englisch, jetzt muss ich Englisch sprechen, sondern man spricht dann einfach Englisch. Jens ne dit pas seulement que ce n’est plus un problème de parler anglais ; il qualifie même l’anglais de ‘deuxième langue’ ce qui signifie que passer à l’anglais est presque devenu une évidence. L’impression d’avoir progressé au niveau linguistique encourage les stagiaires. Ce bénéfice se manifeste sous toutes ses formes. Alain par exemple pense qu’il a profité de son séjour en Angleterre avant tout en ce qui concerne le « Sprachgefühl » qu’il aurait développé par l’écoute : Mein Sprachliches hat sich schon verbessert, auf jeden Fall dadurch und vor allen Dingen ist es flüssiger, es ist nicht so stockend, man überlegt nicht die ganze Zeit, wie man das jetzt sagt, sondern es ist halt, Sprachgefühl, hat sich halt dadurch weiterentwickelt. […] Es fällt mir leichter, es geht leichter von der Hand, es ist nicht mehr so so GEzwungen, es läuft einfach lockerer. D’autres, comme Tim, ont amélioré leurs compétences en compréhension : Am Afang han ich mir vil mehr müesse überlege was was heisst und jetzt isch’s eifach vil flüssiger. Guet ich verstand immer nonig alles ((sourire)) aber s’isch au eifacher jetzt zum Bispiel wenn me öppis nit weiss, dass me denn us em Zämmehang und so dass me’s denn do usefindet. [...] aso i merk’s ä jetzt zum Teil, wenn zum Bispel in de Pause ähm es paar Franzose mitenander rede. Aso me verstoht s’meischte verstand i denn eifacht, aso automatisch. Ohni, dass i gross irgendwie anelos. En effet, Tim nous a largement démontré ses progrès lors de sa présentation de fin de stage. Pendant vingt minutes, il a été amené à parler de ses expériences pendant le stage, <?page no="128"?> 128 ayant comme public ses deux formateurs (Roger L., Corentin H.), un autre collaborateur travaillant dans la même section (Lionel A.) et deux chercheurs de l’université qui ont tout enregistré en vidéo. La présentation devait contenir quelques informations personnelles de Tim ainsi qu’une description précise de l’objectif technique du stage, de son travail pendant le stage ainsi que du résultat. En outre, il devait dire ce qui l’attendait après le stage, de quelle manière le stage lui avait plu et dans quelle mesure il pensait avoir fait des progrès en français. Pendant sa présentation, Tim a utilisé de petites fiches comme aide-mémoire ainsi que des transparents powerpoint pour illustrer ses propos avec des dessins et des graphiques. Dans un entretien après son stage, Tim nous explique qu’il avait préparé un texte en français que le formateur avait corrigé. Il ajoute qu’il avait ensuite transposé ce texte sur des fiches (dont il n’a d’ailleurs presque pas eu besoin pendant la présentation), répété plusieurs fois la présentation et qu’il avait même appris certains passages par cœur. Voici un extrait de cette présentation : Exemple 3 65 TF: +et ça (.) c’est le schéma d’un (...) simulateur (.) pour un entrée 66 analogique sehm (..) notre professeur à l’école a présenté nous cette 67 schéma (.) et je prends cette schéma mais (.) je (..) cherch(é ; ais) 68 des composants et calculer les valeurs de résistance etcétéra (3)+ 69 ((montre un schéma sur l’écran, parle librement)) 70 +maintenant je présenter la fonction ? (..) de cette circuite (.) 71 ehm ici on a toujours la même tension ? et ici aussi (.) et ça fait (.) 72 qu’on a ici aussi toujours la même tension ? et (.) ça c’est un 73 potentiomètre un potentiomètre deh résistance avec un : variable 74 résistance (.) et : la: tension est toujours la même et on changeait le 75 résistance le courant changeait aussi (..)+ 76 ((se pose devant l’écran et explique un schéma sur l’écran)) Comme dans l’exemple 2 (p. 102), Tim utilise ici également des structures syntaxiques relativement simples et répétitives (‘ça c’est’, l. 65, 72 ; ‘ici aussi’, l. 71, 72 ; ‘et ça fait’, l. 71) en y enchâssant du vocabulaire technique. Il semble que la préparation intensive à cette présentation ait aidé Tim dans la mesure où il arrive à parler librement en expliquant des schémas qu’il montre sur l’écran. En effet, ses formateurs sont entièrement satisfaits de la présentation de Tim, tant au niveau du contenu qu’au niveau de la langue. Vers la fin de la présentation, Tim arrive au dernier point obligatoire --celui de dire un mot sur ses progrès en français. Tim pense-avoir progressé dans sa compréhension du français, avoir appris « de nouveaux mots en français » et avoir « parlé un peu français ». Cette autoévaluation est en effet confirmée par les formateurs de Tim qui disent qu’il aurait fait « un beau travail » (propos de Roger L.), qu’il aurait significativement progressé en français par rapport à ses compétences à son arrivée (propos de Roger L.) et qu’il se serait très bien débrouillé dans sa présentation en langue étrangère devant un public alloglotte ; il n’aurait même pas beaucoup utilisé les fiches préparées et aurait « bien occupé […] le devant de la scène » (propos de Lionel A.). L’apprentissage par cœur de certains passages a aidé Tim pour la présentation en tant que telle, mais dans la partie où il a répondu aux questions des formateurs, il a dû improviser. Voici comme il s’est débrouillé lorsque Roger L. demande à Tim s’il voit des différences entre le travail chez <Fabrique A> en Suisse et en France. <?page no="129"?> 129 Exemple 4 213 RL : maintenant une question que j’aurais plus c’est d’un point de vue 214 personnel c’est d’un point de vue culturel=vois-tu une différence 215 entre quand tu travailles chez {fabrique A} en Suisse et quand tu 216 travailles en France. (.) est-ce que culturellement tu trouves 217 qu’il y a une différence ? 218 TF : ehm les différences culturellement 219 RL : oui 220 TF : sont ehm: par exemple : ici eh : quelques-uns arrivés à ici ? il ehm : 221 (allé ; allait) de : chaque personne et : (donnait; donné) la main : (.) 222 et bonjour et à {fabrique A CH} c’est seulement quand quelques’uns 223 arriver +hallo : + (h) 224 ((il agite les mains)) 225 RL : ah d’accord (.) 226 ((rires collectifs)) Tim arrive à identifier deux notions : ‘différences’ et ‘culturellement’ (l. 218) et comprend la question sans l’aide des formateurs. Sans préparation, Tim est capable de faire comprendre à son public, en utilisant la stratégie non verbale des gestes, qu’il considère comme une différence culturelle la manière différente de se saluer en France et en Suisse (cf. chapitre 5.2.4.1.). Cet exemple montre que les moyens linguistiques de Tim en expression et en compréhension se sont nettement améliorés après six semaines en France. Le formateur Corentin H. confirme cette observation lorsqu’il donne à Tim un feedback par rapport au stage : Exemple 5 271 CH : effectivement il y a une (vraie) progression dans: dans la 272 langue dans la compréhension parce qu’(il était) il a peut-être moins 273 parlé mais il était très à l’écoute il a appris de nouveaux mots comme 274 il l’a dit (..) il a réussi à faire une présentation dans une langue 275 qui n’est pas: qui n’est pas une langue maternelle pour lui la langue 276 française euh: très structurée il a : effectivement euh : préparé des 277 fiches (..) euh pour euh: l’aider lors de sa présentation en 278 français mais s’en est très peu servi ça c’est (.) je le félicite pour 279 ça c’est c’est très bien il a euh: su discuter (..) improviser 280 répondre euh : aux: questions à la question que tu lui as posée Roger 281 de façon claire précise et: (..) vraiment (..) (xxx) la langue 282 française euh : il a [été très bien] Corentin H. voit une « vraie progression » en langue chez Tim (l. 271) et trouve qu’il se débrouille très bien en français (l. 278-282). Par rapport aux compétences de Tim au début du stage, Corentin H. confirme ce que nous avions observé dans l’exemple 1 (p. 101), à savoir que Tim entrait dans des formes d’interaction de tutelle et avait besoin d’aide à la formulation de la part du natif (l. 272/ 3). Il considère le fait que Tim ait réussi à mobiliser ses ressources en avance (‘préparé des fiches’, l. 276/ 7) et qu’il ait été capable de faire la présentation sans beaucoup utiliser ces fiches, comme un signe qui témoigne de l’amélioration de ses compétences. Edith pense avoir acquis plus de vocabulaire en anglais, mais a surtout constaté une différence entre l’apprentissage d’une langue dans un pays voisin et dans un pays plus lointain : <?page no="130"?> 130 Aso in England waren wir also komplett dort und es war halt einfach so, dass wir reden MUSSten, ich meine in Frankreich, ich konnte immer noch kurz über die Grenze und viele konnten einfach auch Deutsch verstehen. Und aso in England waren wir einfach dort und wir MUSSTEN, wir MUSSTEN und deswegen war das schon etwas anderes. Lorsqu’elle était en France, elle savait qu’il y avait toujours une petite porte ouverte et que si c’était nécessaire, elle pouvait « switcher » en allemand. Cette idée repose sur la représentation que les Alsaciens parlent tous l’allemand (standard ou dialectal). Effectivement, beaucoup de collègues français le parlaient, mais d’autres, comme par exemple le formateur belge ou des collaborateurs d’autres pays étrangers, ne le parlaient pas. Pour l’apprentie allemande Viktoria, le bénéfice est plutôt au niveau de l’attitude envers la langue française qu’au niveau des compétences en tant que telles. Elle qui a un si mauvais souvenir des cours de français à l’école primaire affirme avoir changé d’attitude, au point de pouvoir même s’imaginer passer des vacances en France : Und das war dann schon so, ja so beeindruckend, sag ich jetzt auf eine Art und Weise, dass man den totalen Gegensatz gesehen hat, dass man mit den Leuten, auch wenn man jetzt kein Französisch kann, irgendwie kommunizieren kann. Es geht auch im schlimmsten Fall mit Händen und Füssen und Gesichtsausdrücken und also das hat dann schon einiges gewandelt. Philipp a beaucoup bénéficié du stage en ce qui concerne l’amélioration de ses compétences linguistiques. Fait étonnant toutefois, il n’a pas progressé en français, comme on pourrait l’attendre d’un stage en France, mais en anglais. Souvenons-nous que Philipp avait dit ne pas aimer et ne pas savoir parler français du tout. Sa première journée de travail à <Fabrique A France> a donc été assez difficile. Ne pouvant pas dire à ses collègues plus que ‘bonjour’ en français, Philipp a communiqué en anglais et en allemand. Il indique comme bénéfice personnel du stage l’amélioration de son anglais et affirme que ses notes à l’école se seraient considérablement améliorées depuis le stage. Pour l’ancien apprenti suisse Jonas, le stage en France a été très utile au niveau du vocabulaire car il dit en profiter même dix ans plus tard : Aso die ganze Grääh Teili, wie die heisse und das isch no guet, wil mer jetzte ähm wenn mir Bstelligen uslöse do für Frankrifür <Fabrique A France> [centre de production], isch das uf Französisch. Und denn sehsch au die Begriff, die ganze, wie das uf Französisch heisst und, i ha’s i ha’s guet gfunde. Communiquer en langue étrangère n’est pas une tâche facile. Il y a des situations dans lesquelles on arrive à un point où on ne comprend plus ou on ne peut plus se faire comprendre. Pour pallier de telles situations, un apprenant utilise différentes stratégies de communication 107 (Bange 1992, Faerch/ Kasper 1983 108 ). Une stratégie fréquente choisie par nos stagiaires est le recours à une autre langue étrangère, dans la plupart des cas l’anglais : « S’isch no vil dass denn wenn i uf Französisch öppis nit weiss, dass i’s denn defür uf Änglisch weiss eso, oder grad halt technischi Sache weiss i ener uf Änglisch » (Rosario). 107 Bimmel/ Rampillon (2000) parlent de « Sprachgebrauchsstrategien » et voient deux éléments centraux : l’exploitation de ce que l’on sait déjà (faire des hypothèses, utiliser le contexte pour comprendre) et le maintien de la communication par tous les moyens (utiliser la mimique et la gestualité, utiliser des périphrases ou des synonymes, employer des mots courants comme ‘quelque chose, un truc’ etc., demander de l’aide) (Bimmel/ Rampillon 2000, cités dans Nieweler (éd.) 2006 : 129). 108 Faerch/ Kasper définissent les stratégies comme « potentially conscious plans for solving what to an individual presents itself as a problem in reaching a particular communicative goal » (1983 : 36). Cette conception est sujette à débats parce qu’elle implique que des stratégies soient mises en œuvre de manière consciente et intentionnelle et seulement quand il y a un problème (pour des détails sur cette question ainsi que sur des taxonomies de stratégies voir Bialystok 1990). <?page no="131"?> 131 Tim raconte qu’au début, il avait des difficultés à comprendre les différents accents de ses collègues (par exemple l’accent belge du formateur Roger L.) : Es het gwüssi gha, die het me wirklich nit verstande ((rire)). Die hän aso so schnäll gredet, do het me nüm gwüsst do isch jetzt s’Wort fertig und do foht s’nägste Wort a aso und das isch denn eifach nur no jo +fjit+ ((fait un bruit comme si quelque chose s’envole)). Dans ces cas-là, il a choisi la stratégie de demander - en anglais - que le locuteur répète plus lentement ses propos. D’autres stratégies concernent la reformulation de la phrase par le stagiaire lui-même (« Normalerweise baue ich den ganzen Satz um, wenn ich merke, den Wort kenn ich nicht, dann sag ich’s auf irgendeine andere Art und Weise », Annie), une demande d’aide à un collaborateur qui parlait les deux langues en question ou alors un recours aux dictionnaires en ligne : « Ich ha denn eifach mängisch, au wenn i öppis würklich nit gwüsst ha uf beidi Sproche, eifach im Internet no gsuecht eso. Eifach übersetzt » (Rosario). La stratégie du dictionnaire a aussi été choisie durant la phase de préparation au stage et nous ramène à la dimension de l’apprentissage/ acquisition des langues. En effet, il est intéressant de voir vers quel type de préparation linguistique les stagiaires se sont orientés (ceci dit, ils ne sont pas nombreux à s’être préparés au stage, comme nous l’avions souligné). Tandis qu’Edith a répété « certaines choses » en consultant un dictionnaire, Jens s’est procuré des CDs avec lesquels il a répété du vocabulaire, des ‘phrases simples’ et ‘un peu de langage quotidien’. On peut percevoir ici une représentation qui dit qu’on acquiert une langue en accumulant du vocabulaire, c’est-à-dire une vision plutôt scolaire de l’acquisition des langues. Effectivement, comme Jens l’a témoigné dans l’entretien avant le stage, la liste de mots qu’il a établie dans ce travail de préparation lui a été utile pour comprendre des expressions techniques en anglais. Néanmoins, Jens pense qu’il aurait dû aussi se préparer en entraînant la compréhension orale : Ich hätte noch etwas anderes machen sollen, denke ich. Auch so listening comprehension und so, so (1) englische Sprache einfach hören noch mal, dass man da wieder reinkommt. Weil es verfällt, denke ich auch, so wenn man so im deutschen Raum lebt so. Da verfällt das einfach. Da die englische Sprache auch aufzunehmen, wahrzunehmen, auch dieses Aussprechen, die sprechen es ja ganz anders aus, die Betonung halt, dass man das vielleicht wieder ein bisschen übt. Pourtant, lorsqu’il était en Angleterre, Jens s’était entraîné en compréhension orale en regardant la télévision anglaise, d’une part parce que c’était un passe-temps bienvenu pour lui et ses deux collègues, mais d’autre part aussi parce que les gens de l’entreprise avaient recommandé aux jeunes Allemands de le faire : Also wir haben oft Fernsehen geschaut, es wurde uns auch geraten halt um auch die englische Sprache aufzunehmen so. Auch durch Fernseh schauen. […] Aso es wurde dann auch mit der Zeit besser dann, eben weil man da einfach die englische Sprache, die Betonung besser aufnimmt so. Des propos qu’on retrouve chez beaucoup de stagiaires concernent la qualité de l’enseignement des langues à l’école (à tous les niveaux). La majorité des stagiaires trouvent que les cours de langue à l’école ne servent pas à grand-chose et que c’est dans l’interaction avec les gens vivant dans la région de la langue cible qu’ils ont appris le plus : Ich habe in der Schule, in der Schule in Frankreich gelernt, wie alle Schüler, aber ich muss zugeben, dass äh ja also, wie auch immer, in der Schule, das ist nicht so, die Lehrer versuchen was beizubringen, aber in der Tatsache ist, man ja lernt nicht wirklich. Man lernt Vokabeln und Wörter, Grammatik und so was, aber die ja, ja die richtige Sprache habe ich in Karlsruhe gelernt mit Freunden und ich habe auch sehr intensiv, ich habe intensiv Deutsch gelernt an der Uni, aber ja. Das heisst ja, ich hab viel mehr, in einem Jahr habe ich viel mehr gelernt als in, wie viel habe ich studiert, neun, vielleicht acht oder neun Jahren habe ich Deutsch gelernt. (Gaël) <?page no="132"?> 132 Pour Gäel, apprendre du vocabulaire et de la grammaire ne signifie pas apprendre la vraie langue ; celle-ci ne pourrait être acquise qu’en interaction en dehors de l’école. Etienne est du même avis et explique pourquoi l’allemand serait plus difficile à apprendre pour un Français que l’espagnol ou l’italien : il part de la représentation sous-jacente qu’il y a une intercompréhension entre les langues romanes (un exemple intéressant de cette représentation se trouve chez Lüdi/ Barth/ Höchle/ Yanaprasart 2009 : 46s.) ; puisque cette intercompréhension manque avec l’allemand, il serait plus difficile à apprendre : Ici, j’ai pas eu jamais eu de cours d’allemand. J’ai appris en parlant avec les collègues. Par contre, j’ai eu à l’école, j’ai eu exactement, je sais pas je crois que j’ai eu dix ans ou onze ans de cours d’allemand. Beaucoup de cours d’allemand, mais ça m’a jamais (xxx). L’allemand et le français sont, enfin je sais pas, c’est pas des langues pour un Français je pense que l’italien ou l’espagnol est plus simple, mais bon. Et puis ouais, j’étais pas motivé non plus, donc c’est surtout ça. Donc à l’école, de toute façon, je trouve que apprendre une langue à l’école c’est pas l’idéal, c’est plutôt d’apprendre d’aller dans le pays pour apprendre la langue. De toute façon, au bout de deux mois j’arrivais à me faire comprendre, le plus important. Nous retrouvons à plusieurs reprises un discours sur l’inutilité des cours d’anglais chez les stagiaires. Il est intéressant qu’un des formateurs suisses, Boris H., partage cette opinion. Il mentionne les examens de fin d’apprentissage où la tâche d’examen n’exigerait pas vraiment de connaissances linguistiques, mais plutôt de l’intelligence : Wemme Iblick het in die Lehrabschlusspriefige, denn goht’s bi däm technische Änglisch am Schluss irgendwie um d’Interpretation vomene Dateschildli vomene Elektromotor […] und wemme’s nit verstoht, denn cha me’s anhand vo de Symbol uf däm Foteli vo däm Dateschild [härleite]. Selon lui, il vaudrait mieux enseigner l’anglais technique de manière concentrée et focalisée et non pas pendant une heure hebdomadaire répartie sur 2 ou 4 semestres. Ces propos montrent que même là où il y a enseignement des langues étrangères à l’école professionnelle, le bénéfice de cet enseignement est fortement remis en question (cf. chapitre 2.3.1.). Acquisition de connaissances professionnelles Finalement, il faut mentionner parmi les bénéfices du stage l’acquisition de nouvelles connaissances professionnelles. Nous observons des perceptions différentes du bénéfice professionnel qu’en tirent nos deux groupes de stagiaires (apprentis et étudiants). Pour les apprentis, le stage signifie plus l’élargissement de l’horizon et la connaissance de nouveaux appareils- qu’un bénéfice professionnel immédiat : « Aso me bechunnt eifach e chli meh Erfahrige und e chli meh Verständnis für d Materie, aber würklich awände eins zu eins glaub i nit » (Aurel) ; « Jo eifach bitz Iblick in das wie si döt schaffe […] und das kenne lerne, anderi Produktione usser jetz dere do z <Fabrique A Suisse> » (Enzo) ; « Jo es isch no interessant gsi, mol anderi Mässgrät döt äne z gseh, wo gsamtwältwit gmacht wärde » (Philipp) ; « Eigentlich-isch es jo wenig, eigentlich nit gross für s bruefliche Witerkoh. Es isch meh eigentlich au en andere Teil vo dr Firma no gseh, wil es isch doch rächt unterschiedlich zu do » (Tim). Même si Philipp pense qu’il ne peut pas utiliser ce qu’il a appris sur les nouveaux appareils - tout simplement parce qu’il travaille avec d’autres - il semble qu’il ait développé une compétence de méthode (nous rappelons que c’est l’objectif principal du stage selon son formateur Reto S.) : Ha sehr vil glehrt, es isch mir vil bibrocht worde, was do alles uf eim zuechunnt ((rire)), wemme do öppis entwicklet het und es funktioniert nit […] aso jo, falls au emol öppis ufträtet, weiss i, wie me s agoht. Pour d’autres, le bénéfice professionnel est absolument secondaire : « D’Arbeit war ja irgendwie so Nebesach, […] weil es ging ja eigentlich ums Schwätze » (Graziella). <?page no="133"?> 133 Alors que pour les apprentis, il est encore difficile de se représenter quel est le bénéfice professionnel d’un stage, les étudiants s’expriment plus clairement là-dessus. Pour Oliver, le stage serait le complément idéal de la formation : [Das Praktikum] hat die gesamte Ausbildung eigentlich sehr schön abgerundet, muss man sagen, dass man überhaupt diesen ganzen Projektablauf auch mal von A bis Z mitbekommen hat. Das war vorher nicht der Fall gewesen. En plus, il aurait mieux compris la structure du groupe d’entreprises (« für die ganze Firma an sich ein viel besseres Bild bekommen, wenn man sieht, wie die unterschiedlichen Standorte natürlich zusammenspielen »). Lucien a appris à se servir d’un nouveau logiciel, mais il a surtout apprécié pouvoir travailler de manière autonome - ce qui serait nouveau pour un étudiant qui sort de l’école. Gaël évalue le profit d’un stage clairement dans l’augmentation des connaissances scientifiques (« die wissenschaftlichen Kenntnisse, schon, auf jeden Fall »). Néanmoins, il a également acquis des compétences personnelles importantes dans la vie professionnelle : Wie man sich verhalten muss in einer Firma. Ich mein die Beziehung die Beziehungen zwischen Kollegen und das ist auch, das hab ich wirklich, ich mein äh, ja wie, wissen Sie, das ist nicht einfach, es gibt ein Chef und es gibt jemand, der die [...] die Aufträge annehmen muss und es ist nicht immer einfach. Und ich mein später, ich werde ein Chef sein, also das ist ein, das muss mein Job sein und es ist nicht einfach, etwas zu, ja sozusagen, zu befehlen, Auftrag zu geben und äh man muss das gut sagen, damit der andere Kollege das äh macht mit einer gute Stimmung und nicht sagt, ja, nur ein Befehl. […] ich mein, ich war ein Student, jetzt bin ich nicht so : ich weiss, wie man sich in einer Firma verhalten muss. Dans notre enquête, nous disions porter un intérêt particulier aux stages dans la région du Rhin supérieur que les apprentis peuvent se faire attester avec le Certificat Euregio. Nous avons donc demandé aux apprentis dans quelle mesure ils pensaient pouvoir profiter de ce certificat : Ich dänk also es chunnt druf a. Also ich dänk, es bringt jetzt wenn ich jetzt do in dr Schwiz wott schaffe wird’s wohrschinlich nüt oder wenig bringe, aber wenn ich jetzt zum Bispiel mol würd uf Frankrich go schaffe oder ähm irgend e Bruef wo ich halt müesst hi und här pändle, also zum Bispiel mol hauptsächlich in dr Schwiz, aber öfters mol miesst uf Frankrich oder so, denn würd’s scho öppis bringe, wenn me sich für Stell e so bewirbt, dass me halt au scho weiss, jo dä het do scho Ustusch gmacht und so jo. (Tim) Cette réponse montre que pour Tim, c’est la langue qui fonctionne comme principal objectif et bénéfice du stage. Il pense que le Certificat Euregio ne lui servira que dans le contact avec la France mais qu’à l’intérieur de la Suisse, il ne pourra pas en profiter. Ces propos nous font réaliser deux choses. Premièrement, Tim oublie que la Suisse est un pays plurilingue et qu’il n’est pas exclu qu’il ait affaire à des collègues ou clients en Suisse romande pendant sa carrière professionnelle. Deuxièmement, il ne semble pas être conscient du fait que le Certificat Euregio n’atteste pas seulement une expérience linguistique dans une région alloglotte, mais aussi une expérience interculturelle qui peut être faite dans la même région linguistique. En tant qu’ancien apprenti, Jonas est le seul à pouvoir dire dans quelle mesure il a profité du stage. Par exemple, il trouve qu’avec le stage, les contacts avec les gens locaux seraient devenus plus faciles ; c’est un point important en vue de l’efficacité du travail : D’Lüt kenn i nüm am Name, gwüssi schaffe vilicht au nüm döte, aber wenn i jetzt mol, ich bi nüm so oft döte, vilicht ei, zweimol im Johr, denn kenn i gwüssi Gsichter immer no. Und au, wenn mol öppis isch, chan i sage ich ha scho mol do gschafft. Und das isch sicher au e Vorteil. Avec une distance d’une dizaine d’années, Jonas réalise que ce que ses collègues plus jeunes considèrent comme « intéressant » peut effectivement devenir un avantage : <?page no="134"?> 134 Jä, aso durch das i do blibe bi, isch natürlich e Vorteil gsi, dass ich jetzt beidi Standort kenn, aso ich kenn <Fabrique A Allemagne> wenn ich alüt, weiss i genau, was döt lauft. (1) Und da’sch scho mol guet, denn hesch e (1.5) gwüsse Vorteil, und s’het mer au brocht gha (1) zum Gseh, dass me was eigentlich au dehintersteckt, i mein, das Produkt, wo mir denn verchaufe, was steckt do dehinter, s’steckt jo nid nume Marketing und Züg dehinter, das steckt denn wirklech au die Komponänte, wo do einzeln mien zämegsetzt wärde, und das het mer scho au no öppis brocht. L’exemple de Jonas montre que le désir du formateur suisse Reto S. que ses apprentis acquièrent des connaissances sur d’autres appareils et sur la gamme de produits de <Fabrique A>, de même qu’ils comprennent qu’il y a une corporate culture au sein du groupe <Fabrique A> peut se réaliser. Ce dernier objectif a également été mentionné par d’autres apprentis. Bien que Graziella trouve qu’il y a des différences de mentalité entre les Allemands et les Anglais, la culture d’entreprise n’est selon elle pas tellement différente : « Eigentlich isch es ähnlich wie hier, weil’s ja auch das gleiche Unternehmen isch » (Graziella). Jens semble ressentir la corporate culture quand il parle de « <Fabrique A> Moral » (Jens). <?page no="135"?> 135 6 Discussion La présentation des données et de leur analyse dans le chapitre précédent nous a permis de répondre aux questions de recherche formulées dans l’introduction et dans le chapitre 4.1. Nous constatons qu’il existe, chez <Fabrique A>, une représentation sociale récurrente à propos des stages, qui est celle de dire ‘chez nous, on fait des stages’, mais qu’il existe une polyphonie au niveau du discours des différents acteurs quant aux raisons et aux objectifs de ces stages. Pour interpréter nos résultats, il est utile de revenir sur le concept de noyau central (i. e. la partie stable et partagée d’une représentation, à savoir (en)doxa en termes aristotéliciens), et sur celui d’éléments périphériques ou polyphonie (i. e. les parties plus individuelles d’une représentation) - deux termes introduits dans la présentation du cadre théorique. 6 1 Polyphonie dans le discours sur les objectifs et les bénéfices des stages A un niveau général, nous trouvons dans le discours sur les stages chez <Fabrique A> la représentation sociale partagée ou le noyau central nous voulons forMer du personnel qualifié pour un Marché international ; les stages sont un Moyen d ’ y arriver . Cette représentation, formulée par les managers, fait partie de la culture d’entreprise et peut être considérée comme l’endoxa. Les entretiens avec les différents responsables 109 ont montré que cette endoxa est connue et, en principe, partagée par les responsables (formation, ressources humaines) : tous sont d’accord sur le fait que les stages sont un élément-clé qui appartient à l’image de marque de <Fabrique A>. Pourtant, on trouve à l’intérieur de ce discours une forte polyphonie dans le sens où les responsables ne partagent pas tous la même opinion sur les raisons et les objectifs des stages. Puisque ces éléments périphériques ont une certaine récursivité, ils constituent également des représentations sociales partagées, cependant pas au niveau d’une endoxa, mais plutôt au niveau d’une doxa. Les stagiaires, eux, ont conscience de l’(en)doxa, et certains l’ont intériorisée, ce qui se traduit dans les traces du discours de l’entreprise au sein de leur propre discours (par exemple par rapport à la motivation du stage : « s’isch inbegriffe in de Lehr, mir händ die trinationali Usbildig bi uns dinne », Enzo ; « eigentlich isch es jo bi uns, aso, mir DöRFE das mache », Philipp). La polyphonie constatée est observable à deux niveaux : premièrement, tous les acteurs ne donnent pas les mêmes objectifs, et deuxièmement, s’ils en donnent plusieurs, ils les pondèrent différemment. Pour rendre compte de la polyphonie dans le discours sur les objectifs et les bénéfices des stages, nous avons décidé de regrouper nos résultats dans les quatre dimensions mentionnées (interculturelle, linguistique, personnelle et professionnelle), tout en sachant qu’une telle séparation est problématique parce que les frontières entre ces dimensions sont en réalité poreuses (cf. chapitre 5.2.4.). Pourtant, cette distinction nous permet de montrer quelle dimension a été priorisée par quels acteurs. Le discours sur la dimension interculturelle Dans nos données, nous retrouvons une première représentation sociale partagée, ou doxa, celle de dire ‘On fait un stage à l’étranger pour développer des compétences interculturelles’. Nous interprétons la récurrence du thème de l’interculturel comme le noyau central d’une représentation : On sait que l’un des buts des séjours à l’étranger est de connaître une autre 109 Dans la suite, nous comprenons par ce terme les directeurs d’entreprise, les responsables des ressources humaines et les responsables de la formation. Quand nous parlerons de ‘groupes d’acteurs’, nous entendons par là les responsables, d’une part, et les stagiaires, d’autre part. <?page no="136"?> 136 culture. En général, les acteurs - responsables et stagiaires - partagent cette représentation, mais ce qui nous intéresse est l’importance qu’ils y attribuent et la manière dont ils en parlent (ce que nous regroupons précisément dans les éléments périphériques). Ce premier atout des stages est mis en avant par la plupart des responsables interviewés. Ils le thématisent explicitement lorsqu’ils parlent de « das Kulturelle », « das Interkulturelle » (« aso wenn öpper so e trinationali Usbildig gmacht het, denn het är üblicherwis eifach das Kulturelle, das Interkulturelle eigentlich sehr guet glehrt, scho elei mit dene Lüt, won är die ganzi Zit kenne lehrt », Tom W.), ou ils en parlent implicitement en utilisant des termes comme ‘ouverture’, ‘flexibilité’ ou ‘frontière’ ; ce dernier terme est utilisé dans le sens spatial de ‘passer une frontière’, mais aussi dans le sens figuré d’ ‘abolir une frontière mentale’ (« D Idee isch, dass die Lernende merke, äne an dr Gränze wird au mit Wasser kocht. Aber wurum koche die anderscht ? -[…] Aso dä Ustusch und vor allem, die Gränze, wo me in de Köpf het. Das het au dr Konrad W. gseit, die Gränze, wo me in de Köpf het, dass me die abbaut », Tommaso C. ; « weil es gibt ja immer so diese Animositäten an der Grenze […] das ist so für mich ein bisschen auch wiederum ein Abbau ((rire)) von Grenzen im Kopf », Mirjam D.). L’abolition des frontières mentales est en même temps une condition et une conséquence du développement d’’ouverture’ et de ‘flexibilité’ - des termes qui figurent comme tels dans la brochure d’information de <Fabrique A> (citée dans le chapitre 4.2.) et qu’on retrouve dans la littérature scientifique (voir le chapitre 3.3.). Chez les responsables, l’ouverture et la flexibilité sont implicitement comprises dans des formulations telles que « s Erfasse vo dr Kultur vom andere » (Konrad W.) ou « mit anderne Kulture umzgoh » (Tom W.). Chez les stagiaires, nous retrouvons aussi le terme de ‘culture’ ; lorsqu’ils en parlent, ils le font d’une manière explicite en disant que le stage est un moyen de ‘découvrir une autre culture’ et d’’aller voir comment ça se passe chez les autres’. Le terme de ‘frontière’, fréquemment utilisé par les responsables, n’apparaît qu’à deux reprises chez les stagiaires : une fois chez l’étudiante française Annie dans le sens de ‘passer la frontière pour trouver un travail’, et une fois chez l’apprentie allemande Edith ; pour elle, la frontière a joué un rôle psychologique lors de ses stages en France et en Angleterre respectivement : être près de la frontière où résident beaucoup de bilingues et où sont les gens et la langue que l’on connaît rassure, alors qu’être immergé dans la langue et la culture étrangères peut intimider (« Aso in England waren wir also komplett dort und es war halt einfach so, dass wir (.) reden MUSSten, ich meine in Frankreich, ich konnte immer noch kurz über die Grenze und viele konnten einfach auch Deutsch verstehen », Edith). Aucun stagiaire ne parle d’’abolir une frontière’. Le seul à utiliser un synonyme de ‘frontière’ (à savoir le « Tellerrand ») est l’étudiant allemand Oliver ; ce faisant, il reprend un terme connu dans l’entreprise et employé par la formatrice Mirjam D. Derechef, Mirjam D. ne fait que reprendre une métaphore fréquemment utilisée dans le contexte des stages ; la métaphore du « Blick-über den Tellerrand » est aussi utilisée par les entreprises analysées par Heimann (2010) et désigne « die Fähigkeit, als selbstverständlich angenommene Überzeugungen und Verhaltensweisen zu hinterfragen ». Les apprentis devraient acquérir la capacité de s’adapter à un nouvel environnement et de gérer des différences culturelles (Heimann 2010 : 220). Faire un stage demande une pensée frontalière (‘border thinking’, Nouss 2002) et un « savoir passer les frontières » (Delange/ Pierre 2007). Toutefois, ces frontières ne sont plus pensées comme des lignes et des barrières, mais plutôt comme des seuils à l’intérieur d’un espace frontière (Lüdi 2009a). C’est le « third space » de Bhabha (1994) où différents modes d’interaction et différentes langues se rencontrent. Par rapport à la distance géographique, nos résultats confirment la représentation sociale partagée selon laquelle il faudrait partir le plus loin possible et dans un pays alloglotte pour faire des expériences interculturelles. Il semble que les stagiaires partagent cette représentation : pour eux, la distance ou proximité géographique est pertinente ; plus on est éloigné de chez soi, plus la dimension interculturelle joue un rôle. Tandis que pour ceux qui partent en Angleterre, au Canada ou en Asie, la confrontation à des différences culturelles est évidente, ça l’est moins pour ceux qui restent dans la région du Rhin supérieur. <?page no="137"?> 137 Surtout par rapport à l’Allemagne et la Suisse, ils sont de l’avis que les deux cultures sont interchangeables puisqu’on est dans la même région linguistique. Nous avons constaté que cette représentation est plus fréquente chez les apprentis suisses que chez les apprentis allemands. Pourtant, nous trouvons aussi parmi ceux ayant fait leur stage dans un pays voisin la conscience de différences culturelles et une envie certaine de les découvrir (p.ex. Claudia, chapitre 5.2.2.). Cependant, pour les responsables, la dimension interculturelle des stages ne dépend ni de la distance géographique entre les lieux de stage ni de la langue parlée ; elle est tout aussi importante dans le cadre des stages dans la région du Rhin supérieur que dans le cadre des stages outre-manche ou en dehors de l’Europe. Pour eux, l’expérience interculturelle n’est pas liée à un pays particulier ; elle peut être faite n’importe où à l’étranger. Le discours sur la dimension linguistique Outre la dimension interculturelle, la dimension linguistique est thématisée dans les entretiens et constitue --par rapport aux stages --une deuxième représentation sociale partagée selon laquelle ‘l’objectif d’un stage est d’améliorer les compétences linguistiques’. La polyphonie est particulièrement forte par rapport à l’aspect linguistique, un aspect particulièrement saillant et mis en avant par les trois formateurs français ; Roger L. envisage comme base de la formation trinationale d’« avoir des gens qui parlent plusieurs langues ». En accordant au stage une dimension presque exclusivement linguistique, les trois formateurs font référence à une représentation sociale partagée en dehors du monde de l’entreprise qui est celle de dire ‘On fait des échanges/ stages pour apprendre une langue’. L’entreprise akzent sprachbildung gmbh par exemple fait de la publicité pour les stages linguistiques sur son site web : « Wir bieten interessante Praktikumsstellen als Auszeit im Zusammenhang mit einem Sprachtraining im Ausland an. So wird aus der Schulsprache die flüssige Geschäfts- und Umgangssprache ! Eine wertvolle interkulturelle und sprachliche Erfahrung fürs ganze Leben ! » (http: / / www.sprachbildung.ch). Et l’organisation EF International Language Centers essaie de la manière suivante de convaincre les jeunes d’étudier à l’étranger : « Live the language ! When you study abroad with EF, you meet people from all over the world. Explore the destination together und practice the language wherever you go. Live the language with EF ! » (http: / / www.ef-suisse.ch). Les trois formateurs français ne mentionnent pas la dimension interculturelle, mais voient une relation entre les objectifs linguistique et professionnel : la réalisation d’une tâche professionnelle en entreprise constitue un cadre idéal dans lequel la langue étrangère peut être apprise (Dubs 2006, Filliettaz/ de Saint-Georges/ Duc 2008). Cette perception correspond au principe du Content and language integrated learning (CLIL), qui met en avant l’acquisition d’une langue en milieu naturel : « Successful language learning can be achieved when people have the opportunity to receive instruction, and at the same time experience real-life situations in which they can acquire the language » (cf. CLIL Compendium et les chap. 3.4. et 5.2.2.). Les autres responsables que nous avons interviewés partagent la représentation de l’amélioration des compétences linguistiques, mais ils subordonnent le progrès linguistique à d’autres objectifs comme l’objectif interculturel, professionnel ou personnel. Quant aux apprentis, la langue est un point important pour ceux qui sont partis dans un pays/ une région alloglotte, mais ils n’y accordent pas tous la priorité. Graziella par exemple privilégie l’expérience interculturelle et y subordonne l’expérience linguistique. D’autres, comme Jens, témoignent du fait que la pondération des expériences peut changer entre le moment où l’on anticipe et le moment où l’on regarde en arrière : alors qu’il désigne comme défi majeur l’expérience d’indépendance par rapport à l’expérience linguistique dans l’entretien avant le stage, il donne l’ordre inverse après le stage. <?page no="138"?> 138 Le discours sur la dimension du développement personnel La troisième représentation sociale partagée est celle de dire ‘un stage encourage le développement personnel du stagiaire’. Nous trouvons plusieurs éléments périphériques, donc une forte polyphonie par rapport à cette représentation. Les propos de Reinhard G. (cf. chapitre 5.1.) sont un bon exemple d’estompement des frontières entre les quatre dimensions, car il mentionne comme aspects du développement personnel « Themen wie Einstellen auf andere Kulturen, Thema wie Flexibilität, andere Firmen kennen lernen » - des thèmes qui correspondent à notre définition de la compétence interculturelle (Byram 1997, Jordan/ Roberts 2000, Dervin 2004, Lee/ Laurent 2005, Rakotomena 2005, Conseil de l’Europe 2009, CELV 2005, 2007), et qui sont d’une grande importance pour l’entreprise pour pouvoir encourager la mobilité au sein du groupe. Un autre aspect du développement personnel est le développement de compétence sociale et de méthode (Reto S.) - des compétences dont l’entreprise peut directement bénéficier dans la mesure où les collaborateurs sont plus performants. Dans ce sens-là, les stages peuvent être considérés comme un élément du développement du personnel. Un thème récurrent chez les stagiaires est celui de l’expérience d’indépendance. Cette dimension est présente chez les responsables, mais n’a pas la première priorité comme chez les stagiaires. Pour ceux-ci, l’indépendance est un aspect important et un thème qui est plus fréquent dans le discours des apprentis que dans celui des étudiants. Nous expliquons ce résultat par le fait que l’expérience d’indépendance est une expérience souvent tout à fait nouvelle pour les apprentis qui sont plus jeunes et pour qui le stage présente souvent la première occasion de partir seul à l’étranger. Pour les stagiaires ayant habité dans le pays d’accueil, l’indépendance signifie gérer la vie quotidienne à l’étranger, soit dans une famille d’accueil soit dans une collocation, c’est-à-dire s’occuper d’un ménage, se débrouiller dans une ville étrangère, voyager seul etc. Pour les apprentis restés dans la région et qui n’ont pas l’obligation de changer de domicile, l’indépendance concerne la gestion de la vie professionnelle : il s’agit de faire l’expérience que dans la vie professionnelle ‘normale’, sans statut d’apprenti, il faut soi-même prendre l’initiative pour obtenir les informations dont on a besoin, tout comme il faut apprendre à résoudre des problèmes tout seul. Le discours sur la dimension professionnelle Finalement, il y a la dimension professionnelle qui est thématisée dans le discours sur les stages, mais nous trouvons également des différences de pondération significatives par rapport à cette représentation. Nous avons constaté que le discours est polyphonique au niveau intra-groupal, c’est-à-dire qu’en principe, les deux groupes de stagiaires partagent cette représentation, mais avec une nuance d’interprétation. Pour les étudiants, l’acquisition d’un nouveau savoir professionnel est importante, d’une part parce que cela fait partie des exigences de l’université, et d’autre part parce qu’ils voient dans le stage un avantage pour leur carrière professionnelle et une augmentation de leurs chances sur le marché du travail (il s’agit surtout du marché de travail local de la région du Rhin supérieur). Pour les apprentis, par contre, acquérir de nouvelles connaissances professionnelles est un bénéfice du stage bienvenu, mais pas obligatoire. Dans le cas des trois Allemands (Alain, Jens et Graziella) qui sont allés en Angleterre, l’objectif professionnel du stage a même été clairement relégué au second plan. Alain rapporte le discours des responsables locaux : « Es kommt uns nicht darauf an, dass ihr hier viel arbeitet, sondern dass ihr viel mit uns Englisch redet und es halt einfach LERNT » (Alain). Nous trouvons ce discours rapporté aussi chez Graziella (« d’Arbeit war ja irgendwie so Nebesach, […] weil es ging ja eigentlich ums Schwätze »). La polyphonie n’est donc pas seulement observable au niveau intra-groupal (apprentis/ étudiants), mais aussi intra-individuel lorsque le discours des responsables résonne dans celui des stagiaires sous forme de discours rapporté. <?page no="139"?> 139 Quant aux responsables, ils subordonnent en général l’objectif professionnel à d’autres objectifs mentionnés. Une exception pourtant est le formateur suisse Reto S. qui témoigne d’une intériorisation d’un autre type d’endoxa de <Fabrique A>, à savoir celle de dire M êMe si nous soMMes des sociétés autonoMes , nous appartenons tous au MêMe groupe d ’ entreprises . Par conséquent, il considère comme objectif principal le fait que les stagiaires élargissent leur savoir sur la gamme de produits du groupe d’entreprises. Pour Reto S., cet objectif est primordial ; pour les apprentis par contre, il ne représente qu’un objectif parmi d’autres. Les formateurs français partagent le discours sur le potentiel professionnel des stages, mais leur discours se distingue de celui du responsable suisse dans la mesure où ils y voient plutôt un bénéfice pour l’entreprise que pour les stagiaires (cf. chapitre 5.1.). 6 2 Le potentiel des stages pour une modification des représentations Pour encourager les stages dans le cadre de la formation professionnelle initiale, il aurait été intéressant de mesurer l’impact des stages sur les représentations, c’est-à-dire d’analyser dans quelle mesure les stages contribuent à la modification ou à la construction des représentations. Ceci présupposerait une analyse systématique des représentations des stagiaires à travers des entretiens réalisés idéalement avant le départ, pendant le séjour sur place et après le stage. Pour des raisons déjà évoquées (4.1.), des interviews avant et après le stage n’ont été possibles que dans un cadre très limité, à savoir avec quatre apprentis. Pour analyser l’influence des stages sur les représentations, nous devons nous limiter à ces quatre exemples d’apprentis, ainsi qu’à ce que les stagiaires nous disent rétrospectivement. Concernant les récits des stagiaires, il faut néanmoins rendre le lecteur attentif au fait que même si les stagiaires racontent leurs expériences personnelles, celles-ci font partie de toute une chaîne de discours ; les stagiaires ont certainement parlé des stages entre eux, mais aussi avec leurs formateurs, avec leurs parents, leurs amis etc. On peut parler dans ce contexte d’une mise en abyme, c’est-àdire de récits dans le cadre d’autres récits. Nous ne pouvons pas résoudre ce problème parce que nous n’avons pas accès à ces autres récits, mais nous devons garder à l’esprit pour notre interprétation des résultats qu’il y a une dynamique entre ce que les stagiaires ont vécu (i. e. leurs expériences), et ce qu’en disent les autres (i. e. le discours sur les stages). Dans nos données, nous avons trouvé des domaines pour lesquels nous avons constaté une relativisation ou plutôt une adaptation des représentations : cela concerne l’attitude envers l’autre et sa culture, mais aussi envers soi et sa propre culture, les représentations sur le plurilinguisme en général, et les représentations de l’anglais en particulier. Pourtant, compte tenu de la dynamique mentionnée ci-dessus, nous ne pouvons pas dire si les représentations ont effectivement été modifiées ou pas, et si oui, si ce changement est dû aux stages ou à un discours sur les stages. Nous ne parlerons donc pas d’impact ou de modification des représentations dans ce sens absolu, mais du potentiel de modification des représentations. 6.2.1. Représentations de l’autre et de soi-même L’impression du formateur allemand Klaus M. que les stagiaires ne se rendraient pas compte de leur développement personnel (cf. chapitre 5.1.) n’est pas partagée par sa collègue Mirjam D. Elle pense que les apprentis auraient effectivement une attitude différente vis-à-vis de l’autre après le stage (cf. chapitre 5.1.). En effet, l’analyse du discours des stagiaires a montré que la plupart pensent être devenus plus ouverts et plus flexibles pendant le stage, comme par exemple Alain qui postule une relation étroite entre le changement d’attitude et le contact avec les autres : Gerade wenn man gezwungen ist mit vielen Leuten sich zu befäzu befassen, das (.) es verändert sich schon was, man wird offener und es fällt einem leichter auf Leute zuzugehen wie davor. <?page no="140"?> 140 Cependant, les changements d’attitude ne se réfèrent pas seulement à la personnalité des stagiaires, mais aussi à leur perception des autres. Les deux apprenties allemandes Claudia et Edith par exemple ont constaté avec surprise que les Suisses étaient des gens aimables ; Angelo a découvert à travers leur fréquentation sur le lieu de travail que les Allemands étaient des gens ‘normaux’ (« eigentlich ganz normali Mensche wo’d guet chasch uscho ») ; quant à Jens, il s’est amusé avec les Anglais - une expérience importante, si ce n’est la plus importante du stage-selon lui : (3) Hu, °schwierige Frage°. (4) Bedeutungsvollsten ? (3) Vielleicht, dass man mit Engländer auch Spass haben kann. ((rire)) also so als erfahrungmässig, weil also vor England habe ich echt gedacht, uh, Engländer, ich weiss nicht, also man hört ja eigentlich in Deutschland nur, also nie prak-, was heisst nie ? etwas Gutes, halt mehr immer mehr das Schlechte, schlechtes Essen, schlechtes Wetter, miese Leute, so halt. Auf die Art, grob. Und ich bin also (1) positiv überrascht so. Das ist denke, die grösste Erfahrung so, also, wo ich jetzt mehr auf menschlicher Seite sehe in England. Dass sie auch mal cool drauf sein können. Also wir hatten eigentlich ein mords Fun mit denen, (1) auch Party gemacht, (1) war cool. Das war, denke ich, die grösste Erfahrung so. Une expérience positive mène même un apprenti sceptique envers le stage et parti à contrecœur à dire qu’il repartirait sur le champ s’il avait l’occasion de le faire ; ainsi, l’image de l’autre aurait changé : Aso (2) bi uns in de Schwiiaso äbe doo im G’schäft, wenni miwenn ich mit Dütsche schaff, denn sind die chöme die extrem arrogant übere. (..) Aber döt äne isch das irgendwie, i weiss ä nit, das isch öppis völlig anders gsi döt äne, es sin alli (.) fründlich und ufg’stellt und (...) schlussändlech hani denn sehr au sehr vil glehrt döt äne, aso vom Technische här, aso da’sch würklich (1.5) super Zit gsi und ich würd eigentlich jetz jederzit wider übere goh, wenn i chönnti. (Aurel) Et il considère comme la plus belle des expériences le fait d’avoir expérimenté que la réalité ne correspondait pas forcément à ce qu’il s’était imaginé : Eigentlich, dass es (1.5) (a)so offeni fründlichi Dütschi git, eigentlich ((hésitation)), wemme s ganz grob zämefasst (2.5) eifach d Art, dass es, ebe, jo (1.5), dass es halt doch nit immer so isch, wie me meint. Son discours est parsemé de formes paraverbales (hésitations, pauses) et de hedges. Le mot « eigentlich » est répété deux fois et fonctionne comme un atténuateur ; c’est comme si Aurel devait avouer, contre son gré, que sa représentation des Allemands ne correspondait pas à la réalité et que le stage avait malgré tout été une excellente expérience. A travers l’analyse du discours des stagiaires, nous pouvons constater que leurs propos sont construits selon le même modèle : il y a le contenu propositionnel et puis leurs modalisations lorsqu’ils se rendent compte que leurs expériences réelles ne sont pas compatibles avec les opinions préfabriquées. Même si les expériences des stagiaires se limitent grosso modo à la partie émergente de l’iceberg de Gibson (2006, cf. chapitre 3.3.), le fait de regarder au-delà des frontières (« über den Tellerrand hinausschauen », comme l’avaient formulé certains responsables de formation) a permis aux stagiaires de constater - avec surprise - qu’il y avait des différences culturelles, même entre des pays voisins. Pour Mirjam D., les expériences positives des apprentis avec les autres contribueraient à abolir les ‘barrières mentales’, significatives pour la cohabitation des Suisses et des Allemands dans la région, et bien sûr aussi pour tous les contacts avec des gens d’autres pays et cultures. Ainsi, les responsables de <Fabrique A> s’inscrivent dans une logique d’internationalisation en élargissant le rayon des expériences interculturelles à des régions/ pays plus lointains. Ce n’est bien sûr pas un hasard que ce soient des pays anglophones. <?page no="141"?> 141 6.2.2. Représentations de la nécessité de l’anglais La nécessité de l’anglais est un thème récurrent dans le discours des acteurs. La représentation sociale ’Il faut savoir l’anglais’ 110 est perceptible chez les responsables comme chez les stagiaires et correspond donc à ce que nous avons appelé le noyau central ou (en)doxa. Les stagiaires considèrent que l’anglais est important (« Englisch find ich schon wichtig […] Französisch braucht man glaub au nit so, soll lieber jeder Englisch können », Nicole ; « Das ist ja die Weltsprache », Edith) et nécessaire (« Weil einfach Englisch gebraucht wird heutzutage », Jens ; « On sait tous que l’anglais est nécessaire », Lucien). Dans les entreprises, la représentation de l’anglais comme langue de l’entreprise (corporate language) est fréquente et jouit souvent du statut d’(en)doxa. 111 Même si l’(en)doxa est connue par tous, tout le monde ne la partage pas. Chez <Fabrique A> par exemple, on trouve un discours polyphonique (i. e. des éléments périphériques) par rapport à l’(en)doxa : le formateur suisse Boris H. pense que dans son domaine (la mécanique) et sur son lieu de travail (en région de Bâle), le français serait beaucoup plus important que l’anglais. D’ailleurs, Klaus M., l’ancien responsable de la formation allemand, trouve terrible que la communication entre des jeunes dans la région du Rhin supérieur se fasse en anglais (cf. aussi les propos du collaborateur de la Chambre de Commerce et d’Industrie allemande cité au chapitre 1.2.3.) : Es ist also, das ist also furchtbar, das ist fast ein Alptraum, wenn ein junger Deutscher und ein junger Franzose, wenn die Englisch sprechen. Es ist also nicht so ideal, ja. Pourtant, le fait que <Fabrique A Allemagne> accepte des stagiaires (comme l’étudiant français Lucien) qui ne parlent pas allemand et qui sont donc obligés de communiquer en anglais avec leurs collègues - à moins que ceux-ci ne parlent français, ce qui n’est pas évident pour des Allemands - montre que ce que Klaus M. considère comme un cauchemar est un phénomène tout à fait acceptable pour la direction de <Fabrique A Allemagne>. 112 Pourtant, le discours des acteurs sur l’usage effectif de l’anglais dessine une image nuancée et montre que la représentation ne correspond pas forcément à la pratique. Il faut bien distinguer les différentes sections de l’entreprise : dans les sections de la logistique, du marketing et au niveau du management, l’anglais est plus souvent utilisé que dans la section de la production. L’anglais est également très important pour la communication externe avec des producteurs, fournisseurs, clients etc. à l’étranger. 113 Les apprentis, eux, n’utilisent pratiquement pas l’anglais, et s’ils l’utilisent, il s’agit surtout de compétences qui touchent à la compréhension écrite (documentations et fiches techniques). Pourtant, il y a une différence entre ne pas utiliser une langue parce qu’on n’en a que rarement besoin et ne pas l’utiliser parce qu’on n’a pas les compétences nécessaires. Effectivement, il est difficile pour les apprentis de les acquérir parce que l’enseignement 110 Voir les propos de Dr. Napoleon Katsos, directeur de recherche du Centre de Recherches en Linguistique Appliqué et Anglais, Université de Cambridge : « [We live] in a world where speaking English is becoming a basic skill rather than an advantage » (EF Englisch Proficiency Index 2011 : 3) ou l’exemple du principal de collège qui suggère aux parents de choisir l’anglais car-« on n’imagine pas qu’un enfant ne sache rien de la langue internationale » (Truchot 1990 : 53). 111 Dans le cadre de sa recherche, le module bâlois du projet Dylan a trouvé à maintes reprises des propos soulignant l’importance de l’anglais comme corporate language : « Also das ist relativ einfach, bei uns ist English only. Also wer kein Englisch kann, hat HIER keine Zukunft. Nirgendwo » (Maurice M., <Agro A>), « English is, as I said, the official management language (…) of the company » (Karim B, <Agro A>) ; « the common language is English » (Magdalena U., <Pharma A>) (Lüdi/ Höchle/ Yanaprasart 2013). 112 Nous aimerions citer ici un exemple contraire de <Fabrique A Suisse> : Adriano, apprenti en informatique, nous a raconté que son chef lui avait interdit de parler anglais avec des spécialistes d’informatique venant de l’étranger. L’entreprise paie à ces gens un cours d’allemand et exige donc que les employés utilisent cette langue. 113 Voir par exemple nos recherches détaillées sur l’usage des langues : Lüdi/ Höchle/ Yanaprasart (2010a, 2010b, 2012a, 2013). <?page no="142"?> 142 des langues étrangères dans les écoles professionnelles est insuffisant sinon inexistant (cf. chapitre 2). Selon la- Plate-forme 2 e langue pour la formation professionnelle initiale en Suisse, l’apprentissage d’une langue étrangère ne serait pas obligatoire pour 50 % des jeunes en apprentissage professionnel sans maturité professionnelle-et pour 80 % dans le secteur des arts et métiers (cf. http: / / www.2langues.ch/ plus-d-une-langue). En revanche, l’anglais est plus fréquemment utilisé par les étudiants. L’étudiant français Etienne dit beaucoup l’utiliser dans son domaine qui est l’électronique ; les fiches techniques seraient en anglais, tout comme certains documents qu’il doit rédiger. Pour Lucien, un autre Français, l’anglais serait par définition indispensable pour quelqu’un comme lui qui fait des études en « environnement international ». Chez <Fabrique A>, l’usage de l’anglais est réservé à un aspect particulier, à savoir le langage technique, et mène à des propos qui nous ont frappés : Angelo par exemple distingue entre anglais ‘normal’ et anglais ‘technique’, ce dernier étant important pour lui. Quant à Aurel, il ne compte même pas l’anglais technique parmi les langues étrangères : lorsque nous lui posons la question de savoir s’il utilise des langues étrangères au travail, il répond d’abord que non (« gar nüt, nei »). Ce n’est qu’après lui avoir mentionné l’anglais qu’il enchaîne : « AHA, jo, das da, das scho natürlich, wenn i irgend e Dateblatt lis oder so, aber sprochlich rede [nit] ». Il semble que pour lui, ‘utiliser’ des langues étrangères signifie avant tout les parler. Par contre, il nous dit qu’il parle anglais avec la femme de ménage, mais qu’il n’est pas sûr si cela compte. Malgré tout, ce qu’Aurel décrit et semble considérer comme de moindre qualité entre parfaitement dans la conception du plurilinguisme fonctionnel (Grosjean 1982, Lüdi/ Py 1984, Conseil de l’Europe 2001) et du répertoire plurilingue (Gumperz 1982), qui contient toutes les ressources linguistiques pouvant être mobilisées de manières différentes (au niveau des compétences écrite/ orale, compréhension/ production et dans des situations différentes : formelle/ informelle). Une représentation récurrente chez les stagiaires français est que les Allemands parleraient bien l’anglais (Lucien, Gaël). Cette représentation est tellement forte que Lucien a même choisi de faire un stage en Allemagne pour améliorer son anglais ; des collègues lui auraient affirmé que les Allemands parlaient bien l’anglais- (nous avons donc ici un exemple de la mise en abyme mentionnée dans l’introduction au chapitre 6). Ainsi, la représentation et le discours des autres semblent s’être confirmés pour Lucien : « C’est vrai qu’ils ont un très très bon niveau d’anglais, je suis assez impressionné ». Un regard sur le English proficiency index (EF EPI) 114 peut fournir une explication pour le noyau stable de cette représentation : par rapport aux compétences en anglais, les Allemands se trouvent à la 8 e place de l’échelle européenne avec la mention « haut niveau », après les pays scandinaves, les Pays Bas, l’Autriche et la Belgique. La Suisse et la France se trouvent à la 11 e et 17 e place respectivement et ont reçu la mention de « niveau moyen ». En même temps, l’anglais est sujet à des auto-représentations des stagiaires lorsqu’il s’agit des compétences des Français en langues en général (Gaël, Lucien) et en anglais en particulier (Annie). Ces auto-représentations semblent être profondément intériorisées par les Français, comme le témoigne le rapport EF EPI (2011 : 3) : « Les Français sont également timides lorsqu’il s’agit d’utiliser l’anglais, et préfèrent parler français avec les étrangers, convaincus que leur anglais est faible et leur accent incompréhensible » (cf. http: / / www. efswiss.ch/ fr/ epi/ europe/ france). 6.2.3. Représentations du plurilinguisme Nous avons retrouvé dans notre corpus la représentation sociale partagée des compétences linguistiques parfaites, c’est-à-dire le « native-like control of two or more languages » (cf. Bloomfield 1933 : 55). Cette représentation implique que beaucoup de stagiaires sont réti- 114 L’index EF EPI vise à comparer le niveau d’anglais entre différents pays du monde entier. Il se base sur les résultats de quatre tests d’anglais gratuits que plus de 2 millions d’adultes ont effectués en ligne pendant trois ans. <?page no="143"?> 143 cents à parler la langue étrangère dans le contact avec des locuteurs natifs. Or, un des bénéfices du stage - si ce n’est le plus important - en matière de langue réside dans le constat fait par les stagiaires qu’il n’est pas nécessaire de parler une langue ‘parfaitement’ pour pouvoir communiquer avec les gens. Les stagiaires ont vécu ce que le CECR postule : le but de l’enseignement des langues ne serait pas « d’acquérir la ‘maîtrise’ d’une, voire même trois langues, chacune de son côté, avec le ‘locuteur natif idéal’ comme ultime modèle », mais de « développer un répertoire langagier dans lequel toutes les capacités linguistiques trouvent leur place » (Conseil de l’Europe 2001 : 11, voir aussi Grosjean 1982, Lüdi/ Py 1984, Lüdi 2011b). Réaliser qu’on est capable de communiquer avec les gens sans avoir de connaissances ‘parfaites’ de la langue respective demeure une expérience essentielle et peut être considéré comme un premier pas vers une modification des représentations : Töllschti Erfahrig isch gsi, so, am Afang ebe, dass mmh bi mr am Afang nit sicher gsi, ebe, mit em Französisch und so, und au so kli langsam, und nochhär eigentlich, wenn i denn gmerkt ha, jo, sie verstöhns, und eigentlich kan ich das jo ! (Tim) Es hat einem mordsviel gebracht. [...] Also in Frankreich fand ich’s am Anfang total hart, weil die ersten drei Wochen dacht’ ich, oh nee, das pack ich gar nicht ((rires)) weil eben Buchhaltung war dann auch noch kompliziert und ich hab’s einfach nicht verstanden, wenn die mir was erklärt haben. Aber so dann ab der dritten Woche ging’s plötzlich. Und eben wo ich dann fertig war, dann hab ich gedacht, jetzt hab’ ich’s geschafft, jetzt hab ich echt was gelernt [...] ich habe immer gedacht, ja, bevor ich es sag, muss ich mir genau überlegen, wie ich’s sage und so. Aber eigentlich ist es besser, du sagst irgendwas Falsches, als dass du gar nix sagst. Dass man einfach bisschen mehr Mut hat, einfach was zu sagen in der Sprache, auch wenn es jetzt nicht ganz richtig ist. (Claudia) Ces expériences positives par rapport à la communication exolingue (Noyau/ Porquier 1984, Py 1996) ont une influence importante sur la confiance que les stagiaires attribuent à leurs propres compétences. Une plus grande confiance en soi est un point mentionné par les formateurs français qui pensent que les stagiaires auraient parfois une vision trop négative de leurs propres compétences : Ils doivent avoir une perception d’eux-mêmes qui est peut-être négative parce qu’ils ne se sentent peut-être pas forcément à l’aise dans la langue française, et plutôt que de dire oui je me débrouille, j’avance, j’évolue, ils vont dire ben non, finalement, je me rends compte que je ne parle pas beaucoup le français, et donc ça va avoir peut-être une influence négative sur l’ensemble de la perception du stage, alors que nous on en a une vision peut-être différente, on dit on arrive il arrive avec un certain niveau, on le voit progresser, et évidemment, dans ce sens-là, on a une vision peut-être justement plus positive, on voit ce qu’on voit, les progrès qu’il fait. (Corentin H.) Pour les stagiaires, le fait de réaliser que les gens sont coopératifs et compréhensifs quand ils font l’effort de leur parler dans leur langue ou le fait de pratiquer naturellement et de manière quasi automatique la langue étrangère constitue des encouragements certains à continuer d’apprendre cette langue ou même à en apprendre d’autres. Ces expériences avec la communication exolingue sont bien décrites dans la littérature scientifique. Le discours de ‘nos’ apprentis montre des phénomènes similaires à ceux qu’on trouve par exemple chez Saudan (2003), Hodel (2005) ou dans le rapport de la Fondation ch (2006). L’étudiant français Etienne pousse à l’extrême la représentation de la maîtrise parfaite et témoigne même d’une conception d’un bilinguisme soustractif lorsqu’il exprime sa crainte de perdre le français s’il continue à apprendre l’allemand. Ce phénomène a aussi été révélé par Lüdi/ Py dans le contexte de leur recherche sur les aspects linguistiques de la migration interne en Suisse où un Neuchâtelois établi à Bâle dit ne pas vouloir « progresser, mais enfin trop accentuer le poids de l’allemand parce que j’aurais peur de perdre une certaine souplesse dans le maniement de la langue » (1995 : 129). <?page no="144"?> 144 Par rapport au noyau central de la représentation de la maîtrise parfaite, nous avons identifié un discours polyphonique parmi les différents acteurs, dont plusieurs partagent une représentation du plurilinguisme intégrative. En général, les acteurs témoignent d’une conception fonctionnelle du plurilinguisme, c’est-à-dire qu’il est tout à fait légitime d’avoir des compétences inégales en langues étrangères. Reto S. par exemple identifie clairement les compétences dont les apprentis auraient besoin pendant leur apprentissage : il s’agit surtout pour les stagiaires de maîtriser la compréhension écrite de l’anglais, comme la lecture et l’interprétation de documents, mais pas de le parler couramment. Pour les responsables français, il est plus important que les apprentis les comprennent et commencent à s’exprimer en français ; ils n’attendent pas des stagiaires qu’ils maîtrisent la langue après le stage ; pour Denis D. par exemple, ce serait déjà un succès si la langue française « ne les effraie plus ». La conception du répertoire plurilingue mis en œuvre selon la situation et permettant un parler plurilingue semble être logique pour les stagiaires. Le fonctionnement de la communication serait plus important que la question de la langue : « Wenn es nicht auf Deutsch passt, es passt auf Englisch und wir können alle, das ist nicht so, nicht so schwierig » (Gaël). Les propos de Philipp montrent que le mélange de langues (Lüdi/ Py 1995, Lüdi 2009b, Lüdi 2011b) n’est pas perçu comme négatif, mais qu’au contraire, il apporterait une touche humoristique à certaines situations : Jo, eine +isch am Dütsch lerne no, so Studium, und mit däm han i immer ä chli Änglisch gredet. Und denn het er ä chli Dütsch. Denn het er mängisch paar Wörter verdrüllt in Dütsch. Aso ich ha’s denn äh in Änglisch versuecht, denn han i’s vilicht nid grad sgschafft, denn han i’s Dütsch versuecht. Denn het är’s aber ä chli falsch verstande, will är d’Wörter verdrüllt het. Das isch immer witzig gsi+ ((rire)). La perception de la langue étrangère par les stagiaires change quand ils sont obligés de l’utiliser dans la communication exolingue et quand ils comprennent réellement pourquoi ils apprennent cette langue. Nous avons trouvé dans notre corpus différentes représentations de l’acquisition des langues qui revêtent deux dimensions complémentaires que nous avons présentées dans le chapitre 3.4. L’une s’inscrit dans le cadre scolaire et vise l’acquisition d’un savoir déclaratif (voir par exemple les apprentis Edith et Jens qui ont choisi de se préparer au stage en répétant du vocabulaire). L’autre appartient plutôt au cadre extrascolaire et vise l’acquisition d’un savoir procédural (voir par exemple Konrad W. et Etienne qui pensent que la langue s’acquiert ‘en passant’). Par rapport à ce deuxième point, il faut distinguer deux-situations : Konrad W. parle de l’anglais, qui n’a pas de territoire spécifique où il est parlé dans la région du Rhin supérieur mais qu’on apprendrait rien que par sa forte présence dans la vie quotidienne (ce n’est pas seulement son discours, mais aussi celui des responsables des institutions économiques dans la région du Rhin supérieur, cf. chapitre 5.2.2.). Etienne par contre parle de l’allemand qui est parlé sur le territoire où il se trouve. L’exposition à l’allemand est donc quelque chose de très différent que l’exposition à l’anglais. Bien sûr, il faudrait aussi définir ce que ‘apprendre en passant’ veut dire, autrement dit quelles compétences sont développées et visées, et sur quelles compétences de base de nouvelles compétences peuvent être développées. La représentation de l’acquisition d’une langue en contexte extrascolaire/ milieu naturel (Saudan 2003, Hodel 2005, Filliettaz/ de Saint-Georges/ Duc 2008, Dausenschön-Gay/ Gülich/ Krafft 1989, Perdue 1982) existe chez les responsables (ils exigent des stagiaires qu’ils parlent uniquement français voire anglais au travail, et cela même entre eux lorsqu’ils sont à l’entreprise) et chez les stagiaires. Ceux-ci la mentionnent souvent par opposition à l’enseignement des langues à l’école en général et à l’école professionnelle en particulier. Nous avons vu dans le chapitre sur la formation professionnelle (chapitre- 2) que l’enseignement des langues étrangères n’occupait pas une place si importante dans les écoles professionnelles ; soit il est facultatif (France), ou alors enseigné à raison de 1 ou 2-heures hebdomadaires (France, Suisse). Il se peut aussi qu’il ne constitue même pas une matière spécifique, mais qu’il soit intégré dans des domaines d’apprentissage (Allemagne). Enfin, il n’est parfois même pas poursuivi pendant toute la formation (dans tous les trois <?page no="145"?> 145 pays). Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les stagiaires aient l’impression de ne pas profiter beaucoup des cours de langues à l’école et qu’ils considèrent les stages comme une vraie alternative : Ich ha’s so erläbt, dass halt eifach vo dr Sproch här, wemme’s eso het, wie me’s döt het, dass me mitenand irgendwie ka rede, mit dene Lüt kommuniziere, aso ich ha’s so gfunde, es isch vil eifacher als wemme do jetzt in dr Schuel Wörtli muess lerne, Grammatik und so. (Tim) Jens trouve que les écoles ne contribueraient pas suffisamment à développer l’application du langage quotidien (« der ganz normale Sprachgebrauch, den so anzuwenden, das finde ich, wird in den Schulen nicht ganz so toll gefördert »). Graziella résume son expérience comme suit : In dene sechs Wuche hab ich Englisch viel, viel mehr glernt wie in dene zwei Johr Berufsschul jetz in Englisch. [..] lernt ma viel mehr, weil, ja s’goht nit drum, perfektes Englisch z’schwätze könne, sondern dass ma sich unterhalte ka, und [dass ma] Sache usefinde kann. Also es war wirkllich toll. Ces propos, qui sont d’ailleurs soutenus par certains formateurs, montrent que l’encouragement de stages pendant la formation professionnelle est tout à fait justifié. Il ne s’agit pas de choisir l’une ou l’autre forme d’apprentissage, mais de les considérer comme complémentaires (cf. Saudan 2003). <?page no="146"?> 146 Conclusion L’objectif de cette recherche était d’analyser de manière approfondie le discours tenu par les stagiaires sur leurs stages dans des entreprises de la région du Rhin supérieur. Nous nous sommes concentrée sur l’entreprise <Fabrique A>, qui jouit d’une situation géographique idéale dans la région du Rhin supérieur pour offrir des stages de proximité, mais qui tient aussi compte de la dimension internationale du monde économique en élargissant le rayon des stages vers d’autres pays, surtout des pays anglophones. Nous avons placé au centre de notre recherche l’analyse des représentations des stages chez les différents acteurs et n’avons pas tenu compte de la dimension de l’organisation des stages, par exemple. En effet, les structures éducatives différentes dans les parties de la région du Rhin supérieur mènent à de véritables problèmes d’organisation d’échanges/ stages qui ne pourraient être résolus qu’en modifiant le contexte 115 , et ceci pas seulement au niveau de la formation professionnelle initiale, mais aussi au niveau de la formation continue. Bien que ce soit une dimension importante pour la réalisation de stages, nous avons renoncé à la traiter parce qu’il s’agit là d’une problématique qui devrait être résolue au niveau des autorités politiques et qui nous aurait trop éloignée du domaine de la linguistique. Notre recherche chez des personnes directement impliqués dans le domaine des stages nous a montré une forte polyphonie des représentations, d’une part à l’intérieur des groupes d’acteurs respectifs (responsables et stagiaires), d’autre part entre les deux groupes d’acteurs. Ce qui est primordial pour les responsables ne l’est pas forcément pour les stagiaires ; ce qui est de la plus grande importance pour un responsable français ne l’est pas forcément pour un responsable suisse ; enfin, ce qui est saillant pour les apprentis ne l’est pas forcément pour les étudiants. Pour l’analyse de nos données, nous sommes partie d’un certain nombre de mots-clés que nous avons ensuite regroupés dans des thèmes. Ces thèmes ont pu être regroupés sous quatre dimensions - interculturelle, linguistique, personnelle et professionnelle - qui ne sont pas nouvelles. 116 Cependant, nous avons vu que ces quatre dimensions n’étaient pas séparables l’une de l’autre et que souvent, plusieurs dimensions apparaissaient chez le même acteur. Ce qui a été particulièrement intéressant pour nous n’étaient pas les dimensions en tant que telles, mais leur pondération par les différents acteurs. Il ressort de nos analyses que pour tous les stagiaires, apprentis ou étudiants, le stage est une expérience d’apprentissage ce qui se manifeste dans un discours polyphonique : les apprentis considèrent le stage plutôt comme une aventure ; souvent, c’est leur première expérience seuls à l’étranger et ils se retrouvent ainsi dans un autre cadre de travail. Ils semblent se dire a llons y et on verra bien ce que cela donnera . Ils partent avec la curiosité de voir comment ils se débrouillent en langue étrangère et dans le contact avec des gens étrangers et ne réfléchissent pas trop à ce que le stage pourrait apporter à leur avenir. Chez les étudiants par contre, la doxa semble être l e stage fait partie de Ma forMation et j ’ en ai besoin pour Ma carrière professionnelle . La mobilité implique toujours une confrontation avec de nouvelles situations et expériences. La personne mobile doit trouver un équilibre entre ce qu’elle sait déjà et ce qu’elle apprend de nouveau (Zumbihl 2005). Un stage peut mener à une 115 Notons pourtant que l’entreprise Bühler démontre que des obstacles organisationnels peuvent être surmontés : le problème selon lequel les apprentis manqueraient les cours à l’école professionnelle est résolu en les faisant suivre les cours par enseignement à distance. 116 Saudan (2003) par exemple a analysé le point de vue d’organisateurs de stages et de responsables de la formation dans des entreprises. Ceux-ci mentionnent comme objectifs la mobilité professionnelle (acquérir de nouvelles techniques, connaître un autre environnement de travail), la mobilité culturelle et sociale (encourager le contact entre des jeunes de régions linguistiques différentes, développer la compétence sociale) et la mobilité linguistique (mettre en œuvre les connaissances acquises à l’école, développer des stratégies de communication) (Saudan 2003 : 162). <?page no="147"?> 147 prise de distance et une réflexion sur ses propres représentations, valeurs et comportements, d’une part, et à des changements, d’autre part. Nous avons vu dans notre corpus que des processus de réflexion et de changement avaient été mis en œuvre chez les stagiaires, mais pas avec la même intensité. Quant aux entreprises, un de leurs buts est évidemment la vente de leurs produits et de leurs services. Selon Heimann (2010), le stage peut devenir un pur instrument du développement du personnel lorsque l’entreprise vise uniquement l’objectif du bénéfice économique. Pour les entreprises avec lesquelles nous avons travaillé dans le cadre de la thèse et du projet Dylan en général (<Fabrique A>, <Banque B>, <Service public A>, <Service public B>), les buts individuels des stages font partie de leur image de marque et de leur philosophie. Malgré tout, le discours sur les raisons et les objectifs des stages est polyphonique : les stages peuvent faire partie intégrante de la formation professionnelle initiale, comme chez <Banque B>, où l’objectif primordial est l’acquisition de nouveaux savoirs professionnels mais pas l’amélioration de compétences linguistiques, qui est certes bienvenue, mais pas une condition. Les échanges/ stages peuvent être intégrés dans les mesures de gestion des langues dans des entreprises établies depuis longtemps en Suisse pour qui le plurilinguisme est un élément caractéristique de l’image de marque comme entreprise nationale. C’est le cas chez <Service public A> et <Service public B>. Finalement, les stages peuvent être considérés comme un moyen indispensable pour former du personnel qualifié capable de gérer les contacts avec des gens du monde entier, comme chez <Fabrique A>. Les stages permettent aux jeunes de développer une compétence interculturelle qui est une compétence-clé dans un monde où les relations internationales sont de plus en plus importantes et où la plupart des employés sont confrontés à une diversité croissante - qu’elle soit linguistique, culturelle ou autre. Le Certificat Euregio est un instrument politique important, mais il n’est pas le seul, bien sûr. Dans la région du Rhin supérieur, les échanges/ stages pendant la formation professionnelle initiale sont encouragés par les projets TriProCom, Formation professionnelle sans frontières ou Go for Europe. Dans la région du Lac de Constance et des Alpes, il existe le projet xchange qui est pour ainsi dire l’équivalent du Certificat Euregio. En décembre 2011, l’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT) en Suisse a annoncé vouloir promouvoir davantage les stages pendant et après la formation professionnelle initiale, pour la simple et bonne raison que les apprentis suisses ne parleraient pratiquement pas de langues étrangères et n’auraient que rarement la possibilité de se former à l’étranger (cf. l’émission 10 vor 10 du Schweizer Radio und Fernsehen du 8 décembre 2011). Nous aimerions clore avec les propos d’une personne-clé dans le contexte des stages dans la région du Rhin supérieur qui montrent dans quelle mesure l’expérience d’un stage et, si possible une attestation comme celle du Certificat Euregio, peut être une plus-value pour la carrière de jeunes gens : « Unsers beschtes Zeiche drfür isch, dass die, wo ne sone Usbildig händ, innerhalb dr Firmengruppe wie warmi Weggli wäggöhn » (Konrad W.). <?page no="148"?> 148 Bibliographie Abdallah-Pretceille, Martine (1999) : L’Education Interculturelle. Paris : Presse Universitaires de France : Que sais-je ? Abdallah-Pretceille, Martine (2003) : Former et éduquer en contexte hétérogène. Paris : Anthropos. Abdallah-Pretceille, Martine/ Porcher, Louis (1999) : Diagonales de la communication interculturelle. Paris : Anthropos. Abell, Jackie/ Myers Greg (2008) : « Analyzing Research Interviews ». In : Wodak, R./ Krzyzanowski, M. : Qualitative Discourse Analysis in the Social Sciences. 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Pardon, das ist Kitsch ! » (Peter von Matt) Tagesanzeiger en ligne du 16 octobre 2010 [http: / / www.tagesanzeiger.ch/ kultur/ diverses/ Der-Dialekt-als-Sprache-des-Herzens-Pardondas-ist-Kitsch-/ story/ 12552220] [20.03.2011] « Die Schweiz wurde vom Erfolg überrumpelt » (Patrik Schellenbauer) Tagesanzeiger en ligne du 24 octobre 2011 [http: / / www.tagesanzeiger.ch/ kultur/ diverses/ Die-Schweiz-wurde-vom-Erfolg-ueberrumpelt/ story/ 16069940? dossier_id=1090] [30.08.2013] « Deutsch für Dreijährige : Basel-Stadt geht voran » Communiqué de presse du 26 mars 2009 [http: / / www.medienmitteilungen.bs.ch/ showmm.htm? url=2009-03-26-rrbs-002] [20.03.2011] « Eine Parallelgesellschaft, die geschätzt wird » Basler Zeitung du 19 mars 2011 « Französisch-Zwang passé », « Fremdsprachenstreit » (plusieurs articles) Spiegel en ligne, septembre 2007 [http: / / www.spiegel.de/ suche/ index.html? suchbegriff=franz%F6sisch-zwang] [07.04.2011] Haut-Rhin magazine Haute-Alsace no 32, septembre 2010 « Im Elsass wird der Niedergang verwaltet » Basler Zeitung du 12 octobre 2010 « Kampagne für die deutsche Sprache » Basler Zeitung du 6 octobre 2010 « Wieso die Schweiz so bildungsfeindlich ist » (Philipp Sarasin) Tagesanzeiger en ligne du 24 octobre 2011 [http: / / www.tagesanzeiger.ch/ schweiz/ standard/ Wieso-die-Schweiz-so-bildungsfeindlich-ist/ story/ 18585508] [30.08.2013] <?page no="165"?> 165 « Zürcher-und Basler stärken die Mundart in Kindergarten » Tagesanzeiger en ligne du 15 mai 2011 [http: / / www.tagesanzeiger.ch/ zuerich/ gemeinde/ Zuercher-und-Basler-staerken-die-Mundartim-Kindergarten-/ story/ 31403278] [05.11.2011] <?page no="166"?> 166 Annexe Annexe I : Conventions de transcription 117 Phénomène Conventions 1 Séquentialité 1a chevauchements [ ] 2 Silences, pauses 2a Pause courte 2a’ Pause longue 2b Pause d’une seconde et plus (.), (..) (...) (2), (16) 3 Indices segmentaux 3a troncation - 4 Indices suprasegmentaux 4a Accentuation d’un mot ou d’une syllabe 4b Adoucissement (voix basse ou chuchotement) 4c Allongement 4d Intonation montante 4d’ Intonation descendante 4e Accélération du débit Majuscule °xxx° : ? . >plus vite< 5 Rires ((sourire)) ((rire)) ((rire fort)) 6 Doutes de transcription 6a Incertitude 6b Hésitation entre deux solutions 6c Segment incompréhensible (comptabilité) (parce que/ car ce que) (xxx) 7 Commentaires +segment concerné+ ((commentaire)) 117 Ces conventions sont appliquées de la même manière pour les transcriptions sociologiques (entretiens) que pour les transcriptions linguistiques (interactions) à l’exception des crochets : Dans les transcriptions sociologiques, ils sont utilisés soit pour marquer des mots ajoutés par nos soins pour assurer la compréhension de la citation (p.ex. [le stagiaire]) soit pour marquer l’omission de certains passages de la citation par nous-même ([…]). <?page no="167"?> 167 Annexe II : Table des cartes et tableaux Carte I Le territoire de metrobasel 18 Carte II Le territoire historiquement alémanique de la région du Rhin supérieur 19 Tableau I Vue d’ensemble du système dual/ par apprentissage dans la région du Rhin supérieur 35 Tableau II Langues enseignées pendant l’apprentissage en Suisse 38 Tableau III Temps d’enseignement d’une langue étrangère dans les écoles professionnelles en Allemagne 40 Tableau IV Nombre d’heures dispensées en langue(s) étrangère(s) aux CFA en France 42 Tableau V Cadre analytique du projet Dylan 49 Tableau VI Vue d’ensemble des entretiens 72 Tableau VII Vue d’ensemble des stagiaires interviewés 73 Tableau VIII Vue d’ensemble des responsables interviewés 74 Tableau IX Structure du groupe <Fabrique A> 80 <?page no="168"?> Narr Francke Attempto Verlag GmbH+Co. KG • Dischingerweg 5 • D-72070 Tübingen Tel. +49 (07071) 9797-0 • Fax +49 (07071) 97 97-11 • info@francke.de • www.francke.de JETZT BES TELLEN! JETZT BES TELLEN! Christel Nissille « Grammaire floue » et enseignement du français en Angleterre au XV e siècle Les leçons du manuscrit Oxford Magdalen 188 Romanica Helvetica, Vol. 133 2014, X, 492 Seiten + CD,10 farbige Abbildungen €[D] 108,00 / SFr 132,00 ISBN 978-3-7720-8508-6 L’étude proposée dans cet ouvrage se situe à la croisée de deux courants actuels de la recherche: l’enseignement du français en Angleterre au Moyen Âge et l’histoire de l’évolution de la conscience grammaticale à cette même période. Il s’agit de l’analyse d’une traduction bilingue - en latin et en moyen anglais, datant du milieu du XV e siècle - d’un fragment de la Somme le Roi de Laurent d’Orléans, texte français composé à la fin du XIII e siècle. Ces traductions, très littérales et apparaissant en regard du texte français, ont vraisemblablement servi d’outil didactique pour enseigner le français en Angleterre par le biais de la méthode contrastive, les langues cible permettant de mettre en relief, parfois au mépris de leur propre syntaxe, les phénomènes grammaticaux les plus caractéristiques de la langue source et d’en illustrer le fonctionnement. Ce manuel, témoin de l’existence d’un lien entre les traditions d’enseignement du latin et du français et de leur évolution du Moyen Âge à la Renaissance, permet d’observer la création individuelle d’une grammaire de correspondances à une période où la conscience grammaticale des langues vulgaires est en développement. <?page no="169"?> La mobilité professionnelle est un sujet jusqu’à présent peu traité en linguistique. Dans sa thèse, Katharina Höchle Meier analyse les représentations de stages professionnels telles qu’on peut les trouver dans le discours des acteurs (apprentis/ étudiants en stage, responsables dans les entreprises). L’espace concerné par les stages est celui du triangle entre la Suisse, la France et l’Allemagne, une région non seulement trinationale, mais aussi plurilingue. Les questions sous-jacentes centrales sont entre autres celles de savoir pourquoi les uns offrent des stages et pourquoi les autres y participent, d’une part, et quelles expériences les stagiaires ont faites pendant leur stage, d’autre part. Il s’agit non seulement de saisir quelles représentations les acteurs se font des stages, mais aussi comment celles-ci peuvent être amenées à être modifiées. L’auteure porte un intérêt particulier aux questions de savoir dans quelle mesure le discours de l’entreprise sur les stages se distingue de celui des jeunes participants et quel est le rôle du plurilinguisme dans l’entreprise en général et dans les stages en particulier.