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Le Théâtre françois

0218
2009
978-3-8233-7417-6
978-3-8233-6417-7
Gunter Narr Verlag 
Samuel Chappuzeau
C. J. Gossip

Seul livre de l´époque à decrire la vie quotidienne des comédiens et l´organisation des troupes de Paris, Le théatre Francois est un texte souvent cité mais rarement lu en entier. Cette première édition critique prend pour base le manuscrit autographe et inédit que Samuel Chappuzeau a rédigé en 1673 et dedié à la toute nouvelle troupe de l´Hotel Guénégaud. L´édition comporte en outre une introduction, plus de 500 notes, et les variantes de l´édition originale (Lyon et Paris, 1674).

<?page no="0"?> Samuel Chappuzeau Le Théâtre françois Edition critique par C. J. Gossip Gunter Narr Verlag Tübingen BIBLIO 17 <?page no="1"?> Le Théâtre françois <?page no="2"?> BIBLIO 17 Volume 178 · 2009 Suppléments aux Papers on French Seventeenth Century Literature Collection fondée par Wolfgang Leiner Directeur: Rainer Zaiser <?page no="3"?> Samuel Chappuzeau Le Théâtre françois Edition critique par C. J. Gossip Gunter Narr Verlag Tübingen <?page no="4"?> © 2009 · Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG P. O. Box 2567 · D-72015 Tübingen Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Gedruckt auf säurefreiem und alterungsbeständigem Werkdruckpapier. Internet: http: / / www.narr.de · E-Mail: info@narr.de Satz: Informationsdesign D. Fratzke, Kirchentellinsfurt Gesamtherstellung: Gruner Druck, Erlangen Printed in Germany ISSN 1434-6397 ISBN 978-3-8233-6417-7 Information bibliographique de la Deutsche Nationalbibliothek La Deutsche Nationalbibliothek a répertorié cette publication dans la Deutsche Nationalbibliografie ; les données bibliographiques détaillées peuvent être consultées sur Internet à l’adresse <http: / / dnb.d-nb.de>. Couverture: Acteurs sur scène (Abraham Bosse). Cliché Bibliothèque nationale de France. Département des Estampes et de la photographie: Réserve QB-201(26)-FOL-Hennin 2283. <?page no="5"?> Table des matières Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Abréviations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 1. Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 2. Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 3. Choix et établissement du texte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 4. Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 Le Théâtre françois. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 « Aux Amateurs Du Theatre » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 Sommaire Des matieres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 Livre premier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 Livre second. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 Livre Troisiéme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144 Appendice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241 Epître dédicatoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243 Permission et Consentement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247 « Suite des Orateurs » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248 <?page no="7"?> Remerciements En préparant cet ouvrage, j’ai pu me servir des notes fournies dans les éditions de Paul Lacroix (Bruxelles, 1867) et de Georges Monval (Paris, 1876). J’ai profité aussi, et surtout, de la thèse sur Chappuzeau de Friedrich Meinel (Leipzig, 1908), de l’édition du Cercle des femmes et de L’Académie des femmes procurée par Joan Crow (Exeter, 1983), mais également d’un tapuscrit ignoré des bibliographes, Samuel Chappuzeau 1625-1701 : Leben und Werk, publié à compte d’auteur par Sabine Haake (Munich, s. d. [1973]). Cet ouvrage contient des remarques intéressantes sur la religion de Chappuzeau, sur la langue de ses œuvres en prose, y compris le « style réfugié » d’un émigré huguenot installé à l’étranger, et sur l’attitude que Chappuzeau adopte envers les pays qu’il décrit et leurs relations avec la France. Les bibliothécaires de plusieurs villes, notamment celles et ceux de la Bibliothèque d’Etat de Russie à Moscou, de la Bibliothèque nationale de France, de la Bibliothèque publique et universitaire de Genève et de la Bibliothèque municipale de Lyon, m’ont prodigué leurs conseils et leurs compétences. Qu’ils trouvent ici l’expression de ma profonde gratitude. C. J. G. janvier 2008 <?page no="9"?> Abréviations Les abréviations suivantes sont utilisées dans l’introduction et surtout dans les notes : Cent ans = Madeleine Jurgens et Elizabeth Maxfield-Miller, Cent ans de recherches sur Molière, sur sa famille et sur les comédiens de sa troupe, Paris : SEVPEN, 1963. Clarke, Guénégaud = Jan Clarke, The Guénégaud Theatre in Paris (1673-1680), 3 vol., Lewiston-Queenston-Lampeter : The Edwin Mellen Press, 1998- 2007. Corneille, OC = Pierre Corneille, Œuvres complètes, éd. Georges Couton, 3 vol., Paris : Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1980-1987. Deierkauf-Holsboer, Hôtel de Bourgogne = Sophie Wilma Deierkauf-Holsboer, Le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, 2 vol., Paris : Nizet, 1968-1970. Deierkauf-Holsboer, Marais = Sophie Wilma Deierkauf-Holsboer, Le Théâtre du Marais, 2 vol., Paris : Nizet, 1954-1958. Dictionnaire biographique = Georges Mongrédien et Jean Robert, Les Comédiens français du XVII e siècle. Dictionnaire biographique, suivi d’un inventaire des troupes (1590-1710), d’apres des documents inédits. 3 e éd. revue et augmentée, Paris : CNRS, 1981. F. = Antoine Furetière, Dictionnaire universel, 3 vol., La Haye et Rotterdam : A. et R. Leers, 1690 (réimpr. Genève : Slatkine Reprints, 1970). La Grange, Registre = Le Registre de La Grange, 1659-1685, 2 t. en 1 vol., éd. B. E. Young et G. P. Young, Paris : E. Droz, 1947. Lancaster, History = Henry Carrington Lancaster, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, 5 parties en 9 vol., Baltimore : Johns Hopkins Press, 1929-1942. Meinel = Friedrich Meinel, Samuel Chappuzeau 1625-1701. Inaugural-Dissertation zur Erlangung der Doktorwürde der hohen philosophischen Fakultät der Universität Leipzig, Borna-Leipzig : R. Noske, 1908. R. = Pierre Richelet, Dictionnaire françois, 2 vol., Genève : J. H. Widerhold, 1680 (réimpr. Hildesheim et New York : G. Olms, 1973, 2 t. en 1 vol.). Recueil = Chappuzeau, Recueil De Lettres et de Poésies (copie d’époque), Genève : Bibliothèque publique et universitaire, Ms. fr. 253. <?page no="11"?> 1. Introduction Pour me tirer de l’indigence j’use de toute diligence, J’écris de la prose et des vers, Je fays des ouvrages divers, Je deviens fou comme les autres, J’imite tous ces bons Apôtres qui chantent et soir et matin sous l’espoir de quelque butin (« A Mlle de Longueville, poème burlesque » (vers 1650), Recueil, p. 111) cette demangeaison inveterée d’ecrire, dont je voudrois être delivré (Chappuzeau, L’Europe vivante, 1667, p. 323) Et toy, qui que tu sois, Medecin ou Poëte, Si le bon Dieu pour toy n’inspire quelque Grand, Tu seras toûjours gueux, et toujours Juif errant (Chappuzeau, Les Eaux de Pirmont, 1669, III, 9) (i) L’auteur du Théâtre françois vu par les critiques La critique n’a pas été indulgente pour Samuel Chappuzeau. Dans leur Histoire du théâtre français, depuis son origine jusqu’à 1734, les frères François et Claude Parfaict affirment que « son Histoire (sic) du Theatre François est un Ouvrage très-informe, des plus médiocre (sic), et qui n’est recommandable, que parce qu’on y trouve, à peu près, l’état des Spectacles du temps 1 ». Pour Joseph de La Porte dans ses Anecdotes dramatiques, « ce Poëte n’est pas sans mérite du côté de l’intrigue, et de l’invention ; mais sa versification est pitoyable ; on a peine à comprendre que dans le siècle le plus éclairé, il ait osé produire sa Poèsie sur le Théâtre. Ses vers sont obscurs, entortillés, et rempans. On lui est redevable d’une Histoire (sic) du Théâtre François ; mais elle est mal dirigée, sans ordre, et sans exactitude 2 ». Les auteurs de La France protestante, Eugène et Emile 1 Paris : A. Morin, 1734-1749, 15 vol., t. VIII, p. 151. 2 Paris : V ve Duchesne, 1775, 3 vol., t. III, p. 103. Il est vrai que, dans sa préface, Chappuzeau parle de sa décision d’écrire « l’Histoire » du théâtre français. <?page no="12"?> 12 Introduction Haag, décrivent ce réformé dans des termes un peu plus nuancés : « Chappuzeau, d’ordinaire intéressant et ingénieux, quelquefois spirituel et souvent artiste dans son langage, n’était pas né poète ; il n’écrivit qu’en vue du gain, exploitant avec calcul, sinon avec adresse, les occasions qui s’offraient à lui ; mais il avait le coup d’œil bon, la plume aisée, et ce n’était certainement un homme sans talent qui put composer dans des genres très divers les nombreux ouvrages que nous avons sommairement passés en revue et dont voici une liste plus précise… 3 ». Les commentateurs plus récents se sont montrés tout aussi ambivalents. Dans Les Contemporains de Molière, Victor Fournel voit en Chappuzeau « cet infatigable faiseur, qui n’écrivait pour ainsi dire jamais sans copier plus ou moins les autres et se copier lui-même 4 ». Pour Pierre Mélèse, c’est un « précieux informateur mais piètre critique 5 ». Ecrivant en 1975, Jeanne Leroy- Fournier précise que « l’auteur Samuel Chappuzeau est tantôt admiré, tantôt méprisé. Pour les uns, c’est un esprit encyclopédique ouvert à tous les problèmes de son temps par ses nombreux voyages et ses hautes relations. Pour les autres, c’est un médiocre, un opportuniste, un flatteur qui recherche par tous les moyens un protecteur, un mécène, qui lui permette de subsister, lui et sa nombreuse famille 6 ». (ii) L’homme et ses soucis Notre Chronologie (voir pp. 29-44) démontre clairement que ce père de douze enfants, issus de deux mariages, a dû faire d’énormes efforts pour subvenir à leurs besoins. Des déplacements incessants, des emplois nombreux, souvent précaires et au-dessous de ses capacités intellectuelles, des ennuis constants à cause de sa foi protestante : autant de raisons qui expliquent en grande partie les problèmes rencontrés par cet « écrivain vagabond toujours par monts et par vaux 7 ». C’est un exilé, grand voyageur et observateur perspicace, mais sans racines et sans attaches : « je ne vis aujourd’huy ny en France, ny en Angleterre, ny en Espagne, ny en Portugal, ny en Allemagne, ny en Italie, ny 3 2 e éd., Paris : Sandoz et Fischbacher, 1884, t. IV, col. 19-20. 4 Paris : Firmin-Didot, t. III (1875), p. 207. 5 Le Théâtre et le public à Paris sous Louis XIV, 1659-1715, Paris : E. Droz, 1934, p. 407. 6 « Les origines poitevines de l’écrivain protestant Samuel Chappuzeau », Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest et des Musées de Poitiers, 13 (1975), p. 122. 7 J. Caullery, « Notes sur Samuel Chappuzeau. I : Contribution de S. Chappuzeau au Dictionnaire historique de Moreri ; II Les Frayeurs de Crispin par le sieur C… », Bulletin historique et littéraire de la Société de l’histoire du protestantisme français, 58 (1909), p. 144. <?page no="13"?> Introduction 13 en Danemarck, ny en Suede, ny en Pologne, ny en Moscovie, ny dans aucune des trois grandes Republiques, ny dans l’Empire des Turcs 8 ». Néanmoins, « je porte incessamment tous mes desirs vers la France […] je l’honnore, je l’admire, je fais des vœux pour sa prosperité et pour sa gloire, et en quelque lieu que je vive, je vivray toûjours tres obeissant et tres fidele sujet du Roy 9 ». Il gardait rancune aussi, et longtemps, à ceux qui, parmi les siens, l’avaient privé, à ses yeux, de son héritage. « La seule nécessité, et la crainte que j’ai de tomber sur les bras de mes amis m’a fait entreprendre des ouvrages de Théâtre, où je trouve quelque Emolument, mais pour lesquels j’ai une aversion naturelle, et à quoy je ne penserois jamais, si j’avais lieu d’occuper ma plume à escrire quelque belle histoire ou à coucher des Lettres 10 ». A plusieurs reprises dans L’Europe vivante de 1667, il attaque « l’injustice infame et grossiere de mes proches, qui me retiennent mon bien sur un fondement honteux qui detruit les Loix de la Nature. […] La generosité et la bonne conscience sont des Termes inconnus pour bien des gens. Mais en me depoüillant de mon bien d’une maniere inouïe, sans les avoir irritez, et jusqu’à me refuser ce qu’à peine on refuseroit à son ennemy, ils n’ont pû me dépouiller de l’affection que je conserve pour ma Patrie, ny detruire en moy ce panchant naturel qu’ont tous les hommes à soûtenir la gloire de leur Pays 11 ». Après avoir dressé une longue liste de ceux, Français et étrangers, à qui le Roi a accordé une pension « selon que ma memoire me les fournit », le « juste ressentiment d’un homme lesé 12 » l’amène à affirmer que « si j’avois eu à faire une liste d’Infortunez, j’aurois peu aussi trouver place dans mon Livre : mais je cesserois de l’estre, si je pouvois entrer dans celle des pensions. Les affaires font les hommes ; et la pension d’un grand Roy peut rendre un homme Illustre, quand il ne l’est pas d’ailleurs 13 ». Injustice chez lui, donc, mais manque de reconnaissance même jusqu’au niveau de la monarchie. Dans l’Avertissement du même ouvrage, il avoue que « j’ay voulu r’enfermer l’Iliade dans une noix […] il m’a fallu suyvre necessairement mon propre genie, qui fuit les travaux de longue haleine, et qui pour courir trop vîte ne sçauroit courir bien loin ». Un pareil besoin a peut-être engendré le texte qui nous occupe particulièrement et qui date d’une époque où l’impécuniosité 8 L’Europe vivante, Genève : J. H. Widerhold, 1667, p. 307. 9 Ibid., p. 306. 10 Recueil Conrart, t. XVI, Ms Arsenal 4121, p. 1231. Le fait que le texte est adressé en 1662 aux pasteurs et anciens du colloque qui examine l’affaire Morus laisse supposer que cette critique du théâtre et du métier d’auteur dramatique manque un peu d’objectivité. 11 L’Europe vivante, pp. 305-306. 12 Ibid., p. 307. 13 Ibid., p. 318. <?page no="14"?> 14 Introduction de Chappuzeau a dû lui créer de grandes difficultés. Ses pièces de théâtre, concentrées dans la période 1656-1669, ont été suivies de voyages qui interrompaient son séjour comme citoyen à Genève. En 1671, il admettra, dans une lettre du 20 octobre (voir la Chronologie), qu’il n’a « nulle subsistance que fort casuelle » et que son « vil métier de petit maître d’Ecole […] ne peut pas borner la moindre ambition d’un honneste homme ». Quelques années plus tard on voit, d’après les termes d’un contrat avec le libraire genevois Widerhold (septembre 1679) qui oblige Chappuzeau à soumettre pour le 1 er octobre 1680 le texte complet de sa Bibliothèque universelle, le genre de besogne alimentaire qu’il lui a fallu contempler : « le d[it] s r Chappuzeau devra travailler incessamment et sans intermission au d. ouvrage ainsi que faire il promet et qu’à cette consideration et pour l’ayder à la necessité de ses affaires, il luy sera payé un escu contant a conte des quatre francs a luy promis par feuille de son manuscript … Et ce moyennant et a condition quil rende pour le moins six feuilles par chaque sepmaine tous les sabmedy au soir … ». Si ce rythme n’est pas respecté, « il sera néantmoins obligé de rendre en conscience ce qu’il aura fait de feuilles soit quatre ou cinq au moins 14 ». Ses ennuis financiers expliquent à eux seuls la façon dont il a recyclé certaines de ses pièces de théâtre : une nouvelle dédicace lui rapporterait une somme importante, une invitation dans un château princier ou une petite cour étrangère. « De pouvoir plaire aux Grands est mon plus fort desir », ditil en 1669. « J’estime les Princes par ce qu’ils sont, et non pas par ce qu’ils donnent, et je ne suis point de ces ames mercenaires qui sont à qui plus leur fait du bien 15 ». Mais le gîte et le couvert n’étaient pas à dédaigner. Une lettre envoyée de Leipzig en 1671 donne un aperçu de la chasse aux grands que Chappuzeau se sentait obligé d’entreprendre : « tous les Princes estant occupez en cette saison à courre le cerf, il m’a fallu percer de grandes forest[s] pour en aller joindre quelques uns, et d’autres me sont echapez estant aujourd’huy d’un costé, et le landemain d’un autre 16 ». Quelques années plus tard cette « estime » deviendra nécessité. Par sa politique de réduction de la « religion prétendue réformée » dans le but de réaliser l’unité religieuse de son royaume, Louis XIV contraint les protestants qui n’abjurent pas ou qui ne cherchent pas à s’exiler à se voir progressivement exclus de la vie civile et professionnelle. Face à la répression - la première dragonnade aura lieu en 1681 en Poitou, terre d’origine de Chappuzeau -, l’auteur du Théâtre françois comprend non 14 Cité par Haag, 2 e éd, col. 31. 15 Les Eaux de Pirmont, II, 6 ; L’Allemagne protestante, Lyon : J. Girin et B. Rivière, 1671, p. 200. 16 Lettre du 20 octobre 1671 à Louis Tronchin, BPU Genève, Archives Tronchin 43, f° 4. <?page no="15"?> Introduction 15 seulement qu’il ne recevra jamais de faveurs royales, une pension par exemple, mais qu’il a intérêt à quitter la France avec sa nombreuse famille pour s’installer dans un pays favorable aux huguenots. C’est donc chose faite trois ans avant la révocation de l’Edit de Nantes en octobre 1685. Une des sœurs de Chappuzeau, Marie, née en 1614, se réfugiera en Angleterre à la Révocation, tandis qu’un de ses frères, Daniel, sieur de Baugé, abjurera après s’être d’abord sauvé en Angleterre, lui aussi. Si Samuel ne commente jamais directement la situation critique de ses coreligionnaires français, ses œuvres descriptives, surtout les trois parties de son Europe vivante, peuvent être considérées comme offrant ce que Sabine Haake-Kress 17 appelle un « fil conducteur » pour les émigrés huguenots du Refuge, un guide des cours, états ou pays européens favorables aux protestants, qu’ils soient calvinistes ou luthériens. (iii) Un auteur modeste A cette indigence Chappuzeau a su joindre une modestie non dépourvue de charme : « Ce n’est pas que je cherche de la gloire », dit-il à l’âge de vingt-cinq ans, « ny que j’apprehende aussi d’estre blasmé, possible que tu ne me verras jamais, et que tu n’entendras jamais parler de moy. Mon nom et ma personne sont si obscures, qu’à peine suis-je connu de cinq ou six. J’ay habité quatre ans les deserts, je n’en ay guere moins passé chez les Estrangers, je n’ay jamais frequenté la Cour ny les bons Esprits 18 ». Plus tard, c’est le même refrain : « Je diray donc d’abord que je sens ma feblesse, et que je ne prétends point à la gloire des grands autheurs ; Que je n’écris point pour le Docte, mais que j’écris pour ceuz qui sçavent moins que moy, et qui n’ont arpenté tant de provinces. De sorte que mon travail doit être au dessous de la censure, et ne mérite pas la critique des Sçavants 19 ». On constatera qu’il choisit de ne pas parler de ses propres ouvrages dramatiques ou qu’il oublie tout simplement de le faire, et cela malgré la remarque suivante (Le Théâtre françois, Livre II, chapitre II) : « Chacun naturellement est amoureux de soy méme et de ses productions ; et s’il est convaincu en sa conscience qu’il y en a de plus belles, il ne prend pas plaisir à les entendre loüer, parce qu’il luy semble que c’est tacitement blamer les siennes ». 17 Sabine Haake-Kress, « Hessen im 17. Jahrhundert aus der Sicht des huguenottischen Schriftstellers Samuel Chappuzeau (1625-1701) », Zeitschrift des Vereins für hessische Geschichte und Landeskunde, 91 (1986), pp. 49-70 (p. 60). 18 Au Lecteur de son premier grand ouvrage, le roman anonyme Ladice ou les Victoires du grand Tamerlan, Paris : T. Quinet, 1650. 19 L’Europe vivante, 1667, texte liminaire. <?page no="16"?> 16 Introduction Le Théâtre françois est le premier ouvrage de son genre, et le seul à l’époque classique à décrire, même un peu superficiellement et naïvement, et avec bien des lacunes, la vie quotidienne du théâtre, des comédiens, des spectateurs et des auteurs dramatiques. Dans sa dédicace à Truchi en tête de l’édition de 1674, l’auteur reconnaît la nature révolutionnaire de son entreprise : son ouvrage « se flate d’un destin heureux, et doit estre bien receu selon le sentiment de nos Critiques ; et ils ont jugé qu’estant le premier qui s’est avisé de donner au Theâtre François une face nouvelle, qui expose aux yeux des Spectateurs le bon usage de la Comedie, et les deux sortes de personnes qui contribuent aux avantages que nous en tirons, il y aura peu de gens en France, de ceux méme qui condannent les spectacles, que le titre de mon Livre ne porte à lire ce qu’il promet ». Dans la préface intitulée « Aux Amateurs Du Theatre », Chappuzeau affirme que « Je […] ne me propose de traiter icy qu’un sujet moral qui ne regarde que l’usage de la Comedie, le travail des Autheurs, et la conduite des Comediens ; ce que je reduis en un petit corps d’Histoire ». Son livre ne sera qu’« un pur catalogue, sans nul raisonnement, sans remarques ni commentaires », dans lequel il compte employer « l’artifice dont la pluspart des Genealogistes se sont avisez de se servir » et, « pour eviter de toucher aux preseances », suivre un ordre alphabétique (Livre II, chapitre III). Pour Monval dans son édition de 1876, Chappuzeau est « le premier historiographe de cette période glorieuse » (p. xvi). C’est beaucoup dire, mais le genre d’« éloge-catalogue » qu’il a institué a fait école, si ce n’est que quelque soixante ans plus tard. En 1733 paraîtra la Bibliothèque des théâtres de Maupoint, de 1734 à 1749 l’Histoire du théâtre français des frères Parfaict, en 1735 les Recherches sur les théâtres de Beauchamps, puis en 1775 les Anecdotes dramatiques attribuées à La Porte et Clément. L’ouvrage de 1673-1674 suit les mêmes principes que Chappuzeau avait adoptés dans la rédaction de ses œuvres historico-géographiques, surtout les trois parties de L’Europe vivante et les Relations de Savoie et de Bavière. D’abord il lui fallait maintenir la plus grande objectivité possible, car « Un Ecrivain qui traitte l’Histoire doit, ce me semble, être depouillé de tout interest 20 ». C’est au lecteur d’interpréter les faits qu’il lui présente : « Je ne decide rien de toutes les questions que j’avance 21 ». Sa narration est basée sur l’observation des faits plutôt que sur des récits de troisième main, car « vous m’avouerez, Monsieur, qu’un homme qui a vu plus d’une fois comme moy toutes les parties de l’Europe, hors l’Espagne, la Russie et la Turquie, en peut parler avec bien plus de fermeté sur la foy de ses yeux et les instructions qu’il a prises dans les pays 20 Ibid., p. 125. 21 Ibid., Avertissement. <?page no="17"?> Introduction 17 que ceux qui ne connaissent les mêmes pays que par les yeux d’autruy et par des Relations qui ne sont pas toujours bien fidèles 22 ». Ce souci d’objectivité ne l’incite pas à faire de la critique. « Les Loüanges que l’on donne aux Grands leur sont autant de leçons et […] ils doivent s’efforcer d’être tels qu’on les represente », remarque qui, comme le souligne Sabine Haake 23 , implique que les nobles ont souvent besoin d’améliorer leur conduite. « Je louë tous les Princes Chrêtiens qui regnent presentement, parce qu’en effet tous ces Princes sont loüables, et quand ils auroient quelques defauts, j’aurois, ce me semble, mauvaise grace à les divulguer. […] Leurs yeux sont plus perçans que les yeux des autres hommes […] ils ne font choix que des plus honnêtes gens pour veiller avec eux au bien de l’Estat ». Cela étant, « qu’on n’attende donc point de trouver dans mon ouvrage des traits malins, ny des verités odieuses, je hays mortellement la satyre, et je ne me suis jamais attiré de mauvause affaire pour avoir medit. J’écoute volontiers la censure, mais il ne me souvient pas d’avoir jamais censuré personne ; et c’est un métier, pour lequel j’ay eu toute ma vie de l’aversion 24 ». L’Au Lecteur de la 2 e partie de L’Europe vivante 25 reprend le même thème : « Il court assez de Satyres dans le Monde. Pour ce qui est de moy, j’aime mieux faire des Panegyriques, et il ne faut jamais parler des Princes ni de leurs Cours, ou il faut en parler avec grand respect. Chacun a sa maxime, et c’est là la mienne, de laquelle je ne me suis jamais mal trouvé ». La religion, la politique et même les peuples sont jugés de la même façon circonspecte. « Je traite donc par tout avec respect et la Religion et la Politique, les Roys et les Princes ; je ne decide rien de toutes les questions que j’avance, soit de la Nature, soit de l’Histoire, soit de la Morale […] je n’offence personne, et je ne donne point aux Religions des noms odieux. J’ay la méme retenue, lors que je parle des Peuples ; je touche leurs defauts legerement, et je m’étens sur leurs bonnes qualitez. D’autres en useront comme il leur plaira, chacun a ses raisons, et sa maniere d’ecrire ; j’ay eu mon but, et peut être ne deplairay je pas generalement à tout le monde 26 ». Ce refus de juger s’étend donc tout naturellement aux auteurs et leurs œuvres littéraires. La « petite Bibliotheque de nos Poëtes François qui ont travaillé pour le Theatre » sera présentée sans commentaire : Chappuzeau se 22 Lettre datée de Celle le 25 juin 1686 à Denys Thierry, libraire à Paris, citée par Caullery, « Notes sur Samuel Chappuzeau », p. 148. 23 Samuel Chappuzeau (1625-1701) : Leben und Werk, Munich : au compte de l’auteur, s. d. [1973], p. 57. 24 L’Europe vivante, Avertissement. 25 Genève : Widerhold, 1669. 26 L’Europe vivante, 1667, Avertissement. <?page no="18"?> 18 Introduction permet « en les lisant d’en faire la distinction dans mon cabinet » mais « Je suis un trop petit Compagnon pour ozer dire mon goust 27 ». Quant au maniement de la langue française, Chappuzeau refuse toujours de s’en dire le maître. En 1667, son Europe vivante « aura peut être les grâces de la nouveauté, s’il n’a pas celles du style, qu’un homme qui vit depuis vingt ans hors de France n’a pû luy donner ». Car « il ne faut pas s’étonner si étant sorti de Paris à l’âge de dixhuit, je n’ai pû aquerir cette pureté de stile que j’admire dans ces beaux ouvrages de l’Academie, et que j’admire seulement sans la pouvoir imiter 28 ». La préface du Théâtre françois dira de même : « je ne puis luy donner les grâces de nôtre langue que je n’ay jamais bien sceue ». (iv) Le jugement des siens Si nul n’est prophète dans son pays, l’auteur du Théâtre françois a souffert le dédain, direct et indirect, de certains de ses coreligionnaires les plus en vue. Dans ses Historiettes, composées à la fin des années 1650, Tallemant des Réaux a introduit une raillerie contre Charles Chappuzeau, père de Samuel, avocat au Parlement de Paris, puis secrétaire du Conseil privé du Roi pendant de longues années avant sa mort en 1645 : Un advocat au Conseil, nommé Chapuiseau, fit un cachet où un chat puisoit de l’eau. Il composa un livre qu’il appelloit le Devoir de l’homme. Il promit à un conseiller, nommé Champdieu, de le luy monstrer manuscrit ; il fut chez ce conseiller, et, n’ayant trouvé que Madame, il luy voulut laisser son livre (c’estoit un gros rouleau qu’il avoit fourré dans ses chausses, et qui paroissoit). Il y met la main pour le tirer. « Jesus ! Monsieur Chapuiseau, que faittes-vous ? » - « Madame », dit-il naïfvement, « c’est le Devoir de l’homme 29 ». Le 17 novembre 1674, dans une lettre à Jacques Basnage (1653-1722), qui allait devenir pasteur réformé, auteur, théologien, historien et diplomate, Pierre Bayle écrit : Le premier [ouvrage] s’appelle le Théâtre François et est divisé en 3 parties : la première traitte de l’usage de la Comédie, la purge des blâmes qu’on luy donne, en fait voir l’innocence et l’utilité ; la 2. parle des Autheurs 27 Le Théâtre françois, Livre II, chapitre II. 28 L’Europe vivante, 1667, Avertissement et p. 305. 29 Tallemant des Réaux, Historiettes, éd. A. Adam, Paris : Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 2 vol., 1960-1961, t. II, p. 871. Le Devoir general de l’homme en toutes conditions, envers Dieu, le Roy, le public, son prochain et soy-mesme : de sa vie, de sa mort, corporelle, spirituelle, temporelle, eternelle parut à Paris, à la Fleur de lys, en 1617. <?page no="19"?> Introduction 19 célèbres de ce dernier tems, qui ont écrit des pièces de théâtre, et la 3. de la conduite des Comédiens et de la forme de leur gouvernement. Si vous n’avez pas leu ce livre, je ne doutte pas que vous ne soyez bien affamé de le voir après ce que je viens de dire ; mais si j’ajoute qu’il est de la façon de … je n’ose m’expliquer : de, de, -, n’importe, je ne veux pas vous tenir d’avantage en suspens : de Chappuzeau ; n’est il pas vrai, mon cher Mr., ou que votre curiosité cessera tout à fait, ou qu’elle deviendra extrême. Si la connoissance du personnage ne vous fait perdre l’envie de voir cet écrit, asseurement elle vous donnera un désir extraordinaire de voir, comme il se tire de ce beau sujet. Le voulez vous savoir par avance, Mr. ? c’est qu’il prodigue son encens aux Comédiens et les loue de la méme force dont il a loué toutes les Cours de l’Europe, et particuliérement celles d’Allemagne. Il faut bien avoir la manie de faire des Panégyriques pour s’aviser de faire celuy des Comédiens, et je ne pense pas que ces messieurs ayent jamais espéré qu’un Autheur feroit imprimer un jour leur éloge. Qu’ils disent donc avec Diogène, lors qu’il vit des rats venir manger les mietes qui étoient tombées de ses mains : et quoi, les Comédiens ont aussi des Parasites ! Je vous laisse penser, quel sera le dépit des Princes Allemans, s’ils savent un jour que la méme main, qui a couronné leurs Altesses Sérénissimes, s’est abaissé[e] jusqu’à couronner des farceurs. On peut des louanges de Chappuzeau ce qu’on disoit des amours de Voiture, qu’elles s’étendent depuis le sceptre jusqu’à la houlette. Il ne luy reste plus que de se rendre l’Apologiste ou l’Elogiste des Bordels et de prostituer ses louanges aussi universellement que faisoit son corps La fameuse Macette à la cour si connue etc Régnier, saty. 13 30 (v) La parution du Théâtre françois L’existence d’un manuscrit autographe du Théâtre françois ne saurait nous faire croire à une intention première de restreindre la diffusion du texte. Il est bien plus probable que Chappuzeau a saisi l’occasion de la mort de Molière et de l’intégration du théâtre du Marais avec les restes de la troupe du Palais- Royal pour dédier un premier exemplaire de son apologie, encore en forme de brouillon, aux membres de la nouvelle compagnie de l’Hôtel Guénégaud. Après tout, le Marais et le Palais-Royal, de même que l’Hôtel de Bourgogne, avaient monté certaines de ses pièces de théâtre ; il leur était reconnaissant. 30 Choix de la correspondance inédite de Pierre Bayle, 1670-1706, éd. Emile Gigas, Copenhague : G. E. C. Gad, 1890, pp. 79-80. La satire XIII de Mathurin Régnier (1573- 1613), un des poètes attitrés d’Henri IV, contient le fameux portrait de Macette l’entremetteuse. <?page no="20"?> 20 Introduction Mais le public visé était plus large, moins professionnel. L’ouvrage s’insère dans une longue ligne de publications, depuis Lyon dans son lustre (1656) jusqu’aux volumes de L’Europe vivante (1667-1671), où Chappuzeau se plaît à compiler des catalogues sous forme d’éloges, dans le but non seulement de renseigner le grand public mais aussi de remercier, de façon souvent obséquieuse, des gens qui lui ont porté un secours moral et surtout financier. Il voulait contribuer aussi au débat ou plutôt à la querelle sur la moralité du théâtre, particulièrement virulente entre 1660 et 1670 31 . Au cours de l’hiver 1672-1673 il dit avoir rencontré à Cologne « des gens qui décrioient fort la Comedie 32 ». Dans le texte de Chappuzeau il y a de nombreuses allusions aux doctrinaires, mais on remarquera que ses critiques ne sont jamais ad hominem, restant générales et d’un ton plutôt optimiste. Sa méthode est de « combattre doucement » ceux qui ont été induits en erreur, de présenter des opinions logiques, celles de personnes de bon sens qui essaient d’intégrer le théâtre et ses préoccupations dans la vie de tous les jours. Pour l’anti-rigoriste qu’il est, les plaisirs d’un théâtre purifié et même quelquefois moralisateur ne sont pas incompatibles avec la vraie dévotion. Chappuzeau avait déjà fait part de certaines opinions sur les auteurs dramatiques de l’époque et les troupes parisiennes. Dans l’Europe vivante de 1667, il affirmait que « le Roman est une Comedie en Prose, et la Comedie un Roman en vers », offrant de brefs commentaires sur Gomberville, G. de Scudéry, Benserade, Quinault (« qui sçait parfaitement la Carte de Tendre, et qui touche si bien les passions amoureuses »), Boyer, Gilbert, Thomas Corneille (« qui ne le doit ceder qu’à son Aisné ») et Pierre Corneille, « qui l’emporte de belle hauteur et sur tous les Poëtes de l’Antiquité, et sur tous les Poëtes du tems » (p. 316). Quant aux salles, « [p]uis que j’ay parlé de la Comédie, je dois remarquer qu’elle se joüe dans trois maisons trois fois la semaine, sans conter les festes ; à l’Hostel de Bourgogne, où regne le grand Cothurne : au Marais, où les machines font bruit : au Palais Royal, où le beau Comique attire le monde. Je prens ces maisons selon leur antiquité, et selon leur principal caractere ; et elles sont aujourd’huy remplies d’habiles gens, qui executent si bien les pieces que les Autheurs leur confient, que tout l’Univers avoue qu’à parler des choses en general, ny le Theatre Italien, ny le Theatre Espagnol, n’approchent point de la regularité ny de la pompe du Theatre François, et ne peuvent si bien divertir un honnête homme. Il y a de plus huict ou dix troupes à 31 Voir Laurent Thirouin, L’Aveuglement salutaire. Le réquisitoire contre le théâtre dans la France classique, Paris : H. Champion, 1997, surtout les pp. 265-271 (chronologie sommaire), ainsi que son édition critique du Traité de la comédie de Pierre Nicole, accompagnée d’autres pièces du procès du théâtre (Paris : H. Champion, 1998). 32 Voir l’épître « Aux amateurs du théâtre » en tête de la version manuscrite du Théâtre françois. <?page no="21"?> Introduction 21 la Campagne, qui courent les Provinces du Royaume, pour leur faire part de ce noble amusement » (pp. 316-317). Mais, comme Jean-Daniel Candaux l’a bien montré 33 , la première édition de la première partie de l’Europe vivante a connu deux tirages, le premier paraissant en 1666. Or entre celui-ci et le tirage plus connu de 1667, Chappuzeau a choisi de ne pas introduire certaines remarques sur les comédiens de Paris qui sont intéressantes et dont il saura profiter quelques années plus tard en rédigeant le texte de son Théâtre françois. Voici les commentaires qui ont été supprimés dans l’impression de 1667 : puisque j’ai parlé de la Comedie, je dois aussi nommer les Illustres Comediens de l’un et de l’autre sexe, qui sont partagez en trois Maisons. A l’Hostel les Sieurs de Floridor, de Montfleury, de Haute-roche, de la Fleur, et de Brecourt pour l’une et pour l’autre Scene ; et les Sieurs de Villiers et Poisson de Belle-roche pour le Comique, qu’ils composent eux mémes le plus souvent ; avec les Demoiselles des Oeillets et de Beauchateau. Le Poëte ne dedaigne point de prendre des leçons de la derniere. Au Marais, destiné particulierement pour les Machines, Le Sieur de la Roque, brave de sa personne, qui a souvent relevé par sa conduitte cette maison chancellante, et qui seroit le premier Comedien de France, s’il executoit les choses aussi bien qu’il les entend. La D lle des Urlis, et la Niece de la D lle de Beaupré, qui a esté en son tems l’une des meilleures du Royaume. Je ne sçay pas bien l’Estat de cette Maison, qui souffre toutes les années quelque changement. Au Palais Royal, le Sieur Poclin de Moliere Comedien et Autheur de plusieurs Pieces qui ont fait assez parler de luy, inimitable pour le Comique de sa composition, mais qui ne s’aquitte pas si bien d’un role heroïque. Les Sieurs de la Toriliere et de la Grange, avec les Demoiselles Bejar, du Parc et de Brie, qui font fort bien toutes trois. C’est à peu près l’Estat où étoient ces trois Maisons l’année du Carouzel 34 . Il y a huit ou dix Troupes à la Campagne, où le Sieur Filandre et sa Fille d’adoption font assez de bruit 35 . 33 Jean-Daniel Candaux, « Samuel Chappuzeau et son Europe vivante (1666-1673). Etude bibliographique », Genava, n. s. 14 (1966), pp. 57-80 (p. 66). 34 Le 5 juin 1662, sept mois après la naissance du Dauphin, le roi Louis XIV, 23 ans, donna une grande fête dans le jardin des Tuileries à Paris au cours de laquelle il prit comme emblème le Soleil. Le spectacle était si grandiose que la place prit le nom de Carrousel. 35 Ce chiffre de huit ou dix se retrouve dans le 2 e tirage de l’Europe vivante (1667), mais sans la référence à Philandre. En 1673 Chappuzeau dira qu’en province les comédiens « peuvent faire douze ou quinze Troupes » (voir le chapitre XLV du Livre III du Théâtre françois et la note 403). Dans un acte passé le 17 novembre 1659 par devant M e Pierre Teuleron, notaire royal à La Rochelle, plusieurs personnes dont Jean Monchaingre dit Philandre, sa femme Angélique Desmarets née Moinier, et Jeanne, « fille adoptive » de Philandre, s’associèrent pour « faire une troupe et jouer <?page no="22"?> 22 Introduction (vi) La datation du Théâtre françois Si on essaie de préciser la date de rédaction du manuscrit de Moscou, il est légitime de commencer par les textes dramatiques qui y sont mentionnés. On remarque que Chappuzeau incorpore dans ses listes de 1673 le Démarate de Boyer qui, selon le t. VI du Mercure galant, achevé d’imprimer, comme le t. V, le 7 décembre 1673, est une pièce « que l’on vient de joüer à l’Hostel de Bourgogne, et quoy qu’elle ait quantité de beautez, elle n’a pas eu tout le succez qu’elle méritoit » (pp. 202-203). Cependant Le Comédien poète de Montfleury et de T. Corneille, joué dix-huit fois de suite au Guénégaud entre le 10 novembre et le 22 décembre 1673 36 , ne figure pas dans le manuscrit mais seulement dans le texte imprimé de 1674. Pourtant le Mercure galant (t. VI, pp. 248-249) rapporte que « la conversation tourna sur le sujet des Comedies nouvelles. L’on parla aussi-tost du Comedien Poëte, parce que la Troupe du Roy n’avoit encor rien joué de nouveau que cette Piece ; et apres qu’on eut dit qu’elle estoit fort divertissante, on s’entretint de la Mort d’Achille, de Monsieur de Corneille le jeune, que la mesme Troupe devoit bientost representer ». Elle vit le jour au Guénégaud le 29 décembre 1673. D’autres textes ajoutés seulement dans la version imprimée du Théâtre françois sont l’Amarillis de Rotrou, « accommodée au théâtre » par Tristan l’Hermite, et la Délie de Donneau de Visé. Mais c’étaient de simples oublis de la part de Chappuzeau plutôt que des créations de dernière minute : Amarillis avait été représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1652, tandis que Délie avait vu le jour au Palais-Royal en octobre 1667. Pourtant la meilleure preuve de la composition ou plutôt de la transcription du texte original du Théâtre françois est fournie par certaines remarques concernant l’acteur et orateur du théâtre du Marais, La Rocque, qu’on trouve au chapitre XLIX du Livre III. D’après ces indications, le manuscrit aurait été rédigé au mois de septembre 1673 et le texte de l’imprimé parachevé en janvier 1674 37 . Ce n’est donc pas par hasard que le 21 septembre 1673 le théâtre du Guénégaud a payé à Chappuzeau la somme de 55 livres 10 sols, sans doute la comédie pendant la prochaine année qui commencera le mercredy des Cendres 1660 pour finir à pareil jour de 1661 » (rubrique « Histoire des troupes : Documents inédits », Revue d’histoire du théâtre, I (1948-1949), p. 159). Voir Le Théâtre françois, notes 242 et 289. 36 La Grange, Registre, t. I, pp. 153-154 ; Clarke, Guénégaud, t. I, p. 211. 37 Voir les notes 399 et 461. Le « Dessein de l’ouvrage », qui sert de préface à la version imprimée, parle d’une liste des comédiens de l’Hôtel de Bourgogne et de l’Hôtel Guénégaud « jusqu’à la fin de l’année présente 1673 ». Sans doute Chappuzeau s’est-il un peu perdu dans ses dates de fin décembre/ début janvier lorsqu’il préparait la mise à jour de son texte. <?page no="23"?> Introduction 23 en récompense de l’éloge qu’il venait de faire des comédiens et en particulier de Molière, mort depuis sept mois mais qui restait et resterait l’âme de la nouvelle Troupe du Roy 38 . On peut se demander pourquoi un manuscrit autographe du Théâtre françois se trouve en Russie. Alexis Vesselovsky se posa la question en 1881 39 et voici sa réponse : « Il me reste à dire que les conservateurs du département des manuscrits [du musée Roumiantseff à Moscou] n’ont pu trouver aucune indication sur la provenance de ce manuscrit. Comme le comte Roumiantseff, riche Mécène et chancelier de l’Empire, avait des agents partout en Europe, surtout parmi les diplomates russes, il se pourrait qu’un de ces émissaires ait eu la bonne fortune de ramasser ce manuscrit dans quelque vente forcée ». (vii) Entre manuscrit et imprimé Au cours des quelques mois qui séparèrent la transcription du texte manuscrit et son impression à Lyon, Chappuzeau effectua un certain nombre de corrections qui changent le ton de son argument. On voit d’abord qu’il essaie de maîtriser son exubérance habituelle. Voici quelques exemples : « l’excellence de ses ouvrages » par laquelle Molière a soutenu la troupe du Palais-Royal devient « ses ouvrages » (Livre III, chapitre XXXI) ; la « grande civilité » des comédiens envers tout le monde est remplacée par « leur civilité » (Livre III, chapitre XXIV), leurs « belles aumônes » par « leurs aumônes » (Livre III, chapitre VI), leur émulation « très utile » par une concurrence seulement « utile » (Livre III, chapitre XIX). Ensuite il modère sa critique. En 1673 il remarquait dans les troupes de campagne « le peu d’expérience de plusieurs personnes qu’on y reçoit sans discernement », créant ainsi une « grande différence » entre les troupes de Paris et celles de la province. Début 1674, ces plusieurs personnes « n’ont pas tous les talents nécessaires » et la différence est de taille normale (Livre III, chapitre XIII). A la suite de la mort de Molière, la compagnie qu’il avait dirigée se désagrégeait, « quatre des principaux s’étant engagés avec la Troupe royale ». Mais, avec du recul, la remarque selon laquelle « La Thorillière, Baron, Beauval et sa femme furent reçus à l’Hôtel de Bourgogne avec grande joie et causèrent au Palais-Royal une très grande surprise » est discrètement supprimée (Livre III, chapitre XL). Quant au caractère des comédiens, « l’injustice et […] 38 Clarke, Guénégaud, t. I, p. 8 ; La Grange, Registre, t. II, p. 120 (55 livres). 39 Alexis Vesselovsky, « Le manuscrit de Chappuzeau », Le Moliériste, III, n° XXVII (1 er juin 1881), pp. 81-87 (p. 86). Voir aussi infra, « Choix et établissement du texte ». <?page no="24"?> 24 Introduction la malice » de ceux qui le critiquaient sont remplacées par l’injustice seule. Dans le même domaine, Chappuzeau réexamine sa terminologie religieuse. Les Cardinaux deviennent « les principaux directeurs du Christianisme », les prêtres des « gens dévoués au service de l’Eglise », les habits d’évêques et de moines des habits écclésiastiques (Livre I, chapitre XV). Mais Chappuzeau, avide compilateur, n’hésite pas à ajouter des détails à son récit manuscrit. La dame qui soutenait les comédiens français à Amsterdam devient une « dame de qualité et d’esprit » et son mari bourgmestre n’est pas seulement considérable mais riche (Livre III, chapitre XVI). Le Roi de France entretient les acteurs à son service, mais il est important de savoir qu’il leur paie régulièrement leurs pensions (Livre III, chapitres XXI et XXXI). Les gens de qualité profitent du jeu des acteurs, ils les estiment, cependant en 1674 ils « tirent du plaisir de leur conversation » (Livre III, chapitre XXII). Le trésorier d’une troupe peut compter sur des gens riches pour lui faire une avance, si besoin est (Livre III, chapitre LI). En somme, Chappuzeau se soucie de rappeler aux lecteurs de la version imprimée de son texte la générosité des mécènes et la nécessité d’un bon système de protection financière si le théâtre français va continuer « dans son lustre ». Enfin, on remarque un petit nombre de passages où Chappuzeau se ravise, par exemple lorsqu’il parle des auteurs à qui les troupes offrent habituellement l’entrée gratuite. En 1673 « il y a très peu de gens » à qui elles font la même civilité, mais le nombre se trouve augmenté en 1674 (Livre III, chapitre XXII). (viii) Les objectifs de Chappuzeau Il est important de bien cerner la problématique envisagée par Samuel Chappuzeau si on ne veut pas mésestimer les résultats de son travail. Le Théâtre françois ne s’insère pas dans la lignée des textes théoriques qui cherchaient, au XVII e siècle, à examiner « la conduite du Poëme Dramatique » ou « les Loix du Theatre », objectifs qu’il rejette dans sa dédicace « Aux Amateurs du Theatre ». Le même document précise que Chappuzeau se limite à une présentation concise de « l’usage de la Comédie », du « travail des Autheurs » et de « la conduite des Comediens », trois aspects de la vie théâtrale qu’il étudie l’un après l’autre dans les trois livres de son ouvrage. Si l’héritage du théâtre antique, esquissé rapidement dans le texte manuscrit, se voit développé dans la « Suite des Orateurs » ajoutée en 1674, il n’en reste pas moins que la plus grande partie de ses catalogues et commentaires est consacrée aux « Pieces qui ont esté representées depuis cinquante ans » (Livre II, chapitre II) et aux conditions matérielles dans lesquelles elles ont été montées. <?page no="25"?> Introduction 25 Il ne s’est pas proposé non plus de fournir un tableau exhaustif de la production théâtrale ou de la vie des comédiens. Si Chappuzeau affirme que « [j]e puis méme dans la quantité des Pieces qui ont esté representées depuis cinquante ans, en avoir omis quelques unes des moins considerables, qui ont échapé à ma memoire, et au soin que j’ay pris de les rechercher » (Livre II, chapitre III), la litote cadre bien avec une de ses méthodes de travail principales, l’accumulation de faits accompagnée de remarques où il avoue son insuffisance et sollicite des compléments d’information en vue de créer un ouvrage avec une multiplicité de contributions. En ce qui concerne le théâtre, il faut se rappeler le nombre très restreint de représentations accordées à la plupart des pièces au XVII e siècle, le tirage limité des éditions de pièces individuelles, la rareté de la publication d’œuvres complètes, et les spectacles professionnels ou semi-professionnels peu nombreux, surtout en province. La France a beau être le pays le plus peuplé d’Europe, avec entre 18 et 20 millions de citoyens, et Paris, une des plus grandes villes européennes, a beau avoir quelque 500.000 habitants, la population instruite et ses besoins en matière de représentations et de lectures restent très limités. La réserve que Chappuzeau exprime est donc le résultat à la fois des circonstances dans lesquelles il se trouve et de la modestie typique qui accompagne son patient labeur (le « soin que j’ay pris »). Là où Le Théâtre françois fait date, c’est dans la description qu’il donne des relations qui existaient entre auteurs et comédiens (Livre II) et surtout de la routine journalière des troupes (Livre III, de loin le plus long). La date de composition permet à Chappuzeau de tirer des conclusions fondées sur plusieurs décennies de documentation, depuis les premières années du théâtre du Marais et les compagnies qui ont assuré son succès jusqu’à la jonction toute récente de cette troupe avec les restes de celle de Molière et leur rivalité constante avec les Grands Comédiens de l’Hôtel de Bourgogne. Si la période 1630-1680 est d’une importance capitale dans le développement du classicisme, d’un théâtre plus régulier, épuré, elle n’est pas moins intéressante pour les changements qui se sont produits dans le statut des auteurs dramatiques, la professionnalisation, si l’on veut, du métier d’écrivain, et dans le rôle des acteurs et actrices, des gens, eux aussi, qui commençaient à acquérir une respectabilité et, avec cela, une aisance non négligeable. Afin de situer ces transformations, Chappuzeau prend soin d’évoquer, dans son premier Livre, le débat sur la moralité du théâtre. Pour ce réformé convaincu, il ne s’agit pas de s’immiscer dans les arguties des laxistes ou des rigoristes, côté catholique ou côté protestant. Son but est bien plutôt de présenter le point de vue de Monsieur Tout-le-monde, passant par-dessus les confrontations pour s’adresser à l’auditeur « sage et intelligent » qui saura « tirer un bon usage de la Comedie » (Livre I, chapitre XI). <?page no="26"?> 26 Introduction (ix) Conclusion Au terme de sa vie, après près de vingt années passées dans la sécurité financière, sociale et religieuse de la cour protestante de Celle, même ses détracteurs les plus acharnés auraient sans doute espéré pour Samuel Chappuzeau une fin non seulement digne mais heureuse. Si on peut croire le membre de la famille qui, en 1760, se disait en possession du sonnet qui suit, composé à l’âge de 76 ans trois jours seulement avant sa mort en août 1701, l’auteur du Théâtre françois et de tant d’autres écrits, éphémères ou durables, avait trouvé, in extremis, la protection à la fois humaine et divine que toute sa vie durant il avait tant recherchée : Agé, sans bien, sans yeux, je ne sers, ce me semble que d’embarras au monde et je le dis à Dieu. A d’autres châtiments voudrois-je donner lieu ? et n’est-ce pas assez de ces trois maux ensemble ? Plus de jours l’homme vit, plus d’ennuis il s’assemble Des miens depuis longtemps j’ai passé le milieu ; La mort sur mon sein appuyant son épieu M’appelle au tribune (sic), m’y conduit et j’en tremble. Mais pourquoi m’effrayer de l’horreur du tombeau ? de ne voir plus au jour le céleste flambeau Soucis, vieillesse, en vain vous me faites la guerre. J’ai pour me soutenir contre tous vos efforts Un Dieu très-bon au ciel, un Prince sur la terre, L’un a souci de mon âme et l’autre de mon corps 40 . Ces mots d’un moribond reflètent sa croyance en « la Providence divine, qui ne manqua jamais à ceux qui l’adorent et qui s’y reposent comme il faut. Je dis comme il faut ; parce que selon moy, il faut agir et se servir de ses forces, comme s’il n’y avoit point de Providence ; et qu’il faut s’attendre à la Providence, comme si l’on n’avoit ni pieds ni mains […] Dieu a un soin particulier de ceux qui sans se relascher du travail ont un grand et magnifique espoir en sa providence 41 ». Toujours avide du gain, Chappuzeau fait preuve d’une morale protestante privilégiant le labeur qui lui apportera ce qu’il faut pour subvenir à ses besoins mais sans ambitionner l’autoglorification. Même si son grand dictionnaire est destiné à ne pas voir le jour, « je seray content, quand je n’en tirerois jamais d’autre avantage que d’y avoir travaillé pour ma propre 40 H. K. Eggers, « Samuel de Chappuzeau », Zeitschrift des historischen Vereins Niedersachsen, 42 (1880), pp. 265-273 (p. 271). 41 Chappuzeau, L’Allemagne protestante, Genève : Widerhold, 1671, pp. 104-105. <?page no="27"?> Introduction 27 satisfaction, et pour aprendre mille belles choses que j’aurois ignorées, sans mon application à ce travail 42 ». Il y a peu d’auteurs français du XVII e siècle qui aient eu une vie plus mouvementée ou plus pénible, qui se soient essayés à tant de genres, le plus souvent avec un succès assez modeste, ou qui aient adhéré avec plus d’acharnement à cette profession précaire d’homme de lettres qui, malgré ses nombreuses vicissitudes, lui fournissait non seulement de quoi vivre chichement mais un certain rang ou respect dans les cours princières francophones d’Europe. Si sa foi protestante lui fermait toujours des portes et surtout les bourses qu’il aurait voulu forcer, à Lyon et à Genève comme à Paris, il serait imprudent de considérer Chappuzeau comme un simple compilateur toucheà-tout. Les quelques erreurs qui se sont glissées dans les énumérations du Théâtre françois, les trous qui existent dans certaines de ses listes, l’ingénuité qui lui fait croire que parmi les comédiens francais, tant à Paris qu’en province, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, tout cela ne diminue en rien l’intérêt que nous offre ce petit livre qui a comme assise une connaissance directe et assez intime des trois grandes troupes qui ont partagé la représentation de la plupart de ses pièces de théâtre. Il se vante, dans sa dédicace à Truchi, d’une amitié particulière avec deux grands acteurs très influents, Montfleury et Floridor. Si son livre ne comporte pas les analyses de textes que nous aurions appréciées, si on n’y trouve pas des remarques inédites sur la mise en scène, sur la déclamation des acteurs, sur la nature des différents genres dramatiques, si la critique en est largement absente, il n’y a pas de quoi s’étonner : cet homme qui passait de nombreuses années hors de France ne risquait pas d’envisager des sujets, d’inventer des perspectives, de poser des questions que ses compatriotes, même basés à Paris, n’avaient pas encore imaginés. Fin observateur du comportement des gens, fidèle rapporteur de ce qu’il a vu, lu et entendu, Chappuzeau a le grand mérite de nous avoir laissé un récit personnel qui, dans ses propres termes, nous ouvre une fenêtre sur la vie théâtrale de l’époque classique, à un point culminant de son développement. 42 Lettre du 25 juin 1694 à Louis Tronchin, BPU Genève, Archives Tronchin 43, f° 8. <?page no="29"?> 2. Chronologie 1625 Samuel Chappuzeau est né à Paris et baptisé à Charenton le 16 juin. Famille protestante, d’origine poitevine et appartenant à la noblesse de robe. Le père, Charles Chappuzeau (1564 ? -1645), fut pendant plus de quarante ans et peut-être même cinquante ans (L’Europe vivante, 1669, pp. 102-103) avocat au Parlement de Paris, puis secrétaire du Conseil privé du Roi. Il a composé plusieurs ouvrages, dont De la justice et de la paix … La mère, Anne Poullet, née à Sedan le 14 janvier 1582, lui donne au moins quatre fils et deux filles et meurt à Paris le 13 janvier 1641. 1638 Est envoyé par son père au collège calviniste de Châtillon-sur-Loing avant de faire des études de philosophie et de médecine à Genève. « Je qui des l’aage de treize ans/ plus enfant que tous les enfans/ sortis du logis de mon Pere/ où je faisois tres bonne chere/ par un caprice d’Ecolier/ qui ne peut vivre en son pallier » (« A Mlle de Longueville », Recueil, p. 106). 1640 Revient à Paris. 1641 Bretagne. A l’âge de seize ans, Samuel abjure le protestantisme devant Monseigneur René du Louet, évêque de Quimper-Corentin. En exil volontaire, en Bretagne et ailleurs. 1642 Revient à Paris, à sa famille et au protestantisme. « Je suis bien aise d’avoir lieu de faire connoître icy à tout le monde, que je suis né Protestant, que je mourray Protestant, et […] il n’y a rien au monde qui soit capable de m’oster ce que j’ay incessamment dans la pensée : Qu’il ne sert à rien à l’homme de gagner tout le monde, s’il fait perte de son ame. C’est une leçon pour bien des gens, et je crois m’expliquer assez sans en dire davantage » (L’Europe vivante, 1669, Au Lecteur). Rencontre Mlle de Gournay, rue Saint-Honoré ; discussions avec elle sur le théâtre (Théâtre françois, Livre I, chapitre VI). <?page no="30"?> 30 Chronologie 1643 A l’âge de 18 ans (L’Europe vivante, 1667, p. 305), va à Montauban ; études de théologie. Devient proposant, selon L’Orateur chrétien (Paris : O. de Varennes, 1675, p. 111). Le Recueil, sur la page de titre, désigne Chappuzeau comme « F. M. D. S. E. », c’est-à-dire fidèle ministre du Saint-Evangile. 1645 Mort de son père à Poitiers. Son héritage va à ses deux beaux-frères : « quoy que la fortune (pour me servir des termes du siecle) ne me soit pas favorable, et que mes plus proches me retiennent mon bien avec cruauté… » (L’Europe vivante, 1669, Au Lecteur). Chappuzeau se laisse aller à « la demangeaison que J’ay euë dans ma jeunesse de voyager, et de connoître le génie des differens peuples de l’Europe » (Suite de l’Europe vivante, 1671, p. 5). Voyage en Angleterre et en Ecosse comme précepteur d’un jeune noble. Se rend à Edimbourg, où il est reçu par des nobles écossais et irlandais, surtout par un comte « Kinkaerde » (L’Europe vivante, 1667, p. 216. S’agit-il de Kincardine ? Le titre de « Earl of Kincardine » a été créé pour Thomas Bruce en 1647 justement). Visite aussi St Andrews, ainsi que la cour de Charles 1 er . 1648 Mort de son élève. Avant la fin de l’année, Chappuzeau quitte l’Angleterre pour la Hollande. 1649 Il y séjourne jusqu’à la mi-1650, mais écrira le 1/ 10 novembre 1650 à d’Haumalle : « vous bénires avec moy le moment auquel j’abandonnay la Hollande, où je n’eus jamais de suport qu’aupres de vous » (Recueil, pp. 11-12). Rédige des poèmes et commence la traduction des Colloques d’Erasme. Il a comme amis coreligionnaires le grand savant Claude Saumaise (1588-1653) et le prédicateur Alexandre Morus (1616-1670), qui occupera une chaire de théologie à Middlebourg en 1649 mais s’installera bientôt après à Amsterdam. Dans un sonnet contemporain (Recueil, p. 136), Chappuzeau appelle « le grand Sommaise » Jupiter et Morus Mercure. 1650 Après un passage à Brême, il va à Kassel, chez la Landgräfin calviniste Amalie Elisabeth von Hessen-Kassel. « Je suis dans un lieu enchanté et qui m’ôte presque le souvenir de tous les autres ; je n’y decouvre rien que de pompeux et de magnifique, et sans parler de la bonne chere, j’y treuve mille contentemens et dans la beauté du sejour, et dans la conversation des personnes. Ce sont tous esprits polis et déliés a qui notre langue est familiere, et j’ay de la <?page no="31"?> Chronologie 31 peine à m’imaginer que je sois en Allemagne, quand je n’entens parler icy que françois » (Recueil, pp. 16-17). Il commence à rédiger une histoire du règne d’Amalie Elisabeth, mais la mort prématurée de la comtesse préviendra le dessein qu’elle a eu (L’Europe vivante, 1667, p. 334). « Je suis pourtant étably en quelque facon, et Dieu mercy ce n’est pas mal allé en deux mois que m’étre mis en la posture où je suis. Je ne puis bien vous dire si je dois passer pour predicateur ou pour secretaire : mais au moins je presche et j’ecris des Lettres » (lettre du 15/ 25 novembre 1650 à Monsieur Justel, secrétaire du Roi, Recueil, p. 32). Son premier ouvrage important, le roman Ladice ou les Victoires du Grand Tamerlan, Paris : T. Quinet, 2 vol. in-8° (« Première partie » et « Suite »), est signé simplement « C » dans les deux dédicaces. Chappuzeau le dit sien plus tard lorsqu’il en fait la tragi-comédie Armetzar (1658). Le privilège, accordé au libraire, est du 11 septembre, l’achevé d’imprimer du 29 novembre 1649. 1651 3 août : Mort d’Amalie Elisabeth. Chappuzeau part pour Lyon, où il devient correcteur d’imprimerie (selon le père Claude-François Menestrier, Les Divers caractères des ouvrages historiques, Lyon : J. Collombat, 1694, p. 271). La même année sans doute, il épouse Maria de la Sarraz ou della Serra(z), née en 1631 à Cossonay, alors en Savoie, selon Leroy-Fournier (« Les origines poitevines de l’écrivain protestant Samuel Chappuzeau », p. 122). Elle lui donnera cinq enfants : quatre fils et une fille, née en 1661 et qui semble être morte en très bas âge. 1653 Dix Colloques d’Erasme fort curieusement Traduits de Latin en François. Pour l’usage des amateurs de la Langue (Leyde : Adrian Vingart, 1653) semblent être de Chappuzeau (Crow, éd. de Chappuzeau, Le Cercle des Femmes et L’Académie des Femmes, p. xiii ; Defaux, « Un évangélique au pays de la Contre-Réforme : Erasme en France au XVII e siècle », p. 361, note 30). 1656 début : Lyon dans son lustre, publié à ses frais à Lyon chez Scipion Jasserme. Pendant son séjour de cinq ans à Lyon, Chappuzeau a dû assister à des représentations de la troupe de Molière qui y a séjourné fin 1652, début 1653, puis plusieurs mois en 1654 et de nouveau en 1655. « La Comedie pour n’être pas fixe comme à Paris, ne laisse pas de se jouër icy à toutes les saisons qui la demandent, et par une troupe ordinairement qui toute ambulatoire qu’elle est, vaut bien celle de l’Hôtel [de Bourgogne] qui demeure en place » (Lyon dans son lustre, p. 43). <?page no="32"?> 32 Chronologie avril : Le Cercle des femmes, Entretien comique tiré des Dialogues d’Erasme. Suivy de l’Histoire d’Hymenée. Comédie en prose composée de six « entrées » ou scènes : « Cet entretien qui n’est pas assez étendu ny assez dans les regles pour tenir lieu d’une comedie, mais qui d’ailleurs vaut mieux qu’une farce … » (Argument). La pièce influencera Les Précieuses ridicules (1659). La permission de cette édition, publiée à Lyon chez Michel Duhan, indique que la pièce a été composée « par le Sieur Chappuzeau ». Une autre édition paraîtra à Paris, chez Charles Cabry, en 1663 avec un texte inchangé mais un nouveau titre : Le Cercle des femmes, ou Les secrets du lict nuptial, entretiens comiques. A Lyon, Chappuzeau fait la connaissance du grand voyageur Jean-Baptiste Tavernier, ainsi que celle du docteur Charles Spon, qui correspond avec Guy Patin. été : Chappuzeau quitte Lyon. Il passe sans doute par Paris et offre la tragicomédie Damon et Pythias ou Le Triomphe de l’Amour et de l’Amitié à la troupe nouvellement constituée du Théâtre du Marais, rouvert en avril 1655 (Deierkauf-Holsboer, Marais, t. II, p. 89). 2 e moitié de septembre : Amsterdam. Séjour de quatre ans et demi en Hollande. 1657 janvier : Fait imprimer à Amsterdam, chez Jean Ravesteyn, la tragi-comédie Damon et Pythias, ou Le Triomphe de l’amour et de l’amitié. Il s’agit de 1.500 vers écrits en quinze jours : « j’avoue que je n’ai pas employé tout le temps qu’il faudroit pour un Ouvrage achevé, et que d’ailleurs je ne fais pas profession de fournir le Théatre » (Dédicace). La pièce a été représentée non seulement à Paris, mais aussi à Bruges au cours de l’hiver. Une deuxième édition paraîtra en 1672 sous le titre Les Parfaits amis ou Le Triomphe de l’amour et de l’amitié. Une troisième édition, avec le titre d’origine, sort à Amsterdam, chez H. Schelte, en 1705. 1658 Armetzar ou les Amis ennemis, tragi-comédie imprimée à Leyde chez Jean Elsevier. Il semble que la pièce n’ait jamais été représentée. « Si j’ay tiré le sujet de cette piece d’un Roman qui court depuis quelques années soûs le nom de Ladice, ou des Victoires du Grand Tamerlan ; soit qu’il t’ayt plû, ou qu’il t’ayt mal diverti, je veux bien que tu sçaches que je ne puis apprehender de poursuitte pour ce larcin, si je ne me rens partie contre moy méme » (Dédicace). <?page no="33"?> Chronologie 33 15 mars : La Haye : lettre à Monsieur [Charles] Spon (1609-1684), docteur en médecine, membre d’une grande famille protestante lyonnaise. « Pour me rendre encore un peu considerable aupres de vous, apres la faute que j’ay commise à Lyon, et qui m’a dû rendre indigne de votre amitié, je vous diray que je vous ay toûjours honoré et estimé plus qu’homme du monde […] j’ay un emploi honorable aupres de Messieurs des Estats depuis le commencement de l’année, avec apparence de parvenir à quelque chose de meilleur par le moyen de mes amis que je me puis vanter d’avoir icy en grand nombre ; c’est pour faire les expeditions étrangeres en Latin et en françois ». Amitié avec Comenius : « Il demeure maintenant à Amsterdam […]. Nous sommes fort bons amis, et nous avons commerce chaque jour ensemble ». Chappuzeau envoie à son correspondant lyonnais « une petite comedie de ma facon qui a receu aussy quelques applaudissemens à Paris » ; il demande qu’on lui fasse parvenir « ma traduction des Dialogues d’Erasme » et que « Messieurs du Consistoire » de l’Eglise réformée de Lyon entreprennent « de vouloir achever l’œuvre qu’ils ont commencé, et me faire la grace, de faire partir aussy tost l’enfant dans le coche ». Un des fils de Chappuzeau devait se rendre de Lyon à Paris avec un accompagnateur, qui a reçu la somme de trente-six livres le 11 juillet 1658 « pour la conduite ». 1 er août : Lettre au docteur Spon. Reconnaissance envers le correspondant et le Consistoire de Lyon pour l’arrivée de son fils à Paris : « J’espere […] que je pourray vous être à tous moins inutile de loin que de pres ». 1659 1 ère moitié : A La Haye, Chappuzeau devient un des précepteurs de Guillaume III d’Orange (9 ans), futur roi d’Angleterre. Protégé par la Princesse Royale, Marie Henriette Stuart, mère de Guillaume, veuve de Guillaume II et fille de Charles I er d’Angleterre. début novembre : Accompagne Guillaume III à Leyde, en compagnie de Constantin Huygens (1596-1687), père de Christian Huygens. 1660 mai : Il accompagne Guillaume d’Orange qui rend visite à Charles II « dans le vaisseau méme qui le reportoit triomphant en Angleterre » (L’Europe vivante, 1667, p. 156). 24 décembre : mort de la Princesse Royale. <?page no="34"?> 34 Chronologie 1661 début : L’éducation du prince est confiée à sa grandmère. En plus, Chappuzeau a des ennuis financiers (« Mes gages de prés de 2 ans m’y sont dû (sic) » (Meinel, p. 12). fin avril : Il revient à Paris et ouvre un pensionnat pour les jeunes des meilleurs cercles parisiens, rue Saint-François (Meinel, p. 13). 6 mai : Première représentation au Palais-Royal du Riche mécontent (indiqué comme Le Riche impertinent dans le Registre de La Grange), comédie en 5 actes. Sept autres représentations les 8, 10, 13, 15, 17, 20 et 22 mai. Recettes globales : 2116 livres, soit 264 livres 10 sols en moyenne. Ensuite, à cause d’une brouille avec la troupe ou avec Molière lui-même (Meinel, p. 13) ou peut-être parce qu’il préférait le style emphatique des Grands Comédiens (Crow, éd. cit., p. xxi), Chappuzeau donnera la pièce à l’Hôtel de Bourgogne, où elle sera jouée en l’été de 1662 (Deierkauf-Holsboer, Hôtel de Bourgogne, t. II, p. 107). été (ou octobre, selon Haag, La France protestante, 2 e éd., t. IV, col. 23) : Représentation au Marais de L’Académie des femmes, version en vers et en trois actes du Cercle des femmes de 1656 mais avec un dénouement différent, plus proche de celui des Précieuses ridicules que Chappuzeau a peut-être vues au Palais- Royal (par exemple à la représentation du 12 juin 1661). La pièce est imprimée à Paris, chez Augustin Courbé et Louis Billaine (privilège du 13 octobre, achevé d’imprimer du 27 octobre). Une deuxième édition paraît chez les mêmes libraires en 1662. La pièce en vers paraîtra de nouveau, avec un texte inchangé mais sous le titre trompeur du Cercle des femmes, à Lyon chez Girin et Rivière sans date [1671], la même année à Lyon dans La Muse enjouée de Chappuzeau et à Genève dans ses Œuvres meslées, puis en 1674 à Lyon dans La Muse enjouée. 1662 janvier : Il fait imprimer à Paris chez Louis Billaine et Thomas Jolly sa traduction des Entretiens familiers (ou Colloques) d’Erasme, trente dialogues organisés en trois « décades » et prêts depuis dix ans (Meinel, pp. 13, 43-44 ; Crow, éd. cit., p. xiii : « on remarque surtout dans le texte de 1662 des omissions prudentes de plaisanteries théologiques, politiques et sociales »). Une 2 e édition, remaniée, moins prudente et avec vingt autres entretiens (cinquante en tout), verra le jour à Genève en 1669. Représentations par la Troupe royale (Hôtel de Bourgogne) du Riche mécontent, ainsi que des premières de L’Avare duppé et du Colin-Maillard. Donc cinq pièces entre 1656 et 1662, représentées par les trois grandes troupes parisiennes. <?page no="35"?> Chronologie 35 juillet : Naissance du cinquième enfant de Chappuzeau, un fils, Jean, baptisé le 2 juillet au temple de Charenton (Haag, 2 e éd., t. IV, col. 12). 31 juillet : Le Colin-Maillard, comédie facétieuse en 1 acte et en octosyllabes, est publié à Paris chez Jean-Baptiste Loyson et Jean Ribou avec un privilège du 8 juin 1662. La pièce, profitant de l’engouement pour les farces en octosyllabes entre 1659 et 1662, a été représentée à l’Hôtel de Bourgogne peu de temps auparavant. 1 er août : Le Riche mécontent ou le Noble imaginaire (5 actes et en alexandrins), représenté en mai 1661, est publié à Paris chez Ribou et Loyson avec un privilège du 8 juin 1662. La dédicace à Mademoiselle, datée du 6 mars 1662, permet à Chappuzeau de lui « rendre mes premiers hommages ». Cette pièce, que La Grange appelle Le Riche impertinent, se fera appeler aussi Le Partisan duppé et, accompagné d’une nouvelle dédicace, fera partie de La Muse enjouée et des Œuvres meslées de Chappuzeau. été : Représentation de L’Académie des femmes (Marais). En même temps Chappuzeau est impliqué dans une affaire de morale lorsque son ami Alexandre Morus, nommé pasteur du temple de Charenton en 1659, est accusé par certains collègues d’avoir des mœurs dissolues. 3 septembre : Maladie de la femme de Chappuzeau, suivie de sa mort peu de temps après. ? : Il épouse en deuxièmes noces Marie Trichot dont il aura sept enfants (cinq filles et deux fils), faisant douze enfants en deux mariages. octobre : Chappuzeau et sa deuxième épouse quittent Paris pour Genève, où il restera vingt ans mais en y résidant pendant moins de dix ans. Il gagne sa vie comme professeur de géographie. 23 novembre : L’Avare duppé ou l’Homme de paille, comédie en 3 actes et en alexandrins achevée avant son départ de Paris et avec un privilège du 28 septembre 1662, est imprimé à Paris chez Gabriel Quinet et Guillaume de Luynes (la page de titre porte la date 1663). Huit ans plus tard, Chappuzeau changera le titre (qui devient La Dame d’intrigue ou le Riche vilain) et dédie sa pièce à la duchesse de Savoie. décembre : Genève délivrée, comédie sur l’Escalade dont la représentation et la publication sont interdites par le Conseil de Genève. La pièce avait été <?page no="36"?> 36 Chronologie rédigée « en faveur de la jeunesse pour l’accoustumer à se produire en public » (Au Lecteur) et pour commémorer le jour en décembre 1602 où Genève s’est émancipée définitivement de son suzérain féodal, le duc de Savoie. Le texte sera imprimé pour la première fois en 1862, à Genève, chez J.-G. Fick. A partir de cette année, Chappuzeau n’écrit plus de grandes pièces de théâtre, mais s’adonne à la composition de poèmes de circonstance, d’ouvrages en prose (descriptions historiques et géographiques des endroits qu’il a visités), de sermons et d’autres écrits d’ordre théologique, une Histoire des joyaux et des principales richesses de l’orient et de l’occident (Genève : Jean Hermann Widerhold, 1665 ; seul le deuxième tirage en 1669 fournit un nom d’auteur), mais surtout les trois étapes de son Europe vivante, relation historique et politique des états européens (Genève : Widerhold, et Paris : Jean du Bray, 1667, 528 pages in-4°). Dans une deuxième édition (1669), il ajoute un supplément de 326 pages. Son Allemagne protestante, récit de son voyage de 1669 aux cours princières, paraît à Genève chez Widerhold en 1671, mais aussi, pour ses lecteurs non-réformés, sous le titre de Suite de l’Europe vivante. Les trois parties de l’œuvre sont traduites en allemand et commencent à paraître sous le titre Jetztlebendes Europa chez J. G. Schiele à Francfort dès 1670. 1663 Grâce à son amitié avec le cartographe hollandais Joan Blaeu, Chappuzeau contribue une « Description exacte De La Hesse » au t. III du Grand atlas, ou cosmographie Blaviane, 12 vol., Amsterdam : J. Blaeu, 1663. Chappuzeau commence, seul, une série de voyages d’étude qui durera jusqu’en 1672 (entre autres, cours princières de Turin, de l’Allemagne, de l’Angleterre). Ces expériences lui fournissent la matière de ses publications historico-géographiques et lexicographiques. 1664 printemps : Chappuzeau réside à Genève jusqu’à la fin de 1666. Il travaille sur la première édition de son Europe vivante. 1665 Il publie, à Lyon à son compte, à Genève chez Widerhold et à Paris chez G. de Luynes, un manuel de langue, les Entretiens familiers, pour l’instruction de la noblesse étrangère. Une version franco-hollandaise paraîtra à Amsterdam en 1668. 1666 24 septembre : Chappuzeau et sa femme doivent hypothéquer tout leur mobilier pour emprunter « un millier de florins » (Haag, 2 e éd., t. IV, col. 13-14). <?page no="37"?> Chronologie 37 octobre : Chappuzeau devient citoyen de Genève, la Seigneurie lui accordant la bourgeoisie gratuite, ainsi qu’à ses quatre fils. Il livre le texte de L’Europe vivante à l’imprimeur, puis part en voyage pour presque un an : Lyon, ensuite Nîmes, Montpellier, Carcassonne, Toulouse, Bordeaux, Poitiers. Le livre sortira avant la fin de 1666, avec un deuxième tirage, plus connu, en 1667, d’où sont absentes des remarques sur « les Illustres Comediens de l’un et de l’autre sexe » qu’on trouve dans le premier tirage, pp. 315-322. 1667 février : Chappuzeau passe huit jours à Paris : il est reçu au Luxembourg par Mademoiselle ; il rencontre Condé à Chantilly ; il assiste à la dernière représentation d’un spectacle de ballet à Saint-Germain-en-Laye auquel Louis XIV participait (L’Europe vivante, 1669, p. 107). C’est sans doute le Ballet des Muses : la troupe de Molière est reçue à Saint-Germain du 1 er décembre 1666 jusqu’au 20 février 1667. Chappuzeau se plaint de ne pas se trouver, comme Molière et Racine, sur la liste des « Illustres à qui le Roy donne pension […] Les affaires font les hommes ; et la pension d’un grand Roy peut rendre un homme Illustre, quand il ne l’est pas d’ailleurs » (L’Europe vivante, 1667, p. 318). mars : Voyage en Angleterre (cour de Charles II, dédicataire de la première édition de L’Europe vivante ; duc et duchesse d’York ; visites aux théâtres de Londres ; assiste à des séances de la Royal Society). avril : Paris. automne : Berne, Zurich, Bâle, puis Mannheim et Heidelberg, ensuite Genève. 1668 Genève (travaux d’écrivain et de professeur). Chappuzeau rédige les descriptions de voyages fournies par l’illettré Jean-Baptiste Tavernier (1605-1689), que Tavernier « tiroit de sa tête et me dictoit en son patois sans avoir rien d’écrit » (Meinel, p. 18). 1669 mars : Commence à Paris un voyage de six mois pour « voir tous les Estats Protestants de l’Empire, et de la Suisse, ayant eu assez de loisir de bien connoître ceux des Pays bas » (Suite de l’Europe vivante, 1671, p. 7). fin avril : Séjour à Kreuznach. Chappuzeau est reçu par la Duchesse Palatine de Simmeren, née Princesse d’Orange, à qui il re-dédiera L’Académie des femmes (réimprimée sous le titre du Cercle des femmes, Lyon, 1671). <?page no="38"?> 38 Chronologie Son plus long séjour est à Bad Pyrmont auprès du duc et de la duchesse de Brunswick-Lüneburg (Lunebourg). Les Eaux de Pirmont, comédie en 3 actes, écrite « pour divertir les Ducs et tâcher de leur plaire » et apprise « en deux ou trois jours par d’excellentes memoires », est montée au mois de juin. C’est le dernier ouvrage dramatique de Chappuzeau, représenté « avec assez de succez » par « une belle Troupe de Comediens François » (Préface). L’opinion de la Duchesse Sophie de Hanovre, écrivant à son frère Charles-Louis le 14 juillet 1669, est moins positive : « On a joué hier une comédie qu’il [Chappuzeau] a faite, qui ne valoit pas grande chose ». Chappuzeau revient à Genève à la fin de l’été 1669 et ne la quitte plus avant mai 1671. Publication chez Widerhold en deux volumes des Entretiens familiers d’Erasme divisés en cinq décades, soit cinquante dialogues. Il s’agit de « l’ouvrage entier, dont il n’a paru jusques à cette heure que des pieces detachées » (Epistre). 1671 Publication de son Allemagne protestante ou Relation nouvelle … (Genève : Widerhold, 520 pages in-4°), qui connaîtra une deuxième édition en 1673. Pour ses lecteurs catholiques, Chappuzeau reproduit le même texte, également chez Widerhold, sous le titre de Suite de l’Europe vivante et le dédie à Frédéric Guillaume, marquis de Brandenbourg. Publication à Lyon chez Jean Girin et Barthelémy Rivière de La Muse enjouée ou le Theatre comique du Sr Chappuzeau. Le recueil contient quatre pièces : Les Eaux de Pirmont (représentées en 1669 et dont c’est ici sans doute la première publication) ; Le Partisan duppé (autrement dit, Le Riche mécontent ou le Noble imaginaire de 1662) ; Le Cercle des femmes (en vers : c’est une nouvelle édition de L’Académie des femmes de 1661) ; La Dame d’intrigue ou le Riche vilain (c’est L’Avare duppé ou l’Homme de paille de 1663). Publication chez Widerhold à Genève de la première édition des Œuvres meslées ou Nouveau recueil de diverses pieces galantes en vers par le Sieur S. C. qui comportent les mêmes quatre pièces (il n’y a pas de dédicaces, et La Dame d’intrigue est ici appelée Le Riche vilain, mais les textes et la pagination sont ceux de La Muse enjouée). mai et début juin : Chappuzeau à Turin ; visite chez le duc et la duchesse de Savoie. fin juin : Il va en Bavière. Visite ensuite le nord de l’Allemagne, le Danemark et peut-être la Suède avant de revenir à Genève. <?page no="39"?> Chronologie 39 20 octobre : Chappuzeau écrit de Leipzig à Louis Tronchin (1629-1705), pasteur et professeur à Genève : « On m’a fait en trois Cours des propositions assez honnorables et avantageuses pour un etablissement, je ne les ay pas rejettées, mais sans y repondre positivement, vous avoüant que j’ay beaucoup d’inclination pour Geneve, quoy que je n’y aye nulle subsistance que fort casuelle, et que je n’y fasse que le vil métier de petit maître d’Ecole, ce qui ne peut pas borner la moindre ambition d’un honneste homme ». Dans une Relation nouvelle de l’Etat présent de la Cour de Son Altesse Royale Charles Emanuel II, Duc de Savoye, Roy de Chypre publiée à Lyon à ses dépens après son voyage en Italie, il appelle le Duc « Comte de Genève »(p. 32), ce qui lui vaut d’être empêché de rentrer dans la ville de Genève. Néanmoins cette imprudence est conservée (p. 92) dans une deuxième édition de son récit intitulée Relation de l’estat présent de la Maison royale et de la Cour de Savoye (Paris : L. Billaine, 1673). Chappuzeau reprend le chemin de l’exil, jusqu’en 1678. 1672 septembre : Turin. octobre : Munich (Relation…, 1673, p. 168), puis environs de Genève et Paris. Rédaction des récits de Tavernier ; préparation par Chappuzeau de son Théâtre françois et de son Orateur chrétien. Selon le manuscrit et puis le texte imprimé du Théâtre françois (« Le Dessein de l’Ouvrage »), Chappuzeau a été aussi à Cologne au cours de l’hiver 1672-1673. 1673 Relation de l’estat present de la Maison Electorale et de la Cour de Baviere, Paris : L. Billaine. Texte autographe du Théâtre françois, « Pour la Troupe du Roy, à qui cet Ouvrage est particulierement devoüé » (Bibliothèque d’Etat de Russie, Moscou, MS f. 256, N 776). 1674 Impression de son Théâtre françois. 1675 L’Orateur chrétien ou Traité de l’excellence et de la pratique de la chaire, Paris : Olivier de Varennes. Seule une impression de 1676 porte le nom de l’auteur. Ce manuel, dédié à la duchesse Eléonore de Celle, profite de l’expérience que Chappuzeau a eue, depuis son passage à Brême en 1650, de s’exprimer en chaire, surtout devant les cours princières. <?page no="40"?> 40 Chronologie 1676 Les six voyages de Jean-Baptiste Tavernier, en deux tomes in-4°, paraissent à Paris chez Gervais Clouzier et Claude Barbin. Un t. III est confié à La Chapelle. Haag, 1 ère éd, t. II, pp. 339-340 : « N’ayant pu décider Tavernier à supprimer le jugement sévère qu’il porte sur la conduite des Hollandais dans les Indes, [Chappuzeau] renonça à poursuivre ce travail qui fut continué par le secrétaire de Lamoignon, La Chapelle. Cependant il fut en butte aux violentes attaques de Jurieu à qui il répondit par une Défense de S. Chappuzeau contre une satyre intitulée : “L’Esprit de M. Arnaud”. Il y établit qu’il ne s’est point occupé de la publicatioin du 3 e volume des Voyages de Tavernier ; qu’il était à Genève au moment où on l’imprimait à Paris, et que par conséquent il n’a pris aucune part, même indirecte, au blâme jeté par le voyageur sur la politique des Hollandais ». Christophe, fils de Chappuzeau né en 1656, obtient un poste de secrétaire privé auprès du duc de Brunswick-Lüneburg à Celle. Selon Leroy-Fournier (art. cit., p. 124), il entretient des relations suivies avec les huguenots poitevins du « Refuge », venus y chercher asile. Naissance de Vincent, douzième et dernier enfant de Chappuzeau. Infatigable compilateur, l’auteur du Théâtre françois commençait vers la fin de 1676 à préparer une Bibliothèque universelle ou Abrégé méthodique de l’histoire et de la géographie ancienne et moderne qui dépasserait dans son étendue les renseignements fournis par Louis Moreri (1643-1680) dans son Grand dictionnaire historique (1 ère édition, Lyon, 1674) et les sources où il a puisé. Appelée aussi Théâtre du monde, la Bibliothèque universelle allait s’appuyer sur des modèles existants, le Lexicon universale historico-geographico-chronologicopoetico-philologicum de Johann Jacob Hofmann (1635-1706), par exemple, publié à Bâle chez J. H. Widerhold en 1677 en 2 volumes in-folio (« J’en ay tiré le bon suc et je n’y ai rien laissé que ce qui ne pouvait en nulle manière s’accommoder avec notre dictionnaire français et que donner du dégoût et de l’ennui au lecteur »), ainsi que l’ouvrage de Moreri lui-même (« L’eau et le soleil sont à tous les hommes et il est permis de même à tous les hommes à l’égard des auteurs ce qui est permis aux abeilles à l’égard des fleurs. Nous nous pillons tous les uns les autres et feu M. Moreri ne m’a pas épargné dans mon Europe vivante »). Mais l’ouvrage de Chappuzeau allait comporter « plus de 5.000 articles nouveaux ». Le travail, qu’il devait remettre le 1 er octobre 1680, n’aboutira pas, malgré les remarques de Pierre Bayle dans la Dédicace de son Dictionnaire historique et critique (Rotterdam, R. Leers, 1697), t. I, p. 3 : « il y a eu d’autres choses qui m’ont mis fort à l’étroit. Mr. Chappuzeau travaille depuis long tems à un Dictionnaire historique. On peut être très-certain qu’on y trouvera parmi une infinité d’autres matieres, ce qui regarde la situation des peuples, leurs <?page no="41"?> Chronologie 41 mœurs, leur religion, leur gouvernement, et ce qui concerne les Maisons royales, et la genealogie des grans Seigneurs. Vous y trouverez en particulier avec beaucoup d’étenduë, tous les Electeurs, tous les Princes, et tous les Comtes de l’Empire, leurs alliances, leurs interêts, leurs principales actions. Vous y verrez par cet endroit-là les païs du Nord, et le reste de l’Europe Protestante. J’ai donc cru qu’il faloit que je me tusse sur ces grans sujets, afin de n’exposer pas les Lecteurs à la fâcheuse necessité d’acheter deux fois les mêmes choses ». Voir infra, 23 mai 1679 et 25 juin 1694. 1678 octobre : Chappuzeau demande l’autorisation de visiter Genève « pour venir assurer le Conseil de son respect et de son zele envers la Republique, non obstant les sinistres impressions qu’on avoit voulu donner de sa conduite au sujet de son Livre de l’Estat present des Cours d’Italie » (Meinel, p. 22). 1679 14 janvier : Après sept ans d’exil, Chappuzeau est autorisé à revenir à Genève en reconnaissant « sa faute et mauvaise conduite » et en promettant de « se comporter décemment ». février : Retour à Geneve. Il lui est interdit de donner des cours d’histoire et de géographie en public. 23 mai : Dans une lettre à Monsieur Spon fils (Jacob Spon, 1647-1685), médecin agrégé au Collège de médecine à Lyon, Chappuzeau confirme qu’il prépare un grand dictionnaire historico-géographique : « nos quatre gros volumes seront comme des archives publiques pour l’eternité ». Il remercie son correspondant de la « bonté que vous avez eue de me donner vos derniers avis, touchant l’amelioration de nôtre ouvrage, et de m’envoyer une liste des hommes illustres modernes, avec offre d’y ajoûter les abregez de leurs vies. […] ». Il sollicite surtout « de chacun des Ordres Religieux qui sont dans Lyon, Jesuites, Mendians et autres, un abregé de ce qui se peut dire de plus particulier de chacun des dits ordres, et de plus avantageux, principalement de leur antiquité, de leurs privileges et prerogatives, de leurs Grans hommes, et du nombre de leurs provinces et de leurs maisons ». La mort en 1683 de son éditeur Widerhold empêche la publication d’un ouvrage qui restera inachevé. 1682 Chappuzeau est nommé « gouverneur des pages » auprès du duc Georges- Guillaume de Brunswick-Lüneburg à Celle, une colonie française et protestante en pleine Allemagne, au nord-est de Hanovre. Il y rejoint son fils <?page no="42"?> 42 Chronologie Christophe (voir 1676). La duchesse, née Eléonore Desmier d’Olbreuse, était d’origine poitevine et calviniste ; le duc est luthérien. septembre : la famille de Chappuzeau quitte Genève pour la dernière fois et s’installe à Celle. « La Cour de Cell est magnifique, et comme je l’ay dit parest la plus gaye et la moins contrainte […] L’Evéque d’Osnabruc, et les Ducs de Cell et d’Hannover entretiennent depuis plusieurs années une excellente Troupe de Comediens François riches en habits, et qui executent admirablement leurs rôles […] cette Troupe suit quatre mois l’Evêque, quatre mois le Duc de Cell, et quatre mois le Duc d’Hannover » (Suite de l’Europe vivante, 1671, pp. 359, 348). 1684 Dernier grand voyage en Europe « dans toutes les Cours des Princes, où j’eus l’honneur d’être bien receu, pour m’instruire exactement de l’état présent des choses » (Meinel, p. 25). 1685 Une lettre du 27 février 1685 (Meinel, pp. 25, 65) prouve que, pendant une certaine période, Chappuzeau a publié une gazette chaque mois pour informer le Duc « de tout ce qui passeroit a Sa Cour et dans tout son païs », mais qu’il avait du mal à trouver autre chose qu’une « quantité de fadaises pour amplifier son Mercure et en rendre le recit d’une longueur raisonnable ». 1689 janvier : Une pastorale héroïque, Europe, « ornée de musique, de dances, de machines et de changemens de theâtre » (Celle : A. Holwein), est représentée à Celle. Chappuzeau, qui semble en être le librettiste, offre en préface un sonnet au duc de Brunswick-Lüneburg dans lequel il affirme son désir de plaire à son protecteur, « dans mon âge debile », « dans l’hyver de mes ans ». 1690 Chappuzeau publie à Celle, chez A. Holwein, imprimeur de la Cour, en 2 volumes in-8° son Idée du monde ou introduction facile et methodique a la cosmographie et a l’histoire. 1691 De 1691 à 1700 Chappuzeau entretient une correspondance assez suivie avec Leibniz, surtout à propos de son projet d’un Dictionnaire historique, géographique etc. (voir 1694). Les lettres sont conservées à la Gottfried Wilhelm Leibniz Bibliothek/ Niedersächsische Landesbibliothek à Hanovre. <?page no="43"?> Chronologie 43 1694 Il publie, à Celle également, le Dessein d’un nouveau dictionaire historique, geographique, chronologique et philologique, ouvrage qui ne verra jamais le jour. « J’ay entrepris un travail qui passe mes forces ; et un homme seul, quelque habile qu’il puisse être, et quelque tems qu’il luy soit permis d’y employer, en viendra difficilement à bout. […] C’est ce qui m’oblige d’exposer icy le projet et l’œconomie de ce Nouveau Dictionaire Historique, &c pour pressentir ce qu’on en pourra juger ; mais particulierement pour porter ceux à qui ce même projet ne déplaira pas, et qui prendront comme moy interêt au bien public, à me faire part de leurs lumieres. […] Je souhaitte que ces avis me viennent bientôt, parce qu’on me presse d’achever mon travail, et que dans les continuelles sollicitations de bien des gens qui s’y interressent, je ne pourray m’empêcher de le produire, dès que j’y auray mis la derniere main. Je me flate que les fondemens sont bons pour les trois étages que j’y veux asseoir ; je suis déja au second ; j’ay pour le reste tous mes materiaux assemblés, et rangez dans les places où je les dois employer ». 25 juin : Dans une lettre à Louis Tronchin, Chappuzeau écrit : « Je vous suis tres obligé de la peine que vous avez bien voulu prendre de jetter les yeux sur le projet de mon Dictionnaire, et de m’en écrire vos sentimens, ausquels je defereray toûjours avec beaucoup de respect ». Il propose de faire « un Ouvrage que les Protestans puissent lire sans degoût, ce qui ne leur peut arriver en lisant celuy de Moreri, et méme des deux Editions faites depuis deux ans en Hollande, où l’on a reformé et adouci tres peu de choses, jusques là qu’on peut dire que ce n’étoit pas la peine d’y mettre la main ». fin mars ( ? ) 1700 Dans sa dernière lettre à Leibniz, Chappuzeau envisage toujours de terminer son Dictionnaire historique : « Ce grand Ouvrage, qui embrasse avec l’Histoire et la Geographie, toute autre sorte de matiere philologique, ou tout ce qui se passe dans chaque régne de la nature ; et qui renfermant tout Hoffman, tout Moreri, tout Furetiere, tout [Thomas] Corneille, tout Gesner, tout König, et tous les Journaux des Ouvrages des Scavans, pourroit être nommé le Dictionaire des Dictionaires, comme le Jesuite Labbe a donné pour titre à un des siens, Bibliotheque des Bibliotheques ; ce grand Ouvrage, dis-je, remplira VI. justes Vol. in folio du caractere dit Cicero dans le jargon des Imprimeurs. Je me dispose à en mettre un exemplaire bien relié dans la Bibliotheque de chaque Prince, de qui j’auray reçû pour cela quelque douceur ; et un autre dans celle de Monsieur son Chancelier » (G. W. Leibniz, Sämtliche Schriften und Briefen, 1 ère série, t. 18, éd. M.-L. Babin, M.-L. Weber et R. Widmeier, Berlin : Akademie Verlag, 2005, p. 523). <?page no="44"?> 44 Chronologie 1701 31 août : Mort de Samuel Chappuzeau, à l’âge de 76 ans. Sa femme meurt à Celle le 12 mai 1714. <?page no="45"?> 3. Choix et établissement du texte Un manuscrit autographe du Théâtre françois, composé en 1673, dédié à la toute nouvelle Troupe du Roy et portant à la page de titre la signature authentique « Chappuzeau », est conservé à la Bibliothèque d’Etat de Russie (ancienne Bibliothèque Roumiantseff) à Moscou sous la cote Ms f. 256, N 776. Le manuscrit et la plupart des variantes ont été décrits dans un article d’Alexis Vesselovsky publié en 1881 43 . Il s’agit d’un in-quarto (f° 1 r°-f° 111 r°, les pages à partir du f° 11 r° étant numérotées par l’auteur de 1 à 207), où le texte de Chappuzeau est rédigé en une écriture très lisible et régulière, presque sans ratures et avec beaucoup moins de coquilles et de petites erreurs grammaticales que l’édition princeps. Ce beau manuscrit a servi de cadeau aux membres de la nouvelle troupe de l’Hôtel Guénégaud, formée en 1673 de la troupe du théâtre du Marais et des restes de celle du Palais-Royal, et en souvenir de Molière, mort le 17 février 1673. Sur les plats, ornés des armes de la France, se trouvent les mots en lettres d’or « pour la Troupe du Roy ». Le texte porte l’inscription, ajoutée par un conservateur, « Eloge de Moliere p. 150. 153. Moliere mourut l’annee que ce Livre fut ecrit » (f° 2 v°). Le Théâtre françois fut imprimé sans nom d’auteur à Lyon chez Michel Mayer en 1674, avec une permission pour trois années en date du 22 janvier 1674. Seule l’Epître fut signée « C », pratique courante chez Chappuzeau. C’est un in-12 de pièces liminaires et 284 pages. Avec une nouvelle page de titre il se vendit la même année à Paris, chez René Guignard, rue Saint-Jacques, à l’image Saint-Basile, vis-à-vis Saint-Yves. La majeure partie du manuscrit a la même disposition générale que celle du livre imprimé, encore que ce qui dans l’édition de 1674 est appelé « Le Dessein de l’Ouvrage » porte dans le manuscrit le titre « Aux Amateurs du Theatre ». Le chapitre XLIX du Livre III sera consacré en 1674 aux « Fonctions de l’Orateur [de la troupe] », mais l’année précédente (f° 97 r°) Chappuzeau lui avait donné comme titre « Fonctions de l’Orateur, et suite de ceux qui ont exercé cet employ dans les Troupes de Paris ». La version imprimée du texte clôt donc le chapitre XLIX avec le paragraphe suivant : 43 Voir la note 39. <?page no="46"?> 46 Choix et établissement du texte Je donnerois icy la suite des Orateurs qui ont paru jusques à cette heure sur les Theâtres de Paris, et parlerois du merite de chacun, si je ne craignois de blesser la modestie de ceux qui vivent, sans d’autres raisons qui m’imposent silence sur article, que je reserve à une autre ocasion. Chappuzeau poursuit avec un chapitre L consacré à une « Distinction des Officiers du Théâtre » : les hauts officiers (chapitre LI), puis les bas officiers ou gagistes (chapitre LII). La « Suite des Orateurs » est ajoutée par Michel Mayer à la fin de son édition (pp. 265-284), après les deux déclarations du Roi en faveur de la troupe de l’Hôtel de Bourgogne (9 janvier 1673) et de celle de l’Hôtel Guénégaud (23 juin 1673) qui terminent le manuscrit. C’est Chappuzeau qui a écrit les titres de ces déclarations, mais une autre main, un peu moins régulière, en a rédigé le texte (f° 108 v°-f° 111 r°), respectant bien moins que notre auteur les normes de l’orthographe et de la ponctuation. Ne figurent pas dans le manuscrit : l’Epître dédicatoire adressée à Jean- Baptiste Truchi (Giovanni Battista Trucchi, conte di Levaldigi, 1617-1698), chef du Conseil des finances de Charles Emmanuel II, duc de Savoie de 1638 à 1675 ; une partie du chapitre XLVI (LVI par erreur dans le texte imprimé) du Livre III où Chappuzeau fait l’éloge du duc de Savoie et d’un Français qui est à son service, M. Pasturel (cf. f° 93 v°) ; des remarques, au chapitre XLIX, sur le silence respectueux dans lequel le public écoutait autrefois l’Orateur (cf. f° 97 r°) ; au chapitre LII du même livre, le rôle joué par les décorateurs, surtout dans les troupes de campagne, en ôtant des ailes de la scène « certaines petites gens qui s’y viennent fourrer » (cf. f° 106 v°) ; la première moitié de la « Suite des Orateurs » (pp. 265 à 276 de l’édition de 1674) où il est question de nuancer les remarques faites au Livre I sur certains poètes grecs et latins. L’éditeur moderne a donc le choix d’imprimer le texte de l’édition originale avec les variantes du manuscrit de Moscou, ou de privilégier l’autographe légèrement antérieur tout en fournissant le détail des changements qui sont intervenus entre la composition en 1673 et la publication en 1674. Les deux versions, bien que largement identiques, comportent néanmoins des différences importantes qui s’expliquent en grande partie par le contexte immédiat : un texte, rédigé en vue d’une diffusion publique mais dédié à la dernière minute à la troupe d’acteurs et d’actrices qui venait de constituer le nouveau théâtre de l’Hôtel Guénégaud, est transformé en une œuvre imprimée, vendue tant à Paris qu’à Lyon. Comme avec l’édition de certaines pièces classiques, où l’érudit moderne se tourne de préférence vers l’original, en donnant les variantes des versions ultérieures, nous avons opté de reproduire le texte du manuscrit autographe, rappelant ainsi le premier jet de notre auteur mais l’accompagnant des modifications qui lui ont paru nécessaires dans les mois suivant la constitution de la nouvelle troupe de théâtre de la rue Guénégaud. <?page no="47"?> Choix et établissement du texte 47 Nous reproduisons donc soigneusement le texte du manuscrit, en conservant l’orthographe et la ponctuation d’origine, à cela près que nous distinguons le i du j et le u du v, résolvons l’esperluette, et corrigeons ce qu’on peut considérer comme des accents aigus parasites (áporter, ávantage, sújet, etc) qui signalent néanmoins la suppression d’une consonne. Les variantes sont celles de l’édition Mayer (Lyon, 1674) et limitées aux changements dans le texte ; les simples différences d’orthographe et de ponctuation ne sont pas signalées. Les titres de chapitre, placés en marge dans la version manuscrite ainsi que dans le livre imprimé, sont incorporés dans le texte de l’édition critique. Le manuscrit contient fort peu de coquilles. Les quinze erreurs suivantes ont été corrigées dans le texte de notre édition par l’emploi de crochets : Livre I, chapitre I : ont juge à propos > ont jugé à propos Livre I, chapitre XIV : ou ordinairement > où ordinairement Livre I, chapitre XV : manier > maniere Livre II, chapitre IV : & a donner > et à donner Livre II, chapitre XV : Mecredy > Mercredy Livre III, chapitre XV : Roy > Roys Livre III, chapitre XXXIII : tous > toutes Livre III, chapitre XXXVI : qu’on aporté > qu’on a aporté Livre III, chapitre XXXVI : à la premier affiche > à la première affiche Livre III, chapitre XLII : Esta > Estat Livre III, chapitre XLIII : se > separez Livre III, chapitre XLVIII : de Branche > de la Branche Livre III, chapitre XLVIII : elle aussi à faire > elle a aussi à faire Livre III, chapitre XLIX : le eloges > les eloges Livre III, chapitre LII : les deux derniers de l’Acte > les deux derniers vers de l’Acte. De plus, le titre du chapitre XIII et le numéro et le titre du chapitre XXIII du Livre I font défaut. Les pages 161 et 162 et 193 et 194 n’ont pas été foliotées à l’ère moderne, ce qui fait qu’on passe du f° 90 v°/ p. 160 au f° 91 r°/ p. 163, et du f° 105 v°/ p. 192 au f° 106 r°/ p. 195. <?page no="49"?> 4. Bibliographie 1. Textes imprimés de Chappuzeau Le Théâtre françois, Lyon : Michel Mayer, in-12, [42] + 284 pp. Signatures : -12 e11 A-M12 [BnF : YF-1706 ; YF-1708 ; 8-RT-1532 ; GD 1399 ; NUMM-108751]. Le Théâtre françois, A Lyon, et se vend à Paris : René Guignard, 1674, in-12, [42] + 284 pp. [British Library : 11735 aaa 29]. Le Théâtre françois, éd. Paul Lacroix, Bruxelles : A. Mertens et fils, 1867, in-12, 180 pp. [BnF : RES-YF-4341 ; 8-RT-1632]. Le Théâtre françois, éd. Georges Monval, Paris : J. Bonnassies, 1876, in-8, xviii + 183 pp. [BnF : YF-12202 ; 8-RT-1633 ; NUMM- 108752 ; LJ W-233]. Le Théâtre françois, Plan de la Tour : Editions d’aujourd’hui, 1985 (reproduction en facsimile de l’édition Lacroix, 1867). [BnF : 16-Z-17080 (333) ; 16-W-3503]. 2. Manuscrits de Chappuzeau Recueil de lettres et de poésies de Mr Chappuzeau (Bibliothèque publique et universitaire de Genève, Ms fr. 253). Comporte 20 lettres, 5 poèmes burlesques, 8 stances, 7 sonnets et 1 poème latin. Parmi les lettres, quatre sont sans date ou lieu. Les autres sont datées du 3 septembre 1650 au 14 juin 1651, envoyées de Brême, Marburg et surtout de Kassel. Copie d’époque. Lettre de Chappuzeau au docteur Charles Spon, datée de La Haye le 15 mars 1658 (Bibliothèque municipale de Lyon, Ms 1723, n° 173-174). Autographe. Lettre de Chappuzeau au docteur Charles Spon, datée de La Haye le 1 er août 1658 (Bibliothèque municipale de Lyon, Ms 1723, n° 156). Autographe. Lettre de Chappuzeau à Louis Tronchin, datée de Leipzig le 20 octobre 1671 (Bibliothèque publique et universitaire de Genève, Archives Tronchin 43, f° 4-5. Reproduite dans Read, « Un projet de Dictionnaire historique », pp. 514-515). Autographe. Le Theatre François … Pour la Troupe du Roy, à qui cet Ouvrage est particulierement devoüé. Par son treshumble et tresobeïssant serviteur Chappuzeau. 1673 (Bibliothèque d’Etat de Russie, Moscou, Ms f. 256, N 776). Autographe. Lettre de Chappuzeau au fils du docteur Charles Spon [= Jacob Spon], datée de Genève le 23 mai 1679 (Bibliothèque municipale de Lyon, Ms 1723, n° 252). Autographe. <?page no="50"?> 50 Bibliographie Lettre de Chappuzeau au libraire parisien Denys Thierry, datée de Celle le 25 juin 1686 (Bibliothèque Mazarine. Reproduite dans Caullery, « Notes sur Samuel Chappuzeau », pp. 141-154). Autographe. Lettre de Chappuzeau à Louis Tronchin, datée de Celle le 25 juin 1694 (Bibliothèque publique et universitaire de Genève, Archives Tronchin 43, f° 6-7. Reproduite dans Read, « Un projet de Dictionnaire historique », pp. 516-518, mais par erreur la lettre est attribuée à 1699). Autographe. 3. Ouvrages sur Chappuzeau BLOCKER (Déborah), « Publier la gloire du “théâtre françois” », in C. Jouhaud et A. Viala (éd.), De la publication. Entre Renaissance et Lumières, Paris : Fayard, 2002, pp. 193-210. BROOKS (William), « Chappuzeau and the Orateur - a Question of Accuracy », Modern Language Review, 81 (1986), pp. 305-317. CANDAUX (Jean-Daniel), « Samuel Chappuzeau et son Europe vivante (1666-1673). Etude bibliographique », Genava, n. s. 14 (1966), pp. 57-80. CAULLERY (J.), « Notes sur Samuel Chappuzeau. I : Contribution de S. Chappuzeau au Dictionnaire historique de Moreri ; II : Les Frayeurs de Crispin par le sieur C… », Bulletin historique et littéraire de la Société de l’histoire du protestantisme français, 58 (1909), pp. 141-157. COLLOMBET (François-Zénon), « Chappuzeau », dans Etudes sur les historiens du Lyonnais, 2 vol., Lyon : Sauvignet, 1839-1844 (réimpression Genève : Slatkine Reprints, 1969), t. I, pp. 114-124 (= Revue du Lyonnais, V (1837), pp. 321-331). CROW (Joan), Introduction et notes, édition critique de Chappuzeau, Le Cercle des Femmes et L’Académie des Femmes, Exeter : University of Exeter, 1983 (Textes Littéraires, XLVIII), xxvii + 142 pp. « Samuel Chappuzeau, Reporter : his Observations on the English Restoration Theatre », Newsletter of the Society for Seventeenth-Century French Studies, 5 (1983), pp. 89-95. DEFAUX (Gérard), « Un évangélique au pays de la Contre-Réforme : Erasme en France au XVII e siècle », dans W. 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A LYON,/ Chez MICHEL MAYER,/ ruë Merciere à la Verité./ M.DC.LXXIV./ Avec Permission. <?page no="54"?> 54 Le Théâtre françois [f° 3 v°] [f° 4 r°] a Aux Amateurs Du Theatre b Il s’est trouvé des Sçavans qui ont bien voulu nous donner leurs pensées sur la conduite du Poëme Dramatique 1 , et nous éclaircir les loix du Theatre que nous avons receues de l’Antiquité. Il me seroit glorieux de marcher sur leurs pas, et de pouvoir rendre mes sentimens sur cette matiere dignes d’être leus. Mais je prens une autre route, et ne me propose de traiter icy qu’un sujet moral, qui ne regarde que l’usage de la Comedie 2 , le travail des Autheurs, et la conduite des Comediens ; ce que je reduis en un petit corps d’Histoire. Si je ne puis luy donner les graces de nôtre langue que je n’ay jamais bien sceue, elle aura au moins les graces de la nouveauté 3 , et ne deplaira pas sans doute à ceux qui aiment [f° 4 v°] le Theatre et les plaisirs du Spectacle 4 . Comme je suis de ce nombre, je n’en ay guere manqué toutes les fois que mes affaires m’ont rapellé à Paris des Provinces Etrangeres, où j’ay presque toûjours vêcu depuis trente ans 5 , et m’estant rencontré l’hyver dernier à Cologne 6 avec des gens qui décrioient fort la Comedie, j’en ay étudié et la nature et l’usage avec plus d’application que je n’avois fait, pour en pouvoir bien juger c moy méme, sans m’arrester aux sentimens de quelques particuliers. Ils prononcent souvent des arrests selon leur temperament, et sans bien examiner les choses, comme 1 Parmi les plus récents, l’abbé d’Aubignac dans sa Pratique du théâtre (1657) et ses quatre dissertations (1663) sur Sertorius, Sophonisbe, Œdipe, et les « calomnies de M. Corneille », ainsi que P. Corneille lui-même dans ses Examens et ses trois Discours (1660). 2 « Comédie : Ce mot généralement parlant et sans examiner les choses à la rigueur signifie en notre langue toute sorte de poème dramatique, soit comédie, pastorale ou tragédie » (R.) 3 En fait Le Théâtre françois est le seul texte de son genre en France au XVII e siècle. 4 Les réactions contemporaines, d’après les quelques témoignages, ont été plutôt réservées. 5 Son premier voyage à l’étranger, en Grande-Bretagne, a commencé en 1645. 6 Donc l’hiver 1672-1673. Chappuzeau n’a pas changé son texte pour l’édition de 1674, dont la permission d’imprimer est datée d’ailleurs du 22 janvier 1674. a Epître « A son Excellence … » (voir Appendice) b Dessein de l’Ouvrage c pour en bien juger <?page no="55"?> Aux Amateurs Du Theatre 55 ce Juge severe de l’Aristipe de feu Monsieur de Balzac 7 , qui a s’estant endormi à l’Audience pendant qu’une cause se plaidoit, ne parloit quand il falut opiner, que de pendre ou de faûcher, sans s’informer plus avant, ni se soucier de sçavoir l’affaire. D’autres condannent les [f° 5 r°] choses sur de simples prejugez, sans vouloir prendre la peine de les éclaircir ; et il y en a enfin qui pour sauver les dehors dans les conditions où ils se trouvent, blament par maxime ce qu’au fond ils ne desaprouvent pas entierement. Le Theatre François dont j’ay entrepris d’écrire l’Histoire dans ma solitude, n’est pas bien connu de la pluspart de ceux qui se declarent ses ennemis, et ils s’en font de fausses idées parce qu’ils les apuyent sur de faux raports. Ils méprisent l’original sur de mechantes copies que l’on leur expose, comme avant que d’avoir veu une ville que nous dépeint un voyageur chagrin à qui elle n’a pas pleu, nous en formons une triste image que l’objet dement quand nous la voyons de nos propres yeux. On se hazarde à juger des choses sur la foy d’autruy, il faut avoir un peu de bonne opinion de soy méme, et ne rien aprouver ou [f° 5 v°] condanner qu’avec pleine connoissance, et le discernement que nôtre raison sçait faire du bien et du mal. A voir la Comedie, à frequenter les Comediens, on n’y trouvera rien au fond que de tres honneste b 8 ; et ces enjoûmens, ces petites libertez que l’on reproche au Theatre ne sont que d’innocentes amorces, pour atirer les hommes par de feintes intrigues à la solide vertu. C’est ce que j’espere de faire voir assez clairement, et me depoüillant icy de tout interest, je m’éloigneray egalement de la flaterie et de la Satire, et diray les choses comme elles sont. Il n’est pas besoin pour mon projet de remonter à l’origine de la Comedie que je me contenteray de toucher en peu de mots, ni de faire voir quels estoient les Comediens en Grece du temps de Sophocle et d’Euripide, ou en Italie quand Plaute et Terence travailloient pour le Theatre. Cela n’a rien de commun avec nôtre siecle, et il me [f° 6 r°] suffit de montrer de quelle maniere se conduisent presentement les Comediens, et quelle est la nature de la Comedie depuis qu’elle est dans son lustre par l’estime qu’en 7 Guez de Balzac (1597-1654), Aristippe ou De la Cour (1658). 8 La querelle de la moralité du théâtre a fait rage dans les années 1630, puis « la Comedie est devenuë belle en vieillissant, et sa beauté est aujourd’huy d’accord avec son honneur […] Je ne crains point de dire qu’elle est tellement espurée qu’une fille la peut voir avec moins de scandale qu’elle ne parleroit à un Capucin à la porte de son Couvent » (Brosse, Epître à Mesdemoiselles de Vincelotte en tête des Songes des hommes esveillez (1646), éd. G. Forestier, Paris : STFM, 1984, pp. 86-87). La question a été reprise dans les années 1660, au moment de Tartuffe et de Dom Juan. a ce Juge severe qui b de fort honneste <?page no="56"?> 56 Le Théâtre françois a fait un Armand de Richelieu 9 , et les graces que luy a données un Pierre Corneille 10 . S’il a esté permis d’exposer au Public en deux differens tableaux le Caractere des Passions et leur droit usage 11 , il me le sera sans doute aussi de les reduire en un seul, et de faire voir que la Comedie qui est une peinture vivante de toutes les passions, est aussi une Ecole severe pour les tenir en bride, et leur prescrire de justes bornes qu’elles n’ozeroient passer. Le discours ne touche pas comme l’action, et les plus belles pensées d’une harangue n’ayant sur le papier que la moitié de leur force, elles reçoivent l’autre de la bouche de l’Orateur. Il en est de méme du Poëme Dramatique, et il ne produit ses grands effets que sur le Theatre [f° 6 v°] par l’agrément que luy donne le Comedien. Ainsi à prendre les choses dans l’ordre, j’ay creu qu’il me faloit parler en premier lieu de l’institution et de l’usage de la Comedie, et combatre doucement l’erreur populaire qui porte bien des gens à la condanner sans la connêtre 12 . Apres j’ay deu venir aux Autheurs qui soûtiennent le Theatre depuis qu’il est dans son lustre, et donner le Catalogue des ouvrages qui y ont esté representez. Je fais suivre les Comediens, je découvre leur Politique et la forme de leur Gouvernement ; de là je passe à leur établissement dans la Capitale du Royaume, et produis enfin les noms des Acteurs et des Actrices des deux Hostels 13 jusqu’à l’année presente mille six cens soixante et treize a . Ce sont là les trois articles qui fournissent de matiere aux trois petits Livres de mon Histoire, et ceux qui aiment la Comedie ne seront pas sans doute fâchez de bien connêtre les Comediens. 9 Le cardinal Richelieu (1585-1642), fondateur de l’Académie Française en 1635, soutint largement les dramaturges de son époque, dont les Cinq auteurs (Rotrou, L’Estoile, P. Corneille, Boisrobert, Colletet) qui devaient composer des pièces sur commande pour contribuer au renouveau du théâtre français. Il fit construire le Palais Cardinal qui comprenait une salle de théâtre. 10 Sa dernière tragédie, Suréna, général des Parthes, paraîtra en novembre 1674 à l’Hôtel de Bourgogne. Ecrivant en 1673, Chappuzeau privilégie cet auteur en fin de carrière plutôt que Racine, qui entre à l’Académie Française cette année-là, ou Molière, traité ailleurs. 11 Les Charactères des passions de Marin Cureau de La Chambre (1594-1669) connut de nombreuses éditions à partir de 1640. L’œuvre du célèbre prédicateur oratorien Jean-François Senault (1599-1672), De l’Usage des passions, parut en 1641 et fut beaucoup réimprimée et traduite. 12 Comme au début de cette dédicace, Chappuzeau critique ceux qui attaquent le théâtre « selon leur temperament », « sans bien examiner les choses ». 13 L’Hôtel de Bourgogne et le Théâtre du Guénégaud, résultat de la jonction en 1673 de ce qui restait des troupes du Théâtre du Marais et de celui du Palais-Royal. a jusqu’à la fin de l’année presente mil six cens soixante treize <?page no="57"?> Sommaire Des matieres 57 [f° 7 r°] Sommaire Des matieres contenues dans les trois Livres Livre premier a . I. Origine de la Comedie. II. Toutes les Societez conspirent ensemble pour le bien public. III. Differentes manieres d’instruire les hommes. IV. L’Arbre du Poëme Dramatique. V. La Comedie estimée de toutes les Nations. VI. Des Spectacles qui se donnent aux Colleges. VII. Le Theatre belle Ecole pour la Noblesse. VIII. Reflexions sur les sentimens des Peres et des Conciles. IX. La Guerre profession Illustre, quoy que source de bien des maux. X. Parallele de la Poësie et de la Peinture. XI. Il se glisse des abus en toutes professions. XII. L’esprit veut du relasche dans la pieté et dans les affaires. [f° 7 v°] XIII. Les courses de chevaux condannées par un celebre Docteur. XIV. Certains Spectacles plus dangereux que la Comedie. XV. L’Italie moins scrupuleuse que d’autres b Provinces dans les divertissemens publics. XVI. Le goust du siecle pour le Theâtre. XVII. Sentimens de quelques particuliers sur le Poëme Comique. XVIII. Le nom de Dieu dans un sens parfait ne doit pas estre meslé avec du risible. XIX. La bagatelle un peu trop en regne. XX. Le Theatre a porté bien des gens à se corriger de leurs defauts. XXI. Difference de la Comedie Françoise d’avec l’Italienne, l’Espagnole, l’Angloise et la Flamande. XXII. Excellence des Machines de la Toison d’or. XXIII. Les François dequoy redevables aux Italiens et aux Espagnols. XXIV. Le goust d’un particulier ne doit pas l’emporter sur le goust universel. a Livre premier. De L’Usage de la Comedie. b les autres <?page no="58"?> 58 Le Théâtre françois [f° 8 r°] Livre Second a I. Les Autheurs fermes apuys du Theâtre. II. Grande temerité à qui en voudroit faire publiquement la distinction. III. Pratique ingenieuse des Genealogistes de notre temps. IV. Diversité de genies entre les Poëtes. V. Œconomie des Autheurs dans l’exposition de leurs ouvrages. VI. Le Theatre redevable de sa gloire aux soins b de l’Academie Françoise. VII. Eloge de cette celebre Compagnie. VIII. La gloire des Langues et celle des Empires marchent du pair. IX. Comediens sçavans à prevoir le succez que doit auoir une piece. X. Avantage d’une Troupe qui fournit de son crû des ouvrages au besoin. XI. Coûtume observée dans la lecture des Pieces. XII. Conditions faites aux Autheurs. XIII. Combat de generosité entre [f° 8 v°] les Poëtes et les Comediens. XIV. Saisons des pieces nouvelles. XV. Remarques sur les trois jours de la semaine destinez aux Representations. XVI. Distribution des rôles. XVII. Repetition. XVIII. Catalogue des Autheurs et de leurs ouvrages. Livre Troisiéme c I. Deux sources des plaisirs qu’on va goûter au Theâtre. II. Difference des genies entre les Comediens. III. Excellent Composé du Comedien et du Poëte. IV. Interestz des Comediens apuyez par les Declarations du Souverain. V. Leur assiduité aux exercices pieux. VI. Leurs belles aumosnes d . VII. L’Education de leurs enfans. VIII. Leur soin à ne recevoir entre eux que des gens qui vivent bien. a Livre second. Des Autheurs qui soûtiennent le Theâtre. b redevable aux soins c Livre troisieme. De la Conduite des Comediens. d Leurs aumônes. <?page no="59"?> Sommaire Des matieres 59 IX. Témoignage avantageux que leur rend un des premiers Magistrats de France. [f° 9 r°]. X. Leurs belles prerogatives. XI. Les avantages qu’en reçoivent les jeunes gens et les Orateurs sacrez. XII. Leurs belles coûtumes. XIII. Grande difference a entre les Troupes de Paris et celles de la Campagne. XIV. Forme du Gouvernement des Comediens. XV. Raisons qu’ils ont d’aimer l’Estat Monarchique dans le Monde. XVI. Grande difference des Royaumes et des Republiques pour les plaisirs de la vie. XVII. Les Comediens aiment fort entre eux le Gouvernement Republiquain. XVIII. Leurs Troupes font chacune un corps à part. XIX. Leur emulation tres utile au bien commun. XX. Rencontres fâcheuses de deux Troupes de Provinces b en méme ville. XXI. Grand soin des Comediens à faire leur Cour au Roy et aux Princes. XXII. Leurs privileges au Louvre et autres Maisons Royales où ils sont mandez. XXIII. Leur civilité envers [f° 9 v°] tout le Monde. XXIV. Declaration du Roy en leur faveur. XXV. Leur conduite dans leurs affaires. XXVI. Divers sujets d’Assemblée. XXVII. Visites en ville et au voisinage. XXVIII. Grande depense en habits. XXIX. Ordre qui s’observe dans leurs Hostels. XXX. Le Caractere des Comediens. XXXI. Etablissement de la Troupe Royale. XXXII. Fortes jalousies entre les Troupes. XXXIII. Petits stratagemes. XXXIV. Acteurs et Actrices qui composent presentement la Troupe Royale. XXXV. Nouvelle Troupe du Roy. XXXVI. Histoire de la Troupe du Marais. XXXVII. Ses revolutions et sa cheute. XXXVIII. Regne de la Troupe du Palais Royal. XXXIX. Eloge de Moliere. XL. Jonction des deux Troupes du Palais Royal et du Marais. XLI. Declaration du Roy pour cet établissement. XLII. Estat present de la Troupe du Roy. a Difference b deux Troupes de Province <?page no="60"?> 60 Le Théâtre françois XLIII. Grandes ambitions entre les Comediens. XLIV. Nombre de Spec[f° 10 r°]tacles que Paris fournit dans une année. XLV. Troupes de Campagne. XLVI. Comediens entretenus du Duc de Savoye. XLVII. Troupe Françoise de l’Electeur de Baviere. XLVIII. Troupe des Ducs de Brunswic et Lunebourg. XLIX. Fonctions de l’Orateur, et suite de ceux qui ont exercé cet employ dans les Troupes de Paris a . L. Distinction des Officiers b du Theatre. LI. Hauts Officiers qui ne tirent point de gages. LII. Bas Officiers apellez Gagistes, et leurs fonctions. LIII. A quoy monte tous les ans la depense ordinaire de chaque Hostel. LIV. Grans frais dans les pieces de Machines. LV. Distributrices des douces Liqueurs. LVI. Declarations du Roy en faveur des deux Troupes de Paris. a Fonctions de l’Orateur. b Denombrement des Officiers <?page no="61"?> Sommaire Des matieres 61 [f° 10 v°] Nihil Feliciùs discitur, Quàm quod Ludendo discitur. Erasm. in Colloq 14 . 14 Erasme (1469-1536), De utilitate colloquiorum (De l’utilité des Colloques), Au Lecteur : « Et haud scio an quicquam discitur felicius, quam quod ludendo discitur » (« En plus, je ne suis pas certain qu’on puisse apprendre quoi que ce soit mieux que ce qui s’apprend par le jeu »). Chappuzeau adapte et renforce les termes d’Erasme : « Rien ne s’apprend mieux que ce qui s’apprend par le jeu ». <?page no="62"?> 62 Le Théâtre françois [f° 11 r°/ p. 1] a Le Theatre François Livre premier. De l’usage de la Comedie. I. Origine de la Comedie Le Theatre François, qui est aujourd’huy au plus haut point de sa gloire, en est redevable aux Autheurs qui l’apuyent par l’excellence de leurs ouvrages, et aux Acteurs qui le rendent si magnifique par la beauté de leurs representations. C’est ce qui fait l’enchaînement si étroit de la Comedie avec le Poëte et le Comedien, qu’il est difficile de les separer, et qu’il faut presque [f° 11 v°/ p. 2] toûjours les faire marcher ensemble. Je tascheray toutefois de distinguer les choses, et de ne m’écarter pas du sujet que je me propose de traiter dans chaque Livre. J’ay à parler en celuycy de l’usage de la Comedie, c’est à dire de la fin pour laquelle je trouve qu’elle a esté inventée, estant bien eloigné de l’opinion de quelques Critiques, qui veulent qu’elle doive sa naissance à une debauche de jeunes gens. L’Autheur qui est leur garent 15 n’aura pas bien pris la chose, et ce qu’il raporte est un incident, dont il peut y avoir eu plus d’un exemple dans tous les âges de la Comedie, comme nous voyons souvent nôtre Jeunesse dans la gayeté faire des parties pour se divertir, et étudier une piece de Theatre pour regaler le voisinage de sa representation. 15 Le problème de l’origine de « la comédie » a fait couler beaucoup d’encre. On a très souvent attribué les sources du théâtre grec au culte de Dionysos, dieu de la vigne et du délire extatique, et aux dithyrambes, poèmes passionnés chantés en son honneur. Ainsi, par exemple, Aristote (Poétique, ch. 4, 1449a 9-13) : « Etant donc, à l’origine, née d’improvisations (elle [la tragédie] et la comédie ; la tragédie qui remonte aux auteurs de dithyrambes, la comédie qui remonte aux auteurs de ces chants phalliques encore en honneur aujourd’hui dans plusieurs cités), […] ». Les dionysiaques se célébraient pendant plusieurs jours, l’ivresse étant encouragée. Mais la débauche qui faisait partie de ces célébrations n’est pas limitée, chez Aristote ou ailleurs, aux jeunes gens. a Permission et Consentement (voir Appendice) <?page no="63"?> Livre premier 63 Il est bien plus vraysemblable que les Grecs, [f° 12 r°/ p. 3] qui dans la belle Politique et dans toutes les sciences ont esté les Maîtres des Romains et des Gaulois, qui ont porté les belles Lettres et à Rome et à Marseille, ont travaillé serieusement à instruire les hommes de toutes les façons, et à les amener à la politesse et à la vertu par toutes les voyes imaginables. Leurs Legislateurs se sont tres sagement avisez de donner aux Peuples quelques divertissemens pour prendre haleine dans les affaires, dont sans cela l’esprit seroit accablé, et d’oster par ce moyen à ceux qui vivoient dans l’oysiveté la pensée a et le temps de former des cabales contre l’Estat. J’avoüe que ces divertissemens passerent bientost dans un excez condannable, qu’ils devinrent des spectacles de turpitude, et b que la Comedie qui ne devoit estre qu’un honneste et utile amusement fut ravalée par Aristophane 16 , autant qu’elle receut de gloire des autres [f° 12 v°/ p. 4] Poëtes Grecs. Mais l’intention de ceux qui l’ont inventée estant suivie, elle ne peut produire que de bons effets ; et c’est sur le pied de cette sage Politique de l’ancienne Grece, que les Latins, et apres eux tous les autres Peuples de l’Europe ont jug[é] à propos d’introduire le bel usage de la Comedie, et d’apuyer les Comediens. Voicy les raisons qu’ils ont eües, sur tout les François, qui sçavent parfaitement le prix des choses, et qui ont estimé la beauté d’une Invention qui a percé tant de siecles, pour atteindre chez eux le plus haut degré de perfection où elle pouvoit monter. II. Toutes les Societez conspirent ensemble pour le bien public c Toutes les Societez qui sont des manieres de Republiques, et qui conspirent d ensemble au bien de tout l’Univers, ont toutefois chacune et leurs loix et leurs coûtumes, et une fin particuliere, sur laquelle leur établissement est fondé. C’est le centre où viennent aboutir toutes leurs resolutions, et ces fins particulieres tendant à [f° 13 r°/ p. 5] la generale, vont toutes à l’avantage public ; il n’y a de la difference que du plus au moins. 16 Aristophane (v.~450-v.~386), fondateur de la comédie grecque, un demi-siècle après la période des tragédies d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide. Son comique, un mélange de grossièreté et de poésie, était peu connu du XVII e siècle, car il n’existait pas de traduction française complète. Si Racine, excellent helléniste, lui a emprunté l’idée de ses Plaideurs, Molière s’inspire plutôt de Plaute et de Térence. a dans l’oysivité et dans la debauche, la pensée b des spectacles de cruauté et de turpitude ; et c Diverses Societez instituées pour le bien public. d concourent <?page no="64"?> 64 Le Théâtre françois Il y a de ces Societez qui ont pour objet de fournir à l’homme tout ce qui luy est a necessaire pour le corps, et jusqu’aux delicatesses dont il se pourroit passer. Elles embrassent pour cela un commerce universel dans toutes les parties de la Terre, et la fin que ces Societez là se proposent est tres loüable et utile. Il y en a d’autres qui n’ont pour but que de fournir à l’homme tout ce qui luy est necessaire pour l’esprit, soit pour l’elever aux belles connoissances, soit pour le former à la vertu, et luy donner de l’horreur du vice. Comme on peut se prendre de deux manieres pour parvenir à ce but, et s’y rendre par deux chemins differens, il estoit à propos qu’il y eust pour cela deux sortes de Societez ; les unes qui traitassent les choses d’un air grave et serieux, les autres qui les prissent [f° 13 v°/ p. 6] d’une maniere enjoüée pour s’accommoder à tous les esprits. Ces deux sortes de Societez ont la méme fin, et que nous importe par quel moyen elles y arrivent, et de quel vent nôtre vaisseau entre dans le port, pourveu qu’il y entre heureusement ? Des deux routes que j’ay dit que l’on peut suivre b pour parvenir à cette loüable fin, les uns ont fait choix de celle qui est aspre et difficile, et dont les hommes s’écartent souvent pour en chercher une qui soit moins rude. Les autres prennent c la plus agreable et la plus aisée, ils font profession d’enseigner en joüant la belle science, qui est aujourd’huy celle du Monde, et de porter doucement les hommes à l’amour de la vertu, et à la haine du vice d . III. Differentes manieres d’instruire e les hommes S’il est vray que tous les chemins sont beaux pour aller à l’ennemi, et que la ruse n’est pas [f° 14 r°/ p. 7] blamée à la guerre, les Comediens qui la font adroitement au vice et à la folie, & qui peuvent se vanter de remporter souvent d’Illustres victoires, meritent d’estre loüez. Tous les esprits ne sont pas semblables ; les f uns ne se laissent vaincre que par la force et par d’aigres remontrances, les autres que par la douceur et des discours enjoüez, qui les persuadent mieux que les grans raisonnemens, et le serieux incommode de ces Docteurs qui les effarouchent. Toute la Morale roule sur la sagesse et la folie du monde, et cette folie est inseparablement attachée au vice, comme la a ce qui est b prendre c suivent d les hommes à haïr le vice, et à cherir la vertu. e d’enseigner f Tous les esprits n’estant pas semblables, les <?page no="65"?> Livre premier 65 sagesse l’est à la vertu. Mais outre la malignité du vice, delaquelle le vicieux fait souvent trophée, ne se rendant guere quand on ne le bat que de ce costé, il s’y decouvre certain ridicule qui luy fait honte, et l’attaquer par cet endroit là est le mettre d’abord hors de defence. Il ne peut soufrir qu’on le joüe, [f° 14 v°/ p. 8] et qu’on le face passer pour sot ; il aime mieux se corriger de sa sotise, et en quitant le ridicule du vice, il en quite ce qu’il y a de malin, il le quite tout entier. C’est d’où proceda l’artifice de ces Peres, qui pour donner de l’horreur de l’yvrognerie à leurs enfans, faisoient boire par excez leurs Domestiques, qui se produisoient devant eux avec des postures ridicules 17 . Les Roys qui sont les Peres des Peuples, ont trouvé de méme fort à propos qu’il y eust des gens devoüez au service du Public pour nous representer bien naïvement un Avare, un Ambitieux, un Vindicatif, et nous donner de l’aversion pour leurs defauts ; puisqu’en effet toutes les passions dereglées nous reduisent a à l’estat de ces yvrognes, à qui le vin trouble la raison. IV. L’Arbre du Poëme Dramatique Mais ne parlons pas encore des Comediens, et attachons nous particulierement à la nature [f° 15 r°/ p. 9] de la Comedie. Pour ne confondre pas b les termes, et rendre les choses plus claires à ceux qui n’ont pas leu la Poëtique de Scaliger, et qui ignorent la pratique du Theatre 18 , il faut leur mettre devant les yeux l’Arbre du Poëme Dramatique, c’est à dire la difference des Poëmes 17 Parlant des hilotes (esclaves) et de la manière dont les Spartiates se comportaient avec eux, Plutarque dit : « En tout temps, on les traitait rudement et méchamment : on les forçait à boire beaucoup de vin pur et on les introduisait aux syssities (repas pris en commun) pour faire voir aux jeunes gens ce que c’était que l’ivresse » (Vie de Lycurgue, 28.8, in Plutarque, Vies, éd. R. Flacelière, E. Chambry et M. Juneaux, 16 vol., Paris : Les Belles-Lettres, 1957-1983, t. I, p. 160. Cf. Vie de Démétrios, I.5 (ibid., t. XIII, p. 21) et Apophtegmes Laconiens, 239A in Plutarque, Œuvres morales, t. III, éd. F. Fuhrmann, Paris : Les Belles-Lettres, 1988, p. 241). 18 Les Poetices libri septem de Jules-César Scaliger (1484-1558) furent publiés à Lyon et Genève en 1561. Cet ouvrage, qui annonce déjà les idées de Boileau, différencie la tragédie, imitation d’actions illustres qui se terminent mal, de la comédie qui s’intéresse à la condition et aux occupations de personnages moins élevés. Scaliger laisse entrevoir aussi le débat entre vérité et vraisemblance et l’importance des trois unités. La Pratique du théâtre de François Hédelin, abbé d’Aubignac, vit le jour en 1657. a deduisent (leçon acceptée par Lacroix (1867) et Monval (1876) dans leurs éditions, mais une coquille manifeste) b ne pas confondre <?page no="66"?> 66 Le Théâtre françois que l’on consacre a au Theatre. Le Poëme Dramatique est la tige de l’Arbre. Ses deux branches principales sont le Poëme Heroïque et le Poëme Comique. Le Poëme Heroïque fait deux rameaux, la Tragedie et la Tragicomedie. Le Poëme Comique en fait deux autres, la Comedie et la Pastorale. Toutes ces especes du Poëme Dramatique se peuvent traiter en prose ou en vers : mais les vers asseurement, s’ils sont bien tournez, chatoüillent plus l’oreille que la prose, et donnent plus de grace et de force à la pensée. J’entens les vers regu[f° 15 v°/ p. 10]liers, car pour les irreguliers, je ne trouve pas avec bien des gens qu’ils plaisent fort au Theâtre 19 , et ils ne sont agreables que dans un Madrigal, ou une Chanson. La Tragedie est une representation grave et serieuse d’une action funeste qui s’est passée entre des personnes que leur grande qualité ou leur grand merite relevent au dessus des personnes communes, et le plus souvent c’est entre des Princes et des Roys 20 . La Tragicomedie nous met devant les yeux de nobles avantures entre d’Illustres personnes menacées de quelque grande infortune, qui se trouve suivie d’un heureux evenement 21 . La Comedie est une representation naïve et enjoüée d’une avanture agreable entre des personnes communes ; à quoy l’on ajoûte souvent la douce Satire pour la correction [f° 16 r°/ p. 11] des mœurs 22 . 19 L’Amphitryon de Molière (1668), rédigé en vers libres de 12, 10, 8 et 7 syllabes, et jouissant d’un grand succès, fait exception à cette règle générale. Le nombre de tragédies en prose au XVII e siècle est très limité : on pense à celles, au nombre de trois, de l’abbé d’Aubignac et à celles, plus nombreuses, de Jean Puget de La Serre (1600-1665). 20 « Une sorte de poëme qui représente une action grave, complette et juste dans sa grandeur et qui par l’imitation réelle de quelque illustre infortune excitant la terreur, ou la pitié, ou toutes les deux ensemble instruit agréablement les spectateurs » (R.). « Poëme Dramatique, qui represente sur le theatre quelque action signalée de personnages illustres, laquelle souvent a une issue funeste » (F.). Cf. Aristote, Poétique, 1449 b 24-28. 21 « C’est une tragédie dont la fin est heureuse. On croit que le Poëte [Robert] Garnier a introduit le premier dans notre langue le mot de tragicomédie, mais inutilement parce que tragédie et tragicomédie est la même chose, et la tragédie qui finit par quelque mort n’est pas plus tragédie que celle qui finit par la joie. » (R.) « Autre pièce de theatre, qui represente une action qui se passe entre personnes signalées, dont l’evenement n’est point triste, ni sanglant, et qui admet quelquefois le meslange de personnages moins serieux, comme l’Amphitryon de Plaute, ou de Moliere » (F.). 22 « Poëme dramatique qui représente une action commune et plaisante, dont la fin est gaie, qui d’une maniere ingenieuse corrige les defaux des hommes, et divertit par la peinture naïve qu’il fait de leurs diferens caractêres » (R.). « Se prend plus a destine <?page no="67"?> Livre premier 67 La Pastorale n’a pour objet qu’une avanture de Bergers et de Bergeres, comme l’Amarante de Gombaud 23 . Pour ce qui est du Sujet qui est au choix du Poëte, il est historique, ou fabuleux, ou meslé, la verité et la fiction s’alliant ensemble, ce qui arrive le a plus souvent. L’Histoire est rarement portée sur le Theatre dans toute sa pureté, et quand elle se trouve trop nue, elle ne refuse pas quelques agrémens que l’invention du Poëte luy peut donner 24 . J’ay creu devoir expliquer toutes ces distinctions du Poëme Dramatique, parceque dans la suite de mon discours, je prendray une des parties pour le tout, et la Comedie pour tous les ouvrages de Theatre qu’embrasse le Poëme Dramatique, ce nom d’une espece particuliere estant devenu un nom [f° 16 v°/ p. 12] general, & l’usage voulant que la Tragedie, la Tragicomedie et la Pastorale passent indifferemment b soûs le nom de Comedie. V. La Comedie estimée de toutes les nations Je diray donc, et en peu de mots, que la Comedie a esté en tres grande estime dans toute l’Antiquité ; Que les Grecs et les Romains, comme je l’ay dit, en ont egalement reconnu les avantages c , ce que Ciceron temoigne assez clairement dans d la cause du Comedien Roscius qu’il defendit avec tant d’ardeur 25 ; particulierement pour les pieces qui representent des choses agreables et non sanglantes, et des personnes de mediocre condition […]. [S]e dit encore en un sens plus estroit, pour une farce, une facetie, où on n’introduit gueres que des valets et des bouffons, pour dire des choses plaisantes, et faire rire » (F.). 23 « C’est un poëme dramatique qui représente une action de bergeres et de bergers amoureux et qui se termine heureusement. » (R.). « Est une piece de theatre, dont les personnages sont vestus en Bergers, et representent des amours de Bergers. La Silvie de Mairet, les Bergeries de Racan, ont été les dernieres Pastorales qui ayent paru en François. » (F.). L’Amaranthe, pastorale en cinq actes en vers, avec un prologue et des chants, de Jean Ogier de Gombauld, parut en 1631. 24 Cette dernière phrase cache dans sa simplicité tout le problème théorique du rapport de la vérité avec la vraisemblance, mis en évidence surtout dans La Pratique du théâtre de 1657. 25 Le Pro Q. Roscio comoedo, un plaidoyer civil pour le comédien Q. Roscius, est une œuvre de la jeunesse de Cicéron. Dans la deuxième partie du litige, soumise à un juge, c’est Cicéron qui défend l’acteur. a les b passent aujourd’huy c reconnu l’utilité d assez dans <?page no="68"?> 68 Le Théâtre françois Que de grands Princes n’ont pas dedaigné d’en faire et de les reciter en public ; Qu’il n’y a point aujourd’huy de Nation dans l’Europe qui n’en face estat ; Que l’Espagnole et l’Italienne en font un des ornemens de la solennité des jours les plus saints ; Que le Grand Cardinal de Richelieu l’un des plus eclairez de tous les hommes l’aimoit, l’apuyoit, honoroit les Autheurs de son estime, favorisoit les [f° 17 r°/ p. 13] Comediens 26 ; et pour dire plus que tout cela, Que le Roy, l’Invincible Louys, les delices de ses peuples, et l’admiration de l’Univers, trouve des charmes dans la Comedie, dont il connoist parfaitement toutes les beautez, et qu’il la prend pour un de ses plus doux divertissemens, quand il se veut donner quelques momens de relasche dans les grands soins qui l’occupent incessamment pour la gloire de son regne et le bien de ses sujets 27 . VI. Des a Spectacles qui se donnent aux Colleges La Comedie, qui par cette seule raison devroit avoir autant de partizans zelez qu’il y a de gens en France, ne manque pourtant pas d’ennemis qui la dechirent, et qui arment contre elle et contre ceux qui la font, les Peres et les Conciles. Leurs Decretz, je l’avoüe, sont des armes sacrées, devant lesquelles les Defenseurs de la Comedie doivent humblement [f° 17 v°/ p. 14] baisser les leurs, et bien loin d’avoir la temerité de leur contredire, il nous faut croire qu’ils n’ont eu que de bonnes intentions. Mais il se peut faire qu’on les cite quelquefois mal à propos, et que les Poëmes Dramatiques de nôtre temps n’auroient pas esté generalement l’objet de leur severe censure 28 . Aussi 26 Voir la note 9 ci-dessus. Ce fut sous le ministère de Richelieu que Louis XIII prononça sa Déclaration du 16 avril 1641 au sujet des comédiens. En échange d’une garantie que les actions du théâtre seraient « du tout exemptes d’impuretés », le Roi décréta que « leur exercice, qui peut innocemment divertir nos peuples de diverses occupations mauvaises, ne puisse leur être imputé à blâme, ni préjudicier à leur réputation dans le commerce public ». 27 Louis XIV fut un important mécène et protecteur des grands écrivains, y compris des dramaturges. Il soutint Molière, lui commandant des spectacles de cour qui favorisaient le développement de la comédie-ballet ; il autorisa la représentation des deuxième et troisième versions de Tartuffe et la compagnie du Palais-Royal devint la Troupe du Roi en 1665. Louis donna une pension à Corneille vieillissant, tandis que Racine fut gentilhomme ordinaire du roi. 28 Comme le souligne Laurent Thirouin (L’Aveuglement salutaire, pp. 252-253), la querelle de la moralité du théâtre ne se déroulait pas « entre l’Eglise et le théâtre, mais entre le théâtre et une certaine frange des catholiques. Ce sont des croyants convaincus a De <?page no="69"?> Livre premier 69 voyons nous qu’ils ne sont pas tous bannis de nos Colleges, où méme j’ay a veu representer des ouvrages de Plaute et de Terence aussi bien que de Seneque, ni des b Communautez Religieuses, où l’on dresse tous les ans de superbes Theatres pour des Tragedies, dans lesquelles par un meslange ingenieux du Sacré et du Profane toutes les passions sont poussées jusqu’au bout. On y employe méme pour de certains rôles d’autres personnes que des Ecoliers, on y danse des balets 29 . Toute la difference qui se trouve [f° 18 r°/ p. 15] entre ces Spectacles là contre quoy on ne dit mot, et ceux que donnent les Comediens contre lesquels on murmure, consiste dans le langage et dans la qualité des Acteurs. Dans les premiers on ne parle que Latin, et on ne void point de femmes ; mais le Latin est entendu et des Acteurs et des Spectateurs. Ces passions d’amour, d’ambition, de colere et de vengeance qu’on veut que la Comedie soûleve, tandisque le Christianisme a pour but de les abatre, peuvent à ce conte faire une aussi forte impression dans les esprits des gens qui parlent et qui ecoutent, qu’elles en feroient le landemain sur le Theatre François à une representation de Cinna ou de Pompée. La Morale Chrêtienne ne pretend pas depoüiller c l’homme de ses passions, elle entreprend seulement de les [f° 18 v°/ p. 16] regler, et de luy en montrer le droit usage 30 . Soit dans nos Comedies, soit dans nos Romans, leurs Autheurs se proposent le méme but, ils étoufent la vengeance dans l’ame de leurs Heros, ils donnent des bornes à leur ambition et à leur colere, ils ne leur soufrent point d’extravagance dans leur amour, et ne nous offrent pas seulement en eux des exemples d’une vertu ordinaire, mais d’une vertu achevée, et au plus haut degré où elle sçauroit monter. et militants, qui se refusent à transiger avec la mondanité, mais cela ne suffit pas à les définir […] Nicole, Conti, Senault [dans la décennie 1660-1670] condamnent la Comédie tout en éprouvant pour elle une certaine sorte de fascination admirative. Corneille est traité avec respect […] l’intransigeance des moralistes s’accompagne paradoxalement d’une certaine résignation envers un divertissement qui a conquis ses lettres de noblesse, et dont il ne semble plus plausible que la société puisse être purgée ». 29 Les jésuites surtout alimentaient le théâtre scolaire en France au XVII e siècle. Corneille et Molière furent parmi les élèves exposés à leurs représentations dramatiques de drames pédagogiques à but moralisateur données, généralement en latin, devant un public laïc, dont les parents des acteurs. 30 Dans De L’Usage des passions (voir la note 11), Senault s’oppose aux philosophes stoïques qui condamnaient les passions. Pour lui, les régler conduisait à la vertu. a où j’ay b ni méme des c ne pretend pas de depouiller <?page no="70"?> 70 Le Théâtre françois Mais, me dira-t-on encore, on ne void point de femmes sur le Theatre dans les Comedies qui se representent aux Colleges ; car dans l’Assemblée il y en a un grand nombre, et feu Mademoiselle de Gournay qui sçavoit parfaittement et le Grec et le Latin, m’a dit qu’elle y alloit quelquefois dans ses jeunes ans 31 . [f° 19 r°/ p. 17] Je ne sçais pas s’il a est moins blamable de voir des hommes travestis en femmes, et prendre l’habit d’un autre sexe que le leur ; ce qui hors de pareilles ocasions, et des temps acordez aux réjoüissances publiques, est punissable et defendu par les Loix 32 . Il faut se faire justice les uns aux autres. Les Spectacles qui se donnent aux Colleges sont fort loüables b . C’est une feste publique qui sert de couronnement aux nobles travaux de toute une année, et dans laquelle on distribue des prix à la Jeunesse qui a fourni sa carriere avec honneur. Cela l’excite à y rentrer avec plus d’ardeur apres un peu de relasche, cela luy donne une honneste hardiesse à parêtre en public, et à parler un jour d’un ton ferme et d’un geste libre dans une Chaire, ou dans un Barreau. VII. Le Theatre belle Ecole pour la Noblesse c Toute notre jeune Noblesse n’entend pas le Latin, et ne va pas au College ; il est juste [f° 19 v°/ p. 18] qu’elle ayt aussi sa part du plaisir et du profit de la Comedie dans la langue qu’elle entend ; et puisque dans nos Poëmes Heroïques (car c’est de ceux-la dont il s’agit à present) on void éclater les plus beaux traits de l’Histoire, qu’on y void combatre la gloire et l’amour, et la gloire comme la maîtresse l’emporter toûjours sur les passions les plus violentes ; qu’on y void enfin le crime puni, la vertu recompensée, et les grandes passions d 31 Marie Le Jars, dite Mlle de Gournay (1565-1645), célèbre bas-bleu et fille d’alliance de Montaigne, dont elle fit rééditer l’œuvre. « C’estoit une personne bien née ; elle avoit veû le beau monde ; elle avoit quelque generosité et quelque force d’ame », dira Tallemant des Réaux (Historiettes, éd. A. Adam, 2 vol., Paris : Gallimard, 1960- 1961, t. I, p. 380). 32 Sur l’interdit moral, juridique et religieux qui pesait sur le travestisme, et sur le travestissement au théâtre, voir Sylvie Steinberg, La Confusion des sexes : le travestissement de la Renaissance à la Révolution, Paris : Fayard, 2001 ; Joseph Harris, Hidden Agendas. Cross-Dressing in 17th-Century France, Tübingen : G. Narr, 2005 (Biblio 17, 156) ; Julia Prest, Theatre under Louis XIV. Cross-Casting and the Performance of Gender in Drama, Ballet and Opera, New York : Palgrave Macmillan, 2006. a Je ne sçais s’il b tres loüables c La (sic) bel vsage de la Comedie. d les grandes actions <?page no="71"?> Livre premier 71 en leur plus beau jour 33 ; qui ne m’ávoûra a qu’on ne peut envoyer nos jeunes Gentishommes nez pour la guerre à une meilleure Ecole que celle là, et qu’en voyant ces beaux exemples de valeur et de zele pour son Prince, comme en un Eucherius fils de Stilicon 34 ; ces genereux sentimens d’amour et de fidelité incorruptible pour sa Patrie comme en un Scevole 35 , ces hautes idées ne s’impriment bien fortement dans leurs ames, et [f° 20 r°/ p. 19] qu’ils ne conçoivent des desirs ardens d’aquerir de méme de la gloire au service du Roy, et de se porter pour luy aux plus grandes actions. Voila en peu de mots quelle est la nature de la Comedie, et les usages qu’on en peut tirer. Il y a toutefois des gens qui la condannent, et qui la condannent sans la bien connêtre. Ecoutons les, et taschons de satisfaire à leurs objections, ce qui n’est pas difficile. VIII. Reflexions b sur les sentimens des Peres et des Conciles 36 Ils ont acoûtumé de confondre la Comedie avec tous les spectacles de l’Antiquité, et ont de la peine à soufrir que l’on en face quelque difference 37 . La Comedie n’a rien de cruel comme les spectacles des anciens Gladiateurs, dont 33 Cette définition de la tragédie accorde une importance notable à la gloire par rapport à l’amour. Chappuzeau fonde son analyse sur la période de Corneille plutôt que sur celle de Racine. 34 Thomas Corneille, Stilicon, représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1660. 35 Pierre Du Ryer, Scévole, autre tragédie romaine, représentée en 1644, puis à l’Hôtel de Bourgogne en 1646 et au Petit-Bourbon en 1659-1660. 36 Dans son édition du Théâtre françois, Monval (p. 169) précise : « Les Pères de l’Eglise qui ont écrit contre le théâtre sont : Tertullien (de Spectaculis), saint Cyprien (d°), saint Augustin, Salvien, saint Jean Chyrsostôme (sic), saint Clément d’Alexandrie (au II e siècle), Arnobe (au II e ), saint Jérôme, Lactance, l’abbé Nilus (au V e ), saint Héphrem (au VI e ), saint Isidore de Séville (au VII e ), saint Bernard (au XII e ) et saint Thomas (au XIII e ). Les conciles qui se sont occupés des spectacles sont ceux : d’Elvire en 305 ; d’Arles (314-450) ; les deux conciles de Carthage ; ceux de Trulle, à Constantinople (792), de Châlon-sur-Saône (813), de Paris (829), de Ravenne (1216) et de Tours (1585) ». 37 « Pour les Pères, écrit Racine en 1666 dans sa querelle avec Nicole, c’est à vous de nous les citer ; c’est à vous, ou à vos amis, de nous convaincre, par une foule de passages, que l’Eglise nous interdit absolument la comédie, en l’état qu’elle est : alors nous cesserons d’y aller » (Œuvres complètes, éd. R. Picard, Paris : Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1960, t. II, p. 29). a qui n’avoûra b Reflexion <?page no="72"?> 72 Le Théâtre françois il se void encore quelques restes en Alemagne et en Italie a 38 . Elle n’a rien de sale, si le Poëte ne sort des bornes que la bienseance luy prescrit ; et ce n’est proprement que contre les Spectacles, ou sanglans, ou deshonnestes, qui combatent la charité et la pureté du Christianisme, [f° 20 v°/ p. 20] que les Conciles et les Peres se sont declarez. IX. La Guerre profession Illustre, quoy qu’elle soit cause de bien des maux Il ne leur est jamais venu en pensée de condanner absolument la guerre entre les Chrêtiens b 39 , quoy qu’elle nous produise des Spectacles les plus sanglans et les plus horribles ; une c campagne couverte de corps, ou morts, ou mourans à l’issüe d’une bataille rangée ; une mer qui engloutit des vaisseaux que le canon de l’ennemi a brisez, et des milliers d’hommes qui perissent à la fois dans les eaux et dans les flames par le desespoir d’un Capitaine insensé qui a mis le feu aux poudres plutost que de se rendre à la merci du vainqueur ; une ville enfin prise d’assaut, et qui devient un Theatre de sales actions et de cruautez barbares. J’ay oüi dire à des gens d qui se sont trouvez en de pareilles ocasions, qu’on ne se peut rien figurer de plus affreux e que ces sortes de spectacles, et les seuls tableaux que les Peintres nous en donnent, nous font fremir. Sans venir f 40 aux mains, la Guerre [f° 21 r°/ p. 21] produit assez d’autres 38 Chappuzeau fait sans doute allusion aux combats d’ours et d’autres animaux (taureaux …) avec des chiens qui amusaient les gens et même les monarques au XVII e siècle. 39 La notion de « la guerre juste » (Saint-Augustin, Thomas d’Aquin) soutendait, par exemple, la série de huit conflits entre catholiques et protestants qui sévissaient en France entre 1562 et 1598, se prolongeant au XVII e siècle avec la siège de La Rochelle (1627-1628) et la révocation de l’Edit de Nantes (1685). 40 L’abbé Claude Boyer (1618-1698), auteur de nombreuses pièces de théâtre dont la plupart avaient peu de succès, fut reçu à l’Académie Française en 1666. Maestricht, a en Alemagne, en Angleterre, et en Italie b La guerre n’a jamais esté generalement condannée entre les Chrestiens c et les plus affreux, une d barbares. A oüir parler les gens e occasions, on ne se peut rien figurer de plus horrible f fremir. J’y vois la foudre toûjours preste, Et la flame et le plomb, qui formant dans (les airs) Une ardente et double tempeste Y font l’image des Enfers. C’est le portrait que nous fait de la guerre Monsieur Boyer, un des Illustres de l’Academie Françoise, dans l’Ode sçavante qu’il a mise au jour sur la prise de Mastric. Sans venir <?page no="73"?> Livre premier 73 maux, et la marche d’une armée desole souvent tous les lieux où elle passe. Cependant la guerre est le noble mestier des Roys, la guerre est juste et loüable quand elle a pour fin la defence de leurs droits et le soûtien de leur gloire, et le mauvais usage qui s’en peut faire n’a jamais porté personne a à la condanner entierement. Disons en un mot, qu’il n’y a rien de parfait au monde, qu’il n’y a point de profession qui n’ayt ses defauts, et que sur ce pied là il faudroit les abolir toutes, ou une grande partie, ce qui iroit trop au desavantage de la Societé civile, et à quoy l’on ne pensera jamais. Mais enfin si l’on veut absolument que l’intention des Peres ayt esté plus loin que les Spectacles sanglans, et que nôtre Comedie doive estre comprise dans leur censure, ce ne sera peut être pas une absurdité de croire qu’ils n’en ont usé de la sorte que pour couper de plus pres [f° 21 v°/ p. 22] la racine aux abus de ces Spectacles cruels et lascifs, qu’ils ont tres justement condannez, en condannant tous les spectacles generalement, de quelque nature qu’ils pussent être. Quand un Enfant abuse de quelques petites libertez que son Pere luy soufre, il les luy retranche toutes pour un temps. Mais l’enfant se corrige, et le pere relasche quelque chose de sa severe defence. Il n’y a rien au monde, comme je l’ay dit b , qui n’ayt son fort et son feble, ses perfections et ses defauts. X. Parallele de la Poësie et de la Peinture La Peinture est une Poësie muete, comme la Poësie se peut dire une Peinture parlante 41 . Le Pinceau nous represente une passion d’amour, de colere, de vengeance aussi fortement que la plume du Poëte et que la voix de l’Acteur. Ceux cy nous touchent par le beau tour du vers, et la grace qu’ils luy donnent ville de l’électorat de Cologne, fut occupée par les Hollandais. Les troupes de Louis XIV la reprirent par un assaut donné dans la nuit du 24 au 25 juin 1673. La ville fut évacuée le 2 juillet. Le Mercure galant de 1674 (t. VI, pp. 27-39) donne le texte de cinq poèmes où « Messieurs les beaux Esprits ont exercé leur veine sur la Prise de Mastric » : deux sonnets de Boyer, un sonnet et une chanson anonymes, et un sonnet « du grand Corneille … [qui] a plû et à la Cour et à la Ville ». La p. 43 ajoute un madrigal sur le même sujet composé par Mlle de Scudéry. 41 Dès l’Antiquité on associe aux peintres les écrivains dont les images ont une certaine vivacité. Des analogies entre la peinture et la poésie sont suggérées par Aristote (par exemple, Poétique, 1448 a 1-9, 1450 a 24-29). Plus tard, Horace, dans son a n’a jamais porté les Directeurs du Christianisme b comme j’ay dit <?page no="74"?> 74 Le Théâtre françois dans le recit : Le Peintre nous touche de méme par l’assiete 42 de ses figures qui semblent parler, et qui bien souvent nous en disent plus que si en effet elles parloient. [f° 22 r°/ p. 23] Nos tableaux et nos tapisseries ne nous offrent que de semblables objetz, dont l’ame de celuy qui les contemple avec attention peut étre plus emeüe qu’elle ne le seroit par un recit qui echape aisement à la memoire ; et pour tout dire enfin, il y a autant à craindre du Peintre que du Poëte et du Comedien. Mais les excez où le premier s’emporte ordinairement, ces nuditez et ces postures peu chastes dont les Palais sont remplis, n’ont pu obliger les plus severes Censeurs à condanner generalement la peinture, qui a toûjours passé pour un art tres noble, comme le Peintre dans sa profession passe pour homme d’honneur. Le Comedien et la Comedie ont de méme leurs defauts, je ne pretens pas les excuser, et j’en parleray incontinent a : mais si pour cela on veut sans exception les bannir du Monde, il faut par méme raison en bannir b et le Peintre et la Peinture. [f° 22 v°/ p. 24] XI. Il se glisse des abus en toutes professions Voudroit on encore condanner l’Imprimerie et les Imprimeurs pour quelques mechans Livres qui courent, qui sont sales et impies, qui attaquent la Religion et les bonnes mœurs, qui décrient un Estat et celuy qui le gouverne ? On punit l’Imprimeur qui oze les mettre au jour, et le Libraire qui oze les debiter : mais on ne s’en prend pas à ceux qui sont innocens du crime, et l’infamie d’un Particulier ne rejalit pas sur le Public. L’Imprimerie et la Librairie qui ne font qu’un méme corps n’en sont pas pour cela moins honorables, elles ont une bonne fin ; et la Comedie comme je l’ay fait voir en a aussi une bonne, qui peut être corrompue par les excez de quelques particuliers. On en peut Art poétique (vv. 1-13), fait la comparaison entre une peinture grotesque et un livre qui est le produit des rêves d’un malade et conclut qu’il ne faut pas combiner des éléments féroces et doux dans la même œuvre. Plus loin (vv. 361-365), Horace affirme qu’une poésie est comme une peinture, qu’il faut savoir regarder la littérature, de même qu’un tableau, de loin comme de près, et qu’une œuvre ne saura plaire qu’une fois, tandis qu’une autre méritera d’être examinée à plusieurs reprises. Voir Rensselner W. Lee, Ut Pictura Poesis. Humanisme et théorie de la peinture. XVI e - XVIII e siècles, Paris : Macula, 1991. 42 « Etat, et situation » (R.) a j’en parleray bien tost b il faut aussi en bannir par méme raison <?page no="75"?> Livre premier 75 dire a autant de la Medecine et des Medecins, et de plusieurs autres professions. Si l’on est si rigide que de condanner entierement la Comedie et ceux qui la representent, il faut condanner [f° 23 r°/ p. 25] en méme temps le Poëte qui la compose, l’Imprimeur qui l’imprime, le Libraire qui la debite, l’Auditeur qui l’ecoute, le Lecteur qui la lit ; et le Poëte qui est la source de tout le mal sera b le plus condannable. Mais tant s’en faut qu’il le soit, que nous sommes convaincus par l’Histoire de tous les Peuples, et par celle de nos temps, que les fameux Poëtes ont toûjours esté honorez des Princes et de leurs sujets, autant ceux qui ont travaillé pour le Theatre, que ceux qui se sont renfermez dans les bornes du Poëme Epique ; qu’on leur a decerné des honneurs publics, qu’on les a couronnez, qu’on leur a enfin dressé des statues. Nous en avons des exemples dans tous les siecles, et pour ne parler que du nôtre, toute l’Europe a sceu les hautes marques d’estime que le Roy a bien voulu donner à un Pierre Corneille 43 , à qui l’excellence de ses Poëmes [f° 23 v°/ p. 26] Dramatiques et de ses autres ouvrages a aquis une gloire dont s’entretiendront tous les siecles à venir. Encore une fois, la fin de la Comedie est bonne ; toutes les viandes sont saines à un corps bien sain, et à un corps mal conditionné les meilleures viandes se tournent en mauvaise nourriture 44 . Les choses c les plus saintes ne font nulle impression sur l’esprit d’un Libertin. Il ne depend que de l’Auditeur de tirer un bon usage de la Comedie ; s’il est sage et intelligent, il en fera son profit, s’il est ignorant et vicieux, il en sortira tout aussi beste qu’auparavant, et ce ne sera la faute ni du Comedien, ni du Poëte. XII. L’esprit veut du relasche dans la pieté et dans les affaires Agissons de bonne foy. N’est il pas injuste de blamer la Comedie par le nom seul, sans examiner la chose, et en confondant l’intention de l’art avec le mauvais usage ? Ceux qui voudroient absolument l’interdire comme une chose qui ne regarde pas directement le salut, [f° 24 r°/ p. 27] seroient obligez d’en retrancher une infinité de cette nature, où il y auroit plus à redire qu’à la Comedie, et que l’on soufre aisement. On en veut sans doute particuliere- 43 Louis XIV pensionna Corneille à partir de 1663. Ses pièces les plus célèbres furent rejouées régulièrement à Versailles devant le Roi. 44 Dans son texte définitif, Chappuzeau enleva cet exemple qui reparaîtra en 1674 à la fin du deuxième paragraphe de la « Suite des Orateurs ». a On en pourroit dire b tout le mal pretendu sera c la fin de la Comedie est bonne. Les choses <?page no="76"?> 76 Le Théâtre françois ment à la Comedie parce qu’elle a de l’éclat et qu’elle frape la veüe 45 . Je ne veux pas nier qu’il n’y ayt des lieux qu’il vaut mieux frequenter que le Theatre, cela est hors de doute, et il y en a où il seroit bon d’estre incessamment, s’il n’avoit pas esté ordonné à l’homme de travailler, comme il luy a esté ordonné de prier Dieu. Mais la plus solide pieté a ses intervales, un veritable devost n’est pas toûjours à l’Eglise, il ne peut pas estre toûjours attaché à la maison et à la profession qu’il a embrassée, il est homme, il demande du relasche, et quelque honneste divertissement, ce que le Theatre luy fournit. Car enfin, et pour abreger cette matiere, ceux qui condannent la Comedie ne la veulent pas regarder par les bons [f° 24 v°/ p. 28] costez, et il y en a eu qui se sont trouvez d’humeur à porter en méme temps leur censure contre des choses les plus innocentes 46 . XIII a Un grand et fameux Docteur 47 s’est avisé de mettre la course des chevaux au nombre des choses vaines et des spectacles qu’il n’aprouve pas ; faudra-t-il pour cela defendre les courses de bague 48 , fermer les maneges où l’on vit avec tant de discipline, et blamer la noble profession d’un Ecuyer, qui enseigne à manier un cheval, à courre et à voltiger de bonne grace ? La Noblesse a trop d’interest à soûtenir la gloire et l’utilité de cet Illustre exercice contre ce b qu’il y a jamais eu de plus celebres Docteurs. 45 Reprise de l’idée de l’ut pictura poesis d’Horace. 46 Entre 1660 et 1670 l’hostilité de l’Eglise à l’égard du théâtre devient particulièrement virulente. On connaît les attaques lancées contre Corneille, contre Racine dans la querelle des Visionnaires, et les difficultés que Molière a subies avec Tartuffe et Dom Juan. Le Traité de la comédie et des spectacles selon la tradition de l’Eglise (1666) du Prince de Conti, ancien protecteur de Molière devenu janséniste, et le Traité de la comédie de Pierre Nicole (1667) témoignent de la férocité des attaques contre les comédiens. 47 Dans plusieurs de ses homélies prononcées à Antioche entre 386 et 397, Saint Jean Chrysostome (v. 349-407), par exemple, se plaignait que ses auditeurs préféraient abandonner l’église pour assister aux courses de chevaux. 48 « Course de bague, est un exercice de Manege que font les Gentilshommes pour monstrer leur adresse, lors qu’avec une lance en courant à toute bride ils emportent une bague suspenduë au milieu de la carriere à une potence » (F.). a XIII. Les Courses de chevaux condamnées par un celebre Docteur. b contre tout ce <?page no="77"?> Livre premier 77 XIV. Spectacles plus dangereux que la Comedie Enfin ceux qui veulent que nous detournions les yeux de toutes les choses vaines, veulent une bonne chose, dont la pratique seroit loüable dans le Christianisme. Ils ont raison sur le fait de la Comedie de nous batre souvent de [f° 25 r°/ p. 29] cette sainte pensée, sur laquelle ils fondent leur censure, et qui faisoit le souhait d’un Grand Roy 49 , qui ne soufrant point, comme il le temoigne luy méme, de flateurs ni de fourbes dans sa Cour, ne soufroit pas aussi aparemment que le luxe et la vanité y eussent entrée. Mais quoy ? les temps sont changez, et le sont entierement ; et s’il faut aujourd’huy détourner les yeux de toutes les choses vaines, il ne faut pas aller ni à la Cour, ni au Cours 50 , deux superbes spectacles, et des plus dangereux au conte de nos severes Censeurs ; il ne faut pas sortir de la maison et se montrer dans la rue, ou il faut comme un Tartufe tendre à la tentation 51 porter un mouchoir a à la main, et baisser la veue à toute heure devant mille objets qui se presentent, et qui peuvent plus emouvoir les sens de l’homme qui ne s’en rend pas le maître, que ce qui se void au Theatre, o[ù] ordinairement les [f° 25 v°/ p. 30] oreilles sont plus attachées que les yeux. XV. L’Italie moins scrupuleuse que d’autres Provinces pour les divertissemens publics b Mais enfin pourquoy en la matiere dont il s’agit se montrer plus delicat en France qu’en Italie et à Rome méme, où l’Inquisition est en vigueur pour le soûtien de la Religion et des bonnes mœurs ? Chacun sçait que les Cardinaux c ne font point de scrupule de fournir aux frais des Opera, d’en donner le spectacle dans leurs Palais, et méme que des Prestres qui ont d d’excellentes voix, 49 Description qui pourrait s’appliquer à plusieurs personnages historiques dont Louis IX (1214-1270) ou Saint-Louis, le seul roi de France à être canonisé. 50 Le Cours-la-Reine à Paris, longeant la Seine. Créée en 1616 par Marie de Médicis, cette allée bordée d’arbres fut au XVII e siècle la promenade favorite de la Cour et de la noblesse. 51 Tartuffe à Dorine : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir » (Molière, Tartuffe, III, 2, v. 860). a prendre un mouchoir b dans les divertissemens publics c Chacun sçait que les principaux Directeurs du Christianisme d et méme des gens devouez au service de l’Eglise, qui ont <?page no="78"?> 78 Le Théâtre françois paroissent sur les Theâtres publics pour y joüer un personnage en chantant. Est-ce qu’un couplet amoureux secondé des charmes d’une belle voix penetre moins avant dans les cœurs de l’Assemblée, que lorsqu’il est simplement recité à nôtre mode ? Ces spectacles là ne sont ils pas de veritables Comedies en musique, et les Affiches donnant aux Festes de l’Amour et de Bacchus 52 le nom de Pastorale, et à Cadmus [f° 26 r°/ p. 31) et Hermione 53 celuy de Tragedie, ne les rangent elles pas avec les Poëmes Dramatiques ? N’est-ce pas dire a assez que ce sont des Comedies, et ceux qui les representent, des Comediens, à qui les Souverains peuvent donner des privileges comme il leur plaist ? On fait sonner bien haut en Espagne le zele de la Religion, et toutefois en Espagne on void introduire sur les Theatres publics des personnages en habit d’Evêques et des Moines b , ce qui ne seroit soufert en France en quelque manier[e] que ce fust 54 . XVI. Le goust du siecle pour le Theatre Je ne pousseray pas davantage cette matiere, et j’en ay assez dit, ce me semble, pour faire voir que toutes les choses du monde ont leur bon et leur mauvais c usage ; ce qui prouve en méme tems que la Comedie n’est pas exente de cette regle, et que comme elle a ses avantages, elle a aussi ses defauts. Ce sont quelques abus qui s’y sont glissez dans tous les siecles, et ausquels le nôtre s’est aussi quelquefois laissé aller. Par les soins du Cardinal de Richelieu elle fut remise en France [f° 26 v°/ p. 32] sur le bon pied : mais on peut luy reprocher que depuis cette reformation elle s’est un peu licentiée. Le goust change, et l’emporte souvent sur la raison. On veut de l’amour 55 , et en quantité, et de toutes les manie- 52 Pastorale en 3 actes de Quinault, avec musique de Jean-Baptiste Lully, représentée par l’Académie royale de musique sur le théâtre de Bel-Air, rue de Vaugirard, en 1672. 53 Premier opéra de Lully et Quinault, créé en mars ou avril 1673 au jeu de paume de Bel-Air. Devant son vif succès, les représentations continuèrent jusqu’à l’hiver. 54 On rappelle les problèmes de Tartuffe, déguisé « sous l’ajustement d’un homme du monde » (Molière, Tartuffe, Second Placet, 1667). 55 Pour Corneille en 1660, « il est à propos d’y [à la tragédie] mêler l’amour, parce qu’il a toujours beaucoup d’agrément […] mais il faut qu’il se contente du second rang dans le poème » (Discours du poème dramatique, in OC, t. III, p. 124), tandis que les actions de la comédie « partent de personnes communes, et ne consistent qu’en a N’est-ce pas à dire b en habit Ecclesiastique c leur bon et mauvais <?page no="79"?> Livre premier 79 res ; il faut le traiter à fond, et dans le Comique a on demande aujourd’huy beaucoup de bagatelles et peu de solide. Pour ce qui est de la Tragedie, l’Herode de Monsieur Heinsius 56 l’un des Poëmes les plus achevez plairoit peu à la Cour et à la Ville, parce qu’il est sans amour ; et la Sophonisbe qui a de la tendresse pour Massinisse jusqu’à la mort, a esté plus goûtée que celle qui sacrifie cette tendresse à la gloire de sa Patrie 57 , quoy que le fameux Autheur du dernier de ces deux ouvrages l’ayt traité avec toute la science qui luy est particuliere, et qui luy a si bien apris à faire parler et les Carthaginois, et les Grecs et les Romains comme ils devoient parler, et mieux qu’ils ne parloient en effet 58 . [f° 27 r°/ p. 33] intriques d’amour, et en fourberies » (Discours de la tragédie, ibid., t. III, p. 172). Mais cette subordination de l’amour aux intérêts d’Etat ou aux passions telles que la vengeance et l’ambition va à l’encontre de la nouvelle tendance manifestée dans les pièces galantes de T. Corneille et de Quinault ou dans les tragédies de Racine. 56 Daniel Heinsius, Herodes infanticida, tragédie, 1632. 57 La Sophonisbe de Jean Mairet, jouée au théâtre du Marais en 1634, montre la mort de Syphax à l’acte II, comporte un entracte consacré à une nuit d’amour entre l’héroïne et Massinisse, ennemi de son mari, et se termine par le suicide des deux amants qui échappent ainsi à la captivité à Rome. Dans sa Sophonisbe, représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1663, Corneille revient au récit de Tite-Live. Il fait vivre les deux maris Syphax et Massinisse (et ce dernier épousera peut-être Eryxe, personnage inventé), mais la fille d’Asdrubal est attachée aux intérêts de son pays et à une haine pour Rome : « Je lui prête un peu d’amour, mais elle règne sur lui, et ne daigne l’écouter, qu’autant qu’il peut servir à ces passions dominantes qui règnent sur elle, et à qui elle sacrifie toutes les tendresses de son cœur, Massinisse, Syphax, sa propre vie » (Préface, in OC, t. III, p. 382). 58 Dans sa Dissertation sur le Grand Alexandre de 1668, Saint-Evremond constate l’échec de la Sophonisbe de Corneille : « Un des grands defauts de nostre Nation, c’est de ramener tout à elle, jusqu’à nommer étrangers dans leur propre païs, ceux qui n’ont pas bien, ou son air, ou ses manieres. De là vient qu’on nous reproche justement de ne sçavoir estimer les choses, que par le rapport qu’elles ont avec nous, dont Corneille a fait une injuste et fâcheuse experience dans sa Sophonisbe. Mairet qui avoit dépeint la sienne infidelle au vieux Syphax, amoureuse du jeune et victorieux Massinisse, plût quasi generalement à tout le monde, pour avoir rencontré le goust des Dames, et le vray esprit des gens de la Cour. Mais Corneille qui fait mieux parler les Grecs que les Grecs, les Romains que les Romains, les Carthaginois que les Citoyens de Carthage ne parloient eux-mesmes ; Corneille qui presque seul a le bon goust de l’Antiquité, a eu le malheur de ne plaire pas à nostre siecle, pour estre entré dans le genie de ces Nations, et avoir conservé à la fille d’Asdrubal son veritable caractere » (Saint-Evremond, Œuvres en prose, éd. R. Ternois, 4 vol., Paris : Didier, 1962-1969, t. II, pp. 89-90). a et dans la Comedie <?page no="80"?> 80 Le Théâtre françois XVII. Sentimens de quelques particuliers sur les Poëmes Comiques a Soit que ce goust du siecle qui veut un grand amour dans les grans ouvrages de Theâtre, et force amouretes dans les ouvrages Comiques, parte du genie de la Cour, ou de celuy du Poëte, il est constant que le Poëme Dramatique dans ses deux genres et dans toutes ses especes n’a esté inventé que pour divertir et pour instruire 59 : mais tout le monde veut que le divertissement passe le premier, qu’il l’emporte sur l’instruction, et il faut bien le vouloir b avec tout le monde. J’ay toutefois connu des gens, qui en fait du Comique n’aiment pas fort une piece, de laquelle on ne peut tirer aucun bon suc, qui roule toute entiere sur la bagatelle, et où l’Auditeur n’a sceu remarquer un seul trait d’erudition coulé à propos. Comme la belle Comedie qui donne agreablement sur le vice et l’ignorance est estimée de tous les honnestes gens, celle [f° 27 v°/ p. 34] qui a de sales idées n’a pas toute leur approbation. J’en ay connu plusieurs de ceux qui aiment passionnement la Comedie, qui souhaiteroient que l’ombre méme de l’amour criminel fust bannie des representations, qu’il n’en parust aucune demarche, et qui disent que l’idée d’une chose qui n’est pas plaisante dans le monde ne sçauroit l’estre au Theatre. Il y en a de moins severes, qui se contentent que l’on passe legerement sur cet article quand on ne peut l’eviter, qu’on ne fasse pas des peintures entieres, et que l’on n’ameine pas les choses si avant, qu’il semble qu’il n’y ayt plus d’intervale entre le projet et l’execution. Je leur ay oüi dire, que ne pouvant soufrir de certaines gens qui sur l’article du droit usage du Mariage, prennent soin de nous le depeindre trop exactement, qui en écrivent de gros volumes, et 59 Dans La Critique de l’Ecole des femmes de Molière (1663), sc. 6, Dorante remarque : « Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles, dont vous embarrassez les ignorants et nous étourdissez tous les jours. Il semble, à vous ouïr parler, que ces règles de l’art soient les plus grands mystères du monde ; et cependant ce ne sont que quelques observations aisées, que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir que l’on prend à ces sortes de poèmes ; et le même bon sens qui a fait autrefois ces observations les fait aisément tous les jours, sans le secours d’Horace et d’Aristote. Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire, et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n’a pas suivi un bon chemin ». L’année même de la publication du Théâtre françois, Boileau, dans son Art poétique, peut affirmer (Chant III, vv. 25-26) que « Le secret est d’abord de plaire et de toucher : / Inventez des ressorts qui puissent m’attacher ». Or la poétique classique reprend à l’Antiquité la définition de la littérature comme « imitation » ainsi que le précepte « plaire et instruire », qui servira entre autres à justifier l’existence du théâtre contre les attaques d’un catholicisme rigoureux. a sur le Poëme Comique b et il me le faut bien vouloir <?page no="81"?> Livre premier 81 decouvrent des choses, à quoy peut-être on n’auroit jamais pensé, ils peuvent [f° 28 r°/ p. 35] encore moins soufrir qu’on leur face en public des portraits parlans et sensibles d’un amour qui tend au crime, quoyque l’on n’en vienne pas jusqu’à l’effet. On pourroit se tromper, ajoûtent-ils, de croire a que l’Auditeur raisonnable prenne un plaisir infini à ces representations qui passent les bornes, et des amouretes honnêtes entre personnes libres les b divertiroient bien mieux 60 . XVIII. Le nom de Dieu dans un sens parfait ne doit pas estre meslé avec du risible Il seroit encore à souhaiter, disent ces gens là, que dans ces sortes d’ouvrages le nom de Dieu ne fust jamais prononcé. Il ne se doit trouver, à leur avis que dans des ouvrages dont le sujet est tout saint, comme dans un Polyeucte 61 : mais dans des Pieces c dont le sujet est Comique, où l’on traite d’intrigues d amoureuses, et où l’on void regner d’un bout à l’autre un valet ridicule et une servante qui ne l’est pas moins, le nom de Dieu ne doit pas être meslé 62 . [f° 28 v°/ p. 36] Ils ont de la peine à soufrir qu’une Soubrete pour cacher qu’elle a parlé à un Galant, dise à sa Maîtresse qui l’en soupçonne, Qu’elle prioit Dieu, parce 60 Cette longue discussion sur le but de la comédie privilégie l’amour et le mariage et leur présentation bienséante. 61 Corneille, Polyeucte, tragédie chrétienne représentée en 1643. Dans son Traité de la Comédie et des spectacles (décembre 1666), le prince de Conti écrit : « en vérité, y a-t-il rien de plus sec et de moins agréable que ce qui est de saint dans cet ouvrage ? Y a-t-il rien de plus délicat et de plus passionné que ce qu’il y a de prophane ? Y a-t-il personne qui ne soit mille fois plus touché de l’affliction de Sévère, lorsqu’il trouve Pauline mariée, que du martyre de Polyeucte ? » (P. Nicole, « Traité de la Comédie » et autres pièces d’un procès du théâtre, éd. L. Thirouin, Paris : H. Champion, 1998, p. 205). 62 On sait combien l’inclusion, dans le premier Tartuffe de 1664, d’un homme habillé, sinon en prêtre, du moins en « petit collet » ou semi-ecclésiastique, avait contribué à la suppression de la pièce. Le Panulphe de la version de 1667 paraît « sous l’ajustement d’un homme du monde », mais « tout cela n’a de rien servi ; la cabale s’est réveillée aux simples conjectures qu’ils ont pu avoir de la chose » (Second Placet). De là à introduire soit la parole de Dieu, soit le personnage de Dieu lui-même dans une comédie, il y aurait eu un fossé impossible, inimaginable, à franchir. a se tromper, de croire b le c les pieces d des intrigues <?page no="82"?> 82 Le Théâtre françois qu’on l’a oüi parler dans sa chambre, et qu’on suppose qu’à moins de quelque trait de folie, on ne parle pas haut quand on est seul. Elle auroit pû tout aussi bien s’echaper en disant qu’elle lisoit, ayant remarqué souvent que des valets et servantes et autres gens de la sorte par une sote coûtume parlent haut en lisant, quoy qu’il n’y ayt personne qui les entende. La priere estant la plus sainte et plus importante action du Christianisme, cet hemistiche, disent nos Critiques, est placé là fort mal à propos, et ils ne peuvent assez s’étonner qu’on ne se soit jamais avisé de le changer. Pour ces exclamations si ordinaires dans la bouche des hommes, Ha Dieu ! Mon Dieu ! Bon Dieu, et autres semblables, ils les soúfrent, parcequ’elles n’ont pas [f° 29 r°/ p. 37] de suite, et ne forment pas un sens parfait. En les condannant dans la bouche des Comediens, il faudroit condanner tous les hommes generalement qui en abusent à toute heure, et sans aucune a necessité. On tolere les abus que l’on ne sçauroit oster, et la Comedie est une imitation des actions et du langage des Peuples. Mais un Je priois Dieu, un Dieu vous assiste, un Dieu vous le rende, et autres expressions de la sorte dans un ouvrage Comique, ne sont pas du goust de ces gens que j’ay citez, et qui toutefois, comme j’ay dit, aiment fort la Comedie 63 . XVIIII b . La bagatelle un peu trop en regne Il seroit encore bon qu’on pust insensiblement acoûtumer les Spectateurs à prendre goust à des representations Comiques, où il y eust un peu moins de bagatelles et plus de solide, et que le Poëte prenant des sujets éloignez de ceux qui ont autrefois servi à de pures farces, ne traitast que de choses bonnes et honnestes, qu’il [f° 29 v°/ p. 38] pourroit tourner agreablement c ; ce qui donneroit moins de prise à ceux qui dechirent la Comedie, le Comedien et le Poëte 64 . 63 Situation paradoxale que Chappuzeau ne cesse de souligner : tout en invoquant, par exemple, le sonnet sur la comédie de 1654 d’Antoine Godeau (« Mais pour changer leurs mœurs et régler leur raison,/ Les Chrétiens ont l’Eglise, et non pas le théâtre »), certains rigoristes au moins avouent ne rien trouver dans la nature même de la poésie dramatique qui puisse attirer leur condamnation. C’est la représentation scénique qui suscite leur hostilité. 64 Tout en profitant de certains aspects de la farce - ses effets visuels et verbaux surtout -, Molière avait cherché justement à s’éloigner de la comédie des années 1630 pour entreprendre une peinture détaillée de ridicules, mais où l’analyse d’un a sans nulle b XIX. c pourroit agreablement tourner <?page no="83"?> Livre premier 83 XX. Le Theatre a porté bien des gens à l’étude de la vertu Mais enfin il n’y a rien soûs le Ciel qui soit exent de defauts, et ce que je viens de dire, ni tout ce que peuvent dire les fâcheux Critiques ne sçauroit détruire les eloges qui sont deus à la belle Comedie. Toutes les comparaisons ne plaisent pas, et je n’en aporte point icy pour mieux apuyer ses avantages. Je diray seulement pour conclusion, que c’est une belle Ecole et un noble amusement pour ceux qui la sçavent bien goûter, et que mille gens m’ont avoüé que le Theatre leur a apris une infinité de belles choses qui ont servi à polir leur esprit et à les porter à l’etude de la vertu 65 . C’est là aussi la fin que le Poëte se propose dans la Comedie, et c’est la méme fin du Gouvernement des Comediens. Leur Societé ne s’est établie que sur ces deux fondemens, l’honneste divertissement et l’utile instruction des [f° 30 r°/ p. 39] Peuples ; mais je ne sçais pas si a cela se peut dire egalement de tous les Comediens de l’Europe, des Italiens, des Espagnols, des Anglois et des Flamans. En ayant veu de toutes les sortes dans mes voyages, j’en ay remarqué les differences, ce qui servira à faire mieux connoître les avantages du Theatre François, qui est aujourd’huy au plus haut point de sa gloire. XXI. Difference de la Comedie Françoise d’avec l’Italienne, l’Espagnole, l’Angloise et la Flamande Les Italiens b qui pretendent marcher les premiers de tous pour le Comique, le font particulierement consister dans les gestes et la souplesse du corps, et par personnage principal, la description de son caractère, ses confrontations avec ses pairs ou inférieurs, influençaient directement l’intrigue et contribuaient à une satire des mœurs contemporaines. 65 Suivant la conversion qui l’éloigna de Molière, le prince de Conti, dans son Traité de la Comédie et des spectacles (1666), ainsi que Pierre Nicole, dans son Traité de la Comédie (1667), et Joseph de Voisin dans La Défense du traité de Mgr le prince de Conti (1671), figurent parmi ceux pour qui « la comédie », c’est-à-dire le théâtre, les pièces représentées et les comédiens, sont l’ouvrage du diable. Ainsi Conti : la violente passion ressentie par le spectateur « chasse Dieu du cœur de l’homme, pour y dominer à sa place, y recevoir des sacrifices et des adorations ». Le danger des passions déréglées, ainsi que l’importance attachée à la vengeance et l’ambition, soulignent « l’opposition qui est entre la Comédie et les plus solides fondements de la morale chrétienne (éd. cit., pp. 202, 204), tandis que pour Nicole « une des grandes marques de la corruption de ce siècle est le soin que l’on a pris de justifier la Comédie, et de la faire passer pour un divertissement qui se pouvait allier avec la dévotion » (ibid., p. 32). a je ne sçais si b Les Italiens <?page no="84"?> 84 Le Théâtre françois leurs intrigues assez bien conduites, et fort plaisamment executées, taschent principalement de satisfaire les sens. Ils ne reüssissent pas dans la representation d’une avanture Tragique, et ne peuvent comme nos François revêtir toutes sortes de caracteres. C’est à dire qu’on ne va guere les voir que pour le pur divertissement, et qu’on [f° 30 v°/ p. 40] n’en remporte que peu d’instruction pour les mœurs, parce qu’ils ne s’atachent pas fort à cet article 66 . Mais enfin nous leur sommes redevables de la belle invention des machines 67 , et de ces vols hardis qui attiirent en foule tout le monde à un spectacle si magnifique 68 . 66 Dès le milieu du XVI e siècle, des comédiens italiens sont connus à Paris, attirés par la présence de Catherine de Médicis. Parmi eux se trouvent les célèbres Gelosi (« jaloux de plaire »). D’autres troupes se succèdent dans la capitale (les Confidenti, les Accesi, les Fedeli), mais avec des absences, parfois pour des raisons politiques. En 1645, une troupe, arrivée six ans plus tôt, dirigée par Giuseppe Bianchi et comprenant l’acteur Tiberio Fiorilli qui joue le personnage de Scaramouche, s’installe au Petit-Bourbon. On représente des pièces improvisées et des textes écrits, parfois en français, mais pas de tragédies. Grâce à la présence du machiniste Giacomo Torelli (1608-1678), il y a au répertoire de la troupe des pièces à machines, « de telles raretés/ Par le moyen de la machine,/ Que de Paris jusqu’à la Chine/ On ne peut rien voir, maintenant,/ Si pompeux ni si surprenant » (Loret, La Muze historique, 23 mars 1658). A son retour à Paris en 1658, Molière partage la salle du Petit-Bourbon avec les Italiens, puis les accueille au Palais-Royal, inauguré en 1661. A partir de 1662, ils y jouent les jours extraordinaires et seront protégés par Louis XIV. Voir Charles Mazouer, Le Théâtre d’Arlequin. Comédies et comédiens italiens en France au XVII e siècle, Fasano : Schena ; Paris : Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2002, surtout les pp. 21-44. 67 Gaspare Vigarani (1586-1663), architecte et surintendant des bâtiments du duc de Modène, fut appelé à Paris en 1659 par Mazarin pour participer à l’élaboration des machineries de la nouvelle Salle des machineries des Tuileries, le plus grand théâtre d’Europe. Son fils Carlo (v. 1623-1713), nommé ingénieur du Roi, fut par la suite ingénieur en machineries de théâtre, architecte, décorateur et metteur en scène. Il est connu surtout pour la machinerie fournie pour Les Plaisirs de l’Île enchantée, fête grandiose donnée par Louis XIV pour sa maîtresse Louise de La Vallière dans le cadre du parc de Versailles en mai 1664. 68 Dans ce sonnet « Pour Son Eminence. Les premiéres Perspectives et Les Machines du petit Bourbon » (Les Poësies de Jules de la Mesnardière, de l’Académie Françoise, Paris : A. de Sommaville, 1656, p. 137), La Mesnardière félicite Mazarin : Merveilles du Compas et de la Portraiture, Justes Allignemens, qui d’un Poinct découverts, De vos Cieux azurez, de vos Boccages verds, Poussez loin de nos yeux la fuyante Peinture. Invisibles Ressorts, qui malgré la Nature, Tenez aux corps massifs les deux Pôles ouverts ; Et des Hommes volans dans le vague des Airs, Suspendez mollement le Poids, et la Figure. <?page no="85"?> Livre premier 85 XXII. Excellence des machines de la Toison d’or Celles qui ont fait le plus de bruit en France furent les pompeuses Machines de la Toison d’or, dont un Grand Seigneur d’une des premieres Maisons du Royaume plein d’esprit et de generosité fit seul la belle depence pour en regaler dans son Château toute la Noblesse de la Province 69 . Depuis il voulait bien en gratifier la Troupe du Marais, où le Roy suivi de toute la Cour vint voir cette merveilleuse Piece 70 . Tout Paris luy a donné ses admirations, et ce grand Opera, qui n’est deu qu’à l’esprit et à la magnificence du Seigneur dont j’ay parlé, a servi de modele pour d’autres qui ont suivi. Baptiste Lully est [f° 31 r°/ p. 41] venu depuis, qui par l’agreable meslange de machines de l’invention de Vigarani, de danses et de Musique où il s’est rendu incomparable, a charmé toute la Cour, tout Paris, et toutes les Nations Etrangeres qui y abordent 71 . Beaux Arts, Péres féconds de mille Changemens, Par vos charmans Tableaux, par vos prompts Mouvemens, Vous nous montrez l’Esprit de la Nouvelle Rome. On adore à Paris vos Miracles divers. Mais j’admire bien plus un Ange en forme d’Homme, Qui de son Cabinet fait mouvoir l’Univers. 69 La Conquête de la Toison d’or, tragédie mêlée de danses et de musique de P. Corneille, fut montée avec un certain retard en novembre 1660 par le marquis de Sourdéac à son château du Neubourg en Normandie pour célébrer la Paix des Pyrénées et le mariage du Roi. La splendeur de cette fête est rapportée de diverses manières, dont ce récit de Maupoint : « Outre ceux qui étoient nécessaires à l’execution de ce dessein qui furent entretenus plus de deux mois à Neubourg à ses dépens, il [Sourdéac] logea & traita plus de cinq cens Gentilhommes de la Province pendant plusieurs représentations que la Troupe Royale du Marais donna de cette piece » (Bibliothèque des théâtres, Paris : Prault, 1733, p. 303). Le marquis accorda un prêt pour la préparation des décors ; il ne paya pas les machines (Deierkauf-Holsboer, Marais, t. II, pp. 132-133). 70 Les décors furent ensuite prêtés aux comédiens du Marais, mais selon un marché du 7 septembre 1660 les acteurs firent construire eux-mêmes de nouvelles machines par le décorateur Denis Buffequin. La pièce fut jouée par la troupe rue Vieille-du- Temple à partir de février 1661 et imprimée le 10 mai 1661. Leurs Majestés assistèrent à une reprise le 12 janvier 1662. 71 Jean-Baptiste Lully (1632-1687) vient en France à l’âge de 14 ans, entrant au service de la Grande Mademoiselle comme garçon de chambre. Il devient ensuite danseur et violoniste à la Cour de Louis XIV, puis en 1653 compositeur de la musique instrumentale du Roi avant d’être nommé en 1661 surintendant de la musique et compositeur de la musique de chambre. Auteur de ballets de cour ainsi que de tragédies lyriques composées sur des textes de Quinault surtout, Lully collabore avec Molière à partir de 1664, contribuant au succès du nouveau genre de comédie-ballet. En 1672 il obtient le pouvoir d’établir l’Académie royale de musique et le monopole de la musique au théâtre. <?page no="86"?> 86 Le Théâtre françois Mais enfin ces beaux spectacles ne sont que pour les yeux et pour les oreilles, ils ne touchent pas le fond de l’ame, et l’on peut dire au retour que l’on a veu et oüi, mais non pas que l’on a esté instruit. D’où l’on peut conclurre, ce me semble, que la Comedie Italienne n’a pas tout à fait le méme objet que la nôtre de divertir et d’instruire, ce qui est la perfection du Poëme Dramatique. Les Espagnols a prennent le contrepied des Italiens, et selon le genie de la Nation demeurent fort sur le serieux, et ne demordent point sur le Theâtre de cette gravité naturelle ou affectée, qui ne plaist guere à d’autres qu’à eux. [f° 31 v°/ p. 42] Un sujet Comique est beaucoup moins de leur caractere qu’un sujet Tragique : mais de quelque maniere qu’ils s’aquitent de tous les deux, ils n’ont pas esté goustez en France comme b les Italiens 72 . Les François ont sçeu tenir le milieu, et c par un heureux temperament se former un caractere universel qui s’éloigne egalement des deux excez. Mais au fond nous sommes plus obligez aux Espagnols qu’aux Italiens, et n’estant redevables aux derniers que de leurs machines et de leur musique, nous le sommes aux autres de leurs belles inventions Poëtiques, nos plus agreables Comedies ayant esté copiées sur les leurs 73 . 72 Des comédiens espagnols commencent à arriver à Paris en 1615, l’année de la conclusion des mariages de Louis XIII avec Anne d’Autriche et d’Elisabeth de France avec Philippe IV. La troupe de F. Lopez prend un bail à l’Hôtel de Bourgogne, valable un mois, en 1625. La troupe de Sebastián de Prado est choisie pour accompagner l’Infante Marie-Thérèse en France lors de son mariage en 1660 à Louis XIV. Elle joue trois fois au Petit-Bourbon en juillet 1660 : la dernière représentation « fict un four », selon La Grange (Registre, t. I, p. 22). Dans La Muze historique, Loret dira (24 juillet 1660) qu’« Ils chantent, ils dansent balets,/ Tantôt graves, tantôt folets ; / Leurs femmes ne sont pas fort belles,/ Mais paraissent spirituelles ; / Leurs sarabandes et leurs pas/ Ont de la grace et des apas ; / Comme nouveaux ils divertisssent,/ Et leurs castagnètes ravissent ». En 1662 cette troupe, protégée par la Reine, est remplacée par celle de Pedro de la Rosa. 73 Le théâtre espagnol, avec, entre autres, Rojas, Calderón, Tirso de Molina, Lope de Vega, en même temps que Cervantès et ses Nouvelles, surtout son Don Quichotte, contribueront de façon déterminante à l’élaboration et au renouvellement de la scène comique en France entre 1600 et 1660. Parmi les dramaturges qui subissent l’influence de l’Espagne sont Scudéry, Rotrou, D’Ouville, Boisrobert, Pierre Corneille, Scarron, Quinault et Thomas Corneille. Cette influence s’exerce aussi dans le domaine de la comédie héroïque et de la tragi-comédie. a XXIII. Les François dequoy redevables aux Italiens et aux Espagnols. Les Espagnols b en France, et ne divertissent pas comme c le milieu entre les uns et les autres, et <?page no="87"?> Livre premier 87 Les Anglois sont tres bons Comediens pour leur nation, ils ont de fort beaux Theatres et des habits magnifiques : mais ni eux, ni leurs Poëtes ne se piquent pas fort de s’attacher aux regles de la Poëtique, et dans une Tragedie ils feront rire et pleurer ; ce qui ne se peut soufrir en France, où l’on veut de la regularité 74 . Toutes les fois qu’un Roy sort, et vient à parêtre sur le [f° 32 r°/ p. 43] Theâtre, plusieurs Officiers marchent devant luy, et crient en leur langue, place, place, comme lorsque le Roy passe à Witthal 75 d’un quartier à l’autre ; parce qu’ils veulent, disent ils, representer les choses naturellement 76 . Ils en usent de méme à proportion en d’autres rencontres, et introduisent quantité de personnages muets que nous nommons Assistans, pour bien remplir le Theatre ; ce qui satisfait la veüe, et cause aussi quelquefois de l’embarras. Estant à Londres il y a six ans 77 , j’y vids deux fort belles Troupes de Comediens, l’une du Roy, et l’autre du Duc d’Yorck 78 , et je fus à deux representations, à la Mort de Montezume Roy de Mexique, et à celle de Mus- 74 La tragédie de Shakespeare, de ses contemporains et ses successeurs, par exemple, remplit les conditions décrites par Chappuzeau, avec ses mélanges de genres et de tons. Le théâtre anglais de la fin du XVI e siècle et du début du XVII e ne s’exporta pas en France, où les unités (temps, lieu, action, mais aussi ton) commencèrent à s’installer dans les années 1630. 75 Le palais de Whitehall fut la principale résidence des souverains anglais à Londres à partir de 1530. Il fut presque intégralement détruit en 1698 par un incendie, à l’exception de la Maison des banquets d’Inigo Jones. 76 Dans la première édition de L’Europe vivante (Genève : J. H. Widerhold, 1667, p. 214), Chappuzeau écrit : « il faut remarquer qu’en Angleterre la prose a plus de part au Theatre que les Vers ; et qu’encore que la Poësie, et particulierement l’Angloise ayt des douceurs qui charment l’oreille, l’autre étant plus naturelle on juge qu’elle approche plus du vray-semblable, qui est le grand but de la Comedie où l’on donne peu souvent ». 77 Chappuzeau se rendit en Angleterre en mars 1667 (voir Chronologie). 78 « Il y a donc à Londres trois Troupes d’excellens Comediens ; la Troupe Royale qui jouë tous les jours pour le public, et d’ordinaire tous les Jeudys apres soupé à Witthal : la Troupe de Monsieur Frere unique du Roy [le duc d’York] dans la place de Lincolne, qui reüssit admirablement dans la machine, et qui va maintenant au pair avec les Italiens : et une troisiéme en Drury-lane, qui a grand abord. […] Il faut ajouter, Que ces trois Maisons de Londres sont pourvûes de gens bien faits, et sur tout de belles femmes ; Que leurs Theatres sont superbes en decorations et en changemens ; Que la Musique y est excellente et les Ballets magnifiques ; Qu’elles n’ont pas moins de douze violons chacune pour les Preludes et pour les Entr’actes ; Que ce seroit un crime d’employer autre chose que de la cire pour éclairer le Theatre, & de charger les Lustres d’une matiere qui peut blesser l’odorat ; et enfin, quoy qu’on jouë tous les jours, que ces Maisons ne desemplissent jamais et que cent carrosses en barricadent les avenues » (L’Europe vivante, 1667, pp. 214-215). <?page no="88"?> 88 Le Théâtre françois tapha 79 , qui se defendoit vigoureusement sur le Theâtre contre les muets qui le vouloient étrangler ; ce qui faisoit rire, et ce que les François n’auroient representé que dans un recit 80 . Il ne se peut souhaiter d’hommes mieux faits, ni de plus belles femmes que j’en vids dans ces deux Troupes, et la Comedie Angloise pour n’estre pas [f° 32 v°/ p. 44] si reguliere que la nôtre, ni executée par des gens qui donnent toute leur étude à cette Profession 81 , a toutefois ses charmes particuliers. Les a Comediens Flamans ne doivent marcher que 79 La Mort de Montezume Roy de Mexique, c’est L’Empereur des Indes ou la Conquête du Mexique par les Espagnols, tragédie du célèbre écrivain John Dryden (1631-1700) représentée pour la première fois par la King’s Company au printemps de 1665 (sans doute avril) et imprimée en octobre 1667. La Mort de Mustapha n’est pas Le grand et dernier Solyman, ou la mort de Mustapha de Jean Mairet (1636), comme proposé par Georges Monval, mais une autre pièce anglaise, la Tragédie de Mustapha, fils de Solyman le magnifique de Roger Boyle, comte d’Orrery (1621-1679), qui eut sa première représentation par la Duke’s Company en avril 1665. Ces deux tragédies firent ainsi concurrence avant la fermeture des théâtres le 5 juin 1665 à cause de la peste et furent reprises lorsque les théâtres rouvrirent à l’automne de 1666, le grand incendie de Londres ayant mis fin à l’épidémie. Ce sont donc deux pièces à la mode que Chappuzeau va voir en 1667. 80 L’attitude des classiques français est résumée par Boileau (Art poétique, Chant III, vv. 51-54) : « Ce qu’on ne doit point voir, qu’un récit nous l’expose : / Les yeux, en le voyant, saisiraient mieux la chose ; / Mais il est des objets que l’art judicieux/ Doit offrir à l’oreille et reculer des yeux ». Cf. René Rapin, dans ses Réflexions sur la poétique de ce temps de 1674 : « Les Anglois ont plus de génie pour la tragédie que les autres peuples, tant par l’esprit de leur nation qui se plaist aux choses atroces que par le caractère de leur langue, qui est propre aux grandes expressions » (éd. E. Dubois (texte de la 2 e éd., 1675), Genève : Droz ; Paris : Minard, 1970, p. 112). 81 Les femmes ne jouent sur la scène anglaise que depuis 1660, comme Chappuzeau a pu le constater lors de son voyage à Londres en 1667. Mais il est plutôt surpris de remarquer que les acteurs ne travaillent pas à plein temps, les comédiens flamands non plus. En Angleterre avant la Restauration, les rôles féminins furent interprétés par des garçons ou des hommes. Pepys, par exemple, nous dit que c’est le 3 janvier 1661 qu’il a vu sa première actrice (The Diary of Samuel Pepys, 11 vol., éd. R. Latham et W. Matthews, Londres : G. Bell, 1970-1983, t. II, p. 5). Ce qui fait que la présence momentanée d’actrices françaises dans trois théâtres londoniens à la fin des années 1620 a causé un scandale. Dans une lettre du 8 novembre 1629, Thomas Brande rapporte que le 4 du mois « certains comédiens français ambulants, expulsés de leur propre pays, et ces femmes, ont essayé de jouer une certaine comédie lascive et non chaste en langue française au théâtre Blackfriars, offensant ainsi toutes les personnes vertueuses et bien disposées de cette ville. J’ai le plaisir de dire qu’on les a chassées de la scène en les sifflant, conspuant et bombardant de pommes, ainsi je a [nouveau paragraphe] <?page no="89"?> Livre premier 89 les derniers, et les Alemans font rang avec eux, la difference entre les uns et les autres n’estant pas grande. Leurs Poëmes Dramatiques sont peu dans les regles, ils n’ont ni les graces, ni la delicatesse des nôtres, la Langue méme qui est un peu rude ne leur est pas favorable, et ils sont representez avec peu d’art par des gens qui ne frequentent jamais ni la Cour, ni le beau monde, et qui la pluspart de méme que les Anglois ne se donnent pas tout entiers à cette Profession, en ayant quelque autre qu’ils exercent hors des jours de Comedie, & leur Theâtre n’estant pas toûjours capable de les bien entretenir 82 . XXIV. Le goust d’un particulier ne doit pas l’emporter sur le goust universel A se faire justice les uns aux autres, et sans être partial, je ne crois pas apres les choses que je viens de dire, qu’on puisse disputer la presseance aux Comediens François, sur tout à voir les deux Troupes de Paris, qu’on a ne peut souhaiter plus [f° 33 r°/ p. 45] acomplies, et qui donnent à la censure le moins de prise qu’il leur est possible dans leurs representations. A les bien examiner, et à n’en tirer que le droit usage, les plus severes ne peuvent les blâmer avec justice. J’ay assez montré que la Comedie est du nombre de ces choses dont l’institution a eu une fin loüable, et qui sont bonnes au fond, quoyque par accident elles puissent devenir mauvaises. Il y a par tout un meslange inevitable de bien et de mal, il ne faut que les sçavoir separer, et que regarder les choses par les bons costez. On peut ceuillir une rose sans se piquer, on peut voir la Comedie sans risque, et le beau fruit qu’on en tire n’est mal sain que pour ces petits estomacs qui rejettent tout. Le triste regime où leur feblesse les a reduits ne doit pas estre une Loy pour d’autres ; les ragousts leur sont contraires, ou ils ne les aiment pas, faut il pour cela qu’ils soient defendus à tout le monde 83 ? crois qu’elles ne recommenceront pas de sitôt ». Le 22 novembre la même troupe a quand même joué au Red Bull, puis de nouveau le 14 décembre au Fortune (J. Payne Collier, The History of English Dramatic Poetry to the Time of Shakespeare and Annals of the Stage to the Restoration, 3 vol., Londres : John Murray, 1831, t. II, pp. 23-24. Nous traduisons). Le Puritain William Prynne, dans son immense diatribe anti-théâtrale Histriomastix (Londres : M. Sparke, 1633, p. 414), a qualifié cette tentative d’« impudente, honteuse, peu féminine, inélégante, sinon plus que putassière ». 82 Chappuzeau profita de ses longs séjours aux Pays-Bas et en Allemagne (voir Chronologie) pour décrire en connaissance de cause le théâtre de ces deux nations. 83 Chappuzeau essaie de réhabiliter « la comédie » en gardant une distinction entre les arguments des censeurs du théâtre et un grand public plus nombreux, avide d’instruction et de plaisir. a que l’on <?page no="90"?> 90 Le Théâtre françois Les esprits chagrins ne prennent plaisir à rien, et blament tous les divertissemens honnêtes ; d’autres gens les blament [f° 33 v°/ p. 46] aussi sans être chagrins, et ils en ont leurs raisons ; et les uns et les autres pour authoriser leurs sentimens et leur maniere de vivre veulent qu’il y ayt du crime dans les plaisirs les plus innocens. Mais enfin il n’est pas juste qu’en des choses dont l’usage est bon à qui en sçait profiter, le grand nombre se regle sur le petit, et que le goust de quelques particuliers l’emportant sur le goust universel, prive le Public de l’utile divertissement de la Comedie. <?page no="91"?> Livre second 91 [f° 34 r°/ p. 47] Livre second Des Autheurs Qui soûtiennent le Theatre a I. Les Autheurs fermes apuys du Theâtre Les Autheurs doivent estre considerez comme les Dieux Tutelaires du Theâtre, ce sont eux qui le soûtiennent, et b il tomberoit avec tous ses ornemens et ses pompeuses machines, si de beaux vers et d’agreables intrigues ne chatoüilloient l’oreille de l’Auditeur à mesure que sa veue est divertie par la beauté des objets qu’on luy presente. Je sçais que la Comedie ne demande pas seulement un Autheur qui la compose, qu’elle veut aussi un Acteur qui la recite, et un Theâtre où elle soit representée avec les embellissemens qu’il luy peut donner : mais l’invention du Poëte est l’ame qui fait mouvoir tout le corps, et c’est de là principalement que le monde s’attend de 84 tirer le plaisir qu’il va chercher au Theatre. [f° 34 v°/ p. 48] II. Grande temerité à qui en voudroit faire publiquement la distinction J’ay donc icy à parler et des Autheurs et de leurs ouvrages, et ce sera avec toute la brieveté que j’ay observée ailleurs. C’est sans doute une matiere des plus difficiles, et une entreprise des plus hardies, selon le biais qu’on voudroit suivre pour l’executer ; mais de la maniere que je vais m’y prendre, j’ay la temerité de croire que j’y pourray reüssir. Je ne sçais pas ce que le Lecteur s’est promis du tître de mon second Livre : mais s’il attend de moy une Critique, il se trompe fort, et c’est une chose à quoy je pense aussi peu, que je m’en sens peu capable. J’ay du respect pour tous les Autheurs, et de l’admiration pour tous leurs ouvrages ; et s’il m’est permis en les lisant c d’en faire la distinction 84 S’attendre de : compter a Des Autheurs qui ont soûtenu le Theâtre depuis qu’il est dans son lustre. b soutiennent, ils en sont les grans apuys, et c Autheurs, et s’il m’est permis en lisant leurs ouvrages <?page no="92"?> 92 Le Théâtre françois dans mon cabinet, et de mesurer la grande distance qu’il y a des uns aux autres, il ne me l’est pas de produire mes sentimens au Public. Il est moins difficile de concevoir les choses que de les ecrire, il y auroit méme de l’imprudence à ecrire tout ce que l’on a conceu, et les pensées les plus raisonnables sont bien souvent [f° 35 r°/ p. 49] celles qu’il nous faut le plus cacher. Je ne diray donc rien du merite des Autheurs, dont chacun peut faire le discernement sans moy, et le Lecteur se contentera, s’il luy plaist, que je luy donne icy seulement une petite Bibliotheque de nos Poëtes François qui ont travaillé pour le Theatre, sans m’ingerer de donner mon jugement sur leurs ouvrages que j’ay eu la curiosité de rassembler. Non nostrum inter eos tantas componere lites 85 . Je suis un trop petit Compagnon pour ozer dire mon goust. Chacun naturellement est amoureux de soy méme et de ses productions ; et s’il est convaincu en sa conscience qu’il y en a de plus belles, il ne prend pas plaisir à les entendre loüer, parce qu’il luy semble que c’est tacitement blamer les siennes. Je n’ay donc garde de m’engager dans un chemin fâcheux d’où je ne pourrois sortir, et je me restreins à un simple denombrement des Autheurs et des Pieces de Theatre. III. Pratique ingenieuse des Genealogistes de nôtre temps Quoy qu’il semble qu’il n’y ayt rien en cela de difficile ni de dangereux, puis qu’il ne s’agit [f° 35 v°/ p. 50] que d’un pur catalogue, sans nul raisonnement, sans remarques ni commentaires a , ce catalogue me donneroit encore de la peine, et autant qu’une Critique me feroit passer pour temeraire, si je n’avois recours à l’artifice dont la pluspart des Genealogistes se sont avisez de se servir. Pour eviter de toucher aux preseances, de regler le pas et de causer des jalousies entre les Maisons, ils les prennent confusement et sans ordre, ou les placent selon le rang des lettres de l’Alphabet. Ainsi dans leurs receuils la Maison d’Anhalt marche devant la Maison d’Austriche, et celle de Bade devant celle de Brandebourg. Il en est de méme des autres, et les Autheurs que je revere 85 Comme nous avons déjà constaté, partout dans ses œuvres Chappuzeau s’abstient de prononcer un jugement et surtout de critiquer. La citation (« Ce n’est pas à nous de juger ces grandes disputes entre eux ») est tirée du livre II de l’ouvrage Parega Otii Marpurgensis philologica (Herborn : Christoph Corvin, 1617) du médecin protestant Johann Pincier (1556-1624), ancien professeur à Marburg. C’est une adaptation (« entre eux » pour « entre vous ») du vers de Virgile « Non nostrum inter vos tantas componere lites » (Eglogues, III, v. 108). a commentaire <?page no="93"?> Livre second 93 ne seront pas sans doute fâchez que j’en use de la sorte à leur egard, traitant les Dieux du Parnasse sur le pied que sont traitez les Dieux de la Terre. Dans le catalogue que je donne de leurs ouvrages, je ne produis que ceux qu’ils ont faits pour le Theatre, et ils en ont presque tous mis au jour beaucoup d’autres en prose et en vers, dont le receuil [f° 36 r°/ p. 51] passeroit les bornes de mon sujet. Je puis méme dans la quantité des Pieces qui ont esté representées depuis cinquante ans, en avoir omis quelques unes des moins considerables, qui ont échapé à ma memoire, et au soin que j’ay pris de les rechercher 86 , à quoy une seconde edition peut aporter du remede 87 . IV. Diversité de genies entre les Poëtes Quoyque je me sois tres justement defendu de porter mon jugement sur les Pieces de Theatre, et de toucher à la difference du merite des Autheurs, je ne risque rien à dire en general, que chacun a son talent particulier, et qu’il se trouve une grande diversité dans leurs genies. L’un excelle dans une belle et juste disposition du sujet, à bien soûtenir par tout le caractere de son Heros, à pousser l’ambition, la haine, la colere, et toutes les grandes passions jusqu’où elles peuvent aller, à demesler la plus fine Politique des Estats pour la faire entrer en commerce avec l’amour, et [à] donner enfin de la force à ses pensées par des vers pompeux et qui remplissent l’oreille de l’Auditeur. L’autre a une adresse particuliere à toucher les [f° 36 v°/ p. 52] passions tendres, et se montre admirable dans une declaration d’amour. Il en fait faire l’aveu à son Heroïne avec une delicatesse qui emeut les sens, et il donne le méme beau tour aux soupçons, aux depits, aux craintes, aux esperances, et à tout ce qu’il y a en amour d’agreable et de fâcheux. Il y a des esprits qui ne sont guere propres que pour le serieux, d’autres que pour le Comique ; et je doute fort que Monsieur a de Rotrou eust pû venir à bout d’un Jodelet soufleté 88 , et Monsieur Scarron d’un Venceslas 89 . Il est malaisé d’aller contre la nature et de forcer le 86 Seuls les grands dramaturges - Corneille, Molière, Racine - ont droit à des listes plus ou moins complètes. Chez les autres il y a bien des omissions. Par modestie ou simple inadvertance, Chappuzeau n’inclut pas ses propres pièces dans le catalogue qui va suivre. 87 Le Théâtre françois n’aura pas de deuxième édition. 88 Les Trois Dorothées, ou le Jodelet souffleté, comédie de Paul Scarron, créée en 1646. 89 Venceslas, tragi-comédie de Jean Rotrou, créée en 1647. Rotrou mourut en 1650 (voir la variante), Scarron en 1660. a feu Monsieur <?page no="94"?> 94 Le Théâtre françois genie ; et l’austere Scipion eut essayé en vain d’imiter Lelius 90 , et d’aquerir ce qui le rendoit aimable. Ce n’est pas que nous n’ayons des Autheurs qui reüssissent dans les deux genres, soit qu’ils nous les servent separement, soit qu’ils nous en facent un Ambigu 91 ; mais il s’y void toûjours quelque difference, et la balance ne peut être si egale, qu’elle ne panche de quelque costé. D’ailleurs [f° 37 r°/ p. 53] quoy que les Autheurs celebres puissent egayer leur Muse quand il leur plaist, et que nous en ayons veu de beaux Poëmes Comiques, depuis que plusieurs autres s’en sont meslez, ils ont quitté le dé pour deux raisons que je m’imagine, et que chacun aussi peut s’imaginer 92 . V. Œconomie des Autheurs dans l’exposition de leurs ouvrages Ces Autheurs celebres, dont la reputation est bien etablie, qui ont leur jeu seur, et dont le nom seul suffit pour persuader et aux Comediens et au Peuple que leurs ouvrages sont bons, ne dedaignent pas toutefois de les communiquer à leurs amis, et d’en écouter les sentimens. Ils n’attendent pas méme que le travail soit parfait, ils produisent un premier Acte, et puis un second, et un troisiéme, et ne refusent pas l’apuy des gens de qualité qui vantent la bonté de leurs ouvrages. Mais ceux qui ne font que commencer, et qui n’ont pas encore bien aquis le nom d’Autheurs, ne peuvent se dispenser en aucune sorte d’avoir recours à des gens capa[f° 37 v°/ p. 54]bles, et de subir leurs corrections. Comme dans tous les ouvrages en prose et en vers a le bon sens et la belle expression doivent soûtenir les matieres que l’on traite, il faut pour bien faire les soûmettre necessairement à la censure des maîtres de l’art, et prier quelqu’un de Messieurs de l’Academie Françoise d’y jetter les yeux. C’est elle seule qui doit juger souverainement de toutes les productions qui paroissent en nôtre langue, quand elles ne sont pas tout a fait indignes de voir le jour, et je ne crois pas qu’il y en ayt guere de bien achevées que celles que l’on a soûmises à sa Critique 93 . 90 Lélius, lieutenant de Scipion consul de Rome (personnage qui ne paraît pas), figure dans Sophonisbe, tragédie de Pierre Corneille créée en 1663. 91 La dernière tragi-comédie parut en 1666, pour être remplacée par la tragédie galante et romanesque de Quinault, Thomas Corneille et autres. 92 Quitter le dé : « Ne vouloir pas tenir ce qu’un autre veut joüer » (F.). Les auteurs de tragédies qui se sont lancés dans la comédie ont pu renoncer à ce genre à cause de l’insuccès (ce n’est pas le cas de Racine, par exemple, avec Les Plaideurs de 1668) et de l’arrivée de grands spécialistes comiques comme Molière. 93 Fondée par le Cardinal de Richelieu, l’Académie Française affirmait dans l’article XXIV de ses Statuts et règlements du 22 février 1635 que « la principale fonction a ou en vers <?page no="95"?> Livre second 95 Si les Libraires estoient bien sages, ils n’imprimeroient jamais de livres qu’à cette condition, ils ne verroient pas leur magazin a plier soûs le poids de tant de bales et maculatures inutiles, et ils gueriroient de la sorte beaucoup de gens de cette maladie inveterée d’écrire, dont je voudrois être quitte le premier 94 . [f° 38 r°/ p 55] VI. Le Theatre redevable de sa gloire aux soins de l’Academie Françoise C’est donc aux nobles travaux et aux soins infatigables de l’Illustre Academie Françoise que le Theatre est particulierement redevable de la beauté des Poëmes que l’on y recite, où le Poëte tasche de répandre toutes les douceurs de nôtre Langue, et de ne s’éloigner jamais de sa pureté. C’est le seul Oracle qu’il doit consulter, il ne rend point de réponces qui ne soient claires, et l’on marche en seureté quand on marche soûs les auspices de cette celebre Compagnie : VII. Eloge de cette Illustre Compagnie b Pour moy je la revere, et reconnois qu’en tout Chacun se doit soûmettre à ce qu’elle resout ; Et que pour bien parler, et que pour bien écrire, A nul de ses arrests il ne faut contredire, Puisqu’enfin le Langage et l’Empire François Par tout egalement font respecter leurs loix ; Dans le méme interest le Destin les assemble, Et comme de concert leur gloire marche ensemble ; de l’Académie sera de travailler avec tout le soin et toute la diligence possibles à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences ». Selon l’article XXVI, « il sera composé un dictionnaire, une grammaire, une rhétorique et une poétique sur les observations de l’Académie ». Les quarante membres donneront leurs jugements sur les ouvrages littéraires, mais en se rappelant que « les remarques des fautes d’un ouvrage se feront avec modestie et civilité, et la correction en sera soufferte de la même sorte » (article XXXIV). 94 Voir l’épitaphe de l’Introduction. Cette dernière phrase est reprise textuellement de la discussion sur le théâtre français contenue dans L’Europe vivante, 1667, p. 322. a leurs magazins b cette Illustre et celebre compagnie <?page no="96"?> 96 Le Théâtre françois Elle est proche du faiste, et nos Neveux en vain De la porter plus loin formeroient le dessein. [f° 38 v°/ p. 56] Il faloit une Langue et si noble et si belle, Pour rendre d’un grand Roy la memoire immortelle, Et gravant sur l’airain ses exploits inoüis Laisser à l’Univers l’Histoire de Louys. VIII. La gloire des Langues et celle des Empires marchent du pair Il est aisé de remarquer dans les Annales et des Grecs et des Romains, que la splendeur des Empires et l’elegance des Langues ont presque toûjours marché du pair et que l’on n’a jamais mieux parlé à Athenes que soûs le regne du Grand Alexandre, ni à Rome que soûs celuy de Trajan 95 . Je pourrois dire de méme, que l’on ne parlera jamais mieux en France que soûs le regne admirable de Louys le Conquerant ; et si c’estoit icy le lieu de s’étendre sur la gloire de son Empire et de ses Triomphes, je ne me defendrois pas d’en parler sur la Grandeur du sujet et sur ma feblesse, puis qu’à tous ceux à qui il est permis de crier Vive le Roy, il le doit être de publier ses victoires. Je diray seulement, qu’il est constant que Mes[f° 39 r°/ p. 57]sieurs de l’Academie ont porté la Langue Françoise au plus haut point de perfection, et qu’ils vont laisser de si bons preceptes à leurs successeurs, qu’elle s’y pourra conserver long tems. Car de pretendre qu’elle se porte plus loin, et qu’elle puisse aquerir d’autres avantages, ce seroit faire tort à ce Corps Illustre, et mal juger de tant de riches productions qui en partent tous les jours 96 . C’est a cette beauté et cette douceur de nôtre Langue qui font que les Etrangers s’empressent de l’aprendre, et comme j’ay veu avec soin toutes les parties de la Chrêtienté, il m’a esté aise de remarquer, qu’aujourd’huy un Prince avec la seule Langue Françoise qui s’est par tout répandue, a les mémes avantages que Mithridate avoit auec 95 Alexandre III de Macédoine, dit Alexandre le Grand (~356-~323), roi de Macédoine de 336 à 323. Il réussit à soumettre la Grèce, conquit l’Empire perse et se prépara à l’agrandir du côté de la péninsule arabique. Trajan (52-117), empereur romain de 98 à 117, fut un excellent organisateur, grand bâtisseur et persécuteur des chrétiens. Sous son règne l’Empire romain eut la plus grande surface territoriale. 96 Parmi les publications prévues en 1635, seul le Dictionnaire a vu le jour, la première édition paraissant en 1694. Une grammaire suivit, mais en 1932 seulement et avec peu d’éclat. a tous les jours, au rang desquelles il nous faut mettre nos plus beaux ouvrages de Theâtre. C’est <?page no="97"?> Livre second 97 vingt et deux a 97 . On peut dire que ce bel Estat Academique a trouvé en quelque maniere le secret de la Domination universelle, puisqu’il fait regner le François en tant de lieux, et qu’en toutes b les Cours Etrangeres on se pique de parler comme on parle au Louvre ; Et il est bien [f° 39 v°/ p. 58] glorieux et de bon augure au Monarque invincible de la France de voir toute l’Asie apeller Francs tous les Peuples de l’Europe, et toute l’Europe ambitionner la gloire de parler François. J’ay creu devoir cette petite remarque à la grande veneration que j’ay toûjours eüe pour Messieurs de l’Academie Françoise, et à la reconnoissance que je leur dois pour m’avoir fourni dans leurs ouvrages dequoy me corriger de mille fautes où tombent necessairement ceux qui passent toute leur vie hors du Royaume c 98 . IX. Comediens sçavans à prevoir le succez que doit avoir une Piece L’Autheur qui n’a pas toutes les lumieres necessaires, et n’est pas encore parvenu à ce haut degré de merite et de reputation de quelques Illustres, ayant receu l’aprobation des Censeurs rigides, à qui seulement il doit exposer sa Piece, la communique apres en particulier à celuy des Comediens qu’il croit le plus intelligent et le plus capable d’en juger, afin que selon son sentiment il la propose à la Troupe, ou qu’il la supprime 99 . Car les Comediens pretendent, [f° 40 r°/ p. 59] et avec raison, de pouvoir mieux pressentir le bon ou le 97 Dans son Institutio Oratoria, XI, 2.50, Quintilien affirme que Mithridate connaissait les vingt-deux langues des peuples qu’il commandait. 98 Dans la Préface et le texte du Théâtre françois, Chappuzeau s’excuse à plusieurs reprises de la façon dont il manie la langue française. Son style, un peu plat, ne laisse pas d’être correct et parfaitement lisible. Bien que sa vie ait comporté de longs séjours à l’étranger, il fréquenta régulièrement des cours et d’autres milieux francophones, et son abondante production littéraire lui donna l’occasion d’améliorer ou tout au moins de conserver sa connaissance du français. 99 Le chapitre XLIX du III e livre du Théâtre françois affirme que c’est La Rocque qui a tenu ce rôle au théâtre du Marais. Cf. son rôle dans la présentation de Polyeucte, raconté par le Chevalier de Mouhy : « L’Auteur ayant fait lire sa pièce aux comédiens, voulut savoir ce qu’on en pensait à l’Hôtel de Rambouillet ; elle y fut généralement condamnée, il en fut découragé au point que le public fut à la veille d’être privé de ce chef-dœuvre ; heureusement que le vieux comédien Laroque, qui la connaissait, engagea ses camarades à en demander la lecture ; elle se fit ; et la Comédie assemblée prouva dans cette occasion qu’elle se connaissait mieux en vrais talents que tous a avec vingt-deux b que dans toutes c royaume. Je reprens le fil de ma narration. <?page no="98"?> 98 Le Théâtre françois mauvais succez d’un ouvrage, que tous les Autheurs ensemble et tous les plus beaux esprits. En effet ils ont l’experience, et sont dans l’exercice continuel. X. Avantages d’une Troupe qui fournit au besoin des ouvrages de son crû a Joint que b la pluspart d’entre eux sont aussi Autheurs, et que dans la seule Troupe Royale il y en a cinq 100 dont les ouvrages sont bien receus. C’est un grand avantage pour tout le Corps, et les Autheurs celebres estant quelquefois d’humeur à le porter un peu haut, et à vouloir les choses absolument, les Comediens se roidissent de leur costé, et par une bonne œconomie tiennent toûjours de leur crû quelque ouvrage prest pour s’en servir au besoin ; ce que ne peut faire une Troupe où il n’y aura pas des Comediens Poëtes. Si le Comedien à qui l’Autheur a laissé sa piece pour l’examiner, trouve qu’elle ne puisse être representée, et ne soit bonne que pour le cabinet, comme le Sonnet [f° 40 v°/ p. 60] qui cause un procez au Misantrope 101 , ce seroit une chose inutile au Poëte de faire assembler la Troupe pour la luy lire, estant à presumer que ce Comedien intelligent a le goust bon, et qu’ayant du credit il amenera aisement ses Camarades à son sentiment. Mais s’il juge l’ouvrage bon, et qu’il y ayt lieu de s’en promettre un heureux succez, l’Autheur se rend au Theâtre un jour de Comedie, et donne avis aux Comediens qu’il a une Piece qu’il souhaite de leur lire. Quelquefois sans parler luy méme, il fait donner cet avis par quelqu’un de ses amis. les merveilleux de l’Hôtel de Rambouillet » (G. Mongrédien, Recueil des textes et des documents du XVII e siècle relatifs à Corneille, Paris : CNRS, 1972, p. 101). Voir aussi la lettre de Racine à l’abbé Le Vasseur du 5 septembre 1660 sur le rôle joué par La Rocque dans la considération de l’Amasie, première pièce du jeune dramaturge (Racine, Œuvres complètes, éd. R. Picard, Paris : Gallimard, 1960, t. II, pp. 381-382). 100 Hauteroche, Poisson, Brécourt, La Thuillerie et Champmeslé. 101 « Franchement il est bon à mettre au cabinet » est l’évaluation cinglante du sonnet d’Oronte faite par Alceste (Molière, Le Misanthrope, I, 2, v. 376). Réponse peut-être ambivalente : un cabinet, c’était un secrétaire à tiroirs pour serrer des papiers, mais en 1690 le Dictionnaire de Furetière est le premier à donner un sens moderne à ce mot : « Cabinet, se prend quelquefois pour une garderobbe, ou le lieu secret où on va aux necessités de nature. Ainsi Moliere a dit dans son Misanthrope en parlant d’un méchant Sonnet, Franchement il n’est bon qu’à (sic) mettre au cabinet ». Pour Richelet, en 1680, l’équivoque n’existe pas. a qui fournit de son crû des ouvrages au besoin b [pas de nouveau paragraphe] <?page no="99"?> Livre second 99 XI. Coûtume observée dans la lecture des Pieces Sur a cet avis on prend jour et heure, on s’assemble ou au Theâtre, ou en autre lieu, et l’Autheur sans prelude ni reflexions (ce que les Comediens ne veulent point) lit sa piece avec le plus d’emphase 102 qu’il peut ; car il n’y a pas icy tant de danger de jetter de la poudre aux yeux des Juges, et il ne s’agit ni de mort, ni de procez. Joint qu’il seroit difficile de tromper en cela les Comediens, qui entendent mieux cette matiere que le Poëte 103 . A la fin de chaque Acte, tandisque [f° 41 r°/ p. 61] le Lecteur prend haleine, les Comediens disent ce qu’ils ont remarqué de fâcheux, ou trop de longueur, ou un couplet languissant, ou une passion mal touchée, ou quelque vers rude b , ou enfin quelque chose de trop libre, si c’est du Comique 104 . Quand toute la piece est leüe, ils en jugent mieux, ils examinent si l’intrigue est belle et bien suivie, et le denoûment heureux ; car c’est l’éceuil où plusieurs Poëtes viennent échoüer 105 ; si les scenes sont bien liées, les vers aisez et pompeux selon la nature du sujet, et si les caracteres sont bien soûtenus, sans toutefois les outrer, ce qui arrive souvent. Le Poëte qui a pour but de nous peindre les choses comme elles sont 106 , et dans le cours ordinaire, ne doit pas nous porter l’extravagance d’un jaloux au delà de toutes les extravagances imaginables, ni nous peindre un sot plus sot qu’aucun sot ne le peut 102 « Emphase. Expression énergique qui souvent laisse plus à penser qu’elle n’exprime » (R.). « Terme de Rhetorique, qui signifie une expression forte, et qui dit beaucoup en peu de mots » (F.). 103 Au premier chapitre de ce second livre, Chappuzeau indiqua que « l’invention du Poëte est l’ame qui fait mouvoir tout le corps », plus importante donc que les acteurs, la scène, les embellissements. Mais l’auteur ne peut pas tout faire ou tout savoir … 104 La censure ou l’auto-censure est limitée au contenu de la comédie, selon Chappuzeau. 105 Opinion confirmée par des critiques contemporains. René Rapin, Réflexions, éd. cit., p. 116 : « Mais le foible le plus ordinaire de nos comédies est le dénouement : on n’y réussit presque jamais, par la difficulté qu’il y a à dénouer heureusement ce qu’on a noué. » Quant à Molière, « l’ordonnance de ses comédies est toujours défectueuse en quelque chose, et ses dénouements ne sont point heureux » (p. 121). Sur le même problème, voir Boileau, Art poétique, Chant III, v. 406. 106 Dorante, dans La Critique de l’Ecole des femmes (1663), sc. 6 : « Lorsque vous peignez des héros, vous faites ce que vous voulez. Ce sont des portraits à plaisir, où l’on ne cherche point de ressemblance […] Mais lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d’après nature. On veut que ces portraits ressemblent ; et vous n’avez rien fait, si vous n’y faites reconnaître des gens de votre siècle ». a [pas de nouveau paragraphe] b quelques vers rudes <?page no="100"?> 100 Le Théâtre françois être. On prend plus de plaisir à une peinture naturelle, et tous les excez sont vicieux 107 . [f° 41 v°/ p. 62] Les femmes par modestie laissent aux hommes le jugement des ouvrages, et se trouvent rarement à leur lecture, quoy qu’elles ayent droit d’y assister, et il y en a assurement de tres capables entre elles, et méme qui peuvent donner des lumieres au Poëte. Celles qui sont en possession des premiers rôles feroient toutefois bien de s’y rencontrer toûjours, pour prendre le sens des vers de la bouche de l’Autheur, et s’expliquer avec luy sur de petites difficultez qui peuvent naître. Il y en a quelques uns des plus celebres qui les recitent admirablement, et qui leur donnent le beau ton comme ils leur ont donné le beau tour 108 . Mais il y en a d’autres qui ont le recit pitoyable, et qui font tort à leurs ouvrages en les lisant 109 . XII. Conditions faites aux Autheurs La Piece estant leüe et aprouvée, on traite des conditions, et il est juste qu’un Autheur soit recompensé d’un travail de six mois ou d’une année. Il y en a à qui une Piece coûte autant de temps, qui ne se lassent point de la peigner [f° 42 r°/ p. 63] et de la polir, qui l’enferment trois mois dans une cassete, et qui la revoyent apres d’un autre œil que lorsqu’ils l’ont ebauchée, qui veulent enfin, selon le conseil d’Horace 110 châtier cet enfant de leur cerveau jusques à 107 Corneille dit en 1660 que « la seconde utilité du poème dramatique se rencontre en la naïve peinture des vices et des vertus, qui ne manque jamais à faire son effet, quand elle est bien achevée, et que les traits en sont si reconnaissables, qu’on ne les peut confondre l’un dans l’autre, ni prendre le vice pour vertu » (OC, t. III, p. 121). 108 Racine fut un lecteur par excellence de ses propres pièces, comme le confirme Louis Racine (Mémoires, in Racine, Œuvres complètes I : Théâtre-Poésies, éd. G. Forestier, Paris : Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1999, p. 1146). 109 Corneille, par exemple : « J’ai la plume féconde et la bouche stérile,/ Bon galant au théâtre et fort mauvais en ville,/ Et l’on peut rarement m’écouter sans ennui,/ Que quand je me produis par la bouche d’autrui » (vers datant de la fin des années 1630, dans une lettre à Pellisson, Corneille, OC, t. III, p. 11). Son neveu Fontenelle dit que « sa prononciation n’était pas tout à fait nette. Il lisait ses vers avec force, mais sans grâce » (Vie de Corneille, in Corneille, OC, t. II, p. 1265). Pour La Bruyère, « il ne sait pas la réciter [sa pièce], ni lire son écriture » (ibid.) 110 Horace, Art poétique, vv. 291-294 : « Vos, o Pompilius sanguis, carmen reprehendite quod non multa dies et multa litura coercuit atque praesectum deciens non castigauit ad unguem » (« O vous, sang de Pompilius, blâmez le poème que de longs jours, que de multiples ratures n’ont pas élagué, n’ont point poli à dix reprises, jusqu’à défier l’ongle le mieux coupé »). <?page no="101"?> Livre second 101 dix fois. Il y en a d’autres aussi qui y aportent moins de façon, qui travaillent et prontement et sans peine, dont les premieres pensées ne peuvent soufrir la correction des secondes, et qui tout d’un coup jettent leur feu. Nous avons veu un Moliere inimitable dans les ouvrages Comiques, faire en peu de jours 111 des Pieces qui ont esté fort suivies, comme l’ont esté generalement toutes les Comedies qui portent son nom. Je reviens aux conditions que les Comediens font à l’Autheur, et ce ne seroit pas assez de dire en general qu’ils en usent genereusement, et quelquefois au delà méme de ce qu’il souhaite ; il faut venir au detail, et donner cette satisfaction [f° 42 v°/ p. 64] à ceux qui veulent sçavoir comme tout se passe dans le monde. La plus ordinaire condition et la plus juste de costé et d’autre est de faire entrer l’Autheur pour deux parts dans toutes les representations de sa piece jusques à un certain temps 112 . Par exemple si l’on reçoit dans une Chambrée (c’est ce que les Comediens apellent ce qu’il leur revient d’une representation, ou la recette du Jour ; et comme chaque science a ses notions qui luy sont propres, chaque Profession a aussi ses termes particuliers) 113 si l’on reçoit, dis-je, dans une chambrée seize cens soixante livres 114 , et que la Troupe soit composée de quatorze parts, l’Autheur ce soir là aura pour ses 111 Les Fâcheux, pièce « conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours », selon la Préface ; L’Amour médecin, où cinq jours seulement séparèrent la conception et la représentation (cf. Avis au Lecteur). 112 Depuis 1653, un auteur touchait un neuvième de la recette nette pour chaque représentation d’une pièce « dans sa nouveauté » (Pierre Mélèse, Répertoire analytique des documents contemporains d’information et de critique concernant le théâtre à Paris sous Louis XIV, Paris : E. Droz, 1934, p. 108). Le système à deux parts, soit le double de celle d’un acteur principal, fut instauré dans les années 1660. Ce fut la condition faite par Molière à Racine pour sa première pièce, La Thébaïde, en 1664, comme pour sa deuxième, Alexandre le Grand (1665) avant le transfert de la pièce (par duplicité du jeune auteur ou sur l’ordre du Roi ? ) aux Grands Comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, mieux appréciés dans le genre tragique. 113 « Chambrée. Terme de Comédien. Ce qui revient de la représentation d’une piéce de téâtre. Ce qu’ont reçu les Comédiens le jour de la représentation d’une piece » (R. Définition qu’on ne trouve pas dans F.). 114 Une excellente recette. Au Palais-Royal, seul théâtre pour lequel nous avons des chiffres à peu près complets, les maxima notées par La Grange dans son Registre, et qui comprenaient certains jours au prix double, sont 2.860 livres pour la première du Tartuffe définitif de 1669, 2.775 livres lors de la septième représentation de la Circé de Thomas Corneille en 1675, et 2.390 livres pour la cinquième représentation de Dom Juan en 1665. Ce sont des sommes tout à fait exceptionnelles : en 1662-1663 L’Ecole des femmes n’a jamais dépassé 1.518 livres, Le Misanthrope 1.617 livres en 1666. La plupart des recettes, même pour des pièces de qualité, ne dépassent pas les trois chiffres. <?page no="102"?> 102 Le Théâtre françois deux parts deux cens livres, les autres soixante livres s’estant levées par preciput pour les frais ordinaires, comme les Lumieres et les gages des Officiers 115 . Si la Piece a un grand succez, et tient bon au double vingt fois [f° 43 r°/ p. 65] de suite 116 , l’Autheur est riche, et les Comediens le sont aussi ; & si la Piece a le malheur d’echoüer, ou parce qu’elle ne se soûtient pas d’elle méme 117 , ou parce qu’elle manque de partizans qui laissent aux Critiques le champ libre pour la décrier, on ne s’opinâtre pas à la joüer davantage, et l’on se console de part et d’autre le mieux que l’on peut, comme il faut en ce monde se consoler de a tous les evenemens fâcheux. Mais cela n’arrive que tres rarement, et les Comediens sçavent trop bien pressentir le succez que peut avoir un ouvrage 118 . XIII. Combat de generosité entre les Poëtes et les Comediens Quelquefois les Comediens payent l’ouvrage comptant jusques à deux cens pistoles et audelà en le prenant des mains de l’Autheur, et au hazard du succez 119 . Mais le hazard n’est pas grand quand l’Autheur est dans une [f° 43 v°/ p. 66] haute reputation et que tous ses ouvrages precedens ont reüssi ; et ce 115 Voir plus loin, Livre III, chapitre LII. 116 Le prix des places dans les différentes parties du théâtre, sauf dans les premières loges et sur la scène elle-même, fut doublé lors des premières représentations d’au moins les pièces susceptibles d’attirer un public nombreux. Vingt représentations consécutives au prix double sont d’une extrême rareté (voir G. Forestier, Racine, Paris : Gallimard, 2006, p. 321 à propos du triomphe d’Iphigénie, postérieur cependant à la composition du Théâtre françois). 117 Si le succès escompté ne se produit pas, la troupe peut adjoindre au programme une pièce populaire du répertoire pour étoffer une représentation dans l’espoir d’en augmenter le rendement. 118 On remarque encore une fois la naïveté de Chappuzeau, qui connaissait pourtant bien le milieu du théâtre parisien. 119 Deux cents pistoles, c’est 2.000 livres. On croit que Cinna fut rémunéré, de même sans doute que Le Cid et puis Horace : « le poème est de ces marchandises qui sont à vendre et non à donner », dit Chapelain à Balzac le 25 septembre 1640 (Mongrédien, Recueil […] Corneille, p. 90). Pour les deux pièces de Corneille que Molière fit monter au théâtre du Palais-Royal, l’auteur chevronné fut rémunéré d’un « prix faict » : 2.000 livres pour Attila en 1667 et la même somme pour Tite et Bérénice en 1670. Pour Les Précieuses ridicules Molière reçut 1.000 livres, puis 1.500 en trois paiements pour Sganarelle ou le Cocu imaginaire et 1.100 en quatre versements pour a comme il faut se consoler en ce monde de <?page no="103"?> Livre second 103 n’est aussi qu’à ceux de cette volée 120 que se font ces belles conditions du Comptant ou des deux parts 121 . Quand la Piece a eu un grand succez, et au delà de ce que les Comediens s’en estoient promis, comme ils sont genereux, ils font de plus quelque present à l’Autheur, qui se trouve engagé par là de conserver son affection pour la Troupe 122 . Cette generosité des Comediens se porte si loin, qu’un Autheur des plus celebres et des plus modestes força un jour la Troupe Royale de reprendre cinquante pistoles de la somme qu’elle luy avoit envoyée pour son ouvrage 123 . Mais a pour une premiere Piece, et à un Autheur dont le nom n’est pas connu, ils ne donnent point d’argent, ou n’en donnent que fort peu, ne le considerant que comme un aprentif qui se doit contenter de l’honneur qu’on luy fait de [f° 44 r°/ p. 67] produire son ouvrage. Enfin la piece leüe et acceptée, le b plus souvent l’Autheur et les Comediens ne se quitent point sans se regaler ensemble, ce qui conclud le Traité. Les Fâcheux et 1.320 livres pour Dom Garcie de Navarre, payé de la même façon. Il se contenta de deux parts d’auteur à partir de L’Ecole des femmes, à ajouter, le cas échéant, à ses deux parts d’acteur/ directeur de la troupe qu’il avait acquises à Pâques 1661. Un auteur secondaire comme Claude Boyer reçut de la troupe de Molière 550 livres « dans une bourse Brodée dor et dargent » pour son Oropaste, ou le faux Tonaxare en décembre 1662 (La Grange, Registre, t. I, p. 52), Gilbert 550 livres aussi pour La Vraye et fausse pretieuse en 1660 (ibid., p. 20). 120 Volée : mérite, talent. « On dit figurément en ce sens, qu’un homme est de la haute volée, quand il est fort elevé au dessus des autres » (F.). 121 Exceptionnellement Racine perçut deux parts d’auteur sur la recette de sa première pièce, La Thébaïde, au Palais-Royal en juin 1664. Mais lorsqu’en décembre 1665 il retira l’Alexandre qu’il avait donné à la même troupe pour le faire jouer par l’Hôtel de Bourgogne, « comme la chose s’estoit faicte de complot avec Mr Racine, la trouppe ne crust pas devoir les partz dautheur aud. Mr Racine qui en usoit si mal que d’avoir donné et faict aprendre la piece aux autres Comediens » (La Grange, Registre, t. I, pp. 68, 81). 122 Reconnaissance et servitude. Ce qu’on appellerait aujourd’hui les droits d’auteur étaient limités soit à une somme à forfait, soit à des droits (une fraction de la recette, après déduction des frais généraux), mais sur la première série de représentations seulement. En cas d’une ou plusieurs reprises réussies, les comédiens pouvaient, par bonne volonté, choisir d’accorder au dramaturge un cadeau pour se conserver ses bonnes grâces. 123 Ce remboursement de 550 livres n’est pas signalé par Deierkauf-Holsboer dans son livre sur l’Hôtel de Bourgogne. a [nouveau paragraphe] b acceptée à la condition du contant ou des deux parts, le <?page no="104"?> 104 Le Théâtre françois XIV. Saisons des Pieces nouvelles Toutes les saisons de l’année sont bonnes pour les bonnes Comedies : mais les grans Autheurs ne veulent guere exposer leurs Pieces nouvelles que depuis la Toussaint jusques à Pasques, lorsque toute la Cour est rassemblée au Louvre ou à S t Germain 124 . Ainsi l’hyver est destiné pour les Pieces Heroïques, et les Comiques regnent l’Esté, la gaye saison voulant des divertissemens de méme nature 125 . XV. Remarques sur les trois jours de la semaine destinez aux representations Il est bon de remarquer icy, que les Comediens n’ouvrent le Theatre que trois jours de la semaine, le Vendredy, le Dimanche et le Mardy, si ce n’est qu’il 124 La saison théâtrale va du lundi de Quasimodo d’une année jusqu’au vendredi précédant le dimanche de la Passion de l’autre. Les troupes profitaient de ce relâche pour embaucher de nouveaux acteurs et de nouvelles actrices. 125 Cette distinction est valable en général, mais avec beaucoup d’exceptions, attribuables aux exigences de la vie de troupe. Les premières des comédies de Molière, auteur, acteur et directeur de troupe, eurent lieu à des dates très divergentes. Celles qui furent créées pour le Roi en hiver (par exemple M. de Pourceaugnac à Chambord en octobre 1669, Le Bourgeois gentilhomme au même endroit en octobre 1670, Psyché aux Tuileries en janvier 1671, La Comtesse d’Escarbagnas à Saint-Germain en février 1672) parurent ensuite en ville, rapidement en ce qui concerne Pourceaugnac et Le Bourgeois, l’été suivant pour Psyché et La Comtesse. Les Précieuses ridicules, cependant, furent montées en novembre 1659 au Palais-Bourbon. Mais L’Ecole des femmes parut pour la première fois en décembre 1662 au Palais-Royal, Dom Juan en février 1665, Les Fourberies de Scapin en janvier 1672, pour ne citer que quelques exemples. Toutes les pièces de Racine, y compris sa seule comédie, furent représentées en public pour la première fois entre novembre et janvier, à l’exception de sa première œuvre dramatique, La Thébaïde, qui vit le jour en juin 1664 au Palais-Royal. Chez Corneille, auteur beaucoup plus diversifié, le problème est différent. Les vingt premières années, de Mélite à Don Sanche d’Aragon et Andromède, y compris toutes les comédies, ne nous ont laissé que des dates de création approximatives, dont Le Cid et Polyeucte en hiver, Horace fin hiver ou début printemps, et Cinna, exceptionnellement, en août ou début septembre. Les tragédies et comédies héroïques qui vont de Nicomède à Suréna ont toutes paru en hiver, entre novembre et mars. Chez un auteur secondaire typique comme Thomas Corneille, les tragédies parurent en hiver, mais les comédies des années 1670, composées seules ou en collaboration (Le Comédien poète, Dom César d’Avalos, L’Inconnu, Le Festin de Pierre, La Devineresse …) furent toutes créées en hiver aussi plutôt que pendant la belle saison. <?page no="105"?> Livre second 105 survienne quelque feste hors de ces jours là, qui ne soit pas du nombre des solennelles 126 . Ces jours ont esté choisis avec prudence, le Lundy estant le grand [f° 44 v°/ p. 68] Ordinaire 127 pour l’Alemagne et pour l’Italie, et pour toutes les Provinces du Royaume qui sont sur la route ; le Me[r]credy et le Samedy jours de Marché et d’affaires, où le Bourgeois est plus occupé qu’en d’autres, et le Jeudy estant comme consacré en bien des lieux pour un jour de promenade, sur tout aux Academies et aux Colleges. La premiere representation d’une Piece nouvelle se donne toûjours 128 le vendredy, pour preparer l’Assemblée à se rendre plus grande le Dimanche suivant par les eloges que luy donnent l’Annonce et l’Affiche 129 . On ne joüe la Comedie que trois jours de la Semaine pour donner quelque relasche au Theatre, et comme l’attachement aux affaires veut des intervales, les divertissemens demandent aussi les leurs. - Voluptates commendat rarior vsus 130 . 126 Chappuzeau offre une explication intéressante du choix des trois jours « ordinaires » de représentation, fondée sur des questions d’ordre socio-économique. A l’époque classique les autres jours, dits « extraordinaires », étaient à la disposition des acteurs pour des représentations supplémentaires, si le théâtre n’était pas partagé avec une autre troupe. A ses débuts Molière, par exemple, dut se contenter des jours moins favorisés car les acteurs italiens occupaient déjà le Petit-Bourbon. En janvier 1710, Le Mercure galant (p. 277) affirma qu’étant donné le grand succès de la Camma de Thomas Corneille, représentée en 1661 à l’Hôtel de Bourgogne, les comédiens « commencèrent à cause de la foule à jouer les jeudis ». Témoignage tardif, et le seul, à notre connaissance, à désigner ce « jour de promenade » pour absorber l’excès de la demande. 127 « On appelle un Courier ordinaire, celuy qui part reglement à un certain jour de la semaine. Et on dit, Escrire par l’ordinaire, pour dire, par la voye de la poste, de ce Courier qui a accoustumé de partir » (F.). 128 Normalement plutôt que toujours. Parmi les exceptions les plus remarquées : chez Molière, Les Précieuses ridicules, L’Ecole des femmes et L’Amour médecin (mardi) et Sganarelle ou le Cocu imaginaire, Le Bourgeois gentilhomme et Les Fourberies de Scapin (dimanche) ; parmi les dernières pièces de Corneille, Œdipe, Attila et Tite et Bérénice parurent un vendredi, mais Sertorius fut monté un samedi, Othon un mercredi, Agésilas un dimanche. Quant aux pièces profanes de Racine dont nous connaissons la date exacte de la première publique, le vendredi s’impose, sauf pour Bajazet (mardi, date probable mais pas certaine). 129 « Annonce : Publication, qui se dit des promesses que font les Comediens sur leur theatre de joüer les jours suivants telles ou telles pieces. Le chef d’une troupe se reserve les affiches et les annonces » (F.). Voir plus loin, Livre III, chapitre XLIX. 130 « La rareté des plaisirs nous les fait meilleurs » (Juvénal, Satires, XI, v. 208). <?page no="106"?> 106 Le Théâtre françois XVI. Distribution des rôles Apres la lecture de la piece qui a esté acceptée, il faut penser à la disposer, et à faire une juste distribution des rôles ; en quoy il se [f° 45 r°/ p 69] trouve souvent de petites difficultez, chacun naturellement ayant bonne opinion de soy méme, et croyant qu’un premier rôle l’établira mieux dans l’estime des Auditeurs. Il y en a pourtant qui se font justice, et se contentent des seconds rôles, ou qui ont l’alternative avec un Camarade pour les premiers 131 . Il en est de méme des Actrices, qu’il y a un peu plus de peine à regler que les Acteurs 132 ; et il est constant que les talens sont divers, que l’une excelle dans les tendres passions, l’autre dans les violentes ; que celle cy s’aquite admirablement d’un rôle serieux, et que celle là n’est guere propre que pour un role enjoüé, et qu’en toutes ces choses le plus et le moins fait la difference du merite. Les Troupes de Campagne sont plus sujetes à ces petites emulations, et pour les prevenir à Paris, quand l’Autheur connoist la force et le talent de chacun (ce qu’il est bon [f° 45 v°/ p. 70] qu’il sçache pour prendre mieux ses mesures) les Comediens se dechargent sur luy avec plaisir de la distribution des rôles, en quoy il prend aussi quelquefois le conseil d’un de la Troupe. Mais encore est il souvent assez empesché, et il a de la peine à contenter tout le monde. Cependant une piece bien disposée en reüssit beaucoup mieux, et c’est l’interest commun de l’Autheur et de la Troupe, et méme de l’Auditeur, que chacun joüe le rôle dont il est capable, et qui luy convient le mieux 133 . 131 Un contrat de société entre les comédiens de l’Illustre Théâtre en date du 30 juin 1643 affirme : « l’accord […] est […] faict entre lesdictz Clerin, Pocquelin [Molière] et Joseph Béjart qui doivent choisir alternatifvement les Heros » (Cent ans, p. 225). 132 On connaît les rivalités qui opposèrent, dans la troupe de Molière, les actrices Madeleine Béjart, Marquise Du Parc et Catherine de Brie. Dans une lettre (printemps 1659), son ami Chapelle écrit « Je les ai faits [ces vers] pour répondre à cet endroit de votre lettre où vous particularisez le déplaisir que vous donnent les partialités de vos trois grandes actrices pour la distribution de vos rôles. Il faut être à Paris pour […] remédier à ce démêlé qui vous donne tant de peine. En vérité, grand homme, vous avez besoin de toute votre tête en conduisant les leurs, et je vous compare à Jupiter pendant la guerre de Troie » (Georges Mongrédien, Recueil des textes et des documents du XVII e siècle relatifs à Molière, Paris : CNRS, 1965, p. 109). 133 Le monde du théâtre parisien du XVII e siècle étant très restreint, les auteurs connaissaient souvent les qualités des acteurs ou actrices et rédigeaient pour eux des rôles qui convenaient à leurs talents. Ainsi Corneille écrivait sa Sophonisbe pour Mlle Des Œillets, Racine son Andromaque pour La Du Parc (« il lui apprit ce rolle ; il la faisoit répéter comme une écolière », dit Boileau) et sa Phèdre pour La Champmeslé. Dans la comédie surtout, l’arrivée de Molière changea l’idée selon laquelle un acteur n’était apte qu’à prendre un certain emploi : jeune premier, vieux barbon, etc, cette typologie étant remplacée par des caractères moins simplistes. <?page no="107"?> Livre second 107 XVII. Repetition Les rôles deuement distribuez chacun va exercer sa memoire, et si le temps presse, et qu’il soit necessaire de faire un effort, une grande piece peut être sceue au bout de huit jours. Il y a d’heureuses memoires, à qui un rôle quelque fort qu’il soit ne coute que trois matinées. Mais sans besoin les Comediens ne se pressent point, et quand ils se sentent fermes [f° 46 r°/ p. 71] dans leur étude, ils s’assemblent pour la premiere repetition, qui ne sert qu’à ebaucher, et ce n’est qu’à la seconde ou à la troisiéme qu’on commence à bien juger du succez que la piece peut avoir 134 . Ils ne se hazardent pas de la produire qu’elle ne soit parfaitement bien sceue et bien concertée, et la derniere repetition doit être juste comme lorsqu’on la veut representer. L’Autheur assiste ordinairement à ces repetitions, et releve le Comedien s’il tombe en quelque defaut, s’il ne prend pas bien le sens, s’il sort du naturel dans la voix ou dans le geste, s’il aporte plus ou moins de chaleur qu’il n’est à propos dans les passions qui en demandent. Il est libre aux Comediens intelligens de donner aussi leurs avis dans ces repetitions, sans que son Camarade le [f° 46 v°/ p. 72] trouve mauvais, parce qu’il s’agit du bien public. Voila ce qui se peut dire a en general de la maniere dont les Autheurs se conduisent b avec les Comediens. Il est temps d’en donner le catalogue, et pour faire les choses avec plus d’ordre, je crois qu’il ne sera pas mal à propos de les ranger en trois classes. Je feray entrer dans la premiere ceux qui soûtiennent presentement le Theâtre ; dans la seconde ceux qui l’ont soûtenu, et qui ne travaillent plus ; et dans la troisiéme ceux dont la memoire nous est Selon Charles Perrault, « Il a encore eu le don de distribuer si bien les personnages et de les instruire ensuite si parfaitement qu’ils semblaient moins des acteurs de comédie que les vraies personnes qu’ils représentaient » (Mongrédien, Recueil […] Molière, p. 702). Dans ses Nouvelles nouvelles de 1663, Donneau de Visé dit, à propos de la représentation de L’École des femmes : « Jamais comédie ne fut si bien représentée ni avec tant d’art ; chaque acteur sait combien il doit faire de pas et toutes ses œillades sont comptées » (ibid., p. 177). 134 Il semblerait que les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne n’aient eu qu’une dizaine de jours au maximum pour apprendre l’Alexandre que Racine fit monter par la troupe de Molière le 4 décembre 1665, puis transféra rue Mauconseil dès le 14 du mois. Pour le déroulement d’une répétition, et en particulier le travail du metteur en scène en créant les gestes et les intonations, voir Molière, L’Impromptu de Versailles (1663). La sc. 1 de cette petite comédie suggère que normalement les vers ne s’apprenaient pas aussi facilement que le laisse entendre Chappuzeau. a Voila ce que j’avois à dire b se gouvernent <?page no="108"?> 108 Le Théâtre françois encore recente, ayant fini leurs jours dans ce noble employ. Je donneray aussi au Livre suivant le catalogue des Autheurs Comediens et de leurs ouvrages. [f° 47 r°/ p. 73] XVIII. Catalogue des Autheurs et de leurs ouvrages Autheurs Qui soûtiennent presentement le Theatre Messieurs Boursaut. Boyer. Corneille l’Aisné. Corneille le Jeune. Gilbert. Montfleury. Quinaut. Racine. Du Visé. a Pieces de Theatre De chacun de ces Autheurs De Boursaut b 135 . Les Nicandres. Le Portrait du Peintre. Les Cadenas. [f° 47 v°/ p. 74] Le Mort vivant. Les Yeux de Phillis en Pastorale. Germanicus. 135 Edme Boursault (1638-1701), ami et protégé de Pierre et Thomas Corneille, adversaire de Boileau et de Racine, auteur dramatique de second ordre, épistolier, romancier et journaliste. Son Portrait du peintre lui valut une réponse immédiate a D. V. a DE M r BOURSAUT <?page no="109"?> Livre second 109 De Boyer a 136 . Tout feu dans ses vers, tout esprit dans ses pensées 137 Igneus est ollis vigor et celestis b origo 138 . La Porcie Romaine. Aristodeme. Le faux Tonaxare. Le Fils Supposé. Clotilde. Federic c . Demetrius. Policrite. et cinglante de Molière dans la sc. V de L’Impromptu de Versailles (« un auteur sans réputation », y affirme Du Croisy). Ses meilleures pièces de théâtre parurent après la publication du Théâtre françois. Les six mentionnées par Chappuzeau, avec des dates de représentation quelquefois conjecturales, sont : • Les Nicandres, ou les menteurs qui ne mentent point, comédie en 3 actes et en vers jouée à l’Hôtel de Bourgogne en 1663. C’est le remaniement de la pièce en 5 actes Les Deux frères gémeaux ou les menteurs qui ne mentent point qui n’a jamais paru sur scène. • Le Portrait du peintre ou La Contre-critique de l’Ecole des femmes, comédie en 1 acte et en vers représentée à l’Hôtel de Bourgogne en septembre ou octobre 1663. • Les Cadenats, ou le Jaloux endormy, comédie en 1 acte et en vers représentée à Paris en 1660. • Le Mort vivant, comédie en 3 actes et en vers, représentée à Paris en 1661. • La Métamorphose des yeux de Philis changés en astres, pastorale en 3 actes et en vers, représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1664. • Germanicus, tragédie en 5 actes et en vers, représentée en mai 1673 au Théâtre du Marais, puis en octobre à l’Hôtel Guénégaud. L’auteur exigea 1.300 livres pour cette pièce, dont le premier titre fut Les Amours de Germanicus. Chappuzeau omet de sa liste deux comédies en 1 acte et en vers qui avaient paru avant 1673 : • Le Médecin volant, représenté en 1664. • La Satire des satires, publiée en 1669. Boileau en fit interdire la représentation. 136 L’abbé Claude Boyer (1618-1698), auteur de nombreuses pièces de théâtre : tragédies, tragi-comédies, pastorales, comédies, tragédies en musique et à machines. Pour Jean Chapelain, dans sa Liste de quelques gens de lettres vivants en 1662, éd. A. C. Hunter, Paris : E. Droz, 1936, p. 343, c’est « un poète de théâtre qui ne cède a DE M r BOYER b celestit c Frederic <?page no="110"?> 110 Le Théâtre françois La Feste de Venus. Le Jeune Marius. La Jeune Celimene. L’heureux Policrate. 137 138 qu’au seul Corneille de cette profession. [… ] Il pense fortement dans le détail et s’exprime de même ». Corneille cite Boyer, Quinault et lui-même comme les trois seuls auteurs capables de redresser le théâtre du Marais. La renommée de Boyer est immense ; il est élu à l’Académie Française en 1666 et entre sur la liste des pensionnés du Roi. Ses critiques incluent Furetière, Racine (« Sur l’Aspar de M. de Fontenelle » : « Boyer apprit au parterre à baîller »), et Boileau (Art poétique, Chant IV, vv. 33-34 : « Qui dit froid écrivain dit détestable auteur./ Boyer est à Pinchêne égal pour le lecteur »). Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et leurs premières représentations sont : • La Porcie romaine, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1646. • Aristodème, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1647. • Oropaste ou le faux Tonaxare, tragédie représentée au Palais-Royal le 17 novembre 1662 (dans une série de quinze représentations consécutives). • Le Fils supposé, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en août 1671. Réécriture, assez sensiblement modifiée, de Tyridate qui avait paru au Marais en 1648. Le dénouement en particulier est transformé : de tragique, il est devenu heureux. Il s’agit donc de deux pièces distinctes. • Clotilde, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne au printemps de 1659. • Fédéric, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne le 14 novembre 1659. • La Mort de Démétrius, ou le Rétablissement d’Alexandre roi d’Epire, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne le 21 février 1660. • Policrite, tragi-comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1661 et reprise en 1662. • La Feste de Vénus, comédie pastorale héroïque représentée au Marais le 15 février 1669. • Marius, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne fin janvier 1669. • La Jeune Célimène. Confusion chez Chappuzeau avec Lisimène, ou la jeune Bergère, appelée dans l’extrait du privilège La jeune Lisimène, pastorale en 5 actes représentée au Marais en 1672. • Policrate, comédie héroïque représentée au Marais le 19 janvier 1670. • Les Amours de Jupiter et de Sémélé, tragédie à machines avec musique de Louis de Mollier et machines de Denis Buffequin, représentée au Marais le 1 er janvier 1666. • Démarate, tragédie non imprimée, représentée à l’Hôtel de Bourgogne en novembre 1673. 137 Cf. Somaize, La Pompe funèbre de M. Scarron (1660), p. 18 : « M. Boyer, qui a l’esprit tout plein de feu » (Mélèse, Répertoire analytique, p. 38). 138 « De feu est leur vigueur et du ciel leur naissance » (Virgile, Enéide, VI, v. 730). <?page no="111"?> Livre second 111 [f° 48 r°/ p 75] Les Amours de Iupiter et de Semele, Piece de Machines. Demarate 139 . De Corneille l’Aisné a . Le Theatre de Pierre Corneille se trouve au Palais 140 chez Guillaume de Luynes, ou en deux gros volumes fol. avec un sçavant Traitté de la Poëtique et de la Pratique du Theatre, ou en trois volumes 8° ou en quatre petits 12° 141 . Tome I. Melite. Clitandre. 139 Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 (comme pour la liste principale, les dates sont quelquefois conjecturales) : • La Sœur généreuse, tragi-comédie représentée en 1646. • Tyridate, tragédie représentée au théâtre du Marais en 1648. • Ulisse dans l’Isle de Circé, ou Euriloche foudroyé, tragi-comédie représentée au Marais en 1648. • Tigrane, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne le 31 décembre 1660. • Porus, ou la Générosité d’Alexandre, tragédie créée à l’Hôtel de Bourgogne en 1646 ou 1647, puis représentée de nouveau en décembre 1665 sous le titre Le Grand Alexandre ou Porus roy des Indes. • Atalante, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne le 2 mai 1671 mais jamais imprimée. 140 La galerie du Palais de Justice à Paris, avec ses boutiques, dont celles de libraires. 141 Les premières pièces de P. Corneille (1606-1684) commencent à être réunies par les libraires à partir des années 1640. Ainsi, une première partie des Œuvres, avec des révisions de l’auteur, paraît chez Antoine de Sommaville et Augustin Courbé dès 1644 (E. Picot, Bibliographie cornélienne, Paris : A. Fontaine, 1876, n° 98). Dans l’Au Lecteur, Corneille affirme que « c’est contre mon inclination que mes Libraires vous font ce présent. » Le Théâtre de Corneille, revu et corrigé par l’auteur, commence à paraître en 1660 chez Courbé ou Guillaume de Luynes en 3 volumes in-8° (Picot, n° 106) : c’est la grande édition où sont divulgués pour la première fois les Examens, passant en revue chacune de ses pièces, et les trois Discours, « un travail fort pénible sur une matière fort délicate » (lettre à de Pure, 25 août 1660). En 1663, Laurent Maurry publie à Rouen un Théâtre de Corneille en 2 volumes in-folio, véritable consécration (Picot, n° 107), et le même grand format est utilisé en 1663-1665 par de Luynes, Thomas Jolly et Louis Billaine (Picot, n° 108). En 1668, quatre volumes in-12° paraissent chez de Luynes ou Jolly ou Billaine (Picot, n° 110). a DE Mr de CORNEILLE l’Aisné <?page no="112"?> 112 Le Théâtre françois La Veuve. La Galerie du Palais. La Suivante. La Place Royale 142 . Medée. L’Illusion Comique. [f° 48 v°/ p. 76] Tome II. Le Cid. Les Horaces 143 . Cinna, ou la Clemence d’Auguste a 144 . Polyeucte. La Mort de Pompée. Le Menteur. La Suite du Menteur. Theodore. Tome III. Rodogune. Heraclius. Andromede. Dom Sanche d’Arragon. Nicomede. Pertarite. 142 Parmi les six premières pièces de Corneille, cinq (quatre comédies et une tragi-comédie), publiées séparément entre 1632 et 1637, comportèrent un sous-titre : Mélite ou les Fausses lettres, Clitandre ou l’Innocence délivrée, La Veuve ou le Traître trahi, La Galerie du Palais ou l’Amie rivale, La Place Royale ou l’Amoureux extravagant. La mode ayant changé, les sous-titres furent supprimés dès la première édition collective de 1644. 143 Certains contemporains de Corneille, dont Chapelain et D’Aubignac, appellent la pièce Les Horaces. Corneille lui-même et ses éditeurs n’utilisent que le nom du héros de la tragédie. 144 Comme pour certaines de ses pièces des années 1630, le sous-titre n’existe que dans les deux premières éditions séparées de la tragédie (in-4° et in-12) publiées en 1643 par Toussaint Quinet. Il disparaît dès l’édition collective de 1644. a Cinna <?page no="113"?> Livre second 113 Oedipe. La Toison d’or. [f° 49 r°/ p. 77] Tome IV. Sertorius. Sophonisbe. Othon. Agesilas. Attila. Berenice. Pulcherie 145 . Ce sont là les grans et fameux ouvrages de Pierre Corneille l’Aisné des deux Freres, Nec viget quicquam simile aut secundum. Proximos illi tamen occupauit Alter honores 146 : 145 La IV e partie du Théâtre de P. Corneille publiée en 1668 chez Guillaume de Luynes contient Sertorius, Sophonisbe, Othon, Agésilas et Attila. La prochaine édition collective ne datera que de 1682. La tragi-comédie Tite et Bérénice, créée le 28 novembre 1670, fut publiée chez Jolly et Billaine le 3 février 1671, et la comédie héroïque Pulchérie, jouée le 14 novembre 1672, fut achevée d’imprimer chez de Luynes le 20 janvier 1673. Chappuzeau ajoute ces deux pièces tout simplement à la table des matières qu’il reproduit ici. La dernière pièce de théâtre de Corneille, Suréna, ne sera jouée qu’en 1674 et imprimée en janvier 1675. Certains titres de Corneille furent abrégés par la suite : Polyeucte martyr devint Polyeucte, mais après 1664 ; La Mort de Pompée devint Pompée après les deux premières éditions (in-4° et in-12) de 1644 ; Théodore vierge et martyre, Héraclius empereur d’Orient, et Pertharite roi des Lombards, résistèrent mais sont connus par le seul nom du héros ou de l’héroïne. 146 « Rien ne prend force qui lui soit semblable ou qu’il ait pour second. Pourtant les honneurs les plus proches des siens sont le lot de l’autre » (Horace, Odes, livre I, ode XII, vv. 18-20 ; Chappuzeau change l’avant-dernier mot,« Pallas » dans le texte latin). <?page no="114"?> 114 Le Théâtre françois Corneille le Jeune a 147 . a produit vingt quatre belles pièces de Theatre, qui se trouvent chez le méme De Luynes en quatre Tomes 12° 148 . [f° 49 v°/ p. 78] Tome I. Les Engagemens du hazard. Le Feint Astrologue. Dom Bertrand de Cigaral. L’Amour à la mode. Le Berger Extravagant. Les Charmes de la Voix 149 . Tome II. Le Geolier de soy méme. Les Illustres Ennemis. Timocrate. Berenice. La Mort de l’Empereur Commode. Darius. Tome III. Le Galant doublé. Stilicon. 147 Thomas Corneille (1625-1709), frère cadet de Pierre Corneille et dramaturge fécond. Pour Chapelain (Liste de quelques gens de lettres français vivants en 1662, p. 344), il mérite une exécution : « A force de vouloir surpasser son aîné il tombe fort au-dessous de lui, et son élévation le rend obscur sans le rendre grave ». Ailleurs, Chappuzeau est plus indulgent : « Thomas Corneille […] ne le doit céder qu’à son aîné M. Pierre Corneille » (L’Europe vivante, 2 e partie, Genève : Widerhold, 1669, p. 315). 148 Chappuzeau fait allusion à l’édition des Poèmes dramatiques de T. Corneille qui parut en format in-12 chez de Luynes ou Jolly ou Billaine, les trois premières parties en 1669, la quatrième - en effet un recueil factice d’éditions séparées précédé d’un titre général - en 1673 (Picot, n° 110, et cf. n° 111). Voir aussi la note 151. 149 Le Charme de la voix. a DE M r CORNEILLE LE JEUNE <?page no="115"?> Livre second 115 Camma. [f° 50 r°/ p. 79] Maximian. Pyrrhus. Persée et Demetrius. Antiochus. Tome IV. Annibal 150 . Le Baron d’Albicrac. Ariane. Theodat. Laodice. Ces cinq dernieres Pieces se vendent encore separement ; mais comme elles peuvent faire un juste volume, le Libraire les rassemblera bientost dans un quatriéme Tome 151 . De Gilbert a 152 . Les Heraclides. Telephonte. 150 La Mort d’Annibal. 151 Chappuzeau a omis une pièce de T. Corneille : la comédie La Comtesse d’Orgueil, jouée à l’Hôtel de Bourgogne en 1670. 152 Gabriel Gilbert (v. 1620-v. 1680), auteur dramatique et poète, de religion protestante. Chapelain (Liste de quelques gens de lettres français vivants en 1662, p. 344) le décrit comme « un esprit délicat duquel on a des odes, de petits poèmes et plusieurs pièces de théâtre pleines de bons vers […] Il n’a pas une petite opinion de lui ». Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et leurs premières représentations sont : • Chresphonte ou le Retour des Héraclides dans le Péloponnèse, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne à l’automne de 1657. • Téléphonte, tragi-comédie représentée « par les deux trouppes royalles » en 1641. • Les Amours de Diane et d’Endimion, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne vers la fin de 1656. • Arie et Pétus ou les Amours de Néron, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en septembre 1659. • Les Amours d’Angélique et de Médor, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1664. a DE M r GILBERT <?page no="116"?> 116 Le Théâtre françois Endimion. Arie et Petus, ou les Amours de Neron. [f° 50 v°/ p. 80] Amours d’Angelique et de Medor. Les Intrigues amoureuses. Les Amours d’Ovide. De Montfleury a 153 . L’Ecole des Jaloux. L’Ecole des Filles. L’Inpromptu. • Les Intrigues amoureuses, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1663. • Les Amours d’Ovide, pastorale héroïque en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgone en juin 1663. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • Marguerite de France, tragi-comédie représentée en 1640. • Rhodogune, tragi-comédie représentée en 1645. • Hypolite ou le Garçon insensible, tragédie représentée en 1645. • Sémiramis, tragédie représentée en 1646. • Le Courtisan parfait, tragi-comédie représentée en 1663. • Les Peines et les plaisirs de l’amour, pastorale héroïque avec musique de Cambert, représentée par l’Académie royale de musique en 1672. Il ignore aussi cinq pièces de Gilbert, jouées dans les années 1660 mais jamais imprimées : • La Vraye et fausse pretieuse, comédie représentée neuf fois au Petit-Bourbon en mai 1660. • Huon de Bordeaux, tragi-comédie ( ? ) représentée au Petit-Bourbon en août 1669. • Le Tyran d’Egypte, pièce représentée au Petit-Bourbon en février 1661. • Théagène, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en juillet 1662. • Léandre et Ero, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en août 1667. 153 Antoine Jacob, dit Montfleury (1639-1685), fils de Zacharie Jacob, illustre comédien de l’Hôtel de Bourgogne. Il participa à la cabale dirigée contre L’Ecole des femmes et par conséquent ne put pas donner ses pièces au théâtre du Palais-Royal, les offrant plutôt à l’Hôtel de Bourgogne, au Marais (dans le cas de L’Ambigu comique), puis au Guénégaud. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et leurs premières représentations sont : • L’Ecole des jaloux ou le Cocu volontaire, comédie en 3 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1662. • L’Ecole des filles, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1665. • L’Impromptu de l’Hôtel de Condé, comédie en 1 acte représentée à l’Hôtel de Bourgogne en décembre 1663. a De M r de MONTFLEURY <?page no="117"?> Livre second 117 Thrasybule. La Femme Juge et Partie. La Fille Capitaine. Le Gentilhomme de Beausse. L’Ambigu Comique a . De Quinaut b 154 . En divers Tomes chez Guillaume de Luynes 155 . Les Rivales. La Genereuse Ingratitude. • Trasibule, tragi-comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1663. • La Femme juge et partie, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne fin 1658/ début 1659. • La Fille capitaine, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne au début de 1671. • Le Gentilhomme de Beauce, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en août 1670. • L’Ambigu comique, ou les Amours de Didon et Ænée, tragédie en 3 actes mêlée de 3 intermèdes comiques, représentée au théâtre du Marais fin 1672/ début 1673. • (variante) Le Comédien poète, comédie en 5 actes de Montfleury et de T. Corneille, représentée à l’Hôtel Guénégaud le 10 novembre 1673. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • Le Mariage de rien, comédie en 1 acte et en octosyllabes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1660. • Les Bestes raisonnables, comédie en 1 acte représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1661. • Le Mary sans femme, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1664. • Le Procez de la Femme juge et partie, comédie en 1 acte représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1669. 154 Philippe Quinault (1635-1688), un des auteurs dramatiques les plus réussis du XVII e siècle, dans la tragi-comédie, la tragédie et la tragédie lyrique ou l’opéra où il collabora avec Lully. Dans sa Liste de quelques gens de lettres …, éd. cit, p. 344, Chapelain dit que c’est « un poète sans fond et sans art mais d’un beau naturel qui tourne bien les tendresses amoureuses ». Le style tendre est remarqué par de nombreux critiques contemporains, dont Boileau : « Et jusqu’à Je vous hais, tout s’y dit tendrement » (Satire III). Quinault fut élu à l’Académie Française en 1670. 155 Les Œuvres de Quinault parurent à Paris chez Guillaume de Luynes en 1659 en 2 parties, le Théâtre en 1663 en 2 tomes à Amsterdam chez Abraham Wolfgang. Il s’agit de recueils factices. a L’Ambigu Comique. Le Comedien Poëte b DE Mr QUINAUT <?page no="118"?> 118 Le Théâtre françois L’Estourdi. Les Coups d’Amour et de la Fortune. [f° 51 r°/ p. 81] Le Fantosme amoureux. La Comedie sans Comedie. L’Amalazonte. Le Mariage de Cambyse. Alcibiade. Agrippa, ou le faux Tiberinus. Stratonice. Cyrus. Pausanias. La Mere coquete. Bellerophon. Les pièces de Quinault furent publiées séparément chez divers libraires parisiens (Guillaume de Luynes, Toussainct Quinet, Claude Barbin, Augustin Courbé) en format in-12 sauf pour Les Coups de l’amour et de la fortune (in-4°). Toutes les pièces furent représentées pour la première fois à l’Hôtel de Bourgogne, à part La Comédie sans comédie, qui vit le jour au théâtre du Marais. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation quelquefois conjecturales sont : • Les Rivales, comédie représentée en 1653. • La Généreuse ingratitude, tragi-comédie pastorale représentée en 1654. • L’Amant indiscret ou le Maistre estourdy, comédie représentée en 1654. • Les Coups de l’amour et de la fortune (par Quinault et d’autres auteurs), tragi-comédie représentée fin août ou début septembre 1655. • Le Fantosme amoureux, tragi-comédie représentée en 1656, début juillet au plus tard. • La Comédie sans comédie, comédie représentée en avril 1655. • Amalasonte, tragi-comédie représentée en novembre 1657. • Le Mariage de Cambise, tragi-comédie représentée en 1658 (été). • Le Feint Alcibiade, tragi-comédie représentée au début de 1658. • Agrippa roy d’Albe, ou le faux Tibérinus, pièce sans genre (tragi-comédie ? ) représentée fin octobre ou début novembre 1662. • Stratonice, tragi-comédie représentée le 2 janvier 1660. • La Mort de Cyrus, tragédie représentée fin 1658 ou début 1659. • Pausanias, tragédie représentée le 16 novembre 1668. • La Mère coquette ou les Amants brouillez, comédie représentée en octobre 1665 en conflit avec La Mère coquette de Jean Donneau de Visé au Palais-Royal. • Bellérophon, tragédie représentée fin décembre 1670 ou début janvier 1671. <?page no="119"?> Livre second 119 Et pour l’Opera 156 , Les Festes de l’Amour et de Bacchus, Pastorale. Cadmus et Hermione, Tragedie. Alceste, Tragedie. Le méme Autheur a fait encore un ouvrage soûs le nom des Amours de Lysis et d’Hes[f° 51 v°/ p. 82]perie, Pastorale Allegorique, sur le sujet de la Negotiation de la Paix et du Mariage du Roy. Elle fut composée de concert avec Monsieur de Lyonne sur les memoires qu’en fournit le Cardinal Mazarin, et representée au Louvre par la Troupe Royale ; mais elle n’a pas esté imprimée pour de certaines raisons, et l’Original apostillé de Monsieur de Lyonne est dans la Bibliotheque de Monsieur Colbert. 156 Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation quelquefois conjecturales sont : • Les Festes de l’Amour et de Bacchus, pastorale en 3 actes de Quinault et de Lully, représentée à Versailles en 1668, puis par l’Académie royale de musique au Jeu de paume de Bel-Air, rue de Vaugirard à Paris, le 15 novembre 1672. • Cadmus et Hermione, tragédie lyrique en 5 actes de Quinault et de Lully, représentée par l’Académie royale de musique au Jeu de paume de Bel-Air le 1 er février 1673, reprise en 1674 au Palais-Royal, accordé à l’Académie après la mort de Molière. • Alceste ou le Triomphe d’Alcide, tragédie lyrique en 5 actes de Quinault et de Lully, avec scénographie de Carlo Vigarani, représentée au Palais-Royal le 18 (? ) janvier 1674. Dès le 20 novembre 1673, Madame de Sévigné parle à sa fille des préparations qui ont lieu à Versailles : « Le Roi le [La Rochefoucauld] fait entrer et asseoir chez Mme de Montespan pour entendre les répétitions d’un opéra qui passera tous les autres ; il faut que vous le voyiez », puis le 24 elle poursuit : « On répète une musique d’un opéra qui effacera Venise » (Correspondance, éd. R. Duchêne, Paris : Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 3 vol., 1972-1978, t. I, pp. 623, 627). • Les Amours de Lysis et d’Hespérie, pastorale allégorique représentée à l’Hôtel de Bourgogne le 26 novembre 1660 et au Louvre, devant le Roi, le 9 décembre 1660. Hugues de Lionne (1611-1671) fut un diplomate et ministre d’État sous le règne de Louis XIV et négocia la paix des Pyrénées (1659). Il se peut que la suppression du texte imprimé soit due à l’identification d’Hespérie avec Marie Mancini, nièce de Mazarin et maîtresse de Louis XIV (Lysis). <?page no="120"?> 120 Le Théâtre françois De Racine a 157 . La Thebaïde. Alexandre le Grand. Andromaque. Britannicus. Berenice. Bajazet. Mithridate. [f° 52 r°/ p. 83] De Du Visé b 158 . La Mere coquete c . Les Maris Infideles. La Veuve à la mode. Le Gentilhomme Guespin. Les Costeaux. La Loterie. Venus et Adonis. Les Amours du Soleil. 157 Les œuvres de Racine (de La Thébaïde à Iphigénie) n’ont pas été réunies avant la première édition collective de 1675-1676. Voir à ce sujet Racine, Œuvres complètes I : Théâtre - Poésie, éd. Forestier, pp. xcvii- c. Racine fut élu à l’Académie Française en 1672. Dans la présente liste Chappuzeau omet la comédie Les Plaideurs, représentée à l’Hôtel de Bourgogne en novembre 1668, entre Andromaque (créée à la Cour le 17 novembre 1667) et Britannicus (joué pour la première fois à l’Hôtel de Bourgogne le 13 décembre 1669). 158 Jean Donneau de Visé (1638-1710), critique, romancier, dramaturge et journaliste qui fonda Le Mercure galant en 1672 et y associa Thomas Corneille en 1681. Il admira Pierre Corneille et fut l’ennemi de Racine, de Boileau et de La Bruyère. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation quelquefois conjecturales sont : • La Mère coquette ou les Amants brouillés, comédie en 3 actes représentée au Palais- Royal le 23 octobre 1665. a DE M r RACINE b DE Mr D. V. c La Mere Coquete, faite aussi par Mr. Quinaut. Delie, Pastorale <?page no="121"?> Livre second 121 Le Mariage de Bacchus. Ces trois dernieres a sont des Pieces de Machines. Autheurs Qui ont soûtenu le Theatre, et qui ne travaillent plus. Messieurs d’Aubignac. [f° 52 v°/ p. 84] de Benserade. le Clerc. la Cleriere. M lle des Iardins. Mairet. des Marests. de Montauban. de Salbret b . • (variante) Délie, pastorale en 5 actes, représentée au Palais-Royal le 28 octobre 1667. • Les Maris infidèles, ou l’Amy de tout le monde, pièce non imprimée représentée au Palais-Royal le 24 janvier 1673. • La Veufve à la mode, comédie en 1 acte représentée au Palais-Royal le 15 mai 1667. • Le Gentilhomme Guespin, comédie représentée au théâtre du Marais en été 1670. • Les Costeaux ou les Marquis friands, comédie en 1 acte représentée en 1664. • Les Intrigues de la loterie, comédie en 3 actes représentée au théâtre du Marais dans la 2 e moitié de 1669. • Les Amours de Vénus et d’Adonis, tragédie à machines avec musique de Charpentier représentée au théâtre du Marais au début de 1670. • Les Amours du Soleil, tragédie à machines représentée au théâtre du Marais au début de 1671. • Le Mariage de Bacchus et d’Ariane, comédie héroïque en 3 actes avec musique de Louis Mollier représentée au théâtre du Marais en décembre 1671. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • Zélinde ou la Véritable critique de l’Ecole des femmes et la critique de la critique, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en été 1663. • Réponse à l’Impromptu de Versailles ou l’Embarras de Godard, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en novembre 1663. • Les Maux sans remède, comédie non imprimée représentée au Palais-Royal les 11 et 13 janvier 1669 seulement. a Ces trois dernieres Pieces b de Salbert [Les quatre premiers noms, ainsi que les quatre derniers, sont réunis par une accolade] <?page no="122"?> 122 Le Théâtre françois Pieces de Theatre De chacun de ces Autheurs. De D’Aubignac a 159 . Zenobie en prose. Il a de plus tres bien écrit du Theatre. De Benserade b 160 . Cleopatre. Gustave. 159 François Hédelin, abbé d’Aubignac (1604-1676), célèbre auteur de La Pratique du théâtre, conçue pour Richelieu au début des années 1640 mais imprimée seulement en 1657. D’abord admirateur, puis ennemi de Corneille qui ne parla pas de lui dans ses écrits théoriques de 1660, il modifia son texte pour rayer les mentions élogieuses de l’auteur du Cid et, par la suite, attaqua dans des dissertations Sophonisbe, Sertorius et Œdipe. La pièce mentionnée par Chappuzeau est : • Zénobie, tragédie en prose « Où la verité de l’Histoire est conservée dans l’observation des plus rigoureuses reigles du Poëme Dramatique », représentée en avril 1640 et imprimée en 1647. Chappuzeau omet les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • La Pucelle d’Orléans, tragédie en prose « Selon la verité de l’histoire et les rigueurs du Theatre », représentée vers 1640 et imprimée en 1642. • La Cyminde ou les deux Victimes, tragédie en prose, imprimée en 1642 mais sans doute jamais représentée. 160 Isaac de Benserade (1612-1691), poète et auteur dramatique. Protégé par Richelieu, puis par Mazarin, il fut reçu à l’Académie Française en 1674. A partir de 1650, il se consacra à composer des vers pour les ballets du Roi. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation quelquefois conjecturales sont : • Cléopâtre, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1635. • Gustaphe ou l’Heureuse ambition, tragi-comédie représentée en 1637. • Méléagre, tragédie représentée en 1640. • La Mort d’Achille ou la Dispute de ses armes, tragédie représentée en 1636. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • Iphis et Iante, comédie en 5 actes représentée en 1634. • La Pucelle d’Orléans ( ? ). Il se peut que Benserade ou La Mesnardière (voir plus loin sous ce nom) soit l’auteur de cette tragédie anonyme, publiée à Paris en 1642 et qui dut faire concurrence à celle de l’abbé d’Aubignac. a DE M. D’AUBIGNAC b DE Mr. DE BENSERADE <?page no="123"?> Livre second 123 Meleagre. La Dispute des Armes d’Achille. [f° 53 r°/ p. 85] De Le Clerc a 161 . Le Jugement de Paris. La Virginie. De La Cleriere b 162 . Amurat. Iphigenie. 161 Michel Le Clerc (1622-1691), né à Albi, avocat au Parlement de Paris, auteur d’une ou peut-être deux tragédies, et l’un des modernes raillés par Boileau. Les Anecdotes dramatiques (Paris : V ve Duchesne, 1775, t. III, p. 286) diront de lui : « si cet Auteur s’étoit entièrement livré au genre dramatique, il auroit plus de réputation. Il avoit du feu, de l’imagination, et de l’ordre. Son génie sage et réglé ne lui faisoit pas enfanter des chef-d’œuvres ; mais il sçavoit éviter ces fautes grossieres, que l’on voit si souvent dans les Ouvrages de ses Contemporains ». Trente ans après ses débuts de dramaturge et reçu à l’Académie Française dès 1662, Le Clerc devint le concurrent de Racine : l’Iphigénie de ce dernier fut créée à Versailles le 18 août 1674 et transférée à l’Hôtel de Bourgogne fin décembre 1674 ou début janvier 1675 ; une Iphigénie de Le Clerc, « avec une centaine de vers épars ça et là » du poète toulousain Jacques de Coras (1630-1677), fut jouée sept fois au Théâtre Guénégaud en mai, juin et novembre 1675. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation quelquefois conjecturales sont : • Jugement de Paris, pièce non imprimée, vraisemblablement une tragédie, jouée dans le parc du Château de Loudun en 1655, selon l’Epître à M. de Turenne de Scarron citée par H. Clouzot, Ancien théâtre en Poitou, Niort : L. Clouzot, 1901, p. 123, et par Lancaster, History, t. III, p. 167, note 1. • La Virginie romaine, tragédie représentée en 1643. 162 Coqueteau de La Clairière, originaire de Rouen (« le Rotomageois, Cocto », selon Somaize, La Pompe funèbre de Scarron, Paris, J. Ribou, 1660, p. 50), grand ami des Corneille et de l’abbé de Pure. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau sont : • Amurat, sans doute une tragédie mais qui n’est pas connue de la critique. • Iphigénie, même remarque (mais voir Pylade et Oreste). Chappuzeau omet de sa liste la pièce suivante qui avait paru avant 1673 : a DE Mr. LE CLERC b DE Mr. DE LA CLERIERE <?page no="124"?> 124 Le Théâtre françois De M lle Des Jardins 163 . Qui s’est aquis beaucoup de reputation par ses ouvrages galans en prose et en vers, et qu’il faut faire entrer dans la classe des Autheurs de notre Sexe, à moins que de luy en donner une à part. • Pylade et Oreste, tragédie non imprimée représentée au théâtre du Palais-Bourbon les 23, 25 et 28 novembre 1659. Dans une lettre à l’abbé de Pure, Thomas Corneille écrit le 1 er décembre 1659 : « J’ay eu bien de la joye de ce que vous avez escrit d’Oreste et de Pilade, et suis faché en mesme temps que la haute opinion que Mr de la Cleriere avoit du jeu de Mrs de Bourbon [la troupe de Molière] n’ait pas esté remplie advantageusement pour luy. Tout le monde dit qu’ils ont joué detestablement sa piece, et le grand monde qu’ils ont eu a leur farce des pretieuses [Les Précieuses ridicules de Molière, créées le 18 novembre 1659] apres l’avoir quittée, fait bien cognoistre qu’ils ne sont propres qu’a soustenir de semblables bagatelles et que la plus forte piece tomberoit entre leurs mains » (Ms BnF f. fr. 12763, f° 171-172). Lancaster (History, t. III, p. 429, note 1), suivi par Georges Couton (La Vieillesse de Corneille (1658-1684), Paris : Maloine, 1949, p. 21), pense que l’Iphigénie mentionnée par Chappuzeau n’est autre que Pylade et Oreste. L’identification me paraît pour le moins douteuse. 163 Marie-Catherine-Hortense Desjardins, dite Mme de Villedieu (1632 ? -1683). Romancière et femme dramaturge, elle se montra sensible envers son statut, comme le raconte Tallemant des Réaux (Historiettes, éd. Adam, t. II, p. 908) : « elle querella Molière de ce qu’il mettait dans ses affiches le Favory de Mademoiselle des Jardins et qu’elle estoit bien Madame pour luy, qu’elle s’appelloit Madame de Villedieu ; car elle a bien changé d’avis sur cela. Molière lui respondit doucement qu’il avoit annoncé sa pièce sous le nom de Mademoiselle des Jardins ; que de l’annoncer sous le nom de Madame de Villedieu, cela feroit du galimatias ; qu’il la prioit pour cette fois de trouver bon qu’il l’appellast Madame de Villedieu partout, hormis sur le theatre et dans ses affiches ». Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation quelquefois conjecturales sont : • Manlius, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en mai 1662. • Le Favory, tragi-comédie créée au Palais-Royal le 24 avril 1665 (La Grange, Registre, t. I, p. 75, l’appelle La Coquette ou le Favory). Elle eut treize représentations consécutives et fut jouée dix fois encore au cours de la saison 1665-1666. En plus, à Versailles en juin 1665, la troupe de Molière « a joué le Favory dans le Jardin sur un Theastre tout garny d’orangers. Mr de Moliere fist un prologue en marquis Ridiculle qui vouloit estre sur le Theastre malgré les gardes et eust une conversation Risible avec une actrice qui fist la marquise Ridiculle placée au milieu de lassemblée » (ibid., p. 76). • Nitétis, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne le 27 avril 1663. Sur les rares écrivaines de théâtre du XVII e siècle, voir Perry Gethner, Femmes dramaturges en France 1650-1750 : pièces choisies, 2 vol., Paris-Seattle-Tübingen : Papers on French Seventeenth Century Literature, 1993 (Biblio 17, 79 : t. I), et Tübingen : Gunter Narr, 2002 (Biblio 17, 136 : t. II). <?page no="125"?> Livre second 125 Manlius. Le Favori. Nitetis. [f° 53 v°/ p. 86] De Mairet a 164 . Chriseïde. Sophonisbe. 164 Jean Mairet (1604-1683), auteur dramatique considéré comme l’inventeur de la règle des trois unités. Il donna l’élan à la tragédie classique mais ses tragi-comédies n’atteignirent jamais la réputation du Cid, leur contemporain, et il se retira définitivement du théâtre après 1640. Chappuzeau semble particulièrement mal informé concernant cet écrivain important et assez précoce, lui attribuant par erreur l’Aspasie de Desmarets de Saint-Sorlin et l’Hercule mourant de Rotrou et laissant de côté neuf des douze pièces qu’il fit représenter à partir de 1625. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation souvent conjecturales sont : • Chryséide et Arimand, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1625. • La Sophonisbe, tragédie représentée au théâtre du Marais en 1634. • La Silvanire ou la Morte vive, tragi-comédie pastorale représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1629 ou au début de 1630. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • La Sylvie, tragi-comédie pastorale représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1626. • Les Galanteries du duc d’Ossonne, vice-roi de Naples, comédie en 5 actes représentée au Jeu de paume de la Sphère, rue Vieille-du-Temple à Paris, au cours de la saison 1632-1633. • Virginie, tragi-comédie représentée au Jeu de paume de la Fontaine, rue Michel-le- Comte à Paris, en 1633. • Marc-Antoine, ou la Cléopâtre, tragédie représentée au théâtre du Marais en 1635. • Le Grand et dernier Solyman, ou la Mort de Mustapha, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1637. • L’Illustre corsaire, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1637. • Le Roland furieux, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1638. • L’Athénaïs, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne au cours de la saison 1638-1639. • La Sidonie, tragi-comédie héroïque représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1640. a DE Mr. MAIRET <?page no="126"?> 126 Le Théâtre françois Silvanire. Aspasie. Mort d’Hercule. De Des Marests a 165 . Les Visionnaires. Scipion. Le Mariage d’Alexandre. L’Europe, Poëme Heroïque & Allegorique b . 165 Jean Desmarets de Saint-Sorlin (1595-1676), poète, romancier et auteur dramatique. Conseiller du Roi, Contrôleur général de l’Extraordinaire des guerres, Secrétaire général de la Marine du Levant, il fut, de mars 1634 à janvier 1638, le premier chancelier de l’Académie Française. Il collabora avec Richelieu pour Europe et Mirame et fut un des examinateurs du Cid en 1637. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation souvent conjecturales sont : • Les Visionnaires, comédie en 5 actes représentée au théâtre du Marais vers le début de 1637. • Scipion, tragi-comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1638. • Le Mariage d’Alexandre. Il s’agit de Roxane, tragi-comédie en 5 actes représentée en 1639. • Europe, comédie héroïque allégorique représentée en novembre 1642. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • Le Charmeur charmé, comédie non achevée, selon Maupoint, Bibliothèque des théâtres, Paris : Prault, 1733, p. 70. • Le Sourd, comédie en 1 acte et en octosyllabes, non imprimée et peut-être jamais représentée. • Aspasie, comédie en 5 actes représentée en 1636. • Mirame, tragi-comédie en 5 actes avec scénographie de Georges Buffequin, représentée le 14 janvier 1641 pour l’inauguration du Théâtre du Palais-Cardinal. « Une partie du sujet et des pensées étoit du Cardinal de Richelieu ; aussi témoigna-t-il des tendresses de Pere pour cette piece, dont la représentation lui couta près de trois cens mille écus, et pour laquelle il fit bâtir cette grande salle de son Palais qui sert encore aujourd’hui de représentations de l’Acadenie Royale de Musique » (Maupoint, p. 209). Cette pièce à machines fit valoir l’équipement le plus moderne et les techniques les plus avancées, avec des perspectives remarquables et des éclairages sophistiqués. • Erigone, tragi-comédie en 5 actes et en prose, représentée en 1641. a DE Mr. DES MARESTS b L’Europe <?page no="127"?> Livre second 127 De Montauban a 166 . Seleucus. Indegonde. Zenobie en vers. Les Comtes de Hollande Les Charmes de Felicie. [f° 54 r°/ p. 87] De Salbret b 167 . L’Enfer divertissant. La Belle Egyptienne. Andromaque Piece de Machines. 166 Jacques Pousset de Montauban (1610 ? -1685), originaire du Mans, avocat et jurisconsulte à Paris, ami de Le Royer de Prade, de Chapelle et de Molière. Ses cinq pièces partagent un privilège du 22 septembre 1653, mais l’ordre et les dates de leur représentation, au début des années 1650, à la fin de la Fronde, font l’objet de conjectures. Sans doute qu’elles parurent toutes sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne, dont les affaires allaient mieux à ce moment-là que celles du Marais. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau sont : • Séleucus, tragi-comédie héroïque représentée en 1652-1653. • lndégonde, tragédie représentée en 1652-1653. • Zénobie, reyne d’Arménie, représentée en 1652-1653. Chappuzeau différencie cette pièce de la tragédie en prose de l’abbé d’Aubignac sur Zénobie, reine des Palmyréniens, représentée en 1640. • Le Comte de Hollande, tragi-comédie représentée en 1652-1653. • Les Charmes de Félicie, tirés de la Diane de Montemayor, pastorale représentée en 1653. 167 Sallebray, poète dramatique qui aurait été comédien à l’Hôtel de Bourgogne en 1674, mais qui « ne figure cependant dans aucun acte de l’époque » (Dictionnaire biographique, p. 190). Comme ses œuvres existantes datent de la période 1639-1642, cet emploi plus de trente ans plus tard paraît invraisemblable. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation souvent conjecturales sont : • L’Enfer divertissant, comédie rapportée par Maupoint (p. 328) et par A. de Léris, Dictionnaire portatif historique et littéraire des théâtres (Paris : Jombert, 1763, p. 167), qui dit qu’elle a été imprimée en 1639. Il ne reste aucune preuve de sa représentation ni de son impression. • La Belle Eyptienne, tragi-comédie avec musique et ballets représentée en 1640-1641. a DE Mr. DE MONTAUBAN b DE Mr. DE SALBRET <?page no="128"?> 128 Le Théâtre françois Autheurs Qui ont travaillé pour le Theatre, Et fini leurs jours dans ce noble employ. Bigre. de Boisrobert. des Brosses. Claveret. Cyrano. Douville. Durier. Gillet. de Gombaud. Magnon. Marechal. [f° 54 v°/ p. 88] de la Menardiere. Moliere. Pichou. de Rotrou. Scarron. de Scudery. de la Serre. Tristan. Pieces de Theatre De chacun de ces Autheurs. De Bigre a 168 . • La Troade, tragédie représentée (d’après la page de titre et le privilège) à l’Hôtel de Bourgogne, sans doute dans la deuxième moitié de 1639. Andromaque figure parmi les personnages principaux, mais il n’y a pas de machines. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • Le Jugement de Paris et le ravissement d’Hélène, tragi-comédie musicale représentée dans la première moitié de 1639. La Troade en est la suite. • L’Amante ennemie, tragi-comédie représentée en 1640-1641. 168 Le Bigre, auteur inconnu d’au moins deux pièces dont une seule a survécu. L’attribution d’Adolphe est due à Chappuzeau, car le nom de l’écrivain ne figure nulle a DE Mr. BIGRE <?page no="129"?> Livre second 129 Le Fils malheureux. Le Bigame. De Boisrobert a 169 . Les Apparences trompeuses. La Belle Invisible. La Belle Plaideuse. L’Inconnu. [f° 55 r°/ p. 89] Alphedre. part dans l’édition de 1650. Dans un Au Lecteur intéressant, celui-ci constate les difficultés posées par la représentation de pièces de théâtre : « Plusieurs qui ont toute l’ame dans les sens, trop attachez à l’existence du Theatre, ne scavent pas distinguer la chose representee d’avec sa representation : Cette espreuve est si trompeuse pour les moins clair-voyans, qu’elle leur rend quelquefois des beautez diformes, et parfois leur desguise agreablement des diformitez, quoy que le Poëme Dramatique attende son premier prix de cette perilleuse lice : C’est un[e] estrange sujetion à de purs ouvrages d’esprit de passer par le jugement des sens, et de despendre de la disposition non seulement des Acteurs qui ne peuvent pas estre tousjours egalement assortis à leurs personnages, mais aussi des spectateurs dont la pluspart n’ont pas la veuë nette pour descouvrir la netteté d’une Piece à travers mille accidens dont elle ne peut respondre ». Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau sont : • Le Fils malheureux, pièce connue uniquement par cette mention et vraisemblablement par la phrase dans l’Au Lecteur d’Adolphe : « la premiere Puissance qui preside à cet Estat a receu l’hommage du premier essay de ma plume ». • Adolphe, ou le Bigame généreux, tragi-comédie représentée sans doute vers 1649 et imprimée en 1650. 169 François Le Metel, abbé de Boisrobert (1592-1662), avocat au parlement de Normandie, puis au service de Marie de Médicis avant de devenir secrétaire littéraire de Richelieu et un des Cinq Auteurs. Membre fondateur de l’Académie Française, il fréquenta aussi l’hôtel de Rambouillet. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation souvent conjecturales sont : • Les Apparences trompeuses, comédie en 5 actes représentée en 1655. • La Belle invisible, ou la Constance éprouvée, comédie en 5 actes représentée en 1656. • La Belle plaideuse, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1653. • L’Inconnu, ou l’esprit follet, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1654. • Alphèdre, attribution résultant sans doute d’une confusion avec La Belle Alphrède, comédie de Rotrou représentée en 1636. a DE Mr. DE BOISROBERT <?page no="130"?> 130 Le Théâtre françois Periandre. La folle gageure. De Des Brosses a 170 . Les Songes des Eveillez, et quelque autre piece b . • Périandre, c’est sans doute Pyrandre et Lisimène, ou l’Heureuse tromperie, tragi-comédie représentée en 1631 et publiée en 1633. Toujours avec le même sous-titre, la pièce sera appelée Le Pyrandre (1633), La Lisimène (1637) et La Belle Lisimène (1642). • La Folle gageure, ou les Divertissements de la Duchesse de Pembroc, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1651. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • La Comédie des Tuileries, comédie en 5 actes des Cinq Auteurs, représentée en 1635. • L’Aveugle de Smyrne, tragi-comédie en 5 actes des Cinq Auteurs, représentée en 1637. • Les Rivaux amis, tragi-comédie représentée en 1637. • Les Deux Alcandres, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1639 et imprimée en 1640. Elle sera republiée en 1642 comme une comédie, Les Deux semblables. • Palène, tragi-comédie représentée au théâtre du Marais en 1640 et imprimée la même année. Elle sera republiée comme La Belle Palène en 1642 et Palène sacrifiée, tragédie, en 1647. • Le Couronnement de Darie, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1641 et imprimée en 1642. En 1647 le titre deviendra Le Couronnement du roy Darius. • La Vraye Didon, ou la Didon chaste, tragédie représentée en 1642. • La Jalouse d’elle-même, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1649. • Les Trois Orontes, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1651. • Cassandre, comtesse de Barcelone, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1653. • Les Généreux ennemis, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1654. • Les Coups d’Amour et de Fortune, ou l’Heureux infortuné, tragi-comédie représentée au théâtre du Marais en 1655. • L’Amant ridicule, comédie en 1 acte représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1655. • Théodore, reine de Hongrie, tragi-comédie représentée en 1656. 170 Brosse, dit Brosse l’aîné (qui signe aussi : La Brosse), originaire d’Auxerre, mort en 1651. Dans l’Au Lecteur de ses Innocens coupables, il affirme : « le Comique veut estre sans pompe, comme le serieux sans espargne et sans abaissement. Je sçay a DE Mr. DES BROSSES b Les Songes des Eveillez. <?page no="131"?> Livre second 131 De Claveret a 171 . Le Roman du Marais. l’œconomie de l’un et de l’autre, LES INNOCENS COUPABLES, que je te presente, et la Stratomice (sic) que je te donnay l’an passé, peuvent t’entretenir dans cette opinion, laquelle pour changer en creance, je te promets dans peu une Comedie que j’appelle les Songes des Veillans que j’espere qui te satisfera, et une Tragedie intitulée Le Turne où tu verras si j’ay manqué de force pour surmonter Virgile que j’ay eu au moins assez d’assurance pour l’envisager. » Son frère cadet, Brosse le jeune, est l’auteur du Curieux impertinent ou le Jaloux, comédie en 5 actes, représentée en 1644 et publiée en 1645 : « ce n’est que le travail de quinze jours […] son Autheur l’a composé à l’âge de treize ans » (Au Lecteur). La pièce comprise dans la liste de Chappuzeau est : • Les Songes des hommes esveillez, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne fin 1644. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • La Stratonice ou le Malade d’amour, tragi-comédie représentée en 1644 (« un coup d’essay », selon la Dédicace). • Les Innocens coupables, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1645. La Dédicace affirme : « bien que Paris les ait veus paraistre à leur âvenement cinq fois consecutives sur le premier de ses Theatres, et qu’un Prince mesme qui les a demandez les ait honnorez deux fois de sa presence, je veux croire que ces choses sont plutost une marque de la rudesse du peuple et de l’indulgence d’un Prince qu’un tesmoignage de leur valeur ». • Le Turne de Virgile, tragédie représentée en 1646. • L’Aveugle clair-voyant, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1648-1649. 171 Jean Claveret (1590-1666), Orléanais, avocat et auteur dramatique, ami puis adversaire de Corneille. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation souvent conjecturales sont : • Le Roman du Marais, pièce non imprimée, attribuée à Claveret. • Le Ravissement de Proserpine, tragédie représentée au théâtre du Marais en 1637 : « La scene est au Ciel, en la Sicile et aux enfers, o[ù] l’imagination du lecteur se peut representer une certaine espece d’unité de lieu, les concevant comme une ligne perpendiculaire du ciel aux enfers. ». • L’Ecuyer ou les Faux nobles mis au billon, « comedie du temps dediée aux vrais Nobles de France », imprimée en 1665 mais peut-être jamais représentée. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • L’Esprit fort, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1629- 1630. • Le Pèlerin amoureux, La Place royale, La Visite différée et Les Eaux de Forges : pièces perdues. a DE Mr. DE CLAVERET <?page no="132"?> 132 Le Théâtre françois Le Ravissement de Proserpine. Les Faux Nobles. De Cyrano a 172 . Agrippine. Le Pedan joüé. De Douville b 173 . Les Fourbes d’Arbiran. L’Astrologue. 172 Savinien Cyrano de Bergerac (1619-1655), auteur de deux pièces de théâtre mais connu surtout pour son amitié avec La Mothe le Vayer, Tristan l’Hermite, Chapelle et le libertinage d’idées, exprimé dans les deux romans utopiques de L’Autre Monde. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation souvent conjecturales sont : • La Mort d’Agrippine, veuve de Germanicus, représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1653. • Le Pédant joué, comédie en 5 actes et en prose, représentée vers 1653. 173 Antoine Le Metel, sieur d’Ouville (1589-1655), ingénieur, géographe, frère de l’abbé Boisrobert (voir supra) et amateur du théâtre espagnol où il a puisé ses nombreuses comédies. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation souvent conjecturales sont : • Les Trahizons d’Arbiran, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1637. • Jodelet astrologue, comédie en 5 actes représentée au théâtre du Marais en 1646. • L’Esprit folet, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1638 ou 1639. • L’Absent chez soy, comédie en 5 actes représentée en 1642. • Les Fausses véritez (connues aussi sous le titre de Croire ce qu’on ne voit point et ne pas croire ce qu’on voit), comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1641. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • La Dame suivante, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1643. • Aimer sans savoir qui, comédie en 5 actes représentée en 1645. • Les Morts vivants, tragi-comédie représentée en 1645. • La Coifeuse à la mode, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1647. • Les Soupçons sur les apparences, comédie héroïque en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1649. a DE Mr. CYRANO b DE Mr. DOUVILLE <?page no="133"?> Livre second 133 L’Esprit follet. [f° 55 v°/ p. 90] L’Absent chez soy. Croire ce qu’on ne void point, ou ne pas croire ce que l’on void. De Durier a 174 . Les Vendanges de Suresne. Alcimedon. 174 Pierre Du Ryer (1605-1658), traducteur, auteur de nombreuses pièces de théâtre et, sur la fin de sa vie, historiographe de France. Il fut élu en 1646 à l’Académie Française en remplacement de Nicolas Faret, contre Pierre Corneille. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation souvent conjecturales sont : • Les Vendanges de Suresnes, comédie en 5 actes représentée en 1633. • Alcimédon, tragi-comédie représentée en 1632. • Esther, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1642. • Scévole, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne ou par l’Illustre Théâtre (? ) en 1644. • Cléomédon, tragi-comédie représentée en 1635. • Nitocris, reyne de Babylone, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1649. • Thémistocle, tragédie représentée au théâtre du Marais en 1647-1648. • Alcyonée ou le Combat de l’amour et de l’honneur, tragédie représentée au théâtre du Marais en 1637. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • Arétaphile, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1628. • Argénis et Poliarque, ou Théocrine, tragi-comédie représentée en 1629. • Clitophon, ou Clitophon et Leucipe, tragi-comédie non imprimée, représentée en 1629. • Lisandre et Caliste, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1630. • Amarillis, pastorale, attribuée à Du Ryer, représentée en 1631. • Lucrèce, tragédie représentée au théâtre du Marais en 1636. • Clarigène, tragi-comédie représentée en 1637. • Saül, tragédie représentée en 1640. • Bérénice, tragi-comédie en prose représentée en 1644. • Dynamis, reyne de Carie, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1650. • Anaxandre, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1653. a DE Mr. DURIER <?page no="134"?> 134 Le Théâtre françois Esther. Scevole. Cleomedon. Nitocris. Themistocle. Alcyonée. De Gillet a175 . Les cinq passions. L’art de Regner. Constantin. Sigismond. Le Deniaisé. Le Campagnard. 175 Gillet de la Tesson(n)erie (1620 ? -166. ? ), Conseiller à la Cour des Monnoies et auteur de diverses pièces de théâtre, dont deux sont constituées de cinq histoires différentes, insérées dans un cadre. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation souvent conjecturales sont : • Le Triomphe des cinq passions, tragi-comédie représentée en 1640. • L’Art de régner, ou le Sage gouverneur, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1644. • Aucune pièce de Gillet ne porte le titre de Constantin. Il n’y a pas de confusion possible avec La Mort de Chrispe ou les Malheurs domestiques du Grand Constantin de Tristan (1644), car cette tragédie sera signalée plus loin, s. v. Tristan l’Hermite. • Sigismond, duc de Varsau, appelé plus tard Le Grand Sigismond, prince polonais, tragicomédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1646. • Le Desniaisé, comédie en 5 actes représentée au théâtre du Marais vers la fin de 1647. • Le Campagnard, comédie en 5 actes représentée au théâtre du Marais en 1656. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • La Belle Quixaire, tragi-comédie représentée au théâtre du Marais en 1638. • La Belle Policritte, appele plus tard La Mort du grand Promédon ou l’exil de Nérée, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1639. • La Comédie de Francion, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1642. • La Mort de Valentinian et d’Isidore, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1648. a DE Mr. GILLET <?page no="135"?> Livre second 135 [f° 56 r°/ p. 91] De Gombaud a 176 . L’Amarante, Pastorale. Les Danaïdes. De Magnon b 177 . Sejanus. Josaphat c . Oroondate. 176 Jean Ogier de Gombaud (1580 ? -1666), de la religion réformée, membre fondateur de l’Académie Française, poète, romancier, auteur de lettres et de discours et de deux pièces de théâtre. Il défendit les unités. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation souvent conjecturales sont : • L’Amaranthe, pastorale en 5 actes avec chœurs, représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1630. • Les Danaïdes, tragédie représentée en 1644. 177 Jean Magnon (1620-1662), avocat de Tournus, assassiné sur le Pont-Neuf à Paris par l’amant de sa femme. Il fut un temps historiographe du Roi et ami de Molière. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation souvent conjecturales sont : • Séjanus, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1645. • Josaphat, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1645. • Le Mariage d’Oroondate et de Statira, ou la Conclusion de Cassandre, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne fin 1646 ou début 1647. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • Artaxerce, tragédie représentée par l’Illustre Théâtre en 1644. • Le Grand Tamerlan et Bajazet, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1646. • Jeanne de Naples, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1653. • Zénobie reine de Palmyre, tragédie représentée au Théâtre du Palais-Bourbon en 1659 et dédiée à Christine de France, duchesse de Savoie. • Tite, tragi-comédie représentée ( ? ) en 1659. La pièce, tout comme le Théâtre françois, est dédiée à Charles-Emmanuel, duc de Savoie. a DE Mr. DE GOMBAUD b DE Mr. MAGNON c Josophat <?page no="136"?> 136 Le Théâtre françois De Marechal a 178 . Torquatus. Le Capitan Fanfaron. De la Menardiere b 179 . La Pucelle d’Orleans. 178 Antoine-Andre Mareschal (16 ? ? -16 ? ? ), originaire de Lorraine, avocat au parlement de Paris, romancier et auteur dramatique qui croyait aux mérites de la tragi-comédie et avait du mal à accepter les règles du théâtre : « Je ne saurais me repentir d’un péché que je trouve raisonnable et n’ai pas voulu me restreindre à ces étroites bornes ni du lieu, ni du temps, ni de l’action qui sont les trois points principaux que regardent les règles des Anciens » (préface à La Généreuse Allemande). Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation souvent conjecturales sont : • Torquatus, tragédie attribuée à Mareschal par Maupoint (1733). • Le véritable Capitan Matamore ou le Fanfaron, comédie représentée au théâtre du Marais fin 1637 ou début 1638. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • La Généreuse Allemande, ou le Temple d’amour, tragi-comédie en deux journées de 5 actes chacune, représentée en 1630. • L’Inconstance d’Hylas, comédie pastorale représentée en 1630. • La Sœur valeureuse ou l’Aveugle amante, tragi-comédie représentée en 1633. • Le Railleur ou la Satyre du temps, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1635. • La Cour bergère ou l’Arcadie de Messire Philippes Sidney, tragi-comédie pastorale représentée en 1638. • Le Mauzolée, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1640. • Le Jugement équitable de Charles le Hardy, dernier Duc de Bourgogne, tragédie représentée en 1643. • Le Dictateur romain (devient en 1648 Papyre ou le Dictateur romain), tragédie représentée en 1644. 179 Hippolyte Jules Pilet de La Mesnardière (1610-1663), poète, médecin de Richelieu et de Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, maître d’hôtel et lecteur ordinaire de la chambre du Roi, membre de l’Académie Française à partir de 1655, et auteur d’une importante Poétique incomplète (1639). La pièce comprise dans la liste de Chappuzeau est : • La Pucelle d’Orléans, tragédie représentée en 1641 et achevée d’imprimer le 15 mai 1642. Cette versification de la tragédie en prose du même nom de l’abbé d’Aubignac (achevée d’imprimer le 11 mars 1642) est attribuée soit à La Mesnardière, soit à Benserade. Chappuzeau omet de sa liste la pièce suivante qui avait paru avant 1673 : • Alinde, tragédie représentée en 1640 ou 1641. a DE Mr. MARECHAL b DE Mr. DE LA MENARDIERE <?page no="137"?> Livre second 137 De Moliere a 180 . L’Etourdi, ou les Contretemps. Les Pretieuses Ridicules b . L’Amour Medecin. Le Cocu Imaginaire. [f° 56 v°/ p. 92] Le Depit amoureux c . 180 Si on laisse de côté les farces de La Jalousie du Barbouillé et du Médecin volant, imprimées pour la première fois en 1819 et dont l’attribution reste conjecturale, Molière composa trente pièces de théâtre, de L’Etourdi au Malade imaginaire. Le catalogue de Chappuzeau en comporte vingt-deux, la liste de 1674 suivant un ordre légèrement différent de celle du manuscrit de Moscou. Ni l’une ni l’autre ne se conforme cependant à la chronologie des représentations ou des achevés d’imprimer. Selon la pratique de l’époque, et de La Grange dans son Registre, le Sganarelle de 1660 est indiqué par son sous-titre le Cocu imaginaire, Monsieur de Pourceaugnac (« Porsegnac ») par une forme raccourcie. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • Dom Garcie de Navarre ou le Prince jaloux. • Les Fâcheux • La Critique de l’Ecole des femmes • L’Impromptu de Versailles • Dom Juan ou le Festin de Pierre • Mélicerte • Les Amants magnifiques • La Comtesse d’Escarbagnas L’auteur du Théâtre françois connaissait certainement Molière. Le 6 mai 1662 celui-ci a créé Le Riche mécontent ou Le noble imaginaire (appelé par La Grange Le Riche Impertinent, « Piece Noule de Mr Chapuseau »). La comédie eut huit représentations consécutives au théâtre du Palais-Royal. A la différence de Pierre Corneille, Thomas Corneille et Racine, Chappuzeau n’indique aucune édition collective publiée du vivant de Molière. Or un recueil factice, composé d’éditions séparées, parut chez C. de Sercy en 1664. La première édition collective originale, à pagination suivie, fut publiée par G. Quinet en 1666. En 1668-1669 d’autres volumes, des recueils factices également, virent le jour chez J. Ribou et N. Pepingué. En 1673 le contenu des deux volumes de 1666 fut réimprimé par G. de Luynes, accompagné de cinq tomes constitués d’éditions séparées. La première édition des Œuvres complètes de Molière, réunissant les comédies imprimées de son vivant et celles qu’il n’avait pas publiées, fut préparée conjointement par le comédien La Grange et par Vivot, ami de Molière, et publié chez Thierry, Barbin et Trabouillet en huit volumes en 1682. a DE Mr DE MOLIERE b Les Pretieuses Ridicules. L’Etourdi, ou les Contretemps c Le Misantrope. Le Depit Amoureux <?page no="138"?> 138 Le Théâtre françois Le Medecin malgré luy. L’Ecole des Maris. L’Ecole des Femmes Le Sicilien. L’Amphitrion a . La Princesse d’Elide. Le Mariage forcé. Porsegnac. George dandin. Le Bourgeois Gentilhomme. Les Fourberies de Scapin. Tartufe. Le Misantrope. L’Avare. Les Femmes Sçavantes b . Psyché Piece de Machines. Le Malade Imaginaire. [f° 57 r°/ p. 93] De Pichou 181 . Les Folies de Cardenio. La Phillis de Scire. 181 Le sieur Pichou (1597-1631), originaire de Dijon, fut poète et auteur de quatre pièces de théâtre, dont « la pastorale la plus juste et la mieux travaillée qu’on eust encore veue », selon la préface du médecin Isnard en tête de La Filis de Scire, rapportant les mots du Cardinal de Richelieu qui honora la pièce de sa présence et de son approbation. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation souvent conjecturales sont : • Les Folies de Cardénio, tragi-comédie représentée en 1628. • La Filis de Scire, comédie pastorale « tirée de l’italien » représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1630. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • Les Aventures de Rosiléon, tragi-comédie pastorale non imprimée, représentée en 1628 ou 1629. • L’Infidèle confidente, tragi-comédie représentée en 1629. a L’Ecole des Femmes L’Amphitrion b Les Fourberies de Scapin. L’Avare. Tartufe. Les Femmes sçavantes. <?page no="139"?> Livre second 139 De Rotrou a 182 . Celimene. Lysimene. Laure persecutée La Thebaïde. Alvare de Lune. Venceslas. Amphitrion b . Les Menechmes 183 . 182 Jean de Rotrou (1619-1650), originaire de Dreux (où il mourut de la fièvre pourprée), auteur dramatique fécond dont les pièces conservées parurent isolément entre 1631 et 1655. Protégé par Richelieu, Rotrou fut un des Cinq Auteurs (contribuant à La Comédie des Tuileries et L’Aveugle de Smyrne) et se spécialisa dans la tragi-comédie. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation souvent conjecturales sont : • Célimène, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1633. L’Amaryllis de Rotrou (voir variante), c’est Célimène retouchée par Tristan l’Hermite et accommodée au théâtre comme pastorale. • Lisimène. A part les œuvres de ce nom dues à Boisrobert et à Boyer (q. v.), Guillaume de Coste publia une pastorale La Lizimène à Paris en 1632. On ne connaît pas de Lisimène de Rotrou. • Laure persécutée, tragi-comédie représentée au théâtre du Marais en 1637. • La Thébaîde, c’est Antigone, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1637. • Alvare de Lune. Selon Maupoint (p. 103), suivi par d’autres compilateurs du XVIII e siècle, une tragi-comédie de Rotrou, Dom Alvare de Lune, fut donnée en 1647. • Venceslas, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1647. • Amphitrion, c’est Les Sosies, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1636. • Les Ménechmes, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1630. Pour les pièces que Chappuzeau omet de sa liste, voir la note suivante. 183 Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • L’Hypocondriaque ou le Mort amoureux, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1628. • La Bague de l’oubly, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1628. • La Diane, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1630. • Les Occasions perdues, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1631. • L’Heureuse constance, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1631. a DE Mr. DE ROTROU b Venceslas. Amaryllis. Amphitrion. <?page no="140"?> 140 Le Théâtre françois De Scarron a 184 . L’Heritier ridicule. Jodelet, ou le Maître valet. Jodelet soufleté. Blaize Pol. [f° 57 v°/ p. 94] • Cléandre ou l’Heureux naufrage, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1633. • Amélie, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1633. • Cléagénor et Doristée, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1634. • La Céline, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1634. • Angélique ou la Pèlerine amoureuse, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1634. • L’Innocente infidélité, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1634. • Le Filandre, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1635. • Agésilan de Colchos, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1635. • Crisante, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1635. • La Florimonde, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1635. • Clorinde, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1635. • La Belle Alphrède, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1636. • Les Deux pucelles, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1636. • Les Captifs, ou les Esclaves, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1638. • Hercule mourant, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1631. • Iphigénie, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1640. • Clarice ou l’Amour constant, comédie représentée en 1641. • Le Bélissaire, tragi-comédie représentée en 1643. • Célie, ou le Vice-roy de Naples, tragi-comédie représentée en 1645. • La Sœur, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1645. • Le Véritable Saint-Genest, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1646. • Dom Bernard de Cabrère, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1646. • Cosroès, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1648. • Dom Lope de Cardone, tragi-comédie représentée en 1649. 184 Paul Scarron (1610-1660), poète burlesque, romancier et auteur de comédies et de tragi-comédies. Ce « raccourci de la misère humaine », impotent et tordu dès sa trentaine à cause d’un rhumatisme, sut plaire à Mazarin et à Anne d’Autriche ainsi qu’à Françoise d’Aubigné, la future Madame de Maintenon, qu’il épousa en 1652. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation souvent conjecturales sont : • L’Héritier ridicule ou la Dame intéressée, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1649. • Jodelet ou la Maître valet, comédie représentée au théâtre du Marais en 1645. a DE Mr. SCARRON <?page no="141"?> Livre second 141 L’Ecolier de Salamanque. Philippin Prince. Dom Japhet d’Armenie. Les Fausses aparences. Le Prince Corsaire. Le Gardien de soy méme. Le Marquis ridicule. De Scudery a 185 . Lidias ou Lygdamon. Le Trompeur puni. Lucidan, ou le Heraut d’Armes. • Les trois Dorothées ou le Jodelet souffleté (qui deviendra Jodelet duelliste), comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1647. • Blaize Pol, c’est la dernière pièce dont parle Chappuzeau : Le Marquis ridicule ou la Comtesse faite à la hâte, comédie représentée en 1655. Dom Blaize Pol y figure comme Marquis de la Victoire. • L’Ecolier de Salamanque, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1654. • Philippin Prince. Le personnage de Philipin, présent aussi dans La Coifeuse à la mode de d’Ouville et dans Les Nicandres de Boursault, figure dans la comédie en 1 acte intitulée Abrégé de comédie ridicule de Matamore, en vers burlesques, et sur une mesme Rime, insérée par Scarron dans ses Boutades du capitan Matamore et ses comédies, publiées à Paris en 1647. Selon Eugène Rigal (Le Théâtre français avant la période classique, Paris : Hachette, 1901, p. 333), Philippin fut le nom de farceur de l’acteur François Bedeau dit L’Espy, frère de Jodelet. Pour Lancaster (History, t. I, p. 745), il s’agit plutôt de l’acteur Claude Deschamps, sieur de Villiers. • Dom Japhet d’Arménie, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1647. • La Fausse apparence, tragi-comédie représentée en 1657 ou 1658. • Le Prince corsaire, tragi-comédie représentée en 1658. • Le Gardien de soi-même, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1655. 185 Georges de Scudéry (1601-1667), militaire, romancier, poète et auteur dramatique, frère de Madeleine de Scudéry qui donnait certains de ses ouvrages sous son nom. Ecrivain fécond, fréquentant les ruelles et les cercles littéraires, élu à l’Académie Française en 1650, il fut attaqué par Boileau (Satire II) : « Bienheureux Scudéri, dont la fertile plume/ Peut tous les mois sans peine enfanter un volume ! ». Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation souvent conjecturales sont : • Ligdamon et Lidias ou la Ressemblance, tragi-comédie représentée en 1629. • Le Trompeur puni ou l’Histoire septentrionale, tragi-comédie représentée en 1631. • Lucidan ou le Héraut d’armes, pièce non imprimée, représentée en 1639. • Orante, tragi-comédie représentée au Jeu de paume de La Fontaine à Paris en 1633. a DE Mr. DE SCUDERY <?page no="142"?> 142 Le Théâtre françois Orante. La Mort de Cesar. Les Freres ennemis. Andromire. Le Prince deguisé. Didon. Annibal. Ibrahim. [f° 58 r°/ p. 95] De La Serre a 186 . Thomas Morus. • La Mort de César, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1636. • Arminius ou les Frères ennemis, tragi-comédie représentée en 1642. • Andromire, tragi-comédie représentée en 1641. • Le Prince déguisé, tragi-comédie représentée en 1635. • Didon, tragédie représentée en 1636. • Annibal, tragédie non imprimée, représentée en 1631. • Ibrahim ou l’Illustre Bassa, tragi-comédie représentée en 1641. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • Le Vassal généreux, tragi-comédie représentée en 1632. • La Comédie des comédiens, « poème de nouvelle invention » représenté en 1634. • Le Fils supposé, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1635. • L’Amant libéral, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1636. • L’Amour tyrannique, tragi-comédie représentée au théâtre du Marais en 1638. • Eudoxe, tragi-comédie représentée en 1639. • Axiane, tragi-comédie en prose représentée en 1643. 186 Jean Puget de la Serre (1593 ? -1665), Toulousain, conseiller d’Etat, historiographe de France à partir de 1631, et inventeur de la tragédie en prose. La pièce comprise dans la liste de Chappuzeau et la date de représentation conjecturale sont : • Thomas Morus ou le Triomphe de la foi et de la constance, tragédie en prose représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1641. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • Pandoste ou la Princesse malheureuse, tragédie en prose représentée en 1631. • Pyrame, tragédie en prose représentée en 1633. • Le Sac de Carthage, tragédie en prose représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1642. • Climène ou le Triomphe de la vertu, tragi-comédie en prose représentée en 1642. • Le Martyre de Sainte-Catherine, tragédie en prose représentée en 1643. • Thésée ou le Prince reconnu, tragi-comédie représentée en 1644. a DE Mr. DE LA SERRE <?page no="143"?> Livre second 143 De Tristan a 187 . Osman. La Folie du Sage. Marianne. Bajazet. La Mort de Seneque. La Mort de Crispe b . 187 François Tristan l’Hermite (1601-1655), sieur du Solier, dans la Marche, attaché à la maison de Gaston d’Orléans, puis à celle d’Henri de Guise. Poète lyrique et poète dramatique, il fut élu à l’Académie Française en 1649. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates de représentation souvent conjecturales sont : • Osman ou la Mort du grand Osman, tragédie représentée en 1646. • La Folie du sage, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1644. • La Mariane, tragédie représentée au théâtre du Marais en 1636. • Bajazet : « On lui attribue encore une Tragédie de Bajazet » (A. de Léris, Dictionnaire portatif historique et littéraire des théâtres, p. 695). • La Mort de Sénèque, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1644. • La Mort de Chrispe ou les Malheurs domestiques du Grand Constantin, tragédie représentée en 1644. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • Panthée, tragédie représentée au théâtre du Marais en 1637. • Amarillis, pastorale composée par Rotrou (s. v. Célimène), accommodée au théâtre par Tristan et représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1652. • Le Parasite, comédie en 5 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1654. a DE Mr. TRISTAN b La mort de Crispe La Mort de Seneque <?page no="144"?> 144 Le Théâtre françois [f° 58 v°/ p. 96] Livre Troisiéme De la conduite des Comediens, Et de l’établissement des deux Hostels. I. Deux sources des plaisirs qu’on va goûter au Theatre Les plaisirs du Theatre coulent de deux sources qui doivent y contribuer egalement, et leur union est si necessaire, que l’une ou l’autre venant à manquer, il n’y a proprement plus de Comedie. Peu de gens sont capables de bien gouster un Poëme Dramatique dans le cabinet, et le Poëte en a peu de gloire, si le Comedien ne le recite en public. Les Autheurs, comme j’ay dit, sont les Dieux Tutelaires du Theatre, et les Acteurs sont les Interpretes de leurs volontez, qui n’ont guere de force que dans leurs bouches. Pour dire les choses plus clairement, une Piece quelque excellente qu’elle puisse estre n’ayant pas esté representée, ne trouvera point de Libraire qui se veuille charger de l’impression ; [f° 59 r°/ p. 97] et la moindre bagatelle qui sera fade sur le papier, et que l’Action aura fait gouster sur le Theatre, trouve d’abord marchand dans la Sale du Palais 188 . Ce sont là des preuves bien certaines de la necessité absolue du Comedien pour les plaisirs du spectacle, puisque l’ouvrage du Poëte seroit enterré, ou renfermé du moins a dans les tristes bornes d’un manuscrit, qui ne peut guere passer que dans deux ou trois ruelles. II b . Difference des genies entre les Comediens J’ay parlé de la difference qui se trouve dans les genies des Autheurs ; il y en a de méme entre les Acteurs et les Actrices, ce qu’au Livre precedent je n’ay pas assez touché. Comme les talens sont divers, l’un n’est propre que pour le serieux, l’autre que pour le Comique, & Jodelet auroit aussi mal reüssi dans le 188 C’est-à-dire : se vend tout de suite chez un des librairies installés dans la galerie marchande du Palais de Justice à Paris. a au moins b [Ce chapitre, ainsi que les autres du Livre III, sont indiqués par des chiffres arabes]. <?page no="145"?> Livre Troisiéme 145 rôle de Cinna, que Bellerose dans celuy de Dom Japhet d’Armenie 189 . Il est rare de voir un Acteur exceller dans les deux genres, et dans tous les caracteres, et le Theâtre n’a guere eu qu’un Montfleury, [f° 59 v°/ p. 98] qui s’est rendu Illustre en toutes manieres 190 . Aussi avoit il de l’esprit infiniment, et il s’en est fait une large effusion dans sa famille. Les Troupes usent en cecy d’une juste œconomie, et les Comediens se faisant justice les uns aux autres partagent entre eux les rôles selon leur capacité ; celuycy prend les Roys, celuylà les Amoureux, et les plus habiles ne dedaignent point de prendre un suivant, s’il est necessaire. S’ils en usent autrement, et si dans la distribution des rôles ils ont d’autres veües que le bien commun, et de la Troupe, et du Poëte, et de l’Auditeur, ils en sont blamez, ce qui est arrivé a quelquefois dans les Troupes de Paris, et tres souvent dans celles de la Campagne. Il en est de méme des femmes, dont les unes sont propres pour des roles emportez, les autres pour des rôles tendres ; et comme il n’y en a pas une qui ne soit bien aise de passer pour jeune b , elles ne s’empressent pas beaucoup à representer des Sisigambis 191 . [f° 60 r°/ p. 99] Il est de l’art du Poëte de ne produire des meres que dans un 189 Julien Bedeau, dit Jodelet, grand farceur qui fit ses débuts à Angers en 1603 et fut connu pour son nez de blaireau, sa voix nasillarde et son visage enfariné. Il joua à l’Hôtel de Bourgogne mais surtout au théâtre du Marais et figura dans des comédies de Scarron, T. Corneille et D’Ouville qui portaient son nom. Ayant passé à la troupe de Molière en 1659 et joué dans Les Précieuses ridicules, il mourut en 1660. Voir C. Cosnier, « Jodelet : un acteur du XVII e siècle, devenu un type », Revue d’Histoire littéraire de la France, 62 (1962), pp. 329-352. Pierre Le Messier, dit Bellerose (v. 1592-1670), membre de la troupe de Valleran Le Conte dès 1610, célèbre acteur et chef de la troupe des comédiens du Roi de l’Hôtel de Bourgogne de 1635 à 1647. Pour Tallemant des Réaux, c’est « un comédien fardé, qui regardoit où il jetteroit son chapeau, de peur de gaster ses plumes : ce n’est pas qu’il ne fist bien certains recits et certaines choses tendres, mais il n’entendoit point ce qu’il disoit » (Historiettes, éd. Adam, t. II, p. 776). 190 Zacharie Jacob, dit Montfleury (v. 1600-1667), célèbre acteur de l’Hôtel de Bourgogne où il entra vers 1638 et eut des rôles comiques aussi bien que tragiques (Prusias dans Nicomède, Oreste dans Andromaque, etc.). Raillé par Cyrano de Bergerac, qui se moqua de sa corpulence, et par Molière dans L’Impromptu de Versailles à cause de sa « vaste circonférence » et sa déclamation emphatique qui « attire l’approbation et fait faire le brouhaha » (sc. 1), il fut apprécié non seulement par Chappuzeau mais par Tallemant, Saint-Evremond et Robinet qui, dans sa Lettre du 17 décembre 1667, regretta « cet acteur inimitable » qui avait tenu des rôles « de transport et de courroux ». 191 Sisygambis, mère de Darius, dernier roi de la dynastie persane. Prisonnière d’Alexandre, elle fut si bien traitée par son conquérant qu’à sa mort elle se laissa mourir de faim. Cette femme forte figure dans plusieurs ouvrages du XVII e siècle, dont La a ce qui arrive b passer toûjours pour jeune <?page no="146"?> 146 Le Théâtre françois bel âge, et de ne leur pas donner des fils qui puissent les convaincre d’avoir plus de quarante ans. Pour dire les choses comme elles sont, et à la Comedie, et par tout ailleurs il y a de la peine à regler les femmes, et les hommes en donnent moins 192 . III. Excellent Composé du Comedien et du Poëte a Le Comedien et le Poëte font de la sorte un excellent Composé, et sont à le bien prendre, le corps et l’ame de la Comedie. Le Poëte est la forme substantielle et la plus noble partie, qui donne l’estre et le mouvement à l’autre : le Comedien est la matiere, qui revêtue de ses accidens ne touche pas moins les sens que l’esprit de qui elle reçoit son action. C’est ce qui doit aisement persuader, qu’ils sont d’aussi ancienne origine l’un que l’autre, et que dés qu’il s’est parlé au monde de Comedie, il s’est parlé de Poëtes et de Comediens. J’ay donné aux premiers tout le Livre precedent, je [f° 60 r°/ p. 100] devoüe celuycy aux autres, c’est à dire aux Comediens de France, et particulierement à ceux qui composent les deux Troupes de Paris 193 . Leurs Predecesseurs sont sortis de la Grece, et ayant passé en Italie se sont depuis répandus dans les autres Provinces de l’Europe, où ils ont aquis de la reputation et l’apuy de tous les Princes. Il est aisé de croire que leur gouvernement a souvent changé de face, et qu’ils se sont acommodez aux temps et aux coûtumes des lieux. Ils n’ont pas toûjours observé les mémes loix, et nos Comediens François dont il s’agit seulement, ont fondé leur petit Estat sur d’assez bonnes maximes. Mais avant que d’aller plus loin, et d’expliquer à fond la maniere dont les Comediens se gouvernent en ce qui regarde l’interest public, voyons comme ils se conduisent dans le particulier ; et puisqu’il est vray que dans le monde chaque famille est une petite Republique, et une image du Gouvernement des grands [f° 61 r°/ p. 101] Estats, il est bon d’examiner dans la matiere que je traite si les parties repondent au tout, et si entre les Comediens chaque Pere de Famille conduit sa maison avec autant d’ordre, qu’ils en aportent tous Mort de Daire d’Alexandre Hardy, représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1619, Les Femmes illustres ou les harangues héroïques de Madeleine de Scudéry (1642) et Cassandre de La Calprenède (1644-1645). 192 Voir la note 132. 193 Ecrivant en 1673, Chappuzeau désigne la troupe royale de l’Hôtel de Bourgogne et la troupe du Roi au théâtre de l’Hôtel Guénégaud, constituée après la mort de Molière en février 1673 par la fusion des troupes du Marais et du Palais-Royal. a Excellent Composé du Poëte et du Comedien <?page no="147"?> Livre Troisiéme 147 ensemble à bien conduire l’Estat. Je ne suis ni Poëte, ni Comedien 194 , mais j’ay avec les honnestes gens beaucoup de passion pour la Comedie ; j’honore fort ceux qui l’inventent, et j’aime fort ceux qui l’executent, ce qui m’oblige d’en donner icy un portrait fidele, pour detromper les esprits qui se laissent aller au torrent des opinions vulgaires, qui ne sont pas toûjours apuyées sur la verité. IV. Interest des Comediens apuyez par les declarations du Souverain 195 Il n’y a point de profession au monde authorisée par le Souverain qui ne soit juste et utile, et qui n’ayt pour but le bien public. Cela ne va que du plus au moins ; et c’est une de ces erreurs populaires de croire que la Comedie ayt en 194 Dans une note de son édition du Théâtre françois, Monval (p. 177) se demande si Chappuzeau, « qui s’est oublié sur la liste des auteurs », n’aurait donc été qu’un simple prête-nom dans les nombreux ouvrages qu’il a signés. Mais cette modestie à l’égard de son talent littéraire, pour excessive qu’elle soit, pénètre tout notre texte, ainsi que d’autres ouvrages de l’auteur. 195 Voir, à la fin de ce troisième Livre, les déclarations de Louis XIV en faveur des comédiens, datées du 9 janvier 1673 et du 23 juin 1673. Armand de Bourbon, Prince de Conti, dans son Traité de la Comédie et des spectacles de 1666, se fait le porte-parole des ennemis du théâtre, attaque les comédiens même chrétiens, et dénonce les passions qui sont suscitées par les représentations. « Comme c’est la religion de Jésus-Christ qui la guide [ma critique], elle suit des règles infaillibles, et pourvu qu’elle les applique avec justesse et avec fidélité, elle ne se trompe point dans ses jugements. […] J’espère leur prouver [à ceux qui ne rejettent pas la religion] que la Comédie, en l’état qu’elle est aujourd’hui, n’est pas un divertissement innocent comme ils se l’imaginent, et qu’un chrétien est obligé de la regarder comme un mal. […] Si l’on veut regarder la simple comédie dans son progrès et dans sa perfection, soit pour sa matière et pour ses circonstances, soit pour ses effets, n’est-il pas vrai qu’elle traite presque toujours des sujets peu honnêtes, ou accompagnés d’intrigues scandaleuses ? […] Les Italiens, qui sont les premiers comédiens du monde, n’en remplissent-ils pas moins leurs pièces ? Les farces françaises sont-elles pleines d’autre chose ? Et même de nos jours, ne voyons-nous pas ces mêmes défauts dans quelques-unes des comédies les plus nouvelles ? Les Espagnols n’y ajoutent-ils pas l’application des choses saintes à des usages ridicules ? Et si les comédies qu’on a jouées depuis trente ans en France sont exemptes de ces vices, ne sont-elles pas dignes du même blâme que nos tragédies et tragi-comédies, par la manière d’y traiter nos passions ? […] Il est donc vrai que le but de la Comédie [c’est-à-dire, du théâtre] est d’émouvoir les passions, comme ceux qui ont écrit de la poétique en demeurent d’accord ; et au contraire, tout le but de la religion chrétienne est de les calmer, de les abattre et de les détruire autant qu’on le peut en cette vie. […] Si donc la Comédie, en l’état qu’elle est présentement, est si opposée aux maximes du <?page no="148"?> 148 Le Théâtre françois soy quelque chose de blamable, et que les Comediens soient moins à estimer que ceux qui ne le sont pas. [f° 61 v°/ p. 102] J’entens par la Comedie celle qui est purgée de tous sales equivoques et de mechantes idées ; et par les Comediens j’entens ceux qui vivent moralement bien, et qui parmi les devosts, à la Comedie pres dont ils se declarent ennemis, passeroient pour fort honnestes gens dans le monde. Je n’estime point un Comedien dont la vie est dereglée, et j’estime aussi peu toute autre personne de quelque profession qu’elle puisse être, qui passe de méme les bornes de l’honnesteté. L’honneste homme est honneste homme par tout, et le grand et facile accez que les Comediens ont aupres du Roy et des Princes, et de tous les Grands Seigneurs qui leur font caresse 196 , doit fort les consoler de se voir moins bien dans les esprits de certaines gens, qui au fond ne connoissent ni les Comediens, ni la Comedie, ou qui affectent de ne les connêtre pas. Pour moy qui les ay assez hantez 197 , je dois avoüer que je n’ay pas trouvé moins de plaisir chez eux dans leur [f° 62 r°/ p. 103] honneste conversation, que dans leurs Hostels a à la representation de leurs Comedies. christianisme, n’est-ce pas encore ajouter crime sur crime, que de choisir le saint jour du dimanche pour la jouer ? C’est le jour du Seigneur, il lui appartient tout entier, et si la faiblesse de l’homme ne lui permet pas de le lui donner absolument par une application actuelle, au moins ne doit-on prendre que les divertissements nécessaires ; encore faut-il qu’ils ne soient contraires ni à la sainteté du jour, ni à celle à laquelle les chrétiens sont obligés » (in Pierre Nicole, « Traité de la Comédie » et autres pièces d’un procès du théâtre, éd. L. Thirouin, Paris : Champion, 1998, pp. 194, 195, 198, 208, 209). 196 Caresse : « Demonstration d’amitié ou de bienveillance qu’on fait à quelqu’un par un accueil gracieux, par quelque cageollerie » (F.). Ce texte, dédié à la troupe de Molière, nous rappelle le rôle indispensable de mécène que Louis XIV a joué dans le développement du répertoire du théâtre classique, par les pièces qu’il a commandées, les visites professionnelles que les comédiens ont rendues aux résidences royales, la présence du Roi et de membres de sa famille et de la Cour aux représentations en ville, et le soutien financier qu’il a offert à de nombreux dramaturges. 197 La chronologie, ainsi que la liste de ses pièces acceptées d’abord par le théâtre du Marais, ensuite par le théâtre du Palais-Royal et l’Hôtel de Bourgogne, montrent assez clairement que Chappuzeau a dû avoir des contacts avec les troupes parisiennes, comme plus tard il en aura avec les comédiens du duc de Brunswick-Lüneburg à Bad Pyrmont, puis à Celle, en Allemagne. La correspondance personnelle et les autres documents de l’époque qui ont survécu ne nous permettent pas de préciser davantage la nature de ces contacts. a leur Hostel <?page no="149"?> Livre Troisiéme 149 V. Leur assiduité aux exercices pieux Quoy que la Profession des Comediens les oblige de representer incessamment des intrigues d’amour, de rire et de folâtrer sur le Theâtre ; de retour chez eux ce ne sont plus les mémes, c’est un grand serieux et un entretien solide, et dans la conduite de leurs familles on decouvre la méme vertu et la méme honnesteté que dans les familles des autres Bourgeois qui vivent bien. Ils ont grand soin les Dimanches et les festes d’assister aux exercices de pieté, et ne representent alors la Comedie qu’apres que l’Office entier de ces jours là est achevé, lequel, comme chacun sçait, commence la veille aux premieres vespres, & finit le landemain aux secondes 198 ; de sorte qu’on ne peut leur reprocher qu’ils ayent moins de respect que d’autres pour le Dimanche et les Festes, puisqu’alors le service de l’Eglise est achevé, et que le [f° 62 v°/ p. 104] Peuple qui ne peut pas toûjours avoir l’esprit tendu à la devotion, va chercher quelques divertissemens honnestes. Que si l’on trouve mauvais qu’ils prennent cette licence, il n’est pas juste de crier contre eux plus que contre d’autres gens à qui on ne dit mot, quoyque toute l’apresdînée 199 du Dimanche ils tiennent ouverts plusieurs lieux destinez au divertissement du public, et où il y a moins à profiter qu’au Theâtre. Mais aux Festes solennelles, et dans les deux semaines de la Passion les Comediens ferment le Theatre 200 , ils se donnent particulierement durant ce temps là aux exercices pieux, et aiment sur tout la predication qui est un des plus utiles. Quelques uns d’entre eux m’ont dit, que puis qu’ils avoient embrassé un genre de vie qui est fort du monde, ils devoient hors de leurs occupations travailler doublement à s’en detacher, et cette pensée est fort Chrêtienne. 198 Vespres : « Partie de l’Office Divin qui se dit l’aprés-disnée. Les Vespres du Dimanche, de la premiere, de la seconde Ferie ». Ferie : « C’est ainsi qu’on nomme les jours de la semaine qui suivent le Dimanche. Le Lundi est la seconde Ferie » (F.). 199 C’est-à-dire, l’après-midi. Au XVII e siècle on dînait vers le milieu du jour et on soupait le soir. « Les Maçons disnent à dix heures, les Moines à onze, le peuple à midy, les gens de Pratique [les avocats, les procureurs] à deux heures » (F.). 200 La fermeture annuelle des théâtres pendant le Carême offrait non seulement un relâche mais l’occasion d’engager par contrat de nouveaux acteurs et de nouvelles actrices pour la saison suivante. Le Registre de La Grange indique que le théâtre du Palais-Royal fermait ses portes entre seize et douze jours avant Pâques et les rouvrait entre vingt et vingt-sept jours après Pâques. Voir C. J. Gossip, « “Tenir l’affiche” dans les théâtres parisiens du XVII e siècle », Revue d’Histoire littéraire de la France, 107 (2007), pp. 19-33. <?page no="150"?> 150 Le Théâtre françois VI. Leurs belles aumosnes a Aussi b la Charité qui couvre une multitude de pechez est fort en [f° 63 r°/ p. 105] usage entre les Comediens, ils en donnent des marques assez visibles, ils font des aumosnes et particulieres et generales 201 , et les Troupes de Paris prennent de leur mouvement 202 des boistes de plusieurs Hospitaux et Maisons Religieuses qu’on leur ouvre tous les mois. J’ay veu méme des Troupes de Campagne qui ne font pas de grans gains, devoüer aux Hospitaux des lieux où elles se trouvent la recette entiere d’une representation, choisissant pour ce jour là leur plus belle piece pour attirer plus de monde 203 . VII. L’education de leurs enfans La bonne education de leurs enfans ne doit pas être oubliée, et les familles de Comediens que j’ay connues à Paris ont esté elevées avec grand soin. L’ordre en toutes choses estoit observé, les garçons instruits dans les belles connoissances, les filles ocupées au travail, la table bonne sans y avoir rien de superflu, la conversation honneste durant le repas, et en quoy que ce fust, je n’ay point trouvé de distinction [f° 63 v°/ p. 106] entre leurs maisons et celle d’un Bourgeois la mieux reglée. 201 A la clôture de la saison 1661-1662, la troupe de Molière a « [d]onné au Curé de la paroisse 100 l[ivres] pr les Pauvres » (La Grange, Registre, t. I, p. 44). De temps à autre, elle a accordé de petites sommes à la « charité ». La liste des frais ordinaires de la troupe pour la saison 1662-1663 comportait, à partir de juin 1662, la dépense régulière d’une livre pour la charité, la même somme que celle destinée à la « collation pr la troupe » ou au paiement de « valets communs » (Registre, t. I, p. 47), soit la moitié du salaire journalier d’un gagiste ou d’un charpentier. 202 à cause de leur zèle 203 Sur les représentations données au profit des pauvres par les comédiens de passage à Lyon, voir C. Brouchoud, Les Origines du théâtre de Lyon, Lyon : N. Scheuring, 1865, pp. 73-78. Un don de quelque 77 livres pour les pauvres de l’Hôtel-Dieu, fruit d’une représentation par une troupe qui a pu être celle de Molière, a été fait à Rouen le 20 juin 1658. Le 14 aôut 1658, l’Hôtel-Dieu a reçu 44 livres de la même source (Cent ans, pp. 327, 329). a Leurs aumosnes b [pas de nouveau paragraphe] <?page no="151"?> Livre Troisiéme 151 VIII. Leur soin à ne recevoir entre eux que des gens qui vivent bien S’il a se trouve dans la Troupe quelques personnes qui ne vivent pas avec toute la regularité qu’on peut souhaiter, ce defaut ne rejalit pas sur tout le Corps, et c’est un defaut commun à tous les Estats et à toutes les Familles. Ces personnes là n’y sont soúfertes que par l’excellence d’un merite singulier dans la Profession ; ce qui en cas pareil force bien d’autres Communautez à la necessité de soúfrir ce qu’elles ne peuvent empescher sans detruire leurs avantages 204 . Aussi puis-je dire, que quand il s’agit de recevoir dans la Troupe un Acteur nouveau, ou une nouvelle Actrice, on n’examine pas seulement si la personne est pourveüe des qualitez necessaires pour le Theâtre, d’un grand naturel, d’une excellente memoire, de beaucoup d’esprit et d’intelligence, d’une humeur commode pour bien vivre avec ses Camarades, et de zele pour le bien public qui la b [f° 64 r°/ p. 107] detache de tout interest particulier : mais on souhaite aussi que les bonnes mœurs acompagnent ces bonnes qualitez, et qu’il ne s’introduise dans la Troupe ni homme ni femme qui donne scandale, ce qui se void rarement, car tous les bruits qui courent sur ces matieres de tous les endroits du monde sont le plus souvent tres faux. Il est donc vray que les Familles des Comediens sont ordinairement tres bien reglées, qu’on y vit honnestement ; et c’est sur ce pied là que les gens raisonnables en font estat, qu’ils les traitent avec civilité et les apuyent dans les ocasions de leur c credit. IX. Témoignage avantageux que leur rend un des premiers Magistrats de France J’aurois tort de passer icy soûs silence le glorieux témoignage qu’un des premiers Magistrats de France rendit il y a quelques années aux Comediens de Paris, Que l’on n’avoit jamais veu aucun de leur Corps donner lieu aux rigu- 204 Dans le Projet pour le rétablissement du théâtre français annexé à sa Pratique du théâtre (éd. H. Baby, Paris : Champion, 2001, p. 704), l’abbé d’Aubignac, auteur dramatique aussi bien que théoricien, préconise une solution à ce problème de mauvaises mœurs. « S[a] M[ajesté] établira une personne de probité et de capacité comme Directeur, Intendant, ou Grand Maître des Théâtres et des Jeux publics de France, qui aura soin que le Théâtre se maintienne en l’honnêteté, qui veillera sur les actions des Comédiens, et qui en rendra compte au Roi, pour y donner l’ordre nécessaire ». a [pas de nouveau paragraphe] b le c de tout leur <?page no="152"?> 152 Le Théâtre françois eurs de la Justice, ce qu’en tout autre Corps quelque considerable qu’il puisse estre on [f° 64 v°/ p. 108] auroit de la peine à rencontrer. Aussi n’a-t-on pas dedaigné de tirer d’entre eux des gens pour remplir de hautes charges de Justice 205 , et méme pour servir l’Eglise jusqu’à l’Autel a dans les Societez et Seculieres et Religieuses, dequoy il se peut produire des exemples tout recens. X. Leurs belles prerogatives b Mais une des plus fortes raisons qui doit porter toute la France à vouloir du bien aux Comediens, est le plaisir qu’ils donnent au Roy pour le delasser quelques heures de ses grandes et heroïques occupations. Qui aime son Roy aime ses plaisirs, et qui aime ses plaisirs aime ceux qui les luy donnent, et qui ne sont pas des moins necessaires à l’Estat. Aussi void on le Roy apuyer les Comediens de son authorité 206 , et leur donner des Gardes quand ils en demandent. Il leur est permis d’entrer au petit coucher, et Moliere ayant 205 Il se peut que Chappuzeau fasse allusion à des personnalités comme Isaac de Laffemas (1584-1657), avocat au parlement de Paris en 1604, pourvu de la charge de Maître des requêtes (1625) et nommé Lieutenant civil de Paris (1637-1643). Il obtint ensuite une place au Conseil d’état. Cet intendant, surnommé « le bourreau de Richelieu » à cause de ses excès en condamnant les nobles rebelles, avait été aussi poète, auteur dramatique et, semble-t-il, comédien dans sa jeunesse, peut-être à l’Hôtel de Bourgogne dans la troupe de Valleran Le Conte. 206 Dès le 16 avril 1641, Louis XIII affirme dans une déclaration royale au sujet des comédiens que, « en cas que lesdits comédiens règlent tellement les actions du théâtre qu’elles soient du tout exemptes d’impureté, nous voulons que leur exercice, qui peut innocemment divertir nos peuples de diverses occupations mauvaises, ne puisse leur être imputé à blâme, ni préjudicier à leur réputation dans le commerce public » (cité par Jean Dubu, Les Eglises chrétiennes et le théâtre, 1550-1850, Grenoble : PUG, 1997, p. 60). Mais cette prescription d’« actions malhonnêtes » et de « paroles lascives ou à double entente qui puissent blesser l’honnêteté publique » n’empêchait pas la présence d’un public turbulent. Charles Sorel écrit : « Le parterre est fort incommode pour la presse qui s’y trouve de mille marauds, même parmi les honnêtes gens auxquels ils veulent quelquefois faire des affronts, et ayant fait des querelles pour un rien mettent la main à l’épée et interrompent toute la comédie » (La Maison des Jeux, Paris : , N. de Sercy, 1642, t. II, p. 424), alors que l’abbé d’Aubignac affirmera quelques années plus tard : « les Représentations sont incessamment troublées par de jeunes débauchés, qui n’y vont que pour signaler leur insolence, qui mettent l’effroi partout, et qui souvent y commettent des meurtres » (Projet pour le rétablissement du théâtre français, in La Pratique du théâtre, éd. Baby, p. 703). a servir l’Eglise et monter jusqu’à l’Autel b Leurs prerogatives <?page no="153"?> Livre Troisiéme 153 esté Valet de Chambre du Roy, ayant fait le lit du Roy 207 , cet exemple et les autres que j’ay produits nous persuadent assez que les Comediens peuvent [f° 65 r°/ p. 109] être admis aux charges à la Cour, à la Ville et dans l’Eglise, sans que la Profession qu’eux ou leur pere ont suivie, et qu’ils quitent alors, leur serve d’obstacle. Enfin comme dans toutes sortes de Professions il y a des gens qui vivent bien, et à qui il peut venir de saintes pensées, il est sorti un Martyr d’entre les Comediens, et un Saint Genest dont l’Eglise celebre la feste le 31. d’Aoust, a fini ses jours par une tres glorieuse Tragedie 208 . Toutes ces raisons suffiroient pour aquerir aux Comediens l’aprobation generale : mais j’en ay encore d’autres qui ne seront a peut être pas rejetées par nos severes Censeurs. XI. Avantages qu’en reçoivent les jeunes gens et les Orateurs Sacrez Il n’y a point de Pere de Famille quelque severe qu’il puisse être à ses enfans, qui n’avoüe avec moy, que sans les Comediens, mille jeunes gens qui les vont voir, et passent innocemment tantost à un Hostel et tantost à l’autre, deux ou trois heures d’une apresdinée, iroient perdre ce temps là en des lieux de debauche, où leur Jeunesse [f° 65 v°/ p. 110] les emporteroit faute d’occupation, et y laisser beaucoup plus d’argent qu’à la Comedie, où ils peuvent à la fois s’instruire et se divertir. Et c’est, comme j’ay dit, cette consideration qui a porté principalement les anciennes Republiques les mieux policées à authoriser la Comedie. Pourquoy me tairois-je de l’avantage que les Orateurs Sacrez tirent des Comediens, aupres de qui et en public, et en particulier ils se vont former à 207 Comme son père Jean Poquelin, Molière fut valet de chambre et tapissier ordinaire de la Maison du Roi. Petit coucher : « on appelle à la Cour le petit coucher, l’intervalle de temps qui est entre le bon soir que [le roi] donne à tout le monde étranger, et le moment où il se couche effectivement, pendant lequel il demeure avec les Officiers les plus necessaires de sa chambre, ou avec ceux qui ont un privilege particulier pour y rester » (F.). Valet de chambre : « Valets de chambre, sont ceux qui aident à habiller le Roy, et qui servent aux offices de sa chambre » (F.). 208 Genest fut un acteur romain sous l’empereur Dioclétien qui, parodiant les cérémonies de l’Eglise chrétienne pendant une représentation, aurait reçu la révélation de la grâce et se convertit au christianisme. Condamné à mort, il fut décapité en l’an 286. Deux tragédies du XVII e siècle ont célébré cet événement : L’Illustre comédien, ou le martyre de Saint-Genest de Desfontaines, publié en 1645, et Le Véritable Saint- Genest de Jean de Rotrou, publié en 1647. a d’autres, et elles ne seront <?page no="154"?> 154 Le Théâtre françois un beau ton de voix et à un beau geste, aides necessaires au Predicateur pour toucher les cœurs, dont la dureté veut être amolie par la chaleur du discours et la grace avec laquelle il est prononcé 209 . Si les Comediens vivent honnestement dans leurs Familles, ils vivent fort civilement entre eux, ils se visitent et font ensemble de petites réjoüissances, mais avec moderation et peu souvent, de peur que trop de frequentation n’attire le mepris ou la debauche. [f° 66 r°/ p. 111] XII. Leurs belles coûtumes Entre les traits de leur Politique, celuycy merite d’estre remarqué. Ils ne veulent point soufrir de pauvres dans leur Estat, et ils empeschent qu’aucun de leur corps ne tombe dans l’indigence. Quand l’âge ou quelque indisposition oblige un Comedien de se retirer, la personne qui entre en sa place est tenue de luy payer sa vie durant une pension honneste 210 ; de sorte que dés qu’un homme de merite met le pied sur le Theatre à Paris, il peut faire fond sur une bonne rente de trois ou quatre mille livres tandis qu’il travaille 211 , et d’une 209 Il est intéressant de remarquer cette justification pratique du théâtre - les comédiens en tant que professeurs d’élocution - fournie par Chappuzeau face à l’opposition morale de l’Eglise. 210 Cette pratique, où un nouveau acteur ou une nouvelle actrice a à sa charge la pension de la personne qui se retire de la troupe, fut assez courante. Dans un contrat de société de la troupe de l’Hôtel de Bourgogne en date du 17 mars 1664, un emploi est donné à Estiennette Desurlis dès le décès ou départ volontaire d’une actrice en fonction, selon les termes suivants : « Et arrivant que ladite damoiselle Desurlis entre dans lad. Compagnye par la retraite de l’une des desdites actrices comme dit est. Elle sera tenue et obligee de payer a ladite actrice qui aura fait sa retraite mil livres de pension viagère par chacun an la vie durant de lad. actrice qui se sera retirée ». Mais quatre jours plus tard, la troupe se réunit pour mettre en place un système de paiement plus équitable, la somme nécessaire au règlement des pensions étant désormais « prise sur tous les proficts et tous les emoluments qui proviendront de toutes leurs représentations tant devant le roy que ailleurs » (Deierkauf-Holsboer, Hôtel de Bourgogne, t. II, pp. 196, 198 ; cf. t. II, pp. 119-122). 211 Pendant les quatorze saisons qu’il travailla dans la troupe de Molière à Paris, du 25 avril 1659 au 21 mars 1673, l’acteur La Grange, qui eut droit à une part entière, reçut en tout 51.670 livres 14 sols, soit 3.690 livres par an en moyenne. L’année 1665-1666 lui rapporta seulement 2.243 livres, mais la saison 1668-1669 - celle du Tartuffe triomphant - réalisa la somme de 5.477 livres (Registre, t. I, p. 145). <?page no="155"?> Livre Troisiéme 155 somme suffisante pour vivre quand il veut quiter. Coûtume tres loüable, qui n’avoit lieu cy devant que dans la Troupe Royale, et que celle que le Roy a établie depuis peu veut prendre pour une forte base de son affermissement 212 . Ainsi dans les Troupes de Paris les places sont comme erigées en charges qui ne sçauroient manquer ; et à l’Hostel de Bourgogne, quand un Acteur ou une Actrice vient à mourir, la Troupe fait un present de cent pistoles 213 à son plus [f° 66 v°/ p. 112] proche heritier, et luy donne dans la perte qu’il a faite une consolation plus forte que les meilleurs complimens. Il est glorieux aux Comediens du Roy d’en user ainsi, et que ceux qui ont blanchi entre eux dans le service, ayent dequoy s’entretenir honorablement jusqu’à la fin de leurs jours. XIII. Grande difference entre a les Troupes de Paris et celles de la Campagne C’est à ce grand avantage qu’aspirent les Comediens de Province, et les Troupes de Paris sont leurs Colonnes d’Hercule où ils bornent leurs courses et leur fortune. Cette belle condition ne se peut trouver entre eux, parce que leurs Troupes changent b souvent, et presque tous les Caresmes. Elles ont si peu de fermeté, que désqu’il s’en est fait une, elle parle en méme tems de se desunir, et soit dans cette inconstance, soit dans le peu de moyen qu’elles ont d’avoir de beaux Theâtres et des lieux commodes pour les dresser, soit enfin dans le peu d’experience de plusieurs personnes qu’on y reçoit sans discernement, il c 212 Voir à la fin du Livre III la déclaration de Louis XIV en date du 23 juin 1673, signée par La Reynie, concernant le transfert de l’ancienne troupe de Molière au théâtre du Guénégaud afin de « sestablir et de continuer à donner au Public Comedies et autres divertissemens honnestes », avec interdiction à la troupe du Marais de « continuer à donner au Public des Comedies soit dans ledict quartier ou autre de cette ville et fauxbourgs de Paris ». Le 16 avril 1670, La Grange rapporte que les Comédiens du Roi établirent, au profit de l’acteur Louis Béjart, qui partait à la retraite, une pension viagère de 1.000 livres : « Cette pansion a esté la premiere establie à lexemple de celles qu’on donne aux acteurs de la troupe de lhostel de bourgogne » (Registre, t. I, p. 113). 213 En 1673, la pistole, « monnoye d’or estrangere battuë en Espagne, et en quelques endroits d’Italie » (F.), valait onze livres, tout comme le louis d’or français. a Difference entre b leurs Troupes, pour la plus part, changent c plusieurs personnes qui n’ont pas tous les talens necessaires, il <?page no="156"?> 156 Le Théâtre françois est aisé de voir la grande difference a qui se trouve [f° 67 r°/ p. 113] entre les Troupes fixes de Paris et les Troupes ambulantes des Provinces 214 . Voila de quelle maniere les Comediens se conduisent dans leurs familles et entre eux mémes ; voyons maintenant comme ils conduisent ensemble leur petit Estat, quelle est la forme de leur Gouvernement, et s’ils usent au dedans et au dehors d’une sage Politique. XIV. Forme du Gouvernement des Comediens Il n’y a point de gens qui aiment plus la Monarchie dans le Monde que les Comediens, qui y trouvent mieux leur conte, et qui témoignent plus de passion pour sa gloire : mais ils ne la peuvent soufrir entre eux, ils ne veulent point de Maître particulier, et l’ombre seule leur en feroit peur. Leur Gouvernement n’est pas toutefois purement Democratique, et l’Aristocratie y a quelque part. Ce Gouvernement comme celuy de toutes les autres Societez, est donc une b maniere de Republique fondée sur des loix d’autant plus justes, qu’elles ont pour [f° 67 v° / p. 114] but le bien public, de divertir et d’instruire, ce que j’ay fait voir au premier Livre, et ce qui se verra encore mieux en celuycy 215 . L’authorité de l’Estat est partagée entre les deux sexes, les femmes luy estant utiles autant ou plus que les hommes, et elles ont voix deliberative 214 Impossible de calculer avec exactitude le nombre de troupes errantes qui sillonnaient la France du XVII e siècle. On pense avoir trouvé la trace écrite de quelque cent quatre-vingt-dix troupes, dont un certain nombre seulement aurait bénéficié du soutien d’un protecteur. Chappuzeau (Livre III, chapitre XLV) estime que vers 1673 il y avait entre douze et quinze troupes circulantes de campagne. Georges Mongrédien rappelle que l’acteur et chef de troupe Denis Clerselier, dit Nanteuil, fournit un excellent exemple de cette vie instable. Entre 1667 et 1702 il fait partie de nombreuses compagnies, de Bruxelles à Montauban et Aix-en-Provence (La vie quotidienne des comédiens au temps de Molière, Paris : Hachette, 1966, pp. 207, 221-231. Voir aussi Dictionnaire biographique, pp. 164-165). 215 Chappuzeau exprime avec une certaine élégance l’attitude ambivalente des comédiens de l’époque, les plus réussis, qui appartenaient aux troupes sédentaires de Paris, cherchant et acquérant le soutien à la fois moral et financier du Roi mais, tout comme leurs confrères de province, rejetant l’idée de hiérarchie dans le déroulement de leurs affaires quotidiennes. Pour une troupe bien réglée il s’agit donc de trouver une formule de monarchie éclairée, mélange d’autoritarisme et de pratiques démocratiques. Le royaume était toujours petit, normalement une dizaine de personnes, hommes et femmes, souvent associés par la parenté ou le mariage. a la difference b est une <?page no="157"?> Livre Troisiéme 157 en toutes les affaires qui regardent l’interest commun 216 . Mais il se rencontre comme ailleurs de l’inegalité a dans le merite, ce qui en cause de méme dans les employs et dans les profits. Car enfin il n’est pas juste que ceux qui rendent peu de service à l’Estat ayent les mémes avantages que ceux qui en rendent beaucoup ; et c’est delà que procede entre eux la distinction des parts, des demy-parts, et des quarts de part b ; en quoy ils observent bien souvent une proportion de bienseance plútost qu’une proportion de merite 217 . Quelquefois la demypart, et méme la part entiere est acordée [f° 68 r°/ p. 115] à la femme en consideration du mari 218 , et quelquefois au mari en conside- 216 En France, les femmes jouaient assez rarement dans des pièces du début du XVII e siècle. Même dans les deux premières comédies de Corneille (Mélite, représentée en 1629-1630, et La Veuve, montée en 1631-1632), les nourrices furent interprétées par des hommes (J. Scherer, La Dramaturgie classique en France, Paris : Nizet, 1950, p. 41). Cependant, à la différence de l’Angleterre par exemple, la profession d’actrice était reconnue : les contrats d’association et autres actes notariés qui datent des premières années du siècle indiquent la présence de comédiennes, même si leurs noms ne figurent presque jamais dans les baux. 217 La Grange nous renseigne sur la distribution des parts au théâtre du Palais-Bourbon, puis au Palais-Royal à partir de janvier 1661. Au début, en 1658, la troupe avait six acteurs et quatre actrices, chaque personne ayant une part entière, plus un gagiste qui gagnait 2 livres par jour (Registre, t. I, p. 2). A Pâques 1659, après plusieurs changements, la troupe fut composée de douze parts, huit hommes et quatre femmes, le gagiste ayant été congédié (t. I, p. 3). Une 13 e part fut ajoutée en 1661, car « Monsieur de Moliere demanda deux partz au lieu d’une quil avoit. La troupe luy accorda pr luy ou pour sa femme sil se marioit » (t. I, p. 33). (En fait, Armande eut assez de talent pour mériter sa part elle-même, le mariage ayant lieu en 1662). La même année la troupe atteignit quinze membres, dont six femmes (t. I, p. 46), et en 1670 elle créa une première demi-part (t. I, p. 113). Elle comporta douze membres à la mort de Molière en 1673. 218 En plus d’Armande Béjart, par exemple, femme de Molière, ce fut sans doute le cas de Marie Raguenau, qui épousa La Grange en avril 1672, entra dans la troupe de Molière et reçut une demi-part qui sera réduite à un quart en 1680. En août 1672 le mari dut défendre sa femme contre des collègues jalouses : « Na que jay eu contestation depuis pasques avec la trouppe sur ce qu’elle vouloit que je payasse 3 l. chaque jour de representation sur la demye part de ma femme a Chasteauneuf gagiste de la trouppe ce que je n’ay voulu consentir jusques a ce jourdhuy que pour terminer tous différens et entretenir paix et amitié dans la troupe jay acquiescé a la pluralité » (Registre, t. I, p. 136). Un deuxième exemple serait celui de Marie Claveau, femme de Philibert Gassot dit Du Croisy, qui passa avec son mari dans la troupe de Molière à Pâques 1659 en même temps que La Grange, comme « acteurs nouveaux a Paris » (Registre, t. I, p. 3), recevant, comme eux, une part entière. Mais en 1662 elle dut abandonner la moitié de sa part à cause du mécontentement de la troupe (Registre, t. I, p. 66) et quitta la troupe en 1665, se trouvant « descheue de sa part » (t. I, p. 74). a comme ailleurs aux uns et aux autres de l’inegalité b des demy-parts, des quarts et trois quarts de part <?page no="158"?> 158 Le Théâtre françois ration de la femme 219 ; et autant qu’il est possible, un habile Comedien qui se marie prend une femme qui puisse comme luy meriter sa part. Elle en est plus honorée, elle a sa voix dans toutes les deliberations, et parle haut, s’il est necessaire ; et (ce qui est le principal) le menage en a plus d’union et de profit 220 . Il en est de méme d’une bonne Comedienne, à qui il est avantageux d’avoir un mary capable, et qui ayt aquis de la reputation : mais cela ne se rencontre que rarement, et dans ce petit Estat les mariages vont comme ailleurs, selon que le Destin les conduit. Ces distinctions, et de merite, et d’employs et de profits n’empeschent pas qu’ils ne s’entretiennent dans la concorde, et s’il naist quelquefois entre eux des jalousies, l’interest public ne veut pas qu’elles éclatent, ils [f° 68 v°/ p. 116] ont la discretion de les cacher, et les desinteressez prennent soin d’acommoder les petits differens de quelques particuliers, qui ne pourroient croître sans que le Corps en soufrist. Mais il faut venir au détail des choses, et donner quelque ordre à mon discours. Je parleray donc premierement des raisons qu’ont les Comediens d’aimer passionnement la Monarchie dans le Monde, et de la haïr mortellement dans leur Corps. Apres je feray voir comme ce Corps est une maniere de Republique, et de la plus belle espece ; quelle est la fin de son gouvernement, et les avantages qu’en peut tirer le Public a . En dernier lieu j’exposeray les principales maximes des Comediens, et les traits les plus delicats de leur Politique, soit à l’egard d’eux mémes, soit à l’egard de la Cour et de la Ville, et nous avons déja veu comme ils se conduisent dans les [f° 69 r°/ p. 117] affaires qu’ils ont avec les Autheurs. 219 En 1670 Mlle Beauval, accompagnée de son mari, acteurs dans une compagnie de province, furent mandés par un ordre du roi de se joindre à la troupe de Molière. Ils y entrèrent « pour une part et demye a la charge de payer 500 l. de la pension dudit Sr. [Louis] Bejard et 3 l. chaque jour de representation à Chasteauneuf gagiste de la trouppe » (Registre, t. I, p. 113). Mais ce fut la comédienne qui gagna la part entière. 220 Parmi les nombreux couples célèbres de comédiens du XVII e siècle on pense à René Berthelot, dit Du Parc, et sa femme Marquise-Thérèse de Gorla, à Josias de Soulas, dit Floridor, et son épouse Marguerite Baloré, à Charles Chevillet, dit Champmeslé, et sa femme Marie Desmares, ou à Edme Villequin, dit de Brie, et son épouse Catherine Leclerc du Rosé. Plus généralement, plusieurs familles d’acteurs constituaient de véritables dynasties dont la plupart des membres se consacraient au théâtre, par exemple les Baron, Béjart, Montfleury et Poisson. Le même phénomène existait dans certaines troupes de province. Sur ces familles, voir les éléments de biographie dans Dictionnaire biographique. a les avantages qu’on en peut tirer <?page no="159"?> Livre Troisiéme 159 XV. Raisons qu’ils ont d’aimer l’Estat Monarchique dans le Monde J’ay eu raison de dire qu’il n’y a point de gens qui aiment plus la Monarchie dans le Monde que les Comediens. Premierement ils sont acoûtumez à representer des Roys et des Princes, à demesler des intrigues de Cour, et un Estat Republiquain n’en peut fournir de galantes. L’amour entre Bourgeois et Marchands a peu de delicatesse, il ne produit point de ces grands evenemens qui embellissent la scene, et ces gens là ne sont pas des sujets assez relevez pour en fournir un de Comedie 221 . D’ailleurs les Comediens tirent de chez les Roy[s] des douceurs qu’ils ne trouveroient pas chez des Bourguemestres, qui ne leur pourroient donner ces riches et pompeux ornemens faits pour des Entrées, des Carousels, et d’autres Actions Solennelles, dequoy les Princes leur sont liberaux 222 . Depuis [f° 69 v°/ p. 118] la mort du dernier Prince d’Orange 223 , qui entretenoit une Troupe de Comediens François, elle n’eut 221 Les bourgeois peuvent bien figurer dans les pièces comiques, mais sont exclus des tragédies et des tragi-comédies qui font partie de « la Comédie », au sens général du terme. 222 Entrée : « Une solemnelle reception et ceremonie qu’on fait dans les villes aux Rois, Princes, Legats ou autres Seigneurs, lors qu’ils entrent la premiere fois dans les villes, ou qu’ils viennent triomphans de quelque grande expedition » (F.). Carrousel : « Feste magnifique que font des Princes ou Seigneurs pour quelque resjouïssance publique, comme aux mariages, aux entrées des Rois, &c. Elle consiste en une cavalcade de plusieurs Seigneurs superbement vestus, et équippez à la maniere des anciens Chevaliers, qui sont divisez en quadrilles. Ils se rendent à quelque place publique, où ils font des courses de bague, des joustes, tournois, et autres exercices de Noblesse. On y adjouste quelquefois des chariots de triomphe, des machines, des danses de chevaux, &c. et c’est de là que ces festes ont pris leur nom » (F.). Voir l’étude très fouillée du jésuite Claude-François Menestrier, Traité des tournois, joustes, carrousels et autres spectacles publics, Lyon : J. Muguet, 1669. 223 Guillaume II, comte de Nassau, prince d’Orange, né à La Haye le 27 mai 1626 et mort de la variole le 6 novembre 1650. En mai 1641, à Londres, il épousa Marie Henriette Stuart, fille du roi Charles I er d’Angleterre et de Henriette de France. En 1647 il succéda à son père Frédéric-Henri comme stathouder des Provinces-Unies dont il vit l’indépendance reconnue par l’Europe aux traités de Westphalie en 1648. Il se fit donner par les États généraux une autorité dictatoriale, mais fut bientôt obligé de la déposer suite au triomphe momentané du parti républicain. Il se lia ensuite avec Louis XIV pour partager les Pays-Bas catholiques avec la France, mais il mourut à l’âge de 24 ans, avant que ce plan eût pu être mis à exécution. Son fils, Guillaume III, futur roi d’Angleterre, naquit quelques jours après sa mort. Il y avait trois troupes successives qui appartenaient aux Princes d’Orange : celle de Maurice de Nassau (1618-1631), la troupe de Frédéric-Henri et son fils Guillaume II (1638-1665 ; entre 1655 et 1658 elle prend le nom de Troupe de la reine de Suède), et la compagnie de Guillaume III (1673-1703). <?page no="160"?> 160 Le Théâtre françois pas grande satisfaction en cette partie des Pays-Bas où il commandoit, et elle trouva mieux son conte à Bruxelles aupres de la Cour 224 . XVI. Grande difference des Royaumes et des Republiques pour les plaisirs de la vie Mais il n’y a point de Royaume au Monde où les Comediens soient mieux affermis qu’en France, et ils y trouvent des avantages que nul autre Estat pour puissant qu’il soit ne scauroit fournir. Tandisque la France est en guerre au dehors avec l’Etranger, la paix et la joye regnent audedans a , la Comedie va son méme train ; 225 le Parterre, l’Amphitheatre, les Loges, 226 tout est plein de monde, et les Acteurs ont souvent de la peine à se ranger sur le Theatre, tant les aîles sont remplies de gens de qualité qui n’en peuvent faire qu’un 224 « La compagnie qui, à la mort du prince, portait ce titre [de comédiens du Prince d’Orange], l’a gardé jusqu’en 1655. Privés de leur protecteur et admirateur, les “comédiens de Son Altesse d’illustre mémoire” s’adressèrent aux Etats Généraux des Provinces-Unies pour obtenir un passeport, afin de pouvoir se transporter avec leurs bagages à Bruxelles sans payer de droits. Le 24 novembre [1650] ce sauf-conduit leur fut délivré » (J. Fransen, Les Comédiens français en Hollande au XVII e et au XVIII e siècles, Paris : Champion, 1925, pp. 88-89). 225 Parmi les conflits du XVII e siècle où la France fut impliquée : la Guerre de Trente Ans (1618-1648), y compris la guerre franco-espagnole, commencée en 1635, qui mena à la paix conclue par le Traité des Pyrénées (1659) ; la Guerre de Dévolution (1667-1668) déclenchée à la suite de la mort de Philippe IV, roi d’Espagne ; au moment de la rédaction du Théâtre françois, la Guerre de Hollande (1672-1678) qui opposa la France, l’Angleterre, la Bavière et la Suède à la Quadruple Alliance comprenant les Provinces-Unies, le Saint-Empire, le Brandebourg et l’Espagne. La guerre civile n’a pas épargné la France. Chappuzeau passe sous silence certains événements, dont les troubles causés par la Fronde (1648-1653) qui semblent avoir obligé les deux troupes parisiennes de cesser leurs représentations à plusieurs reprises à cause de la fermeture temporaire des salles de spectacle (voir Deierkauf- Holsboer, Hôtel de Bourgogne, t. II, p. 62 ; Marais, t. II, p. 42). Mais il est vrai que l’activité théâtrale (représentations, rédaction de pièces nouvelles, impression des textes), si elle a ralenti, n’a été interrompue que momentanément. 226 Dans son théâtre de la rue Mauconseil, la Troupe royale de l’Hôtel de Bourgogne, la plus ancienne des compagnies parisiennes, était installée dans une salle rectangulaire mesurant 17 toises sur 7 toises, soit quelque 33 mètres sur 13,6. La scène, y compris une aire de jeu surélevée de deux mètres au-dessus du plancher, occupait 7 des 17 toises de longueur. De chaque côté de la salle il y avait deux niveaux de galeries latérales divisées en loges meublées de bancs, surmontées d’un paradis en 3 e étage. Face à la scène, au fond de la salle, se trouvait ce qu’on croit être une seule a regnent toûjours au dedans <?page no="161"?> Livre Troisiéme 161 riche ornement 227 . Mais des qu’une Republique est [f° 70 r°/ p. 119] en armes, quelque bonne opinion qu’elle ayt de ses forces, tous les divertissemens y cessent d’abord, les Theatres sont fermez 228 , et les Peuples dans une aprerangée de loges avec, au-dessus, une zone en gradins appelée amphithéâtre (Au Marais, suite à l’incendie de 1644, il se peut que vers 1655-1660 l’amphithéâtre en gradins se trouve au niveau du plancher. Voir J. Golder, « The Théâtre du Marais after 1650 : Structural Modifications to the Stage and Auditorium », Maske und Kothurn, 31 (1985), p. 251). Le centre de la salle, 7 toises sur 5, soit quelque 132 m 2 , correspondant à ce qu’on appelle aujourd’hui l’orchestre, constituait le parterre où se réunissait, sur le plancher de la salle, la majorité des spectateurs, des hommes surtout mais aussi quelques femmes, à en croire certaines gravures de l’époque. Ici, sauf les rares personnes qui profitaient d’un banc qui entourai le parterre, le public restait debout, une foule serrée dans une atmosphère souvent houleuse. Car, comme l’affirme d’Aubignac dans son Projet pour le rétablissement du théâtre français (in La Pratique du théâtre, éd. Baby, p. 703), à cause de la disposition de la salle et des mauvaises conditions de visibilité « les Galeries, et le Parterre sont très incommodes, la plupart des loges étant trop éloignées et mal situées, et le Parterre n’ayant aucune élévation, ni aucun siège ». Le théâtre du Marais, ancien jeu de paume aménagé en salle de spectacle, avait des dimensions et une disposition assez semblables. 227 Ce fut en 1637, lors du succès immense du Cid au théâtre du Marais, que la troupe eut l’idée d’accueillir des spectateurs aristocratiques sur « le théâtre », c’est-à-dire la scène, le décor multiple, avec ses mansions, utilisé encore à l’époque, se prêtant merveilleusement à une pratique que l’Hôtel de Bourgogne n’a sans doute pas adoptée avant son réaménagement en 1647, puis la troupe de Molière dès son arrivée à Paris. En 1657 Tallemant des Réaux écrit : « Il y a à cette heure une incommodité espouvantable à la Comedie, c’est que les deux costez du theatre sont tout pleins de jeunes gens assis sur des chaises de paille ; cela vient de ce qu’ils ne veulent pas aller au Parterre, quoyqu’il y ayt souvent des soldats à la porte, et que les pages ny les laquais ne portent plus d’espées. Les loges sont fort cheres, et il y faut songer de bonne heure : pour un escu [3 livres], ou pour un demy-loüis [5 livres 10 sols], on est sur le theatre ; mais cela gaste tout, et il ne faut quelquefois qu’un insolent pour tout troubler » (Historiettes, éd. Adam, t. II, p. 778). En 1668 l’abbé de Pure affirme (Idée des spectacles anciens et nouveaux, Paris : M. Brunet, p. 174) : « Combien de fois […] a-t-on pris pour un comédien et pour le personnage qu’on attendoit des hommes bien faits et bien mis qui entroient alors sur le théâtre, et qui cherchoient des places après même plusieurs scènes déjà exécutées ». Sur tout ce phénomène, voir B. G. Littman, Spectators on the Paris Stage in the Seventeenth and Eighteenth Centuries, Ann Arbor : UMI Research Press, 1984, surtout le chapitre 1. 228 Chappuzeau pense sans doute à la situation en Angleterre lors de la première guerre civile qui éclata en 1642 entre Parlementaires (Puritains) et Royalistes et qui entraîna l’exécution de Charles 1 er (janvier 1649), l’exil de son fils Charles II, et le remplacement de la monarchie par un Commonwealth (1649-1653), puis par un Protectorat sous Oliver Cromwell (1653-1659). Dès 1642 les théâtres furent fermés et les pièces supprimées, et deux ans plus tard le Globe Theatre à Londres fut démoli. La vie théâtrale ne put reprendre qu’avec la Restauration de 1660. <?page no="162"?> 162 Le Théâtre françois hension continuelle que l’Ennemy ne vienne joüer chez eux de sanglantes Tragedies. Sans parler de la guerre, il ne se void jamais de Comediens dans l’une des trois grandes Republiques de l’Europe 229 ; et dans tout l’Empire qui est un Gouvernement meslé du Monarchique et de l’Aristocratique, et qui tient plus du dernier 230 , il ne se trouve que deux ou trois Troupes du Pays a , qui sont fort peu occupées 231 . Les seuls Ducs de Brunswic qui sont splendides en toutes choses, qui ont de l’esprit infiniment, et qui sçavent gouster tous les honnestes plaisirs, entretiennent depuis plusieurs années une bonne Troupe de Comediens François, comme fait depuis peu l’Electeur de Baviere, dont la Cour est magnifique 232 . Mais en divers voyages que j’ay faits dans toutes les Cours de [f° 70 v°/ p. 120] l’Empire, je n’ay vû des Comediens nulle part qu’à Vienne, à Munich b et en Lunebourg 233 . Ajoûtons que naturellement les Comediens aiment le plaisir, estant juste qu’ils en prennent puis qu’ils en donnent aux autres ; et que dans les Republiques les plaisirs sont fades, et qu’il n’y en a pas de toutes les sortes comme dans les Monarchies, où les honnestes libertez sont plus étendues, et où l’on n’exige pas des peuples une si grande regularité. 229 Depuis le premier tiers du XVI e siècle Genève, dont Chappuzeau allait devenir citoyen en 1666, fut politiquement une république et, grâce à Calvin qui s’y installa, devint la « Rome protestante » pour des milliers de Français et d’Italiens persécutés dans leur pays. Les deux autres « grandes Republiques » furent celles des Provinces- Unies (Pays-Bas) et de Venise. 230 L’Empire d’Allemagne, qui devint héréditaire à commencer avec Albert II, duc d’Autriche, en 1438. En 1648 les Traités de Westphalie négociés sous l’égide de la France et de la Suède mirent fin à la guerre de Trente Ans qui saigna à blanc l’Allemagne. Ils consacrèrent l’affaiblissement de l’empereur allemand qui, issu de la dynastie des Habsbourg qui règna sur les États autrichiens, ne possèda plus qu’une autorité symbolique en Allemagne, émiettée en 350 principautés plus ou moins grandes, jalouses de leur indépendance. Les traités consacrèrent également la division religieuse de l’Allemagne instituée un siècle plus tôt par la diète d’Augsbourg. 231 La troupe de Ferdinand-Marie, Electeur de Baviere (1671-1673), qui sera continuée plus tard par Maximilien II (1697-1711), celle de l’Electeur de Cologne (1660-1661), et la troupe de Georges-Guillaume de Brunswick, Duc de Lunebourg- Celle (1668-1699), protégée un certain temps par la reine de Suède. 232 Chappuzeau parle en connaissance de cause, ses voyages en Allemagne (voir Chronologie) lui ayant permis de se tenir au courant de la vie intellectuelle des cours princières. 233 Nous ne savons pas quand Chappuzeau se rendit à Vienne et à Prague (voir la variante). a Troupes de Comediens du Pays b qu’à Vienne, à Prague, à Munich <?page no="163"?> Livre Troisiéme 163 Enfin dans un Royaume les Comediens ont à qui faire agreablement la Cour, le Roy, la Reine, les Princes, les Princesses et les Grands Seigneurs. C’est a dans ces soins et les respects qu’ils leur rendent, qu’ils aprennent à se former aux belles mœurs, et à l’habitude des grandes actions qu’ils doivent representer sur le Theatre. Mais dans une Republique, où le premier des Magistrats ne fait pas plus de bruit qu’un simple Bourgeois, ils n’ont personne à voir ; et il me souvient qu’en tout Amsterdam l’une des plus grandes et [f° 71 r°/ p. 121] plus riches Villes de l’Univers, les Comediens François n’avoient qu’une seule Dame b qui les apuyoit de son credit. Ils la voyoient quelquefois, et quoy qu’elle fust femme d’un des plus considerables Bourguemestres c , sa maison ni son train ne faisoient pas plus de bruit qu’il s’en fait chez un Marchand 234 . XVII. Les Comediens aiment entre eux le Gouvernement Republiquain Mais si le sejour des Republiques n’est pas le fait des Comediens, le Gouvernement Republiquain leur plaist fort entre eux, ils n’admettent point de superieur, le nom seul les blesse, ils veulent tous être egaux, et se nomment Camarades. Il est vray que leur Gouvernement est de la plus belle espece, qu’il s’en faut peu qu’il ne soit entierement Aristocratique, et que ceux d’entre eux qui ont le plus de merite ont aussi dans l’Estat le plus de credit. Les autres suivent aisement, et s’abandonnent à leur conduite. Il arrive quelquefois qu’entre les Principaux il se forme deux partis, et [f° 71 v°/ p. 122] chacun des autres suit alors celuy où son interest le porte. Mais ce qui arrive entre les Comediens arrive dans tous les Estats les mieux policez, et méme dans les Societez les plus parfaites qui semblent avoir rompu tout commerce avec le Monde ; et si leur petit Estat ne peut estre exent de factions, l’interest public l’emporte toûjours, et de ce costé là ils vivent dans une parfaite intelligence 235 . 234 Dans son étude sur les acteurs français en Hollande, Fransen ne fait pas allusion à cette mécène. Des comédiens français furent de passage à La Haye dès 1605, ensuite à Utrecht, Leyde et Nimègue, puis à Amsterdam vers 1619 et entre 1630 et 1639. Les acteurs anglais s’étant retirés, les Français restèrent seuls après 1650, à côté d’acteurs hollandais (Fransen, p. 13). Chappuzeau séjourna à Amsterdam de la mi-juin à fin juillet 1650, puis de nouveau à partir de la deuxième moitié de septembre 1656 avant de passer, début 1657, à La Haye, puis à Leyde (Meinel, pp. 6, 10). 235 Il y avait rivalité entre les troupes et querelles à l’intérieur de chaque compagnie. A plusieurs reprises, grâce à des offensives menées par son directeur ou par ordre du Roi, l’Hôtel de Bourgogne débaucha des comédiens du Marais, théâtre qui, par a Seigneurs ; et c’est b Dame de qualité et d’esprit qui c des plus considerables et plus riches Bourgmestres <?page no="164"?> 164 Le Théâtre françois XVIII. Leurs Troupes font chacune un Corps à part Toutes les Troupes de Comediens, tant les Sedentaires qui ne quitent point Paris, que les Ambulantes qui visitent les Provinces, et que l’on apelle Troupes de Campagne, ne font pas un méme Corps de Republique, chaque Troupe fait bande à part, elles ont leurs interests separez, et n’ont pû venir encore à une étroite Alliance. Quoy que leurs mœurs et coûtumes soient pareilles, et qu’elles observent les mémes loix, elles n’ont point d’Amphictyons 236 , ni de Conseil general comme les sept Villes de la Grece 237 ; en un mot ce ne sont pas des Estats [f° 72 r°/ p. 123] Confederez, ni qui se veuillent beaucoup de bien l’un à l’autre. J’ay promis de ne pas flater, et de dire les choses comme elles sont. Mais encore une fois je trouve qu’il en est de méme a entre tous les Estats de la Terre, entre toutes les Villes, entre toutes les Familles, et il n’y a rien en cela d’extraordinaire entre les Comediens. XIX. Leur emulation tres utile au bien commun b Cette c emulation que je feray bientost voir d tres necessaire et utile au bien commun, ne va presentement à Paris que d’un bord de la Seine à l’autre 238 : mais entre les Comediens de campagne elle s’étend bien plus loin, elle court avec eux toutes les Provinces du Royaume, et c’est un malheur pour eux, conséquent, passa par des périodes de décrépitude. Si la cohésion de la troupe du Palais-Royal fut maintenue, de façon remarquable, sur quatorze ans, les exemples de désaccord ne manquaient pas. Ainsi en 1672, La Grange écrit (Registre, t. I, p. 136) que, « pour terminer tous differens et entretenir paix et amitié », il a « acquiescé a la pluralité » à la suite de la jalousie de plusieurs actrices concernant sa femme. 236 Amphictyon, fils de Deucalion et de Pyrrha. On lui attribuait l’institution des amphictyonies, assemblées qui, dans la Grèce antique, réunissaient autour d’un autel commun les habitants des bourgades environnantes. 237 Allusion à la ligue béotienne, dont la composition variait un peu selon les périodes. Les sept cités de la confédération qui envoyèrent des contingents à la célèbre bataille de Délion en ~424 furent Thèbes, Tanagra, Thespies, Haliarte, Coronée, Orchomène et Copai. 238 C’est-à-dire de la rue Mauconseil, où se trouvait le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, jusqu’à la rue Mazarine sur la rive gauche, emplacement du théâtre de l’Hôtel Guénégaud, créé par la fusion en mai 1673 des troupes du Marais et du Palais-Royal. a Mais je trouve qu’il en va de même b Leur Emulation utile au Public c [pas de nouveau paragraphe] d que je feray voir ailleurs <?page no="165"?> Livre Troisiéme 165 quand deux Troupes se rencontrent ensemble en méme lieu dans le dessein d’y faire sejour 239 . XX. Rencontre fâcheuse de deux Troupes de Province en méme ville J’en a ay veu plus d’une fois des exemples, et depuis peu à Lion, lorsqu’en Novembre dernier les Daufins 240 qui avoient pris les devans ne cederent le terrein qu’à l’extremité à une autre Troupe b [f° 72 v°/ p. 124] qui languissoit là depuis plus de trois semaines. Dans ces rencontres chacune des deux Troupes fait sa cabale, sur tout quand elles s’opiniatrent à representer, comme l’on fait à Paris, les mémes jours et aux memes heures. C’est à qui aura plus de partizans, et il s’est veu souvent pour ce sujet des villes divisées comme la Cour le fut autrefois pour Uranie et pour Job 241 . Mais j’ay veu aussi des Troupes s’acorder en ces ocasions, se mesler ensemble, et ne faire qu’un Theâtre ; et il me souvient qu’en 1638. cela fut pratiqué à Saumur par deux Troupes que l’on nommoit alors de Floridor et de Filandre, parce qu’ils annonçoient c , et qu’ils estoient les meilleurs Acteurs 242 . Elles trouverent plus d’avantage en cet accommodement, et en furent loüées de tous les honnestes gens qui furent edifiez de leur bonne intelligence. 239 Il n’existe pas d’étude définitive sur les comédiens de campagne au XVII e siècle. Les détails sont à chercher dans les articles et les livres consacrés à la vie théâtrale des villes de province. 240 La troupe protégée par le Dauphin Louis de Bourbon fut active à partir de 1662. On connaît son passage à Lyon en novembre 1673 et de nouveau en janvier 1674 (Dictionnaire biographique, p. 215). 241 Les célèbres sonnets de Vincent Voiture sur Uranie et d’Isaac de Benserade sur Job qui partagèrent la société précieuse en 1649 entre jobelins et uranistes ou uranins. Dans deux sonnets et un épigramme, Corneille, en commentant cette querelle, loua également les deux poèmes sous forme de réponse normande (OC, t. II, p. 1190- 1191), mais ce fut Benserade qui emporta la querelle. 242 On connaît le passage à Saumur en 1637 ou début 1638 de la troupe de Josias de Soulas, sieur de Primefosse, dit Floridor, qui deviendra chef de troupe et orateur au théâtre du Marais (il y est dès le 2 février 1638, jour de son mariage), puis comédien en 1647 à l’Hôtel de Bourgogne. A Saumur, sa troupe fusionna avec celle de Jean- Baptiste Monchaingre ou Mouchaingre, dit Paphetin ou Philandre. Voir Deierkauf- Holsboer, Marais, t. I, pp. 74-75. « Annoncer » : remplir le rôle d’orateur de la troupe (voir infra, chapitre XLIX). a [pas de nouveau paragraphe] b les Dauphins, qui sçavent conserver l’estime generale qu’ils ont acquise, et sont toûjours fort suivis, ne cederent le terrein que bien tard à une autre Troupe. c parce que ces deux Comediens annonçoient <?page no="166"?> 166 Le Théâtre françois XXI. Grand soin des Comediens à faire leur Cour au Roy et aux Princes Le soin principal des Comediens est de [f° 73 r°/ p. 125] bien faire leur Cour chez le Roy de qui ils dependent non seulement comme sujets, mais aussi comme estant particulierement à sa Majesté qui les entretient à son service a 243 . XXII. Leurs privileges au Louvre, et autres Maisons Royales où ils sont mandez Ils b sont tenus d’aller au Louvre quand le Roy les mande, et on leur fournit des carosses autant qu’il en est besoin. Mais quand ils marchent à S t Germain, à Versaille, à Chambor, ou autres lieux c 244 , outre leur pension qui court toûjours, outre les carosses, chariots et chevaux qui leur sont fournis de l’Ecurie, ils ont de gratification en commun mille ecus par mois, chacun deux ecus par jour pour leur depence, leurs gens à proportion, et leurs logemens par Fourriers 245 . En representant la Comedie il est ordonné de chez le Roy à chacun des Acteurs et des Actrices à Paris, ou ailleurs ; Esté et Hyver, trois pieces 243 Les troupes parisiennes étaient toutes pensionnées par le Roi. En 1641 l’Hôtel de Bourgogne commença à recevoir un subside annuel de 12.000 livres, deux fois la somme accordée au théâtre du Marais. La compagnie de Molière, une fois devenue Troupe du Roi en 1665, reçut une pension de 6.000 livres, augmentée à 7.000 en 1670-1671. 244 D’après le Registre de La Grange, la troupe de Molière fit treize visites au château de Saint-Germain-en-Laye par ordre du Roi entre mai 1662 et février 1672, y compris un séjour de douze semaines (décembre 1666-février 1667). Ce fut à Saint-Germain que la troupe représenta pour la première fois la comédie-ballet La Comtesse d’Escarbagnas le 2 décembre 1671 pour fêter l’arrivée d’Elisabeth-Charlotte de Bavière. Molière commença à aller à Versailles en octobre 1663, sa dernière visite étant en septembre 1672. Avec sa troupe il fit deux voyages au château de Chambord, en septembre 1669 pour donner Monsieur de Pourceaugnac, puis en octobre 1670 pour représenter Le Bourgeois gentilhomme. Parmi les autres résidences royales où sa troupe fut invitée figure le château de Fontainebleau (juillet et août 1661, juillet 1664). 245 « Fourrier. Officier qui marque les logis pour le Roy, et toute sa Cour, quand il voyage. On est fort incommodé en suivant la Cour, quand on n’est point logé par fourriers » (F.). a à son service et leur paye regulierement leurs pensions b [pas de nouveau paragraphe] c à Saint Germain, à Cambor, à Versaille, ou en d’autres lieux <?page no="167"?> Livre Troisiéme 167 de bois, une bouteille de vin, un pain et deux bougies blanches pour le Louvre ; et à S t Germain un flambeau pesant [f° 73 v°/ p. 126] deux livres ; ce qui leur est aporté ponctuellement par les Officiers de la Fruiterie, sur les Registres delaquelle est couchée une collation de vingt cinq écus tous les jours que les Comediens representent chez le Roy, estant alors Commensaux 246 . Il faut ajoûter à ces avantages qu’il n’y a guere de gens de qualité qui ne soient bien aises de regaler les Comediens qui leur ont donné quelque lieu d’estime, et sçavent a qu’en cela ils plairont au Roy qui souhaite que l’on les traite favorablement. Aussi void on les Comediens s’aprocher le plus qu’ils peuvent des Princes et des Grands Seigneurs, sur tout de ceux qui les entretiennent dans l’esprit du Roy, et qui dans les ocasions sçavent les apuyer de leur credit. XXIII. Leur grande civilité b envers tout le Monde Generalement c ils usent de grande civilité envers tout le monde, et particulierement envers les Autheurs fameux dont ils ont besoin. Pour ceux des basses classes, [f° 74 r°/ p. 127] et dont les ouvrages font peu de bruit, ils les soufrent amiablement, et ne prennent point de leur argent à la porte ; et il n’y a que tres peu de gens à qui d ils font la méme civilité 247 . 246 La Fruiterie était l’office de la maison du Roi qui s’occupait non seulement de l’achat, du soin et de la présentation des fruits sur la table royale, mais aussi de la fourniture de bougies et de chandelles. « Commensal : C’est une epithete qui se donne aux Officiers du Roy qui ont bouche à Cour, qui servent actuellement prés de sa personne » (F.). La bougie est une chandelle de cire dont se servent les riches pour éclairer leurs chambres. Le flambeau est une chandelle de grande taille, un « assemblage de plusieurs grosses mesches entourées de beaucoup de cire, qui sert à esclairer la nuit dans les ruës et à la campagne […] Un flambeau de chambre, est celuy qu’on met dans des chandeliers » (F.). 247 Aux représentations des Fâcheux à Paris, la troupe de Molière « fait, toutefois, la grace/ A pluzieurs Messieurs du Parnasse,/ Et contentant leurs apétits,/ De leur faire plaizir, gratis » (Loret, La Muze historique, 19 novembre 1661, vv. 227-230). En 1663, les Nouvelles nouvelles de de Visé (t. III, p. 152) confirment que les auteurs chevronnés qui ne travaillent plus « jouiront de leur ancien privilège d’entrer à la Comédie sans payer ». Les actifs « pourront mener de leurs amis avec eux ». a quelque lieu d’estime, ils tirent du plaisir de leur conversation, et sçavent b Leur civilité c [pas de nouveau paragraphe] d et il y a d’autres gens à qui <?page no="168"?> 168 Le Théâtre françois XXIV. Declaration du Roy en leur faveur Sur l’abus qui fut representé au Roy, lorsque mille gens vouloient faire coûtume a , ce qui causoit souvent à la porte et au parterre d’etranges desordres qui degoustoient le Bourgeois de la Comedie, Sa Majesté fit defences expresses à toutes personnes de quelque qualité qu’elles pussent estre de se presenter à la porte sans argent, et permit aux Comediens de prendre des Gardes pour s’opposer aux violences qu’on leur voudroit faire. Je produiray à la fin du livre la Declaration du Roy du 9. Janvier 1673. en faveur de la Troupe Royale qui luy avoit presenté Requeste sur ce sujet. Avant ce bon ordre la moitié du Parterre estoit souvent remplie de gens incommodes, il en entroit aux Loges, on voyoit beaucoup de monde, et [f° 74 v°/ p. 128] fort peu d’argent 248 . En toutes Professions l’espoir de la recompense est un grand motif pour porter les gens à bien faire leur devoir ; et quand l’Acteur void son Hostel bien rempli, dans la joye qu’il a d’estre honoré d’un grand nombre d’Auditeurs, il echaufe son recit, il entre mieux dans les passions qu’il represente, et donne plus de plaisir à ceux qui l’ecoutent. 248 Dès le mois de mars 1661, La Grange parle de 55 livres données à St Germain, portier du Palais-Royal, « p r sa blessure » (Registre, t. I, p. 33). Le 29 avril 1663, les 17 et 29 juin, 4 juillet et 30 novembre 1664 les registres tenus par La Thorillière indiquent des dépenses du même genre (La Grange, Registre, t. II, pp. 105, 107-108). Le 9 octobre 1672, lors d’une représentation de La Comtesse d’Escarbagnas et de L’Amour médecin, « plusieurs gens de livrée et autres firent insulte à un homme d’épée auquel ils donnèrent quantité de coups de bâton desquels il est grièvement blessé, et même jetèrent plusieurs pierres aux acteurs qui jouaient la comédie » (John Lough, Paris Theatre Audiences in the Seventeenth and Eighteenth Centuries, Londres : Oxford University Press, 1957, p. 95). Le 13 janvier 1673, une représentation de Psyché fut victime d’« ung desordre et une sedition, comme il a esté cy-devant faict à l’Hostel de Bourgogne » causés par des « gens d’espées au nombre de cinquante ou soixante dans ledict parterre, qui, en effect, temoignent par leurs gestes et parolles les [les acteurs] interrompre et troubler » (Cent ans, p. 543). Cf. la note 206. La déclaration royale du 9 janvier 1673 à laquelle Chappuzeau fait allusion est accompagnée d’une autre en date du 23 juin 1673 dans laquelle Louis XIV, en établissant la compagnie de l’Hôtel Guénégaud, affirme que « deffences sont faittes à tous vagabonds et gens sans aveu, méme a tous soldats et autres personnes de quelque qualité et condition qu’ils soient, de s’attrouper et de s’assembler au devant et és environs du lieu où lesdictes Comedies et divertissemens honnestes seront representez dy porter aucunes armes à feu de faire effort pour y entrer, d’y tirer lespée et de comettre aucune autre violence, ou d’exciter aucun trouble, soit au dedans ou au dehors a peine de la vie ». Les pages et laquais, attaqués dans de nombreux documents comme source de désordres, figurent aussi dans cette déclaration. a faire coûtume d’entrer sans payer <?page no="169"?> Livre Troisiéme 169 XXV. Leur conduite dans leurs affaires Je viens à l’œconomie generale, et à l’ordre que les Comediens observent dans leurs affaires. Ils s’assemblent souvent pour diverses ocasions, ou dans leur Hostel, ou quelquefois au logis d’un particulier de la Troupe. Tantost c’est pour la lecture des ouvrages que les Autheurs leur aportent, tantost pour leur disposition, et pour en distribuer les rôles, ou pour les repetitions. J’ay parlé au Livre precedent de ces trois articles. XXVI. Divers sujets d’assemblée Mais ce ne sont pas là les a seuls sujets qui obligent les Comediens de s’assembler. Ils s’assemblent encore, quand ils jugent à propos [f° 75 r°/ p. 129] de dresser un Repertoire, c’est à dire une liste de vieilles pieces pour entretenir le Theâtre durant les chaleurs de l’Esté et les promenades de l’Autonne, et n’estre pas obligez tous les soirs qu’on represente de deliberer à la haste et en tumulte de la piece qu’on doit annoncer 249 . De plus ils s’assemblent tous les mois pour les comptes generaux, qui sont rendus par le Tresorier qui garde le cofre de la Communauté, le Secretaire qui tient le Registre b et le Contrôleur 250 . Ils s’assemblent encore, quand il faut ordonner d’une piece de machine, et avancer des deniers pour quelque ocasion que ce soit ; quand il faut acroître la Troupe de quelque Acteur ou de quelque Actrice ; quand il faut faire des reparations, ou pour quelques autres causes extraordinaires 251 . 249 Si les nouveautés ne furent pas restreintes aux mois d’hiver ou de printemps, l’été surtout vit des programmes composés de pièces bien rodées qui constituaient le gagne-pain des comédiens. Voir Le Mémoire de Mahelot, éd. P. Pasquier, Paris : Champion, 2005, p. 17. 250 Le rôle de ces officiers sera précisé dans le chapitre LI. Aux réunions mensuelles de la troupe pour contrôler les comptes, tous les acteurs et actrices avaient voix délibérante. 251 Le 15 mars 1671, par exemple, la troupe de Molière délibéra des frais occasionnés par la présentation, devant le public parisien, de Psyché, tragi-comédie avec ballet de Molière, Corneille et Quinault montée d’abord pour la Cour le 17 janvier dans l’immense salle des Tuileries. Pour le transfert au Palais-Royal, il fallut « reffaire tout le Theatre particulierement la Charpente et le rendre propre pour des machines » (La Grange, Registre, t. I, p. 124). Les comédiens italiens contribuèrent la moitié des frais de 1.989 livres 10 sols. Le 15 avril 1671, les travaux terminés, la compagnie autorisa, après délibération, la dépense de 4.359 livres 1 sol pour les machines, décorations, musique et « tous les ornemens necessaires pour ce grand spectacle » (ibid., p. 125). a pas les b les Registres <?page no="170"?> 170 Le Théâtre françois XXVII. Visites en Ville a , et au voisinage Les Comediens sont quelquefois apellez en visite, ou à la Ville, ou au voisinage b , quand [f° 75 v°/ p. 130] un Prince ou quelque c personne de qualité veut donner chez soy le divertissement de la Comedie 252 . Alors on fournit à la Troupe de carosses et de toutes choses necessaires 253 , il y a ordre de la recevoir tres civilement, et elle d ne s’en retourne jamais que tres satisfaite, chacun se piquant de se montrer honneste et liberal aux Comediens, qui de leur costé n’epargnent rien pour donner de la satisfaction à tout le monde. Ils ne consultent pas s’il leur en coute beaucoup, et s’ils reçoivent des douceurs de la Cour et de la Ville, s’ils touchent de l’argent et du Roy et du Public, ils n’en abusent pas, ils s’en font honneur, et c’est à qui des Acteurs et des Actrices aura des habits plus magnifiques. XXVIII. Grande depense en habits Cet article de la depense des Comediens est plus considerable qu’on ne s’imagine, il y a peu de pieces nouvelles qui ne leur coûtent [f° 76 r°/ p. 131] des ajustemens nouveaux e , et le faux or ni le faux argent qui rougissent bientost, n’y estant point employez 254 , un seul habit à la Romaine ira souvent à cinq 252 Dans son édition du Théâtre françois, Monval (p. 179) relève dans le Registre de La Grange cent quinze visites faites par Molière et sa troupe, du 16 avril 1659 au 11 août 1672. C. E. J. Caldicott, quant à lui (La Carrière de Molière : entre protecteurs et éditeurs, Amsterdam et Atlanta : Rodopi, 1998, p. 68), précise que la troupe fit cent onze représentations pour soixante-quinze visites chez quarante-deux hôtes différents (princes, ducs, pairs, ministres), dont sept visites seulement après l’adoption de la troupe par le Roi en aôut 1665. 253 L’expression « fournir à quelqu’un de quelque chose », très usitée au XVII e siècle, fut acceptée par Vaugelas, Th. Corneille et l’Académie. 254 Par naïveté ou simple enthousiasme, Chappuzeau contredit la vérité. L’inventaire après décès de Molière, par exemple, montre des garnitures d’or faux plutôt que fin dans son costume de M. de Pourceaugnac, d’argent faux dans celui de Sganarelle (Le Mariage forcé) et de dentelles d’argent faux pour un habit de Dom Juan (Cent ans, pp. 567, 569). Des économies infiniment plus importantes ont dû être faites par les troupes de province, surtout les troupes libres sans protecteur attitré. a en villes b ou à la ville, ou à la campagne c ou une d tres civilement, on luy fait caresse, et elle e de nouveaux ajustemens <?page no="171"?> Livre Troisiéme 171 cens ecus 255 . Ils aiment mieux user de menage en toute autre chose pour donner plus de contentement au Public ; et il y a tel Comedien dont l’equipage vaut plus de dix mille francs 256 . Il est vray que lors qu’ils representent une piece qui n’est uniquement que pour les plaisirs du Roy, les Gentishommes de la Chambre ont ordre de donner à chaque Acteur pour ses ajustemens necessaires une somme de cent ecus ou quatre cens Livres 257 , et s’il arrive qu’un méme Acteur ayt deux ou trois personnages à representer, il touche de l’argent comme pour deux ou pour trois. Mais ce n’est pas le Theâtre seul qui porte les Comediens à de grans frais, hors des [f° 76 v°/ p. 132] jours de Comedie ils sont toûjours propres et bien vêtus a , et estant obligez de paretre souvent à la Cour, et de voir à toute heure des personnes de qualité, il leur est necessaire de suivre les modes, et de faire de nouvelles depences dans les habits ordinaires, ce qui les empesche de mettre de grosses sommes à interest. Aussi a-t-on veu peu de Comediens devenir riches 258 , ils se contentent de vivre honorablement, et font ceder leurs avantages particuliers à la belle passion qui les domine et à leur unique but, qui est de contribuer de toutes leurs forces aux plaisirs du Roy, et de satisfaire toutes les personnes qui leur font l’honneur de les venir voir. 255 Mille cinq cents livres. 256 Soit dix mille livres. 257 L’édition Mayer, ainsi que le manuscrit de 1673, donnent bien cet équivalent, alors que l’écu d’argent valait trois livres à l’époque (l’écu d’or valait cinq livres quatorze sols). Le 10 janvier 1664 la troupe de Molière, ayant joué la Bradamante ridicule pour le Roi au Palais Royal, fut récompensée par le Duc de Saint-Aignan, 1 er gentilhomme de la Chambre et auteur présumé de la comédie, de la somme de cent louis d’or, soit onze cents livres, « pour la despence des habits qui estoient extraordinaires » (La Grange, Registre, t. I, p. 63). En 1673 La Grange rapporte (ibid., p. 146) qu’au cours de sa carrière avec la troupe de Molière il reçut en tout 2.000 livres pour « les [onze] habits des pieces qui ont esté faites pour les plaisirs du Roy ». Et le comédien d’ajouter : « Comme ce que le Roy donnoit n’estoit pas suffisant pr la despense quil falloit faire lesd. habits m’ont cousté plus de deux autres mil livres sur mes parts escriptes de lautre part ». Selon l’inventaire après décès de La Grange (Cent ans, pp. 711-712), ses habits de théâtre valaient 5.185 livres. Par contre, l’inventaire de Molière montre que ses habits de théâtre en 1673 n’avaient qu’une valeur totale de 656 livres (Cent ans, pp. 566-570). L’inventaire après décès de Charles Le Noir, un des fondateurs du théâtre du Marais, indique en 1637 un grand nombre d’habits somptueux évalués à 3.581 livres (Deierkauf-Holsboer, Marais, t. I, pp. 163-167). 258 Il semble qu’en 1672 Molière et sa femme Armande possédaient la somme confortable de 65.000 livres environ, alors qu’à sa mort cette année-là Madeleine Béjart avait chez elle 17.809 livres d’argent comptant (Cent ans, pp. 145, 522, 506). a ils sont toûjours bien vêtus <?page no="172"?> 172 Le Théâtre françois XXIX. Ordre qui s’observe dans leurs Hostels L’Ordre qui s’observe dans leur Hostel est aussi une chose à remarquer. Ils ont soin de le tenir toûjours propre, et que rien ne choque la veüe, ni sur le Theâtre, ni aux Loges, ni au Parterre. L’Hyver ils tiennent [f° 77 r°/ p. 133] par tout grand feu, ce qui ne s’observoit pas anciennement, et il ne resteroit plus qu’a chercher l’invention de donner l’Esté quelque rafraîchissement, ce qui n’est pas facile, parce que tout est fermé, et que l’air ne peut entrer. Derriere le Theatre, et hommes et femmes ont leurs reduits separez pour s’habiller, et ne trouvent pas mauvais qu’on vienne alors les voir, sur tout quand ce sont des gens connus, dont la presence n’embarrasse pas. Durant la Comedie ils observent un grand silence pour ne troubler pas l’Acteur qui parle, et se tiennent modestement sur des sieges aux aîles du Theâtre pour entrer juste, en quoy ils se peuvent regler sur un papier attaché à la toile, qui marque les entrées et les sorties 259 . La Comedie achevée, et le monde retiré, les Comediens font tous les soirs le compte de la [f° 77 v°/ p. 134] recepte du jour 260 , où chacun peut assister, mais où doivent d’office a se trouver le Tresorier, le Secretaire et le Contrôleur, l’argent leur estant aporté par le receveur du Bureau, comme il se verra plus bas. L’argent conté, on leve d’abord les frais journaliers, et quelquefois en de certains cas, ou pour aquiter une dette peu à peu, ou pour faire quelque avan- Comme Mongrédien l’indique (La Vie quotidienne, p. 194), nous savons aujourd’hui que d’autres grands acteurs parisiens jouissaient d’une bonne aisance. En 1647 Floridor, comédien du théâtre du Marais, acheta pour 20.000 livres à Bellerose sa charge de directeur, d’orateur et ses habits de théâtre et entra à l’Hôtel de Bourgogne (Dictionnaire biographique, p. 97). Selon Guy Patin (Lettres, Paris : J.-B. Baillière, 1846, t. III, p. 138), l’acteur Joseph Béjart avait à sa mort en 1659 24.000 écus d’or (ou 40.000, selon le Dictionnaire biographique, p. 33). 259 Pas plus que d’Aubignac dans sa Pratique du théâtre (1657), Chappuzeau ne parle pas des inconvénients causés par les spectateurs installés sur la scène. C’est que pour lui, comme nous avons déjà constaté (Livre III, chapitre XVI), la présence des nobles contribuait à l’ornement du théâtre. La « toile », c’est la toile de devant ou rideau d’avant-scène, dont l’existence et l’emploi au XVII e siècle ont fait couler beaucoup d’encre. Voir G. Védier, Origine et évolution de la dramaturgie néo-classique (Paris : PUF, 1955), surtout les pp. 91-146, et Le Mémoire de Mahelot, éd. Pasquier, pp. 86-94. Le rideau semble avoir été très peu utilisé, sauf pour créer l’émerveillement lors des pièces à grand spectacle. 260 Dans L’Illusion comique de Corneille (V, 6), « On tire un rideau et on voit tous les Comédiens qui partagent leur argent », le magicien Alcandre ajoutant « Ainsi, tous les Acteurs d’une troupe Comique,/ Leur poème récité, partagent leur pratique (= recette) » (vv. 1753-1754). a mais où d’office doivent se trouver <?page no="173"?> Livre Troisiéme 173 ce necessaire, on leve en suite la somme qu’on a reglée 261 . Ces articles mis a part, ce qui reste de liquide est partagé sur le champ, et chacun emporte ce qui luy convient. Pour les Comptes generaux, ils se font, comme j’ay dit, tous les mois, et les loüages de l’Hostel sont payez regulierement tous les quartiers. XXX. Le caractere des Comediens Voila en peu de mots tout ce qui se peut dire du Gouvernement present des Comediens a et de leur conduite. Je ne les ay point flatez, le portrait que j’en ay fait est fidele, et je n’ay pû le refuser à la priere de plusieurs honnestes [f° 78 r°/ p. 135] gens qui l’ont souhaité, et qui ont voulu b les connêtre à fond pour avoir dequoy les defendre contre de fâcheux Critiques. Il y auroit de l’injustice et de la malice à les depeindre c autrement. En general ils vivent moralement bien, ils sont francs et de bon conte 262 avec tout le monde, civils, polis, genereux ; ils se devoüent tout entiers au service du Roy et du Public, et en leur fournissant les plus honnestes plaisirs dont j’ay fait voir et la necessité, et les avantages, ils meritent l’approbation universelle des honnestes gens. Il est temps de venir à l’etablissement des Troupes de Paris, et aux revolutions de ces deux petits Estats, qui en faisoient trois au commencement de cette année. XXXI. Etablissement de la Troupe Royale La Troupe Royale qui a toûjours tenu ferme, et qui d est parvenue au plus haut point de sa gloire, a eu comme toutes les autres Societez de febles commencemens. Elle les doit à une [f° 78 v°/ p. 136] Confrairie, à qui apartient encore 261 Deux exemples de ce procédé parmi bien d’autres : du 11 mai au 23 juillet 1660, la troupe du Petit-Bourbon s’acquitta en plusieurs petits versements d’une dette de 318 livres contractée pour l’achat de chandeliers de cristal (La Grange, Registre, t. I, pp. 20-22) ; le 12 mars 1663 la même troupe, installée au Palais-Royal, paya « à Mons r De la Calprenede p r une piece de Theatre quil doit faire la somme de 800 l. que M r de Moliere avoit avancée » (ibid., p. 54). 262 « On dit, qu’un homme est de bon compte, pour dire, qu’il est franc et sincere, qu’il ne trompe point ses associez, ou ses maistres » (F.) a du gouvernement des Comediens b gens, qui ont voulu c Il y auroit de l’injustice à les depeindre d tenu ferme, a toûjours eu ses douze mille livres de pension, et qui <?page no="174"?> 174 Le Théâtre françois aujourd’huy l’Hostel de Bourgogne 263 , et ce lieu fut destiné pour y representer les plus saints mysteres du Christianisme. C’est ce que nous temoignent quelques pieces de Theatre qui nous restent d’un Docteur de Sorbonne en caracteres Gothiques, et l’on void encore sur le grand Portail de cet Hostel une pierre où sont en relief les instrumens de la Passion 264 . Cet établissement des Comediens se fit il y a plus d’un siecle sur la fin du Regne de François I 265 . mais ils ne commencerent à entrer en reputation que sous celuy de Louys XIII. lors que le Grand Cardinal de Richelieu Protecteur des Muses temoigna qu’il aimoit la Comedie, et qu’un Pierre Corneille mit ses vers pompeux et tendres dans la bouche d’un Montfleury et d’un Bellerose qui estoient des Comediens achevez 266 . Le Cid [f° 79 r°/ p. 137] dont le merite s’attira de si nobles ennemis, et les Horaces qui le suivirent, et que le méme Cid a eut plus à craindre, parce que leur gloire alla plus loin que la sienne 267 furent les deux premiers ouvrages de ce Grand Homme qui firent grand bruit, et il a soûtenu le Theâ- 263 Les Confrères de la Passion, qui depuis 1402 avaient le monopole de la présentation des mystères, construisirent en 1548 une salle de spectacle rue Mauconseil, près des Halles, pour les monter. Devant une interdiction par le Parlement de Paris de jouer les mystères, renouvelée en 1597, la Confrérie décide de louer son théâtre à des troupes itinérantes, françaises et étrangères. Par un arrêt du Conseil du Roi du 29 décembre 1629, la salle est attribuée aux comédiens du Roi. La troupe fut dirigée d’abord par Robert Guérin, dit Gros-Guillaume, un acteur qui avait paru à l’Hôtel dès 1598. Sur l’Hôtel de Bourgogne, voir Deierkauf-Holsboer, Hôtel de Bourgogne ; W. L. Wiley, « The Hôtel de Bourgogne. Another Look at France’s First Public Theatre », Studies in Philology, 70/ 5 (décembre 1973), pp. 1-114 ; A. Howe, Le Théâtre professionnel à Paris 1600-1649 (Paris : Centre historique des Archives nationales, 2000). 264 Dans un document du 27 août 1639, le théâtre est décrit comme étant « une grande maison vulgairement appelée l’Hostel de Bourgogne consistant en magasins, grande salle au dessus couverte de thuisles dans laquelle il y a ung theatre a representer comedies et des loges à l’entour, ung petit corps d’hostel et une cour, le tout sciz à Paris es rues Mauconseil et Saint François, ayant la principalle entrée et issue par la dicte rue Sainct François au moyen d’une porte cochere sur le haut de laquelle sont les armes de la Passion antienne marque de la dicte confrairye, et ou est basty le dict petit corps d’hostel » (S. W. Deierkauf-Holsboer, Histoire de la mise en scène dans le théâtre français à Paris de 1600 à 1673, Paris : Nizet, 1960, p. 12). 265 François I er mourut le 31 mars 1547. 266 Pour Montfleury et Bellerose, acteurs de l’Hôtel de Bourgogne, voir les notes 190 et 189. 267 Le Cid fut créé au théâtre du Marais en janvier 1637. Horace, dont la première représentation publique eut lieu début mai 1640, parut incontestablement sur la même scène. a et les Horaces, que le méme Cid <?page no="175"?> Livre Troisiéme 175 tre jusques à cette heure de la méme force 268 . La Troupe Royale prenant cœur aux grands applaudissemens qui acompagnoient les representations a de ses admirables pieces, se fortifioit de jour en jour, d’autant plus qu’une autre Troupe du Roy qui residoit au Marais, et où un Mondori excellent Comedien attiroit le Monde, faisoit tous ses efforts pour aquerir de la reputation ; et il arriva que Corneille quelque temps apres luy donna de ses ouvrages 269 . Mais lors qu’une troisiéme Troupe vint se poster au Palais Royal, et qu’elle y eut fait bruit par le merite extraordinaire d’un [f° 79 v°/ p. 138] Homme qui l’a seul entretenue par l’excellence de ses ouvrages comiques, qui b executoit son rôle d’une maniere admirable, et qui charmoit egalement la Cour et la Ville dont il estoit fort aimé, cela ne put produire qu’un bon effet, et que causer une forte emulation aux deux autres Troupes, qui mirent tout en usage pour soûtenir leur ancienne reputation 270 . 268 L’avant-dernière pièce de Corneille, Pulchérie, débuta au théâtre du Marais le 25 novembre 1672. Sa dernière œuvre dramatique, Suréna, parut à l’Hôtel de Bourgogne à l’automne de 1674. 269 Originaire de Thiers, l’acteur Montdory, de son vrai nom Guillaume des Gilberts (1594-1654 ? ), débuta en 1612 dans la troupe de Valleran Le Conte. En 1629 il créa Mélite, la première pièce de Corneille, puis joua dans des pièces de Rotrou, de Scudéry et de Mairet, ainsi que dans les autres comédies de Corneille. Soutenu par le cardinal de Richelieu, il dirigea le théâtre du Marais, établi en 1634, où il monta Le Cid. Paralysé de la langue et du bras droit en août 1637, il abandonna la scène et aurait reçu de Richelieu une pension de 2.000 livres. Les dix-huit premières pièces de Corneille furent créées par la troupe de Montdory dans différents jeux de paume du Marais, puis dans le théâtre de la rue Vieilledu-Temple à partir de 1634. De 1650 à 1674, la troupe de l’Hôtel de Bourgogne partagea la responsabilité des premières cornéliennes avec la compagnie du Marais et celle de Molière au Palais-Royal. 270 Molière - acteur, directeur et dramaturge - commença sa carrière parisienne en octobre 1658 sous la protection de Monsieur, frère du Roi, jouant, dans la salle des gardes du Vieux-Louvre, devant le roi et la Cour, le Nicomède de Corneille, ainsi qu’une farce, Le Docteur amoureux. En récompense, le Roi lui accorda la salle du Petit-Bourbon, les jours extraordinaires, en alternance avec les Italiens. En octobre 1660 et sans préavis, le surintendant des bâtiments fit démolir la salle, qui gênait la construction de la colonnade du Louvre. La troupe obtint la salle du Palais- Royal, construite par Richelieu vingt ans plus tôt, et y représenta son répertoire jusqu’à la jonction, en juillet 1673 à l’Hôtel Guénégaud, des comédiens du Marais avec ce qui restait des compagnons de Molière qui n’avaient pas rejoint l’Hôtel de Bourgogne. a la representation b entretenue par ses ouvrages, qui <?page no="176"?> 176 Le Théâtre françois XXXII. Fortes jalousies entre les Troupes La justice a et la bienseance demandoient que ces trois petits Estats fussent amis ; et que chaque particulier n’eust d’autre veue que l’avantage commun du Corps où il se trouvoit uni : mais la gloire mal menagée, l’ambition trop forte, et le desir d’aquerir faisoient que ces trois Troupes se regardoient toûjours d’un œil d’envie, la prosperité de l’une donnant du chagrin à l’autre ; et méme qu’entre les particuliers l’intelligence n’estoit pas des plus [f° 80 r°/ p. 139] etroites. XXXIII. Petits stratagemes Je dois loüer les Comediens en ce qu’ils ont de loüable, mais je ne dois pas les flater en ce qu’ils ont de defectueux. Ils taschent quelquefois de se nuire l’un l’autre par de petits stratagemes, mais ils ne viennent jamais à un grand éclat. Quand une Troupe promet une piece nouvelle, l’autre se prepare à luy en opposer une semblable, si elle la croit à peu pres d’egale force, autrement il y auroit de l’imprudence à s’y hazarder 271 . Elle la tient toute preste pour le jour qu’elle peut decouvrir que l’autre doit representer la sienne, et a de fideles espions pour sçavoir tout ce qui se passe dans l’Estat voisin. D’ailleurs chaque Troupe tasche d’attirer les fameux Autheurs à son parti, et de denuer de ce necessaire appuy le parti contraire. Les Comediens ont encore quelques autres [f° 80 v°/ p. 140] maximes de cette nature, que je blamerois davantage, si ces petites jalousies ne leur estoient communes avec toutes les Societez. Mais, comme je l’ay remarqué b , ces differens interests causent des emulations avantageuses à ceux qui frequentent le Theatre, et une Troupe venant à s’affeblir par quelque rupture, l’autre en profite et s’en fortifie, et l’Auditeur de costé ou d’autre y trouve son conte, et est toûjours satisfait. 271 La reprise d’un sujet choisi par une troupe rivale fut une des méthodes les plus fréquentes de la concurrence qui opposa les théâtres parisiens au XVII e siècle. Parmi de nombreux exemples on peut citer les Cléopâtre de Mairet et de Benserade, les Coups de l’Amour et de la Fortune de Quinault et de Boisrobert, Les Précieuses ridicules de Molière et Les Véritables précieuses de Boisrobert, les Mère coquette de Donneau de Visé et de Quinault, les Alexandre de Racine et de Boyer, la Bérénice de Racine et le Tite et Bérénice de Corneille, puis, peu de temps après la parution du Théâtre françois, les Iphigénie de Racine et de Le Clerc et Coras et surtout les Phèdre et Hippolyte de Racine et de Pradon. a [pas de nouveau paragraphe] b comme je l’ay dit <?page no="177"?> Livre Troisiéme 177 Nous avons veu depuis peu d’années dans la Troupe Royale deux Illustres Comediens, Montfleury et Floridor de qui j’ay parlé plus haut 272 , la gloire du Theatre, et les grans modeles de tous ceux qui s’y veulent devoüer. Je les ay connus particulierement l’un et l’autre, ils ont laissé chacun une famille tres spirituelle et bien elevée 273 , et comme ils avoient l’air noble et tou[te]s les inclinations belles, comme ils estoient polis, genereux et d’agreable entretien, toute [f° 81 r°/ p. 141] la Cour en faisoit grand cas. Floridor estoit particulierement connu du Roy qui le voyoit de bon œil, et daignoit le favoriser en toutes rencontres 274 . XXXIV. Acteurs et Actrices qui composent presentement la Troupe Royale Noms Des Acteurs et Actrices Qui composent presentement La Troupe Royale par ordre d’ancienneté. Les S rs a De Hauteroche 275 . De la Fleur 276 . 272 Pour Montfleury, voir la note 190. Pour Floridor, voir la note 242. 273 De sa femme Jeanne de La Chappe, Montfleury eut six enfants, nés entre 1639 et 1649. Deux de ses quatre filles furent comédiennes : Françoise, Mlle d’Ennebaut, et Louise, Mlle Du Pin. Un fils, Antoine, épousa une fille de Montdory, Marie-Marguerite. Floridor eut sept enfants de sa femme Marguerite Baloré. P. Corneille fut parrain de Pierre, un de leurs fils, alors que la femme de Corneille fut marraine d’un autre, Gédéon. 274 En 1661 Louis XIV accorda à Floridor « l’appareillage des cordes depuis le quay des bons hommes de Chaillot jusques à la porte de la Conférence de Paris et tous les basteaux, tant en montant qu’en descendant » (Dictionnaire biographique, p. 98). Deux ans plus tard, il obtint du Roi, conjointement avec Quinault, la concession des messageries de Paris à Cahors et à Sarlat. 275 L’ordre d’ancienneté indiqué par Chappuzeau ne correspond pas exactement à ce que nous savons aujourd’hui des acteurs et actrices de l’Hôtel de Bourgogne, même s’il reste encore bien des incertitudes sur le détail de certaines carrières. Noël Le Breton, dit Hauteroche, comédien-auteur (1617-1707), entra au théâtre du Marais en 1655, puis se trouva à l’Hôtel de Bourgogne dès 1660, sinon un peu plus tôt, où il succéda en 1671 à Floridor comme chef de la troupe. 276 François Juvenon, dit La Fleur (v. 1623- octobre 1674), se trouva au Marais en 1655, puis entra à l’Hôtel de Bourgogne en 1662 où il joua les rois. a LES SIEURS <?page no="178"?> 178 Le Théâtre françois Poisson 277 . De Brecourt 278 . De Champmeslé 279 . De la Tuilerie 280 . De la Toriliere 281 . Baron a 282 . Beauval b 283 . [f° 81 v°/ p. 142] 277 L’auteur dramatique Raymond Poisson, dit Belleroche, le premier Crispin, joua des rôles comiques dans plusieurs troupes, dont celle du duc Gaston d’Orléans, et fut gratifié par le Roi en 1659 et 1660 comme « chef des comédiens qui est à ma suite ». Il entra à l’Hôtel de Bourgogne vers 1660 ou un peu plus tôt. 278 Guillaume Marcoureau, dit Brécourt (1638-1685), comédien et auteur dramatique, fut membre de la compagnie du Marais avant de passer en juin 1662 à celle du Palais-Royal. En mars 1664 il quitta la troupe de Molière pour entrer à l’Hôtel de Bourgogne. 279 Le comédien-écrivain Charles Chevillet, dit Champmeslé (1642-1701), entra au théâtre du Marais en 1668, puis à l’Hôtel de Bourgogne en mars 1670. « Champmeslé devient un personnage de premier plan dans la vie théâtrale de son temps et un auteur dont les pièces seront très appréciées du public. Son influence devient si grande que plusieurs auteurs lui demandent des conseils pour la composition de leurs nouvelles pièces » (Deierkauf-Holsboer, Hôtel de Bourgogne, t. II, p. 140). 280 Jean-François Juvenon, dit La Thuillerie (1650-1688), fils de François Juvenon, dit La Fleur, devint comédien à l’âge de seize ans et, comme son père, joua des rôles de rois à l’Hôtel de Bourgogne où il entra peut-être à Pâques 1672 (Deierkauf-Holsboer, Hôtel de Bourgogne, t. II, p. 146). 281 François Le Noir, dit La Thorillière (v. 1626-1680), se trouva au Marais en 1659- 1661 et au Palais-Royal en 1662, puis passa à l’Hôtel de Bourgogne à la mort de Molière en 1673. 282 Michel Boyron, dit Baron (1653-1729). Fils d’un acteur du Marais et de l’Hôtel, Michel Boyron fit partie des comédiens du duc de Savoie avant d’entrer dans la troupe du Palais-Royal à Pâques 1670. Il passa à l’Hôtel de Bourgogne à Pâques 1673, après la mort de Molière. 283 Jean Pitel, dit Beauval (v. 1635-1709). Ancien membre de plusieurs troupes et de celle du théâtre du Marais, il fut commandé par Louis XIV en juillet 1670 d’entrer au Palais-Royal. Comme La Thorillière et Baron, il passa à l’Hôtel de Bourgogne à Pâques 1673, suivant la mort de Molière. a Le Baron b De Beauval <?page no="179"?> Livre Troisiéme 179 Les D lles . De Beauchâteau 284 . Poisson 285 . Dennebaut 286 . De Brecourt 287 . De Champmeslé 288 . Beauval a 289 . De la Tuilerie 290 . Retirez de la méme Troupe, et qui touchent pension. 284 Madeleine du Pouget, femme de François Chastelet, dit Beauchâteau, appartint à l’Hôtel de Bourgogne dès 1632, passa avec son mari au Marais en 1635 où elle créa le rôle de l’Infante du Cid, puis revint en 1642 à l’Hôtel où elle resta jusqu’à sa retraite en 1674. 285 Victoire Guérin, femme de Raymond Poisson, dit Belleroche. Comédienne de campagne, elle entra le 30 avril 1660 à l’Hôtel de Bourgogne en remplacement de Mlle Bellerose. 286 Françoise Jacob, femme de Mathieu d’Ennebaut, acteur du Marais, et fille de Montfleury, se trouva à l’Hôtel de Bourgogne en 1664, au Marais avec son époux en 1667, puis de nouveau à l’Hôtel à partir de 1668. 287 Etiennette Des Urlis (1629-1713), femme de Guillaume Marcoureau, dit Brécourt, fut comédienne de campagne, puis membre de la troupe du Marais de 1655 à 1662 avant d’entrer à l’Hôtel de Bourgogne en 1664 où « décision est prise de [lui] donner un emploi dès le décès ou le départ volontaire d’une actrice en fonction » (Deierkauf-Holsboer, Hôtel de Bourgogne, t. II, p. 120). 288 Marie Desmares (1642-1698), femme de Charles Chevillet, dit Champmeslé. Elle entra au théâtre du Marais en 1668 et à l’Hôtel de Bourgogne, avec son mari, en mars 1670. 289 Jeanne-Olivier Bourguignon, femme de Jean Pitel, dit Beauval, et fille naturelle du comédien Philandre (1649 ou 1650-1720), entra dans la troupe du Marais en 1669, dans celle du Palais-Royal en 1670 et dans la troupe royale de l’Hôtel en 1673. 290 Louise-Catherine Poisson (v. 1657-1708), fille de Raymond Poisson et femme de Jean-François Juvenon, dit La Thuillerie, entra à l’Hôtel de Bourgogne, sans doute vers Pâques 1672 (son mariage eut lieu le 27 avril) et se retira à la jonction des troupes en 1680. a De Beauval <?page no="180"?> 180 Le Théâtre françois Le S r a De Villiers 291 . Les D lles . De Bellerose 292 . De Montfleuri 293 . De Floridor 294 . Catalogue Des Comediens Autheurs Dans la b méme Troupe, et de leurs ouvrages. [f° 82 r°/ p. 143] Hauteroche 295 . L’Amant qui ne flate point. Le Soupé mal-apresté. Crispin Medecin. Le Deuil. Les Apparences Trompeuses, ou les Maris infideles. 291 Claude Deschamps, dit de Villiers (vers 1601-1681), acteur dans la troupe de Montdory dès 1624, entra au Théâtre du Marais en 1634 avant de passer à l’Hôtel de Bourgogne en 1642. Il se retira en 1670 avec 1.000 livres de pension. 292 Nicole Gassot, femme de Pierre Le Messier, dit Bellerose, entra à l’Hôtel de Bourgogne en 1638 et prit sa retraite en 1660 avec une pension de 1.000 livres, réduite à 600 livres par un arrêt du Conseil de juillet 1670. Pour Tallemant des Réaux, écrivant en 1657 (Historiettes, éd. Adam, t. II, p. 778), elle est « la meilleure comedienne de Paris ; mais elle est si grosse que c’est une tour ». 293 Jeanne de La Chappe, femme de Zacharie Jacob, dit Montfleury. Fille d’un comédien de l’Hôtel, elle y entra sans doute avec son mari en 1638. A la fin de 1667 elle fit toujours partie de la troupe. 294 Marguerite Baloré, femme de Josias de Soulas, dit Floridor, avec qui elle entra au théâtre du Marais. Selon Deierkauf-Holsboer (Hôtel de Bourgogne, t. II, p. 60), « il va sans dire que cette actrice a quitté la troupe de la rue Vieille-du-Temple en même temps que son mari. Il semble cependant que bien des années s’écoulèrent avant qu’elle fasse partie de la troupe royale. Ce n’est en effet qu’en 1664 que Marguerite pose sa signature au bas d’un acte d’association des comédiens de l’Hôtel de Bourgogne ». Elle se retira en 1671 avec une pension de 1.000 livres. 295 Cette liste d’acteurs qui furent aussi écrivains dramatiques attire notre attention sur le fait que ce ne fut pas le seul Molière qui excella dans ces deux domaines. Ils augmentèrent par là leur influence mais aussi leur revenu personnel. a Le Sieur b de la <?page no="181"?> Livre Troisiéme 181 Poisson 296 . Le Sot vangé. Le Baron de la crasse. Le Fou raisonnable. L’Apressoupée des Auberges. Le Poëte Basque. Les Moscovites. La Hollande malade. Les Femmes coquetes. L’Academie Burlesque. Brecourt 297 . La feinte mort de Jodelet. Sur Noël Le Breton, dit Hauteroche, voir la note 275. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates des premières représentations (toutes à l’Hôtel de Bourgogne) sont : • L’Amant qui ne flatte point, comédie en 5 actes représentée en juillet 1668. • Le Souper mal apprêté, comédie en 1 acte représentée en juillet 1669. • Crispin médecin, comédie en 3 actes représentée en mai 1670. • Le Deuil, comédie en 1 acte représentée en septembre 1672. • Les Apparences trompeuses ou les maris infidèles, comédie en 3 actes représentée en janvier 1673. 296 Sur Raymond Poisson, dit Belleroche, voir la note 277. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates, quelquefois conjecturales, des premières représentations à l’Hôtel de Bourgogne sont : • Lubin ou le sot vangé, représenté au début de 1661. • Le Baron de la Crasse, représenté en 1661. • Le Fou raisonnable, représenté en 1663. • L’Après-soupé des auberges, représenté à la fin de 1664. • Le Poète basque, représenté en juin 1668. • Les Faux Moscovites, représentés en octobre 1668. • La Hollande malade, représentée en août 1672. • Les Femmes coquettes, représentées en 1670, puis republiées en 1671 sous le titre de Les Pipeurs ou les Femmes coquettes. • L’Académie burlesque, pièce inconnue attribuée à Poisson. Selon Lancaster (History, t. III, p. 762), il s’agit peut-être d’un sous-titre donné aux Femmes coquettes. Chappuzeau omet de sa liste la pièce suivante qui avait paru avant 1673 : • Le Cocu battu et content, comédie non imprimée, représentée au mois d’août 1672. 297 Sur Guillaume Marcoureau, dit Brécourt, voir la note 278. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates des premières représentations sont : • La Feinte mort de Jodelet, comédie représentée au théâtre du Marais en 1659. <?page no="182"?> 182 Le Théâtre françois [f° 82 v°/ p. 144] Le Jaloux Invisible. La Noce de Village. Champmeslé 298 . Les Grisetes. L’Heure du Berger. La Toriliere 299 . Cleopatre, ou la Mort de Marc-Antoine. De Villiers retiré 300 . Le Festin de Pierre. Les Trois Visages. Les Ramonneurs. L’Apotiquaire devalizé. • Le Jaloux invisible, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en août 1666. • La Noce de village, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1666. Chappuzeau omet de sa liste les pièces suivantes qui avaient paru avant 1673 : • Le Grand benêt de fils, comédie non imprimée représentée au Palais-Royal le 18 janvier 1664. • L’Infante salicoque ou le héros de roman, comédie non imprimée représentée en 1667 à l’Hôtel de Bourgogne. 298 Sur Charles Chevillet, dit Champmeslé, voir la note 279. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates des premières représentations sont : • Les Grisettes, comédie en 3 actes représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1671, retravaillée en 1 acte sous le titre de Les Grisettes ou Crispin chevalier. • L’Heure du berger, pastorale représentée à l’Hôtel de Bourgogne en mars 1672. 299 Sur François Le Noir, dit La Thorillière, voir la note 281. La pièce comprise dans la liste de Chappuzeau et la date de la première représentation sont : • Cléopâtre ou la mort de Marc-Antoine, tragédie non imprimée représentée au Palais- Royal le 2 décembre 1667. 300 Sur Claude Deschamps, dit de Villiers, voir la note 291. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates, quelquefois conjecturales, des premières représentations sont : • Le Festin de Pierre ou Le fils criminel, tragi-comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en août 1659. • Les Trois visages, comédie non imprimée représentée à l’Hôtel de Bourgogne vers 1664. • Les Ramonneurs, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1659-1660. • L’Apothicaire dévalisé, comédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1658-1659. <?page no="183"?> Livre Troisiéme 183 Montfleury a mort 301 . Asdrubal. La pluspart de ces Autheurs ont fait d’autres ouvrages qui ont esté bien receus, comme [f° 83 r°/ p. 145] Hauteroche plusieurs Nouvelles et Historietes ; Brecourt, Loüange au Roy sur l’Edit des Duels, &c 302 . XXXV. La Troupe du Roy b La Troupe du Roy établie en son Hostel de la rue Mazarine, dite autrement des Fossez de Nesle, est à present si bien assortie, si forte en nombre d’Acteurs et d’Actrices dont le merite est connu, et si bien appuyée de l’affection des plus celebres Autheurs, qu’on ne peut attendre de son établissement qu’un magnifique succez 303 . Deplus elle est en possession d’un tres beau lieu, et d’un Theatre large et profond pour les plus grandes machines 304 . Cette belle Troupe qui s’est heureusement rassemblée du fameux debris de deux autres qui avoient regné quelque temps avec reputation, commença de se montrer en public c un Dimanche 9. Juillet de cette pre[f° 83 v°/ p. 146]sente année 1673 d . et la grande assemblée qui se trouva ce jour là à son Hostel, et qui s’y 301 Sur Zacharie Jacob, dit Montfleury, voir la note 190. La pièce comprise dans la liste de Chappuzeau et la date de la première représentation sont : • La Mort d’Asdrubal, tragédie représentée à l’Hôtel de Bourgogne en 1647. 302 A part les comédies, on ne connaît pas d’œuvre littéraire de Hauteroche. La Loüange au Roy sur l’édit des duels, pièce en vers de 12 pages composée par G. B. (Guillaume Marcoureau, dit Brécourt), fut publiée à Paris en 1671. 303 La fusion des troupes du Marais et du Palais-Royal en 1673 créa la Troupe du Roi au théâtre de l’Hôtel Guénégaud, dans le jeu de paume « situé dans la rue de Seine, au Faux-bourg Saint-Germain, ayant issue dans ladite rue, et dans celle des Fossés de Nesle, vis-à-vis la rue de Guénégaud » (Ordonnance royale du 23 juin 1673). Baron, La Thorillière et le couple Beauval quittèrent la troupe de Molière à Pâques 1673 pour passer à l’Hôtel de Bourgogne ; le 28 avril la salle du Palais-Royal fut accordée par le Roi à Lully pour la présentation de ses opéras. La troupe de l’Hôtel Guénégaud fut constituée de dix acteurs et actrices venus du Palais-Royal et de neuf originaires du Marais, avec sept parts trois quarts accordés à chacune des anciennes troupes. 304 Voir la note 499. a DE MONTFLEURY b Nouvelle Troupe du Roy c au Public d de l’année derniere 1673 <?page no="184"?> 184 Le Théâtre françois est veue les jours suivans ne peut que luy estre un bon augure, et luy promettre une longue felicité 305 . Pour bien instruire le Lecteur de son établissement, il faut de necessité donner icy le Tableau des deux Corps qui y ont contribué, et sçavoir quelle a esté la face de la Troupe du Marais, et Celle de la Troupe du Palais Royal durant les années de leur regne. XXXVI. Histoire de la Troupe du Marais La Troupe des Comediens du Roy etablie au Marais en 1620 s’y est maintenue plus de cinquante ans, et a toûjours esté pourveue de bons Acteurs et d’excellentes Actrices, à qui les plus celebres Autheurs ont confié la gloire de leurs ouvrages, et dont les deux autres Troupes ont sceu profiter en divers temps 306 . [f° 84 r°/ p. 147] Cellecy a n’avoit qu’un desavantage, qui estoit celuy du poste qu’elle avoit choisi, à une extremité de Paris, et dans un endroit de rue fort incommode 307 . Mais son merite particulier, la faveur des Autheurs qui 305 Comme c’est souvent le cas, Chappuzeau exagère. Selon La Grange, la première pièce montée au Guénégaud, Tartuffe, rapporta 744 livres le 9 juillet 1673. Mais les recettes du reste de l’année n’atteignirent même pas ce niveau-là, correct mais tout de même assez modeste pour une nouvelle compagnie composée de comédiens chevronnés. Dès le 1 er août Le Misanthrope ne réalisa que 293 livres. Pour les soixante-dix-sept représentations organisées entre l’ouverture du théâtre et le 31 décembre la recette moyenne ne fut que de 487 livres (Registre, t. I, pp. 150-154). 306 Chappuzeau anticipe par quelques années sur la création du deuxième théâtre parisien. Le 10 avril 1624 la troupe de Montdory fut constituée par acte d’association et joua à l’Hôtel de Bourgogne ainsi qu’en province. En 1629, Montdory s’attacha à la compagnie de Charles Le Noir, ancien chef de la troupe du prince d’Orange, qui s’installa dans différents jeux de paume du quartier du Marais (Berthault, la Sphère, la Fontaine), puis entra au jeu de paume appelé « les Marestz », rue Vieilledu-Temple, grâce à un bail de cinq ans en date du 8 mars 1634. C’est donc de cette année-là que date le véritable théâtre du Marais. Voir Deierkauf-Holsboer, Marais. 307 Situé dans la partie orientale de la capitale, le Marais fut bâti sous Henri IV mais surtout sous Louis XIII, devenant le centre du Paris aristocratique, avec la Place Royale (actuelle Place des Vosges) et de somptueux hôtels particuliers. Mais pour la plupart des gens et donc des publics de théâtre, le quartier fut excentrique. En plus, le jeu de paume, rue Vieille-du-Temple, entre la rue de la Perle et la rue des Coustures Saint-Gervais, eut l’inconvénient d’être situé en face d’un égoût. Le Mercure galant de juin 1673 (t. IV, p. 226), signalant une représentation au Marais de la Pulchérie de Corneille, remarqua que « tous les obstacles qui empeschent les Pieces de reüssir dans un Quartier si éloigné, n’ont pas esté assez puissans pour nuire a Cette Troupe <?page no="185"?> Livre Troisiéme 185 l’apuyoient, et ses grandes pieces de machines 308 surmontoient assurement a le degoust que l’eloignement du lieu pouvoit donner au Bourgeois, sur tout en hyver, et avant le bel ordre qu’on [a] aporté pour tenir les rues bien éclairées jusques à minuit, et nettes partout et de boüe et de filous. Cette Troupe alloit quelquefois passer l’Esté à Roüen, estant bien aise de donner cette satisfaction à une des premieres villes du Royaume 309 . De retour à Paris de cette petite course dans le voisinage, à la premi[è]r[e] affiche le monde y couroit, et elle se voyoit visitée comme de coûtume. [f° 84 v°/ p. 148] XXXVII. Ses revolutions et sa cheute Il est arrivé de temps en temps de petites revolutions dans cette Troupe, comme dans celle du Palais Royal, et toûjours causées par quelques mecontentemens des particuliers, ou par quelques interests nouveaux, chacun en ce monde allant à son but, et se mettant peu en peine du bien du prochain 310 . D’ailleurs nous aimons tous naturellement le changement, et la diversité à cet Ouvrage ». Dans son Au Lecteur, Corneille parle d’un succès auprès du public « bien que cette pièce ait été reléguée dans un lieu où on ne voulait plus se souvenir qu’il y eût un théâtre » (OC, t. III, p. 1171). 308 Le Marais, qui attira rapidement la protection de Richelieu et, dès 1635, 6.000 livres de pension royale, fut le théâtre de prédilection de P. Corneille (il lui donna toutes ses premières pièces, y compris Le Cid), Mairet, Scudéry, Tristan l’Hermite et d’autres. L’Hôtel de Bourgogne s’affirmant dans le genre tragique, la troupe de la rue Vieille-du-Temple choisit ensuite de se spécialiser dans les grands spectacles, les pièces à machines. 309 Corneille, qui confia le texte de sa première pièce, Mélite, à Montdory et ses associés, habita Rouen jusqu’en 1662, de même que son frère Thomas, fécond auteur dramatique. 310 L’éternel optimisme de Chappuzeau passe sous silence les fréquentes difficultés qu’ont dû affronter les comédiens du Marais. En 1634 la troupe rivale de l’Hôtel persuada le Roi de lui transférer quatre comédiens du Marais : Le Noir et sa femme, Jodelet et L’Espy. Même tactique en 1642, qui vit le départ vers la rue Mauconseil de de Villiers, Beauchâteau, Baron et leurs femmes. L’incendie du 15 janvier 1644 priva la compagnie de ses locaux, de neuf mois de recettes et de ses économies, passées dans la reconstruction du théâtre. En 1647 Floridor passa, par ordre du Roi, à l’Hôtel de Bourgogne, signalant que la troupe, privée du répertoire de Corneille, a surmontoient aisement <?page no="186"?> 186 Le Théâtre françois plaist, quoy que nous ne trouvions pas en tous lieux mémes avantages. Il y a eu de bons Comediens qui ont quitté le marais où ils estoient estimez, sans nulle necessité et de gayeté de cœur, le poste de Paris leur plaisant moins alors que la liberté de la Campagne. L’homme n’est content que par fantaisie, et c’est l’estre assez que s’imaginer de l’estre. Mais la plus grande revolution de la Troupe du Marais a esté l’abandonnement du lieu, et sa jonction avec la [f° 85 r°/ p. 149] Troupe du Palais Royal. Avant que de toucher ce grand changement, il faut donner aussi l’histoire de cette troisiéme Troupe, dont le regne a esté court, mais qui a esté fort glorieux. XXXVIII. Regne de la Troupe du Palais Royal La Troupe du Palais Royal fut établie sur la fin de l’année 1659 311 . apresque les principales personnes qui la composoient eurent fait connêtre leur merite quelques années auparavant à Paris sur les fossez de Nesle et au quartier de S t Paul 312 , à Lion et en Languedoc, où cette Troupe entretenue de a Monsieur le Prince de Conty qui aimoit alors passionnement b la Comedie, et prenoit plaisir à en fournir des Sujets, aquit avec sa faveur l’estime et la bienveuillance devait abandonner la tragédie régulière pour s’essayer dans d’autres genres. Sans parler des nombreux « mécontentements des particuliers » et « petites révolutions », cette série de catastrophes marqua fortement l’histoire de la troupe dont la survie fut d’autant plus remarquable. 311 « Le s r de Moliere et sa Troupe arriverent a Paris au mois d’Octob. 1658 et se donnerent a Monsieur. frere unique du Roy qui leur accorda lhonneur de sa protection et le Tiltre de ses Comediens avec 300 l. de pension pour chaque Comedien [en marge : nota que les 300 l. n’ont point esté payez] » (La Grange, Registre, t. I, p. 1). La troupe présenta Nicomède et Le Docteur amoureux au Louvre le 24 octobre en présence du Roi et commença ses représentations publiques au Petit-Bourbon le 2 novembre 1658. 312 La troupe de l’Illustre Théâtre, constituée par un contrat de société du 30 juin 1643 avec dix membres dont Madeleine, Geneviève et Joseph Béjart aussi bien que Jean- Baptiste Poquelin, joua à partir du 1 er janvier 1644 (quinze jours avant l’incendie du théâtre du Marais) dans le jeu de paume des Mestayers, rue Mazarine, « sur le fossé et proche de la porte de Nesle » à Saint-Germain-des-Prés, puis traversa la Seine et occupa en décembre 1644 le « tripot » de la Croix-Noire, entre le quai des Ormes et la rue des Barrés, paroisse Saint-Paul. Elle y resta quelque huit mois avant que la situation financière de la troupe entraînât sa dissolution en septembre 1645. a entretenüe alors de b qui aimoit passionnement <?page no="187"?> Livre Troisiéme 187 des Estats de la Province 313 . Moliere, Du Parc, de Brie et les deux freres Bejar avec les D lles Bejar, de Brie et du Parc composoient alors la Troupe, qui passoit avec raison pour la premiere et la plus forte de la Campagne 314 . [f° 85 v°/ p. 150] Le merite extraordinaire de Jean Baptiste Moliere qui l’a soûtenue à Paris quatorze ans de suite avec tant de gloire, luy donna une entiere facilité à s’y établir. Du Croisy qui avoit paru avec reputation à la Campagne a à la teste d’une Troupe 315 , et la Grange dont le merite est connu 316 , se joignirent alors à celle que Moliere conduisoit, et qui ne put que se bien trouver de ce renfort. Elle eut d’abord la faveur du Roy, de Monsieur son frere unique, et des plus Grands de la Cour 317 , et apres avoir occupé quelque tems la Sale du petit 313 Les débris de l’Illustre Théâtre furent recueillis par la troupe de Charles Du Fresne, protégée de 1646 à 1650 par le duc d’Epernon. Molière prit la direction de la troupe qui continua à sillonner la province : Toulouse, Albi, Carcassonne, Bordeaux, Nantes, Agen, Pézenas, Grenoble, Lyon. De 1653 à 1656, continuant ses pérégrinations dans le sud-ouest et la vallée du Rhône, elle fut sous la protection d’Armand de Bourbon, prince de Conti, mais ce personnage alla se convertir de façon spectaculaire, participant plus tard à la Querelle de Tartuffe et au réquisitoire contre le théâtre avec son Traité de la Comédie et des spectacles, selon la tradition de l’Eglise, tirée des conciles et des saints Pères (1666). 314 Il s’agit de Molière, René Berthelot dit Du Parc, Edme Villequin dit de Brie, Joseph et Louis Béjart, Madeleine et Geneviève Béjart, Catherine Leclerc du Rosé, femme de de Brie, et Marquise-Thérèse de Gorla, femme de Du Parc. Chappuzeau omet le nom de Charles Du Fresne, qui resta avec la troupe jusqu’à Pâques 1659. 315 Jean-Baptiste Poquelin signa pour la première fois sous le pseudonyme Molière le 28 juin 1644. Sa carrière parisienne alla d’octobre 1658 au 17 février 1673. Le comédien Philibert Gassot, dit Du Croisy (avant 1630-1695), ayant joué dans plusieurs compagnies de province, fut chef de troupe à Nantes en 1656-1657 et entra avec sa femme dans la troupe de Molière à Pâques 1659 « comme acteurs nouveaux a Paris » (La Grange, Registre, t. I, p. 3). Il se retira du théâtre en avril 1689. 316 Charles Varlet, dit La Grange (1635-1692), entra chez Molière à Pâques 1659, devenant secrétaire, économe, puis, en 1664, orateur de la troupe. Il consolida ce qui restait des sociétaires après la mort de Molière et la défection à l’Hôtel de Bourgogne de La Thorillière, Baron et le couple Beauval. Son registre indispensable nous renseigne sur les activités des théâtres du Petit-Bourbon, du Palais-Royal, de l’Hôtel Guénégaud et de la Comédie-Française entre 1659 et 1685. Sur ce personnage clé de la troupe, voir La Grange, Registre, t. II, pp. 9-84. 317 Dès son arrivée à Paris Molière obtint la protection de Monsieur, Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV. Le 14 août 1665 « la Troupe alla a St Germain en Laye. Le Roy dit au S r de Moliere quil vouloit que la Troupe dorenavant luy appartinst et la demanda a Monsieur, S. M té donna en mesme tems. six mil livres de Pension ala Troupe qui prist Congé de Monsieur luy demanda la continuation de sa protection, a avec reputation dans les Provinces <?page no="188"?> 188 Le Théâtre françois Bourbon, où elle s’accommoda avec les Italiens qui en estoient les premiers en possession 318 , le Theâtre du Palais Royal luy fut ouvert 319 , et le luy seroit encore, si Moliere qui le soûtenoit eut davantage vêcu. XXXIX. Eloge de Moliere Le Palais Royal commença donc de faire grand bruit, quand a Moliere en suite de son Etourdi, de ses Pretieuses ridicules, et de son [f° 86 r°/ p. 151] Cocu imaginaire donna son Ecole des Maris 320 . Il sceut si bien prendre le goust du siecle et s’acommoder de sorte à la Cour et à la Ville, qu’il eut l’approbation universelle de costé et d’autre ; et les merveilleux ouvrages qu’il a faits depuis en prose et en vers ont porté sa gloire au plus haut degré, et l’ont fait regreter generalement de tout le monde. La Posterité luy sera redevable avec nous du secret qu’il a trouvé de la belle Comedie, dans laquelle chacun tombe d’acord et prist ce Tiltre : La Troupe du Roy au pallais Royal » (La Grange, Registre, t. I, p. 78). Dès le 16 avril 1659, au château de Chilly, le Roi, accompagné du duc Mazarin et de nombreux seigneurs et dames, se donna le divertissement de la comédie, en l’occurrence Le Dépit amoureux. Les visites se multiplièrent par la suite. 318 Molière partagea d’abord le Petit-Bourbon avec Scaramouche et ses comédiens italiens, « a qui le S r de Moliere et ses camarades donnerent 1 500 livres pour jouer les jours extra[o]rdinaires, cest a dire les lundys mercredys jeudys et samedys » (La Grange, Registre, t. I, p. 1). 319 Le 10 octobre 1660 « le Theastre du petit bourbon commencea a estre desmoly par Monsr de Ratabon surintendant des bastiments du Roy, sans en avertir la Troupe qui se trouva fort surprise de demeurer sans Theastre. on alla se plaindre au Roy, a qui Monsr de Ratabon dit que la place de la salle estoit necessaire pour le bastiment du Louvre […] La Meschante Intention de M r de Ratabon estoit apparente. Cependant le Roy a qui la troupe avoit le bonheur de plaire fust gratiffié par S. M té (sic) de la salle du pallais Royal Monsieur l’ayant demandée pour reparer le tort qu’on avoit faite (sic) a ses Comediens et le S r de Ratabon receut un ordre expres de faire les grosses reparations de la salle du pallais Royal » (La Grange, Registre, t. I, pp. 25-26). Le nouveau théâtre ouvrit ses portes le 20 janvier 1661. 320 Les premières représentations parisiennes de L’Etourdi, créé autrefois en province, eurent lieu au Louvre, devant le Roi, et au Petit-Bourbon le 10 mai 1659. Les Précieuses ridicules furent créées au même théâtre le 18 novembre 1659 et Sganarelle ou le Cocu imaginaire le 28 mai 1660. Après l’échec de Dom Garcie de Navarre, monté au Palais-Royal le 4 février 1661, L’Ecole des maris réussit lors de sa première le 24 juin de la même année. a faire grand bruit, et d’attirer le beau monde, quand <?page no="189"?> Livre Troisiéme 189 qu’il a excellé sur tous les anciens Comiques, et sur ceux de nôtre temps 321 . Il a sceu l’art de plaire, qui est le grand art, et il a châtié avec tant d’esprit et le vice et l’ignorance, que bien des gens se sont corrigez à la representation de ses ouvrages pleins de gayeté, ce qu’ils n’auroient pas fait ailleurs à une exhortation rude et serieuse 322 . Comme habile Medecin il deguisoit le remede et en ostoit l’amertume, et par une adresse [f° 86 v°/ p. 152] particuliere et inimitable il a porté la Comedie à un point de perfection qui l’a rendue à la fois divertissante et utile. C’est aujourd’huy à qui des deux Troupes 323 s’aquitera le mieux de la representation de ses excellentes Pieces, où l’on void courir presque autant de monde que si elles avoient encore les avantages a de la nouveauté ; et je sçais que tous les Comediens generalement qui reverent sa memoire, comme ayant esté, et un tres Illustre Autheur, et un Acteur excellent, luy donnent tous les eloges imaginables, et encherissent à l’envi sur ce que j’en dis. Car enfin Moliere ne composoit pas seulement de beaux ouvrages, il s’aquitoit aussi de son rôle admirablement, il faisoit un compliment 324 de bonne grace, et estoit à la fois bon Poëte, bon Comedien et bon Orateur, le vray Trismegiste du Theatre. Mais outre les grandes qualitez necessaires au Poëte et à l’Acteur, il possedoit celles qui font l’honneste homme, il estoit genereux et bon ami, civil et [f° 87 r°/ p. 153] honorable en toutes ses actions, 321 Molière sut créer une synthèse originale entre le comique, issu de la farce et de la commedia dell’arte, qui avait comme simple désir de faire rire, et une tradition plus humaniste qui cherchait à corriger les mœurs en offrant, à travers la satire, une peinture fidèle de l’humanité, un comique de caractère. C’est une synthèse que Boileau reconnaît en affirmant que « Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe,/ Je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope » (Art poétique, Chant III, vv. 399-400). 322 Pour Boileau (Art poétique, Chant II, v. 25), « Le secret est d’abord de plaire et de toucher », règle observée par de nombreux auteurs néoclassiques. Molière affirma, directement ou à travers ses personnages : « Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire » (Dorante, La Critique de l’Ecole des femmes, sc. 6) ; « Si l’emploi de la comédie est de corriger les vices des hommes, je ne vois pas par quelle raison il y en aura de privilégiés » (préface de Tartuffe) ; « Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j’ai cru que […] je n’avais rien de mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle » (Premier Placet au Roi sur la comédie du Tartuffe). 323 Celles de l’Hôtel de Bourgogne et de l’Hôtel Guénégaud. 324 « Orateur » de la troupe depuis ses débuts à Paris jusqu’au mois de novembre 1664, quand La Grange le remplaça (Registre, t. I, p. 70), Molière eut le devoir de « faire la harangue », c’est-à-dire d’annoncer la pièce suivante que la troupe allait monter. Voir mon article « The Orateur in Seventeenth-Century French Theatre Companies », Modern Language Review, 101 (2006), pp. 691-700. a l’avantage <?page no="190"?> 190 Le Théâtre françois modeste à recevoir les eloges qu’on luy donnoit, sçavant sans le vouloir parêtre, et d’une conversation si douce et si aisée, que les premiers de la Cour et de la Ville estoient ravis de l’entretenir 325 . Enfin il avoit tant de zele pour la satisfaction du Public dont il se voyoit aimé, et pour le bien de la Troupe qui n’estoit soûtenue que par ses travaux 326 , qu’il voulut jusqu’au dernier jour leur en donner a des marques indubitables. Il mourut au commencement du Caresme de cette presente année, infiniment regreté de tout le monde b , et la Troupe s’estant remise avec peine de l’étourdissement qu’elle receut d’un si rude coup, remonta quinze jours apres sur le Theatre 327 . XL. Jonction des deux Troupes du Palais Royal et du Marais Je viens à la rupture des deux Troupes du Palais Royal et du Marais, qui aujourd’huy n’en font qu’une, et à l’Histoire de leur jonction, dont les circonstances sont assez particulieres 328 . [f° 87 v°/ p. 154] Le Palais Royal 325 La Grange et Vivot, dans la préface qu’ils insérèrent dans les Œuvres de Molière publiées à Paris en 1682 par Denys Thierry et Pierre Trabouillet, affirment : « Au mois d’Octobre de la mesme année [1660], la Salle du petit Bourbon fut démolie pour ce grand et magnifique Portail du Louvre, que tout le monde admire aujourd’huy. Ce fut pour Monsieur de Moliere une occasion nouvelle d’avoir recours aux bontez du Roy, qui luy accorda la Salle du Palais Royal, où Monsieur le Cardinal de Richelieu avoit donné autrefois des spectacles dignes de sa magnificence. L’estime dont sa Majesté l’honoroit augmentoit de jour en jour, aussi bien que celle des Courtisans les plus éclairez ; le merite et les bonnes qualitez de Monsieur de Moliere faisant de tresgrands progrez dans tous les esprits. Son exercice de la Comedie ne l’empeschoit pas de servir le Roy dans sa Charge de Valet de Chambre où il se rendoit tres-assidu ». 326 « Si le Palais-Royal est devenu le temple du comique, c’est parce que la troupe ne vit que sur les pièces de Molière - il en écrivit trente-trois, dont une dizaine, à des titres divers, peuvent être considérées comme des chefs-d’œuvre et dont plusieurs abordent des problèmes d’actualité. En y comprenant les reprises de pièces jouées dans les autres théâtres, Molière, dans les quinze années de sa carrière à Paris, monta quatre-vingt-quinze pièces, dont trente et une sont de lui, soit en moyenne deux par an » (Mongrédien, La vie quotidienne des comédiens, pp. 108-109). 327 Le 17 février 1673 Molière mourut chez lui, rue de Richelieu, « sur les dix heures du soir », après la quatrième représentation du Malade imaginaire. La troupe recommença à jouer une semaine plus tard. 328 Le récit que fournit Chappuzeau ici et dans le chapitre suivant contredit sur bien des points les détails offerts par La Grange. Selon ce dernier (Registre, t. I, pp. 142-143), a qu’il tascha toute sa vie de leur en donner b Il mourut au commencement du Caresme de l’année derniere 1673. infiniment regretté de la Cour et de la Ville <?page no="191"?> Livre Troisiéme 191 s’attendoit apres Pasques de redonner au Public la representation du Malade imaginaire dernier ouvrage de Moliere acompagné de danses et de musique, et que tout Paris souhaittoit de voir 329 . Mais quatre des Principaux s’estant engagez avec la Troupe Royale a , et se trouvant en possession des premiers rôles de beaucoup de pieces, ceux qui restoient furent hors d’estat de continuer. La Toriliere, le Baron, Beauval et sa femme furent receus à l’Hostel de Bourgogne avec grande joye, et causerent au Palais Royal une tres grande surprise. Il se fit b de part et d’autre des voyages à la Cour, chacun y eut ses Patrons aupres du Roy 330 ; le Marais se remuoit de son costé, et comme Estat voisin songeoit à profiter de cette rupture, le bruit courant alors que les deux Troupes anciennes c travailloient à abbatre entierement la [f° 88 r°/ p. 155] troisiéme qui vouloit se relever 331 . « Dans le desordre ou la troupe se trouva aprez cette perte irreparable [la mort de Molière] le Roy eust dessein de joindre les acteurs qui la composoient aux Comediens de lhostel de bourgogne. Cependant aprez avoir esté le dimanche 19 et mardy 21 sans jouer en attendant les ordres du Roy on recommencea le vendredy 24 me fevrier par le misanthrope ». Les représentations continuèrent normalement au Palais-Royal jusqu’à la clôture annuelle le 21 mars. Mais « les S rs De la Torilliere et Baron quitterent la troupe pendant les festes de Pasques, Mad lle de beauval et son mary les suivirent. Ainsy la troupe de Moliere fust rompue » (ibid., p. 147). Ensuite, « Le 23 juin 1673. Ordonnance de M r de la Reynie Juge et Lieutenant de Police pour l’establissement de la troupe du Roy rue Mazarine et qui casse la troupe des comediens du Marais signifiée le 10 juillet en cet an. En consequence lad. Troupe du Roy associa encor ceux qu’elle jugea a propos des Comediens du marais pour se mettre en estat de commencer avec avantage sur un nouveau Theastre, ainsy il ny a plus eu dans paris depuis le mois de juillet que deux troupes de Comediens françois, savoir Les Comediens du Roy a lhostel de Bourgogne et Les Comediens du Roy a lhostel dict guenegault » (ibid., p. 148). 329 Les quatres premières représentations rapportèrent 1.892 livres, 1.459 livres, 1.879 livres 10 sols et 1.219 livres. 330 Sur les voyages faits par les membres de la troupe de Molière, voir La Grange, Registre, t. II, p. 26. 331 Le 17 mai 1679, pendant « l’affaire Auzillon », lorsque Mlle Auzillon, ancienne actrice du Marais passée en 1673 à l’Hôtel Guénégaud, fut congédiée et intenta un procès à la compagnie, La Grange et André Hubert, ancien acteur de la troupe de Molière, furent interrogés par Charles Delamare, commissaire au Châtelet. A propos des événements de 1673, La Grange affirma « qu’il est bien vray que le Roy accorda aux commediens de la troupe de feu Moliere, sur les très humbles prières qu’ils luy en firent, qu’il n’y auroit à Paris que deux trouppes de commediens et leur donna la liberté de choisir des acteurs où ils jugeroient à propos ; qu’il est vray qu’ils prirent a Mais quatre personnes de cette Troupe, s’estant engagées avec l’Hostel de Bourgogne b hors d’estat de continuer. Il se fit c les deux anciennes Troupes <?page no="192"?> 192 Le Théâtre françois XLI. Declaration du Roy pour cet etablissement a Sur ces entrefaites le Roy ordonna que les Comediens n’ocuperoient plus la Sale du Palais Royal, et qu’il n’y auroit plus que deux Troupes Françoises dans Paris. Les premiers Gentishommes de la Chambre eurent ordre de menager les choses dans l’equité, et de faire en sorte qu’une partie de la Troupe du Palais Royal s’estant unie de son chef 332 à l’hostel de Bourgogne, l’autre fust jointe au Marais de l’aveu du Roy 333 . L’affaire fut quelque temps en balance, les interestz des Comediens estant difficiles à demesler par des particuliers qui ne peuvent entrer dans ce detail, et n’ayant pû estre terminée avant le depart du Roy, Sa Majesté ordonna à Monsieur Colbert d’avoir egalement soin de la Troupe du Marais, et du debris de celle du Palais Royal, en faisant choix comme il le [f° 88 v°/ p. 156] jugeroit à propos, des plus habiles de l’une et de l’autre pour en former une belle Troupe 334 . Ce Grand Ministre quelques comédiens du Marais, estant persuadez de leur capacité, ce qui ne se fit qu’après que par ordonnance de police la troupe desd. commediens du Marais fut supprimée et leur porte fermée » (G. Monval, « L’affaire Auzillon », Le Moliériste, 8 (1886-1887), pp. 53-59, 73-85 (p. 77)). En réponse à la question « s’il n’est pas vray qu’il fut faict un roolle de tous les acteurs et actrices de la trouppe du Marais et du reste de celle de Moliere qui fut porté à Monsieur Colbert et à monsieur de la Reynie », Hubert confirma « qu’il n’y a point eu de roolle, que le choix fut faict à la volonté de laditte troupe du Roy » (p. 78). Madame Deierkauf-Holsboer la première (Marais, t. II, pp. 190-202) attira l’attention sur l’erreur commise par les critiques : « Tous les historiens, pour ainsi dire, ont tiré la même conclusion que voici des révélations de La Grange : le théâtre Guénégaud, en 1673, n’est rien d’autre que la continuation de la troupe de feu Molière » (p. 192). 332 de sa propre initiative 333 L’ordonnance du 23 juin 1673, signée La Reynie et reproduite par Chappuzeau à la fin de ce Livre III du Théâtre françois, autorisa les acteurs de la troupe du Palais- Royal à s’établir dans le jeu de paume de la rue de Seine et à donner au public des « Comedies et autres divertissemens honnestes ». En même temps le Roi interdit aux comédiens du Marais « de continuer à donner au Public des comedies soit dans ledict quartier ou autre de cette ville et fauxbourgs de Paris ». Il n’est pas question dans l’ordonnance de la jonction de ces deux troupes. 334 En 1673, pendant la Guerre de Hollande, Louis XIV s’empara de Maastricht en juin, soumit l’Alsace en août et voulut ensuite entrer dans la Franche-Comté à la tête de 14.000 hommes. Mais il dut renoncer à cette ambition afin d’envoyer des renforcements pour aider Condé en Flandre et Turenne en Allemagne, puis il rentra à Paris. Les membres de la troupe du Palais-Royal rendirent visite à Colbert à plusieurs reprises, les 14, 15, 25 et 29 mai et le 15 juin 1673 (E. Thierry, Documents sur « Le Malade imaginaire », Paris : Berger-Levrault, 1880, p. 321). a sur cet etablissement <?page no="193"?> Livre Troisiéme 193 d’Estat chargé du poids des premieres affaires du Royaume, voulut bien se derober a quelques momens pour regler celles des Comediens, il nomma les personnes qui devoient composer la nouvelle Troupe, ordonna des parts, des demy-parts, des quarts et trois quarts de part, fit defence de la part du Roy aux Comediens du Marais en general de paretre jamais sur ce Theatre, et en tira des particuliers selon qu’il le trouva bon pour les unir à ceux du Palais Royal. La Declaration du Roy pour cet établissement sera couchée à la fin du Livre 335 . Voila en peu de mots comme les choses se sont passées entre ces deux Troupes, qui aujourd’huy n’en font qu’une soûs le nom De la Troupe du Roy, ce qui se void gravé [f° 89 r°/ p. 157] en Lettres d’or dans une pierre de marbre noir au dessus de la porte de son Hostel. Cette Troupe est assurement belle, forte et acomplie, on void toûjours chez elle force gens de qualité, et de grandes Assemblées, et elle attend avec impatience le retour du Roy pour luy donner des marques de reconnoissance, et luy faire gouster b les fruits de ses soins dans les c plaisirs qu’elle luy prepare. 336 335 Pour La Grange, donc, dans son Registre de 1673 et encore lors de l’interrogatoire de 1679, ce furent les restes de la troupe de Molière qui demandèrent à Louis XIV de réduire à deux le nombre de troupes parisiennes, c’est-à-dire de supprimer celle du Marais. Par la suite, les portes de la salle de la rue Vieille-du-Temple ayant été fermées définitivement, ils auraient choisi parmi les comédiens du Marais ceux et celles qu’ils voulaient incorporer dans la nouvelle troupe de l’Hôtel Guénégaud. Chappuzeau, au contraire, explique clairement que, en l’absence du Roi, cette tâche incomba à Colbert et que, le choix fait, il ordonna la fermeture du Marais. Or nous savons que deux actrices du Marais, Catherine Des Urlis et Marie La Vallée, accusèrent huit de leurs collègues d’être en rupture de contrat et demandèrent à chacun les 2.000 livres d’amende stipulées par des actes d’association du 3 février et du 22 mai 1673. Le 4 août le Châtelet rendit une sentence, condamnant les huit comédiens mais accordant un délai de quinze jours pour leur permettre de convaincre les deux plaignantes de se joindre à la nouvelle troupe (Deierkauf-Holsboer, Marais, t. II, pp. 323-324). Le onzième membre de l’ancienne compagnie du Marais, Mlle Auzillon, devint sociétaire de l’Hôtel Guénégaud à trois quarts de part. Toute la troupe de la rue Vieille-du-Temple eut donc la possibilité de se transporter rue Mazarine, et cela avant le 23 juin 1673, date de la fermeture du théâtre du Marais. La conclusion que l’on peut tirer de cette discussion est que la version fournie par l’auteur du Théâtre françois est plus convaincante que celle de La Grange. 336 Au XVII e siècle, se disposer se conjuguait quelquefois avec de plutôt qu’avec à. a Royaume, se deroba b assemblées, et elle se dispose de donner 336 au Roy des marques de sa reconnoissance, et de luy faire gouster c ses <?page no="194"?> 194 Le Théâtre françois XLII. Esta[t] present de la Troupe du Roy Noms Des Acteurs et Actrices De la Troupe du Roy, selon l’ordre que j’ay observé a pour les Autheurs Acteurs. Les S rs b de Brie 337 . du Croisy 338 . Dauvilliers 339 . Destriché 340 . de la Grange 341 . [f° 89 v°/ p. 158] Hubert 342 . du Pin 343 . de la Roque 344 . 337 Edme Villequin, dit de Brie (1607-1676), fit partie de la troupe de Molière, probablement dès 1650, puis passa à l’Hôtel Guénégaud. Il mourut le 9 mars 1676. 338 Voir la note 315. 339 Nicolas Dorné, dit Dauvilliers (vers 1646-1690), fut acteur du théâtre du Marais (1671-1673), puis à l’Hôtel Guénégaud. 340 Isaac-François Guérin d’Estriché (v. 1636-1728) commença au théâtre du Marais vers 1672 et passa à l’Hôtel Guénégaud en 1673. En mai 1677 il épousa Armande Béjart, veuve de Molière. 341 Voir la note 316. 342 André Hubert fut membre de la troupe du Marais à partir de 1659, puis entra à Pâques 1664 au Palais-Royal où il tint un registre de la troupe de Molière pour la période du 29 avril 1672 au 21 mars 1673. Il se retira de la Comédie-Française en février 1685 et mourut en 1700. 343 Joseph Du Landas, sieur du Bignon, dit Du Pin (1639-1696), joua dans des troupes de province avant d’entrer au théâtre du Marais en 1671, d’où il passa à l’Hôtel Guénégaud et joua les travestis féminins. Il se retira en 1680. 344 Renaud Petitjean, dit La Rocque (1614-1676), fut orateur et chef de la troupe du Marais, puis entra en 1673 au théâtre de l’Hôtel Guénégaud avant de se retirer en 1676, peu de temps avant sa mort. L’importante mise au point d’A. Howe (Le a l’ordre observé b LES SIEURS <?page no="195"?> Livre Troisiéme 195 de Rosimont 345 . de Verneuil 346 . Actrices. Les D lles Aubery a 347 . de Brie 348 . du Croisy 349 . Dauvilliers 350 . de la Grange 351 . Théâtre professionnel, pp. 130-137) distingue ce personnage de son père Pierre Petitjean, dit La Rocque, né en 1595, qui fut associé aux comédiens du Marais entre 1631 et 1644 et mourut peut-être avant septembre 1659. 345 Claude de La Rose, dit Rosimond (v. 1640-1686), auteur-comédien, entra au théâtre du Marais en 1668, puis signa le 3 mai 1673 un contrat avec les débris de la troupe de Molière avant de passer peu après à la troupe fusionnée de l’Hôtel Guénégaud. 346 Achille Varlet, dit Verneuil (1636-1709), frère de l’acteur La Grange, entra au théâtre du Marais en 1662 et passa au Guénégaud en 1673. Il se retira en juin 1684. 347 Geneviève Béjart, veuve de Léonard de Loménie de Villaubrun, femme de Jean- Baptiste Aubry, dite Mlle Hervé ou Mlle Aubry (1624-1675). Sœur cadette de Joseph et de Madeleine Béjart, elle s’associa à l’Illustre Théâtre le 30 juin 1643 et demeura dans la troupe de Molière avant de passer au Guénégaud. 348 Catherine Leclerc du Rosé, femme d’Edme Villequin, dit de Brie (1630-1706), appartint à la troupe de Molière dès 1650 avant de passer à l’Hôtel Guénégaud. Elle finit par sortir de la troupe de la Comédie-Française à Pâques 1685. 349 Marie-Angélique Du Croisy, première des deux filles de Philibert Gassot, dit Du Croisy, et de sa deuxième femme Marie Claveau, qu’il épousa en 1652. Née en 1657, Marie-Angélique reçut un quart de part en entrant au théâtre Guenégaud en 1673. Une demi-part lui fut accordée en 1678 et une part entière en 1684, par ordre du Roi et de Madame la Dauphine. Sur la généalogie assez compliquée des enfants Du Croisy, voir J. Clarke, « The Du Croisy Daughters », French Studies Bulletin, n° 58 (printemps 1996), pp. 5-9. 350 Victoire-Françoise Poisson, fille de Raymond Poisson et femme de Nicolas Dorné, dit Dauvilliers (v. 1657-1733). Lors de son mariage le 27 avril 1672 elle s’associa avec la troupe du Marais, puis passa au théâtre Guénégaud où elle resta comme actrice jusqu’en 1680 avant de devenir souffleuse. 351 Voir la note 218. a Actrices Aubery <?page no="196"?> 196 Le Théâtre françois Guyot 352 . Moliere a 353 . l’Oysillon 354 . du Pin 355 . Retiré du Palais Royal, et qui touche pension, Bejar 356 . [f° 90 r°/ p. 159] 352 Judith de Nevers, dite Mlle Guyot (v. 1650-1691), actrice de la troupe du duc de Savoie avant d’entrer au Marais en 1672 et puis au théâtre de l’Hôtel Guénégaud où, à Pâques 1674, elle fut mise à demi-part « par ordre de Monseigr Colbert » (La Grange, Registre, t. I, p. 157), recevant une part entière à partir d’avril 1678. 353 Armande-Grésinde-Claire-Elisabeth Béjart, femme de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière (1642-1700), fille ou peut-être sœur cadette de Madeleine Béjart, née en 1618. Ayant été associée à la troupe ambulante, elle épousa Molière le 20 février 1662 et entra dans la troupe du Palais-Royal où elle joua les premiers rôles féminins comiques mais aussi des rôles tragiques. Après la mort de son mari, elle appartint au théâtre de l’Hôtel Guénégaud, épousant Guérin d’Estriché en 1677 et se retirant de la Comédie-Française en octobre 1694. 354 Marie Dumont, veuve de Nicolas Drouin dit Dorimond, femme de Pierre Auzillon. Elle fut actrice dans la troupe du duc de Savoie avant d’entrer au Marais en 1665. A la jonction du Marais et des restes de la troupe du Palais-Royal, La Grange ne voulut pas qu’elle fasse partie de la compagnie de l’Hôtel Guénégaud, mais Colbert imposa son incorporation dans la nouvelle troupe, avec trois-quarts de part. Elle prit sa retraite à Pâques 1679 et mourut en 1693. 355 Louise Jacob, femme de Joseph Du Landas, sieur du Bignon, dit Du Pin (1649-1709), entra avec son mari dans la troupe du Marais en 1671, passa au Guénégaud en 1673 et se retira en 1685. 356 Louis Béjart (1630-1678), dit L’Eguisé, frère de Madeleine et d’Armande Béjart, fit partie de la troupe de Molière dès 1658, se retirant à Pâques 1670 pour entrer dans l’armée. Ce fut le premier membre de la troupe du Palais-Royal à recevoir une pension de 1.000 livres, selon un contrat établi devant M. Le Vasseur, notaire de la rue Saint-Honoré : « cette pansion a esté la premiere establie a lexemple de celles qu’on donne aux acteurs de la troupe de lhostel de bourgogne » (La Grange, Registre, t. I, p. 113). Il boîtait et fut La Flèche, « ce chien de boîteux-là », dans L’Avare. a de Moliere <?page no="197"?> Livre Troisiéme 197 Comedien Autheur dans la Troupe du Roy, et ses ouvrages a . Rosimont 357 . Le Festin de Pierre. La Dupe amoureuse. L’Avocat sans étude. Les Trompeurs trompez, ou les Femmes vertueuses. Le Valet étourdi b . 358 359 360 357 Sur Rosimond, voir la note 345. Les pièces comprises dans la liste de Chappuzeau et les dates, quelquefois conjecturales, des premières représentations sont : • Le Nouveau festin de pierre ou l’Athée foudroyé, tragi-comédie créée au Marais le 25 novembre 1669. • La Dupe amoureuse, comédie en un acte créée au Marais en 1670. • Savetier avocat, ou L’Avocat sans étude pratique, comédie en un acte créée au Marais en 1670. • Les Trompeurs trompés, ou les Femmes vertueuses, comédie en un acte créée au Marais en 1670. • Le Quiproquo, ou le Valet étourdi, comédie en trois actes créée au Marais en 1671. 358 Madeleine Lemeine, femme de Nicolas Lion, dit de Beaupré, née en 1598 ou antérieurement, appartint peut-être à l’Hôtel de Bourgogne en 1623, passant après 1637 au théâtre du Marais où elle resta jusqu’en 1655 au moins. 359 Catherine Des Urlis (v. 1627-1679) appartint à l’Illustre Théâtre, puis au théâtre du Marais en 1667 peut-être et certainement de 1669 à 1673. 360 Marie Vallée, femme d’Achille Varlet, dit Verneuil, et connue sous le nom de Marotte. Elle entra à la troupe du Marais en 1662 et s’en retira en 1673. a COMEDIEN AUTHEUR De la Troupe du Roy b Le Valet Etourdi Retirées de la Troupe du Marais Les Dlles. De Beaupré 358 Des Urlis 359 De la Valée 360 <?page no="198"?> 198 Le Théâtre françois Comediens Autheurs morts. Dorimont 361 . Le Festin de Pierre, qui a esté fait par cinq ou six. Plusieurs autres petites Comedies. Chevalier 362 . Le Pedagogue. 361 Nicolas Drouin, dit Dorimond (v. 1628-avant 1670), joua dans plusieurs troupes de province, dont celles du duc d’Orléans et de Mademoiselle. Dans celle-ci il fit monter les pièces suivantes : • Le Festin de Pierre, ou le fils criminel, tragi-comédie représentée à Lyon en 1658, puis à Paris en 1660 et 1661. Parmi les versions de l’histoire de Don Juan jouées sur la scène française avant 1673 sont celles de Rosimond (1658), de Domenico Biancolelli interprétée par la troupe de Locatelli (1658), de de Villiers (1659) et de Molière (1665). • L’Inconstance punie, comédie en un acte représentée au jeu de paume d’Orléans à Paris en 1659. • L’Ecole des cocus ou la précaution inutile, comédie en un acte représentée au jeu de paume d’Orléans à Paris en 1659. • L’Amant de sa femme, comédie en un acte représentée à Paris en 1660. • La Comédie de la comédie et les Amours de Trapolin, comédie représentée au jeu de paume d’Orléans à Paris en 1660. • La Femme industrieuse, comédie en un acte représentée à Paris en 1661. • La Rosélie ou le Dom Guillot, comédie en cinq actes représentée en 1661. 362 Jean Simonin, dit Chevalier, fit peut-être partie de la troupe de Mademoiselle au Faubourg Saint-Germain, puis fut comédien de la troupe du Marais à partir de 1655 et mourut entre 1670 et 1673. Il fit jouer les pièces suivantes : • Le Pédagogue amoureux, comédie en cinq actes représentée en 1664. • Le Cartel de Guillot ou le combat ridicule, comédie en un acte représentée au Marais en 1660. • La Désolation des filoux sur la défense des armes ou les malades qui se portent bien, comédie en un acte et en octosyllabes représentée au Marais en 1661. • Les Galants ridicules ou les amours de Guillot et de Ragotin, comédie en un acte et en octosyllabes représentée au Marais en 1661. • L’Intrigue des carosses à cinq sous, comédie en trois actes représentée au Marais en 1662. • La Disgrâce des domestiques, comédie en un acte représentée au Marais en 1662. • Les Barbons amoureux et rivaux de leurs fils, comédie en trois actes représentée au Marais en 1662. • Les Amours de Calotin, comédie en trois actes représentée au Marais en 1664. • Les Aventures de nuit, comédie en trois actes représentée au Marais en 1665. • Le Soldat malgré luy, comédie en un acte représentée au Marais en 1667. <?page no="199"?> Livre Troisiéme 199 Les Barbons amoureux, et autres petites Comedies a . [f° 90 v°/ p. 160] Je dois ajoûter icy les noms des Acteurs et des Actrices les plus Illustres qui ont paru de nôtre temps sur les Theatres de Paris, et qui ne sont plus. Acteurs. Baron 363 . Beauchâteau 364 . Beaulieu 365 . Bellemore 366 . Bellerose 367 . Belleville 368 . Dorgement 369 . 363 André Boyron, dit Baron (1600-1655), père de Michel Boyron (voir la note 282). Acteur en province, il fit partie dès 1631 de ce qui allait devenir le théâtre du Marais, puis passa en 1642 à l’Hôtel de Bourgogne. 364 François Chastelet, dit Beauchâteau, appartint à l’Hôtel de Bourgogne dès 1625, puis au Marais avant de revenir à l’Hôtel en 1642. Il mourut en septembre 1665. 365 Pierre Marcoureau, dit Beaulieu, père de Brécourt, joua à l’Hôtel de Bourgogne avant de passer au Marais dès 1631. Il quitta la troupe en 1641 mais joua plus tard dans celles de Philandre et du prince d’Orange. Il mourut avant avril 1664. 366 Jornain, dit Bellemore ou Le Capitaine Matamore, farceur de l’Hôtel de Bourgogne, recruté sans doute par Montdory en décembre 1634 pour le Marais, qu’il quitta vers 1640 ou 1641. 367 Voir la note 189. 368 Henri Legrand, dit Belleville, dit Fléchelles, dit Turlupin (1587-1637), compagnon de Gros-Guillaume et de Gaultier-Garguille, joua dans la troupe de François Vautrel à l’Hôtel de Bourgogne en 1615, puis dans celle de Gros-Guillaume qui devint la troupe des Comédiens du Roi (1618-1635). 369 Adrien Des Barres, dit d’Orgemont, né en 1611, se trouva à l’Hôtel de Bourgogne dès 1637 mais s’en retira en 1641 et mourut avant le 5 avril 1646 (voir A. Howe, Le Théâtre professionnel, p. 187). a CHEVALIER. Le Pedagogue Les Barbons amoureux, et autres petites Comedies. DORIMONT. Le Festin de Pierre Plusieurs autres petites Comedies. <?page no="200"?> 200 Le Théâtre françois L’Epy 370 . Floridor 371 . Florimont 372 . Flechelle a , ou Gautier Garguille 373 . La Fleur, ou Gros Guillaume 374 . S t Jaques, ou S t Ardoüin, autrement Guillot Gorgeu 375 . Gaucher b 376 . Julien ou Jodelet 377 . [p. 161] Medor 378 . Moliere 379 . 370 François Bedeau, dit L’Espy, frère de Jodelet, commença dans une troupe de province, puis passa à celle du Marais en mars 1634. Il entra ensuite à l’Hôtel de Bourgogne mais revint au Marais vers 1641, le quittant en avril 1657 et entrant dans la troupe du Palais-Royal à Pâques 1659. Il se retira quatre ans plus tard et mourut en 1663. 371 Voir la note 242. 372 Claude Pelissier, dit Florimond, fut au théâtre du Marais de 1660 à 1665. 373 Hugues Quéru, dit Fléchelles, dit Gaultier-Garguille (1581 ou 1582-1633), illustre farceur de l’Hôtel de Bourgogne, fit partie de la troupe de Valleran Le Conte dès 1606. Il fut plus tard dans la troupe de Gros-Guillaume à l’Hôtel de Bourgogne, puis dans celle du prince de Condé. « Maigre, avec des jambes “longues, droites et menues”, [il] représentait les vieillards de farce, sous une calotte noire et plate, chaussé d’escarpins noirs, vêtu d’un pourpoint de frise noire aux manches de frise rouge » (A. Adam, dans Tallemant, Historiettes, t. II, p. 1517). 374 Robert Guérin, dit La Fleur ou Gros-Guillaume (v. 1554-1634), dès 1598 célèbre farceur enfariné de l’Hôtel de Bourgogne où il devint le chef de la troupe des « Comédiens du Roi » qui s’y installa en 1629. 375 Bertrand Hardouyn de Saint-Jacques, dit Guillot-Gorju (1600-1648), entra à l’Hôtel de Bourgogne en 1634, remplaçant Gaultier-Garguille. 376 Philbert Robin, dit Le Gaulcher, fut dans la troupe de l’Hôtel de Bourgogne de 1622 à 1634, puis au Marais dès 1635 où il devint chef de troupe en 1647. Il mourut en 1650. 377 Voir la note 189. 378 Nicolas Prudhomme, dit Médor, joua dans la troupe de Bellerose en 1620, puis, de 1622 à 1628, dans celle de l’Hôtel de Bourgogne. 379 Voir l’Eloge de Molière au chapitre XXXIX du Livre III. a L’Epy Flechelle b La Fleur, ou Gros Guillaume Gaucher. S. Jaques, ou S. Ardoüin, autrement Guillot Gorgeu. <?page no="201"?> Livre Troisiéme 201 Mondori 380 . Montfleury a 381 . Le Noir 382 . Du Parc, ou Gros rené 383 . Actrices. Baron 384 . Bejar 385 . La Cadete 386 . du Clos 387 . le Noir 388 . des Oeillets 389 . 380 Voir la note 269. 381 Voir la note 190. 382 Charles Le Noir, acteur et chef de la troupe du prince d’Orange, entra au Marais en 1634 et passa la même année à l’Hôtel de Bourgogne. Il mourut assassiné en août 1637. 383 René Berthelot, dit Du Parc ou Gros-René pour la farce, joua dès 1647 dans la troupe du duc d’Epernon dirigée par Molière, puis passa au théâtre du Marais à Pâques 1659, rentrant dans la troupe du Palais-Bourbon un an après. Il créa les rôles de Gros-René dans Le Dépit amoureux et de Sganarelle et mourut en octobre 1664. 384 Jeanne Auzoult, femme d’André Boyron, dit Baron (v. 1625-1662), actrice au théâtre du Marais avant de passer en 1642 à l’Hôtel de Bourgogne. Veuve en 1655, elle se remaria en 1658. 385 Madeleine Béjart, sœur cadette de Joseph Béjart (1618-1672), signa en 1643 l’acte d’association de l’Illustre Théâtre, suivit Molière dans la troupe du duc d’Epernon et l’accompagna pendant ses pérégrinations provinciales avant d’appartenir au théâtre du Petit-Bourbon, puis du Palais-Royal. Elle mourut en février 1672, un an jour pour jour avant Molière. 386 On ignore l’identité de cette actrice. 387 Jeanne Le Clerc, femme de Charles Brasseur, dit Du Clos, joua au théâtre du Marais en 1654. 388 Elisabeth (ou Isabelle) Mestivier, femme de Charles Le Noir, joua à l’Hôtel de Bourgogne en 1625, passa au théâtre du Marais et revint dans la Troupe royale en 1634. 389 Alix Faviot, femme de Nicolas de Vin, dit Des Œillets (v. 1620-1670), entra, sans doute avec son mari, au théâtre du Marais. Elle s’y trouva encore en 1662 avant de passer en 1663 à l’Hôtel de Bourgogne où elle créa les rôles de Sophonisbe (Corneille), d’Hermione et d’Agrippine (Racine). a de Montfleury <?page no="202"?> 202 Le Théâtre françois du Parc 390 . de la Roche 391 . Valiote 392 . de Villiers 393 . Il y a, tant d’hommes que de femmes qui ont paru sur les Theatres de Paris, et qui ne sont plus, jusques à quatre vingt douze 394 , n’ayant a [p. 162] fait mention que des Illustres. Mais laissons là les morts, et revenons aux Vivans. XLIII. Grandes ambitions b entre les Comediens Ces deux belles Troupes de Comediens, qui resident à Paris, dont c le Gouvernement, comme je l’ay dit tient d de l’Aristocratie ; ces deux petits Estats si bien policez, mais si jaloux de leur gloire, l’un qui regne au Septentrion de ce grand Monde, et l’autre au Midy 395 , se[parez] par le canal de la Seine, et apuyez chacun de leurs Partizans, me representent ces deux Republiques de la Grece, l’une Maîtresse du Peloponnese, et l’autre de l’Achaïe, qui avoient 390 Marquise-Thérèse de Gorla, femme de René Berthelot, dit Du Parc, entra dans la troupe de Molière à Lyon en 1653. Avec son mari, elle passa au théâtre du Marais à Pâques 1659 et revint au Palais-Bourbon à Pâques 1660. Entraînée par Racine, dont elle fut la maîtresse, elle entra à l’Hôtel de Bourgogne en mars 1667 pour créer le rôle d’Andromaque et mourut en décembre 1668. 391 Marie Hornay, femme de Jérôme Cellier, dit La Roche. Elle fut au théâtre du Marais en 1644 mais se retira l’année suivante, après la mort de son mari. 392 Elisabeth (ou Isabelle) Dispannet, femme de Jean Valliot qu’elle épousa en septembre 1620. Veuve avant 1634 et actrice à l’Hôtel de Bourgogne, elle aurait quitté la troupe avant janvier 1639. Elle mourut en 1672. 393 Marguerite Béguin, femme de Claude Deschamps, dit de Villiers. Elle appartint dès 1626-1627 à la troupe des Vieux Comédiens du Roi, puis à celle de Charles Le Noir. Elle passa au théâtre du Marais où elle créa le rôle de Chimène, puis se trouva à l’Hôtel de Bourgogne en 1642. Elle s’en retira en 1660 et mourut en décembre 1670. 394 Même avec le détail fourni par la variante (« de notre âge »), on s’étonne un peu de la précision de ce chiffre. 395 Les troupes de l’Hôtel de Bourgogne et de l’Hôtel Guénégaud respectivement. a qui ont paru de nôtre âge sur les Theâtres de Paris, jusques à quatre-vingt-douze, n’ayant b Grande ambition c et dont d je l’ay dit d’abord, tient <?page no="203"?> Livre Troisiéme 203 pour commune barriere un Isthme fameux 396 , gouvernées par des loix si belles, mais poussées l’une contre l’autre d’une extreme jalousie, et chacune taschant à l’envy de se faire des amis. Les Comediens qui representent à toute heure des Roys et des Princes, et méme [f° 91 r°/ p. 163] qui hors du Theatre sont souvent avec les Princes et bien venus à la Cour, ne meritent pas pour la gloire de leur Corps une comparaison moins noble que celle là, et les deux Estats qu’ils composent aujourd’huy peuvent dans le sens que je l’ay pris entrer fort bien en parallele avec les Villes de Sparte et d’Athenes. Mais j’y trouve d’ailleurs une grande difference. L’emulation de ces deux fameuses Republiques fut ruineuse à la Grece, et celle de nos deux petits Estats est, comme je l’ay remarqué, avantageuse à Paris, c’est à qui donnera plus de plaisir au Public, et qui soûtiendra le mieux la reputation qu’il s’est aquise. XLIV. Nombre des Spectacles que Paris fournit dans une année Si je ne m’estois prescrit des bornes, qui ne me permettent pas de sortir de l’Histoire des Comediens François, j’aurois pû aussi parler de l’établissement de la Troupe Italienne 397 , et [f° 91 v°/ p. 164] de l’Academie Royale de Musique 398 , dite autrement l’Opera, qui avec nos Theatres François rendent Paris le pre- 396 La presqu’île du Péloponnèse est rattachée à la Grèce centrale par l’isthme de Corinthe. L’Achaïe est une contrée au nord-ouest du Péloponnèse, donnant sur la mer Ionienne. Les Achéens furent un des premiers peuples indo-européens à s’installer en Grèce et développèrent la première civilisation hellénique. La Guerre du Péloponnèse (~431-~404) opposa Athènes à Sparte et engagea presque toutes les cités grecques partagées entre l’Empire athénien et la Ligue péloponnésienne, deux rivales qui opposaient deux systèmes politiques : la démocratie et l’oligarchie. 397 Voir la note 66. Sur l’influence des comédiens italiens en France, consulter V. Scott, The Commedia dell’Arte in Paris, 1644-1697, Charlottesville : University Press of Virginia, 1990. 398 En réponse à l’Académie royale de la danse (1661) et à l’instigation de Colbert, « l’Académie d’Opéra » fut établie par lettres patentes accordées le 28 juin 1669 par Louis XIV au poète et librettiste Pierre Perrin (1620-1675), l’autorisant à « établir en notre bonne ville de Paris et autres de notre Royaume, une Académie, composée de tel nombre et qualité de personnes qu’il avisera, pour y représenter et chanter en Public des Opera et Représentations en Musique et en vers François, pareilles et semblables à celles d’Italie […] Faisant très-expresses inhibitions et défenses à toutes personnes, de quelque qualité et conditions qu’elles soient, même aux Officiers de notre Maison, d’y entrer sans payer et de faire chanter de pareils Opera, ou Représentations en Musique et en vers François dans toute l’étendue de notre Royaume, pendant douze années ». Le jeu de paume de la Bouteille, situé rue des Fossés de Nesle (rue Mazarine), devint le lieu de naissance de l’opéra à Paris, loué par le Marquis de Sourdéac, scénographe et machiniste, et le Sieur de Champeron, financier <?page no="204"?> 204 Le Théâtre françois mier lieu de la Terre pour les honnestes et magnifiques divertissemens. Car enfin au commencement de cette année, avant a la jonction des Troupes du Palais Royal et du Marais, et le depart des Comediens Italiens pour l’Angleterre, d’où ils reviendront dans peu 399 , Paris donnoit regulierement toutes les semaines seize spectacles publics, dont les trois Troupes de Comediens François en fournissoient neuf, l’Italienne quatre 400 , et l’Opera trois, le nombre b s’augmentant quand il tomboit quelque feste dans la semaine hors du rang des solennelles. Les quinze jours avant Pasques, et huit ou dix autres rabatus, ce nombre montoit au bout de l’année à plus de huit cens spectacles, et cette quantité peu diminuée de grands et magnifiques divertissemens dans [f° 92 r°/ p. 165] l’enceinte d’une Ville surprend merveilleusement les Etrangers 401 , qui croyent voir un lieu enchanté, et ne peut que leur estre une forte preuve de la felicité de la France, qui est toûjours dans la joye, parceque son Roy est d’honnêteté douteuse, à Perrin et au compositeur et organiste Robert Cambert (1628-1677), qui y montèrent leur pastorale en cinq actes intitulée Pomone le 3 mars 1671 avec un succès retentissant. Un deuxième opéra, Les Peines et les plaisirs de l’amour, sur un livret de Gabriel Gilbert avec musique de Cambert, fut représenté au même jeu de paume au mois de février ou début mars 1672. Des malversations financières commises par Sourdéac, Champeron et Perrin conduisirent ce dernier en prison pour dettes dès le mois de juin 1671. Le 13 mars 1672, avec l’autorisation du Roi, Jean-Baptiste Lully s’empara du privilège de Perrin et s’installa en août dans le jeu de paume de Bel-Air, rue de Vaugirard. Le 30 avril il avait obtenu que les comédiens des troupes rivales n’aient plus que deux chanteurs et six instrumentistes, alors que le 20 septembre 1672 le privilège lui fut accordé d’imprimer les airs de musique ainsi que les textes sur lesquels ces airs furent composés. Le 15 novembre 1672 l’Académie royale de musique fut inaugurée à Bel-Air avec Les Fêtes de l’Amour et de Bacchus, suivies en avril 1673 de Cadmus et Hermione. Le 28 avril 1673 Lully obtint la jouissance gratuite de l’ancienne salle de Molière au Palais-Royal ; le 17 juin l’Académie royale de musique s’y installa. Six jours plus tard, une ordonnance royale porta suppression de la troupe du théâtre du Marais et établissement des restes de celle de Molière au théâtre de la rue Guénégaud. 399 Après la mort de Molière, la troupe de Tiberio Fiorilli qui avait partagé le théâtre du Palais-Royal fit une tournée en Angleterre, rentrant à Paris en septembre 1673. Chappuzeau ne change pas ces mots dans son texte imprimé. 400 Les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, du Marais et du Palais-Royal donnèrent normalement des représentations le dimanche, le mardi et le vendredi. Les Italiens jouèrent les quatre autres jours de la semaine. 401 Il est difficile de trouver de la correspondance ou des récits de voyage qui confirment ce jugement de Chappuzeau. Les voyageurs anglais, par exemple, gênés sans doute par leurs connaissances insuffisantes en français, fréquentèrent les théâtres a de l’année derniere 1673. avant b ce nombre <?page no="205"?> Livre Troisiéme 205 toûjours victorieux. Mais un seul des Spectacles que le Roy donne à la Cour, et dont il permet aussi le veüe à ses Peuples, soit dans la pompe Royale qui les acompagne, soit dans la richesse du lieu où ils sont representez, efface la beauté de tous les spectacles de la Ville ensemble, et des spectacles des anciens Romains, et fait voir à ces memes Etrangers ce qu’un Roy de France peut faire dans son Royaume, apres avoir veu avec plus d’étonnement ce qu’il peut faire au dehors. Nous vismes aussi arriver à Paris une Troupe de Comediens Espagnols la premiere année du mariage du Roy. La Troupe [f° 92 v°/ p. 166] Royale luy presta son Theatre, comme elle avoit fait avant eux aux Italiens, qui ocuperent depuis le petit Bourbon avec Moliere, et le suivirent apres au Palais Royal. Les Espagnols ont esté entretenus par la Reine a jusques au Printemps dernier, et j’apprens qu’ils ont repasse les Pyrenees 402 . XLV. Troupes de Campagne J’ay compris dans le sujet que je traite les Comediens des Provinces, et autant que je l’ay pû decouvrir, ils peuvent faire douze ou quinze Troupes, le nombre n’en estant pas limité 403 . Ils suivent à peu pres les mémes reglemens que ceux parisiens mais ne se laissèrent pas impressionner. Edward Browne, qui assista à une représentation de L’Ecole des maris au Palais-Royal en 1664, estima que les comédiens « n’étaient pas comparables à ceux de Londres ». Pour sir Philip Skippon en 1666, L’Etourdi fut « mieux joué que prévu » (John Lough, France Observed in the Seventeenth Century by British Travellers, Stocksfield : Oriel Press, 1985, pp. 311-312. Nous traduisons.). On a du mal à dénicher une remarque comme celle de Chappuzeau lui-même qui, dans son Europe vivante (1667, p. 215), signala l’état florissant du théâtre londonien : « quoy qu’on jouë tous les jours […] ces Maisons ne desemplissent jamais et […] cent carrosses en barricadent les avenues ». 402 Sur les comédiens espagnols, voir la note 72. 403 Voir la note 214. En 1667, dans la première édition de son Europe vivante, Chappuzeau affirma : « il y a de plus huict ou dix troupes à la Campagne, qui courent les Provinces du Royaume, pour leur faire part de ce noble sentiment » (p. 317). Seules quelques troupes ambulantes jouissaient d’une protection, dont celles du duc d’Orléans, du Dauphin, de la Grande Mademoiselle, et des princes de Conti et Condé. La plupart des compagnies de province, dont on a recensé près de deux cents au cours du XVII e siècle, menaient une vie précaire, se dissolvant et se reformant régulièrement. Les comédiens devaient accepter le plus souvent des contrats d’une année seulement, d’un carême à l’autre, les plus méritoires appartenant successivement à un grand nombre de troupes, avec l’ambition d’entrer un jour dans une des troupes parisiennes. a entretenus depuis par la Reyne <?page no="206"?> 206 Le Théâtre françois de Paris, et autant que leur condition d’Ambulans le peut permettre. C’est dans ces Troupes que se fait l’aprentissage de la Comedie, c’est d’où l’on tire au besoin des Acteurs et des Actrices qu’on juge les plus capables pour remplir les Theatres de Paris ; [f° 93 r°/ p. 167] et elles y viennent souvent passer le Caresme, pendant lequel on ne va guere à la Comedie dans les Provinces, tant pour y prendre de bonnes lecons aupres des Maîtres de l’art, que pour de nouveaux Traitez et des changemens à quoy elles sont sujetes. Il s’en trouve de febles, et pour le nombre de personnes, et pour la capacité : mais il s’en trouve aussi de raisonnables, et qui estant goûtées dans les grandes Villes, n’en sortent qu’avec beaucoup de profit. XLVI. Comediens entretenus du a Duc de Savoye Je ne conte pas entre les Troupes de Campagne, les trois qui sont entretenues par des Princes Etrangers, par le Duc de Savoye, par l’Electeur de Baviere, et par les Ducs de Brunswic et Lunebourg. Le Duc de Savoye en a une belle, et qui a fait bruit dans les Provinces b 404 . La Cour de ce Grand Prince estant tres polie et pleine de gens d’esprit, la Comedie [f° 93 v°/ p. 168] y est bien goûtée, et les Comediens s’ils n’estoient habiles, n’y plairoient pas. C’est ce qui c 405 406 404 La troupe de la duchesse de Montpensier (Marie-Anne d’Orléans, la Grande Mademoiselle) prit le nom de Troupe du duc de Savoie lorsqu’elle joua à Lyon en 1658 devant les cours de France et de Savoie. En mars 1672, le duc, Charles-Emmanuel II (1634-1675), reconnut officiellement la troupe en lui accordant un paiement annuel de 400 livres d’or. 405 La conjonction que marquant l’exclusion pouvait se construire encore dans une phrase logiquement négative. 406 La variante ajoute à l’éloge de Charles-Emmanuel fourni dans la dédicace du Théâtre françois. a entretenus par le b une fort belle, et qui a esté fort suivie dans nos Provinces c n’y plairoient pas. Comme ce n’est pas icy le lieu de faire l’eloge des Princes et des Princesses qu’en 405 ce qui regarde leur bon goust pour la Comedie, et pour ceux qui l’executent, je diray seulement que son Altesse Royale a le goust fin pour toutes les belles productions, qu’elle en sçait admirablement juger ; qu’elle a l’esprit vif et fort ouvert, et l’entretien tres fertile et agreable 406 . Elle caresse les personnes qui ont du sçavoir et de la politesse, elle leur parle et les ecoute d’un air obligeant, et comme entre les Etrangers elle aime particulierement les François, elle prend plaisir de s’entretenir souvent auec un des plus beaux Genies de France, qu’elle tient depuis longtemps à son service, et qui outre un grand fonds de Theologie et d’Histoire possede toutes les beautez et toute la delicatesse de nôtre Langue en prose et en vers. Ceux qui <?page no="207"?> Livre Troisiéme 207 407 doit persuader que la Troupe qui tire pension de Son Altesse Royale, est fort accomplie, et pourvûe de personnes intelligentes a dans leur Profession. Elle se fixe tous les hyvers à Turin, et le Duc luy permet de s’ecarter l’Esté, et de repasser les Alpes, n’y ayant pas de plaisir à se renfermer en Piémont dans une sale de Comedie pendant les grandes chaleurs. Acteurs De la Troupe de S. A. R. Le Duc de Savoye, selon l’ordre cy devant observé. Les S rs b de Beauchamp 408 . de Châteauvert 409 . 407 Gabriel Pasturel, né vers 1615, était le frère de Joseph Pasturel, chanoine du chapitre collégial de Montferrand et le plus jeune des quatre fils de Gabriel Pasturel, lieutenant particulier de l’ancien bailliage de Montferrand. « Il avait beaucoup d’esprit : son principal talent était de composer, sur-le-champ, des chansons et des épigrammes. Il a fait très-peu de poésies auvergnates, mais celles qui sont arrivées jusqu’à nous sont d’une bonne facture. Quelques voyages à Paris lui firent tourner le goût qu’il avait pour les vers du côté de la poésie française » (J.-B. Bouillet, Album auvergnat. Première livraison, Moulins : P.-A. Desrosiers, 1848, p. 14). Attiré à la cour de Turin par Christine de France, Pasturel devint gentilhomme ordinaire de la chambre du duc de Savoie et son historiographe. Selon F. Mugnier (Le Théâtre en Savoie, Paris : Champion, 1887, pp. 46-47), Charles-Emmanuel le gratifia le 10 avril 1660 d’une pension de 1.000 livres et le 15 juillet 1673 lui fit encore un don de 250 livres. 408 Jean Biet, dit Beauchamps, fils de Nicolas Biet, dit Beauchamps, et de sa femme Françoise Petit. Il appartint à la troupe du prince de Condé et se trouva dans celle du duc de Savoie à Dijon en mars 1670. Le 26 mars 1672, il rentra avec sa femme dans la troupe de Philippe de Toubel et de Richard Desmarest pour une année (M. Jurgens et M.-A. Fleury, Documents du Minutier central concernant l’histoire littéraire, 1650-1700, Paris : PUF, 1960, p. 98). Le 17 mars 1673 il fut accepté par Marin Prévost dans la troupe de Son Altesse de Savoie pour jouer les troisièmes rôles moyennant 500 livres pour une année (ibid., p. 100). 409 Jean-Baptiste de Lorme, dit Châteauvert, fut dans la troupe de Condé à Dijon en 1671, puis dans celle du duc de Savoie dès le 10 mars 1672 et le 17 mars 1673. connoissent Monsieur Pasturel 407 luy rendent ce juste eloge, et nôtre Theâtre François, ou, pour mieux dire, le Parnasse entier, luy est aussi redevable des beaux ouvrages qu’il a fait pour le Prince qu’il a l’honneur de servir. La Comedie Françoise a donc toûjours esté tres estimée à Turin, et l’on n’y gouste aussi que des gens qui la sçavent bien executer ; ce qui a personnes tres intelligentes b LES SIEURS <?page no="208"?> 208 Le Théâtre françois Guerin 410 . de Rochemore a 411 . [f° 94 r°/ p. 169] de Rosange 412 . de Valois 413 . Actrices. Les D lles. de Lan 414 . Mignot 415 . 416 410 Charles Guérin, frère de Guérin d’Estriché (voir la note 340), constitua une troupe à Paris en 1667 pour jouer la comédie pendant un an, sous le titre de comédiens du Roi (Jurgens et Fleury, Documents du Minutier central, p. 93), puis se trouva à Bruxelles dans celle de la Reine de France (1668-1670), passa dans la troupe de La Source en mars 1672 et dans celle du duc de Savoie le 17 mars 1673 (ibid., pp. 98, 100). 411 Jean-Baptiste Moulin, dit Rochemore, appartint à la troupe du duc de Savoie le 19 mars 1672 et le 17 mars 1673 (Jurgens et Fleury, Documents du Minutier central, p. 100). Le 1 er janvier 1675 il recevra de Son Altesse 500 livres de pension et 500 livres de gratification, et sa femme 500 livres de pension. 412 Marc-Antoine de Houy-Derval, dit Rosange, ancien comédien du prince de Condé, appartint à la troupe du duc de Savoie le 10 mars 1672 et le 17 mars 1673. Le 1 er janvier 1675 il reçut du duc, avec sa femme, une pension de 1.000 livres. 413 Laurent Boyval, dit Valois, né vers 1646, appartint aux troupes de Jolimont et des Comédiens de la Marine, puis fit partie en 1671 et le 17 mars 1673 de celle du duc de Savoie, qui lui donna 1.000 livres de pension le 1 er janvier 1675. 414 Il s’agit peut-être de Jeanne-Françoise de Lan, femme de Jean Pallet, dit Bellefleur. Ayant fait partie de la troupe des Comédiens de Mademoiselle, elle s’engagea le 21 mars 1672 dans celle de La Source (Dictionnaire biographique, p. 101). Son nom reparaît dans la troupe de l’Electeur de Bavière (voir infra). 415 Isabelle-Lucie Guérin, femme de Jacques Mignot et sœur de Guérin d’Estriché. En 1665 elle fit partie de la troupe du prince d’Orange à Toulouse et entra en 1673 dans celle du duc de Savoie. 416 Jacques Prévost (ou Provost), membre de la troupe du duc de Savoie en 1673 et le 1 er janvier 1675. Un Marin Prévost, qui appartenait au théâtre du Marais en 1671, fut membre de la troupe du duc de Savoie le 17 mars 1673 (Jurgens et Fleury, Documents du Minutier central, p. 100). a Guerin Provost 416 De Rochemore <?page no="209"?> Livre Troisiéme 209 de Rosange 417 . de Valois 418 . XLVII. Troupe Françoise de l’Electeur de Baviere La Troupe Françoise qu’entretient Son Altesse Electorale de Baviere n’est pas forte en nombre de personnes, mais elle est bien concertée, et l’ayant veue à Munich en deux voyages que j’y ay faits 419 , je reconnus que la Cour en estoit fort satisfaite. Chacun sçait qu’elle est des plus magnifiques de l’Europe, qu’il y a des esprits fort eclairez, et qu’outre plusieurs Seigneurs Alemans qui entendent parfaitement notre Langue, il y en a de Lorrains et de Savoyards qui en connoissent toutes [f° 94 v°/ p. 170] les beautez. Madame l’Electrice 420 les passe tous de bien loin, et je puis icy faire l’eloge des Princes et des Princesses en ce qui regarde leur bon goust pour la Comedie et pour les Comediens a 421 . 417 Anne Clément, femme de Marc-Antoine de Houy-Derval, dit Rosange, se trouva dans la troupe du duc de Savoie de 1672 à 1675. 418 Marie-Catherine Darbanne (ou d’Herbanne), femme de Laurent Boyval, dit Valois, appartint à la troupe du duc de Savoie de 1672 à 1675. Parmi les membres de la troupe en 1673 signalés par le Dictionnaire biographique (p. 235) mais omis par Chappuzeau sont : • Martine-Geneviève Girault, femme de Jean-Baptiste de Lorme, dit Châteauvert, indiquée dans la liste des membres, p. 235, mais pas dans la notice, p. 58. • L’Espérance (Charles Guérin, dit), que Chappuzeau confond avec son fils Charles Guérin (voir la note 410). Le père mourut avant juin 1665. • De Lancy, qui appartint à la troupe du duc de Savoie le 18 février 1673 (Jurgens et Fleury, Documents du Minutier central, p. 100). 419 Chappuzeau se trouva à la cour électorale fin juin/ début juillet 1671 et au mois d’octobre 1672. Il s’agit de la troupe, alors tout récemment constituée, de Ferdinand-Marie de Bavière (1636-1679 ; électeur de 1651 à 1679), fils de Marie-Anne d’Autriche et de Maximilien 1 er de Bavière (Le Grand). 420 Adélaïde-Henriette de Savoie (1636-1676), sœur de Charles-Emmanuel II de Savoie. Elle épousa Ferdinand-Marie en 1652. Entre 1651 et 1679, sous Ferdinand-Marie, Munich voit s’édifier des monuments de style baroque italien mais c’est surtout à sa femme que l’on doit ces constructions qui font aujourd’hui la fierté de la ville. 421 Selon Fransen (Comédiens français en Hollande, pp. 115-116), « Ce n’est qu’en 1671 que [Philippe] Millot reparaît, cette fois sous le titre de Comédien de l’Electeur de Bavière. C’était Mademoiselle d’Orléans qui l’avait recommandé auprès de son ami Adélaïde, l’Electrice de Bavière. Au mois de juin 1671, la troupe de Millot fait sa a bien loin, et ce n’est pas icy le lieu de poursuivre son Eloge <?page no="210"?> 210 Le Théâtre françois Acteurs et Actrices a De la Troupe De l’Electeur de Baviere b . Les S rs c De Lan 422 . Milo 423 . ................ ................ ................ d joyeuse entrée à la cour de Munich, cour où les éléments français ne manquaient pas, comme la duchesse Mauritia-Fébronia de la Tour d’Auvergne, la belle-sœur d’Adélaïde, le marquis de Beauveau, le précepteur de Max-Emanuel, et les familles de la Pérouse, Créange, Haraucourt, St. Maurice. Entre le 19 juin et le 26 juillet on ne donnait pas moins de treize représentations. Le 20 novembre 1671, le trésorier de l’Electeur note un paiement aux comédiens français de 2400 florins. […] D’abord la troupe recevait 40 florins par représentation. Après le mois de mai 1672, l’Electeur lui donna une somme annuelle de 1300 fl. Ce n’était pas trop […] Pour récompenser mieux les comédiens, on les chargeait alors de fonctions à la cour. C’est ainsi que, le 15 décembre 1671, un décret de l’Electeur fit de Millot le Ritter Stuben Portier, avec un salaire de f 400 ». 422 de Lan. Peut-être le fils de Marguerite Prunier et de son premier mari, l’acteur Hugues de Lan qui joua à l’Hôtel de Bourgogne en 1623, avec Floridor à Londres en 1635, et dans les troupes du duc d’Orléans et de Mademoiselle. Il fut décédé quand on baptisa leur fils Abraham à Lyon le 14 avril 1659. Selon la base de données CESAR (www.cesar.org.uk/ cesar2/ home.php), il s’agirait, au contraire, d’un certain Charles de Lan, mari de Marie Germain. 423 Philippe Millot fit partie de l’Illustre Théâtre de Molière, fut chef de la troupe de Mademoiselle de 1651 à 1667, comédien du duc de Lorraine, puis membre de la troupe de l’Electeur de Bavière, successeur de celle de Mademoiselle. a ACTEURS ET ACTRICES b Baviere, selon le méme ordre. ACTEURS c LES SIEURS d …………… ACTRICES Les Dlles. <?page no="211"?> Livre Troisiéme 211 Les D lles De Lan 424 . Milo 425 . ................ ................ XLVIII. Troupe des Ducs de Brunswic et Lunebourg Les Ducs de Brunswic et Lunebourg de [la] Branche de Cell entretiennent aussi une Troupe de Comediens François que le nombre a et [f° 95 r°/ p. 171] le merite des personnes qui la composent rendent tres acomplie, et en estat de pouvoir parêtre avec gloire en quelque lieu que ce fust. Elle execute parfaitement bien toutes les pieces les plus difficiles soit dans le Serieux, soit dans le Comique, et elle [a] aussi à faire à des esprits éclairez et delicats dont les Maisons de ces Princes sont remplies 426 . 424 Voir la note 414. Il pourrait s’agir aussi de Marie, fille de Hugues de Lan et de Marguerite Prunier et sœur d’Abraham (voir la note 422). Marie fut baptisée à Marseille le 20 février 1658. 425 Anne Millot, sœur de Philippe. Elle fit partie de la troupe de Mademoiselle en 1659. Le Dictionnaire biographique se demande pourtant (p. 154) s’il s’agit de la même actrice que Mlle Mignot, Isabelle-Lucie Guérin, femme de Jacques Guérin et sœur de Guérin d’Estriché (voir la note 415). Ou serait-il question de Marguerite Prunier, veuve de Hugues de Lan qui, le 8 septembre 1659, épousa en secondes noces Philippe Millot et qui appartint en 1667 à la troupe du duc de Lorraine ? Parmi d’éventuels membres de la troupe en 1671 et 1673 signalés par Fransen (p. 116, sur la base de quittances délivrées au trésorier de l’Electeur de Bavière), par K. Trautmann, « Französische Schauspieler am bayrischen Höfe », Jahrbuch für Münchener Geschichte, II (1888), p. 219, et par le Dictionnaire biographique mais omis par Chappuzeau sont Caderousse, Jacob Duplessiz, Jacques Polande et Jacques de Saint-Bazille, dit Des Essarts. 426 La troupe du duc de Brunswick-Lunebourg (ou Lunebourg-Celle) existait dès 1668, temporairement protégée par la reine de Suède, veuve de Charles X. En 1673 Chappuzeau connaissait déjà bien la cour francophone et francophile de Georges- Guillaume (1624-1705), duc depuis 1648 et résident depuis 1665 à Celle où, moins de dix ans plus tard, l’auteur du Théâtre françois allait commencer la dernière et sans doute la plus heureuse étape de sa vie. Georg Wilhelm avait deux frères cadets, Johann Friedrich (1625-1679) et Ernst August (1629-1698). A. J. Montfleury dédie sa comédie Le Gentilhomme de Beauce (1670) aux trois frères, que dans l’Epître il appelle « trois Princes si éclairez, si galans et si accomplis, que l’ouvrage le plus parfait a une Troupe, que le grand nombre <?page no="212"?> 212 Le Théâtre françois Acteurs et Actrices De la Troupe Des Ducs de Brunswic et Lunebourg 427 . Acteurs. Les S rs a Benard 428 . de Boncourt 429 . de Bruneval 430 . le Coq 431 . de Lavoys 432 . de Nanteüil 433 . meriteroit à peine l’honneur de leur estre offert. […] Ce n’est qu’en votre seule Cour où la nature prodigue de Heros, fait voir en trois Illustres Freres, trois Princes dont l’union et les vertus éclatantes donnent de l’admiration à tout le reste du Monde ». 427 A Celle avant 1670, les troupes de comédiens donnèrent des représentations dans le Rittersaal du palais ducal. En devenant résident à Celle en 1665, Georges- Guillaume, fort de son expérience en Italie, décida de construire une salle de théâtre, commencée en 1670 et achevée en 1674-1675. Elle reste le plus ancien théâtre baroque d’Allemagne. Sur les comédiens et les pièces qui figuraient dans les cours de Brunswick-Lunebourg à partir de 1668, voir Rosemarie Elisabeth Wallbrecht, Das Theater des Barockzeitalters an den welfischen Höfen Hannover und Celle, Hildesheim : A. Lax, 1974, pp. 123-166. 428 Pierre Bénard, dit Bonœil, fut membre des troupes de La Plesse, de la Duchesse d’Orléans, de Fonteneuil et de Richemont avant de se trouver en 1673 dans celle du duc de Brunswick-Lunebourg. 429 Jean Hillaret, dit Boncourt, appartint aux troupes de La Plesse, de La Couture, du prince de Condé, et de La Marre avant de constituer sa propre troupe en 1664. Ensuite il se trouva parmi les comédiens de Mademoiselle avant de passer dans la troupe de la Reine de France, puis dans celle du duc de Brunswick-Lunebourg. 430 Jean Mangot, dit Bruneval, dont c’est la première mention ici. 431 Charles Mangot, dit Lecoq, membre de la troupe de La Plesse avant de passer en 1673 dans celle du duc de Brunswick-Lunebourg. 432 Denis de Lavoy, comédien de la Reine de Suède, puis dans les troupes de Rosidor et de l’Electeur de Cologne, comédien du roi d’Angleterre, membre des troupes de Rochefort et du théâtre du Marais avant de passer par la seconde troupe de Rosidor dans celle du duc de Brunswick-Lunebourg. 433 Voir la note 214. Denis Clerselier, dit Nanteuil, célèbre acteur, directeur de troupe et auteur dramatique né en 1650 qui débuta dans la troupe de L’Espérance. Il passa dans celles du maréchal de Villeroy, des comédiens de la Reine de France, et de La Source avant de jouer et d’écrire pour le duc de Brunswick-Lunebourg. a LES SIEURS <?page no="213"?> Livre Troisiéme 213 Actrices. Les D lles Benard 434 . [f° 95 v°/ p. 172) de Boncourt 435 . le Coq 436 . de Lavoys 437 . de la Meterie 438 . Comedien Autheur De la méme Troupe. Nanteüil La Prise de Brunswic, et quelques autres petites pieces 439 . 434 Catherine Genet, femme de Pierre Bénard, dit Bonœil. Elle appartint avec son mari à la troupe de La Plesse, puis à celles de la Duchesse d’Orléans, de Fonteneuil et, en 1672, de Richemont. 435 Marie Biet, femme de Jean Hillaret, dit Boncourt. Avec son mari elle appartint à la troupe de La Marre, puis sans doute à celle constituée par son mari avant d’entrer à la troupe de Mademoiselle, d’où elle passa à la compagnie du duc de Brunswick- Lunebourg. 436 Marie Boisvert, femme de Charles Mangot, dit Lecocq. Elle fut membre de la troupe du prince de Condé, puis entra à celle du duc de Brunswick-Lunebourg. 437 Selon Deierkauf-Holsboer (Marais, t. II, p. 308), Suzanne Pelletier, femme de Denis Lavoy, fut gagiste dans la troupe de Rosidor le 2 mars 1660. 438 Bernarde Boisvert, femme de Jean Thomas, dit La Metterie. Membre de la troupe du prince de Condé en 1667, elle joua les rôles d’amoureuses dans la troupe des Comédiens de la Reine en 1668-1670 avant de faire partie vers 1673 de la troupe du duc de Brunswick-Lunebourg. 439 La Prise de Brunswic est perdue. Les autres pièces de Nanteuil montées avant 1673 sont : • L’Amour sentinelle, ou le Cadenas forcé, comédie jouée et publiée à La Haye en 1669. • Le Comte de Rocquefeuilles ou le Docteur extravagant, comédie en un acte jouée et publiée à La Haye en 1669. • Les Brouilleries nocturnes, comédie en trois actes représentée et publiée à Bruxelles en 1669. • Le Campagnard dupé, comédie jouée et publiée à Hanovre en 1671. • La Fille vice-roi, comédie héroïque représentée et publiée à Hanovre en 1672. • L’Amante invisible, comédie en cinq actes représentée et imprimée à Hanovre en 1673. On comprend mal pourquoi, entre 1673 et 1674, Chappuzeau supprima cette référence au travail de Nanteuil comme auteur dramatique (voir la variante qui suit). <?page no="214"?> 214 Le Théâtre françois Voila quel est l’estat present des trois Troupes de Comediens François entretenus par des Princes Etrangers. Il me reste a à parler des Officiers des Theatres de Paris, et chacun des deux Hostels en est pourveu d’un beau nombre, dont les gages montent à plus de cinq mille écus payez ponctuellement b . Mais les Comediens de Campagne qui ne marchent pas avec grand train, et qui n’ont à ouvrir ni loges, ni Amphitheâtre, reduisent toutes les charges à trois, et se [f° 96 r°/ p. 173] contentent de deux Violons c , d’un Decorateur et d’un Portier. XLIX. Fonctions de l’Orateur, et suite de ceux qui ont exercé cet employ dans les Troupes de Paris d 440 Pour ce qui est de l’Orateur, je le tire du rang des Officiers, et comme il represente l’Estat en prenant la parole pour tout le Corps, il est de l’honneur de la Troupe qu’il en soit nommé le Chef, puisque je luy ay donné la face d’une Republique, et qu’encore qu’il n’ayt pas plus de pouvoir ni d’avantages qu’un autre, chacun toutefois a de la deference pour ses avis 441 . Voyons en peu de mots quelles sont ses fonctions e 442 . 440 Le chapitre XLIX du Livre III du Théâtre françois subit les plus grands remaniements entre la version manuscrite de 1673 et l’imprimé diffusé en 1674 par Mayer et Guignard. La première idée de Chappuzeau est de faire accompagner sa description du rôle de l’orateur de la troupe d’une liste récapitulative des comédiens qui ont tenu ce poste dans les troupes de l’Hôtel de Bourgogne, du Marais, du Palais-Royal et du tout nouveau Théâtre Guénégaud. Le texte offert en hommage aux survivants de Molière suit ce plan. Mais pour le grand public la « suite » des orateurs est consignée à la fin du Livre, suivant les deux déclarations royales. 441 Chaque troupe, si démocratique qu’elle fût, avait un chef ou directeur. La description de Chappuzeau donnerait à entendre que le comédien choisi comme orateur pouvait donc postuler le rang de directeur. C’était plus souvent le cas que le chef de troupe assumait la tâche d’orateur parmi les rôles qu’il croyait devoir remplir. 442 La variante comporte plusieurs changements significatifs. L’expression « Il est de l’honneur de la Troupe » est rendue moins certaine (« il seroit peut être de l’honneur de la Troupe ») ; en 1674 Chappuzeau ajoute deux idées : le pur hasard qui guide le choix, et la présence tout à fait facultative de mérite ; il ne parle plus de déférence. a de la Meterie. Voilà quel est l’estat present du Theâtre François, et des Troupes de Comediens, tant à Paris, que dans les Provinces, et hors du Royaume. Il me reste b payez tres exactement c trois, et usant d’épargne se contentent de deux ou trois Violons d Fonctions de l’Orateur <?page no="215"?> Livre Troisiéme 215 L’Orateur a deux principales fonctions. C’est à luy de faire la harangue et de composer l’Affiche, et comme il y a beaucoup de raport de l’une à l’autre, il suit presque la méme regle pour toutes les deux. Le discours qu’il vient faire à l’issue de la Comedie a pour but de captiver la bienveuillance de [f° 96 v°/ p. 174] l’Assemblée. Il luy rend graces de son attention favorable, il luy annonce la piece qui doit suivre celle qu’on vient de representer, et l’invite à la venir voir par quelques eloges qu’il luy donne ; et ce sont là les trois parties sur lesquelles roule son compliment 443 . Le plus souvent il le fait court, et ne le medite point, et quelquefois aussi il l’étudie, quand ou le Roy, ou Monsieur, 443 Chappuzeau utilise indifféremment les termes « harangue », « discours », « compliment » et « annonce » pour décrire l’intervention orale faite par l’orateur de la troupe. Selon toute apparence il s’agit donc d’un monologue. Pourtant, dans un article intitulé « Molière et la troupe du Palais-Royal : Le Festin de Pierre » paru dans Le Moliériste, t. II, n° XXII (1 er janvier 1881), pp. 291-302, Edouard Thierry envisagea un dialogue entre orateur et spectateurs : « l’annonce constituait une des fonctions les plus délicates du théâtre. L’acteur qui la faisait et qui, en proposant le prochain spectacle, prenait naturellement l’avis de l’auditoire, se trouvait à la fois l’interprète des comédiens auprès du public, du public auprès des comédiens. […] Tout spectateur avait son droit d’interpellation, plusieurs en usaient jusqu’à l’abus, et jamais l’orateur de la troupe ne devait rester sans réponse. Il esquivait la question ou il la relevait nettement ; mais sa parole était celle de la Compagnie et, quand il l’engageait, il engageait le théâtre. C’est pour cela qu’il en devait savoir et qu’il en savait les affaires. Il les conduisait de longue main » (p. 292). Et pour ce qui concerne Molière en particulier, « Qui sait s’il ne s’était pas trop laissé aller à jouer avec le public et si le public n’avait pas trop pris l’habitude de jouer avec lui ? Quelle tentation pour la chambrée de lancer la balle au grand Comique, de l’attaquer d’en haut, d’en bas, de faire à fonds commun, bons et mauvais railleurs réunis, la partie de Molière ! » (p. 293). Or aucune preuve documentaire ne vient appuyer cette hypothèse, acceptée cependant avec enthousiasme par les savants éditeurs du Registre de La Grange, B. E. et G. P. Young, qui affirment que « Molière n’en pouvait plus supporter le tracas et surtout les vifs dialogues entre l’orateur et le public » (Registre, t. II, p. 18). e et comme il represente l’Estat en portant la parole pour tout le Corps, il seroit peut être de l’honneur de la Troupe qu’il en fust nommé le Chef, puisque je luy ay donné la face d’une Republique, et que je croirois luy faire tort de l’apeller Anarchie. Mais comme cet Orateur ne doit le plus souvent l’honneur de sa fonction qu’au pur hazard, sans que precisement le merite y contribue, et que d’ailleurs il n’a pas dans la Troupe plus de pouvoir ny d’avantage qu’un autre, ainsi que les Comediens de Paris me l’ont assuré, je ne le nommeray simplement que l’Orateur, et je diray en peu de mots quelles sont ses fonctions. <?page no="216"?> 216 Le Théâtre françois ou quelque Prince du sang se trouve present ; ce qui arrive dans les Pieces de spectacle, les machines ne se pouvant transporter 444 . Il en use de méme quand il faut annoncer une piece nouvelle qu’il est besoin de vanter ; dans l’Adieu qu’il fait au nom de la Troupe le Vendredy 445 qui precede le premier Dimanche de la Passion, et à l’ouverture du Theatre aux Festes a de Pasques, pour faire reprendre au Peuple le goust de la Comedie. Dans l’Annonce ordinaire [f° 97 r°/ p. 175] l’Orateur promet aussi de loin des Pieces nouvelles de divers Autheurs pour tenir le monde en haleine et faire valoir le merite de la Troupe, pour laquelle on s’empresse de travailler 446 . L’affiche suit l’annonce, et est de méme nature. Elle entretient le Lecteur de la nombreuse Assemblée du jour precedent, du merite de la Piece qui doit suivre, et de la necessité de pourvoir aux Loges de bonne heure, sur tout lorsque la piece est nouvelle, et que le grand monde y court 447 . Mais b comme les modes changent, 444 Le Roi et la Cour se déplaçaient quelquefois pour assister à des représentations publiques de pièces sans machines. C’est ainsi qu’ils ont vu le Timocrate de Thomas Corneille au Marais en décembre 1656, par exemple, l’Œdipe de Pierre Corneille à l’Hôtel de Bourgogne en janvier 1659, ou L’Ecole des femmes et La Critique de l’Ecole des femmes au Palais-Royal en juillet 1663. 445 Les théâtres ne fermaient pas toujours ce vendredi-là pour le relâche de Paques ; c’était plutôt la date-limite. Voir la note 200 et C. J. Gossip, « “Tenir l’affiche” dans les théâtres parisiens du XVII e siècle », Revue d’Histoire littéraire de la France, 107 (2007), pp. 19-33 (p. 27). 446 La formule consacrée utilisée dans les affiches était « En attendant … », avec les noms de la pièce et de l’auteur, souvent accompagnés de force épithètes. 447 Seule une petite poignée d’affiches, surtout de l’époque 1658-1662, a survécu. Aucune ne fait référence à la « nombreuse assemblée » de la représentation précédente ou à la réservation des loges. Voici le texte intégral d’une affiche parisienne typique (théâtre du Marais, 3 février 1660) : « LES COMEDIENS DU ROY ENTRETENUS PAR SA MAJESTE. COMME les divertissemens enjoüez sont de saison, nous croyons vous bien regaller en vous promettant pour demain Mardy iii jour de Fevrier, la plaisante COMEDIE du JODELET MAISTRE, de Monsieur SCARON : Avec une DANSE de SCA- RAMOUCHE, qui ne peut manquer de vous plaire beaucoup. A Vendredy sans faute a l’ouverture de Theâtre apres les festes b court. Cy-devant quand l’Orateur venoit annoncer, toute l’assemblée prestoit un tres grand silence, et son compliment court et bien tourné estoit quelquefois écouté avec autant de plaisir qu’en avoit donné la Comedie. Il produisoit chaque jour quelque trait nouveau qui reveilloit l’Auditeur, et marquoit la fecondité de son esprit, et soit dans l’Annonce, soit dans l’Affiche il se montroit modeste dans les eloges que la coûtume veut que l’on donne à l’Autheur et à son ouvrage, et à la Troupe qui le doit representer. Quand ces eloges excedent, on s’imagine que l’Orateur en veut faire accroire, et l’on est moins persuadé de ce qu’il tasche d’insinuer dans les esprits. Mais <?page no="217"?> Livre Troisiéme 217 toutes ces regularitez ne sont presque plus en usage a ; ni dans l’Annonce, ni dans l’Affiche il ne se fait plus de longs discours, et l’on se contente de nommer simplement à l’Assemblée la Piece qui se doit representer 448 . De b plus il est de la fonction c de l’Orateur de convoquer la Troupe, et de la faire assembler, ou au Theatre, ou ailleurs, soit pour la lecture des Pieces qu’on luy [f° 97 v°/ p. 176] aporte, soit pour les repetitions, et en general dans toutes les rencontres qui regardent l’interest commun. C’est à luy d’en faire d l’ouverture 449 et de proposer les choses ; et quoy qu’il n’y ayt que sa voix, elle est ordinairement suivie par la deference que l’on a pour ses avis, sur tout quand on est persuadé e qu’il est intelligent et versé dans les affaires, et les AMOURS du CAPITAN MATAMORE, ou l’ILLUSION COMIQUE, de Monsieur de CORNEILLE l’aisné. En attendant les superbes Machines de la CONQUESTE de la TOISON d’OR. C’est à l’Hostel du Marais, vieille rue du Temple, à deux heures » (S. Chevalley, Molière en son temps, 1622-1673, Paris-Genève : Minkoff, 1973, p. 110). 448 Faute de sources primaires, on ne saurait déterminer la date à laquelle les anciennes règles (ou « régularités ») furent abandonnées. A l’époque, les affiches étaient de 40 centimètres de haut sur 50 de large environ, avec une bordure de 5 centimètres de large. Elles « marquent l’endroit,/ L’heure, le prix et la journée,/ Et c’est toujours l’après-dînée » (Loret, La Muze historique, 3 décembre 1661). La distribution des rôles n’y figurait jamais. Les affiches des troupes de province de la même période étaient peut-être plus prolixes, comme le montre cet exemple qui annonce une tragi-comédie de Georges de Scudéry, promet une représentation du Sganarelle ou le Cocu imaginaire de Molière et prévoit l’arrivée du Sertorius de Corneille, qui tombait dans le domaine public lors de son impression le 8 juillet 1662 : « LES COMEDIENS DE SON ALTESSE SERENISSIME MONSEIGNEUR LE PRINCE [de Condé]. NOus ne pouvons pas mieux faire connoistre l’envie que Nous avons de plaire à tout le beau Monde, dont tous les jours Nous sommes honorez de la presence, qu’en leur donnant aujourd’huy 16. Novembre une magnifique Representation de l’Incomparable EUDOXE de Mr DE SCUDERY. La vertu de cette Grande Princesse est si approuvée, qu’elle doit servir d’exemple à toutes les Dames, et les obliger de venir à sa representation, dont sans doute Elles remporteront une satisfaction entiere. Ensuite vous aurez la Comedie du COCU IMAGINAIRE, qui vaudra seul la Piece de vingt sols. En attendant le Grand SERTORIUS. C’est au Lieu ordinaire à trois heures précises » (Chevalley, Molière en son temps, p. 158). 449 C’est-à-dire, les premières démarches. Cette description semble présupposer que l’orateur et le directeur de la troupe sont une seule et même personne. a ne sont plus guere en usage b [nouveau paragraphe] c il seroit, semble-t-il, de la fonction d Ce seroit à luy d’en faire e sa voix, elle pourroit estre suivie, et l’on pourroit avoir de la deference pour ses avis, quand on est persuadé <?page no="218"?> 218 Le Théâtre françois qu’il a du credit aupres des Grands. La Troupe se repose alors entierement sur ses soins, elle luy confie tous ses interests a , et il trouve de son costé de la gloire à la servir, ce qui luy tient lieu de recompense 450 . Voyons b 451 quels ont esté les Orateurs des trois Troupes, depuis que le Theâtre François est dans l’eclat. La c Troupe Royale a eu de suite deux Orateurs tres capables, Bellerose 452 et Floridor 453 , l’un et l’autre inimitables dans leurs caracteres, et qui ont excellé dans les roles tendres et passionnez d . Quand e ils venoient annoncer, [f° 98 r°/ p. 177] toute l’Assemblée f prestoit un tres grand silence, et leur compliment court et bien tourné estoit écouté avec autant de plaisir qu’en avoit donné la Comedie. Ils produisoient chaque jour quelque trait nouveau qui reveilloit l’Auditeur, et marquoit la fecondité de leur esprit. Leurs expressions estoient naturelles, et soit dans l’Annonce, soit dans l’Affiche, ils se montroient 450 La série de conditionnels et d’autres restrictions introduits dans les variantes du texte imprimé marque l’incertitude de Chappuzeau en 1674 concernant la pratique du rôle de l’orateur par rapport à la description un peu idéaliste fournie en 1673. Sur ce personnage clé du théâtre classique, voir W. Brooks, « Chappuzeau and the Orateur - A Question of Accuracy », Modern Language Review, 81 (1986), pp. 305-317, et C. J. Gossip, « The Orateur in Seventeenth-Century French Theatre Companies », Modern Language Review, 101 (2006), pp. 691-700. 451 On laisse au lecteur le soin de juger de la validité de la décision prise par Chappuzeau en 1674 de renvoyer à un appendice la liste des orateurs des théâtres parisiens. 452 Voir les notes 189 et 367. 453 Voir les notes 242 et 371. a aupres des Grands. Quand cela se rencontre, la Troupe se repose sur ses soins, elle luy confie ses interests b [la phrase « Voyons … » est remplacée par le paragraphe suivant : ] Je donnerois icy la suite des Orateurs qui ont paru jusques à cette heure sur les Theâtres de Paris, et parlerois du merite de chacun, si je ne craignois de blesser la modestie de ceux qui vivent ; sans d’autres raisons qui m’imposent silence sur article, que je reserve à une autre ocasion. c Dans le texte imprimé, ce paragraphe et les deux suivants sont incorporés dans le chapitre « Suite des Orateurs » (voir notre Appendice). Nous indiquons ici même les variantes de ces trois paragraphes tels qu’ils sont reproduits dans la « Suite ». d a eu de suite deux Illustres Orateurs, Bellerose et Floridor, qui ont esté tout ensemble de parfaits Comediens e [Les quatre phrases suivantes sont reproduites presque textuellement dans le paragraphe précédent de l’édition de 1674 (voir la variante b de la p. 216 ci-dessus : « court. […] dans les esprits. Mais »). Chappuzeau reprend une partie des mêmes termes dans la « Suite des Orateurs ».] f tout l’Auditoire <?page no="219"?> Livre Troisiéme 219 modestes dans le[s] eloges que la coûtume veut que l’on donne à l’Autheur et à son ouvrage, et à la Troupe qui le doit representer. Quand ces eloges excedent, on s’imagine que l’Orateur en veut faire acroire, et l’on est moins persuadé de ce qu’il tasche d’insinuer dans les esprits. J’ay parlé plus haut des autres belles qualitez de ces deux Illustres Orateurs, au dernier desquels Hauteroche 454 a succedé, ses Camarades le voulant bien de la sorte, et a il s’aquite dignement de cet employ. Il a beaucoup d’etude et beaucoup d’esprit, il écrit bien en prose et en vers, et a produit [f° 98 v°/ p. 178] plusieurs Pieces de Theatre et autres b ouvrages qui luy ont aquis de la reputation. Quatre Illustres Orateurs ont paru de suite dans la Troupe du Marais, Mondori, Dorgemont, Floridor et la Roque. Mondori 455 l’un des plus habiles Comediens de son tems mourut de trop d’ardeur qu’il aportoit à s’aquiter de son rôle. Dorgemont 456 luy succeda, qui estoit bien fait et tres capable dans sa profession, qui parloit bien et de bonne grace, et dont l’on estoit fort satisfait. Floridor le suivit, et entra en 1643. dans la Troupe Royale, où il parut avec éclat, et tel que je l’ay depeint. La Roque 457 remplit sa place en la charge d’Orateur, qu’il a exercée vingt sept ans de suite, et l’on peut dire qu’il c a soûtenu le Theâtre du Marais jusques à la d fin par sa bonne conduite et par sa bravoure, ayant donné de belles marques de l’une et de l’autre dans des temps difficiles où la Troupe a couru [f° 99 r°/ p. 179] de grands dangers. Comme il est connu du Roy qui luy a fait des graces particulieres, et que ses bonnes qualitez luy ont aquis de l’estime à la Cour et à la Ville, il s’est servi avec joye de ces avantages pour le bien commun du Corps, qui luy abandonnoit la conduite des affaires, et comme il est genereux, l’interest public l’a toûjours emporté sur e son interest particulier. Avant les defences étroites du Roy à toutes sortes de personnes 454 Voir les notes 275 et 295. 455 Voir les notes 269 et 380. Ici Chappuzeau confond Montdory avec Zacharie Jacob Montfleury (voir les notes 190 et 381), qui mourut d’apoplexie en décembre 1667 en interprétant la folie d’Oreste dans Andromaque. 456 Voir la note 369. 457 Voir la note 344. Renaud Petitjean, dit La Rocque, fut orateur de la troupe du Marais de 1647 jusqu’à la fermeture du théâtre en 1673 lors de la jonction avec ce qui restait de la troupe de Molière. a de leur esprit, et j’ay parlé au troisiéme Livre des belles qualitez de ces deux Illustres. Hauteroche a succedé au dernier, ses camarades qui y ont le méme droit, le voulant bien de la sorte, et b d’autres c l’on peut dire sans fâcher personne qu’il d jusqu’à la e emporté en luy sur <?page no="220"?> 220 Le Théâtre françois d’entrer à la Comedie sans payer 458 , il arrivoit souvent de grandes quereles aux Portes, et jusques dans le Parterre ; et en quelques rencontres il y a eu des Portiers tuez 459 , et de ceux aussi qui excitoient le tumulte. La Roque pour appaiser ces desordres, et maintenir les Comediens et les Auditeurs dans le repos s’est exposé à divers perils, et attiré de tres mechantes affaires sans en craindre le succez, montrant [f° 99 v°/ p. 180] autant d’adresse et d’esprit qu’il a toûjours 458 Les désordres à l’intérieur des théâtres, surtout dans le parterre, ainsi qu’à l’extérieur, devant les portes et dans les alentours, sont régulièrement signalés et condamnés au XVII e siècle. Les pages et laquais, ainsi que les soldats, sont souvent identifiés comme étant la cause de bagarres ou de tentatives d’entrer dans la salle sans bourse délier. Des ordonnances royales, promulguées pour rétablir le calme, sont nombreuses mais sans doute inefficaces. Les années 1672 et 1673 semblent avoir été particulièrement difficiles. Le 9 octobre 1672, une émeute survint au Palais-Royal pendant une représentation de L’Amour médecin lorsque « plusieurs pages, gens de livrées et autres firent insulte à un homme d’espée auquel ilz donnerent quantité de coups de baston desquels il est griefvement blessé et mesme jetterent plusieurs pierres aux acteurs qui jouent la commedie » (Cent ans, pp. 532-533). Même atmosphère dans les premiers jours de janvier 1673 lorsqu’une bande de « personnages sans employ, portant l’épée, qui ont en diverses occasions excité des désordres considérables en la ville », se proposa d’attaquer l’Hôtel de Bourgogne « avec la dernière témérité et un grand scandale, […] estant armez de mousquetons, pistolets et épées devant la salle » (Deierkauf-Holsboer, Hôtel de Bourgogne, t. II, p. 147). La déclaration royale du 9 janvier 1673, reproduite par Chappuzeau à la fin de son texte et par Deierkauf-Holsboer (Hôtel de Bourgogne, t. II, pp. 205-207), ne calma pas la situation, tant et si bien que le 13 janvier des désordres survinrent au Palais-Royal pendant une représentation de Psyché, créés par des « gens d’espées au nombre de cinquante ou soixante dans ledict parterre qui, en effect, temoignent par leurs gestes et parolles interrompre et troubler [les comédiens] » (Cent ans, p. 543). Cela explique pourquoi les théâtres employaient de temps en temps des soldats pour renforcer la sécurité fournie par les portiers et autres employés. Le Registre de La Grange montre que la troupe de Molière inscrivait dans ses frais ordinaires 15 livres par représentation pour « un sergent et douze soldats aux gardes » en 1662 (t. I, p. 47), 12 livres pour des soldats en 1664 (t. I, p. 64) et 15 livres en 1671 (t. I, p. 126). Le Registre d’Hubert indique que des gardes étaient présents pour dix-huit représentations au Palais-Royal entre le 30 septembre et le 13 novembre 1672, puis de nouveau entre le 24 janvier et le 10 février et du 24 au 28 février 1673 (éd. S. Chevalley, Revue d’histoire du théâtre, 25 (1973), pp. 1-132 et 147-195 (pp. 63-80, 110-116 et 122)). Le 23 janvier 1674, au moment de l’impression du Théâtre françois, le Roi promulgua une ordonnance « adressée a Monsr de grandmaison Lieutenant Criminel de Robe Courte portant deffences mesmes aux officiers de la maison de S. Mté dentrer a la Comedie sans payer. Ce qui a tousjours esté executé depuis » (La Grange, Registre, t. I, p. 157). 459 Le 19 août 1668, par exemple, un portier fut tué au théâtre du Palais-Royal (Cent ans, p. 430). La même année, dans Le Parnasse réformé, Gabriel Guéret fait dire au dramaturge Jean Puget de la Serre que sa tragédie de Thomas Morus « s’est acquis <?page no="221"?> Livre Troisiéme 221 fait parêtre de cœur pour l’assoupissement de ces tumultes. Il s’est fait craindre des faux braves, et estimer de ceux qui estoient braves veritablement, suivant en cela les pas de ses freres, qui auroient passé pour des Illustres, s’ils avoient eu d’Illustres employs. Il a essuyé de la sorte cent fatigues en faveur de la Troupe qu’il aimoit, et quand il ne luy auroit esté utile qu’en ces deux articles de sa conduite et de son courage, il y en auroit eu assez pour le faire considerer comme le membre le plus utile du Corps. Mais il l’estoit encore en toutes les autres choses, et universellement il s’estoit rendu tres necessaire à la Troupe du Marais. Comme il a tres bonne mine et qu’il parle bien, il s’aquitoit de l’Annonce avec grand plaisir de l’Auditeur, et si l’on ne peut pas dire qu’il s’aquiteroit d’un rôle avec le méme succez 460 , on doit avoüer d’ailleurs qu’il sçait admirablement comme [f° 100 r°/ p. 181] il faut s’en aquiter a , et que plusieurs des meilleurs Comediens de Paris ont receu de luy des services considerables par les utiles conseils qu’il leur a donnez dans leur profession. Il n’y a aussi personne à la Comedie qui juge mieux que luy du merite d’une piece, ni qui en puisse plus seurement prevoir le succez ; ce qui est un grand article pour ne pas tomber dans le malheur de produire un ouvrage qui fust rebuté. Je parle de la Roque comme d’une personne morte avec le Theatre du Marais, qui devoit avoir un méme sort avec luy : mais il revit depuis deux b mois 461 une reputation que toutes les autres Comedies du temps n’avoient jamais euë ». Et la Serre de poursuivre, d’un ton de fanfaron : « Le Palais Royal étoit trop petit pour contenir ceux que la curiosité attiroit à cette Tragedie. On y süoit au mois de Decembre, et l’on tua quatre portiers de compte fait la premiere fois qu’elle fut joüée. Voila ce qu’on appelle de bonnes pieces : Monsieur Corneille n’a point de preuves si puissantes de l’excellence des siennes, et je luy cederay volontiers le pas quand il aura fait tuer cinq Portiers en un seul jour » (seconde édition, Paris : T. Jolly, 1669, p. 42). 460 Nous savons que parmi les rôles interprétés par La Rocque étaient ceux de Cléonte dans le Policrate de Boyer et de Jupiter dans Les Amours de Vénus et d’Adonis, pièce à machines de Donneau de Visé (Robinet, Lettres en vers à Madame, 25 janvier et 8 mars 1670). Comme à son habitude, le gazetier ne débite que des remarques générales, uniformément extatiques. Le panégyrique de La Rocque fourni dans ce paragraphe nous offre une rare évaluation d’un comédien important mais peu commenté dont les coordonnées viennent seulement d’être élucidées (voir la note 344). 461 Au théâtre de l’Hôtel Guénégaud qui, suivant la déclaration royale du 23 juin 1673, ouvrit ses portes le 9 juillet 1673 avec une représentation de Tartuffe. Le manuscrit du Théâtre françois date donc de septembre 1673, le texte imprimé (voir la variante b ci-dessus) de janvier 1674. Le permis d’imprimer est du 22 janvier 1674. a il faut s’en demesler b comme d’une personne que tout le monde sçait avoir esté un tres ferme apuy du Theâtre du Marais, d’où il a passé depuis six <?page no="222"?> 222 Le Théâtre françois avec plusieurs de ses Camarades dans la Troupe du Roy, qui se trouvera toûjours bien de ses bons avis. La Troupe du Palais Royal a eu pour son premier Orateur l’Illustre Moliere, qui six ans avant sa mort 462 fut bien aise de se decharger [f° 100 v°/ p. 182] de cet employ, et pria La Grange 463 de remplir sa place. Celuycy s’en est toûjours aquité tres dignement jusqu’à la rupture entiere de la Troupe du Palais Royal, et il continue de l’exercer avec grande satisfaction des Auditeurs dans la nouvelle Troupe du Roy. Quoy que sa taille ne passe guere la mediocre, c’est une taille bien prise, un air libre et degagé, et sans l’oüir parler sa personne plaist beaucoup. Il passe avec justice pour tres bon Acteur, soit pour le serieux, soit pour le Comique, et il n’y a point de rôle qu’il n’execute tres bien. Comme il a beaucoup de feu, et de cette honneste hardiesse necessaire à l’Orateur, il y a du plaisir à l’ecouter quand il vient faire le compliment, et celuy dont il sceut regaler l’Assemblée il y a deux mois à l’ouverture a du Theatre de la Troupe du Roy, estoit dans la [f° 101 r°/ p. 183] derniere justesse. Ce qu’il avoit bien imaginé 464 fut prononcé avec une merveilleuse grace, et je ne puis enfin dire de luy que ce que j’entens dire à tout le monde, qu’il est tres poli et dans ses discours, et dans toutes ses actions. Mais il n’a pas seulement succedé à Moliere dans la fonction d’Orateur, il luy a succedé aussi dans le soin et le zele qu’il avoit pour les interests communs, et pour toutes les affaires de la Troupe, ayant tout ensemble de l’intelligence et du credit 465 . 462 En fait, huit ans. Le 14 novembre 1664 La Grange (Registre, t. I, p. 70) remplaça Molière, qui mourut le 17 février 1673. 463 Voir la note 316. La Grange fut orateur durant toute l’existence du théâtre de l’Hôtel Guénégaud (1673-1680) et garda cette fonction après la création de la Comédie-Française. 464 Le « compliment » fut donc bien préparé pour un événement si important. On rappelle les mots de Chappuzeau vers le début du chapitre : « Le plus souvent [l’orateur] le fait court, et ne le medite point, et quelquefois aussi il l’étudie, quand ou le Roy, ou Monsieur, ou quelque Prince du sang se trouve present ». 465 On dit souvent que la description de Molière fournie par La Grange et Vivot dans la Préface des Œuvres de 1682 (Paris : D. Thierry, C. Barbin et P. Trabouillet) pourrait s’appliquer à La Grange lui-même : « il se fit remarquer à la Cour pour un homme civil et honneste, ne se prevalant point de son merite et de son credit, s’accommodant à l’humeur de ceux avec qui il estoit obligé de vivre, ayant l’ame belle, liberale ; en un mot, possedant, et exerçant toutes les qualitez d’un parfaitement honneste-homme ». a l’assemblée à l’ouverture <?page no="223"?> Livre Troisiéme 223 L. Distinction des Officiers du Theatre Officiers du Theatre Les Officiers dont j’ay à parler doivent se distinguer en deux classes. Car il y a a de hauts Officiers qui sont ordinairement du Corps de la Troupe, qui ne tirent point de gages, et qui se contentent de l’honneur de leurs charges et de l’estime qu’on fait de leur probité. [f° 101 v°/ p. 184] Ce sont le Tresorier, le Secretaire et le Contrôleur. Il y aussi de bas Officiers tirans gages de la Troupe, qui sont le Concierge, le Copiste, les Violons, le Receveur au Bureau, les Contrôleurs des portes, les Portiers, les Decorateurs, les Assistans, les Ouvreurs de Loges, de Theatre et d’Amphitheatre ; le Chandelier, l’Imprimeur, et l’Afficheur. A quoy l’on pourroit ajoûter les Distributrices de Limonades et autres liqueurs, qui ne tirent point de gages : mais qui payent plutost un gros tribut à l’Estat, à moins que par une faveur singuliere on ne les en veuille decharger. Prenons chacun de ces Officiers à part, et voyons quelles sont leurs fonctions. LI. Hauts Officiers qui ne tirent point de gages Hauts Officiers Qui ne tirent point de gages. Le Tresorier assiste ordinairement aux Comptes avec le Secretaire et le Contrôleur, il [f° 102 r°/ p. 185] garde b les deniers de la Communauté, et les distribue selon qu’il est necessaire. Ces deniers sont toûjours les premiers levez sur la recete de la Chambrée apres les frais journaliers, et quelquefois ces frais la payez, la Chambrée entiere est remise au Tresorier, sans qu’il se partage rien entre les particuliers. Car enfin ce petit Estat a comme d’autres ses necessitez, le Public n’est pas riche, mais il se trouve des gens c qui au besoin luy font des avances, et qui en sont fidelement remboursez. C’est pour de pareils remboursemens, pour le payement des Autheurs, pour de nouvelles machines, pour des loüages, pour des reparations et d’autres choses de cette nature qu’on met des deniers à part, et le Tresorier qui en est depositaire tire des a en deux classes. Il y a b Contrôleur, garde c il se trouve de riches particuliers, qui <?page no="224"?> 224 Le Théâtre françois billets de toutes les sommes qu’il delivre pour en rendre conte tous les mois selon l’ordre établi dans cette Communauté 466 . [f° 102 v°/ p. 186] Le Secretaire tient le Registre a , et couche dessus la recette du jour, et la distribution des frais. Il reçoit le conte de celuy qui donne les billets au bureau, et qui aporte l’argent à l’issue de la Comedie. Il a soin aussi d’écrire les noms des personnes qui entrent dans la Troupe, et de marquer à quelles conditions ils y sont receus. Ces deux charges de Tresorier et de Secretaire sont souvent exercées par une méme personne, qui peut seule en faire les fonctions 467 . Le Contrôleur est present aux Comptes, et écrit de sa main sur le Registre ce qui se tire d’argent pour le coffre de la Communauté, qui demeure entre les mains du Secretaire ou du Tresorier. Dans la Troupe du Marais les deux clefs qui ouvroient deux differentes serrures estoient gardées par des particuliers de la Compagnie pour eviter tout abus : mais cela [f° 103 r°/ p. 187] ne se pratique point dans b aucune des deux Troupes, et il y a tant de bonne foy entre les Comediens, qu’il ne se trouve jamais entre eux un sou de méconte 468 . 466 Voir la note 250 et le chapitre XXIX du Livre III. Les frais d’exploitation, prélevés sur la recette avant distribution, étaient considérables : 5.000 écus, soit 15.000 livres par an à l’Hôtel de Bourgogne et au théâtre de l’Hôtel Guénégaud, selon Chappuzeau (voir les chapitres XLVIII et LIII du Livre III). Ces frais comportaient : loyer de la salle, décors, musiciens, gages des autres « bas officiers » (voir plus loin) et, sur le modèle institué à Hôtel de Bourgogne en 1664, le financement de pensions insaisissables pour les comédiens et comédiennes à la retraite (coût transféré plus tard aux successeurs de ces retraités), sans parler des droits d’auteur qui remplaçaient les prix forfaitaires offerts aux écrivains de la première moitié du XVII e siècle. Le Registre de La Grange rapporte dans le menu détail le calcul de ces frais et l’organisation des emprunts qui étaient souvent nécessaires, ainsi que le recrutement et le départ de comédiens dont il est question dans le paragraphe suivant. 467 J. Clarke (Guénégaud, t. I, p. 135) dit par erreur que c’étaient les rôles de secrétaire et de contrôleur qu’on pouvait cumuler. Les « conditions » concernaient surtout l’attribution d’une part ou fraction de part du bénéfice net de chaque représentation (voir le chapitre XIV du Livre III). 468 On ne peut qu’admirer l’optimisme sans bornes de Chappuzeau, pourtant lui aussi auteur dramatique et donc client de comédiens. a tient Registre b ne se pratique aujourd’huy dans <?page no="225"?> Livre Troisiéme 225 LII. Bas Officiers, et a leurs fonctions Bas Officiers Qui tirent des gages. Les Bas Officiers portent entre les Comediens le nom de Gagistes 469 , parce qu’ils tirent des gages, qui leur sont ponctuellement payez, et il n’y a point de Communauté au monde plus reguliere que la leur en cet article. Les premiers deniers sont toûjours pour eux, et ils sont servis avant les maîtres, ce qui les oblige de bien faire leur devoir. Il n’est pas necessaire d’aller jusqu’au detail de leurs gages 470 . Le Concierge a soin d’ouvrir l’Hostel et de le fermer, de le tenir propre et en bon ordre, et apres la Comedie de visiter exactement [f° 103 v°/ p. 188] par tout, de peur d’accident du feu 471 . Le Coppiste est commis aux Archives pour la garde des originaux des Pieces, pour en copier les rôles, et les distribuer aux Acteurs 472 . Il est de sa charge de tenir la piece à une des aîles du Theâtre tandis qu’on la represente, et d’avoir toûjours les yeux dessus pour relever l’Acteur s’il tombe en quelque defaut de memoire ; ce qui dans le style des Colleges s’apelle soufler 473 . Il faut pour cela 469 « Terme de Comédien. Bas oficiers à qui les Comédiens donnent des gages, comme sont le concierge, le copiste et autres » (R.). « Il ne se dit que des valets de Comediens, comme portiers, decorateurs, souffleurs, &c » (F.). 470 Dans la troupe du Palais-Royal, les tarifs indiqués par le Registre de La Grange sont de l’ordre de 1 livre 10 sols pour un concierge, un ouvreur de loges, un assistant (figurant) ou un violon, 3 livres pour le receveur, 3 livres 15 sols pour un portier, 4 livres 10 sols pour un décorateur. 471 Il sera question plus loin de muids ou tonneaux d’eau et de seaux tenus en réserve pour combattre le feu. Le théâtre du Marais fut détruit par un incendie le 15 janvier 1644, la salle reconstruite ouvrant ses portes dès le mois d’octobre. Les théâtres parisiens (Palais-Royal, Guénégaud …) contribuaient régulièrement à l’ordre des Capucins. Jusqu’au XVIII e siècle, les casernes n’existaient pas : les soldats étaient logés chez l’habitant, de force. Les seuls hommes vivant en communauté dans les villes furent les premiers ordres urbains, dont les Franciscains et les Capucins, qui appartenaient à la même famille et que les tâches matérielles ne rebutaient pas. Ils furent ainsi, dans toutes les villes où ils se trouvèrent implantés, les premiers soldats du feu. 472 Pour les pièces nouvelles, donc manuscrites, et sans doute pour les pièces dejà imprimées aussi, chaque acteur et actrice recevait donc le texte de son seul rôle plutôt que la pièce entière. 473 Le mot est reconnu par les dictionnaires de Richelet (1680) et de Furetière (1690) comme indiquant l’acte de relever une personne qui parle en public et qui hésite. Mais ce n’est que dans le Dictionnaire de l’Académie Française (1694) qu’on le trouve a Bas Officiers apellez Gagistes, et <?page no="226"?> 226 Le Théâtre françois qu’il soit prudent, et sçache bien discerner quand l’Acteur s’arreste à propos, et fait une pose 474 necessaire, pour ne luy rien suggerer alors, ce qui le troubleroit au lieu de le soulager. J’en ay veu en de pareilles rencontres crier au soufleur trop pront, de se taire, soit pour n’avoir pas besoin de son secours, soit pour faire voir qu’ils sont seurs de leur memoire, quoy qu’elle [f° 104 r°/ p. 189] pust leur manquer. Aussi faut il que celuy qui suggere, s’y prenne d’une maniere, qu’il ne soit, s’il est possible, entendu que du Theatre 475 , et que sa voix ne se puisse a porter jusqu’au Parterre, pour ne donner pas sujet de rire à de certains Auditeurs qui rient de tout, et font des eclats a quelques endroits de Comedie, où d’autres ne trouveroient pas matiere de desserrer seulement les b levres. Aussi ay-je connu des Acteurs qui ne s’atendent jamais à aucun secours, qui se fient entierement à leur memoire, et qui à tout hazard aiment mieux sauter un vers, ou en faire un sur le champ. Il y a entre eux des memoires tres heureuses, et il se trouve des Acteurs qui sçavent par cœur la piece entiere, pour ne l’avoir oüie que dans la Lecture et dans les repetitions. Si quelqu’un de ceux qui sont avec luy sur le Theatre vient [f° 104 v°/ p. 190] à s’egarer, ils le remettent dans le bon chemin : mais adroitement c , et sans qu’on s’en aperçoive. J’ay remarqué que les femmes ont la memoire plus ferme que les hommes : mais je les crois trop modestes pour vouloir soufrir que j’en dise autant de leur jugement. Les Violons sont ordinairement au nombre de six, et on les choisit des plus capables 476 . Cydevant on les plaçoit ou derriere le Theatre, ou sur les aîles, ou comme un terme de comédien : « On dit, Souffler quelqu’un, pour dire, Lire bas à quelqu’un, qui parle en public, les endroits de son discours où la memoire lui manque. Souffler le Predicateur. Il souffle les Comediens ». Comme nous avons vu, le rôle était quelquefois tenu par une femme (voir la note 350). 474 Orthographe acceptée dans R. ; F. exige « pause ». 475 C’est-à-dire, de la scène 476 Par « violons » on entendait « joueurs d’instruments à cordes » (violons, violes de gambe, basses de violons, etc). Aux débuts de Molière à Paris, l’orchestre était ordinairement composé de trois violons payés chacun 1 livre 10 sols par jour. En 1662 ce nombre fut porté à quatre, au prix de 6 livres (La Grange, Registre, t. I, pp. 18, 47). Pour la première des comédies-ballets de Molière, Les Fâcheux, donnée à Vauxle-Vicomte le 17 août 1661, puis à Fontainebleau, on suppose que la représentation exigea plus de luxe, plus de mise en scène, que lors de son transfert au Palais-Royal le 4 novembre 1661. La reprise du 20 avril 1663 au Palais-Royal nécessita six instruments à cordes, deux hautbois et un clavecin (Premier Registre de La Thorillière (1663-1664), éd. G. Monval, Paris : Librairie des bibliophiles, 1890, p. 10). Le Mariage a s’y prenne d’une voix, qui ne soit, s’il est possible, entendüe que du Theâtre, et qui ne se puisse b matiere d’entr’ouvrir les c dans le chemin, mais adroitement <?page no="227"?> Livre Troisiéme 227 dans un retranchement entre le Theatre et le Parterre, comme en une forme de Parquet 477 . Depuis peu on les met dans une des Loges du fond, d’où ils forcé, créé au Louvre, fut monté au Palais-Royal le 15 février 1664 « avec le ballet et les ornements » et accompagné de douze « violons », neuf danseurs, un chanteur, jusqu’à quatre hautbois, et deux tambours de basque (John S. Powell, Music and Theatre in France, 1600-1680, Oxford : Oxford University Press, 2000, p. 358). Suite à l’obtention par Lully le 13 mars 1672 d’un privilège de l’Académie royale de musique, lui accordant le monopole de l’emploi des instrumentistes et des chanteurs sur les théâtres, une ordonnance royale du 14 avril interdit à tous les comédiens exerçant à Paris de se servir dans leurs représentations de plus de six musiciens (c’est-à-dire chanteurs) et de plus de douze violons. Huit jours plus tard, le 22 avril 1672, une autre ordonnance signée Louis XIV révoqua cette autorisation, car cela « pouvoit apporter un préjudice considérable à l’exécution des ouvrages par le théâtre du Sr. Jean-Baptiste de Lully, Sur-Intendant de la Musique de Chambre de S. M., dont le Public a déjà reçu beaucoup de satisfaction ». La nouvelle limite imposée était de « deux voix et six violons ou joueurs d’instrumens », avec interdiction « de se servir d’aucuns musiciens externes et de plus grand nombre de violons pour les entractes et ni pareillement d’aucuns danseurs, même d’avoir aucun Orquestre [c’est-à-dire, fosse d’orchestre], à peine de désobéissance » (P. Mélèse, Le Théâtre et le public à Paris sous Louis XIV, 1659-1715, Paris : E. Droz, 1934, pp. 417-418). Cette réglementation draconienne aurait eu pour effet de porter atteinte aux comédiesballets de Molière. Néanmoins douze violons furent présents à la création du Malade imaginaire en ville en février 1673. Déjà en 1671 La Grange remarqua que la troupe avait décidé « davoir dorenavant a toutes sortes de representations tant simples que de machines un concert de douze Violons ce qui na esté executé quapres la representation de Psyche » (Registre, t. I, p. 125). Cf. la note 78. 477 L’emplacement des musiciens variait selon la période. Dans le procès-verbal des désordres survenus au Palais Royal le 13 janvier 1673 (voir la note 458), le commissaire au Châtelet aperçut « quelques gens d’espées à nous incognus, qui se seroient approchés dudit théâtre, lesquelz murmuroient et frappoient du pied en terre ; […] lesdits gens d’espées, autant qu’avons peu remarquer estre au nombre de vingt cinq ou trente de complot, auroient troublés lesdits chanteurs par des hurlemens, chansons derisionnaires et frappemens de piedz dans ledit parterre et contre les ays de l’enclos où sont les joueurs d’instrumens, ce qui les auroit obligé de cesser ». Cet « enclos » formé de planches de bois correspond-il au « retranchement » dont parle Chappuzeau ? Le terme « parquet » s’applique à une section du parterre munie de bancs, située entre le parterre proprement dit et l’orchestre dont il était séparé par une cloison (voir Clarke, Guénégaud, t. I, p. 76). Parlant de la tragédie-ballet Psyché, dansée devant le Roi dans la salle des Tuileries en janvier 1671, puis repris au Palais-Royal à partir de juillet 1671, La Grange (Registre, t. I, pp. 125-126) affirme que « Jusques icy les Musiciens et Musiciennes [chanteurs et chanteuses] navaient point voulu parooistre en public. Ils chantoient a la Comedie dans des loges grillées et treillissées, mais on surmonta cet obstacle, et avec quelque legere despance on trouva des personnes qui chanterent sur le Theastre a Visage descouvert habillez comme les Comediens ». <?page no="228"?> 228 Le Théâtre françois font plus de bruit que de tout autre lieu où on les pourroit placer 478 . Il est bon qu’ils sçachent par cœur les deux derniers [vers] de l’Acte, pour reprendre prontement la Symphonie, sans attendre que l’on leur crie Jouez, ce qui arrive souvent 479 . [f° 105 r°/ p. 191] Le Receveur au Bureau distribue à ceux qui viennent à la Comedie les billets dont il est chargé, et qu’il a receus par conte 480 . Il est responsable de tout l’argent qui se trouve faux ou leger, et ne doit pas estre ignorant en cette matiere. Il ne quite le Bureau que lorsque la Comedie est achevée, et il n’y en a qu’un pour toute la recette du Theatre, de l’Amphitheatre, des Loges et du Parterre. L’argent est porté d’abord au Tresorier, et s’il se trouve quelque espece où il y ayt du defaut, le Receveur, comme je l’ay dit a , la doit faire bonne, et on la luy rend 481 . Les Contrôleurs des Portes, qui sont deux, l’un b à l’entrée du Parterre, et l’autre à celle des Loges, sont commis à la distribution des billetz de contrôle, pour placer les gens qui se presentent aux lieux où ils doivent aller, selon la qualité des billets qu’ils aportent du Bureau [f° 105 v°/ p. 192] où ils les ont esté prendre. Ils ont soin aussi, que les Portiers facent leur devoir, qu’ils ne reçoivent de l’argent de qui que ce soit 482 , et qu’ils traitent civilement tout le monde. 478 Au théâtre de l’Hôtel Guénégaud le 14 juillet 1673, au lendemain de l’ouverture, on paya 18 livres 10 sols à des charpentiers qui avaient fait deux jours de travaux dans l’orchestre (Clarke, Guénégaud, t. I, p. 77). Mais les instrumentistes auraient bien pu se trouver de préférence dans une des loges au fond de la salle, en face de la scène (ou « Theatre »). 479 Comme le rideau de scène ne tombait pas à la fin des actes mais seulement à la fin de la pièce (voir la note 259), il fallait savoir où commençait chaque entracte. 480 « Compte » se prononçait et, souvent, s’écrivait « conte ». Par compte : au fur et à mesure. 481 Le receveur figura pour la première fois dans un acte notarié du 19 novembre 1657 (Deierkauf-Holsboer, Histoire de la mise en scène, p. 126). 482 M. de Blandimare à son neveu : « Tu ne crois point avoir failli en te faisant portier de comedie, ha certes voila une belle metamorphose, bien qu’elle ne soit pas dans Ovide, qui d’un gentilhomme de bonne maison, a fait en toy un voleur. […] le titre de voleur est une qualité annexee à celle de portier de comedie : et un homme fidelle de cette profession, est comme la pierre philosophale, le mouvement perpétuel, ou la quadrature du cercle ; c’est à dire, une chose possible et non trouvee » (G. de Scudéry, La Comédie des comédiens, acte I, sc. V). a j’ay dit b sont, l’un <?page no="229"?> Livre Troisiéme 229 Les Portiers en pareil nombre que les Contrôleurs, et aux mémes postes sont commis pour empescher les desordres qui pourroient survenir ; et pour cette fonction, avant les defences étroites du Roy d’entrer sans payer, on faisoit choix d’un Brave, mais qui d’ailleurs sceust discerner les honnestes gens d’avec ceux qui n’en portent pas la mine. Ils arrestent ceux qui voudroient passer outre sans billet, et les avertissent d’en aller prendre au Bureau, ce qu’ils font avec civilité, ayant ordre d’en user avec a tout le monde, pourveu qu’on n’en vienne à aucune violence. L’Hostel de Bourgogne ne s’en sert plus, à la reserve de la porte du Theâtre 483 , et en vertu de la Declaration [p. 193] du Roy, elle prend des soldats du Regiment de ses Gardes autant qu’il est necessaire, ce que l’autre Troupe qui a des Portiers peut faire aussi au besoin. C’est ainsi que tous les desordres ont esté bannis, et que le Bourgeois peut venir avec plus de plaisir à la Comedie 484 . Les Decorateurs doivent estre gens d’esprit, et avoir de l’adresse pour les enjolivemens du Theatre. Ils sont ordinairement deux, et toûjours ensemble pour les choses necessaires, et lorsqu’il s’agit de travailler à de nouvelles Decorations : mais pour l’ordinaire il n’y en a qu’un les jours que l’on represente, et ils ont le service alternatif. Tout ce qui regarde l’embellissement du Theatre depend de leur fonction ; et il est necessaire qu’ils entendent les machines, pour les faire joüer dans les Pieces qui en sont acompagnées, quand le [p. 194] Machiniste les a mises en estat 485 . C’est aussi à 483 La porte d’entrée du théâtre et pas celle de la scène, comme le croit J. Clarke (Guénégaud, t. I, p. 144). 484 Le célèbre frontispice de la Comédie des comédiens de G. de Scudéry, imprimée en 1635, montre l’extérieur d’un théâtre, avec le portier - pas excessivement costaud - muni d’une épée, accompagné d’un tambour qui aidait à attirer les spectateurs par ses proclamations et d’un Harlequin brandissant un sabre. Chaque page du Registre d’Hubert pour la saison 1672-1673 au Palais-Royal a une entrée « Gardes ». 485 Parmi les grands décorateurs attitrés du théâtre français du XVII e siècle on peut nommer Georges Buffequin (1585-1641), « artificier ordinaire du Roy », qui travaillait surtout à l’Hôtel de Bourgogne, en même temps, paraît-il, que Laurent Mahelot, auteur du célèbre Mémoire. Plus tard, l’Hôtel employait Michel Laurent, codécorateur avec François Dufort, alors que le théâtre du Marais profitait du travail de Denis Buffequin (né en 1616), fils de Georges et qui, en 1646, était « décorateur ingénieur du Palais Royal » pour les représentations privées données devant la cour (Howe, Le théâtre professionnel, p. 197). Sur l’assertion de Chappuzeau qu’une troupe avait normalement deux décorateurs, voir Le Mémoire de Mahelot, éd. Pasquier, pp. 44-45. Toute l’introduction de Pasquier, surtout les pp. 64-196, constitue une importante mise au point sur la scénographie à l’Hôtel de Bourgogne, au Marais et à l’Hôtel Guénégaud. a user envers <?page no="230"?> 230 Le Théâtre françois eux a à pourvoir de 486 deux Moucheurs pour les lumieres, s’ils ne veulent pas eux mémes s’employer à cet Office. Soit eux, soit d’autres, ils doivent s’en aquiter prontement pour ne faire pas b languir l’Auditeur entre les Actes ; et avec propreté pour ne luy donner pas c de mauvaise odeur 487 . L’un mouche le devant du Theatre, et l’autre le fond, et sur tout ils ont l’œil que le feu ne prenne aux toiles 488 . Pour prevenir cet accident, on a soin de tenir toûjours des muids pleins d’eau, et nombre de seaux, comme on d en Si les décorateurs du Palais-Royal (Mathieu, puis Jean Crosnier l’aîné) ont reçu des gages modiques, ceux du Marais, avec ses grands spectacles, étaient bien mieux rémunérés. Ainsi un accord signé le 24 décembre 1654 entre Denis Buffequin et les comédiens de la rue Vieille-du-Temple au sujet de la construction de machines pour une reprise de l’Andromède de Corneille stipule que « led. Buffequin se servira de tous les chassis, bois et toilles qui ont cy devant servy aux representations des pieces, de Circé, d’Orphée, et d’Ulysse » et qu’il « sera tenu travailler incessamment et sans discontinuation ausd. machines, et rendre le tout bien et duement faict et parfaict dans ung mois prochain », mais que la récompense sera généreuse, soit « tout ce qui proviendra et sera receu des particuliers qui viendront voir la representation de lad. piece pendant six jours tels que Buffequin vouldra choisir, apres toutefois que lesd. comediens auront pris ce qui provient des quatre premiers jours » (Deierkauf-Holsboer, Hôtel de Bourgogne, t. II, pp. 221-222). 486 Pourvoir de : pourvoir. Cf. la note 253 : fournir de. 487 A chaque entracte il fallait remplacer les bougies ou chandelles, qui ne duraient qu’une demi-heure environ avant de commencer à fumer. Voilà donc la longueur moyenne d’un acte de pièce de théâtre : entre 350 et 400 vers, ou l’équivalent en prose. Les chandelles étaient faites de suif et coûtaient moins que les bougies, faites de cire. Les moyens de chaque troupe auront dicté le choix qu’elle en aura fait. Cf. la note 78. 488 Pendant tout le XVII e siècle, les décors de théâtre étaient confectionnés de pièces de toile peinte, clouées ou collées à des châssis ou bâtis de bois. Ces décorations parfaitement inflammables devaient donc être protégées à tout moment contre les périls du feu. La scène elle-même était éclairée par des chandeliers, en bois ou plus tard en cristal, ou, surtout vers le début du siècle, par des chandelles insérées dans des plaques de fer attachées aux tapisseries. Il y avait peut-etre aussi une rampe pour aider à éclairer l’avant-scène. a en estat. Il est de leur fonction de faire retirer d’entre les aîles du Theâtre de certaines petites gens qui s’y viennent fourrer, et qui outre l’embarras qu’elles causent aux Comediens dans les entrées et les sorties, donnent une mechante figure au Theâtre, et blessent la vûe des Auditeurs ; ce qui ne se void guere que dans les Troupes de Campagne, qui ne peuvent pas faire toutes choses regulierement. C’est aussi aux Decorateurs b pour ne pas faire c ne luy pas donner d comme l’on <?page no="231"?> Livre Troisiéme 231 void dans les places publiques des Villes bien policées, sans attendre le mal pour courir à la riviere ou aux puits. Les restes des lumieres font partie des petits profits des Decorateurs 489 . Les Assistans 490 sont ordinairement quelques Domestiques des Comediens, à qui l’on donne ce que l’on juge à propos le jour qu’ils sont [f° 106 r°/ p. 195] employez. Dans les pieces de machines il y en a un grand nombre, et ce sont des frais extraordinaires qu’on ne sçauroit limiter. Les Ouvreurs de Loges et d’Amphitheâtre a 491 au nombre de quatre ou cinq doivent estre prompts à servir le monde, et donner aux gens de qualité les meilleures places qu’il leur est possible, comme ils en reçoivent aussi quelques douceurs 492 , ce qui ne leur est pas defendu. Le Chandelier doit fournir de bonnes lumieres, du poids, et de la longueur et grosseur qu’elle est commandée b . Il faut que la blancheur suive 493 , et que la matiere qu’il y employe n’ayt aucun defaut. Je ne parle point des lumieres extraordinaires, parce qu’on n’en peut fixer la quantité, non plus que le temps où on les doit employer. Quand le Roy vient voir les Comediens, ce sont ses Officiers qui fournissent les bougies 494 . L’Imprimeur doit rendre le lendemain [f° 106 v°/ p. 196] du jour qu’on a annoncé, et de grand matin, le nombre ordinaire d’affiches bien imprimées En plus de la scène, la salle restait éclairée pendant toute la représentation. Bien que Chappuzeau ne parle pas de cette partie du bâtiment, mais uniquement du plateau (ou « Theatre »), le mouchage des chandelles dans la salle devait s’effectuer tout aussi rapidement. 489 Loin d’être un « haut » officier chargé uniquement de la conception, exécution et plantation des décors, le décorateur attitré devait vaquer un peu à tout, y compris, au moins à la campagne (voir la variante a de la page précédente), l’expulsion d’intrus qui envahissaient les coulisses et dont la présence non seulement entravait la libre circulation des comédiens mais portait atteinte à l’appréciation des décorations de la part des spectateurs (« certaines petites gens […] blessent la vûe des Auditeurs »). La rémunération d’un décorateur était augmentée par l’octroi des bouts de chandelle, preuve d’un rang social assez modeste. Des décorateurs spécialisés et plutôt mieux payés étaient employés dans la préparation des grands spectacles. Voir la note 485. 490 Des figurants, remplissant des rôles muets. 491 La variante rappelle la présence sur scène de membres de la noblesse. 492 Douceur : « Petit profit qu’on donne à quelqu’un pour reconnoitre la peine qu’il a prise » (R.). 493 Suivre : résulter, s’ensuivre 494 Voir la note 246. a Les Ouvreurs de Loges, de Theâtre et d’Amphiteâtre b qu’elles sont commandées <?page no="232"?> 232 Le Théâtre françois sur de bon papier, l’original luy en ayant esté envoyé des le soir par celuy qui annonce, et qui a acoûtumé de les dresser 495 . L’Afficheur doit être ponctuel à afficher de bonne heure à tous les carrefours et lieux necessaires qui luy sont marquez 496 . Les affiches sont rouges pour l’Hostel de Bourgogne, vertes pour l’Hostel de la rue Mazarine, et jaunes pour l’Opera 497 . Il a y aussi un homme etabli pour tenir nette la place devant la porte de chaque Hostel, et il b en va à peu pres de la méme sorte dans tous les deux pour tous ces articles c . LIII. A quoy monte tous les ans la depense ordinaire de chaque Hostel Les gages des Officiers, comme je l’ay remarqué, leur sont payez exactement tous les soirs à l’issue de la Comedie, et preferablement à toutes les autres necessitez de l’Estat ; et en contant le loüage de l’Hostel avec plusieurs menus frais, la depence ordinaire de chaque Troupe tous les ans passe [f° 107 r°/ p. 197] quinze mille livres 498 . 495 La plupart des pièces de l’époque ne tenaient l’affiche que pour quelques représentations. Le rythme normal de trois représentations par semaine laissait très peu de temps pour la publicité imprimée (par affiche) ou orale (par annonce/ harangue dans le théâtre ou par proclamation dans les rues). 496 Au milieu du XVIII e siècle, il y avait à Paris cent soixante-quinze endroits, bien précisés, où on posait les affiches de théâtre : très peu dans les quartiers populaires, près de l’Université ou aux alentours de Notre-Dame, mais nombreux dans le Marais, en centre-ville autour du Louvre et du Palais-Royal, et dans les faubourgs alors en pleine expansion de Saint-Germain et de Saint-Honoré. Voir F. de Dainville, « Les lieux d’affichage des comédiens à Paris en 1753 », Revue d’histoire du théâtre, III (1951), pp. 248-255. Il nous manque des renseignements correspondant aux années 1630 à 1670, l’époque du Théâtre françois. 497 Cette codification par couleurs s’appliquait donc aux trois salles parisiennes existant en 1673-1674 et utilisées pour des spectacles de langue française : l’Hôtel de Bourgogne, le Guénégaud et l’Académie royale de musique. Dès août 1674 au moins, le Guénégaud allait employer, en plus, des affiches noires pour signaler les annulations (Clarke, Guénégaud, t. I, p. 152). Un autre système d’identification était en vigueur dans les années 1650-1660 : l’impression du texte de l’affiche à l’encre rouge pour annoncer le spectacle du jour, à l’encre noire pour celui du lendemain (voir C. Nuitter, « Les affiches des spectacles au temps de Molière », Le Moliériste, t. II, n° XVI (1 er juillet 1880), pp. 99-107 (p. 105)). 498 Voir les notes 250 et 466. a [pas de nouveau paragraphe] b Hostel, il c articles, et la difference n’y est pas grande. <?page no="233"?> Livre Troisiéme 233 LIV. Grans frais dans les pieces de machines Pour ce qui est des frais dans les Pieces de Machines, qui ne se peuvent joüer qu’à l’Hostel de la Troupe du Roy, parce que a le Theatre est large et profond 499 , il n’y a rien de reglé : mais on se peut aisement imaginer qu’ils sont grands, et c’est ce qui oblige les Comediens de prendre le double 500 , parce qu’il y a pour eux le double de depence, et le double de plaisir pour l’Auditeur. LV. Distributrices des douces Liqueurs Il me reste à dire un mot de la Distributrice des liqueurs et des confitures 501 , qui occupe deux places, l’une pres des Loges, et l’autre au Parterre où elle se tient, donnant la premiere à gouverner par commission. Ces places sont ornées de petits lustres, de quantité de beaux vases et de verres de crystal. On y tient l’Esté toutes sortes de liqueurs qui rafraîchissent, des Limonades, de 499 La scène du théâtre de l’Hôtel Guénégaud avait 30 pieds (9,75 m.) de large. La profondeur n’est pas connue, mais la scène du Palais-Royal, qui avait la même largeur que celle du Guénégaud, mesurait 8,5 toises (16,6 m.) en profondeur (Clarke, Guénégaud, t. I, pp. 98-99). C’est là où l’Académie royale de musique s’installa en juin 1673. La scène de l’Hôtel de Bourgogne, après la restauration de 1647, avait 7 toises (13,6 m.) de largeur et 7 toises 1 pied (13,9 m.) de profondeur (D. H. Roy, « La scène de l’Hôtel de Bourgogne », Revue d’histoire du théâtre, XIV (1962), pp. 227-235). Dans tous les cas, les dimensions du plateau utilisable étaient plus restreintes. Pour la largeur, il fallait déduire les coulisses, un espace égal à la profondeur des loges de côté (soit 1 toise ou 1,944 m.) de part et d’autre de la salle. 500 Chappuzeau se trompe. L’analyse détaillée des finances du théâtre de l’Hôtel Guénégaud effectuée par J. Clarke indique que la troupe employait le prix au double pour les pièces à machines de la même manière que pour les pièces normales, c’est-à-dire pendant les premières représentations d’une pièce nouvelle et jusqu’à l’épuisement de l’intérêt du public. Sur les prix des billets, voir Clarke, Guénégaud, t. I, pp. 190-195. 501 Last but not least, Chappuzeau arrive à l’essentiel : comment étancher la soif du spectateur. La présence de distributrices de boissons est constatée à l’Hôtel de Bourgogne dès le 16 octobre 1621 lors de la signature d’un bail entre la Confrérie de la Passion et Jehan-Baptiste Andreini et ses compagnons : « Et outre seront tenus de souffrir et endurer a la veuve Dollin mettre au parterre du dict hostel jusques a douze scabeaux en tel lieu qu’elle pourra et vendre par elle macquarons, pain, vin et autre chose » (Deierkauf-Holsboer, Hôtel de Bourgogne, t. I, p. 199). Escabeau : « Siege de bois assez haut élevé sur quatre piez. On ne sert plus guere ni d’escabelle, ni d’escabeau qui ne sont présentement que des meubles de pauvres provinciaux, ou de cabartiers » (R.) a Troupe du Roy rüe Mazarine, parce que <?page no="234"?> 234 Le Théâtre françois l’aigre de cedre 502 , des eaux de fram[f° 107 v°/ p. 198]boise, de groseille et de cerise, plusieurs confitures seches 503 , des citrons, des oranges de la Chine 504 ; et l’hyver on y trouve des liqueurs qui rechaufent l’estomac, du Rosolis 505 de toutes les sortes, des vins d’Espagne, de la Scioutad 506 , de Rivesalte 507 et de S t Laurens 508 . J’ay veu le temps que l’on ne tenoit dans les memes lieux que de la biere et de la simple ptisane 509 , sans distinction de Romaine, ni de citronnée : mais tout va en ce monde de bien en mieux, et de quelque costé que l’on se tourne, Paris ne fut jamais si beau ni si pompeux qu’il l’est aujourd’huy. Ces Distributrices doivent estre propres et civiles, et sont necessaires à la Comedie, où chacun n’est pas d’humeur à demeurer trois heures sans se réjoüir le goust par quelque douce liqueur ; mais elles ne peuvent entrer dans le rang des Officiers, parce qu’elles ne tirent point de gages des Comediens, et qu’au contraire elles leur [f° 108 r°/ p. 199] rendent tous les ans de leurs places dans chaque Hostel jusqu’à huit cens Livres. Il est vray que la Troupe Royale a voulu gratifier pour toûjours de cette somme la Distributrice qu’elle a receue depuis peu dans son Hostel 510 ; elle ne paye rien, et cet avantage considerable luy a esté acordé de bonne grace en faveur a d’un de ses proches parens qui est de la Troupe, et en toutes manieres un tres excellent Comedien. Je feray suivre icy deux declarations du Roy en faveur de l’une et de l’autre Troupe. 502 « Un breuvage un peu aigret qui se fait avec du citron et du sucre » (F.). 503 « Les confitures seches s’emportent dans la poche » (F.). 504 Orange : « Il y en a d’aigres, et de douces qu’on appelle de Portugal ou de la Chine » (F.). 505 Rossolis : « Se prend communément pour une liqueur agreable qu’on sert à la fin du repas, qui aide à la digestion. Elle est composée d’eau de vie bruslée, de sucre, de canelle, et quelquefois parfumée. Le rossolis de Turin est le plus estimé »(F.). 506 C’est-à-dire, La Ciotat, près de Marseille. Le chasselas Cioutat (sic) est un raisin blanc, semblable au Muscat. 507 Le Rivesaltes est un vin doux naturel du Roussillon. Les vins liquoreux de la région étaient pratiquement les seuls à être exportés vers la capitale. Ils supportaient mieux le voyage, leur goût était unique et leur prix, élevé, permettait de compenser le prix du transport, très onéreux à l’époque. 508 Saint-Laurent-de-la-Salanque, centre de viticulture à 10 km de Rivesaltes. 509 Tisane : « Les Medecins disoient autrefois Ptisane. Potion rafraichissante faite d’eau bouillie avec de l’orge et de la reglisse. On y adjouste quelquefois du chiendent, de l’oseille, du sené, pour la rendre laxative, purgative » (F.). La tisane romaine était assez amère mais néanmoins agréable, apéritive avant le repas, digestive après. 510 Cette personne n’a pas été identifiée. Les deux distributrices du Guénégaud s’appelaient Mlle Michel et Mme La Villette, aidées d’un garçon limonadier. Elles payaient à la troupe six cents livres par an, réglées au rythme de cinquante livres par mois (Clarke, Guénégaud, t. I, p. 116). a de bonne grace soit pour son propre merite, soit en faveur <?page no="235"?> Livre Troisiéme 235 [f° 108 v°/ p. 200] Declaration du Roy En faveur de la Troupe Royale. De Par le Roy, Et Monsieur le Prevost de Paris, ou Monsieur son Lieutenant de Police 511 . Sur ce qui a nous à esté representé par le procureur du Roy, que certains personnages sans employ, portans lépée qui ont en diverses occasions excité des desordres considerables en cette ville ayans depuis peu de jours, avec la derniere temerité, et un grand scandale, entrepris de forcer les portes de lhostel de Bourgogne, se seroient atroupez pour lexecution de ce dessein avec plusieurs Vagabons, lesquels assemblez en tres grand nombre, estans armez de mousquetons, pistolets et epées seroient a force ouverte entrez dans ledict hostel de bourgogne pendant la representation de la Comedie, qu’ils auroient fait cesser ils y auroient commis de telles violences contre toutes sortes de personnes, que chacun auroit cherché par divers moyens de se sauver de ce lieu, ou lesdicts personnages se disposoient [f° 109 r°/ p. 201] de mettre le feu, et dans lequel avec une brutalité sans exemple, Ils maltraitoient indifferemment touttes sortes de gens. De quoy Sa majesté ayant été aussy informée, mesme de ce que depuis on n’avoit ozé ouvrir les portes de lhostel de bourgogne, et ne voulant souffrir qu’un tel excez demeure impuny, il luy auroit plû de nous envoyer ses ordres exprés et particuliers, tant contre ceux qui sont connus pour estre les chefs et les principaux autheurs de cette violence publique que contre ceux qui se trouveront les avoir assistez ; Mais comme sa 511 Voir les notes 303, 333, 458 et 459. Au cours des premières représentations rue Mauconseil du Mithridate de Racine qui commencèrent peut-être le 18 décembre 1672 (Racine, Œuvres complètes I, éd. Forestier, p. 1529), Louis XIV, à travers La Reynie, promulgua cette ordonnance qui cherchait à mettre fin aux bagarres qui affligeaient l’Hôtel de Bourgogne et les autres salles de spectacle à Paris. Le prévôt de Paris était l’officier royal placé à la tête du Châtelet et chargé de représenter le roi dans la ville, vicomté et prévôté de Paris. À partir du XVI e siècle, la charge du prévôt était partagée entre le lieutenant civil, le lieutenant criminel et le lieutenant de police. Le texte de cette déclaration est reproduite, avec quelques petites erreurs, dans Deierkauf-Holsboer, Hôtel de Bourgogne, t. II, pp. 205-207. a Lieutenant de Police. 56. Declarations du Roy en faveur des deux Troupes de Paris. Sur ce qui <?page no="236"?> 236 Le Théâtre françois Majesté nous à pareillement ordonné d’empescher à l’avenir qu’il narive de semblables desordres, et destablir dans les lieux destinez aux divertissemens publics la meme seureté qui se trouve establye par les soins et par la bonté de sa Majesté dans tous les autres endroits de Paris, le Procureur du Roy nous à requis qu’il fust sur ce par nous pourveu, affin que ceux qui voudront prendre part a cette sorte de divertissement, d’où presentement tout ce qui pouvoit a blesser l’honnesteté publique doit [f° 109 v°/ p. 202] estre retranché b , ayent la liberté de sy trouver sans craindre aucuns des accidens auxquels ils ont esté si souvent exposez. Nous conformement aux ordres de sa Majesté avons fait tres expresses deffences a toutes sortes de personnes de quelque qualité condition et profession qu’ils c soient de s’attrouper et de s’assembler audevant et aux environs des lieux ou les Comedies sont recitées et representées d’y porter aucunes armes a feu, de faire effort pour y entrer, d’y tirer lepee et d’y comettre aucune autre violence ou d’exciter aucun tumulte, soit au dedans ou au dehors, a peine de la vie, et destre procedé extraordinairement contre eux comme perturbateurs de la seureté et de la tranquilité publique. Comme aussy faisons tres expresses deffences a tous Pages et laquais 512 de s’y attrouper d’y faire aucun bruit ny desordre a peine de punition exemplaire, et de deux cens livres d’amende au proffit de lhopital general, dont les maitres demeureront [f° 110 r°/ p. 203] Responsables et civilement tenus de 513 tous les desordres qui auront este faits ou causez par lesdicts pages et laquais, Et en cas de contravention, enjoint aux Commissaires du quartier 514 de se transporter sur les Lieux et aux bourgeois de leur prester main forte, méme de nous informer sur le champ desdicts desordres affin qu’il y soit aussy dés linstan pourveu, et que ceux qui sen trouveront estre les autheurs ou complices de quelque condition qu’ils soient puissent estre saisis et arrestez et leur proces fait et parfait selon la rigueur des ordonnances et sera la presente leüe publiée a son de trompe et cry public et affichée en tous les lieux de cette 512 Cf. la note 458. 513 tenu de : obligé de 514 Les quarante-huit commissaires, subordonnés du lieutenant de police, étaient répartis dans la capitale : à la tête de chacun des seize quartiers de la ville, on trouvait un « ancien préposé », commissaire désigné par son ancienneté. Les autres commissaires du quartier étaient placés sous ses ordres. Ils devaient signaler quotidiennement tout fait notable survenu dans leur service et s’assemblaient chez lui chaque semaine pour faire le rapport de leurs activités. Tous les quinze jours, ils devaient procéder à une visite minutieuse de leur quartier. a pourroit b estre heureusement retranché c qu’elles <?page no="237"?> Livre Troisiéme 237 ville et fauxbourgs que besoin sera affin que personne n’en pretende cause d’ignorance et executée nonobstant oppositions ou apellations quelconques, et sans prejudice d’icelles ce fut fait et donné par a Messire Gabriel Nicolas de la Reynie 515 conseiller du Roy en ses conseils d’Etat et privé Maistre des requestes ordinaire de son hostel et lieutenant de Police de la [f° 110 v°/ p. 204] ville Prevoste et vicomté de Paris le 9 e jour de Janvier 1673. Signé de la Reinie b , De riantz 516 Sagot 517 greffier. Leue et publiée a son de trompe et cry public ez lieux et endroits acoustumez par moy Charles Canto, Jure Crieur ordinaire du Roy en ladicte ville prevosté et vicomté de Paris soubssigné accompagné de Hierosme Tronsson Jure trompette de sa Mas té et de deux autres trompettes le mardy 10 e Janvier c 1673 et ledit Jour affiché. Signe Canto. Autre Declaration de Sa Majesté en faveur de la Troupe du Roy, Pour son établissement dans la rue Mazarine 518 . De Par le Roy, Et Monsieur le Prevost de Paris, ou Monsieur le Lieutenant de Police. Il est permis, oüy sur ce le Procureur du Roy, et suivant les ordres de sa majesté a la Troupe des Comediens du Roy qui etoit cy devant au palais Royal, de setablir et de continuer à donner au Public des [f° 111 r°/ p. 205] Comedies et 515 Gabriel-Nicolas de La Reynie (1625-1709), maître des requêtes dès 1661, devint en 1667 le premier lieutenant général de police de Paris, la ville la plus importante d’Europe en nombre d’habitants. Il assainit la capitale en faisant poser des lanternes, nettoyant les rues et rétablissant le guet. Il devint président de la Chambre ardente instituée pour instruire l’Affaire des poisons en 1680. 516 Armand-Jean de Riants (1623-1694), conseiller au parlement en 1654, procureur du Roi au Châtelet de 1657 à 1684. Dans sa Muze historique du 12 juin 1660, Loret parle du « sage Monsieur de Rians,/ Qu’avec grande justice on nomme/ Fort bon Juge et fort honnête Homme » (vv. 252-254). C’est à de Riants que le libraire Barbin adresse l’épître dédicatoire de L’Etourdi de Molière en 1662. 517 Jean Sagot, greffier au Châtelet de Paris. 518 Les termes utilisés dans cette déclaration sont presque identiques à ceux de la déclaration précédente du 9 janvier 1673. A Pâques 1673, peu de temps après la mort de Molière, quatre acteurs - La Thorillière, Baron et et le couple Beauval - passèrent de la troupe qu’il avait dirigée a d’icelles. Fait et ordonné par b Janvier 1673. DE LA REYNIE c 10. de Janvier <?page no="238"?> 238 Le Théâtre françois autres divertissemens honnestes dans le Jeu de Paulme situé dans la rue de Seine au fauxbourg S t germain ayant issue dans ladicte rüe et dans celle des fossez de Nesle vis à vis la rüe de Guenegaud et a cette fin dy faire transporter des a Loges Theatres decorations, et autres ouvrages estans dans la salle dudict Palais royal appartenans a ladite troupe comme aussy de faire afficher aux coins des rües et carefours de cette ville et fauxbourgs pour servir d’advertissement des Jours et Sujets des representations, deffences sont faittes à tous vagabonds et gens sans aveu, méme a tous soldats et autres personnes de quelque qualité et condition qu’ils soient b , de s’attrouper et de s’assembler au devant et és environs du lieu où lesdictes Comedies et divertissemens honnestes seront representez dy porter aucunes armes à feu de faire effort pour y entrer, d’y tirer lespée et de comettre aucune autre violence, ou d’exciter aucun trouble, soit au dedans ou au dehors a peine de la vie, et destre procedé extraordinairement contre eux, comme [f° 111 v°/ p. 206] perturbateurs de la seureté et de la tranquilité publique ; Comme aussy deffences sont faittes a tous pages et laquais de sy attrouper ny faire aucun bruit ny desordre, a peine de punition exemplaire et de deux cens livres d’amende au proffit de lhopital general dont les maistres demeureront responsables et civillement tenus des desordres qui auront este faits ou causez par les d. c Pages et Laquais et en cas de contravention il est enjoint aux commissaires du quartier de se transporter sur les lieux, et aux bourgeois de leur prester main forte, méme de nous inforà celle de l’Hôtel de Bourgogne. Le 28 avril 1673, au lendemain d’une visite du Roi et de la Cour au jeu de paume de Bel-Air pour voir le Cadmus et Hermione de Quinault et de Lully, le théâtre du Palais-Royal, rénové au printemps de 1671 pour accueillir les pièces à machines et d’autres grands spectacles (La Grange, Registre, t. I, pp. 124-125), fut accordé à Lully, directeur de l’Académie royale de musique (Deierkauf-Holsboer, Marais, t. II, pp. 186-187). Le 20 septembre 1672 le même Lully avait obtenu le droit, non seulement à la musique qu’il avait composée pour les comédies-ballets de Molière, mais aussi aux œuvres elles-mêmes du dramaturge. Le 30 avril 1673 les compagnies théâtrales se voyaient limitées à deux chanteurs et six musiciens, sans l’autorisation d’employer des danseurs. Le 23 mai 1673, ce qui restait de la troupe du Palais-Royal obtint du Marquis de Sourdéac et du Sieur de Champeron le bail du jeu de paume de la Bouteille, autrement dit le théâtre de l’Hôtel Guénégaud. A la différence des troupes de l’Hôtel, du Marais et du Palais-Royal, celle du Guénégaud n’allait jamais recevoir de subvention royale et devait payer un loyer annuel de 2.400 livres. Sur la jonction des troupes du Palais-Royal et du Marais pour former celle du Guénégaud, voir le chapitre XL du Livre III. a les b qu’elles c lesdits <?page no="239"?> Livre Troisiéme 239 mer sur le champ des t a desordres affin quil y soit aussy dés linstant pourveu et que ceux qui s’en trouveront estre les autheurs ou complices de quelque qualité et condition quils soient puissent estre saisis et arrestez et leur proces fait et parfait selon sa b rigueur des ordonnances, deffenses sont pareillement faittes a la troupe des comediens du quartier du Marais, de [f° 112 r°/ p. 207] continuer à donner au Public des Comedies soit dans ledict quartier ou autre de cette ville et fauxbourgs de Paris 519 , et affin qu’il n’en soit pretendu cause d’ignorance sera la presente ordonnance affichée aux portes et principalles entrées tant dud. c Jeu de paulme audict fauxbourg S t Germain qu’autres endroits acoustumez de ladicte ville et fauxbourgs et executée nonobstant oppositions ou appellations quelconques et sans prejudice dicelles. faict et ordonné par Messire Gabriel Nicolas de la Reynie Conseiller du Roy en ses Conseils d’estat et privé maistre des Requestes ordinaire de son hostel, et Lieutenant de Police Prevosté d et vicomté de Paris le vendredy vingt troisiéme Juin mil six cens soixante treize signé de La Reinye, Deriantz Sagot Greffier. Fin. e 519 Si les restes de la troupe du Palais-Royal sont invités à « continuer à donner au Public des Comedies et autres divertissemens honnestes », les comédiens du Marais se trouvent devant une interdiction formelle de donner des représentations « soit dans ledict quartier ou autre de cette ville et fauxbourgs de Paris ». Le fusionnement des deux troupes semble donc avoir favorisé les anciens camarades de Molière. a desdits b la c dudit d Lieutenant de Police de la Ville, Prevosté e [ce mot manque] <?page no="241"?> Appendice Epître dédicatoire Permission et Consentement « Suite des Orateurs » <?page no="243"?> A son Excellence MONSEIGNEUR JEAN BAPTISTE TRUCHI 1 , Comte de Saint Michel, Chevalier Grand-Croix de la Sacrée Religion et Milice des SS. Maurice et Lazare, Commandeur de Sainte Marie de Chivas, Conseiller d’Estat, President et Chef du Conseil des Finances de SON ALTESSE ROYALE DE SAVOYE 2 . MONSEIGNEUR, Les pompeux Spectacles ont toûjours esté le noble amusement des Grans Hommes, quand ils ont voulu se donner quelque relasche dans les soins qui les ocupent incessamment pour le bien et la gloire des Estats. C’est ce qui en fait le plus éclater la felicité, et quand on void les Souverains et les Peuples dans la joye, c’est une marque assurée que le dedans est tranquille, et que l’on ne craint point d’orage du dehors. Cette felicité, MONSEIGNEUR, est deüe à la force du genie d’un Prince agissant, et à la sage conduite de ses Ministres, et c’est de ces mémes sources que partent toutes les réjoüissances publiques, dont la magnificence de nos Theâtres et la beauté des Poëmes qui y sont representez font la meilleure partie. Je ne touche icy que l’Histoire du Theâtre François depuis qu’il est dans son 1 Dès 1672 Giovanni Battista Truchi di Levaldigi (1617-1698) fut à la fois le premier président et chef du Conseil des finances et le ministre le plus influent de Charles Emmanuel II de Savoie. Ce « Colbert du Piémont » fut nommé baron en 1673 et comte en 1683. 2 Carlo Emanuele II di Savoia (1634-1675). Charles-Emmanuel II, fils de Victor- Amédée 1 er de Savoie et de Christine de Bourbon, sœur de Louis XIII, fut reconnu en 1638 comme successeur de son frère François-Hyacinthe sous la tutelle de sa mère. Après une minorité troublée par les ambitions de ses oncles, il entreprit de vastes travaux d’utilité publique pour embellir Turin et les autres parties du Duché. <?page no="244"?> 244 Appendice lustre 3 et puis qu’elle s’étend jusques au Piémont et jusqu’à la Mer Balthique, et que SON ALTESSE ROYALE de SAVOYE avec de Grans Princes de l’Empire font de nos Poëmes un de leur[s] plus doux divertissemens, j’ay crû, MONSEIGNEUR, que VOS- TRE EXCELLENCE ne trouveroit pas tout a fait mauvaise la hardiesse que je prens de luy devoüer cet ouvrage, et de le donner au public soûs un si Illustre Nom. Ce n’est qu’apres avoir exposé mon manuscrit à la censure des gens les plus éclairez dans ces matieres, et qu’apres avoir esté assuré que je le pouvois produire sans honte, puis qu’ils l’avoient leu avec plaisir 4 . Quelque passion que j’eusse depuis deux ans 5 de donner à vôtre Excellence des marques de la grande veneration que son merite extraordinaire m’a dû inspirer, je m’y serois mal pris en luy offrant avec mes profonds respects un ouvrage dont l’on ne m’auroit donné nulle bonne opinion, et qui ne pust se promettre qu’un regne de peu d’années. Celuy cy se flate d’un destin heureux, et doit estre bien receu selon le sentiment de nos Critiques ; et ils ont jugé qu’estant le premier qui s’est avisé de donner au Theâtre François une face nouvelle, qui expose aux yeux des Spectateurs le bon usage de la Comedie, et les deux sortes de personnes qui contribuent aux avantages que nous en tirons, il y aura peu de gens en France, de ceux méme qui condannent les spectacles, que le títre de mon Livre ne porte à lire ce qu’il promet 6 . Mais MONSEIGNEUR, je suis tres persuadé qu’ils prendront infiniment plus de plaisir à contempler le portrait que je tascheray de leur faire icy de vôtre Excellence, et qu’ils avoüront qu’encore qu’il parte d’une main tremblante, et qu’il ne soit qu’ebauché, ils y auront decouvert des traits admirables de l’original, qu’on ne sçauroit parfaitement imiter. C’est de ce portrait, MONSEI- GNEUR, dont mon idée a esté incessamment remplie depuis l’honneur que VOSTRE EXCELLENCE, me fit de me soufrir dans son entretien. Elle eut la bonté de me recevoir avec cet air engageant qui luy gagne les cœurs de tout le monde, et particulierement des Etrangers, qu’elle ne renvoye jamais que tres satisfaits. Pendant une heure que me dura la gloire que j’eus de parler à VOSTRE EXCELLENCE, qui voulut 3 On remarque la collocation « Histoire du Theâtre François » que Chappuzeau choisit de ne pas utiliser comme titre de son ouvrage. Le terme « lustre » rappelle son livre sur Lyon, publié en 1656. 4 On ne connaît pas les personnes à qui Chappuzeau soumit son texte. Voir la « Suite des Orateurs ». 5 Chappuzeau séjourna à la Cour de Savoie en mai et début juin 1671. Ce fut alors qu’il eut « la gloire » d’un entretien d’une heure avec le ministre. 6 Contrairement à ses habitudes de modestie souvent servile, Chappuzeau se félicite d’une carrière de longue haleine pour son texte imprimé. En fait l’ouvrage n’aura guère de résonance à l’époque mais enfantera des histoires-catalogues du même genre à partir des années 1730, puis connaîtra une nouvelle notoriété dans les années 1860 et 1870 (éditions de P. Lacroix et de G. Monval). Dès cette dédicace, on remarque l’engagement de Chappuzeau avec les ennemis de la scène qui participent à la querelle sur la moralité du théâtre. <?page no="245"?> Epître dédicatoire 245 bien que je l’entretinsse de mes voyages en Alemagne, en Angleterre et au Nord, j’eus le temps, MONSEIGNEUR, de contempler cette haute mine, cet air grave et doux, ce teint vif, ces yeux pleins de feu, ce ton de voix qui charme l’oreille, cette action si belle et si degagée, et en general tout ce dehors admirable qui Vous attire d’abord de la veneration et de l’amour. Mais, MONSEIGNEUR, je dois avoüer que je ne m’arrestay pas tant à ce bel exterieur, à ce magnifique frontispice, qu’à ce que je me promettois de la beauté du dedans, et sur la foy de mes yeux et de mes oreilles je me confirmay entierement dans la creance que j’avois eüe en la foy publique, qui m’avoit depeint VOSTRE EXCELLENCE, comme une des plus sages personnes de la Terre, et des plus éclairées dans les affaires de tous les Estats 7 . Je découvris dans son entretien des lumieres qui ne m’avoient point paru jusques alors, et j’en tiray de belles instructions pour le projet que j’ay fait de remettre plus exactement 8 mon Europe Vivante soûs la presse 9 . C’est, MONSEIGNEUR, cette voix publique, qui m’apprit encore dans mes deux voyages à Turin 10 , qu’estre desinteressé, qu’estre sincere, laborieux et zelé pour le service et la gloire de son Prince sont de rares qualitez essentiellement attachées à VOSTRE EXCELLENCE, et bien connues de SON ALTESSE ROYALE, qui estant un Prince actif et magnanime, veut un Ministre qui soit vigilant et genereux. Le choix qu’elle a fait de Vôtre Personne pour la charge la plus importante de l’Estat, l’ame et le soûtien de toutes les autres charges, a esté apuyé sur vôtre propre merite, à qui vous devez toute Vôtre gloire, sans que la brigue y ayt eu la moindre part. L’Auguste Maître que Vous servez est un des Princes du monde les plus éclairez, il sçait admirablement l’art de connêtre les hommes, autant qu’il connoist le prix des choses, et il ne Vous honore particulierement de sa confidence, que parce qu’il est persuadé que Vous en estes tres digne, et que Vous le servez avec une entiere fidelité, et un zele incomparable. Il a decouvert en Vous le parfait caractere d’un Grand Ministre d’estat, et sur tout un esprit laborieux et infatigable, ce qui luy a plû infiniment 11 ; ce Grand Prince qui sert d’exemple à ses peuples, estant bien aise de voir son image en ses principaux Ministres, et l’amour de la gloire qui ne se trouve pas moins dans le calme que dans l’orage, et à conserver des Estats qu’à en aquerir, l’ayant endurci dans les travaux. Le bien des affaires de S. A. R. et la felicité de son regne sont, MONSEIGNEUR, les soins glorieux qui vous ocupent uniquement ; vous auriez fait scrûpule de les partager avec les pensées où la Nature nous porte pour des enfans, et ne seroit-ce point par cette raison que le Ciel 7 On voit que dans Le Théâtre françois Chappuzeau poursuit cette comparaison entre l’extérieur (les qualités physiques) et l’intérieur (les qualités morales). 8 Plus exactement : de façon plus achevée. 9 Le 3 e et dernière partie de L’Europe vivante avait paru en 1671. L’ouvrage n’aura pas de réimpressions. 10 Chappuzeau revisita Turin en septembre 1672. 11 Les épithèthes « laborieux » et « infatigable » pourraient s’appliquer aussi à l’auteur du Théâtre françois … <?page no="246"?> 246 Appendice ne vous en a pas donné 12 ? De trois Illustres Freres que Vous avez, dont le Piémont s’est fait deux Evesques, le Comte de S. Michel Seigneur qui a de tres belles qualitez, est le seul qui peut soûtenir Vôtre Famille, et eternizer un Nom, que V. E. rend si fameux 13 . C’est, MONSEIGNEUR, à ce Nom fameux, et que d’ailleurs l’Histoire aura soin de conserver, que je prens la hardiesse de consacrer cet ouvrage. Il traite des Spectacles et de la magnificence qui les acompagne : mais quelques pompeux qu’ils soient, comment ozeront ils parêtre en Vôtre Cour, tandis qu’apres avoir aplani les Alpes, SON ALTESSE ROYALE, qui ne fait que de Royales entreprises, travaille incessamment à donner à l’Univers un spectacle des plus superbes, et qui durera toûjours, par un agrandissement considerable de sa Ville de Turin ? Quoy qu’il ne se puisse rien imaginer de plus beau dans la Nature que ce riche amphitheatre, ce costeau delicieux qu’elle a en veüe le long du Po, et que cette suite de magnifiques Hostels qui regnent depuis la porte du Valentin jusques au Palais Ducal, le projet de SON ALTESSE ROYALE, va donner un nouveau lustre à Turin, qui ne devra ceder à aucune des plus belles Villes d’Italie. Ce sera là veritablement un Spectacle à voir, et à attirer de bien loin les Etrangers : mais, MONSEIGNEUR, ces Illustres soins n’empeschent pas que SON ALTESSE ROYALE ne jette quelquefois les yeux sur d’autres moindres spectacles, et qu’ayant le goust fin et delicat, et le discernement excellent pour toutes les belles productions, Elle ne prenne plaisir à la representation d’un Poëme Dramatique 14 . Elle témoigne que nôtre Theâtre François ne luy deplaist pas, et donne assez de marques de l’estime qu’Elle en fait, lors qu’il est acompagné des agrémens necessaires, et soûtenu par des Autheurs de merite et de bons Acteurs. Apres cela, MONSEIGNEUR, VOSTRE EXCELLENCE, pourroit elle me refuser son Illustre protection pour mon Theâtre François, et ne voudra-t-elle pas bien être à la teste de cent mille honnestes gens qui parlent en sa faveur 15 ? Puisqu’elle daigna il y a deux ans me donner une heure pour le recit de mes voyages, je luy en demande autant pour la lecture de mon Livre ; et je sçais, MONSEIGNEUR, que je ne luy demande rien qu’elle ne puisse bien faire, puisqu’un esprit vaste et net comme le sien, vif et penetrant peut suffire à tout. Mais enfin ce n’est pas encore ce que je 12 Le 7 janvier 1640 Truchi épousa Maddelena Quadro, sœur de Giampietro Quadro, comte de Ceresole et Palerme. 13 Domenico Truchi (1612-1697) fut évêque de Mondovì de décembre 1667 à août 1697. Cristoforo Truchi, qui mourra en 1698, fut élu évêque d’Ivrea en août 1669. Michele Antonio Truchi, conte di San Michele di Ceva, qui mourra en 1693, fut gouverneur de la citadelle de Mondovì à partir de 1669. En octobre 1668 il épousa Angela Maria Taffini. 14 Comme Lyon, Turin est ou sera « dans son lustre », tout comme le théâtre français (voir la note 3). Intéressant parallèle entre la beauté d’un paysage urbain et celle des spectacles. 15 Le rayonnement du petit livre de Chappuzeau n’atteindra jamais ce chiffre optimiste, au moins du vivant de l’auteur. <?page no="247"?> Permission et Consentement 247 souhaite avec plus de passion, et je ne seray entierement satisfait, que lors que j’auray apris que vous aurez agreé le vœu que j’ay fait d’estre toute ma vie avec un profond respect, MONSEIGNEUR, DE VOSTRE EXCELLENCE. Le tres-humble et tres obeïssant serviteur C. Permission Je n’empesche pour le Roy, qu’il soit permis à Michel Mayer, de faire imprimer le Livre intitulé, LE THEATRE FRANÇOIS, et que les deffences ordinaires luy soient accordées pour trois années, à Lyon ce 22. Janvier, 1674. VAGINAY. Consentement Soit fait suivant les conclusions du Procureur du Roy, les an et jour cy-dessus. DE SEVE 16 . 16 Jean Vaginay, seigneur de Montpiney et de Léronde, était conseiller et procureur du Roi en la sénéchaussée et siège présidial de Lyon. Mathieu de Sève, baron de Fléchères, seigneur de Saint-André, Limonets, Villette et Egrelonges, était conseiller du roi, premier président du présidial et ancien lieutenant général en la sénéchaussée de Lyon. <?page no="248"?> 248 Appendice Suite DES ORATEURS Des Theâtres de Paris, contenue Dans une lettre de l’Autheur à une personne de qualité, pour Réponce Aux remarques qu’elle luy a envoyées sur le Theâtre François 17 . MONSIEUR, Je me suis pris trop tard à exposer cet ouvrage à vôtre censure, et je ne devois pas attendre à vous l’envoyer que la derniere feuille fust soûs la presse. Comme vous aimez passionnement la Comedie, parceque vous la connoissez parfaitement, vous m’auriez fourni de bonnes armes pour la defendre contre ceux qui l’attaquent avec si peu de justice, et auriez rempli d’excellentes remarques toutes les marges de mon manuscrit. Celles dont vous acompagnez la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, sont tres justes et solides, et sans remettre à une seconde edition le plaisir qu’en peut tirer le Public, j’aime mieux les placer icy comme hors d’œuvres, et mon ouvrage sembloit me demander cette belle conclusion. J’avoüe, Monsieur, que je pouvois ajoûter en faveur de la Comedie et des Autheurs ce que vous avez tres judicieusement observé, et qu’il me souvient avec vous d’avoir leu dans un de nos Critiques modernes qui a écrit la vie des Poëtes Grecs 18 , Qu’un des Peres de l’Eglise pour se delasser de ses serieuses ocupations, ne faisoit point de scrupule de passer quelques heures à la lecture de Plaute, ce qu’il témoigne luy méme dans une lettre qu’il ecrit 17 Cette « personne de qualité » qui a « toujours eu » un « pouvoir absolu » sur l’auteur - si elle a jamais existé - n’a pas été identifiée. Il se peut que Chappuzeau utilise ce procédé à la fois pour renforcer sa présentation très schématique du théâtre ancien (Livre I, chapitre I) et pour introduire les remarques sur l’orateur contenues dans le chapitre L du Livre III du manuscrit. Selon la dédicace à Truchi imprimée en tête de l’édition de 1674, il avait « exposé [s]on manuscrit à la censure des gens les plus éclairez dans ces matieres », qui l’avaient assuré qu’il le pouvait « produire sans honte, puis qu’ils l’avoient leu avec plaisir ». 18 Tanneguy Le Fèvre (1615-1672), Vie des Poètes grecs en abrégé, Paris : C. de Sercy, 1665, pp. 129-130. Le Fèvre (ou Lefebvre) fut un célèbre philologue et hélleniste, contrôleur de l’imprimerie royale du Louvre sous Richelieu, puis professeur à l’Académie protestante de Saumur. <?page no="249"?> Suite des Orateurs 249 à une Dame 19 ; et qu’un autre tenoit Aristophane sôus le chevet de son lit, parcequ’avec ceux qui ont quelque sentiment de l’esprit Attique, et qui sçavent ce que c’est que le beau Grec, il reconnoissoit que c’est de ce seul Poëte que ces deux choses se peuvent apprendre 20 . Nous sçavons tous que ces deux Grans Hommes, l’un Cardinal, qui a eclairé de sa sainte vie et de son sçavoir l’Eglise Latine ; l’autre Patriarche, qui ne s’est pas rendu moins celebre dans l’Eglise Greque, avoient hautement renoncé à toutes les vanitez du siecle, aux pompes et aux spectacles publics : mais enfin, comme vous le remarquez bien à propos, ils estimoient l’invention et le style de ces Poëtes Comiques, et les lisant avec un esprit fort detaché des pensées de la Terre, il ne s’en peut rien conclurre au desavantage de leur pieté. Toutes choses sont saines à un corps bien sain, et à un corps mal conditionné les meilleures viandes se tournent en mauvaise nourriture 21 . J’avoüe aussi que j’ay passé trop legerement sur les honneurs qui ont esté rendus aux fameux Poëtes par toutes les Nations et dans tous les siecles. J’aurois pû dire que le méme Aristophane duquel je viens de parler, le plus hardi dans ses railleries de tous les Comiques de l’Antiquité, et qui joüa publiquement tous les principaux d’Athenes, sans épargner ny Cleon, ny Demosthene, ny Alcibiade, fut par un decret public honoré d’un chapeau fait d’une branche de l’Olivier sacré qui estoit en la citadelle de cette Ville ; que cette gloire qu’il merita fut une marque éclatante de la reconnoissance des Atheniens, qui luy sceurent bon gré du soin et de l’affection qu’il avoit 19 Saint-Jérôme (v. 347-420), Père et docteur de l’Eglise dont la grande œuvre fut la révision critique de la Bible qu’il traduisit en latin, la Vulgate. Il est souvent représenté habillé en Cardinal, rang qui n’existait pas à l’époque. Dans la célèbre lettre XXII sur la virginité qu’il envoya en 384 à Julia Eustochium (Lettres, éd. J. Labourt, 8 vol., Paris : Les Belles-Lettres, 1949-1963, t. I, p. 144), il affirma : « Post noctium crebras uigilias, post lacrimas, quas mihi praeteritorum recordatio peccatorum ex imis uisceribus eruebat, Plautus sumebatur in manibus » (« Je veillais souvent des nuits entières, je versais des larmes, que le souvenir de mes péchés d’autrefois arrachait du fond de mes entrailles. Après quoi, je prenais en main mon Plaute ! »). 20 Saint Jean Chrysostome (v. 349-407), docteur de l’Eglise, prêtre d’Antioche qui devint célèbre pour sa prédication, plus tard patriarche de Constantinople. Malgré quelques tirades contre le théâtre, par exemple dans la peroraison de son homélie in Matth. 37 ou dans l’homélie Contra ludos et theatra, il reconnaissait les mérites des grands textes dramatiques. La remarque sur Aristophane, certainement apocryphe, se trouve dans la préface de l’éditeur de Aristophanis comœdiæ novem (Venise : Aldo Manuzio, 1498), f° 2 r°. 21 Chappuzeau revient à l’idée qu’il a promulguée tout au long du Théâtre francois, à savoir, que « la comédie » n’est pas tout à fait incompatible avec la religion, la piété et même un certain ascétisme : mens sana in corpore sano, mais scaena sana aussi … <?page no="250"?> 250 Appendice pour la liberté de la Republique ; ce qui paroist dans toutes ses Comedies, où il leur donne des conseils tres salutaires, en leur reprochant leurs fautes, et les exhortant à leur devoir. J’aurois pû remarquer qu’en disant des veritez fâcheuses il ne laissoit pas de plaire, qu’en blessant il obligeoit, et que l’on recevoit ses railleries de la méme façon qu’on reçoit les douceurs et les loüanges des autres ; Qu’on couroit avec chaleur à ses Comedies, et qu’on les donnoit au Public dans le plus grand feu de la guerre du Peloponnese 22 . Que n’aurois je pas eu aussi à dire des deux fameux Tragiques de son temps, de Sophocle et d’Euripide, dont la gloire a passé dans tous les siecles, le dernier ayant eu l’honneur d’estre logé dans le Palais d’Archelaus Roy de Macedoine qui luy fit mille caresses, et porta toute sa Cour à avoir beaucoup d’estime pour luy 23 ? En general, et les Poëtes qui n’ont travaillé que pour le Theâtre, et ceux qui se sont devoüez au Poëme Epique, ou aux Odes, ou aux Elegies, ont esté cheris et favorisez de tous les Princes ; et c’est dequoy, Monsieur, vous me dites que j’aurois pû aporter plusieur[s] exemples. Vous me marquez entre autres, qu’Alexandre qui faisoit estime des Lettres, ne trouva rien qui fust digne d’estre enfermé dans un petit coffre de pierreries, devenu le fruit de sa victoire apres la defaite de Darius, que l’Iliade de l’incomparable Homere 24 ; et que si Thebes ne fut pas rasée apres avoir soûtenu long-temps l’effort de ses armes victorieuses, elle dût sa conservation à la naissance qu’elle avoit donnée au Poëte Pindare, dont le souvenir estoit si cher à ce puissant Roy, qu’en faveur d’un homme mort il fit grace à plus de cent mille qui craignoient qu’on ne leur ostast la vie 25 . Vous auriez aussi souhaité que j’eusse parlé de Scipion qui merita le surnom d’Africain par la prise de Carthage, et qui cherissoit si 22 Aristophane (~450-~386) fut un ennemi de la démagogie et de la dictature. Les guerres du Péloponnèse (~431-~404) et la défaite athénienne disposaient le public à apprécier le non-conformisme de ses comédies. Cléon, un des principaux hommes politiques athéniens dans ces guerres et partisan des victoires militaires à tout prix, poursuivit Aristophane en justice ; ce dernier lui fut violemment opposé. En ~426 le général et stratège Démosthène fut vainqueur à deux reprises des Péloponnésiens. Il remplaça Alcibiade (~450-v.~404) dans le commandement de la flotte qui devait conquérir la Sicile en ~416. 23 Sophocle (~496-~406) ; Euripide (~480-~406). Archélaos, roi de Macédoine, mourut en ~399. En ~413 il usurpa le trône en faisant disparaître les héritiers légitimes. Mais, ami des lettres et des arts, il accueillit Euripide à sa cour. 24 Darius III Codoman, roi de Perse de ~336 à ~330, fut vaincu par Alexandre le Grand au Granique en ~334, puis définitivement défait dans la plaine de Gaugamèles, près d’Arbèles, en ~331. 25 La ville de Thèbes fut prise par Alexandre en ~335 et rasée, à l’exception de la citadelle de la Cadmée, des temples des dieux et de la maison natale du poète lyrique Pindare (~518-~v. 438). La population fut massacrée ou réduite à l’esclavage. <?page no="251"?> Suite des Orateurs 251 tendrement le Poëte Ennius, qu’il fit placer son portrait dans son tombeau, pour laisser des marques de l’estime qu’il avoit eüe pour luy pendant sa vie 26 . Mais sans chercher si loin des exemples favorables aux Poëtes, j’ay crû, Monsieur, qu’il suffisoit de produire celuy du plus grand Monarque qu’ayt jamais eu l’Univers, et qui s’est fait distinguer de tous les autres Souverains que nous voyons aujourd’huy regner, non seulement par la gloire écla[ta]nte de ses conquestes et par la force admirable d’un Genie que n’ont point eu ses Ayeux, mais aussi par un soin particulier qu’il a pris de faire cultiver les belles lettres en France, et de donner de l’emulation aux Sçavans en les honorant de ses bien faits. Nos fameux Poëtes s’en sont ressentis, et il n’y a personne qui ne sçache, de quelle glorieuse maniere il a plû à Sa Majesté de donner des marques de son estime à un Pierre Corneille le Sophocle François, qui de méme que le Sophocle Grec a passé de beaucoup par la force de ses vers Eschyle et Euripide, et tous les Tragiques qui les ont suivis 27 . Sola Sophocleo sunt Carmina digna cothurno 28 . D’ailleurs, Monsieur, vous vous plaignez de mon trop de delicatesse, et vous soûtenez que je ne puis avoir de bonnes raisons pour me dispenser de donner la suite des Orateurs des Theâtres de Paris, ce qui rend, selon vous, mon ouvrage defectueux. Que puisque j’ay esté si avant dans le détail des choses, et qu’en representant la face d’un Estat Republicain j’ay donné une liste exacte de ses Officiers, je ne devois pas oublier celle de ses Orateurs 26 Publius Cornelius Scipio Africanus, homme politique et général romain (v. ~235- ~183), assiégea Carthage en ~204, puis en ~202 remporta sur Hannibal la victoire de Zama, ce qui lui valut, à son retour à Rome, le surnom d’Africain et les honneurs du triomphe. Quintus Ennius (~239-~169) devint le protégé de Scipion et l’initia à la culture grecque. 27 Le panégyrique de Louis XIV, « les délices de ses peuples et l’admiration de l’univers », commence au chapitre V du Livre I et est édifié au cours du Théâtre françois. De 1663 à 1673, par le biais de Colbert, surintendant des bâtiments, et sur l’avis de Chapelain, auteur d’une Liste de quelques gens de lettres français vivants en 1662, le Roi accorda à Corneille, « l’ornement du théâtre français », non pas une pension à vie mais une gratification annuelle, et renouvelable, de 2.000 livres. Le paiement, reçu souvent avec des mois de retard, fut supprimé en 1674 mais rétabli en 1682, deux ans avant la mort de l’auteur. On rappelle que Chappuzeau désigna Corneille comme un auteur « à qui l’excellence de ses Poëmes Dramatiques et de ses autres ouvrages a aquis une gloire dont s’entretiendront tous les siecles à venir » (Livre I, chapitre XI). 28 Dans le 8 e Eclogue de Virgile, adressé à son protecteur, l’homme politique et écrivain Asinius Pollion, on lit (vv. 9-10) : « en erit ut liceat totum mihi ferre per orbem/ sola Sophocleo tua carmina digna coturno ? » (« Viendra-t-il pour moi un jour où il me soit permis de faire connaître au monde tes vers qui sont seuls dignes du cothurne de Sophocle ? »). <?page no="252"?> 252 Appendice Illustres que l’on a souvent écoutez avec plaisir. Vous ajoutez que les belles modes devroient toûjours durer, et que le Comedien qui annonce ne fait plus aujourd’huy de ces beaux discours aux Auditeurs, parce que cela luy coûteroit peut être quelque étude, et qu’on recherche ses aises plus que jamais. Je suis persuadé, Monsieur, qu’en toutes choses vous n’avez que des sentimens tres justes, et quand il n’y auroit que le respect que je vous dois, et le pouvoir absolu que vous avez toûjours eu sur moy, c’en est assez pour m’obliger de vous obeïr et de satisfaire à ce dernier article que vous me marquez. Je vous diray donc, Monsieur, selon la connoissance que j’en puis avoir, que la Troupe Royale 29 a eu de suite deux Orateurs tres capables, Bellerose et Floridor, qui ont esté tout ensemble de parfaits Comediens. Quand ils venoient annoncer, tout l’Auditoire prestoit un tres grand silence, et leur compliment court et bien tourné estoit écouté avec autant de plaisir qu’en avoit donné la Comedie. Ils produisoient chaque jour quelque trait nouveau qui reveilloit l’Auditeur, et marquoit la fecondité de leur esprit, et j’ay parlé au troisiéme Livre des belles qualitez de ces deux Illustres. Hauteroche a succedé au dernier, ses camarades qui y ont le méme droit, le voulant bien de la sorte, et il s’aquite dignement de cet employ. Il a beaucoup d’etude et beaucoup d’esprit, il écrit bien en prose et en vers, et a produit plusieurs Pieces de Theatre, et autres ouvrages qui luy ont aquis de la reputation. Quatre Illustres Orateurs ont paru de suite dans la Troupe du Marais, Mondory, Dorgemont, Floridor et la Roque. Mondory l’un des plus habiles Comediens de son tems mourut de trop d’ardeur qu’il aportoit à s’aquiter de son rôle. Dorgemont luy succeda, qui estoit bien fait, et tres capable dans sa profession, qui parloit bien et de bonne grace, et dont l’on estoit fort satisfait. Floridor le suivit, et entra en 1643. dans la Troupe Royale, où il parut avec éclat, et tel que je l’ay depeint. La Roque remplit sa place en la charge d’Orateur, qu’il a exercée vingt sept ans de suite, et l’on peut dire sans fâcher personne qu’il a soûtenu le Theâtre du Marais jusqu’à la fin par sa bonne conduite et par sa bravoure, ayant donné de belles marques de l’une et de l’autre dans des temps difficiles, où la Troupe a couru de grands dangers. Comme il est connu du Roy qui luy a fait des graces particulieres, et que ses bonnes qualitez luy ont aquis de l’estime à la Cour et à la Ville, il s’est servi avec joye de ces avantages, pour le bien commun du Corps, qui luy abandonnoit la conduite des affaires, et comme il est genereux, l’interest public l’a toûjours emporté en luy sur son interest particulier. Avant les defences étroites du Roy à toutes sortes de personnes d’entrer à la Comedie sans payer, il arrivoit souvent de grandes querelles aux portes, et jusques dans le Parterre ; et en quelques rencontres il y a eu des portiers tuez, et de 29 Le texte imprimé rejoint ici celui du manuscrit (Livre III, chapitre XLIX). <?page no="253"?> Suite des Orateurs 253 ceux aussi qui excitoient le tumulte. La Roque pour apaiser ces desordres, et maintenir les Comediens et les Auditeurs dans le repos s’est exposé à divers perils, et attiré de tres mechantes affaires sans en craindre le succez, montrant autant d’adresse et d’esprit qu’il a toûjours fait parêtre de cœur pour l’assoupissement de ces tumultes. Il s’est fait des faux braves, et estimer de ceux qui étoient braves veritablement, suivant en cela les pas de ses freres, qui auroient passé pour des Illustres, s’ils avoient eu d’Illustres employs. Il a essuyé de la sorte cent fatigues en faveur de la Troupe qu’il aimoit, et quand il ne luy auroit esté utile qu’en ces deux articles de sa conduite et de son courage, il y en auroit eu assez pour le faire considerer comme le membre le plus utile du Corps. Mais il l’estoit encore en toutes les autres choses, et universellement il s’estoit rendu tres necessaire à la Troupe du Marais. Comme il a tres bonne mine et qu’il parle bien, il s’aquitoit de l’annonce avec grand plaisir de l’Auditeur, et si l’on ne peut pas dire qu’il s’aquiteroit d’un rôle avec le méme succez, on doit avoüer d’ailleurs qu’il sçait admirablement comme il faut s’en demesler, et que plusieurs des meilleurs Comediens de Paris ont receu de luy des services considerables par les utiles conseils qu’il leur a donnez dans leur profession. Il n’y a aussi personne à la Comedie qui juge mieux que luy du merite d’une piece, ni qui en puisse plus seurement prevoir le succez ; ce qui est un grand article pour ne pas tomber dans le malheur de produire un ouvrage qui fust rebuté. Je parle de la Roque comme d’une personne que tout le monde sçait avoir esté un tres ferme apuy du Theatre du Marais, d’où il a passé depuis six mois avec plusieurs de ses camarades dans la Troupe du Roy, qui se trouvera toûjours bien de ses bons avis. La Troupe du Palais Royal a eu pour son premier Orateur l’Illustre Moliere, qui six ans avant sa mort fut bien aise de se decharger de cet employ, et pria La Grange de remplir sa place. Celuycy s’en est toûjours aquité tres dignement jusqu’à la rupture entiere de la Troupe du Palais Royal, et il continue de l’exercer avec grande satisfaction des Auditeurs dans la nouvelle Troupe du Roy. Quoy que sa taille ne passe guere la mediocre, c’est une taille bien prise, un air libre et degagé, et sans l’oüir parler sa personne plaist beaucoup. Il passe avec justice pour tres bon Acteur, soit pour le serieux, soit pour le comique, et il n’y a point de rôle qu’il n’execute tres bien. Comme il a beaucoup de feu, et de cette honneste hardiesse necessaire à l’Orateur, il y a du plaisir à l’ecouter quand il vient faire le compliment, et celuy dont il sceut regaler l’assemblée à l’ouverture du Theâtre de la Troupe du Roy, estoit dans la derniere justesse. Ce qu’il avoit bien imaginé fut prononcé avec une merveilleuse grace, et je ne puis enfin dire de luy que ce que j’entends dire à tout le monde, qu’il est tres poli et dans ses discours et dans toutes ses actions. Mais il n’a pas seulement succedé à Moliere dans la fonction d’Orateur, il luy a succedé aussi dans le soin et le zele qu’il avoit pour les interests communs, <?page no="254"?> 254 Appendice et pour toutes les affaires de la Troupe, ayant tout ensemble de l’intelligence et du credit. Je crois, Monsieur, avoir satisfait à ce que vous souhaitez de moy par vôtre lettre, et je vous supplie de croire que je seray toute ma vie avec beaucoup de respect, vôtre, &c 30 . FIN 30 La dernière phrase, ajoutée au texte du chapitre XLIX du Livre III du manuscrit, fournit une conclusion stéréotypée à cette correspondance réelle ou imaginaire. <?page no="255"?> Seul livre de l’époque à décrire la vie quotidienne des comédiens et l’organisation des troupes de Paris, Le Théâtre françois est un texte souvent cité mais rarement lu en entier. Cette première édition critique prend pour base le manuscrit autographe et inédit que Samuel Chappuzeau a rédigé en 1673 et dédié à la toute nouvelle troupe de l’Hôtel Guénégaud. L’édition comporte en outre une introduction, plus de 500 notes, et les variantes de l’édition originale (Lyon et Paris, 1674). Suppléments aux Papers on French Seventeenth Century Literature Directeur de la publication: Rainer Zaiser BIBLIO 17 ISBN 978-3-8233-6417-7