Les langues des autres dans la créolisation
Théorie et exemplification par le créole d'empreinte wolof à l'île Santiago au Cap Vert
0722
2009
978-3-8233-7509-8
978-3-8233-6509-9
Gunter Narr Verlag
Jürgen Lang
Bei der Kreolisierung einer sog. Basissprache spielen die angestammten Sprachen der Kreolisierer eine entscheidende Rolle. Das Buch geht dieses Problem im ersten Teil auf theoretischer, im zweiten Teil auf empirischer Ebene an, wobei die entwickelte Theorie anhand der Spuren des Wolof in dem portugiesischen Kreol der Insel Santiago (Kapverde) veranschaulicht wird. Kreolisierung ist nicht Wandel von etwas, was die Kreolisierer beherrschen, sondern Approximation an etwas, was sie nicht beherrschen. In den Kreolisierern siegt letztlich der Wunsch, aus den Materialien der sog. Basissprache eine voll funktionsfähige neue Sprache für eine neue Sprachgemeinschaft zu schaffen. Dabei verwenden sie Strukturen ihrer angestammten Sprachen. Der empirischen Teil führt neun Fälle vor, in denen eine Prägung des Kreols von Santiago durch das zeitgenössische Wolof nicht mehr bezweifelt werden kann, sechs Fälle, in denen eine solche Prägung sehr wahrscheinlich ist, und fünf Fälle, in denen sie nicht ausgeschlossen werden kann. Ce livre traite du rôle des langues ancestrales des créolisation d´une langue dite ´de base`. Sa deuxième partie applique la théorie présentée dans la première en retraçant les vestiges du wolof dans la créole portugais de lîle Santiago (Cap Vert). La Théorie proposée part du fait que la créolisation n´est pas changement d´une langue que les créolisateurs domineraient, mais approximation à une langue qu´ils ignorent, et que le désir qui finit par l´emporter chez eux est celui de créer, à partir des matériaux que la langue de base leur fournit, une langue neuve pour une société neuve. Pour ce faire, ils se servent notamment des structures de leurs langues encestrales. La partie empirique présente neuf cas où l´impact du wolof dans la formation du créole santiagais ne fait aucun doute, six cas où il est probable et cinq cas où il ne peut pas être exclu.
<?page no="0"?> Gunter Narr Verlag Tübingen Jürgen Lang Les langues des autres dans la créolisation Théorie et exemplification par le créole d’empreinte wolof à l’île Santiago du Cap Vert <?page no="1"?> Les langues des autres dans la créolisation <?page no="3"?> Jürgen Lang Les langues des autres dans la créolisation Théorie et exemplification par le créole d’empreinte wolof à l’île Santiago du Cap Vert Gunter Narr Verlag Tübingen <?page no="4"?> Die Deutsche Bibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über http: / / dnb.d-nb.de abrufbar. Gedruckt mit Unterstützung des Förderungs- und Beihilfefonds Wissenschaft der VG WORT © 2009 Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG Dischingerweg 5 · D-72070 Tübingen Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Gedruckt auf chlorfrei gebleichtem und säurefreiem Werkdruckpapier. Internet: http: / / www.narr.de E-Mail: info@narr.de Printed in Germany ISBN 978-3-8233-6509-9 <?page no="5"?> 5 Remerciements Nous remercions très cordialement Stéphane Robert et Andreas Blum, qui ont pris la peine de lire en linguistes tout le manuscrit de ce livre nous prodiguant leurs conseils toujours pertinents. Hélène Boudet a cherché à éliminer, dans la mesure du possible, nos nombreuses fautes et faiblesses dans l’expression française. Verena Hölzel a verifié toutes les citations et renvois et Iris Häcker nous a résolu, une fois de plus, tous les problèmes techniques en vue de la production d’un texte imprimable. Que les trois retrouvent ici l’expression de ma gratitude. Gisela Schlüter et Mauro Fernández, nous ont prêté leurs secours sur des points bien concrets. Nos remerciements vont encore aux éditions Gunter Narr qui ont accepté de publier notre manuscrit veillant à une présentation et distribution optimales. <?page no="7"?> 7 Préface La langue est un point sensible chez l’homme et tout ce qui y touche suscite des réflexes identitaires très vifs. Probablement parce que la langue est tout à la fois un moyen d’expression de l’intimité individuelle et un medium du lien social entre les membres d’une même communauté. Expression et signe de soi, la langue est aussi un moyen d’agir sur l’autre. Une arme redoutable même, à en croire le titre du fameux livre de Dwight Bolinger, Language, the Loaded Weapon. Dans l’étude de cette tension définitoire entre individu et société qui occupe ceux qui s’intéressent au langage, le cas particulier des créoles fascine et soulève souvent des réactions enflammées. Il fascine d’abord parce que, par leurs conditions particulières d’apparition, les créoles constituent un phénomène remarquable pour ceux qui s’intéressent à l’histoire des langues et des sociétés, ou même à l’émergence du langage dans la phylogenèse : les créoles offrent, en effet, aux linguistes un champ unique d’observation de l’émergence de langues nouvelles, à une échelle historique qui nous reste atteignable et dans des conditions qui se sont reproduites de manière comparable en différents lieux, ce qui est rarissime pour notre discipline. C’est pourquoi certains linguistes, comme Claude Hagège, ont pu parler du « laboratoire créole ». Et pourtant, de l’extérieur, la créolistique apparaît également comme un terrain délicat, un domaine scientifique, me semble-t-il, très marqué par l’idéologie car très sensible socialement et ce, pour des raisons historiques évidentes. Les créoles sont nés dans le contexte spécifique de la traite des esclaves, or si l’abolition de l’esclavage est heureusement un acquis historique qui remonte désormais à un autre siècle, ses séquelles sociales ont encore une certaine actualité dans notre société contemporaine. Ainsi, pour des raisons idéologiques, il peut apparaître important pour certains, soit de minimiser la part des langues africaines dans les créoles et d’insister sur leur substrat européen, soit de faire l’inverse, soit encore de réduire les créoles à des traits de simplification universelle. Les affirmations peuvent alors être abusivement généralisantes et trop peu fondées sur l’analyse de l’ensemble des phénomènes observables. Dans ce contexte, l’ouvrage de Jürgen Lang est unique et précieux. Ce livre est l’œuvre d’un homme sensible et respectueux tout à la fois de la langue, de ceux qui la parlent et des différents points de vue défendus. C’est « une œuvre », car c’est à la fois une somme extraordinaire de connaissances, d’expériences sur le créole du Cap-Vert et sur l’histoire de la créolistique en général, mais aussi une réflexion théorique profonde, exigeante et éclairante sur les processus à l’œuvre dans l’émergence d’un créole. Le point de départ de cette réflexion me semble d’ailleurs mériter d’être rappelé : la créolisation ne relève pas du changement linguistique ordinaire car elle procède de l’approximation d’une langue que les locuteurs ignorent et pour laquelle ils <?page no="8"?> 8 vont puiser dans les ressources des langues variées qu’ils connaissent. Ce livre est enfin un travail original et, me semble-t-il, unique, d’une part par le mariage qu’il offre entre une réflexion théorique et son illustration par une étude de cas, celle de l’empreinte wolof dans le créole santiagais, d’autre part, par la façon dont est abordée l’analyse de l’héritage wolof en créole santiagais : celle-ci est exceptionnellement détaillée, bien documentée, et dépasse très largement les habituelles considérations sur le lexique, pour s’attacher à des points fondamentaux de la grammaire et à des affinités structurales ; elle a été faite, en outre, après avoir répertorié des traits « exotiques » du créole santiagais et sans préjuger de leur source potentielle, enfin et surtout, dans sa présentation, elle part du wolof et non l’inverse. Ce faisant, l’utilisation de documents anciens sur le créole (dont personnellement je n’avais pas connaissance) donne des indications extrêmement intéressantes sur un état ancien du wolof. C’est parce qu’il me semble présenter ces qualités remarquables, susceptibles d’intéresser un public varié de lecteurs curieux ou de scientifiques divers allant des créolistes aux africanistes en passant par les historiens et les linguistes qui s’intéressent plus généralement à l’évolution des langues ou à la diversité de leurs structures que je voudrais donc, en guise de préface, lancer au lecteur potentiel une invitation au voyage. Un voyage à destinations multiples selon les intérêts variés de chacun. Stéphane Robert <?page no="9"?> 9 Table des matières Remerciements ........................................................................................................ 5 Préface de Stéphane Robert .................................................................................. 7 Liste des abréviations ............................................................................................. 14 Sources des exemples ............................................................................................. 15 0. Présentation ......................................................................................................... 17 0.1 But de cet ouvrage ......................................................................................... 17 0.2 Une idée centrale ............................................................................................ 17 0.3 Pourquoi le créole santiagais ? ..................................................................... 18 0.4 Description ...................................................................................................... 18 0.5 Des traits ‚suspects’ ....................................................................................... 18 0.6 Pourquoi le wolof ? ........................................................................................ 22 0.7 Difficultés ........................................................................................................ 23 0.8 Limites ............................................................................................................. 24 0.9 Démarche ........................................................................................................ 25 1. Théorie .................................................................................................................. 26 1.1 Le terme ‚créole’ et la créolistique ............................................................... 26 1.1.1 Tendances actuelles .............................................................................. 26 1.1.2 Petite histoire du terme ........................................................................ 27 1.1.2.1 Terme désignant des êtres humains ....................................... 27 1.1.2.1.1 Les premières attestations ........................................ 27 1.1.2.1.2 L’évolution morphologique du terme .................... 28 1.1.2.1.3 L’évolution sémantique du terme ........................... 29 1.1.2.2 Terme désignant des langues ................................................... 32 1.1.2.2.1 Le manifeste antiesclavagiste de 1686 .................... 32 1.1.2.2.2 Le journal de La Courbe ........................................... 34 1.1.2.2.3 Les témoignages de l’évêque Vitoriano Portuense concernant la côte africaine ..................................... 35 1.1.2.2.4 Les témoignages de l’évêque Vitoriano Portuense concernant les îles du Cap Vert .............................. 35 1.1.2.2.5 Succès du nouvel emploi .......................................... 36 1.1.2.3 Bilan ............................................................................................. 38 1.1.2.3.1 L’emploi premier ...................................................... 38 1.1.2.3.2 Priorité ibérique pour le nouvel emploi ? ............. 38 1.1.2.3.3 Crioulo = língua dos crioulos ................................. 39 1.1.2.3.4 Nom propre ou nom commun ? ............................. 39 1.1.2.3.5 Un certain rapport entre langues ............................ 41 1.2 La créolisation ................................................................................................ 43 1.2.1 Introduction ........................................................................................... 43 1.2.2 La créolisation en six points ................................................................ 44 <?page no="10"?> 10 1.2.3 Apprentissage et changement ............................................................. 46 1.2.3.1 Emplois indifférenciés du terme de ‚changement’ en linguistique ............................................................................... 47 1.2.3.2 Un exemple : ancien fr. ante > tante ........................................ 48 1.2.3.2.1 L’enfant ....................................................................... 49 1.2.3.2.2 Les adultes .................................................................. 49 1.2.3.2.3 Bilan provisoire .......................................................... 50 1.2.3.2.3.1 Les langues changées ne sont pas les mêmes ....................................................... 50 1.2.3.2.3.2 Les changements prototypiques ne sont pas les mêmes .......................................... 52 1.2.3.2.3.3 Les analyses ne sont pas des réanalyses 53 1.2.3.2.3.4 Les interlangues d’apprenants ne sont pas généalogiquement classifiables sous leur langue-cible ...................................... 55 1.2.4 Analogies entre l’apprentissage de la langue première et la créolisation ............................................................................................ 57 1.2.5 Analogies entre l’apprentissage d’une langue seconde et la créolisation ............................................................................................ 61 1.2.5.1 Des apprenants adultes ........................................................... 61 1.2.5.2 L’interférence de la langue première ..................................... 62 1.2.5.3 Substances en provenance de la langue seconde, formes en provenance de la langue première ......................................... 64 1.2.5.4 L’insuffisance des formules antérieures ................................ 67 1.2.5.5 Le foreigner talk .......................................................................... 69 1.2.6 Spécificités de la créolisation ............................................................... 71 1.2.6.1 Abandon de l’apprentissage ................................................... 71 1.2.6.2 Une nouvelle cible .................................................................... 73 1.2.6.3 La recherche d’un compromis ................................................ 74 1.2.6.4 Une version privilégiée ............................................................ 76 1.2.6.5 Différents degrés de maintien des structures de la version privilégiée ................................................................................. 80 1.2.6.6 Une langue neuve ..................................................................... 80 1.2.6.7 Ordre logique et ordre chronologique des moments de la créolisation ................................................................................ 81 1.3 Quelques malentendus ................................................................................. 83 1.3.1 Préliminaires .......................................................................................... 83 1.3.2 Le renoncement à l’explication historique ........................................ 83 1.3.2.1 Les explications dans les sciences humaines ........................ 83 1.3.2.2 Explication universelle et explication historique (un exemple) ............................................................................. 84 1.3.2.3 Les objets des deux types d’explication ................................. 85 1.3.2.4 Importance pour la créolistique .............................................. 86 <?page no="11"?> 11 1.3.3 Le recours aux ‚tendances’ .................................................................. 87 1.3.3.1 Sens courants du mot tendance ................................................ 87 1.3.3.2 Deux emplois du mot tendance en linguistique .................... 88 1.3.3.3 Les tendances du français selon Robert Chaudenson ......... 90 1.3.3.4 Précisions ................................................................................... 92 1.3.3.5 Des tendances spécifiques répondant à des situations communicatives spécifiques ................................................... 93 1.3.3.6 Conclusions ............................................................................... 96 1.3.4 Le combat à l’exceptionalisme ............................................................ 96 1.3.4.1 Remarques préliminaires ........................................................ 96 1.3.4.2 Les exceptionalismes ................................................................ 98 1.3.4.3 Les exceptionalismes commentés ........................................... 98 1.3.4.3.1 Une faculté langagière inférieure ? .......................... 98 1.3.4.3.2 Des déficiences structurales ? ................................... 99 1.3.4.3.3 Des fossiles linguistiques ? ..................................... 102 1.3.4.3.4 Rupture ou non ? ..................................................... 102 1.3.4.3.5 Généalogiquement classifiable ou non ? ............... 104 1.3.4.4 Conclusions ............................................................................. 105 1.3.5 Créoles s’éloignant progressivement de leur langue de base ....... 106 1.3.5.1 Éloignement vs. rapprochement .......................................... 106 1.3.5.2 Différents parcours des créoles français et anglais ? ......... 107 1.3.5.3 Solution : la créolisation continue ........................................ 107 2. L’empreinte wolof dans le créole santiagais ................................................ 111 2.1 Histoire .......................................................................................................... 111 2.1.1 Aperçu de l’histoire des îles du Cap Vert ........................................ 111 2.1.2 Le peuplement de Santiago ............................................................... 114 2.1.2.1 Quelques coordonnées fondamentales ................................ 115 2.1.2.2 Trois groupes d’esclaves ........................................................ 116 2.1.2.3 Les lançados de la côte ............................................................ 117 2.1.2.4 Quelques chiffres .................................................................... 118 2.1.2.4.1 Le témoignages de Pêro de Guimar-es (1513) ..... 118 2.1.2.4.2 Le témoignage de Francisco d’Andrade (1582) ... 118 2.1.3 Le rôle des Wolof dans le peuplement de Santiago ....................... 119 2.1.3.1 Introduction ............................................................................ 119 2.1.3.2 Les Wolof sur le marché d’esclaves à Valencia .................. 121 2.1.3.3 La traite capverdienne en territoire wolof .......................... 122 2.1.3.4 Conclusions ............................................................................. 126 2.2 Linguistique .................................................................................................. 128 2.2.1 Travaux sur les traces de langues africaines en créole santiagais antérieurs à 2004 ................................................................................. 128 2.2.1.1 Remarque préliminaire .......................................................... 128 2.2.1.2 Kihm 1988 ................................................................................ 129 2.2.1.3 Rougé 1988 .............................................................................. 130 <?page no="12"?> 12 2.2.1.4 Rougé 1994 .............................................................................. 131 2.2.1.5 Rougé 1999 .............................................................................. 131 2.2.1.6 Quint 2000 ............................................................................... 132 2.2.1.7 Rougé 2004 .............................................................................. 133 2.2.1.8 Le colloque d’Erlangen de 2004 ............................................ 133 2.2.2 Domaine nominal ............................................................................... 134 2.2.2.1 La détermination d’un nom par un autre ........................... 135 2.2.2.2 Pronoms personnels ............................................................... 139 2.2.2.3 Possessifs ................................................................................. 142 2.2.2.4 Démonstratifs et adverbes pronominaux ............................ 146 2.2.2.5 Conclusions provisoires ........................................................ 150 2.2.3 Domaine verbal ................................................................................... 151 2.2.3.1 Introduction ............................................................................ 151 2.2.3.2 L’opposition ‚-/ + imperfectif’ en w. et en cs. ..................... 156 2.2.3.3 L’opposition ‚-/ + antérieur’ en w. et en cs. ......................... 159 2.2.3.4 Conclusions provisoires ........................................................ 161 2.2.3.5 Le ‚situatif’ du w. - la construction présentative et l’aspect progressif en cs. ...................................................................... 163 2.2.3.6 Le ‚désidératif’ du w. et l’‚optatif’ du cs. ............................. 170 2.2.3.7 L’impératif en w. et en cs. ...................................................... 172 2.2.3.8 La focalisation en w. et en cs. ................................................ 174 2.2.3.9 La négation en w. et en cs. ..................................................... 180 2.2.3.10 L’expression de la passivité en w. et en cs. ....................... 181 2.2.3.11 L’expression du réfléchi et de la réciprocité en w. et en cs. ................................................................................... 184 2.2.3.12 Les périphrases verbales en w. et en cs. ............................ 185 2.2.3.12.1 Les périphrases de taxe du w. .............................. 186 2.2.3.12.2 Les périphrases verbales du cs. ............................ 189 2.2.3.13 Conclusions ........................................................................... 196 2.2.4 Domaine syntaxique ........................................................................... 198 2.2.4.1 La coordination et l’énumération en w. et en cs. ................ 198 2.2.4.2 L’ordre des compléments actanciels en w. et en cs. ........... 201 2.2.4.3 Mdk. ko - cg. kuma, w. ni - cs. ma ......................................... 205 2.2.4.3.1. Le mandinka ............................................................ 205 2.2.4.3.2 Le créole portugais de la Guinée-Bissau ............... 206 2.2.4.3.3 Le wolof ..................................................................... 208 2.2.4.3.4 Le créole de Santiago ............................................... 211 2.2.4.3.5 Résumé et conclusions ............................................ 212 2.2.4.4 w. mel ni - cs. sima .................................................................. 214 2.2.5 Domaine lexical ................................................................................... 217 2.2.5.1 Remarque préliminaire .......................................................... 217 2.2.5.2 Mots à signifiants d’origine africaine en cs. ........................ 218 2.2.5.2.1 Quelques chiffres ..................................................... 218 2.2.5.2.2 Pourquoi sont-ils si peu nombreux ? ..................... 218 <?page no="13"?> 13 2.2.5.2.3 Pourquoi certains ont-ils tout de même survécu ? 219 2.2.5.2.4 Difficulté de mesurer l’impact d’une langue africaine au nombre des signifiants qu’elle a légués au cs. 224 2.2.5.3 Mots à signifiés (partiellement) d’origine wolof ................ 225 2.2.5.3.1 w. rekk - cs. so ........................................................... 225 2.2.5.3.2 w. am/ ame - cs. ten/ tene ............................................ 230 2.2.5.4 Bilan .......................................................................................... 235 3. Conclusions ........................................................................................................ 236 3.1 Théorie ........................................................................................................... 236 3.2 Application ................................................................................................... 239 3.3 Limitations et questions ouvertes .............................................................. 244 Bibliographie ......................................................................................................... 246 A. Histoire ........................................................................................................... 246 B. Linguistique générale, romane et créole .................................................... 248 C. Wolof .............................................................................................................. 255 D. Mandingue .................................................................................................... 258 E. Temne .............................................................................................................. 258 F. Portugais ......................................................................................................... 258 G. Créole capverdien, notamment de l’île de Santiago ................................. 259 H. Créole de la Guinée-Bissau ......................................................................... 262 Index des noms propres (anthroponymes, toponymes, ethnies, langues) .. 263 Index des éléments commentés et des termes utilisés ................................... 269 Index des tableaux ................................................................................................ 275 <?page no="14"?> 14 Liste des abréviations Termes : adj. adjectif adv. Adverbe aux. auxiliaire cf. lat. confer conj. conjonction c.p. communication personnel dém. démonstratif ibid. lat. ibidem id. lat. idem inf. informateur interj. interjection litt. littéralement n. nom par ex. par exemple pers. personnel pl. pluriel poss. possessif prép. préposition pron. pronom s. substantif scil. lat. scilicet sé signifié sg. singulier st signifiant s.v. lat. sub verbo v. verbe var. variante vs. lat. versus vulg. vulgaire Langues : all. allemand angl. anglais cg. créole de la Guinée-Bissau cr. créole cs. créole santiagais esp. espagnol fr. français <?page no="15"?> 15 holl. hollandais it. italien lat. latin nl. néerlandais mdk. mandinka pg. portugais w. wolof Sources des exemples Observation : Dans les exemples, les traductions en français qui suivent l’indication de la source, sont les nôtres ; celles qui la précèdent, proviennent de la source. 51/ 9 = exemple créole tiré de Silva, Tomé Varela da (éd.) : Na bóka noti. Un libru di stórias tradisional organizadu y prizentadu pa T. V. da S., Volumi-I, Praia : Instituto Caboverdiano do Livro 1987, page 51, ligne 9. NL 1/ 3 = exemple créole tiré d’une transcription faite par notre collaborateur capverdien André dos Reis Santos de 44 contes du conteur capverdien Nastasi Lópi, page 1, ligne 3. NQ 1999 = exemple créole tiré de Quint, Nicolas : Dictionnaire cap-verdien - français, Paris : L’Harmattan 1999. Oda 1987 : 164/ 9 = exemple créole tiré de Veiga, Manuel, O u d’agu, Praia : Instituto Caboverdiano do Livro 1987, page 164, ligne 9. RE = exemple portugais fourni par Rosa Serôdio et Ekkehard Dengler. RS = exemple créole fourni par notre collaborateur capverdien André dos Reis Santos. WALS = The World Atlas of Language Structures (WALS), edited by M. Haspelmath, M.S. Dryer, D. Gil, B. Comrie, The Interactive Reference Tool, developed by Hans-Jörg Bibiko, Leipzig : Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology 2005. <?page no="17"?> 17 0. Présentation 0.1 But de cet ouvrage Cet ouvrage présente, dans sa première partie, une théorie de la créolisation, pour l’appliquer, dans sa deuxième partie à un cas concret, celui du créole portugais de l’île de Santiago au Cap Vert. Ébauchée pour la première fois en 1981, notre théorie de la créolisation a déjà été précisée et enrichie à deux reprises (cf. Lang 1996 et 2002). Elle nous aidera, sous 1.3, à dissiper une série de ce que nous croyons être des malentendus qui entravent actuellement les études créoles. Au lieu d’entrer dans tous les détails de la créolisation d’une langue, l’accent sera mis, dans la partie théorique, sur la contribution des ‚créolisateurs’ et de leurs langues ancestrales à celle-ci. 1 Nous appelons créolisateurs ceux qui, ayant le plus grand besoin, dans les situations en question, de se munir d’un nouvel instrument de communication, ont été les véritables moteurs et agents de la créolisation. Nous n’excluons pas pour autant la possibilité d’une collaboration ni des locuteurs de la ‚langue de base’ du futur créole ni des enfants qui naissent dans une situation de créolisation. Exagérée par les uns et sous-estimée par les autres, cette contribution des créolisateurs et de leurs langues ancestrales à la créolisation n’a pas encore été appréciée à sa juste valeur. Dans la partie empirique, nous nous limiterons à la recherche des traces des langues ancestrales des créolisateurs ouest-africains dans le créole de l’île de Santiago au Cap Vert. Pour une raison théorique (exposée sous 1.2.6.4), une raison historique (exposée sous 2.1.3) et - pourquoi le nier - une raison pratique (notre manque de connaissances dans les autres langues africaines), nous traiterons exclusivement des traces du wolof dans le créole santiagais. 0.2 Une idée centrale Notre idée de départ, qui à l’époque, ne pouvait s’appuyer que sur notre conception de ce que sont les langues et le langage pour les humains, a été que, les promoteurs malgré eux de la créolisation d’une langue étant des personnes linguistiquement adultes, ils devaient forcément essayer de faire usage, dans cette situation, des connaissances linguistiques qu’ils avaient acquises 1 Nous évitons d’employer les termes de ‚substrats’ et de ‚superstrat’ pour parler des langues ancestrales des créolisateurs et de la langue de base. D’abord, parce que leur emploi n’est pas le même chez les romanistes et chez les anglicistes. Ensuite, parce qu’un tel transfert suggère une analogie, pour nous trompeuse, entre différents scénarios de contact linguistique (pour plus de détails cf. 1.2). <?page no="18"?> 18 dans leurs milieux originaires. Il semble même intuitivement évident que le recours inconscient à ces expériences doit être plus naturel, dans une situation de créolisation que dans une situation d’apprentissage guidé. C’est cette idée centrale - et non pas notre théorie de la créolisation toute entière - qui sera mise à l’épreuve dans la partie empirique de cet essai. 0.3 Pourquoi le créole santiagais ? Notre choix du créole santiagais (cs.) pour cette mise à l’épreuve remonte aux années quatre-vingts du siècle dernier. Plusieurs raisons, assez hétérogènes, l’ont guidé. Décisive fut la possibilité de circonscrire avec une certaine précision les régions de l’Ouest africain dont étaient originaires les esclaves que les colons de Santiago ont amenés sur leur île. La chance de pouvoir identifier les langues africaines qui étaient présentes sur l’île, à l’époque où le portugais y a été créolisé représentait évidemment un atout considérable pour qui voulait démontrer l’impact des langues ancestrales des créolisateurs dans les créoles. 0.4 Description La décision en faveur du créole santiagais une fois prise, la route à suivre se dessinait clairement devant nous. Il fallait d’abord procéder à une description aussi exacte et détaillée que possible de la grammaire et du vocabulaire de ce créole. Pour échapper à tout préjugé, nous avons procédé à cette description avant de nous tourner vers l’Afrique et dans l’ignorance la plus complète des langues africaines de la côte. L’élaboration du Dicionário do crioulo da ilha de Santiago est l’œuvre d’une équipe que nous avons dirigée (cf. Brüser et al. 2002, les indications étymologiques à la fin des articles ont été rajoutées au dernier moment, celles qui renvoient à des langues africaines ont été tout simplement empruntées à Jean- Louis Rougé et à Nicolas Quint). Parallèlement nous avons rédigé personnellement une grammaire aux dimensions à peine inférieures à celles du dictionnaire qui pour le moment, reste en manuscrit. Les sources d’information ont été les mêmes pour le dictionnaire et la grammaire (cf. Brüser et al. 2002 : p. IX, Fontes de informaç-o). 0.5 Des traits ‚suspects’ Au cours des longues années d’élaboration de ces deux ouvrages et toujours dans l’ignorance la plus complète des langues de l’Ouest africain, nous avons dressé une liste de traits linguistiques du créole santiagais qu’on saurait difficilement expliquer à partir du seul portugais. D’abord parce qu’ils impliquent des distinctions que le portugais ignore. Puis parce qu’ils présentent un aspect <?page no="19"?> 19 tout à fait ‚exotique’ en comparaison avec ce qui est courant dans les langues romanes et même européennes. Ces particularités du créole santiagais devaient donc représenter des créations créoles ou des traces des langues africaines de locuteurs ayant participé à la créolisation du portugais (pg.) à Santiago. Elles pouvaient aussi s’expliquer par une combinaison de ces deux origines. Cette liste, rallongée à plusieurs reprises, a été présentée trois fois à des collègues romanistes (Brasília 1994, München 1998, Bamberg 1999, la version de Brasília a été publiée dans Lang 1994). Nous la redonnons ici (sans les commentaires qui l’accompagnaient lors de ces présentations) dans la version de Bamberg. Certains points de la liste sont suivis de renvois aux chapitres de ce volume ou à d’autres publications où sont mentionnés des précurseurs africains du trait en question. Cela permet de voir qu’un bon nombre de nos soupçons d’alors étaient fondés, mais aussi que d’autres traits de cette liste attendent toujours leur explication. Voici donc cette liste de traits ‚exotiques’ du cs. : 1. Aux 17 phonèmes consonantiques du cs. correspondent, en principe, autant de consonnes pré-nasalisées. Voici quelques mots du cs. qui commencent par une telle consonne : ntende v. ‚comprendre’, nbárka v. ‚émigrer’, ndjudjun s. ‚jeûne’, nférnu s. ‚enfer’, nzámi s. ‚examen’, nliona v. ‚devenir furieux’. Il existe des paires minimales du type npára v. ‚accueillir’ - pára v. ‚(s’)arrêter’, ngánha s. ‚partie intérieure d’un épi de maïs’ - gánha v. ‚gagner’. (Cf., pour l’analyse monophonématique de ces sons complexes Lang 1999, la critique de do Couto/ Souza 2006 et notre réponse dans Lang 2007). 2. Le cs. montre une nette préférence pour les transitions syllabiques du type -V/ C-. Selon notre analyse, ces transitions sont ou globalement orales (voyelle orale/ consonne orale) ou globalement nasales (voyelle nasale/ consonne pré-nasalisée), sauf si la consonne impliquée est une des nasales ( m , n , , ). 2 On trouve ainsi une transition globalement nasale dans konpo v. ‚mettre en ordre’, kánta v. ‚chanter’, rinka v. ‚arracher’, lánbe v. ‚lécher’, bende v. ‚vendre’, mángi s. ‚mangue’, lánsa v. ‚verser’, manxe v. ‚se lever (jour)’, ónzi adj. ‚onze’, lonji adv. ‚loin’, ónra s. ‚honneur’. Et l’on peut alléguer des paires minimales ‚transition globalement orale / transition globalement nasale’ : káta v. kat [ kat ] ‚ramasser’ / kánta v. k- t [ kant ] ‚chanter’, óra s. ‚heure’ r [ r ] / ónra s. r [ r ] ‚honneur’ etc. (pour plus de détails, cf. Lang 1999). 3. Le rôle tout à fait particulier de la nasalité dans le système phonologique du cs. ressort encore d’un autre fait : selon notre analyse, le signifié du pronom personnel atone de la première personne du singulier ‚je’ (à l’écrit N ou -m) n’est pas un phonème, mais un trait pertinent : la nasalité. Ce trait s’ajoute, après une pause, à la consonne initiale du mot suivant, avant une pause, à la voyelle finale du mot précédent, et à l’intérieur d’un groupe aux deux. Cf. N txora ‚J’ai pleuré’ cor [ cor ], E odja-m ‚Il m’a vu’ eo - [eo -( )] et 2 n’existe que dans les variétés les plus archaïsantes du cs. <?page no="20"?> 20 Po-m deta ! ‚Couche-moi ! ’ põ det [ pon det ]. (Cf. pour cette analyse Lang 1999 et pour un précurseur africain de ce pronom ici 2.2.1.2). 4. Suivant notre analyse, le cs. distingue trois degrés d'ouverture vocalique: ouvert, semi-ouvert (ou mi-fermé) et fermé. Les trois voyelles ouvertes n’apparaissent qu’en syllabe accentuée. Ce qui est remarquable, c’est que l’opposition ouverte ( , a et ) / semi-ouverte ( e , et o ) sert à distinguer les noms des verbes. Nous comptons même 38 paires minimales où la différence phonique entre nom et verbe se réduit au degré d’ouverture de la voyelle tonique. Voilà trois exemples : karéka s. ‚calvitie’ - kareka v. ‚devenir chauve’, karapáti s. ‚tique’ - karapati v. ‚s’agripper’, frónta s. ‚malheur’ - fronta v. ‚subir un malheur’. 3 (En 2001b Nicolas Quint a proposé une explication convaincante de ce phénomène sans recourir à une langue africaine). 5. Le cs. étend la distinction ‚essentiel/ occasionnel’ qu’il a héritée du portugais pour l’attribution (cf. pg. ser/ estar) au domaine de l’‚avoir’. Il distingue en effet au moyen de la paire ten/ tene entre une ‚possession essentielle’ (ten) et une ‚possession occasionnelle’ (tene). Cf. N ten dinheru ‚J’ai de l’argent, je suis riche’ vs. N tene dinheru ‚J’ai de l’argent sur moi’ ou encore N ten un livru. N’es momentu ê Juzé ki tene-l (RS) ‚Je possède un livre. En ce moment, c’est Joseph qui l’a’. (Cf. pour le modèle wolof Lang 2005 et ici 2.2.5.3.2) 6. Dans un groupe verbal complexe, par exemple une périphrase verbale, où un verbe auxiliaire est suivi d’un verbe principal, les désinences de l’antériorité (-ba) ou de la passivité (-du) peuvent se joindre au premier verbe, au deuxième verbe ou même à tous les deux. Pour rendre ‚Ils avaient fini de chanter, lorsque je suis arrivé’ on a ainsi les possibilités suivantes : Es kába di kantába / Es kabába di kánta / Es kabába di kantába, kántu N txiga (RS). 7. Les variétés basilectales du cs. offrent une solution optimale pour l’expression du nombre dans les rapports possessifs (un/ plusieurs possesseur(s) - une/ plusieurs chose(s) possédée(s)). Tandis que le pg. ne distingue, à la troisième personne, qu’entre une et plusieurs chose(s) possédée(s) (a sua casa et as suas casas), le cs., lui, différencie à l’oral, comme le fait le français à l’écrit, les quatre combinaisons possibles : si kása ‚sa maison’, si kásas ‚ses maisons’, ses kása ‚leur maison’, ses kásas ‚leurs maisons’ (de façon analogue, dans le domaine pronominal : kel di sel ‚la sienne’, kel di ses ‚la leur’, kes di sel ‚les siennes’, kes di ses ‚les leurs’). Le nombre des possesseurs s’exprime dans le possessif, celui des choses possédées dans le substantif ou dans le pronom démonstratif. (Cf. pour le modèle wolof ici 2.2.2.3.) 8. Les pronoms personnels toniques et les adverbes de lieu li ‚ici’ et la ‚là’ disposent d’une variante en apour la fonction thématique. La marque n’est pourtant jamais obligatoire. On a ainsi : (a)mi ‚moi’, (a)bo ‚toi’, (a)nho ‚vous (sg. m.)’, (a)nha ‚vous (sg. f.)’, (a)el ‚lui, elle’, (a)nos ‚nous’, (a)nhos ‚vous (pl. m. et f.)’, (a)es ‚eux’, (a)li ‚ici’, (a)la ‚là’. Cf. : Anha ê un mudjer, ami ê un ómi ... (343/ 7) ‚Vous, vous êtes une femme, moi, je suis un homme ...’. 3 Dans l’orthographe du cs., l’accent aigu sert à marquer le caractère ouvert de la voyelle tonique. <?page no="21"?> 21 9. Il existe une variante emphatique, augmentative de l’article indéfini. En effet, à côté de la forme atone un [ ] (avec un pluriel uns [ s] qui rappelle celui des langues iberoromanes), l’article indéfini du cs. présente une variante uma(s) [ um (s)], toujours tonique. Cette variante indique que l’objet désigné par le substantif qui suit possède certaines caractéristiques de sa classe à un degré extrême : O mudjer ! ... N tene uma gána kume kabésa ! ... (30/ 6) ‚Oh [ma] femme ! ... Je sens une telle envie de manger une tête ! ’, Nton, labánta kelóra kel uma tronku palásiu ki ningen ka ta sunhába ma un dia na mundu ta faseda (383/ 1) ‚Surgit alors un palais gigantesque, tel que personne n’avait [jamais] songé qu’un jour on puisse en construire au monde’. 10. Le cs. possède deux lexèmes qu’on peut antéposer à une phrase pour donner de l’emphase à une affirmation. Ce sont, d’une part, fórti, qui remonte au pg. forte ‚fort’ et qui, à part cet emploi particulier, connaît aussi ceux de son prédécesseur pg., d’autre part lébu, dont nous ignorons l’étymologie et qui ne connaît que cet emploi exclamatif : Nastási, fórti N tene sodádi bo ! (NL 42/ 31) ‚Nastási, ce que tu me manques ! ’, Lébu minina ! (RS) ‚Quelle jeune fille ! ’, Lébu ténpu máu ki sta oxi ! (RS) ‚Quel mauvais temps (qu’) il fait aujourd’hui ! ’. 11. Le cs. distingue entre deux conjonctions ‚que’ : ki et ma nominalisent tous les deux des propositions, mais ma ne sert qu’à introduire un discours indirect affirmatif : Maridu da kónta sédu ma mudjer sa ta da-l más ramédi ki kumida (33/ 6) ‚Le mari se rendit bientôt compte que la femme lui donnait plus de médicaments que de nourriture’. Étant donné que le cs. dispose en plus d’un si ‚si’, on peut dire qu’il possède trois nominalisateurs de propositions, l’un non marqué (ki), les deux autres spécialisés pour l’introduction du discours indirect affirmatif (ma) et interrogatif (si). (Cf. pour les modèles africains de ma ici 2.2.4.3). 12. À l’all. wie, au pg. como, au fr. comme(nt) etc. correspondent, en cs., deux mots qui diffèrent de par leurs signifiés et leurs fonctions. A sima B implique toujours une quelconque ressemblance entre ‚A’ et ‚B’, tandis qu’une quelconque équivalence entre ‚A’ et ‚B’ suffit pour justifier A komu B. Ainsi, sima sert, par exemple, à former le comparatif d’égalité : Bu kása ê grándi sima di meu (RS) ‚Ta maison est aussi grande que la mienne’. Et l’on dit, par exemple, E fase un djánta sima kel ki e ta faseba ántis di maridu duense (34/ 2) ‚Elle fit un dîner pareil à celui qu’elle avait l’habitude de faire avant que son mari ne tombe malade’. Lorsque les deux éléments introduisent une subordonnée, Sima B, A exprime surtout la simultanéité ou la postériorité immédiate : Sima S. Pedru abri pórta si p’el djobe ê kenha, ê si ki ómi fulia si txapéu la dentu (65/ 32) ‚À peine St. Pierre entrouvrit-il la porte pour voir qui c’était, l’homme jeta son chapeau à l’intérieur’. Un rapport causal, par contre, ne pourra être exprimé qu’à l’aide de komu : Komu nha ê si mai, nha debe konxe-l midjór ki mi ... (41/ 33) ‚Puisque vous êtes sa mère, vous devez le connaître mieux que moi ...’. Seul sima peut introduire une exclamation : Sima N gosta di serveja ! (RS) ‚Ce que j’aime la bière’, seul komu peut informer du rôle assumé par quelqu’un : ..., ami komu si padrinhu di botizádu, e tinha ki konbidába-mi kasamentu ! (NL 75/ 4) <?page no="22"?> 22 ‚... comme [je suis] son parrain, il aurait dû m’inviter aux noces’. (Cf. ici 2.2.4.4 pour la naissance de sima, éventuellement sous influence wolof.) 0.6 Pourquoi le wolof ? Munis de notre dictionnaire, notre grammaire et notre liste, nous nous sommes finalement tournés vers l’Afrique, dans l’intention d’interroger l’un après l’autre les trois ensembles linguistiques que Jean-Louis Rougé avaient déjà identifiés comme étant les plus susceptibles d’avoir joué un rôle majeur lors de la créolisation du portugais sur l’archipel capverdien et sur la côte frontalière (cf. 2.2.1) : les dialectes mandingues, le wolof et le temne. Nous avons commencé par le mandingue, plus précisément par le bambara, pour être la langue mandingue la mieux décrite. Ce n’est que tout récemment que nous avons consulté plusieurs ouvrages concernant le mandinka, dont l’aire atteint la côte atlantique à la hauteur de l’embouchure de la Gambie. Or, il faut bien dire que, à part quelques affinités dans le domaine phonique, d’ailleurs plus évidentes pour le bambara que pour le mandinka, nous sommes revenus bredouille de cette première recherche. L’empreinte mandingue et plus particulièrement mandinka est bien plus nette dans les créoles portugais du continent (celui de la Casamance et celui de la Guinée-Bissau) que dans le créole santiagais. Puis, c’est le wolof (w.) qui a retenu notre attention. Avec le wolof, tout a changé. Après un premier moment de dépaysement, nous avons eu la surprise de découvrir un nombre croissant d’affinités entre cette langue et le créole santiagais. Dans la deuxième partie de cet ouvrage, nous présenterons un assez grand nombre de cas où, compte tenu des réflexions exposées dans la première partie, il semble possible de reconnaître l’empreinte de langues ouest-atlantiques et notamment du w. dans le cs. Les renvois à cette deuxième partie nous permettent de ménager les exemples dans la partie théorique. Le contraste avec notre quête somme toute infructueuse du côté mandingue nous a rassurés. Nous cherchions pour trouver, oui, parce qu’une réflexion théorique nous y avait invités, mais cette conviction ne nous avait pas fait trouver n’importe où. On peut être à peu près sûr qu’il y avait des locuteurs de dialectes mandingues à Santiago, à la fin du XV e siècle, et qu’ils ont participé à la créolisation du portugais sur l’île. Mais les structures linguistiques du cs. moderne montrent que ce n’étaient pas eux qui ont donné le ton, dans ce processus. L’empreinte des langues des créolisateurs dans les créoles ne se limite donc pas à ce qui est commun à toutes. Elle semble généralement avoir un nom. Dans notre cas, cette empreinte est de toute façon ouest-atlantique plutôt que mandingue et très probablement carrément wolof. Puisque nous croyions avoir rencontré des traces certaines du wolof dans le créole santiagais, il a fallu interroger l’histoire pour savoir si des locuteurs wolof ont effectivement pu exercer un telle influence. Étaient-ils présents au <?page no="23"?> 23 bon moment (à la fin du XV e siècle), au bon endroit (à Santiago) et en nombre suffisant ? Il paraît que oui (cf. ici 2.1.3). Préférant exploiter à fond la mine wolof, nous laissons à d’autres ou à plus tard la tâche de mesurer l’influence du temne sur le créole santiagais. Il faudra d’ailleurs aussi examiner le serer, typologiquement proche du wolof et très présent, aujourd’hui comme alors, sur la Petite Côte entre le Cap Vert et l’embouchure de la Gambie très fréquentée par les négriers capverdiens pendant les premiers cent ans. 0.7 Difficultés Nous restons conscients des difficultés empiriques de notre entreprise. Nous ignorons quel a été l’état de la langue wolof aux environs de l’an 1500. Ceci tant pour ce qui concerne ses éléments et structures, qui peuvent avoir subi d’importantes transformations depuis lors, que pour ce qui est du degré d’intégration de ses variétés diatopiques, diastratiques et diaphasiques à l’époque. Il est en effet assez probable que le wolof en tant que tel ne soit né, par koinéisation de certains parlers ouest-atlantiques, qu’au cours de la formation du ‚Grand Jolof’, aux siècles qui ont immédiatement précédé l’arrivée des Portugais sur la côte. Nos informations concernant le portugais de l’époque sont à peine plus satisfaisantes. On est très bien renseigné sur la langue littéraire du siècle classique, mais on ignore à peu près tout sur les dialectes et sociolectes de l’époque. Le ‚langage des noirs’ du théâtre classique, les rapports des voyageurs de l’époque et les documents rédigés au Cap Vert permettent à peine d’entrevoir ce que peut avoir été le foreigner talk utilisé par les Portugais dans leurs contacts avec les Africains, le ‚portugais des marins’ et le portugais des colons portugais au Cap Vert. Enfin, le cs. a une histoire de quelque 500 ans derrière lui, vraisemblablement la plus longue de tous les créoles qui sont nés au cours de la colonisation européenne de l’outre-mer. Il est ainsi parfois extrêmement difficile de faire le départ entre ce qui remonte à la créolisation du portugais à Santiago et les innovations - souvent sous influence du portugais, resté présent sur place - qui appartiennent déjà à l’histoire de ce créole. Bien que nous puissions parfois remédier à ces handicaps, en nous appuyant sur des documents ou des hypothèses proposées par d’autres ou par nous-mêmes pour reconstruire des états dépassés, il faut bien confesser que, pour l’essentiel, nous comparerons - faute de mieux - le cs. d’aujourd’hui avec le wolof d’aujourd’hui et avec le portugais classique ou moderne. Cela n’est évidemment qu’un pis-aller. Pour ce qui est des langues des créolisateurs, ces problèmes ont été clairement énoncés par Robert Chaudenson : « la recherche des influences des langues serviles suppose d’abord l’identification de ces langues (ce qui est souvent loin d’être simple) et ensuite quelques informations sur l’état qui pouvait <?page no="24"?> 24 être le leur il y a trois siècles (ce qui est encore bien plus difficile) » (Chaudenson 1992a : 23). Si le premier de ces deux problèmes peut être considéré en partie résolu, le deuxième est d’autant plus inquiétant qu’il s’agit dans notre cas d’une profondeur historique de cinq siècles. Les africanistes réussissent d’ailleurs assez souvent à reconstruire à peu près des états dépassés de leurs langues (on trouvera un bel exemple sous 2.2.3.8) et nous nous y sommes aussi parfois essayé (un exemple sous 2.2.2.3). Il semble même que les créoles eux-mêmes puissent à l’occasion contribuer à éclairer certains points concernant l’état ancien non seulement de la langue de base et de ces dialectes, ce qui n’a jamais été mis en doute, mais encore des principales langues africaines impliquées. Dans le Dictionnaire étymologique des créoles portugais d’Afrique, de Jean-Louis Rougé, on lit sous bindi (2004 : 296) : « ‚couscoussier’. En wolof, yindi -bi, a le même sens. La consonne initiale du créole provient, vraisemblablement, d’un ancien préfixe de classe wolof ». 4 Somme toute : Les difficultés sont très nombreuses. Mais n’oublions pas qu’il s’agit de difficultés empiriques qui ne doivent pas nous empêcher de faire dans la pratique avec circonspection ce que faire se peut. 0.8 Limites Pour ce qui est de la partie théorique, nous avons déjà dit que nous avons mis l’accent sur l’aspect ‚apprentissage non guidé d’une langue seconde’ dans la créolisation et sur le rôle des langues ancestrales de créolisateurs dans cet apprentissage. Et il a déjà été dit que la partie empirique se limite à mesurer l’impact du wolof sur le créole santiagais. Il faut ajouter que, même pour le w., nous sommes très loin d’être exhaustifs. En plus de tout ce qui a pu échapper à notre attention (et ce sera beaucoup), nous avons délibérément exclu tout le domaine phonique. Ce n’est pas que les affinités y manquent. Il suffit de rappeler l’existence de consonnes phonétiquement pré-nasalisées en w. (et dans d’autres langues africaines de la région) et en cs. Mais les analyses phonologiques tant du w. que du cs. dont on dispose sont encore si discordantes qu’on risque de postuler des affinités ou des divergences qui découlent de différences dans les principes de l’analyse plutôt que d’affinités ou de divergences réelles entre les deux langues. On trouve par exemple aussi bien pour le w. que pour le cs. des descriptions qui leur trouvent des consonnes phonologiquement pré-nasalisées et d’autres qui ne leur en trouvent pas (cf. pour le w. Dialo 1981 : 26, Dialo 1983 : 25, Ka 4 L’existence de ces préfixes nous est confirmée par d’autres indices : on retrouve le w. sëriñ b- ‚marabout’ (Diouf 2003 : s.v.) dans les bisserins, bixirins, etc., si fréquemment mentionnés dans les descriptions de la côte africaine d’auteurs portugais et capverdiens du XVI e et du XVII e siècle, et l’on retrouve le w. ñoll w- ‚alcool (boisson)’ (cf. Diouf 2003 : s.v.) - avec mau lieu de w- - dans le miguol, mignol ‚vin de palme’ de Cadamosto (XV e siècle, cf. Cadamosto 1966 : 60) et le mignol de Dapper (1670, cf. Dapper 1964 : 177). <?page no="25"?> 25 1994 : 3.6, Faye 1999 : 10/ 11, Diouf 2001 : 11-13, Ngom 2003 : 1.1.2 vs. Manessy/ Sauvageot 1963 : 4, Sauvageot 1965 : 4-3, et pour le cs. Lang 1999 et Lang 2007 vs. do Couto & Souza 2006). Nous toucherons à peine au domaine syntaxique. À notre connaissance, cette partie de la grammaire w. attend encore une description quelque peu détaillée. En ne présentant généralement que des points où le w. semble avoir marqué le cs., nous risquons de fausser l’image. Il ne faut pas oublier les nombreux domaines où - pour le moment du moins - nous n’avons pas trouvé de correspondances entre le w. et le cs. et où le cs. est parfois assez proche du portugais. Pour pallier à cet inconvénient, nous avons voulu être assez exhausifs dans la comparaison d’au moins un domaine dans les deux langues. Le domaine choisi est celui des systèmes verbaux (cf. 2.2.3). Nous conseillons au lecteur désireux de se faire une idée du poids relatif des coïncidences et des discordances entre w. et cs. de s’en tenir à cette partie (cf. surtout le résumé sous 2.2.3.13). Les résultats obtenus quant à la distribution des empreintes portugaises et wolof dans ce domaine invitent d’ailleurs à multiplier ce genre de comparaisons de domaines entiers. 0.9 Démarche Dans la deuxième partie de cet ouvrage, notre présentation se distinguera de celle adoptée jusqu’à présent dans les études concernant l’empreinte des langues ancestrales des créolisateurs dans les créoles : nous partirons généralement du wolof pour en arriver au cs. Les faits portugais seront présupposés connus de nos lecteurs et ne seront rappelés que dans la mesure du nécessaire. C’est que nous aimerions inviter nos lecteurs à adopter systématiquement le point de vue de ceux qui bon gré mal gré ont été non pas les seuls, mais les principaux agents de la créolisation à Santiago. Pour surprenant que cela puisse paraître, l’exercice mental de se mettre à la place d’un esclave parlant telle(s) ou telle(s) langue(s) africaine(s) et de se demander quelles ont pu être ses activités mentales en tant que créolisateur, n’a encore jamais été sérieusement entrepris. Il y a des formes d’eurocentrisme parfaitement inconscientes. Notre essai ne pourra constituer qu’un tout premier pas pour remédier à cette situation. Une dernière remarque : une bonne partie de nos publications des dernières décennies ont été rédigées en vue de cet ouvrage. Nous allons donc réutiliser ces textes - très souvent au pied de la lettre, mais toujours avec les retouches de contenu et de forme nécessaires - sans y renvoyer à chaque fois. Le lecteur trouvera toutes les références pertinentes dans la bibliographie. <?page no="26"?> 26 1. Théorie 1.1 Le terme ‚créole’ et la créolistique 1.1.1 Tendances actuelles Un romaniste qui s’intéresse aux études sur les créoles à base française peut avoir l’impression que la créolistique telle que nous la connaissons est en train de s’auto-éliminer. Certains pionniers de la discipline ont d’ores et déjà renoncé à utiliser le mot ‚créole’ en tant que concept. Ils ne l’emploient plus que comme nom propre. Ainsi, ils appellent créoles les langues connues sous un nom qui dérive en dernière analyse de l’espagnol criollo ou du pg. crioulo (cf. le Kriyol de la Guinée-Bissau, le Krio de la Sierra Leone, etc.) ou alors ils limitent l’emploi de ce terme aux langues qui sont nées au cours de la colonisation du monde par les Européens, c’est-à-dire à ce que traditionnellement on appelait ‚les créoles à base européenne’. Dans cette perspective, les langues ‚créoles’ constituent des résultats d’évolutions accélérées, voir précipitées, mais tout de même comparables à celles qui ont produit le français, l’allemand etc. Selon les tenants de ce courant, il s’agit d’évolutions et de résultats qu’il faut s’attendre à trouver un peu partout dans le monde, sans que rien ne nous oblige à parler de ‚créolisation’ ni de ‚créoles’. La créolistique cesse alors d’être une branche de la linguistique théorique et générale comme le sont l’étude de l’acquisition, la sociolinguistique etc. pour devenir la philologie de ces langues. Voilà quelques passages tirés d’une publication de Salikoko Mufwene qui illustrent assez bien cette position : « There is no obvious yardstick for determining the point at which influence from other languages makes the resulting variety nonclassifiable genetically » (Mufwene 2001 : 129). « ..., there is no reason to deny that there was continuity, without a break anywhere, from the nonstandard lexifier to the creoles. » (ibid. : 133/ 134). « To be sure, similar social and linguistic developments [as in so-called creoles] took place elsewhere and at other times. However, the term creole was not used for their outcomes there and then. Thus, what we have everywhere seems to be simple evolution of languages from one state to another in different ecological conditions. » (ibid. : 138). « ... we are dealing with a matter of degree of change, subject to specific ecological conditions. » (ibid. : 143). En Allemagne, Thomas Stehl (2005 : 91) ne voit que différentes formes de ‚changements convergents’ dans la genèse du français (à partir du latin vulgaire et du celtique), dans la genèse des créoles français (à partir du français et de différentes langues d’Afrique) et dans la genèse des français régionaux (à partir du français standard et des dialectes romans qu’il recouvre). <?page no="27"?> 27 L’étude des évolutions qui ont produit les créoles n’aurait donc rien de vraiment spécifique à apporter à la théorie linguistique ni à la linguistique générale (cf. 1.3.4). Beaucoup de sous-disciplines auront disparu de cette façon, dans l’histoire des sciences, et on ne voit pas pourquoi la créolistique mériterait plus de regrets que d’autres. La question est de savoir si cette disparition est la conséquence logique de la disparition des problèmes considérés spécifiques jusqu’alors à cette sous-discipline ou si elle n’est pas plutôt due à une capitulation devant ces problèmes. Nous avons le vague sentiment que les abandons prématurés de ce dernier type sont assez fréquents de nos jours. Ainsi, pour ne donner qu’un seul exemple, la théorie des actes de langage, qui n’aspirait à rien moins qu’à nous apprendre ce qu’on peut faire avec le langage, est passée à un second plan, entre autre, semble-t-il, parce que les problèmes posés par la classification des actes illocutoires, par les actes explicitement performatifs et par les actes dits ‚indirects’ n’ont pas pu être surmontés d’emblée. Bref, nous doutons que la créolistique se trouve dans le premier des deux cas. Cet ouvrage tout entier prétend justifier ce doute. Nous essayerons sous 1.2 de montrer que le terme de changement, tel que nous l’a légué la linguistique traditionnelle, est effectivement inapproprié à saisir ce qui constitue la spécificité des évolutions qui produisent des créoles. Ici, dans 1.1, nous nous limitons à faire voir, en guise d’introduction, comment le terme de ‚créole’ en est venu, longtemps avant la naissance des études créoles proprement dites, à devenir le dépositaire d’une connaissance linguistique intuitive que nous aimerions voir explicitée et non pas négligée, ou simplement abandonnée. 1.1.2 Petite histoire du terme À ce tournant de siècle, Dieter Woll (1997), Peter Stein (1998) et Maria Jo-o Soares (2006) ont fait avancer considérablement nos connaissances concernant l’étymologie et l’histoire du terme créole. Dans ce qui suit nous puisons abondamment dans leurs publications. Rappelons que notre terme a désigné des êtres humains avant de désigner aussi des langues. Pour le moment, nous ne nous intéressons qu’à cette première phase de son histoire. 1.1.2.1 Terme désignant des êtres humains 1.1.2.1.1 Les premières attestations Dieter Woll (1997) a surtout exploité le Léxico hispanoamericano del siglo XVI de Boyd-Bowman, London : Tamesis 1971. Ce qui lui a permis de porter le nombre des attestations de notre vocable au XVI e siècle - à partir de la première qui date de 1562 - au nombre total de 15. Elles se trouvent toutes dans des <?page no="28"?> 28 textes espagnols qui ont été rédigés dans les nouvelles possessions espagnoles d’Amérique. La première attestation du portugais crioulo que donne Woll dans son article date de 1611. On la trouve dans un texte rédigé par le père jésuite Fern-o Guerreiro qui dit avoir rencontré « um crist-o crioulo da ilha de Santiago [de Cabo Verde] » (cf. Woll 1997 : 519 et 535). Entre-temps, l’historienne portugaise Maria Jo-o Soares a fourni une attestation de cinq ans plus ancienne et une deuxième de 1611, les deux sous la plume d’un autre père de la Compagnie, Baltasar Barreira, alors récemment arrivé au Cap Vert (cf. plus bas). 1.1.2.1.2 L’évolution morphologique du terme Confronté à une nette antériorité des premières attestations de l’esp. criollo par rapport à celles du pg. crioulo, Woll propose une explication qui invertit la direction d’emprunt admise par la tradition. Le vocable portugais aurait été emprunté à l’espagnol et non pas le vocable espagnol au portugais 5 . Examinons d’abord le côté morphologique de cette explication. Woll fait dériver de façon ingénieuse le vocable portugais, plus précisément une variante *crioilo de celui-ci, d’un diminutif esp. *criuelo, hypothétique mais régulier, de l’esp. crío. Ce substantif crío, dérivé du verbe esp. criar ‚élever’, est toujours bien vivant en espagnol. Sémantiquement, il n’est pas un nomen actoris, mais plutôt un ‚nomen patientis’ : il désigne celui qui est ou a été élevé par autrui (aujourd’hui : ‚enfant de bas âge’). Assez difficile à prononcer, le diminutif esp. *criuelo aurait été bientôt changé en criollo, peut-être dans la bouche d’esclaves venus d’Afrique. L’emprunt, en portugais, de l’espagnol *criuelo sous forme de *crioilo n’a rien de choquant. Woll fournit une petite liste d’emprunts portugais à l’espagnol où la diphtongue esp. [we] a été changée en pg. [oi]. Esp. mozuela, cazuela, lentejuela ont ainsi donné moçoila, caçoila, lentejoila en portugais. De pg. *crioilo on passe aisément à pg. crioulo, étant donné la variation séculaire du type pg. coisa ~ cousa, pg. oiro ~ ouro etc. La variante pg. crioulo, plus facile à prononcer que *crioilo, se serait imposée (cf. l’explication analogue du passage esp. *criuelo > esp. criollo mentionnée plus haut). Étant donné que toutes les attestations espagnoles du XVI e siècle, à commencer par la première de 1562, nous donnent criollo et non pas son hypothétique prédécesseur *criuelo qui seul pourrait expliquer le phonétisme du portugais *crioilo, crioulo, l’emprunt portugais à l’espagnol, s’il y a eu emprunt dans cette direction, doit avoir eu lieu très tôt. Cette dérivation morphologique, impeccable sur les plans morphologique et phonétique, semble compatible avec l’histoire : si les Portugais ont bien été les premiers marchands d’esclaves des Temps Modernes, les Espagnols, eux, 5 Peter Stein (1998), qui n’a certainement pas pu consulter l’article de Woll avant de rendre son ms. aux éditeurs du Lexikon der romanistischen Linguistik, constate le même rapport chronologique entre les premières attestations espagnoles et portugaises, mais il reste fidèle à la tradition qui voit dans le vocable espagnol un emprunt au portugais. <?page no="29"?> 29 ont été en Amérique leurs premiers clients. Woll en conclut : « nuestro vocablo no se explica en el ambiente de los negreros, que negociaban con los negros bozales pero tenían poco que ver con los llamados criollos / crioulos ; se explica sólo en el ambiente de señores blancos con casa ya en el Nuevo Mundo, en la que nacían esos criollos/ crioulos » (1997 : 524). Rappelons pourtant qu’une assez importante société esclavagiste lusophone a existé, à Santiago du Cap Vert, dès le XV e siècle. Au XVI e siècle, ses dirigeants se trouvaient parmi les plus grands acteurs de la traite atlantique. Nous venons de voir que c’est précisément là qu’on trouve les premières attestations du terme portugais. 1.1.2.1.3 L’évolution sémantique du terme Demandons-nous maintenant quelle peut avoir été l’évolution sémantique de notre terme. Dans les attestations du XVI e siècle, qui proviennent des quatre coins de l’Amérique espagnole, criollo désigne les descendants d’immigrés, la plupart du temps d’esclaves venus d’Afrique, qui sont nés dans les colonies. Woll conclut : « en su origen se trataba de una palabra fuertemente ligada al mundo de la esclavitud y que ahí servía para distinguir a los negros (nacidos y) ‚criados’ en casa de un señor blanco, de los bozales, nacidos aun en África » (1997 : 521). Woll ajoute pourtant : « Pero no es menos verdad que ya en el ejemplo aducido por Lavallé (Perú, 1567, [...]) se definen los criollos como los hijos de españoles ‚que acá han nacido’, 6 pensando, por lo visto, primeramente en los de padres blancos, pero dejando abierta la posibilidad de incluir a los hijos naturales de padre blanco y madre negra » (1997 : 521). Woll ajoute qu’on peut penser à un sens plus proche des origines que celui qui se réfère à l’Amérique. Notre terme aurait commencé par signifier quelque chose comme ‚crío, criazón’ (à peu près ‚pupille’, en français, ou ‚Zögling’, en allemand) dans des syntagmes qui ajoutaient la désignation du lieu où ou de la personne par laquelle le criollo en question avait été élevé. Parmi les premières attestations, nombreuses sont celles où notre terme est effectivement suivi d’un complément déterminatif de ce genre : « un negro mío ... de hedad de catorze años ... criollo de la dicha provincia de Yucatán » (1562), « esclava negra, criolla de esta villa » (1578), « una esclava nombrada Francisca, criolla de Cabo Verde » (1579), « María, criolla, esclaua del señor doctor Alarcón » (1578) etc. (cf. Woll 1997 : 532). L’observation selon laquelle le vocable servait à distinguer les esclaves criollos des bozales - et, comme nous le verrons tout à l’heure, parfois même des naturales - d’une certaine région, nous paraît importante. C’est cette opposition qui a dû privilégier les compléments de lieu aux dépens des com- 6 Ansaldo/ Lim/ Mufwene 2007 : 206 attirent l’attention sur le parallélisme avec le nom des Peranakan dans le Sud-Est asiatique, dérivé du malais anak ‚child’ et signifiant d’abord ‚personne (descendant d’immigrés chinois) né sur place’. <?page no="30"?> 30 pléments d’agent. On a fini par demander plutôt : ¿criollo de qué lugar? que ¿criollo de qué señor? Un passage dans le De naturaleza ... de 1627 (deuxième édition de 1647) du père jésuite Alonso de Sandoval confirme qu’encore au 17 e siècle l’esp. criollo n’évoquait pas forcément l’Amérique (et nous en verrons une autre preuve sous 1.1.2.2.2). Alonso de Sandoval qui résidait à Cartagena de las Indias s’était fait un devoir de baptiser tous les esclaves qui arrivaient à ce port sans avoir reçu le baptême ou sans l’avoir reçu dans les conditions prescrites avant leur départ. Cette préoccupation l’obligeait à distinguer, dans ceux qui lui venaient de Santiago du Cap Vert, trois catégories : « Suelen de esta isla [de Cabo Verde] venir tres suertes de Negros, assi como de la Santo Thome, como despues veremos : unos bozales, al modo de los que traen de Cacheo [dans l’actuelle Guinée-Bissau, J.L.] : otros ladinos, que hablan lengua portuguesa y llaman criollos, no porque ayan nacido en Cabo Verde, sino porque se criaron desde pequeños alli, aviendo llegado bozales, como dezimos de los Rios de Guinea. [...]. Otros llaman naturales y son nacidos y criados en la mesma isla de Cabo Verde y bautizados niños ; assi como llamados [sic] acá criollos a los nacidos y criados en nuestras tierras, y en ellas niños recibieron el santo bautismo ; ... » (139, cf. aussi Soares 2006 : 184). On peut supposer que le sujet de llaman criollos sont les négriers (généralement portugais) qui amenaient les esclaves. Pour eux, il n’était donc pas nécessaire, pour être criollo ou crioulo de X, ni que X soit égal à l’Amérique, ni que la personne en question soit née à X. X pouvait être une région quelconque et pour être criollo de X il suffisait d’avoir été élevé à X. Lorsqu’on utilisait le terme criollo sans complément, on sous-entendait ‚criollo de aquí’. Au moment où le père Sandoval rédigeait son traité, il y avait déjà des décennies que cet emploi sans complément de lieu était courant, du moins de l’autre côté de l’Atlantique. En 1606, le jésuite Baltasar Barreira décrit, après son arrivée à Santiago du Cap Vert, l’agriculture de l’île dans une lettre à son confrère Jo-o Álvares, assistant des jésuites à Rome : « A principal sementeira que fazem é de milho zaburro, deste comem ordinariamente os crioulos e pretos, fazem muita quantidade de xerem e cuscus ; dá-se muito bom trigo se o semeiam mas há poucos que o façam por vir muita farinha de fora de que se amassa cada dia todo o p-o que comem os portugueses ». En 1611 le même père écrit dans sa lettre annuelle que les « fazendas est-o cheias de gente crioula nascida dos negros e negras que habitam nellas, a qual nos dá muito trabalho nas confissões » (citations extraites de Soares 2006 : 182/ 183). À noter que Baltasar Barreira ne se croit pas obligé d’expliquer le terme à ses destinataires. On retrouve, chez Baltasar Barreira, cette affinité de notre terme avec le monde de l’esclavage dont parle Woll. Maria Jo-o Soares mentionne pourtant d’autres missives de jésuites résidant au Cap Vert où le terme sert à désigner les enfants des colons blancs (qui, au Cap Vert, ont pourtant tous une mère africaine ou mulâtre). <?page no="31"?> 31 Dans la première attestation française du terme, de 1659, il s’agit d’ailleurs nettement d’une personne blanche, fille de colons français. Cette attestation se trouve dans une Histoire de l’Isle de Grenade en Amérique écrit par un auteur anonyme et se rapporte à l’an 1649 : « ce fut en ce voyage que vint la première femme qui ait mis le pied dans La Grenade, et donné la première créole comme l’on parle icy. Je crois qu’on veut dire créature, et par corruption de langue ‚créole’, c’est-à-dire, le premier enfant venant des François né en l’isle, ... » (cf. Stein 1998 : 612 qui cite l’édition de Jacques Petitjean, Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal 1975, p. 59). Le lieu, l’époque et l’explication font penser qu’on était juste en train d’emprunter le terme. Somme toute, rien n’oblige à penser que notre vocable ait comporté, dès sa première application à des humains, une indication concernant la couleur de la peau (blancs, noirs ou mulâtres) ou du lieu (Amérique ou Cap Vert, par exemple). On peut fort bien imaginer que sa spécialisation ultérieure dans l’un ou l’autre sens, ait été, en Europe comme dans les colonies, le fruit de conditions spécifiques (cf. Woll 1997 : 522). Le terme s’applique, par contre, dès les premières attestations, à des humains qui ne font pas partie d’une population indigène de la région où ils ont été élevés, et il présuppose l’existence de concepts complémentaires pour les arrivés à l’âge adulte (cf. esp. bozal pour l’esclave et esp. chapetón pour le blanc) et, le cas échéant, même pour les nés sur place (esp. natural, tant pour les esclaves que pour les blancs). Nous croyons que, pour expliquer le sens que notre terme aura dans son application à des langues, il convient de partir de ce sens reconstruit par Woll qu’on retrouve sous la plume de Alonso de Sandoval et ses confrères au Cap Vert. Avant de passer à l’application de notre terme à des langues, demandonsnous, comment a pu naître l’idée qu’on ne pouvait être créole qu’étant né et ayant grandi en Amérique. Dans les textes espagnols du XVI e siècle écrits en Amérique et s’adressant à des métropolitains, notre terme est souvent présenté comme néologisme colonial et expliqué aux destinataires. C’est cette conversation transatlantique qui semble avoir entraîné sa réinterprétation. Les expéditeurs américains n’étaient pas des lexicographes. Ils ne visaient pas à donner une définition de leur concept ‚criollo’ - chose d’ailleurs assez difficile puisqu’il s’agit d’un concept relationnel qui, en l’absence d’une détermination de lieu incorpore un élément déictique. Ils se contentaient de préciser de qui ils étaient en train de parler. Leurs explications du type ‚los hijos de españoles que acá han nacido’ ne visaient pas le signifié, mais ceux qu’ils voulaient désigner. Les Européens pouvaient prendre de telles explications pour une indication de l’extension totale du terme. En procédant de cette façon, ils prenaient ce qui, pour les expéditeurs, était un nom commun pour le nom propre d’une certaine tranche de la population de l’Amérique espagnole (voir la ‚définition’ de Furetière 1690 « le nom que les Espagnols donnent à leurs enfants qui sont nez aux Indes [occidentales] » cité dans Chaudenson 1995 : 3). <?page no="32"?> 32 1.1.2.2 Terme désignant des langues L’emploi systématique de notre terme pour désigner des langues se fait attendre. Peut-être précisément parce qu’il présuppose l’emploi, en fonction adjective, sans adjonction d’un morphème de dérivation, d’un substantif désignant des personnes. C’est un peu comme si l’on commençait quelque part à parler de la langue des immigrants comme étant la langue immigrante puis que l’on passait simplement à l’immigrant. Il serait donc intéressant de vérifier si les autres emplois adjectifs de notre terme dans des expressions du type cuisine créole, musique créole etc. sont antérieurs, simultanés ou, au contraire, postérieurs à celui qui nous intéresse. Commençons par situer les premières attestations de ce nouvel emploi de notre terme dans leurs contextes respectifs. 1.1.2.2.1 Le manifeste antiesclavagiste de 1686 La première attestation est espagnole, elle date de 1686. Cette année-là, trois capucins espagnols, missionnaires à Bissau, envoient au roi Pedro II du Portugal un rapport de dix pages manuscrites, rédigé en espagnol, que son éditeur, Avelino Teixeira da Mota, n’hésite pas à qualifier de manifeste antiesclavagiste. Le rédacteur de ce manifeste, daté du 14 avril 1686, se présente comme étant Fray Francisco de la Mota, vice préfet de la mission des capucins sur la côte de Guinée. Outre la signature de son rédacteur, le document porte celle d’un deuxième capucin, Fray Ángel de Fuente de la Peña. S’y joint encore l’apostille suivante : « Lo contenido en dicho papel acerca del contrato de los negros es verdad, como por mas de 8 años lo e visto y oydo en fe de lo qual firmo Fr. Buenaventura de Maluenda M.io Capuchino. » (cf. l’édition du manifeste dans Mota 1974 : 119-133). Les capucins ne mâchent pas leurs mots. Se référant à la traite des noirs, ils affirment dès la première page : « hallamos, por dichos informes y por largas experiençias, que el dicho contrato y compras de negros es illicito, pecaminoso e injusto, ... » (Mota 1974 : 121). Le roi du Portugal est prié de faire étudier le problème « para que, si es illícito [este contrato], V. Mag. d lo prohiba, y se [sic] yo me aluçino, me mande el desengaño, y de uno y otro modo se aseguren las conçiençias de estos pobres y las nuestras. » (Mota 1974 : 130). Pour montrer que la traite manque de fondement légal, le rapport des capucins énumère les diverses manières de faire des esclaves qui ont cours dans les différentes régions de la côte. Pour la Sierra Leone, le texte retient : « La primera [manera] es, y la que tiene mas apariençia de justiçia, quando os [sic] cautivan por alguno delito que ellos llaman châi. Y esta palabra es criolla y comun en toda la costa, y a mi parecer segun la deriuaçion que veo haçer a los criollos, para su lengua, de la portuguesa, dicha palabra se deriua de achaque » (cf. Mota 1974 : 123). Châi serait donc le terme utilisé par les Africains de la côte pour désigner les crimes imputés à ceux qu’on voulait faire esclaves, et ce mot proviendrait du portugais achaque (cf. espagnol achaque) qui signifiait déjà <?page no="33"?> 33 à l’époque et signifie encore aujourd’hui entre autre ‚vice’ et ‚prétexte’ (cf. Bluteau 1712 : s.v. achaque). Cette étymologie de châi n’est pas très convaincante. Mais le passage est instructif à d’autres égards : il nous présente ce mot « criollo » châi comme appartenant à la langue des « criollos » et il nous apprend en plus que ceux-ci sont convaincus que leur langue dérive du portugais. Qui sont ces « criollos » ? Le manifeste nous fournit la réponse. Dès la première page, il mentionne « los cristianos criollos de esta tierra, que son los que mas entran a comprarlos [los esclavos] y siruen de interpretes » (cf. Mota 1974 : 121). Le esta tierra de cette citation renvoie directement à « estas costas, desde el rio de Gambea en cabo Verde asta el cabo y rio de Sierra Leona y Magrabomba » (cf. Mota 1974 : 121; Magrabomba, Madrebomba etc. « É o canal junto da actual Sherbro Island », cf. Mota 1974 : 122, note (2)). Autrement dit, les « criollos » de ce texte sont les membres des petites communautés créolophones de ce secteur de la côte qui descendent, d’un côté de commerçants et lançados portugais et capverdiens, et de l’autre d’indigènes africaines. On les retrouve d’ailleurs dans une énumération des groupes qui intègrent la population de Bissau. Notre texte dit à propos du port de Bissau que « ... ay publaçion [sic] de asta 600 christianos, blancos, esclauos y tongomas o criollos, desçendientes de estos gentiles, con quien estan mezclados, ... » (Mota 1974 : 127). Il faut probablement comprendre qu’il y a, parmi les chrétiens de Bissau, des Européens (blancs), des esclaves (noirs) et des tongomas ou criollos, qui, eux, sont généralement des mulâtres. (Tongomas, dans d’autre textes tangomaos ou tangomanos, est synonyme de lançados; tous ces termes désignent les Portugais et Capverdiens qui vivent sur la côte et les descendants que leur donnent leurs compagnes africaines. Ces tongomas servent d’intermédiaires entre les commerçants européens ou capverdiens et les Africains.) Il semble que nos capucins qui, au moment de la rédaction de leur ‚Informe’ ne disposaient déjà plus d’une licence pour continuer leur mission à Bissau (cf. Mota 1974 : 41), se soient méfiés du succès de leur démarche auprès du souverain portugais. C’est ce qu’on peut déduire d’un passage du fameux Premier voyage du Sieur de La Courbe fait à la coste d’Afrique en 1685 - voyage qui dura jusqu’en 1686 - puisque, selon l’éditeur du manifeste des capucins, c’est à eux que La Courbe se réfère là où le texte publié de son journal reprend après une lacune (cf. Mota 1974 : 41-57). La Courbe y mentionne plusieurs problèmes rencontrés par les capucins au cours de leur mission, et il ajoute : « Ils faisoient un grand scrupule de ce qu’on acheptoit des hommes, d’autant qu’ils disoient que la plus part estoient pris injustement, et pour faire connoitre cela à toutte la chretienneté, il [sic] firent un manifeste en latin qu’ils envoyerent en Espagne, en Portugal et en Italie et m’en donnerent un pour apporter en France » (La Courbe, éd. Cultru 1913/ 1973 : 212). D’après Avelino Teixeira da Mota, il ne peut s’agir que d’une version latine de notre manifeste, plus ou moins identique dans le contenu. <?page no="34"?> 34 1.1.2.2.2 Le journal de La Courbe Un passage de ce journal de La Courbe a longtemps été considéré comme étant la première attestation de l’emploi de notre terme pour désigner une langue. On retiendra pourtant que La Courbe parle d’une expérience qui date de 1686 et qu’il rédige son journal - ou la version finale de celui-ci - à une date non précisée postérieure à son retour, tandis que les capucins espagnols écrivent en 1686 et parlent d’une expérience sur les lieux qui s’étend sur huit ans (cf. Mota 1974 : 121 et 133). Le passage de La Courbe se réfère aux habitants d’Albreda, village à l’embouchure de la Gambie que le Français avait visité en été 1686. Le voilà : « Il y a parmy eux de certains negres et mulastres qui se disent Portugais, parcequ’ils sont issus de quelques Portugais qui y ont habité autrefois; ces gens la, outre la langue du pays, parlent encore un certain jargon qui n’a que tres peu de ressemblance a la langue portugaise, et qu’on nomme langue créole, comme dans la mer Méditerranée la langue franque; ... » (La Courbe, éd. Cultru 1913/ 1973 : 192; texte cité ou mentionné par Chaudenson 1979 : 9 et 1995 : 17, Bollée 1998 : 664 et Stein 1998 : 612). Albreda se trouve dans le nord de la zone concernée par le manifeste des capucins. Ceux qui, d’après La Courbe, y parlent créole sont des nègres issus de quelques Portugais, c’est-à-dire des mulâtres. Autrement dit, ce sont des créoles exactement dans le sens qu’a le mot criollos chez les capucins de Bissau. D’après La Courbe, le créole de ces créoles qui se disent Portugais - comme ceux de Rufisque, Porto d’Ale et Joal (cf. Ladhams 2006 : 89/ 90) - n’a que très peu de ressemblance avec le Portugais. La même chose nous est confirmée pour la langue des ‚Portugais’ de Rufisque et Joal. En 1669, Villaut de Bellefond rapporte que ceux de Rufisque « parlent un Portugais corrompu » et plus de cent ans plus tard, en 1787, R. Geoffroy de Villeneuve nous informe que les habitants de Joal « ... se disent [...] encore Portugais mais ils n’ont conservé de leurs pères qu’un jargon presqu’inintelligible ... » (cf. pour ces citations Ladhams 2006 : 101 et 102). On peut être sûr que, malgré cet écart, tous ces ‚Portugais’ de la côte étaient aussi convaincus que ceux de Bissau que leur langue dérivait de la langue portugaise. Ajoutons tout de suite qu’en 1730, la langue visée par La Courbe, se voit de nouveau attribuer l’épithète ‚créole’. Cette fois-ci par un Anglais. Au sujet des langues qui ont cours sur les bords de la Gambie, Francis Moore écrit : « The next language mostly us’d here is call’d Creole Portuguese, a bastard sort of Portuguese, scarce understood in Lisbon; but it is sooner learnt by Englishmen than any other Language in this River, and is always spoken by the Linguists [probablement = pg. línguas au sens de ‚interprètes’, rôle assumé entre autre par les créoles de la côte, J.L.], which serve both the seperate Traders and the Company » (cf. Ladhams 2006 : 102). <?page no="35"?> 35 La fin de la citation de La Courbe (« ... qu’on nomme langue créole, comme dans la mer Méditerranée la langue franque; ... ») nous laisse rêveurs ... Nous y reviendrons. Mais à Cacheu, un interlocuteur de la Courbe, probablement créole, fait une comparaison humoristique à peine moins intéressante. Écoutons encore une fois La Courbe : « Dans le commancemment que j’arrivay a Cacheau comme je ne sçavois point la langue portugaise, je parlois ordinairement latin; mais hors les religieux, je trouvois peu de gens qui l’entendissent; il y avoit pourtant quelques officiers de la garnison qui le parloient un peu; mais fort imparfaitement et le capitan maure [= pg. capit-o mor, J.L.] qui en sçavoit aussy quelque chose dit a ce sujet que je parlois le latin portugais, mais qu’eux parloient le latin creole; ... » (La Courbe, éd. Cultru 1913/ 1973 : 230). 1.1.2.2.3 Les témoignages de l’évêque Vitoriano Portuense concernant la côte africaine Huit ans plus tard, en 1694, nous retrouvons le nouvel emploi de notre terme. Cette fois-ci dans un texte portugais avec le pg. crioulo faisant fonction de substantif. Dans une lettre au roi Pedro II du Portugal, Vitoriano Portuense, évêque de l’énorme diocèse du Cap Vert de 1687/ 88 à 1706, l’informe que le roi africain de l’île de Bissau « Entende muito bem a língua portuguesa, e podera falar o crioulo / se quisera; porém entre todos aqueles reis gentios está introduzido por gravidade o falarem por intérprete ou chalona » (Mota 1974 : 69/ 70). Deux ans plus tard, dans son compte rendu du baptême in extremis du même souverain africain, l’évêque rapporte les premiers mots du roi, après son baptême dans les termes suivants : « daua mostras de grande consolaç-o, e pera explica lla, tanto que recebeo o baptismo falou (contra o seu costume) esta palaura crioulla : ‚Agora mi esta sabe’ » (ibid. : 103). Il y a là une gradation intéressante : ce roi, dont la langue maternelle devait être le papel, comprend le portugais et parle le créole qui est la langue de ses voisins immédiats, bien qu’il évite généralement de le faire pour des raisons protocolaires. 1.1.2.2.4 Les témoignages de l’évêque Vitoriano Portuense concernant les îles du Cap Vert Revenu à l’archipel capverdien, l’évêque informe le roi en 1697 des difficultés de communication dans la catéchèse des esclaves : « mesmo os que ficam em Santiago ficam meses e anos sem falarem palavra crioula e só depois de a começarem a falar é que entra o ensino » (cf. Soares 2006 : 188 et Pereira 2006 : 173). En 1700, dans une nouvelle lettre au même destinataire, le même évêque regrette qu’il n’ait pas trouvé, à Santiago, d’esclaves affranchis qui maîtrisent encore quelque langue africaine, mais seulement quelques esclaves qui « se lembravam das línguas maternas e também falavam esta crioula » (cf. Soares 2006 : 189). La langue courante aux îles du Cap Vert est donc aussi du crioulo. <?page no="36"?> 36 1.1.2.2.5 Succès du nouvel emploi Appliquer notre terme à des langues qui sont propres à des personnes qu’on désigne avec le même terme était partout virtuellement possible. D’autant plus qu’il se trouvait que ces langues s’étaient, comme leurs locuteurs, formées sur place sans être vraiment indigènes. Et de fait, le succès de l’emploi de notre terme pour désigner des langues ne fut pas moindre que celui de son premier emploi pour désigner des êtres humains. Dès le XVIII e siècle, longtemps avant que des universitaires commencent à s’intéresser aux langues créoles, ce nouvel emploi gagne toutes les grandes langues de l’Europe, mêmes celles de nations sans grande vocation coloniale. Nous le verrons à propos de l’allemand et du danois, où c’est un adjectif dérivé à l’aide d’un suffixe qui rend ce nouveau service (cf. all. kreolisch, dan. kreolsk). En effet, on retrouve le nouvel emploi dès 1736 sous la plume de Friedrich Martin, missionnaire allemand des frères protestants de Herrnhut, sur le côté opposé de l’Atlantique, à propos du créole néerlandais des îles Vierges : « Br. [scil. Bruder] Cars[tens] war fleissig wolt das neije testament ins carriolse bringen : es ist aber schwer : den sie besteht in allzu vieler Sprachen » (cf. Stein & van der Voort 1996 : 6/ 7). Trois ans plus tard, le grand protecteur de cette communauté religieuse, Nikolaus von Zinsendorf, en visite à l’île St. Thomas, prend congé de la communauté des esclaves convertis en leur adressant un « Abschied-Schreiben in Cariolischer Sprache » (cf. Stein & van der Voort 1996 : 6/ 7). À partir de 1742, les frères de Herrnhut commencent d’ailleurs à imprimer des lettres et des textes dans ce créole. L’utilité de ce créole pour l’enseignement religieux a amené les frères de Herrnhut à s’intéresser à ses domaines d’emploi, à ses origines, à ses structures, à son vocabulaire et même au phénomène de la créolisation des langues européennes aux Caraïbes en général (voir les nombreuses publications de Peter Stein sur ces sujets). Leurs écrits nous informent sur l’emploi de notre terme aux Caraïbes, dans la deuxième moitié du XVIII e siècle. Retenons tout d’abord, que chez Christian Georg Andreas Oldendorp, chargé d’écrire une histoire de leur mission, publiée en 1777, mais dont on conserve une première version manuscrite bien plus longue, le terme peut toujours embrasser, dans son application à des êtres humains, les Blancs qui ont grandi aux îles et leurs descendants. Dans son manuscrit, on lit : « Die europäischen Sprachen pflegen in Westindien sehr abzuarten. Mehrentheils können sie nur, die sie in Europa gelernt haben, rein sprechen : die dort zu Lande geborenen aber, oder Criolen, nicht also, ... » (cf. Stein & van der Voort 1996 : 2/ 3, souligné par Oldendorp). Dans la version imprimée de son histoire, l’auteur parle même de ‚créoles blancs’, dans un passage où il nous explique qui parle créole aux îles Vierges : « Auf diesen Inseln wird englisch, deutsch, dänisch, holländisch, französisch, spanisch und creolisch geredet. [...]. Creolisch reden die Neger, und wer mit ihnen zu verkehren hat. Daher die meisten weissen Einwohner des Landes, <?page no="37"?> 37 sonderlich die daselbst geborenen, diese Sprache verstehen. [...]. Da die blanken Kinder von Negerinnen gewartet werden, und unter Negerkindern aufwachsen; so lernen sie zuerst die creolische, oder Negersprache, und bisweilen weiter keine andere richtig. Es wird aber diese Sprache von den blanken Creolen feiner gesprochen, als von den Negern » (cf. Stein & van der Voort 1996 : 6). Ici, le créole est caractérisé comme étant la langue des Noirs, mais aussi celle des ‚créoles blancs’, puisqu’ils l’apprennent en première langue. Bien que pour Oldendorp le créole néerlandais des îles Vierges ne soit pas une langue à part entière, indépendante du néerlandais et du bas allemand, il admet qu’il est déjà courant d’en parler comme si elle l’était (cf. van Rossem & van der Voort 1996 : 4). Prises ensemble, les citations qui précèdent auront déjà fait comprendre que creolisch n’est pas, pour Oldendorp et ses confrères, le nom propre du créole des îles Vierges. Reprenons à ce sujet le texte de son manuscrit : « ... . Alles dieses zusammengenommen macht, daß man die Sprache der Criolen criolisch zu nennen pflegt; besonders, wenn sie von einer/ der Nationalsprache sehr wesentlich abgeht, und durch Einmischung vieles ihr fremden sich unterscheidet. Man hat also criolisch englisch, criolisch französisch, und dergleichen. » (cf. Stein & van der Voort 1996 : 2/ 3). Ou, dans la version imprimée : « ... jede europäische [Sprache], die in Westindien verderbt gesprochen wird, heißt creolisch » (cf. Stein & van der Voort 1996 : 6/ 7). Et si une telle langue était parlée ailleurs, disons sur la côte africaine ? Comme tant d’autres, Oldendorp voit surtout, dans les créoles, des versions appauvries de leurs langues de base. D’où le même jugement négatif que celui qui a pesé longtemps sur les langues romanes comparées à la latine. Le Danois Jochum Melchior Magens qui collaborait avec la mission luthérienne aux îles Vierges était plus circonspect. En 1770, il écrit dans l’introduction à sa Grammatica over det creolske sprog som bruges paa de trende danske Eilande St. Croix, St. Thomas og S. Jans i Amerika : « Det brugelige Creolske Sprog paa de Danske Eilande er deriveret af det Hollandske [...]. Det brugelige Creolske paa de Franske Eilande er deriveret af det Franske. Det brugelige Sprog, paa de Engelske Eilande og nogle Hollandske, er deriveret af det Engelske. Det Spanske Creolske Sprog er deriveret af det Spanske, og tales paa de Spanske Eilande og Curacao, som er Hollandsk. Paa den faste Kyst tales et Creolsk Sprog, som er componeret af Spansk og Indiansk » (traduction française de J.L. : « La langue créole qui a cours sur les îles danoises est dérivée de la hollandaise […]. Le créole qui a cours sur les îles françaises est dérivé de la [langue] française. La langue qui a cours sur les îles anglaises et sur quelques [îles] hollandaises, est dérivée de l’anglais. La langue créole espagnole est dérivée de l’espagnol, et est parlée sur les îles espagnoles et à Curaçao, qui est hollandaise. Sur le continent, on parle une langue créole qui est composée d’espagnol et d’indien », cf. Magens 1770 : 7-8, cité dans Stein 1998 : 613). <?page no="38"?> 38 Il serait absurde de penser que ces Danois et Allemands, derniers-venus dans la mer des Caraïbes, aient réinventé le nouvel emploi du terme créole, de l’autre côté de l’Atlantique. On les voit plutôt, dans leurs textes, expliquer à leurs compatriotes restés en Europe ce que l’on entendait déjà dans la région par ‚(langue) créole’. Quel que soit le lieu où ce nouvel emploi est né, les échanges continuels à travers l’Atlantique devaient le rendre rapidement connu dans toutes les régions touchés par la traite. 1.1.2.3 Bilan 1.1.2.3.1 L’emploi premier Nous avons vu que, dans son emploi premier, notre terme n’a jamais cessé de signifier, dans les milieux touchés par la traite transatlantique, ‚être humain élevé sur place, mais qui n’appartient pas à une population indigène’. C’est certainement de ce signifié qu’il faut partir, lorsqu’on veut expliquer la naissance de son nouvel emploi. 1.1.2.3.2 Priorité ibérique pour le nouvel emploi ? Nous avons constaté qu’au cours de la dernière quinzaine d’années du XVII e siècle, des Espagnols, un Français et un Portugais, venus de l’Europe sur la côte atlantique de l’Afrique y rencontrent une langue dérivée de la portugaise, mais qui s’en distingue nettement. Ils emploient l’esp. criollo, le fr. créole et le pg. crioulo pour la désigner. Seul le voyageur français, qui n’a fait qu’un bref séjour dans la région, thématise cette « langue créole » dans son rapport et se sent obligé d’expliquer à ses lecteurs ce que c’est. Les Espagnols et le Portugais ne doutent pas que le roi du Portugal comprenne, lorsqu’on lui parle de cette « lengua criolla » ou « língua crioula ». Il semble donc que, dans les milieux lusophones d’Afrique et d’Europe, on était déjà habitué depuis un certain temps, vers 1685, à appliquer le mot crioulo aux créoles portugais de la côte africaine et de l’archipel du Cap Vert. Dans ces circonstances, il n’est pas interdit de penser que c’est peutêtre sur la côte de l’Afrique et au Cap Vert qu’on a effectivement commencé à utiliser notre terme pour parler de langues. Nous disposons d’un terminus post quem pour ce nouvel emploi : en 1608 le père jésuite António Dias, récemment arrivé à l’archipel, caractérise la langue qu’il y trouve comme « língua ‚apartada’ do português » (cf. Soares 2006 : 190). Il aurait probablement employé le mot crioulo, si le nouvel emploi de ce mot avait déjà été usuel à ce moment-là. Les voyageurs étrangers du XVII e siècles antérieurs à La Courbe et Vitoriano Portuense utilisent en général des termes comme ‚portugais corrompu’ ou ‚portugais rompu’ pour parler des créoles de la côte ou de l’archipel (ainsi, par exemple, Villaut de Bellefond en 1669 et John Fryer en 1672, cf. Ladhams 2006 : 101 et Fryer 1909 : 45). <?page no="39"?> 39 1.1.2.3.3 Crioulo = língua dos crioulos Parmi les textes de la côte africaine mentionnés plus haut, le manifeste de Bissau est le seul à identifier de façon explicite la langue créole visée à ‚la langue des créoles’ (« ... segun la deriuaçion que veo haçer a los criollos, para su lengua, ... »). Mais l’équation langue créole égale à langue des créoles vaut aussi pour Albreda, à l’embouchure de la Gambie, sauf que ces créoles-là préféraient être appelés Portugais. Cette équation vaut encore pour les îles de Santiago et de Fogo, de l’archipel capverdien, les seules vraiment peuplées à l’époque. Vers 1770, Oldendorp nous confirme cette équation pour la zone des Caraïbes : « ... . Alles dieses zusammengenommen macht, daß man die Sprache der Criolen criolisch zu nennen pflegt » (cf. Stein & van der Voort 1996 : 2/ 3). À Bissau et à Albreda, on est crioulo lorsqu’on a grandi sur place ayant une double ascendance, portugaise et africaine. Aux îles, on peut être crioulo sans être mulâtre. Il y avait surtout beaucoup de crioulos cent pour cent noirs, esclaves ou esclaves libérés, à côté des crioulos à double ascendance. Oldendorp oppose les créoles blancs aux créoles noirs, qui ne parlent que créole. C’est que des deux côtés de l’Atlantique, le terme n’a jamais cessé de désigner avant tout un être humain élevé sur place qui n’appartient pas à une population indigène, et ceci en principe indépendamment de la couleur de sa peau. Nous avons vu que, selon le père jésuite Alonso de Sandoval, qui écrit dans la première moitié du XVII e siècle à Cartagena de las Indias, il n’était même pas nécessaire d’être né au Cap Vert pour se voir qualifié par les négriers de criollo de Cabo Verde. Il suffisait d’y avoir passé un temps suffisamment long pour s’être adapté à un nouveau mode de vie. Avoir appris à parler créole était probablement le signe le plus évident d’une telle adaptation. Dans les milieux négriers, parler créole avait ainsi tendance à devenir une marque de qualité de leur marchandise humaine. 1.1.2.3.4 Nom propre ou nom commun ? Bien que nous différenciions aujourd’hui pour les variétés linguistiques dont parlent les textes de la côte africaine mentionnés ci-dessus entre différentes langues créoles, à savoir le créole de la Guinée-Bissau, celui de la Casamance et celui du Cap Vert, il est assez probable que les gens de l’époque n’y aient vu qu’une seule langue, même s’ils y observaient une certaine variation d’un endroit à l’autre (cf. 1.1.2.2.1). L’étroite parenté de ces créoles n’a jamais été mise en doute et elle devait être encore plus grande à une époque où les relations entre les trois régions étaient encore bien plus étroites qu’elles ne le sont aujourd’hui. Mais même s’il était vrai que le créole de Bissau, celui d’Albreda et celui des îles ne formaient qu’une seule langue, pour les capucins de Bissau, l’évêque de Santiago, La Courbe et peut-être les locuteurs eux-mêmes, il ne faut pas en conclure que les criollo, créole et crioulo de ces textes étaient destinés à individualiser une langue à la manière d’un nom propre. <?page no="40"?> 40 Si tel avait été le cas, les étrangers auraient probablement eu tendance à imiter la prononciation locale du nom de la langue. Les capucins espagnols auraient pu nous parler d’une *palabra criola et La Courbe de la *langue criola, comme nous parlons aujourd’hui du krio de la Sierra Leone et du Tok Pisin de la Nouvelle Guinée. Nous ne croyons pas que nos auteurs aient voulu nous transmettre un nom propre, mais plutôt qu’ils ont traduit une expression qui désignait une langue en la caractérisant. Ils étaient convaincus que le pg. crioulo (ou le créole kriolu) était l’équivalent de leur criollo ou créole et que, si le terme portugais ou créole pouvaient s’employer pour caractériser une langue, on pouvait faire la même chose avec le terme correspondant de leur propre langue. 7 Ce que ces auteurs semblent vouloir dire, c’est que la langue en question est celle des créoles de la région. De la même façon, le « latin créole » du capit-o mor de Cacheu est le latin tel que le parlent les créoles de la région. Précisons toutefois que nous ne prétendons nullement que le désir d’individualiser en désignant une langue créole soit quelque chose d’incompatible avec la mentalité de l’époque. Nous savons par l’intermédiaire de Alonso de Sandoval que déjà en 1627 on appelait lengua de San Thomé ce qui, de toute évidence, n’est autre que le créole portugais de l’île de S-o Tomé (cf. Granda Gutiérrez 1970 : 6 qui rappelle à ce propos que nous continuons d’appeler Fá d’Ambo le ‚falar de Anobom’). Par rapport à Oldendorp et Magens le problème de savoir si, dans son nouvel emploi, le terme de créole est un nom propre ou un nom commun ne 7 Il ne faut pas trop s’étonner de cette conviction. Le commerce triangulaire et international de l’Atlantique menait à une mise en commun de tout le vocabulaire concernant la traite et l’esclavage chez ceux qui, négriers ou ecclésiastiques, y avaient affaire, d’une façon ou d’une autre. Qu’on pense à d’autres équations lexicales du type pg. boçal, esp. bozal, etc. ou esp. cimarrones, pg. cimarrões, fr. marrons, angl. maroons. Le journal de La Courbe illustre bien ce brassage linguistique : dès son premier voyage en Afrique, il les aura tous rencontrés : Français, Hollandais, Anglais, Espagnols et Créoles. Au point qu’il arrive à ce sujet du Roi Soleil de sortir son latin pour se débrouiller dans cette nouvelle Babel. La plupart de nos auteurs savaient parfaitement qu’il y avait des créoles de l’autre côté de l’Atlantique. C’est que depuis la deuxième moitié du XVII e siècle jusqu’à la fin de la traite, l’Atlantique constitue une gigantesque plaque tournante, sillonnée sans cesse, et généralement en sens unique, par les navires des grandes puissances coloniales. Les agents de ce commerce se rencontraient en Afrique chez les fournisseurs d’esclaves, mais aussi en Amérique où ils écoulaient leur marchandise humaine. Il faut se souvenir que, pour rentrer d’Afrique en Europe, on passait le plus souvent par l’Amérique. Nos capucins de Bissau rentreront en passant par la Guadeloupe (cf. Mota 1974 : 41), La Courbe fera escale à Saint-Domingue. Les ecclésiastiques s’intéressent aussi à ce qui se passe de l’autre côté de la mer. Rappelons à ce propos que nos capucins se réfèrent au traité de Alonso de Sandoval et que ce même Sandoval échangeait des lettres avec ses confrères de Luanda et du Cap Vert (cf. Granda Gutiérrez 1970 : 4/ 5, avec la note 16). Le combat des capucins pour les esclaves noirs avait d’ailleurs déjà été entamé cinq avant la rédaction du manifeste de 1686, à Cuba, par deux autres capucins, Francisco et Epifânio originaires le premier de Jaca dans l’Aragon et le deuxième de Moirans en Franche-Comté (cf. López García 1982). Etc., etc. <?page no="41"?> 41 se pose plus. Il saute aux yeux que leurs creolisch ou creolsk sont des qualificatifs. En résumé, si une langue créole est une langue parlée par des créoles et que des créoles sont des gens qui ont grandi quelque part sans faire partie d’une population indigène de ce lieu, on peut en principe parler d’une langue créole partout où il existe une langue qui est propre à des gens qui répondent à cette définition. Et effectivement : « Im amerikanischen Spanisch kann lenguaje criollo heute die nicht kreolisierte südamerikanische Variante des Spanischen bezeichnen » (Stein 1998 : 614). 1.1.2.3.5 Un certain rapport entre langues Qu’un homme de la région nous parle de « latin créole » nous semble être un témoignage précieux. Cet emploi de l’adjectif créole montre que la caractérisation d’une langue par notre terme peut véhiculer un deuxième sens qui intéressera plus particulièrement les linguistes : aux yeux des créoles qui possèdent des connaissances rudimentaires de latin, le rapport entre ce latin et le latin des latinistes ressemble en quelque sorte à celui qui existe entre leur créole et le portugais. Étant donné que les locuteurs de la langue franque de la Méditerranée ne sont pas des créoles, c’est surtout cette reconnaissance intuitive des rapports spécifiques qu’entretient une langue créole avec une ou plusieurs autres langues qui a pu inspirer l’étonnante comparaison de La Courbe. Il n’est pourtant pas le premier à utiliser le terme de lingua franca en relation avec les ‚portugais corrompus’ de la côte africaine. Les témoignages rassemblés par John Ladhams (cf. Ladhams 2006 : 103) montrent que Jean Barbot et le père Godefroy Loyer l’ont fait peu avant et peu après lui en se référant à des régions plus au sud (celles de la Sierra Leone, du Ghâna et du Bénin, chez Barbot). Godefroy Loyer prétend même que les locuteurs eux-mêmes parlaient de lingua franca. Or, ces emplois du terme lingua franca semblent concerner des pidgins au sens moderne du terme et souligner avant tout la fonction de l’idiome en question qui rappellait effectivement celle exercée par la lingua franca historique dans les ports de la Méditerranée. Les ‚Portugais’ ou créoles de la région plus au nord, eux, apprenaient leur ‚portugais corrompu’ en première langue, à côté de la ou les langue(s) africaine(s) de la région. Si donc La Courbe, au lieu d’appeler la langue des ‚Portugais’ d’Albreda langue franque, l’appelle langue créole, pour ensuite la comparer avec la lingua franca de la Méditerranée, ce sera moins pour souligner sa fonction que parce que ses rapports avec le portugais lui rappellent un peu ceux de la lingua franca de la Méditerranée avec les langues romanes. La Courbe semble avoir été un peu créoliste avant la lettre. Chez Oldendorp et Magens la caractérisation des langues créoles par l’existence d’un rapport spécifique avec d’autres langues qui leur sont contemporaines est déjà aussi importante que le fait qu’elles sont parlées par des créoles. Chez le premier, les langues créoles sont déjà par définition des ver- <?page no="42"?> 42 sions corrompues (« gebrochen ») de ces autres langues, chez Magens elles en dérivent (« deriveret »). Selon ce dernier auteur, il y en aurait même une sur la côte de l’Amérique qui serait composée (« componeret ») d’espagnol et d’une ou plusieurs langues indiennes ! Nous croyons que c’est cette réinterprétation de notre vocable qui a fini par cantonner définitivement son application à des variantes non créolisées de langues européennes dans certains coins d’outre-mer. Ce n’est que pour désigner les langages ‚corrompus’, dérivés ou composés, du type visé par La Courbe, Oldendorp et Magens que le terme a vite gagné l’ensemble des langues européennes. Pourquoi ? La réponse semble claire : C’est que les Européens avaient besoin d’un terme pour exprimer la reconnaissance intuitive, plus d’un siècle avant la naissance des études créoles proprement dites (cf. le titre des Kreolische Studien de Hugo Schuchardt, des années 1882-1890), d’un rapport spécifique entre ces langues ‚créoles’ et leurs ‚langues de base’ respectives. Certaines variétés coloniales de l’espagnol avaient beau s’appeler lenguaje criollo, elles n’ont pas été rangées sous le nouveau concept, parce qu’elles ne se trouvaient pas, avec l’espagnol, dans le rapport en question. C’était donc, en même temps, la reconnaissance, malgré tout le mépris qui a longtemps frappé ces idiomes, de leur relative indépendance par rapport à leurs langues ‚de base’. Mais pourquoi tout à coup, au XVIII e siècle, cette découverte d’une relation historique spécifique entre certaines langues et certaines autres ? Était-ce la première fois dans l’histoire de l’humanité que des langues vivantes se trouvaient dans une telle relation ? Certainement pas. Mais c’était peut-être la première fois qu’on avait quelque part dans le monde l’occasion de faire la constatation que toute une série d’idiomes , , , ... entretenaient des relations historiques analogues avec des langues A, B, C, ..., relations qui apparemment n’étaient pas les mêmes que celles, entre ‚langues mères’ (comme par exemple le latin) et ‚langues filles’ (en l’occurence, les langues romanes). En fait, nous ne connaissons pas d’autre période historique où plusieurs communautés linguistiques, qui entretenaient des contacts fort étroits entre elles, se soient lancées, presque simultanément à la conquête et à la colonisation du reste du monde. L’emploi du concept ‚créole’ pour désigner quelque variété coloniale pourra se révéler plus ancien que 1684. Mais il semble significatif que le sens de ce concept se précise et que son emploi avec ce nouveau sens se généralise en Europe à une époque où Portugais, Espagnols, Hollandais, Français, Anglais et, à une moindre échelle, même Danois, missionnaires allemands etc. étaient simultanément présents sur la scène coloniale. La reconnaissance intuitive d’un rapport spécifique entre ces langues créoles et d’autres langues leur étant contemporaines, rendue possible par un tournant assez singulier de l’histoire mondiale constitue le capital fondateur des études créoles dont il faut se garder, à notre avis, de faire trop vite bon marché. <?page no="43"?> 43 1.2 La créolisation 1.2.1 Introduction Dans ce chapitre 1.2 nous essaierons d’examiner de plus près l’intuition qui transparaît dans l’emploi du terme ‚créole’ chez des auteurs comme La Courbe, Oldendorp et Magens (cf. 1.1.2.3.5). Nous avons suggéré que leur emploi de ce terme trahissait la reconnaissance intuitive d’un type de rapport historique spécifique entre certaines langues, une qu’ils appelaient déjà ‚créole’, et une autre que nous appelons aujourd’hui la ‚langue de base’ ou la ‚langue lexificatrice’ de ce créole. Il ne s’agit donc pas, lorsqu’on cherche à préciser cette intuition, de disserter sur les langues créoles. Rares sont d’ailleurs à l’heure actuelle les créolistes qui prétendent que les créoles représentent - ne serait-ce qu’à leur naissance - un type particulier de langues (cf. pourtant McWhorter 1998, 2000 et 2005). Il faut plutôt essayer de comprendre le processus appelé ‚créolisation’ qui a produit et les créoles et ces rapports spécifiques. Et il faut le comprendre à la lumière d’activités mentales individuelles mais communes à toute l’espèce, qui, dans certaines situations sociales, peuvent produire une langue neuve. Ainsi le défi est double : sociologique et linguistique. Il s’agit bien d’arriver un jour à énumérer les conditions sociales qui, réunies, rendent la naissance d’un créole possible et de spécifier les circonstances dans lesquelles l’absence de certaines d’entre elles peut être compensée par la présence d’autres. Il n’en est pas moins vrai qu’on a intérêt, lorsqu’il s’agit d’élucider une intuition concernant un certain type de rapports historiques entre langues, à ne pas préjuger trop vite des conditions sociales susceptibles de les produire. À l’heure actuelle, aucune des circonstances sociales qui ont régné, d’après nos connaissances, à la naissance de certains créoles ne saurait être érigée, sans risque d’erreur, en condition sine qua non de la créolisation. 8 Ni l’esclavage, ni la plantation, ni l’insularité ou l’isolement, ni la pluralité des langues premières des créolisateurs, ni même l’écart social entre locuteurs de la langue de base et les créolisateurs ne peuvent prétendre à ce statut. 9 La seule chose 8 « The idea that a ‚crisis of communication’ obtained almost from the inception of these societies may be true only of particular plantation societies during particular historical periods, and it is doubtful that creole formation took place only in this context » (Kouwenberg 2006 : 207). Chez d’autres, c’est plus qu’un doute. Cf. notamment Ansaldo/ Lim / Mufwene 2007 : 205, 212, 218 et 221/ 222 au sujet des Peranakans dans le Sud-Est asiatique. 9 Pour s’en convaincre, il suffit d’invoquer les créoles qui sont nés sur les côtes, dans les postes de commerce, le baba malay (cf. Ansaldo/ Lim/ Mufwene 2007) ou le pitcairnese (cf. Ross/ Moverley 1964 et Holm 1989 : 546-551), véritables créoles, s’il y en a. Il est peu probable qu’il y ait eu multilinguisme du côté des alloglottes dans tous ces cas. Et si l’on veut parler d’écart social à propos de la société à Pitcairn, il faut convenir qu’il y revêtait une forme très particulière. On connaît assez bien les débuts de cette petite société, ce qui nous permet d’ébaucher ici une hypothèse concernant la naissance de son créole : Les marins anglais ont assez vite commencé à s’entre-tuer, à Pitcairn (pour plus de dé- <?page no="44"?> 44 qu’on puisse affirmer, c’est qu’il faut des circonstances sociales autres que celles ou une langue est transmise de génération en génération. Nous devons donc, pour le moment, nous contenter de comprendre comment a pu naître, en présence d’une certaine langue et dans des circonstances prototypiques relativement bien connues, une autre langue qui entretient des rapports de ce genre avec la première. Comme tant d’autres, nous choisirons à cette fin la plantation esclavagiste installée sur une île tropicale. Notre explication de la naissance d’un créole dans ces circonstances sera d’abord résumée en six points et figurée par un schéma récapitulatif. 1.2.2 La créolisation en six points 1. Les problèmes communicatifs qui, dans une plantation exploitée à l’aide d’une main d’œuvre esclave, mènent à la créolisation d’une langue L forcent des locuteurs alloglottes parlant d’autres langues l 1 , l 2 , ..., l n à se munir d’un instrument de communication C (le futur créole) qui permette la communication avec les locuteurs des autres langues l et - dans le meilleur des cas - avec les locuteurs traditionnels de L. Les discours en L étant les seuls auxquels tous les alloglottes sont exposés et le manque de connaissance de L étant le seul problème communicatif commun à tous ces alloglottes, L se présente comme étant le C le plus indiqué. 2. Par conséquent, C naît en tant que langue seconde des alloglottes. En ce sens, tout créole a connu une phase pidgin, sans qu’il s’agisse forcément d’un pidgin stable et/ ou élaboré 10 . Nous appelons ‚créolisation’ tout le processus qui mène à la création d’une langue seconde plus ou moins stable et élaborée et de là à une langue première forcément plus stable et plus élaborée. Si l’initiative de la créolisation revient bien aux alloglottes, il n’en est pas tails, cf. Holm 1989 : 10.8.5). Il est donc à peu près sûr que leurs compagnes polynésiennes étaient pendant un certain temps largement majoritaires. Les enfants de bas âge devaient donc forcément suivre le modèle linguistique de leurs mères plutôt que celui de leurs pères, ne serait-ce que pour cette raison. 10 En 1978 John H. Schumann affirmait « that pidginization may characterize all early second language acquisition and that under conditions of social and psychological distance it persists » (Schumann 1978 : 110). Et il est vrai que la plupart des caractéristiques d’un pidgin rudimentaire énumérées par Hall en 1966 caractérisent aussi les interlangues d’apprenants adultes (ces interlangues ne sont la langue maternelle de personne, leurs vocabulaires et grammaires sont réduits et elles ne permettent qu’une communication rudimentaire) (cf. Siegel 2007 : 176). En fait, un créole naît toujours d’interlangues et jamais sans que celles-ci aient d’abord donné lieu à une langue seconde commune à plusieurs personnes. Parler de créolisation sans pidginisation (cf. Bollée 1977, Chaudenson 1992 : 13 etc.) risque de faire oublier ces faits. Il vaut mieux, à notre avis, parler dans des cas comme celui de Haïti de « creoles that arise quickly, without a fully-crystallized pidgin state » (Thomason 2001a : 254). On peut bien sûr regretter que Hall n’ait pas tenu compte d’une possible assymétrie dans la communication entre maître et esclave (cf. Stein/ van der Voort 1996 : 1), à Haïti, pendant quelque temps, les maîtres utilisant un foreigner talk et chaque esclave bossal une interlangue d’apprenant individuelle. <?page no="45"?> 45 moins vrai que les locuteurs de L et les enfants des alloglottes y contribuent aussi, chacun à sa façon. 3. Des points 1 et 2 il s’ensuit qu’il y a, dans la créolisation, une composante d’apprentissage d’une langue seconde 11 non guidé et, dans la mesure où les alloglottes abandonnent leurs langues premières - « immediately if they are truly isolated within the community, later if there are other speakers of their L1 [= l] present » (Thomason 2001a : 255) - de language shift (ce qui n’autorise pas à réduire la créolisation à l’apprentissage imparfait d’une langue seconde). Pour ce qui est du point 3, nous sommes proches de Thomason et Kaufman (1991). 4. Dans leur apprentissage de L, les alloglottes procèdent comme tout locuteur qui se voit engagé dans un processus non guidé d’apprentissage d’une langue seconde. Ils partent, dans un premier temps, de l’hypothèse que tout dans L fonctionne comme dans leur l respective, sauf que les signifiants y sont constitués par d’autres suites de phonèmes. Ils essaient donc d’interpréter les substances phoniques et sémantiques des discours en L qu’ils entendent comme étant des occurrences de formes phoniques et sémantiques de leur propre langue. Avec le point 4 nous sommes proches de Claire Lefebvre et John S. Lumsden (cf. par ex. Lumsden 1999 et Lefebvre 2001). 5. Dans le cas de la créolisation dans une plantation, l’apprentissage de L (voir flèches pointillées dans le schéma récapitulatif ci-dessous) débouche sur la création d’une version créolisée de L, parce que - pour des raisons qui peuvent certainement varier d’un cas à l’autre - le but de la communication ‚horizontale’ entre les locuteurs des différentes l l’emporte, dès le début ou plus tard, sur celui de la communication ‚verticale’ avec les locuteurs héréditaires de L. 12 À l’apprentissage non guidé d’une langue seconde s’ajoute donc une négociation linguistique inconsciente entre les locuteurs des différentes l en vue de la création d’une langue commune à partir de leurs versions de L. 6. Les hypothèses linguistiques que différents (groupes de) locuteurs alloglottes conçoivent à travers le processus indiqué sous le point 4 - hypothèses plus ou moins ‚corrigées’ selon les cas, puisque les échecs dans la communication avec les locuteurs de L ne se font pas attendre - forment l’input de ce processus de négociation. On peut supposer qu’il y aura toujours dans cette négociation (comme dans d’autres cas de formation d’une langue commune), un groupe linguistique qui saura s’imposer, non sans faire certaines concessions aux autres groupes. 11 Sont nombreux les auteurs qui font ce rapprochement. Mentionnons de manière purement aléatoire Coelho 1880, 1967 : 102, Thomason/ Kaufman 1991, Chaudenson 1994, Lumsden 1999 : 130, Muysken 2001, Siegel 2004 : 153, ... 12 La créolisation n’a donc rien à voir avec une supposée incapacité des créolisateurs à acquérir L et elle ne présuppose même pas qu’ils manquent de l’information nécessaire pour acquérir L. Elle présuppose que la langue cible cesse d’être la cible ou, du moins, qu’elle cesse d’être l’unique cible, si tant est qu’elle l’ait été. (Thomason 2001b : 74 : « learners must surely decide sometimes, consciously or unconsciously, to use features that are not used by native speakers of the TL [target language] »). <?page no="46"?> 46 L C l 1 l 2 l 3 l 4 l 5 Tableau 1 : Schéma récapitulatif de la créolisation dans une plantation Il est évident qu’un locuteur qui part de sa l pour arriver à C ne dessinera jamais une courbe aussi parfaite que celles qu’on voit sur notre schéma. Mais la direction et la vitesse de son cheminement linguistique dépendront à tout moment de deux vecteurs correspondant, pour le premier, au désir et besoin qu’il éprouve de communiquer avec les locuteurs de L, et pour le second, à son désir et au besoin qu’il éprouve de communiquer avec les locuteurs des autres l. Dans ce qui suit, nous reprendrons avec plus de détails un aspect fondamental de la créolisation mentionné sous 1.2.2 : l’apprentissage. Beaucoup d’autres aspects, à peine effleurés sous 1.2.2, ne seront plus repris, parce qu’ils ne revêtent pas la même importance pour la tâche que nous entreprendrons dans la deuxième partie de cet ouvrage. Sous 1.2.4, il sera question des analogies entre l’apprentissage de la langue première et la créolisation. Sous 1.2.5 nous traiterons des analogies entre la créolisation et l’apprentissage par un adulte de la langue d’une société d’accueil. Pour terminer, nous insisterons sous 1.2.6 sur ce qui distingue la créolisation de tous ces types d’apprentissages. Précisons dès le début que le terme d’apprentissage sera toujours pris au sens d’‚apprentissage non guidé’. Une condition préalable pour réussir cette entreprise nous semble être la clarification, sous 1.2.3, de la relation entre apprentissage et changement linguistique. 1.2.3 Apprentissage et changement À l’heure actuelle, la ‚créolistique’ risque de disparaître comme sous-discipline de la théorie du langage. En effet : « Pour que le terme de créole se justifie en tant que concept (et non pas simple désignation d’une langue), il faut qu’il existe quelque part quelque chose d’exceptionnel (pour reprendre le terme de DeGraff 2003), ce qui est synonyme de spécifique (et n’a rien à voir avec anormal) ». 13 Or, l’existence d’une telle spécificité est sérieusement mise en doute. 14 13 (Pereira 2006 : 165, notre traduction). Dans l’original : « Para que o termo crioulo se justifique enquanto conceito (e n-o mera designaç-o de uma língua) é imprescindível <?page no="47"?> 47 Plus concrètement, c’est l’idifférenciation entre créolisation et changement linguistique qui semble devoir entraîner la disparition de la créolistique. 15 Il en résulte, entre autre, une incapacité de distinguer entre la scission d’une langue en dialectes, appelée ici sa ‚dialectalisation’, et sa créolisation. Voyons d’abord quelques spécimens de cette indifférenciation. 1.2.3.1 Emplois indifférenciés du terme de ‚changement’ en linguistique Au début du septième chapitre de son Introduction to contact linguistics, Donald Winford annonce : « In the next few chapters, we will be concerned with situations involving various kinds of second language acquisition, in which the target language (TL) is changed [souligné par J.L.] to varying degrees under the agency of learners. » (Winford 2003 : 208). Il s’agit des chapitres 7 Second language acquisition and language shift, 8 Pidgins and Pidginization et 9 Creole formation. À la page suivante il mentionne de nouveau « ... the changes [souligné par J.L.] that arise from learners’ creativity, ... » (Winford 2003 : 209). Cette formule laisse entendre qu’il y a tout au plus une différence de degré entre ce qui arrive lorsqu’une langue est changée par ceux qui la maîtrisent et ce qui arrive lorsqu’elle est apprise par des alloglottes. On retrouve cet emploi du terme de changement pour parler de créolisation sous la plume de Claire Lefebvre, Lydia White et Christine Jourdan. Dans l’introduction au volume L2 Acquisition and creole genesis qu’elles ont édité ensemble, elles écrivent : « It is possible to think of creoles in terms of extreme language change : ... » (2006 : 9; même rapprochement chez Michel DeGraff 2003 : 395). Reprenons encore quelques témoignages citées sous 1.1.1: Salikoko Mufwene affirme que « ..., there is no reason to deny that there was continuity, without a break anywhere, from the nonstandard lexifier to the creoles » (Mufewne 2001 : 133/ 134). Quelques pages avant, on avait déjà lu que « There is no obvious yardstick for determining the point at which influence from other languages makes the resulting variety nonclassifiable genetically » (ibid. : 129). Plus tard, on retrouvera la même idée : « ... we are dealing with a matter of degree of change, subject to specific ecological conditions » (Mufwene 2001 : 143, cf. déjà Mufwene 2000 : 77 et 81; on retrouve les mêmes idées chez DeGraff 2003 : 399/ 400). Comme on l'a déjà vu, Thomas Stehl (2005 : 91) ne voit que différentes formes de ‚changements convergents’ dans la genèse du français (à partir du laque exista algures algo excepcional (para adoptar a express-o de DeGraff 2003), que o mesmo é dizer específico (e que nada tem a ver com anormal) ». 14 « ... the overall aim of this volume, namely to test to what extent notions of ‚creole’ and ‚creolization’ are actually necessary and useful in accounting for cases of language creation ... » (Aboh/ Ansaldo 2007 : 39, cf. aussi plus bas notre sous-chapitre 1.3.4 sur le combat à l’exceptionalime). 15 La réduction de la créolisation à une série de changements survenus ‚en très peu de temps’ a une longue tradition, cf. déjà Van Name 1869-1870 : 123, plus tard Goodman 1964 : 135, Bollée/ Neumann-Holzschuh 1993 : 19/ 20 et 1998 : 181/ 182 etc. <?page no="48"?> 48 tin vulgaire et du celtique), dans la genèse des créoles français (à partir du français et de différentes langues d’Afrique) et dans la genèse des français régionaux (à partir du français standard et des idiomes romans qu’il recouvre). 16 À l’encontre de ce courant de pensée, nous essayerons d’abord sous 1.2.3.2 de montrer que les apprenants ne changent pas la langue qu’ils apprennent, ce qui nous permettra plus tard sous 1.2.4 de rejeter la réduction de la créolisation à une série de changements linguistiques. Sans renoncer à l’emploi indifférencié du terme de changement que nous nous apprêtons à critiquer, Sarah G. Thomason et Terrence Kaufman avaient d’ailleurs souligné, dès 1988, l’importance de la différence que nous visons pour les opérations qu’on peut observées lors de contacts entre langues. Et en 2001, Sarah G. Thomson insiste : « A major sociolinguistic distinction separates changes that occur when imperfect second-language learning plays no role in the process from those that occur when imperfect learning is a significant factor in determining the linguistic outcome of contact » (Thomason 2001b : 66, cf. les exemples qu’elle y donne). Elle appelle les deux évènements linguistiques en question borrowing et shift-induced interferences et précise : « In shiftinduced interference [...] the people who are responsible for the interference are non-native, and in fact not fully fluent, speakers of the language that is undergoing contact-induced change; they have not learned the target language perfectly, and their lack of knowledge results both in carryover of features from their original first language (L1) into the target language (TL) and in the non-appearance in their version of the TL of certain features of the TL » (Thomason 2001a : 250/ 251). 1.2.3.2 Un exemple : ancien fr. ante > tante C’est à l’aide d’un seul exemple que nous essaierons de montrer, sous 1.2.3.2, qu’on ne change pas une langue en l’apprenant et que, par conséquent, une ‚interlangue’ d’apprenant (cf. le titre de Selinker 1972) ne se laisse pas ranger, généalogiquement, sous la langue cible de l’apprenant. Étant donné le rôle que la plupart des créolistes reconnaissent à l’apprentissage dans la créolisation, on comprend l’importance d’une telle conclusion pour la théorie de la créolisation. Notre apprenant sera un enfant qui apprend sa première langue. De cette façon, nous évitons, pour le moment, le problème des interférences. Les étymologistes voient dans le substantif français tante une faute d’enfant qui, pour des raisons peut-être aléatoires, a fini par l’emporter sur le traditionnel ante, dans la langue française. Remontons donc au Moyen Âge, à l’époque où l’adjectif possessif ta se réduisait encore à t’ devant un substantif 16 On objectera avec Silvia Kouwenberg 2001 : 233/ 234 que « ... convergence in historical linguistics really characterizes a result, rather than the process that brings about this result. As such, it is a descriptive rather than explanatory concept ». <?page no="49"?> 49 commençant par une voyelle, c’est-à-dire dans les contextes où il sera plus tard remplacé par ton. 1.2.3.2.1 L’enfant On s’imagine assez facilement qu’un enfant, très souvent en contact avec une tante qui s’appelait disons Anne, ait pris le t’ante [ t-: t ] de ce t’ante Anne employé par son entourage pour lui parler de cette femme, pour un simple substantif - sur le modèle, par exemple, de oncle dans Oncle Paul est arrivé. L’entourage de l’enfant devait bientôt se rendre compte de son erreur. Par exemple, en l’entendant dire ma tante, comme aujourd’hui, au lieu de m’ante, comme on disait à l’époque. Est-ce que cet enfant a opéré un changement dans la langue française ? On répondra que non, puisqu’une hirondelle ne fait pas le printemps. Réduisons donc la portée de notre question : Est-ce que cet enfant a opéré un changement dans son français ? Oui, parce qu’il l’a enrichi d’un nouveau mot. Mais est-ce qu’il y a changé le mot ante en tante ? Non. Pour la simple raison qu’il ne possédait pas encore de mot ante qu’il aurait pu changer en tante. S’il avait su ce que signifiait t’ante, il n’aurait pas dit ma tante, mais m’ante. S’il a dit ma tante, c’est qu’il ne disposait pas du mot ante. Constatation analogue, pour ce qui se passe au plan du signifié, à celle que nous venons de faire pour le plan du signifiant : l’enfant ne devait pas encore connaître les fondements génétiques ou religieux de la ‚tantité’. Pour lui tante pouvait peut-être encore désigner n’importe quelle femme, sauf sa mère. Il n’a donc pas changé un signifié ‚tante’ (qu’il ne possédait pas) en ‚toute femme, sauf la mère’. Pour changer quelque chose à une unité de langue A, il faut donc la posséder, l’avoir intériorisée. Il faut pouvoir concevoir une règle du type ‚Remplace l’unité A par B, partout ou dans les contextes 1 à n’. Cet enfant manquait encore d’une unité ante ‚tante’ qu’il aurait pu changer en tante ‚toute femme sauf la mère’. Il n’a pas changé un mot, il en a conçu un en attribuant un signifié à la tranche phonique [ t-: t ] qu’il a découpé dans les discours des adultes. Ce faisant, il a donc changé (enrichi) son français en raison d’une analyse imparfaite de discours entendus. L’enfant a changé son français, mais son français n’était pas encore le français, celui qu’on vise lorsqu’on dit que tante a remplacé ante en français. Son français était un français d’apprenant. 1.2.3.2.2 Les adultes Est-ce dire que personne n’a jamais remplacé ante par tante en français ? Que ante est devenu tante, sans l’intervention de personne, en passant de la bouche des adultes aux oreilles de l’enfant ? Non. Ne serait-ce que parce que ce qui est passé de leur bouche à ses oreilles, c’était de toute évidence [ t-: t ] et non pas simplement [ -: t ]. Alors ? Ce sont les adultes qui ont remplacé ante par tante en français. Ils l’ont fait, en prenant le tante de l’enfant non pas pour ce qu’il était, à savoir une appro- <?page no="50"?> 50 ximation à leur langue, mais pour une déviation de celle-ci (‚Il dit tante au lieu de ante’). Et c’est cette déviation supposée, qu’ils ont imitée en effectuant le changement. Le désir d’aller linguistiquement à la rencontre de l’enfant et peut-être aussi l’hilarité que le mot de l’enfant a suscité à sa première apparition ont pu les amener à adopter tante à la place de ante. D’abord, ceux qui l’ont entendu de la bouche de l’enfant, plus tard, d’autres. Sans cet appui extérieur, jamais l’enfant n’aurait pu rester fidèle à son tante jusqu’à l’âge adulte. En pensant qu’ils possédaient maintenant le même mot que l’enfant, les adultes se sont certainement trompés. Comme nous l’avons vu plus haut, le signifié de tante ne devait pas encore être le même, chez l’enfant et chez les adultes. Le changement opéré par les adultes ne signifiait donc qu’un gain relatif pour l’enfant. Il pouvait, certes, garder le signifiant tante, mais il lui restait à rendre son signifié identique à celui qu’il avait chez les adultes. Il l’a certainement fait en modifiant ce signifié autant de fois que nécessaire, c’est-àdire en opérant d’autres changements dans sa langue d’apprenant, maintenant dans le mot qu’il avait conçu. La série de changements opérés par l’enfant dans sa langue d’apprenant, à commencer par la conception du mot tante, constitue son apprentissage, dans la mesure où ces changements rapprochent sa langue d’apprenant de celle des adultes. 1.2.3.2.3 Bilan provisoire 1.2.3.2.3.1 Les langues changées ne sont pas les mêmes Les deux côtés ont donc contribué par un changement au succès de tante. Mais ils l’ont fait de façon radicalement différente : ni les langues changées, ni les changements opérés n’ont été les mêmes. L’enfant a changé sa langue d’apprenant en concevant un nouveau mot, les adultes ont changé leur français en changeant un mot qui y existait déjà. Ils ont remplacé, dans leur signe ante, le signifiant ante par celui de tante. Ils pouvaient le faire, puisqu’ils disposaient déjà du mot ante 17 . Le premier changement est donc changement au niveau de la langue de l’apprenant, mais il n’est pas changement d’un élément de cette langue. Toutefois, ce changement opéré par l’enfant dans son français d’apprenant a fourni aux adultes l’occasion d’apporter un changement à un élément préexistant de leur français. 18 Personne n’a donc jamais changé un signe [ t-: t ], en remplaçant son signifié ‚ta tante’, par le signifié ‚tante’ (ou ‚toute femme qui n’est pas la mère de l’enfant’). D’où l’astérisque devant la représentation suivante : 17 Les changements dans la langue des adultes motivés par des créations enfantines sont évidemment infiniment moins nombreux que le nombre total de telles créations. 18 Cette distinction, fondamentale, est généralement négligée. Par exemple, lorsqu’on dit que les ‚erreurs’ en question « ‚creep into’ the replication or transmission process » (une métaphore de R. Lass et T.W. Deacon reprise dans Siegel 2007 : 173). <?page no="51"?> 51 * sé ‚ta tante’ sé ‚toute femme sauf la mère’ > st [ t-: t ] st [ t-: t ] (sé = signifié, st = signifiant) Ce prétendu changement résulte de la simple juxtaposition d’un état mental de l’adulte (à gauche) et d’un état mental de l’enfant (à droite). Admettre de tels changements, c’est admettre des changements sans agent et - à y regarder d’un peu plus près - irrationnels. 19 Par contre, le changement effectivement opéré par les adultes et qui consistait à remplacer, dans leur signe ante, le signifiant ante par celui de tante, sé ‚tante’ sé ‚tante’ > st [ -: t ] st [ t-: t ] est un changement rationnel avec, tout juste, ce grain d’irrationalité qui, tenu compte du champ lexical concerné, trahit son origine dans l’imitation d’une ‚faute d’enfant’ : ce changement ne correspond effectivement à aucune loi phonétique de l’histoire du français. Le fait que les langues changées ne puissent pas être les mêmes, chez l’enfant qui apprend sa première langue et chez les adultes, constitue bien le point crucial de notre argumentation. L’enfant n’a pas changé le français qu’il était en train d’apprendre, mais son français d’apprenant. Et le changement opéré par les adultes, celui qui a effectivement changé le français, n’est pas le même que celui opéré par l’enfant dans sa langue d’apprenant. Parler de changements dans une langue qui seraient dus à l’activité de ceux qui l’apprennent (cf. le passage de Winford cité sous 1.2.3.1) est pour le moins ambigu. Les apprenants peuvent tout au plus donner occasion à des changements dans cette langue. 19 Cf. Schwartz 1998 : 148 : « ..., Interlanguage should not be analysed from the perspective of the Target Language grammar, ... . » <?page no="52"?> 52 français d’apprenant français français changé enfant adulte apprentissage changement Tableau 2 : Schéma récapitulatif opposant apprentissage et changement du français 1.2.3.2.3.2 Les changements prototypiques ne sont pas les mêmes La différence entre les types de changements opérés par l’enfant et les adultes est, elle aussi, significative. Certes, un enfant - on vient d’ailleurs de le voir - peut, lui aussi, changer un mot qu’il possède et un adulte peut en concevoir un qu’il ne possédait pas auparavant, par exemple en l’empruntant. Il n’en est pas moins vrai que la création du mot tante par l’enfant appartient à ce type de changements qui constituent le prototype de ceux qui permettent aux enfants de se construire une langue d’apprenant. Admettons, avant de poursuivre, qu’on ne cesse jamais d’être apprenant dans sa propre langue. Les langues devant changer pour pouvoir continuer à fonctionner, on n’en finit jamais de changer sa propre langue et de l’ajuster sur celle de ceux avec lesquels on aimerait continuer à parler la même langue. L’interprétation des discours d’autrui vise donc toujours un double but, chez le locuteur compétent aussi bien que chez l’apprenant : celui, plus ou moins conscient, de capter leur sens, et celui, plus souvent inconscient, d’actualiser nos connaissances de la langue qu’on nous parle. Mais le poids des tâches à accomplir varie énormément selon qu’on est compétent dans la langue qu’on nous parle ou qu’on commence tout juste à l’apprendre. Pour bien s’en rendre compte, il est utile de distinguer trois types de savoirs auxquels un interlocuteur recourt pour l’interprétation d’un énoncé : 1. Savoirs extra-linguistiques concernant le monde et la situation. 2. Savoirs linguistiques universaux concernant le fonctionnement des langues humaines et les fonctions (prédicat, actants, circonstants etc., fonction substantive, pronominale, adjective, verbale, adverbiale, conjonctive etc.) qu’on risque de rencontrer dans un énoncé. 3. Savoirs linguistiques concernant les mots, constructions, etc. de la langue en question. Un locuteur compétent d’une langue donnée est capable d’interpréter correctement des énoncés relativement complexes et inattendus dans cette langue. Ses connaissances du troisième type lui permettent normalement de le <?page no="53"?> 53 faire. Le besoin d’actualiser ses connaissances de la langue n’entre en jeu que lorsqu’il croit découvrir, dans l’énoncé qu’il entend, quelque chose de nouveau qu’il veut adopter en tant que modèle pour la production et l’interprétation d’actes de parole futurs. Dans la plupart de ces cas, il lui suffira de changer quelque chose à une unité (phonème, groupe de phonème, morphème, mot ou construction) qu’il possède déjà. C’est ce qu’il fait, par exemple, lorsqu’il remplace, dans son signe pour la ‚tante’, le signifiant ante par celui de tante pour ‚parler comme l’enfant’. Il est évident que le manque, à la limite total, de connaissances du troisième type constitue le principal handicap de l’apprenant débutant face à celui qui maîtrise la langue. L’apprenant qui en est encore à ses débuts doit donc profiter de ses connaissances du premier et du deuxième type pour acquérir des connaissances du troisième type. Il lui faut pour cela des énoncés simples dont le sens s’impose à partir de sa seule connaissance de la situation et du monde. Parmi les critères qui faciliterons quelque peu sa tâche, il faut certainement compter la récurrence de certaines suites phoniques et la saillance de certaines syllabes dont on peut supposer qu’elles font partie de mots ‚lourds’ (substantifs, pronoms tonique, adjectifs, verbes, adverbes). Ce n’est que dans la mesure où l’apprentissage progresse que la situation de l’enfant se rapproche de celle du locuteur compétent. Avant de pouvoir changer quelque chose à des unités qu’il possède, il lui faut donc en créer. Avant de pouvoir changer le signifié de son tante pour le rapprocher de celui du mot utilisé par ses parents, il faut qu’il conçoive un mot tante’. Et étant donné que très peu de ces créations enfantines réussissent à amener les adultes à changer quelque chose à leur langue, il lui faudra souvent répudier ses propres créations. 1.2.3.2.3.3 Les analyses ne sont pas des réanalyses Vu l’importance de telles créations pour l’apprentissage, il importe de savoir, comment elles surgissent. Comment l’enfant a-t-il créé son tante ? Négligeant bien des détails, on ne risque pas de se tromper en disant, qu’il l’a crée à partir d’énoncés où figurait t’ante et qu’il comprenait (plus ou moins) globalement sans en connaître (exactement) l’articulation en signes linguistiques. S’il n’a pas raté complètement la cible, c’est avant tout parce qu’il a pu s’appuyer sur ses connaissances du premier et du deuxième type (cf. ci-dessus sous 1.2.3.2.3.2). Sa faculté langagière lui a permis de concevoir des hypothèses raisonnables quant à l’articulation de ce sens dans ces énoncés. C’est ainsi qu’il a pu arriver à découper une tranche phonique [ t-: t ] dans une chaîne phonique plus longue et à l’ériger en signifiant en lui attribuant le signifié ‚tante’ ou, dans un premier temps, peut-être ‚toute femme autre que la mère’ : <?page no="54"?> 54 sé ‚toute femme autre que la mère’ [... t-: t ...] > st [ t-: t ] Au tout début de l’apprentissage de la langue première, ce genre d’analyses s’effectuera au niveau de tout l’énoncé, mais il continuera encore longtemps aux niveaux des syntagmes et des mots. En effectuant de telles analyses l’enfant ne risque pas seulement d’ignorer des limites que les adultes connaissent, comme dans le cas de t’ante, mais encore d’en voir où ils n’en voient pas. Ainsi cet enfant de parents anglophones qui, à un cargo plane ‚mal’ analysé opposa un people-go plane (exemple tiré de Foster-Cohen 1999 : 74). Nous parlons de (fausses) analyses de la part des apprenants et non pas de réanalyses. 20 Le danger de confondre ces deux types d’analyses est grand. Il semble pourtant évident que le terme de réanalyse ne convient pas à ce qu’a fait l’enfant. L’enfant n’a pas réanalysé une expression française t’ante qui n’avait jamais existé dans sa langue, mais tout simplement (mal) analysé une chaîne phonique [... t-: t ...]. 21 La nature des fameuses réanalyses est autre. 22 Voici un exemple que nous avons utilisé en Lang & Neumann-Holzschuh 1999 : 1-10 (emprunté à une contribution de Ulrich Detges, dans le même volume) : Un interlocuteur conçoit pour l’énoncé Je vais faire mes courses au sens de ‚Je suis en route pour faire mes courses’ une interprétation du type ‚Je ferai (bientôt) mes courses’. Pour arriver à ce nouveau sens, au lieu de choisir l’analyse consacrée [Je sujet ] [vais verbe ] [faire mes courses complément directionnel ] il en a conçu une nouvelle du type [Je sujet ] [[vais auxiliaire ] faire verbe ] [mes courses complément direct ]. On voit qu’une réanalyse n’est possible qu’au prix d’un changement. Dans le cas qui nous occupe, il a fallu accorder au verbe aller la possibilité de fonctionner en tant que verbe auxiliaire au sein d’une nouvelle périphrase verbale (‚grammaticalisation’ du verbe aller). Pour nous, il y a donc réanalyse lorsqu’un interlocuteur imagine, en s’appuyant sur ses connaissances du premier et du deuxième type (cf. 1.2.3.2.3.2), pour un syntagme ou un énoncé présentant un certain ‚ordre li- 20 Detges parle de restructuring et de reanalysis à propos de notre analyse. Il fait pourtant la même distinction que nous, ce qui l’oblige à parler d’une creole-specific reanalyse (cf. Detges 2000 : 149, 150 et 154). On voit qu’elle n’est pas vraiment creole-specific. 21 Un raisonnement analogue a amené Ulrich Detges (2000 : 146-159) à nier que les marqueurs temporels ti (antérieur) et a/ va/ ava (futur) du créole mauricien soient le produit de grammaticalisations. C’est que rien ne prouve une existence de ses éléments, en créole mauricien, antérieure à leur ‚grammaticalisation’ (cf. aussi Schang 2002 : 258). 22 De nombreux linguistes se sont penchés sur ce phénomène depuis la célèbre contribution de Langacker de 1977, notamment pour étudier ses rapports avec la grammaticalisation. <?page no="55"?> 55 néaire’ d’éléments, un ‚ordre structural’ qui diffère de celui qui est accessible aux deux interlocuteurs et visé par le locuteur. 23 On voit que les réanalyses ouvrent des possibilités d’analyse supplémentaires (pour certains énoncés) et d’emploi supplémentaires (pour certains éléments de la langue), sans abolir les anciennes, du moins pour le moment (cf. Waltereit 1999 : 21) : L’énoncé qui nous a servi d’exemple est toujours ambigu et le verbe aller sert toujours de verbe de mouvement et de verbe auxiliaire en français. 24 On pourrait objecter que, - si les adultes n’avaient pas imité l’enfant, celui-ci se serait vu obligé de procéder à une nouvelle analyse de la chaîne phonique [ t-: t ], que - ce cas est infiniment plus fréquent que l’autre et que - rien dans le signifié du mot français réanalyse ne s’oppose à ce qu’on parle alors de réanalyse. C’est exact. Mais il faudra alors distinguer entre deux emplois de ce terme. En effet, si l’enfant était revenu sur sa première analyse pour en effectuer une seconde, il l’aurait fait pour rejeter la première. Et s’il avait tout de même opéré de façon temporaire avec les deux, il l’aurait fait pour voir laquelle des deux était la bonne. Rien de tout cela dans les réanalyses dont nous avons parlé et que visent la plupart des linguistes en employant le terme. Ces réanalyses sont redevables à une première analyse que rien n’oblige à rejeter du moment qu’on accepte la nouvelle. L’importance de la distinction entre les réanalyses (au sens étroit) et les analyses du type de celles que pratiquent les enfants saute aux yeux : prendre ces fausses analyses pour une réanalyse (au sens étroit), c’est faire comme si les enfants avaient d’abord appris la langue pour s’en éloigner par la suite. Si ce sont ces analyses plutôt que des réanalyses (au sens étroit) qui caractérisent toute sorte d’apprentissage non guidé, la créolistique devra en tenir compte (cf. 1.2.4). 1.2.3.2.3.4 Les interlangues d’apprenants ne sont pas généalogiquement classifiables sous leur langue-cible Si les apprenants d’une langue sont incapables, en tant que tels, de changer cette langue, une autre conclusion s’impose : leurs interlangues ne sont pas nées par ‚dialectalisation’ (pour ce terme cf. le début de 1.2.3) de leur langue 23 Pour les termes d’‚ordre linéaire’ et d’‚ordre structural’, cf. Tesnière 1976 : 19-24. Notre définition de la réanalyse n’exclut pas la possibilité qu’un locuteur réanalyse ses propres propos. 24 Cette coexistence - passagère ou permanente - du changé (ici le verbe de mouvement aller) et de ce en quoi il a été changé (ici un auxiliaire pour la formation d’un futur proche) est un trait caractéristique des vrais changements linguistiques qui peut aider à faire le départ entre ce qui est changement et ce qui est créolisation, comme l’ont très bien remarqué Annegret Bollée et Ingrid Neumann-Holzschuh 2002 : 98. <?page no="56"?> 56 cible et ne se laissent pas classifier, généalogiquement, sous celle-ci (cf. Thomason 2001b : 227). Par contre, le changement de ante en tante opéré par les adultes, peut parfaitement servir d’exemple pour illustrer la naissance d’un dialecte à l’intérieur d’une langue historique. En effet, chaque fois qu’un locuteur change quelque chose à la langue de sa communauté linguistique, il y déplace ou y engendre une frontière dialectale minimale, dite isoglosse. S’il y change quelque chose en imitant un autre locuteur de cette langue et qu’il réussit à reconstruire exactement le changement opéré par celui-là, il déplace une isoglosse en se rangeant lui-même du côté de celui qu’il imite. S’il est le premier (mais pas le dernier) à opérer ce changement, il crée une nouvelle variété de cette langue qui s’individualise par cette innovation. C’est ainsi que les changements linguistiques produisent la variation à l’intérieur d’une langue. C’est ce qui est arrivé en français lors du changement de ante en tante. Cette variation subsiste d’ailleurs jusqu’aujourd’hui. Il existe toujours des dialectes français qui ont gardé des traces de ante (cf. Wartburg, tome XXIV, 1969-1983 : s.v. am ta). Pourvu que les innovations qui se répandent de cette façon soient assez nombreuses, les locuteurs prennent indirectement conscience de cette variation en distinguant des dialectes (dans un sens large du terme, qui comprend les sociolectes et les registres) parlés dans certaines régions, par certaines couches de la population, dans certaines situations. Dialectes dont les locuteurs seraient incapables de préciser les contours. Les dialectologues sont invités à le faire en exigeant de tout parler suceptible d’entrer dans un certain dialecte la co-présence de certaines innovations. Bref : de tels changements constituent l’histoire interne d’une langue (du latin, par exemple) en même temps qu’ils produisent sa diversification en dialectes (les dialectes néo-latins, en l’occurrence) aussi longtemps qu’ils ne sont pas adoptés par l’ensemble de la communauté linguistique. Ces changements ne sont jamais des créations ex nihilo. En les opérant, les locuteurs peuvent, par exemple, s’inspirer d’autres langues ou dialectes avec lesquels ils entrent en contact. Mais même si nous avons affaire à l’introduction d’un élément appartenant à une autre langue (emprunt), il faut que les locuteurs l’adaptent à leur langue : Les modes de réalisation et les conditions d’emploi de ce nouvel élément seront forcément établis par rapport à ce qui se trouve déjà en place. Un emprunt du français à l’anglais est ainsi une innovation française plutôt qu’un bout d’anglais dans le français. Nous avons vu que les locuteurs peuvent aussi s’inspirer de créations d’apprenants. S’il le font, ils ne les prennent pas pour ce qu’elles sont, à savoir des approximations à leur langue, mais pour des déviations de celle-ci. Et ce sont ces déviations supposées, qu’ils imitent en opérant le changement. <?page no="57"?> 57 La linguistique historique cherche à reconstruire ces changements et à établir leur chronologie relative. C’est ainsi qu’elle retrace l’histoire et la filiation des langues. 25 Dans les cas où elle y réussit, nous avons probablement affaire à une tradition ininterrompue, à une même langue à différents moments de son histoire ou à une filiation de langues. Là où il faudrait admettre des changements irrationnels du type *t’ante ‚ta tante’ > tante ‚tante’, qu’on a vu sous 1.2.3.2.3.1, nous nous trouvons probablement face à autre chose. Nous soutenons donc que la scission d’une langue en différentes variétés, appelée ici sa dialectalisation, est le produit de changements linguistiques opérés dans cette langue (pour les changements linguistiques, cf. surtout Coseriu 1958 et 1988b), tandis que les approximations d’apprenants de cette langue et leurs interlangues ne sont pas le fruit d’une créativité linguistique qui s’exercerait de l’intérieur de cette langue. 1.2.4 Analogies entre l’apprentissage de la langue première et la créolisation Il n’est certes pas permis de réduire la créolisation à un « freezing of the language-learning-process at an early stage », pour utiliser la formule de Robert A. Hall (1974 : 156). Les créolistes sont cependant presque unanimes à reconnaître dans la créolisation une composante d’apprentissage de la langue dite de base (cf. le point 3. sous 1.2.2). Et bien qu’il y ait différentes sortes d’apprentissage non guidé d’une langue, il existe certaines analogies entre toutes. Pour notre propos immédiat, cela suffit. Nous réservons les différenciations nécessaires pour plus tard (cf. 1.2.5 et 1.2.6). En tant qu’apprenants, les créolisateurs se construisent, à partir des discours en langue de base qu’ils entendent, c’est-à-dire à partir des chaînes phoniques qu’ils perçoivent accompagnées du sens global qu’ils peuvent grosso modo leur attribuer, les unités d’une langue d’apprenant (‚interlangue’) un peu comme le fait l’enfant. Comme lui, ils commencent par des analyses forcément imparfaites de ces discours et comme lui, ils continuent à opérer des changements dans leur interlangue, même s’ils ne le font pas exclusivement dans le but de la rapprocher de la langue de base. De même que l’enfant ne change pas la langue des adultes, en opérant de tels changements dans sa langue d’apprenant, les créolisateurs ne changent pas non plus la langue de base en procédant de cette façon. De façon indirecte, les créations des créolisateurs peuvent évidemment, tout comme celles des enfants, donner lieu à des changements dans la langue cible. Mais pour que cela arrive, il faut, ici encore, que des locuteurs compétents de cette langue, au lieu de prendre ces créations pour les approximations 25 Par la même voie la linguistique pourra reconstruire l’histoire d’une langue d’apprenant. Dans notre cas, elle pourrait, par exemple, en arriver à la conclusion que maman à été remplacé, comme désignation pour toutes les adultes de sexe féminin, par tante dans les cas où il ne s’agissait pas de la mère. <?page no="58"?> 58 qu’elles sont, les interprètent comme étant des déviations de leur langue et les imitent en tant que telles. Les motifs qui pourraient les inciter à le faire peuvent être analogues à ceux suggérés sous 1.2.3.2.2 pour l’imitation de créations enfantines (le désir d’aller linguistiquement à la rencontre des créolisateurs, parfois l’hilarité que ces créations provoquent, etc.). 26 Le bien-fondé de notre comparaison entre l’enfant et les créolisateurs est confirmé par le fait que les ‚fausses’ segmentations du type tante et l’attribution à des segments ainsi obtenus de signifiés qui ne correspondent pas vraiment à ceux de la langue cible sont nombreuses, non seulement dans les interlangues d’apprenants adultes, mais encore dans les créoles. Voici quelques exemples du créole portugais de l’île de Santiago du Cap Vert : L’interjection Bénka ! ‚(Vers) Ici ! ’ du cs. remonte de toute évidence directement au pg. Vem cá ! ‚Viens ici ! ’ (cf. Brüser et al. 2002 : s.v. bénka interj.). Elle n’a pas pu naître en créole par contraction d’une suite de deux mots créoles, puisque tout indique que ‚ici’ s’est toujours dit li, en cs. (pour ce li à moitié wolof cf. 2.2.2.4), et non pas *ka. La voyelle tonique du verbe ben ‚venir’ est d’ailleurs fermée, en cs., et non ouverte comme celle de Bénka ! Le verbe dádji ['da i] ‚rouer de coups’ du cs. semble remonter à une fausse analyse de l’invitation portugaise Dá-lhe ! ‚Donne-lui ! (à savoir : des coups)’ (cf. Brüser et al. 2002 : s.v. dádji v.). Le pg. [ ] et le son qui correspondait à pg. <-e> ayant donné régulièrement [ ] et [-i], lors de la créolisation du portugais sur cette île, rien sur le plan phonique ne s’oppose à une telle dérivation. Par contre, ‚Donne-lui ! ’ se dit Da-l ! [ d l], en cs. De façon analogue le verbe djobe [ obi] ‚regarder, chercher, garder, examiner, choisir, essayer’ du cs. proviendrait d’une fausse analyse de la suite Olha 26 Le problème d’une éventuelle naissance des langues romanes par créolisation du latin vulgaire (cf. encore récemment Goyette 2000) peut donc être reformulé. Selon le critère adopté ici, il s’agit pour chacun de ces idiomes de savoir si, à un certain moment de son histoire, une interlangue d’apprenants alloglottes l’a emporté sur la langue des locuteurs compétents du moment, auquel cas, l’idiome en question ne serait plus généalogiquement classifiable sous le latin. Sinon, les influences substratiques ou superstratiques seraient l’effet de changements successifs opérés par les locuteurs compétents du latin vulgaire de chaque période désireux d’aller à la rencontre des apprenants alloglottes. Dans ce deuxième cas, plus en accord avec la tradition de la philologie romane, l’idiome roman en question serait né par dialectalisation. En 1606, Bernardo José de Aldrete, dans son ouvrage Del origen y principio de la lengua castellana ò romance qui oi se usa en España opte déjà, à la suite de Jaime Luis Vives, pour une explication du deuxième type : « Aeste modo [de los Godos] de hablar [el latín] se acomodaron los Romanos [...] como en el que hablauan, los que tenian el gouierno, i señorio de la tierra, [...]. Considerò esto mui bien Luis Viues, que tratando de los Godos dize assi. Qui seruiebant, et quidem Dominis superbissimis, ac crudelissimis, eum sermonem admiserunt, in que eo se exercuerunt, quo vti apud Dominos possent. Ita sermoni vere Latino, ac puro successit mixtus quidam ex Latino, et peregrino ». (ed. facsimilar y estudio de Lidio Nieto Jiménez, vol. 1, Madrid : C.S.I.C. : 1972 : 154). <?page no="59"?> 59 ver ! qui en portugais signifie ‚Regarde voir ! ’ (cf. Brüser et al. 2002 : s.v. djobe v.). 27 La particule verbale ál [ al] du cs. (qu’on trouve p. ex. dans Ál txobe ! ‚Qu’il pleuve ! ’) est à rattacher à la suite há de (cf. Rougé 1994 : 147 et Brüser et al. 2002 : s.v. ál part. verbale) qui apparaît dans la périphrase portugaise haver de fazer (p. ex. dans Há de chover ! ‚Il pleuvra forcément ! ’) et sa marque complexe de la durativité s’ta [st ], sa ta [s t ] (p. ex. dans Sa ta txobe ‚Il est en train de pleuvoir’) peut être expliquée à partir de (e)stá (cf. plus bas 2.2.3.5) qui, en portugais, est la troisième personne du singulier du présent de l’indicatif de la copule estar ‚être’ (cf. pg. Está a chover ‚Il est en train de pleuvoir’). Il semble que, dans tous ces cas, les créolisateurs du portugais à Santiago ont analysé les suites phoniques de discours portugais, mais qu’ils n’ont pas réussi à les analyser correctement. Nous avons dit que la création de tante par l’enfant ne faisait pas encore partie, en tant que telle, de l’histoire de la langue française. De même, celle de Bénka ! , dádji, djobe, ál et sa ta ne fait pas partie de l’histoire du portugais. Et la création de ces éléments créoles à partir de discours portugais n’appartient pas non plus à l’histoire du créole santiagais. Elle appartient à sa formation, c’est-à-dire à la créolisation du portugais à Santiago. Elle rompt avec la tradition du portugais. Parler d’un changement (dans quelle langue ? ) * sé ‚Viens ici ! ’ sé ‚Vers ici ! ’ > st Vem cá ! st Bénka ! (sé = signifié, st = signifiant) est aussi incohérent que de parler d’un changement * sé ‚ta tante’ sé ‚toute femme sauf la mère’ > st [ t-: t ] st [ t-: t ] en français (cf. 1.2.3.2.3.1). 27 Remarquons en passant, que, dans les trois cas qu’on vient de voir, c’est le phonétisme d’actes illocutoires directifs qui est à l’origine d’un mot créole. Cf. Detges 2000 : 149, note 21, pour fr. Fous (moi) le camp ! > créole de la Guyane foucamp, foumwalkan ‚s’en aller’. <?page no="60"?> 60 Sur le plan pratique, il faut donc se faire à l’idée que, dans les études créoles, les symboles > et ont souvent un autre sens que celui auquel la linguistique historique nous a habitués : Des formules du type pg. Olha ver ! ‚Regarde voir ! ’ cs. djobe v. ‚regarder’ ou Olha ver ! ‚Regarde voir ! ’ > cs. djobe v. ‚regarder’, par exemple, ne doivent pas suggérer que les créolisateurs aient procédé à une formation ‚délocutive’ du type lat. SALUTEM ! ‚Salut ! ’ SALUTARE ‚dire SALUTEM ! , saluer’ ou fr. Merci ! remercier ‚dire Merci ! ’. Cs. djobe ne signifie pas ‚dire Olha ver ! ’, comme lat. SALUTARE et fr. remercier signifient, respectivement ‚dire SALUTEM ! ’, ‚dire Merci ! ’. Bref : les créolisateurs ne sont pas arrivés à interpréter ‚correctement’ le pg. Olha ver ! Sur le plan théorique, il résulte que prétendre qu’il n’y a qu’une différence de degré entre la dialectalisation et la créolisation (cf. l’affirmation de Mufwene citée sous 1.2.3.1), c’est oublier que, tout comme les apprenants ne partent pas de leur langue cible, les créolisateurs ne partent pas de la langue de base. Ils s’en rapprochent. La distance entre un créole et sa langue de base n’est pas, dans la mesure où il s’agit d’une distance qui subsiste, le produit d’un changement opéré dans celle-ci par qui que ce soit. D’où l’irrationalité d’une bonne partie de ces prétendus changements et l’impossibilité de les ranger dans un ordre chronologique. 28 L’absurdité consiste à faire comme si les créolisateurs avaient d’abord appris la langue de base pour la créoliser par la suite. Il n’y a donc pas d’activité linguistique spécifique appelée ‚créoliser’ ou ‚créolisation’. La formation d’un créole est cent pour cent création et changement de ce qu’on vient de créer (ce qui est aussi une façon de créer) - mais ce changement n’est pas changement de la langue de base. Et puisque c’est justement par rapport à cette langue de base non atteinte que cette activité créatrice reçoit le nom de créolisation, la définition de la créolisation ne peut être que négative : la créolisation est cette création d’une nouvelle langue vue comme échec partiel de la reconstruction de la langue de base. 28 Il est toujours légitime de se poser la question de la chronologie relative de deux changements survenus dans l’histoire d’une langue, une des réponses possibles étant que leur diffusion a été plus ou moins parallèle et simultanée. Par contre, une telle question n’a aucun sens lorsqu’on compare différents produits de la créolisation avec leurs antécédents dans la langue de base : le pg. [ ] et le pg. [v] semblent avoir donné respectivement [ ] et [b], lors de la créolisation du portugais à Santiago (cf. pg. olho ‚œil’, vaca ‚vache’ > cs. odju [ o u], báka ['bak ]), sans qu’on puisse raisonnablement se demander lequel de ces prétendus changements a précédé l’autre. Le faire serait un peu comme si l’on essayait de faire la chronologie relative de la série de différences (de prétendus ‚changements’) qui séparent la prononciation de l’emprunt fr. handicap [-di kap] de celle de son modèle anglais [ hænd kæp]. <?page no="61"?> 61 1.2.5 Analogies entre l’apprentissage d’une langue seconde et la créolisation 1.2.5.1 Des apprenants adultes Il est temps, maintenant, de se souvenir du fait que, contrairement à Bickerton (1981 etc.) et à ceux qui l’ont suivi, la plupart des créolistes pensent comme nous que les vrais créolisateurs sont des personnes ‚linguistiquement adultes’ plutôt que des enfants. 29 La situation des créolisateurs ressemble donc plus à celle d’adultes engagés dans l’apprentissage de la langue étrangère d’une société d’accueil qu’à celle d’un enfant qui apprend sa première langue. Est-ce que cela refute les conclusions auxquelles nous sommes arrivés jusqu’ici ? Certainement pas complètement. Certains changements qu’on observe dans nos langues renvoient d’ailleurs à de fausses analyses qui ont été l’œuvre de locuteurs linguistiquement adultes. Et ce n’est pas par hasard, si de telles fausses analyses surgissent de préférence lorsqu’un locuteur adulte cherche à s’approprier une expression mal comprise d’une autre variété de sa langue (cf. fr. m’amie fr. ma mie) ou carrément d’une autre langue (cf. all. Sauerkraut fr. choucroute). 30 Or, en produisant de telles fausses analyses, le locuteur adulte n’a pas recours, de façon exceptionnelle, à une activité abandonnée après l’acquisition de sa première langue. Tout au contraire. Les locuteurs adultes ne cessent jamais de faire ce qu’ils ont fait comme enfants : ils analysent les discours de leurs interlocuteurs, pour les comprendre, bien sûr, mais aussi pour compléter ou actualiser leur connaissance de la langue, si besoin en était (cf. plus haut 1.2.3.2.3.2). À ceci près que les adultes se trompent rarement, dans leurs analyses, lorsqu’il s’agit de leur propre langue, tandis qu’ils ont toutes les chances de se tromper, s’ils cherchent à analyser des tranches de discours qui appartiennent à une autre langue ou à une autre variété de leur langue. Le propre des situations qui produisent des créoles étant précisément que les créolisateurs se voient constamment obligés à analyser des discours tenus dans une langue dont, au début, ils ignorent à peu près tout, 31 ils ont donc toutes les chances de commencer par toute sorte d’analyses incorrectes du point de vue de la langue de base, comme l’enfant qui apprend sa première langue. Jusqu’ici, notre parallèle tient bon. 29 Nous considérons comme ‚linguistiquement adulte’ toute personne qui maîtrise déjà au moins une langue. Notre affirmation n’est donc pas en contradiction avec le fait avéré que l’âge moyen des esclaves bossals qui arrivaient dans les colonies était assez bas. 30 De Boris Seguin et Frédéric Teillard, Les Céfrans parlent aux Français, Paris : Calmann- Lévy 1996 : 20 nous tirons ces exemples : vasi tu menerve; va te faire cuire un neuf. Là encore, il faut bien sûr que l’étymologie populaire soit réinterprétée comme changement, par les locuteurs compétents, pour qu’elle survive dans leur langue. 31 En 1880, Adolfo Coelho ecrivit que les mots de la langue de base leur arrivent ‚comme des ondes sonores tumultueuses’ (« como ondas sonoras tumultuosas », cf. Coelho 1967 : 104/ 105). <?page no="62"?> 62 Par un autre aspect, la façon de procéder des personnes linguistiquement adultes diffère pourtant considérablement de celle des enfants. Presque tout le monde admet que les enfants apprennent plus facilement que les adultes. C’est certainement vrai, mais on tire relativement peu de profit de cette constatation qui reste dans le quantitatif. N’y a-t-il pas aussi des différences qualitatives entre les deux types d’apprentissage ? La plupart des chercheurs pensent que oui. 1.2.5.2 L’interférence de la langue première 32 En fait, les difficultés de l’adulte ne résultent pas exclusivement d’une moindre flexibilité de son cerveau, elles découlent en bonne partie du fait qu’il maîtrise déjà une ou même plusieurs autres langues qui risquent d’interférer. Il semble en effet inconcevable qu’un adulte qui s’engage dans un processus non guidé d’apprentissage d’une nouvelle langue ne cherche pas à mettre à profit ses connaissances dans celle(s) qu’il maîtrise déjà. 33 Entre autre, parce qu’il ne dispose, pour cet apprentissage, ni de la facilité d’accès à la langue cible qui est celle de l’enfant, ni du temps que l’enfant y emploie. 34 Il est moins sûr que ce soient forcément les connaissances de sa ou de ses langues premières que l’adulte cherchera à mettre à profit. Il pourrait aussi avoir tendance à recourir à une langue plus répandue et/ ou plus prestigieuse, s’il en maîtrise. Pour simplifier l’exposition, nous ne considérerons par la suite que le cas de l’adulte qui apprend une deuxième langue. Il semble raisonnable de postuler que, faute de mieux, la première hypothèse de ceux qui se voient forcés à apprendre, sans l’aide de personnes bilingues, une deuxième langue totalement étrangère, sera toujours que tout dans cette langue se passe comme dans celle qui leur est déjà familière - à la seule exception près, que les signifiants, qu’ils supposent d’ailleurs composés de phonèmes dont ils disposent dans leur première langue, n’y sont pas les mê- 32 Jeff Siegel observe pertinemment que nous sortons d’une période où l’interférence d’une langue première dans l’apprentissage d’une langue seconde a été sous-estimée (cf. Siegel 2006 : 27 et 30; cet article témoigne d’ailleurs du renouveau de l’intérêt pour ces interférences). Dans le paragraphe 3 Transmission of substrate features de son article de 2007, le même auteur montre qu’une bonne partie des arguments qui ont été invoqués contre la présence de traits substratiques dans les créoles sont inconsistants ou ont pu être invalidés par la suite. 33 L’adulte qui s’approprie quelque chose d’une langue ou d’une variété étrangères n’échappe pas à cette règle : celui qui a (mal) analysé l’all. Sauerkraut, a eu recours à son chou et à sa croûte; celui qui a (mal) analysé m’amie, parce qu’il disait lui-même mon amie, a mobilisé la variante ma de la forme féminine de son pronom possessif de la première personne. 34 « That the full outcome of child acquisition <...> is more successfull than that of adult acquisition is attributable as much to the critical period [...] as it is to the substrate influence. The latter is itself an indication of human predisposition to seek similarities from one language to another. One also seeks to operate at the same level of complexity in the second language as in the first but in a shorter time than it took to reach that developmental stage in the first language » (Mufwene 1999 : 120). <?page no="63"?> 63 mes. Comme si les mots de la langue cible répondaient pour ainsi dire à d’autres numéros de téléphone, étant composés d’autres suites de phonèmes (d’où la nécessité d’une ‚relexification’ de la langue première). Tant mieux, si de temps en temps on croit tomber sur un mot dont le numéro semble être le même (ou presque) dans les deux langues. Ces illusions sont l’analogue de celles qui font naître les étymologies populaires du type choucroute. 35 Si notre parallèle entre l’apprentissage d’une langue seconde et la créolisation n’est pas un mirage, 36 il devrait être possible aussi de trouver l’analogue des étymologies populaires dans les créoles. En effet, le verbe cs. dádji ‚rouer de coups’, rattaché plus haut au pg. Dálhe ! , le verbe cs. djobe ‚regarder’, rattaché au pg. Olha ver ! , et la particule cs. ál (p. ex. dans Ál txobe ! ‚Qu’il pleuve ! ’), rattachée au pg. há de, se laissent aussi rapprocher respectivement du verbe wolof daaj ‚enfoncer en tapant, clouer’, du verbe mandingue juubee ‚regarder’ et de la particule wolof Yàlla, yal, grammaticalisation du nom de Dieu qui sert à introduire l’expression d’un souhait. Ces identifications précipitées de ce qui se ressemble 37 peuvent expliquer certaines irrégularités phonétiques lors de la saisie de certaines tranches phoniques par les créolisateurs. Supposons que le verbe du cs. jobe remonte effectivement au pg. Olha ver ! . Cet Olha ver ! aurait alors dû, en principe, aboutir à cs. *djabi [ bi], mais il a donné djobe [ obi]. Pg. há de aurait dû, en principe, donner cs. *ádi, mais il a donné ál. Pg. lá ‚là’ aurait, en principe, dû aboutir à cs. *lá [ la], mais il a donné la [ l ], apparemment sous l’influence des éléments africains mentionnés (cf. pour le dernier exemple 2.2.2.4). De façon plus générale, nous pouvons dire que, dans leurs tentatives d’analyse des énoncés entendus dans la langue cible, les adultes qui apprennent une deuxième langue partent d’énoncés dans leur langue première qu’ils pourraient utiliser pour dire ce qu’ils croient avoir compris. Ces énoncés de leur propre langue leur fournissent les premières indications pour une segmentation du continuum sonore qu’ils perçoivent. Leur désir d’en arriver à des mots conformes aux contours accentuels, aux structures syllabiques et à des séquences phonématiques acceptables dans leur propre langue leur en fournit d’autres. Aux éléments ainsi retenus seront attribués les mêmes signifiés qu’à ceux qui, dans l’énoncé parallèle de la langue première, produisent les effets de sens requis. 35 Pour cette reconstruction de l’hypothèse de départ des apprenants adultes d’une langue seconde, cf. Lang 1996 : 63/ 64 et Schwartz 1998 : 147. 36 « In the early stages of interlanguage and creole genesis, the mechanisms at work are similar, if not identical. As Spouse points out : ‚the early L2 learner and the early creole cocreator are cognitively and epistemologically indistinguishable’ » (Lefebvre/ White/ Jourdan 2006 : 7). « The explanation for the [creolization] process must lie in the regular mechanismes of language appropriation and shift under ecology-specific conditions that allowed significant influence (often by congruence) from languages previously spoken by the appropriators onto the target language ... » (Ansaldo/ Lim/ Mufwene 2007 : 212). 37 En 1988, Alain Kihm parlait de conflation (nous le citerons sous 2.2.1.2). <?page no="64"?> 64 À côté des critères qui guident l’enfant qui apprend sa première langue dans l’analyse des discours de son entourage, comme ceux de la ‚saillance’ de certaines syllabes et de la récurrence de certaines suites phoniques, l’apprenant adulte d’une langue seconde en utilise donc encore d’autres, presque toujours trompeurs : il cherche à retrouver, dans la langue qu’il apprend, les constructions, les signifiés et les phonèmes de sa langue première et des mots et syllabes qui correspondent aux structures canoniques des mots et syllabes de celle-ci. Dans ces circonstances, les analyses des discours dans la langue cible aboutiront forcément à toute sorte d’unités linguistiques qui diffèrent de celles de la langue cible, tant par leur signifiant que par leur signifié. L’espérance des apprenants que tout dans cette autre langue se passe comme dans leur première langue, sera bien sûr vite déçue par la pratique communicative. Elle sera alors abandonnée, mais à regret et seulement dans la mesure où elle sera effectivement démentie par cette pratique. 38 Les circonstances étant favorables, les unités ainsi obtenues seront donc remplacées par d’autres de plus en plus conformes à celles de la langue cible. Voilà les idées centrales de ce que certains appellent la théorie Full Transfer/ Full Access (FTFA) dans la recherche sur l’apprentissage d’une langue seconde (cf. Lefebvre/ White/ Jourdan 2006 : 10). 1.2.5.3 Substances en provenance de la langue seconde, formes en provenance de la langue première Les apprenants d’une langue seconde commenceraient donc effectivement par combiner des éléments de deux langues, mais pas de façon arbitraire. 39 Ils s’emparent de substances linguistiques qui leur sont fournies par les discours dans la langue cible qu’ils écoutent 40 et les rapportent à des formes linguisti- 38 Cf. Siegel 2006 : 33 citant Sharwood Smith 1996 : 75 : « learners assume that L1 parameter settings will work for L2 unless evidence turns up to disconfirm this assumption » (écriture cursive de Sharwood Smith). 39 Appliquée à la formation des créoles, cette idée a été formulée par Lefebvre/ Therrien 2007 : 0. Introduction : « Indeed, radical creole lexicons are not formed by an arbitrary mixture of properties of the lexicons of the languages present at the time they are being created. Rather, they appear to involve a principled contribution from the source languages. » 40 Dès 1880, Coelho affirmait que les créolisateurs formaient les créoles avec les ‚matériaux’ (« materiais ») de la langue de base (cf. Coelho 1880, 1967 : 104). Cette métaphore n’est jamais sortie de l’usage des créolistes. Cf. Hesseling (1979 : 69), dans un texte qui date de 1933 : « [The African slaves] learn the surface structure of the European languages, although they make them suitable for their own manner of thinking. [...]. The masters hear their own words, however truncated or misshapen, while the slaves employ the foreign material in a way which is not in complete conflict with their inherited manner of expressing themselves ». Sous une forme ou sous une autre, l’opposition substance/ forme apparaît chez beaucoup d’auteurs : Au sujet du sort des articles français dans les créoles à base française, Ulrich Detges (2000 : 148) parle de « material transmission and functional loss », deux pages plus loin, on lit : « the French article forms, the French verbal inflections ‚disappeared’ functionally while being retained materially ». Cf. aussi Bol- <?page no="65"?> 65 ques de leur première langue. 41 C’est pourquoi le verbe ‚mélanger’ et le substantif ‚mélange’ ne conviennent pas vraiment ni à une telle démarche, ni à ses produits. Pour rester dans le domaine de la chimie, il vaudrait mieux parler de ‚combinaison’ et de ‚composé’ (all. ‚Verbindung’). La métaphore du ‚métissage’, empruntée à l’anthropologie, convient du moins en ce sens qu’un métis n’est pas l’addition pure et simple de caractéristiques paternelles et maternelles, mais bien une refonte de telles caractéristiques qui produit un individu inédit. On exemplifie aisément cette combinaison de substances en provenance de la langue cible avec des formes en provenance de la langue première de l’apprenant en alléguant des fautes rencontrées dans les discours d’apprenants adultes, mais on peut aussi le faire en puisant ses exemples dans une comparaison des créoles avec leurs langues de base et les langues ancestrales de leurs créolisateurs. C’est ce que nous nous apprêtons à faire, pour démontrer le bien-fondé de notre rapprochement entre l’apprentissage non guidé d’une langue seconde et la créolisation. Cherchons d’abord du côté de l’expression. Que les créolisateurs aient commencé par interpréter les sons (= substances phoniques) qui constituaient les discours en langue de base comme réalisations de phonèmes (= formes phoniques) de leur langue première est une idée admise par beaucoup. Dans le créole portugais de Santiago, par exemple, tout se passe, dans le domaine du consonantisme, comme si des locuteurs africains parlant des langues au consonantisme proche de celui du wolof et du bambara actuels, avaient versé les substances phoniques de discours portugais dans les formes phonologiques de leur propre langue : - Certains moules (/ q/ , / h/ , / / , / g w / , / w/ ) restant vides par manque de substances phonétiques portugaises susceptibles d’y entrer, ont disparus. - Le moule / / a survécu dans des variétés archaïsantes de ce créole grâce à quelques africanismes (cf. cs. ánha ‚trognon d’épis de maïs’ et anhi ‚ronger’ etc.). - Les [v], [z] et [ ] du portugais de l’époque ont été systématiquement interprétés comme réalisations des phonèmes ‚africains’ (/ b/ , / s/ et / / ) et, par conséquent, reproduits comme [b], [s] et [ ]. - Le / / du portugais moderne devait encore se prononcer comme [ ], à l’époque de la créolisation, du moins dans certains contextes et dans certaines régions. C’est de toute façon ce qu’il a donné en créole santiagais dans la plulée/ Neumann-Holzschuh 2002 : 94, qui parlent de ‚continuité matérielle’ et ‚discontinuité fonctionnelle’ et renvoient à Detges, Alleyne et Mufwene, et Siegel 2004 : 151 « While it [Tok Pisin] has gradually developed its own complexities in morphology, these are derived from the lexifier only in form, not in function ... ». 41 « ... the creators of the creole use the parametric values, semantic interpretion rules and principles of concatenation of their own grammars in creating the creole ... » (Lefebvre 1998 : 48). Pour les termes de ‚substance’ et de ‚forme’, cf. Saussure 1978 : 155-158, Hjelmslev 1961 : 13, Coseriu 1967a : passim et Lang 1996 : 64-66. <?page no="66"?> 66 part des cas (le wolof et le bambara possèdent un / / , mais pas de / / ) : cf. pg. vaca > cs. báka, pg. casa [z] > cs. kása [s], pg. olho [ ] > cs. odju [ ] et pg. junto > cs. djuntu [ ]. - Les suites ‚consonne nasale + consonne’ ont été systématiquement interprétées comme étant la réalisation de phonèmes consonantiques pré-nasalisés : cf. pg. entender > cs. ntende [ ntendi] / d i/ etc. (cf. Lang 1999 et 2007). Ainsi est né un système consonantique créole qui, sans être identique à celui d’aucune langue ancienne ou moderne de l’Ouest africain, est cependant bien plus proche de certaines d’entre elles que du portugais ancien ou moderne (pour le système consonantique du cs. cf. Brüser et al. 2002 : XXIV / XXV; pour une explication analogue des chuintantes des créoles français cf. Lang 1981 : 204). On peut envisager une explication analogue du fait que, dans le créole santiagais, la plupart des mots portugais commençant par une voyelle l’ont perdue : dans le dictionnaire wolof de Fal et al. 1990, tous les articles de mots commençant par une voyelle une fois regroupés occupent à peine huit pages et demie sur un total de 243 pages. Dans le dictionnaire portugais que nous utilisons depuis des années, la relation est de 279 pages sur un total de 1061. Soit 3,3 % contre 26,3 % ! Tournons-nous maintenant du côté du contenu. Les créolisateurs commencent par interpréter le sens qu’ils croient avoir deviné (= substance sémantique) comme étant véhiculé par des signifiés de constructions et de mots (= formes sémantiques) qui sont ceux de constructions et de mots de leur langue première. Selon Ivens L. Ferraz (cf. Thomason/ Kaufman 1991 : 153), le segment portugais o pé ‚le pied’ (en créole de S-o Tomé p ) aurait été pris, par les créolisateurs du portugais à S-o Tomé, comme signifiant ‚pied et jambe (jusqu’au genou)’, en conformité avec les signifiés de mots kwa et bantu. Tout en comprenant que c’était de ‚pieds’ qu’il était question, ils considéraient que ce sens (= substance sémantique) avait été exprimé à l’aide d’un signifié (= forme sémantique) du type ‚extrémité inférieure du corps (à partir du genou)’, signifié dont ils disposaient dans leur propre langue. Pour notre part, nous montrerons dans la deuxième partie de cet ouvrage, que certains effets de sens (= substances sémantiques) des formes verbales pg. tem ‚(il) a, (il) possède’, esp. tener ‚id.’, ital. tenere ‚halten’ (les trois langues étaient présentes à Santiago, à l’époque de la créolisation) ont été pris par des créolisateurs wolof pour des emplois des signifiés des verbes w. am ‚avoir (possession essentielle)’ et ame ‚avoir (possession occasionnelle)’. Sinon, comment expliquer l’existence d’une opposition analogue entre ten ‚avoir (possession essentielle)’ et tene ‚avoir (possession occasionnelle)’ en cs. (cf. 2.2.5.3.2) ? Même chose pour les signifiés de morphèmes grammaticaux et de constructions : nous montrerons ainsi que la troisième personne de l’indicatif présent (es)tá (> cs. ta) du verbe pg. estar, qui, dans la périphrase verbale está a fazer uma coisa ‚il fait, est en train de faire qc’ exprime la progressivité, s’est vu <?page no="67"?> 67 attribuer, par les créolisateurs wolof à Santiago, le signifié de leur particule verbale de l’imperfectivité di (cf. 2.2.3.2). Dans les créoles français de l’océan Indien, la réduplication du verbe a été interprétée de deux façons : marse-marse ‚to walk and walk (for a long time/ a long way)’ et - sur un modèle malgache - mars-marse ‚to walk about (with no particular destination in mind’ (cf. Baker 1997 : 101). Dans les parties effectivement créolisées d’une langue créole, les substances proviennent donc, en dernière instance, de discours en langue de base, les formes des langues ancestrales des créolisateurs. Pourtant ‚provenir de’ n’équivaut pas à ‚être identique à’. Nous ne prétendons nullement que ces substances et ces formes soient identiques, par exemple dans le cas du créole santiagais, à celles du portugais et du wolof d’aujourd’hui ou d’antan. Une telle affirmation reviendrait à négliger d’autres aspects de la créolisation, notamment celui d’une correction partielle par apprentissage continu (cf. 1.2.6.1) et celui d’une modification des premiers résultats au cours de la recherche d’un compromis entre différentes créolisations proposées par différents groupes linguistiques (cf. 1.2.6.3-5). 1.2.5.4 L’insuffisance des formules antérieures Que la créolisation commence chez l’individu par une combinaison d’ingrédients en provenance d’au moins deux langues, c’est ce qu’ont compris de façon intuitive ceux qui, par le passé, ont attribué aux langues dites de substrat un rôle constitutif dans la formation des créoles. Leur peu de succès semble être dû au fait qu’ils n’ont jamais su expliciter correctement cette intuition. En fait, au lieu de voir dans les créoles des alliances entre substances en provenance de la langue de base et formes en provenance des langues ancestrales des créolisateurs, ils affirmaient que c’était le lexique qui provenait de la ‚langue lexificatrice’ et la grammaire qui provenait des ‚substrats’. 42 Ils l’ont probablement fait à contre cœur, si évident est-il que, mis à part quelques cas exceptionnels, la matière phonique des éléments grammaticaux des créoles provient tout aussi bien de leur langue de base que celle de leurs éléments lexicaux. 43 Et nous venons de rencontrer les premiers exemples qui montrent que, de façon complémentaire, ce ne sont pas seulement des signifiés grammaticaux qui dérivent des langues ancestrales des créolisateurs, mais aussi 42 Cf. entre tant d’autres Adam 1883 et Taylor 1956. Sarah G. Thomason 2001b : 75 risque de perpétuer le malentendu, lorsqu’elle affirme : « The crucial prediction about shiftinduced interference is that, unlike borrowing, it does not start with the lexicon. Instead, it starts with phonology and syntax; ... ». Nous souscrivons, par contre, à cette affirmation concernant le produit d’un contact de langues : « if we can establish significant structural interference, but there are few or no loanwords, then the interference must have come about via imperfect learning of a target language ... » (Thomason 2001b : 80). Les créoles sont dans ce cas. 43 « Unfortunately, most substrate-related properties of creole languages do not come wholesale with substrate-derived morphemes » (Kouwenberg 2006 : 210). <?page no="68"?> 68 leurs signifiés lexicaux. Appeler une langue qui a été créolisée le lexifier (language) de ce créole risque donc fort de prêter à confusion. Certains auteurs modernes parlent de lexifier (language) et de relexification sans être victime de cette confusion. Lorsque Claire Lefebvre (cf. par ex. Lefebvre 1998) et John Lumsden (cf. par ex. Lumsden 1999) le font, ils se réfèrent au sens qu’a l’adjectif lexical dans le terme lexical item. Ces lexical items peuvent être tant functional category lexical items que lexical category lexical items (ce double emploi de l’adjectif lexical n’est décidément pas heureux). Le lexifier qui renvoie à ce deuxième sens de lexical est alors tout simplement le ‚fournisseur du matériau phonique’, et le processus appelé relexification apparemment celui d’une substitution des signifiants de la langue ancestrale du créolisateur par des signifiants en provenance de la langue de base. On voit ici pointer un nouveau danger auquel nos deux auteurs n’ont cependant pas succombé : Celui d’entendre par relexification la simple substitution d’un signifiant de la langue ancestrale du créolisateur par un signifiant de la langue de base. Mais Claire Lefebvre ne se lasse pas de le répéter : « [T]he phonetic strings of the lexifier language are interpreted by the relexifiers on the basis of their own phonological system such that the phonological form of the new lexical entry is often quite different from the superstratum form » (Lefebvre 1998 : 17). Autrement dit, ce qui provient effectivement de la langue de base, c’est la substance phonique (ou, du moins, sa majeure partie), et non pas un code constitué par une suite de phonèmes. Les signifiants créoles construits à partir de cette substance seront, par contre, conformes aux formes phoniques (phonèmes, structures syllabiques, groupes consonantiques, contours accentuels) de la langue ancestrale du créolisateur. Il n’est donc pas impossible d’échapper aux malentendus auxquels les termes lexifier et relexification se prêtent. L’ultime raison qui nous empêche de nous contenter de cette terminologie et nous incite à nous en tenir à celle que nous avons adoptée dès 1981 est le besoin d’une formule générale qui dise clairement que la créolisation touche tous les domaines d’une langue : son phonétisme, son lexique et sa grammaire (y compris sa syntaxe), le plan de l’expression et celui du contenu. Une terminologie qui nous permette de dire, par exemple, pourquoi une relexification à la Lefebvre (par ex. Lefebvre 1998) et Lumsden (par ex. Lumsden 1999) est créolisation à la fois sur le plan du contenu et sur le plan de l’expression, étant donné qu’elle interprète la substance sémantique (sens) et la substance phonique (phonetic string) d’un discours en langue de base comme étant l’occurrence de formes sémantiques (signifiés) et de formes phoniques (phonèmes et suites acceptables de phonèmes) de la langue première des créolisateurs. 44 44 Lumsden 1999 : 131 décrit très bien ce qui se passe sur le plan du contenu : « A particular target language string is selected for this process because the relexifier believes that the interpretation of this string has something in common with the denotational semantics of the pertinent lexical entry of his native language. As it turns out however, this perceived semantic parallel may be merely partial …. » Ce que la chaîne selectionnée du dis- <?page no="69"?> 69 1.2.5.5 Le foreigner talk Mais n’allons pas trop vite. Nous n’avons pas encore tenu compte du fait que l’enfant risque de se voir confronté à un baby talk, et qu’un adulte dans une société alloglotte risque de se voir interpeller en foreigner talk. Si certaines stratégies comme, par exemple, le recours à des onomatopées peuvent être les mêmes, chez les locuteurs compétents, dans les situations respectives, il n’en est pas moins vrai que baby talk et foreigner talk constituent deux types de discours assez différents. Une mère ou une nourrice cherchera, en s’adressant au bébé, à éviter des mots et des constructions trop complexes, mais elle ne lui parlera pas ‚en infinitifs’ ou même sans articles comme on le fait en s’adressant à des étrangers lorsque ceux-ci ne semblent absolument rien comprendre à notre langue. Les inputs pouvant donc être différents, d’une situation à l’autre, ce qui pourra être assimilé dans un premier temps risque de l’être aussi. Ulrich Detges a dressé une liste de verbes appartenant au créole français de la Guadeloupe qui remontent à différentes formes verbales finies et infinies du français et une autre de substantifs français qui réapparaissent dans différents créoles français avec l’article français matériellement intégré à leurs signifiants (cf. Detges 2000 : 151 et 147). Il commente la liste de substantifs : « so they [scil. les substantifs accompagnés de leurs articles] must have been regularly uttered by a sufficient number of French native speakers » (147). Ce commentaire peut être étendu aux formes verbales finies. Nous sommes d’accord. Et Schuchardt et Coelho l’auraient été certainement aussi. En créole santiagais, un assez grand nombre de verbes qui remontent de toute évidence à la troisième personne du singulier de l’indicatif de verbes portugais (cs. ben < pg. vem, cs. ten < pg. tem, cs. bai < pg. vai etc.) suffirait aussi à démentir ceux qui se laisseraient entraîner à affirmer le contraire. Mais il suffit que les maîtres aient utilisé un foreigner talk aux tous débuts et qu’ils n’aient jamais complètement cessé de s’en servir en s’adressant aux nouveaux-arrivés pour que les créoles s’en ressentent. Comment se faire une idée de la conjugaison des verbes ou de la nature de l’article dans une langue, si ceux qui la parlent en votre présence ne semblent respecter aucune règle sur ce point. Ce qui pourrait poser problème, dans le commentaire de Detges, c’est donc l’adverbe regularly et l’adjectif sufficient. 45 cours en langue de base et le mot pertinent de la langue du créolisateur ont ou semblent avoir en commun, c’est donc un certain sens dans un certain contexte. Ce sens n’est pas un signifié au sens saussurien, mais il fait partie de la substance sémantique captée par le créolisateur. 45 Il faut en plus compter avec différents degrés de simplification dans le foreigner talk : « Also, as baby talk registers may vary in ‚babyishness’, so foreigner talk registers may vary in degree of ‚foreignness’, [...] depending chiefly on the speaker’s assessment of the adressee’s status and level of competence in the language » (Ferguson/ DeBose 1977 : 105). <?page no="70"?> 70 Pour ce qui est des formes verbales : ce ne sont pas toutes les formes conjuguées qui ont périclité, c’est la conjugaison de la langue de base. Même si les formes du type cs. kantába remontaient effectivement aux formes pg. du type cantava, il faut souligner qu’elles signifient l’‚antériorité’ (par rapport au moment de la parole ou par rapport à un autre évènement) et nullement un ‚imparfait’ et que, à l’encontre de son prédécesseur pg., la forme créole est la même à toutes les personnes (pour plus de détails, cf. 2.2.3.3). On prétend que les formes du type [ pl-: te] etc. des créoles français s’expliquent par l’homophonie de l’infinitif planter et du participe passé planté de la première conjugaison (et d’autres formes encore de la flexion verbale française comme plantais, plantait, plantaient, Plantez ! etc.). Soit. Toujours est-il que dans les langues ibéro-romanes le participe passé et ces autres formes ne présentent pas cette homophonie avec l’infinitif et que la grande majorité des verbes dans les créoles de base portugaise et espagnole n’en remonte pas moins à l’infinitif. Bref, Ingrid Neumann-Holzschuh (2003 : 81-85) a certainement raison lorsque, à la fin de l’article auquel nous venons de faire allusion, elle met en garde contre une élimination précipitée du foreigner talk de la liste des facteurs susceptibles d’expliquer certains écarts des créoles par rapport à leurs langues de base. 46 Autre différence importante entre les apprenants adultes et les enfants : l’apprenant adulte connaît la pratique du foreigner talk de sa propre langue. Il s’attend donc à ce qu’on lui parle en foreigner talk et il peut, dans un premier moment, lui aussi, ne viser qu’une communication à ce niveau (cf. par exemple Baker 2000 : 48, 57 et 60 et Siegel 2006 : 37). À l’issue d’une enquête portant sur les interlangues d’adultes apprenant différentes langues dans différentes sociétés d’accueil, Klein et Perdue (1997, brièvement résumé dans Siegel 2007 : 174) ont constaté que tous ces apprenants n’utilisaient, au début, qu’une grammaire quasi-universelle, pragmatique, que les deux chercheurs ont baptisée du nom de basic variety. D’après Hugo Schuchardt, une entente tacite de ne viser pour le moment que ce niveau élémentaire caractériserait le comportement de ceux qui s’engagent dans un processus de pidginisation/ créolisation. Voilà ses paroles, qui datent de 1914 : « La seule chose qui importait au maître et à l’esclave, c’était de se faire comprendre l’un de l’autre; le maître ôtait à la langue européenne tout ce qu’elle avait de particulier, l’esclave en maintenait séparé tout ce qui l’aurait été : on se rencontra sur une ligne intermédiaire. Le maître comprit, par exemple, tout de suite que l’expression européenne du pluriel, le -s de stones ou de piedras, et même le de (atone) de des pierres devait forcément buter sur une incompréhension totale, il opta donc pour une solution radicale et dit : 46 Cf. aussi la citation de Schuchardt, à la fin de cet article et Coelho 1880, 1967 : 102/ 103. <?page no="71"?> 71 ‚pierre pierre’ ou ‚quantité pierre’ ou ‚pierre beaucoup’ » (cf. Schuchardt 1976 : 158, notre traduction). 47 Lors de leurs premières tentatives d’analyse des discours entendus, les apprenants adultes et les créolisateurs partent donc éventuellement de phrases, elles aussi en foreigner talk, de leur propre langue qu’ils pourraient utiliser pour exprimer le sens qu’ils croient avoir deviné, s’ils se trouvaient à la place de l’autre (cf. Lang 1996 : 64). 48 Tout cela peut expliquer pourquoi on trouve si peu de traces des grammaires des langues impliquées, dans les pidgins rudimentaires (cf. Bickerton 1999 : 53). Des expressions adverbiales y prennent la relève des catégories verbales etc. Si l’influence des langues des créolisateurs se fait donc immédiatement sentir, dans leurs interlangues, sur le plan de la phonétique et de la sémantique lexicale, celle de leurs grammaires ne le fera que lorsqu’ils dépasseront ce stade initial et commenceront à créer une grammaire plus sophistiquée et, par là même, nécessairement particulière (cf. Siegel 2007 : 184). Il a été maintes fois remarqué que, matériellement, les morphèmes grammaticaux des créoles dérivent plus souvent de lexèmes de la langue de base plutôt que de ses morphèmes grammaticaux (cf. par exemple Lumsden 1999 : 149/ 150). On peut donc se demander si les créolisateurs ont tout simplement pris ces lexèmes de la langue de base pour des morphèmes ou si, au contraire, ils les ont d’abord adoptés en tant que lexèmes pour les grammaticaliser par la suite. Comme Ulrich Detges, nous croyons qu’il faut compter avec les deux possibilités. Dans sa contribution de 2000, Detges fournit une série de critères utiles permettant souvent de déterminer, pour un morphème créole concret, quel a été son parcours (cf. Detges 2000 : 154-159). 1.2.6 Spécificités de la créolisation La situation des créolisateurs ressemble donc moins à celle de l’enfant qui apprend sa première langue qu’à celle de l’adulte en apprentissage non guidé de la langue d’une société d’accueil. Mais elle diffère aussi considérablement de cette dernière à d’autres égards. 1.2.6.1 Abandon de l’apprentissage Si les circonstances s’y prêtent, c’est-à-dire, si l’accès à la langue cible n’est pas trop limité et que l’individu adulte engagé dans l’apprentissage non guidé de la langue d’une société d’accueil dispose du temps et de la motivation nécessaires, il éliminera assez vite les interférences de sa langue première de sa 47 Pour une argumentation analogue du même auteur, cf. la citation qu’on trouve à la fin de l’article de Neumann-Holzschuh 2003, à la p. 85. 48 L’effet produit par le langage d’un alloglotte qui ne vise que ce niveau et présente les fausses analyses dont il a été question sous 1.2.3.2.3.3 et 1.2.5.1 nous semble assez bien résumé dans la métaphore du « ‚broken language’, the imperfect approximations of a language by speakers of another language who are in the process of learning it … » (Ferguson/ DeBose 1977 : 100). <?page no="72"?> 72 langue d’apprenant. 49 Il pourra alors collaborer à des changements dans la langue qu’il a apprise, soit en les proposant, soit en adoptant ceux qui ont été proposés par autrui. Or, les créolisateurs abandonnent leur apprentissage de la langue de base avant de l’avoir mené à terme. Peu importe que ce soit par manque d’accès à cette langue ou par manque d’espoir d’être jamais vraiment admis dans la société qui la parle ou que ce soit en raison d’un mélange quelconque de ces deux facteurs. Cet abandon, sans lequel il n’y aurait pas créolisation, aura alors pour conséquence que certaines erreurs provenant de cette espérance que, du moins sur certains points, l’autre langue fonctionne comme celle(s) qu’on maîtrise déjà, ne seront plus corrigées. 50 Nos explications sous 1.2.3 auront fait comprendre que, dans ces conditions, le créole qui naît ne peut pas continuer sa langue de base. Ou, pour être plus exact, il ne pourra la continuer que dans la mesure où l’apprentissage aura abouti, mais pas dans les parties où le résultat de l’apprentissage garde les traces de cette première démarche. Or, ce sont précisément ces parties créolisées qui nous empêchent de considérer le tout comme étant une continuation de la langue de base. Le créole est donc une langue neuve qui, aussi longtemps qu’on ne la considère que sous l’aspect de l’apprentissage de la langue de base, est une langue qui reste en deçà de celle-ci. La distance qui subsiste constitue une rupture. Ce que les créolisateurs transmettent à leurs enfants ne sera pas la langue de base. Nous dirons donc d’une langue qu’elle constitue une version créolisée d’une autre dans la mesure où elle conserve les traces de cette première démarche, inévitable dans tout apprentissage non guidé d’une langue seconde, de la combinaison de substances provenant de discours dans la langue de base et de formes ou structures sémantiques, phoniques et syntaxiques provenant des langues premières des créolisateurs. Bien que les créoles ne conservent qu’exceptionnellement les résultats bruts de cette première démarche des individus, 51 il est nécessaire de remonter en théorie jusqu’à elle pour comprendre ses traces à moitié effacées que portent les créoles. En disant plus haut ‚dans la mesure où l’apprentissage (n’)aura (pas) abouti’, nous avons admis que la créolisation d’une langue admet des degrés. 52 Forcément radicale au début, chez l’individu, elle peut être peu à peu 49 Ce qui n’exclut pas certains transferts dans l’usage de la langue seconde qui sont « the result of speakers of an L2 falling back on their L1 knowledge when communicating in the L2 » (Siegel 2006 : 35). 50 De là que « ... degree and qualitiy of transfer is the crucial aspect of pidgins and creoles distinguishing them from instances of fully targeted second language acquisition » (McWhorter 1996 : 462). 51 Cf. pourtant les exemples traités sous 2.2.3.2, 2.2.3.3, la périphrase verbale cs. kunsa fase sous 2.2.3.12.2 et 2.2.5.4. 52 C’est l’avis de la plupart des créolistes, cf. Bollée/ Neumann-Holzschuh 2002 : 96, Kouwenberg 2006 : 212/ 213 etc. <?page no="73"?> 73 réduite par la suite, chez l’individu et dans la communauté, dans la mesure où les circonstances s’y prêtent. 53 Tous les degrés semblent imaginables, selon les possibilités, le temps et la motivation disponibles pour l’apprentissage. 54 Parler de ‚degrees of restructuring in creole languages’ 55 nous semble donc plus indiqué que de parler de ‚semi-creoles’, la plupart des langues créoles couramment étudiées ne se situant probablement ni à l’un ou l’autre extrême de ce qui serait imaginable, ni au beau milieu, mais à différents points intermédiaires. Mais les cas de language shift plus ou moins parfait sont aussi très nombreux. Probablement parce que l’espérance d’une intégration complète dans une autre communauté linguistique peut constituer un attrait considérable. 1.2.6.2 Une nouvelle cible Jusqu’ici, le terme d’apprentissage nous a servi de guide, dans nos réflexions sur la créolisation. Il nous faut maintenant nous interroger sur les limites de son applicabilité à ce phénomène. Sylvia Kouwenberg (2006) a certainement raison lorsqu’elle suppose que, dans les plantations, la langue des maîtres a pu bientôt cesser d’être la langue cible des esclaves. Certains auteurs se sont même demandé si elle l’a jamais été. Philip Baker a été particulièrement explicite, en ce sens : « ..., it is my view that, in most contact situations which resulted in the emergence of pidgin [sic] or creoles, the real if unconscious aim of most of the participants was the creation of a medium for interethnic communication (MIC). [...] slaves did not aspire to acquire the language of the plantation owner as such. Their aim was to communicate, particularly with their fellow workers » (Baker 1996 : 96, cf. aussi Baker 1997 : 91, 96 et 2000 : 47, 48). Convaincus que ces deux positions ne sont pas vraiment en contradiction, nous n’allons pas prendre partie pour l’une contre l’autre. Rappelons plutôt que notre commentaire au schéma proposé sous 1.2.2, que nous reprenons ici pour mémoire, est compatible avec les deux scénarios. Nous disions que la 53 « In fact, core aspects in the development of HC [Haitian Creole] grammar (with respect to sound patterns, verb and object placement, and inflectional morphology, for example) fall within developmental patterns that are commonly manifested in Stammbaumtheorie-friendly instances of ‚regular’ language change (e.g. in the history of Romance and Germanic), ... » (DeGraff 2003 : 399). 54 Pour ce qui est du temps disponible, cf. Kouwenberg 2006 : 212 : « Smith [...] argues that different substrate effects are correlated with different timing of the point at which target shift takes place, that is, the point in time when the superstrate ceases to be relevant in the contact situation, and the contact variety itself becomes a target for language learning. With regard to the Surinam creoles, the early withdrawal of English meant an early target shift, possibly within less than two decades of initial colonization in 1651 … ». Pour l’explication du fait, apparemment en contradiction avec ce que nous venons de dire, que certains créoles se sont de plus en plus éloignés de leur langue de base, malgré la présence continue de celle-ci, voir plus loin 1.3.5. 55 C’est le titre des actes du congrès de Ratisbone (1998), édités par Ingrid Neumann- Holzschuh et Edgar W. Schneider (Amsterdam-Philadelphia : Benjamins 2000, Creole language library 22). <?page no="74"?> 74 direction et la vitesse du cheminement linguistique d’un créolisateur qui part d’une langue ancestrale et arrive à un créole dépendront à tout moment de deux vecteurs, le premier correspondant au désir et besoin qu’il éprouve de communiquer avec les locuteurs de la langue de base, et le second, à son désir et au besoin qu’il éprouve de communiquer avec les autres créolisateurs. Cela n’exclut pas que ce dernier désir prédomine dès le début. C’est donc plutôt au plus tard à partir du moment où ce dernier désir l’emportera sur le premier, que le parcours linguistique d’un créolisateur s’éloignera définitivement de celui d’un adulte en apprentissage de la langue de base. Or, il semble que même après ce moment (le cut-off point de Sylvia Kouwenberg) les créolisateurs continuent à se servir, pour la construction de la nouvelle langue, des matériaux qui leur sont fournis par les discours en langue de base. 56 Dans les plantations, d’abord parce que cette nouvelle langue doit aussi leur permettre de communiquer avec les maîtres, ensuite et surtout, parce que les discours des maîtres sont les seuls auxquels tous les esclaves sont exposés, indépendamment de leur langue première respective. 57 Ce sont ces discours qui constituent leur expérience linguistique commune. Les créolisateurs continuent donc en quelque sorte à être des apprenants de la langue des maîtres, mais en ce sens plus vague qu’ils continuent à ‚appréhender’ certains bouts de leurs discours. Cependant ils ne se sentent plus obligés d’en arriver à des analyses jugées correctes par les locuteurs de la langue de base. Une bonne partie des traces des langues premières des créolisateurs dans les créoles risquent ainsi de remonter à la phase où les créolisateurs ont dépassé le stade de la communication au niveau d’une basic variety et, éventuellement, d’essais de rapprochements de la langue de base pour s’engager résolument dans la création d’une langue neuve. 58 1.2.6.3 La recherche d’un compromis N’empêche que les créoles ne sont jamais de simples calques des langues premières de leurs créolisateurs et ils ne l’ont certainement jamais été. Les raisons seront multiples, mais il y en a une universellement reconnue dont on exagérera difficilement le poids. 56 « ..., L1 transfer in creole genesis is independent of L2 acquisition » (Kouwenberg 2006 : 205). « [...] development does not stop at the point of target shift in creolization. Nor does L1 transfer stop at target shift in creolization » (ibid : 216). On trouvait déjà la même idée chez John Lumsden (cf. 1999 : 152, note 4) et chez Pieter Muysken (cf. 2001 : 157/ 158), qui, après avoir admis la possibilité que les créolisateurs ne cherchent pas vraiment à apprendre la langue de leurs maîtres, continuait : « This does not mean, however, that processes of second language learning were not important, but only that the construction of the new grammar was not necessarily target-directed » (ibid. : 158). 57 Cf. de nouveau Baker 1996 : 96 « The most readily available lexical source for the MIC among a multilingual workforce was that of the language to which they were all exposed in the workplace, that of the plantation owner » (cf. aussi Baker 2000 : 52). 58 Cf. de nouveau Kouwenberg 2006 : 216. <?page no="75"?> 75 En dernière analyse, chaque créolisateur conçoit, au hasard des énoncés en langue de base qu’il rencontre (souvent en foreigner talk) et à partir d’une ou plusieurs autres langues qu’il maîtrise déjà, ses propres hypothèses concernant le fonctionnement de la langue de base ou de la nouvelle langue à construire. Pourtant, ce travail purement individuel ne produit pas de langue commune. Pour en arriver là, il faut qu’il s’y ajoute un travail collectif de négociation. 59 À l’intérieur d’un groupe linguistiquement homogène, cette négociation inconsciente pourrait aboutir relativement vite, mais il faut se souvenir que ce qui, dans les cas classiques de créolisation sur les plantations, obligeait surtout à la création d’une nouvelle langue, c’était le fait que la langue première des esclaves n’était pas la même pour tous. La co-présence de différents groupes linguistiques (y compris celui des locuteurs de la langue de base, s’ils étaient disposés à collaborer) obligeait donc dès le début à une négociation autrement laborieuse que Claire Lefebvre et John Lumsden appellent dialect levelling. 60 Cette négociation arrondira les angles d’une bonne partie des structures des langues ancestrales des créolisateurs qui passent dans le créole. Dire qu’une langue créole continue, sur le plan de la substance, sa langue de base tandis que, sur celui de la forme, elle en continue une autre, irait donc beaucoup trop loin. Disons plutôt que, dans la mesure où une langue constitue une version créolisée d’une autre, elle la continue de façon plus ou moins directe sur le plan de la substance, tandis que sur celui de la forme elle continue de façon plus ou moins directe celles de ses créolisateurs. L’impossibilité d’une classification généalogique des langues créoles ne provient donc pas d’un manque de continuité. Un créole - on s’en doutait - n’est pas une creatio ex nihilo. Il n’est en rupture avec la langue de base et avec les langues ancestrales des créolisateurs que parce que, de chaque côté, il y a dissociation de la substance et de la forme au profit d’une nouvelle alliance entre substances en 59 « It is really the tacit negotiations and innovations at the inter-idiolectal level of interaction which ultimately produce the phenomena that have concerned us at the language level, ... » (Mufwene 2000 : 76). Cette affirmation qui, dans son contexte, vise surtout les contacts entre créolisateurs et locuteurs de la langue de base, vaut aussi pour la négociation d’un compromis entre les versions de la langue de base créées par les différents créolisateurs : « Whereas interlanguage is the product of an individual grammar, creoles are, in some sense, the collective output of different interlanguages, themselves based on similar or different L1s » (Lefebvre/ White/ Jourdan 2006 : 7). 60 « Since creole languages emerge in the context of several substrate lexicons, and since relexification is an individual process, the relexification of similar, but not necessarily identical, lexical entries from various substrate languages on the basis of a single superstrate form may yield a creole lexical entry that does not have exactly the same properties for all early creole speakers. Speakers of the developing creole may resort to leveling in order to reduce the variation created by the relexification of similar, but not necessarily identical, lexical entries … » (Lefebvre/ Therrien 2007 : Introduction). <?page no="76"?> 76 provenance de la langue de base et formes en provenance des langues ancestrales des créolisateurs. 61 1.2.6.4 Une version privilégiée Même en supposant que ceux qui partent d’une même langue ancestrale conçoivent des hypothèses affines et se mettent facilement d’accord, le problème reste de savoir comment l’accord se fait entre les groupes qui partent de différentes langues premières. DeGraff (1999 : 506) parle à ce sujet d’un homogenization problem. La koinéisation, s’offre comme modèle qui permet de penser, non le processus de la genèse d’un créole à partir de toutes les langues impliquées (cf. Siegel 2001), mais celui de ce nivellement des idées que différents (groupes de) créolisateurs se font du fonctionnement de la langue de base ou de la nouvelle langue (cf. Siegel 2001 : 186/ 187). Les concepts de koinè et de koinéisation sont parfois définis de façon assez simple : « A koine is a stabilized contact variety which results from the mixing and subsequent levelling of features of varieties which are similar enough to be mutually intelligible, such as regional or social dialects. [...] Thus, dialect differences are reduced as speakers acquire features from other varieties as well as avoid features from their own variety that are somehow different » (Siegel 2001 : 175 et 178). Cela ne résout pas encore notre problème. Ne serait-ce que parce qu’il faudrait d’abord que tous se mettent d’accord pour acquérir et pour éviter les mêmes traits. Les créolistes sont donc partis à la recherche de facteurs susceptibles de coordonner ce choix. Le même Jeff Siegel en a dressé une liste. Ainsi, en plus de la fréquence d’un trait due à sa présence dans un grand nombre des variétés en présence, des facteurs comme le caractère non marqué, la transparence sémantique, la régularité, la perceptual salience, la consistency (one form, one meaning), favoriseraient certains traits au détriment, par exemple, de traits plus marqués et moins fréquents (cf. Siegel 2001 : 191). 62 L’utilité de telles listes n’apparaîtra que lorsqu’on aura compris que l’idée d’un marché aux traits où chacun choisirait selon de tels critères (« the mixing and subsequent levelling of features of varieties ») est trompeuse pour plu- 61 Nous voilà en quelque sorte revenus à la formule de Douglas Taylor, pour qui un créole était généalogiquement ‚orphelin’ avec toutefois deux ‚parents nourriciers’ (cf. Taylor 1956 : 413). 62 Les idées de la négociation et de la préférence accordée aux traits non marqués et fréquents se trouvent aussi dans Thomason 2001a : 255 : « ... - what happens in pidgin/ creole genesis contexts is a process of language learning, specifically, for adults, second language learning. [... .] That’s not all there is to the process : there is also creation of new grammatical structures, through a process of (implicit) negotiation among all the speakers involved in the genesis of the new creole. This part of the process will ensure that [...] the creators of the creole will not carry over features from their original L1s into the emerging creole unless those features either are very easy to learn (i.e. unmarked) or are shared among most or all of the substrate languages. » <?page no="77"?> 77 sieurs raisons. D’abord, les créolisateurs n’ont pas le loisir de construire in vitro une nouvelle variété à partir d’éléments hétéroclites pour ne l’employer qu’après, comme ceux qui construisent des langues artificielles. Ils construisent leur nouvelle langue en l’employant et ne peuvent procéder que par emprunt dans cette langue en construction. 63 Ensuite, on ne peut emprunter à d’autres variétés que dans la mesure où on les comprend (mais le besoin d’une langue commune serait bien moins urgent si cette condition était remplie). Finalement, il convient de se souvenir que les éléments et traits d’une langue (phonèmes, signifiés, constructions, traits distinctifs, etc.) ne figurent pas, dans notre esprit, comme objets indépendants les uns des autres, ils s’y définissent aussi par les relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres. Comment, un locuteur parlant un idiome sans corrélation de sonorité dans les chuintantes (oppositions du type s/ z, / etc.) s’y prend-il pour acquérir le trait distinctif de la sonorité dans ce domaine ? Comment s’y prend-il pour acquérir le phonème / / ? Comment s’y prend-il pour acquérir le trait sémantique ‚de façon intentionnelle’ qui distingue ‚regarder’ et ‚écouter’ de ‚voir’ et ‚entendre’ ? De tels traits ne s’empruntent que de façon concomitante, c’est-à-dire, en empruntant des mots qui les contiennent, sans qu’on en élimine les traits en question. Après quoi, le trait en question existe dans les mots empruntés, mais pas encore dans d’autres. On peut emprunter une construction passive analytique, si l’on dispose d’une copule et d’un participe passé ou qu’on les emprunte avec etc. Un système linguistique (en construction) étant un système de relation, on est bien obligé d’adapter toujours, dans une certaine mesure, ce qu’on emprunte, à la langue où on l’intègre. Ce qui explique que l’emprunt d’un même mot ou d’une même construction par différents groupes linguistiques ne produise pas forcément l’unité. 64 Bref, comme l’a très bien dit Robert Chaudenson (1992a : 13) : « les langues ne se mélangent pas comme deux liquides dans une éprouvette ». On ne combine pas les traits de différentes langues comme autant de grains de différents sables. 65 63 « If there is no language, there is nothing to incorporate foreign features into, ... » (Thomason 2001a : 252) ; « ... individual changes that are isolated in cases of convergence in the literature are allways unidirectional » (Kouwenberg 2001 : 229). 64 « ... we should not expect any feature to be identical to its source in the language(s) of origin » (Thomason 1993 : 289). 65 Pour toutes les raisons que nous venons d’évoquer, des formulations du type suivant, d’ailleurs censées s’appliquer à toutes les langues en présence dans une situation de contact, nous semblent foncièrement inadéquates : « ..., languages in contact form a FP [feature pool] from which the new language derives a successful combinatory. In this proposed multisource approach that takes as its only driving force the process of competition and selection, we further observe that features that form the FP are not equally competitive. ... » (Aboh/ Ansaldo 2007 : 46, cf. aussi le sous-chapitre 2.3 sur le FP dans le même article). <?page no="78"?> 78 C’est d’ailleurs justement Hugo Schuchardt, lui qui s’est refusé à définir les créoles comme étant des ‚langues mixtes’ en alléguant que ce qualificatif convenait en réalité à toutes les langues, qui a écrit : « Pour une langue de compromis entre deux disons ‚partis’ qui sont complètement étrangers l’un à l’autre, la base ne se trouve que d’un côté », Schuchardt 1976 : 162, notre traduction). Or, ceci vaut tout aussi bien pour des groupes linguistiquement plus proches l’un de l’autre et donc pour la koinéisation, comme le montre bien la naissance de langues nationales standardisées : il y a toujours un dialecte qui l’emporte (le francien pour le français, le castillan pour l’espagnol, le toscan de Florence pour l’italien, etc.). Bref : nous croyons que cela vaut aussi pour l’élimination de la concurrence entre différentes versions créolisées d’une langue au profit de celle qui fournira le point de rencontre pour la nouvelle langue commune. De même qu’il peut y avoir beaucoup de facteurs, et des plus divers, qui décident en faveur d’un dialecte, dans le processus de la standardisation d’une langue historique, on peut penser à toute une série de facteurs susceptibles d’influencer la sélection d’une version créolisée au détriment des autres (nous en avons énuméré une demi-dizaine dans Lang 1994 : 173 et 1996 : 67) : -- La langue ancestrale des locuteurs de ce groupe avait joué un rôle de langue véhiculaire, dans la région d’origine des esclaves. -- Les locuteurs de ce groupe, pour une raison ou une autre, y jouissaient déjà d’un certain prestige politique, culturel, économique et/ ou religieux. -- Ces locuteurs ont été les premiers à entrer en contact avec les Européens ou à arriver sur la plantation. -- Ils étaient (au début) particulièrement nombreux. -- Les Européens, pour une raison ou pour une autre, les privilégiaient d’une certaine façon. -- Etc. Il n’en est pas moins vrai que la vision d’une version de la langue de base reflétant fidèlement les structures d’une seule langue ancestrale et qui s’imposerait en éliminant toutes ses concurrentes s’est révélée inacceptable : « [I]t has long been shown that no single substrate language is generally a perfect fit as the sole source of all typlogical patterns [...] in any given creole » (Grant 2001 : 96, cf. l’affirmation correspondante pour le créole de Hawai dans Bickerton 1999 : 54). La solution envisagée dans la section 1.2.2, sous le point 6, nous paraît lever ces contradictions : il y aura toujours un groupe linguistique pour s’imposer, mais jamais sans qu’il fasse des concessions aux autres (tout comme les locuteurs du toscan ont dû faire des concessions aux locuteurs des autres dialectes de l’Italie pour qu’un toscan modifié puisse devenir la langue commune de l’Italie). Comme toute comparaison, celle du dialect levelling en situation de créolisation avec la création d’une variété standard dans une langue historique a ses limites. Il y a eu beaucoup de Toscans, Siciliens etc. qui n’ont pas senti la <?page no="79"?> 79 nécessité de participer à la création de l’italien standard ou de l’apprendre après coup. Les créolisateurs des plantations, eux, n’avaient pas vraiment le choix de rester à l’écart de ce mouvement unificateur. Le groupe qui l’emporte procède donc à des changements, dans sa version de la langue de base, en s’inspirant des versions concurrentes. C’est sa façon de faciliter l’apprentissage de cette version par les autres. Un exemple est fourni par Lefebvre (1998, section 4.2). Le yo du créole haïtien qui remonte au pronom personnel tonique de la troisième personne du pluriel du français eux, cumule la fonction du pronom personnel de la troisième personne du pluriel avec celle d’une simple marque de pluriel. Le fongbe, apparemment la ‚langue de substrat majeure’ de ce créole, utilise différents morphèmes pour ces deux fonctions, mais bien d’autres langues africaines, dont le ewe, qui compte lui aussi parmi les langues de substrat de l’haïtien, disposent d’un élément qui permet ce double emploi. Et Claire Lefebvre de conclure : « Let us suppose [...] that, having relexified this pronominal form, speakers of the substratum language for whom this form also encoded plurality in NPs extended the use of early Haitian yo to encode plurality in Haitian NPs. In this view, Fongbe speakers, who had two different morphemes to encode the third-personal pronoun and plurality in the noun phrase, would have abandoned the plural morpheme of their own language [leur version du français colonial] and, in line with other substratum languages, adopted the extended use of the relexified third person pronoun ... [T]his constitutes a simple case of dialect levelling where other substratum languages than Fongbe imposed the properties of their lexicon upon the new language » (Lefebvre 1998 : 87). Cette façon de concevoir la négociation d’un compromis peut être correcte, même si l’exemple ne l’était pas. Il ne faut donc pas être trop pessimiste quant à la possibilité de retrouver certaines structures des langues ancestrales des créolisateurs dans un créole. Et il convient certainement de commencer cette recherche du côté de celle que nous avons ici appelée sa ‚langue de substrat majeure’. C’est ce que nous ferons, pour le créole capverdien de l’île de Santiago, dans la deuxième partie de cet ouvrage. D’un autre côté, il faut insister sur l’aspect créateur et innovateur de toute créolisation : même l’apprentissage réussi d’une langue est un processus créateur de bout en bout, parce qu’il n’est pas réception, mais recréation de cette langue à partir de discours entendus. Mais il y a plus : même en tant que simples apprenants de la langue de base, les créolisateurs créent du nouveau qui ne sera plus remplacé par du recréé; et le compromis entre les créolisateurs ne sera obtenu qu’au prix de maintes innovations opérées dans la version privilégiée. <?page no="80"?> 80 1.2.6.5 Différents degrés de maintien des structures de la version privilégiée Différents facteurs décideront du degré de ressemblance entre la version de la langue de base du groupe privilégié et le créole qui en sortira : - le degré de la suprématie numérique et sociale de ce groupe par rapport aux autres, - la proximité structurale entre sa version de la langue de base et les versions concurrentes (donc indirectement entre sa langue ancestrale et les langues ancestrales des autres groupes) : « Obviously, the more homogeneous the substrate, the better the chance of it having an impact on the creole » (Arends, Kouwenberg & Smith 1995 : 101 ; cf. aussi Thomason & Kaufman 1991 : 154 et Siegel 2001 : 189/ 190), - le nombre de langues impliquées, - le temps qui s’écoule, éventuellement, avant que le but d’une communication ‚horizontale’ ne l’emporte sur celui de la communication ‚verticale’, - la distance structurale entre la langue de base et les différentes langues premières des créolisateurs, - etc. Entre les créoles à base européenne, le Berbice Dutch Creole en Guyane et le Tok Pisin en Nouvelle-Guinée semblent constituer des cas où l’empreinte de certaines langues ancestrales des créolisateurs (dialectes du ijo oriental et du tolai, respectivement) est particulièrement évidente (cf. Holm 1989 : 329- 333, 529-534). Nous ne devons donc jamais nous attendre à ce qu’un créole nous livre un calque structural parfait d’une des langues ancestrales des créolisateurs, même pas de la plus importante d’entre elles : il ne naîtrait probablement pas de créole, dans une plantation, si la langue première des esclaves était la même pour tous. D’un autre côté, l’apport de ces langues étant constitutif, selon la définition de la créolisation élaborée ci-dessus, nous pouvons être sûrs que toute langue dont la naissance répond à cette définition conserve, au sortir de ce processus, des traces structurelles directes ou indirectes des langues premières de ceux qui l’ont faite. Souvent, on y trouvera, comme nous dans la seconde partie de cet ouvrage, un mélange de quelques traces directes et beaucoup de traces plus ou moins indirectes. 1.2.6.6 Une langue neuve La créolisation est ainsi pour nous un processus qui crée une langue historique neuve. Pas dans le sens où le français est une nouvelle langue par rapport au latin. Pour la plupart des chercheurs, il ne l’est que du point de vue sociolinguistique. En tant que système linguistique, il est pour eux, comme ils n’ont jamais cessé de le répéter, une forme évoluée du latin vulgaire promue au rang de langue commune d’une société née de la désintégration de l’Empire Romain par regroupement de populations. Et c’est cette communauté qui continue à adapter cette forme évoluée du latin à ses besoins. Or, selon nous, les créoles qui méritent leur nom, ne sont pas des formes évoluées d’autres <?page no="81"?> 81 langues, adaptées aux besoins d’une nouvelle communauté. Ce sont des langues neuves. Peut-être qu’il faudra un jour admettre l’existence, à côté de la créolisation, d’autres processus qui produisent des langues historiques neuves. 66 De toute façon, une telle langue ne peut surgir que si certains locuteurs renoncent d’un commun accord à faire en sorte que l’exercice de leur faculté créatrice se termine par la recréation d’une langue préexistante ou que cet exercice se limite à changer une langue qu’ils maîtrisent déjà. La raison d’être d’une langue consistant à permettre la communication entre ceux qui la parlent, un tel renoncement ne pourra survenir que si une communauté nouvelle éprouve le besoin de disposer d’une langue propre pour la communication et pour son identification. 67 Ce n’est qu’au figuré qu’on pourra appliquer le terme de créolisation à la création de quelque chose de nouveau à l’intérieur d’une langue historique préexistante. Dire que le français ma mie est né ‚par créolisation’ à partir de m’amie reste problématique, parce que mie n’a survécu que parce qu’il a été adopté par les locuteurs compétents du français. 1.2.6.7 Ordre logique et ordre chronologique des moments de la créolisation Un mot, finalement, concernant l’ordre des opérations que nous avons postulées : Le fait que certaines d’entre elles en présupposent d’autres crée une succession logique : - discours (parfois en foreigner talk) en langue de base, - apprentissage partiel de la langue de base par les alloglottes à partir de leurs langues ancestrales respectives, - accord concernant la version de la langue de base élaborée par les créolisateurs qui servira de point de départ pour la création d’une langue commune, - modifications de cette version visant à faciliter l’adhésion des autres. Cependant, la succession logique n’implique pas la succession chronologique. Concernant un détail concret, les opérations peuvent à la limite être simultanées : le but d’une communication entre compagnons de sort étant présent dès le début, on analysera, par exemple, souvent à l’aide de sa propre langue, mais en ne retenant que les résultats qui sont compatibles avec les interprétations proposées par le groupe majoritaire. 68 Considérant différents 66 Le processus qui produit les bilingual mixed languages est un candidat. Le terme est de Winford (cf. 2003 : chapitre 6), mais les langues qu’il donne en exemple avaient attiré l’attention de Thomason/ Kaufman dès 1988 (cf. Thomason/ Kaufman 1991). 67 Cf. Schlieben-Lange 1977 : 100. 68 L’affirmation suivante vaut donc pour l’ordre logique, mais pas forcément pour l’ordre chronologique : « ..., in the context of creole genesis, dialect levelling operates on the output of relexification » (Lefebvre 1998 : 46). Pour la même raison, l’objection suivante de Bickerton n’est pas vraiment pertinente, ni pour ses enfants créolisateurs, ni pour nos créolisateurs adultes : « If children had transferred settings from their ancestral languages, then we would have found variant versions of the nascent creole - Hawaiian-influenced, Chinese-influenced, and so on. In fact, what strikes one most forcibly about <?page no="82"?> 82 détails à la fois, l’ordre chronologique peut même être l’inverse de l’ordre logique : Ainsi, on peut continuer à recourir à sa propre langue première pour l’interprétation de certaines suites de discours en langue de base, tout en ayant déjà accepté certains résultats d’analyses d’autres discours en langue de base opérées par les membres du groupe majoritaire. Et en effet, la réalité est toujours complexe. Si l’on arrivait à analyser tout ce qui se passe sur le plan de la communication verbale dans une certaine aire géographique pendant un certain temps on risquerait d’y trouver des éléments de tout ce qui peut intéresser la linguistique historique : apprentissages d’une langue première, d’une langue seconde, changements linguistiques, pidginisations, créolisations etc. Il ne serait donc pas raisonnable de s’attendre à ce que, au cours d’un processus historique appelé globalement la créolisation d’une langue dans une région et une époque données, il ne s’y passe pas mille autres choses. Le but de la théorie n’est pas de faire disparaître cette complexité. La science y distingue ce qui ne s’y trouve presque jamais séparé. Le fait qu’on ne trouve nulle part dans la nature de l’or pur ne doit pas nous faire renoncer à faire de la chimie. Pour n’en donner qu’un seul exemple : en distinguant entre la dialectalisation et la créolisation d’une langue, nous n’excluons pas que le dialectologue puisse trouver des éléments de créolisation dans la ‚vie’ des dialectes ou le créoliste des éléments de dialectalisation au cours de la créolisation d’une langue. L’important, c’est que l’un et l’autre sachent distinguer entre ce qui revient à l’une et à l’autre discipline. HCE is its homgeneity, and that homogeneity, [...], is not the recent result of some dialect-leveling process but extends back to the very formation of the creole » (Bickerton 1999 : 55). <?page no="83"?> 83 1.3 Quelques malentendus 1.3.1 Préliminaires Dans le chapitre précédent, nous avons exposé l’essentiel de notre théorie de la créolisation en mettant l’accent sur ce qui la distingue d’autres approches. On trouvera une application de cette théorie au créole capverdien de l’île de Santiago dans la deuxième partie de cet ouvrage. Chemin faisant, nos réflexions théoriques nous ont permis de sortir de certaines impasses où se trouve la créolistique actuelle. En réalité il s’agit, à notre avis, de simples malentendus, parfois seulement de formulations ambiguës, mais de malentendus et de formulations qui entravent sérieusement le progrès de la créolistique. Dans le désir de débloquer la situation, d’empêcher les jeunes chercheurs de tomber dans les mêmes pièges, et aussi de prévenir certains reproches traditionnels, en réalité sans fondement, nous tâcherons ici de lever ces malentendus. Cela n’ira pas sans une critique constructive de certains propos qui ont été tenus. Nous entreprenons cette critique au risque d’indisposer contre nous des collègues pour lesquels nous avons la plus grande estime. Nous procéderons du plus général au plus particulier, touchant d’abord deux points qui intéressent la linguistique historique tout entière, y compris la créolistique. Il s’agit d’une part de la relation entre les explications universelles et les explications historiques qui peuvent être données d’une même évolution linguistique (cf. 1.3.2), d’autre part de l’emploi qu’on fait du mot tendance en linguistique historique et en créolistique (cf. 1.3.3). Ensuite, ce sera le tour du fameux combat à l’‚exceptionalisme’ (cf. 1.3.4) et de l’explication qu’on donne de l’éloignement progressif des créoles (du moins de certains créoles) de leur langue de base (cf. 1.3.5). 1.3.2 Le renoncement à l’explication historique 1.3.2.1 Les explications dans les sciences humaines Dans les sciences humaines, on part de l’idée que les humains ont des motifs pour agir d’une façon plutôt que d’une autre, et ne fonctionnent pas comme de simples relais pour la transformation de causes en effets. On admet que les motifs et les objectifs peuvent être différents, même si les conditions sont identiques. Il faut donc se garder d’exiger une explication du fait qu’une évolution linguistique qui s’est produite dans certaines conditions n’ait pas eu lieu ailleurs, dans des conditions analogues. « The point about unpredictability must be emphasized at the outset » (Thomason 2001b : 61). Deux mots-clés pour l’explication d’évolutions linguistiques viennent d’être mentionnés : les conditions et les motifs. Ces deux facteurs peuvent être soit de nature universelle, soit de nature historique. Nous verrons qu’il peut y <?page no="84"?> 84 avoir par conséquent deux types d’explications en linguistique historique : l’explication par un ou plusieurs faits universels et l’explication par un ou plusieurs faits historiques. Ce paragraphe se destine à souligner que l’explication d’une certaine évolution linguistique par l’universel ne rend pas superflue son explication par l’histoire. Bien au contraire, c’est précisément l’explication par l’histoire qui n’est jamais de trop. 1.3.2.2 Explication universelle et explication historique (un exemple) 69 Dans un article intitulé Sobre el futuro romance, apparu pour la première fois en 1957 [nous citons la réimpression dans ses Estudios de lingüística románica de 1977], Eugenio Coseriu a pris position dans le débat autour de la substitution du futur synthétique latin ( CANTABO , CANTABIS , ..., REGAM , REGES , ... par le futur analytique roman du type CANTARE HABEO , CANTARE HABES , ...). Après une critique scrupuleuse des positions défendues par ses devanciers, il constate que « los hechos que deben explicarse son tres : a) la inestabilidad general de las formas de futuro (no de la categoria de futuro); b) la periódica renovación del futuro mediante formas que, en su origen, tienen valor modal o aspectivo y que llegan, a su vez, a ‚temporalizarse’; c) la renovación del futuro latino en un determinado momento histórico » (Coseriu 1977 : 28). Commençant un nouveau paragraphe, Coseriu continue : « Los dos primeros hechos no son propios de una lengua o de un momento histórico en particular y, por lo tanto, requieren una explicación de carácter universal » (Coseriu 1977 : 28). Coseriu trouve l’explication universelle des deux premiers faits dans l’ambivalence foncière de l’avenir pour l’homme : d’une part, l’avenir est pour lui le simple pendant de son passé de l’autre côté du moment présent, d’autre part et à l’encontre du passé et du présent, l’avenir ne peut pas être vraiment connu, c’est avant tout le domaine de nos désirs et de nos devoirs. D’où l’instabilité générale des formes de futur et la banalité de leur substitution par d’autres à passé modal. Un peu plus loin, l’auteur continue en disant : « Pero una explicación universal no es de por sí una explicación histórica. Para explicar por qué el futuro latino se sustituyó por formas modales en una determinada época, no basta con comprobar que se trata de algo que ‚suele ocurrir’ y con señalar la razón universal del fenómeno. Hay que explicar también por qué esa razón universal (y permanente) resultó operante precisamente en la época del llamado latín vulgar : ... » (Coseriu 1977 : 34). Cette fois-ci, l’explication avancée par Coseriu est le christianisme. Le futur analytique roman reflèterait à l’origine une nouvelle mentalité pour laquelle l’avenir était précisément « encarado con consciente responsabilidad, como intención y obligación moral » (ibid.). Ces deux explications du renouveau du futur latin, l’explication universelle et l’explication historique, nous paraissent bien meilleures que certains 69 Nous suivons, pour le reste de 1.3.2, le texte de Lang 2008. <?page no="85"?> 85 n’aient voulu l’admettre, mais on aura compris que ce n’est pas là le point de notre discussion. Ce qui importe dans notre contexte, c’est l’affirmation contenue dans cette argumentation, selon laquelle certaines innovations linguistiques admettent et exigent une double explication, universelle et historique, et qu’aucune des deux ne rend l’autre superflue. On comprend l’importance d’une telle affirmation : elle interdit de dire, à qui cherche une explication historique pour une innovation linguistique, que cela ne vaut pas la peine, parce que le changement en question ‚suele ocurrir’. 1.3.2.3 Les objets des deux types d’explication On se demande, pourquoi Coseriu énumère trois faits à expliquer (a), b) et c)), mais ne distingue que deux plans de l’explication. Nous ne croyons pas trahir sa pensée en faisant intervenir, pour répondre à cette question, une distinction ultérieure qu’il a souvent faite ailleurs : celle entre l’universel et le général. Il est vrai que cette dernière distinction n’a pas été conçue pour différencier différents plans dans l’explication d’innovations linguistiques, mais plutôt pour distinguer d’une part, les exigences auxquelles satisfont toutes les langues (la formule « ce qu’on trouve dans toutes les langues » est à l’origine de beaucoup de malentendus), et d’autre part ce qu’on trouve en général, c’est-à-dire en beaucoup d’entre elles (ce qui est ‚wide spread’). Or, on voit tout de suite, qu’il doit y avoir un quelconque rapport entre ce qui est très répandu (‚wide spread’) et ce qui ‚suele ocurrir’ en diachronie. La distinction entre l’universel et le général nous aidera à comprendre l’asymétrie entre les trois faits à expliquer et les deux plans de l’explication. En fait, des trois faits à expliquer seulement deux (b) et c)) sont des changements, plus précisément le même changement formulé à différents niveaux d'abstraction. Coseriu a donc parfaitement raison s’il ne distingue que deux plans de l’explication, en relation avec le renouveau du futur latin, à savoir ceux qui correspondent à ces deux niveau d'abstraction; il nous faut donc une explication historique du remplacement effectif des formes synthétiques du futur latin par des formes analytiques à passé modal à l’époque du Bas Empire et une explication universelle de la généralité d’un tel renouveau. C’est qu’on fournit effectivement un complément d’explication à l’explication historique d’un changement linguistique qui a souvent lieu, si l’on réussit à donner une explication universelle de cette généralité. Heureusement, on y arrive assez souvent. Ainsi, nous croyons savoir à peu près pourquoi les vrais futurs sont relativement instables, dans les langues qui en possèdent, et pourquoi certains domaines sont particulièrement aptes à en fournir de nouveaux (celui des périphrases modales, par exemple). Depuis Coseriu, les études sur la grammaticalisation d’éléments lexicaux nous ont fait connaître un certain <?page no="86"?> 86 nombre de ‚canaux de grammaticalisation’, qui peuvent servir d’éléments explicatifs dans la mesure où leur existence a pu être justifiée. 70 Ce qu’il faut expliquer dans un changement linguistique, c’est donc son apparition historique à une date et dans un lieu précis et, éventuellement, c’est-à-dire chaque fois qu’il s’agit d’un changement qu’on observe souvent, sa généralité. Son apparition historique s’explique par l’histoire. Sa généralité exige une explication universelle. 71 Il y a d’ailleurs de bonnes chances pour que les locuteurs aient eu plusieurs motifs historiques et, le cas échéant, plusieurs motifs universels, pour opérer le changement en question. C’est pourquoi les explications proposées par différents chercheurs sont moins souvent en contradiction qu’on ne le croit. Or, alléguer seulement qu’un certain changement se produit facilement pour telles ou telles raisons, n’explique pas pourquoi ce qui était possible, voire probable (mais pas nécessaire), s’est effectivement produit. Si une telle explication reste donc forcément incomplète, une ‚explication’ qui n’invoquerait que la généralité du changement en question n'en serait même pas une : la fréquence de certaines évolutions est un fait à expliquer, non pas un principe d’explication. 1.3.2.4 Importance pour la créolistique Revenons maintenant à la créolistique. Bien que nous refusions de voir dans la créolisation proprement dite une série de changements apportés à la langue de base (cf. 1.2.3-4) et tout en sachant que la distinction entre explication universelle et explication historique a été élaborée dans l’étude de changements linguistiques, nous réclamons la distinction entre ces deux types d’explication pour la linguistique historique tout entière, y compris la créolistique. Autrement dit, nous croyons que le fait qu’un certain phénomène d’un certain créole, absent de la langue de base, soit largement répandu dans les langues du monde et que son apparition y soit fréquente, ne constitue pas un argument qu’on puisse opposer à celui qui cherche à lui trouver une explication historique. Or, montrer que ce phénomène faisait partie de la langue d’une bonne partie de ses créolisateurs, c’est précisément une façon de fournir une explication historique. 72 70 Ulrich Detges (1999) a proposé une très belle justification d’une autre solution de rechange pour les futurs, à savoir celle de la transformation de verbes de mouvement suivis d’un complément verbal indiquant le but en auxiliaires de périphrases à valeur de futur (cf. l’ambiguïté de la phrase Je vais faire mes courses). 71 Ajoutons que la possibilité du changement exige, elle aussi, une explication universelle. Mais cette fois-ci on n’aura une explication que si elle vaut indépendamment de toute occurrence du changement. 72 Hâtons-nous de rappeler que les langues des créolisateurs ne constituent pas la seule mine d’inspiration possible, pour ceux qui forgent un créole, de même que les substrats, superstrats et adstrats ne constituent pas la seule source d’inspiration pour ceux qui innovent dans une langue (exemple : l’explication historique du futur roman par le christianisme telle qu’elle a été proposée par Coseriu ne fait pas intervenir une autre langue). <?page no="87"?> 87 Nous exigeons donc pour tout événement linguistique une explication historique et, le cas échéant, une explication universelle de sa généralité. Et en tant que créolistes nous avons des raisons particulières de le faire. On constate en effet que précisément en créolistique, on oppose assez souvent des explications universelles, forcément incomplètes, et parfois même des pseudo-explications par la généralité du phénomène en question, à des explications historiques. On nous dit par exemple : Tel phénomène dans tel créole, absent des variétés de langue qui lui ont servi de base, se rencontre un peu partout dans les langues du monde; ne vous tracassez donc pas la tête à lui trouver une explication dans les langues ancestrales des créolisateurs. C’est un schéma argumentatif qu’on ne rencontre pas seulement chez les ‚substratophobes’. On risque de le rencontrer aussi chez des linguistes qui s’occupent de naturalness, d’optimality, de linguistique cognitive ou de linguistique pragmatique, dans la mesure où certains chercheurs dans ces domaines - heureusement pas tous - ont actuellement tendance à ‚émigrer de l’histoire’, comme l’a très bien observé Wulf Oesterreicher (cf. Oesterreicher 2005 : 8.). Voilà un exemple créole pour illustrer notre pensée. L’emploi d’un terme du type corps, tête, âme etc. est censé être un des procédés les plus naturels lorsqu’il s’agit de créer une expression pour le réfléchi. Il ne serait donc pas utile d’invoquer l’expression du réfléchi par bopp ‚tête’ en wolof pour expliquer son expression par kabésa ‚tête’ en cs., ni celle de la réciprocité par g n ‚compagnon’, dans des langues mandé comme le bambara, pour expliquer son expression par kunpanheru ‚compagnon’ en cs. Pour un autre exemple, nous renvoyons à 2.2.4.1. On aura compris que de tels arguments ne tiennent pas debout. Tout au contraire. En expliquant certains phénomènes du cs. à partir du wolof ou d’autres langues africaines de la côte occidentale de l’Afrique, notoirement présentes lors de la créolisation du portugais à Santiago, nous espérons fournir à ceux qui arborent des explications universelles le complément sans lequel leurs explications resteraient forcément incomplètes. 1.3.3 Le recours aux ‚tendances’ 1.3.3.1 Sens courants du mot tendance Le mot tendance est assez souvent utilisé, mais rarement défini en linguistique. Il faut donc se rapporter à son usage dans la langue courante, pour se faire une idée de ce qu’il peut vouloir signifier sous la plume d’un linguiste. Voici les quatre sens de tendance que distingue Le Nouveau Petit Robert 2007 : s.v. tendance : <?page no="88"?> 88 1 PHYS . VX Attraction des corps. 2 (répandu XIX e s.). C OUR . Ce qui porte qqn à être, à agir, à se comporter de telle ou de telle façon. disposition, inclination, penchant, pente, prédisposition, propension. Des tendances égoïstes. Une fâcheuse tendance. Tendances contradictoires. « Cet équilibre entre nos tendances profondes » S ARTRE . « Roberti a des tendances au sadisme » D UTOURD . - A VOIR TENDANCE A (et l’inf.) : être enclin à. « On a tendance à se flatter » G IDE . Avoir tendance à grossir. (1896) P SY- CHOL . Principe dynamique, considéré comme la cause de l’orientation des activités humaines. « La tendance n’est jamais que l’orientation spontanée d’un certain nombre de besoins vers les objets qui en assurent la satisfaction » M. P RADI- NES . P SYCHAN . Tendances inconscientes. pulsion. Tendances refoulées. 3 (fin XVIII e s.) Orientation commune à une catégorie de personnes. À quelle tendance politique appartient-il? 2 courant, mouvance [cf. Couleur* politique]. Tendance artistique ou intellectuelle. école, mouvement. Il faut que le critique « comprenne et explique toutes les tendances [...] et admette les recherches d’art les plus diverses » M AUPASSANT . 4 (rare avant XIX e s.) Évolution (de qqch.) dans un même sens. direction, orientation. Tendances du cinéma. Les dernières tendances de la mode. ASJT . FAM . Des bottes très tendance. - Tendance à la hausse. Avoir tendance à : s’orienter vers. Les prix ont tendance à monter. 1 tendre (à). ECON . Indicateur* de tendance. La tendance d’un livre, d’un discours : son intention, son orientation intellectuelle. Faire à qqn un procès de tendance, le juger sur les intentions qu’il a ou qu’on lui prête, sans attendre les actes (cf. Un procès d’intention*). STA- TIST . Tendance fondamentale, de fond : tendance durable pouvant être explicitée graphiquement. Si l’on omet le premier sens, sorti d’usage, on suit de 2 à 4, une filiation historique et sémantique des sens du mot tendance : on passe d’une disposition qui oriente les activités d’un individu aux courants intellectuels, politiques ou esthétiques, pour en finir avec une direction évolutive de certaines choses. Ces trois sens modernes sont, malgré tout, assez proches, les uns des autres. La disposition d’un être, généralement d’un être humain, à se comporter d’une certaine façon, visée directement dans 2, et qui fait que cet être agit ou évolue en conséquence, si rien ne s’y oppose, n’est pas absente, en 4. Ce n’est que de façon indirecte ou métaphorique qu’on attribue des tendances à certaines ‚choses’ : « les prix ont tendance à monter », parce que les agents économiques ont certaines tendances qui les font monter. L’article du Nouveau Petit Robert 2007 ne donne aucun exemple du type *Cette pierre a tendance à tomber où une telle transformation serait impossible. 1.3.3.2 Deux emplois du mot tendance en linguistique En linguistique, on observe deux emplois assez différents du mot tendance. L’un d’entre eux, que nous indiquerons par ‚tendance 1 ’, est innocent, mais peu conforme au sens central du mot que nous venons de reconstruire à partir <?page no="89"?> 89 des informations du Nouveau Petit Robert 2007. Il peut pourtant être rattaché à cet emploi spécial, statistique, mentionné tout à la fin de l’article. L’autre emploi, qui sera pour nous ‚tendance 2 ’, est plus conforme à ce sens central, mais aussi plus problématique. On peut, par exemple, constater a posteriori une certaine ‚tendance’ (tendance 1 ) du latin vulgaire et des langues romanes à remplacer des expressions synthétiques du latin archaïque par des expressions analytiques (certaines prépositions prenant la relève de certains cas; le futur, le parfait, le passif et la comparaison synthétiques remplacés par des tours analytiques, etc.). Cette simple réunion de différents changements sous un dénominateur commun peut bien sûr être suivie de la recherche d’une cause qui les explique tous. Cette cause ne pourra pourtant jamais être cette tendance 1 elle-même, sous peine de tomber dans un argument circulaire. Le fait que de telles ‚tendances analytiques’ ou ‚synthétiques’ ont pu se succéder ou se côtoyer dans une même langue ne constitue pas de problème pour ceux qui s’en tiennent à un tel emploi de notre mot : et effectivement, le futur roman est redevenu synthétique dans la plupart des langues romanes et un sous-paradigme synthétique, le conditionnel, a été créé parallèlement. L’emploi de notre mot cesse d’être innocent à partir du moment où certaines tendances 1 , sont considérées comme étant le résultat de certaines dispositions (tendances 2 ) des locuteurs qui visaient justement à les produire. C’est ce qu’on a fait dans la mouvance de l’Institut des Études Créoles de l’université d’Aix-en-Provence. Un seul exemple suffira pour montrer à la fois la source et la diffusion, dans cette école, de l’idée de l’existence de telles tendances 2 à valeur explicative. En 2002, Annegret Bollée et Ingrid Neumann-Holzschuh ont résumé leur conception de la créolisation dans le numéro XXV, 1 de la revue Études créoles coordonné par Albert Valdman. Les deux créolistes allemandes s’y montrent convaincues « que la spécificité de la créolisation linguistique réside d’abord dans la conjonction spécifique de phénomènes tels que l’accélération et la radicalisation de certaines tendances évolutives dans les langues de bases européennes, des réanalyses multiples dues à l’apprentissage non guidé et incomplet ainsi que certains processus de grammaticalisation » (Bollée/ Neumann- Holzschuh 2002 : 88). Selon nos auteurs, les tendances mentionnées peuvent être observées dans les français marginaux (acadien; acadien louisianais; français de Terre Neuve, de Saint-Barthélemy et de St. Thomas) : « ..., ces français marginaux manifestent dans leur développement ultérieur sans pression d’une norme les tendances évolutives que R. Chaudenson appelle ‚tendances autorégulatrices’ … » (Bollée/ Neumann-Holzschuh 2002 : 89; nouvelle mention de ces « tendances autorégulatrices » et nouveau renvoi à Chaudenson à la page 90). Quelques unes de ces tendances sont mentionnées : « l’affaiblissement du genre grammatical et du nombre, 'une prédilection marquée pour des tours périphrastiques' (Chaudenson 1973 : 362) et la tendance au recul de formes <?page no="90"?> 90 verbales fléchies devant des formes non marquées (infinitif, troisième personne du singulier) qui peut être interprétée comme germe de l’évolution spécifiquement créole vers des lexèmes verbaux invariables » (Bollée/ Neumann-Holzschuh 2002 : 89/ 90). Du moins la deuxième de ces tendances semble être une tendance 2 (« prédilection »). Bref : Les faits observés dans les français marginaux peuvent être groupés sous certains dénominateurs communs (tendances 1 ). Ainsi par exemple, tous les remplacements de formes synthétiques par des tours périphrastiques. Ce groupe de changements est alors interprété comme étant la manifestation d’une tendance 2 qui visait précisément cette fin. Dans leur ensemble ces tendances 2 constituent les tendances autorégulatrices dont il a été question. Nos deux créolistes ajoutent une mise en garde : « Si les tendances évolutives à l’œuvre dans les français marginaux, comme par exemple la tendance à l’invariabilité ou la préférence marquée pour les formes analytiques par rapport aux formes synthétiques, sont comparables aux phénomènes qui constituent la créolisation, les causes en sont toutefois différentes : étiolement linguistique dans les variétés de l’Amérique du Nord, contact des langues et apprentissage linguistique non guidé dans le cas des créoles » (Bollée/ Neumann-Holzschuh 2002 : 90). Néanmoins : « ..., la réanalyse de formes verbales saillantes par les esclaves converge avec la tendance au nivellement des paradigmes verbaux dans le français de plus en plus marginalisé des colons » (Bollée/ Neumann-Holzschuh 2002 : 93). Si ces tendances sont « à l’œuvre », c’est que ce sont des tendances 2 . Il ne ferait d’ailleurs aucun sens de dire, à propos de tendances 1 , qu’elles agissent plus librement en l’absence de pressions normatives. L’image qui se dégage est celle d’un français qui, cédant toujours plus à son penchant, se transforme en créole (à moins qu’on ne préfère l’image d’une boule qui, une fois mise en route, continue sa trajectoire par inertie). 1.3.3.3 Les tendances du français selon Robert Chaudenson Ce n’est pas la première fois qu’Annegret Bollée et Ingrid Neumann-Holzschuh évoquent, en 2002, l’action de ces tendances 2 à valeur explicative : le mot tendance apparaît au moins 19 fois dans leur article Pour une grammaire historique des créoles, de 1993, où sont énumérées, entre autres, quatre « tendances évolutives » du cadjin louisianais (tendance à la prédétermination, à l’invariabilité, à l’expressivité et à l’allégement des règles syntaxiques) (cf. Bollée/ Neumann-Holzschuh 1993 : 2.3). À quelques exceptions près toutes ces tendances « ont été menées à leur terme dans le développement des langues créoles » (ibid. : 10). La première partie de la contribution Français marginaux et créoles de nos deux auteurs, qui date de 1998, s’intitule précisément Tendances évolutives dans la morphosyntaxe du français cadien de Louisiane. Comme on l’a vu, les deux créolistes allemandes ne font nul secret de la source où elles ont puisé ces idées. Adressons-nous donc à Robert Chaudenson lui-même. Nous utiliserons surtout son livre Des îles, des hommes, des lan- <?page no="91"?> 91 gues. Langues créoles - cultures créoles de 1992 (ici = Chaudenson 1992b), où l’on trouve un chapitre très dense sur La créolisation linguistique (p. 133-177). On retrouve les idées que l’auteur expose dans beaucoup d’ouvrages antérieurs et postérieurs, par exemple dans Chaudenson/ Valli/ Véronique 1986, Chaudenson 1994 et notamment dans Chaudenson 2003, Chapitre sixième. Les processus de créolisation : autorégulation et appropriation linguistique. Vers une illustration de la théorie. Robert Chaudenson est conscient des « réserves épistémologiques que peut susciter, du fait de ses connotations anthropomorphiques, l’usage du terme ‚tendances évolutives’ à propos d’un système linguistique » (1992b : 152, à la page précédente, il avait déjà précisé : « ... ; on attribue au système ce qui relève sans doute du locuteur »). Il lui a donc substitué le terme de ‚processus autorégulateurs’ à peine moins problématique (cf. de nouveau 1992b : 152). Et il n’en continue pas moins à utiliser très souvent, dans les contextes qui nous intéressent, le verbe tendre ou le substantif tendances (cf. par exemple Chaudenson 1994 : 171), ce dernier, comme on l’a déjà vu plus haut, parfois accompagné de l’adjectif ‚autorégulatrices’ (cf. par exemple Chaudenson 2003 : 451). Selon Chaudenson, les « processus autorégulateurs » sont des processus de restructuration qui, à différentes époques et en différents lieux, affectent les mêmes zones du système linguistique. Ils répondent à des besoins des locuteurs qui sont universels, mais ils diffèrent en fonction des systèmes en place. Ils peuvent donc se manifester différemment en français et en anglais, par exemple (cf. Chaudenson 1992b : 151/ 152). Ces processus seraient à l’origine d’une bonne partie de la diversité diachronique et géographique d’une langue. La créolisation du français aurait consisté, en partie, dans l’accélération, la radicalisation et la transmission de ces restructurations « dont des français ‚marginaux’ font apparaître l’orientation et offrent des variantes » (Chaudenson 1992b : 156, cf. aussi ibid. 147, 168). Dans l’histoire des langues, les forces susceptibles d’empêcher la manifestation des tendances en question seraient les instances normatives au sens le plus large. Les particularités des français populaires, coloniaux et surtout marginaux servent à Robert Chaudenson pour constituer un ‚français zéro’ (cf. Chaudenson 1992b : 150-156, et particulièrement 155) qui lui révèle les ‚tendances’ que va suivre un français libéré de toute pression normative. En principe, les créoles français devraient être encore plus utiles, à cette fin, mais pour Chaudenson ils se trouvent carrément dans l’au-delà de ce ‚français zéro’ (cf. Chaudenson 1992b : 147, 155, 156, 168). Or, il faut se souvenir que, suivant Chaudenson ce penchant relève sans doute plus des locuteurs que de leur langue. De quels locuteurs, dans le cas de la créolisation ? C’est ici que la masse des esclaves entre en jeu, puisque la créolisation résulte aussi de « réaménagements liés à l’apprentissage et au contact linguistiques » (1992b : 156). Reconnaître le rôle de ces « stratégies d’acquisition et d’apprentissage linguistiques, peut-être universelles mais <?page no="92"?> 92 sans doute [...] en relation avec les processus autorégulateurs » (1992b : 170) n’équivaut pas, chez Chaudenson, à reconnaître un rôle capital aux langues ancestrales des esclaves pour l’explication des structures créoles. « Cette perspective n’exclut pas toutefois que l’orientation des restructurations évoquées ci-dessus puisse être, pour partie, déterminée chez les apprenants par des convergences avec leurs systèmes linguistiques premiers (cette tendance se trouve néanmoins limitée par la forte hétérogénéité linguistique des groupes concernés) » (cf. Chaudenson 1992b : 156; voir notre objection concernant cette limitation sous 1.2.6.3-4). 1.3.3.4 Précisions Nous concédons sans plus l’existence de tendances 2 du type de celles invoquées par les créolistes de l’école aixoise. Pour reprendre un de leurs exemples, nous croyons qu’une disposition mentale à préférer des tours analytiques peut effectivement exister. 73 Nous laissons à d’autres le soin de préciser le mode d’existence de telles tendances dans le cerveau des locuteurs, d’en distinguer les sous-types et d’examiner le degré de conscience qu’une tendance d’un certain type peut atteindre, chez les locuteurs. Leur existence une fois admise, il convient de se poser la question si les tendances 2 dont parle l’école aixoise sont universelles, individuelles ou collectives. Si l’on y voit des dispositions universelles, communes à tous les humains (Chaudenson parlait de « besoins universels »), on rentre dans toutes les impasses qu’on connaît : Pour quand leur aboutissement définitif ? Comment les langues ont-elles jamais pu s’y soustraire, voire évoluer en sens inverse ? Des besoins linguistiques universels existent évidemment. Dans leur ensemble, ils forment la faculté langagière de l’homme. Mais une tendance à l’expression analytique n’y trouve pas sa place, sinon, comment expliquer la naissance de tant d’expressions synthétiques dans les langues du monde ? S’agit-il alors de tendances 2 individuelles, de dispositions qui sont le propre de certains individus ? Si la réponse est positive, il faut s’attendre à ce que ces locuteurs montrent ces tendances par rapport à toutes les langues qu’ils apprennent. Mais il est difficile de s’imaginer que certains individus tendent à l’expression analytique comme d’autres tendent à la rumination ou au sadisme. D’ailleurs, quoi qu’il en soit, il faudrait encore expliquer comment ces individus arrivent à entraîner toute une communauté linguistique. La troisième possibilité est à peine plus satisfaisante. Si l’on attribue une telle tendance à tout un groupe d’individus, disons, aux Français, il faut se décider. Va-t-on l’attribuer à tous les Français de toutes les époques ? Mais pourquoi, le futur roman est-il alors déjà de nouveau synthétique dans les premiers textes français tandis qu’il ne l’est toujours pas tout à fait en portugais moderne et ne l’était pas encore en ancien espagnol ? Vaut-il vraiment la peine de revenir à la ‚Völkerpsychologie’ ? 73 L’exemple a l’avantage de rappeler la tendance 1 du latin vulgaire mentionnée sous 2.2. <?page no="93"?> 93 Peut-on résoudre ce problème en attribuant de telles tendances 2 à certains groupes de Français qui ont vécu à une certaine époque ? Certains goûts peuvent certainement prévaloir dans une (partie d’une) communauté linguistique pendant un certain temps, en ce sens que l’on découvre peu à peu la possibilité d’appliquer un certain principe d’organisation à des domaines toujours nouveaux. Mais nous sommes là dans le domaine des modes. Ces modes linguistiques peuvent changer à un rythme plus lent que d’autres modes, entre autre parce qu’il leur faut plus de temps pour s’imposer à toute une communauté. Or, de telles tendances étant muables par nature, au lieu de constituer une explication, elles en demandent une. Mais nous sommes maintenant très proches de la solution de ce casse-tête. On parle de modes, lorsqu’il n’y a pas ou qu’on ne trouve pas d’explication à une tendance 2 . Or, si la comparaison du français de France avec les français coloniaux nous permet de constater certaines tendances 1 et si la comparaison de ce français de France avec les français coloniaux marginalisés nous permet d’en constater (encore) d’autres, il paraît que ces tendances 1 ne sont pas le fruit de modes imprévisibles, mais bien de tendances 2 qui naissent, durent et disparaissent en fonction de certaines situations communicatives. Le rôle de ces tendances 2 dans l’explication change alors complètement. De purs explicantes qu’elles étaient, elles passent à explicantes et explicanda à la fois. Ce qu’il faut expliquer, c’est pourquoi les humains, confrontés à telles ou telles conditions communicatives (ou écologies sociolinguistiques, pour parler avec Salikoko Mufwene) tendent à tels où tels comportements linguistiques; comportements qui peuvent à leur tour faire évoluer les variétés ou langues en question dans une certaine direction plutôt que dans une autre. 74 1.3.3.5 Des tendances spécifiques répondant à des situations communicatives spécifiques Essayons de montrer sur quelques données en partie hypothétiques, comment nous imaginons, d’une part, la naissance de ces différentes tendances 2 en fonction de différentes situations de communication, et de l’autre, la répercussion de ces tendances 2 sur l’évolution linguistique. Nous choisissons, à ce propos, des faits susceptibles de nourrir l’illusion qu’ils répondent tous à une même tendance 2 , à savoir « la tendance à l’invariabilité dans la flexion verbale, qui, dans le processus de la créolisation, a abouti à un lexème verbal invariable » (Bollée/ Neumann-Holzschuh 1998 : 183). 74 La ‚chaîne implicative’ ES (external setting) > SB (speech behaviour) > SC (structural consequences) proposée par Hans-Jürgen Sasse au sujet de la ‚mort de langues’ vaut pour toutes les tendances 1+2 qui répondent de façon systématique à certaines situations communicatives : « the extralinguistic features appear first; a change in speech behaviour then obtains due to or as a reaction to the extralinguistic features. Finally structural changes emerge as a consequence of the change in speech behaviour » (cf. Sasse 1992a : 12). Pour ce qui est de la relation entre le deuxième et le troisième anneau de cette chaîne, Chaudenson 1992 b : 154 parle de la « ‚rétroaction’ de la performance sur la compétence ou de la parole sur la langue ». <?page no="94"?> 94 1. Chez les locuteurs des patois de la France métropolitaine, les pressions normatives se font moins sentir que chez les Français cultivés. Cette présence de pressions normatives chez les uns et leur absence chez les autres expliquent la plus grande stabilité de la langue standard par opposition à une plus grande variation dans les patois (cf. Chaudenson 1992b : 148 et 150). Les personnes cultivées auront ainsi tendance (une tendance 2 ) à rejeter les formes verbales analogiques qui surgissent à tout moment, non seulement chez les enfants, mais aussi, au gré de petites défaillances de la mémoire, chez les adultes. Dans les patois, ces formes feront plus facilement souche, ce qui peut à l’occasion conduire à une réduction du nombre des formes fléchies. Dans la variété du souabe, que je parle, il n’y a ainsi plus qu’une seule forme pour toutes les personnes au pluriel (exemple : [m r g- t], [i: r g- t, se g- t]) là où l’allemand standard en distingue deux (wir gehen, ihr geht, sie gehen). Réunissant un grand nombre de tels cas, on peut donner l’impression que les patois tendent à l’invariabilité du verbe. La tendance 2 , universelle, à la création de formes analogiques n’implique pourtant pas une tendance à l’abolition des formes fléchies. Un grand nombre de changements par analogie ne conduit pas forcément à une réduction de la flexion. Le -o analogique de l’italien cantavo a produit une différence morphologique entre la première et la troisième personne de l’imparfait (cantavo/ cantava) là où l’espagnol, plus conservateur sur ce point, n’en a qu’une seule (cantava). Etc. 2. À l’époque de la colonisation, la cohabitation dans les ports d’embarquement, sur les navires et dans les colonies, de locuteurs qui, au départ, parlaient différentes variétés de français a dû entraîner une koinéisation. Celle-ci a dû privilégier, une des variétés impliquées (pas forcément la même partout) au prix de certaines concessions (abandon de certaines spécificités) aux variétés concurrentielles. Une tendance 2 à éviter, dans une telle situation, des formes peu fréquentes, que les locuteurs de cette variété savaient être plus ou moins exclusives de celle-ci, a pu entraîner la perte de certaines formes ou sous-paradigmes de la conjugaison. Cette tendance 2 à éviter des formes trop spécifiques n’implique pourtant nullement une tendance 2 à l’élimination de la flexion verbale. 3. L’utilisation de plus en plus fréquente d’une autre langue - du moins dans certains domaines de la vie quotidienne - crée, dans de petites communautés linguistiques isolées (français acadien, français acadien louisianais, français de Old Mines, etc.) une insécurité par rapport à la langue propre. 75 On ne sait plus très bien quelle forme verbale correspond à quelle fonction. 76 75 Ces hésitations caractérisent (à différents degrés) tant ceux qui ont encore atteint une maîtrise complète de la langue, mais l’utilisent de moins en moins et l’oublient donc peu à peu (‚rusty speakers’) que ceux qui ne l’ont plus entièrement apprise (‚semi-speakers proper’) (cf. Sasse 1992b : 2.2 et 2.3). 76 Hans-Jürgen Sasse, qui a mené une enquête longitudinale sur la ‚mort’ de l’Arvanitika (un dialecte albanais peu à peu abandonné au profit du grec moderne), rapporte que <?page no="95"?> 95 Ceci peut certainement mener à une certaine réduction du nombre des formes verbales disponibles. Alignant en série des exemples comme les canards sort le soir, les enfants [...] m’a donné un accordéon, vous sait, on peut nourrir l’illusion d’une tendance 2 à l’abolition complète de la flexion verbale. Mais le fait qu’on trouve vous sait à côté de vous sentez, et ils appelont à côté de ils appelle(nt), chez la même personne, suggère qu’il s’agit plutôt d’insécurités que d’une tendance 2 à l’invariabilité (exemples du français cadien en Louisiane que Bollée/ Neumann-Holzschuh 1998 : 183/ 184 ont extraits de Stäbler 1995). 77 4. Il faut aussi tenir compte, dans ces cas, de la langue de l’entourage, puisque « language death is almost always a result of intensive language contact » (Thomason 2001b : 223). 78 Si c’est l’anglais avec son absence presque totale de désinences personnelles, on peut s’attendre à ce que l’insécurité par rapport aux désinences personnelles de la propre langue devienne particulièrement grande. Les locuteurs qui se trouvent dans cette situation auront donc une tendance 2 à renoncer à des distinctions entre personnes là où l’anglais n’en fait pas. Étant donné que dans cette langue seule la troisième personne du singulier du présent indicatif est marquée par une désinence et qu’en français, cette forme ne l'est pas, ceci pourra mener à la disparition de toute variation personnelle. 79 Mais là encore cette disparition ne serait pas le reflet d’une tendance 2 à l’abolition de suffixes personnels ou à l’invariabilité verbale. Profiter de tous ces cas pour la construction d’une tendance 2 à l’invariabilité dans la flexion verbale, est donc abusif. Cela ne signifie pas, qu’une telle tendance 2 ne puisse pas exister. Elle existe au plan de la parole chez tout locuteur qui, face à une incompréhension totale de la part de son interlocuteur, pousse son foreigner talk à l’extrême. Ceci peut, en principe, entraîner l’absence complète de formes fléchies dans un créole qui naîtrait d’un telle situation communicative. 80 « Their [the semi-speakers’] speech often shows [...] a strong insecurity in the mapping of forms and functions » (1992a : 15) et que « the conjugational system, once operating with personal suffixes, is now replaced by whatever verb form the speaker remembers plus isolated pronouns serving the indication of personal reference » (Sasse 1992b : 69). 77 Les formes en -ont, -iont (ou -ions? ) au lieu de -ent, -aient peuvent avoir été héritées de dialectes métropolitains, comme Bollée/ Neumann-Holzschuh le pensent (cf. 1998 : 183). Mais il peut aussi s’agir de formes analogiques créées sur place. 78 Cf. à ce sujet toute la bibliographie sur la ‚mort des langues’, entre autres : Dorian 1973, 1981, Brenzinger (éd.) 1992, Sasse 1992a et 1992b, Thomason 2001b: 9. et Janse (éd.) 2003. 79 Les emprunts à la langue de l’entourage qui constituent des simplifications semblent être plus nombreux, selon les recherches d’Anna Fenyvesi concernant une variété de hongrois parlée à McKeesport, Pennsylvania, dans les langues en voie d’extinction, que les emprunts qui ne produisent pas un tel effet et que les simplifications qui ne sont pas en même temps des emprunts (cf. Thomason 2001b : 231). 80 « ..., it is clear that morphological simplicity in particular grammatical areas, such as verbal inflection, emerged rapidly and comprehensively in the history of creoles, rather than gradually spreading as in the structural changes usually described in historical linguistics » (Siegel 2007 : 174). <?page no="96"?> 96 1.3.3.6 Conclusions Plutôt que de s’exclure, les conditions communicatives spécifiques mentionnées dans 1.3.3.5 sous 1. à 4. vont s’accumulant. L’absence de pressions normatives caractérise non seulement les milieux populaires de France, mais aussi les milieux coloniaux et plus encore les petites communautés francophones isolées. Et la nécessité d’un nivellement linguistique sera normalement inversement proportionnelle à l’extension de la communauté, dans les communautés linguistiques sans pressions normatives. On arrive ainsi pour l’accumulation progressive de conditions spécifiques à une chaîne prototypique du type patois métropolitains français coloniaux français coloniaux marginalisés. La plupart des conditions communicatives qui ont produit ces français, existaient aussi lors de la créolisation du français en différentes parties du monde. Pour cette raison, cette échelle restera utile pour l’explication de beaucoup de ressemblances entre ces français et les créoles à base française. Or, si les français coloniaux se distinguent nettement des patois de France, il faut partir à la recherche de ce que les situations communicatives dans lesquelles ils sont nés avaient de particulier. Même chose pour les français marginaux. Et si les créoles français se trouvent, par rapport à tous ces français, carrément dans l’au-delà, comme Robert Chaudenson ne cesse de le répéter (cf. Chaudenson 1992b : 147, 148, 155, 156, 168), il faut vaillamment partir à la recherche des conditions sociolinguistiques spécifiques qui les ont vu naître et identifier les comportements linguistiques spécifiques que ces situations ont favorisés. C’est ce que nous avons essayé de faire sous 1.2. L’école aixoise est loin d’avoir négligé le rôle des situations communicatives. Mais elle a privilégié, parmi toutes les différences pertinentes, celles entre l’absence et la présence d’institutions et de pressions normatives. La fiction de tendances inhérentes à tout français libéré de ces pressions qui aboutiraient dans les créoles français lui ont caché une lacune dans son explication de la genèse des créoles. La reconnaissance du rôle constitutif de l’intervention massive d’alloglottes et de leurs langues dans la créolisation est appelée à combler, en partie, cette lacune. 1.3.4 Le combat à l’exceptionalisme 1.3.4.1 Remarques préliminaires Parmi les courants de pensée qui traversent actuellement les études créoles, il en est un qui a trouvé son mot d’ordre dans le titre d’une contribution de Michel DeGraff : Against Creole exceptionalism (DeGraff 2003). DeGraff y reprend certaines idées de Salikoko Mufwene pour les intégrer, sous le dénominateur commun du combat à l’‚exceptionalisme’, dans une critique de certaines positions à l’intérieur des études créoles toujours (inconsciemment) imprégnées, selon cet auteur, d’idéologie (néo)colonialiste (cf. DeGraff 2003 : 391). Depuis, d’autres se sont joints au combat de DeGraff. C’est notamment <?page no="97"?> 97 le cas de Umberto Ansaldo, Stephen Matthews et Lisa Lim dans l’introduction à un volume au titre significatif de Deconstructing Creole dont ils sont les éditeurs (cf. Ansaldo et al. 2007 : 1-18). Le programme d’une ‚déconstruction complète’ de ‚l’exceptionalisme créole’ avait d’ailleurs déjà été esquissé à la fin de l’article de DeGraff (cf. 2003 : 402-404). Les auteurs mentionnés s’élèvent contre ceux qui voient dans les créoles (êtres humains et langues) et la créolisation, des personnes, objets ou processus ‚exceptionnels’. Ils se présentent donc, sur le plan humain, comme les défenseurs d’un humanisme égalitaire et, sur celui de la linguistique, comme les gardiens d’une unité de la linguistique menacée par certains sectaires. Les adjectifs egalitarian et uniformitarian apparaissent d’ailleurs avec une certaine fréquence dans leurs écrits (cf. par exemple DeGraff 2003 : 391, 394, 395). Le combat mené par DeGraff et ses partisans a d’autant plus de chances de se répercuter sur la marche des études créoles qu’il s’accompagne d’accents moraux. Au concept de l’exceptionnel, ces auteurs n’opposent pas celui du fréquent ou du courant, mais celui du normal, créant ainsi une association entre l’exceptionnel et l’anormal dans son double sens, celui de ‚moins fréquent’, mais aussi celui d’‚aberrant’. Or, c’est justement cette ambiguïté qui, à leur avis, caractérise les positions exceptionalistes. Surgit ici un premier problème, purement terminologique : peu importe le sens que l’on donne à l’adjectif exceptionnel, s’il n’y a pas d’exceptionnel, cela n’a pas beaucoup de sens d’appeler ‚normal’ quoi que ce soit, le domaine du normal commençant là où se termine celui de l’exceptionnel et vice versa. Un combat pour la ‚normalité’ des créoles et de la créolisation ne ferait de sens que si l’on posait quelque part un nouvel exceptionnel, ce qui ne semble pas être l’intention des auteurs en question. En plus d’être complémentaires, chez ces auteurs, les concepts de l’exceptionnel et du normal sont foncièrement relatifs et subjectifs, un froid, exceptionnel ici, étant normal aux pôles etc. Ni l’exceptionnel, ni le normal ne peuvent donc aspirer au rang de concepts scientifiques. Rappelons tout humblement que le devoir de la science consiste à faire des distinctions, mais à ne faire que celles que la nature de l’objet étudié lui impose. 81 C’est dans cet esprit que nous nous apprêtons à passer en revue les distinctions que les ennemis de l’exceptionalisme - ou certains d’entre eux - jugent non pertinentes, en indiquant celles qui nous semblent effectivement gratuites et celles qui, du moins pour le moment, nous paraissent incontournables. Ignorer tout simplement les critiques des partisans de DeGraff serait 81 « Para que o termo crioulo se justifique enquanto conceito (e n-o mera designaç-o de uma língua) é imprescindível que exista algures algo excepcional (para adoptar a express-o de DeGraff 2003), que o mesmo é dizer específico (e que nada tem a ver com anormal) » (Pereira 2006 : 165, notre traduction : Pour que le terme de créole se justifie en tant que concept (et non pas comme simple désignation d’une langue) il faut qu’il existe quelque part quelque chose d’exceptionnel (pour reprendre le terme de DeGraff 2003), ce qui est la même chose que spécifique (et n’a rien à voir avec anormal)). <?page no="98"?> 98 faire preuve d’entêtement, y souscrire de façon indifférenciée risquerait de nous mener à un agnosticisme fâcheux. Certains exceptionalismes ne seront pourtant pas commentés parce qu’ils ne le sont que pour les opposants de l’exceptionalisme. DeGraff prétend que les explications de la genèse des créoles par relexification « assume that the interlanguages constructed by Creole creators, unlike the interlanguages of second-language learners elsewhere, cannot escape the structures of their native grammars. [...] Thus, strict-relexification accounts of Creole genesis make assumptions (for example, about language acquisition) that apply nowhere else outside of Creole studies » (DeGraff 2003 : 396). Cette affirmation contient la présupposition que ceux qui apprennent une langue seconde sans manuel ni professeurs peuvent échapper aux interférences de leurs langues premières. Or, ils n’y échappent que tout à la fin et seulement dans le meilleur des cas. Même ceux qui sont en apprentissage guidé n’y échappent jamais complètement. Pour certaines distinctions à notre avis incontournables qui ont déjà été amplement discutées, il suffira de rappeler les conclusions de chapitres précédents. Nous nous arrêterons un peu plus à celles que nous n’avons par encore abordées (en détail), mais qui nous concernent. 1.3.4.2 Les exceptionalismes Les exceptionalismes incriminés qui seront commentés par la suite sont les suivants : 1. La faculté langagière des créolisateurs était inférieure à celle du commun des humains. 2. Comparés aux autres langues, les créoles présentent des déficiences structurales. 3. Les créoles sont des ‚fossiles’ qui nous informent sur des stades dépassés de l’évolution linguistique de l’espèce humaine. 4. La naissance d’un créole constitue une rupture dans la transmission. 5. Les créoles ne se prêtent pas à une classification généalogique comme les autres langues. 1.3.4.3 Les exceptionalismes commentés 1.3.4.3.1 Une faculté langagière inférieure ? D’après Michel DeGraff, la faculté d’apprendre et de créer des langues des créolisateurs n’était pas inférieure à celle du commun des humains (cf. De- Graff 2003 : 391, 394, 401). Qui en douterait à l’heure actuelle ? S’il fallait des preuves, en voilà une : beaucoup de créolisateurs et beaucoup de locuteurs de créoles ont aussi appris à parler la langue de base de leurs créoles respectifs. C’est d’ailleurs précisément cette faculté langagière qui leur a permis de produire les créoles. En effet, déjà selon W. Greenfield « ... the individual speakers engaged in language contact, whether in the genesis of Creole or Roman- <?page no="99"?> 99 ce languages, would have used ‚the same [mental] process [for the] formation of [their respective new] language’ » (DeGraff 2003 : 401). Sur ce point, nos convictions sont aussi ‚uniformitaires’ que celles de DeGraff (cf. DeGraff 2003 : 404). La quantité de citations fournies par DeGraff d’auteurs parfois très renommés qui affirment le contraire est impressionnante. Même les fondateurs de notre discipline partageaient une bonne partie des préjugés européens de l’époque : Adolfo Coelho parlait de ‚peuples inférieurs par la race’ et de ‚peuples supérieurs’ etc. (cf. Coelho 1880, 1967 : 104). Ce discours colonialiste et néocolonialiste généralement passé sous silence continue après l’abolition de la traite et de l’esclavage et parvient jusqu’à la deuxième moitié du siècle dernier. On ne peut qu’admirer l’érudition de l’auteur, qui lui permet de révéler son empreinte jusque dans des publications assez récentes (cf. aussi Corcoran 2001). Il faut donc s’attendre à la survivance d’un eurocentrisme résistant, souvent inconscient et donc pas forcément de mauvaise foi, chez les autres et chez soi-même. Rappelons à ce propos un exemple historique. Hugo Schuchardt, au lieu d’attribuer l’apparente simplification des langues européennes lors de leur créolisation à une supposée infériorité mentale des victimes de la colonisation, affirmait que c’étaient les Européens eux-mêmes qui avaient simplifié leurs discours en leur parlant. Il faisait ainsi preuve d’une impartialité remarquable à une époque où l’idéologie colonialiste battait son plein et où il était d’usage de rendre une prétendue incapacité mentale des peuples coloniaux responsable de cette ‚simplification’. N’empêche que Schuchardt restait eurocentriste en ce sens qu’il s’intéressait vivement aux comportements linguistiques des Européens, dans les situations de créolisation, mais très peu à ceux des véritables créolisateurs. On ne surmonte pas l’eurocentrisme par un simple acte de bonne volonté. Ceux qui s’en croient exempts peuvent fort bien se tromper. 1.3.4.3.2 Des déficiences structurales ? Michel DeGraff a évidemment raison lorsqu’il proteste contre « the widespread belief that these languages [les créoles, J.L.], unlike their European sources, are expressivly inadequate because of INTRINSIC stuctural deficiencies » ou qu’ils seraient même des « DEGENERATE DESCENDANTS of their European ancestors » (DeGraff 2003 : 392). 82 Selon DeGraff et ses partisans, le ‚programme’ des ‚exceptionalistes’ prévoit encore aujourd’hui, bien qu’épuré sur ce point chez la plupart de ses ingrédients dépréciatifs que « Creole grammars are structurally exceptional » 82 Les préjudices traditionnels à l’encontre des langues créoles (‚sans règles ni grammaire’, ‚versions corrompues d’une langue de haute culture’ etc.) sont d’ailleurs en partie les mêmes que ceux qui frappaient les langues romanes avant qu’ils n’aient été vaincus par l’humanisme dit ‚vulgaire’. <?page no="100"?> 100 et que « Creoles are different from languages that have been created long ago » (cf. Ansaldo/ Matthews/ Lim 2007 : 4). Exception faite pour Derek Bickerton (cf. surtout 1981) et John H. McWhorter (cf. surtout 2005) et leurs partisans, ce sont peut-être plutôt des non linguistes et même quelques intellectuels et pédagogues créolophones qui sont visés par cette affirmation, que les linguistes qui s’occupent de créoles. Du moins, nous ne nous souvenons pas d’avoir rencontré l’opinion incriminée chez d’autres confrères créolistes. Une rationalisation de ce point de vue des anti-exceptionalistes nous paraît possible et souhaitable de peur que notre assentiment ne soit considéré comme étant une simple confession de foi au nom d’un humanisme égalitaire. Fonctionnant, par définition, comme langues premières d’une communauté linguistique, les créoles sont constamment maintenus par leurs locuteurs natifs en état de répondre à tous leurs besoins communicatifs. Et ces besoins ne peuvent pas être inférieurs à ceux d’autres communautés linguistiques. Cela ne nous oblige pas à postuler que toutes les langues se valent dans tous les domaines. Le nombre et la finesse des distinctions qu’une langue offre à l’emploi en discours - donc la relation entre ce qui s’y trouve ‚pré-construit’ et ce qui reste au locuteur à construire ou à l’interlocuteur à suppléer dans un acte de langage pour l’expression et la réception d’un certain sens - peut parfaitement varier d’une langue à une autre, selon les domaines qu’on prend en considération. Gustave Guillaume, auquel nous empruntons cette façon de présenter les choses, le montre à propos du système des cas en latin et français (cf. Guillaume 1971 : 18-21). N’empêche que, sur l’ensemble, la somme de ‚pré-construit’ doit être approximativement la même dans toutes les langues qui répondent à tous les besoins communicatifs d’une communauté, la fonction de la langue étant précisément de donner aisance au discours. La voie de la création d’une culture écrite, entraînant cette élaboration qu’exige la communication à travers les distances d’espace et de temps est ouverte aux créoles comme à n’importe quelle autre langue. Certains créoles l’ont déjà entreprise, une infinité d’autres langues ne l’ont jamais entamée. Bref, pour ce qui est du potentiel expressif des créoles « ... there is not, and could not be, any deep theoretical divide between the outcome of language change vs. that of creolization » (DeGraff 2003 : 402). Dans la même ligne que ce que nous venons de dire, nous avons terminé en 1993 un article sur le système verbal du créole capverdien de l’île Santiago, en constatant qu’il était aussi riche que celui de notre langue maternelle - en ajoutant toutefois qu’il était plus régulier (cf. Lang 1993 : 165). Cette dernière observation fera comprendre que nous aimerions voir légèrement nuancé le verdict des ennemis de l’exceptionalisme qui frappe ceux qui voient dans les créoles des langues simples (cf. par exemple DeGraff 2003 : 404). Nous venons de voir que les créoles ne peuvent pas être, globalement, plus simples pour ce qui est des distinctions prévues dans leur grammaire et <?page no="101"?> 101 leur lexique. Mais il reste à voir s’ils ne sont pas, au sortir de la créolisation, globalement parlant, plus réguliers que les variétés qui leur ont servi de base. Ainsi l’antérieur en creóle santiagais se termine uniformément en -ba, à une seule exception près, celle de la copule ê dont la forme antérieure est éra. Il existe en plus quelques dédoublements de formes de l’antérieur par des formes acrolectales empruntées au portugais (cf. benba ~ vinha pour ben ‚venir’, debeba ~ devia pour debe ‚devoir’, kreba + kria pour kre ‚vouloir’, podeba ~ podia pour pode ‚pouvoir’ et ten(e)ba ~ tinha pour ten(e) ‚avoir’). Et c’est tout. N’oublions pas que c’est par admiration et nullement par mépris que Rudolf Lenz a donné, en 1927, à son importante monographie El papiamento. La lengua criolla de Curazao le sous-titre La gramática más sencilla. Cette belle régularité de l’antérieur créole, qui n’a jamais eu son pendant dans l’imparfait portugais où, en plus des deux paradigmes de l’imparfait en -ava et en -ia on a les formes carrément irrégulières du type vinha, tinha etc. - et qui n’a peut-être jamais été complète (cf. encore une fois éra) en créole - est d’ailleurs en train de se perdre. Un changement phonétique en cours de diffusion permet d’omettre le [-b-] en position intervocalique et donc de dire kantá’a voire kantá au lieu de kantába, variante conservatrice de l’antérieur de kánta ‚chanter’. Notre supposition qu’une langue qui sort d’un processus de créolisation, a la chance d’être globalement plus régulière que sa langue de base, est naturellement à mettre au compte de notre conviction que ces langues sont encore toutes neuves. Selon nous, le brassage linguistique dont elles sont nées ne peut pas avoir été très propice à la création de paradigmes irréguliers. Notre position, nous suggère aussi une appréciation un peu plus nuancée des thèses défendues par John H. McWhorter (cf. notamment McWhorter 2005) que celle de DeGraff. Nous ne reprochons pas à McWhorter d’avoir essayé de caractériser une langue qui vient de naître par créolisation. Nous lui reprochons d’avoir voulu le faire en termes ‚absolus’ et d’avoir semé la confusion en faisant semblant, dès le titre de son livre de 2005, de définir les langues créoles. Si la supposition qu’au sortir d’un processus de créolisation une langue a de bonnes chances d’être globalement plus régulière que sa langue de base s’avérait correcte, cela n’impliquerait pas qu’il ne puisse pas y avoir d’autres langues qui le soient encore plus, sans être dans ce cas. De là la précarité de tous les critères proposés par McWhorter. Et si les langues nées par créolisation ne sont heureusement pas toutes vouées à une rapide disparition et qu’elles peuvent donc changer de bout à bout au cours de leur existence, ce n’est évidemment pas le terme de créole qu’on définit en disant comment sont les créoles au début. Bref : Ce n’est pas le terme de créole, mais celui de créolisation, qui exige et permet une définition linguistique. Ce n’est pas tout : Admettons de façon hypothétique une chaîne de transmission ininterrompue de l’indo-européen jusqu’au français, en passant par le latin. Du point de vue purement linguistique - c’est-à-dire, sans prendre en considération des critères sociolinguistiques - le français serait alors une (des) <?page no="102"?> 102 forme(s) évoluée(s) de l’indo-européen et pas un créole. Or, l’indo-européen se parlait il y a quelque 3 500 ans, mais l’homme parle depuis au moins quelques dizaines de milliers d’années. Il semble hautement improbable que la chaîne ininterrompue qui aboutit au français remonte si loin. Autrement dit, il est hautement improbable qu’il existe aujourd’hui des langues dont les origines ne remontent pas à quelque créolisation. En un certain sens, toutes les langues du monde risquent ainsi d’être des créoles 83 . Une raison de plus qui nous invite à opposer ‚créolisation’ et ‚transmission ininterrompue’ plutôt que ‚créoles’ et ‚non créoles’ (cf. la critique de DeGraff à l’adresse de McWorther et Parkvall, à la p. 400 de son article). Résumant nos commentaires aux deux premiers exceptionalismes, nous souscrivons à l’affirmation de DeGraff « that there is not, and could not be, any deep theoretical divide between the outcome of language change vs. that of creolization » (DeGraff 2003 : 402, c’est nous qui soulignons). 1.3.4.3.3 Des fossiles linguistiques ? Nous pouvons être très brefs sur ce point. Là encore, il faut donner raison à DeGraff et ses partisans. S’il doit être permis de penser que, dans un premier temps, la syntaxe des interlangues et des pidgins rudimentaires repose un peu plus sur ‚un mode pragmatique’ tel qu’il a pu prédominer à un stade précoce de l’évolution du langage humain (cf. Comrie 1992 : 200), il n’est certes pas permis de voir dans les créoles des ‚Ursprachen’ ou des ‚fossiles’ contemporains (cf. DeGraff 2003 : 397/ 8 et 399). L’erreur serait vaguement comparable à celle qui consisterait à croire que l’homme d’aujourd’hui ne naît pas homo sapiens sapiens puisque certaines caractéristiques du physique et du comportement d’un bébé de nos jours rappellent un stade antérieur de l’évolution de l’espèce. Les créateurs des créoles étaient des homines sapientes sapientes adultes (adultes au sens précisé au début du paragraphe 1.2.5.1) et non pas des homines erecti, ni des bébés. Ils vivaient dans des sociétés modernes, maîtrisaient à la perfection une ou plusieurs autres langues et s’acharnaient à en créer une qui leur rendrait les mêmes services dans une société en formation. Ils ne la créaient pas ex nihilo, mais avec des éléments qui se trouvaient à leur disposition (cf. 1.2.5). On n’a donc aucune raison de s’attendre à ce que ces créations reflètent un stade antérieur de l’évolution linguistique de l’espèce ou un état vierge de la faculté langagière de l’homme. 1.3.4.3.4 Rupture ou non ? Michel DeGraff et les éditeurs de Deconstructing creole ne nient pas que la plupart des créoles soient nés sous des conditions sociolinguistiques spécifi- 83 Ce qui relativise la valeur de l’affirmation suivante : « ‚... Creoles ... are the only languages which have started again’ (John McWhorter as quoted by Claudia Dreifus in the New York Times) » (à travers DeGraff 2003 : 398). <?page no="103"?> 103 ques. À la page 392 de son article de 2003, DeGraff parle expressément de « psycho-socially most adverse conditions » et à la p. 404 il y fait de nouveau allusion en parlant d’‚accidents’ de l’histoire (post)coloniale (cf. aussi Ansaldo/ Matthews/ Lim 2007 : 10). DeGraff semble même plus disposé que nous (cf. ici 1.2.1) à spécifier d’ores et déjà ces conditions, et il se montre enclin à admettre une définition de la créolisation pourvu qu’elle s’en tienne à ces conditions (cf. DeGraff 2003 : 401). Il ne nie pas non plus que les langues ancestrales des créolisateurs aient contribué à la formation des créoles 84 et va même jusqu’à dire : « ..., creoles are no more and no less than the result of extraordinary external factors coupled with ordinary internal factors; ... » (DeGraff 1999 : 477). Nous consentons à son affirmation que « every language is ‚normal’ and so are the processes whereby they are created in the minds of native speakers » (DeGraff 2003 : 402). Ce que DeGraff ne veut pas admettre, c’est que, travaillant sous des conditions spécifiques, cette faculté puisse produire des effets spécifiques. Pour lui, l’uniformité des processus mentaux garantit l’uniformité de la transmission et exclut les ruptures dans celle-ci (cf. DeGraff 2003 : 392). Plus conforme à ce qu’on constate, nous semble cette affirmation en quelque sorte inverse : « The linguistic results of contact certainly differ dramatically from one situation to the next, but the behaviour of individual speakers and groups of speakers does not, as far as I can tell » (Thomason 2001a : 249). C’est un peu comme si les géophysiciens et les océanologues affirmaient que, les lois de la nature étant partout les mêmes, les éruptions volcaniques et les tsunamis étaient non seulement tout à fait normaux, mais encore nés de la même façon que les autres montagnes et les autres vagues. La première de ces deux affirmations est tout à fait gratuite, la deuxième carrément fausse. Ni l’une, ni l’autre n’appartient au genre de réponses qu’on est en droit d’attendre de la science. Il faut donc effectivement renoncer à distinguer entre processus historiques normaux et anormaux (cf. DeGraff 2003 : 400), mais cela n’implique pas qu’on renonce à distinguer différents processus historiques résultant de l’exercice d’une même faculté langagière sous différentes conditions historiques. Rappelons d’abord que, tout en étant extrêmement courante, la métaphore de la transmission est trompeuse à plusieurs égards : d’abord, parce que dans les processus d’apprentissage linguistique non guidé la partie active n’est pas celle qui est censée transmettre, mais celle qui (ap)prend. Il s’agit de take-up plutôt que de transmission. Elle est encore trompeuse, parce que ce qui est ‚pris’, ne laisse pas de vide derrière soi, là où il a été pris. Il s’agit donc de recréation plutôt que de take-up. Or, comme nous avons essayé de le montrer 84 « Relexificationists, along with other subtratists of various theoretical stripes, are clearly right to the extent that African languages in the Caribbean did, at least to some degree, influence the shape of the emerging Creoles, as various African traditions influenced much else in the formation of Caribbean cultures » (DeGraff 2003 : 396). <?page no="104"?> 104 sous 1.2, dans la créolisation, nous avons affaire à une création qui, en partie du moins, ne finit pas en recréation, restant création. Une création qui tout en utilisant des substances fournies par la langue de base est partie, sur le plan des structures, des langues ancestrales des créolisateurs. Les créolisateurs ne sont donc pas arrivés et n’ont probablement même pas voulu arriver dans la communauté linguistique de la langue de base. Et par conséquent, il ne leur a pas été possible de lui proposer des changements linguistiques. Donc création du côté des apprenants dans l’acquisition et du côté des créolisateurs dans la créolisation. Mais du côté de ceux qui arrivent à leur cible, il s’agit d’une création qui finit par se rendre invisible puisqu’elle termine en recréation d’une langue préexistante. Du côté des créolisateurs, par contre, il s'agit d'une création qui, ne terminant pas en recréation, reste visible, donnant lieu à une langue neuve pour une communauté neuve. 1.3.4.3.5 Généalogiquement classifiable ou non ? « In twentieth-century linguistics, the abnormal/ broken transmission dogma posits that Creole genesis falls outside the scope of the comparative method (CM) and takes Caribbean Creoles to present new linguistic phyla altogether, outside the Indo-European and Niger-Congo language families. Thus, Creoles are considered to be phylogenetically unrelated to the languages whose contact triggered Creole genesis » (DeGraff 2003 : 397, cf. les propos analogues dans Ansaldo/ Matthews/ Lim 2007 : 13). La position critiquée est celle que nous avons défendue dans 1.2. De la citation qui précède, nous rejetons le substantif dogma, l’adjectif abnormal et la conclusion : Pour l’adjectif abnormal nous renvoyons le lecteur à 1.3.4.1, pour la conclusion, nous relevons le contresens qui consiste à poser un hybride sans lien de parenté avec ceux qui l’ont engendré. Pour nous, les créoles sont effectivement des « HYBRIDS with exceptional genealogy » (DeGraff 2003 : 392) puisque nous les avons décrits comme étant, dans la mesure où il y a eu créolisation, le produit d’une combinaison de substances linguistiques en provenance d’une langue dite de base et de formes en provenance de langues dites de substrat (cf. plus haut 1.2.5.3). Ce produit n’est donc pas ‚unrelated’, non classifiable. Il a tout simplement au moins deux ‚parents’. Observons de passage que la genèse des créoles, telle que nous la concevons, fait plus d’honneur à la métaphore du ‚Stammbaum’ (arbre généalogique) que ne le fait celle d’une langue historique par dialectalisation (cf. 1.2.3.2.2.4). En tête d’un arbre généalogique non sexiste, on trouve forcément deux ancêtres, un homme et une femme, à la tête des arbres généalogiques de langues, on ne trouvait, jusqu’à présent, qu’une seule ‚Ursprache’. Cela n’implique pas qu’il existe d’autres langues qui soient pures ! Les langues évoluent toujours en bonne partie sous l’influence de celles avec lesquelles elles entrent en contact. Leurs locuteurs les changent en s’inspirant de ces langues de contact. Toutefois, ériger en langue d’une communauté lin- <?page no="105"?> 105 guistique neuve ce qui, du point de vue de la langue de base, n’est pas une version changée de celle-ci, mais une approximation à elle, est tout autre chose. Le propre de la créolisation, dans cette perspective, est que les circonstances où elle a lieu font que l’exercice de la faculté langagière de l’homme qu’on voit œuvrer partout y produit une langue neuve pour une communauté neuve qui en a besoin. Omettre‚ dans l’arbre généalogique d’un créole, la langue qui l’a emporté parmi les langues ancestrales des créolisateurs (cf. 1.2.6.4) pose des problèmes à la linguistique historique que l’omission des innombrables langues qui ont influencé une langue au cours de son histoire ne pose pas, précisément parce que ces influences se présentent sous forme de changements dans une langue préexistante. On peut à la rigueur les décrire en faisant abstraction des motifs de ceux qui les ont opérés, une pratique faute de mieux très courante en linguistique historique. Sous 1.2.3.2.3 nous avons essayé de montrer comment un traitement analogue des écarts d’un créole par rapport à sa langue de base conduit à poser des changements irrationnels et à confondre analyses et réanalyses. 1.3.4.4 Conclusions Michel DeGraff pense que « If Creole languages, as a class, are to be excluded - ‚separated’ - from the set of regular/ normal languages, then insights about Creole genesis and Creole structures can barely teach us anything substancial about the regular/ normal operation of our faculté de langage, ... » (2003 : 400). Les éditeurs de Deconstructing creole donnent une version positive de cette idée « ..., we hope to contribute to a better integration of creole studies within the field of language creation (or genesis), and to raise the general awareness of all it has to offer to the field of general linguistics » (Ansaldo/ Matthews/ Lim 2007 : 1). C’est aussi l’espérance de l’auteur de ces lignes. Or, si les créoles sont effectivement des langues comme les autres, il faut bien qu’il y ait quelque chose de spécifique dans la créolisation, pour que la créolistique puisse contribuer de manière substantielle à la linguistique générale et plus particulièrement à la compréhension de la créativité linguistique de l’homme. Il y un paradoxe dans l’affirmation que l’apport de la créolistique à la linguistique générale sera d’autant plus grand que son objet présente moins de spécificités. C’est plutôt l’inverse. Les créolistes auraient certainement beaucoup contribué à la linguistique générale, s’ils réussissaient à identifier, à usage de la linguistique historique, un processus évolutif qui, favorisé par certaines circonstances sociales, produit des langues historiques neuves. Et nous ne devrions même pas exclure d’avance la possibilité qu’il existe encore d’autres processus qui en produisent. Connaître ces types permettra de mieux mesurer la taille de cette faculté langagière commune à tous les humains. Nous voyons d’ailleurs une certaine reconnaissance de ce que nous venons de dire dans l’affirmation suivante des éditeurs de Deconstructing creole : « Be- <?page no="106"?> 106 cause of their relatively recent formation, in studying creoles, we can in a sense ‚observe’ language genesis as it happens. It is in this sense that the lessons learned from the study of creole formation may have a significant impact on the field of general linguistics » (Ansaldo/ Matthews/ Lim 2007 : 4/ 5). N’est-ce pas admettre que bien que constamment à l’œuvre dans tout locuteur, elle ne produit pas toujours des langues neuves. Si on peut, dans un certain sens, l’observer mieux dans les créoles, c’est d’une part parce qu’elle n’y change pas une langue préexistante et de l’autre qu’elle ne s’y rend pas a posteriori invisible en terminant en recréation d’une langue préexistante. Ce qu’il faut de toute façon éviter, c’est que tous ceux qui continuent à voir quelque chose de spécifique dans le processus de la créolisation, soient soupçonnés d’idéologie (néo)coloniale et leurs opinions considérées comme étant ‚politically incorrect’. 85 Le danger est réel. 1.3.5 Créoles s'éloignant progressivement de leur langue de base 1.3.5.1 Éloignement vs. rapprochement En insistant sous 1.2 sur la composante d’apprentissage dans la créolisation d’une langue, nous avons suggéré que les créolisateurs commencent leur parcours linguistique à une distance maximale de la langue cible et qu’ils s’en rapprochent aussi longtemps que l’apprentissage de la langue de base n’est pas complètement abandonné. Forcément radicale au début chez l’individu, la créolisation pourrait être peu à peu réduite par la suite, chez l’individu et dans la communauté, si les circonstances s’y prêtent. Une de ces circonstances est évidemment que la langue de base reste présente. Pour beaucoup de créolistes, la créolisation semble par contre être un long parcours qui éloigne le créole naissant de plus en plus de sa langue de base. En 1989 Robert Chaudenson disait : « ..., les variétés ‚basilectales’, c'est-à-dire, pour schématiser, les plus éloignées du français, ne sont nullement les plus anciennes comme le rêvent certains idéologues des créoles, mais au contraire les plus récentes, le basilecte étant constamment ‚réalimenté’ par les arrivants nouveaux » (1992a : 18). En 1999 Salikoko Mufwene revient à la charge : « As more and more creolists have now come to accept, grammars of Bickerton’s radical creoles did not develop from pidgin ancestors but started in forms that where rather sophisticated, diverging gradually from their lexifier … » (Mufwene 1999 : 118). Cette vue doit être coresponsable de la conviction de certains créolistes selon laquelle la créolisation ne constitue pas un processus évolutif sui generis 85 Dans le paragraphe 4 Associated ideologies de sa contribution de 2008, Jeff Siegel signale ce qui aura échappé à peu de lecteurs des écrits que nous venons de commenter : à savoir, qu’il serait assez facile de retourner le reproche d’être victime d’une idéologie (néo)colonialiste contre les anti-exceptionalites. Il vaut certainement mieux s’abstenir, de tous les côtés, de faire de tels reproches pour s’en tenir, en bon cartésien, aux arguments rationnels. <?page no="107"?> 107 et que la formation des créoles n’a pas pris moins de temps que celle d’autres langues : « ... creole grammars can be shown to fall within developmental patterns typical of ‚regular’ language change and there is evidence to suggest that creoles did not develop more rapidly than other languages … » (Ansaldo/ Matthews/ Lim 2007 : 13). 1.3.5.2 Différents parcours des créoles français et anglais ? D’autres voient les créoles à base française et ceux à base anglaise suivre des parcours inverses. Le principal représentant de ce courant semble être Mervyn C. Alleyne : « It seems [...] that the French-based languages took an evolutionary path which is the reverse of the path taken by the English-based languages. Maximum restructuring takes place, for the French-based languages, at the end of the historical process through cumulative divergent changes in the course of time. On the other hand, the English-based languages had their maximum restructuring at the beginning of the process, and thereafter they underwent a process of progressive rapprochement (convergence), in a general but not a categorical sort of a way, towards English. The process which yields the French-based languages therefore has the character of the evolution of a language (popular French). This view is compatible with the position held and articulated for many years by the French ‚school’ at the University of Provence […]. On the other hand, the process which leads to the Englishbased languages appears rather like the acquisition of a foreign language characterised by approximate systems and in terms of which speakers bring their linguistic outputs closer and closer to the target » (Alleyne 2000 : 132/ 133, caractères gras de M.C. Alleyne). Parmi les faits qui amènent Alleyne à cette conclusion se trouve le suivant : « The earlier form of French-based creole languages had a case system for pronouns. The Indian Ocean languages, le guyanais and le louisianais, preserve this. The Carribbean moves this to a caseless system » (Alleyne 2000 : 132). Dans leur contribution de 2002, Annegret Bollée et Ingrid Neumann-Holzschuh rejoignent cette position (cf. Bollée/ Neumann-Holzschuh 2002 : 89): « ..., l’analyse des textes anciens haïtiens illustrant par exemple le fait que le créole de Saint-Domingue était moins éloigné du français que le créole haïtien moderne … » (Bollée/ Neumann-Holzschuh 2002 : 98). Nous n’allons pas chercher à savoir si ces affirmations sont correctes. Ce que nous nous proposons, c’est de montrer comment la théorie peut justifier un tel contraste, au cas où elles le seraient. 1.3.5.3 Solution : la créolisation continue Nous avons l’impression qu’on conclut parfois un peu vite, pour certains secteurs de la grammaire, à l’éloignement progressif des créoles français de leur langue de base. Il ne faut pas oublier qu’on le fait généralement à partir de textes qui ont été écrits par des gens qui parlaient et écrivaient (aussi) le français. La connaissance et la représentation graphique du créole peut avoir <?page no="108"?> 108 été perfectionnée au cours des décennies et des siècles, les textes donnant ainsi l’illusion d’un éloignement progressif des créoles de leur langue de base. Mais nous ne nions pas que cet éloignement ait effectivement eu lieu. Il s’explique facilement, et il n’est pas en contradiction avec les vues que nous défendons. Pour qu’un créole s’éloigne progressivement de sa langue de base, il faut que la société où il est parlé continue à accueillir des individus qui arrivent sans connaissances de la langue de base, ni du créole utilisé sur place. L’affluence continue de nouveaux esclaves est un fait avéré pour les colonies à plantations où l’on a distingué, parfois pendant des siècles, entre esclaves créoles et esclaves bossals (cf. 1.1.2.1.3). Comme la langue cible des bossals n’était plus la langue de base, mais un créole, ils pouvaient tout au plus apprendre ce créole. Or, comme ils étaient linguistiquement pris entre les esclaves créoles et ceux qui continuaient à arriver sans connaissances de ce créole, il est extrêmement improbable qu’ils aient réussi à apprendre entièrement le créole qu’ils avaient trouvé. Autrement dit, pendant tout le temps que l’arrivée de nouveaux esclaves a continué, il y a eu créolisation continue. Michel DeGraff 1999 : 524 a souligné cette interdépendance entre « successive waves of additional slave arrivals » et l’éloignement progressif d’un créole par rapport à sa langue de base. Après l’avoir cité, Jeff Siegel ajoute : « Only when the constant large-scale immigration stopped (especially with the end of slavery), did the situation stabilize » (Siegel 2004 : 157). Cette solution du problème de l’éloignement progressif des créoles français par rapport à leur langue de base a deux corollaires : 1. Du moins théoriquement, il peut y avoir créolisation sans créolisation continue. Le cas est moins hypothétique qu’on ne le croirait. En 1789, les neuf mutins de la Bounty ont pris à bord à l’île de Tupai 12 Polynésiennes et six Polynésiens et se sont réfugiés avec eux sur l’île Pitcairn au milieu du Pacifique. Ces matelots anglophones et ces Polynésien(ne)s ont créé un créole à base anglaise (le pitcairnese) et laissé une descendance qui a survécu. Il n’y a pas eu de nouvelles arrivées de Polynésien(ne)s ce qui n’a pas empêché la naissance d'un créole (cf. Holm 1989 : 10.8.5). Le pitcairnese a évidemment continué à évoluer en complète indépendance de l’anglais, mais pas par créolisation de l’anglais ou du créole, donc pas par créolisation continue. 2. La créolisation continue et l’éloignement progressif de la langue de base qui en résulte n’est pas en contradiction avec le fait que chaque esclave qui arrive à la colonie suit un parcours linguistique qui, partant à une distance maximale du créole qu’il trouve sur place, le rapproche de ce créole et par là indirectement de la langue de ses maîtres. Le schéma suivant a été conçu pour montrer comment, dans le cas de la créolisation continue, l’apprentissage linguistique des vagues successives de nouveaux arrivants (1., 2., 3., ...) vise toujours ce qu’elles trouvent sur place (LC 1., LC 2., LC 3., ...), tandis que la cible elle-même, jamais entièrement ac- <?page no="109"?> 109 quise, s’éloigne simultanément de plus en plus de la langue de base (LC 1 LC 2 LC 3 ...) : LB=LC 1 LC 2 LC 3 LC 4 1 e vague 2 e vague 3 e vague créolisation continue parcours linguistiques individuels LB = langue de base LC = langue cible Tableau 3 : Schéma récapitulatif de la créolisation continue La langue cible peut donc s’éloigner toujours plus de la langue de base, sans que personne la désapprenne. La pointe de la créolisation peut se donner à différents moments de la créolisation continue, en accord avec la pointe dans l’importation des esclaves et de l’effacement (du moins relatif) de la langue de base sur les lieux. Si les observations de Mervyn C. Alleyne et de nos deux collègues allemandes sont correctes, elles pourraient donc s’expliquer par un renversement plus précoce de la relation numérique entre maîtres et esclaves dans les colonies anglaises que dans les colonies françaises (et peut-être aussi par un certain retour en force de l’anglais dans les colonies anglaises). Mais théoriquement rien ne s’oppose ni à ce qu'il y ait plusieurs pointes, dans un processus de créolisation continue, ni à ce qu’il y en ait aucune. Toutes ces précisions étaient nécessaires pour faire comprendre qu’il y a du rêve et de la vérité dans les deux camps. Et surtout pour réfuter certaines formulations qui prêtent à confusion. Dans la citation qui suit, Salikoko Mufwene oppose l’évolution d’un créole en situation de créolisation continue et l’évolution de la langue première chez l’enfant : « As the ethnolinguistic ecologies changed, making it more and more difficult for most nonnative speakers to have direct or sufficient exposure to the lexifier, the creole makers dropped things only little by little <...>, whereas children seem to acquire more and more, according to the biological clock. Thus, child language and creoles develop in inverse order - the former by moving closer and closer to the target, and the latter by becoming more and more different structurally » (Mufwene 1999 : 119). Nous ne voyons pas pourquoi un créolisateur abandonnerait peu à peu ce dont l’acquisition lui a coûté tellement cher. Même s’il fait des efforts pour <?page no="110"?> 110 aller linguistiquement à l’encontre des nouveaux arrivants, il aura tendance à conserver ce qu’il a déjà appris pour s’en servir dans la communication avec les surveillants et, éventuellement, avec les maîtres. C’est que Mufwene ne compare pas deux processus d’acquisition, mais un processus d’acquisition avec l’histoire d’une langue en situation de créolisation continue. Cette langue s’éloigne de plus en plus de son point de départ, précisément parce que les levées successives de nouveaux locuteurs qui l’embrassent n’arrivent jamais tout à fait à rejoindre leurs devanciers. N’empêche qu’en tant qu’apprenants (dans l’un ou l’autre sens, cf. 1.2.6.1), tous ces créolisateurs se rapprochent de leur cible respective. <?page no="111"?> 111 2. L’empreinte wolof dans le créole santiagais 2.1 Histoire Avant d’essayer de retracer l’empreinte wolof dans le créole de l'île Santiago au Cap Vert, sous 2.2 et, dans la mesure du possible, d’en spécifier la nature et mesurer le poids, sous 3., nous allons jeter un coup d’œil sur l’histoire humaine de l’archipel capverdien (2.1.1), sur la constitution de la population de Santiago (2.1.2) et sur le rôle des Wolof dans ce processus (2.1.3). En effet, si nous croyons pouvoir montrer que le créole santiagais d’aujourd’hui accuse encore nettement l’empreinte d’une langue structuralement proche du wolof actuel, il est impensable que l’histoire humaine de l’île Santiago ne s’accorde pas avec ce résultat de la linguistique. Bien que notre parcours personnel ait été l’inverse, de la linguistique à l’histoire humaine, il n’en est pas moins vrai que dans la plupart des cas ce sera l’histoire humaine qui devra orienter le créoliste dans la recherche des langues ancestrales des créolisateurs. Voilà pourquoi nous avons décidé d’antéposer, dans cette deuxième partie de notre travail, le chapitre consacré à l’histoire humaine à celui de l’analyse linguistique. Quiconque a lu avec attention notre présentation sous 0., aura d’ailleurs compris que ce n’est que parce qu’une bonne partie de ce travail de recherche concernant l'histoire humaine avait déjà été entreprise par d’autres, que notre parcours personnel a pu être en quelque sorte l’inverse. 2.1.1 Aperçu de l’histoire des îles du Cap Vert L’archipel du Cap Vert, situé environ 500 km à l’ouest du point le plus occidental de l’Afrique constitué par le Cap Vert et la ville de Dakar, a été découvert par hasard, entre 1456 et 1460, au cours des voyages exploratoires portugais le long de la côte occidentale de l’Afrique coordonnés par le prince Henri le Navigateur. Trois navigateurs, tous battant pavillon portugais, réclament le mérite de la découverte : Le vénitien Cadamosto, le génois Antonio di Noli et le portugais Diogo Gomes. En tout cas, ce fut Noli qui reçut le gouvernement de l’île de Santiago en récompense expresse de sa découverte (cf. HGCV, Corpo documental I, 1988 : 107). La découverte de ces îles inhabitées constitua un coup de chance pour la couronne portugaise. Elle la dotait d’une escale à l’abri d’éventuelles attaques des souverains africains sur les grandes routes maritimes le long de la côte africaine d’abord, plus tard également vers les Indes Orientales, les Indes Occidentales espagnoles et le Brésil. L’histoire humaine de l’archipel capverdien depuis sa découverte jusqu’à nos jours peut être utilement subdivisée en quatre périodes (1. de 1460 à ~ 1600, 2. de ~ 1600 à ~ 1800, 3. de ~ 1800 à 1975 et 4. de 1975 à aujourd’hui). <?page no="112"?> 112 1. Le peuplement des îles, ardemment souhaité par la couronne, se révéla difficile à cause du manque de richesses minières et de conditions propices à l’agriculture qui auraient pu attirer des colons. En 1466, un privilège d’Afonso V qui accorda aux futurs colons (moradores) de l’île de Santiago le droit du commerce avec la côte ouest-africaine (à l’exception d’Arguin) dans des conditions très favorables, débloqua la situation (cf. HGCV, Corpo documental I, 1988 : 19-22). L’affluence de colons augmenta à tel point que dès 1472, à travers une nouvelle charte, le roi imposa une interprétation extrêmement restrictive des libertés accordées en 1466 (cf. HGCV, Corpo documental I, 1988 : 22- 28) : - Le secteur de la côte où les moradores de Santiago avaient droit de commercer fut limité à la partie connue en 1466. Il n’incluait donc pas la partie plus au sud découverte depuis, à commencer par la Sierra Leone. - Pour éviter qu’ils ne contournent la douane, les navires des moradores devaient obligatoirement partir de Santiago et revenir directement à l’île après avoir touché la côte africaine. - Les moradores ne devaient commercer, sur la côte, qu’avec des marchandises produites sur l’île. Malgré ces restrictions, d’ailleurs fréquemment violées par les moradores, le peuplement de Santiago et la fortune de ses moradores augmentèrent de façon spectaculaire, grâce à ce commerce avec la côte africaine. Les moradores de Santiago étaient en général commerçants, armateurs et propriétaires fonciers à la fois. Sur la côte, ils échangeaient des tissus et des chevaux (cf. HGCV I 1991 : 186-189) pour obtenir de l’ivoire, de la cire, des peaux, de la gomme (du Sénégal), de la civettone, un peu d’or et surtout des esclaves. La fabrication de tissus pour l’exportation en Afrique donna une forte impulsion à la culture du coton (cf. HGCV I 1991 : 183-186) et, par là même, au peuplement de l’île voisine de Fogo, particulièrement propice à cette culture (cf. HGCV I 1991 : 143-146). Les autres îles, tant celles plates et désertiques de l’est (Maio, Boa Vista et Sal) que celles montagneuses et, sauf S-o Vicente, plus vertes du nord-ouest (Santo Ant-o, S-o Vicente et S-o Nicolau) et du sud-ouest (Brava) restèrent pendant cette première période sans population, quelques pâtres étant suffisant pour garder les troupeaux de chèvres qu’on y avait débarqués (cf. HGCV I 1991 : 146-148). Des esclaves qu’on amenait de la côte africaine, seulement une minorité restait sur l’île, la majorité étant rachetée par des commerçants portugais, espagnols et italiens qui les acheminaient vers les marchés européens (Lisbonne, Séville, Valence) et, à partir de 1507, de plus en plus vers les marchés américains (Saint-Domingue, Cartagena, Veracruz, Brésil). 2. La situation de Santiago évoquée ci-dessus mena à une croissance constante de la population de Santiago (voir plus bas 2.1.2.4) et de la richesse de ses moradores. Mais elle ne dura que tant que les Portugais surent faire respecter à peu près le monopole que les traités de Alcáçovas (1479) et de Tordesillas <?page no="113"?> 113 (1494) leur avaient conféré, pour toute la côte occidentale de l’Afrique. À partir de 1565, ils y réussirent de moins en moins. 86 Commence alors une crise économique qui ne cessera de s’accentuer au cours du XVII e siècle. La perte du contrôle de la mer, livra la capitale Ribeira Grande à la merci des corsaires anglais, français et hollandais. 87 Par l’intermédiaire des lançados (cf. plus bas 2.1.2.3), les souverains africains traitèrent de plus en plus avec les étrangers (Hollandais, Anglais, Français) qui pouvaient leur fournir sans entraves tous les produits d’Europe qu’ils convoitaient. Face à cette situation, la couronne portugaise dut finalement lever l’interdiction qui pesait sur ses commerçants de s’installer sur le continent africain, ce qui mena à une rapide marginalisation de Santiago même par rapport aux circuits commerciaux portugais, les commerçants portugais ne voyant plus la nécessité de toucher Santiago avant de rejoindre l’Europe ou d’entreprendre la traversée de l’Atlantique. La deuxième moitié du XVII e siècle voit l’apparition, au Portugal comme ailleurs, de grandes compagnies commerciales sous protection de l’État. Celles du Portugal profitent de l’escale santiagaise, mais leurs gains vont à la métropole. La perte du rôle stratégique de Santiago dans le commerce atlantique se répercute profondément sur la société de l’île. Par manque de réserves financières, les effets des sécheresses périodiques ne peuvent plus être palliés par l’achat de vivres en Afrique ou en Europe. Certaines famines emportent jusqu’à un tiers de la population. Les propriétaires terriens, de plus en plus enclins à s’absenter de l’île, affranchissent une grande partie de leurs esclaves pour échapper à la charge de les nourrir. Certains de ces affranchis partent pour d’autres îles (Brava, Santo Ant-o, S-o Nicolau) à la recherche de terres qui puissent les alimenter. On passe, même à Santiago, d’un système esclavagiste à un système de bail avec de petits preneurs qui travaillent les terres de propriétaires fonciers absentéistes. Sur les îles s’émoussent les anciens contrastes juridiques entre libres et esclaves, et économiques entre blancs, métisses et noirs. La couleur de la peau cesse d’être un indicateur fiable de la position sociale. On peut être (relativement) riche (‚bránku’) tout en étant noir. 3. Au XIX e et XX e siècles, et surtout après l’indépendance du Brésil, le Portugal resserre les liens avec les colonies qui lui restent. En 1866, un séminairelycée est fondé à Ribeira Brava (S-o Nicolau), plus tard, un lycée à Mindelo (S-o Vicente). De ces centres sortiront beaucoup d’administrateurs de niveau moyen pour l’empire colonial portugais, mais aussi les premiers intellectuels capverdiens qui, rassemblés autour de certaines revues (O Manduco et surtout, 86 Cf. Boulègue 1989 : 37 avec la note (1) et HGCV I 1991 : 140. 87 Entre 1583 et 1598, Santiago subit au moins cinq attaques de corsaires et Ribeira Grande fut deux fois mise à sac, en 1583 par Manuel Serradas, du parti de D. António, Prior do Crato, qui s’opposait à l’union avec l’Espagne, et en 1585 par Francis Drake (cf. HGCV II 1995 : 153-162). <?page no="114"?> 114 de 1936 à 1937 et de nouveau de 1947 à 1960, Claridade) revendiquent une identité culturelle propre pour le Cap Vert. L’aménagement du magnifique port naturel (Porto Grande) de l’île de S-o Vicente comme entrepôt où les navires de la flotte anglaise se ravitaillent en charbon dote les îles d’un deuxième centre urbain, Mindelo, qui deviendra vite le chef-lieu des îles de Barlavento et le grand concurrent de Praia, à Sotavento. Les habitants de ce nouveau centre viennent de Fogo, des îles voisines de Santo Ant-o et de S-o Nicolau, mais aussi du Portugal. 4. La géographie des îles n’étant pas propice à abriter une guérilla, la lutte des peuples coloniaux contre l’armée portugaise voit les Capverdiens combattre aux côtés des Guinéens dans la brousse de la Guinée-Bissau sous le commandement d’un chef capverdien (Amilcar Cabral). L’union politique du Cap Vert et de la Guinée-Bissau, qui s’explique par ce passé immédiat, ne devait pourtant pas durer plus de cinq ans, à compter de l’indépendance survenue en 1975. En 1980, un coup d’état à Bissau amène la séparation. Depuis, l’aile capverdienne de l’ancien PAIGC (Partido Africano da Independência da Guiné e Cabo Verde) devenu le PAICV (Partido Africano da Independência de Cabo Verde), a gouverné le Cap Vert, avec un intervalle de 10 ans (1991 à 2001), en parti unique jusqu’en 1991 et dans une démocratie pluraliste instaurée en 1991, depuis 2001. La valorisation du créole capverdien figure dans le programme du PAICV. En fait, ce créole a déjà été doté d’une orthographe officialisée (appelée ALUPEC, Alfabeto Unificado Para a Escrita do Caboverdiano) en 1998 et il a été récemment déclaré langue d’enseignement et de l’administration. Déclaration de principe qui attend son implémentation. 88 2.1.2 Le peuplement de Santiago Dans ce paragraphe, nous essaierons de donner une idée approximative de la croissance, de la répartition géographique et de la stratification sociale de la population de l’île de Santiago pendant la première des quatre périodes que nous avons distinguées sous 2.1.1. La limitation géographique s’explique du fait que notre analyse linguistique ne prendra en considération que la variété santiagaise du créole capverdien. Celle à la première période s’explique par son importance capitale pour la composition ethnique de la population de Santiago. Globalement, cette composition n’a plus beaucoup changé depuis, malgré tous les apports postérieurs. Ceci parce que la deuxième période se caractérise précisément par un isolement relatif de l’archipel. Les arrivées et départs d’Africains baissent en nombre, seuls les départs d’Européens augmentent. Toute notre analyse sous 2.2 tend d’ailleurs à montrer que la première période fut aussi décisive sur le plan linguistique. Pour ce qui est des structures, 88 Pour tout le mouvement intellectuel capverdien réclamant une valorisation du créole capverdien depuis les temps coloniaux jusqu’à nos jours, cf. Veiga 2006. <?page no="115"?> 115 les esclaves wolof arrivés à cette époque semblent avoir jeté les bases du cs., auxquelles ceux qui sont arrivés plus tard ont dû se conformer pour l’essentiel (cf. 3.2). 89 2.1.2.1 Quelques coordonnées fondamentales Les sources dont on dispose pour l’évolution démographique de Santiago permettent de saisir quelques lignes de force de cette évolution, pendant la première période : - Ce fut la perspective de gains rapides par le moyen du commerce avec la côte africaine qui attira les colons à Santiago. L’agriculture et l’élevage se développèrent en fonction de ce commerce. - Les colons arrivèrent avec peu de serviteurs et ne se faisaient pas accompagner de leur épouse s’ils étaient mariés. 90 Dans ces circonstances, une cohabitation intime entre maître blanc et plusieurs personnes d’origine africaine a dû s’instaurer immédiatement (partenaire(s) de l’autre sexe et employés des deux sexes). Dès la deuxième génération, les mulâtres étaient plus nombreux que les blancs, non seulement par rapport à l’ensemble de la population, mais encore parmi les personnes libres. Ceci grâce aux fréquents affranchissements d’enfants mulâtres (et d’héritiers ! ), fruits des unions entre maîtres blancs et esclaves africaines. - La réexportation des biens et des esclaves que les commerçants amenaient de la côte africaine constituant la source de la richesse des moradores, une complémentarité s’établit en fonction de ce commerce entre centres portuaires commerciaux (Ribeira Grande et, dans une moindre mesure, Praia) et arrièrepays consacré à la production des marchandises à exporter. Nous ne savons pas exactement où se faisait l’élevage des chevaux. La culture du coton se concentra dans les campagnes de Santiago et surtout de Fogo. 91 Nous supposons que c’est encore là que les tissus étaient fabriqués à domicile. Les îles restantes abritaient des troupeaux de chèvres en liberté dont un certain pourcentage était abattu une fois par an. 89 Nous venons de formuler un nouveau ‚founder principle’. Les fondateurs qu’il vise ne sont pas les fondateurs de la colonie, comme ceux de Salikoko Mufwene (1996), mais les fondateurs du créole. 90 D’après le corregedor Pêro de Guimar-es, en 1513 on comptait 159 ménages (vizinhos) à Ribeira Grande, dont quatre de femmes blanches non mariées (mulheres branquas solteiras) et 10 de femmes noires (negras). António Correia e Silva suppose qu’il s’agissait de prostituées (cf. HGCV I 1991 : 235). En 1588, Philippe II rappelle les hommes de Santiago qui ont laissé leur femme au Portugal - sans le moindre succès (cf. HGCV I 1991: 235). En 1620, le roi ordonne d’envoyer des femmes exilées à Santiago pour que la race des mulâtres y disparaisse autant que possible (« ... a fins que se extinga, quanto possível, a raça de mulatos » (cf. HGVV II 1995 : 255/ 256). 91 Vers 1507 Valentim Fernandes écrivait au sujet de l’île de Santiago : « Em esta ylha naçe muyto algodom » et au sujet de Fogo « Esta ylha he pouorada de gente [.../ ...] Naçe aqui muyto algodom » (éd. de 1997 : 157 et 158/ 159). <?page no="116"?> 116 - À Ribeira Grande, la population se composait des groupes suivants : les colons (moradores) qui conjuguaient les activités de commerçants, armateurs et propriétaires terriens; les commerçants et marins portugais, espagnols et italiens de passages (estantes) qui fournissaient aux moradores les marchandises d’Europe ou d’Amérique qu’il leur fallait et emmenaient sur leurs bateaux les esclaves et les marchandises en provenance d’Afrique; quelques administrateurs et ecclésiastiques; les affranchis, parfois assez pauvres; les esclaves servant leurs maîtres à la maison, sur les champs fertiles de la vallée, dans le commerce, sur les bateaux ou en qualité d’interprètes. - Dans l’arrière-pays il faut compter avec : quelques administrateurs des propriétés foncières (généralement des affranchis); les esclaves qui gardaient les troupeaux, tissaient à domicile ou travaillaient sur les champs (certains d’entre eux ne devaient rester que peu de temps sur l’île); un curé par paroisse. 2.1.2.2 Trois groupes d’esclaves Pour les esclaves, trois groupes se dessinent donc : ceux qui collaboraient étroitement avec leurs maîtres, ceux qui travaillaient à l’intérieur de l’île, donc loin de leurs maîtres, et - vivant probablement parmi ces derniers - ceux qui devaient bientôt repartir. Chez les premiers, l’apprentissage du portugais a dû commencer aussitôt, produisant un créole acrolectal et pouvant mener, dans certains cas, jusqu’à une maîtrise parfaite de la langue des maîtres. 92 Dans le deuxième groupe, les langues africaines devaient se maintenir plus longtemps et la cristallisation d’une langue neuve prendre plus de temps. Cette langue devait être un créole plus basilectal que celui des centres urbains (une approximation à la langue des surveillants qui, elle, était une approximation de la langue des maîtres, pour parler avec Robert Chaudenson). Dulce Pereira a certainement raison en supposant que le nivellement relatif des contrastes entre maîtres et esclaves, villes et campagnes, lors de la crise à la fin du XVI e siècle a dû entraîner un nivellement analogue sur le plan linguistique. Ce nivellement a très probablement favorisé les variétés rurales du créole (cf. Pereira 2006). Les esclaves de passage, n’ont pu acquérir une variété de pidgin portugais plus ou moins élaboré que si leur séjour chez les lançados de la côte ou sur les propriétés foncières de Santiago ou de Fogo se prolongeait un certain temps. 92 Dulce Pereira (2006) pense même que les conditions pour une créolisation du portugais n’existaient pas, à Ribeira Grande. Nous n’irons pas aussi loin. N’oublions pas que même dans les factoreries portugaises de la côte indienne sont nés des créoles à base portugaise. Comme nous le verrons sous 2.1.2.4, les Africains étaient très tôt en majorité, à Ribeira Grande. Ne nous faisons pas d’illusions : les colons ne préparaient pas eux-mêmes leurs repas, ne plantaient pas ni ne récoltaient pas eux-mêmes leurs salades, n’allaient pas eux-mêmes extraire l’eau du puits etc. Et il y avait nécessairement beaucoup de personnes qui allaient et venaient entre la ville et l’intérieur de l’île. Ils ne parlaient pas forcément différentes langues selon qu’ils se trouvaient ici ou là. <?page no="117"?> 117 Au XVII e siècle, les pères jésuites en mission au Cap Vert témoignent de la difficulté d’enseigner aux esclaves les fondements de la religion catholique avant de les baptiser. Chez les esclaves de passage c’était assez souvent chose impossible à moins de faire intervenir un interprète qui leur parle dans leur langue maternelle (cf. Soares 2006 : 182/ 183 et 188/ 189). N’empêche que même ces esclaves de passage se vendaient plus chers s’ils faisaient preuve de connaissances rudimentaires en ‚portugais’. Les variétés pidginisées de portugais de ce groupe pourraient avoir laissé des traces en papiamentu, par exemple. Dans les années vingt du XVII e siècle, le père Sandoval distinguait, à Cartagena de las Indias, pour les esclaves en provenance de l’archipel capverdien entre bozales, ladinos « que hablan lengua portuguesa y llaman criollos [c’est-àdire ‚criollos de Cabo Verde’], no porque ayan nacido en Cabo Verde, sino porque se criaron desde pequeños alli » et naturales, c’est-à-dire ceux qui sont nés aux îles (cf. la citation complète et notre commentaire sous 1.1.2.1.3). La distinction entre ladinos et naturales intéressait certainement le père Sandoval bien plus que les négriers. Seuls les naturales offrait la sûreté d’avoir été baptisés selon les canons de l’Église. Pour les négriers et leur clientèle, la distinction vraiment importante était celle entre bozales et criollos. Elle nous apprend que le temps de permanence aux îles pouvait beaucoup varier. 2.1.2.3 Les lançados de la côte Sur la côte africaine, le commerce des îles avec le continent produisit encore un autre groupe humain auquel nous devons brièvement faire allusion : celui des lançados. La couronne portugaise interdit longtemps à ses sujets de se fixer sur le continent. Les Capverdiens et les Portugais bravant cette interdiction reçurent le nom de lançados ou de tangomaus. Ces gens ne pouvaient rentrer au Cap Vert ou au Portugal sans payer une grosse amende. Ils vivaient entre les Africains et à l’africaine et servaient d’intermédiaires entre les souverains africains et les commerçants capverdiens et autres. C’était grâce à eux que les commerçants des îles trouvaient généralement déjà une quantité suffisamment grande d’esclaves et de marchandises réunie aux ports d’embarquement. Comme on le sait, des créoles se formèrent non seulement sur les îles, mais encore aux alentours de ces ports d’embarquement dans les ménages et autour des lançados. Certains de ces créoles de la côte ont survécu jusqu’à l’heure actuelle. Ainsi dans la province la plus méridionale du Sénégal (la Casamance) et en Guinée-Bissau. Les créoles des premières îles à être peuplées (Santiago et Fogo) et ceux de la côte que nous venons de mentionner se ressemblent encore aujourd’hui, même si les derniers accusent une influence visible des langues africaines du lieu respectif. Cette ressemblance provient certainement des contacts étroits que maintenaient les commerçants capverdiens avec les lançados et leur milieu. <?page no="118"?> 118 2.1.2.4 Quelques chiffres Les documentations dont on dispose ne permettent pas de suivre en détail et avec la précision qu’on souhaiterait la croissance de la population de Santiago pendant la première période. Voilà pourtant quelques informations utiles. 2.1.2.4.1 Le témoignage de Pêro de Guimar-es (1513) En 1513, le corregedor Pêro de Guimar-es fournit au roi les premiers chiffres intéressants pour Ribeira Grande qui, vingt ans plus tard sera promue au rang de ville avec siège d’un évêque dont le diocèse comprend non seulement l’ensemble de l’archipel, mais encore toute la côte de l’embouchure du Sénégal jusqu’à la Sierra Leone. D’après Pêro de Guimar-es, Ribeira Grande comptait en 1513 58 « vizinhos homens honrados brancos [voisins onorables blancs] », 16 « vizinhos negros [voisins noirs] », 56 « estantes estrangeiros, naturais dos vossos Reinos [étrangers de passage, originaires de Vos royaumes] » (d’après la loi pas de véritables vizinhos puisque sans résidence fixe), 4 « mulheres brancas solteiras [femmes blanches non mariées] », environ 10 « negras [noires] », 12 « clérigos [écclésiastiques] » (y compris le vicaire) et 3 moines (cf. HGCV I 1991 : 137). Par vizinhos, il faut entendre ‚personne libre, chef d’un ménage’. Avec, de plus, « outra gente forasteira que logo nos navios que aqui est-o se partiram [d’autres personnes étrangères qui partiront bientôt dans les navires qui se trouvent ici] », mentionnée dans la même source, les personnes libres avec ménage pouvait ainsi être environ 170, en 1513, d’après l’historien capverdien António Correia e Silva (cf. HGCV I 1991 : 233). Retenons que la relation numérique entre les colons blancs à résidence fixe et les Européens de passage aurait donc été presque équilibrée, à cette époque, et qu’il y avait déjà un nombre considérable d’Africains affranchis. Le nombre total des habitants de Ribeira Grande pouvait alors être d’à peu près 500, si l’on estime qu’il y avait en moyenne cinq esclaves dans les ménages des colons à résidence fixe (homens honrados brancos), mais beaucoup moins dans les autres. Vers la moitié du siècle un pilote anonyme estime qu’il y a « mais de quinhentos fogos [plus de 500 feux] » à Ribeira Grande (cf. HGCV I 1991 : 147, 233). Supposant qu’un feu équivaut à un ménage, la population aurait presque quintuplé en l’espace de moins de quarante ans. 2.1.2.4.2 Le témoignage de Francisco d’Andrade (1582) En 1582, la relation du Sargento-Mor Francisco de Andrade au roi fournit pour la première fois une estimation fiable pour l’ensemble de l’île de Santiago (et l’île voisine du Fogo). Selon ce témoignage exceptionnel, environ 13 400 personnes vivaient alors sur l’île (et 2 300 sur l’île voisine), sans compter les enfants ni les esclaves fugitifs et autres marginalisés. À Ribeira Grande (cidade) résidaient 508 vizinhos qui maintenaient environ 5 700 esclaves dans leur ménage et sur les champs aux abords de la ville. À Praia (vila) les vizinhos étaient environ 200 avec quelque 1 000 esclaves. Pris ensemble, les deux cen- <?page no="119"?> 119 tres urbains abritaient donc plus de la moitié de la population de l’île (cf. HGCV I 1991 : 230-236). Pour l’intérieur de l’île, Andrade donne environ « 600 home[n]s branq[u]os e pardos [des blancs et des mulâtres libres] e 400 pretos forros casados [des Africains affranchis], os quaes ter-o em suas fazendas de seruiço de suas casas 5v escravos [5.000 esclaves], ... ». Cette population dispersée de 6000 personnes se distribuait sur huit paroisses. À l’intérieur et à Praia, il y avait donc environ cinq esclaves pour un libre, à Ribeira Grande environ dix. Le fait que, toujours selon Andrade, dans la capitale tous les esclaves étaient baptisés tandis qu’à Praia un sur cinq et à l’intérieur même deux sur cinq ne l’étaient pas encore, semble confirmer notre supposition que la socialisation des esclaves récemment arrivés du continent se faisait généralement à l’intérieur de Santiago et à Fogo. Les estimations de Francisco d’Andrade ne nous donnent donc pas seulement un chiffre total, mais encore une image probablement assez fidèle de la composition sociale de la population de Santiago au début de la grande crise. Mais elles ne nous apprennent rien sur la composition ethnique de son élément africain. 2.1.3 Le rôle des Wolof dans le peuplement de Santiago 2.1.3.1 Introduction Comme nous l’avons déjà expliqué à plusieurs reprises, ce fut la découverte d’importantes affinités structurales entre le créole santiagais actuel et le wolof de nos jours qui nous a incités à nous interroger sur le rôle des Wolof dans la naissance de la société santiagaise. Il s’agissait pour nous de savoir si les Wolof ont été assez nombreux, parmi les premiers esclaves au service des moradores de Santiago, pour pouvoir imposer au créole naissant bon nombre des structures de leur langue. Précisons tout de suite que nourrir une telle idée n’équivaut pas à prétendre que, génétiquement, l’actuelle population créole de Santiago soit à dominante wolof. Quel était donc le poids des Wolof dans le peuplement de l’île ? Ilídio Cabral Baleno énonce une triste vérité lorsqu’il écrit, dans le premier tome de l’História Geral de Cabo Verde que « ..., praticamente n-o há referências sobre a identidade étnica da massa escrava entrada nas ilhas [caboverdianas] até meados de Quinhentos » (HGCV I 1991 : 155). Et en effet, le fait avéré qu’en 1543 un notaire de l’île de Fogo ait été absout, plaidant la légitime défense, après avoir tué un esclave jalofo (cf. ibidem), c’est-à-dire wolof, ne suffit pas pour prouver cette présence massive de locuteurs du wolof sur l’île voisine, à l’époque de la créolisation, que les faits linguistiques nous suggèrent. Faute de preuves directes, nous alléguerons, dans ce qui suit, deux arguments empiriques et une série de conclusions hypothétiques en faveur de cette présence. <?page no="120"?> 120 Carte montrant l’étendue de l’Empire wolof (le ‚Grand Jolof’) dans la deuxième moitié du XV e siècle (d’après Boulègue 1987) et les routes des esclaves à Santiago et vers l’Amérique (selon Carreira 1983). Nous avons rajouté les routes du fleuve Sénégal à Santiago et celles de Santiago vers l’Europe, abandonnées, comme les deux autres qui relient les régions wolof à Santiago, au cours du XVI e siècle. <?page no="121"?> 121 2.1.3.2 Les Wolof sur le marché d’esclaves à Valencia Vicenta Cortés Alonso a publié, en 1964, un ouvrage qui nous renseigne de façon très précise sur le marché des esclaves de la ville de Valencia sous le règne des Rois Catholiques, c’est-à-dire de 1479 à 1519. Selon le recensement de l’auteur, 250 esclaves africains arrivèrent en moyenne par an sur le marché de Valence pendant cette période (cf. Cortés Alonso 1964 : 57). Heureusement pour nous, avant d’être vendus, ces esclaves étaient soumis à un interrogatoire devant les autorités au cours duquel on leur demandait leur nom, leur âge, leur origine et leur condition d’esclave ou d’homme libre (cf. Cortés Alonso 1964 : 69). Sur la base de ces informations et en tenant compte de leur âge et état de santé, les esclaves étaient alors déclarés ‚de bonne guerre’ et évalués. Après avoir payé les 5 % d’impôts sur le prix estimé d’un esclave, ce qui était la véritable raison d’être de cette procédure, le marchand qui avait présenté l’esclave pouvait alors le vendre librement. La liste des documents utilisés par Vicenta Cortés Alonso permet d’arriver à des conclusions intéressantes : sur environ 4275 esclaves noirs qui arrivèrent sur le marché de Valence pendant la période en question, 2452 sont identifiés dans les documents comme étant des jalofos. Sur ces 2452 jalofos, 2258, c’està-dire 92 %, y arrivèrent avant l’an 1500. L’ethnonyme Mandiga, Mantinga, Mandenga, Mantenga, apparaît dans 43 de ces documents, dont seulement trois, chacun mentionnant un seul individu de cette ethnie, remontent au XV e siècle. L’ethnonyme Beni, Benne, Bennich, lui, apparaît dans 45 documents, tous postérieurs à l’an 1500. Vicenta Cortés Alonso s’est parfaitement rendu compte de cette prépondérance des esclaves d’origine wolof au XV e siècle : « Guinea es, desde luego, la que proporciona un mayor contingente de negros y entre ellos son los de Jalof, los Wolofs, los más abundantes. Un importante negrero lisboeta tenía buenos agentes en San Iago [scil. Santiago], pues frecuentemente remitía a su representante en Valencia, Cesaro de Barchi, lotes no menores de 100 piezas, siempre muy bozales » (Cortés Alonso 1964 : 58). Plus loin, l’auteur ajoute au sujet de ce Cesaro de Barchi, de Florence : « El mercader negrero más importante en Valencia fue, sin disputa alguna, el florentino Cesaro de Barchi, el cual vendió, por cuenta de su principal portugués Bartolomé Marchioni, cuyo nombre aparece, desgraciadamente, en pocos documentos, desde 1489 a 1497 la fabulosa cantidad de 2.007 negros. Todos ellos eran oriundos de Jalof, es decir, eran Wolofs, habitantes de la zona de Guinea que estaba bajo la vigilancia de la factoría de San Iago, fundada en 1458, porque los patrones de Barchi tenían en ella una concesión » (Cortés Alonso 1964 : 112). Vicenta Cortés Alonso prend ici l’année approximative de la découverte de l’archipel pour celle de la création de la factorerie. En réalité, celle-ci ne surgit que suite à la charte royale de 1466. <?page no="122"?> 122 Pour important qu’il ait été - surtout à cause de son ouverture sur la Méditerranée - Valence ne fut pas le marché d’esclave le plus important. Pour être plus près des pays fournisseurs d’esclaves (musulmans du Maghreb, guanches des Canari, nègres de la côte africaine et indiens de l’Amérique) Séville et Lisbonne la dépassaient. Malheureusement, on ne dispose pas, pour ces deux centres, de statistiques aussi complètes que celles de Vicenta Cortés Alonso pour Valence. Citons pourtant l’important travail de Alfonso Franco Silva sur La esclavitud en Sevilla y su tierra a finales de la Edad Media (Sevilla : Diputación Provincial 1979). Selon le tableau des pp. 142/ 143 de l'ouvrage de Franco Silva, 3488 esclaves nègres sont mentionnés dans les documents notariaux de la ville entre 1453 et 1525, chiffre que l’auteur a de bonnes raisons de juger largement inférieur au total des esclaves de cette origine qui sont passés par la ville (cf. Franco Silva 1979 : 131). Beaucoup de ces esclaves étaient nés au Portugal (à Lagos, Tavira, Lisboa, Évora etc.). « El resto de los negros sevillanos que hemos estudiado y los más numerosos procedían de África, y en concreto de Guinea, y de las culturas Jolof y Mandinga. Los guineanos predominaban con gran diferencia sobre los otros dos, y a su vez los Jolofes-Wolofes, Gelofes - o Jelofes, como se les conocen [sic] en la documentación - superaban a los Mandingas » (Franco Silva 1979 : 69). Vu qu’à Valence, où l’on peut suivre l’évolution an par an, les non wolof n’apparaissent pratiquement qu’à partir de 1500, on est tenté de croire que la prépondérance des esclaves noirs du golfe de Guinée dans la documentation de Franco Silva est due au fait que 3284 des 3488 esclaves noirs dont il a trouvé la mention, apparaissent dans des documents qui appartiennent déjà au XVI e siècle. 2.1.3.3 La traite capverdienne en territoire wolof Ilídio Cabral Baleno a circonscrit les régions de provenance des esclaves santiagais de façon hypothétique à la Casamance et l’actuelle Guinée-Bissau, sous prétexte que des auteurs comme Valentim Fernandes, Francisco de Andrade et André Álvares d’Almada citent les fleuves de Casamance et de S-o Domingos ainsi que le Rio Grande comme étant les lieux où les commerçants de Santiago échangeaient le gros de leur production cotonnière contre des produits africains et des esclaves (cf. HGCV I 1991 : 154/ 155). On peut compléter cette liste en y ajoutant la Gambie, dont Valentim Fernandes nous dit : « As cousas que destas terras [mandingas do Gambia] trazem [os portugueses] som [...] escrauos e escrauas [...] Os portugueses leuam pera la [...] algodom que carregam em as ilhas do Cabo Verde / E cauallos que dam h u cauallo por sete negros » (Valentim Fernandes, éd. de 1997 : 79). Aucune de ces régions de la Gambie vers le sud n’était peuplée de Wolof. Mais nous devons rappeler ici le fait que tous les auteurs capverdiens aux alentours de 1600 regrettent les temps où Hollandais, Français et Anglais ne les avaient pas encore supplantés, en tant que partenaires commerciaux privilégiés, auprès des rois wolof. <?page no="123"?> 123 Jean Boulègue a précisé l’époque de la perte du quasi-monopole portugais dans ce commerce : « Sur la Petite Côte [la côte wolof au sud du Cap Vert, J.L.], c’est vers les années 1565-1570 que le Portugal subit le recul décisif, comme l’écrivait au roi, en 1582, un témoin bien qualifié, Francisco de Andrade, officier dans la milice de Santiago du Cap-Vert ». En note, Boulègue traduit un passage de ce témoin : « Maintenant, depuis quinze ans [depuis 1567 donc], cette traite ne peut plus se faire dans cette région [sur la Petite Côte] à cause des nombreux navires français qui se trouvent toute l’année sur la côte de ces quatre lieux de traite » (Boulègue 1989 : 37 avec la note (1)). Contre leur volonté, les commerçants capverdiens avaient donc déplacé le centre de leurs activités vers le sud : « En 1605, Cacheu fut promue cité portugaise. Puis furent fondées Bolola, Farim, Ziguinchor. En 1641, Cacheu devient la résidence d’un capit-o-mor » (Boulègue 1989 : 18). Vu l’extrême importance, pour la constitution de la population de Santiago, de toute l’époque qui précède ce déplacement, nous citerons par la suite in extenso ce que les auteurs du 16 e et du 17 e siècle nous en disent. Écoutons donc d’abord André Álvares d’Almada regretter, en 1594, la perte du commerce sur la Petite Côte : « ... ; antigamente o maior trato que tinham os moradores da Ilha de Santiago era para esta terra do Budumel [royaume wolof d’Encalhor], no tempo que nela reinava um rei chamado Nhogor, muito amigo dos nossos, no tempo do qual houve tamanha fome naquela costa, causada / dos gafanhotos, que se vendiam os escravos por meio alqueire [1 alqueire = 13,8 l] de milho ou feij-o; [... .] E da Ilha do Cabo Verde [Santiago] iam todos os anos carregados de cavalos e de outras mercadorias a este resgate. Sucedeu neste Reino o Rei chamado Budumel, Bixirim, o qual n-o bebia vinho nem comia carne de porco; este residia contínuo na sua corte de Lambaia, longe do mar, e fazia maus pagamentos aos nossos, e recolhia nos seus portos os Franceses, e folgava com eles. E por essa causa deixaram os moradores da Ilha este resgate; o qual está ocupado hoje mais de Ingleses que de Franceses » (Almada, éd. de 1964 : 22/ 23). Même affirmation pour la région des Barbacins de langue serer, plus au Sud : « Ao Reino deste [du roi d’Ale des Barbacins] soiam ir muitas armações dos moradores do Cabo Verde com cavalos, levando as mesmas mercadorias que atrás fica dito que se levava[m] à terra dos Jalofos, ... » (Almada, éd. de 1964 : 29). Mais du temps d’Almada les lançados portugais y jouent déjà le rôle d’intermédiaires entre les Barbacins et les ennemis, tant français qu’anglais : « E andam estes nossos Portugueses lançados muito mimosos destes imigos. [...] E por esta causa est-o estes resgates de toda esta costa do Cabo Verde até o Rio de Gâmbia perdidos. » (Almada, éd. de 1964 : 23). Almada exagère d’ailleurs un peu. Parlant non plus d’un passé lointain, mais du temps auquel il a vécu, il écrit « ... ; o filho Chilao [de ce Budumel bixerim], que fica governando os portos do mar, pelas vistas que tem dos <?page no="124"?> 124 nossos, é mais amigo deles do que é seu pai e foi seu avô. As mercadorias que levam os nossos a estas partes s-o cavalos, ... » (Almada, éd. de 1964 : 25). Il est d’ailleurs hautement probable que des esclaves wolof continuaient à arriver de temps à autre à Santiago suite à des événements comme celui de 1576, que notre auteur raconte dans les termes suivants : « Na era de setenta e seis me achei no reino de Broçalo, [...]. E foi o Rei deste Reino dar um assalto na terra de outro Rei seu vizinho Jalofo, para me fazer pagamento do que me devia, e fez boa presa; ... » (Almada, éd. de 1964 : 15). André Donelha, qui écrit en 1625, n’est pas moins explicite : « O trato antigo desta ilha de Santiago que nas partes de Guiné fazia era do rio Sanaga até à serra Lioa. O resgate de Sanaga dorou pouco mais de sessenta anos; por causa dos piratas franceses se perdeu de ent-o pera cá, que há mais de cem anos » (Donelha, éd. de 1977 : 122). Il faut compter à partir de la découverte des îles pour que ce calcul tombe juste. Ces un peu plus de soixante ans nous reportent alors à l’an 1520 et quelques, pour ce qui est de la perte du commerce capverdien sur le fleuve Sénégal. En 1625, moment de la rédaction de la Descriç-o, un peu plus d’un siècle s’était effectivement écoulé depuis lors. Les quelques informations que Donelha donne par la suite sur la vallée du Sénégal vers 1625 lui viennent de source indirecte. Il les doit à trois voyageurscommerçants qui, après y avoir séjourné ont fait escale à Santiago. Donelha a par contre fréquenté lui-même la côte entre le Cap-Vert et l’embouchure de la Gambie, ce qui lui permet de nous apprendre, au sujet de la baie de Bezeguiche/ Recife : « É porto principal do resgate dos estranjeiros, nossos inimigos. Os Jalofos os estimam mais que a nós, porque / / deles recebem maior proveito » (Donelha 1977 : 126/ 128). C’est encore à la Petite Côte qu’il pense, lorsqu’il écrit, dans le chapitre intitulé Da lei e costumes dos Jalofos, e o que aí se resgata : « O resgate, o principal é coiros, cera, marfim e algum ouro, se lá vai navio desta ilha, como antigamente iam quatro e cinco navios carregados de cavalos, lá se carregavam d’escravos e outras cousas. » (Donelha, éd. de 1977 : 130). De la Descriç-o da costa da Guiné... de Francisco de Lemos Coelho nous possédons deux versions. La première, adressée au gouverneur des îles du Cap- Vert et de la côte de Guinée, Manuel da Costa, date de 1669, la deuxième apparemment destinée à un public plus vaste, a été rédigée en 1684. Lemos Coelho ne montre plus de regrets pour la perte du commerce portugais et capverdien avec les Wolof. La prédominance, sur la Petite Côte, des Hollandais en 1669 et des Français en 1684, est pour lui un fait accompli qu’il ne remet plus en question. Du temps de Lemos Coelho, les Portugais de Cacheu et les Capverdiens fréquentaient toujours la Petite Côte, mais pour d’autres raisons. Voilà ce que cet auteur écrit à propos de la baie de Recife : « ... era no meu tempo boníssima escalla esta para os navios que vinh-o de Cacheo com negros para esta ilha [de Santiago], porque aqui refrescav-o a sua armaç-o, fazi-o aguada fresca, comprav-o muito mantimento se necessitav-o delle, e os regallos que <?page no="125"?> 125 queri-o na ilheta [de Gorée], sendo do flamengo benignamente agazalhados; ... » (Lemos Coelho, éd. de 1990 : 98). À l’île Gorée, les Capverdiens échangeaient avec les Hollandais l’ivoire et la cire qu’ils rapportaient des régions au sud de la Gambie contre du fer et des tissus de Flandre. Mais c’étaient les Hollandais qui achetaient des esclaves chez les Wolof, par exemple pour les emmener à S-o Jorge da Mina qui leur appartenait depuis 1637 (cf. Lemos Coelho 1990 : 6/ 7). Remontons maintenant aux débuts du XVI e siècle. Sans être Capverdien ni Portugais, Valentim Fernandes, qui résidait depuis 1495 à Lisbonne, disposait d’excellentes informations. Pour lui qui écrit avant 1507, le passé que regrettent Almada et Donelha, est encore du présent : « Neste ryo [le Sénégal] resgatam oro porem pouco e muytos escrauos negros » (Valentim Fernandes, ed. de 1997 : 57). « Na entrada deste ryo esta elrey que se chama elrey de Gyloffa E he sonhor de viij [8.000] de cauallo dos quaes cauallos nom naçem nesta prouincia se nom muy poucos os outros trazem os crist-os e mouros do sart-o » (Valentim Fernandes, ed. de 1997 : 58). « Os mercadores portugueses resgatam nesta terra [de Gyloffa] muytos coyros de vacas e doutras animalias e muytos escrauos ouro pouco E leuam pera la alquiçees bedeens panno vermelho e azul E cauallos » (Valentim Fernandes, ed. de 1997 : 66). Dans une note en marge de son texte, l’auteur remonte aux débuts de la traite : « 14 cabeças de escrauos e 15 dauam por h u cauallo / anno 1455 » (Valentim Fernandes, ed. de 1997 : 59; à la p. 190, il répète la même information sans indication de l’année; aux pp. 98/ 99, il donne presque les mêmes chiffres pour le début de la traite sur le Rio Grande). Pacheco Pereira écrit son Esmeraldo de situ orbis à la même époque (1505- 1508). Les informations qu’il nous donne sur la traite en territoire wolof diffèrent à peine de celles de Valentim Fernandes. Il est vrai que la formule de la perte du commerce apparaît déjà chez Pacheco Pereira. Mais comme on le verra, elle a chez cet auteur un tout autre sens. Il l’attribue à la mauvaise gestion du commerce et non pas à l’intromission des étrangers. Et surtout : elle est encore loin d’être totale. De l’embouchure du Sénégal, Pacheco Pereira nous dit : « ... em nossos dias se Resguatauam aqui escrauos negros dez e doze por hum caualo posto que bõo nom fosse, e polla maa governança que se nisto teue, até seys nam podem aguora auer; ... » (Pacheco Pereira, éd. de 1905/ 1975 : 79). Mais la traite se pratiquait sur tout le cours inférieur du fleuve : « ... ; e quando aquy auya boõ Resguate, se tiravam d’este Rio em cada hum anno quatrocentos escravos e outras vezes menos ha metade, hauidos pellos ditos cauallos e outras mercadorias » (ibidem). Elle se pratiquait même sur la frontière entre les royaumes de Jalofo et de Tucurol : « ..., e aly Resguatam seis e sete escravos por hum cavallo de pouca ualia, ... » (Pacheco Pereira, éd. de 1905/ 1975 : 82). Passons à la Petite Côte : « Do cabo Verde ao Porto d’Andam sam seys leguoas, [...] ; e aquy foy ja bõo Resguate de escrauos por cauallos, e foy tempo <?page no="126"?> 126 que dauam dez escrauos por hum cauallo de pouca valia e já aguora este Resguate he perdido ; ... » (Pacheco Pereira, éd. de 1905/ 1975 : 85). Et au sujet de Porto d’Ale, l’auteur nous renseigne encore : « ... e aquy ouue ja bõo Resguate de escrauos, que sohiam a dar dez por hum cauallo, e aguora pello maao Regimento que se neste Resguate teue, seys nam querem dar; ... » (Pacheco Pereira, éd. de 1905/ 1975 : 85). Les informations de Pacheco Pereira sur la traite dans le Rio dos Barbaciis varient à peine (cf. Pacheco Pereira, éd. de 1905/ 1975 : 86). Ajoutons que Tomás de Mercado utilise le présent, lorsqu’il écrit, dans le 20 e chapitre du 2 e livre de sa Suma de tratados y contratos, publiée pour la première fois en 1569 « Los portugueses que tratan en Cabo Verde, y traen negros de Santo Tomé de Biafra, Zape y Jolofe, y los mismos etíopes que los venden, estan infamados como todos sabemos, que muchas veces los han mal, y por mal cabo » (Mercado éd. de 1975 : 279). Cette information concernant les esclaves wolof peut remonter à la première moitié du siècle, avant que l’auteur ne quitte le Mexique vers 1550. 2.1.3.4 Conclusions Voilà donc deux faits irréfutables : 1. Entre les esclaves vendus au marché de Valence pendant les deux dernières décennies du 15 e siècle, ceux qui sont déclarés ‚jalofos’ sont largement majoritaires. 2. À la même époque les commerçants portugais et capverdiens entretiennent encore des relations commerciales étroites avec les rois wolof. D’après les sources, les blancs fournissaient surtout des chevaux pour obtenir en échange des esclaves. Ces faits ne prouvent pas, mais rendent assez probable que la plupart des esclaves wolof sur le marché d’esclaves de Valence étaient passés par Santiago. Que les moradores de Santiago aient privilégié le commerce avec les Wolof aussi longtemps que cela leur était possible est d’ailleurs ce qu’il y a de plus naturel. Les Wolof étaient la première ethnie d’Afrique Noire que les Portugais avaient rencontrée au cours de leur avancée le long de la côte ouestafricaine. La charte royale de 1466 accordait aux moradores de Santiago d’importants privilèges pour le commerce entre le fleuve Sénégal et la Sierra Leone. Or, c’étaient précisément les Wolof qui habitaient le secteur de cette côte qui se trouvait juste en face de l’archipel. Si ces commerçants capverdiens ont acheté un très grand nombre d’esclaves wolof, entre 1466 et 1500, et probablement encore jusque vers 1565, qu’estce qui aurait pu les amener à réexporter systématiquement les Wolof pour ne retenir sur l’île que des esclaves d’autres ethnies ? Examinons deux objections qu’on pourrait opposer à ces conclusions. 1. On pourrait d’abord objecter qu’il n’est pas sûr que les esclaves que Cesaro de Barchi présentait par centaines aux autorités de Valence aient vraiment répondu, un par un, à la question concernant leur origine. Plutôt que de <?page no="127"?> 127 se déclarer ‚jalofos’, ils ont peut-être été déclarés ‚jalofos’ par l’intéressé. Le qualificatif ‚jalofo’, appliqué à un esclave, pouvait alors signifier, acheté et embarqué en territoire wolof, sans que cela implique l’appartenance de l’esclave en question à la communauté linguistique wolof. Ne serait-il pas plutôt surprenant que les rois wolof aient vendu leurs propres gens ? Les Wolof distinguaient en effet entre les ‚captifs de case’, nés dans la famille (w. jaamjuddu), qu’en principe on ne vendait jamais, et les captifs pris à la guerre, réduits en esclavage par condamnation, ou achetés, qui pouvaient être vendus (cf. Boulègue 1989 : 24). Ces captifs pris à la guerre ou achetés pouvaient donc parfaitement appartenir à d’autres ethnies. Cet argument est correct. Les Wolof ont en effet pu vendre aux Portugais et aux Capverdiens nombre d’esclaves parlant des dialectes ndut, noon, saafen, serer, mandingue etc. faits prisonniers au cours de leurs dernières conquêtes. 93 Mais leurs contacts avec les Portugais et l’intérêt économique que ces contacts conféraient à la côte, ont vite provoqué la désintégration du Grand Jolof (pour preuve le fameux épisode du prince wolof Buumi Jeleen qui, en 1488, a demandé et obtenu l’aide du roi portugais Jo-o II contre un concurrent). 94 Les esclaves vendus par les rois pouvaient donc très tôt provenir aussi des conflits internes qui accompagnaient cette désintégration de l’empire. La soif immodérée de marchandises offertes par les Européens a d’ailleurs vite produit les prétextes nécessaires pour condamner des sujets et pour déclencher la guerre avec les voisins wolof les plus proches. À en croire Valentim Fernandes, souvent, on ne cherchait même pas de prétexte : « Quando quer que as carauellas dos christ-os vem e alg u senhor [gyloffo] quer cauallos comprar logo ho dito senhor salta em a primeyra aldea que acha tanto monta de amjgos como de emmjgos E apanha homens e molheres quanto lhe abasta pera aquella vez e quanto pode escapar » (Valentim Fernandes, éd. de 1997 : 66). « Nom saem [os gyloffos] da sua terra - écrit-il un peu plus loins - pera nom serem vendidos por esprauos » (Valentim Fernandes, éd. de 1997 : 73). Même si la plupart des rois étaient plus scrupuleux par rapport à leurs propres sujets, l’idée d’une solidarité ethnique qui aurait empêché un roi wolof de vendre les sujets d’un autre, wolof lui aussi, ne correspond certainement pas aux mentalités de l’époque. 2. N’empêche que, interrogé à Valence, on pouvait être effectivement locuteur du serer, d’un dialecte mandingue, du ndut, du noon ou du saafen (pour les trois dernières ethnies mentionnées, cf. Boulègue 1987 : 19-21) et être 93 « Enclavées parmi les Wolof ou sur les franges méridionales de leur domaine, il faut signaler de petites ethnies, les Ndut, les Noon et les Safen, qui ont été probablement partiellement refoulées ou assimilées par leurs voisins et, à l’époque dont nous traitons, ont plus que les autres souffert de la traite esclavagiste » (Boulègue 1989 : 22). 94 Certais Santiagais d’ascendance wolof (probablement des affranchis) prétendaient descendre de membres de la suite de ce prince (cf. Lemos Coelho, éd. de 1990 : 96 et Boulègue 1989 : 18). <?page no="128"?> 128 quand même déclaré wolof parce qu’on venait d’une région qui appartenait ou avait appartenu au Grand Jolof. Cette observation nous invite à rester prudents. Il semble pourtant permis de penser qu’une telle appartenance entraînait nécessairement un minimum de connaissances de wolof. Seul ou à côté d’autres langues, le wolof devait en effet faire fonction de langue véhiculaire dans l’ensemble des terres dominées pendant quelques temps par les Wolof (cf. Boulègue 1989 : 22). Il semble même raisonnable de supposer que c’est justement la création du Grand Jolof qui avait produit un certain nivellement linguistique entre différents parlers ouest-atlantiques, sous le leadership de celui du Djolof proprement dit. Pour réduites qu’aient été les connaissances en wolof d’un locuteur du serer ou du ndut, transplanté à Santiago ou à Valence, ces connaissances devaient lui être plus utiles que la connaissance de sa langue maternelle. 95 À tout prendre, ce qu’on peut objecter aux arguments historiques en faveur d’une présence massive de locuteurs wolof à Santiago, au temps de la formation de son créole, doit certainement nous empêcher de nier la présence, à la même époque de pas mal de locuteurs d’autres langues africaines qui auront, elles aussi, contribué à la structure de ce créole. On pensera surtout aux Mandingue, Banhun, Bisago, Burame, Balanta, Beafare, Cassanga et Felupe, originaires des régions plus méridionales de la côte où les commerçants capverdiens sont restés présents après avoir été évincés auprès des Wolof. L’histoire ne semble pourtant pas démentir cette prépondérance de locuteurs wolof que les faits linguistiques présentés dans le chapitre suivant nous suggèrent. 2.2 Linguistique 2.2.1 Travaux sur les traces de langues africaines en créole santiagais antérieurs à 2004 2.2.1.1 Remarque préliminaire Nous essaierons ici de retracer les débuts de la recherche sur les traces africaines en cs. en invoquant quelques travaux importants. Nous le faisons, entre autres, pour faire voir comment l’orientation de ces travaux a pu involontairement détourner quelque peu l’attention des chercheurs du wolof en privilégiant la collection de signifiants d’origine africaine aux dépens de la recherche de structures grammaticales (partiellement) africaines. Nous nous arrêterons en 2004, date à la fois de la parution d’un article que nous avons consacré entièrement à la mise en lumière de certaines affinités entre le cs. et le w., suggérant par là que la ‚langue de substrat majeure’ du créole santiagais pourrait bien être le wolof et non pas un dialecte du mandingue, et date du colloque 95 C’est ainsi que Jean-Louis Rougé s’explique l’absence de mots d’origine serer dans le créole santiagais (cf. Rougé 1999 : 62). <?page no="129"?> 129 d’Erlangen où nous avons essayé de montrer que cette hypothèse est compatible avec ce que nous pouvons savoir du peuplement de Santiago (cf. Lang 2004 et 2006). Les premières recherches concernant l’impact des langues africaines sur les créoles portugais de la côte africaine sont antérieures à celles concernant les traces africaines dans le cs. Mais celles-ci continuent à se développer en étroite dépendance de celles-là. En 1988 ont paru deux travaux qui sont probablement des rejets de thèses que leurs auteurs ont soutenues en 1980 (Alain Kihm, à Paris) et en 1985 (Jean-Louis Rougé, à Lyon) et que nous n’avons pas pu consulter. 2.2.1.2 Kihm 1988 Dans son article intitulé Conflation as a directive process in creolization, Alain Kihm présente plusieurs éléments du créole de la Guinée-Bissau (cg.) comme résultant probablement d’une identification de la part des créolisateurs, d’éléments portugais avec des éléments de leurs langues ancestrales. Les langues prises en compte sont le mandinka (la plus occidentale des langues mandé, à l’embouchure de la Gambie) et le manjaku, le papel, le mankanya et le balanta, c’est-à-dire le sous-groupe bak des langues ouest-atlantiques. Le raisonnement théorique est le suivant : « Given that a fortuitous formal similarity of really or apparently comparable elements from possibly very different languages is an attested and, after all, inevitable fact, one may expect spontaneous learners of a second language to grab at such elements and conflate them in their minds, by virtue of this principle [...] that you more easily learn what you think you already know » (Kihm 1988 : 113). C’est le phénomène que nous avons déjà rencontré sous 1.2.5.2 et que nous allons retrouver maintes fois dans cette deuxième partie de notre ouvrage. Parmi les exemples d’Alain Kihm se trouvent les suivants : Le négateur ka ‚ne ... pas’ du cg. ne serait pas seulement le successeur du pg. (nun)ca mais encore celui d'un ka contenu dans différents marqueurs de négation du manjaku (et, éventuellement, d’autres éléments phonétiquement et sémantiquement proches d’autres langues de la région) (cf. Kihm 1988 : 114-116). Le pronom personnel sujet atone de la première personne du singulier nne continuerait pas seulement le pronom personnel tonique oblique de la même personne du pg. mi(m), mais aussi les pronoms n du balanta et (de ton haut) du mandinka, qui remplissent la même fonction que le pronom créole (cf. Kihm 1988 : 118). La marque de l’antériorité ba, remonterait non seulement à la désinence -va de la première et la troisième personne du singulier de l’imparfait des verbes portugais en -ar, mais aussi au verbe manjaku ba ‚finir, achever’ qui sert aussi d’auxiliaire exprimant l’antériorité. Ce qui invite à penser au portugais acabar ‚id.’ comme troisième source possible (cf. Kihm 1988 : 120-121). <?page no="130"?> 130 L’élément créole kuma [ku ma], en plus d'être le successeur du coma ‚comme’ de l’ancien portugais (pourtant accentué sur la première syllabe), continuerait aussi, matériellement, un verbe mandinka kuma ‚parler’ et il fonctionnerait sur le modèle du mandinka kó qui, à l’instar du créole kuma, cumule les fonctions d’un verbe ‚dire’ et d’une conjonction pour l’introduction d’une subordonnée après les expressions du dire et de la pensée (cf. Kihm 1989 : 123-125). 96 Se méfiant de la force probatoire de coïncidences fonctionnelles entre créole et langues africaines qui ne s’accompagnent pas d’une affinité phonétique, Alain Kihm n’a pourtant pas pu s’en sortir sans suggérer une influence de ces langues en l’absence de telles affinités dans quelques cas. Ainsi, il constate, que, à l’encontre du portugais, le créole dispose, tout comme les langues africaines en question, d’une série de pronoms sujet clitiques : « Already at this general level, we find a very plausible influence of the substratum or, at least, contact languages which are all organized like Kriol on this point » (Kihm 1988 : 117). Et au sujet de l’inexistence d’un pronom objet clitique de la 3 ème personne du pluriel : « This fact is significant by itself given that the same pattern - all object pronouns being clitic but the third person plural referring to persons [...] - can be observed in Manjaku (bukul), Papel (waka), and Mankanya (baka or bukal) » (Kihm 1988 : 119). 2.2.1.3 Rougé 1988 Dans la Préface de son Petit dictionnaire étymologique du Kriol de Guinée-Bissau et Casamance, Jean-Louis Rougé reconnaît aux langues africaines un rôle constitutif dans la formation de ces créoles portugais, « parce qu’étant les langues maternelles des premiers locuteurs du Kriol (ou de ce qui allait devenir le Kriol), elles sont au cœur de la réinterprétation du vocabulaire Portugais qui a donné naissance au lexique du Kriol » (Rougé 1988 : 6). Les informations dont disposaient ces apprenants du portugais « ont été interprétées et complétées par les africains qui se servaient pour cela de leurs propres langues » (Rougé 1988 : 7). Ainsi « Le système phonologique du Kriol se présente comme le compromis minimum pouvant exister entre le système du Portugais des XV ème et XVI ème siècles et celui des langues Ouest-atlantiques et Mandés » (Rougé 1988 : 11/ 12). « S’il est un domaine où l’africanisation du Kriol est incontestable, c’est bien celui de la grammaire » (Rougé 1988 : 14). De façon assez naturelle, la question de l’empreinte africaine a donc été posée d’abord pour les créoles de la côte, qui continuent à cohabiter avec les langues africaines, et, dans Kihm 1988, au sujet de signifiants d’origine du moins partiellement africaine. Et ce seront précisément les mots à signifiants d’origine africaine qui retiendront d’abord l’attention, lorsque la recherche concernant les racines africaines s’étendra aux créoles des îles. Le nombre de 96 Nous reviendrons sous 2.2.4.3.1 et 2.2.4.3.2 sur ces deux kuma en utilisant les informations qu’on trouve à ce sujet dans Kihm 1994. <?page no="131"?> 131 ces signifiants dans un créole a ainsi fini par être considéré comme un indicateur de son degré d’africanité et le nombre des signifiants attribuables à une certaine langue africaine comme un indicateur du rôle joué par cette langue dans la formation de ce créole. Cf. la contribution de Rougé de 1999, qui se limite au lexique d'origine africaine et les travaux de Quint 2000c (Première Partie) et Quint 2006 qui commencent par là. 2.2.1.4 Rougé 1994 Le rôle des langues africaines dans la créolisation ne constitue pas le centre d’intérêt de l’article À propos de la formation des créoles du Cap Vert et de Guinée que Jean-Louis Rougé a publié en 1994. L’auteur y revient sur la question, soulevée par d’autres, de l’origine géographique de ces créoles : exportation du créole des îles sur le continent, de celui du continent sur les îles, ou formation indépendante ? Il opte pour une version mitigée de la troisième alternative : formation parallèle, avec contact. Pour ce qui est de l’identification des langues africaines susceptibles d’avoir joué un rôle lors de la créolisation, l’auteur va plus loin qu’en 1988. Dans la Préface du Petit dictionnaire, il s’était limité à énumérer une bonne partie des langues mandé et ouest-atlantiques. Cette fois-ci, il attire l’attention sur l’importance à attribuer aux langues qui, à l’époque de la créolisation, servaient de langues véhiculaires sur la côte : le mandingue (un complexe de parlés mandé) et le temne (langue ouest-atlantique de la Sierra Leone) (cf. Rougé 1994 : 142; en 2004, il rajoutera le wolof pour le secteur nord de la côte, cf. Rougé 2004 : 16). À propos des signifiants d’origine africaine du créole capverdien, il constate qu’ils « sont généralement communs à tous les dialectes du continent et que, le plus souvent, ils viennent de trois groupes, le mandingue, le wolof, les langues mel, en particulier du temne » (Rougé 1994 : 145; affirmation reprise par Nicolas Quint dans Quint 2000c : 25 et 32). N’empêche que, lorsque Rougé passe à la comparaison des grammaires créoles, ce sont toujours des particularités des variétés continentales inexistantes aux îles, qu’il arrive à rattacher à des langues africaines concrètes, que ce soit l’existence de variantes factitives des verbes (déjà mentionnées dans la Conclusion de Kihm 1988), le traitement verbal de ce qui serait adjectif dans une langue européenne, l’expression du ‚progressif’ par un na qui sert aussi de préposition ‚dans’ et la séparabilité de la marque de l’antériorité ba du verbe. Ce qui mène Rougé à conclure, à propos du dernier trait mentionné : « Tout se passe donc comme si, là aussi, le guinéen était plus marqué par l’influence des langues africaines [que le cs.] » (Rougé 1994 : 147). Sur le plan de la grammaire, l’africanité du créole santiagais reste donc assez mystérieuse. 2.2.1.5 Rougé 1999 En 1999, Rougé estime que 80 % des signifiants d’origine africaine du cs. existent aussi dans les créoles de la Guinée-Bissau et de la Casamance, tandis que <?page no="132"?> 132 75 % des africanismes des créoles continentaux manquent au cs. Parmi 48 africanismes communs aux deux régions, il en compte 24 d’origine mandingue, 11 d’origine wolof et 3 d’origine temne (cf. Rougé 1999 : 56). Pour ce qui est des africanismes lexicaux spécifiques du créole santiagais, il estime que 60% sont d’origine mandingue, 25 % d’origine wolof et 10 % d’origine temne (cf. Rougé 1999 : 60). Les recherches postérieures feront augmenter les chiffres absolus, mais ne changeront plus grand chose au poids relatif des trois (groupes de) langues africaines. Le nombre de signifiants dans un certain créole attribuables à une langue africaine déterminée étant généralement considéré comme étant un indicateur du poids de cette langue dans la formation du créole en question, ces chiffres ont dirigé l’attention sur le mandingue en la détournant quelque peu du wolof. À la fin de son article Rougé constate pourtant qu’une part significative du vocabulaire africain commun aux créoles des îles et du continent apparaît aussi dans les descriptions de la côte africaine rédigées par des Portugais et Capverdiens de l’époque (Rougé 1999 : 63/ 64). Beaucoup de ces africanismes risquent donc d’être des mots qui voyageaient avec les commerçants européens et/ ou africains et étaient connus sur toute la côte et sur les îles. Ce ne sont pas forcément les locuteurs des langues sources qui les ont introduits dans les créoles. 2.2.1.6 Quint 2000 En 2000, Nicolas Quint consacre certaines observations de sa Grammaire de la langue cap-verdienne (Quint 2000b) et la première partie de son livre Le capverdien : origines et devenir d’une langue métisse (Quint 2000c) aux origines africaines du cs. Dans Quint 2000c, après avoir actualisé les chiffres concernant les signifiants d’origine africaine du cs., il passe à la phonologie, la morphosyntaxe et à la sémantique. Sur le plan phonique, il invoque le phonème / / du mandingue et du wolof à propos de l’existence (marginale) de ce phonème en cs. (Quint 2002c : 44). La marque verbale de l’antériorité -ba, à première vue d’origine portugaise (cf. plus haut 2.2.1.2), est en plus rapprochée de certaines marques de fonction similaire du diola et du manjaku (Quint 2000b : 233). Certaines affirmations ne peuvent pas être retenues : il n’existe pas de preuves qu’un préfixe de classe ma(n)-/ min d’origine mandingue ou le suffixe wolof -aat et/ ou -ati (grosso modo répétitif) aient jamais fonctionné, en tant que tels, en cs. (cf. Quint 2000c : 45/ 46). D’autres traits peuvent bien être d’origine africaine, mais ne pourraient être attribués à une langue africaine particulière que si celle-ci avait laissé d’autres traces moins ambiguës en cs. C’est de toute façon au wolof que renvoie le trait le plus probant entre tous ceux que fournit l’auteur : la paire verbale ten / tene, respectivement pour la possession essentielle et la possession passagère, imite si bien celle du wolof am / ame (sur le plan sémantique aussi bien que sur le plan morphologique), qu’il faut se rendre à l’évidence (cf. Quint 2000c : 55 et Lang 2005). Nous ne souscrirons donc <?page no="133"?> 133 pas globalement à cette affirmation de Nicolas Quint selon laquelle « la prédominance du mandingue, en particulier mandinka, parmi les langues-sources africaines est patente encore aujourd’hui » (Quint 2000c : 63). Elle l’est peut-être sur le plan des signifiants d’origine africaine. Cela n’implique pas qu’elle le soit aussi sur le plan des structures. 2.2.1.7 Rougé 2004 Les travaux de Jean-Louis Rougé sur le lexique des créoles culminent avec son Dictionnaire étymologique des créoles portugais d’Afrique de 2004, instrument de travail indispensable pour tous ceux qui travaillent sur ces langues. Dans son introduction à cet ouvrage, l’auteur reprend une bonne partie des idées que nous avons relevées dans ses contributions antérieures, notamment celle qu’une bonne partie des signifiants africains qu’on trouve dans ces créoles y sont entrés par l’intermédiaire du portugais (cf. Rougé 2004 : 13, 14 et 29) et que, vu la situation de contacts linguistiques sur la côte, il faut se garder de rattacher un africanisme créole à une seule langue africaine (cf. Rougé 2004 : 29). Nous aurons l’occasion de citer ces passages sous 2.2.4.2.4. 2.2.1.8 Le colloque d’Erlangen de 2004 Les actes d’un colloque en 2004, à Erlangen, (cf. Lang et al. 2006) donnent une idée de l’état de la recherche concernant les traces de langues africaines dans le cs., vers 2005. Cinq contributions de linguistes sont consacrées à ce sujet. Par rapport aux articles précédents de Jean-Louis Rougé, l’originalité de L’influence manding sur la formation des créoles du Cap-Vert et de Guinée-Bissau et Casamance consiste dans une inversion de la perspective. La prépondérance du vocabulaire mandingue dans les créoles portugais de la région et la présence de structures du mandinka dans ceux du continent semblant avérées, l’auteur se demande si globalement ces créoles correspondent au type linguistique du mandinka. Voici sa réponse : « ... l’influence manding au niveau grammatical est spécifique du créole de Guinée et de Casamance. Mais même pour ce créole, on constate qu’on arrive [...] à dégager entre ces langues des différences typologiques d’une telle importance qu’elles falsifieraient une hypothèse qui voudrait voir l’origine des créoles dans la ‚relexification radicale’ du mandinka » (Rougé 2006 : 71). L’influence mandinka est d’ailleurs « quasi inexistante au Cap-Vert » (Rougé 2006 : 73). La présence du vocabulaire mandingue dans les créoles de la région s’expliquerait essentiellement par la dominance politique des mandingues et la fonction véhiculaire de leur langue, à l’époque des premiers contacts commerciaux entre Portugais et Africains, c’est-à-dire dans la phase de ‚pré-créolisation’ où, selon le Père Marques Barros, ‚personne n’apprenait les langues, mais seulement le vocabulaire’ (cf. Rougé 2006 : 72/ 73). Comme, par définition, les créoles n’en sont plus à ce stade, le problème de la transformation d’un pidgin rudimentaire en créole reste intact. <?page no="134"?> 134 Dans son Bref aperçu des racines africaines de la langue capverdienne (cf. entretemps Quint 2008), Nicolas Quint reprend, corrige et élargit quelque peu la liste des africanismes du cs. admis dans ses ouvrages de 2000. Il donne maintenant une analyse monophonématique des consonnes pré-nasalisées de ce créole (Quint 2006 : 81/ 82) et il invoque le bambara tùn et le wolof -oon à propos de la marque -ba de l’antérieur du cs. Dans When substrates meet superstrate : the case of Cape Verdean Creole, Marlyse Baptista appelle ‚convergence’ ce qui était ‚conflation’ chez Alain Kihm. Pour elle, la marque créole de l’antérieur -ba pourrait en constituer un exemple si le -ba du manjaku, le ban du diola et le ka ban du mandinka y étaient pour quelque chose. Une argumentation similaire est proposée au sujet de la marque modale ál du cs. qui signale désir et probabilité : en plus du pg. há de (fazer) ‚il doit faire’, elle pourrait continuer l’invocation de Dieu yálla, du w., déjà grammaticalisée, dans l’état actuel de cette langue, sous forme de yal. Plus de la moitié de la contribution de Marlyse Baptista porte sur les réduplications en portugais, en bambara, en wolof et en créole capverdien (cf. déjà Baptista : 2003). L’auteur conclut : « reduplication strategies in Cape Verdean have been inherited from both the superstrate and the substrates » (Baptista 2006 : 111). Pour sa part, Angela Bartens trouve des antécédents africains à beaucoup d’idéophones du cs. sans identifier une langue source privilégiée (cf. déjà Bartens 2000). Finalement, Hildo Honório do Couto et Ulisdete Rodrigues de Souza s’opposent, dans As consoantes pré-nasalizadas no crioulo caboverdiano : por uma interpretaç-o bifonemática, à notre interprétation de la nasalité en cs. (cf. Lang 1999) et celle adoptée au même colloque par Nicolas Quint, en militant en faveur d’une analyse bi-phonématique de ses consonnes pré-nasalisées. Ils arrivent à la conclusion que « no nível fonético, a pré-nasalidade aponta para o substrato africano, mas sua representaç-o fonológica aponta para o superstrato » (Couto & Souza 2006 : 145; cf. notre réponse en Lang 2007). Les deux auteurs ne circonscrivent pas le substrat africain auquel ils pensent. L’essentiel de notre propre contribution au colloque d’Erlangen a déjà été repris, à la fin du chapitre précédent, sous 2.1.3. Convaincus, pour notre part, que ce fut un prédécesseur du wolof actuel - ou du moins un dialecte ouest-atlantique très proche de celui-ci - qui prédominait parmi les langues des créolisateurs à Santiago, nous consacrons le restant de cet ouvrage à sonder l’empreinte de cette langue dans le créole santiagais. 2.2.2 Domaine nominal Pour la bonne compréhension de ce chapitre où nous relevons certaines traces wolof dans la grammaire nominale du cs., il est essentiel de savoir que le wolof est une langue à classes : tout substantif wolof appartient, au singulier, à une des huit classes dont les marques sont, respectivement, k-, b-, j-, g-, l-, <?page no="135"?> 135 m-, s-, w-. Au pluriel, il appartient à une des deux classes ñ-, où se rangent la plupart des désignations pour êtres humains, et ypour tous les autres substantifs. La marque de classe, appelée classificateur, ne se joint pas au substantif, mais aux déterminants de celui-ci. C’est ainsi qu’on a, pour le substantif kër ‚maison’, qui appartient au singulier à la classe get au pluriel à la classe y-, kër gi/ kër ga ‚la maison’, kër gile/ kër gale (souvent contractés en kër gii/ kër gee) ‚cette maison’, kër yi/ kër ya ‚les maisons’, kër yile/ kër yale (souvent contractés en kër yii/ kër yee) ‚ces maisons’ (pour l’opposition -i/ -a voir plus bas 2.2.2.4), ag kër ‚une maison’, ay kër ‚des maisons’ etc. Pour un substantif qui appartient à une autre classe, on substituera tout simplement, dans tous ces déterminants, la consonne classificatrice gpar celle de sa classe (et, le cas échéant, au pluriel, ypar ñ-). 2.2.2.1 La détermination d’un nom par un autre Les syntagmes constitués par un nom (substantif ou numéral) déterminé par un autre (nom, pronom, numéral, verbe fonctionnant comme nom) sans que soit indiquée aucune relation spécifique entre les deux objets en question font l’objet d’un traitement à part dans la plupart des grammaires du w. (cf. Sauvageot 1965 : §§ 11-21 à 11-25, Ka 1981 : 78-85, Njie 1982 : 94-99, Samb 1983 : chap. V, 3., Dialo 1983 : chap. VI, II., B; Diouf 2001 : 144-146). Les descriptions nous apprennent que le déterminant y suit régulièrement le déterminé. Lorsque le nom déterminé est au singulier, le nom déterminant se joint à lui, soit par l’insertion d’un morphème de relation appelé ‚connectif’, ‚fonctionnel’ etc. dans les cas où le déterminé se termine par une consonne (ex. ceebu jën b- ‚le riz au poisson’), soit par simple juxtaposition, lorsque le déterminant est un nom propre ou lorsque le déterminé se termine par une voyelle (ex. ndaje jàmm m- ‚la rencontre de paix’). 97 Mais on trouve aussi dans ce dernier contexte (déterminé qui se termine par une voyelle) une variante -wu du morphème de relation (ex. jewu jën b- ‚le marché aux poissons’). À l’écrit, la plupart des auteurs (sauf Samb 1983) joignent le morphème de relation au premier nom, comme nous venons de le faire. Lorsque le nom déterminé se trouve au pluriel, c’est dans la plupart des variétés du w. le classificateur du pluriel qui sert de morphème de relation : sous forme de -i lorsque le déterminé se termine en consonne (yëfi jaambur y- ‚les choses d’autrui’), sous forme de -y lorsqu’il se termine en voyelle. 98 97 La plupart des auteurs mentionnent un troisième cas, isolé, de simple juxtaposition : boroom kër g- ‚le propriétaire/ le maître de la maison’. Le fait que boroom kër prenne le classificateur gde kër et non pas celui de boroom bnous semble pourtant indiquer que nous nous trouvons devant une autre construction. 98 Dans certaines régions (par exemple dans la Gambie, cf. Njie 1982 : 94), ce morphème semble être indifféremment -u ou -i dans les deux nombres. On trouve ainsi des exemples comme moom ak doomu baayam litt. ‚lui [ici = le père du héros] et les fils de son père’ ou ñu defaral ko mburaake ak mbuusi soow ‚on lui prépara du mouraké et une outre de lait caillé’ (Kesteloot/ Dieng 1989 : 110/ 111, et les traductions ibid. : 104). Dans la région sise l’opposition -u/ -i est facultativement supprimée au profit de -i (cf. Sauvageot 1965 : 190). <?page no="136"?> 136 De façon apparemment arbitraire, on trouve parfois au singulier l’indice de classe du terme déterminé après le morphème de relation ou - en son absence - directement accolé au premier nom : géttug xar g- ‚le troupeau de moutons’, paasub Bamako b- ‚le billet pour Bamako’, rëbbum gaynde m- ‚la chasse au lion’, ndoxum suukar m- ‚l’eau sucré’, ndajem jàmm m- ‚la rencontre de paix’. 99 Voici deux phrases qui illustrent cet emploi du classificateur : w. Mu di leen wëggal ba xareb Naar yi mándi. (Kesteloot/ Dieng 1989 : 111) Littéralement : ‚Il leur donne à boire, jusqu’à ce que l’armée des Maures soit désaltérée’. w. Billaahi jooyatuñu sunu ñàkkum doom ju gòor ! (Kesteloot/ Dieng 1989 : 127) ‚Pardieu, nous ne pleurons plus notre manque d’un fils.’ En présence de l’indice de classe, et seulement dans ce cas-là, le morphème de relation peut être -a au lieu de -u : béjjénab càmmooñ b- ‚la corne gauche’, géttag xar g- ‚le troupeau de moutons’, njariñal nag l- ‚l’utilité du bovidé’ (cf. Sauvageot 1965 : 190). Ce qui porte le nombre des voyelles atones pouvant fonctionner comme morphème de relation à trois : -u [u], -i [i] et -a [ ]. Ce qui a été dit jusqu’ici à propos de ces ‚syntagmes complétifs’ (Sauvageot) vaut aussi pour les syntagmes où le premier substantif fait partie d’une locution prépositive. En fait, le w. ne connaît presque pas de prépositions simples, sauf la ‚préposition universelle’ (le terme est de Viggo Brøndal) ci/ ca et quelques autres comme ak ‚avec’ et ba ‚jusque’. La plupart des expressions de cette langue qui permettent de situer un A par rapport à un B sont formées à partir de substantifs comme biir b- ‚le ventre, l’intérieur’, diggante b- ‚l’espace entre deux choses’, gannaaw g- ‚le dos, l’arrière’, kanam g- ‚le visage, le devant’, kaw/ kow g- ‚le dessus’, suuf g- ‚le dessous’, wet g- ‚le côté, le flanc’ etc. Dans les locutions prépositives formées à partir de ces substantifs, ceux-ci sont normalement précédés de la ‚préposition universelle’ ci/ ca : ca biir Ndakaaru ‚dans Dakar’, ca wetu ndeyam ‚près de sa mère’ etc. Ci/ ca peuvent pourtant être omis dans des conditions qui restent à éclaircir. En cs., la détermination d’un nom par un autre peut revêtir trois formes qu’on peut illustrer par l’exemple suivant : un sáku dinheru, un sáku-l dinheru, un sáku di dinheru ‚un sac d’argent’, un kása pédra, un kása-l pédra, un kása di pédra ‚une maison de pierre’, un munti kusa, un munti-l kusa, un munti di kusa ‚un tas de choses’, kusa bebe, kusa-l bebe, kusa di bebe ‚quelque chose à boire’ etc. Aucune variation de sens n’accompagne cette variation dans l’expression. Toujours sans différence de sens, on retrouve la même variation pour les substantifs précédés d’une des prépositions toniques du cs. (ánti(s) ‚avant’, dipos ‚après’, diánti ‚devant’, trás ‚derrière’, báxu ‚sous’, riba ‚sur’, dentu ‚dans’, fóra ‚hors’) dont l’antécédent portugais régit la préposition de : cf. dentu már, 99 D’après Stéphane Robert, il s’agit d’une « forme ancienne en perte de vitesse » (c.p.). <?page no="137"?> 137 dentu-l már, dentu di már ‚dans la mer’, fóra már, fóra-l már, fóra di már ‚hors de la mer’, diánti pórta, diánti-l pórta, diánti di pórta ‚devant la porte’. Ajoutons que la version avec -l n’est possible que si le premier élément finit par une voyelle atone et que le deuxième commence par une consonne. Nous avons rencontré quelques cas de cumul du type dinheru-l di nho. Un linguiste historien sans connaissances de wolof aura probablement tendance à arranger les trois versions concurrentes du cs. dans une série censée refléter la chronologie : sáku di dinheru > sáku-l dinheru > sáku dinheru (avec ‚effritement’ progressif de l’élément de relation). On aurrait affaire à une série de changements phonétiques : d’abord la chute du [i] atone de la préposition créole et la transformation simultanée de [d] en [l] devant consonne ( l , r , s étant les seules consonnes que le cs. admet en finale de syllabe), puis la chute du [l]. Nous ne nions pas qu’une telle évolution soit théoriquement possible. Mais retenons d’abord qu’une fois posée, cette évolution n’est pas encore pour autant expliquée. Nous incite à une certaine méfiance vis-à-vis de cette façon de présenter les choses, d’abord le fait qu’il faudrait supposer une évolution phonétique conditionnée non seulement phonétiquement (‚entre une voyelle finale atone et une consonne initiale’), mais encore grammaticalement (‚dans les syntagmes complétifs dans une préposition devant son régime’). En effet, on ne rencontre pas de -l au lieu d’un di dans des contextes comme les suivants où di se trouve pourtant aussi entre une voyelle finale atone et une consonne initiale : toka di noti ‚jouer de nuit’, tráta di si limárias ‚s’occuper de ses animaux’, N sta fártu di spreta-nhos ‚J’en ai marre de vous observer’ etc. Le seul cas qu’on pourrait alléguer pour appuyer la thèse du changement en question serait pg. (Jo-o) há de (fazer uma coisa) ‚(Jean) doit (faire quelque chose)’ > (Djon) ál (faze un kusa). Mais nous allons justement proposer une autre explication pour le -l de ce ál sous 2.2.3.6. Essayons donc plutôt de tirer profit des faits w. présentés plus haut. Chez les locuteurs w. la chronologie risque effectivement d’avoir été l’inverse : c’est la version sáku di dinheru qui devait leur poser le plus de problèmes. Ils ne l’auront apprise que peu à peu sous l’influence continue du pg.; Sáku dinheru devait leur paraître plus normal. Comme l’écrasante majorité des substantifs créoles créés à partir de substantifs portugais se terminaient par une des trois voyelles atones [-u], [-i], [- ], ils n’avaient par ailleurs aucune raison de surajouter un de leurs trois éléments de relation [-u], [-i], [- ]. Mais ils pouvaient être tentés de rajouter un classificateur après la voyelle finale du déterminé. Seul problème : pourquoi trouvons-nous invariablement un [-l], les substantifs de la classe létant probablement, à l’époque comme aujourd’hui, loin d’être les plus nombreux en w. ? C’est que, comme on le verra, le classificateur ln’est pas un classificateur comme les autres : <?page no="138"?> 138 En w., l’article défini postposé au substantif et constitué par la consonne classificatrice plus une des deux voyelles déictiques -i (pour ce qui est ‚proche’) ou -a [ ] (pour ce qui est ‚éloigné’) peut aussi faire fonction de pronom. Ainsi kër gi ‚la maison (proche)’ ou kër ga ‚la maison (éloignée)’ peuvent être repris par gi, respectivement ga. Or, lorsqu’on a affaire à un objet non-humain non identifié ou à un contenu propositionnel, on emploie li, la (et dans les interrogations lu, lan etc.) qui se traduisent alors par ce que ou par ceci, cela (ça) en français. Voici quelques exemples qui illustrent cet emploi : w. Seppil li wadd ci sow mi ! ‚Retire ce qui est tombé dans le lait ! ’ (Fal 1990 : s.v. seppi, v.) w. La mu jëléwoon, Gànnaar lépp, baayam yòbbu na ko, moom ak doomu baayam. ‚Tout ce qu’il avait ramené de Gannar, son père et ses fils l’ont emporté.’ (Kesteloot/ Dieng 1989 : 110) w. Déglu naa bu baax li mu doon wax. ‚J’ai écouté attentivement ce qu’il disait.’ (Fal 1990 : s.v. déglu) Ces emplois ont amené les auteurs à parler d’un lsigne d’un ‚genre abstrait’ (Fal et al. 1990 : 15) ou d’une consonne générique l-, ‚spécifique du non-humain’ (Faye 1999 : 15). Bref, ln’est pas seulement le classificateur de substantifs comme loxo l- ‚bras, main’, ndab l- ‚récipient’ etc.; c’est aussi le classificateur qui fonctionne à défaut de classe (connue). Celui qui convenait donc le mieux aux substantifs portugais. Sous 2.2.2.4, nous verrons un autre cas où cette particularité du classificateur lsemble avoir facilité le travail des créolisateurs. Pour ce qui concerne les prépositions toniques du cs. et la possibilité d’y joindre un -l devant un régime commençant par une consonne, on peut supposer que, dans un premier moment, les créolisateurs wolof les aient prises pour des substantifs, par analogie avec les substantifs qui, dans leur propre langue, faisaient fonction de prépositions (nous rencontrerons sous 2.2.2.3 un autre fait créole qui pointe dans la même direction). D’où la tentation de remplacer le de du pg. dentro de etc. par -l (cs. dentu-l már). Face à ce panorama, la question de la chronologie des trois versions sáku di dinheru, sáku-l dinheru et sáku dinheru perd beaucoup de son intérêt. Nous nous trouvons en face de trois solutions dont la première reste proche du portugais, tandis que les deux autres se rapprochent du w. À la rigueur, les trois ont pu coexister dès l’origine. Le système de classes du wolof ne subsiste pas en cs. Parmi les raisons qui expliquent ce fait, figurera justement la difficulté d’y ranger les substantifs portugais, difficulté qui se manifeste ici dans la victoire du -l ‚neutre’ sur les autres classificateurs. Le -l dans les ‚syntagmes complétifs’ du cs. a donc fini par être réinterprété comme simple variante de la préposition di. Mais nous <?page no="139"?> 139 croyons avoir saisi une première trace de ce système de classes qui nous aidera à résoudre d’autres problèmes (cf. 2.2.2.4). Et nous avons vu un premier exemple qui nous montre comment les créolisateurs essaient de rester fidèles à leurs habitudes linguistiques. 2.2.2.2 Pronoms personnels Le w. possède une triple série de pronoms personnels : toniques, atones pour la fonction sujet et atones pour la fonction complément (cf. Fal et al. 1990 : 22) : toniques atones personnes sujet complément 1. man ma ma 2. yow nga la 3. moom mu ko 4. nun nu nu 5. yéen ngeen leen 6. ñoom ñu leen Tableau 4 : Les pronoms personnels du wolof Certains dialectes - notamment celui de la Gambie et celui de Dakar - ont renoncé, en étendant le ñ de la troisième personne du pluriel à la première personne du pluriel, à la distinction entre ces deux personnes pour les pronoms personnels (cf. Nje 1982: 101/ 102 et Fal et al. 1990: 22). Le cs. dispose de trois séries analogues, ce qui le rapproche du w. (et, par exemple, du fr.) et l’éloigne du pg. européen qui n’a qu’une série de pronoms - en principe toniques - pour la fonction sujet et réserve les distinctions morphologiques entre pronoms toniques et atones pour la fonction complément : <?page no="140"?> 140 toniques atones personnes sujet complément 1. (a)mi N -m 2. (a)bo bu -bu 3. (a)el e(l) -l 4. (a)nos nu nu 5. (a)nhos nhos 6. (a)es es -s Tableau 5 : Les pronoms personnels du créole santiagais Pour le moment, on ne dispose pas encore d’une explication historique vraiment convaincante du aatone qui peut être joint à tous les pronoms toniques (et aux adverbes déictiques li ‚ici’ et la ‚là’) lorsqu'ils fonctionnent comme thème de l’énoncé. Les formes atones de la première personne du pluriel en caractères gras sont identiques aux formes correspondantes du w. Elles ressemblent aussi à celle du pronom complément pg. de la même personne (nos, prononcé [nus] à l’époque de la créolisation). Mais l’absence du [-s] final s’explique à partir du wolof et non à partir du portugais. Faire intervenir ici le w. nous semble d’autant plus justifié qu’on observe une identité analogue entre le pronom personnel atone de la première personne du cs. et sa contrepartie n (de ton haut, généralement marqué par un accent aigu) dans les langues mandingues. Derrière les graphies N, -m en cs. et n surmonté d’un accent aigu, par exemple en bambara, se cache, dans toutes ces langues, un élément nasal dont la prononciation varie avec le contexte, en s’assimilant aux sons voisins. Un troisième pronom personnel devra vraisemblablement être ajouté à la série des emprunts aux langues africaines. Le dictionnaire de Diouf 2003 contient un article lees, « syntagme pronominal », où lees est analysé de la façon suivante : « < li + -ees. Ce qu’on... Lees waxul ce qu’on n’a pas dit. Syn. li ñu. ». -ees se traduit donc couramment par le fr. on : w. Mëneesu ko. ‚On ne le peut pas.’ (Faye 1999 : 21) w. Ca saa sa lees ko jàppe, yóbbu fu kenn xamul ba tey jii. ‚C’est ainsi qu’il fut pris et personne ne sut jamais où il fut déporté.’ (Cissé 1994 : 48) Littéralement : On l’a/ Ils l’ont attrapé à l’instant, … Cet élément -ees qui apparaît dans les exemples qui précèdent ne s’utilise plus aujourd’hui à Dakar, selon notre informatrice. Les locuteurs qui ne disposent <?page no="141"?> 141 plus de cet -ees le remplace par le pronom personnel atone de la 3e personne du pluriel qui sert en w. à l’expression de l’impersonnel. En supposant que ees soit lui aussi un ancien pronom personnel atone de la 3e personne du pluriel, dont l’usage s’est restreint, dans les variétés qui l’on gardé, à l’expression de l’impersonnel, on peut le retrouver en cs. sous forme du pronom personnel tonique et atone sujet es. En 1888 Brito l’écrit d’ailleurs ss, signalant par un diacritique qu’il utilise à peine pour d’autres mots une longueur vocalique aujourd’hui disparue (cf. Brito 1967 : 343 et 359). Bref le pronom actuel es du cs. pourrait avoir une double étymologie, continuant à la fois le pg. eles et le w. ees, le pg. expliquant le caractère fermé de la voyelle, le w. la chute du l (qu’on retrouve pourtant - mais peut-être par analogie avec es - dans pg. ele > cs. e(l), pronom personnel atone de la 3 e personne du sg., et pg. aqueles > cs. kes, pl. de kel) et les deux la longueur vocalique attestée par Brito. On voit qu’on n’est pas en droit de faire remonter ce système pronominal soit au pg., soit au système w. Il remonte aux deux à la fois et même à plus de deux systèmes. Se mettant à la place des locuteurs w., on pourrait dire qu’ils ont gardé leur système à trois séries avec grosso modo les fonctions qu’elles avaient déjà et qu’ils ont conservé un peu de leur matériel w. (nu, ees) remplaçant le reste par des matériaux pg. et mandingues. Mais on peut aussi se mettre à la place des locuteurs du portugais qui ont collaboré à la créolisation et proposer une description plus ou moins inverse. Gardant une bonne partie de leur matériel, ils ont appris à se servir d’un système avec une double série de pronoms personnels sujets. Ayant identifié, avec une plus ou moins grande assurance selon les cas, les ingrédients africains dans le système des pronoms personnels du cs., nous pourrions nous arrêter ici. Ajoutons toutefois qu’on reconstruit aisément, à partir du deuxième tableau, un stade plus ancien du système pronominal du cs. avec *bos < pg. vós, à l’époque prononcé [ v s], et *bus < pg. vos, à l’époque prononcé [vus], aux deuxièmes personnes du sg. et du pl. Ce système a été en partie remplacé par intégration d’anciens pronoms personnels de politesse. La forme nu, empruntée au w., a joué un certain rôle, dans cette restructuration. En s’adressant à des personnes de rang supérieur, on a dû se servir, à une époque plus ancienne, de formes abrégées de pg. senhor(es), senhora(s) : m. f. sg. nho [ o] nha [ ] pl. nhos [ os] nhas [ s] Par analogie avec nu atone, d’origine w., *bus a dû être changé en bu. Ce qui a donné *bos (tonique)/ bu (atone) aux deuxièmes personnes du sg. et du pl. À supposer qu’on ait voulu différencier les formes du sg. de celles du pl., un premier essai peut avoir consisté à ‚singulariser’ *bos en supprimant son -s. D’où les formes modernes du sg. bo / bu (analogues aux formes nho / nhu de <?page no="142"?> 142 politesse masculines). Mais l’homophonie entre les deuxièmes personnes subsistait du côté des formes atones (bu). La solution qui l’a emporté consisterait alors à abandonner, au pluriel, la distinction entre les formes du traitement poli et la forme du traitement familier, en y remplaçant la paire bos / bu par l’ancienne forme de politesse nhos rendue invariable et tour à tour tonique et atone suivant le modèle de el, de es et de la forme de politesse féminine du sg. nha. L’intégration de nhos dans le paradigme des pronoms personnels ordinaires n’est toujours pas parfaite : en fonction de complément, nhos n’attire pas l’accent tonique sur la dernière syllabe du verbe comme le font les pronoms compléments de vieille souche. 2.2.2.3 Possessifs D’après la plupart des auteurs (cf. Sauvageot 1965 : 7-34, Njie 1982 : 65/ 66, Dialo 1983 : 54, Fal et al. 1990 : 21, Diouf 2001 : 139/ 140, Ngom 2003 : 2.9), le système des adjectifs possessifs du w. moderne revêt la forme suivante (ex. : kër g- ‚maison’) : objets ‚possédés’ possesseurs (personnes) un plusieurs 1. sama kër samay kër 2. sa kër say kër 3. këram ay këram 4. sunu kër sunuy kër 5. seen kër seeni kër 6. seen kër seeni kër Tableau 6 : Les adjectifs possessifs du wolof (sama kër ‚ma maison’ etc.) Samb 1983 : chap. X et Faye 1999 signalent une différence de prononciation entre les 5e et 6e personnes qui nous a été confirmée par notre informatrice pour Dakar. Faye 1999 : 34 ajoute pourtant : « ..., séen (votre) et seen (leur) sont aussi indifféremment prononcés / seen/ malgré leur différence d’aperture, le premier étant plus fermé ». La troisième personne du singulier fait exception, ici comme ailleurs (cf. le tableau du système verbal du w. sous 2.2.3.1). Les dialectes - dont celui de la Gambie et celui de Dakar - qui ont renoncé à la distinction entre le pronom personnel de la première et de la troisième personne du pluriel (nu/ ñu) au profit de ñu (cf. 2.2.2.2), remplacent sunu(y) par suñu(y). D’autres variantes sont plus intéressantes dans notre contexte : à côté de sama, on trouve suma (vraisemblablement plus ancien; Gamble 1963 : 141 et Njie 1982 : 65 ne don- <?page no="143"?> 143 nent que cette forme, pour le w. de la Gambie) et saa (certainement plus récent, dans la région sise, cf. Sauvageot 1965 : 94). La présence de l’adjectif possessif n’exclut pas celle de l’article défini ou indéfini, ni celle des démonstratifs : w. Suma bopp bi dafa metti. ‚My head is painful.’ (Gamble 1963 : 145) La colonne de droite (plusieurs objets possédés) se double ainsi d’une solution où la pluralité des objets ‚possédés’ est indiquée par l’article défini postposé : sama kër yi, sa kër yi, këram yi etc. Voici d’abord quelques exemples : w. Kuy wut jabar dangaa neexal say goro. ‚Qui cherche la main d’une femme, doit s’efforcer de plaire à ses beaux-parents.’ (Fal et al. 1990 : s.v. goro b-) w. Waaw yéen, sama mag yi, ndax mën naa leen gungé ? ‚Mais vous, mes frères, est-ce que je puis vous accompagner ? ’ (Kesteloot/ Dieng 1989 : 26) w. Booba fekk na ñaari mag yi, ñu ngi doon waaja seeti seeni coro. Seen coro yi nag fa ñu dëkk dafa xaw sori dëkku ñoom. (Kesteloot/ Dieng 1989 : 26) ‚Il arriva que les deux frères se préparaient pour aller voir leurs fiancées. Leurs fiancées, là où elles habitaient, c’était un peu loin de leur village.’ Notre informatrice de Dakar ne perçoit aucune différence entre seeni coro et seen coro yi etc. Une différence entre l’emploi de l’adjectif possessif avec et sans l’article est pourtant relevée par Faye à l’occasion de l’exemple suivant au singulier : w. Sa fas jaar na fi léegi. ‚Ton cheval est passé par ici tout à l’heure.’ (Faye 1999 : 33) Cf. Faye 1999 : 34 « Il faut comprendre par là ‚un cheval qui t’appartient’. Car, s’il s’agissait vraiment d’un cheval précis, déterminé, on dirait : sa fas wi ou sa fas wa ». Il n’y a pas en w. de substantifs possessifs comme en français (cf. fr. le mien, la mienne etc.). En l’absence d’un substantif lexical, on trouve en wolof un remplaçant, formé par le classificateur (ici invariablement bau sg. et yau pl.) suivi de -os : sama bos ‚le mien’, bosam ‚le sien’, seen bos ‚le leur’, seen yos ‚les leurs’ (selon Ngom 2003 : seeni bos) et aussi Bosu Omar ‚celui d’Omar’ (cf. Diouf 2003 : s.v. bos pn. ; pour le -u cf. ici 2.2.2.1). Mise à part la troisième personne du singulier, et en supposant que l’indistinction entre les 5 e et 6 e personnes n’est pas originaire, on peut se faire une idée d’un stade plus ancien de ce système possessif : <?page no="144"?> 144 objets ‚possédés’ possesseurs (personnes) un plusieurs 1. suma kër sumay kër, suma kër yi 2. *sunga kër *sungay kër, *sunga ... 3. 4. sunu kër sunuy kër, sunu ... 5. *sungeen kër *sungeeni kër, *sungeen... 6. *suñu kër *suñuy kër, *suñu ... Tableau 7 : Les adjectifs possessifs supposés de l’ancien wolof (suma kër ‚ma maison’ etc.) Il n’est pas sûr que le système présenté dans ce tableau ait jamais existé tel quel, mais il semble avoir constitué un idéal pendant quelque temps. Comparé avec le système des adjectifs possessifs du pg., un tel système appelle les remarques suivantes : On joint, pour la formation des adjectifs possessifs, le pronom personnel sujet atone (cf. le tableau sous 2.2.2.2) à un marqueur de l’appartenance su-. On ne trouve pas, à la troisième personne, cette indistinction caractéristique des langues ibéroromanes entre le singulier et le pluriel des ‚possesseurs’ (cf. pg. a sua casa qui signifie aussi bien ‚sa maison’ que ‚leur maison’). Le système des adjectifs possessifs du cs. se résume comme suit : objets ‚possédés’ possesseurs (personne) un plusieurs 1. nha kása nha kásas 2. bu kása bu kásas 3. si ~ se kása si ~ se kásas 4. nos kása nos kásas 5. nhos kása nhos kásas 6. ses kása ses kásas Tableau 8 : Les adjectifs possessifs du créole santiagais (nha kása ‚ma maison’ etc.) Ces adjectifs possessifs sont en partie identiques aux pronoms personnels atones de la personne correspondante (cas de bu et nhos). Suivis d’une des pré- <?page no="145"?> 145 positions toniques diánti ‚devant’, trás ‚derrière’, riba ‚sur’, báxu ‚sous’ ils rendent le même service, en cs., que les pronoms personnels toniques précédés des prépositions correspondantes dans nos langues : nha diánti ‚devant moi’ etc. Le cs. ne possède pas de substantifs possessifs. ‚Le tien’ est rendu par di bo, c’est-à-dire par la préposition ‚de’ suivie du pronom personnel tonique. Curieusement, ce procédé pourtant si simple se complique du fait que, à certaines personnes, d’autres formes, que nous donnerons en caractères gras, apparaissent à la place du pronom personnel tonique. Le paradigme entier se présente alors sous la forme suivante : di meu ‚le mien’, di bo ‚le tien’, di sel ‚le sien’, di nos ‚le nôtre’, di nhos ‚le vôtre’, di ses ‚le leur’. Ces expressions peuvent aussi être emloyées après un substantif lexical : cs. Kása di meu ê más pikinóti ki di bo. (RS) ‚Ma maison est plus petite que la tienne.’ Lorsqu’on veut marquer la distinction du nombre pour les choses ‚possédées’, on rajoute le démonstratif kel sg./ kes pl., ce qui donne la série kel (kása) di meu ‚la mienne’, kes (kása) di meu ‚les miennes’ etc. On peut dire que, pour ce qui est de l’organisation, le système possessif du cs. se trouve à une distance à peu près égale entre le système w. et celui du pg. Dans le domaine des adjectifs possessifs, il n’y a rien en cs. qui corresponde à la marque d’appartenance sudu w. Par contre, si on n’y retrouve pas, comme dans le système reconstruit du w., tous les pronoms personnels (cf. le tableau sous 2.2.2.2), on en retrouve du moins une partie. Il n’est pas sûr que ce soit dû au w. : l’emploi des pronoms personnels pour marquer la relation possessive peut remonter au ‚foreigner talk’ des Portugais (type toi maison ou tu maison ‚ta maison’). Pour ce qui est du marquage du nombre, le cs. est plus proche du w. que du pg., à condition qu’on s’en tienne à la série suma kër yi. Dans les variétés basilectales du cs., la marque du nombre des objets ‚possédés’ se joint systématiquement au substantif et non à l’adjectif possessif. Mais c’est certainement l’emploi des adjectifs possessifs devant certaines prépositions, là où nos langues utilisent la préposition suivie d’un pronom personnel tonique, qui constitue la contribution la plus visible de la langue wolof, éventuellement secondée d’autres langues de l’Ouest africain, dans le domaine des possessifs du cs. Dans les langues romanes, on ne trouve ce procédé qu’à l’autre bout de la Romania, en roumain (cf. Cine nu e cu noi e contra noastr ‚Qui n’est pas avec nous est contre nous’, litt. : ‚... contre notre’). 100 100 L’Académie espagnole admet esp. alrededor suyo et l’on trouve quantité d’exemples du type delante mío sur internet. Soulignons pourtant que esp. mío, tuyo, suyo sont des pronoms possessifs toniques qui s’opposent aux pronoms atones mi, tu, su correspondants (l’équivalent de l’esp. delante mío en cs. serait donc plutôt diánti di meu) et que l’Académie espagnole justifie alrededor suyo précisément en disant que « alrededor está formado por la contracción al seguida del sustantivo rededor (‚contorno’) » (RAE, Diccionario panhispánico de dudas, 2005, http: / / buscon.rae.es/ dpdI/ ) (29.09.08). <?page no="146"?> 146 Si notre hypothèse quant à l’origine de cette construction en cs. est correcte, on serait en présence d’un cas qui illustre bien la naissance d’un tel procédé : c’est qu’en w. ce sont des substatifs servant de prépositions qui permettent cette construction (type : (dans) le ventre de Dakar ‚dans Dakar’, cf. 2.2.2.1). Rien d’étonnant à ce qu’on puisse antéposer un adjectif possessif à un tel substantif pour dire, par exemple, (dans) mon dos ‚derrière moi’. Or, les prépositions d’origine portugaise auxquelles le cs. applique ce procédé n’étaient pas des substantifs. Une évolution interne du type pg. diante de mim ‚devant moi’ > cs. (mi)nha diánti ‚id.’ s’explique mal, tandis qu’un calque du type cs. nha diánti sur le modèle du w. (ci) suma kanam ‚(à) mon visage’ s’explique assez bien pour des locuteurs qui ne savent pas encore que pg. diante n’est pas un substantif. Pour ce qui est des expressions possessives pronominales, il faut d’abord rappeler le fait qu’aucune des trois langues ne possède une série de substantifs possessifs du type (le) mien, (le) tien etc. Le pg. utilise les mêmes formes en tant qu’adjectifs et (plus fortement accentués) en tant que pronoms : cf. pg. o meu (amigo) etc. Le cs. n’a pas retenu ce système. Comment d’ailleurs le faire, étant donné que certains de ses adjectifs possessifs s’identifient aux pronoms personnels ? Mais le cs. n’a pas non plus imité la solution du w. Peut-être parce que l’élément pronominal w. bos, yos était opaque et donc difficile à substituer par un élément comparable d’origine portugaise. La solution adoptée a consisté à utiliser la préposition di suivie du pronom personnel tonique. Ce qui a dû donner, dans un premier temps, la série : *di mi ‚le mien’, di bo ‚le tien’, *di el ‚le sien’, di nos ‚le nôtre’, di nhos ‚le vôtre’, *di es ‚le leur’. Seulement plus tard, les formes marquées d’astérisque ont dû être remplacées par di meu, di sel, di ses par croisement avec les possessifs portugais meu, seu, seus. À noter que l’élimination des pronoms personnels a eu lieu aux mêmes personnes que pour les adjectifs possessifs. Somme toute, l’organisation du système possessif du cs. ne reflète nulle part exactement celle du système possessif du w. Mais nous croyons avoir trouvé un bel exemple pour illustrer comment de fausses analyses des discours des maîtres, inspirées par les langues premières des créolisateurs (analyse de certaines prépositions toniques du portugais comme substantifs en emploi prépositionnel), peuvent favoriser l’essor de structures créoles (nha diánti ‚devant moi’, adjectif possessif + préposition) qu’on ne trouve ni dans la langue des maîtres, ni dans les langues ancestrales des créolisateurs. 2.2.2.4 Démonstratifs et adverbes pronominaux Le wolof ne connaît pas d’article défini neutre en ce qui concerne la distance de la chose désignée par rapport au locuteur. Dès qu’on entre dans le domaine du défini, on distingue entre proximité et éloignement. L’indication de la distance se fait par une voyelle qu’on joint au classificateur postposé à son nom. Cette voyelle est [-i] pour la proximité et [- ] pour l’éloignement : <?page no="147"?> 147 w. kër gi kër ga ‚la maison (proche)’ ‚la maison (éloignée)’. Les suites ‚classificateur + voyelle déictique’ du type gi, ga peuvent aussi fonctionner comme substituts pronominaux du sytagme nominal. On retrouve les deux voyelles déictiques dans le système démonstratif proprement dit. Cf. w. kër gile kër gale souvent contractés, à l’heure actuelle, en w. kër gii kër gee qui sont assez bien rendus par ‚cette maison-ci’ ‚cette maison-là’ dans un français quelque peu archaïque. Et l’on retrouve ces voyelles déictiques une troisième fois dans le système des démonstratifs dits ‚de rappel’ avec, d’une part, kër googile ‚la maison dont il a été question juste avant’ (aujourd’hui souvent réduit à kër googii), et de l’autre, kër googale ‚la maison dont il a été question plus loin’ (aujourd’hui souvent réduit à kër googee). Les formes pleines devaient encore prédominer à l’époque de la créolisation du pg. à Santiago. Il suffit de prendre un substantif w. de la classe lpour s’apercevoir d’un parallélisme frappant entre le w. et le cs. : w. loxo li loxo la cs. brásu li brásu la ‚le bras (que voici’)’ ‚le bras (que voilà)’ w. loxo lile loxo lale cs. kel brásu li kel brásu la ‚ce bras-ci’ ‚ce bras-là’ Insistons pourtant sur une différence fondamentale entre les expressions wolof et celles du cs. écrites en dessous : nous avons vu qu’en w., li et la résultent de la juxtaposition du classificateur et d’un morphème déictique -i ou -a. Or, comme on l’a vu au début de ce chapitre, les substantifs de cette langue se distribuent sur huit classes au singulier (k-, b-, j-, g-, l-, m-, s-, w-) et deux classes au pluriel (ñ-, y-). La consonne initiale du complexe déterminatif change donc avec la classe. Ce qui nous donne pour un substantif de la classe gau <?page no="148"?> 148 sg. kër gi(le), kër ga(le) et au pl. kër yi(le), kër ya(le) et ainsi de suite pour les autres classes. Par contre, en cs. li ‚ici’ et la ‚là’ sont de simples adverbes déictiques qui se distinguent, sur le plan de l’expression, par une différence d’ouverture et de timbre des voyelles et qui peuvent être joints à n’importe quel substantif de cette langue dépourvue de classes : brásu li / brásu la, kása li / kása la etc. Cs. li et la correspondent d’ailleurs autant aux -ci, -là qu’aux ici, là (w. fi, fa) du français. Ils permettent aussi de renvoyer à ce qui est proche ou éloigné dans le temps ou dans le texte. Ce sont donc deux éléments importants de la grammaire du cs. Les substantifs appartenant à la classe létant loin d’être particulièrement nombreux, en w., ce n’est certainement pas grâce au seul w. que les adverbes déictiques du cs. commencent par l-. Examinons donc les adverbes déictiques du pg. et ce que les créolisateurs en ont fait : Adverbes déictiques du pg. : distance: proche moyenne éloigné personne: 1. 2. 3. [k] [-] [l] [i] aqui ai ali [a] cá lá Adverbes déictiques du cs. : proche [i] li [i] éloigné [ ] la [ ] Tableau 9 : Évolution des adverbes déictiques du portugais au créole santiagais Les formes d’en haut nous rappelle que les systèmes démonstratifs des langues ibéroromanes distinguent trois distances : pg. este livro (‚ce livre près de moi’), esse livro (‚ce livre près de toi’), aquele livro (‚ce livre près de lui’). Distinction qu’on retrouve dans les adverbes deictiques : cf. pg. aqui ‚ici, chez moi’, ai ‚là, chez toi’ et ali ‚là-bas, chez lui ou ailleurs’. En plus de ce paradigme tripartite, il en existe pour les adverbes un autre à deux unités. En pg. on a cá ‚ici’ pour la proximité et lá pour l'éloignement. À noter que partout dans le système démonstratif portugais, l’indication de la distance est assurée par le consonantisme. Dans le domaine adverbial on a [k] pour la proximité (dans aqui, cá), [l] pour l’éloignement (dans ali, lá) et zéro pour le degré intermédiaire (dans ai). Le contraste entre différentes voyelles finales est réservé à une autre distinction. <?page no="149"?> 149 Le système démonstratif du cs. ne distingue que deux distances. Du côté des adverbes on trouve li [ li] ‚ici’ et la ‚là’. Comme on l’a vu, le cs. se sert volontier de ces adverbes dans les syntagmes nominaux pour préciser la distance de l’objet en question (cf. kel brásu li ‚ce bras-ci’, kel li ‚ceci, celui ci’ vs. kel brásu la ‚ce bras-là’, kel la ‚cela, celui là’) - tout comme le faisait le français à une époque d’ores et déjà révolue. Pour ce qui est de l’initiale, les deux adverbes du cs. semblent bien continuer les deux adverbes portugais ali, lá. La suppression d’une voyelle initiale atone est chose normale lors du passage d’un mot portugais dans le cs. et l’on peut avoir ali, ala au lieu de li, la lorsque l’adverbe fait fonction de thème de l’énoncé. Voilà donc pourquoi les adverbes créoles commencent par l-. Mais il y a deux choses qui surprennent : 1. La voyelle du la créole est un [ ] fermé et non plus un [a] ouvert comme celui du pg. lá. Et ceci bien que le cs. tout comme le pg. connaissent, en syllabe tonique, une opposition entre [ ] fermé et [a] ouvert. 2. En pg. ali et lá servent tous deux pour ce qui est éloigné. Par contre, en cs. li désigne ce qui est proche et la ce qui est éloigné. La fonction de préciser le degré de distance qui, en pg., revenait à la consonne passe donc en cs. à la voyelle : [i] pour la proximité dans li et [ ] pour l’éloignement dans la. Nous ne voyons pas comment on expliquerait ce revirement, sans faire intervenir des locuteurs wolof. Dès qu’on s’y décide, tout s’éclaire. En effet, ceux-ci pouvaient difficilement échapper, dans un premier temps, à la tentation d’assimiler certains ali, là du pg. qui parvenaient à leurs oreilles - par exemple dans des expressions du type aquele homem, lá ‚cet homme, là’ - à leurs complexes li et la. Ce qui a dû les amener, en se laissant guider par l’opposition vocalique qui leur était familière, à interpréter les adverbes portugais comme indiquant différents degrés de distance et à remplacer le [a] ouvert du pg. lá par un [ ] dans leurs propres productions (certains auteurs appellent les démarches du dernier type ‚phonological conflation’, cf. Lefebvre/ Therrien 2007: 2.1.4). Que ce qu’ils prenaient pour un classificateur fût invariablement ldevait certes les surprendre. Mais il faut rappeler que précisément li et (plus rarement) la servent aussi, en w., de pronoms chaque fois qu’on se réfère à un objet qui n’a pas encore été désigné par un lexème ou à un contenu propositionnel et que lfaisait donc en quelque sorte fonction de classificateur à défaut de classe connue (cf. plus haut sous 2.2.2.1). Le [l] que les locuteurs wolof rencontraient dans les portugais ali, lá se trouvait donc déjà en wolof assez souvent associé aux voyelles déictiques [i] et [ ] et il convenait assez bien à des substantifs de classe inconnue. Le système de classes ne survivant pas en créole, li et la y ont été réinterprétés comme simples adverbes déictiques. Ce qui rapproche le cs. du pg. Le système déictique à deux degrés du cs. et son emploi des voyelles [i] et [ ] pour signaler la proximité et la distance, n’en restent pas moins un héritage africain. <?page no="150"?> 150 Notons, pour terminer, que le pg. aquele, pl. aqueles a, lui-aussi, pu être réinterprété, au cours de ce processus de la réinterprétation des adverbes portugais : si l’on interprétait des expressions portugaises comme aquele recipiente, lá sur le modèle d’expressions wolof comme ndab lale ‚ce récipient-là’, la fonction du pg. aquele devait correspondre à celle du w. -le. Or, la fonction de ce -le est celle d’un démonstratif pur, indifférent à la distance, comme celle du français ce. Et en effet : tandis que le pg. aquele(s) renvoie à ce qui se trouve loin des interlocuteurs (ce qui interdit de dire *aquele recipiente, aqui), son successeur en cs. kel, pl. kes, s’accommode de toutes les distances comme on l’a déjà vu avec les exemples kel básu li et kel brásu la. 101 2.2.2.5 Conclusions provisoires Voilà donc une série d’exemples qui montrent comment la quête des créolisateurs d’éléments qui, dans les discours de leurs maîtres, fonctionneraient comme des éléments de leur propre langue, a profondément marqué la construction du créole. Dans la plupart des cas abordés dans ce chapitre, une affinité matérielle a guidé cette recherche (affinité matérielle entre w. nu et pg. nos [nus], affinité matérielle entre les complexes w. li, la et les adverbes pg. ali, lá). Les malentendus que cette sourde recherche a produits ont été riches en conséquences, même lorsqu’ils ont été en partie corrigés par la suite. L’influence de la langue africaine ne se manifeste donc pas seulement là où le créole imite de très près le modèle africain, mais encore là où il s’éloigne de la langue de base d’une façon qui resterait inexplicable sans le recours à la langue africaine. Retenons un deuxième enseignement qu’on peut tirer de ce chapitre. Certaines créations des créolisateurs sont solidaires entre elles, complémentaires. Il ne serait pas très raisonnable de s’interroger sur la chronologie relative de pg. ali ‚là’ > cs. li ‚ici’ et pg. lá [ la] ‚là’ > cs. la [ l ] ‚là’. Nous ne sommes pas en présence de changements linguistiques échelonnés dans le temps et opérés dans une langue existante : nous avons affaire à un processus de création d’une langue neuve (le créole) à partir de discours mal compris dans une autre (le portugais) et à l’aide d’une troisième (le wolof). On a gagné, parce qu’on a réussi à aligner la paire pg. ali, lá, mal comprise, sur la paire w. li, la, familière. Adopter aussi bien pg. lá que pg. ali avec le signifié ‚là’ aurait été peu économique. À côté de cette solidarité ‚paradigmatique’, par exemple dans la création de la paire cs. li / la, il y a lieu de compter avec une solidarité ‚syntagmatique’ entre certaines créations créoles. C’est ainsi que nous avons suggéré qu’adopter le pg. lá [ la] sous forme de la [ l ] pouvait impliquer qu'on interprète le pg. aquele dans des expressions du type aquele recipiente, lá comme signifiant simplement ‚ce’ (indifférent par rapport à la distance) - sur le modèle 101 Le cs. dispose d’ailleurs d’un autre adjectif et pronom demonstratif es, invariable, qui ne sert que pour ce qui est proche du locuteur, et qui n’admet que li (es kása li, mais pas *es kása la). <?page no="151"?> 151 de w. ndab lale. Le principe est important, même si l’exemple n’était pas correct. 2.2.3 Domaine verbal 2.2.3.1 Introduction Dans la Présentation, nous avons annoncé sous 0.8 une démarche quelque peu différente, pour ce chapitre, de celle que nous avons observée jusqu’à présent et que nous reprendrons par la suite. Nous essayerons en effet de fournir ici une vision d’ensemble des systèmes verbaux du w. et du cs. pour permettre au lecteur, ne serait-ce qu’une seule fois, de se faire une idée du poids relatif des conservations, des modifications et des abandons de structures w. en cs. dans tout un domaine. Vu l’énorme complexité du système verbal du wolof, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre (cf. notamment Church 1981/ 1983 et Cissé 1987, que nous n’avons pas pu consulter, Sauvageot 1965 : chapitre VIII, Robert 1991 et Diouf 2001 : 82-87, 120-124 et 151-172), il va de soi que cette vision globale se fera au prix de beaucoup d’omissions dans le détail. Dans l’introduction à leur Dictionnaire wolof-français Arame Fal, Rosine Santos et Jean Léonce Doneux ont accompli un miracle en présentant l’ensemble du système verbal du wolof dans un seul tableau (cf. Fal et al. 1990 : 25, tableau 2). Nous reproduisons ce tableau à la page suivante en corrigeant plusieurs formes à l’aide d’autres ouvrages (notamment de Samb 1983) : <?page no="152"?> Dépendant terminatif subjectif objectif processif situatif désidér. impér. P E R F E C T I F ma bey (dugub) nga bey mu bey nu bey ngeen bey ñu bey bey naa bey nga bey na bey nanu bey ngeen bey nañu maa bey yaa bey moo bey noo bey yéena bey ñoo bey dugub laa bey ... nga bey ... la bey ... lanu bey ... ngeen bey ... lañu bey dama bey danga bey dafa bey danu bey dangeen bey dañu bey maa ngi bey yaa ngi bey mu ngi bey nu ngi bey yéena ngi bey ñu ngi bey naa bey nanga bey na bey nanu bey nangeen na u beyal beyleen Passé ma beyoon beyoon naa maa beyoon ... laa beyoon dama beyoon maa ngi beyoon I M P E R F E C T I F may bey ngay bey muy bey nuy bey ngeen bey ñuy bey dinaa bey dinga bey dina bey dinanu bey dingeen bey dinañu bey maay bey yaay bey mooy bey nooy bey yéenay bey ñooy bey ... laay bey ... ngay bey ... lay bey ... lanuy bey ... ngeen di bey ... lañuy bey damay bey dangay bey dafay bey danuy bey dangeen di bey dañuy bey maa ngiy bey ya ngiy bey mu ngiy bey nu ngiy bey yéena ngiy bey ñu ngiy bey naay bey nangay bey nay bey nanuy bey nangeen di bey nañuy bey dil bey dileen bey A F F I R M A T I F Passé ma doon bey doon naa bey maa doon bey ... laa doon bey dama doon bey maa ngiy doon bey ma beyul ma ban bey beyuma maa beyul ... laa beyul dama beyul P E R F . ma beyul woon beyuma woon maa beyul woon ... laa beyul woon dama beyul woon buma bey, bul..., bumu..., bumu..., buleen..., bunu ... ma dul bey ma di ban bey duma bey maa dul bey ... laa dul bey dama dul bey N E G A T I F I M P E R F . ma dul woon bey duma woon bey maa dul woon bey ... laa dul woon bey dama dul woon bey perfectif : action envisagée dans sa globalité : j lal garab gii « Prends ce médicament ! » Imperfectif: action envisagée dans son déroulement: dil j l garab gii « Prends ce médicament (régulièrement) ! » 3 <?page no="153"?> 153 Ce tableau dissimule quelque peu l’extrême richesse du système verbal du wolof en ne donnant, pour ‚le passé’ et ‚le négatif’, que les formes de la première personne du singulier et en omettant la variété ‚éloigné’ du ‚situatif’ (maa nga, yaa nga, etc.). Et il ne tient évidemment compte ni des multiples possibilités du w. de modifier le signifié des verbes par dérivation suffixale (cf. la liste en Fal et al. 1990 : 27-30), ni des périphrases verbales de cette langue (cf. plus bas 2.2.3.12). Ce qui frappe tout d’abord c’est le fait qu’en w., à quelques exceptions près, les marques des catégories verbales ne se joignent pas au lexème verbal. Elles se sont amalgamées aux pronoms personnels atones (la plupart des fois aux pronoms personnels sujets), ou alors on les joint entre elles. À part quelques exceptions, il n’y a donc plus de pronoms personnels atones ni de marques verbales à signifiant constant. Jointe au fait que, dans certaines sections du système, les amalgames de pronoms personnels et marques sont systématiquement maintenus après un sujet lexical au lieu de se réduire à la marque, cette particularité a amené les auteurs à parler un peu abusivement de ‚conjugaisons’ là où il s’agit en fait de différents sous-paradigmes à l’intérieur de la conjugaison d’un verbe. Chaque colonne du schéma constituerait ainsi une ‚conjugaison’. Une autre particularité qui surprend est le fait que le w. dispose de trois mises en relief grammaticalisées. C’est ainsi qu’on trouve, à côté de deux formes neutres pour ‚J’ai cultivé du mil’ (le ‚dépendant’ ma bey dugub et le ‚terminatif’ bey naa dugub du tableau de Fal et al.), un ‚subjectif’ pour la mise en relief du sujet, un ‚objectif’ pour la mise en relief d’un complément ou d’un circonstant et un ‚processif’ pour la mise en relief du verbe. Nous illustrons ces trois mises en relief par les exemples de la troisième personne du singulier de notre tableau (à l’‚assertif affirmatif perfectif’), pourvus de traductions approximatives : Moo bey dugub ‚C’est lui qui a cultivé du mil’, Dugub la bey ‚C’est du mil qu’il a cultivé’ et Dafa bey dugub ‚*C’est cultiver du mil qu’il a fait’. Les surprises ne s’arrêtent pas là, comme on verra. Il va de soi que les noms des ‚conjugaisons’ varient d’un grammairien à l’autre. Le tableau suivant permettra à ceux qui se sont habitués à une autre terminologie de s’y retrouver (nous y avons omis l’‚impératif’, tous les auteurs étant d’accord pour l’appeler de ce nom) : <?page no="154"?> 154 Sauvageot 1965/ 1981 aspect zéro aspect accompli emphatique état acquis présentatif obligatif Samb 1983 énonciatif subjectif objectif causatif démonstratif jussif Fal et al. 1990 dépendant terminatif subjectif objectif processif situatif désidératif Robert 1991 narratif parfait emphatique du sujet emphatique du complément emphatique du verbe présentatif obligatif Diouf 2001 mise en relief du verbe mise en relief du sujet mise en relief du complément explicatif présentatif Ngom 2003 NA form, no focus form A form, focus on subjects LA form, focus on objects DA form, focus on verbs NGI form, focus on the sentence Lang 2006 dépen -dant indépendant subjectif objectif processif situatif désidératif Tableau 11 : Les noms des ‚conjugaisons’ du wolof Un carré vide signifie que l’auteur en question ne parle pas du sous-paradigme en question ou qu’il ne lui réserve pas de nom spécial. De toutes ces terminologies, nous retiendrons celle de Fal et al. 1990 pour la brièveté et la concision des termes. À une exception près : le nom de ‚terminatif’ nous semble mal choisi (que penser, en effet, d’un ‚terminatif’ qui dispose de formes marquées pour l’imperfectivité ? ). Selon nous, ce terme perpétue une erreur de Sauvageot 1965 qui n’a pas été corrigée depuis. On attribue à ce sous-paradigme une valeur aspectuelle qui l’opposerait aux autres ‚conjugaisons’. Or, l’arrangement des sous-paradigmes dans le tableau de Fal et al., à notre avis correct, ainsi que l’usage des formes, montrent qu’il n’existe qu’une seule opposition d’aspect dans le système w., transversale à toutes les ‚conjugaisons’ et identifiée correctement comme étant une opposition du type ‚perfectif/ imperfectif’. Si les meilleurs connaisseurs du w. s’y sont trompés, c’est selon nous qu’ils n’ont pas fait état, en cette circonstance, de deux notions centrales du structuralisme européen : celui d’‚opposition inclusive’ et celui de ‚neutralisation’ (cf. par exemple Coseriu 1964 : 2.). En w., le ‚perfectif’ est le terme morphologiquement et sémantiquement non marqué d’une opposition inclusive : <?page no="155"?> 155 Ceci revient à dire, que le ‚perfectif’ de Fal et al. est en réalité neutre par rapport à la différence entre l’accompli et l’inaccompli, mais qu’on le choisit en général lorsqu’on a affaire à de l’accompli, étant donné que l’inaccompli dispose de formes spécifiques. Mais, le ‚perfectif’ s’accomode aussi de l’inaccompli là où l’imperfectivité est marquée ailleurs (par la situation, dans le contexte, dans l’énoncé ou même, de façon indirecte, dans la forme verbale). Ainsi la forme non marquée désigne systématiquement de l’inaccompli dans le ‚situatif’, le ‚désidératif’ et l’‚impératif’ (la marque de l’imperfectivité pouvant alors assumer une fonction plus spécifique, cf. plus bas 2.2.3.5, 2.2.3.6 et 2.2.3.7), et elle désigne de plus très souvent de l’inaccompli dans le ‚dépendant’ (justement parce que ses formes ‚dépendant’ d’autres énoncés, formes verbales, conjonctions etc. qui répondent éventuellement à la question concernant l’accomplissement de l’action verbale en question). Pour la raison inverse, la forme non marquée ne désigne presque jamais de l’inaccompli dans le soi-disant ‚aspect accompli’ ~ ‚terminatif’ ~ ‚parfait’. Il faudra encore compter avec la possibilité de l’apparition des formes non marquées dans des cas (s’il y en a) où la distinction entre ‚inaccompli’ et ‚accompli’ semble dépourvue d’intérêt. Bref, la forme non-marquée peut désigner de l’inaccompli dans les cas où il y a neutralisation de l’opposition ‚perfectif/ imperfectif’ par le contexte immédiat ou médiat. Cela explique d’ailleurs le déséquilibre numérique entre formes avec et sans la marque de l’imperfectivité dans les textes : seulement 15% des formes portent cette marque, selon un sondage effectué par E. Church et rapporté par Stéphane Robert 1991 : 259. Il nous faut donc un nouveau terme pour remplacer celui d’‚aspect accompli’ (Sauvageot), ‚terminatif’ (Fal et al.) ou ‚parfait’ (Robert). Nous avons choisi celui d’‚indépendant’. Pour nous, le ‚dépendant’ et l’indépendant’ s’opposent à tous les autres sous-paradigmes en ce qu’ils n’impliquent - au niveau du signifié en langue - ni valeur modale, ni focalisation. Ils forment eux-mêmes une opposition inclusive avec un ‚indépendant’ morphologiquement et sémantiquement marqué : imperfectif perfectif <?page no="156"?> 156 Il s’agirait, en dernière analyse, d’une dépendance/ indépendance textuelle et non pas syntaxique. Les verbes au ‚dépendant’, dépendent en effet souvent de propositions principales, mais on les trouve aussi souvent dans des propositions principales ou indépendantes - à condition que celles-ci ‚dépendent’, sur le plan du contenu textuel, d’autres énoncés qui les précèdent, par exemple dans une narration (d’où le terme de ‚narratif’ dans Robert 1991) : « Dans une suite de propositions, on peut passer à la forme neutre [le ‚dépendant’, J.L.] en restant dans le même cadre temporel et aspectuel » (Diouf / Yaguello 1991 : 120). Ici encore, ce sont les formes non marquées du ‚dépendant’ qui sont plus fréquentes que celles, marquées, de l’‚indépendant’, du moins le sont-elles dans les narrations. Dans une comparaison avec le cs., on a donc intérêt à s’en tenir aux formes du ‚dépendant’ plutôt qu’à ceux de l’‚indépendant’. Nous n’allons pas revenir sur l’‚indépendant’ du w. qui ne semble avoir laissé aucune trace en cs. En comparant le système verbal du cs. avec celui du w., on constate d’emblée un étonnant parallélisme sur deux points essentiels : 1. Dans les deux langues, il existe une opposition omniprésente entre formes marquées pour l’imperfectivité et formes dépourvues d’une telle marque. 2. Dans les deux langues, il existe une opposition entre formes marquées pour l’antériorité (le ‚passé’ de Fal et al.) et formes dépourvues d’une telle marque. Ce sont ces deux parallélismes qui retiendront d’abord notre attention. 2.2.3.2 L’opposition ‚-/ + imperfectif’ en w. et en cs. La marque w. de l’imperfectivité présente différentes variantes dont l’origine commune saute aux yeux (cf. Fal et al. 1990 : 23) : c’est un di qui se réduit à d-, en proclise devant, et à -y, en enclise derrière les éléments commençant ou se terminant par une voyelle. La marque de l’imperfectivité ta du cs. peut se réduire à t’ devant les verbes commençant par une voyelle. Cf., pour les formes pleines : w. Ma di wax. (Samb 1983 : 87) Cs. N ta papia. indépendant dépendant <?page no="157"?> 157 ‚Je parle.’ Dans certains contextes, certains auteurs reconnaissent à la marque w. le statut d’un verbe copule, étant donné qu’elle transforme alors un nominal en prédicat : w. Ma di kilifa. (Samb 1980 : 87) ‚Je suis chef.’ w. Kuy sa baay ? (Sauvageot 1965 : 102) ‚Qui est ton père ? ’ Un tel emploi de la marque de l’imperfectivité, admis dans le créole de la Guinée-Bissau, est exclu dans celui de Santiago. Les formes verbales avec et sans la marque de l’imperfectivité rendent sensiblement les mêmes effets de sens dans les deux langues. Selon les auteurs du Dictionnaire wolof-français de Fal et al., de 1990, la forme sans marque signifie aussi bien « Passé composé pour les verbes d’action : bey na dugub ‚il a cultivé du mil’ » que « Présent pour les verbes d’état : rafet na ‚il est beau’ » (Fal et al. 1990 : 25; il est cependant toujours risqué d’attribuer un signifié spécifique à une forme non marquée, comme nous venons de le voir). Selon les mêmes auteurs, la forme avec la marque signifie (pour les verbes d’action, ou plutôt ‚de procès’) aussi bien « Présent : action en cours, fait permanent : mu ngiy bey ‚il est en train de cultiver’ » que « Futur : dina bey ‚il cultivera’ » (ibid.). Une année plus tard, Stéphane Robert donne à peu près les mêmes valeurs aspecto-temporelles pour les formes de ces verbes avec la marque (« habituel », « procès en cours » et « probabilité (futur) », cf. Robert 1991 : 262-264, 268/ 269). On peut encore comparer avec Diouf/ Yaguello 1991 : 150 : « ... hors contexte, Damay dem [1 ère personne du sg. du verbe dem ‚aller’ avec la marque de l’imperfectivité, au ‚processif’] peut signifier a) Je suis en train de partir, b) Je vais partir, c) J’ai l’habitude de partir. » On retrouve les mêmes effets de sens en cs. Cf. pour les formes sans la marque de l’imperfectivité : El simia djé-djé ‚Il a cultivé du mil’, El ê bélu ‚Il est beau’ et pour les formes avec la marque El sa ta simia ‚Il est en train de cultiver’ et E ta simia ‚Il cultivera’. Pour les habitudes, on peut comparer : w. Dinga tux ? - Dinaa tux. ‚Tu fumes ? - Je fume.’, cs. Bu ta fuma ? - N ta fuma. Seule différence, jusqu’à présent : les contenus qui en cs. sont véhiculés par des adjectifs (exemple: cs. bélu ‚beau’) sont confiés en w. à des verbes d’état (exemple: w. rafet ‚être beau’) : w. Rafet na. cs. El ê bélu. ‚Il est beau.’ <?page no="158"?> 158 Comme on vient de le voir, ces verbes du w. n’ont pas besoin de la marque de l’imperfectivité pour produire l’effet de sens d’un présent. Ils se comportent comme les verbes d’état ordinaires du w. et du cs. : w. Xam na ni ... cs. El sabe ma ... ‚Il sait que ...’ Les effets de sens des formes avec la marque que distinguent les auteurs (‚habituel’, ‚en cours’, ‚permanent’, ‚futur’) peuvent être facilement réduits à une seule valeur en langue : celle de l’‚imperfectivité’. Cette valeur revient à tout ce qui n’est pas encore accompli au moment qui sert de repère à l’énoncé (le plus souvent, le moment de la parole), c’est-à-dire ce qui est alors déjà en cours aussi bien que ce qui n’a pas encore commencé. Le parallélisme entre les deux langues va plus loin. C’est ainsi que, par exemple, les verbes modaux qu’on pourrait ranger du côté des verbes d’état n’ont pas besoin de la marque. Cf. w. Mën nga ko seeti ‚Tu peux aller le voir’, cs. Bu pode bai bizita-l ‚id.’. Certains contextes nettement imperfectifs rendent par là même la marque de l’imperfectivité superflue. Ce sont sensiblement les mêmes dans les deux langues. Cf. w. Nanu daje ca mbedd mu mag ma ! ‚Retrouvons-nous dans la grand’rue ! ’, cs. Nu rauni na rua grándi ! ‚id.’. Pour ce qui est du futur, il est vrai que le w. en possède encore un autre, sans correspondance en cs. (cf. Sauvageot 1965 : 106 et Samb 1983 : 94/ 95). C’est en quelque sorte son futur proche. Il combine la marque de l’imperfectivité avec le suffixe verbale -(j)i qui, dans d’autres contextes, indique « que le sujet se déplace pour accomplir l’action » (Samb 1983 : 41) en s’éloignant du locuteur (cf. Fal et al. 1990 : 28). Cf. w. Maay waxi ‚C’est moi qui vais parler’ ou Dina ami alal ‚Il va être riche’. Ceci pourrait expliquer le fait que les formes avec la marque de l’imperfectivité mais sans le suffixe -i s’emploient de préférence, en w., pour exprimer un futur modalisé (cf. Robert 1991 : 268/ 269). Mais il est hors de doute que la marque de l’imperfectivité suffit à elle seule, dans les deux langues, pour parler de l’avenir : w. Ëllëg dinaa dem ja ba. (Sauvageot 1965 : 105) cs. Amanhan N ta bai merkádu. ‚Demain j’irai au marché.’ Autre coïncidence digne d’être relevée : dans les deux langues, une proposition principale peut être déterminée par une proposition subordonnée ‚infinitive’. On se sert de la marque de l’imperfectivité pour marquer le rapport de simultanéité entre les deux propositions : <?page no="159"?> 159 w. Far waa nga Tugal di jàng. cs. Noibu sta na Európa ta studa. ‚Le fiancé est en Europe en train d’ étudier.’ (l’exemple w. est de Fal et al. 1990 : s.v. far) 2.2.3.3 L’opposition ‚-/ + antérieur’ en w. et en cs. La marque de l’antériorité du w. dispose des variantes -oon (grosso modo après consonne) et (-)woon (grosso modo après voyelle et après le -u(l) du négatif). Ajoutons tout de suite qu’à côté de -oon, (-)woon il existe -aan, (-)waan (même distribution phonotactique pour les deux variantes). Ce -(w)aan, sans correspondance en cs., rajoute la valeur d’itérativité (cf. Fal et al. 1990 : 24), d’habitude ou d’indétermination (cf. Robert 1991 : 279/ 280) à celle de l’antériorité. La marque de l’antériorité du cs. est -ba. Comme pour la paire w. di - cs. ta, on constate que le -ba du cs. produit sensiblement les mêmes effets de sens que le w. -oon, (-)woon, à savoir : 1. celui d’un plus-que-parfait, lorsque la marque de l’antériorité se joint à un verbe désignant un procès et dépourvu de la marque de l’imperfectivité : w. Def nga Li ma la waxoon ? cs. (Dja) bu fase Kel ki N flába-bo ? ‚As-tu (déjà) fait ce que je t’avais dit ? ’ (l’exemple w. est de Fal et al. 1990 : s.v. def) w. Dafa demoon Ndar. (Sauvageot 1965 : 125) cs. E bába Saint-Louis. ‚Il était allé à Saint-Louis.’ 2. celui d’un simple passé, lorsque la marque de l’antériorité se combine - avec un verbe désignant un procès et pourvu de la marque de l’imperfectivité : w. Moo doon jiite fajar. (Sauvageot 1965 : 126) cs. Ael ki ta dirijiba orason di mardugáda. ‚C’était lui qui dirigeait la prière de l’aube.’ - ou avec un verbe d’état (qui sans la marque de l’antériorité se rapporterait au moment de l’énonciation) : <?page no="160"?> 160 w. Man, defewoon naa ni dee nga. cs. Ami, N kreba ma (dja) bu móre. ‚Moi, je croyais (que) tu étais (déjà) mort.’ (l’exemple w. est de Sauvageot 1965 : 125) Stéphane Robert a donc raison, lorsqu’elle écrit à propos du w. -(w)oon : « ..., le suffixe exprime toujours une antériorité relative » (Robert 1991 : 279). Étant donné qu’il en est de même du suffixe -ba en cs., nous ne dirions pas que w. -(w)oon et cs. -ba sont des marques du ‚passé (éloigné)’ (cf. Fal et al. 1990 pour le w. et Quint 2000 : 229-234 pour le cs.), car il s’agit non pas d’une catégorie du ‚temps absolu’ (passé, présent, futur), mais d’une catégorie du ‚temps relatif’ (antériorité, simultanéité, postériorité), donc de ce que Roman Jakobson avait appelé ‚taxis’ (cf. Jakobson 1974). Ajoutons qu’en w. on obtient encore l’effet d’un simple passé lorsqu’on utilise la marque de l’antériorité en combinaison avec le d(i) faisant fonction de copule : w. Du ma woon ‚Ce n’était pas moi’ (Sauvageot 1965 : 126 ; di + le u du négatif > du). En cs. cet énoncé se traduirait par Ka éra mi (éra étant l’antérieur irrégulier de la copule ê). Relevons, pour terminer, l’emploi dans les deux langues, de la marque de l’antériorité dans les constructions hypothétiques ‚irréelles’ : w. Su ma ko xamoon, doon na ko dimbalisi. cs. Si N sabeba-el, N ta djudába-el. ‚Si j’avais su cela, je serais allé à son aide.’ (l’exemple w. est de Sauvageot 1965 : 126) On peut résumer ce qui a été dit en présentant en parallèle les formes fonctionnellement équivalentes des deux langues, w. à gauche, cs. à droite. Pour le w. nous choisissons les formes du ‚dépendant’ qui sont, comme nous avons essayé de le montrer, les formes non marquées par rapport à celles de l’‚indépendant’. <?page no="161"?> 161 w. cs. ‚cultiver du mil’ ‚piler du maïs’ ma bey dugub nga bey dugub mu bey dugub nu bey dugub ngeen bey dugub ñu bey dugub N pila midju bu pila midju e pila midju nu pila midju nhos pila midju es pila midju Ant. ma beyoon dugub N pilába midju may bey dugub ngay bey dugub muy bey dugub nuy bey dugub ngeen di bey dugub ñuy bey dugub N ta pila midju bu ta pila midju e ta pila midju nu ta pila midju nhos ta pila midju es ta pila midju Imp. Ant. ma doon bey dugub N ta pilába midju (Imp. = Imperfectif, Ant. = Antérieur) Tableau 12 : L’expression de l’aspect et de la taxis en wolof et en créole santiagais 2.2.3.4 Conclusions provisoires On observe donc une conformité considérable entre le w. et le cs. dans le domaine des catégories verbales de l’aspect et de la ‚taxis’. Pour ce qui est de ces deux catégories, l’organisation du système verbal du cs. ressemble bien plus à celle du système w. qu’à celle du système pg. Prétendre le contraire serait pure folie. Or, les deux catégories en question se trouvent au centre même des systèmes wolof et santiagais. Aucune marque verbale n’est aussi fréquente, dans les discours en w. ou en cs., que celle de l’imperfectivité. Dans le conte 26 de la collection Na bóka noti (cf. Silva 1987), 37 formes verbales sur un total de 251 la portent. Ce sont à peu près les 15% relevés par Church pour le w. (cf. plus haut, sous 2.2.3.1). Dans le même conte, il y a 12 formes verbales avec la marque de l’antériorité. On pourrait objecter que l’existence et l’organisation de ces deux catégories en cs. et dans d’autres créoles correspondent à ce que prévoit le bioprogramme de Derek Bickerton (cf. par exemple Bickerton 1981 : 58/ 59). C’est correct. Rappelons pourtant que les créoles français de l’océan Indien ne présentent pas ces marques verbales qui produisent différents effets de sens selon le sémantisme du verbe et que ni le w. ni le cs. ne possèdent un mode qu’on puisse identifier au mode prévu par le bioprogramme de Bickerton. Pour l’explication du système verbal du cs., on n’a pas besoin du bioprogramme bickertonien. <?page no="162"?> 162 Concernant l’origine des marques de l’imperfectivité et de l’antériorité du cs., notre hypothèse est la suivante : Des locuteurs africains parlant wolof ou une langue typologiquement proche du wolof actuel se sont vus impliqués, sur l’île Santiago, dans le processus de création d’un moyen pour permettre la communication verticale avec leurs maîtres et horizontale avec leurs compagnons de sort parlant d’autres langues africaines. Habitués à marquer, le cas échéant, dans leurs énoncés l’imperfectivité d’un procès et/ ou son antériorité par des marques spécifiques, ils étaient inconsciemment à la recherche de telles marques dans les discours de leurs maîtres. Et ils les cherchaient là où on les plaçait dans leur propre langue. Or, ces deux marques sont extrêmement mobiles en w. On les joint au verbe, à une autre marque, aux pronoms sujets (amalgamés ou non avec les particules qui caractérisent les ‚conjugaisons’) et même aux pronoms objets et adverbiaux, suivant des règles que nous serions incapables de détailler. Certaines généralisations sont tout de même possibles : sauf quelques rares exceptions, la marque de l’imperfectivité précède le verbe, même si elle ne le précède pas toujours directement ; la marque de l’antériorité se trouve toujours en position enclitique, l’enclise au verbe étant la plus fréquente. Ce sera donc devant le verbe (principal) portugais que les locuteurs wolof trouveront ce qui leur servira comme marque de l’imperfectivité, et immédiatement après le verbe, ce qui leur servira comme marque de l’antériorité. La haute fréquence d’une marque dans la langue de départ et une place analogue de ce qui peut être pris comme étant son analogue dans la langue cible, favorisent donc la survie de la catégorie en question dans le créole. Essayons de reconstruire dans le détail ce qui s’est passé, et commençons par la marque de l’imperfectivité. Les créolisateurs wolof ne disposaient pas, dans leur langue, de la catégorie verbale de la progressivité . Dans les discours de leurs maîtres, ils devaient pourtant rencontrer des énoncés du type Pedro (es)tá a comer ‚Pierre est en train de manger’ qui contenaient la périphrase progressive alguém está a fazer uma coisa du pg. 102 Ils auront pris le sens [progressif] de la périphrase portugaise avec (es)tá pour un effet contextuel de la catégorie imperfectivité de leur propre langue. 103 C’est ainsi que ['ta] a été promu, sous forme de [t ], au rang de marque de l’imperfectivité, dans le créole naissant. Pour expliquer le passage du [a] ouvert au [ ] fermé, on peut invoquer trois faits : 102 La variante estar a fazer uma coisa de la périphrase progressive, qui devait l’emporter au Portugal, devait déjà exister à l’époque, à côté de la variante estar fazendo uma coisa qui a prévalu au Brésil. La variante ['ta] au lieu de está [( )' ta] est aujourd’hui très courante dans le Sud du Portugal (cf. Vasconcellos 1901/ 1970 : 115). 103 Nous étendons l’usage des crochets et des traits verticaux, d’habitude réservés au plan de l’expression pour distinguer [sons, donc : substances phoniques] et phonèmes, donc : formes phoniques , au plan du contenu. Nous le faisons pour y distinguer [effets de sens, donc : substances sémantiques] et signifiés en langue, donc : formes sémantiques (cf. 1.2.5.3). <?page no="163"?> 163 1. Le w. aussi bien que le cs. possède une opposition a / , mais aucune des deux langues n’admet le a en syllabe atone ; or, lors du passage de la forme verbale pg. [es]tá à la particule cs. ta, une syllabe tonique était devenue atone. Les syllabes atones n’admettant pas de a , celui-ci a été remplacé par . 2. La forme de l’auxiliaire pg. était suivie, dans la périphrase qui est à l’origine de la particule créole, de la préposition portugaise atone a [ ]. 3. Le w. actuel utilise parfois un a [ ] atone à la place de sa marque de l’imperfectivité usuelle di, d-, -y (Diouf 2003 : s.v. a 3 ; malheureusement, cet auteur transcrit les a et indifféremment avec un [a]). Prenant pour exemple l’énoncé El ta kume ‚Il mange’ du cs., la genèse de la marque créole de l’imperfectivité peut être figurée de la façon suivante : pg. *(Ele) tá a ['ta ] (comer). C’est-à-dire: aux. + prép. cs. (El) ta [t ] (kume). particule w. *(Mu) di (lekk). particule (w. moderne : Muy lekk.) La matière phonique de la marque du cs. proviendrait ainsi d’‚en haut’ (du pg.), sa fonction grammaticale d’‚en bas’ (du w.). De façon analogue, ces locuteurs, qui ne possédaient pas dans leur langue la catégorie imparfait , ont assez souvent rencontré, dans les discours de leurs maîtres, des énoncés du type Pedro estava [-v ] doente ‚Pierre était malade’. Et ils ont pris le sens [passé] de ces formes verbales pour un effet contextuel de leur catégorie antériorité . La langue africaine des créolisateurs ne disposant pas de v , ce qui est aujourd’hui encore le cas du w., le son [v] du portugais a été pris pour une réalisation de leur phonème b et, par conséquent, substitué par [b], comme dans d’autres mots créoles du vieux fonds qui remontent à des mots portugais avec un [v] (pg. lavar devient cs. lába etc.). C’est ainsi que [-v ] a été promu, dans le créole naissant, au rang de marque de l’antériorité -b . De nouveau, la matière phonique ([v ]) et sémantique ([passé]) de la marque proviendrait du portugais, sa fonction grammaticale ( antériorité ) et sa forme phonique ( b ) du wolof. 2.2.3.5 Le ‚situatif’ du w. - la construction présentative et l’aspect progressif en cs. Le caractère africain, ouest-atlantique et probablement carrément w. des deux catégories centrales du système verbal du cs. semble donc avéré. À notre avis, on peut parler de relexification des marques w. di (d-, -y) et -(w)oon par t(a) et -ba en cs., dans le sens que donnent à ce terme Claire Lefebvre (par ex. en 1998 et 2001) et John Lumsden (par ex. en 1999). <?page no="164"?> 164 Mais le strict parallélisme entre les deux systèmes verbaux s’arrête là. Beaucoup de catégories verbales du w. moderne n’existent pas en cs., d’autres, présentes dans les deux langues, se ressemblent sur certains points, mais diffèrent sur d’autres. Un observateur peu scrupuleux dira que c’est ce qu’on trouve toujours en comparant n’importe quelle paire de langues. Mais est-il imaginable que l’empreinte africaine, si évidente dans certaines sections du système santiagais, soit complètement absente dans les autres ? Un élargissement de la comparaison à d’autres sections des systèmes verbaux du w. et du cs. permettra de répondre à cette question. Commençons par une comparaison du ‚situatif’ w. avec l’aspect progressif du cs. La marque du ‚situatif’ w. (rappelons que Sauvageot 1965, Robert 1991 et Diouf 2001 l’appellent ‚présentatif’) est constituée par un élément présentatif ngsuivi d’un élément déictique, généralement la voyelle [i] pour la proximité ou la voyelle [ ] pour l’éloignement (mais on trouve aussi -ii, -oogo). Ce qui donne, à la 3 e personne du singulier : w. Mu ngi bey dugub. ‚Voici qu’il cultive du mil.’ Mu nga bey dugub. ‚Voilà qu’il cultive du mil.’ À la première et à la deuxième personne du singulier ainsi qu’à la deuxième du pluriel on trouve un -a amalgamé avec le pronom personnel (au Kajoor, on le trouve aussi à la première et à la troisième personne du pl., cf. Robert 1991 : 168). Ce qui nous donne : sg. 1. Maa ngi..., 2. Yaa ngi..., 3. Mu ngi..., pl. 1. Nu ngi..., 2. Yéena ngi..., 3. Ñu ngi...). Ce -a rappelle celui qu’on trouve dans le ‚subjectif’ à toutes les personnes (cf. plus bas 2.2.3.8). On le trouve encore à la troisième personne du ‚situatif’ après un sujet lexical, où il alterne avec le pronom personnel mu (on a donc soit ‚sujet lexical + mu + ngi...’, soit ‚sujet lexical + a + ngi...’, cf. Robert 1991 : 166, 168 avec l’exemple Xaj bi mu ngi lekk yàpp ‚Le chien est en train de manger de la viande’ et Diouf/ Yaguello 1991 : 87 avec l’exemple Pierre a ngi far ak Omar ‚Pierre prend parti pour Omar’). On traduit normalement ‚Le voici qui cultive du mil’, ‚Le voilà qui cultive du mil’ etc., ce qui donne à entendre qu’il s’agit d’une localisation du sujet de la phrase (et tout au plus de façon indirecte du procès) par rapport à l’énonciateur. Toutefois, de telles traductions faussent assez souvent le sens. Il pourrait s’agir plutôt d’une localisation de tout le procès (voir l’incohérence quant à l’intégration de la particule focalisatrice du sujet). Cf. Robert 1991 : 191 : « ... ; on peut donc dire que S 0 [le sujet énonciateur] fonctionne comme sujet localisateur du procès ». Pour une énumération des effets de sens du ‚situatif’ w., nous renvoyons le lecteur à Robert 1991 : 173-185. Les emplois ‚indications scéniques’ et ‚reportage’ relevés par Stéphane Robert nous semblent particulièrement révélateurs de la spécificité sémantique du sous-paradigme ‚situatif’ du w. <?page no="165"?> 165 Il n’est pas aisé d’énoncer les règles qui président au choix entre ngi et nga. Il semblerait que le locuteur puisse choisir nga (qui est de toute façon bien moins fréquent que ngi), lorsqu’il témoigne de ce qui se passe en dehors du champ de vision immédiat ou actuel de son interlocuteur, c’est-à-dire dans l’au-delà spatial ou dans un passé récent (cf. Robert 1991 : 195-197 et l’exemple Mu ngay dem ca wàll wale ‚Il va de l’autre côté là-bas’ dans Diouf/ Yaguello 1991 : 63 où la valeur ‚éloigné’ de ca et de wale fait écho à celle véhiculée par nga). Dans les contes ngi semble nous rapprocher de l’action dans l’espace, un peu comme le ferait, dans nos langues, un présent historique dans le temps. En principe, on ne peut pointer que sur ce qui est encore là. Sémantiquement, le ‚situatif’ est donc intrinsèquement imperfectif. 104 Comme on le voit par les exemples, cette imperfectivité inhérente n’a pas besoin d’être marquée de façon explicite par la marque de l’imperfectivité (cf. ce qui a été dit sous 2.2.3.1 au sujet des ‚oppositions inclusives’). N’empêche qu’on trouve assez souvent la marque de l’imperfectivité jointe à l’élément ngi ou nga du ‚situatif’ (les formes résultantes sont ngiy, très fréquente, et ngay, plutôt rare). Comme dans les cas du ‚désidératif’ et de l’impératif (voir plus bas 2.2.3.6 et 2.2.3.7), cette marque sert alors à exprimer un sous-type de l’imperfectivité. Fallou Ngom 2003 : 76 nous dit lequel : « When the NGI form is in the perfective aspect, the sentence is interpreted as present tense in English. When it is used in the imperfective aspect, the sentence is interpreted as present progressive ». C’est ce que Stéphane Robert avait déjà soutenu en 1991, sans recourir à une comparaison avec les formes d’une autre langue. D’après elle, les formes du ‚situatif’ avec la marque de l’imperfectivité signalent que « en T o [= le moment de l’énonciation] le procès a commencé, continue et n’est pas encore achevé » (Robert 1991 : 189). Il s’ensuit, entre autre, que « ... dès que le verbe comporte un objet pluriel qui implique à la fois une durée et une progression, il aura tendance à se présenter à l’inaccompli. » (ibid. 190). Et c’est ce que confirment les exemples avec la marque de l’imperfectivité qu’on trouve dans les textes : w. Mu ngi y bey dugub. ‚Le voici en train de cultiver du mil.’ (Fal et al. 1990 : 25) Stéphane Robert précise que la forme sans la marque à valeur de présent « est loin d’être incompatible avec des procès qui supposent une certaine durée » (ibid.). Cela n’a rien de choquant. Il faut se souvenir, que les formes morphologiquement non marquées le sont presque toujours aussi sur le plan sémantique. C’est à dire : plutôt que de signifier le contraire des formes marquées, elles restent en principe indifférentes par rapport à la précision qu’apporterait 104 Il faut des circonstances exceptionnelles pour qu’un ‚situatif’ produise un effet de passé. Dans les exemples de Robert 1991 : 187-189, il s’agit d'états présents qui résultent de processus qui ont eu lieu dans un passé récent. <?page no="166"?> 166 la marque (cf. d’une part Robert 1991 : 191 : « En somme, la forme simple du Présentatif ne semble être vraiment ni accomplie, ni inaccomplie » et d’autre part ce qui a été dit sous 2.2.3.1 au sujet de ces ‚oppositions inclusives’). S’il n’y a pas de raison pour insister sur la progressivité ou si celle-ci ressort clairement du contexte, il n’est pas toujours nécessaire de la marquer. Voilà pour la présentation des faits w. Tournons-nous maintenant du côté du cs. Celui-ci possède bien une construction présentative : cs. Alê-l [ 'lel] ta pila midju. ‚Le voici qui pile du maïs.’ Alâ-l [ 'l l] ta pila midju. ‚Le voilà qui pile du maïs.’ On s’attendrait à trouver Ali-l ta ..., au lieu de Alê-l ta ..., étant donné que les deux adverbes déictiques du cs. sont (a)la ‚là’ et (a)li ‚ici’ (le a-, qu’on trouve aussi devant les pronoms personnels toniques, marque la fonction thématique). Nicolas Quint a probablement raison lorsqu’il voit dans cette construction des emplois verbaux de ala et ali. Alê-l s’expliquerait alors par l’introduction de l’adverbe de proximité verbalisé dans la classe des verbes dont le [-i] atone se transforme en [-e] tonique devant les désinences et les pronoms enclitiques (c.p.). Si l’opposition entre ‚proche’ et ‚éloigné’ rappelle bien le ‚situatif’ du w., les caractéristiques qui rapprochent la construction créole de la construction présentative du pg. Ei-lo a pilar milho ‚Le voici qui pile du maïs’ sont bien plus nombreuses : l’ordre des éléments (d’abord le présentateur puis, en enclise, le pronom) est le même qu’en pg., dans les constructions créole et portugaise, il s’agit bien d’une localisation du sujet de la phrase et non pas d’une localisation du procès, à l’encontre de ce qui se passe en w., dans la construction créole, le verbe est obligatoirement introduit par la marque de l’imperfectivité ta, apparemment par analogie avec la préposition a de la construction progressive du pg. (cf. pg. Ei-lo a pilar milho comme pg. Está a pilar milho), le ‚situatif’ est infiniment plus fréquent, dans les textes w., que ne le sont les constructions présentatives créole et portugaise dans les textes créoles et portugais. Tout ceci nous incline à penser que la construction présentative du cs. ne remonte pas à la créolisation. Elle semble avoir été formée plus tard en créole à l’imitation de la construction portugaise avec les moyens du bord. À cette occasion, les locuteurs auraient subsitué au pg. ei les créoles ali/ ala et - comme dans nombre de périphrases verbales que le cs. a empruntées au pg. (cf. plus bas 2.2.3.12.2) - le ta du créole aurait été substitué à la préposition pg. a. <?page no="167"?> 167 Le ‚situatif’ w. n’a donc pas survécu sous forme relexifiée en créole. J’essaierai de montrer qu’il a quand même marqué profondément le système verbal du cs. Curieusement, le système aspectuel du cs. est plus riche que celui du w. : seul le cs. connaît, à l’intérieur de l’aspect imperfectif, un aspect progressif. Le système aspectuel du cs. revêt ainsi la forme suivante : cs. ‚piler du maïs’ N pila midju bu pila midju e pila midju nu pila midju nhos pila midju es pila midju imperf. N ta pila midju bu ta pila midju e ta pila midju nu ta pila midju nhos ta pila midju es ta pila midju progressif imperf. N sa ta pila midju bu sa ta pila midju e sa ta pila midju nu sa ta pila midju nhos sa ta pila midju es sa ta pila midju Tableau 13 : Le système aspectuel du créole santiagais La marque de la progressivité du cs. est un sa (variante s’), invariablement suivi de la marque de l’imperfectivité ta. C’est que la progressivité présuppose l’imperfectivité. Les formes créoles commençant par sa ta, s’ta véhiculent ainsi le même sens que le ‚situatif’ du w. dans les cas où il s’accompagne de la marque de l’‚imperfectivité’ - abstraction faite, évidemment, de l’effet situant lui-même. C’est comme si, sur le plan fonctionnel, les locuteurs wolof avaient renoncé, au cours de la créolisation du portugais à Santiago, à leur ‚situatif’, mais non pas à la possibilité que leur offrait celui-ci d’exprimer la progressivité. Cette supposition resterait à l’état de pure hypothèse, si certains indices matériels ne venaient pas l’appuyer. Comme on l’a vu sous 2.2.3.4, c’est précisément estar qui sert à l’expression de la progressivité dans la périphrase portugaise estar a fazer - comme le font <?page no="168"?> 168 en w. les éléments complexes ngiy/ ngay (peut-être encore ngi di, nga di, à l’époque de la créolisation). Partis à la recherche, dans les discours portugais qu’ils entendaient, d’une chaîne phonique susceptible d’être l’équivalent de leurs marques complexes, les locuteurs wolof devaient donc presque inévitablement tomber sur la 3 e personne du singulier du verbe estar dans la périphrase Ele está a comer, forme qui devait aussi leur fournir la marque de l’imperfectivité (cf. 2.2.3.4). Mais pour leur progressif, ils ont retenu la variante la plus longue [ sta] (la prononciation [( ) ta] n’existait pas encore, à l’époque) - sans s’apercevoir que tá et stá étaient de simples variantes . 105 Ce choix de la variante la plus longue leur permettait d’en discerner deux parties, une première, s’, censée être, non plus la marque d’un ‚situatif’, mais le signe distinctif du progressif, et une deuxième, ta, identifiée à la marque de l’imperfectivité : pg. *(Ele) s tá a ['sta ] (comer). cs. (El) s ’ta [st ] (kume). w. *(Mu) ngi di (lekk). (w. moderne : Mu ngiy lekk.) De s’ta [st ] on serait passé à sa ta [s t ], plus conforme à la structure syllabique canonique du créole (cf. pg. escuro [( )s kuru] ‚sombre’ > cs. sukuru [su kuru] ‚id.’). 106 La matière phonique des marques proviendrait de nouveau d’‚en haut’ (du portugais), leur forme phonique (sa ta remplaçant s’ta) d’‚en bas’ (du wolof). De même, la substance sémantique [progressif] viendrait du pg., la forme sémantique progressif + imperfectif plutôt du w. Cette fois-ci nous n’avons pourtant plus affaire à une simple relexification : la forme sémantique (le ‚signifié’) de ngiy situatif + imperfectif n’est pas restée intacte. Elle est passée à progressif + imperfectif . Soulignons au passage que, pourvu que cette interprétation soit correcte, nous avons affaire, dans cette réinterprétation de la chaîne phonique pg. ['sta ] à partir du w. *ngi di ou ngiy, à une fausse ségmentation. De telles erreurs de segmentation, on le sait, se produisent fréquemment aux débuts de l’apprentissage non guidé d’une langue seconde. Un créole en conserve généralement un assez grand nombre. Toutefois, il s’agit rarement de segmentations arbitraires. La composition du w. ngiy, ngi di suggérait une segmentation 105 La variante sta ‚está’ au lieu de esta apparaît déjà à deux reprises dans un document portugais de 1280 reproduit dans Maia 1986 : 186/ 187 sous le no. 97. 106 Sans invoquer le wolof, Jean Louis Rougé avait formulé, dès 1988, le soupçon que tant le sa ta que le ta du cs. devaient remonter au pg. estar (cf. Rougé 1988 : 139). Avant d’entreprendre l’étude du w. et indépendemment de Jean-Louis Rougé, nous étions arrivés à la même conclusion (cf. Lang 2000a : 476/ 477 avec la note 3). <?page no="169"?> 169 et la concurrence des variantes portugaises stá et tá suggérait une coupure du type s’ta plutôt qu’une coupure du type *st’a. S’ta, sa ta ayant été promu au rang de marque complexe du progressif, on aurait étendu son emploi à l’optatif (cf. plus bas 2.2.3.6) pour créer des formes optatives à valeur progressive. Le contenu modal d’un ‚optatif’ implique évidemment l’imperfectivité sémantique. Celle-ci n’est pourtant marquée de façon explicite, en cs., que dans les formes optatives à valeur progressive. Il en est résulté le système verbal suivant : cs. pila ‚piler’ Indicatif Optatif N pila bu pila e pila nu pila nhos pila es pila N ál pila bu ál pila e ál pila nos ál pila nhos ál pila es ál pila Ant. N pilába N ál pilába N ta pila bu ta pila e ta pila nu ta pila nhos ta pila es ta pila Imp. Ant. N ta pilába N sa ta pila bu sa ta pila e sa ta pila nu sa ta pila nhos sa ta pila es sa ta pila N ál sa ta pila bu ál sa ta pila e ál sa ta pila nos ál sa ta pila nhos ál sa ta pila es ál sa ta pila Progr. Ant. N sa ta pilába N ál sa ta pilába Tableau 14 : Le système verbal du créole santiagais (sans le passif) Pour se faire une idée de la totalité des formes verbales que le cs. met à disposition de ses locuteurs, il suffit de rajouter à toutes ces formes les formes correspondantes du passif. <?page no="170"?> 170 2.2.3.6 Le ‚désidératif’ du w. et l’‚optatif’ du cs. Nous utilisons le terme de ‚désidératif’ pour le mode w. pour ne pas trop mélanger les terminologies. D’autres parlent d’‚obligatif’ (cf. Sauvageot 1965 : 111/ 112 et Robert 1991 : Chap. 8) ou de ‚jussif’ (cf. Samb 1983 : Chap. XX, B). La marque de ce ‚désidératif’ est la particule na : w. Nañu bey dugub ! ‚Qu’ils cultivent du mil ! ’ (Fal et al. 1990 : 25) w. Na barke wàcc ci yéen ! ‚Que la grâce divine descende sur vous ! ’ (Fal et al. 1990 : 24) w. Bul jaaxle, nanga def nii ma la wax. ‚Ne crains rien, […], fais seulement ce que j’ai dit.’ (Diaye/ Kesteloot 1996 : 40) w. Lii dé mbote la ! Na ñu ko gàddu yòbbu. ‚Voici un agneau, emportonsle ! ’ (Kesteloot/ Dieng 1989 : 26) D’après Diouf 2001 : 126 le ‚modalisateur’ na « sert à donner des instructions, des ordres atténués, à faire une invitation, une prière. Il peut la plupart du temps être glosé comme : -il faut queou par un futur d’invite ». Dans les traductions des deux premiers exemples, les auteurs du Dictionnaire wolof-français rendent la particule w. par un simple que en français. Ceci nous rappelle qu’en wolof na fait aussi fonction d’introducteur du discours indirect (‚que’) (cf. 2.2.4.3.3). Nous ne répondrons pas à l’épineuse question de savoir si ce mode w. exprime un souhait (comme le suggère le nom de ‚désidératif’) qui, formulé en présence de celui qui peut le satisfaire, sera interprété comme invitation à le faire, ou s’il exprime au contraire une invitation qui, laissée sans adresse, sera interprétée comme un souhait (cf. surtout Robert 1991 : 238-256). Ce qui est sûr - et important pour la suite -, c’est qu’en w. on peut parfaitement inviter son interlocuteur à faire qc. en utilisant le ‚désidératif’, comme on le voit par le troisième exemple cité plus haut (cf. encore Robert 1991 : 241 : Nanga añ ba suur ‚Mange à ta faim’). Ce qu’on exige, demande etc. est par définition inaccompli au moment de l’énonciation. Cette imperfectivité inhérente au ‚désidératif’ rend l’emploi de la marque de l’imperfectivité superflu. N’empêche que le paradigme des formes du ‚désidératif’ se double, lui aussi, d’une série de formes avec cette marque. Ces formes avec la marque de l’imperfectivité expriment alors une variété spécifique de l’imperfectivité (cf. pour un phénomène analogue dans le ‚situatif’ plus haut 2.2.3.5). Selon Diouf, elles ont « valeur fréquentative ». C’est-à-dire qu’en les employant, on exige de l’interlocuteur l’adoption d’une habitude : w. Nañu fay dem ! ‚Qu’ils y aillent (valeur fréquentative).’ (cf. Diouf 2001 : 60) <?page no="171"?> 171 Comme nous l’avons déjà vu plus haut, le cs. connaît, lui aussi, une marque verbale à valeur modale. C’est le ál qu’on trouve dans des phrases du type cs. Nhordés ál dá-nu txuba ! (Veiga 1982 : 120) ‚Que le Bon Dieu soit avec nous ! ’ cs. Na vergónha bu k’ál po-nu ! (Veiga 1987 : 133) ‚Ne nous fais pas honte ! ’ cs. E ál sta li morádu. (Silva 1987 : 125/ 2) ‚Il doit habiter ici.’ cs. E ál sa ta da mininu máma. (Veiga 1982 : 157) ‚Elle sera en train d’allaiter l’enfant.’ Comme en w., l’imperfectivité inhérente à ce mode rend l’emploi de la marque de l’imperfectivité superflu : la combinaison ‚ál sa ta + verbe’ est courante, la combinaison ‚ál ta + verbe’ est exclue. Ce mode créole (nous parlons d’‚optatif’ ; c’est l’‚éventuel’ de Manuel Veiga et le ‚potentiel’ de Nicolas Quint, cf. Veiga 1982 : 120, 2000 : 212/ 213 et Quint 2000 : 240) diffère du ‚désidératif’ w. en ce qu’il permet un double emploi : un emploi modal au sens propre du terme (cf. les deux premiers exemples ci-dessus) et un emploi épistémique exprimant la supposition (cf. les deux derniers exemples ci-dessus). Ces emplois secondaires, épistémiques, d’éléments à fonction modale sont chose très courante dans les langues du monde (en allemand tous les auxiliaires modaux admettent ce double emploi). Rien ne semble, à première vue, s’opposer à ce qu’on dérive la forme phonique du ál créole de há de, première partie de la périphrase portugaise haver de fazer, à la 3 e personne du singulier présent de l’indicatif (cf. Quint 2000 : 258 et Lang 2000a : 476/ 477). Le fait que la périphrase portugaise connaisse, elle aussi, un double emploi, modal et épistémique, vient renforcer cette explication (pour une bonne collection d’exemples illustrant l’emploi de la périphrase portugaise, cf. Gärtner 1998 : A.109-111 et A.198-205). Est-ce tout ? Comme Marlyse Baptista (cf. Baptista 2006 : 89), nous n’en sommes pas convaincus. Le mode créole exprime plus le souhait et la supposition que la ferme intention ou la conviction qu’on invoque pour la périphrase portugaise (cf. Gärtner 1998 : A.109 et A. 198-205). Dans ces circonstances, il est permis de rappeler qu’en wolof, en formulant un vœu, on commence assez souvent par invoquer Dieux : Yàlla. Il existe aussi une forme grammaticalisée de cette invocation : yal « variante de yàlla, formule pour introduire un souhait » (Fal et al. 1990 : s.v. yal). Cette invocation - grammaticalisée ou non - est régulièrement suivie du ‚désidératif’ : w. Yálla na dem ak jàmm, dikk ak jàmm ! ‚Puisse-t-il aller en paix et revenir en paix ! ’ (Fal et al. 1990 : s.v. Yàlla) w. Yálla na sa doom barkeel ! (Fal et al. 1990 : s.v. barkeel) ‚Que ton fils bénéficie d’une bénédiction ! ’ w. Yal na nga barkeel ! ‚Puisses-tu être béni ! ’ (Samb 1983 : 102) <?page no="172"?> 172 Certes, la place de la particule créole ál dans la phrase rappelle plutôt celle du há de portugais. Sa forme phonique (surtout son -l final) et sa fonction (expression d’un souhait plutôt que d’une ferme intention, d’une supposition plutôt que d’une conviction) nous semblent, par contre, révéler une influence du w. Yàlla, yal suivi du ‚désidératif’. 107 Quoi qu’il en soit, le recours à ces faits w. est pour le moment le seul moyen de jeter un peu plus de lumière sur cet énigmatique ‚optatif’ du cs. Selon notre hypothèse, ál aurait une double étymologie, wolof et portugaise, son signifié serait (sauf pour les emplois épistémiques) fondamentalement wolof et sa syntaxe portugaise. 2.2.3.7 L’impératif en w. et en cs. Le w. possède un impératif des deuxièmes personnes marqué, au sg., par -al, (ou -wal, -l, selon la structure phonique du verbe), et par -leen, au pluriel. Cela nous donne, pour le prédicat bey dugub ‚cultiver du mil’ : w. sg. Beyal dugub ! ‚Cultive du mil ! ’ pl. Beyleen dugub ! ‚Cultivez du mil ! ’ (Fal et al. 1990 : 25) L’impératif s’emploie sans ou avec la marque de l’imperfectivité. Dans le deuxième cas, la marque de l’impératif se joint à celle de l’imperfectivité : w. sg. Dil bey dugub ! pl. Dileen bey dugub ! (cf. Fal et al. 1990 : 25) L’action dont on exige la réalisation étant par définition encore non accomplie au moment de l’énonciation, la marque sert ici à exprimer une fois de plus une variété spécifique de l’imperfectivité. Il s’agit de la même que pour les formes du ‚désidératif’ pourvues de la marque de l’imperfectivité, à savoir l’habitude (Diouf parle là encore de « valeur fréquentative », cf. Diouf 2001 : 66 et ci-dessus 2.2.3.6). Exemple : w. Dil jël garab gii ! ‚Prends ce médicament (régulièrement)’ (Fal et al. 1990 : 25) Le cs., lui, ne dispose pas d’une morphologie verbale propre pour exprimer des ordres, des demandes etc. C’est la forme de base du verbe qui remplit cette fonction. Au singulier, on reconnaît la fonction impérative à l’absence du pronom personnel sujet, dans les phrases affirmatives, et à l’ordre des mots, 107 Rappelons à ce sujet qu’en bambara des souhaits adressés à Dieu semblent avoir donné lieu à la transformation d’une postposition signifiant ‚pour’ en particule injonctive : Ála mà í fíyenna ! ‚Que Dieu te rende aveugle ! ’ (cf. Dumestre 2003 : 28). <?page no="173"?> 173 dans les phrases négatives, la particule de négation précédant alors le pronom personnel sujet : cs. Plánta midju ! ‚Cultive du maïs ! ’ Ka bu plánta midju ! ‚Ne cultive pas de maïs ! ’ à comparer avec : cs. Bu plánta midju. ‚Tu as cultivé du maïs.’ Bu ka plánta midju. ‚Tu n’as pas cultivé de maïs.’ Au pluriel on dit : cs. Nhos plánta midju ! ‚Cultivez du maïs ! ’ Ka nhos plánta midju ! ‚Ne cultivez pas de maïs ! ’ à comparer avec : cs. Nhos plánta midju. ‚Vous avez cultivé du maïs ! ’ Nhos ka plánta midju. ‚Vous n’avez pas cultivé de maïs.’ Il faut maintenant revenir au w. et préciser que, dans cette langue, on omet la désinence de la 2 e personne du singulier de l’impératif devant les pronoms personnels objets atones, c’est-à-dire assez souvent (cf. Sauvageot 1965 : 8-29). Il n’y a plus alors de différence entre la construction w. et celle du cs. : w. Sang ma ! ‚Lave-moi ! ’ cs. Laba-m ! ‚id.’ La solution du cs. pourrait donc être considérée, dans une perspective historique, comme étant le résultat d’une généralisation de la solution w. au sg. devant un pronom personnel objet enclitique. D’autres concordances entre les deux langues, dans la formulation des demandes, méritent d’être mentionnées. Dans les deux langues, lorsque d’autres ordres suivent immédiatement un premier, le pronom personnel sujet fait son apparition à partir du deuxième (là encore la désinence -(a)l peut être omise en w.). Au lieu de dire Rentre, assieds-toi et bois ! on dira donc entre Wolof aussi bien qu’à Santiago : Rentre, tu t’assois, tu bois ! <?page no="174"?> 174 En remplaçant dans l’exemple w. Gaasal cox bi, nga jox ko ganaar yi ! ,Mouille le son et donne-le aux poules ! ’ (Fal et al. 1990 : s.v. gaas, v.) le complément direct lexical par un pronom personnel, on en arrive à un parallélisme parfait : w. Gaas ko, nga jox ko ganaar yi ! cs. Modja -l, bu da galinhas el ! La séquence ‚marque (atone) de la négation + pronom sujet’ qu’on trouve dans les interdictions en cs. (Ka bu plánta midju ! ‚Ne cultive pas du maïs ! ’) est complètement étrangère au portugais (*N-o você(s) ... ! ). Pour ce qui est du w., nous renvoyons le lecteur au tableau de Fal et al. reproduit sous 2.2.3.1. Il pourra y constater que le w. ne dispose que d’une seule série de formes négatives pour deux paradigmes injonctifs affirmatifs (‚désidératif’ et ‚impératif’). Or, dans cette série de formes négatives, la marque de la négation (bu-) précède le pronom sujet ! Lorsqu’on essaie de placer nos deux langues dans une perspective historique, on est donc amené à supposer la perte du mode impératif w. en cs. Autrement dit : en cs., l’impératif subsiste seulement comme ‚mode de la parole’, il ne dispose plus de formes propres. Toutefois, la syntaxe de cet ‚impératif de la parole’ du cs. rappelle toujours la syntaxe de l’impératif w. : pronom sujet devant un deuxième ‚impératif’ (type : *Viens, tu travailles ! ) et séquence ‚particule de négation + pronom sujet’ avec la négation (type : *Ne tu travailles ! ). 2.2.3.8 La focalisation en w. et en cs. « L’intégration de la focalisation dans la morphologie verbale est [...] fréquente dans les langues atlantiques (du moins dans la branche nord) [...] Ainsi, selon les langues, il semble que l’on ait une (palor), deux (peul), trois (wolof et sérère) ou quatre (mey ou konyagi) conjugaisons focalisantes ... » (Robert 2000 : 265). Le w. possède, en effet, un sous-paradigme verbal pour la focalisation (= marquage en tant que rhème) du sujet, un autre pour la focalisation d’un complément (direct, indirect ou circonstanciel) et un troisième pour la focalisation du verbe. Fal et al. 1990 : 25 parlent de ‚subjectif’, d’‚objectif’ et de ‚processif’,. Stéphane Robert et Denis Creissels d’‚emphatique du sujet’, d’‚emphatique du complément’ et d’‚emphatique du verbe’ (cf. 2.2.3.1). Les auteurs de grammaires du w. comptent ces constructions parmi les ‚conjugaisons’ de cette langue, parce que les particules focalisatrices qui caractérisent chacune de ces constructions sont en effet amalgamées avec des indi- <?page no="175"?> 175 ces de personnes et ces amalgames apparaissent en tant que tels même en présence d’un sujet lexical (de façon facultative dans le ‚subjectif’ et l’objectif’ où la particule peut apparaître seule, mais de façon obligatoire dans le ‚processif’, cf. Robert 1991 : 23, 2000 : 237, 245). Voici tout d’abord comment Denis Creissels et Stéphane Robert (1998 : 170) présentent ces trois paradigmes dans un tableau qui donne les formes du verbe w. dem ‚aller’ pour les trois personnes du singulier et du pluriel. Emphatique du Verbe Emphatique du Sujet Emphatique du Complément 1SG dama DEM 2 danga DEM 3 da(fa) DEM maa DEM yaa DEM moo DEM FOOFU laa DEM FOOFU nga DEM FOOFU la DEM 1PL danu DEM 2 dangeen DEM 3 dañu DEM noo DEM yeena DEM ñoo DEM FOOFU lanu DEM FOOFU ngeen DEM FOOFU lañu DEM Tableau 15 : La focalisation en wolof d’après Creissels/ Robert 1998 : 170 Une traduction approximative des formes de la première personne du singulier pourrait être la suivante : dama DEM ‚Y aller, c’est ce que j’ai fait’, maa DEM ‚C’est moi qui y suis allé’ e FOOFU laa DEM ‚C’est là que je suis allé’. Chacune de ces trois ‚conjugaisons’ dispose de formes supplémentaires pour l’expression de l’imperfectivité, l’antériorité et la négation. Pour les différents effets de sens de ces focalisations dans différents contextes, on consultera les sections C) des chapitres trois et quatre et la section B) du chapitre cinq dans Robert 1991 ainsi que les tableaux récapitulatifs à la fin de ces chapitres. Voilà encore trois exemples pour illustrer ces trois types de mise en relief : w. Dama bey dugub. ‚Cultiver du mil, c'est ce que j’ai fait.’ Maa bey dugub. ‚C’est moi qui ai cultivé du mil.’ Dugub laa bey. ‚C’est du mil que j’ai cultivé.’ Les phrases qui présentent une de ces trois mises en relief sont bien plus fréquentes, en w., que les mises en relief par phrases clivées en pg. ou en fr. (cf., pour la focalisation du sujet, Robert 2000 : 236, 238, pour celle du complément, Robert 1991 : 155, 2000 : 247 et pour celle des pronoms interrogatifs Robert 1991 : 156 : « L’Emphatique du Complément constitue la conjugaison normale employée dans les questions ouvertes avec les morphèmes interrogatifs en -an »). Cette différence de fréquence est en accord avec la différence entre l’expression synthétique du focus en wolof et son expression analytique dans les deux langues romanes (cf. Robert 2000 : 235, 265). <?page no="176"?> 176 À partir du tableau des trois ‚conjugaisons’ focalisatrices de Creissels/ Robert, Stéphane Robert a reconstruit un état plus ancien du w. où chacune de ces trois focalisations était l’œuvre d’une particule autonome : da pour la focalisation du verbe, a pour la focalisation du sujet et la pour celle d’un complément. À une date plus récente les pronoms personnels sujets se seraient amalgamés à ces particules (cf. Robert 2000 : 233). 108 Cette reconstruction s’impose à qui sait que les amalgames moo, noo et ñoo dans ‚l’emphatique du sujet’ résultent de l’application d’une règle de sandhi toujours en vigueur en w. qui transforme les suites -u a en -oo. On peut raisonnablement supposer que l’état de langue reconstruit par Stéphane Robert est plus proche de ce qu’était le w. à l’époque de la créolisation du pg. à Santiago que son état actuel. Comme on le voit, aux deuxièmes personnes (singulier et pluriel), la particule la, focalisatrice de compléments, n’est pas passée dans la ‚conjugaison’ correspondante. Par contre, à la troisième personne de la même ‚conjugaison’, c’est le pronom qui n’y est pas passé. Quand on ne trouve que le simple la, il faut donc conclure qu’on a affaire à la troisième personne du singulier. De ces trois constructions w., celle qui focalise le verbe est particulièrement difficile à décrire (cf. Robert 2000 : 5.) et à manier pour un Européen, puisque, très souvent, lorsqu’il s’agit d’un verbe d’état, l’effet de sens qu’elle produit diffère à peine de celui produit par la construction sans mise en relief (Dañu rafet et Rafet nañu ou Dafa tàng et Tàng na se traduisent indifféremment par ‚Ils sont jolis’, ‚Il fait chaud’, cf. Robert 1991 : 55). Cependant, comme le ‚processif’ ou ‚emphatique du verbe’ ne semble pas avoir laissé de trace en cs., nous n’allons pas en tenir compte dans ce qui suit. Pour ce qui est du matériel employé, la construction focalisatrice du cs. (y compris l’ordre des éléments qui l’intègrent) remonte sans aucun doute au portugais. Cela ne surprendra personne, le matériel des créoles provenant généralement de leur langue de base (cf. 1.2.5.3). La particule focalisatrice du créole est invariablement ki. Elle provient de phrases clivées portugaises du type : Fui eu que vi o Jo-o ‚C’est moi qui ai vu Jean’. On peut rendre une telle phrase par une clivée en cs. : Ê mi ki odja Djon. Le parallélisme pg.-cs. semble donc être parfait : pg. É o Jo-o que n-o quer. cs. Ê Djon ki ka kre. ‚C’est Jean qui ne veut pas.’ 108 Dans un article de 1999, Alain Kihm présente, pour l’‚emphatique du complément’ une tout autre analyse. Par le biais d’une série de « I assume… », il arrive à une syntaxe sousjacente qui serait à peu près la même que celle de l’anglais It is X, that …, syntaxe quelque peu voilée par la composante morphologique de la grammaire. Or, si le wolof a laissé une trace, dans la focalisation en cs., c’est précisément à ce niveau ‚superficiel’ de la ‚morphologie’. <?page no="177"?> 177 pg. É o Jo-o que estamos a procurar. cs. Ê Djon ki nu sa ta purkura. ‚C’est Jean que nous cherchons.’ pg, É na Praia que ele vive. cs. Ê na Práia ki e ta vivi. ‚C’est à Praia qu’il vit.’ pg. É este ano que o Jo-o vai regressar da América. cs. Ê es ánu ki Djon ta ragresa di Mérka. ‚C’est cette année que Jean reviendra d’Amérique.’ pg. Quem é que você viu ? cs. Kenha ê ki bu odja ? ‚Qui est-ce que vous avez vu ? ’ pg. Qual é que você escolheu ? cs. Kál ê ki bu skodje ? ‚Lequel est-ce que vous avez choisi ? ’ Il est vrai que le pg. dispose de variantes de cette construction sans correspondance en cs. (cf. Kiesler 1989 : 215-222 e Gärtner 1998 : C.2.2.2 ; ce dernier soutient, par erreur, que seules les constructions ‚pseudo-clivées’ focalisent). Or, le cs. possède lui aussi une variante de sa construction focalisatrice sans correspondance en portugais, du moins sans correspondance en portugais européen. Cette variante pourrait révéler l’impact de la langue qui était celle de la plupart des créolisateurs : à l’encontre de ce qui se passe dans les langues romanes où la focalisation se fait par clivage avec une principale qui contient le verbe copule, en cs. la particule ki suffit pour opérer cette focalisation. 109 Il est vrai que l’emploi de la copule devant l’élément focalisé reste toujours possible, en cs. Mais il est tout aussi vrai que cet emploi constitue l’exception plutôt que la règle, surtout lorsqu’il s’agit de focaliser un pronom personnel de la série mi ‚moi’, bo ‚toi’ etc., un adverbe pronominal de la série li ‚ici’, lisin ‚ici même’, la ‚là’, si ‚ainsi’ etc. ou un pronom interrogatif ou relatif de la série kenha ‚qui’, kusê ‚quoi’, undi ‚où’, módi ‚comment’ etc. En cs., on peut dire Ê lisin ki e morába ‚C’est ici qu’il habitait’, mais on dit normalement Lisin ki e morába (RS). On peut demander Ê kenha ki nhos ileji pa prizidenti ? ‚Qui est-ce 109 Sur internet on peut trouver des exemples en portugais populaire brésilien sans copule. Cf. par exemple Ele queria dar para mim, mas eu que n-o quis o N-o tenho muito a quem agradecer, porque eu que fiz tudo aqui. <?page no="178"?> 178 que vous avez élu président ? ’, mais on demande normalement Kenha ki nhos ileji pa prizidenti ? (RS), et ainsi de suite. Un relevé pour le pronom interrogatif/ relatif kenha ‚qui’ du cs. a donné les résultats suivants : dans les 25.787 phrases exemplificatrices de notre dictionnaire (cf. Brüser et al. 2002), on trouve 206 occurrences de ce pronom (parfois dans des exemples qui se répètent). Dans 189 de ces 206 cas, kenha est suivi de ki ou de sa variante préconsonantique k’ en fonction focalisatrice. Dans 10 de ces 189 cas seulement la copule accompagne le pronom focalisé, soit dans la tournure Ê kenha ki ... ? , soit dans la tournure Kenha ê ki ... ? Ceci dans un créole où, en dehors des cas de focalisation, l’emploi de la copule est presque toujours de rigueur. L’expression de la focalisation en cs. reste bien sûr analytique, même en l’absence de la copule, mais pas au point de scinder l’énoncé en deux propositions, une principale pour identifier le rhème (‚ici’, ‚qui ? ’, etc.) et une subordonnée qui évoque le présupposé (‚il habitait (quelque part))’, (‚vous avez élu (quelqu’un) président’). Autrement dit : dans les cas de la focalisation sans copule, le cs. présente l’état de la focalisation reconstruit pour le w. par Stéphane Robert - à deux exceptions près : en cs., on n’a pas la possibilité de focaliser le verbe et on y utilise la même particule pour la focalisation du sujet et du complément. Mais même dans l’état actuel des deux langues, le parallélisme reste parfaitement visible : w. Jean a gis Marie. cs. Djon ki odja Maria. ‚C’est Jean qui a vu Marie.’ w. Yow la Jean gis. cs. Bo ki Djon odja. ‚C’est toi que Jean a vu.’ w. Ñaata bunt la woto bi am ? (de Diouf 2003 : s.v. ñaata) cs. Kántu pórta ki es káru ten ? ‚Combien de portes est-ce que cette voiture a ? ’ w. Wan fas la jaay ? (Diouf 2003 : s.v. quel) cs. Ki kabálu ki e bende ? ‚Quel est le cheval qu’il a vendu ? ’ w. Fan la ñu dem ? cs. Undi ki es bai ? Où est-ce qu’ils sont allés ? ’ <?page no="179"?> 179 w. Nii la ñu ma nettalee musibam Mbàbba. (Cissé 1994 : 23) cs. Si ki es konta-m trajédia di Mbàbba. ‚C’est ainsi qu’ils m’ont raconté le drame de Mbàbba.’ w. Fii la sama wax di yam ak yow. (Cissé 1994 : 14) cs. Li ki nha konbérsu ku bo ta kába. ‚C’est ici que ma conversation avec toi s’arrête.’ Voilà quelques exemples de focalisation sans copule, tirés de textes créoles authentiques : cs. Bon, bo ki sabe, si bu ka bende, bu ta ben a nádu. (NL 30/ 22) [Le batelier au client qui prétend le payer au retour : ] ‚Bon, c’est toi qui décides, si tu ne vends pas [ta marchandise, sur le transatlantique], tu vas rentrer à la nage.’ cs. ... en ves di e mostra ma el ki ê bon, ki ê xéfi y midjór. (RS) ‚... au lieu de montrer que c’est lui qui est bon, qui est le chef et le meilleur.’ cs. Alisin ki ê nha kása, li própi ki N nase. (RS) ‚C’est ici même que se trouve ma maison, c’est ici même que je suis né.’ cs. Kál ki foi primeru téra ki Fránsa konkista na Áfrika ? (RS). ‚Quel pays est-ce que la France a d’abord conquis en Afrique ? ’ cs. N ka sabe pa ki abertura ki rátu sa ta entra na kuártu. (RS) ‚Je ne sais pas par quel trou [c’est que] la souris rentre dans la pièce.’ Comme le montre le dernier exemple qu’on vient de citer, la focalisation sans copule se trouve aussi dans les subordonnées, en cs. Étant donné que les deux variantes (sans et avec la copule) coexistent en cs., il est bien probable que la plupart des locuteurs du créole qui maîtrisent aussi le portugais pensent que dans ..., bo ki sabe, ‚..., c’est toi qui décides, ...’ il y a ‚omission’ de la copule. Cela ne prouve pas que la construction avec la copule soit la plus ancienne. Il est possible que ce soit justement le contraire. Essayons, pour terminer ce paragraphe sur la focalisation, d’imaginer ce qui a pu se passer lors de la créolisation. Les locuteurs du wolof et/ ou d’autres langues étroitement apparentées étaient habitués, dans leur propre langue, à focaliser le rhème nominal de leurs énoncés en l’antéposant et en lui postposant une particule de focalisation. Intuitivement à la recherche d’éléments qui exercent la même fonction que leurs particules de focalisation dans la langue de leurs maîtres, ils ont dû tomber sur des clivées portugaises où <?page no="180"?> 180 l’élément focalisé était invariablement suivi de l’élément que : Sou eu que ..., És tu que ..., É ele que ..., Somos nós que ..., Fomos nós que ... etc. Ils ont pu prendre le que pour l’équivalent de leurs particules a et la, mais ils n’avaient pas d’emploi pour la copule. C’est ainsi que serait né le parallélisme dans les exemples qu’on a vus précédemment. À elle seule, la focalisation sans copule du cs. ne suffirait pas à prouver que le wolof a exercé un rôle actif dans la créolisation du portugais à Santiago. (On se souvient des interminables discussions autour d’une possible origine africaine de l’absence de la copule dans les phrases à prédicat nominal dans le African American English.) Et les exemples brésiliens de focalisation sans copule pourraient être invoqués par les tenants aussi bien que par les adversaires d’une influence africaine dans le domaine qui nous intéresse. L’absence de la copule dans les constructions focalisatrices du cs. pourrait être d’origine portugaise - bien que le portugais populaire européen omette plutôt le que en gardant la copule dans des tournures du type : Deves é ter estranhado a minha voz ... . En vue d’autres traces plus probantes, il semble pourtant probable que les langues ouest-atlantiques aient contribué à l’énorme succès de la focalisation sans copule en cs. 2.2.3.9 La négation en w. et en cs. La négation d’une proposition s’exprime en w. par l’emploi d’une forme négative du verbe. Elle est donc intégrée à la conjugaison : à chaque forme verbale ‚affirmative’ correspond en effet une forme négative. Dans les formes perfectives, la marque de négation -u(l) se joint au verbe, dans les formes imperfectives, à la marque de l’imperfectivité. À Bey naa dugub ‚J’ai cultivé du mil’ correspond ainsi Beyuma dugub ‚Je n’ai pas cultivé de mil’, à Beyoon naa dugub ‚J’avais cultivé du mil’ Beyuma woon dugub ‚Je n’avais pas cultivé de mil’, à Dinaa bey dugub ‚Je cultiverai du mil’ Duma bey dugub ‚Je ne cultiverai pas de mil’ et ainsi de suite. L’existence de ces formes verbales négatives crée une complication supplémentaire dans une morphologie verbale déjà extrêmement variée. Le cs. ne conserve aucune trace de ce sous-paradigme de formes négatives. Dans cette langue, la négation fonctionne grosso modo comme en pg. Le cs. n’en a pas moins remplacé l’adverbe pg. de négation n-o par l’élément ka qui a fait coulé pas mal d’encre. L’étymologie la plus convaincante pour ce ka est toujours le pg. (nun)ca ‚jamais’ (cf. le résumé de la discussion dans Baptista 2006 : 3.2). La réduction d’un mot bisyllabique à sa syllabe atone finale en position proclitique que certains ont jugée difficile à admettre est en réalité un phénomène assez courant (qu’on pense aux articles définis du français qui remontent aux lat. ILLUM , ILLAM , ILLOS , ILLAS ). Jean-Louis Rougé (2006 : 66/ 67) a raison lorsqu’il rejette le recours au mandingue pour l’explication de ce ka. Le ka du cs. se place, comme le n-o du pg., entre le sujet (nominal ou pronominal) et le verbe accompagné de ses marques. On relève deux exceptions à <?page no="181"?> 181 cette règle générale : 1. comme nous l’avons déjà vu sous 2.2.3.7, le ka précède le pronom sujet de la deuxième personne (sg. ou pl.) dans les prohibitions (Ka bu/ nhos plánta midju ! ‚Ne cultive/ cultivez pas du maïs ! ’), 2. il suit assez régulièrement la copule ê (Kumida ê ka sábi ‚La nourriture n’est pas bonne’). Dans 2.2.3.7, nous avons suggéré une explication wolof pour la première de ces exceptions. Nicolas Quint (2000 : 267) voit dans la deuxième la trace d’un état plus ancien de la langue où la copule aurait été « d’un emploi très réduit, voire nul ». Cette explication rencontre deux obstacles : en fait, l’exception ne concerne pas la copule, mais sa seule forme ê. Ce verbe du cs. est irrégulier. Il possède d’autres formes (éra, ser, sérba, foi) régulièrement précédées, le cas échéant, de la particule de négation. Puis, on ne voit pas très bien ce qui aurait pu forcer les locuteurs, lors de l’introduction de la copule, à placer le ê devant la particule de négation plutôt que derrière. Insistons plutôt sur un fait qu’on n’a presque jamais invoqué dans ce contexte : ê est la seule forme verbale atone que possède le cs. En tant que telle, elle n’admet devant elle aucune des marques verbales proclitiques (ni ta, ni sa ta, ni même le tonique ál). Pour la même raison, elle pourrait être assez réfractaire à admettre la particule atone ka, ailleurs toujours en position proclitique par rapport à une forme verbale tonique. En résumé, rien dans le domaine de la négation de propositions dans le cs., ne nous rappelle le w., si ce n’est la place de la particule de négation dans les prohibitions. 2.2.3.10 L’expression de la passivité en w. et en cs. Avec la négation, nous avons fait le tour des catégories pour l’expression desquelles le verbe wolof offre des formes spécifiques. En effet, contrairement au cs., qui possède des formes passives marquées par la désinence -du (voir plus bas), le verbe w. ne dispose pas d’une voix passive, comme le souligne à juste titre Stéphane Robert (cf. Robert 1991 : 130). Mais avant de conclure que le w. n’a donc été pour rien dans la création de ce passif créole, demandonsnous d’abord par quels autres moyens s’exprime la passivité en wolof. Signalons tout d’abord que beaucoup de verbes transitifs du w. admettent le double emploi qu’on peut illustrer par la paire anglaise John opens the door - The door opens. Cf. pour le deuxième de ces deux emplois : w. Bët du jaay. ‚L’œil ne se vend pas.’ Littéralement: ‚L’œil ne vend pas.’ (proverbe, Diouf 2001 : 92) De telles constructions restent ambiguës chaque fois que la nature du sujet permettrait, en principe, de lui attribuer les deux rôles, celui du patient et celui de l’agent (dans un monde où les yeux feraient du commerce, par exemple). Le w. dispose en outre d’un procédé pour indiquer de façon explicite que l’action est subie par le sujet ou qu’elle se répercute sur lui. Il consiste dans <?page no="182"?> 182 l’adjonction d’un suffixe au verbe transitif. Ce suffixe est -u après consonne, -wu dans les verbes monosyllabiques qui se terminent par une voyelle et -ku dans les verbes plurisyllabiques qui se terminent par une voyelle (cf. Sauvageot 1965 : 10-44, Samb 1983 : 43, Fal et al. 1990 : 27). w. Pax mi sakku na. (Diouf 2001 : 103) ‚Le trou a été bouché.’ On ne peut pas parler de passif, d’abord parce que la place de la marque -u, invariablement accolée au verbe, montre clairement, que nous avons affaire, selon la logique du w., à un suffixe et non pas à un morphème de la flexion verbale, puis parce que les verbes w. en -u expriment aussi le réfléchi du verbe simple : nos deux exemples signifient aussi ‚La porte s’est fermée’ et ‚Le trou s’est bouché’. Tournons-nous maintenant du côté du cs. et signalons tout d’abord que, comme en w., beaucoup de verbes y admettent le double emploi, transitif et intransitif, que nous avons exemplifié pour le w. avec le verbe jaay ‚vendre’ (w. Bët du jaay ‚L’œil ne se vend pas’). On retrouve cette construction dans : cs. Na sésta-fera pexi ta bende ben. ‚Le vendredi, le poisson se vend bien.’ (Brüser et al. 2002 : s.v. bende) Mais, comme nous l’avons déjà dit, le cs. possède, dans son système verbal, surtout des formes indubitablement passives marquées par la désinence -du. Ainsi, toutes les formes du système verbal de la conjugaison créole présentées sous 2.2.3.5 possèdent une contrepartie passive. Lorsqu’il y a rencontre de la désinence -du du passif avec la désinence -ba de l’antériorité, elles fusionnent pour donner la désinence -da. Cette fusion n’a dû se généraliser qu’au cours du 19 e siècle, étant donné que dans la première grammaire du cs. de 1888, Paula Brito donne encore les formes fláduba, obiduba (cf. Brito 1967 : 376). Du côté matériel, la désinence passive du cs. remonte bien sûr à la désinence -do [du] du participe passé portugais qui entre en portugais, comme dans les autres langues romanes, dans la construction du passif. Le passif créole se distingue pourtant sous trois aspects assez nettement du passif portugais : 1. Le passif du cs. est un passif synthétique, sans auxiliaire. Cf. cs. Ali fitxa pórta. ‚Ali a fermé la porte.’ avec cs. Pórta fitxádu. ‚La porte a été/ est fermée.’ <?page no="183"?> 183 2. Les formes du passif créole produisent les effets temporels auxquels il fallait s’attendre d’un point de vue créole et non pas ceux auxquels on s’attendrait en supposant une naissance par simple omission de l’auxiliaire. Cf. pg. A porta é fechada. ‚La porte est fermée.’ (procès en cours) avec cs. Pórta fitxádu. ‚La porte a été/ est fermée.’ (procès dans le passé, résultat présent) Ce n’est qu’avec les verbes d'état pg. estar / cs. sta qu’on trouve un parallélisme morphologique et sémantique entre le pg. et le cs. : pg. A porta está fechada. ‚La porte est fermée.’ (état présent) cs. Pórta sta fitxádu. ‚La porte est fermée.’ (état présent) 3. En cs., on se sert avant tout du passif pour éclipser l’agent (les très rares exemples où un verbe au passif est suivi d’un complément d’agent introduit par la préposition pa apparaissent dans des textes acrolectaux qui se rapprochent du pg.). 110 Cette particularité rend le passif créole particulièrement apte à traduire nos formes verbales précédées du pronom personnel indéfini : cs. Nha-Tiu, grexa nóbu ta nagurádu oxi. Sa ta fasedu un fésta bédju, pa tudu ken ki bai. (328/ 9) ‚Mon-Oncle, aujourd’hui on inaugure la nouvelle église. On organise une grande fête pour tous ceux qui y vont.’ L’existence d’un passif synthétique couramment utilisé en cs. a de quoi surprendre. Comment expliquer que ce créole se soit muni d’un passif si la principale langue des créolisateurs n’en possédait probablement pas et que celui de la langue de base (du type Jo-o é louvado ‚Jean est loué’) était peu employé ? Une certaine affinité phonique aussi bien que sémantique entre le suffixe dérivatif du w. -u et la désinence flexionnelle du pg. -do [du] a pu contribuer à l’instauration d’un passif synthétique en cs. Le fait que les formes w. en -u tout comme les participes passés du pg. en -do puissent fonctionner comme adjectifs épithètes a pu favoriser ce rapprochement. Cf. 110 Cf. Sauvageot 1965 : 152 à propos du suffixe verbal w. -u : « La présence du monème passif-réfléchi a pour conséquence d’interdire toute expansion de type objectal au syntagme prédicatif (intransitif). L’énoncé ‚le mouton a été tué par le lion’ sera rendu par gainde r i na xar mi ‚le lion a tué le mouton’. » <?page no="184"?> 184 w. goor gu gaañu ‚un homme blessé’ (Sauvageot 1965 : 152) pg. um homem ferido ‚id.’ et, de façon analogue, cs. un ómi fridu ‚un homme blessé’ (et ‚Un homme a été blessé.’) Une étude plus poussée de l’usage des verbes w. en -u et des formes verbales créoles en -du dans les textes des deux langues pourrait peut-être renforcer ou invalider cette hypothèse. 2.2.3.11 L’expression du réfléchi et de la réciprocité en w. et en cs. Nous venons d’apprendre que les verbes wolof pourvus du suffixe -u servent aussi à l’expression du réfléchi. On a ainsi, à partir du verbe sang, qui signifie entre autre ‚baigner, laver’ : w. Abdu du sangu. ‚Abdu ne se baigne pas.’ (cf. Diouf 2001 : 95) À côté de cette possibilité d’exprimer le réfléchi, le w. en possède une deuxième, plus expressive et par là peut-être plus susceptible de s’imposer dans une situation de créolisation. Elle consiste dans l’utilisation grammaticalisée du lexème bopp ‚tête’ (cf. Sauvageot 1965 : 152/ 153, Njie 1982 : 204). 111 Ce procédé se retrouve tel quel en cs. : w. Sang nga sa bopp. Cs. Bu lába bu kabésa. litt. Tu as lavé ta tête. ‚Tu t’es lavé.’ Pour l’expression de la réciprocité, le cs. recourt au lexème kunpanheru ‚compagnon’ (Es kre kunpanheru. ‚Ils s’aiment’). Ce procédé semble inconnu au w., qui utilise le suffixe verbal -ante à cette fin (dóor ‚frapper’ - dóorante ‚se frapper’, xool ‚regarder’ - xoolante ‚échanger un regard’, etc.), mais il se retrouve tel quel en bambara où le lexème `g n, de même sens, connaît le même emploi. Les exemples qui suivent montrent qu’il s’agit bien, dans les deux cas en créole (comme dans les deux langues africaines), de procédés grammaticalisés : 111 Occasionnellement, le w. préfère une expression lexicale du réfléchi par d’autres substantifs : Naar ba dem ba yàgg ni ci xelam : Waaw man ndax damaa amul jom ? ‚Le Maure voulut partir, puis se dit à lui-même [litt. : à son esprit] : « Oui, mais n’ai-je aucune dignité ? »’ (Kesteloot / Dieng 1989 : 119). <?page no="185"?> 185 cs. Kel trópa nforka kabésa pa es ka obriga-l trai si kolégas. (RS) ‚Ce soldat s’est pendu, pour qu’on ne l’oblige pas à trahir ses compagnons.’ cs. Algen so pode ser indipendenti óki e komesa gánha p’e sustenta si kabésa. (RS) ‚Quelqu’un ne peut être indépendant que lorsqu’il commence à gagner de l’argent pour se nourrir soi-même.’ cs. Ten algen ki ta txoma kordion gáita pamô es ta parse ku kunpanheru. (RS) ‚Certains appellent l’accordéon ‚gáita’ parce qu’ils [les deux instruments] se ressemblent.’ Nous n’hésitons pas à voir dans ces deux emplois grammaticalisés de lexèmes pour l’expression du réfléchi et de la réciprocité en cs. une trace des langues ancestrales des créolisateurs. Comme nous avons essayé de le montrer sous 1.3.2, l’explication n’est toujours pas complète lorsqu’on se limite à dire que ce genre de procédés est très répandu parmi les langues du monde. Il y a d’ailleurs des langues qui se passent entièrement de procédés grammaticalisés pour l’expression du réfléchi et/ ou de la réciprocité et d’autres qui recourent à des lexèmes d’un autre type (‚corps’ ou ‚âme’ au lieu de ‚tête’, etc.). 2.2.3.12 Les périphrases verbales en w. et en cs. Après avoir étudié ce qu’on peut appeler le centre des systèmes verbaux de nos deux langues, nous aborderons maintenant la périphérie de ces systèmes, constituée par l’ensemble de leurs périphrases verbales respectives (les termes de ‚centre’ ou ‚système primaire’ vs. ‚périphérie’ ou ‚système secondaire’ ont déjà été utilisés à ce propos en Lang 2000a). Or, si, somme toute, le système primaire du cs. est visiblement plus africain que portugais pour ce qui est des fonctions (système centré sur la catégorie de l’aspect) et des mécanismes d’expression (utilisation de particules), il n’en est pas ainsi de son système secondaire. Ce n’est pas parce que les langues africaines concernées manqueraient de périphrases. Le w. en possède un grand nombre. L’expression des degrés de comparaison y est par exemple confiée entièrement à des périphrases où figurent des auxiliaires qui signifient ‚dépasser’, ‚égaler’ etc. Mais ces périphrases ne semblent avoir laissé aucune trace en cs. D’autres périphrases w. ressemblent fort à des périphrases portugaises. C’est notamment le cas des périphrases w. modales et ‚diathétiques’ (voir plus bas). Elles pourraient avoir favorisé la survie des périphrases modales et diathétiques du portugais en cs. Il n’en est pas moins vrai que la très grande majorité des périphrases du cs. - surtout ses nombreuses périphrases aspectuelles - sont de simples calques de modèles portugais (cf. Lang 2000a). Étant donné cette situation, nous ne jugeons pas utile de présenter au lecteur l’ensemble des périphrases du w. Nous allons nous limiter à un sous-groupe des périphrases dites ‚de comparaison’ (cf. Robert 1991 : 123/ 124). Deux périphrases de ce sous-groupe transparaissent en cs. <?page no="186"?> 186 2.2.3.12.1 Les périphrases de taxe du w. En plus des périphrases qui assurent l’expression de nos degrés de comparaison, il existe encore d’autres ‚périphrases de comparaison’ en w. S’y détache notamment un sous-groupe constitué par des périphrases verbales qui permettent de situer un évènement par rapport à un autre, sur l’axe du temps. Ces périphrases permettent donc une comparaison du point de vue de la chronologie relative des évènements. Nous les appellerons ‚périphrases de taxe’, utilisant un terme (< gr. taxis) employé par Roman Jakobson pour désigner la catégorie verbale où s’opposent antériorité, simultanéité et postériorité. Nous comptons parmi ces ‚périphrases de taxe’ du w. : w. jëkk a def ‚faire d’abord’ w. sog a/ di def ‚venir de faire, faire ensuite’ w. daldi def ‚faire ensuite’ w. xaw a def ‚faillir faire’ La particule a, que beaucoup d’auteurs écrivent en un mot avec l’auxiliaire, est une particule qui sert à joindre le verbe principal à un auxiliaire. Nous commenterons, l’une après l’autre’, ces quatre ‚périphrases de taxe’ en nous attardant un peu sur les deux dernières pour des raisons qui apparaîtront par la suite. 1. Nos deux dictionnaires wolof n’enregistrent pas l’emploi du verbe jëkk ‚devancer, arriver avant’ (Fal et al. 1990), ‚être premier’ (Diouf 2003) en tant que verbe auxiliaire. Cet emploi existe pourtant : Wayu bi dafa jëkk a mbej ndaw si, sog a foqati saagam. ‚Le bandit a d’abord giflé la jeune femme avant d’arracher son sac à main. ’ (Fal et al. 1990 : s.v. mbej, v.). 2. Sog (Diouf 2003 enregistre une variante soog) est pour Fal et al. 1990 un « verbe opérateur » signifiant ‚faire à l’instant même, venir de ...’ pour Diouf 2003 un « verbe auxiliaire » signifiant 1. ‚faire pour la première fois, venir de (suivi d’un verbe)’, 2. ‚pour ensuite’. Les exemples que ces auteurs donnent pour les sens ‚faire à l’instant même, faire pour la première fois, venir de (suivi d’un verbe)’ sont tous au ‚situatif’ (cf. 2.2.3.5). On peut supposer que ce ne sont pas des signifiés inhérents au verbe sog, mais des effets de sens qui résultent de la rencontre de deux signifiés, celui de l’auxiliaire sog et celui du ‚situatif’. Voici des exemples où sog (a/ di def) signifie bien ‚(faire) ensuite’ : w. Mosal sog di dolli xorom. ‚Goûte d’abord, tu ajouteras du sel ensuite.’ (Diouf 2003 : s.v. sog v. aux. ; mosal ‚goûte’, dolli ‚ajouter’, xorom ‚sel’) w. Dañuy baxa perkaal bi sog koo [= ko + a] dog robb. ‚On teint la percale en bleu, avant d’en faire une robe.’ (Fal et al. 1990 : s.v. perkaal b-, n. ; baxa ‚teindre en bleu ciel’) <?page no="187"?> 187 À remarquer, la combinaison jëkk a ... sog a ...‚ faire d’abord ... (pour) faire ensuite …’ dans l’exemple cité sous 1. : w. Wayu bi dafa jëkk a mbej ndaw si, sog a foqati saagam. ‚Le bandit a d’abord giflé la jeune femme avant d’arracher son sac à main.’ (Fal et al. 1990 : s.v. mbej, v.) 3. Daldi (var. dàddi) est visiblement le résultat d’un amalgame du verbe dal et de la marque w. de l’imperfectivité di (cf. 2.2.3.2). Ceci explique pourquoi daldi n’est jamais suivi de la particule a qui apparaît assez régulièrement après d’autres auxiliaires comme jëkk ‚faire d’abord’, bëgg ‚vouloir’, war ‚devoir’ etc. (cf. Diouf 2001 : 121 : Dama bëgga naan ‚Je veux boire’). C’est que les auxiliaires w. sont suivis soit de la particule a soit de la marque di, comme le montre l’exemple de sog qui admet les deux particules. Les dictionnaires w. enregistrent deux verbes homophones dal. Le premier signifie ‚se poser, tomber, atteindre, être l’hôte de, séjourner chez, descendre chez’ et le deuxième ‚commencer’ (cf. Fal et al. 1990 : s.v. dal, v.). Les sens ‚cesser, se calmer, s’apaiser’ avec, par exemple, la pluie ou la mer pour sujets, que Diouf 2003 attribue au deuxième verbe, doivent certainement être rattachés au premier. Pour ce qui concerne daldi, nos deux dictionnaires le classent différemment. Pour Fal et al. 1900 daldi est - tout comme sog - un ‚verbe opérateur’ signifiant ‚aussitôt, puis’. Pour Diouf 2003 c’est un simple adverbe qui se traduit par ‚puis, ensuite, et, aussitôt’, selon les cas. Voilà comment Diouf commente le passage de dal a daldi dans sa grammaire du wolof (2001 : 45/ 46) : « dal (commencer, cesser, tomber sur un point) devient un adverbe ou une conjonction de coordination dans le syntagme dal di (puis, ensuite, après cela, immédiatement, aussitôt). dal di doit toujours précéder le verbe qu’il modifie. » Voilà ses exemples : Taw bi dal na La pluie a commencé / a cessé. Lu la dal Qu’est-ce qui t’est arrivé ? Dafa dugg rekk mbej ma dal À peine fut-il entré que la gifle tomba. Mu reer dal di tëri Il dîna puis alla se coucher. Dalal di dem wooyi sa yaay Vas immédiatement appeler ta mère. <?page no="188"?> 188 C’est l’avant-dernier exemple qui illustre le dernier stade de la grammaticalisation de dal et l’emploi qui nous intéresse. Le dernier exemple, qu’on peut comparer avec w. Nanga daldi seeti Omar. ‚Tu iras aussitôt voir Omar ! ’ (Diouf 2003 : s.v. daldi : adv. ; seeti ‚aller voir’) semble représenter un stade intermédiaire : sur le plan morphologique, la fusion de dal et di n’est pas encore complète ; sur le plan sémantique, l’action est postérieure au moment de la parole et non pas à un autre évènement mentionné dans l’énoncé. La place de daldi dans la phrase, qui n’est pas celle des adverbes du temps comme léegi ‚tout de suite’, ren ‚cette année’ etc., invite à le considérer comme un verbe. La tentation d’y voir un adverbe s’explique par le fait qu’il s’agit d’un verbe défectif. Nous ne l’avons par exemple jamais rencontré accompagné de la marque de l’antériorité. En français, le rapport temporel qu’exprime daldi en w. est souvent exprimé à l’aide de ‚à peine, aussitôt’ : w. ..., jëkkër ji dafa ko takk, yàggul dara, daldi ñàkk palaasam. ‚... : son mari l’avait à peine épousée qu’il perdait son emploi.’ (Fal et al. 1990 : s.v. gaaf g-, n.) w. Laata muy siggi la Kumba màmm daldi koy xoj. ‚À peine s’était-elle relevée que Kumba lui bondit dessus.’ (Cissé 1994 : 20 ; à remarquer la présence plutôt exceptionnelle, dans cet exemple, de la marque de l’imperfectivité après daldi). D’autres fois, daldi reste sans traduction, l’ordre de succession des évènements étant supposé être celui des propositions respectives : w. ..., boroom dëkk ba ne tekk daldi ni jàkk Móodu : ... ‚..., le chef du village se tut et fixa Moódu dans les yeux : ...’ (Cissé 1994 : 14) 4. De nos quatre ‚périphrases de taxe’ xaw a def ‚faillir faire’ est la seule qu’on puisse rendre en français par une périphrase verbale. En français, mais non en portugais. Si nous la rangeons parmi les ‚périphrases de taxe’, c’est qu’en général nous avons affaire à un évènement qui risque d’en provoquer un autre. ‚Faillir faire B’ est à peu près synonyme de ‚(à cause de A), faire presque B’. Nos deux dictionnaires sont d’accord pour voir dans xaw un verbe opérateur (Fal et al. 1990) ou auxiliaire (Diouf 2003) qui se traduit par faillir. Voici les exemples qu’ils donnent : <?page no="189"?> 189 w. Xaw naa daanu ci pax mi. ‚J’ ai failli tomber dans le trou.’ (Fal et al. 1990 : s.v. xaw, v. opérateur) w. Xaw naa la fàtte. ‚J’ ai failli t’ oublier.’ (Diouf 2003 : s.v. xaw, v. aux.) Diouf/ Yaguello 1991 : 140 précisent : « Avec un verbe d’état, comme ... febaar : ‚être malade’, xaw prend le sens de ‚un peu’ ou ‚presque’. Avec un verbe d’action il signifie ‚faillir’. Xaw naa dee : J’ai failli mourir ». On retrouve d’ailleurs le sens ‚un peu, presque’ dans le dictionnaire de Diouf : w. Dama xawa sonn. ‚Je suis un peu fatigué.’ (Diouf 2003 : s.v. xaw, v. aux.) Il ne nous semble pas nécessaire de poser deux signifiés. Le deuxième sens s’explique facilement à partir du premier : ‚J’ai failli devenir (carrément) fatigué’, donc ‚Je le suis (seulement) un peu’. Dériver le premier sens du deuxième serait plus difficile. 2.2.3.12.2 Les périphrases verbales du cs. Le créole santiagais possède aujourd’hui un nombre considérable de périphrases verbales. Dans Lang 2000a : 470 nous en avons énumérées 26. Cette liste peut ne pas être complète. La plupart de ces périphrases sont visiblement calquées sur des modèles portugais. En 2000 nous avons argumenté en faveur d’emprunts tardifs de ces périphrases au portugais, emprunts rendus possibles par la présence continue du portugais à côté du créole santiagais. Ce qui vient d’être dit, doit s’appliquer aux trois périphrases modales du cs. Cf. : pg. dever fazer - cs. debe fase ‚devoir faire’ pg. poder fazer - cs. pode fase ‚pouvoir faire’ pg. ter de fazer/ ter que fazer - cs. ten ki fase ‚devoir faire’ aux trois périphrases ‚diathétiques’ du cs. Cf. : pg. deixar fazer - cs. dexa fase ‚laisser faire’ pg. fazer fazer - cs. fase fase ‚faire faire’ pg. pôr a fazer - cs. po fase ‚mettre (qn.) à faire’ <?page no="190"?> 190 et à 13 des 18 périphrases aspectuelles du cs. Cf. : pg. ir a fazer/ ir fazendo - cs. bá ta fase ‚aller faisant’ pg. vir a fazer - cs. ben fase ‚en venir à faire’ pg. deixar de fazer - cs. dexa di fase ‚cesser de faire’ pg. ficar a fazer/ ficar fazendo - cs. fika ta fase ‚rester là à faire’ pg. parar de fazer - cs. pára di fase/ para ku fase ‚cesser de faire’ pg. passar a fazer - cs. pása ta fase ‚en venir à faire’ pg. pegar a fazer/ pegar e fazer - cs. pega ta fase/ pega na fase ‚se mettre à faire’ pg. pôr-se a fazer - cs. po ta fase/ po na fase ‚se mettre à faire’ pg. sair a fazer/ sair fazendo - cs. sai ta fase/ sai na fase ‚se mettre à faire’ pg. estar para fazer/ estar por fazer - cs. sta pa fase ‚être sur le point de faire’ pg. estar a fazer/ estar fazendo - cs. sta ta fase/ sta na fase ‚être en train de faire’ pg. tornar a fazer - cs. torna fase ‚faire une deuxième fois’ pg. chegar a fazer - cs. txiga di faze ‚en arriver à faire’ À la même occasion, nous avions pourtant signalé l’existence en cs. de quelques périphrases verbales sans correspondance en portugais. Parmi celles-là nous contions cinq périphrases aspectuelles (cf. Lang 2000a : 470) : cs. ára fase ‚manquer faire’ cs. árma fase ‚faire un tout petit peu’ cs. bira ta fase ‚commencer à faire’ cs. labánta na fase ‚commencer de faire’, cs. txiga fase ‚atteindre le degré de maturité nécessaire pour faire’ (à ne pas confondre avec txiga di fase) Nos traductions françaises de périphrases créoles ne peuvent être qu’approximatives. Il n’est pas exclu qu’il existe dans quelques dialectes portugais modernes ou ait existé dans les variétés portugaises utilisées au Cap-Vert des modèles pour quelques-unes de ces cinq périphrases aspectuelles. Dans le dictionnaire pg. de Bluteau (vol. I, 1712/ 2002) on trouve sous ARMAR : Armarse a occasiaõ de fazer alguma cousa. Mas se elle se naõ quer aproveytar da occasiaõ, que se vay armando. Le pas à franchir pour en arriver à une périphrase du type armarse a/ de fazer ‚se préparer à/ commencer à faire’ ne semble pas très grand. Plus surprenant est l’existence, en cs., de deux ‚périphrases de taxe’, apparemment sans prédécesseurs portugais, mais qui nous rappellent des ‚périphrases de taxe’ du wolof dont il a été question plus haut : <?page no="191"?> 191 1. cs. kunsa fase ‚faire aprés’ 2. cs. fálta (ku) fase ‚faillir faire’ Il aurait peut-être mieux valu ranger ára fase dans cette dernière catégorie, son signifié ‚manquer faire’ qc. étant pratiquement le même que celui de fálta fase. (L’affinité phonique entre ára fase ‚manquer faire’ et árma fase ‚faire un peu’ n’est d’ailleurs pas sans rappeler le double sens du w. xaw a def.) Ad 1. Voici d’abord quelques exemples qui illustrent l’usage de kunsa en cs. : cs. Óra ki ténpu nxuta nu ta kunsa bai pasia. (RS, cf. Brüser et al. 2002 : s.v. nxuta v.). ‚Lorsqu’il cessera de pleuvoir, nous irons nous promener.’ cs. Nu deta na areia nu spéra pa sól akese-nu un kusinha pa nu kunsa entra na águ. (RS, cf. Brüser et al. 2002 : s.v. akese v.) ‚Allongeons-nous sur le sable pour nous faire réchauffer un peu par le soleil, pour rentrer ensuite dans l’eau.’ cs. Bu ta po bordon bu ta kunsa po silin. (inf., cf. Brüser et al. 2002 : s.v. bordon s.) ‚Tu mets d’abord le ‚bordon’ [sorte de couverture qu’on met entre le cheval et la selle] et ensuite la selle.’ cs. Óki bu diskánsa, nu ta kunsa ben luta. (232/ 9, cf. Brüser et al. 2002 : s.v. diskánsa v.) ‚Lorsque tu te seras reposé, nous lutterons.’ cs. Trabádja fáxi, bu ta kunsa dádu kumida. (RS, cf. Brüser et al. 2002 : s.v. kunsa v.) ‚Travaille vite, après on te donnera à manger.’ cs. Si bu trabadjába fáxi, bu kunsa benba, bu ta atxába-el inda. (RS, cf. Brüser et al. 2002 : s.v. kunsa v.) ‚Si tu travaillais vite et que tu venais tout de suite après, tu le trouverais encore.’ Comme on le voit, la périphrase verbale santiagaise (algen) kunsa fase (algun kusa) signale la postériorité de l’évènement en question par rapport à un autre évènement. La catégorie concernée est donc effectivement le ‚temps relatif’ ou la ‚taxis’. Il nous semble difficilement contestable que w. sog a def et/ ou daldi def ‚faire après’ aient joué un rôle dans la naissance de cs. kunsa fase. Un exemple montrera le parallélisme dans la construction des périphrases en question : <?page no="192"?> 192 w. Dafa jél yetam daldi jóg. Cs. E pánha se bengála e kunsa labánta. ‚Il a pris sa canne puis s’est levé.’ (La phrase w. est tirée de Diouf 2003 : s.v. daldi adv.) Les rapports entre le w. daldi def et le cs. kunsa fase sont pourtant bien plus étroits que ceux entre w. sog a def et cs. kunsa fase : En effet, les deux éléments w. daldi et cs. kunsa, clairement verbes auxiliaires de par leur place dans l’énoncé, sont déficients par rapport à la variabilité normale des verbes du système respectif. W. daldi ne semble jamais porter la marque de l’antériorité -oon, ni admettre le suffixe ‚passif-réfléchi’ -u (cf. 2.2.3.10). Et cs. kunsa ne semble jamais s’adjoindre une des trois désinences verbales de ce créole (-ba, pour l’antériorité, -du, pour le passif, et -da, pour l’antérieur du passif.). Plus important : daldi et kunsa ont une origine analogue. Ils descendent tous les deux d’un verbe plein signifiant ‚commencer’ (cf. w. dal, pg. começar). Chez Serge Sauvageot 1965 qui, pour le parler w. du Dyolof, donne d l (avec une voyelle longue) au lieu de dal, notre daldi apparaît d’ailleurs systématiquement écrit en deux mots : d l di. En bonne logique, aucune mention n’y est faite du statut particulier de cette expression, mis en évidence pourtant par les traductions de Sauvageot. Dans le créole de la Guinée-Bissau et de la Casamance kunsa, var. kumsa, signifie toujours ‚commencer’ (cf. Rougé 2000). Ce n’est pas (ou plus ? ) le cas de kunsa en cs., où il existe un deuxième successeur du começar portugais, à savoir komesa (var. kumesa), qui y traduit le pg. começar. Visiblement plus proche de son étymon pg., le cs. komesa, kumesa pourrait bien être un emprunt tardif. L’apparition de ce concurrent a pu enfermer l’ancien kunsa dans la périphrase. Finalement, les deux verbes auxiliaires, w. daldi et cs. kunsa, précèdent immédiatement le verbe plein, sans intervention d’une particule. (Nous avons relevé une exception à cette règle parmi nos exemples w.) Cette absence d’une particule s’explique aisément en w. où di et a peuvent tous les deux remplir la fonction de particule de liaison entre les deux verbes (cf. w. sog a/ di def). Si l’on ne trouve plus de particule entre les deux verbes, c’est évidemment parce que celle-ci a fini par s’amalgamer au premier verbe. Il est plus malaisé d’expliquer l’absence de particule dans la périphrase créole. Plusieurs explications semblent pourtant possibles : a) La première consisterait à admettre que cs. kunsa < pg. começar n’est pas la relexification du w. dal, mais d’un dal di déjà amalgamé en daldi. Pourquoi alors joindre à ce kunsa une particule si le w. daldi n’en prenait pas. Dans cette alternative, deux verbes morphologiquement différenciés, le verbe plein komesa et l’auxiliaire kunsa, auraient vraisemblablement coexistés en cs. dès le début. <?page no="193"?> 193 b) On pourrait admettre que les créolisateurs wolof aient cru que le -a de l’auxiliaire kunsa représentait leur particule a. c) ‚Commencer de faire qc.’ se dit aujourd’hui en cs. indifféremment komesa ta fase ou komesa fase. Si, dans le passé, il en était de même en wolof (indifféremment dal di def et dal def pour dire ‚commencer de faire’), la (ré)analyse a pu se faire à partir de l’un ou de l’autre. La périphrase du w. moderne serait dans le premier cas, celle du cs. moderne dans le second (ce qui n’exclut pas la possibilité d’une coexistence des deux types dans l’une ou dans les deux langues pendant un certain temps). Dans quelques-uns des exemples créoles que nous avons vus jusqu’à présent, l’expression de la postériorité était assurée exclusivement par kunsa (et, de façon iconique, par l’ordre de succession des deux propositions). Par contre, dans les exemples qui suivent, la présence des adverbes primeru ‚d’abord’ et/ ou dipos ‚ensuite’ semblent rendre le kunsa quelque peu redondant : cs. E ta sperába pa noti primeru e ta kunsa sendeba lus. (RS, cf. Brüser et al. 2002 : s.v. spéra v.) ‚Il attendait la nuit pour allumer la lumière.’ cs. Ten algen ki ta poi aros primeru na panéla, ta tora-l, dipos ta kunsa kusia-l. (RS, cf. Brüser et al. 2002 : s.v. tora v.) ‚Il y a des gens qui mettent d’abord le riz dans la marmite pour le faire revenir et le font bouillir ensuite.’ cs. ... dipos k’el lárga si trabádjus na Piku, k’el djánta, e ta kunsa da rinkáda noti, ... . (26/ 6, cf. Brüser et al. 2002 : s.v. abitason) ‚… après avoir abandonné ses travaux à Picos et avoir pris son dîner, il se mettait en route la nuit.’ cs. Ta podu tubu di kanalizason, nton dipos ta kunsa fasedu betonáji. (inf., cf. Brüser et al. 2002 : s.v. betonáji s.) ‚On introduit les tuyaux de la canalisation, puis après on bétonne.’ Il suffit de se rapporter aux exemples avec w. daldi fournis plus haut, pour constater que la double expression du rapport temporel s’y trouve aussi. Ad 2. Voici tout d’abord deux exemples de l’emploi de la périphrase fálta (ku) fase (var. fáita (ku) fase) en cs. : cs. ... nhu rei ku nha reínha dá-s burgónha, k’es fálta so abri txon p’es kánba. (382/ 27) ‚... le roi et la reine eurent honte, à tel point qu’ils faillirent creuser la terre pour y disparaître.’ <?page no="194"?> 194 cs. Dipos di sbafatia-l, si pai fálta so ku bota-l na rua. (Oda 164/ 9) ‚Après l’avoir giflé, son père a failli la mettre à la porte.’ Cs. fálta (ku) fase, qui correspond assez bien au français ‚faillir faire’, n’inspire pas, pour cette raison, à un francophone le même sentiment de dépaysement que le cs. kunsa fase. Insistons pourtant sur le fait que nous n’avons pas réussi, jusqu’à présent, à documenter un prédécesseur de cette périphrase en portugais, ancien ou moderne. Lorsque en portugais faltar est suivi d’un infinitif, la construction est toujours impersonnelle : pg. Falta-me ainda fazer as malas. ‚Il me reste à faire les valises. Je n’ai pas encore fait les valises.’ Mais on imagine sans grande peine une réanalyse qui, dans une phrase du type pg. Só faltava agora ouvir estes disparates. ‚Il ne manquait plus rien que d’entendre ces bêtises.’ attribuerait au verbe un sujet personnel et au (Eu) só faltava ... résultant une fonction restrictive du type ‚presque’ par rapport à l’affirmation ‚J’ai entendu ces bêtises’, donc ‚J’étais sur le point d’entendre ces bêtises, J’ai failli entendre ces bêtises’ (les deux exemples pg. figurent dans le Dicionário sintático de verbos portugeses de Winfried Busse, cf. Busse 1994 : s.v. faltar). Cette construction de départ avec le verbe impersonnel existe d’ailleurs en cs. : cs. Nhu Lhubote, ku si kurason fráku, falta-l so ku mixa sirola. (Oda 136/ 17) ‚Monsieur Lhubote, avec son cœur fragile, aurait presque mouillé sa culotte.’ Et les phrases en principe ambiguës ne manquent pas non plus : cs. Ben dixi go Máma-na-Buru (kel un rapás ki faitába dixi). (79/ 21) ‚Finalement, ce fut le tour de Máma-na-Buru de descendre (le seul garçon qui n’était pas encore descendu).’ C’est le sens de la proposition principale et de toute l’histoire qui empêche de voir dans cet exemple un emploi de la périphrase et de traduire ‚... le seul garçon qui avait failli descendre’. Quoi qu’il en soit, la réanalyse ne semble pas avoir eu lieu en portugais. Est-ce nécessaire de supposer qu’elle ait eu lieu dans l’histoire du cs. ? Certainement pas si le w. xaw permettait déjà, à l’époque de la créolisation du por- <?page no="195"?> 195 tugais à Santiago, les deux emplois, comme verbe plein au signifié ‚manquer’ et comme verbe auxiliaire dans la périphrase xaw a def ‚faillir faire’. La construction de la périphrase créole est, de toute façon, analogue à celle du w. : w. Xaw naa daanu ci pax mi. Cs. N fálta kai na bráku. J’ai failli tomber dans le trou.’ (exemple w. tiré de Fal et al. 1990 : s.v. xaw, v. opérateur) w. Xaw naa la fàtte. Cs. N fálta skese-bu. ‚J’ai failli t’oublier.’ (exemple w. tiré de Diouf 2003 : s.v. xaw, v. aux) Admettons pourtant sans ambages que rattacher le cs. fálta (ku) fase au w. xaw a def est plus risqué que rattacher le cs. kunsa fase au w. daldi def du fait qu’il n’existe plus de verbe plein xaw en w. L’auxiliaire xaw semble être aujourd’hui un lexème isolé à l’intérieur du lexique w. Rien ne prouve qu’il ait jamais signifié ‚manquer’ (signalons au passage que le w. a emprunté le verbe français manquer, on trouve un exemple dans Robert 1991 : 153). Mais même en l’absence, en w., d’un verbe plein xaw signifiant ‚manquer’, la périphrase w. a pu suggérer aux créolisateurs wolof la création d’une périphrase de même sens en cs. Pour le moment, nous ne disposons pas d’autre explication ‚historique’ du cs. fálta (ku) fase. En résumé : Les périphrases verbales du cs. qui constituent la périphérie du système verbal de ce créole, sont presque toutes d’origine portugaise. Du fait qu’elles imitent la structure de périphrases portugaises en employant un matériel créole - pg. passar a fazer devient cr. pása ta fase etc. - on peut conclure qu’il s’agit de calque plus ou moins tardifs. La prépondérance de structures de trempe africaine que nous avons constatée dans le centre du système verbal du créole santiagais, cède donc le pas, lorsqu’on passe du centre à la périphérie, à une prépondérance de structures de trempe portugaise. Mais même à la périphérie du système, on trouve une périphrase sans parallèle dans les langues romanes (cs. kunsa fase) et d’inspiration nettement africaine (cf. w. daldi def). Et on y trouve une deuxième périphrase (cs. fálta (ku) fase) apparemment sans prédécesseur en portugais, mais avec une correspondance en w. (w. xaw a def). Il ne nous semble donc plus permis de reconstruire une grammaticalisation du type kunsa v. ‚commencer’ > kunsa v. aux. ‚(faire) après’ sans faire intervenir le daldi du w. (ou ses analogues dans d’autres langues de l’Ouest africain). <?page no="196"?> 196 2.2.3.13 Conclusions Le chapitre sur le domaine verbal que nous sommes en train de terminer restera le seul, dans cet essai, où nous aurons renoncé à notre démarche habituelle qui consiste à présenter de façon ponctuelle des structures wolof qui semblent avoir laissé une empreinte dans le cs. Ici, il s’agissait au contraire de montrer pour un domaine entier de la grammaire wolof, dans quelle mesure ses structures subsistent en cs. Ceci nous permet de dresser en guise de conclusion un bilan provisoire de ce qui, dans la perspective des locuteurs wolof transplantés à Santiago et de leur descendance, peut être considéré, dans ce domaine du cs., comme étant des conservations, des pertes ou des transformations de catégories de leur langue ancestrale, et aussi de ce qui s’y trouve de complètement nouveau. Nous espérons ainsi prévenir une image des relations historiques entre ces deux langues qui exagérait le rôle de la langue africaine dans la formation de ce créole. Les nettes conservations ne sont pas nombreuses, mais remarquables. Il s’agit de la conservation des catégories de l’‚imperfectivité’ (cf. 2.2.3.2) et de l’‚antériorité’ (cf. 2.2.3.3), du procédé pour l’expression du réfléchi (cf. 2.2.3.11) et d’une périphrase verbale (cs. kunsa fase répondant à w. daldi def, cf. 2.2.3.12). Vu la fréquence des marques de l’imperfectivité et de l’antériorité en discours, le haut degré de correspondance entre les deux langues dans leur emploi nous semble très significatif. À l’autre extrême se trouvent des structures w. qui ne semblent avoir laissé aucune trace en cs. Ainsi, en cs. on ne trouve plus de distinction entre ‚indépendant’ et ‚dépendant’ (cf. 2.2.3.1), plus d’‚impératif de langue’, c’est-àdire, disposant de ses propres formes (cf. 2.2.3.7), plus de variante ‚habituelle’ de la marque de l’antériorité (cf. 2.2.3.3), plus de ‚processif’ (ou ‚emphatique du verbe’) et un seul et même procédé pour la mise en relief du sujet et des compléments (cf. 2.2.3.8). En plus, le cs. ne conserve pratiquement pas de traces de la négation de propositions par formes verbales spécifiques (cf. 2.2.3.9). La syntaxe de cette négation est essentiellement la même, en cs., que celle du pg. Rappelons encore que la construction présentative du cs. ne continue pas le ‚situatif’ du w. (cf. 2.2.3.5) et que la plupart de ses périphrases verbales imitent des modèles portugais plutôt que des modèles w. (cf. 2.2.3.12). Dans les deux derniers cas, nous avons d’ailleurs été amenés à postuler des calques tardifs sur le portugais. Une partie des structures verbales du w. ne se trouve dans aucun de ces deux cas extrêmes. Elle est constituée par des structures qui, sans s’être conservées telles quelles, semblent avoir laissé des traces en cs. Ces traces sont quelquefois difficiles à ignorer, d’autres fois moins nettes et impossibles à prouver. Ainsi, il nous semble désormais difficile de nier l’implication du sous-paradigme progressif du ‚situatif’ w. (c’est-à-dire, du ‚situatif’ pourvu de la marque de l’imperfectivité) dans la création du ‚progressif’ créole (cf. 2.2.3.5). Rappelons que, sans faire appel à des langues africaines, deux chercheurs (Rougé 1988 et Lang 2000a) avaient déjà proposé, indépendamment <?page no="197"?> 197 l’un de l’autre, de faire remonter la suite des marques sa ta (ou s’ta) du progressif créole au portugais (e)stá et que la relation morphologique et sémantique entre w. Mu y dem ‚Il s’en va’ et Mu ngi y dem ‚Voici qu’il est en train de s’en aller’ préfigure celle entre cs. E ta bai ‚Il s’en va’ et E sa ta bai ‚Il est en train de s’en aller’. Le w. ngi y nous a ainsi fourni l’explication de la ségmentation du pg. (e)stá en s’ta, sa ta en cs. De la même façon, nous ne concevons plus d’explication à la façon caractéristique d’enchaîner les ordres (type *Prends la hache, tu coupe(s) le bois ! ) (cf. 2.2.3.7) ou de formuler une prohibition (type *Pas tu coupe(s) le bois ! ) (cf. 2.2.3.9) qui ne tienne pas compte de l’analogie avec le w. et peut-être d’autres langues ouest-atlantiques de la région. Il fallait s’y attendre. C’est tout simplement inimaginable qu’une empreinte w. nette à certains points du système verbal du cs., mais aussi à d’autres endroits en dehors de son système verbal, soit complètement absente du reste du système verbal. N’est-il pas beaucoup plus logique d’imaginer que différents facteurs ont pu conspirer à la rendre et conserver nette à certains points, moins nette, mais reconnaissable à d’autres, et à peine reconnaissable à d’autres encore ? C’est dans cette optique que nous avons relevé tout au long de ce chapitre d’autres affinités, indéniables en tant que telles, mais pas forcément probatoires d’une relation historique. Nous avons essayé de montrer que même les deux catégories verbales restantes du cs., son ‚optatif’ et son ‚passif’, présentent sinon des affinités avec des catégories verbales du w., au moins des ressemblances avec certains procédés de sa syntaxe et de sa formation des mots. Ressemblances qu’on hésite à attribuer au hasard (cf. 2.2.3.6 et 2.2.3.10). L’examen comparatif de tout un domaine nous permet de tirer encore quelques autres conclusions. S’il est bien vrai que nous avons trouvé un calque sur le w. (ou sur d’autres langues qui étaient ses proches parents) jusqu’à la périphérie du système verbal du cs. (la périphrase kunsa fase), il est tout aussi vrai que c’est au centre même de ce système que l’impact de ces langues est particulièrement bien visible (d’où le titre Centre africain et périphérie portugaise dans le créole santiagais du Cap Vert ? de notre contribution de 2000). En effet, ce que nous y avons appelé la conjugaison secondaire, périphrastique, du cs. est majoritairement constitué par des périphrases de création plus récente et calquées sur le portugais qui, on le sait, n’a jamais cessé de cohabiter avec le créole à Santiago. Et même à l’intérieur de la conjugaison primaire de ce créole, où tout se joue entre un seul verbe et les différentes marques (particules antéposées ou désinences) qui l’accompagnent, l’impact africain devient de plus en plus visible selon qu’on approche des catégories qui sont le plus souvent mises à profit dans les discours. Autre constatation importante : le système verbal du cs. est bien plus simple que celui du w. (au double sens de ‚plus pauvre en distinctions’, mais aussi de ‚plus régulier dans l’expression’). Ceux des locuteurs w. transportés à Santiago qui devaient y rester ont fini par se contenter d’un système verbal <?page no="198"?> 198 plus modeste que celui de leur langue ancestrale. 112 On peut argumenter que les grandes nouveautés du système créole constituent justement des compensations d’une partie de ces pertes (le ‚progressif’ du cs. compensant en quelque sorte la perte du ‚situatif progressif’ du w., son ‚optatif’ compensant en quelque sorte la perte du ‚désidératif’ du w. et son ‚passif’ compensant en quelque sorte la perte des verbes dérivés en -u du w.). Nous ne pouvons pas manquer de le souligner encore une fois, à propos de ce chapitre : malgré les nombreux cas où une affinité phonique, entre éléments portugais et wolof semble avoir facilité la tâche des créolisateurs et influencé les résultats de leur travail (cf., pour le domaine verbal, pg. (es)tá [ta] - w. a [ ] - cs. ta [t ] sous 2.2.3.12, pg. há de - w. yàlla, yal - cs. ál sous 2.2.3.6, pg. -do [du] - w. -u - cs. -du sous 2.2.3.10), il n’en est pas moins vrai que, sur le plan de la matière phonique, tous les morphèmes grammaticaux que nous avons traités dans ce chapitre continuent des éléments portugais, tandis que sur le plan de leur fonction grammaticale quelques-uns semblent carrément continuer un élément wolof (au point que nous avons osé parler de relexification au sujet de w. di, -y, dvs. cs. ta, de w. -(w)oon vs. cs. -ba et de w. dal(di) vs. cs. kunsa) et aucun ne continue directement, pour ce qui est de sa fonction, un élément portugais (pg. -va marque d’un passé passe à cs. -ba marque de l’antériorité; pg. ((e)s)tá auxiliaire d’une périphrase progressive passe à ta particule verbale marquant l’imperfectivité et à s’ta séquence de deux particules verbales marquant la progressivité et l’imperfectivité ; pg. há de auxiliaire + préposition d’une périphrase qui exprime la conviction passe à cs. ál particule verbale marquant le désir). Cet examen nous confirme donc, que la substance phonique d’un créole provient généralement de sa langue de base, tandis que les langues de ses créolisateurs sont généralement mieux aptes à fournir des explications pour les fonctions qu’on trouve dans ses parties créolisées (cf. 1.2.5.3). 2.2.4 Domaine syntaxique 2.2.4.1 La coordination et l’énumération en w. et en cs. En w., dans une coordination de termes qui ne sont pas des propositions, on joint les deux éléments par l’élément ak qui, ailleurs, fonctionne comme une préposition signifiant ‚avec’. Si l’on traduisait les Fables de La Fontaine en wolof, il faudrait donc rendre systématiquement les et dans les titres du type Le chêne et le roseau par cet ak. Inversement, Ndiaye et Kesteloot rendent le titre du conte wolof Kumba ak u fasam par Koumba et son cheval (cf. Ndiaye/ Kesteloot 1996 : 15 et 24/ 25). Voilà deux autres exemples de cet usage de w. ak : 112 Curieusement, il est plus malaisé d’affirmer la même chose des Portugais et de leurs descendants qui sont passés au créole, du moins si l’on s’en tient aux formes simples du verbe et tient compte de toutes les combinaisons de marques qu’admet le créole. <?page no="199"?> 199 w. Mu daldi ko jox benn andaaru wurus ak benn andaaru xaalis, ... ‚[Ensuite,] Il lui remit une calebasse d’or et une d’argent, ...’ (Kesteloot / Dieng 1989 : 119). w. Yirim Koddu Joob ak Yirim Koddu Laggar ñoo bokk ndey ak baay. ‚Yirim Koddu Diop et Yirim Koddu Loggar avaient mêmes père et mère.’ (Kesteloot/ Dieng 1989 : 118). Littéralement : ‚... ils partageaient la mère avec le père’. Pour la coordination de deux propositions, le w. dispose de la conjonction te. On semble pourtant préférer l’asyndète, lorsque le rapport entre les deux termes ne se double pas d’un sens secondaire, adversatif ou autre. Ce qui nous amène à nous pencher sur l’énumération. Dans une énumération de plus de deux membres, on juxtapose en w. les éléments, y compris le dernier, sans les relier par une conjonction ou une préposition. Ceci indépendamment de la magnitude des éléments (mots, groupes nominaux, propositions). On pourrait multiplier les exemples à l’infini. Deux suffiront : w. Daxelef yi ñoo tax ñaawul ndax fi Almaami ñòwé la Daxelef yi yëgë xeex ba, daldi ñòw dimbali leen, wòññi Almaami. ‚C’est à cause de ces Maures [les Daxelef] que le pire n’a pas eu lieu, car c’est à l’arrivée de l’Almami que les Daxelef ont été alertés, sont venus à l’aide et ont refoulé l’Almami.’ (Kesteloot/ Dieng 1989 : 118). w. Rëbb bi jóge fi, jël mbuus def ci dundam, ànd ak xajam. Naka lañu génn dëkk bi rekk, genn gaynde séen leen daldi riir wutsi leen. ‚Le chasseur partit, prit sa gibecière, y mit sa nourriture et se fit accompagner de son chien. Aussitôt qu’ils furent sortis de la ville, un lion les vit, rugit et courut vers eux.’ (Ndiaye/ Kesteloot 1996 : 44). Ni l’emploi d’un élément signifiant ‚avec’ dans la coordination de nominaux, ni l’asyndète dans les énumérations, ne constituent un trait spécifique du wolof. Ces procédés sont largement attestés dans les langues du monde. Mais ils ne le sont ni dans les langues romanes, ni dans les langues européennes qui nous sont familières. Apparemment, il s’agit d’habitudes qui caractérisent et opposent de vastes ‚Sprachbünde’. 113 113 Le World Atlas of Language Structures (WALS), feature 63. Noun Phrase Conjunction indique pour 234 langues du monde si ‚et’ (coordination nominale) et ‚avec’ s’expriment par différents éléments (131) ou par le même (103). Sur la carte qui illustre la répartition de ces deux solutions à travers le monde, toutes les langues européennes prises en compte sont représentées par un point rouge (elles utilisent différents éléments), tandis que toutes les langues de la côte africaine frontalière de l’archipel retenues sont représentées par un point jaune (elles utilisent le même élément), qu’elles appartiennent à la famille ouest- <?page no="200"?> 200 Le lecteur ne sera plus surpris, à ce stade de notre ouvrage, d’apprendre que le cs. se range nettement du côté du w., pour ce qui est de la coordination et de l’énumération. La coordination de deux éléments nominaux s’y fait régulièrement à l’aide de la préposition ku ‚avec’. Voilà le début du deuxième conte de la collection Na bóka noti, de Tomé Varela da Silva, de 1987 : cs. Éra un bes un ómi ku si mudjer. (27/ 1) ‚Il était une fois un homme et sa femme.’ Littéralement : ‚… avec sa femme.’ Et un peu plus loin : cs. Mudjer ku maridu trumunuza. (27/ 25) Littéralement : ‚La femme avec le mari s’effrayèrent’. Un dernier exemple : cs. Mai ku pai aguenta ku kel mininu ti k’el ten séti ánu. (109/ 10) ‚La mère et le père supportèrent cet enfant jusqu’à ce qu’il ait [atteint l’âge de] sept ans.’ 114 Pour l’énumération, voici le début d’un autre conte créole de la collection de Tomé Varela da Silva : cs. Agóra, N sa ta ben konta-nhos un stória di tres mininu. Kes tres irmauzinhus, es djuntá tudu dinheru k’es tinha, es kunprá monti di kuza : es kunprá dróps, es kunprá xukuláti, es kunprá xuíngan, es kunprá bulaxinha, es kunprá sumu, es intxí dentu d’un bolsinha, es guarda. (25/ 1-4) ‚Maintenant, je vous raconte l’histoire des trois enfants. Ces trois petits frères réunirent tout l’argent qu’ils avaient, ils achetèrent un tas de choses : ils achetèrent des bonbons, ils achetèrent du chocolat, ils achetèrent des chewing-gums, ils achetèrent des petits biscuits, ils achetèrent du jus, ils fourrèrent tout ça dans un petit sac, ils le gardèrent.’ Qui résiste à la tentation d’introduire un et devant le dernier élément de l’énumération ? Cet exemple suffit. Puisque là encore, on pourrait les multiplier à l’infini. atlantique (wolof, polar, temne) ou à la famille mandé (kpelle). Plus à l’intérieur, seul le bambara figure avec un point rouge. 114 Remarquons en passant que c’est dans cet ordre que les parents sont normalement nommés, tant en w. qu’en cs. Kesteloot et Dieng ont automatiquement changé l’ordre en rendant le w. ndey ak baay par le fr. père et mère, dans l’exemple cité plus haut. <?page no="201"?> 201 Le pg. se range évidemment du côté des langues romanes et européennes, pour ce qui est de la coordination et de l’énumération, contrastant avec le cs. et le w. Quelqu’un dira peut-être que ce sont là des détails insignifiants et que, de toute façon, cela ne change rien à l’information transmise qu’on dise la mère avec le père ou le père et la mère, ..., ils fourrèrent tout ça dans un petit sac, ils le gardèrent ou ... ils fourrèrent tout ça dans un petit sac et ils le gardèrent. Nous sommes d’un tout autre avis. Cette fidélité inébranlable à une tradition profondément enracinée concernant des détails justement ‚insignifiants’ (quasiment au sens propre du terme) fait comprendre combien se trompent ceux qui pensent que les créolisateurs se sont vite acquittés de leur héritage linguistique pour repartir à zéro. S’ils sont restés fidèles à leurs traditions là où ils l’ont pu, précisément parce qu’il s’agissait de détails ‚insignifiants’ 115 , on peut supposer qu’ils les auront abandonnées à regret dans les autres cas et - surtout - seulement dans la mesure du nécessaire (cf. 1.2.5.2). La survie, sur les îles, de ces traditions largement prédominantes sur la côte confirme en même temps l’hypothèse selon laquelle les traits structuraux communs à plusieurs, voire à toutes les langues des créolisateurs passent plus facilement dans un créole que ceux qui ne caractérisent qu’une seule d’entre elles. Toutefois, un créolisateur africain qui ne parle qu’une ou deux langues africaines ne peut pas savoir que les autres langues suivent le même modèle que la sienne, sur ce point. Son inclination à reproduire ce trait dans le créole ne sera donc pas nécessairement plus grande que celle à faire passer des traits plus spécifiques. Les locuteurs individuels ou de même origine ont tendance à faire passer les traits de leur langue, qu’il s’agisse de traits spécifiques ou non. Sauf que, dans le premier cas, il faut d’autres circonstances favorables pour qu’ils y réussissent. 2.2.4.2 L’ordre des compléments actanciels en w. et en cs. Les règles qui président en w. au placement des compléments actanciels dans la proposition sont extrêmement complexes pour ce qui concerne les compléments pronominaux. Elles varient considérablement avec ce que les grammaires du w. appellent les conjugaisons (dépendant, indépendant, subjectif, objectif, processif, situatif, désidératif et impératif). Nous allons donc d’abord nous concentrer sur l’ordre des compléments actanciels lexicaux dans la proposition. Ainsi, les choses deviennent simples : le w. est alors une langue du type SVO 116 et les compléments indirects ou de bénéficiaire précèdent les compléments directs : 115 Nous verrons sous 2.2.5.2.3 que certaines interjections onomatopéiques, vraisemblablement d’origine africaine, semblent avoir survécu en cs. pour une raison analogue. 116 Ce n’est pas le cas des langues mandingues, où le complément direct occupe la place entre la ‚marque prédicative’ et la partie lexicale du prédicat, l’objet indirect occupant celle après la partie lexicale du prédicat. Cf. Dumestre 2003 : 42 pour le bambara et Creissels 1983 : 26-28 ou Rougé 2006 : 70 pour le mandinka. <?page no="202"?> 202 w. Maa ngiy jox fas wi ngooñ mi. je donne le cheval le foin ‚Je donne le foin au cheval.’ (Diouf/ Yaguello 1991 : 61) w. Dama woniwoon suma gan yi kow gi. j’étais allé montrer mes invités la brousse ‚J’étais allé montrer la brousse à mes invités.’ (Diouf/ Yaguello 1991 : 128) w. Bindalal Omar leetar bi ! ‚Écris la lettre à la place de Omar ! ’ (Diouf/ Yaguello 1991 : 34) On observe le même ordre lorsque les deux compléments suivent le verbe et que le complément indirect est un pronom : w. Saaliyu laaj ko turam. Saliou demanda lui son nom ‚Saliou lui demanda son nom.’ (Dieng/ Kesteloot 1989 : 94) w. Indil ñu ñaari beer ak benn limonaat ! ‚Apportenous deux bières et une limonade ! ’ (Diouf/ Yaguello 1991 : 82) Même ordre lorsque les deux compléments suivent le verbe et que les deux sont pronominaux : w. Wax na leen ko bi ngeen dëgloo. dire il vous le quand vous avoir écouté ‚Il vous l’a dit quand vous avez écouté.’ (Diouf/ Yaguello 1991 : 113) w. Lu ngeen ma laaj ma jox leen ko. tout ce que vous me demander je donner vous le ‚Je vous donnerai tout ce que vous me demanderez.’ (Ndiaye/ Kesteloot 1996 : 26) <?page no="203"?> 203 On peut encore trouver cet ordre avec deux pronoms en proclise devant le verbe : w. Ku la bind bataaxal bii ? - Daba moo ma ko bind. ‚Qui est-ce qui t’a écrit cette lettre ? - C’est Daba.’ (Littéralement : ‚C’est Daba qui me l’a écrite.’ (Robert 2000 : 238) Cet ordre est donc relativement fixe et pour cause : comme on le voit, aucun autre indice, si ce n’est la nature des objets mêmes (humains, animés, inanimés), ne permet d’assigner à chaque complément le rôle qui lui correspond. 117 Les exemples où les deux compléments désignent des êtres humains sont donc particulièrement instructifs. Dans les exemples qui suivent, il s’agit d’une jeune fille qui est donnée à un jeune homme en mariage : w. Dama bëgg ngeen may ma ko, ma yóbbu ko sama kër. ‚Je veux que vous me la donniez tout de suite, que je l’emmène à ma demeure.’ (Ndiaye/ Kesteloot 1996 : 26) (may ‚donner’) La narration reprend après cette relation en discours direct avec une proposition où le complément indirect pronominal précède le verbe, tandis que le complément direct lexical le suit : w. Ñu daldi ko may xale bi. ‚Alors, on lui donna la fille.’ (Ndiaye/ Kesteloot 1996 : 26) (xale bi ‚l’enfant, le jeune homme’) Littéralement : ‚Ils la donnèrent aussitôt au jeune homme.’ Il est vrai qu’on trouve dans les textes des exceptions où l’ordre des deux compléments est l’inverse : w. Faatu Juuf a ngiy nettali takk ga Astu Sekk ak Ami Sàmb, ay xaritam yu baax. ‚Fatou Diouf raconte à Astou Seck et Ami Samb, ses bonnes amies, [comment était] la noce.’ (Diouf/ Yaguello 1991 : 186) (nettali ‚raconter’ ; takk ga ‚le mariage’ ; Astu Sekk ak Ami Sàmb, ay xaritam yu baax ‚Astou Seck et Ami Samb, ses bonnes amies’) w. Joxal sebet mi xar yi ! ‚Donne aux moutons l’eau qui a servi à laver le riz ! ’ (Fal et al. 1990 : s.v. sebet m-, n.) (sebet mi ‚l’eau qui a servi à laver le riz’ ; xar yi ‚les moutons’) w. Gaasal cox bi, nga jox ko ganaar yi ! ‚Mouille le son et donne-le aux poules ! ’ (Fal et al. 1990 : s.v. gaas, v.) (ganaar yi ‚les poules’) 117 Autrement dit : nous sommes en présence d’une ‚double-object construction’ (cf. Martin Haspelmath in WALS 2005 : Feature 105, Ditransitive constructions, Description). <?page no="204"?> 204 On s’explique sans trop de peine ces déviations de l’ordre normal. Dans le premier exemple, on peut supposer que c’est la longueur du complément indirect qui invite à le placer à la fin. Dans les deux cas suivants, l’objet direct désigne un objet apparemment sans valeur que l’interlocuteur risque de jeter. Le locuteur insiste et précise que cela peut encore servir pour les animaux. Il y a donc une sorte de mise en relief (rhématisation) de l’objet indirect. Comme le w., le pg. est une langue SVO. Pour ce qui concerne l’ordre des compléments d’objet direct et indirect, retenons d’abord que, pour les pronoms, leur ordre relatif est obligatoirement le même que celui que nous avons documenté pour le w. Et ceci indépendamment de la position des pronoms vis-à-vis du verbe. Reprenons un de nos exemples w. : w. Daba moo ma ko bind. Foi o Jo-o quem m a escreveu. ‚C’est Daba/ Jo-o qui me l’a écrite.’ [la lettre] Ajoutons que, aux troisièmes personnes, le pg. dispose de différents morphèmes pour les deux fonctions : (l)o m., (l)a f., pl. (l)os m., (l)as f. pour le complément direct, lhe, pl. lhe(s) pour le complément indirect. Pour ce qui est des compléments lexicaux le locuteur a le choix, en pg. Soit ‚complément direct + complément indirect’, soit ‚complément indirect + complément direct’. C’est qu’en pg. les compléments indirects lexicaux sont généralement introduits par une préposition tandis que les compléments lexicaux directs ne le sont que rarement. 118 Il y a donc moins de risques de confusion qu’en wolof. Statistiquement, il semble que ce soit l’ordre ‚direct + indirect’ qui prévaut en pg. Venons-en au cs. Comme le w., celui-ci ne dispose ni de marques ni de différentes formes pour indiquer la fonction directe ou indirecte d’un complément. 119 L’ordre des compléments en cs. est invariablement ‚complément indirect + complément direct’ comme c’est la norme en w. Cet ordre n’est donc pas seulement obligatoire pour les pronoms, là où le pg. suit le même ordre, mais il vaut encore pour les compléments lexicaux, là où le pg. tend vers l’ordre inverse. Restent à mentionner deux particularités du cs. : 1. Dans cette langue, les pronoms objets suivent toujours le verbe, indépendamment du temps, mode et aspect de celui-ci. 2. Le deuxième pronom (qui remplit alors la fonction de l’objet direct) est toujours un pronom tonique. 118 La construction du portugais correspond donc, pour les compléments lexicaux comme pour les compléments pronominaux de la troisième personne, à ce qu’on a appelé une ‚indirect-object construction’ (cf. Martin Haspelmath in WALS 2005 : Feature 105, Ditransitive constructions, Description). 119 C’est-à-dire qu’on est de nouveau en présence d’une ‚double-object-construction’. <?page no="205"?> 205 En résumé : l’ordre qui était obligatoire ou normal pour les compléments pronominaux en pg. et en w. et largement dominant pour les compléments lexicaux en w. a été généralisé en cs. Il y a donc eu une certaine déviation par rapport au pg. et une certaine régularisation par rapport au w. Avec la postposition obligatoire de tous les compléments, tant lexicaux que nominaux, le cs. a en plus introduit une simplification supplémentaire qui paraît significative. 2.2.4.3 Mdk. ko - cg. kuma, w. ni - cs. ma Dans cette section, quatre langues seront prises en considération. D’un côté le mandinka et le wolof, de l’autre les créoles de la Guinée-Bissau et de l’île de Santiago. Des locuteurs des deux langues africaines étaient certainement présents, lors de la créolisation du portugais sur le continent africain et à l’île de Santiago, bien que dans une proportion inverse : plus de locuteurs du mandinka que du wolof sur la côte, plus de locuteurs du wolof que du mandinka sur l’île. Les deux langues africaines appartiennent à différentes familles, structurellement assez éloignées l’une de l’autre. Nous allons nous attarder sur un point où elles se ressemblent. Cette coïncidence a pu renforcer ponctuellement leur impact sur les créoles naissants. Et l’on pourrait s’attendre à ce que les deux créoles marchent eux aussi ensemble, sur ce point. Voyons ce qu’il en est. Voici d’abord les faits. 2.2.4.3.1 Le mandinka Denis Creissels consacre tout un paragraphe de ses Éléments de grammaire de la langue mandinka au ‚prédicatif’ ko (de ton haut) de cette langue (cf. Creissels 1983 : 183-189). La variété d’emplois de cet élément a de quoi surprendre : 1. Mdk. ko peut remplir à lui seul la fonction verbale dans une proposition principale suivie d’une proposition complétive dépourvue de conjonction. Il signifie alors ‚dire (qc.)’, plus rarement ‚se proposer (qc.)’ ou même (surtout si le sujet est inanimé) ‚être sur le point de (faire qc.)’ (cf. Creissels 1983 : 185). À part l’absence de conjonction, d’autres particularités semblent confirmer que ko n’est pas un verbe ordinaire : selon Creissels, ko n’admet pas de négation dans cet emploi et la construction en question ne permet pas de décider si la parole qui constitue le référent de la subordonnée est rendue au style direct ou indirect : mdk. À ko konkoo le be n na. vaut tant Il a dit : « J’ai faim » que Il a dit que j’ai faim. En plus, ce ko est souvent repris après un complément : mdk. À ko `n ye ko à ... . il a dit à nous a dit il ... ‚Il nous a dit qu’il ... .’ (Creissels 1983 : 185) <?page no="206"?> 206 Toutes ces particularités amènent Creissels à dire que ko ne signifie pas la référence à un évènement ‚prise de parole’, mais qu’il « a pour statut d’expliciter la ‚prise de position’ sous-jacente à tout énoncé : l’énonciateur mandinka qui commence son énoncé par n ko ... ‚je dis que’ ne constate pas par là un événement, il renforce en l’explicitant la valeur assertive de son énonciation ... » (Creissels 1983 : 183). 2. Mdk. ko peut aussi remplir la fonction de la conjonction française que après les verbes ordinaires du dire et de la pensée (‚dire’, ‚répondre’, ‚crier’, ‚écrire’, ‚savoir’, ‚croire’, ‚accepter’ etc.) : Mdk. À ye n safee ko ... . il a me écrit que ... ‚Il m’a écrit que ... .’ (Creissels 1983 : 187) Nous nous servirons dorénavant du terme anglais complementizer pour distinguer les nominalisateurs de propositions fr. que, mdk. ko etc. des vrais éléments de relation du type angl. since, fr. depuis que etc. que sont les conjonctions de subordination. L’emploi du complementizer ko semble être exclu après un ko faisant fonction de verbe (cf. les exemples dans Rowlands 1959 : 92). 3. Dans un autre emploi, mdk. ko se traduit par ‚comme’ : mdk. À be kuurari ko sèewoo. ‚Il est sale comme un porc.’ (Creissels 1983 : 188) mdk. À ka dìyaamu ko ni à cafari-ta le. ‚Il parle comme s’ il était fou.’ (Creissels 1983 : 188) 2.2.4.3.2 Le créole portugais de la Guinée-Bissau Le cg. possède un élément kuma qui connaît à peu près les mêmes emplois que le ko du mandinka (cf. Kihm 1994 : 5.2.2, les citations, les exemples et les traductions anglaises qui suivent sont de Kihm, les traductions en français sont les nôtres). 120 1. « verb-like declarative kuma introducing a quote » et « verb-like declarative kuma directly dominating a clause of reported speech » : 120 Le mandinka et le cg. ne sont pas les seules langues qui disposent d’un élément capable de remplir ces trois fonctions. Cf. pour le du fongbe et pour le táa du saramaccan Lefebvre/ Therrien 2007 : 3.1.2 et 1.2 qui renvoient à un texte de Lefebvre/ Loranger à paraître. <?page no="207"?> 207 cg. Tartaruga kuma kil ku na bin sinta bu pera. La tortue dit ce qui va venir assieds tu attends. ‚La tortue dit : « Assieds-toi et attends ce qui va se passer ».’ cg. Mursegu kuma i na misa Dews. ,La chauve-souris dit qu’ elle pisserait sur Dieu.’ 2. « optional complementizer-like kuma dominated by a declarative or epistemic verb (other than itself) and dominating a clause of reported speech or thought » : cg. ... bu ta fala l kuma n tisi l si baka. ,... tu vas lui dire que je lui amènerai sa vache.’ 3. Cg. Kuma se traduit encore par ‚comme(nt)’, emploi attesté par Rougé 1988 : s.v. kuma Interr., Rougé 2004 : s.v. como et de Couto 1994 : 95 mais que Kihm 1994 ne mentionne pas, du moins pas dans ce contexte : cg. Kuma di kurpu ? ‚Comment vas-tu ? ’ (Couto 1994 : 133) cg. Logu onsa paña raiba kuma i na mata karnel. ‚A onça se enfezou e fez que ia matar o carneiro.’ (Couto 1994 : 138/ 139) Ajoutons que Kihm distingue encore deux emplois où kuma est suivi, en fonction de verbe ou de complementizer, de pa (< pg. pa(ra)). On les retrouve dans les contes reproduits par Couto : cg. I kuma pa ami n kume. Elle dit pour moi je manger. ‚Ele me disse que devia comê-lo.’ (Couto 1994 : 132/ 133) cg. Aos ña pape i fala kuma pa n mara u. [Hoje] meu pai disse para eu amarrála. (Couto 1994 : 132) Dès 1988, le phonétisme du cg. kuma a été dérivé de l’ancien portugais coma (cf. Maia 1986 : 867/ 868), var. de como (cf. Rougé 1988 : s.v. kuma Interr. et Rel. et Rougé 2004 : s.v. como). Or, il se trouve que le mandika possède un lexème kuma qui se traduit par ‚parole’ ou ‚parler’ selon qu’il est employé comme substantif ou comme verbe (cf. Creissels 1983 : 210; Bailleul 2000 : 258 enregistre un kuma tantôt substantif tantôt verbe pour le bambara, Balde 1980/ 1981 : 76 donne pour le mandinka le substantif kúma ‚langage, mot’ avec <?page no="208"?> 208 la forme déterminée kúmò, et le verbe kúmò ‚dire, traiter un sujet, faire un exposé’). Tout se passe donc comme si, lors de la créolisation du portugais sur le continent, les locuteurs du mandinka, au lieu de garder leur ko, avaient gardé leur kuma en l’investissant des particularités de leur ko. Qu’est-ce qui a pu les amener à procéder de la sorte ? Il semble assez facile de répondre à cette question : ils étaient à la recherche d’un élément portugais susceptible de fonctionner comme leur ko et croyaient l’avoir trouvé dans le coma de l’ancien portugais qui, par son phonétisme, leur rappelait leur kuma ‚parler’ tout en fonctionnant apparemment comme leur ko ‚comme’. La possibilité d’interpréter des phrases du type Il m’a raconté comment [ancien pg. coma] son père était mort comme signifiant ‚Il m’a raconté que son père était mort’, sans que cela entraîne des conséquences fâcheuses, a pu faciliter cette analyse. 2.2.4.3.3 Le wolof Il se trouve que le wolof possède lui aussi un élément ni, na, ne qui sert à la fois 1. de verbe du dire (invariable), 2. de complementizer après les verbes du dire, de la pensée et de la perception et 3. d’élément signifiant ‚comme, comment’. 121 C’est l’emploi de ni et de na au sens de ‚comme(nt)’ qui s’explique le mieux, à l’intérieur du wolof. Ni et na amalgament, en effet, la consonne nqui signifie ‚manière’ avec les voyelles déictiques -i (pour la proximité) et -a (pour l’éloignement). Sur le même modèle, on a en w. fi, ‚ici’ et fa ‚là’ (à partir de f- ‚lieu’), ci ‚à (proche)’ et ca ‚à (loin)’ etc. Aux africanistes de décider quelle a été en w. la filiation historique des trois emplois de ni, na, ne et s’il n’y a pas eu confluence d’un verbe ne (peutêtre une forme réduite du verbe naan ‚dire’, cf. Diouf 2003 : s.v. naan 2) avec ni et na. Voilà quelques exemples qui montrent le triple emploi de w. ni, na, ne en w. (remarque : en w., ko est le pronom personnel objet de la 3 e personne du singulier, ce n’est ni un complementizer, ni un verbe du dire) : 1. w. ni, na, ne (var. nee) verbe du dire : w. Demal ne ko mu seede ma ñaari kiloy ceeb ! Va dire lui il céder me deux kilos de riz. ‚Va lui dire de me céder deux kilos de riz.’ (Fal 1990 : s.v. seede, v.) 121 Nous restons conscients du fait qu’il existe encore d’autres emplois de ni, ne, na, dont celui appelé ‚formateur de coverbes’ dans le dictionnaire de Fal et al. Cf. w. La mu fa togg lépp, dafa ne patt. ‚Tout le temps qu’il est resté là-bas, il a gardé le silence.’ (Fal et al. 1990 : s.v. ne, v.). <?page no="209"?> 209 w. Xanaa newuñu la ñówoon naa fa ? ‚Est-ce qu’on ne t’a pas dit que j’étais allé là-bas ? ’ (Diouf/ Yaguello 1991 : 176) w. Bul ne yëguloo ko woon ! ‚Ne dis pas que tu n’étais pas informé ! ’ (Fal et al. 1990 : s.v. ne, v.) Les deux derniers exemples montrent qu’une négation du ne ‚dire’ est parfaitement possible, en wolof. Dans les textes on trouve de nombreux exemples où un autre verbe du dire est repris par ni devant un discours direct : w. Fas wi wax ko ni ko : ... . Le cheval dit lui [dit lui] : ... . (Ndiaye/ Kesteloot 1996 : 36) w. Mu daldi ko tontu, ni ko : ... . (Kesteloot/ Dieng 1989 : 25) ‚Puis il lui répondit : ... .’ 2. w. ni, na, ne complementizer après les verbes et expressions du dire et de la pensée : w. Biral naa la ni tey la sa baay di ñów. ‚Je te certifie que ton père vient aujourd’hui.’ (Fal et al. 1990 : s.v. biral, v.) w. ... ; mbokk yi dañu foog ni liggéey a ko jàpp. ‚... ; ses parents pensent qu’il est victime d’un sort.’ (Fal et al. 1990 : s.v. liggéey b-, n.) w. Yumaane gëmu ko sax. Mu defe na dafa koy nax. ‚Youmané n’y croyait guère. Elle pensait qu’elle plaisantait.’ (Kesteloot/ Dieng 1989 : 32) w. Gaynde gi seet, seet, xam ne mënu koo bàyyi mu dem. ‚Le lion hésita, hésita, mais ne pouvait pas la laisser partir.’ (Kesteloot/ Dieng 1989 : 33) Littéralement : ‚... , il savait qu’il ne pouvait pas la laisser partir.’ En général, on ne trouve pas de ni, na, ne après le verbe ne, ni : w. Ñii ni ko mu takk leen ñoom ñett ñépp. les uns dire lui lui épouser elles elles trois toutes ‚Les uns lui dirent de les épouser toutes les trois.’ (Dieng/ Kesteloot 1989 : 95) L’exemple suivant semble faire exception à cette règle : <?page no="210"?> 210 w. Mu né [sic] ko na ko yen. ‚Elle lui demanda de l’aide.’ (Kesteloot/ Dieng 1989 : 32) Littéralement : ‚Elle lui dit qu’il l’aide.’ Ajoutons encore que ce complementizer peut aussi apparaître, la plupart des fois après le sujet, dans des propositions grammaticalement indépendantes qui n’en sont pas moins présentées comme faisant l’objet d’un dire. Cet emploi se rencontre de préférence dans les énoncés à caractère proverbial et qui ont donc cessé d’appartenir à un énonciateur individuel : w. Muñ gu ne am nab [sic] àpp. patience la que a une limite ‚Toute patience a ses limites.’ (Fal et al. 1990 : s.v. muñ g-, n.) w. Waaye, muus mu ne xam na nu muy toje boppu janaxam. ‚Cependant, chaque chat a sa façon de venir à bout de sa souris.’ (Cissé 1994 : 28) 3. w. ni, na ‚comme(nt)’ (cf. aussi 2.2.4.4) : w. Naka ñu egsi, Naar bi daldi nettali Buur Tarasa ni mu deme. (Kesteloot/ Dieng 1989 : 110) Littéralement : ‚Dès qu’ils arrivèrent, le Maure raconta au roi du Tarasa comment cela s’était passé.’ w. Ni muy waxe neexu ma. ‚La manière dont il parle ne me plaît pas.’ (Fal et al. 1990 : s.v. ni pr. circ. de manière, défini proche) w. Waxu ma na mbir ma deme woon. ‚Il ne m’a pas dit de quelle manière cela s’était passé.’ (Fal et al. 1990 : s.v. na pr. circ. de manière, défini éloigné) C’est ce ni, na qu’on retrouve dans les comparaisons : w. Dafa soxor ni gaynde. lui méchant comme lion ‚Il est méchant comme un lion.’ (Fal et al. 1990 : s.v. ni pr. circ. de manière, défini proche) w. Da ñoo ñemee ni gaynde. ‚Ils sont aussi braves que le lion.’ (Samb 1983 : 77) w. Dafa defoon na yow. ‚Il avait fait comme toi.’ (Fal et al. 1990 : s.v. na pr. circ. de manière, défini éloigné) <?page no="211"?> 211 w. Maalik gaawe na ni Musaa. ‚Malik est aussi rapide que Moussa.’ (Faye 1999 : 82) 2.2.4.3.4 Le créole de Santiago En cs. le coma de l’ancien pg. a donné ma [m ]. Ce ma apparaît encore parfois sous forme de kumâ [ku m ] : cs. ... dotoris di libru fla kumá ta faze un bentu oxi dentu di ónzi óra, ki ta pánha tudu algen tá bota na már. (351/ 35 - 352/ 1) ‚Les savants disent que aujourd’hui vers onze heures se lèvera un vent qui saisira toutes les personnes présentes pour les jeter dans la mer.’ Devant les mots commençant par une voyelle, ma peut se réduire à un simple m’. Des trois fonctions principales du mdk. ko, du cg. kuma et du w. ni, na, ne, le ma du cs. ne connaît que celle d’un complementizer après les verbes ou expressions du dire, de la pensée et de la perception. Cs. ma est donc un introducteur du discours indirect (au sens le plus large : Je dis, pense, vois que ...), soit l’exact pendant du cs. si ‚si’ pour l’introduction du discours indirect interrogatif (cf. fr. : Je (me) demande si ...) : cs. Sógra raporta ma mudjer éra di Práia. belle-mère se souvenir que femme être de Praia (42/ 19) ‚La belle-mère se souvint que la femme [de son fils] était de Praia.’ cs. Nton, e fla mudjer ma parse-l ma si duénsa ê frakéza. (33/ 7) ‚Il dit alors à sa femme qu’il avait l’impression que sa maladie était de la faiblesse.’ cs. Ê ka minina náu ! ... Bu k’odja kláru ma kel la ê rapás ? (174/ 43) ‚Non, ce n’est pas une jeune fille ! ... N’as-tu pas vu clairement que cela est un garçon ? ’ Lorsque la subordonnée exprime le contenu d’un souhait du sujet de la principale, on emploie pa (< pg. pa(ra) ‚pour’) au lieu de ma : cs. Bránka Rumána rakumendá-s p’es ka tra ses bóina di kabésa. (312/ 10) ‚Bránka Rumána leur recommanda de ne pas ôter leur béret.’ Le nominalisateur de propositions le plus neutre du cs. n’est pourtant pas ma, mais ki (< pg. que). Les nominalisateurs de propositions du cs. forment donc un petit système ou ma (affirmatif) et si (interrogatif) figurent comme termes sémantiquement marqués pour l’introduction du discours indirect par rapport au terme ki non marqué. Selon un principe familier aux locuteurs français <?page no="212"?> 212 le nominalisateur non marqué peut parfois remplacer les termes marqués (ma et si en cs., si en fr.), surtout dans les reprises du type fr. Si vous le souhaitez et que vous avez le temps, ... . Tel le complementizer du w., le ma du cs. peut apparaître dans des propositions indépendantes : cs. N ta odja si N ta fase almusu. So ma dja bu fla-m ê modi. (36/ 10-11) ‚[Le mari à l’adresse de sa femme qui fait la malade : ] Je vais voir si je prépare le déjeuner. [Je te demande] Seulement que tu me dises comment.’ Et comme en w., cet emploi se rencontre surtout dans les énoncés à caractère proverbial : cs. ... limária ma dja konxe si donu ! ... ‚... [on dit/ sait] que l’animal reconnaît son maître ! ...’ (116/ 23) cs. Mininu fémia ma dja kre ómi, ka ten ramédi ! ‚[Une fois] qu’une jeune fille est tombée amoureuse d’un homme, il n’y a plus de remède ! ’ (161/ 22) L’exemple wolof cité plus haut (‚Toute patience a ses limites’) peut donc être rendu en cs. de la façon suivante : w. Muñ gu ne am nab àpp. cs. Paxénxa ma ten un limiti. La patience a une limite. 2.2.4.3.5 Résumé et conclusions Retenons tout d’abord que les deux langues africaines, toutes les deux présentes lors de la créolisation du portugais sur le continent et à Santiago, mais probablement dans une proportion inverse, possèdent un élément qui remplit trois fonctions rarement confiées au même signifiant dans les langues qui nous sont plus familières. Retenons ensuite que les deux créoles ont recruté le même élément pg. coma ‚comme(nt)’ pour en faire un complementizer après les expressions du dire et de la pensée. Et retenons finalement que cet élément admet, en créole guinéen, les trois emplois que les deux langues africaines confient, elles aussi, à un même signifiant. Ces faits permettent de résoudre certains problèmes difficiles à résoudre sans le recours aux langues africaines : 1. Le recrutement d’un élément portugais signifiant ‚comme, comment’ en tant que complementizer devait être chose naturelle tant pour des locuteurs du mandinka que pour des locuteurs du wolof. Il est vrai que la réanalyse <?page no="213"?> 213 d’une phrase du type Il m’a raconté comment [ancien pg. coma] son père était mort qui attribue à l’élément coma la fonction d’un simple complementizer (que) est parfaitement imaginable. Mais ceci n’explique pas pourquoi une telle (ré)analyse s’est effectivement produite et imposée à un moment donné (cf. 1.3.2 et, pour la différence entre analyse et réanalyse, 1.2.3.2.3.3). 2. La (presque) identité matérielle du pg. coma et du verbe mdk. kuma ‚parler’ peut être l’explication du fait que les deux créoles ont d’abord recruté la variante pg. coma plutôt que la variante como, plus fréquente que coma, même en ancien portugais. Et elle explique certainement pourquoi le kuma du cg. a gardé l’emploi verbal du kuma mandinka. 3. On comprend mieux maintenant pourquoi le cg. a conservé kuma dans son intégrité tandis que le cs. l’a reduit à ma. Les locuteurs mandinka, plus nombreux parmi les créateurs du cg. que les Wolof, devaient identifier l’ancien pg. coma pour la forme avec leur kuma et pour les fonctions avec leur ko. Les locuteurs wolof, majoritaires parmi les créateurs du cs. devait l’assimiler pour la fonction à leurs ni, na, ne, atones et monosyllabiques, et avaient donc tendance à l’y rendre similaire dans le signifiant. Reste à savoir pourquoi le cs. ne connaît pas (ou ne connaît plus) l’emploi de ma en tant que verbe du dire ni même au sens de ‚comme(nt)’. Soulignons tout d’abord qu’il est toujours erroné de postuler des automatismes, en linguistique historique. Un créolisateur qui, dans sa propre langue, possède un élément à plusieurs fonctions distinctes, mais non pas totalement disparates comptera avec la possibilité de l’existence d’un élément permettant les mêmes emplois dans une autre langue, et c’est tout. Or, les locuteurs mandinka avait une raison supplémentaire pour penser qu’un signifiant kuma pouvait servir de verbe du dire qui manquait aux locuteurs wolof. Il est moins aisé de savoir pourquoi le ma du créole santiagais n’a pas gardé le signifié primitif ‚comme(nt)’ du pg. coma. Deux réponses nous viennent à l’esprit. Premièrement : à l’encontre du cg., le cs. a aussi incorporé, à une date qu’on ne saurait préciser, la variante pg. como sous forme de komu. Cette incorporation devait forcément s’accompagner de retouches concernant les signifiés de (ku)ma et de sima. (En fait, komu et sima ne sont nullement synonymes en cs., cf. le trait 12 sous 0.5) Deuxièmement : le sens originaire ‚comme(nt)’ n’a pas disparu du cs. ma sans laisser de traces. Il existe en effet en cs. un emploi de ma devant les adjectifs, de préférence devant les adjectifs de couleur, où celui-ci exprime une idée d’approximation : Il avait les yeux bleuâtres peut se dire Tenba oju ma azul. Au début, ce tour devait tout simplement signifier qu’il avait les yeux ‚comme bleu’. 122 122 Cf. encore Kel ómi éra (si) ma feiu ‚Cet homme était un peu laid’. N ka sabe kál ki ê si profison, ê (si) ma artista ‚Je ne sais pas quelle est sa profession, il est quelque chose comme un artiste’ (cf. Brüser et al. 2002 : s.v. ma conj.). Comme on le voit par ces exemples, on peut faire précéder ce ma d’un si ‚ainsi’. <?page no="214"?> 214 Le cas traité dans ce sous-chapitre nous semble instructif. Nous invitons nos lecteurs à se demander ce que serait une explication du cg. kuma et du cs. ma qui ne tiendrait pas compte des faits mandinka et wolof. Elle soutiendrait qu’une interprétation d’un élément signifiant ‚comme(nt)’ en tant que complementizer ne change pas grand-chose au sens global de l’énoncé, dans certains contextes, et peut donc passer inaperçue d’abord et être généralisée par la suite. Et elle alléguerait certainement que de tels changements se sont effectivement produits dans d’autres langues. Ce n’est qu’après avoir étudié les langues des créolisateurs qu’on se rend compte combien une telle explication reste incomplète : en effet, elle ne nous dit pas pourquoi ce qui était possible (condition sine qua non de tout ce qui arrive) s’est effectivement produit et imposé. On voit encore à cet exemple qu’un créole peut, par endroit, conserver de véritables calques d’éléments de la plus importante entre les langues ancestrales parlées par les créolisateurs (cf. le cg. kuma, calque du mdk. ko). Mais ces cas constituent l’exception plutôt que la règle. Plus souvent il faut creuser un peu pour retrouver les liens qui unissent les créoles à ces langues. Pourtant, même dans ces cas, le fonctionnement des parties créolisées d’une langue créole s’explique généralement mieux en partant des langues ancestrales des créolisateurs qu’à partir de sa langue de base : Le portugais ne possède pas et n’a jamais possédé d’élément spécifique pour l’introduction du discours indirect affirmatif ; le créole guinéen et le créole santiagais en possèdent, comme le mandika et le wolof. 2.2.4.4 w. mel n- - cs. sima En w., le simple ni, na ‚comme’ ne suffit pas toujours à formuler une comparaison d’égalité. Dans les cas où le tertium comparationis n’est pas spécifié, il est obligatoire de recourir au verbe mel. On a ainsi d’un coté w. Dafa defoon na yow. ‚Il avait fait comme toi.’ (Fal et al. 1990 : s.v. na, pr. circ. de manière, défini éloigné) w. Penda rafetul ni Aminata. ‚Penda n’est pas aussi belle que Aminata.’ (Diouf/ Yaguello 1991 : 192) (rafet ‚être belle’, -ul négation) w. Tànge-na ni moom. ‚Il est aussi chaud que lui.’ (Samb 1983 : 77) (tàng ‚être chaud’) mais de l’autre w. Danga bëgga mel ni moom, waaye duma la ci bàyyi. ‚Tu veux être comme lui, mais je ne te laisserai pas faire.’ (Diouf 2003 : s.v. mel, v.c.) (bëgg ‚vouloir’ ; moom ‚lui’) <?page no="215"?> 215 w. Boo melee ni sa baay, dinga baax. ‚Si tu es comme ton père, tu seras bon.’ (Fal et al. 1990 : s.v. mel, v.) (bu ‚si’ + nga ‚tu’ boo, sa baay ‚ton père’) w. Xew ca kaw xew, këram ga meloon na ne [variante de ni] kërug buur. ‚Fête sur fête, sa demeure ressemblait plutôt à une cour royale.’ (Cissé 1994 : 46) (kër ga ‚la maison’ ; këram ga ‚sa maison’ ; meloon na ‚était ainsi’ ; buur ‚roi’) Ce à quoi on compare peut être le contenu d’une proposition : w. Dangay miir. Dangay mel ni ku màndi. ‚Tu as des vertiges comme si tu étais ivre.’ (Kesteloot/ Dieng 1989 : 86) (miir ‚avoir le vertige’ ; ku ‚celui qui’ ; màndi ‚être ivre’) Un emploi impersonnel de mel ni/ na est possible : w. Dafa meloon ni am mbas a daloon ca dëkk ba. ‚On aurait dit qu’un fléau avait ravagé le village.’ (Cissé 1994 : 30) (am mbas ‚une épidémie’ ; daloon ‚avait commencé’ ; ca ‚là dans’ ; dëkk ba ‚le village’) Voici le début de l’article mel dans le dictionnaire de Fal et al. (1990) : « mel, v. (s’emploie avec l’indice de manière n-), avoir l’air de, être comme, ressembler. » Les sens indiqués sont en réalité ceux de mel ni. Cette imprécision s’explique du fait que mel se fait toujours accompagner de ni. Si l’on retranche le signifié de ni de celui de mel ni, il reste ‚être tel, être de telle façon, être ainsi’ (pg. ‚ser assim’). L’existence d’un tel verbe s’accorde avec deux aspects typologiques du w. : d’une part, il n’y a pas de véritable copule en w. (cf. pourtant 2.2.2.2), d’autre part, les qualités n’y sont pas désignées sous forme d’adjectifs, mais sous forme de verbes. Il n’y a donc pas d’adjectif signifiant ‚bon’, mais seulement un verbe baax ‚être bon’ etc. En cs., on se sert de sima ‚comme’, chaque fois qu’il s’agit vraiment de similitude (pour plus de détails, cf. dans la Présentation, 0.5 Des traits suspects, le trait 12). Comment peut-on s’expliquer la naissance de ce sima ? Les premiers créolisateurs wolof à Santiago devaient partir à la recherche, dans les discours de leurs maîtres portugais, d’un élément qui corresponde à leur mel, dans les cas où l’emploi du mel était obligatoire devant ni. Le meilleur candidat était sans doute le pg. ancien assi ‚ainsi’, interprété comme signifiant ‚être ainsi’. En effet, en portugais moderne como peut toujours être renforcé par un assim antéposé, lorsqu’il s’agit de comparer ou d’assimiler une chose à une autre. Voilà quelques exemples extraits de l’internet : <?page no="216"?> 216 pg. Assim como tu, a Europa vai crescendo. pg. Perdoa as nossas ofensas, assim como temos perdoado àqueles que nos ofenderam. pg. As classes e as nações assim como os indivíduos devem saber oporse sem se massacrar. On peut supposer que la relation entre le simple coma (ancienne variante de como, cf. 2.2.4.3.2) et assi coma était la même en ancien pg. et que les maîtres portugais à Santiago avaient tendance à préférer assi coma, pour être plus explicites, chaque fois qu’ils recouraient à coma pour faire une comparaison. De ce assi coma a pu naître un *(a)si (ku)ma ‚(être) ainsi comme’ en cs. 123 Le fait qu’on soit passé à employer de façon systématique ce *si ma, pour la comparaison d’égalité, au lieu de s’en tenir au simple ma, s’expliquerait ainsi par deux faits complémentaires : les locuteurs w. cherchaient un élément qui puisse remplir la fonction de leur mel là ou l’emploi de mel était obligatoire en w. Les locuteurs du portugais le leur fournissaient avec (as)si, par leur tendance à renforcer leur coma comparatif en le faisant précéder de assi. Pour ce qui concerne l’étymologie portugaise de ce sima (et du cg. suma) nous partageons donc l’opinion de Jean-Louis Rougé : « Une ancienne expression portugaise assi coma ‚ainsi comme’ est à l’origine en capverdien de sima, et en guinéen et casamançais de suma, qui signifient ‚comme’ » (cf. Rougé 2004 : s.v. assim; cf. déjà Brüser et al. 2002 : s.v. sima, conj. sobord.). 124 Si on accepte l’existence de ce *si ma en ancien cs., on accepte en même temps 1. que ma pouvait encore signifier ‚comme’ en ancien cs. et 2. que le passage de *si ma ‚(être) ainsi comme’ à sima ‚comme’ constitue non un fait de créolisation, mais une grammaticalisation survenue dans l’histoire du cs. ad 1. Dans 2.2.4.3.4 nous avons déjà mentionné un emploi moderne du cs. ma qui rappelle qu’à l’instar de son modèle w. ni, na, ne et conformément à son étymologie portugaise (ancien pg. coma), cs. ma pouvait à l’origine signifier ‚comme’ en plus de servir à l’introduction du discours indirect affirmatif : cs. ma burmedju équivaut encore aujourd’hui à ‚rougeâtre’, et équivalait à l’origine certainement à ‚comme rouge’. 123 En cs. kuma (< ancien pg. coma) passe à ma (cf. 2.2.4.3.4). Pour le passage de cs. asi à si nous faisons remarquer que asim, asi, sin et si sont toujours en variation libre en cs. (cf. Brüser et al. 2002 : s.v. si adv.). 124 De la même façon que la forme intégrale kuma existe toujours, de façon marginale, en cs., à côté de ma (cf. le début de 2.2.4.3.4), une forme réduite uma vit donc en cg. à côté de kuma, dans cg. suma. <?page no="217"?> 217 ad 2. Que la deuxième syllabe de cs. sima ne soit plus ressentie, à l’heure actuelle, comme étant le complementizer ma, ressort clairement du fait que sima n’est pas repris par ma, mais par ki dans les constructions créoles du type Comme il est en panne d’argent et que je l’aime beaucoup, je ... . Une grammaticalisation si ma > sima dans l’histoire de cs. ne pose pas de problèmes insurmontables. On peut comparer avec all. so wie > sowie (pour l’introduction du dernier élément d’une énumération) ou même avec lat. QU MOD > QU MODO > pg. como, fr. comme etc. C’est cette grammaticalisation qui a pu entraîner la réduction des fonctions de cs. (ku)ma à celle d’un complementizer. Comme on l’a vu au sujet de ma burmedju, ce processus n’a pas encore complètement abouti. Rappelons encore une fois que, à l’instar de w. mel ni et ni et du pg. assim como, le cs. sima ne s’emploie que lorsqu’il s’agit d’exprimer un rapport de similitude. Pour les autres emplois de nos éléments du type fr. comme(nt), all. wie etc., on utilise komu (< pg. como). Vu que como a toujours existé en pg., il est difficile de savoir si le komu du cs. remonte à la créolisation ou s’il s’agit d’un emprunt de date plus récente. Quoi qu’il en soit, avec son introduction s’est créée, en cs., une opposition sémantique ‚sima/ komu’ sans correspondance dans aucune des autres langues que nous connaissions (cf. de nouveau 0.5, trait 12). Nous sommes assez convaincus que le mel ni du w. a aidé à rendre le si obligatoire, devant ma, dans certains contextes, en cs. Mais la sincérité oblige à souligner que la tendance des colons à renforcer leur coma par assi chaque fois que possible aurait pu suffire à elle seule à produire cet effet. On n’a pas forcément besoin du w. pour expliquer la naissance de *si ma, sima en cs. 2.2.5 Domaine lexical 2.2.5.1 Remarque préliminaire Comme nous l’avons annoncé dès 0.8, nous toucherons à peine au domaine lexical. Pour trois raisons : 1. La recherche de traces africaines dans le cs. a longtemps privilégié la recherche de mots créoles à signifiants d’origine africaine. La plupart de ces mots a donc vraisemblablement déjà été identifiée, notamment par Jean-Louis Rougé (1998, 1994, 1999, 2004, 2006) et - ensuite - par Nicolas Quint (2006), bien qu’il reste peut-être encore à découvrir un assez grand nombre de mots créoles qui, en plus d’une étymologie portugaise évidente, en possèdent une africaine. 2. Nous sommes convaincus que les mots créoles à signifiants d’origine africaine sont de mauvais indicateurs de l’impact global des langues africaines et du poids relatif de certaines d’entre elles dans la créolisation du portugais à Santiago (cf. plus loin sous 2.2.5.2). 3. Finalement, en raison du manque de dictionnaires historiques des langues africaines impliquées, il semble particulièrement difficile de circonscrire <?page no="218"?> 218 l’empreinte africaine dans le lexique du cs. là où il convient d’abord de la chercher, à savoir dans les contours sémantiques des mots créoles. Nous essaierons néanmoins de le faire, sous 2.2.5.3, pour quelques mots. 2.2.5.2 Mots à signifiants d’origine africaine en cs. 2.2.5.2.1 Quelques chiffres Dans notre dictionnaire du cs. (Brüser et al. 2002), nous avons indiqué, à la fin de chaque article, l’origine du mot d’entrée, chaque fois qu’elle nous semblait plus ou moins avérée. Le dictionnaire compte 8.388 entrées. En faisant confiance à Jean-Louis Rougé et Nicolas Quint, nous avons donné une origine africaine à 44 signifiants et une origine double, c’est-à-dire africaine et portugaise à 4 signifiants du cs. (djobe, bónbu, moku, polon). La somme totale de 48 mots à signifiants d’origine africaine reste certainement bien en dessous de la réalité. En 2006, Nicolas Quint en était déjà à 76. 125 Entre les 230 mots auxquels nous n’avons trouvé aucune étymologie, ni portugaise, ni africaine, ni autre, il doit en avoir bien d’autres dont le signifiant remonte à une langue de l’Ouest africain. Et parmi les mots auxquels nous avons donné une étymologie portugaise, il s’en trouve probablement un assez grand nombre qui, comme djobe, ont en plus une étymologie africaine (cf. les conflations ou convergences mentionnées sous 2.2.1.2 et 2.2.1.8). Ce ne sera pas par hasard, si, en relation avec nos 48 mots, nos autorités citaient 27 fois des parlers mandingues et 12 fois le wolof, tandis que toutes les nombreuses autres langues de la côte et de l’arrière-pays restaient nettement en dessous de ces chiffres : temne et bainouk 4, manjaco 3, biafada 2, et une mention pour le diola, le banyun et le mankanya respectivement. 126 Au total, les mentions de langues mandingues (27) et de langues ouest-atlantiques (28) restaient équilibrées. Mais à y regarder de plus près, le wolof dominait nettement entre les langues ouest-atlantiques suivi - mais de très loin - par le temne. Cette répartition ressemble à ce que nous avons vu sous 2.2.1 : parmi les 76 mots du cs. à signifiants d’origine africaine que comptait Nicolas Quint en 2006, 42 étaient mandingues, 18 wolof etc. (cf. Quint 2006 : 77). Tous ces chiffres sont maintenant à revoir à la lumière du Dictionnaire étymologique des créoles portugais d’Afrique de Jean-Louis Rougé (2004), sans qu’il faille s’attendre à ce qu’il nous livre un tableau complètement différent. 2.2.5.2.2 Pourquoi sont-ils si peu nombreux ? Le nombre total de signifiants d’origine africaine en cs. restera très réduit, compte tenu du fait que l’île de Santiago se trouve à 500 km seulement de la côte africaine et que cette île n’a jamais renoncé totalement aux contacts avec 125 En 2008, il redescend à 70 (quatre mots wolof, un mot bantou et un mot d'une langue atlantique autre que le wolof et le temne de moins, cf. les tableaux dans Quint 2006 : 77 et 2008 : 33). 126 À propos de certains mots, nos deux autorités invoquent plus d’une langue africaine. <?page no="219"?> 219 le continent africain. Presque 2000 ans après la conquête de la Gaule par Jules César, il reste peut-être autant de signifiants d’origine celte en français que de signifiants d’origine africaine en cs. Il ne faut pas s’en étonner. Dans les sociétés esclavagistes, les conditions sociales qui mènent à la créolisation obligent le groupe socialement infériorisé « to make shift with the more tangible part of the other’s language » (Douglas Taylor 1956 : 413). Reformulé dans les termes proposés sous 1.2.5.3, nous dirons que ces conditions obligent le groupe infériorisé à remplacer les signifiants de leurs propres langues par d’autres créés à partir des substances phoniques fournies par leurs maîtres dans leurs discours en langue de base. Ce qui demande à être expliqué c’est plutôt pourquoi tel ou tel signifiant africain a pu échapper à cette contrainte. 2.2.5.2.3 Pourquoi certains ont-ils tout de même survécu ? Nous rencontrons d’abord un groupe de mots aux signifiants africains, dont la survie en créole s’explique facilement. Du point de vue géographique et climatique, les îles du Cap Vert sont bien plus proches de l’Afrique que de l’Europe. Les Portugais y rencontrèrent et y introduisirent des réalités typiquement africaines pour lesquelles seules les langues des peuples africains et des esclaves acquis en Afrique offraient des noms. Chaque fois que les colons portugais se trouvaient confrontés à une telle réalité africaine, il y avait d’excellentes chances pour qu’un mot de quelque langue africaine de grande diffusion sur le continent et parmi les esclaves passe dans le créole. C’était le cas de certaines plantes ou animaux (plus ou moins) exotiques pour les Portugais. C’est ainsi qu’on a, pour ne donner que quelques exemples, pour les plantes : mafáfa, nom d’une sorte d’igname ; mankára ‚la cacahuète’ ; polon ‚le fromager’ ; sibi ‚le rônier, une sorte de palmier’. Et pour les animaux : bága-bága ‚une grosse fourmi rouge’, dundu ‚une sorte de grosse fourmi noire qui pique fort’. Pour des raisons analogues, une partie de la culture matérielle africaine devait nécessairement survivre sur ces îles. Cela explique la présence, dans le créole de Santiago, de mots à signifiants d’origine africaine comme bindi ‚la couscoussière’ et boli ‚une sorte de calebasse qui sert à conserver et à transporter des boissons’. Le verbe bónbu désigne la façon caractéristique des femmes africaines de porter leurs enfants sur le dos, le verbe kotxi l’action de décortuquer le maïs et tente celle de séparer la farine de maïs plus grosse de la plus fine en agitant la corbeille d’une certaine façon. On a en plus funku ‚la paillote traditionnelle de Santiago, cabane de berger’, kalman s. ‚une louche en calebasse’. Siré est le tabac à chiquer mélangé avec du beurre et de la cendre, donc prêt à être consommé (en mandingue síra est par contre le tabac à priser). Ori est le nom d’un jeu très connu sous ce nom dans une grande partie de l’Afrique et au Cap Vert. Certaines croyances et coutumes peuvent longtemps survivre dans une population à laquelle une nouvelle religion et un nouveau mode de vie ont été <?page no="220"?> 220 imposés. Des pratiques largement répandues dans l’Ouest africain et que les esclaves considéraient comme étant particulièrement efficaces, ont pu gagner, accompagnées du vocabulaire correspondant, l’ensemble de la population capverdienne, où le métissage des populations africaines et européennes a été instantané. La présence, dans le créole de Santiago, de mots comme djabakós ‚guérisseur’, djánbu ‚pleurer qn. (de façon ostensible)’, s’explique donc assez bien. C’est encore ici qu’il faut ranger le mot tabánka qui, en créole santiagais, désigne une sorte d’association d’aide mutuelle. Cette association organise chaque année, le 3 mai, une fête moitié chrétienne, moitié païenne au rituel extrêmement compliqué. Tout le vocabulaire de ce rituel est d’origine portugaise, mais le mot tabánka lui-même est sans doute d’origine africaine (cf. Rougé 1999 : 57 et Brüser et al. 2002 : s.v. tabánka). Il est un groupe de mots créoles à signifiant d’origine africaine particulièrement intéressant. Voilà quelques exemples représentatifs : didjidji ‚osciller, trembler, secouer’, disdongu (le préfixe disest d’origine portugaise) ‚faire la sourde oreille’, djagasi ‚s’énerver, perdre la tête’, djongo ‚somnoler, sommeiller, tomber de fatigue’, djongoto ‚s’accroupir (par exemple pour déféquer)’, feti-feti ‚frotter (p.ex. le linge qu’on est en train de laver) ’, genge ‚se pencher, incliner’, korkoti ‚racler (p.ex. le fond d’une marmite avec une cuillère pour en retirer les derniers restes de nourriture)’, lokoti ‚grignoter, piquer (p.ex. de petits morceaux de gâteau)’, lolo ‚glisser, trébucher’, lónbu ‚(s’) emmitoufler’, mondo ‚s’accroupir, se recroqueviller, (se) froisser, rétrécir (en parlant du linge)’, mopi ‚(se) plier, (se) tordre, cabosser’, munhungi ‚(se) froisser’, ndjutu ‚récuser une nourriture parce qu’on la trouve insuffisante en quantité’, nheme ‚mâcher, mastiquer’, txuki et txuputi ‚(se) piquer (avec le bec)’. Les signifiés de ces mots n’ont rien de spécifiquement africain. Le portugais de l’époque devait forcément disposer de mots tout aussi aptes à désigner ces états et ces activités. Ce qui est commun à la plupart de ces verbes pourrait être formulé comme suit : ils mettent en scène des sujets humains surpris dans des attitudes ou engagés dans des activités ‚intimes’. Ces attitudes et activités ‚intimes’ n’avaient pas de rapport direct avec le monde du travail, ni avec les relations entre maîtres et esclaves. Les occasions de se servir de ces verbes en public devaient être rares. On s’en servait dans les relations intimes, dans le couple, entre parents et enfants, entre enfants et entre compagnons de travail. Ils pouvaient ainsi longtemps survivre dans la population esclave. Les enfants métis des colons les auront appris de leurs mères. Nous ne sommes pas les premiers à soutenir que le vocabulaire de l’intimité des langues ancestrales des créolisateurs a plus de chances de survivre dans les créoles que d’autres mots. En parlant de la créolisation à la Martinique, Felix Prudent affirme : « Le marché symbolique des langues africaines se réduit alors à des zones sémantiques spécifiques, la religion, la musique, peutêtre une sphère intime, mais le reste des interactions quotidiennes n’échappe pas à la créolisation » (Prudent 1985 : 163). Avant, Richard Allsopp avait déjà <?page no="221"?> 221 parlé de « intimate <...> cultural survivals » dans un contexte analogue (Allsopp 1979 : 93). Le groupe des mots ‚intimes’ à signifiant d’origine africaine nous a suggéré une idée qui doit rester à l’état d’hypothèse. Un tiers à peu près des 25 989 exemples qui illustrent l’emploi des mots d’entrée de notre dictionnaire du cs. provient de contes recueillis de la bouche de conteurs populaires et transcrits par des instituteurs capverdiens. Ces conteurs ont garni leurs contes, et surtout les discours des personnages qui y circulent, d’un assez grand nombre d’interjections. Nous les avons toutes accueillies dans notre dictionnaire, tout en essayant d’en donner une description fonctionnelle sommaire. Or, parmi ces interjections celles de caractère onomatopéique 127 présentent une apparence franchement exotique pour un Portugais. La jeune Portugaise qui avait la tâche de trouver des équivalents portugais les a toutes rendues par une quinzaine d’interjections portugaises que voici : Atchim ! , Brumm ! , Bum ! , Catrapus ! , Chape ! , Fru ! , Gluglu ! , Pá ! , Pipi ! , Pipio ! , Pum ! , Pumba ! , Zas ! , Zas-tras ! , Zupa ! Voilà la liste des interjections onomatopéiques du cs. que nous avons repérées, groupées selon certaines affinités phonétiques et sémantiques : Un premier groupe est constitué par les interjections Kráki ! , Láki ! , Pláki ! , Práki ! , Uáki ! Látxi ! , Krátxi ! , Plátxi ! , Uátxi ! , Kápu ! , Krápu ! , Lápu ! , Txápu ! , Uápu ! dont on se sert pour évoquer toute sorte de chocs, de déchirures etc. Pratiquement dans les mêmes circonstances, s’emploient les membres d’un autre groupe phonétiquement bien distinct : Bran ! , Kran ! , Krun ! , Pan ! , Pran ! , Pun ! , Ran ! , Uan ! , Uin ! , Van ! , Vun ! , Zan ! Quelques membres de cette série font preuve d’une certaine spécialisation. Une explosion sera normalement imitée par un Pun ! , un moteur qui s’emballe plutôt par un Vun ! . Au figuré, il semble qu’on puisse employer toutes ces interjections qui se terminent par une nasale pour signaler la rapidité d’un mouvement. Un troisième groupe phonétiquement bien individualisé ne se distingue toujours guère des précédents quant aux possibilité d’emploi : Bu ! Kru ! , Pau ! , Pu ! Sans rentrer pour le moment dans aucun groupe majeur Bruku ! et Pati ! permettent toujours les mêmes emplois. 127 Beaucoup d’auteurs refusent d’appeler ‚interjections’ des expressions onomatopéiques du type Atchoum ! , Ouah ouah ! , Pan ! , Ra(n)ta(n)plan ! , Tacatacatac ! (cf. par ex. Trabant 1983 et 1988, Ehlich 1986 : 9.3). Deux raisons nous incitent à leur conserver ce nom : d’une part, le fait que, tout comme les interjections universellement reconnues comme telles, les expressions en question font fonction d’énoncés indépendants, caractéristique qui semble avoir été à l’origine de la création du terme d’interjection chez les Romains ; d’autre part, le fait qu’on trouve dans ces expressions une réduction des fonctions langagières analogue (si bien inverse) à celle qui caractérise les ‚vraies’ interjections. En effet : tandis que la fonction de ces dernières est purement expressive (exprimant un état de l’âme ou de l’esprit) ou appellative (invitant à un certain comportement), celle des interjections onomatopéiques est purement descriptive (imitative). <?page no="222"?> 222 Par contre, dans Uás ! , Uis ! , Txás ! , Zás ! , Zis ! , c’est la plupart des fois la rapidité d’un mouvement ou d’un procès qui est visée. D’autres interjections onomatopéiques sont d’un emploi beaucoup plus spécialisé : Pufu ! évoque un atterrissage dans la poussière, tandis qu’une chute dans l’eau pourra déclencher un commentaire du type Txupu ! Txufu ! , Txulufu ! Puisque nous sommes arrivés aux liquides, citons encore Sulupu ! , Surupu ! pour le bruit qu’on doit éviter de faire en buvant et Tul-tul ! pour le bruit qu’on entend, par exemple, lorsqu’on verse du vin par le goulot d’une bouteille. C’est le Glouglou ! des Français. Nhu Lobu, avec Xibinhu protagoniste de beaucoup de contes capverdiens, se libère d’un serpent en l’avalant Flupu ! , Fupu ! Mais le serpent s’échappe par l’anus, Zupu ! Ce jeu se répète jusqu’à ce que Nhu Lobu s’assoie sur une pierre aiguë (cf. Silva 1987 : 371). On a encore Xiu ! pour le frôlement, Xuáti ! pour le sifflement d’un fouet ou d’une baguette et Xuiti ! pour l’éternuement, Pipilíu ! pour le gazouillement des oiseaux et Pipí ! pour le klaxon des voitures. Cette liste invite à toute sorte de réflexions : sur la richesse et la créativité des langues orales dans ce domaine, sur la plus grande importance du contour phonique global et la moindre importance de la valeur distinctive des phonèmes dans cette classe de mots, sur la presque impossibilité de faire le départ entre différentes interjections et variantes d’une même interjection etc. Nous nous limiterons à quelques réflexions concernant l’origine de ces éléments. On doit certainement croire les conteurs créoles doués d’une très grande créativité dans ce domaine. Pourquoi n’inventeraient-ils pas des Pran ! , Pátxi ! , Kápu ! qui ne figurent pas dans notre inventaire - s’ils ne l’ont pas déjà fait à notre insu ? Il est plus difficile de s’imaginer qu’ils inventent un Peng ! (courant en allemand) ou qu’ils adoptent le portugais Pumba ! Bref, on les voit plus facilement abandonner ou créer telle ou telle interjection que changer complètement de moules pour en créer. Et l’on se demande si ces moules euxmêmes, dont l’existence saute aux yeux, sont vraiment des créations créoles. Une fois admise l’hypothèse que ces moules font partie de l’héritage ‚africain’ de notre créole, on est amené à se demander ce qui a pu rendre possible leur survie en créole ou, inversement, quelles raisons auraient pu amener les esclaves déportés à Santiago à remplacer systématiquement leurs interjections onomatopéiques par des équivalents portugais ? Celui qui commente une chute en disant Práu ! n’incite à rien, ne promet rien, n’exprime aucun sentiment et n’affirme rien dont on puisse le rendre responsable. Il le dit, soit pour accompagner un évènement sous forme d’écho verbal, soit pour accompagner la narration d’un tel évènement en guise d’illustration sonore. Une narration sans interjections onomatopéiques est en quelque sorte comparable à un livre sans illustrations. Le message reste le même, mais il perd de sa couleur. Aucune conséquence majeure, dans des circon- <?page no="223"?> 223 stances normales, si un locuteur emploie une interjection onomatopéique que son interlocuteur n’a jamais entendue auparavant. Par ailleurs, et grâce précisément à leur caractère onomatopéique, les locuteurs font pleinement confiance à ces expressions pour dire ce qu’elles sont censées exprimer. Finalement, et là nous rejoignons ce qui a été dit plus haut au sujet des mots ‚intimes’, c’est avant tout dans la conversation confidentielle que l’on sent le besoin et le désir de colorer ses discours en les accompagnant d’interjections onomatopéiques. Par contre, on n’a pas besoin ni de mots ‚intimes’, ni d’interjections onomatopéiques pour faire marcher les affaires ou pour organiser le travail. Ces réflexions sur une possible origine africaine des interjections onomatopéiques du créole santiagais, qu’on pourrait d’ailleurs étendre à ses idéophones, restent une hypothèse ; hypothèse difficile à vérifier ou à réfuter dans nos bibliothèques. Remarquons toujours que Angela Bartens mentionne un idéophone du mandinka, pirikit, parakat ‚abruptly, suddenly’, une interjection onomatopéique Floup ! ‚of rapid action, particularly swallowing’ dans le malinké, le dyoula et d’autres langues ouest-africaines, une autre Tòltòl ! pour un robinet qui goutte, dans le bambara, une troisième Páu ! ‚of a sound, e.g. an explosion’ qui correspondent assez bien aux (labánta/ parse/ txiga) prikiti ‚(...) immédiatement’, Flupu ! , Tol tol ! et Páu ! de notre créole (cf. Bartens 2000 : 83, 66, 107, 137). Si les déductions ci-devant étaient correctes, il faudrait s’attendre à une plus grande influence du portugais du côté des interjections expressives et appellatives. Cette supposition est largement vérifiée par les faits. Tout comme les Portugais, et pour exprimer les mêmes sentiments, les locuteurs du créole santiagais disent Ái ! , O ! , Ui ! , Pó ! et Pá ! (Ces interjections ne sont nullement universelles. En allemand on dirait plutôt Au(a) ! , Oh ! , Autsch ! , Verdammt ! et Mensch ! ) Et comme les Portugais les locuteurs de notre créole disent O ! (avec un [o] fermé, il est vrai, tandis que celui de son pendant portugais est ouvert), Oi ! pour interpeller quelqu’un, En ? lorsqu’ils n’ont pas compris et Psiu ! pour demander le silence. Même le cs. Xitu ! utilisé pour faire avancer l’âne et le cs. Xó ! dont on se sert pour chasser les poules sont sans aucun doute d’origine portugaise (cf. pg. Chit-o ! , Xô ! ). On voit donc que certains mots africains ont pu échapper à la substitution hâtive de leur signifiant par un signifiant d’apparence portugaise, substitution que les circonstances sociales imposaient dans les autres cas. La majorité de ces exceptions s’explique assez facilement. Il s’agit, d’une part, de mots désignant des réalités de la nature ou des civilisations africaines et, de l’autre, de mots ‚intimes’ désignant des comportements humains universels, mais dont on ne parle qu’à ceux avec lesquels on partage vraiment sa vie. La tendance naturelle des Africains déportés à Santiago a dû être de se défaire le plus vite possible de tout ce qui risquait d’entraver sérieusement la communication avec les maîtres, mais aussi de conserver - même sur le plan de l’expression - quelques brins de leur identité. <?page no="224"?> 224 2.2.5.2.4 Difficulté de mesurer l’impact d’une langue africaine au nombre des signifiants qu’elle a légués au cs. « Il convient d’être très prudent quant aux origines africaines d’un mot [créole, J.L.]. Le plus souvent, il a semblé préférable d’établir une parenté entre le créole et un ou plusieurs termes d’une ou plusieurs langues africaines plutôt que de dire : ‚tel mot créole a pour étymon tel mot de telle langue africaine’. Un seul terme créole peut souvent être mis en rapport avec des mots provenant de diverses langues africaines ; la situation de contacts linguistiques sur le continent africain a engendré de nombreux emprunts lexicaux et il n’est jamais aisé de savoir qui a emprunté quoi à qui » (Rougé 2004 : 29). Ajoutons à cela, que plus un mot était répandu parmi les peuples de la côte, plus de chances y avait-il pour qu’il fasse surface en cs. Les renvois à plusieurs langues africaines pour un même terme du cs. dans le Dictionnaire étymologique des créoles portugais d’Afrique de Jean-Louis Rougé rendent effectivement l’évaluation de la contribution relative de chacune au cs. assez délicate. Ce n’est pas tout : « Une partie des lexèmes d’origine africaine sont entrés en créole par l’intermédiaire du portugais … » (Rougé 2004 : 14). Une page avant Jean-Louis Rougé avait déjà expliqué : « Le XV e siècle est pour le portugais l’époque d’une grande ‚circulation lexicale’ ; le vocabulaire de cette langue s’enrichit de mots venus d’Amérique, d’Asie, qui servent surtout à désigner une réalité étrangère à l’Europe, le plus souvent une flore jusque là inconnue. On retrouve une grande partie de ces mots nouveaux dans les créoles, soit parce que ces réalités étrangères aux Portugais existaient aussi en Afrique, soit parce qu’elles y ont été introduites très tôt par les voyageurs. Dans ce lexique portugais, trouvent place aussi de nombreux mots venus des langues africaines parlées dans les régions proches de chacune des zones de créolisation ». Admettre l’influence d’une langue africaine sur le cs. sous prétexte qu’on y trouve quelques signifiants qui remontent en dernière instance à cette langue peut donc à la limite être comme si l’on reconnaissait une telle influence au tupi parce que le cs. possède le mot marakujá (var. maría-kujá). Encore un dernier point. Tandis qu’il semble raisonnable de supposer que les bases de la grammaire du cs. ont été jetées par les premières vagues d’esclaves majoritairement d’origine wolof, les esclaves arrivés plus tard devant grosso modo se conformer à ce qu’ils trouvaient déjà fait, il se pourrait bien que certains mots des langues des derniers venus aient eu plus de chance de faire souche en cs. Ces réflexions incitent surtout à nous méfier des africanismes désignant des réalités typiquement africaines, lorsqu’il s’agit d’évaluer le poids relatif de différentes langues africaines dans la formation du cs. Les mots ‚intimes’, les interjections onomatopéiques et les idéophones d’origine africaine pourraient se révéler plus utiles à cette fin. Ce sont des mots qu’on ne voit pas voyager avec les Portugais. Reste à savoir si les interjections onomatopéiques et les idéophones ne caractérisent pas plutôt des Sprachbünde que des langues individuelles. <?page no="225"?> 225 2.2.5.3 Mots à signifiés (partiellement) d’origine wolof 2.2.5.3.1 w. rekk - cs. so Le w. possède un élément rekk qui signifie ‚seul, seulement, … ne … que’. Pour Fal et al. 1990, il s’agit d’une particule d’insistance, pour Diouf 2003, d’un adverbe. Le signifié de rekk est ‚seulement’, selon les deux dictionnaires. Étant donné qu’on traduit assez souvent par seul(e), cette classification pourrait surprendre. Rappelons pourtant que le wolof ne possède pas d’adjectifs (ni en fonction d’épithète, ni en fonction d’attribut). Le contenu de nos adjectifs y est véhiculé par des verbes, à nos épithètes correspondent des subordonnées relatives etc. Rekk ne peut donc pas être adjectif, mais il n’est pas non plus verbe. Nous distinguons quatre sens, pour le rekk du w. Ces quatre sens se laissent d’ailleurs sans trop de difficulté réduire à un seul signifié de langue. En effet, en employant rekk, les locuteurs wolof donnent invariablement à entendre que quelque chose (généralement une certaine quantité) reste en dessous de ce qu’on pouvait attendre : 1. Voici tout d’abord une série d’exemples où ce rekk est rendu ou pourrait être rendu par seul(ement) : w. Moom rekk laa woo. ‚C’est lui seul que j’ai appelé.’ (Diouf 2003 : s.v. rekk, adv.) w. Ñaari gaal rekk a teeragum. ‚Pour l’instant, il n’y a que deux pirogues qui sont de retour.’ (Fal et al. 1990 : s.v. rekk, part. d’insistance) w. Moomuñu kër gi ñu dëkk, dañu ko luye rekk. ‚Ils ne sont pas propriétaires de la maison qu’ils habitent, ils l’ont simplement louée.’ (Fal et al. 1990 : s.v. moom, v.) 2. Dans d’autres exemples, w. rekk se traduit ou pourrait se traduire par toujours, sans cesse : w. Xale baa ngiy wokk lëf li rekk, mbaa du mellentaan a ko màtt ? ‚L’enfant ne fait que se gratter le sexe, une fourmi ne l’a-t-elle pas piqué ? ’ (Fal et al. 1990 : s.v. lëf l-, n.) w. Sama baay a nga kow ga rekk, xawma sax ndax mas naa ñów Ndakaaru. ‚Mon père est toujours à l’intérieur du pays, je ne sais même pas s’il est jamais venu à Dakar.’ (Fal et al. 1990 : s.v. mas, v.) w. Moom kay dafa am bayre rekk, waaye am na fi ñu ko dàq woy. ‚C’est qu’il a beaucoup de succès, mais il y a des gens qui chantent mieux que lui.’ (Fal et al. 1990 : s.v. bayre b-, n.) Littéralement plutôt ‚toujours’ que ‚beaucoup’. <?page no="226"?> 226 Dans ces exemples où l’on peut traduire par toujours, c’est la variation dans le procès désigné par le groupe verbal qui est jugée inférieure à ce qu’on pouvait attendre. Ce qui revient à dire que les sujets mentionnés ‚ne font que ça’ - du moins pendant une certaine période. 3. S’ajoute un emploi, où w. rekk se rend ou pourrait être rendu en français par tous, plein de, entièrement : w. Nu ceeb bi mel ? - Neex rekk ! ‚Comment est le riz ? - Très bon ! ’ (Fal et al. 1990 : s.v. mel, v.) (neex 'être bon') w. Yàpp wi amul suux, caas rekk la. ‚Le morceau de viande n’a pas de chair, ce n’est que des tendons.’ (Fal et al. 1990 : s.v. caas g-, n.) Dans ces exemples, c’est le nombre de qualités qui sont attribuées à un ou plusieurs objets qui est jugé inférieur à ce qu’on pouvait attendre. 4. Il y a finalement un emploi très fréquent où le rekk du w. se traduit, en français, par dès que, aussitôt que, à peine : w. Dafa jënd pàkk bi rekk, tàmbali ko sàkket. ‚Dès qu’il a acheté le terrain, il y a mis une palissade.’ (Fal et al. 1990 : s.v. sàkket, v.) w. Dafa dégg turam rekk, ni fojjet jóg. ‚Dès qu’il a entendu son nom, il s’est dressé tout droit.’ (Fal et al. 1990 : s.v. fojjet, v. cov.) w. Dafa ko séen rekk, fëx. ‚Dès qu’il l’a aperçu, il a détalé.’ (Fal et al. 1990 : s.v. fëx, v.) w. Saay-saay bi dafa ko màtt rekk, ñu yóbbu ko dispàñseer. ‚Dès que le serpent l’a mordu, on l’a amené au dispensaire.’ (Fal et al.1990 : s.v. saaysaay b-, n.) Cette fois-ci, c’est le nombre d’événements qui précèdent un autre qui est jugé inférieur à l’attente. D’où l’effet de sens d’une succession immédiate des événements mentionnés dans la proposition accompagnée de rekk et la proposition suivante. Ainsi, selon le locuteur du premier exemple, aucune autre action n’est intervenue entre l’achat du terrain et la construction de la palissade. En bonne logique, ce rekk ‚dès que ..., à peine ...’ est souvent suivi de daldi, dans la proposition suivante (cf. 2.2.3.12.1) : w. Boo gisee sa baay rekk daldi murtat. ‚Dès que tu vois ton père, tu deviens exubérant.’ (Fal et al. 1990 : s.v. murtat, v.) <?page no="227"?> 227 w. Dafa ñów rekk ma daldi dem. ‚Il est venu et je suis parti aussitôt.’ (Fal et al. 1990 : s.v. daldi, v. opérateur) Restent quelques emplois du w. rekk pour nous difficiles à décrire et à classer : w. Man kay maa ngi ci say loxo ; sarax ma rekk sériñ ! ‚En ce qui me concerne, mon sort est entre tes mains ; aies pitié de moi, je t’en prie seriñ ! ’ (Robert 1991 : 174) w. ... ndax mag ñu jëkk ñi, ku leen woo ci dee rekk, woo nga leen ci lu neex lool. ‚..., car les anciens, quand tu les invites à la mort, tu leur fais plaisir ! ’ (Kesteloot/ Dieng 1989 : 121) Passons maintenant au cs. Il dispose d’un élément so [ so] qui remonte au pg. só [ s ] (< lat. s lum). Cet élément permet tous les emplois 1 à 4 que nous venons de documenter pour le rekk du w. Voici des exemples créoles que le lecteur comparera aux exemples w. rangés plus haut sous le même numéro : 1. ‚seul, seulement, … ne … que …’ : cs. El tenba un fidju so. (58/ 4) ‚Elle n’avait qu’un (seul) fils.’ cs. Modi ? ! ... Inda nu sta so na komésu ? (147/ 41) ‚Comment ? ! ... Nous n’en sommes qu’au début ? ’ 2. ‚toujours’ : cs. Kántu mi éra rapasinhu, nho, N ta bistiba so bibi. (NL 1/ 3) ‚Lorsque j’étais petit, je portais toujours un bibi [sorte de blouse que portaient les enfants et les pauvres].’ cs. Kel mos la ta ánda so ben konpodu. (RS) ‚Ce garçon est toujours correctement habillé.’ cs. Ka bu juga ku kel spikéntu, ael so batóta ki el ta fase pa e pode gánha. (RS) ‚Ne joue pas avec ce filou, lui, il triche toujours pour pouvoir gagner.’ cs. Anhos, nhos ka pode sta kaládu, ê so ta fase barudju. (RS) ‚Vous ne pouvez pas rester silencieux, toujours à faire du bruit.’ cs. E átxa dos xuxu fémia ta kume n’omésmu prátu, ku un kudjer, ta troka : un ta pánha bokádu, ta po kudjer na prátu pa kelotu pánha, so si. (76/ 36) ‚Il trouva deux diables féminins qui mangeaient dans une seule assiette, avec une seule cuillère, à tour de rôle ; l’une prenait une cuillerée, dépo- <?page no="228"?> 228 sait la cuillère dans l’assiette pour que l’autre se serve, toujours comme ça / et ainsi de suite.’ Les exemples w. de ce type, se laissent donc aisément traduire par so, en cs. Ainsi le w. Xale baa ngiy wokk lëf li rekk, mbaa du mellentaan a ko màtt ? ‚L’enfant ne fait que se gratter le sexe, une fourmi ne l’a-t-elle pas piqué? ’, se dira, par exemple, Mininu la sta so ta kosa si kábu mixa, manbá un furminga ki morde-l ? en cs. (traduction de J.L.). 3. ‚tous, plein de, entièrement’ : cs. Kenha ki ka ten dinheru ka ta pode luxa pamô kusas di luxu ê so káru. (RS) ‚Qui n’a pas d’argent doit renoncer au luxe, parce que les articles de luxe sont tous chers.’ cs. Kásas di Praínha ê so nóbri, ki mora la ê so ken ki pode. (RS) ‚Les maisons [du quartier] de Prainha sont toutes élégantes, ceux qui y habitent sont tous riches.’ cs. Anhos ê so kobárdu ! (220/ 22) ‚Vous êtes tous des lâches ! ’ cs. Si bu ka poba pé riba di kel pédra so limu la, bu ka ta loloba. (RS) ‚Si tu n’avais pas posé le pied sur cette pierre pleine de vase, tu n’aurais pas glissé.’ cs. Minina li ta sta so txagádu, … (RS) ‚Cette jeune fille est pleine de blessures, … .’ 4. ‚dès que, aussitôt que, à peine’ : cs. Só m-átcha trabádju, m-sai. ‚Dès que je trouve un (autre) travail, je quitte (mon entreprise).’ (NQ 1999 : s.v. só adj./ adv.) cs. E dába-mi un anel, e fla-m ma so e kema-m na dédu, pa N ben pamô ma sinon nos odju ka ta faze kuátu más. (303/ 19) ‚Elle m’avait donné une bague en me disant de la rejoindre dès qu’elle [la bague] commencerait à me brûler le doigt parce que sinon, on ne se reverrait plus.’ cs. Mininu li, so bu brinka ku el e ta ragánha denti. (RS) ‚Dès que tu joues avec cet enfant, il te sourit.’ cs. So N entra e da-m bofetáda. (RS) ‚Je suis à peine entré qu’il m’a flanqué une gifle.’ <?page no="229"?> 229 Le rekk dans l’exemple w. Dafa dégg turam rekk, ni fojjet jóg ‚Dès qu’il a entendu son nom, il s’est dressé tout droit’, peut donc être directement rendu par so, en cs. : So e obi si nómi, si ki e labánta prentxéntxa. (traduction de J.L.). De la même façon que le w. rekk ‚dès que ..., à peine ...’ entraîne souvent un daldi dans la proposition suivante, le cs. so s’y fait souvent suivre d’un kunsa. W. Dafa ñów rekk ma daldi dem. ‚Il est venu et je suis parti aussitôt.’ (Fal et al. 1990 : s.v. daldi, v. opérateur) peut ainsi être rendu en cs. par So e ben, N kunsa bai (traduction de J.L.) En plus des quatre emplois que nous avons aussi pu documenter pour le w. rekk, le so du cs. connaît encore deux autres emplois. Il peut faire fonction d’adjectif : cs. Mudjer ta fikába el so na káma ta rola, ti ki maridu ben. (51/ 9) ‚La femme restait seule au lit se tournant et se retournant, jusqu’au retour de son mari.’ Et il permet un emploi où on le traduira la plupart des fois par tellement (cf. angl. for sheer/ pure, out of sheer/ pure, all. vor lauter) : cs. Es bá da si pai notisia m’e gánha loteria, e kai la na txon so kontenti ki e fika. (RS) ‚Ils allèrent informer son père du fait qu’il avait gagné à la loterie, celui-là tomba par terre tellement il fut content.’ cs. N sta ku korpu kebrádu so korta pó. (RS) ‚Je suis crevé, rien que d’avoir coupé du bois.’ Dans ces exemples, c’est le nombre de causes (par exemple le contentement ou l’activité de couper du bois) qui ont produit un certain état de chose qui est jugé inférieur à ce qu’on pouvait attendre. D’où l’effet de sens que ces causes ont dû agir d’une façon particulièrement intense pour produire à elles seules cet effet. Il est temps, maintenant, de se demander, lesquels des emplois documentés pour le rekk du w. et/ ou le so du cs. sont aujourd’hui courants pour le só portugais. Or, il semble que seul l’emploi 1. et l’emploi adjectif (possible en cs. mais non en w.) le soient vraiment. Le sens ‚toujours, sans cesse’ (2.), est déjà carrément plus courant pour le so créole que pour le só portugais. S’il semble possible de traduire par un só portugais le so créole de notre premier exemple créole (cf. Quando eu era pequeno, só vestia batas), dans l’exemple des deux personnes qui se servent alternativement de la même cuillère, so si ‚toujours comme ça’, il ne serait plus possible de traduire par só, selon nos informateurs portugais. Et il semble tout à fait impossible de traduire par un só portugais, ces so créoles qui se traduisent en français par tous, plein de, entièrement - du moins dans les cas où c’est un adjectif ou un adverbe qui suit. Seulement avec un substantif, nos informateurs portugais se souviennent avoir entendu des <?page no="230"?> 230 phrases du type Detesto a Itália : s-o só mafiosos ou Esta menina é só feridas ou Esta pedra é só limo. L’emploi du pg. só au sens de ‚dès que’ semble exclu. Les faits présentés sous 2.2.5.3.1 inclineront peut-être quelque linguiste historien à voir dans la multiplication des emplois du so créole par rapport à ceux admis par le só portugais un changement linguistique mineur. Il s’agirait non pas d’une altération du signifié de l’élément en question, mais tout simplement de nouvelles applications d’un même signifié restées virtuelles en portugais. Ou, pour employer la terminologie de Eugenio Coseriu, il s’agirait d’un changement au niveau de la norme, de ce qui est normal dans une langue, et non pas au niveau du système, de ce qui y est en principe possible (cf. Coseriu 1967b). Or, il ne s’agit pas d’un changement en portugais. Cette augmentation du nombre d’emplois, ne concerne pas le só du pg. dans les écrits en portugais que nous ont laissés des auteurs capverdiens (André Álvares d’Almada, André Donelha, Francisco de Lemos Coelho etc.). Nous la constatons en comparant les emplois du cs. so à ceux du pg. só. Tout en gardant les emplois du pg. só, ce so créole semble avoir été investi de tous les emplois vraiment courants du w. rekk - emplois où rekk peut, par exemple, être traduit par toujours, entièrement, dès que. Il en aurait même acquis encore d’autres, s’il s’avérait que ceux où il se traduit par tellement n’existent pas pour le w. rekk. L’explication la plus naturelle de cet état de choses nous semble être la suivante. Dans certains énoncés des colons portugais où l’on peut le traduire par seulement, ce só rappelait aux créolisateurs wolof leur rekk. Ce qui les aura amenés à relexifier leur rekk sous forme de so. Plus tard, lorsque, au cours de leur apprentissage, ils ont acquis de vrais adjectifs et de vrais verbes copules, ils l’ont aussi utilisé en tant qu’adjectif épithète ou attribut comme ils l’entendait faire en portugais. Vouloir expliquer les emplois supplémentaires du cs. so comparés à ceux du pg. só en disant que ces emplois étaient déjà virtuellement possibles en portugais, serait insuffisant à plusieurs égards : cela n’expliquerait pas pourquoi un changement universellement possible s’est effectivement produit (cf. 1.3.2) ; ce serait taire que la plupart des emplois ‚nouveaux’ du cs. so étaient déjà courants pour un élément de la langue d’une bonne partie des créolisateurs, élément qui dans d’autres contextes pouvait parfaitement traduire le só portugais ; et ce serait faire comme si nous avions affaire à un changement dans un portugais capverdien et non pas d’abord à une relexification et par la suite à un changement dans la langue des apprenants qui la rapproche du portugais. 2.2.5.3.2 w. am/ ame - cs. ten/ tene Comme les autres langues ibéro-romanes, le portugais possède deux verbes pour traduire le français être : estar pour les états en principe transitoires et ser qui n’évoque aucune limite temporelle. C’est de cette façon qu’on a coutume d’expliquer la différence entre <?page no="231"?> 231 pg. Maria está bonita. ‚Marie est belle (aujourd’hui, en ce moment).’ et pg. Maria é bonita. ‚Marie est (une) belle (femme).’ Les créoles portugais du Cap Vert, de la Casamance et de la Guinée-Bissau font la même différence. En cs., on oppose ainsi María sta bunita à María ê bunita. Qui plus est, cette distinction ne se fait pas seulement du côté de l’être, mais aussi du côté de l’avoir. Le cs. oppose ainsi ten [ t ( )] pour la ‚possession essentielle’ à tene [ teni] pour la ‚possession occasionnelle ou accidentelle’ (les termes sont de Jean-Louis Rougé) : cs. María ten dinheru. ‚Marie a de l’argent (est riche).’ cs. María tene dinheru. ‚Marie a de l’argent (sur elle).’ Certains locuteurs du moins disaient encore [te ne] au lieu de [ teni], vers la fin du XIX e siècle. C’était le cas de Paula Brito qui a publié, en 1888, des Apontamentos para a gramática do crioulo que se fala na ilha de Santiago de Cabo Verde (cf. Paula Brito 1967 : 374, avec la note 16). La prononciation [te ne] survit d’ailleurs dans tous les cas où suit une désinence ou un pronom enclitique (cf. E teneba [te neb ] un nabádja na mo ‚Il avait un couteau à la main’, E tene-l [te nel] inda na mo ‚Il l’a toujours à la main’). Dans son Dictionnaire étymologique des créoles portugais d’Afrique (Paris : Karthala 2004) Jean-Louis Rougé commente comme suit cette coexistence de deux verbes pour ‚avoir’ : « En Guinée, en Casamance et à Santiago, les créoles possèdent deux verbes signifiant ‚avoir’. Ten, qui vient de la 3 e pers. du présent de l’indicatif, marque la possession essentielle, et tene en Guinée et en Casamance, têne~têni à Santiago [...] marque une possession occasionnelle ou accidentelle. On peut se demander pourquoi deux verbes alors que ni le portugais ni, semble-t-il, les langues africaines en contact n’opèrent cette distinction sémantique. Il pourrait s’agir d’une tentative de rationalisation de la part de locuteurs en présence de formes ou de prononciations différentes d’un même verbe ; cette rationalisation ayant pu se faire en analogie avec l’emploi de ser et estar en portugais. » Dans le Dictionnaire wolof-français de Fal et al., de 1990, le 27 e article a la teneur suivante : am, v. exister, avoir. Nee na ndëmm amul. Il dit que la sorcellerie n’existe pas. Am na ñetti doom. Il a trois enfants. [...]. <?page no="232"?> 232 Le 32 e article à la page suivante est plus court : ame, v. tenir, posséder. Moytuleen dof bi, paaka la ame ! Méfiez-vous du fou, il a un couteau ! Or, la différence entre ‚avoir des enfants’ et ‚avoir un couteau sur soi’ est bien celle entre une ‚possession essentielle’ et une ‚possession occasionnelle’. L’information que donne le dictionnaire de Diouf est à peine moins instructive. Voilà son article ame : ame [ am ] v.t. < am 1. Avoir par-devers soi. Mënul ñów, moo ame xale bi elle ne peut pas venir, c’est elle qui a l’enfant. 2. Faire des commérages à propos de qqn. Yow lañu ame ca marse ba c’est de toi qu’on parle au marché. Syn. yore. Der. ameel. On a donc : possession essentielle possession occasionnelle w. am ame cs. ten tene Le w. am se traduit en cs. par le cs. ten, le w. ame par le cs. tene : w. Am na ñetti doom. cs. E ten tres fidju. ‚Il a trois enfants.’ w. Moytuleen dof bi, paaka la ame ! cs. Nhos diskunfia di maluku, e tene un nabádja. ‚Méfiez-vous du fou, il a un couteau ! ’ Le bambara, principale langue mandé à l’heure actuelle, fait une distinction en quelque sorte comparable entre Kitabu b Musa f ou Kitabu b Musa bolo ‚Musa a un livre’ et Kitabu b Musa kun ‚Musa a un livre sur soi’ (les soulignés indiquent le ton bas), mais - comme on le voit - il la fait en utilisant différentes postpositions (f , bolo, kun) (cf. Bird et al. 1977 : 108). Tous les exemples w. avec ame que nous avons pu repérer jusqu’à présent, admettent en cs. une traduction par tene. Pour n’en rajouter qu’un seul : w. Dafa ame xured. cs. E tene tósi konvulsa. ‚Il a (la) coqueluche.’ <?page no="233"?> 233 En w., mais seulement en w., on retrouve une opposition analogue à celle entre am et ame pour certains verbes sémantiquement affins : cf. moom ‚être propriétaire de, posséder’/ w. moome ‚prendre son tour’ et yor ‚tenir, avoir en charge, s’occuper de’/ yore ‚avoir sous sa dépendance, avoir à sa charge, avoir entre les mains’ (cf. Fal et al. 1990 : s.v. moom, moome, yor, yore). La forme la plus courte (cs. ten, w. am) est dans les deux langues de loin la plus fréquente. C’est la forme morphologiquement et sémantiquement non marquée. Là encore, les emplois sont largement les mêmes en w. et en cs. Dans les emplois impersonnels, on ne trouve par exemple que les formes courtes dans les deux langues. Il y a même des emplois parallèles des formes courtes sans aucune correspondance en portugais : w. Am naa fi ñaari fan. (Fal et al. 1990 : s.v. fan) ‚Je suis là depuis deux jours.’ (Littéralement : ‚J’ai ici deux jours.’) cs. Nu ten séti dia nu ka durmi. (287/ 24) ‚Nous n’avons plus dormi depuis sept jours.’ (Littéralement : ‚Nous avons sept jours nous n’avons pas dormi.’) Diouf/ Yaguello 1991 : 58 consacrent tout un paragraphe à cette « expression de la durée » en w. L’asymétrie dans la fréquence d’emploi des formes courtes et longues est plus accusée en w. qu’en cs. Il est donc probable que la paire santiagaise ait effectivement subi l’influence de la paire ser/ estar du portugais, comme le suggère Jean-Louis Rougé. En w. am s’emploie aussi dans des contextes où ten aussi bien que tene sont exclus en cs. (de même que ter en portugais) : w. Weer wi am na fukki fan tey. (Fal et al. 1990 : s.v. fukk) ‚Aujourd’hui, c’est le dixième jour du mois.’ Littéralement : ‚Le mois a dix jours aujourd’hui.’ Rappelons, avant de conclure, que le papiamentu, créole à base espagnole mêlée de portugais, possède lui aussi, deux descendants du verbe te(ne)r, a savoir tin (en fin de groupe tini) et tene. Voilà comment Rudolf Lenz commente cette coexistence : « ... ; la Imitación di Cristoe […] escribe siempre tien por tin [parce que l’orthographe hollandaise rend [i: ] par <ie>] ; i parece evitar la forma tini; en otros testos se vacila entre tin i tini ; pero en todos se halla también tene como forma fuerte sobre todo con el sentido ‚mantener, sujetar, abrigar’, i en presente está jeneralmente acompañado de ta, que suele faltar al lado de las formas tin o tini » (Lenz 1927 : 173). En cs., il n’est pas usuel d’employer ta avec tene et les exemples que Rudolf Lenz donne par la suite montrent bien que la différence entre pap. tin(i) et tene n’est pas tout à fait la même que celle <?page no="234"?> 234 entre cs. ten et tene. Il pourrait s’agir d’un écho plus distant de l’opposition wolof. On sait qu’il existe beaucoup d’affinités entre le cs. et le papiamentu. Une étude approfondie des relations historiques entre ces deux langues serait souhaitable. En résumé : On observe un parallélisme morphologique et sémantique étonnant entre w. am ~ ame et cs. ten ~ tene. Il concerne des verbes hautement fréquents qui se trouvent au cœur du vocabulaire des deux langues. Par rapport à la langue de base, il s’agit bel et bien, dans le cs., d’une complexification et non pas d’une simplification. La matière phonique de cs. ten, tene est essentiellement d’origine portugaise ou européenne. Il est vrai qu’on ne trouve pas d’antécédent direct pour le santiagais tene [te ne] en portugais. Mais on se souviendra que l’espagnol avec son tener et l’italien avec son tenere étaient, eux aussi, présents sur l’île, à l’époque de la créolisation. 128 Du côté de la matière sémantique, la continuité entre les antécédents romans et leurs dérivés créoles est tout aussi évidente. Ten et tene signifie toujours ‚avoir’ en cs. C’est donc une fois de plus sur le plan des substances phonique et sémantique que se situe l’héritage portugais (et européen) du cs. (cf. 1.2.5.3). Mais comment ignorer l’évidence d’une autre continuité non moins évidente entre le wolof et le cs. ? L’existence de deux verbes signifiant ‚avoir’, l’un, terme non marqué, pour la possession essentielle, et l’autre, terme marqué, pour la possession occasionnelle et la présence d’un -e final dans le verbe qui exprime la possession occasionnelle, n’est-ce pas carrément wolof ? Le rapport morphologique et sémantique entre les deux verbes, c’est-à-dire l’opposition morphologique -/ -e et l’opposition sémantique ‚avoir’/ ‚avoir occasionnel’ proviennent de la langue africaine. Nous avons affaire à des structures morphologiques et sémantiques de leur propre langue que les créolisateurs wolof ont imposées à des substances phoniques et sémantiques puisées dans les discours de leurs maîtres. Et la créativité des créolisateurs ? Ne sort-elle pas quelque peu diminuée de cet examen ? Nullement ! Il n’y a pas de créations ex nihilo ! Que les créolisateurs aient utilisé la matière portugaise et les catégories de leurs langues ancestrales n’ôte rien au fait qu’ils ont construit une langue entièrement neuve. Ils ne se sont d’ailleurs pas limités à décider quelles matières portugaises allaient être coulées dans quels moules africains (ce qui ne serait déjà pas peu faire). En fait, ce qu’ils ont produit n’est ni exclusivement portugais par la matière, ni exclusivement africain par la forme. Souvenons-nous : en combinant l’opposition portugaise ser/ estar (sous forme des verbes créoles ê/ sta) et l’opposition wolof am/ ame (sous forme des verbes créoles ten/ tene) et en étendant l’emploi de tene sous l’influence de son homologue du côté de l’être, les créoli- 128 Les variantes t er, t enr de l’infinitif (la première invoquée par Rougé dans Rougé 2004 : 270 s.v. ter) qu’on trouve encore parfois jusqu’au XVI e siècle dans les textes portugais à côté des formes courantes téér ou teer (cf. Maia 1986 : 836) nous semblent phonétiquement moins aptes à produire le cs. tene. <?page no="235"?> 235 sateurs ont créé un système à quatre cases, symétrique et admirablement équilibré comme il n’en existait ni en portugais, ni en wolof : essentiel occasionnel ‚être’ ê sta ‚avoir’ ten tene 2.2.5.4 Bilan Pour les raisons exposées sous 2.2.5.2, nous ne reviendrons pas sur les mots du cs. à signifiant d’origine africaine. Mais le cachet wolof des signifiés de cs. ten, tene et la trace wolof dans celui de cs. so nous suggèrent une observation finale. Il semble bien qu’on retrouvera dans le lexique du cs. la gradation que nous avons observée dans sa grammaire : à côté de quelques mots comme cs. ten, tene, où les contours des signifiés créoles ressemblent à s’y méprendre à ceux de certains signifiés de la plus importante parmi les langues des créolisateurs, on trouvera davantage de cas comme cs. so où le signifié créole ne correspond plus exactement à celui de l’élément wolof relexifié, sans pour autant avoir rejoint celui de l’étymon portugais. Et l’on trouvera évidemment aussi, dû à la cohabitation multiséculaire du cs. avec le portugais, beaucoup de cas où le signifié du mot créole et celui de son étymon portugais se recouvrent presque à la perfection, soit grâce à une révision continue du signifié d’un mot relexifié, soit parce que le mot créole est en réalité un emprunt tardif au portugais. <?page no="236"?> 236 3. Conclusions 3.1 Théorie D’après 1.1, l’histoire nous a livré, avec le mot créole, comme désignation de langues, un concept qui, de façon intuitive, visait un rapport historique spécifique de ces langues avec d’autres, souvent précisées par un adjectif adjoint (créole français, anglais, etc.). Nous pensons que la créolistique est appelée à expliciter cette intuition. Cet ouvrage voulait contribuer à l’accomplissement de cette tâche en circonscrivant, sur le plan théorique, la contribution des créolisateurs et de leurs langues ancestrales à la formation des créoles et, empiriquement, celle des locuteurs wolof au créole de l’île Santiago au Cap-Vert (cf. 0.1). Pour ce qui concerne la théorie, nous nous sommes montrés convaincus que les véritables moteurs de la créolisation sont des personnes linguistiquement adultes qui, au début, ignorent tout de la langue qu’ils créolisent. En essayant de se l’approprier comme une langue, seconde d’abord, puis première, ils cherchent à mettre à profit leurs savoir linguistique, notamment leurs connaissances de la langue ou des langues qu’ils maîtrisent déjà. En mettant l’accent sur cet aspect de l’apprentissage non guidé d’une langue seconde, nous avons négligé ou à peine effleuré bien d’autres aspects de la créolisation. Ainsi, nous n’avons guère pris en considération le fait que les partis impliqués ont pu ne viser, au tout début, qu’une communication reposant largement sur une grammaire pragmatique universelle (cf. pourtant 1.2.5.5 pour le rôle du foreigner talk). Nous nous sommes crus autorisés à le faire, puisque, par définition, une telle ‚basic variety’ n’est pas encore un créole. Nous n’avons pas parlé des enfants créoles (esclaves et européens), bien que nous leur reconnaissions volontiers un rôle important dans le processus de nivellement des différences entre versions créolisées concurrentielles (cf. 1.2.6.3). C’est que l’image de deux générations, une première dont les membres maîtrisent encore les langues ancestrales tout en se servant déjà d’un pidgin fortement imprégné de celles-ci et une deuxième livrée aux variétés pidgin de la première est complètement artificielle. On oublie que ce n’est que dans le sein d’une famille - cellule particulièrement fragile dans le monde des esclaves - qu’on trouve deux ou trois générations bien distinctes. Dans la société, esclavagiste ou non, toutes les classes d’âges cohabitent et apprennent les unes des autres. Et ce ne sont pas les enfants qui y éprouvent le plus urgent besoin d’un moyen pour communiquer avec tout le monde. Finalement, nous n’avons mentionné les locuteurs de la langue de base qu’en relation avec le foreigner talk, bien que nous ne comptions pas les enfermer dans un rôle purement passif dans le processus de la créolisation. Ils <?page no="237"?> 237 auront maintes fois collaboré, parfois même de façon consciente et intéressée, à l’élaboration du créole, en corrigeant ou en acceptant. Pourtant, s’ils avaient vraiment donné le ton, il n’y aurait pas eu créolisation. Comme presque tout le monde, nous avons donc rapproché la créolisation de l’apprentissage non guidé d’une langue seconde (cf. 1.2.5). Les recherches dans ce domaine nous ont appris que pas tout de ce qui sépare les interlangues de personnes engagées dans un tel apprentissage est le fruit d’interférences de leurs langues premières. Cela a amené certains à sous-estimer grandement l’importance capitale de la présence de ces langues dans l’esprit de ces apprenants. Au départ, leur espérance sera toujours que tout, dans cette langue à apprendre, se passe comme dans celles qu’ils connaissent déjà, sauf que les signifiants y sont composés d’autres suites de phonèmes (cf. 1.2.5.2). Espérance abandonnée à regret, mais seulement au fur et à mesure qu’elle sera effectivement démentie par la pratique. Par conséquent, on peut considérer une langue comme étant la version créolisée d’une autre dans la mesure où elle garde les traces - presque toujours indirectes - de cette première démarche, c’est-à-dire dans la mesure où elle remonte, en dernière analyse, à l’interprétation de substances phoniques (continuums sonores qui atteignent les oreilles des créolisateurs) et sémantiques (le sens global que ceux-ci croient avoir capté) de discours dans la langue de base à l’aide de formes phoniques, morphologiques, syntaxiques et sémantiques des langues premières des créolisateurs (cf. 1.2.5.2-4). Insistant sur cet aspect d’apprentissage dans la créolisation, nous nous sommes résolument opposés à ceux qui ne distinguent pas entre la créolisation et le changement d’une certaine langue (cf. 1.2.3-4). Selon nous, pour changer quelque chose à un phonème, un signe, une construction etc. il faut posséder l’élément linguistique en question. Ce n’est pas le cas des créolisateurs en tant que tels. 129 Un changement linguistique consiste dans un dépassement d’un certain état X d’une langue. Le résultat est un état de cette langue qui se trouve dans l’au-delà de X (sans qu’il soit nécessairement ‚meilleur’). Par opposition, le résultat de la créolisation vue comme apprentissage de cette langue reste par définition en deçà de celle-ci. Reprenant un schéma que nous avons utilisé à la fin de 1.2.3.2.3.1 pour visualiser les différents rapports qu’entretiennent un français d’apprenant et un français changé avec le français servant de référence, nous pouvons visualiser de façon analogue les rapports qu’entretiennent un créole français et un français changé avec un français de référence : 129 Même si un créolisateur change quelque chose à une structure de la langue de base qu’il a réussi à intégrer dans son créole, ce changement fera rarement fortune dans la langue de base, puisque le proposant n’est pas considéré comme étant compétent dans cette langue. <?page no="238"?> 238 créole français français français changé créolisateur Français créolisation/ apprentissage du français changement du français Tableau 16 : Schéma récapitulatif opposant créolisation/ apprentissage et changement du français Étant donné que les créolisateurs ne sont pas arrivés à la connaissance exacte des phonèmes, mots et constructions du français de référence, leurs créations ne peuvent pas être décrites en termes de changements de ces phonèmes, mots et constructions (il n’y a pas de flèche allant du français de référence à sa version créolisée) - sous peine de postuler des changements irrationnels et sans agents. S’il doit être permis de rapprocher la créolisation de l’apprentissage d’une langue seconde, il est tout aussi vrai que le mépris qui a longtemps frappé les créoles provient justement de ce qu’on l’y a réduite. La créolisation a ainsi été identifiée à un apprentissage qui a échoué. Or, la créolisation est création d’une langue neuve à plein rendement pour une communauté neuve (cf. 1.2.6.1-7). C’est-à-dire que la langue de base, si elle peut être la cible des créolisateurs au début, est abandonnée par ceux-ci en tant que telle, au profit de cette langue neuve pour une société neuve qui en a besoin. La mise à profit de substances de discours dans la langue de base et de formes des langues ancestrales des créolisateurs ne cesse pas pour autant. Au contraire, les créolisateurs sont dorénavant plus libres de se servir, selon leurs besoins, parmi les substances offertes par les discours en langue de base pour construire cette langue neuve (cf. 1.2.6.2). Nous admettons que le multilinguisme courant dans les populations serviles des colonies a dû rendre difficile la survie telles quelles, dans les créoles, de structures de langues ancestrales déterminées (cf. 1.2.6.5). Mais nous avons fait observer deux choses. Premièrement que ce n’est pas une condition sine qua non de la créolisation que les créolisateurs parlent différentes langues ancestrales (cf. 1.2.1 avec les notes 7 et 8). Deuxièmement, que l’image d’un pool de traits alimenté par toutes les langues en présence, où les créolisateurs se serviraient librement en fonction de ce qui est particulièrement répandu, peu marqué, naturel etc. est inconsistante <?page no="239"?> 239 (cf. 1.2.6.4). L’unité ne peut se faire qu’autour d’une version, version privilégiée pour une raison ou pour une autre, mais aussi modifiée par ses locuteurs pour la rendre plus accessible aux autres. Même dans ses parties effectivement créolisées, un créole qui est né dans une société multilingue ne peut donc jamais être un simple calque d’une seule parmi les langues ancestrales des créolisateurs. Il ne faut donc pas désespérer de trouver pour chaque créole une langue parmi les langues premières de ses créolisateurs qui y ait laissé plus de traces que les autres. Mais il faut aussi s’attendre à ce que ses traces soient d’autant plus visibles que son modèle structural aura présenté des qualités lui permettant de mieux s’imposer face aux autres langues (cf. 1.2.6.4). 3.2 Application La vérification, pour ce qui est du créole santiagais, de la théorie que nous venons de résumer, présuppose l’identification des langues africaines qui ont pu jouer un rôle, lors de la créolisation du portugais à Santiago. Heureusement, ce problème avait déjà été résolu, pour l’essentiel, par un bon connaisseur de la situation linguistique de la région : Jean-Louis Rougé. Acceptant ses résultats, nous avons postulé qu’il s’agissait essentiellement de dialectes mandingues (peut-être surtout du mandinka à cause de sa position géographique sur la côte et sur les marges de la Gambie), du temne et du wolof (cf. 2.2.1.3- 5). Restait à savoir à laquelle de ces langues est échu le rôle directeur dans le processus. Pour des raisons qu’on a vues sous 2.2.1, les travaux de nos prédécesseurs avaient quelque peu détourné l’attention du wolof. Or, c’était justement l’empreinte wolof dans le cs. qui s’était révélée particulièrement forte, au cours de nos premiers sondages du côté africain (cf. 0.6). Il a donc fallu consulter l’histoire pour savoir si elle permettait de reconnaître aux locuteurs wolof un rôle prépondérant parmi les premiers esclaves déportés à Santiago. En l’absence de documents contemporains qui nous renseigneraient sur l’appartenance ethnique de ces esclaves, notre réponse, positive, à cette question (cf. 2.1.3) a dû s’appuyer sur des sources indirectes, mais tout de même assez probantes. Pour les difficultés empiriques sur le plan linguistique qui découlent de l’absence de documentation au sujet du wolof et des variétés populaires du portugais à l’époque de la créolisation et de l’absence d’ecrits rédigés en cs. avant la deuxième moitié du XIX e siècle, nous renvoyons à la Présentation (cf. 0.7). Nous y avons déjà fait remarquer que, si l’on trouve encore aujourd’hui des correspondances très spécifiques entre le cs. et le w., celles-ci risquent fort d’avoir été encore plus nombreuses entre le cs. récemment constitué et le w. de l’époque de la créolisation. Rappelons, avant de dresser une sorte de bilan des traces du w. dans le cs., que nous avons repérées, que les différents domaines de la langue n’ont pas <?page no="240"?> 240 été pris en compte dans la même mesure. Le domaine phonique a été exclu, ceux de la syntaxe et du lexique ont été à peine touchés. Le domaine verbal du w. et du cs. a fait l’objet d’une comparaison relativement exhaustive, tandis que nous n’avons pris en considération, dans le domaine nominal, que les affinités qui nous ont frappés (cf. 0.8). Pour un bilan concernant le domaine verbal où nous avons aspiré à une certaine exhaustivité nous renvoyons le lecteur à 2.2.3.13. Ici nous évaluerons l’ensemble de nos résultats en les rangeant dans trois catégories : A. Cas où l’empreinte wolof semble hors de doute, B. Cas où cette empreinte semble très probable, C. Cas où elle ne peut être exclue. A. Cas où l’empreinte wolof semble hors de doute : On expliquera difficilement la réinterprétation morphologique et sémantique des adverbes déictiques ali [ li], lá [la] du pg., les deux pour ce qui se trouve loin du locuteur, sous forme de cs. li [ li] et la [ l ], le premier pour ce qui est proche, le deuxième pour ce qui se trouve loin du locuteur, sans faire intervenir les amalgames w. du classificateur lavec les voyelles déictiques [i] pour la proximité et [ ] pour l’éloignement (cf. 2.2.2.4 avec w. loxo li, loxo la et cs. brásu li, brásu la, respectivement ‚le bras que voici’, ‚le bras que voilà). Comme en w., l’opposition inclusive (cf. 2.2.3.2) entre formes sans et avec la marque de l’imperfectivité traverse pratiquement tout le système verbal du cs., les formes respectives rendant sensiblement les mêmes services dans les deux langues. Rien de comparable en portugais. Nous voyons dans la marque créole de l’imperfectivité ta une espèce de relexification de la marque wolof di (cf. 2.2.3.2 et 2.2.3.4). L’opposition inclusive entre formes sans et avec la marque de l’antériorité traverse, elle aussi, pratiquement tout le système verbal du w. et du cs., les formes respectives rendant de nouveau sensiblement les mêmes services dans les deux langues. Là encore, rien de comparable en portugais. Nous voyons dans la marque créole de l’antériorité -ba une sorte de relexification de la marque wolof -(w)oon (cf. 2.2.3.3 et 2.2.3.4). En cs. l’impératif n’est qu’un ‚mode de la parole’, qui ne dispose pas de formes propres comme en possède l’‚impératif de langue’ du w. On trouve néanmoins des affinités syntaxiques surprenantes entre les deux langues dans la syntaxe des actes directeurs. Dans les deux langues, le pronom sujet réapparaît à la forme négative où il se fait précéder et non pas suivre du morphème de négation (type *Ne tu travaille(s) ! ) et il réapparaît également dès la deuxième proposition dans une séquence d’actes directeurs (type *Viens, tu travailles ! ) (cf. 2.2.3.7). On cherche en vain, dans les langues romanes, une périphrase verbale ‚de taxe’ du type cs. kunsa fase ‚faire après’. On la trouve en w. sous forme de daldi def ‚id.’. Comment croire à un hasard, si en plus les auxiliaires de ces deux périphrases dérivent tous les deux d’un verbe signifiant ‚commencer’ (cf. 2.2.3.12). <?page no="241"?> 241 Comme dans la plupart des langues de l’ouest de l’Afrique, y compris le w., et à l’encontre de ce qui se passe en pg., la coordination de deux syntagmes nominaux se fait en cs. à l’aide d’un élément qui fait aussi fonction de préposition signifiant ‚avec’. (cf. 2.2.4.1) Comme en w., le dernier élément d’une énumération se joint, en cs. sans élément de relation aux précédents (cf. 2.2.4.1). Le fait que le cs. ait recruté un élément pg. signifiant ‚comme(nt)’ pour en faire son introducteur du discours indirect affirmatif ma (à l’origine kumâ) est certainement à mettre en rapport avec cet autre que tant le w. que le mandinka possédaient un élément qui rendait les deux services (et en plus celui d’un verbe du dire). Et le fait que le cs. ait préféré, pour ce faire, la variante coma de l’ancien pg. plutôt que sa variante como, sera dû au fait que le mandinka possédait un verbe du dire kuma (cf. 2.2.4.3). La paire cs. ten/ tene, respectivement pour la ‚possession essentielle’ et la ‚possession occasionnelle’ imite à tel point celle de la paire w. am/ ame - sur le plan sémantique aussi bien que sur le plan morphologique - qu’on peut parler d’une relexification de la paire w. (cf. 2.2.5.3.2) B. Cas où l’empreinte wolof semble très probable : Comme le wolof, et à l’encontre du portugais, le cs. dispose de trois séries de pronoms personnels (pronoms toniques, pronoms atones sujets et pronoms atones compléments). Deux de ces pronoms, le nu pronom atone sujet et complément de la 1 ière personne du pluriel et le N, -m pronom atone sujet et complément de la 1 ière personne du singulier, coïncident d’ailleurs, le premier avec le pronom wolof et le deuxième - sauf pour le ton - avec le pronom mandingue de même fonction (cf. 2.2.2.2). L’élimination de l’ambiguïté du pg. a sua casa ‚sa maison, leur maison’ et as suas casas ‚ses maisons, leurs maisons’ en cs. basilectal où l’on distingue entre si kása ‚sa maison’, ses kása ‚leur maison’, si kásas ‚ses maisons’ et ses kásas ‚leurs maisons’ y crée une régularité dont on trouve le modèle en wolof : expression de la personne et du nombre des ‚possesseurs’ dans le possessif et expression du nombre de ce qui est ‚possédé’ auprès du substantif. Les tournures possessives du cs. du type si diánti ‚devant lui’, ses diánti ‚devant eux’ (littéralement ‚*son devant’, ‚*leur devant’) s’expliquent assez bien en supposant que les prépositions toniques du pg. ont été prises pour des substantifs, suivant le modèle des nombreux substantifs w. qui fonctionnent comme prépositions (cf. 2.2.2.3). La marque complexe de l’aspect progressif du cs. (s’ta ou sa ta) remonte sans doute à la 3 e personne du singulier (e)stá de l’auxiliaire estar dans la périphrase progressive estar a fazer ‚être en train de faire’ du pg. Il semble pourtant très probable que ce soit la marque complexe de la variante imperfective du ‚situatif’ wolof *ngi di (> w. mod. ngi y) qui ait inspiré aux créolisateurs wolof la segmentation du pg. stá en deux parties, une marque de la progressivité s’ ou sa et une marque de l’imperfectivité ta (2.2.3.5). <?page no="242"?> 242 Le cs. n’a pas d’expression morphologique pour le réfléchi ni pour la réciprocité. Comme quantité d’autres langues du monde, il recourt à des substantifs pour exprimer ces deux sens. Nous ne croyons pas que ce soit par hasard qu’il ait choisi, comme le w., son mot signifiant ‚tête’ (cs. kabésa, w. bopp) pour exprimer le réfléchi et, comme le bambara, son mot signifiant ‚compagnon’ (cs. kunpanheru, bambara `g n) pour exprimer la réciprocité (cf. 2.2.3.11). Nous n’avons pas pu trouver de périphrase verbale du type cs. fálta fase ‚faillir faire’ en pg. Il en existe pourtant une en w. (xaw a def) (cf. 2.2.3.12). Il y a, dans le cs. so ‚seul(ement)’ un net élargissement des emplois courants pour le pg. só pour inclure ceux qui sont fréquents pour le w. rekk, mais rares ou inexistants pour l’étymon pg. só (cf. 2.2.5.3.1). C. Cas où l’empreinte wolof ne peut être exclue : La possibilité, en cs., d’insérer un -l entre les deux éléments d’un ‚syntagme complétif’ du type kása-l bánhu ‚salle de bain’ etc. pourrait s’expliquer par la possibilité, en w., d’introduire le classificateur du déterminé entre celui-ci et le déterminant dans les syntagmes de même type. Le -l de dentu-l kása ‚dans la maison’ s’expliquerait alors par le fait qu’aux prépositions toniques du pg. correspondaient en w. des substantifs faisant fonction de prépositions. La préférence que le cs. a accordée au -l aux dépens des autres classificateurs du w. s’expliquerait par le fait que lest aussi, en w., le classificateur utilisé à défaut de classe connue (cf. 2.2.2.1). Le pronom personnel tonique de la 3 e personne du pluriel du cs. es pourrait avoir une étymologie double. Il proviendrait d’un côté du pronom personnel pg. eles de même fonction et de l’autre, d’un pronom personnel w. de la 3 e personne du pluriel sorti d’usage, mais qui semble survivre sous une forme fossilisée dans le w. lees < li + ees ‚ce qu’on …’, littéralement ‚ce qu’ils …’ (cf. 2.2.2.2). Étant donné que le mode optatif du cs. marqué par ál exprime plus le souhait et la supposition que la ferme intention ou la conviction qu’on attribue à la périphrase portugaise há de fazer (3 e personne du sg. de l’indicatif présent), on est tenté d’invoquer, en plus de la périphrase pg. le nom de Dieu en w. Yálla, grammaticalisé sous forme de yal, Yálla et yal servant en w. à introduire l’expression d’un souhait (cf. 2.2.3.6). En cs. on peut procéder à la mise en relief d’un élément de la phrase sans employer la copule, juste en antéposant cet élément et en le faisant suivre de ki (Mi ki fase-l ‚ litt. *Moi qui l’ai fait). Le w. qui n’a pas de véritable copule et où l’on focalise à l’aide de particules focalisatrices spécialisées pour différents éléments de la phrase (sujets, compléments, prédicats verbaux) pourrait y être pour quelque chose (cf. 2.2.3.8). Vu le peu d’usage que le pg. a toujours fait de son passif analytique, la création d’un passif synthétique en cs. marqué par la désinence -du (Sa ta fasedu un fésta ‚On est en train d’organiser une fête’) a de quoi surprendre. On pourrait éventuellement invoquer l’affinité phonique de cette désinence avec le suffixe <?page no="243"?> 243 verbal -u qui, en w., peut exprimer la passivité, mais aussi le réfléchi (cf. 2.2.2.10). Terminons cette énumération de nos résultats de la deuxième partie de notre ouvrage en admettant que nous sommes revenus bredouille de notre comparaison de la négation d’une phrase en w. et en cs. (cf. 2.2.3.9) et que nous n’osons pas non plus inclure, sous une des trois rubriques, nos résultats plutôt modestes concernant l’origine de cs. sima (cf. 2.2.4.4), l’ordre des compléments actanciels (cf. 2.2.4.2) et les signifiants d’origine africaine (cf. 2.2.5.2). Au total, nous avons donc réuni neuf cas où l’empreinte wolof nous semble hors de doute, six où elle paraît très probable et cinq où sa valeur explicative ne peut être exclue. Sept des neuf cas ‚probants’ concernent des phénomènes centraux et hautement fréquents (adverbes li/ la, opposition kánta/ ta kánta, opposition kánta/ kantába, coordination à l’aide de ku, énumérations sans élément de relation devant le dernier élément, introduction du discours indirect par ma ki et opposition ten/ tene). Ces cas probants invitent à ne pas trop rejeter à la légère ceux qui le sont moins. Pour ce qui est du domaine verbal, nous avions déjà conclu que l’empreinte wolof était particulièrement forte au centre (système aspectuel) se résorbant vers la périphérie où la grande majorité des périphrases verbales semblent constituer des emprunts tardifs au pg. Le centre du système verbal du cs. n’est pas w., mais il faudrait quelque entêtement pour nier qu’il est bien plus africain que roman. Si l’exemple de la paire cs. ten/ tene, qui se trouve au beau milieu du lexique de notre créole se révélait être représentatif, on pourrait étendre notre observation concernant centre et périphérie à la sémantique lexicale. Ce n’est certainement pas un hasard si la situation est à peu près l’inverse pour les signifiants d’origine africaine (excepté ceux qui désignent des réalités africaines) : ceux qui sont ou que nous avons soupçonnés d’être africains relèvent d’un vocabulaire marginal, ‚intime’ (type ‚s’accroupir’, ‚somnoler’) ou non nécessaire à la transmission d’informations (interjections onomatopéiques) (cf. 2.2.5.2.3). Somme toute, l’existence d’une empreinte ouest-africaine et très probablement carrément wolof dans le créole santiagais est d’ores et déjà indéniable. Et il apparaît clairement que l’essentiel de cet impact ne se trouve pas là où on l’a d’abord cherché. Ce constat est important à plusieurs égards : Premièrement, parce qu’il est conforme à notre hypothèse selon laquelle, parmi les langues ancestrales des créolisateurs, il y en aura toujours une qui imprime sa marque au créole naissant - au prix de concessions faites aux groupes qui viennent d’autres communautés linguistiques. Deuxièmement, parce qu’il concerne un créole qui a réputation d’être resté plus proche du portugais que les créoles portugais du continent, de S-o Tomé, de Príncipe et de Anobom, ce qui paraît être vrai. <?page no="244"?> 244 Troisièmement, parce que nous savons que dès la fin du XVI e siècle, les Wolof ont cessé d’affluer à Santiago, les activités des négriers capverdiens se déplaçant vers le sud. Des locuteurs wolof semblent ainsi avoir été les fondateurs du créole santiagais. Les esclaves appartenant à d’autres ethnies qui sont peut-être devenus majoritaires après ont dû en gros s’accommoder à ce qu’ils trouvaient accompli. L’empreinte wolof du créole santiagais n’implique donc pas que la population de Santiago soit génétiquement à dominante wolof. Dire que les Wolof ont jeté les bases du créole santiagais ne nous empêchera pas de réserver le terme de ‚langue de base’ à la langue européenne. C’est elle qui a fourni le matériel pour la construction du créole, c’est elle que les créolisateurs ont en partie apprise, et, au Cap Vert où cette langue européenne est restée présente, c’est elle qui a fourni la quasi totalité des emprunts qu’on trouve dans ce créole. 3.3 Limitations et questions ouvertes Cet ouvrage constitue en quelque sorte un aboutissement de nos travaux sur le problème théorique de la créolisation et sur le problème historique de la créolisation du portugais sur l’île Santiago du Cap Vert. Pourtant, dans une perspective dépersonnalisée, il constitue plutôt un point de passage, voire de départ. Il serait en effet souhaitable que des progrès dans la linguistique romane et africaine permettent dans un futur plus ou moins proche une précision et une révision de nos résultats. Cette révision deviendra incontournable dès qu’on en saura un peu plus sur la variation dialectale au Portugal au temps de l’expansion maritime et/ ou sur le passé des langues ouest-atlantiques et du wolof. Nous aurions aimé avoir une connaissance moins livresque du wolof, qui inclurait la langue parlée et ses dialectes. Cela nous aurait probablement permis de découvrir encore d’autres affinités entre le wolof et le créole santiagais. Cette confession débouche sur un plaidoyer pour la ‚coopération interdisciplinaire’ entre créolistes et africanistes en la matière. Heureusement, la coopération interdisciplinaire est très à la mode. Mais malheureusement elle est souvent conçue de façon trop ingénue. On n’obtiendra de bons résultats qu’à partir du moment où (au minimum) un(e) bon(ne) africaniste qui s’intéresse vivement au créole en question collaborera avec un(e) bon(ne) créoliste qui s’intéresse vivement aux langues africaines pertinentes. C’est beaucoup demander, mais c’est essentiel. On nous reprochera surtout de n’avoir tenu compte que du wolof, négligeant toutes les autres langues ouest-atlantiques et toutes les langues mandingues de la région (cf. 0.8). Le temps de recherche dont nous disposions ne nous a pas permis de faire autrement. Tout ce travail reste donc à faire. Lorsque d’autres auront dressé la liste des affinités du créole santiagais avec d’autres langues africaines impliquées, nous verrons que telle ou telle particularité <?page no="245"?> 245 de ce créole dont nous avons rendu responsables les Wolof, s’explique encore mieux par certaines convergences de plusieurs de ces langues. Cela n’invalidera pas notre travail. Nous saurons alors déjà pourquoi les autres se sont sans peine accommodés de ces solutions. Et notre conviction, que les chances pour un trait d’origine africaine de marquer le créole augmentent avec le nombre des langues impliquées le possédant, se verra renforcée. Point de passage ou de départ plutôt que d’aboutissement, cet ouvrage pourrait l’être encore dans un tout autre sens. La rédaction de la deuxième partie nous a obligés à des exercices mentaux auxquels la linguistique historique traditionnelle nous a peu habitués, justement dans la mesure où nous n’avions pas affaire à des changements linguistiques (cf. 1.2.3). D’où une bonne partie d’insécurité dans l’évaluation de nos résultats empiriques par nousmêmes (cf. 3.2). Il faudra bien un jour arriver à des règles consensuelles stipulant ce qui doit être accepté - jusqu’à évidence contraire - comme preuve d’une trace des langues ‚des autres’ dans un créole. Souvenons-nous que les reconstructions en linguistique indo-européenne sont tout aussi hypothétiques que les nôtres. Mais on y dispose depuis longtemps de telles règles. On assiste donc, avec les travaux de plus en plus nombreux sur ces traces, à la naissance d’une nouvelle branche de la linguistique historique où des phénomènes comme ceux de l’apprentissage, des interlangues, des ‚basic varieties’, des différents niveaux de foreigner talk, des conflations, des ‚fausses’ analyses, des relexifications etc., restés quelque peu en marge dans la linguistique historique traditionnelle, occuperont le devant de la scène. <?page no="246"?> 246 Bibliographie A. Histoire B. Linguistique générale, romane et créole C. Wolof D. Mandingue E. Temne F. Portugais G. Créole capverdien, notamment de l’île de Santiago H. Créole de la Guinée-Bissau A. Histoire Almada, André Álvares de (1964), Tratado breve dos rios de Guiné do Cabo Verde dês do Rio de Sanagá até os baixos de Santa Ana, éd. par António Brásio, Lisboa : L.I.A.M. Anónimo, Viagem de Lisboa à ilha de S. 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Lindley 259 Cissé, Mamadou 255 Cissé, Momar 151, 255 Coelho, Francisco Adolfo 45, 64, 70, 99, 249 Coelho, Francisco de Lemos 124, 246 Comrie, Bernard 102, 249 Corcoran, Christine 99, 249 Cortés Alonso, Vicenta 121, 122, 246 Coseriu, Eugenio 57, 65, 84, 85, 154, 250 Costa, Manuel da, gouverneur des îles du Cap Vert 124 Couto, Hildo Honório do 19, 25, 134, 207, 259, 262 Creissels, Denis 174, 205, 206, 207, 255, 258 créole de la Guyane Française 107 créole haïtien 107 créole louisianais 107 créole nl. des îles Vierges 36, 37 créole pg. de Guinée-Bissau 22, 117, 205 créole pg. de la Casamance 22, 117 créole pg. de l'île de S-o Tomé 40 Cunha, Celso 259 Dapper, Olfert 24, 246 DeBose, Charles E. 69, 71, 250 DeGraff, Michel 46, 47, 73, 76, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 108, 250 Detges, Ulrich 54, 59, 64, 69, 71, 86, 250 Dia, Oumar Ben Khatab 256 Diagne, Lamine 257 Diagne, Pathé 255 Dialo, Amadou 24, 135, 142, 256 Dias, António, SJ 38 Dieng, Bassirou 135, 136, 138, 256 Dillard, Joe L. 246, 250 diola, langue 132, 134, 218 Diop, Aram 256 Diouf, Jean-Léopold 24, 25, 135, 140, 142, 143, 151, 154, 156, 157, 164, 165, 170, 172, 188, 189, 225, 233, 256 Donelha, André 124, 125, 230, 246 Doneux, Jean-Léonce 151, 256 Dorian, Nancy 95, 250 Doumbia, Salabary 258 Drake, Francis 113 Dreifus, Claudia 102 Ducrot, Oswald 250 Dumestre, Gérard 258 Ehlich, Konrad 221, 250 Enrique o Navegador 111 Erlangen, colloque d' 129, 133 Escure, Geneviève 250 Espagnols 116 ewe, langue 79 Fal, Arame 138, 139, 142, 151, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 165, 174, 182, 186, 188, 208, 210, 225, 256 Farim, Guinée-Bissau 123 Faye, Souleymane 25, 138, 140, 142, 143, 256 Felipe II, roi de l’Espagne et du Portugal 115 Felupe, ethnie 128 Ferguson, Charles A. 69, 71, 250 Fernandes, Valentim 115, 122, 125, 127, 247 Ferraz, Ivens L. 66 Field, Fred 250 Fogo, île 118, 119 fongbe, langue 79, 206 Foster-Cohen, Susan H. 54, 250 Français 113, 122, 123, 124 français coloniaux 91, 93, 96 français marginaux 89, 91, 93, 96 français populaires 91 français zéro 91 Franco Silva, Alfonso 122 Fryer, John 38, 247 Fuente de la Peña, Ángel, capucin 32 <?page no="265"?> 265 Furetière, Antoine de 31 Galtier, M. Gérard 258 Gambie, fleuve 33, 34, 122, 123 Gamble, David P. 142, 256 Gärtner, Eberhard 171, 177, 259 Gaye, Dieynaba 257 Gomes, Diogo 111 Goodman, Morris F. 47, 251 Gorée, île 125 Goyette, Stéphane 58, 251 Grand Jolof 23, 127, 128 Granda Gutiérrez, Germán de 40, 251 Grant, Anthony 78, 251 Grenade, Amérique 31 Guerreiro, Fern-o, SJ 28 Gueye, Momar 256 Guillaume, Gustave 100, 251 Guimar-es, Pêro de 115, 118 Hakluyt, Richard 247 Hall, Robert A. Jr. 44, 57, 251 Hancock, Ian F. 251 Hazaël-Massieux, Guy 251 Herrnhut, frères de 36 Hesseling, Dirk Christiaan 64, 251 Highfield, Arnold 255 Hjelmslev, Louis 65, 251 Hollandais 113, 122, 124, 125 Holm, John 43, 44, 108, 247, 249, 251, 260 Hutchison, John 258 Hymes, Dell 251 Italiens 116 Jaca, Francisco de, capucin 40 Jakobson, Roman 160, 186, 251 Janse, Mark 251 Jésuites 117 Jiménez, Lidio Neto 58 Joal, Sénégal 34 Jo-o II, roi du Portugal 127 Jourdan, Christine 47, 63, 64, 75, 252 Ka, Omar 24, 135, 256 Kanté, Mamadou 258 Kastenholz, Raimund 258 Kaufman, Terrence 45, 48, 66, 255 Kesteloot, Lilyan 135, 136, 138, 184, 256, 257 Kiesler, Reinhard 177, 259 Kihm, Alain 63, 129, 130, 131, 134, 206, 207, 256, 262 Klein, Wolfgang 70 Koch, Peter 251 Kouwenberg, Silvia 43, 67, 72, 73, 74, 77, 248, 251 kpelle, langue 200 Kriegel, Sibylle 251 La Courbe, Michel Jajolet de 33, 34, 35, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 247 Ladhams, John 34, 38, 41, 252 Lambaia, lieu de résidence du roi w. Budumel 123 Lang, Jürgen 17, 19, 20, 25, 54, 63, 65, 66, 78, 100, 129, 132, 133, 134, 154, 168, 171, 196, 197, 247, 252, 259, 260 Langacker, Ronald W. 252 langues romanes, naissance des 58 latin créole 35, 40, 41 latin vulgaire 84, 89 Lefebvre, Claire 45, 47, 63, 64, 65, 68, 75, 79, 149, 163, 206, 252 Lemos Coelho, Francisco de124, 127, 230 lengua de San Thomé 40 Lenz, Rudolf 101, 233, 252 Lim, Lisa 29, 43, 63, 97, 100, 103, 104, 105, 106, 107 lingua franca, Méditerranée 34, 41 Lisboa, Portugal 112, 122 López García, José Tomás 40, 247 Loyer, Godefroy 41 Lumsden, John S. 45, 68, 74, 75, 163, 252 Magens, Jochum Melchior 37, 40, 41, 42, 43, 252 Maia, Clarinda de Azevedo 168, 259 <?page no="266"?> 266 Maluenda, Buenaventura de, capucin 32 mandé, langues 130, 131 Mandingue, ethnie 128 mandingue, langues 22, 121, 127, 131, 132, 133, 140, 141, 218, 239, 241 mandinka, langue 22, 129, 130, 133, 134, 201, 205, 239, 241 Manessy, Gabriel 25, 256 manjaku, langue 129, 130, 132, 218 mankanya, langue 129, 130, 218 Marchioni, Bartolomé 121 Maroldt, Karl 248 Martin, Friedrich, fr. de Herrnhut 36 Matthews, Stephen 97, 100, 103, 104, 105, 106, 107 Mauny, Raymond 247 McLaughlin, Fiona 256 McWhorter, John H. 43, 72, 100, 101, 102, 252 Meillet, Antoine 252 mel, langues 131 Mendes, Mafalda 260 Mercado, Fray Tomás de 126, 247 Mindelo, Cap-Vert 114 Moirans, Epifânio de, capucin 40 Moore, Francis 34 Mota, Avelino Teixeira da 32, 33, 34, 35, 40, 247 Mota, Francisco de la, capucin 32, 39 Moverley, A. W. 43, 253 Mufwene, Salikoko 26, 29, 43, 47, 60, 62, 63, 75, 106, 109, 110, 115, 253 Mühlhäusler, Peter 252 Munro, Pamela 257 Muysken, Pieter 45, 68, 74, 248, 253 Ndiaye, Moussa D. 257 Ndiaye, Seydou Nourou 257 Ndut, ethnie 127 ndut, langue 127 Neumann-Holzschuh, Ingrid 47, 54, 70, 71, 73, 89, 90, 93, 95, 107, 109, 248, 252, 253 Ngom, Fallou 25, 142, 143, 154, 165, 257, 258 Nhogor, roi wolof 123 Njie, Codu Mbassy 135, 142, 257 Noli, Antonio di 111 Noon, ethnie 127 noon, langue 127 Nouguier Voisin, Sylvie 257 Oesterreicher, Wulf 87, 253 Oldendorp, Christian Georg Andreas, fr. de Herrnhut 36, 37, 39, 40, 41, 42, 43, 253 ouest-atlantiques, langues ~ 130 PAICV 114 papel, langue 129, 130 papiamentu, langue 117 Parkvall, Mikael 102 Pedro II, roi du Portugal 32, 35 Peranakan, ethnie 29, 43 Perdue, Clive 70 Pereira, Duarte Pacheco 125, 247 Pereira, Dulce 35, 46, 116, 260 Perl, Matthias 253 Petite Côte, Sénégal 123, 124, 125 Petitjean, Jacques 31 pidgin portugais 116, 117 pitcairnese, langue 43, 108 Plag, Ingo 248 polar, langue 200 Porto d’Ale, Sénégal 34, 126 Portuense, Vitoriano, évêque 35, 38, 39 portugais corrompu 41 portugais populaire brésilien 177 Praia, Cap-Vert 115, 118, 119 Prudent, Félix 221, 253 Quint, Nicolas 18, 20, 131, 132, 133, 134, 160, 171, 181, 217, 260 Ragageles, Fátima 260 Recife, baie de 124 Ribeira Grande, Cap-Vert 113, 115, 116, 118, 119 Rio Grande, fleuve 122, 125 <?page no="267"?> 267 Robert, Stéphane 136, 154, 155, 156, 157, 158, 160, 164, 165, 170, 174, 181, 255, 257 Ross, Alan Strode Campbell 43, 253 Rossem, Cefas van 37, 253 Rougé, Jean-Louis 18, 22, 24, 59, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 168, 180, 196, 207, 217, 224, 239, 247, 260, 261, 262 roumain, langue 145 Rowlands, Evan Celyn 206, 258 Rufisque, Sénégal 34 Saafen, ethnie 127 saafen, langue 127 Saint-Domingue, île 112 Samb, Amar 135, 142, 151, 154, 158, 182, 210, 257 Sandoval, Alonso de, SJ30, 31, 39, 40, 117 Santo Ant-o, île 113 Santos, Maria Emília Madeira 247 Santos, Rosine 151, 256 S-o Domingos, fleuve 122 S-o Nicolau, île 113 saramaccan, langue 206 Sasse, Hans-Jürgen 93, 94, 95, 253 Saussure, Ferdinand de 65, 253 Sauvageot, Serge 25, 135, 136, 142, 143, 151, 154, 155, 158, 160, 164, 173, 182, 192, 256, 257 Schang, Emmanuel 54, 253 Schlieben-Lange, Brigitte 254 Schneider, Edgar W. 73, 253 Schuchardt, Hugo 42, 70, 71, 78, 99, 254 Schumann, John H. 44, 254 Schwartz, Bonnie D. 51, 254 Schwegler, Armin 250 Scott, J.P.L. 258 Seguin, Boris 61, 254 Selinker, Larry 48, 254 Semedo, Aires 260 Sénégal, fleuve 124, 125 serer, langue 23, 123, 127 Serradas, Manuel 113 Sevilla, Espagne 112, 122 Siegel, Jeff 44, 45, 50, 62, 64, 65, 70, 71, 72, 76, 95, 106, 108, 254 Sierra Leone 32, 33, 124 Silla, Ousmane 256 Silva, António Correia e115, 118, 247 Silva, Tomé Varela da 161, 261 Slobin, Dan I. 254 Smith, M. Sharwood 254 Smith, Norval 73, 248, 253, 254 Soares, Maria Jo-o 27, 30, 35, 38, 117, 247, 260 Souza, Ulisdete Rodrigues de 19, 25, 134, 259 Spears, Arthur K. 254 Stäbler, Cynthia K. 95, 254 Stehl, Thomas 26, 47, 254 Stein, Peter 27, 28, 34, 36, 37, 41, 44, 254 Taylor, Douglas 67, 76, 219, 254 Teillard, Frédéric 61, 254 temne, langue 131, 132, 200, 218, 239 Tesnière, Lucien 55, 254 Therrien, Isabelle 64, 75, 149, 206, 252 Thomason, Sarah G. 44, 45, 48, 56, 66, 67, 76, 77, 83, 95, 103, 255 Tok Pisin, langue 80 Tordesillas, traité de 113 Trabant, Jürgen 221, 255 Tucurol, royaume 125 Valdman, Albert 89, 107, 255 Valencia, Espagne 112, 121, 122, 126, 127 Valli, André 91 Van Name, Addison 47, 255 Vasconcellos, J. Leite de 162, 259 Veenstra, Tonjes 254 Veiga, Manuel 114, 171, 261, 262 Veracruz, Mexique 112 Verlinden, Charles 248 Véronique, Daniel 91 Villeneuve, Geoffroy de 34 Vives, Jaime Luis 58 Voort, Hein van der 36, 37, 253, 254 Waltereit, Richard 55, 255 <?page no="268"?> 268 Wartburg, Walther von 56, 255 White, Lydia 47, 63, 64, 75, 252 Wilson, William André Auquier 258 Winford, Donald 47, 254, 255 Woll, Dieter 27, 28, 29, 30, 31, 255 Yaguello, Marina 156, 157, 164, 165, 233, 256 Yillah, M. Sorie 258 Ziguinchor, Sénégal 123 Zinsendorf, Nikolaus von 36 Zribi-Hertz, Anne 257 <?page no="269"?> 269 Index des éléments commentés et des termes utilisés a, particule w. qui relie un verbe à son auxiliaire 186 a-, marque de la fonction thématique en cs. 20, 140, 166 -a, morphème de relation du w. 136, 137 (-)a, marque du ‚subjectif’ en w. 164, 176 acrolecte 116 adulte 61 affranchissements 113, 115, 118, 119, 127 agriculture 112, 115 ak, prép. w. 198 ál, marque de l’‚optatif’ en cs. 59, 63, 134, 137, 171, 242 -al, marque de l’impératif en w. 172 alâ, élément présentatif du cs. 166 alê, élément présentatif du cs. 166 ali, ala, adverbes déictiques du cs.149 am/ ame, v. du w. 66, 132, 231, 232, 241 analyse 53, 54, 55, 57, 61, 63, 105, 213, 245 analyses, ‚fausses ~’ 55, 61 ante, s. de l’ancien fr. 48 antérieur 159 approximation à une langue 50 ára fase, périphrase du cs. 191 article défini du w. 138, 146 article indéfini du cs. 21 aspect imperfectif du cs. 156 aspect imperfectif du w. 156 aspect progressif du cs. 163 aspect progressif du w. 167 assi, adv. de l’ancien pg. 215 ba, marque de l’antériorité en cg. 129, 131 ba, v. ‚finir, achever’ en manjaku 129 -ba, manjaku 134 -ba, marque de l’antériorité en cs. 20, 70, 101, 132, 134, 159, 163, 192, 240 baax, v. w. 215 baby talk 69 bága-bága, s. du cs. 219 bai, v. du cs. 69 bail, système de 113 ban, diola 134 basic variety 70, 74, 236, 245 basilecte 106, 116 ben, v. du cs. 69 bénka, interj. du cs. 58, 59 biir b-, w. 136 bilingual mixed languages 81 bindi, s. du cs. 219 bioprogramme 161 bo, pron. pers. du cs. 141 boli, s. du cs. 219 bónbu, v. du cs. 218, 219 bopp, ‚tête’, servant à l’expression du réfléchi en w. 87, 184, 242 bos, w. 143, 146 *bos, pron. pers. du l’ancien cs. 141 *bus, pron. pers. de l’ancien cs. 141 bozales, esp. 29, 30, 31, 108, 117 broken language 71 bu, pron. pers. du cs. 141 bu, pron. poss. du cs. 144 calque 74, 80, 185, 189, 195, 196, 197, 214, 239 centre - périphérie 185, 197, 243 châi, ‚créole’ 32, 33 chalona, pg. 35 changement linguistique 27, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 56, 57, 60, 86, 104, 105, 150, 230, 237, 245 chapetón (esp.) 31 chevaux 112, 115, 122, 123, 124, 125, 126, 127 choucroute, fr. 61 chronologie des changements 57, 60 classes nominales en w. 134, 138, 147 <?page no="270"?> 270 classificateurs du w. 135, 136, 137, 147, 149 classification généalogique 47, 48, 55, 58, 75, 76, 98, 104 coma, ancien pg. 130, 207, 208, 211, 212, 213, 216, 241 commerce 112, 113, 115, 117, 124, 125, 126 communication ‚horizontale’ 45 communication ‚verticale’ 45 compagnies commerciales 113 complementizer 206 conflation (angl.) 63, 129, 134, 198, 218, 245 conflation, phonological ~ 149 ‚conjugaisons’ du w. 153 consonantisme du cs. 60, 65, 66 consonnes pré-nasalisées en cs. 19, 24, 66, 134 convergence (angl.) 134, 198, 218 coordination 198, 199, 200, 241 copule du cs. 177, 181 copule en w. 215 corsaires 113 coton 112, 115, 122 créations enfantines 50 créativité 234 créolisateurs 17 créolisation continue 107, 108, 109 créolisation du latin vulgaire 58 créolistique 26, 27, 46, 96 *crioilo, ancien pg. 28 crise économique 113 *criuelo, ancien esp. 28 cut-off point 74 d-, marque de l’imperfectivité en w. 156 da-, marque du ‚processif’ en w. 176 -da, fusion des marques du passif et de l’antériorité en cs. 182, 192 daaj, v. du w. 63 dádji, v. du cs. 58, 59, 63 dal, v. du w. 187 daldi def, périphrase du w. 186, 187, 188, 191 daldi, auxiliaire du w. 240 degrés de créolisation 72 délocutive, formation ~ 60 ‚dépendant’ du w. 155, 156 ‚désidératif’ du w. 165, 170 di bo, cs. 145 di meu, cs. 145, 146 di nhos, cs. 145 di nos, cs. 145 di sel, cs. 145, 146 di ses, cs. 145, 146 di, marque de l’imperfectivité en w. 67, 156, 187, 240 di, prép. du cs. 137 dialect leveling 75, 76, 78, 79, 81, 236 dialectalisation 47, 55, 57, 58, 60, 82 dialecte 56 didjidji, v. du cs. 220 diggante b-, w. 136 dipos, prép. du cs. 193 disdongu, v. du cs. 220 djabakós, s. du cs. 220 djagasi, v. du cs. 220 djánbu, v. du cs. 220 djobe, v. du cs. 58, 59, 60, 63, 218 djongo, v. du cs. 220 djongoto, v. du cs. 220 double-object construction 203, 204 -du, marque du passif en cs. 20, 181, 182, 192, 242 dundu, s. du cs. 219 ê, v. copule du cs. 101, 231 e(l), pron. pers. du cs. 141 ees, pron. pers. du w. 140, 141 élevage 115 ‚emphatique’ du w., cf. focalisation en w. 174 emprunt 48, 56, 77, 95, 235, 243, 244 enfant 45, 49, 57, 58, 62, 64, 69, 236 énumération 198, 199, 200, 241 éra, antérieur de la copule ê en cs.101 es, pron. pers. du cs. 141, 242 esclavage 43, 44 estantes (pg.) 116 estar a fazer, périphrase progressive du pg. 167 étymologie double 172, 218 <?page no="271"?> 271 étymologie populaire 61, 63 eurocentrisme 99 ‚éventuel’ du cs. 171 faculté langagière 98, 102, 103, 105 fálta (ku) fase, périphrase du cs. 191, 193, 242 famine 113 feti-feti, v. du cs. 220 Floup ! , malinké 223 Flupu ! , cs. 223 focalisation en cs. 174, 196, 242 focalisation en w. 153, 174, 242 foreigner talk 44, 69, 70, 95, 145, 245 forme 45 formes analogiques 94, 95 fórti, cs. 21 foucamp, cr. de la Guyane Française 59 foumwalkan, cr. de la Guyane Française 59 founder principle 115 fréquence 76 Full Transfer/ Full Access, théorie 64 funku, s. du cs. 219 futur proche 86 futur roman 84, 92 gannaaw g-, w. 136 généralité de certains changements 85, 86 générations 236 genge, v. du cs. 220 grammaticalisation 54, 63, 71, 85, 89, 216, 217 haver de fazer, périphrase du pg. 171 -i, morphème de relation du w. 135, 137 -i, -a, voyelles déictiques du w. 138, 146, 147, 149, 164, 165 idéophones du cs. 134, 223, 224 impératif du w. 165, 172, 196, 240 impératif en cs. 172, 240 imperfectivité inhérente 165, 169, 170, 171 indépendance du Cap Vert 114 ‚indépendant’ du w. 155, 196 indirect-object construction 204 insularité 43 interdisciplinarité 244 interférence 62, 71, 98, 237 interjections onomatopéiques du cs. 201, 221, 222, 223, 224, 243 interlangue 44, 49, 50, 55, 57, 63, 71, 75, 98, 102, 237, 245 interprètes 116, 117 isoglosse 56 jëkk a def, périphrase du w. 186 juubee, v.du mandingue 63 ‚jussif’ du w. 170 Ka, Omar 24, 135, 256 ka, particule de négation du cg. 129 ka, particule de négation du cs. 180, 181 ka ban, mandinka 134 kabésa, marque de la réflexivité en cs 87, 242 kalman, s. du cs. 219 kanam g-, w. 136 kaw/ kow g-, w. 136 kel di meu, cs. 145 kel la, cs. 149 kel li, cs. 149 kel, kes, pron. dém. du cs. 141, 150 ki, conjonction du cs. 211 ki, particule focalisatrice du cs. 176 ko, mandinka 130, 205, 206, 208, 211, 213 ko, pron. pers. du w. 208 koinéisation 76, 78, 94 komesa, v. du cs. 192 komu, cs. 21, 213, 217 korkoti, v. du cs. 220 kotxi, v. du cs. 219 ku, prép. du cs. 200 kuma, bambara 207 kuma, cg. 130, 206, 207, 208, 211 kuma, cs. 211, 216 kuma, mandinka 130, 207, 213, 241 kumesa, v. du cs. 192 <?page no="272"?> 272 kunpanheru, ‚compagnon’, servant à l’expression de la réciprocité en cs. 87, 184, 242 kunsa fase, périphrase du cs. 191, 197, 240 l-, classificateur du ‚genre abstrait’ en w. 138, 149 -l, marque de l’impératif en w. 172 la, adv. déictique du cs. 240 la, marque de l’‚objectif’ en w. 176 ladinos (esp.) 30, 117 lançados (pg.) 33, 113, 116, 117, 123 langage des noirs 23 language shift 45, 48, 73 langue de base 244 langues africaines véhiculaires 78, 128, 131, 133 lébu, cs. 21 lees, ‚syntagme pronominal’ du w. 140, 242 lexifier 68 li, la, adverbes déictiques du cs. 58, 140, 148, 149, 150, 166, 240 lingua franca 41 linguistique historique traditionnelle 245 locuteurs compétents 52, 57, 81 locutions prépositives du w. 136 lokoti, v. du cs. 220 lolo, v. du cs. 220 lónbu, v. du cs. 220 -m, pron. pers. du cs. 19, 140, 241 ma, m’, conj. du cs. 21, 211, 213, 216, 241 ma mie, fr. 61, 81 mafáfa, s. du cs. 219 mankára, s. du cs. 219 marse-marse, cr. mauricien 67 mars-marse, cr. mauricien 67 mel, v. du w. 214, 215, 217 mélange 65, 76, 78 métissage 65 modes (f.) linguistiques 93 moku, adj. du cs. 218 moom/ moome, v. du w. 233 mopi, v. du cs. 220 moradores (pg.) 112, 115, 116, 123, 126 mort de langues 93, 94, 95 mots ‚intimes’ du cs. 221, 223, 224, 243 mulâtres 115, 119 munhungi, v. du cs. 220 n, pron. pers. du cg. 129 N, pron. pers. du cs. 19, 140, 241 , pron. pers. du bambara 140 , pron. pers. du mandinka 129 na, marque du ‚désidératif’ en w. 170 na, marque du progressif en cg. 131 na, w. 208, 209, 210, 211, 214, 216 ‚narratif’ du w. 156 nasalité en cs. 19 naturales (esp.) 29, 30, 31 ndjutu, v. du cs. 220 ne, w. 208, 209, 211, 216 négation en cs. 180, 196 négation en w. 180 négociation linguistique 45, 75, 76 ng-, élément présentatif du w. 164 nha, pron. pers. du cs. 141 nha diánti, cs. 146 nhas, pron. pers. du cs. 141 nheme, v. du cs. 220 nho, pron. pers. du cs. 141 nhos, pron. pers. du cs. 141, 142 nhos, pron. poss. du cs. 144 ni, w. 208, 209, 210, 211, 214, 216 normal, le 97, 103 ntende, v. du cs. 66 nu, pron. pers. du cs. 139, 140, 150, 241 nu, pron. pers. du w. 139, 140, 141, 150 `g n, ‚compagnon’, servant à l’expression de la réciprocité en bambara 184, 242 ñoll w-, s. du w. 24 ñu, pron. pers. du w. 139 <?page no="273"?> 273 / / en cs. 132 ánha, s. du cs. 65 anhi, v. du cs. 65 ‚objectif’ du w. 153, 174 ‚obligatif’ du w. 170 -oon, marque de l’antériorité en w. 134, 159 p , cr. de S-o Tomé 66 oppositions inclusives 154, 155, 165, 166 ‚optatif’ du cs. 170, 197, 198, 242 ‚optatif’ du w. 169 ordre des compléments en cs. 201, 204 ordre des compléments en w. 201 ori, s. du cs. 220 pa, p’, prép. du cs. 211 parakat, mandinka 223 ‚passif’ du cs. 197 Páu ! , cs. 223 ‚perfectif’ du w. 154 périphrase progressive du pg. 162 périphrases ‚de taxe’ du cs. 190 périphrases ‚de taxe’ du w. 186, 190 périphrases ‚diathétiques’ du cs. 189 périphrases aspectuelles du cs. 190 périphrases modales du cs. 189 périphrases verbales du cs. 185, 189, 240, 242, 243 périphrases verbales du w. 185, 240, 242 pidgin 44, 71, 73, 102 pirikit, mandinka 223 plantation 43, 44, 74, 75, 80 polon, s. du cs. 218, 219 possession essentielle en cs. 20 possession occasionelle en cs. 20 ‚potentiel’ du cs. 171 pré-construit 100 ‚présentatif’ du w. 164 pressions normatives 90, 94, 96 prestige 78 prikiti, cs. 223 primeru, cs. 193 ‚processif’ du w. 153, 174, 176, 196 ‚progressif’ du cs. 196, 198 ‚processif’ du w. 153, 174, 176, 196 ‚progressif’ du cs. 196, 198 prohibition 197 pron. dém. du w. 147 pron. pers. du cs. 139 pron. pers. du w. 139 pron. poss. du cs. 20, 241 pron. poss. du w. 142, 241 propriétaires terriens 113 qu modo, lat. 217 réanalyse 53, 54, 55, 89, 105, 213 réciprocité en cs. 184 réciprocité en w. 184 reconstructions en linguistique 245 recréation 103, 104 réduplication 134 réfléchi en cs. 87, 184, 242 réfléchi en w. 184, 242 régularité 76, 101 rekk, w. 225, 226, 227, 228, 229, 230, 242 relexification 63, 68, 75, 81, 98, 133, 163, 168, 230, 235, 240, 241, 245 rupture 72, 75, 98, 102, 103, 104 rusty speakers 94 sa ta, s’ta, marque complexe de la progressivité en cs. 59, 167, 168, 169, 197, 241 saa, pron. poss. du w. 143 saliency 53, 64, 76 sandhi en w. 176 savoir des (inter)locuteurs 52, 53 sécheresse 113 ségmentation, ‚fausse ~’ 58, 168 semi-creoles (angl.) 73 semi-speakers (angl.) 94 sëriñ b-, s. du w. 24 si, conj. du cs. 211 sibi, s. du cs. 219 signifiants d’origine africaine en cs. 130, 131, 132 *si ma, ancien cs. 216 sima, cs. 21, 214, 215, 216, 217 <?page no="274"?> 274 simplicité 100, 101, 197 simplification 99 síra, s. mandingue 219 siré, s. du cs. 219 ‚situatif’ du w. 163, 186, 196, 241 so, cs. 225, 227, 228, 229, 230, 235, 242 sog a/ di def, périphrase du w. 186, 191 solidarité paradigmatique 150 solidarité syntagmatique 150 sowie, all. 217 spécificité de la créolisation 46 Sprachbund 199 Stammbaum 104 su-, marque d’appartenance en w. 144 ‚subjectif’ du w. 153, 174 substance 45 suma, cg. 216 suma, pron. poss. du w. 142 sunu, pron. poss. du w. 142 suñu, pron. poss. du w. 142 suuf g-, w. 136 ‚syntagmes complétifs’ en cs. 136, 137, 138, 242 ‚syntagmes complétifs’ en w. 136, 242 ta, t’, marque de l’imperfectivité en cs. 66, 156, 162, 167, 240 tabánka, s. du cs. 220 take-up 103 tangomaos (pg.) 33, 117 tante, s. du fr. 48 taxis, catégorie verbale 160, 161 Taylor, Douglas 67, 76, 219, 254 te, conj. du w. 199 t e(n)r, v. de l’ancien pg. 234 ten/ tene, v. du cs.66, 69, 132, 231, 232, 234, 235, 241, 243 tendance à l’invariabilité 90, 93, 94, 95 tendances autorégulatrices 89, 90, 91, 92 tendances évolutives 89, 90, 91 tente, v. du cs. 219 ‚terminatif’ du w. 154 tin(i)/ tene, v. du papiamentu 234 Tol tol ! , cs. 223 Tòl-tòl ! , bambara 223 traite 29, 40 traits non marqués 76 transfert 72, 74 transitions syllabiques 19 transparence 76 txuki, v. du cs. 220 txuputi, v. du cs. 220 -u, connectif du w. 135, 136, 137 -u, suffixe verbal du w. 182, 183, 243 uma(s), article indéfini du cs. 21 uns, pluriel de l’article indéfini en cs. 21 verbes factitifs 131 version privilégiée 76, 79, 80 vizinhos (pg.) 118 voyelles ouvertes en cs. 20 voyelles semi-ouvertes en cs. 20 -wal, marque de l’impératif en w. 172 wet g-, w. 136 (-)woon, marque de l’antériorité en w. 159, 240 -wu, morphème de relation du w.135 xaw a def, périphrase du w. 186, 188, 242 -y, marque de l’imperfectivité en w. 156 -y, morphème de relation du w. 135 yal, particule w. introductrice d’un souhait 63, 134, 171, 242 Yálla, w. 63, 134, 171, 242 yo, cr. haïtien 79 yor/ yore, v. du w. 233 yos, w. 143, 146 <?page no="275"?> 275 Index des tableaux Tableau 1 : Schéma récapitulatif de la créolisation dans une plantation Tableau 2 : Schéma récapitulatif opposant apprentissage et changement du français Tableau 3 : Schéma récapitulatif de la créolisation continue Tableau 4 : Les pronoms personnels du wolof Tableau 5 : Les pronoms personnels du créole santiagais Tableau 6 : Les adjectifs possessifs du wolof (sama kër ‚ma maison’ etc.) Tableau 7 : Les adjectifs possessifs supposés de l’ancien wolof (suma kër ‚ma maison’ etc.) Tableau 8 : Les adjectifs possessifs du créole santiagais (nha kása ‚ma maison’ etc.) Tableau 9 : Évolution des adverbes déictiques du portugais au créole santiagais Tableau 10 : Système verbal du wolof, d’après Fal et al. 1990 : 25 Tableau 11 : Les noms des ‚conjugaisons’ du wolof Tableau 12 : L’expression de l’aspect et de la taxis en wolof et en créole santiagais Tableau 13 : Le système aspectuel du créole santiagais Tableau 14 : Le système verbal du créole santiagais (sans le passif) Tableau 15 : La focalisation en wolof d’après Creissels/ Robert 1998 : 170 Tableau 16 : Schéma récapitulatif opposant créolisation/ apprentissage et changement du français <?page no="276"?> Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG Postfach 25 60 · D-72015 Tübingen · Fax (0 7071) 97 97-11 Internet: www.narr.de · E-Mail: info@narr.de Este volume reúne treze contribuições de linguistas e historiadores de sete países, apresentadas no colóquio »Cabo Verde - origens da sua sociedade e do seu crioulo« (Universidade de Erlangen-Nürnberg, Alemanha, Setembro de 2004). Na primeira, o actual Ministro da Cultura da República de Cabo Verde sublinha, a modo de introduç-o, a valorizaç-o ascendente do crioulo caboverdiano, da época colonial até chegar aos esforços empreendidos actualmente para a sua oficializaç-o. Os sete textos seguintes, que formam a primeira parte do volume, tratam das raízes africanas da sociedade e língua caboverdianas. As cinco exposições que integram a segunda parte estudam aspectos da evoluç-o social e linguística no arquipélago. Sete das treze contribuições est-o em português, cinco em francês e uma em inglês. Jürgen Lang / John Holm / Jean- Louis Rougé / Maria Jo-o Soares (eds.) Cabo Verde - origens da sua sociedade e do seu crioulo Actas do Colóquio Internacional, Erlangen-Nürnberg, 23-25 de Setembro de 2004 2006, 244 Seiten, € [D] 49,00/ SFR 84,00 ISBN 13: 978-3-8233-6236-4 ISBN 10: 3-8233-6236-4
