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Le jansénisme et l' Europe

Actes du colloque international organisé à l' Université de Luxembourg le 8, 9 et 10 novembre 2007

1208
2010
978-3-8233-7576-0
978-3-8233-6576-1
Gunter Narr Verlag 
Raymond Baustert

Le grand débat spirituel issu de Port-Royal est loin de se limiter au pré carré francais. Dès le XVIIe siècle, puis tout au long du XVIIIe, et plus tard, il suscite des réactions passionnées partout en Europe et se manifestant dans tant de domaines : théologie, bien sûr, mais encore philosophie, morale, politique, arts, langage. La circulation des hommes et des oeuvres le transporte vers l'ensemble du monde pensant européen et incite à sa réception à toutes sortes de niveaux, bibliothèques, dictionnaires, gazettes...Les présents Actes consignent l'exploration de toutes ces approches par le soin de plumes expertes en la matière.

<?page no="0"?> BIBLIO 17 Le jansénisme et l’Europe Actes du colloque international organisé à l’Université du Luxembourg les 8, 9 et 10 novembre 2007 Textes édités avec répertoire bibliographique et index par Raymond Baustert <?page no="1"?> Le jansénisme et l’ Europe <?page no="2"?> BIBLIO 17 Volume 188 · 2010 Suppléments aux Papers on French Seventeenth Century Literature Collection fondée par Wolfgang Leiner Directeur: Rainer Zaiser <?page no="3"?> Le jansénisme et l’Europe Actes du colloque international organisé à l’Université du Luxembourg les 8, 9 et 10 novembre 2007 Textes édités avec répertoire bibliographique et index par Raymond Baustert <?page no="4"?> © 2010 · Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG P. O. Box 2567 · D-72015 Tübingen Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Gedruckt auf säurefreiem und alterungsbeständigem Werkdruckpapier. Internet: http: / / www.narr.de · E-Mail: info@narr.de Satz: Informationsdesign D. Fratzke, Kirchentellinsfurt Gesamtherstellung: Hubert & Co. Göttingen Printed in Germany ISSN 1434-6397 ISBN 978-3-8233-6576-1 Information bibliographique de la Deutsche Nationalbibliothek La Deutsche Nationalbibliothek a répertorié cette publication dans la Deutsche Nationalbibliografie ; les données bibliographiques détaillées peuvent être consultées sur Internet à l’adresse <http: / / dnb.d-nb.de>. Document cartographique de la page de couverture extrait de : Nicolas Sanson, Atlas nouveau contenant toutes les parties du monde: où sont exactement remarqués les empires, monarchies, royaumes, états, républiques et peuples qui s’y trouvent à présent, Paris, Hubert Jaillot, 1696. Carte N o 7 : L’Europe distinguée suivant l’étendue de ses principales parties. Cote : Bibliothèque Nationale de Luxembourg, Rés. préc. C. & P. 2 o Atl. 10 Copyright pour la photo : BNL (2007) Crédit photographique : la Bibliothèque Nationale de France a autorisé la reproduction des photographies figurant dans le volume. <?page no="5"?> Biblio 17, 188 (2010) Table des matières Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . IX Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . XI Résumés des communications [ordre thématique] . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 Diffusion et réception I : voyages et correspondances E LLEN W EAVER L APORTE Le voyage hollandais de Pierre Sartre (1719). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 J EAN L ESAULNIER Les voyageurs de Port-Royal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 A NNE -C LAIRE J OSSE -V OLONGO Une correspondance franco-polonaise : l’échange épistolaire de Mère Angélique et de Louise-Marie de Gonzague . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 Diffusion et réception II : bibliothèques, encyclopédies, écrits polémiques, périodiques F ABIENNE H ENRYOT Le jansénisme dans les bibliothèques bénédictines de l’espace mosan (fin XVII e -XVIII e siècles) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 J ITKA R ADIMSKÁ Les livres jansénistes dans le milieu aristocratique en Bohême . . . . . . . . 95 V OLKER K APP Le jansénisme - un concept de controverses et controversé dans les encyclopédies allemandes et italiennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 F RANCK C OLOTTE Les polémiques anti-jansénistes de l’abbé François-Xavier de Feller . . . . 125 <?page no="6"?> VI Table des matières R AYMOND B AUSTERT Le jansénisme dans un périodique luxembourgeois du XVIII e siècle : les articles « jansénistes » de la Clef du Cabinet des Princes de 1704 à 1715 143 Théologie V LAD A LEXANDRESCU Un exposé roumain de 1667 sur la Présence réelle dans l’Eucharistie . . . 163 N ICOLAS LE S PATHAIRE M OLDAVO -L ACON Traduit du latin et notes par Vlad Alexandrescu Université de Bucarest Enchiridion ou l’Étoile de l’Orient resplendissant à l’Étoile d’Occident, à savoir, l’opinion de l’Église d’Orient, ou Grecque, au sujet de la Transsubstantiation du Corps du Seigneur et d’autres controverses. . . 171 S YLVAIN M ENANT Louis Racine : La Grâce La diffusion européenne d’un manifeste janséniste . . . . . . . . . . . . . . . . . 189 A NNICK D ELFOSSE Autour de l’Instructio ad tyronem (1672). Les enjeux d’une définition dogmatique de l’Immaculée Conception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 Philosophie, Morale, Politique H ÉLÈNE B OUCHILLOUX Le jansénisme dans les Essais de théodicée de Leibniz . . . . . . . . . . . . . . . . 225 M ASSIMO L EONE Le jeûne et le chocolat : le rigorisme janséniste en Italie . . . . . . . . . . . . . 237 F RÉDÉRICK V ANHOORNE Du Mars gallicus aux Inconvéniens d’Estat : naissance du jansénisme entre religion et politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251 Langue et Art J ULIETTE G UILBAUD La langue latine dans les éditions jansénistes (XVII e -XVIII e siècles) . . . . 269 C HRISTINE G OUZI De la destruction de Port-Royal des Champs à la Révolution française : les réseaux européens de la gravure d’obédience janséniste . . . . . . . . . . . 281 <?page no="7"?> VII Table des matières Conférence de clôture J EAN M ESNARD Mythe janséniste et mythe jésuitique dans l’Europe d’après la Réforme . 305 F RANK W ILHELM En guise de synthèse Un jansénisme peut en cacher un autre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 325 Répertoire des études et des œuvres citées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 331 Index des noms . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 379 <?page no="9"?> Biblio 17, 188 (2010) Remerciements Lorsqu’en 2007 les organisateurs de l’Année Culturelle « Luxembourg et la Grande Région, capitale européenne de la culture » appelaient à témoigner, entre autres, de la circulation des idées d’hier et d’aujourd’hui en Europe, l’opportunité s’est présentée d’un colloque éclairant les incidences extra-hexagonales du débat majeur de la spiritualité française des XVII e et XVIII e siècles, incidences auxquelles le Luxembourg n’a pas été étranger, comme avait pu le faire apparaître, les années précédentes, un projet de recherche de l’Université du Luxembourg conçu autour de la querelle opposant, en 1685, Antoine Arnauld aux Jésuites de Luxembourg 1 . À l’orée des présents Actes, il nous tient à coeur de remercier tous ceux qui ont rendu possible, d’une manière ou d’une autre, la réalisation du colloque proprement dit ainsi que de ses accompagnements culturels, visite muséale et concert. Notre reconnaissance va à l’Université du Luxembourg, à Madame Lucienne Blessing, Vice-Recteur à la Recherche pour son aimable accueil, au Laboratoire de Linguistique et Littérature françaises, à l’Unité de Recherche IPSE, pour tous les appuis apportés au niveau organisationnel et à celui du financement ; au service de publicité de l’Université pour la prise en charge des affiches et dépliants ; au Fonds National de la Recherche (FNR) pour ses subsides substantiels, tant au bénéfice du colloque qu’à celui de la publication du présent volume, au Décanat de la Faculté des Lettres, des Sciences humaines, des Arts et des Sciences de l’Éducation pour l’apport financier consenti, aux Écoles Doctorales et Sociétés savantes pour bien des conseils et adresses utiles : Société des Amis de Port- Royal, École Doctorale III/ Centre d’Étude de la Langue et de la Littérature françaises des XVII e et XVIII e siècles, Université de Paris IV-Sorbonne-CNRS, Centre de Recherches « Écritures » de l’Université Paul-Verlaine de Metz. Nous associons à ces remerciements les responsables du Centre Culturel Français et de l’Année culturelle 2007 qui ont accueilli la manifestation dans leurs programmes et brochures, ainsi que la Bibliothèque Nationale de Luxembourg pour la mise à disposition de l’élément cartographique. Plus particulièrement, nous remercions Son Excellence Monsieur Charles- Henri de Bancalis de Maurel d’Aragon, Ambassadeur de France au Luxem- 1 Les résultats de ce projet ont été publiés dans La querelle janséniste extra muros ou La Polémique autour de la Procession des Jésuites de Luxembourg, 20 mai 1685, Gunter Narr, Tübingen, 2005, coll. Biblio 17, N° 162, 192 p. <?page no="10"?> X Remerciements bourg, de la belle réception offerte aux participants à la Résidence, M. Jean Lesaulnier, Président de la Société des Amis de Port-Royal, de ses conseils nombreux et pertinents, si enrichissants au niveau de la panoplie des intervenants, de sa disponibilité, aussi, pour la relecture des communications, Madame Sabine Pedrazzini, Docteur de l’Université de Strasbourg et collaboratrice scientifique dans le cadre nos projets de l’Université du Luxembourg, de tous les services rendus, en particulier ceux de la prise en charge du concert de musique baroque à l’église Saint-Michel de Luxembourg, M. Franck Colotte, titulaire des enseignements de l’Initiation au Latin à l’Université du Luxembourg, de l’aide apportée à la fois dans les choses pratiques et dans la relecture des textes, M. Michel Grunewald, Professeur à l’Université Paul-Verlaine de Metz et Madame Agnès Prüm, des Études Anglaises de l’Université du Luxembourg, de leurs apports précieux aux traductions allemande et anglaise des résumés des communications, Madame Brigitte Uhres, secrétaire pour les Lettres et Sciences humaines à la Faculté, de tout ce travail d’intendance sans lequel le colloque n’aurait pas été possible, ainsi que Madame Josiane Schroeder, en charge de la saisie électronique des documents. Nos sentiments reconnaissants vont aussi, et bien évidemment, à tous les participants, auteurs des communications de la conférence, qui, en répondant à notre appel, nous ont fait bénéficier de leur si belle science. Nous n’oublions pas M. André Monhonval qui a consenti à ouvrir les présents Actes par un apport orvalien, leur associant ainsi le site de la vieille abbaye de la Gaume si impliquée dans le débat janséniste, et notre collègue et ami Frank Wilhelm pour son très personnel propos de synthèse. Nous ne terminerons pas ce propos sans saluer l’accueil du présent ouvrage dans la prestigieuse collection Biblio 17 dont le Professeur Rainer Zaiser, directeur de la série, nous a, une fois de plus, ouvert les pages. Raymond Baustert <?page no="11"?> Biblio 17, 188 (2010) Préface Le jansénisme serait-il un accident de l’histoire de France, de l’histoire européenne ? Sans doute s’inscrit-il dans un mouvement connu de balancier : après un augustinisme consacré par le Concile d’Orange (529) et prolongé durant toute l’époque médiévale, survient l’humanisme de la Renaissance précurseur de modernité ; à la Réforme de Luther et de Calvin qui se réclament de saint Augustin succède une Contre-Réforme dont les jésuites sont le fer de lance. Et pourtant, si le Concile de Trente (1545-1563) avait défini les rapports possibles entre libre arbitre d’une part, nécessité de la grâce pour toutes les œuvres bonnes d’autre part, les débats auraient-ils eu lieu sur la question, particulièrement dans les milieux universitaires dont celui de Louvain, en Pays-Bas espagnols, là où Cornelius Jansen étudiait ? Le jésuite Molina, espagnol, aurait-il fait publier à Lisbonne son De concordia liberi arbitrii cum divinae gratiae donis (1588) ? En 1611, pressentant le danger, la Curie romaine imposait la solution du silence en interdisant toute publication sur le sujet. Vainement. Il est vrai que le pape, et pour longtemps encore, ne pouvait se prévaloir d’une infaillibilité qui n’était alors reconnue qu’au seul concile général. Début du dix-septième siècle, irriguées par des courants de rigueur morale et d’austérité, les terres étaient certainement nombreuses à pouvoir accueillir les germes de ce nouveau christianisme voulu tout intérieur par Jean Duvergier de Hauranne. Mais c’est dans la vallée de Chevreuse, chez des moniales, que s’implante la future « place d’armes du jansénisme », selon l’expression de Sainte-Beuve. Les théories de Jansénius y trouvent leur point d’enracinement et d’expansion en s’appliquant à la vie spirituelle et aux pratiques religieuses quotidiennes, comme à la pastorale. Au matin de Pâques, les femmes sont arrivées les premières près du tombeau vide ; les apôtres y sont venus ensuite. Voici que se présentent à Port-Royal les « messieurs », désireux de se retirer du monde, initiateurs d’un enseignement d’avant-garde puisque dispensé en français dans leurs Petites Écoles. Des érudits soucieux de traduire les textes sacrés pour les rendre accessibles au plus grand nombre, dans des sociétés pourtant largement analphabètes. <?page no="12"?> XII André Monhoval C’en est trop pour le pouvoir temporel, particulièrement dans une France craintive d’un étouffement par les pays qui l’entourent. Une France dont la monarchie tient à s’affirmer, forte de son droit divin qui l’oblige à éradiquer toute forme d’hérésie. La méfiance s’installe. Entretenue par une culture éristique de Port-Royal apte à engendrer des comportements déterminés et des écrits qui peuvent être violents, elle deviendra répression. L’autorité religieuse, le cas échéant au gré d’opportunités politiques, jésuites en tête, entre dans cette logique. En France, l’Église catholique est au bord du schisme. Mais les idées circulent, avec les hommes, avec les livres et les lettres, souvent dans le secret ; les frontières, devenues pour beaucoup horizon de liberté, n’arrêtent rien. Les Provinces Unies sont un havre de paix, de rassemblement, après de faux espoirs en Pays-Bas espagnols ou autrichiens. Les ouvrages d’Arnaud, de Pascal, de Nicole, beaucoup traduits en latin, s’invitent dans les bibliothèques des monastères, chez les lettrés, fréquemment aristocrates. La langue vernaculaire assure la diffusion la plus large. À l’écrit s’adjoint l’estampe, à la prose la poésie, sœur ennemie du jansénisme. Circulation parfois douloureuse, lorsque comme à l’abbaye cistercienne d’Orval, la communauté se déchire au point que le pape et l’empereur y envoient leur émissaire pour sanctionner les adeptes de Quesnel, et rétablir l’ordre. Malgré tout, des réseaux s’organisent, des appuis existent, dans les Cours, à Rome. L’anathème, lui, est toujours à l’affût ; là où le silence même peut être coupable, l’exil ou la prison deviennent rapidement réalité vécue. Le jansénisme, protéiforme dans le temps et dans l’espace, que ses détracteurs ont assimilé expressément au fléau de la peste, présenté comme une nouvelle formulation des erreurs de la Réforme, a crispé pouvoir civil et pouvoir religieux ; il n’a pas échappé à la controverse interne, particulièrement au sujet des convulsionnaires. Les outrances de quelques extrémistes superstitieux, les angoisses des plus sages entre les disciples de saint Augustin volontairement confrontés au pari de Dieu et à la prédestination, ne peuvent toutefois occulter l’apport aux droits de la conscience individuelle, et l’ouverture des portes au siècle des Lumières. Leibniz, alchimiste des savoirs et des consciences, fort de l’idée que Dieu a créé le meilleur des mondes possibles, ne rêvait-il pas cependant d’une Église unifiée et d’un État européen ? <?page no="13"?> XIII Préface L’abbé de Saint-Cyran, en prenant connaissance dans sa prison de Vincennes de l’Augustinus de son ami Jansénius, estima que l’ouvrage manquait d’onction, de cette « tonalité affective qui touche le cœur ». À l’abord du présent recueil, le lecteur devrait-il éprouver pareille crainte ? Assurément non ! Car au-delà des écrits et représentations, des événements, des concepts évoqués dans les différents thèmes exposés par les orateurs du prestigieux colloque organisé par le professeur Baustert, seront découverts aisément ceux que leurs adversaires ont appelé « jansénistes » : ils étaient des femmes et des hommes qui dans de nombreux pays d’Europe, parfois excessifs, souvent pathétiques, ont eu pour souci prosélyte de faire le choixcomme Antigonede la loi de Dieu, une loi par essence sans frontières, en renonçant à la loi des hommes, au prix d’une résistance sublime disposée même au martyre. Un choix qui force le respect, mène à l’empathie. Antigone, tirée de sa léthargie antique aussi par Jean Racine, enfant prodige et prodigue de Port-Royal… Aurea Vallis et Villare a.s.b.l. Janvier 2009 André Monhoval <?page no="15"?> Biblio 17, 188 (2010) Résumés des communications [ordre thématique] Ellen Weaver-Laporte Le Voyage hollandais de Pierre Sartre (1719) En 1719, Charles-Joachim Colbert de Croissy, évêque de Montpellier, confie à l’archidiacre Pierre Sartre la mission de se rendre aux Pays-Bas pour y présenter à Pasquier Quesnel, alors en exil à Amsterdam, l’Appel au futur Concile général en opposition à la bulle Unigenitus. C’est l’occasion, pour le jeune voyageur, accompagné de son ami Pierre-Paul Danjan, de produire une description minutieuse de tout ce qui le frappe au cours de son déplacement, mais plus particulièrement des églises qu’il a l’occasion de visiter, des différentes liturgies auxquelles il peut assister. Alors que la France est très majoritairement catholique, les Flandres et la Hollande, surtout, présentent une grande variété de confessions permettant aux voyageurs de s’introduire dans toutes sortes de lieux de culte, protestants, catholiques, orthodoxes, juifs, ou encore d’observer des communautés spirituelles comme celle des Béguines. Autant de nouveautés qui provoquent la curiosité de ces jeunes Français peu habitués, dans leur pays, à tant de diversité. Die holländische Reise von Pierre Sartre (1719) Im Jahre 1719, erhält der Erzdiakon Pierre Sartre vom Bischof von Montpellier, Charles-Joachim Colbert de Croissy, den Auftrag, Pasquier Quesnel in seinem Amsterdamer Exil aufzusuchen, um ihm das Projekt der Einberufung eines allgemeinen Konzils gegen die Bulle Unigenitus zu unterbreiten. Diese Reise gibt dem jungen Emissär, der sich in Begleitung seines Freundes Pierre-Paul Danjan auf den Weg macht, Gelegenheit einer minutiösen Beschreibung aller Besonderheiten die ihm auffallen, besonders aber der Kirchen die er besuchen, und der verschiedenen Liturgien denen er beiwohnen kann. Im Gegensatz zum mehrheitlich katholischen Frankreich, herrscht in Flandern, und besonders in Holland, eine große konfessionelle Vielfalt, die es den Reisenden ermöglicht, alle Arten von Kultstätten (reformierte, katholische, orthodoxe, jüdische) kennen zu lernen und monastische Gemeinschaften wie die der „Béguines“ zu beobachten. Alles Neuheiten, die die Neugierde dieser jungen Franzosen wecken, die in ihrem Heimatland keine solche Vielfalt kennen. <?page no="16"?> 2 Résumés des communications Pierre Sartre’s Dutch Journey (1719) In 1719, Archdeacon Pierre Sartre leaves for the Netherlands. Charles-Joachim Colbert de Croissy, Bishop of Montpellier has entrusted him with a mission : he is to present Pasquier Quesnel, who is living in exile in Amsterdam, with the plan to appeal the papal bull Unigenitus to a general council. This journey, on which he embarks with his friend Pierre-Paul Danjan, allows the young emissary to produce meticulous descriptions of everything that strikes him on his travels. He provides particular details of the churches he visits and the different liturgies he encounters. Unlike France, which is predominantly Catholic, Flanders and Holland are characterised by a great denominational diversity. Here the travellers encounter a great variety of places of worship, harbouring Protestant, Roman Catholic, Orthodox or Jewish rites, as well as spiritual communities such as the Beguines. All these novelties raise the young men’s curiosity, as their native France had not accustomed them to such diversity. Jean Lesaulnier Les Voyageurs de Port-Royal On peut s’étonner que les méditatifs de Port-Royal aient été ces grands voyageurs courant sur toutes les routes de France et d’Europe, et souvent en déplacements « intérieurs », d’une maison religieuse à l’autre. La présente étude s’emploiera à apporter des éclairages sur ces différents niveaux de voyages, de l’intérieur, à l’extérieur, intérieurs. Les voyages de l’intérieur concernent d’abord, et pour diverses raisons, les abbesses et les religieuses, ils impliquent ensuite les proches et les théologiens de Port-Royal, dans leurs relations avec les Champs et Paris, avec les évêques et prêtres favorables à la cause, si elles non sont pas dictées par les nécessités de la vie. Il y a enfin le cas des pèlerinages, Alet, Cîteaux, les Champs mêmes, vers l’abbaye détruite. Les voyages à l’extérieur semblent motivés principalement par trois raisons : la nécessité de soutenir à Rome les positions de Port-Royal, le besoin de rejoindre divers pays pour y défendre les intérêts de la cause, les exils, enfin. Les voyages « intérieurs » concernent l’analyse de l’expérience humaine et spirituelle de trois types de personnalités : les prisonniers comme Saint-Cyran, soumis à l’épreuve du seul « voyage » de leurs cellules. Les Solitaires de Port-Royal, exilés volontaires, qui ont choisi de se préparer au seul vrai voyage, celui qui mène à Dieu. Les religieuses persécutées, obligées à des déplacements vers d’autres maisons : leurs relations sont de poignants témoignages. [16] <?page no="17"?> 3 Résumés des communications Die Reisenden von Port-Royal Es hat etwas Überraschendes, dass man den in ständiger Kontemplation lebenden Menschen von Port-Royal auf allen Straßen Frankreichs und Europas begegnet, sowie auch auf „inneren“ Reisen, von Kloster zu Kloster. Im Folgenden wird versucht, die verschiedenen Arten der Reisen, die die Mitglieder der Gemeinschaft von Port-Royal unternehmen, zu schildern. Die Reisen innerhalb Frankreichs wurden aus verschiedenen Gründen von Äbtissinnen und Klosterfrauen von Port-Royal unternommen. Sie wurden ebenfalls von Theologen oder anderen der Abtei nahe stehenden Personen im Rahmen ihrer Beziehungen zu den Champs oder zu Paris unternommen, oder auch zu Port-Royalfreundlichen Diözesanbischöfen und Priestern. Aber es kann auch sein, dass diese Reisen die Notwendigkeiten des täglichen Lebens zur Ursache haben. Zu berücksichtigen sind hier auch noch die Pilgerreisen nach Alet, nach Cîteaux und zu den Ruinen von Port-Royal des Champs. Die Reisen außerhalb Frankreichs lassen sich ihrerseits vor allem auf drei Ursachen zurückführen : die Notwendigkeit die Thesen Port-Royals in Rom darzulegen und zu verteidigen, den Wunsch, in verschiedenen Ländern einflussreiche Persönlichkeiten für die eigene Sache zu gewinnen, und schlussendlich die Flucht von gefährdeten Port Royal-Anhängern ins Exil. Die „inneren“ Reisen spiegeln die menschlichen und geistigen Erfahrungen von drei Arten von Persönlichkeiten wider : den Gefangenen die, wie Saint-Cyran, in der Enge ihrer Zelle das innere Exil durchleiden müssen, den „Solitaires“ von Port-Royal, die sich auf die einzige wahre Reise, die zu Gott, vorbereiten, und den verfolgten Klosterfrauen, die man in anderen religiösen Gemeinschaften zu leben gezwungen hat. Ihre Berichte legen auf ergreifende Weise Zeugnis von ihrer Entwurzelung ab. The Travellers of Port-Royal It may come as a surprise that members of the contemplative community of Port-Royal were great travellers, wandering across the roads of France and Europe, relaying monasteries and convents on ‘internal journeys’. This paper explores the different kinds of journey, internal and external, within and beyond the borders of France, embarked on by the members of the Port-Royal community. The journeys within the borders of France were first, and for several different reasons, undertaken by abbesses and nuns, then, within the scope of their relationships with the Champs and Paris, by theologians or persons close to Port- Royal or bishops and priests who were favourable to the cause. It is possible, however, that these journeys were motivated by the necessities of everyday life. Moreover, pilgrimages to Alet, Cîteaux and the ruins of Port-Royal des Champs must be taken into account in this analysis. The journeys beyond the boundaries of France can be attributed to three main reasons : the necessity to present and defend the theses of Port-Royal in Rome, the <?page no="18"?> 4 Résumés des communications wish to rally influential foreign public figures to the cause, and, finally, the exile of Port Royal supporters whose situation was imperilled. The internal journeys give voice to three types of human and spiritual experiences: prisoners, like Saint-Cyran, who was forced to endure an inner exile within the confines of his cell, the “Solitaires” of Port-Royal, the voluntary exiles who chose to prepare for the only true voyage which leads to God, and finally the persecuted nuns who were forcefully relocated in other religious communities. The accounts of these experiences are poignant testimonies of uprooted destinies. Anne-Claire Josse-Volongo Une correspondance franco-polonaise : l’échange épistolaire de la Mère AngéliqueArnauld et de Louise-Marie de Gonzague, reine de Pologne Le départ de Louise-Marie de Gonzague vers la Pologne dont elle avait épousé en 1645 le roi Ladislas IV, fut le commencement d’un commerce de lettres de près de vingt-cinq ans avec la mère Angélique Arnauld. Si les lettres de la reine ont disparu pour la plupart, celles de sa correspondante, au contraire, ont fait l’objet, souvent à son insu, d’une conservation attentive. François Boulêtreau, outre à la publication de ces lettres, s’est attaché à l’éclairage du caractère des deux protagonistes, ainsi qu’à celui des contextes français et polonais de cette correspondance. À la lecture de ces lettres, l’utilité est apparue d’une étude des modalités pratiques de cet échange épistolaire. La grande distance ne pouvait rester sans conséquences sur les envois. L’étude des difficultés et des retards du courrier entre fera l’objet d’un examen détaillé. Aussi les difficultés d’acheminement dont se plaint la mère Angélique ne sont-elles pas sans rappeler les griefs de Madame de Sévigné contre les postes du temps, qui tardent à lui transmettre les lettres de Madame de Grignan. La lecture parallèle de ces deux correspondances révèle bien d’autres points communs et des échos inattendus qu’il conviendra de mettre en valeur en montrant comment un même thème est traité différemment par la mère abbesse et par Madame de Sévigné. Eine französisch-polnische Korrespondenz: der Briefwechsel zwischen Mère Angélique Arnauld und Marie-Louise de Gonzague, Königin von Polen Die Abreise von Marie-Louise de Gonzague nach Polen, nachdem sie im Jahre 1645 König Ladislaus IV geheiratet hatte, war der Beginn eines Briefwechsels der Königin mit Mère Angélique Arnauld, der sich auf 25 Jahre, bis zum Tode der Äbtissin, erstreckte. Im Gegensatz zu denjenigen der Äbtissin, die von den Klosterfrauen die sie umgaben, oft ohne ihr Wissen kopiert wurden, sind die <?page no="19"?> 5 Résumés des communications Briefe der Königin grössenteils unauffindbar.In seiner Dissertation aus dem Jahr 1980 hat François Boulêtreau diese Briefe veröffentlicht und gleichzeitig die Persönlichkeit der beiden Schreiberinnen geschildert sowie den Kontext, den diese Korrespondenz in Frankreich wie in Polen zum Hintergrund hatte. Der Inhalt der Briefe bestätigt die Nützlichkeit einer wissenschaftlichen Untersuchung der Umstände, unter denen sie ausgetauscht wurden. Einerseits wird deutlich, dass die große Entfernung zwischen Polen und Frankreich nicht ohne Folgen für den Austausch war. Andererseits stellt sich heraus, dass die Klagen der Mère Angélique in vielen Punkten denjenigen von Madame de Sévigné, die ebenfalls der Post Verspätungen in der Zustellung der Korrespondenz mit ihrer Tochter, Madame de Grignan, vorwirft, entsprechen. Der Vergleich zwischen beiden Korrespondenzen lässt andere unerwartete Gemeinsamkeiten erkennen und verdeutlicht zusätzlich, wie unterschiedlich gleiche Themen von der Klosterfrau und der Dame von Welt behandelt wurden. A French-Polish Correspondance: the Epistolary Relationship of Mère Angélique Arnauld and Marie-Louise de Gonzague, Queen of Poland As she left for Poland, whose king, Ladislas IV, she had married in 1645, Louise- Marie de Gonzague started a correspondence with Mother Angélique Arnauld. Their epistolary relationship was to last nearly 25 years. Though most of the queen’s letters have disappeared, those of her correspondent were copied, mostly without her knowledge, by the nuns that she shared her life with. François Boulêtreau’s dissertation (1980) provides the letters, illustrates the writers’ personalities and explores the Polish and French contexts of their correspondence. The letters themselves reveal a lot about the conditions in which they were conveyed, thus warranting a systematic analysis of the practical features of this epistolary relationship. On the one hand, the great distance between Poland and France was clearly not devoid of consequences for the conveyance of the letters. On the other hand, it appears that Mère Angélique shares many of Madame de Sévigné’s complaints about postal delays in the delivery of her daughter’s, Madame de Grignan’s, letters. The comparison between these epistolary exchanges reveals further, equally unexpected, resemblances and demonstrates how differently the abbess and Madame de Sévigné dealt with similar issues. Fabienne Henryot Le jansénisme dans les bibliothèques bénédictines de l’espace mosan fin XVII e -XVIII e siècles Les abbayes bénédictines de Lorraine sont bien connues, en particulier depuis les travaux de René Taveneaux, pour leur rôle dans la diffusion du jansénisme. La communication se propose d’explorer cette dimension en mettant <?page no="20"?> 6 Résumés des communications en parallèle des catalogues d’abbayes bénédictines lorraines (Saint-Mihiel, Moyenmoutier, Lay-Saint-Christophe), mais aussi relevant d’autres diocèses placés dans l’espace mosan (p. ex. dans le diocèse de Liège : Saint-Jacques, Saint-Laurent, Saint-Hubert d’Ardenne). Une telle comparaison, sur le temps long, permet de mieux connaître la diffusion et la réception des grands textes du jansénisme dans les établissements religieux. Nous utiliserons, pour cette analyse comparative, une série de critères portant particulièrement sur les auteurs, au regard des listes élaborées pour recommander ou proscrire ces auteurs et leurs ouvrages, notamment les interdictions émanant des pouvoirs épiscopaux. Der Jansenismus in den Bibliotheken der Benediktinerklöster des Meuse-Raumes am Ende des 17. und im 18. Jahrhundert Dank der Arbeiten von René Taveneaux, hat man eine genaue Vorstellung der Rolle der lothringischen Benediktiner im Rahmen der Verbreitung des jansenistischen Gedankenguts gewonnen. Der Beitrag befasst sich mit dieser Thematik auf der Grundlage einer vergleichenden Analyse der Bibliothekskataloge, die lothringische Benediktinerklöster (Saint-Mihiel, Moyenmoutier, Lay-Saint-Christophe) wie Abteien aus anderen Diözesen aus dem Meuse-Raum, insbesondere der Dïozese Lüttich, mit den Abteien Saint-Jacques, Saint-Laurent, Saint- Hubert d’Ardenne berücksichtigt. Ein solcher, eine längere Zeitspanne umfassender Vergleich ermöglicht eine bessere Kenntnis der Verbreitung und der Rezeption der großen jansenistischen Texte in den Klostergemeinschaften. Zur Erstellung dieser vergleichenden Studie werden insbesondere die Empfehlungs- oder Verbotslisten, die die verschiedenen Autoren betrafen, mit besonderer Berücksichtigung der bischöflichen Erlasse untersucht. Jansenism in the Libraries of Benedictine Monasteries in the Meuse Basin at the End of the 17 th and 18 th Centuries René Taveneaux is largely responsible for revealing the role of Benedictine abbeys in the dissemination of Jansenist thought. This contribution explores the influence of Benedictine abbeys in this matter by comparing the library catalogues of Benedictine abbeys in the region of Lorraine (Saint-Mihiel, Moyenmoutier, Lay- Saint-Christophe) and the Meuse Basin, with a particular focus on the Diocese of Liège and the abbeys of Saint-Jacques, Saint-Laurent and Saint-Hubert d’Ardenne. The long-term outlook of the study allows a better understanding of the dissemination and reception of the principal Jansenite texts in religious communities. This comparative study relies primarily on lists of recommended or banned authors and texts, and in particular bans emanating from Episcopal powers. <?page no="21"?> 7 Résumés des communications Jitka Radimská Les Livres jansénistes dans les bibliothèques de Bohême au XVII siècle La communication s’appuie sur les livres de spiritualité janséniste répertoriés dans les fonds de la littérature de langue française de la bibliothèque du château de Cˇeský Krumlov. Après quelques considérations sur le règne des Eggenberg et des Schwarzenberg à Cˇeský Krumlov, on s’intéressera aux premières controverses jansénistes telles qu’elles apparaissent à travers les livres de cette bibliothèque. On s’appuiera sur la Bibliothèque janséniste, ou catalogue des principaux livres jansénistes ou suspects de jansénisme (…), dont la seconde édition, de 1731, figure au fonds Schwarzenberg, mais aussi sur des répertoires plus récents, comme celui de la Bibliotheca Janseniana Belgica, procuré en 1949-1950 par Léopold Willaert. La description des livres sera assortie de commentaires sur les notes manuscrites permettant de s’interroger sur les propriétaires, l’acheminement, la fréquence de lecture des ouvrages. Dans la suite, on s’interrogera sur le contexte culturel tchèque au niveau des problèmes du jansénisme en Bohême, sur l’accueil des idées de Pascal, sur le rapport du comte Sporck avec le jansénisme français. Seront présentées les activités éditoriales de Sporck ainsi que les traductions allemandes des livres français de spiritualité janséniste procurées par ses filles Marie Éléonore et Anne Catherine. Il est certain que les fonds des bibliothèques des châteaux de Bohême constituent une source importante pour l’étude de la circulation des idées dans l’Europe à l’époque en question. Die jansenistischen Bücher in den böhmischen Bibliotheken des 17. Jahrhunderts Die vorliegende Studie betrifft die Sammlung französischsprachiger Bücher von jansenistischen Autoren aus der Schlossbibliothek von Cˇeský Krumlov. Nach einer zusammenfassenden Schilderung des Kontextes der Herrschaft der Familien Eggenberg und Schwarzenberg in Cˇeský Krumlov und einer gerafften Übersicht der Bibliotheksbestände, liegt der Schwerpunkt des Beitrages auf den ersten mit dem Jansenismus verbundenen Kontoversen, wie sie aus den Büchern dieser Bibliothek hervorgehen, deren Besitzer enge Verbindungen zum Wiener Hof unterhielten. Besondere Aufmerksamkeit gilt hierbei der „Bibliothèque janséniste, ou catalogue des principaux livres jansénistes (…)“, deren zweite Auflage, vom Jahre 1731, zur Sammlung Schwarzenberg gehört, wie auch Werke späterer Zeit, die in dem 1949-1950 von Léopold Willaert erstellten Katalog der Bibliotheca Janseniana Belgica vorhanden sind. Die hier vorgenommene Beschreibung der jansenistischen Werke wird vervollständigt durch die Untersuchung der handschriftlichen Notizen in den Büchern (soweit sie vorhanden sind), und der sich daraus ergebenden Informationen über <?page no="22"?> 8 Résumés des communications die Besitzer der Bücher, deren Erwerbung und deren Benutzung. Ein zweiter Teil des Beitrages betrifft das kulturelle Umfeld, das die jansenistische Problematik in Böhmen bestimmt, sowie die Rezeption der Ideen Pascals und die Beziehungen zwischen dem Grafen Sporck und dem französischen Jansenismus. Besprochen werden neben den publizistischen Aktivitäten des Grafen, die deutschen Übersetzungen der französischen Bücher jansenistischer Prägung durch seine beiden Töchter Maria Eleonora und Anna Katharina. Es unterliegt keinem Zweifel, dass die Sammlungen der böhmischen Schlossbibliotheken wichtige Aufschlüsse über das geistige Leben des Adels im Barockzeitalter vermitteln, und dass sie eine nicht zu unterschätzende Quelle zur Erforschung des Ideenaustausches im Europa der damaligen Zeit darstellen. Jansenite Books in Bohemian Libraries of the 17 th Century The following study refers to the Cˇeský Krumlov castle collection of Frenchlanguage books by Jansenite authors. We will briefly focus on the reign of the Eggenberg and Schwarzenberg families at Cˇeský Krumlov, before we move on to the first Jansenite controversies as they are emerge from the books of that library. The study relies on the Jansenite Library, or Catalogue of Principal Jansenite Books or Books Suspected of Jansenism (…). The second (1731) edition of this work is available in the Schwarzenberg collection as well as more recent directories, such as the Bibliotheca Janseniana Belgica acquired by Léopold Willaert in 1949-1950. The description of the books is complemented by an analysis of marginalia [handwritten notes] and the information they reveal about the owners, purchase and use of these books. The second part of this contribution addresses the cultural context of the Jansenite problem in Bohemia and the reception of Pascal’s ideas and the relationship between the Earl of Sporck and French Jansenism. We will focus on Sporck’s editorial activities as well as the German translations of books on Jansenite spirituality by Sporck’s daughters Maria Eleonora and Anna Katharina. The libraries of the castles of Bohemia do indeed represent an important source for the study of the flow of ideas in the Europe of the 17 th century. Volker Kapp Le jansénisme - un concept de controverses et controversé dans les encyclopédies allemandes et italiennes Les encyclopédies de langue allemande ou italienne abordent presque régulièrement la question du jansénisme dans l’optique du débat théologique ou politique de leur époque et le présentent comme un précurseur, un allié ou un adversaire d’idées actuelles. Les ouvrages de langue allemande jugent le concept surtout en vue des différends entre catholicisme et protestantisme ou libéralisme. Les ouvrages de langue italienne exaltent le jansénisme, quand <?page no="23"?> 9 Résumés des communications ils pensent l’utiliser dans une optique anti-catholique ; ils le condamnent, dès qu’ils adhèrent à l’orthodoxie catholique. Ce fait, surprenant en soi-même, devient inquiétant lorsqu’on se rend compte qu’il est quasi impossible de s’informer sur les données historiques, vu que les encyclopédies ne s’efforcent nullement de faire un partage clair entre les faits et les opinions. Tout se passe comme si le jansénisme était dans les deux pays une construction de combat idéologique qui ne garde que des liens vagues avec son histoire en France. C’est probablement un des aspects importants de l’histoire du jansénisme et l’Europe, argument qui est au centre du présent colloque. Der Jansenismus, ein kontroverser Begriff und ein Gegenstand von Kontroversen in den deutschen und italienischen Enzyklopädien Sowohl die deutschals die italienischsprachigen Enzyklopädien behandeln im Kontext des theologischen und politischen Diskurses ihrer Zeit regelmäßig die Frage des Jansenismus, den sie jeweils als einen Vorläufer, einen Verbündeten oder einen Gegner des modernen Gedankenguts darstellen. Die deutschsprachigen Werke beurteilen den Begriff hauptsächlich im Hinblick auf die Gegensätze zwischen Katholizismus, Protestantismus oder Liberalismus. Die italienischsprachigen, loben den Jansenismus, wenn er ihnen Argumente gegen den Katholizismus bietet, oder aber sie verurteilen ihn, wenn sie für die katholische Orthodoxie Partei ergreifen. Diese an sich erstaunliche Tatsache ist umso beunruhigender, als es unmöglich ist, völlig zuverlässige Informationen über die historischen Fakten zu sammeln, weil die Enzyklopädien keinerlei Unterschied zwischen objektiven Tatbeständen und subjektiven Meinungen machen. Es sieht so aus, als ob in beiden Sprachgebieten der Begriff „Jansenismus“ zu einem Konstrukt im Kampf der Ideologien wird und kaum Bezüge zu seiner Geschichte in Frankreich hat. Hierin besteht möglicherweise einer der wichtigsten Aspekte der Geschichte des Jansenismus in Europa. Jansenism - Controversial Concept and Object of Controversy in German and Italian Encyclopaedias German and Italian Encyclopaedias regularly approach Jansenism in the context of theological or political debates of their own era and present it as a precursor, ally or adversary of contemporary discourses. German works primarily consider the concept from the vantage point of conflicts existing between Catholicism and Protestantism or liberalism. Italian works praise Jansenism when it provides arguments to further their anti-Catholic positions; they readily condemn it, on the other hand, if they adhere to Catholic orthodoxy. This surprising fact becomes worrying as soon as you realise that it is near impossible to obtain reliable historical information on Jansenism, as the encyclopaedias do not distinguish between facts and opinions. It seems as if, in these two countries, Jansenism were a construct of ideological confrontation that <?page no="24"?> 10 Résumés des communications only keeps vague ties with its French historical roots. This is probably an important aspect of the history of Jansenism in Europe, which, in turn, is one of the central aspects of the present conference. Franck Colotte Les polémiques anti-jansénistes de François-Xavier de Feller À la fin du XVIII e siècle, le problème du jansénisme et les polémiques qu’il suscita, n’est pas évacué : le « fantôme janséniste » vit toujours. L’abbé François-Xavier de Feller, un jésuite luxembourgeois à la plume acérée, se fait l’écho du climat spirituel qui règne à la fin du Siècle des Lumières en donnant une voix à l’Europe traditionaliste. Dans son Journal historique et littéraire comme dans son Dictionnaire historique, il se fait le chantre du dogme de l’Église catholique : cet adversaire des philosophes (au premier rang desquels se place Voltaire) condamne également le jansénisme, qu’il considère comme une secte dont il combat les erreurs théologiques. Nous analyserons ainsi de quelle manière Feller lutte contre ce qu’il considère être une hérésie ou relever du fanatisme religieux. Les analyses philosophiques et morales que ce véhément abbé à l’esprit missionnaire livre - et les griefs qu’elles comportent - sont d’ordre dogmatique et religieux. Par son activité de critique littéraire le rédacteur de notices biographiques sur les plus grandes figures du jansénisme français (p. ex. l’abbé de Saint-Cyran, le Grand Arnauld, Pasquier Quesnel) ou de théologien réfléchissant à un meilleur ordre moral, l’abbé de Feller poursuit le but de prévenir ses concitoyens du mal qui les attend en écrasant ce qu’il considère comme « l’infâme ». Die anti-jansenistische Polemik in den Schriften François-Xavier de Fellers Am Ende des 18. Jahrhunderts gehört die Frage des Jansenismus und die von ihr hervorgerufene Polemik bei weitem noch nicht der Vergangenheit an: das „Gespenst“ des Jansenismus geht um, nach wie vor. Auf diesem Hintergrund, legt die spitze Feder des luxemburgischen Jesuiten François-Xavier de Feller, der sich als Stimme des traditionalistischen Europas versteht, Zeugnis vom geistigen Klima des endenden ‚Siècle des Lumières‘ ab. Sowohl in seinem „Journal historique et littéraire“ als auch in seinem „Dictionnaire historique“, verteidigt Feller unentwegt die Dogmen der katholischen Kirche, als Gegner der ‚Philosophen‘, allen voran Voltaires, und verurteilt ebenfalls den Jansenismus, der für ihn nichts anderes ist als eine Sekte, deren theologische Irrlehren es zu bekämpfen gilt. Zweck des Beitrages ist es aufzuzeigen, auf welche Art und Weise Feller gegen diese angebliche Häresie und ihren religiösen Fanatismus vorgeht. Die philoso- <?page no="25"?> 11 Résumés des communications phischen und ethischen Analysen dieses streitbaren und von missionarischem Eifer besessenen Klerikers, und die in ihnen enthaltenen Anschuldigungen, sind sowohl dogmatischer als auch religiöser Natur. In seiner Eigenschaft als Literaturkritiker, und somit als Verfasser biographischer Notizen über die Hauptvertreter des französischen Jansenismus - z. B. den abbé de Saint-Cyran, den Grand Arnauld, Pasquier Quesnel- oder als über eine bessere moralische Weltordnung sinnender Theologe, setzt sich Feller zum Ziel, seine Zeitgenossen über das sie bedrohende Unheil aufzuklären, das ihm als ‚infâme‘ gilt. Antijansenite polemics in the writings of François-Xavier de Feller At the end of the 18 th century, the problem of Jansenism and the controversies it generated had yet to be resolved: the ‘Jansenite Ghost’ is very much alive. François-Xavier de Feller, a Luxembourgish Jesuit abbot with a very sharp pen, echoes the spiritual climate of the late Enlightenment period and voices the concerns of traditionalist Europe. In both his Journal historique and his Dictionnaire historique, he champions the dogma of the Catholic church: the opponent of philosophers, above all Voltaire, also condemns Jansenism, which he considers a sect whose theological errors he is fighting. In this paper, we will analyse the ways in which Feller resists the ideas he considers both heretic and religiously fanatical. Passionate and missionary in outlook, his philosophical and moral analyses, and the grievances they imply, are of a dogmatic and religious nature. No matter what the activity he engages in is: the literary critic who composes numerous biographical notices of the greatest figures of French Jansenism, including the abbé de Saint-Cyran, the Grand Arnauld and Pasquier Quesnel, or the theologian looking for a better moral order - in all his capacities the abbé de Feller pursues the aim of warning his fellow citizens of the evil that awaits them by crushing what he considers ‘infâme’. Raymond Baustert Le jansénisme dans un périodique du XVIII e siècle édité à Luxembourg : les articles jansénistes de la ‹Clef du Cabinet des Princes› depuis de sa parution en 1704 jusqu’à la mort de Louis XIV Après une présentation de la Clef du Cabinet des Princes, revue d’expression française parue à Luxembourg à partir de 1704, la communication aura pour but de relever les articles relatifs au jansénisme jusqu’au deuxième tirage de l’année 1715 correspondant à un corpus de vingt-quatre volumes. Ces articles, de longueurs variables, allant de quatre lignes à huit pages in-12°, reflètent divers aspects du débat janséniste regroupés en deux volets majeurs : - les textes officiels sanctionnant le jansénisme et les mesures sur le terrain <?page no="26"?> 12 Résumés des communications - les livres traitant du jansénisme, tels qu’ils paraissent au fil des années 1704 à 1715. Une troisième approche, partie principale de la communication, est biographique : un personnage-clef du jansénisme, Nicolas Pavillon, évêque d’Aleth, mort le 8 décembre 1677, fait l’objet, au mois de mai 1705, d’une présentation dans le cadre de la notice nécrologique consacrée à Étienne Pavillon, son neveu. C’est cette occurrence qui donnera lieu à une étude détaillée, centrée sur les interrogations suivantes : l’information de la Clef est-elle fiable, ou note-t-on, dans l’exposé de cette Vita, des omissions ou des modifications ? Si oui, permettent-elles de conclure à une prise de position de l’auteur en matière de jansénisme ? Der Jansenismus in einer in Luxemburg erschienenen Zeitschrift des XVIII. Jahrhunderts : Die den Jansenismus betreffenden Beiträge der ‹Clef du Cabinet des Princes› vom Gründungsjahr der Zeitschrift 1704 bis zum Todesjahr Ludwigs XIV., 1715 Nach einer allgemeinen Beschreibung der ‹Clef des Cabinet des Princes›, einer ab 1704 in Luxemburg erscheinenden Zeitschrift, werden die den Jansenismus betreffenden Beiträge aus der Zeitschrift bis zur zweiten Lieferung des Jahres 1715 vorgestellt ; das untersuchte Corpus umfasst die ersten vierundzwanzig Bände der Clef. Die Beiträge sehr unterschiedlicher Länge - von vier Zeilen bis zu acht in-12° Seitenspiegeln verschiedene Aspekte des Jansenismusstreites wider und betreffen sowohl die amtlichen Verordnungen gegen die Jansenisten und die gegen sie durchgeführten Maßnahmen, wie die zwischen 1704 und 1715 zum Thema „Jansenismus“ erschienene Literatur. Der Hauptteil des Aufsatzes (dritter Teil) hat die Biographie eines der Hauptakteure des Jansenismus, Nicolas Pavillon, Bischof von Aleth, verstorben am 8. Dezember 1677, zum Thema. Ihm wurde im Mai 1705, in einer seinem Neffen Étienne Pavillon gewidmeten nekrologischen Notiz, besondere Aufmerksamkeit geschenkt. Diese Notiz ist Gegenstand einer detaillierten Analyse, in deren Mittelpunkt folgende Fragestellung steht: sind die von der Clef vermittelten Informationen über Nicolas Pavillon zuverlässig? Oder: hat der Verfasser seiner Vita aus seinem Leben manches unterlassen bzw. verändert? Wenn dies der Fall ist, kann man daraus Schlüsse auf seine eigene Einstellung zum Jansenismus ziehen? Jansenism in an 18 th Century Periodical Edited in Luxembourg : The Jansenite Articles of the ‘Clef du Cabinet des Princes’ from its First Publication in 1704 to the Death of Louis XIV in 1715 This contribution will first provide a more general presentation of the ‘Clef des Cabinets des Princes’, a French-language journal published in Luxembourg from 1704, and then focus on articles referring to Jansenism until the journal’s second <?page no="27"?> 13 Résumés des communications circulation in 1715, thus covering a research corpus of twenty four volumes. These articles, whose length varies between four lines to eight in-12° pages, articulate various aspects of the Jansenite debate and can be subdivided into two main sections: - Official texts prohibiting Jansenism and the practical measures undertaken against it. - Books dealing with Jansenism published between 1704 and 1715. The third, main part of the present essay is biographical: Nicolas Pavillon, Bishop of Aleth, who died in 1677, is one of the key figures of Jansenism. In May 1705, he is mentioned in the obituary of his nephew, Étienne Pavillon. The present analysis focuses on this particular reference and raises the following questions: is the information of the Clef reliable, or are there omissions or modifications in Nicolas Pavillon’s vita? Does it follow that the author of Pavillon’s vita thus expresses his own attitudes towards Jansenism in this obituary? Vlad Alexandrescu Un exposé roumain de 1667 sur la Présence réelle dans l’Eucharistie Lors de son ambassade à Stockholm en 1666-1667, le Spathaire roumain Nicolas Milescu rencontre l’ambassadeur de France, Simon Arnauld, marquis de Pomponne. C’était l’époque où les milieux jansénistes essayaient de rassembler le maximum de pièces au sujet de la foi chrétienne sur l’Eucharistie. Le marquis propose au Spathaire d’écrire un exposé sur la foi orthodoxe en la matière. Le texte intitulé Enchiridion sive stella orientalis occidentali splendens, rédigé en deux versions manuscrites, grecque et latine, est envoyé aussitôt à Antoine Arnauld et à Pierre Nicole, qui le font paraître dans la grande Perpétuité en latin (1669). Cette pièce, ainsi qu’un certain nombre d’autres documents, permettent à Nicole d’affirmer, contre le témoignage de Kyrille Loukaris et contre Jean Claude, l’identité de la foi chrétienne orthodoxe et catholique concernant l’Eucharistie. Ein rumänisches Exposé aus dem Jahre 1667 über die Realpräsenz in der Eucharistie Als er Gesandter in Schweden (1666 bis 1667) war, begegnete der rumänische Spathar Nicolas Milescu dem französischen Botschafter Simon Arnauld, Marquis de Pomponne. Diese Begegnung fand zu einer Zeit statt, als die Jansenisten bestrebt waren, möglichst viele Zeugnisse über das christliche Verständnis der Eucharistie zu sammeln. Der Marquis bot deshalb dem Spathar an, einen Aufsatz zur Position der orthodoxen Christen zu diesem Thema zu verfassen. <?page no="28"?> 14 Résumés des communications Der auf diese Aufforderung zurückgehende Aufsatz, „Enchiridion sive stella orientalis occidentali splendens“ wurde handschriftlich auf Griechisch und Lateinisch verfasst. Er wurde sofort an Antoine Arnauld und Pierre Nicole weitergeleitet, und von ihnen in der großen „Perpétuité“ von 1669 veröffentlicht. Mit Hilfe dieses Aufsatzes und einiger anderer Dokumente, konnte Nicole beweisen, dass entgegen der Meinung von Kyrille Loukaris und Jean Claude, zwischen der orthodoxen und der katholischen Konzeption der Eucharistie keine Unterschiede bestehen. A Roumanian Report on the Sacramental Presence during the Eucharist (1667) As an envoy in Sweden (1666-1667), Nicolas Milescu, a Spathaire, met the French Ambassador Simon Arnauld, Marquis de Pomponne. At the time, Jansenites were trying to collect a maximum of documents detailing Christian faith in the matter of the Eucharist. Therefore, the Marquis asked the Spatharian to write a report on Orthodox faith in this matter. There are Greek and Latin manuscript versions of the text, Enchiridion sive stella orientalis occidentali splendens. On completion, it was sent to Antoine Arnauld and Pierre Nicole, who publish it in the “grande Perpetuité” of 1669. Based on this and a few other documents, Nicole was able to reject the testimonies of Kyrille Loukaris and Jean Claude and assert the agreement in matters of the Eucharist of the Orthodox and Catholic faiths. Sylvain Menant Louis Racine : La Grâce. La diffusion européenne d’un manifeste janséniste Si le soupçon de frivolité qui pèse sur la poésie amène parfois à sous-estimer son rôle dans la diffusion des idées religieuses, on notera cependant que, dès les premières années du XVIII e siècle, les recherches en linguistique générale présentent la langue primitive comme fondamentalement poétique et capable d’exprimer des vérités brouillées par l’usure des siècles. Les textes sacrés, si souvent traduits alors, ne sont-ils pas poétiques plus que tous les autres ? La poésie sert donc les bonnes causes ; les facilités d’édition qu’offre sa densité n’est pas sans opérer dans le même sens. C’est dans ce contexte que la présente contribution tâchera d’éclairer d’abord l’implication janséniste, puis l’impact européen du poème le plus retentissant de Louis Racine, La Grâce, publiée en 1720, et inscrite dans le prolongement direct du Port-Royal classique. Tant de thèmes, celui de la toute-puissance de Dieu, celui de la liberté de l’homme, ceux de sa misère et de sa prédestination, présentent des <?page no="29"?> 15 Résumés des communications accents jansénistes, certes, mais aussi plus généralement chrétiens. L’œuvre, de toute façon, ne peut être reçue comme un fer de lance dogmatique du parti de Port-Royal. Quant à son écho a-t-il été européen ? Les traductions, assez nombreuses, sont associées à celles de La Religion, de même que les versions françaises répandues en Europe, d’où la difficulté de conclure. En revanche, l’offre des libraires pour La Grâce permet de parler d’un vrai phénomène éditorial. Succès qui s’explique sans doute moins par le jansénisme du texte que par le désir de contrer par une doctrine moralement élevée les attaques de l’incroyance fréquentes à partir du XVIII e siècle. Louis Racine: „Die Gnade“. Die europäische Verbreitung eines jansenistischen Manifestes Obwohl der Poesie ein gewisser Ruf der Frivolität anhaftet, der sie zur Vermittlung religiösen Gedankenguts ungeeignet erscheinen lässt, sind ab Beginn des 18. Jahrhunderts linguistische Untersuchungen durchgeführt worden, aus denen sich ergab, dass die Ursprachen grundsätzlich über die Fähigkeit verfügen, Wahrheiten zu vermitteln, die erst im Laufe der Jahrhunderte an Klarheit eingebüsst hatten. Eine der Überlegungen war, ob die so vielfach übersetzte Heilige Schrift nicht reine Poesie sei? Die Dichtung könne also zur Verbreitung der Wahrheit beitragen, und ihre kompakte Präsentationsform prädestiniere sie geradezu hierfür. Auf dem hier skizzierten Hintergrund wird im Folgenden der Versuch unternommen, zuerst den jansenistischen Gehalt, und anschließend die europaweite Wirkung des wichtigsten Werkes von Louis Racine, des im Jahre 1720 erschienenen und in der Gedankenwelt des klassischen Port-Royal evoluierenden Gedichtes „Die Gnade“ [La Grâce] zu schildern. Viele der Motive des Gedichtes, die Allmacht Gottes, die Freiheit des Menschen wie seine Ohnmacht und seine Vorherbestimmung, sind ohne Zweifel vom Jansenismus geprägt, aber können auch als allgemein christlich angesehen werden. Daher wäre es unangemessen, im Werke Louis Racines eine Speerspitze der jansenistischen Partei zu sehen. Des Weiteren muss die Frage gestellt werden, ob das Echo auf das Werk tatsächlich europaweite Dimensionen gehabt hat. Die ziemlich zahlreichen Übersetzungen des Gedichtes sowie auch die europaweit verbreiteten französischen Ausgaben der Grâce fanden meistens in Verbindung mit „Der Religion“ [La Religion] des gleichen Autors Verbreitung. Daher ist es schwierig, eindeutige Schlussfolgerungen zu ziehen. Im Gegensatz hierzu, erlaubt das allein die Grâce betreffende Angebot der Buchhändler hingegen, von einem Erfolgsphänomen zu sprechen. Dieser Erfolg aber erklärt sich ohne Zweifel weniger durch eine spezifisch jansenistische Auslegung des Werkes, als vielmehr durch den Wunsch dem im 18. Jahrhundert aufkommenden Unglauben eine höchsten Ansprüchen genügende christliche Moral entgegenzustellen. <?page no="30"?> 16 Résumés des communications Louis Racine : ‘La Grâce’. European Dissemination of a Jansenite Manifest Allegedly frivolous poetry seemed inappropriate as an instrument to convey religious thought, and yet, at the beginning of the 18 th century, linguistic investigations came to the conclusion that “primitive languages” are fundamentally poetic and able to articulate truths that were distorted only by the passage of time. Would this not mean, then, that the sacred texts of the Holy Bible, so frequently translated, are themselves intrinsically poetic? Poetry would thus contribute to the dissemination of truth, especially because of its compact form. In this context, we will try to explore both the Jansenite substance and the European impact of Louis Racine’s most significant poem, ‘La Grâce’ (1720), which directly extends the classical Port-Royal philosophy. Though many of its themes - God’s omnipotence, man’s freedom, his misery and predestination - reveal Jansenite sensibilities, they can also be conceived as more generally Christian. It would certainly be inappropriate to consider Racine’s work as a dogmatic propaganda weapon of the Port-Royal party. Moreover, the question of its European dimension remains. The many translations and French editions of La Grâce were mostly circulated with Racine’s La Religion, thus complicating the task of resolving the matter conclusively. Then again, bookshop supplies of La Grâce suggest a veritable editorial phenomenon. This success can presumably be explained less by the text’s Jansenite sensibilities than by the desire of fighting increasing lack of faith with morally elevated principles. Annick Delfosse Autour de l’ « Instructio ad tyronem » (1672). Les enjeux d’une définition dogmatique de l’Immaculée Conception Dans les années 1670, la diffusion dans les Pays-Bas d’un petit manuel de théologie intitulé Instructio ad tyronem provoque des réactions enflammées, parce qu’il remet en cause la possibilité de définir dogmatiquement l’Immaculée Conception. L’article montre comment s’affrontent deux clans. Les premiers sont des théologiens et prêtres formés par l’université de Louvain à la théologie positive. Ils encouragent, sur le plan théologique autant que cultuel, une attitude mesurée et rigoureuse, invoquant l’obligation d’invariabilité et la fidélité aux sources scripturaires et patristiques. Les seconds (l’évêque de Gand, l’internonce, les ordres mendiants et les jésuites) sont les champions de Rome. Ils soutiennent des formes de dévotion démonstratives, parfois ostentatoires, toujours affectives et sensibles. Les uns et les autres ne pouvaient s’entendre : leur incompatibilité s’est cristallisée autour de l’Instructio et fit ressurgir les accusations de jansénisme. La querelle, partie de Gand, finit par trouver un écho européen et ouvrit la voie à la fameuse controverse des Monita salutaria. <?page no="31"?> 17 Résumés des communications Überlegungen zur ‚Instructio ad tyronem‘ (1672). Die Problematik einer dogmatischen Definition der Unbefleckten Empfängnis In den siebziger Jahren des 17. Jahrhunderts, erzielt die Verbreitung eines kleinen theologischen Werkes, der Instructio ad tyronem, das die Möglichkeit einer dogmatischen Definition der Unbefleckten Empfängnis in Frage stellt, leidenschaftliche Reaktionen. Ziel des Beitrages ist es das Aufeinanderprallen zweier gegensätzlicher Parteien aufzuzeigen. Die erste davon stellt sich aus Theologen und Priestern, die an der Universität Löwen zur positiven Theologie hingeführt worden waren, zusammen. Sich auf die Unabänderkichkeit der Lehre und auf die Treue zur Schrift und zu den Vätern berufend, empfehlen sie eine gemässigte und rigorose Stellung. Die andere Partei zu der der Bischof von Gent, der Internuntius, die Vertreter der Bettelorden und der Jesuiten zu zählen sind, vertritt den Standpunkt Roms und unterstützt somit die Forderung nach einer demonstrativen, ja sich zur Schau stellenden und immer sehr gefülsbetonten Frömmigkeit. Ein Aufeianderzugehen war somit nicht möglich, und die Unvereinbarkeit der Standpunkte, die sich um die Instructio kristallisierte, liess den Vorwurf des Jansenismus neu aufleben. Der in Gent entstandene Streit entfachte sich bald europaweit und bahnte den Weg zur Kontroverse der Monita salutaria. Instructio ad Tyronem: The Problems of Dogmatic Definitions of the Immaculate Conception In the 1670s, the circulation in the Netherlands of a small manual of theology entitled Instructio ad tyronem generated outraged reactions, because it questioned the possibility of dogmatically defining the Immaculate Conception. This contribution describes the confrontation of two clans. The first, theologians and priests trained in positive theology at the University of Louvain, encourage a careful and rigorous attitude on both theological and cultural levels. They call on the invariability of the Christian doctrine and loyalty to scriptural sources and Early Church Fathers. The second group (the Bishop of Gand, the Internuntius, the mendicant orders and the Jesuits) are champions of Rome. They support emotional demonstrative, sometimes even ostentatious, forms of devotion. The incompatibility of both parties was crystallised around the Instructio and brought allegations of Jansenism back to the fore. The quarrel, which started in Gand, spread across Europe and opened up the way for the famous Monita salutaria controversy. Hélène Bouchilloux Le jansénisme dans les ‹Essais de théodicée› de Leibniz Loin de se mêler aux conflits théologiques de son époque, Leibniz adopte dans ses Essais de théodicée un point de vue surplombant : non seulement celui d’un philosophe capable de distinguer les concepts que les théologiens <?page no="32"?> 18 Résumés des communications confondent, mais encore celui d’un philosophe capable, grâce à sa vaste culture européenne, de replacer les conflits théologiques dans une problématique plus large, qui les explique tout en les relativisant. Laissant de côté ce qu’il dit de Pierre Nicole (à propos de la damnation des enfants morts sans baptême) et d’Antoine Arnauld (à propos de l’action créatrice de Dieu), on se concentrera sur ce qu’il dit du jansénisme en général (à propos de la conciliation du libre arbitre et de la providence divine). On verra comment le détour par le molinisme et le jansénisme permet de résoudre un problème légué par la philosophie grecque et amplifié par le christianisme, l’enjeu étant de combattre le nécessitarisme de Hobbes et de Spinoza. Der Jansenismus in Leibniz’ ‚Essais de théodicée‘ Ohne sich auf die theologischen Streitereien seiner Zeit einzulassen, bezieht Leibniz in seinen ‚Essais de théodicée‘ ihnen gegenüber einen übergeordneten Standpunkt, der gleichzeitig der eines Philosophen ist, der Begriffe unterscheidet, die Theologen miteinander verwechseln und der eines Philosophen, der dank seiner umfassenden Bildung über die Fähigkeit verfügt, Konflikte theologischer Art in einen breiteren Kontext einzuordnen, in dem sie erläutert und relativiert werden. Unter Auslassung von Leibniz’ Stellungnahmen zu den Thesen von Pierre Nicole, (die Verdammnis der ohne Taufe verstorbenen Kinder betreffend), wie auch zu denen von Antoine Arnauld (die Schöpfungstätigkeit Gottes betreffend) beschränkt sich unser Beitrag auf seine allgemeinen Aussagen zum Jansenismus vor dem Hintergrund der Frage nach der Vereinbarkeit von freiem Willen und göttlicher Vorsehung. Versucht wird zu zeigen, wie über den Umweg von Molinismus und Jansenismus eine von der griechischen Philosophie ererbte und vom Christentum in größerem Umfang wieder aufgenommene Frage einer Lösung zugeführt werden kann. Jansenism in Leibniz’ ‘Essais de théodicée’ In his ‘Essais de théodicée’, Leibniz does not get involved in the theological conflicts of his time, but adopts the more elevated point of view of a philosopher who is capable of distinguishing concepts theologians confuse and who, because of his extensive European culture, is able to look at theological conflicts into a more comprehensive perspective. Bypassing his comments on Pierre Nicole (on the damnation of children who die un-Christened) and Antoine Arnauld (on God and Creation), we will focus on his account of Jansenism in general (on the conciliation of free will and divine providence). We will see how the digression over Molinism and Jansenism leads to the solution of a problem inherited from Greek philosophy and amplified by Christianity, the aim being to resist the determinism (necessitarianism) of Hobbes and Spinoza. <?page no="33"?> 19 Résumés des communications Massimo Leone Le jeûne et le chocolat : le rigorisme janséniste en Italie En 1748, Daniele Concina (1686-1756) publia à Venise un opuscule intitulé Memorie storiche sopra l’uso della cioccolata in tempo di digiuno [Mémoires historiques sur l’usage du chocolat en temps de jeûne]. Après avoir évoqué l’occasion de l’écriture, l’auteur souligne l’importance de la question, en précise l’état au moment de la publication, s’attarde sur l’origine du chocolat et sur son introduction en Europe, propose une anthologie d’avis théologiques (Hurtado, Brancazzi, Cozza, etc.) favorables à ceux qui boivent du chocolat en carême ; ensuite il cite des théologiens probabilistes qui s’opposent à une telle attitude et conclut par quelques considérations personnelles sur la question. Ce petit traité, dont le sujet peut apparaître, à présent, comme curieux et même bizarre, revêt une importance capitale non seulement pour explorer le milieu rigoriste italien au dix-septième siècle, mais aussi pour connaître ses idées sur la modernité, sur la morale et … sur la matière, car la licéité ou l’illicéité du chocolat dépendent de la façon dont cette boisson « exotique » est classifiée : liquide ou solide ? L’article essaye alors d’illustrer le contenu des Memorie storiche sopra l’uso della cioccolata in tempo di digiuno et d’y déceler quelques-unes des tendances culturelles majeures de l’Italie philo-janséniste. Fasten und Schokolade: der jansenistische Rigorismus in Italien Im Jahre 1748 veröffentlichte Daniele Concina (1686-1756) in Venedig ein kleines Opus mit dem Titel Memorie storiche sopra l’uso della cioccolata in tempo di digiuno („Historische Abhandlung zum Genuss der Schokolade in der Fastenzeit“), auf das hier näher eingegangen wird. Nachdem er sich mit dem Anlass befasst hat, der zur Entstehung seiner Schrift führte, und die Relevanz wie den Stand der von ihm behandelten Frage erörtert hat, berichtet der Verfasser längere Zeit über die Herkunft der Schokolade und die Umstände ihrer Einführung in Europa, um schließlich den Leser mit einer Sammlung theologischer, den Schokoladetrinkern wohlwollender Statements zu konfrontieren. Anschließend führt er die gegenteiligen Meinungen probabilistischer Theologen an, und schließt mit einigen persönlichen Überlegungen seine Schrift ab. Dem hier behandelten kleinen Traktat, dessen Fragestellung uns heute seltsam oder gar bizarr anmuten kann, kommt allem gegenteiligen Anschein zum Trotz aber eine überragende Bedeutung zu, wenn es um die Erforschung des rigoristischen Milieus im Italien des 17. Jahrhunderts und dessen Einstellungen zur Modernität, zu ethischen Fragen … und zur Materie geht. Denn die Beantwortung der Frage, ob der Genuss von Schokolade zulässig oder unzulässig ist, hängt davon ab, ob dieses „exotische“ Getränk in flüssiger oder fester Form angeboten <?page no="34"?> 20 Résumés des communications wird. Ziel des Beitrages ist es, den Inhalt der „Memorie storiche sopra l’uso delle cioccolata nel tempo di digiuno“, und anhand des Büchleins von Concina einige kulturelle Hauptströmungen des philojansenistischen Italien vorzustellen. Fasting and Chocolate: Jansenite Rigour in Italy In Venice in 1748, Daniele Concina (1686-1756) publishes Memorie storiche sopra l’uso della cioccolata in tempo di digiuno [Historical Memories on the use of Chocolate during Lent]. Concina first addresses the occasion that lead to the writing of his treatise, then underlines the significance of the question, identifies the present state of the matter, describes the origins of chocolate and the circumstances of its introduction in Europe and establishes an anthology of theological opinions approving the drinking of chocolate during Lent (Hurtado, Brancazzi, Cozza, etc.). Following this, he cites probabilist theologians who oppose such an attitude and concludes with a number of personal considerations on the question. Though its subject may nowadays appear curious and perhaps even bizarre, this little treatise is of capital importance: not only does it allow us to explore seventeenth century rigorist milieus; it also permits us to uncover his ideas on modernity, on ethic questions and on material substance. Indeed whether chocolate is considered a licit or illicit substance during Lent depends on its qualification as solid or fluid. The aim of this contribution is to illustrate the contents of the Memorie storiche sopra l’uso della cioccolata in tempo di digiuno and to identify some of the major cultural tendencies of pro-Jansenite Italy. Frédérick Vanhoorne Du ‹Mars Gallicus› aux ‹Inconvéniens d’Estat› : naissance du jansénisme entre religion et politique La communication propose une lecture croisée du Mars Gallicus de Jansénius et des Inconvéniens d’Estat procédant du jansénisme de Léonard de Marandé. Le Mars est cet ouvrage de circonstance écrit par Jansénius en pleine guerre de Trente ans qui a fortement influencé l’attitude des autorités françaises face à ce qui allait devenir le jansénisme. L’ouvrage développe une vision très espagnole du pouvoir et de la politique, critiquant vertement les orientations politiques françaises. Il constitue de ce fait un beau témoignage du grand débat sur les finalités de la politique qui se déroule alors. Les Inconvénients sont un texte français qui prend le contre-pied du Mars en exaltant les positions françaises. Cet ouvrage forge les bases de la « doctrine antijanséniste » des autorités françaises. L’analyse de ces deux textes permet de conclure que la naissance et le développement de la controverse janséniste sont intimement liés à l’antagonisme franco-espagnol au moment de la guerre de Trente ans. <?page no="35"?> 21 Résumés des communications Vom ‚Mars Gallicus‘ zu den ‚Inconvéniens d’Estat‘: die Entstehung des Jansenismus im Spannungsfeld zwischen Politik und Religion Der Beitrag gründet auf einer vergleichenden Lektüre des „Mars Gallicus“ von Jansen und der aus dem Jansenismus von Léonard de Marandé hervorgegangenen „Inconvéniens d’Estat“. Beim „Mars“ handelt es sich um ein inmitten der Wirren des Dreißigjährigen Krieges verfasstes Gelegenheitswerk, das die Stellung der französischen Behörden gegenüber dem werdenden Jansenismus sehr stark beeinflusst hat. Das Werk vertritt eine Auffassung der Macht und der Politik, die unter starkem spanischen Einfluss steht und übt scharfe Kritik an der Ausrichtung der französischen Politik. Daher bildet es ein exemplarisches Zeugnis der damaligen Polemik über die Zielsetzungen der Politik. Die „Inconvéniens“ sind ein echt französisches Werk, das sich als Gegensatz zum „Mars“ versteht, und französische Auffassungen verteidigt. Dieses Opus lieferte die Grundlagen der antijansenistischen Doktrin der französischen Behörden. Die Analyse dieser beiden Dokumente erlaubt den Schluss, dass sowohl der Ursprung als auch die Entwicklung der jansenistischen Kontroverse eng mit dem französisch-spanischen Antagonismus im Augenblick des Dreissigjährigen Krieges zusammenhängt. From ‘Mars Gallicus’ to the ‘Inconvéniens d’Estat’: The Genesis of Jansenism between Religion and Politics This contribution is centred on a comparative reading of Jansénius’ Mars Gallicus and the Inconvéniens d’Estat following from Léonard de Marandé’s Jansenism. Mars Gallicus is circumstantial work written in the middle of the Thirty Years’ War that had a strong influence on the attitudes French authorities developed towards what would later become Jansenism. The work defends a very Spanish vision of power and politics and is severely critical of French political tendencies. In this sense, it constitutes a strong testimony of the then prevailing debates on the aims and objectives of politics. Inconvéniens d’Estat, on the other hand, is a French text that consciously contrasts with Mars Gallicus and commends French positions. It also provides the basis for the ‘anti-Jansenite doctrine’ of French authorities. The analysis of these two texts leads to the conclusion that the genesis and development of the Jansenite controversy are intimately linked to the antagonism between the French and the Spanish at the time of the Thirty Years’ War. <?page no="36"?> 22 Résumés des communications Juliette Guilbaud Le statut paradoxal de la langue latine dans les éditions jansénistes, au temps de Port-Royal On se propose de montrer comment le latin, lorsque l’élargissement du livre janséniste est en jeu, endosse le rôle paradoxal de vecteur des textes fondamentaux de Port-Royal et des auteurs jansénistes. Ce statut peut sembler en contradiction avec le projet même des auteurs jansénistes. En effet, un des enjeux de leur écriture est la clarté de la langue au bénéfice de l’intelligibilité des textes, sans sacrifier à leur authenticité. C’est par exemple le leitmotiv des traducteurs de la Bible - Arnauld, Le Maistre, Sacy. C’est également un des points forts de la pédagogie pratiquée aux Petites Écoles. Faire apprendre la grammaire latine en passant par le français, la langue vernaculaire comprise d’un plus grand nombre. Pourtant, la quesion linguistique se repose avec acuité dès lors que les jansénistes aspirent à une diffusion de leurs écrits à l’échelle européenne. Le latin, alors, rejoint en quelque sorte les langues vulgaires propres à diffuser les éditions jansénistes hors de leur berceau linguistique. Ce courant de traduction facilite la rencontre de nouveaux publics, familiers du latin, ecclésiastiques, mais aussi scientifiques. Il sera intéressant d’étudier lesquels des textes se prêtent à ce « jeu » de la traduction, voire de la retraduction (comme c’est le cas des Provinciales), quels en sont les échos sur la scène européenne, et comment ce mouvement de traduction vers le latin s’inscrit dans le projet de diffusion des éditions jansénistes. Überlegungen zur paradoxen Stellung der lateinischen Sprache in den jansenistischen Publikationen zur Zeit von Port-Royal Ziel des Beitrags ist es aufzuzeigen, auf welche Art der Rückgriff auf das Lateinische, im Zusammenhang der Verbreitung des jansenistischen Schriftgutes auf paradoxe Weise zur Verbreitung der port-royalistischen und jansenistischen Basistexte beigetragen hat. Aufgrund der allgemeinen Zielsetzungen der jansenistischen Autoren, könnte dies ohne Zweifel widersprüchlich erscheinen. Es ist in der Tat ja so, dass es das Ziel dieser Autoren gewesen ist, dank der Klarheit ihrer Sprache ihre Schriften dem Publikum zugänglich zu machen, ohne deshalb ihre Authentizität zu opfern. Dieses Ziel war z. B. das Leitmotiv der Bemühungen der Bibelübersetzer, Arnauld, Le Maistre, Sacy. Hierin lag ebenfalls eines der Hauptanliegen der in den ‚Petites Écoles‘ angewandten Pädagogik : dort wurde die lateinische Grammatik mit Hilfe des Französischen, als der allgemein praktizierten Volkssprache unterrichtet. Dies verhinderte nicht, dass die Sprachenfrage sich spätestens dann erneut stellte, als die Jansenisten versuchten, ihre Schriften in ganz Europa zu verbreiten. <?page no="37"?> 23 Résumés des communications Von diesem Zeitpunkt an gesellte sich das vorher als unverständlich gebrandmarkte Lateinische zu den modernen Sprachen, die als geeignet galten, das jansenistische Schrifttum außerhalb seiner engeren Heimat zu propagieren. Die dadurch einsetzenden Übersetzungsaktivitäten ebnen den Weg zu neuen, des Latein kundigen Leserschichten aus kirchlichen wie auch aus wissenschaftlichen Kreisen. Auf diesem Hintergrund gilt es zu erforschen, welche Texte sich für diese Übersetzungs-, (oder wie im Falle der „Provinciales“ Rückübersetzungspraxis), eigneten, welchen Widerhall sie europaweit fanden und inwiefern dieser Übersetzungstrend zum Lateinischen hin sich in das Expansionsprojekt des Jansenismus einfügte. The Paradoxical Status of Latin in Jansenite Publications at the Time of Port-Royal The aim of this contribution is to document the way in which Latin paradoxically contributed to the circulation of the fundamental texts of Jansenism and Port- Royal, at a time of increasing circulation of Jansenite ideas. Indeed, considering the general aims of Jansenite authors, the use of Latin may seem contradictory : their aim was make their texts accessible to the public without sacrificing their authenticity by using clear language. This is, for instance, the leitmotiv of the translators of the Bible - Arnauld, Le Maistre, Sacy. It is also one of the strong features of the teaching methods implemented in the ‘Petites Écoles’: Latin grammar was taught using French, the vernacular most commonly used and understood. The language question reappears with vehemence as soon as the Jansenites aspire to a European circulation of their writings. In that context, Latin, formerly seen as prohibiting clear communication, now fulfils the same function as vernacular languages in the dissemination of Jansenite publications beyond the borders of France. These new translation practices promote encounters with new readers who are familiar with Latin, clerical but also scientific. In this context, we will investigate which texts are suited for this interplay of translation - some of these texts, such as the Provinciales, are translated back into Latin - what their reception in Europe was and how this practice of translating texts into Latin is inscribed in the circulation of Jansenite publications. Christine Gouzi De la destruction de Port-Royal des Champs à la Révolution française. Les réseaux européens de la gravure d’obédience janséniste Au-delà des portraits des religieuses de Port-Royal dus à Philippe de Champaigne, les commandes artistiques émanant de jansénistes furent les plus nombreuses au siècle des Lumières et ne concernèrent pas seulement la <?page no="38"?> 24 Résumés des communications peinture, mais surtout un medium de duplication et de masse : l’estampe. Les gravures d’obédience janséniste furent exécutées dès le début du XVIII e siècle dans les cercles d’artistes liés à la Hollande : graveurs réformés émigrés de France en Hollande, graveurs français dont la famille était d’origine hollandaise. Ainsi au moment de la destruction de Port-Royal des Champs (1709), et de la diffusion du journal clandestin des Nouvelles ecclésiastiques, à partir de 1717, l’élaboration des œuvres d’obédience janséniste découla de la mise en place d’un réseau international qui unissait les talents amstellodamois et parisiens travaillant souvent de concert et clandestinement. Cette collaboration s’intensifia au moment des miracles du cimetière Saint-Médard, mais elle se développa de manière nouvelle au moment de l’affaire des billets de confession dans les années 1750. Pendant plusieurs décennies, des graveurs réunis à Paris autour des rédacteurs des Nouvelles ecclésiastiques, donnèrent des dessins pour des frontispices et des gravures polémiques, politiques, religieuses. Or certains de ces artistes étaient encore issus de Hollande, mais aussi d’Autriche, d’Allemagne. D’autres, français, firent carrière dans les cours de l’Europe de l’Est. La notion de réseau paraît donc appropriée pour étudier toute cette « nébuleuse » janséniste. Die europäische Vernetzung der Kupferstecherkunst von der Zerstörung des Klosters Port-Royal des Champs bis zur Französischen Revolution Philippe de Champaigne’s Porträts der Schwestern von Port-Royal gelten zwar als der Ausdruck schlechthin der vom Jansenismus inspirierten Kunst. Dies verhindert aber nicht, dass die zahlreichsten Bestellungen von Jansenisten an Künstler im 18. Jahrhundert, dem ‚Siècle des Lumières‘, stattfanden ; dies galt ebenso wohl im Bereich der Malerei wie in dem eines Vervielfältigungs- und Massenmediums wie der Kupferstecherkunst. Jansenistisch inspirierte Stiche entstanden gleich zu Beginn des 18. Jahrhunderts in Künstlerkreisen, die Beziehungen zu Holland hatten und bei denen es sich entweder um nach Holland emigrierte Kupferstecher oder um Franzosen holländischen Ursprungs handelte. So kam es, dass zur Zeit der Zerstörung des Klosters von Port-Royal des Champs, Anfang 1709, und der Verbreitung der Untergrundzeitschrift der „Nouvelles ecclésiastiques“ ab 1717, die Herstellung von ‚jansenistischen‘ Werken im Rahmen eines internationalen Netzwerkes stattfand. Dieses Netzwerk verband in gemeinsamer und geheimer Arbeit Talente sowohl aus Amsterdamer wie auch aus Pariser Werkstätten. Die Zusammenarbeit die sich zum Zeitpunkt der „Wundertaten“ auf dem Friedhof Saint-Médard verstärkte, erreichte ihren Höhepunkt in den fünfziger Jahren des 18. Jahrhunderts, zur Zeit der so genannten Beichtzettelaffäre („billets de confession“). Mehrere Jahrzehnte lang erstellte eine um die Pariser Redakteure der „Nouvelles ecclésiastiques“ agierende Gruppe von Künstlern Zeichnungen für politische und religiöse Titelblätter und polemische Stiche. Einige dieser Künstler kamen aus Holland, andere waren <?page no="39"?> 25 Résumés des communications aus Österreich oder auch aus Deutschland. Andere, aus Frankreich gebürtige, wirkten an den osteuropäischen Höfen. Diese Beispiele rechtfertigen den Rückgriff auf die Netzwerkforschung, um die jansenistische Diaspora im ausgehenden 18. Jahrhundert zu studieren. From the Destruction of Port-Royal des Champs to the French Revolution: the European Networks of Jansenite Engraving Art Beyond Philippe de Champaigne’s portraits of Port-Royal nuns, artistic orders originating from Jansenites were more numberous during the Enlightenment period and were not reduced to paintings, but included a medium of mass duplication: engravings. Jansenite engravings can be traced back to the beginning of the 18 th century in artistic circles with connections to Holland in the form of reformed French engravers who had emigrated to Holland and French engravers with Dutch origins. Thus, when Port-Royal des Champs was destroyed in 1709, and the clandestine journal Nouvelles ecclésiastiques started circulating (1717), the creation of Jansenite engravings relied on an international network uniting the talents of engravers hailing from Amsterdam and Paris. This collaboration intensified at the time of the miracles of the Saint-Médard cemetery, but developed in a new fashion in the 1750s at the time of the so-called confession notes affair (‘billets de confession’). For a duration of several decades, engravers gathered around the Parisian writers of the Nouvelles ecclésiastiques produced drawings for frontispieces and polemical, political and religious engravings. Among these, some still originated from Holland, whereas others came from Austria and Germany. Others still, often French, established careers in East European courts. The notion of network thus seems an appropriate term in this study of Jansenite diaspora. Jean Mesnard Mythe janséniste et mythe jésuitique dans l’Europe d’après la Réforme L’objet de la conférence est d’envisager l’efficacité opératoire que peuvent prendre, lorsqu’on les envisage d’une manière simultanée et, en quelque sorte didactique, deux concepts qui ont largement occupé le monde intellectuel et religieux aux XVII e et XVIII e siècles, voire dans leurs antécédents et prolongements, un peu plus tôt et beaucoup plus tard, ceux de jansénisme et de jésuitisme. Concepts parallèles, à forte connotation dépréciative, tous les deux insérés dans une certaine histoire, et mêlés d’énormes polémiques, avec interventions plus ou moins adroites des autorités politiques et religieuses, et résistances variées, soit actives, soit passives. Tous traits qui ont tendu à constituer ces deux concepts en mythes, avec ce que ce mot implique d’irrationnel, de passionnel, d’imaginaire, de puissant pour le dynamisme de l’action, mais de ruineux pour la vérité historique. C’est cette dernière qu’il <?page no="40"?> 26 Résumés des communications s’agit de conquérir, accessoirement pour le plus grand bien de l’orthodoxie, qui ne saurait faire fi de cette dimension de son objet. L’enquête qui s’impose devrait aboutir à faire considérer comme mineurs, ou à situer à l’arrière-plan, des points sur lesquels les disputes ont été extérieurement le plus vives, théories de la grâce, problèmes de la casuistique, et à faire ressortir la portée essentielle, structurelle, des grands affrontements de l’âge moderne : rapports de l’Église catholique et des États-nations, et, sur un terrain plus proche de celui du vécu, de l’aspiration à l’universel et de la vitalité persistante des esprits régionaux, réforme interne de l’Église, fondements de l’ecclésiologie, tradition ou aggiornamento, l’Église devant l’évolution de la culture, formes de l’affirmation du pouvoir. Nous dépassons alors la sèche histoire des idées pour coïncider avec celle des hommes, et nous pouvons retrouver, en vue d’une comparaison fructueuse, dans les débats du passé, nos inquiétudes du présent. Zwei Mythen im postreformatorischen Europa : Jansenismus und Jesuitismus Ziel des Vortrages ist die Hinterfragung der praktischen Anwendbarkeit zweier gleichzeitig und sozusagen auf didaktischer Ebene betrachteter Konzepte, nämlich denen des Jansenismus und des Jesuitismus, die beide eine nicht unerhebliche Rolle in der philosophischen und religiösen Gedankenwelt des 17. und des 18. Jahrhunderts, aber auch in der Vorläufer- und Nachfolgezeit gespielt haben. Es handelt sich hierbei um zwei parallel aufgestellte und sehr negativ konnotierte, in einen bestimmten historischen Kontext eingefügte Begriffe, die in grosse Polemiken involviert waren und diverses, mehr oder weniger geschicktes Einschreiten der politischen und religiösen Instanzen, jedesmal von aktiven oder passiven Widerständen begleitet, hervorgerufen haben. All dies hat zur Verwandlung der beiden Konzepte in Mythen beigetragen, mit all dem was dieses Wort „Mythos“ an Leidenschaft, Irrationalität, Einbildungskraft, Handlungsdynamik, aber auch an Verfälschung der historischen Wahrheit beinhaltet. Zusätzlich ist es aber eben letztere die es zu erobern gilt, zum Wohle der Orthodoxie, die keineswegs auf diese Ausrichtung ihres Objektes verzichten kann. Der zu unternehmende Forschungsbeitrag sollte diejenigen Aspekte die zu den virulentesten Polemiken Anlass gaben, wie z. B. die Frage der Gnade oder diejenige der Kasuistik, als zweitrangig in den Hintergrund verbannen, und im Gegenteil den grundlegenden und strukturellen Wert der grossen Auseiandersetzungen der Moderne hervorheben : die Beziehungen zwischen der katholischen Kirche und den Nationalstaaten, auf einer gelebteren Ebene, diejenigen zwischen dem Streben nach der Universalität einerseits und den immer noch lebendigen Lokalmentalitäten andrerseits,die innere Reform der Kirche, die Grundlagen der Ekklesiologie, Tradition oder Aggiornamento, Kirche und Entwicklung der Kulturen, Formen des Machtanspruchs. All dies führt über die abstrakte Geschichte der Ideen hinaus und in die der Menschen hinein und ermöglicht in der Optik eines fruchtbringenden Vergleiches, <?page no="41"?> 27 Résumés des communications in den Auseinandersetzungen der Vergangenheit die Besorgnisse der Gegenwart wiederzuerkennen. Two Myths of Post-Reformation Europe: Jansenism and Jesuitism The object of the conference is to reflect on the operative efficiency that two concepts can acquire when considered side by side. The two concepts in question have kept the intellectual and religious world of the 17 th and 18 th century occupied. Considering their antecedents and extensions, this time period can be extended a little both ways to include Jansenism and Jesuitism. These can be considered parallel concepts, that carry strong derogatory connotations, are both inscribed in a certain historical context, embroiled in considerable controversies, subject to more or less competent interventions of political and religious authorities and can boast of various resistance movements, both active and passive. All of these are features that contributed to the construction of these two concepts as myths: myth, here, includes everything we associate with the word - the irrational, the passion, the imaginary, the action-inducing power that is so detrimental to historical veracity. And yet, the latter is the object of this study, if only for the sake of orthodoxy. The present study will relegate to the background those points around which debates were outwardly the liveliest, such as the theory of grace and problems related to casuistry (case-based reasoning). It will bring to the fore the essential and structural scope of the great confrontations of the Modern Age: the relationship between the Catholic Church and Nation States, and on a level closer to lived experience, the aspiration towards the universal and the persistent vitality of regional spirits, the internal reform of the Church, the foundations of ecclesiology, tradition or aggiornamento, the Church facing the evolution of culture, forms of assertion of the powers that be. Thus we go beyond the dry history of ideas in order to coincide with the history of men and women. Perhaps, we may thus detect, in a fruitful comparison, in the debates of the past, our anxieties of today. <?page no="43"?> Diffusion et réception I : voyages et correspondances <?page no="45"?> Biblio 17, 188 (2010) Le voyage hollandais de Pierre Sartre (1719) 1 E LLEN W EAVER L APORTE Société des Amis de Port Royal Le thème du colloque qui nous réunit parut très vaste, trop vaste, et c’est pourquoi nous avons choisi de concentrer notre attention sur un petit coin de l’Europe : les Pays-Bas, et sur un épisode des relations du jansénisme français avec ce pays, celui de la réaction des amis de Port-Royal, les jansénistes, si on veut, à la promulgation de la Bulle Unigenitus, promulguée par le pape Clément XI en septembre 1713. La Bulle condamnait comme fausses et hérétiques cent et une propositions extraites du livre de Pasquier Quesnel, Le Nouveau Testament en français avec des réflexions morales sur chaque verset, pour en rendre la lecture plus utile et la méditation plus aisée à ceux qui commencent à s’y appliquer, paru en 1692. L’affaire de l’Unigenitus a été un moment particulièrement intense d’une longue lutte acharnée des jansénistes contre le roi et le pape, lutte qui avait commencé avec la publication, en 1640, de l’Augustinus de Cornélius Jansen (latinisé en Jansenius). L’Augustinus avait été introduit en France par Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran. Saint-Cyran était le directeur spirituel des religieuses de l’abbaye de Port-Royal et de ses disciples, les Messieurs de Port-Royal. En 1653, cinq propositions censées se trouver dans ce livre furent condamnées par la bulle Cum occasione, et en 1656 l’Assemblée du clergé prescrivit la signature d’un formulaire condamnant le livre, et demanda au pape Alexandre VII de préciser la bulle de 1653. Le 16 octobre, la bulle Ad sacram affirma que les cinq Propositions sont bien contenues dans l’Augustinus, et qu’elles ont été condamnées au sens où Jansénius les avait entendues. Les Messieurs de Port-Royal, prêtres et laïcs, et la majorité des religieuses de l’abbaye de Port-Royal des Champs, refusèrent de signer le For- 1 Voyage en Hollande fait en 1719 par Pierre Sartre, Prêtre du Diocèse de Montpellier, envoyé en mission vers le Père Quesnel. Publié avec Préface d’après le manuscrit inédit, par Victor Advielle, Paris, 1896. Une nouvelle édition critique et commentée, due à Ellen Weaver-Laporte, paraîtra prochainement aux éditions Nolin. <?page no="46"?> Ellen Weaver Laporte 32 mulaire. Les religieuses qui ont refusé de signer ont été envoyées ou laissées à Port-Royal de Champs 2 . En 1679, Antoine Arnauld, le chef du parti, quitta Port-Royal pour les Pays-Bas. En 1685, Pasquier Quesnel alla le rejoindre à Bruxelles. Après avoir été arrêté en 1703, Quesnel s’exila à Amsterdam. C’est dans ce contexte que se situe le Voyage de Pierre Sartre. Pierre Sartre était né à Montpellier en 1693, fils de Jean Sartre, conseiller secrétaire du Roi, de la maison et couronne de France et de ses finances, et d’Antoinette de la Bécherand. En 1717, lors d’une visite de Sartre à sa mère à Montpellier, il fut ordonné sous-diacre par l’évêque Charles-Joachim Colbert de Croissy 3 . La même année, Colbert prit part à une séance en Sorbonne qui provoqua un mouvement qui eut pour effet de diviser l’Église de France avec des conséquences politiques profondes. En effet, le vendredi 5 mars 1717, Pierre de La Broue, évêque de Mirepoix, Charles-Joachim Colbert de Croissy, évêque de Montpellier, Pierre de Langle, évêque de Boulogne, et Jean Soanen, évêque de Senez, quatre évêques parmi les plus opposés à la Bulle Unigenitus, se rendirent à la Sorbonne pour présenter leur Appel de la Bulle à un concile général. Ainsi fut lancé le mouvement qui divisa clergé et laïques en deux camps opposés, celui des « appelants » qui se joignaient aux quatre évêques en faisant appel eux aussi, et les « constitutionnaires » qui adhéraient à la constitution (la Bulle) 4 . Deux ans plus tard, en 1719, Colbert confia à Pierre Sartre la mission de se rendre en Hollande, afin de présenter l’Appel à Pasquier Quesnel, sur les épaules duquel était tombé le manteau d’Antoine Arnauld. Quesnel était âgé de quatre-vingt-six ans et fragile, mais il était encore actif et reconnu comme l’animateur principal des jansénistes. L’évêque avait écrit au Père Pasquier Quesnel alors en exil à Amsterdam : Cette lettre M[on] R[évérend] P[ère] sera rendue par un jeune sous-diacre de mon Eglise pour qui j’eu une [… amitié] parce qu’il me paraît en avoir beaucoup pour la vérité, & beaucoup de respect et de vénération pour vous 5 . Le jeune Sartre arriva à Amsterdam après treize jours de voyage. Il y rencontra Quesnel à qui il présenta la lettre de Colbert de Croissy. Sartre fut l’un des 2 À cette époque Port-Royal est divisé en deux maisons, Port-Royal des Champs et Port-Royal de Paris. Les religieuses de Port-Royal de Paris signèrent le Formulaire. 3 Charles-Joachim Colbert de Croissy était neveu de Jean-Baptiste Colbert (le « Grand Colbert »). 4 Voir Jacques M. Gres-Gayer, Théologie et pouvoir en Sorbonne, Paris, Klinksieck, 1991, p. 89-122. 5 Rijksarchief d’Utrecht, Fonds Port-Royal, PR 5696. <?page no="47"?> 33 Le voyage hollandais de Pierre Sartre (1719) derniers visiteurs de Quesnel, ce qui accroît la valeur de son récit pour Colbert de Croissy et les Port-Royalistes de l’époque. Mais pour les lecteurs d’aujourd’hui, il est précieux pour d’autres raisons. Pierre Sartre était accompagné d’un jeune architecte, Pierre-Paul Danjan 6 , à qui nous devons sans doute les descriptions si précises des églises et autres monuments qu’ils ont visités durant leur voyage. Ces descriptions ajoutent couleur et intérêt au récit de Sartre, qui nous mène dans toutes les villes qu’ils ont traversées. Ce récit nous intéresse encore par les commentaires sur les cérémonies auxquelles les deux voyageurs ont assisté dans les églises catholiques, les béguinages, les temples et les synagogues. Et il en va de même pour les commentaires de Sartre sur le mode de vie des Hollandais qu’ils ont observé dans leur voyage. Églises et Liturgies Pierre Sartre et son compagnon décrivent minutieusement les lieux de culte visités et les cérémonies. Ils ont été frappés par la variété des confessions aux Pays-Bas. La France du XVIII e siècle était très majoritairement catholique romaine. En Flandre (actuelle Belgique), et surtout en Hollande, ils ont trouvé des églises protestantes, catholiques et orthodoxes, des synagogues et des communautés comme celle des béguines dont la manière de célébrer le culte était toute nouvelle et étrange pour ces hommes jeunes et pieux. Même la liturgie catholique de quelques-unes des églises a choqué Pierre Sartre, en bon disciple de Port-Royal, par ses inventions et ornements baroques. Sans doute son précepteur, Augustin Samson, avait-il introduit son jeune élève à son maître, Nicolas Le Tourneux, ou, au moins, aux ouvrages érudits sur la liturgie de celui-ci, tel De la meilleure manière d’entendre la Sainte Messe 7 . Le troisième jour de leur voyage, ils arrivent à Cambrai. Les descriptions des églises illustrent le style et le goût de Sartre. Il note que la cathédrale dédiée à la Sainte Vierge est grande, mais obscure et massive. L’église de l’abbaye de Saint-Aubert est jolie, dans un goût moderne. Ici c’est l’habit des chanoines qui retient son attention : il est « vraiment épiscopal, violet à bou- 6 Victor Advielle a fondé cette identification sur le fait que le manuscrit fut découvert dans les papiers de Cyprien Danjan, Vice-Président du Tribunal, marqué : « À conserver dans les souvenirs de la famille Danjan. » Mes propres recherches ont confirmé cette identification. 7 Paris, 1680 et plusieurs éditions ultérieures. <?page no="48"?> Ellen Weaver Laporte 34 tons rouges. » 8 Plus intéressant est son commentaire sur l’église jésuite, qu’il généralise à toutes les églises des jésuites : Dans leurs églises on remarque trois nefs, celles des deux côtés un peu plus basses, portées sur des colonnes rondes d’un ordre ionique ou dorique ; ces trois nefs offrent en perspective trois autels. Le grand est au milieu, celui de Saint Ignace et de Saint François Xavier dans les côtés. […] Le dedans de ces bas-côtés est toujours boisé jusqu’à la hauteur des fenêtres, de manière que le bas est coupé par des confessionnaux très bien travaillés, et le dessus par des tableaux réalisés par les meilleurs peintres, et on sait combien les Flamands ont excellé dans cet art et à quelle réputation a été la fameuse École d’Anvers. Voilà comme sont distribuées les églises des Jésuites dans tout ce pays là ; il y a de plus grandes les unes que les autres, mais elles se ressemblent toutes, et ne sont différentes que par le plus ou le moins de magnificence 9 . À côté de l’église jésuite se trouve une église qui appartient à des moines bénédictins. Sartre observe : Cette église est neuve, bâtie en croix avec des bas-côtés. Les piliers sont délicats et d’une architecture moderne. On n’y voit aucun ornement étranger : une boiserie dans le chœur, une simple table de marbre pour l’autel, le pavé de marbre noir et blanc, un buffet d’orgue de bon goût, une proportion exactement gardée, voila la beauté de cette église, mais beauté de tous les temps et de tous les goûts ; elle est si réelle que tous ceux qui entrent dans cette église en sont frappés. On y cherche en vain quel est l’objet particulier qui charme ; cet objet n’est autre que la réunion exacte de toutes les proportions. Nous verrons une église toute semblable chez les religieux du même ordre, lorsque nous reviendrons par Tournai 10 . Pierre Sartre montre sur ce point son attachement aux principes d’architecture de Port-Royal. Son appréciation pour la simplicité de l’église des bénédictins nous fait penser aux modifications que la mère Angélique, la réformatrice de Port-Royal, exigea de l’architecte Le Pautre sur son projet pour la chapelle de Port-Royal de Paris, qui peuvent se résumer en deux mots : suppressions et simplification. Les riches pilastres corinthiens dont Le Pautre rêvait d’encadrer le portail de son église, la mère Angélique les fait remplacer par d’autres pilastres, doriques ; des porches latéraux que l’architecte voulait ornés d’entablements et qu’il surmontait d’oculi assez vastes, elle fait supprimer tout ornement, et au grand oculus préfère une fenêtre verticale avec, au-dessus 8 Voyage en Hollande, op. cit., p. 15. 9 Ibid., p. 15-16. 10 Ibid., p. 16. <?page no="49"?> 35 Le voyage hollandais de Pierre Sartre (1719) d’elle, un oculus des plus modestes ; elle fait également simplifier le dessin de la toiture. Elle supprime aussi, et beaucoup : pas de perron à balustrade, pas de portiques à colonnes, pas de croix au sommet du fronton curviligne, pas de balustrade ni de pots à feu au-dessus des porches latéraux, et, à l’intérieur, pas de décoration à la coupole, ni de statues dans les niches ménagées entre les pilastres. Le goût de la pauvreté ouvre la porte ainsi à la sobriété 11 . À Mons, les voyageurs ont visité, dans l’église de Sainte-Waudru, le tombeau de Gaspard Migeot, libraire qui avait publié la traduction du Nouveau Testament par Isaac Le Maistre de Sacy ordinairement appelée Le Nouveau Testament de Mons 12 . Dans cette église, ils ont assisté aux vêpres chantées par les chanoinesses de Mons instituées par sainte Waudru. La participation de ces chanoinesses aux liturgies fait penser au rôle des diaconesses dans l’église ancienne 13 . Mais ce fut à Anvers, sur le chemin du retour, que Sartre a assisté à une liturgie qui l’a vraiment choqué : Dès le matin du jour de la Nativité de la Vierge, j’allai entendre l’office à l’église cathédrale, qui passe pour la plus riche et la plus célèbre des Pays-Bas. Rien n’y manque, en effet, du côté des ornements extérieurs. Mais je ne fus nullement satisfait de leurs cérémonies, et généralement parlant du mauvais goût qui est répandu dans toutes leurs dévotions. Tous ces Flamands, autrefois soumis au roi d’Espagne, et de cœur toujours Espagnols, sont pour les sentiments ultramontains et ne connaissent la piété que par ce qu’elle a d’extérieur et de sensible. Seriez-vous content par exemple d’une grande messe chantée, non chez des moines, mais dans l’église cathédrale le jour de la Nativité de la Vierge, dans laquelle ni les chanoines, ne le peuple, ne peuvent ouvrir la bouche, et dont les violons et l’orgue font tout le chant. Voici en détail comment fut changé tout l’office ce jour-là. Vous jugerez par-là du mauvais goût qui règne dans ces églises. L’heure de l’office sonnée, on dépêcha avec précipitation tierce, sexte, et nones. On fit avant la grande messe la procession dans laquelle on chanta les Litanies de la Vierge. Au retour deux chanoines en chape et bâton d’argent à la main, vinrent s’asseoir devant le lutrin, mais fort inutilement, car ils n’entonnèrent jamais rien et dirent leur bréviaire pendant toute la messe. Il n’y eut point d’Introït à la messe. Elle commença 11 Bernard Dorival, « Le jansénisme et l’art français », Bulletin de la Société des amis de Port-Royal, 1952, p. 13-14. Voir aussi F. Ellen Weaver, La Contre-Réforme et les Constitutions de Port-Royal, Paris, Éd. du Cerf, 2002, p. 82-84. 12 Voir Dictionnaire de Port-Royal. Élaboré sous la direction de Jean Lesaulnier et Antony Mckenna, Paris, Champion, 2004, p. 63. 13 Voir Jean Laporte, The role of women in the Early Church, Studies in Women and Religion, Volume seven, New York, Edwin Mellen Press, 1982, p. 109-132. <?page no="50"?> Ellen Weaver Laporte 36 par le Kyrie et le Gloria que la musique chanta au jubé. Or, cette musique, qui passe pour la plus excellente du Brabant, n’a pas huit voix chantantes, car les instruments y sont en grand nombre. Ce qui fait une musique tout italienne et peu digne de la gravité et d’un certain sérieux qui doit animer la musique d’église. L’Épître chantée, la musique chanta un motet au lieu du Graduel. Le Credo est en musique et au lieu de l’Offertoire on joue une pièce de symphonie qui dure jusqu’au Sanctus et se termine à l’Agnus Dei. Et voilà toute la messe chantée, sans que les chantres aient rien entonné et que le chœur ait chanté autre chose que le Et cum spiritu tuo. Aussi, pendant toute cette messe on ne voit autres choses que des personnes qui causent et s’entretiennent sur la musique. Les plus dévots disent leur chapelet, mais aucun ne prend part au sacrifice, et n’est occupé de ce que fait le prêtre pour le suivre et s’unir avec lui. […] Pour l’office du soir, il est encore plus extraordinaire. Personne ne connaît Vêpres et elles sont toujours désertes. […] La musique chanta Vêpres au jubé du chœur des chanoines, où est aussi un orgue, ce qui dura jusqu’à 3 heures et demi. Après quoi, elle descendit de ce jubé pour monter à celui de la chapelle du Saint-Sacrement, où on chanta des motets avec grande symphonie, ce qui fut très long. La bénédiction donnée à cette chapelle, sur le champ la symphonie repassa à la chapelle de la Vierge, où on dit un autre Salut, avec nouvelle musique, ce qui dura jusqu’à 7 ou 8 heures du soir. Ainsi, depuis 2 heures après-midi jusqu’à 8 heures, l’église cathédrale d’Anvers retentit du son des instruments, sans que le peuple pût trouver un instant pour y joindre sa voix. Ce goût est tellement répandu dans tout ce pays, que les paroisses mêmes ont leur orchestre et leur symphonie […]. Vous jugez assez par tout cet extérieur des cérémonies qu’il est difficile que la lumière et la connaissance de la Religion en fassent l’âme et l’esprit 14 . Ce style de liturgie baroque a été en usage dans l’Église catholique jusqu’aux réformes du concile Vatican II, à partir de 1968. Relevées encore par Sartre, les « églises cachées » des catholiques, et le rôle des femmes dans l’Église en Hollande : Pendant les premiers feux de la persécution, les catholiques célébraient la messe dans des caves, et j’en ai vu plusieurs qui avaient servi à cet usage. Maintenant ils célèbrent leur office avec liberté et même avec quelque sorte d’approbation de la part des États. II est vrai que leurs églises sont toujours cachées dans l’intérieur d’une maison, de sorte qu’à l’extérieur 14 Voyage, op. cit., p. 56-57. Toutes les cérémonies dans cette liturgie étaient opposées aux principes des Traitez sur la prière publique et sur les dispositions pour offrir les SS. Mystères et y participer avec fruit, Paris, J. Estienne, 1707 de Jacques-Joseph Duguet. Duguet avait été le directeur de conscience de Sartre recommandé par Charles Rollin, directeur du Collège des Grassins. Le jeune Sartre était certainement imprégné de ces enseignements de Duguet. <?page no="51"?> 37 Le voyage hollandais de Pierre Sartre (1719) il serait impossible de s’en douter, mais tout cela n’est que pour la forme. […] Elles sont très bien garnies en argenterie et en linges, et tenues avec une propreté merveilleuse. Ce sont les dévotes appelées les Klopi [klopji] qui en sont les sacristaines et elles en ont un très grand soin. Ce sont elles qui allument les cierges, arrangent l’autel, qui ont soin du chant et qui touchent l’orgue 15 . En Hollande et aussi en Flandre, les voyageurs trouvaient aussi des groupes de femmes catholiques vivant en communauté : Outre ces dévotes, on voit encore en Hollande et en Flandre des Béguines qui ressemblent assez à ces dévotes pour l’habit et le genre de vie, à l’exception qu’elles ne peuvent demeurer dans leur famille, mais seulement dans le Béguinage qui est un grand enclos au milieu duquel est une église entourée de petites maisons particulières, où chacune vit à sa fantaisie, s’occupant toutes du travail des mains, soit pour gagner sa vie si elles sont pauvres, ou pour les pauvres si elles sont riches 16 . Sartre et son compagnon s’intéressent particulièrement aux églises et aux liturgies protestantes, qui étaient pour eux quelque chose de tout nouveau qu’ils n’avaient pas pu voir en France, puisque l’Édit de Nantes avait empêché tout culte protestant et bien souvent détruit les temples. Sartre note que leurs temples et autres édifices sont grands et bien bâtis. Ils sont les tristes monuments de la piété de leurs ancêtres. […] Comme ils se sont emparés de toutes les églises des catholiques, on y remarque partout des vestiges de leur foi et de leur culte. Les vitres représentent en peinture des histoires de l’Ancien et du Nouveau Testament, la croix y brille de toute part, les églises mêmes sont la plupart faites en croix comme nos cathédrales 17 . Il ajoute que la séparation entre le chœur et le peuple par une balustrade dans ces églises qui étaient catholiques avant la réforme protestante, embarrasse les protestants, qui n’ont besoin que d’un grand espace avec un orgue et une chaire à prêcher 18 . Il décrit aussi leur « Cène » dont il a été témoin à Utrecht, où il a entendu les exhortations de leurs ministres. Son commentaire est une leçon pour nos contemporains qui ont travaillé dans le mouvement œcuménique dans les années suivant le concile Vatican II : 15 Ibid., p. 41-42. Henri Arnauld, évêque d’Angers, avait organisé les femmes célibataires dans son église de manière semblable. 16 Ibid., p. 43. 17 Ibid., p. 35. 18 Ibid. <?page no="52"?> Ellen Weaver Laporte 38 Je vous assure qu’il y avait à profiter de ce qu’on leur disait, et qu’il fallait être prévenu que ce bon homme était protestant pour ne pas juger qu’il croyait la présence réelle. Je ne comprends pas même comment, ne la croyant pas, il osait parler si clairement de l’union intime et substantielle que nous avons avec Jésus Christ par la communion […]. Cette communion qu’ils qualifient du nom de Cène, se fait ordinairement le dimanche, et est précédée plusieurs jours auparavant de sermons qui y disposent. J’entendis à Amsterdam un de ces sermons qui se faisaient en français, par un de nos réfugiés. J’y remarquai aussi des expressions favorables pour la présence réelle 19 . Sartre a remarqué aussi que tout le sermon était rempli d’allusions tirées de l’Écriture sainte, et que les sermons sont toujours suivis du chant des Psaumes. L’importance de la Bible ne surprendra pas ceux qui connaissent son importance dans la réforme protestante. Mais il faut rappeler que les Port-Royalistes ont été accusés d’être protestants, quand ils ont encouragé la lecture de la Bible, dans la langue vernaculaire, par les laïques. Antoine Arnauld avait publié en 1688 sa Défense des Versions de l’Écriture Sainte 20 . Depuis 1679, Arnauld avait écrit en faveur de la traduction de l’Écriture, et commencé un long débat à ce propos avec Charles Mallet, Vicaire Général de l’Archevêque de Rouen, auteur du De la Lecture de l’Écriture Sainte en langue vulgaire 21 . Une autre expérience importante pour ces jeunes catholiques français fut d’assister à une cérémonie à la synagogue. Sartre était très intéressé par les Juifs. Il est probable que ses directeurs, Jacques-Joseph Duguet et J.-V. Bidal d’Asfeld, lui ont enseigné leurs idées sur les Juifs, publiées dans Règles pour l’intelligence des Saintes-Écritures 22 . Le livre présente la méthode d’interprétation appelée figurisme. Elle consiste à voir dans l’Ancien Testament une figure du Nouveau Testament. Par exemple, les cérémonies prescrites par le Lévitique figurent le sacrifice de la croix ; le « bouc émissaire » figure Jésus- Christ. À la fin du livre on rencontre une longue discussion sur « Le retour des Juifs » qui avance l’idée du petit nombre des fidèles préservés par la grâce. Les 19 Ibid., p. 35-36. 20 Défense des Versions de l’Écriture Sainte. Des offices de l’Église, et des Ouvrages des Pères. Et en particulier De la nouvelle traduction du Bréviaire, contre la Sentence de l’Official de Paris du 10 avril 1688, À Cologne, chez Nicolas Schouten, 1688. 21 Rouen, É. Viret, 1679. Charles Mallet était docteur de la Maison et Société de Sorbonne, archidiacre et chanoine de l’Église métropolitaine de Rouen et Vicaire général de l’archevêque de Rouen. Arnauld a publié la Nouvelle Défense de la Traduction du Nouveau Testament imprimée à Mons, Contre le livre de M. Mallet, Cologne 1680. 22 Par l’abbé J.-J. Duguet, avec une préface par l’abbé J.-V. Bidal d’Asfeld, 1916. <?page no="53"?> 39 Le voyage hollandais de Pierre Sartre (1719) Port-Royalistes, qui souffrirent de la persécution commencée au moment de la querelle des Jansénistes et des Jésuites au XVII e siècle et qui a continué avec plus d’intensité après la publication de la bulle Unigenitus, se sont identifiés avec ce petit nombre de fidèles. Sartre a certainement fait siennes les attitudes de ses directeurs envers les Juifs, quand il dit : Ici je me réserve à vous parler un peu plus longuement d’un peuple qui nous doit être plus cher, et dont l’aveuglement et la superstition sont bien dignes de remarque 23 . Sartre était fasciné par les cérémonies auxquelles il a assisté dans les synagogues. À Paris, à la veille de la Révolution, les Juifs n’étaient encore que 500 à 600. Une goutte d’eau dans une cité de 800 000 habitants 24 . Il n’avait jamais eu l’occasion d’entrer dans une synagogue. Il écrit : Il y en a de deux nations et même de deux sectes différentes, et qui ne peuvent se souffrir l’une l’autre. La plus nombreuse et la plus riche est celle des Juifs portugais. Celle des Allemands est plus petite et plus pauvre, mais on la regarde comme descendant plus directement des premiers Juifs. Aussi regardent-ils les Juifs portugais comme des bâtards ou des gentils. Il y a quelque différence dans leurs cérémonies 25 . La cérémonie à laquelle Sartre assisté à la synagogue portugaise ne diffère pas de ce qu’on peut voir encore de nos jours. Il était frappé par la révérence avec laquelle les Juifs considèrent les Écritures : Au fond de ce bâtiment est une espèce de sanctuaire fermé d’un balustre. Au fond est un grand retable de bois élevé selon les règles de l’architecture, et à la place où nous mettrions l’autel est une grande armoire à deux battants. C’est là qu’ils enferment les Saintes Écritures. Elles sont écrites sur des rouleaux de parchemin et ces rouleaux sont enveloppés des étoffes les plus précieuses. Nous verrons le respect qu’ils portent à ces livres divins, et la joie publique qui éclate dans la synagogue lorsqu’on va tirer de cette armoire ces précieux manuscrits 26 . Si Sartre a été particulièrement édifié par les cérémonies dans la synagogue portugaise, c’est que c’est le contraire de ce qu’il a vu dans celle des Juifs allemands : 23 Voyage, op. cit., p. 37 24 Philippe Sellier, « La Rencontre de ce peuple m’étonne », Port-Royal et le peuple d’Israël, Chroniques de Port-Royal, 2004, p. 16. 25 Voyage, op. cit., p. 37-38. 26 Ibid., p. 38. <?page no="54"?> Ellen Weaver Laporte 40 Les juifs allemands ont une synagogue particulière, bâtie à côté de celle des portugais sur le même modèle, mais très petite et même crasseuse. Autant les autres sont propres, autant ceux-ci le sont peu, et soit zèle de religion, soit pauvreté, on les reconnaît à leur extérieur sale et négligé. Ils portent tous une longue barbe, et sont tous habillés de noir, avec des mauvais manteaux. Mais c’est encore ce qui est moins ridicule chez eux. Je n’ai jamais pu croire ce que l’on m’en avait dit, sur leur manière de lire la Sainte Écriture… ils le font tout simplement et sans cérémonie près de l’armoire où on l’enferme. Ils sont trois ou quatre qui lisent ensemble, c’està-dire qui s’étourdissent à plaisir, car voici l’étrange et ridicule système qui règne dans cette lecture. Quelque chose qu’ils lisent, leur principe est de l’imiter et de le représenter dans le son de leurs voix. S’ils lisent des reproches faits au peuple de Dieu, ils contrefont une voix emportée et furieuse. S’ils parlent d’instruments et de cantiques, ils l’imitent à leur mode. S’ils lisent des combats, ils se réunissent tous les trois à crier sans rime et sans raison, et afin de multiplier leur voix et de la rendre propre à se démonter et prendre tant de formes différentes, ils se mettent les doigts sur la gorge et poussent certains nerfs, qui tantôt les font siffler comme des serpents, tantôt hurler comme des loups, tantôt fredonner, et comme ils n’ont point de règlement pour imiter ce qu’ils veulent représenter, et que la fantaisie de chacun règle ses tons et ses hurlements, jamais ils ne se rencontrent ? 27 Mode de vie des Néerlandais En 1681, un autre jeune prêtre janséniste, Charles Lemaître, avait déjà fait lui aussi un voyage en Hollande 28 . La valeur de ce document tient à la personnalité de son auteur et aux circonstances de sa composition 29 . Charles Lemaître était issu d’une famille de commerçants de Paris et de Hollande. Il avait fait ses études de théologie à la faculté de Paris et reçu son diplôme de docteur le 19 juillet 1652. Il était très attaché aux amis de Port- Royal, et il fut l’un de ceux qui signèrent en faveur d’Antoine Arnauld la Requête de plusieurs docteurs de la Faculté de théologie de Paris, présentée à Messieurs du Parlement pour empêcher l’examen de la Seconde Lettre de M. Arnauld. Comparons les deux mémoires. Lemaître a visité les Pays-Bas trente-huit ans avant Sartre, mais leurs observations sont remarquablement semblables. 27 Voyage, op. cit., p. 39-40. II est probable que ces Juifs allemands étaient des hassidim. 28 Charles Lemaître, Relation de mon voyage de Flandre, de Hollande et de Zélande fait en mil six cent quatre vint et un, Texte établi et annoté par (Gilbert Van de Louw, avec Préface de René Taveneaux, Besançon, 1978. Sur la vie et la carrière de Charles Le Maistre, voir l’excellent article de Jean Lesaulnier, Dictionnaire de Port-Royal, p. 634-635. 29 René Taveneaux, « Préface », p. 9. <?page no="55"?> 41 Le voyage hollandais de Pierre Sartre (1719) Néanmoins, les années ont apporté quelques changements. Par exemple, à Mons, Sartre et son compagnon avaient visité le tombeau de Gaspart Migeot, le libraire qui avait publié la traduction par Sacy du Nouveau Testament que l’on appelle Nouveau Testament de Mons. Lemaître, lors de sa visite à Mons, écrit : … nous fîmes un trajet considérable pour venir à l’hôtellerie de la couronne impériale qui est dans la grande place de Mons […]. Je ne pus demeurer dans cette hôtellerie à cause qu’elle était pleine de monde. Ce qui fut cause qu’étant tout seul j’allai voir le célèbre M. Gaspard Migeot, libraire de ma connaissance pour le prier de m’indiquer quelque autre hostellerie où je puisse être commodément moi seul ; ce qu’il ne voulut pas faire, parce qu’il eut l’honnêteté de me forcer à demeurer chez lui où il me donna à souper et a coucher, avec bien de la bonté et de cette cordialité flamande 30 . Les deux voyageurs ont trouvé étranges les coutumes alimentaires. Lemaître continue sa description de sa visite chez M. Migeot avec un commentaire sur la manière de servir à table : … en Flandres on ne met jamais qu’un plat, l’un après l’autre, et ou le premier que l’on présente est celui de la salade, ce que pratiqua M. Migeot a mon égard, ne songeant point à donner autre chose que ce plat ne fut tout mangé. J’avoue que dans le grand appétit que j’avais ce soir là, je ne savais que dire du festin que l’on prétendait me faire, parce que j’avais besoin de quelque chose de plus solide que d’un plat d’herbes. On laissa si long temps sur la table et jusqu’à ce qu’il fût tout mangé, que je crus que l’on ne me donnerait point autre chose. Mais je me trompais parce qu’aussi tôt que ce premier mets eut été mangé, on servit de très bonne viande dont je m’accommodai fort bien 31 . Sartre a décrit en détail la manière de manger et de dormir en Flandres : … Nous apprenons du moins à manger, à boire et à dormir à la Flamande. À chaque visite nous serons reçus avec du chocolat, si c’est le matin, et du thé, si c’est le soir. À ce premier service succédera du vin des meilleurs. La cérémonie recommencera à chaque nouvel hôte qui nous recevra. En vain voudrons-nous nous en défendre, mais refuser [aurait été] impoli, et il faut trouver le moyen de faire comme les autres. Tant que nous serons avec eux et sur leurs terres, oublions donc la France […], perdons la mauvaise habitude de boire de l’eau, substituons la bière au premier service, du vin pur 30 Lemaître, Voyage de Hollande, p. 215. Gaspard Migeot était encore vivant quand Lemaître est passé. II est mort en 1703. 31 Ibid. <?page no="56"?> Ellen Weaver Laporte 42 pendant le reste du repas, accoutumons-nous à dormir sur des coussins et des oreillers de plumes : voilà ce que c’est que de vivre en flamand 32 . Les deux voyageurs étaient émerveillés par ce pays presque immergé. Tous les deux ont disserté sur l’abondance des canaux, mais la plus belle description est celle de Sartre à propos du canal sur lequel ils ont voyagé d’Amsterdam à Utrecht ; il décrit alors des maisons, et inclut un commentaire sur le caractère des Hollandais. Nous embarquâmes le matin sur la barque d’Utrecht où nous arrivâmes vers les cinq heures du soir. Le canal sur lequel nous étions est un des plus agréables de toute la Hollande, à cause de la grande quantité de maisons de campagne qui en ornent le rivage. Rien n’est plus joli au premier coup d’œil que ces maisons de campagnes. Outre la propreté qui est naturelle et inséparable des maisons des Hollandais, ils affectent de leur donner tous les ornements extérieurs qui les peuvent rendre aimables. Elles sont presque toutes peintes en dehors et bâties au milieu de plusieurs canaux qui les entourent et qui, ménagés et conduits dans leurs jardins, leur font plusieurs pièces d’eau. Ils n’y ménagent point les statues et les treillages, ils aiment fort les palissades, mais connaissent peu les grands bois, les belles allées et les grandes beautés de nos jardins. Ils aiment un peu le colifichet et regardent comme un grand jardin celui où il y a trois ou quatre allées en palissades, autour de quelque pièce d’eau plate, car la situation de la Hollande ne leur permet pas d’en avoir de jaillissante. La plupart de ces maisons sont bâties le long du grand chemin, c’est-à-dire, le long des grands canaux sur lesquels elles ont une belle terrasse. […]. Le moindre marchand a sa petite maison de campagne dans laquelle il passe la moitié de l’année, chacun ayant sa petite chaloupe dans laquelle il revient à la ville finir ses affaires à la Bourse, puis retourne sur-le-champ dans sa petite maison où il est plus à son aise, et où il est délivré de tout cet embarras inséparable des grandes villes, et fort contraire à la mollesse et à l’indolence qui fait le caractère des Hollandais. Je ne voyais autre chose sur ces terrasses qui donnaient sur le canal, que ces bons Hollandais assis sur un fauteuil, en robe de chambre, la pipe à la bouche, et à côté d’eux une petite table où étaient du feu, du tabac, une théière plein de thé ou bien du beurre et du fromage. Voilà leur occupation continuelle à la campagne, et c’est là tout leur plaisir 33 . L’historien sera particulièrement intéressé par les commentaires très précis sur le commerce maritime en Hollande, surtout à Amsterdam. Il y a aussi une section dans le récit sur le gouvernement, où le lecteur est introduit dans la salle d’assemblée des États généraux de Hollande à La Haye. Après quoi on 32 Voyage, op. cit., p. 30. 33 Ibid., p. 48-49. <?page no="57"?> 43 Le voyage hollandais de Pierre Sartre (1719) trouve une description colorée de la salle où s’assemblent les États Généraux des sept Provinces. Le récit est important aussi pour sa longue et exacte histoire de l’Église d’Utrecht. Sartre et Lemaître font les mêmes critiques sur la liturgie. Lemaître a profité de ses voyages en Europe pour faire un commentaire qui résume l’attitude des deux port-royalistes : La manière avec laquelle j’ai vu faire le divin office en Flandres m’a confirmé dans la pensée que j’ai toujours eue au retour de mes voyages d’Allemagne, de Hongrie, d’Italie, et de Roussillon * , qui est que s’il y a de la religion en l’Europe, elle est uniquement en France, quoi qu’elle n’y soit pas bien considérable parmi la plûpart des français 34 . Lemaître était plus critique que Sartre à l’égard des Juifs. On peut même dire qu’il avait des préjugés contre eux. Il les a vus tous « les plus connaissables du monde par je ne sais quoi d’horrible qu’ils portent tous depuis le plus petit jusqu’au plus grand dans les yeux et dans le visage. » 35 Sartre, il est vrai, a trouvé les femmes juives très laides, mais il a dit qu’il était édifié par les cérémonies auxquelles il a assisté dans la synagogue des Juifs portugais, spécialement par leur respect pour les écritures sacrées. Finalement, ce qui frappe en étudiant ces deux récits, c’est la ressemblance des deux hommes. Ils étaient séparés dans l’espace : l’un de famille parisienne, l’autre de Montpellier, et séparés aussi par un espace de temps de quarante ans. Ils ont pourtant fait les mêmes critiques de la liturgie baroque et de la mondanité des Hollandais, et donné ainsi, sans le chercher, une définition de ce qu’était un Port-Royaliste. 34 Relation de mon voyage de Flandres, op. cit. * Région historique de France, dont les limites correspondent à peu près à celles du département des Pyrénées orientales. 35 Ibid. <?page no="59"?> Biblio 17, 188 (2010) Les voyageurs de Port-Royal J EAN L ESAULNIER Président de la Société des Amis de Port-Royal Les gens de Port-Royal ont beaucoup voyagé, à l’intérieur et, pour certains, à l’extérieur des frontières de la France, qu’il s’agisse des religieuses, des messieurs, ou des amis de l’abbaye célèbre fondée au début du XIII e siècle. On pense naturellement aux divers séjours de l’abbesse Angélique Arnauld dans des monastères voisins, aux échanges entre Port-Royal et l’abbaye sœur de Tard, près de Dijon, et aux voyages incessants entre Port-Royal des Champs et Port-Royal de Paris. On songe aussi aux nombreux allers et retours des défenseurs, de Paris à Rome par exemple, de la cause des théologiens Cornélius Jansénius et Antoine Arnauld, et enfin à l’exil forcé de plusieurs amis, entre autres de l’auteur de la Fréquente Communion et de son compagnon d’infortune Pasquier Quesnel 1 . Ne pourrait-on objecter qu’il y a quelque paradoxe dans le fait que ces hommes et ces femmes voués à la prière, à la méditation et à la réflexion, ont consacré beaucoup de temps sur les routes, hors de leur communauté ou de leurs lieux de vie ? N’est-il pas étonnant que des moniales ou des solitaires paraissent aussi intéressés par les événements politiques de l’Angleterre, de la Hollande ou de la Pologne que par la situation religieuse ou sociale des provinces françaises ? Y aurait-il une corrélation entre le désir de franchir des frontières et l’exercice de sa propre foi et de ses exigences ? Nous tenterons de répondre à ces diverses objections et questions en trois étapes : les voyages à l’intérieur des frontières, les voyages à l’extérieur et le voyage intérieur. Les voyages à l’intérieur des frontières En premier lieu, quand les abbesses et les religieuses quittent leur monastère de Port-Royal des Champs, la raison en est simple : leur voyage et leur séjour 1 Pour l’histoire de Port-Royal, je renvoie une fois pour toutes au Dictionnaire de Port-Royal, dir. Jean Lesaulnier et Antony McKenna, Paris, Champion, 2004, et à l’ouvrage de Sainte-Beuve, Port-Royal, éd. Philippe Sellier, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2004. <?page no="60"?> Jean Lesaulnier 46 à l’extérieur s’expliquent par le souci de répondre à une demande expresse d’un supérieur hiérarchique ou d’une supérieure de maison religieuse. On voit ainsi la mère Angélique Arnauld, en 1618, partir, à la demande de l’abbé de Cîteaux, Nicolas Boucherat, pour l’abbaye de Maubuisson, afin d’y remplacer l’abbesse défaillante, Angélique d’Estrées : elle y restera cinq longues années. Elle séjourne aussi à plusieurs reprises dans des couvents normands ou dans des monastères proches de Paris, où elle est appelée pour conforter une réforme ou soutenir une consœur en difficulté : c’est le cas des abbayes de Poissy, du Lys, près de Melun, ou de Gomer-Fontaine, dans le diocèse de Rouen. Les voyages d’Angélique, de sa sœur Agnès et d’autres moniales peuvent avoir des raisons différentes. En 1623, l’abbesse de Port-Royal décide de transférer son monastère des Champs au faubourg Saint-Jacques à Paris. C’est un quartier très vivant où se sont installés nombre de religieux et de religieuses en ce début de XVII e siècle ; l’insalubrité de Port-Royal des Champs a causé la mort de plusieurs moniales et, en 1623, une trentaine de jeunes religieuses ont suivi la mère Angélique de retour de Maubuisson. Sur les conseils d’un jésuite, le P. Étienne Binet, et selon les vœux de sa propre mère, Catherine Marion, les religieuses des Champs prennent la route de Paris, en mai 1625, suivies, quelques mois plus tard, des dernières sœurs 2 . « Signe de la vitalité d’une œuvre conduite tant par l’intelligence que par la ferveur, écrit Jean Mesnard ; mais aussi d’un désir, très répandu dans les monastères de femmes à l’époque, (pour les hommes, le mouvement avait été plus ancien), de se rapprocher de la vie urbaine, avec ses ressources incomparables, spirituelles autant qu’intellectuelles 3 ». Angélique avait d’abord pensé que pourraient coexister deux monastères, celui des Champs et celui de la ville ; mais celui qui n’est alors qu’évêque de Paris, Jean-François de Gondi, s’y est opposé, comme on l’apprend dans les Constitutions du monastère de Port-Royal (1665) : Le dessein de l’établissement de Paris n’ayant été que de décharger la maison des Champs, qui était lors remplie de plus de quatre-vingts religieuses, plusieurs qui demandaient la réforme ayant été reçues, l’on ne put néanmoins obtenir de faire une maison à part, mais bien une translation 2 Jusqu’au transfert définitif de toute la communauté à Paris, la mère Angélique fit sans doute encore quelques voyages entre la nouvelle maison parisienne et l’ancienne abbaye de la vallée de Chevreuse fondée en 1204 et vide de religieuses jusqu’en 1648 (l’ancienne prieure Catherine Dupont est inhumée aux Champs en septembre 1625). Un chapelain, Henri Leclerc, y demeure afin d’assurer la messe pour les serviteurs ou pour les voisins des villages environnants. 3 J. Mesnard, « Amitiés précieuses autour de Port-Royal », in La galerie des femmes illustres, éd. Marceau Long, Paris, éd. de la Bouteille à la Mer, 2007, p. 144. <?page no="61"?> 47 Les voyageurs de Port-Royal entière des Champs à Paris. Cette translation se fit l’année 1625, et depuis l’on avait toujours entretenu à la maison des Champs un ecclésiastique pour y dire tous les jours la sainte messe, et la sainte Eucharistie s’y est toujours conservée. Il est aussi arrivé par une providence de Dieu que quelques personnes de piété choisirent ce lieu pour y faire leur demeure et y pratiquer en quelque façon les mêmes exercices pour lesquels il avait été établi, ce qui a été comme une marque que Dieu se l’était réservé et qu’il le voulait posséder une seconde fois en qualité de monastère 4 . La mère Angélique décidera d’autres voyages, qui font suite aux échanges entre plusieurs sœurs de Port-Royal et celles de l’abbaye de Notre-Dame de Tard, réformée par Sébastien Zamet, évêque de Langres, à Dijon, ou aux démarches relatives à la création de l’Institut du Saint-Sacrement, établissement éphémère, voisin du Louvre, entre 1633 et 1638. Et, plus tard, quand, revenant à une idée première, Angélique Arnauld rétablit, en 1648, une communauté à Port-Royal des Champs, elle ne cessera, jusqu’à sa mort, d’aller et de venir entre la ville et sa « chère solitude » : On y respire un autre air qu’à Paris, où, encore que nous y vivions le plus séparées du monde que nous pouvons, on ne peut éviter d’en savoir toujours plus de nouvelles qu’ici, et d’entendre les bruits, au lieu qu’ici, c’est un parfait silence, et on n’y entend que les oiseaux, comme elle l’écrit dans l’une de ses nombreuses lettres 5 . En deuxième lieu, les messieurs et les proches de l’abbaye sont eux aussi des habitués des voyages. Ainsi Antoine Arnauld se rend plusieurs fois par an de Paris aux Champs, pour les fêtes de Pâques et de Noël, et à bien d’autres 4 Allusion à l’installation des premiers solitaires de Port-Royal en 1638. L’extrait cité provient des Constitutions du monastère de Port-Royal du Saint-Sacrement, éd. Véronique Alemany et Jean Lesaulnier, Paris, Nolin, coll. Univers Port-Royal, 2004, p. 126. 5 Lettre datée de Port-Royal des Champs, 18 décembre 1654, Lettres de la Révérende Mère Marie-Angélique Arnauld, abbesse et réformatrice de Port-Royal, Utrecht, aux dépens de la Compagnie, 1742-1744, 3 vol., t. II, p. 544. La sœur d’Angélique, la mère Agnès Arnauld, relate aussi dans ses lettres quelques-uns de ses voyages, tel celui qu’elle fait le 23 septembre 1653, de Paris aux Champs, dans le carrosse du duc de Luynes ; le lendemain, elle en fait un récit dans une lettre à Angélique : « Nous avons fait le plus heureux voyage qu’il est possible. Je n’ai eu ni froid, ni chaud, ni faim, ni soif ; je ne laissai pas de manger un biscuit en catimini. Ma sœur Euprosine m’offrit à boire plusieurs fois tout haut, dont j’étais bien honteuse ; et comme elle vit que je n’en voulais point, elle me montrait souvent la bouteille, mais je n’en eus aucun besoin, le godet que j’avais bu au parloir m’avait suffi… » (Lettres de la Mère Agnès Arnauld, abbesse de Port-Royal, éd. P. Faugère-R. Gillet, Paris, B. Duprat, 1858, t. I, p. 288). <?page no="62"?> Jean Lesaulnier 48 occasions, puisqu’il se plaît à y parler aux petites pensionnaires. Et de nombreux amis, ecclésiastiques ou laïcs, hommes et femmes, multiplient tout au long du siècle leur séjour dans la vallée de Chevreuse : solitaires, théologiens, évêques, comme Henri Litolfi-Maroni, titulaire du siège de Bazas, qui passe quelques mois parmi les solitaires des Granges en 1644, ou membres des grandes familles, comme les Liancourt, les Du Plessis Guénégaud ou les Luynes, les Dugué de Bagnols ou les Bernières. Ces allées et venues s’accentuent même à certaines périodes critiques, par exemple pendant la campagne des Provinciales en 1656-1657 : si Antoine Arnauld, condamné par la Faculté de théologie de la Sorbonne en janvier 1656, doit très souvent fuir les regards et changer de résidence dans Paris, ses amis vont et viennent eux aussi d’un lieu à un autre, tels ses neveux Charles-Henri Arnauld de Luzancy, Antoine Le Maistre, ou encore M. de Saint-Gilles, la cheville ouvrière de l’impression et de la diffusion des Petites Lettres, que l’on voit aujourd’hui au Quartier latin, demain aux Champs 6 … En troisième lieu, nos amis de Port-Royal sont de grands pèlerins. Ainsi, au printemps 1648, trois Solitaires de Port-Royal des Champs vont à Chartres : « Trois de nos ermites, écrit la mère Angélique Arnauld à la reine de Pologne, Louise-Marie de Gonzague, iront, Dieu aidant, en pèlerinage à Notre-Dame de Chartres pour Votre Majesté 7 . » En 1657, Antoine Le Maistre et M. de Saint-Gilles se rendent au tombeau de saint Bernard à Cîteaux, au nom des religieuses, qui réalisent par là le vœu d’y envoyer chaque année l’un de leurs proches. Pèlerins aussi ces nombreux familiers qui se rendent dans le diocèse d’Alet, afin de consulter le pieux évêque Nicolas Pavillon, s’entretenir avec lui, en recevoir conseils et avis : Claude Lancelot est allé à Alet en septembre-octobre 1667, en compagnie de Louis-Henri de Loménie de Brienne, de Léonard de Guelphe, de Pierre Berrand et de Paul-Louis Du Vaucel 8 ; d’autres suivent leurs pas : Jean Hamon, Pierre Nicole, Jean Domat, 6 Voir Antoine Baudry de Saint-Gilles d’Asson, Journal d’un Solitaire de Port-Royal, éd. J. Lesaulnier, Paris, Nolin, coll. Univers Port-Royal, 2008 (cité ici : Journal de Saint- Gilles). 7 Lettres de la Révérende Mère Marie-Angélique Arnauld, t. I, p. 568 (lettre du 17 avril 1648). 8 Voir, de Claude Lancelot, la Relation d’un voyage d’Aleth, contenant des mémoires pour servir à l’histoire de la vie de Messire Nicolas Pavillon, évêque d’Aleth, s.l.n.d. ; Louis Cognet, Claude Lancelot solitaire de Port-Royal, Paris, Flammarion, 1950, p. 169-178. On pourrait citer aussi le récit d’un Voyage d’Hollande fait en 1719, par Pierre Sartre, que l’évêque Charles-Joachim Colbert, évêque de Montpellier, envoie auprès de Pasquier Quesnel (voir Ellen Weaver-Laporte, « Pierre Sartre, une vocation oratorienne victime de l’Unigenitus », Chroniques de Port-Royal, 50, 2001, p. 264-280 : Ellen Weaver prépare une édition de ce récit de voyage). <?page no="63"?> 49 Les voyageurs de Port-Royal ami de Pascal, Mathieu Feydeau 9 . On pourrait aussi évoquer le voyage d’Antoine Arnauld et de Pierre Nicole, en 1671, auprès de Henri Arnauld, évêque d’Angers, ainsi que les échanges de ces deux théologiens avec Guillaume Le Roy, abbé de Haute-Fontaine, et les voyages qui en ont résulté 10 . Le voyage d’Arnauld et de Nicole en Anjou à l’automne 1671 est longuement rapporté dans la Vie de M. Nicole par Claude-Pierre Goujet 11 . Les deux hommes ont quitté Paris à la demande du frère du grand Arnauld, Henri, à l’automne 1671, dans le carrosse de Catherine Angran de Fontpertuis. Ils sont passés par le château de Durtal, propriété de M. et de M me de Liancourt, qui en sont alors absents, et ils y sont demeurés trois jours, avant de visiter le collège des jésuites de La Flèche, et d’aller dans une propriété de la famille de Guéméné, chez qui l’évêque d’Angers vient les rejoindre. Après avoir séjourné environ un mois à Angers, Arnauld et Nicole rendent visite aux oratoriens de Saumur, puis, à Orléans à l’évêque du lieu, Pierre du Cambout de Coislin : Quelques jours après, ils reprirent la route de Paris. M. Arnauld alla chez M me de Saint-Loup, au faubourg de Saint-Jacques, où il demeurait avant ce voyage, et M. Nicole accepta un logement aux écuries de M me de Longueville, dans le même faubourg, au-dessus de la maison de Saint-Magloire 12 . Un voyage semblable à celui d’Arnauld et de Nicole est entrepris en 1691 par Pierre Thomas du Fossé, l’un des grands mémorialistes de Port-Royal : il est accompagné de son frère Augustin, plus connu sous le nom de M. de Bosroger, et de la femme de ce dernier, Catherine-Agnès, fille de Jean Le Maistre de Saint-Elme, ainsi que de leur fils aîné. Ce long voyage les conduit de Paris en Anjou, en Bretagne et en Normandie. Voyage d’agrément qui leur permet de visiter des villes qu’ils ne connaissaient pas, en particulier 9 Voir les Mémoires inédits de Matthieu Feydeau, curé de Vitry-le-François (25 mai 1669-3 juin 1676), commentés par une relation contemporaine, p. p. Ernest Jovy, impr. J. Denis,Vitry-le-François, 1905. 10 L’ouvrage de René Taveneaux, Le jansénisme en Lorraine. 1640-1789, Paris, Vrin, 1960, apporte beaucoup de renseignements à ce sujet. 11 Vie incluse dans la Continuation des Essais de morale, t. XIV, en deux parties (XXVII- 172 p. et VI-235 p.), ouvrage publié à Luxembourg, chez André Chevalier, en 1732. Le récit du voyage se trouve dans la 2 e partie, p. 57-59. 12 La vie de M. Nicole, ibid., p. 58. Nicole se rend en 1676 à Alet, où il s’entretient avec l’évêque Nicolas Pavillon ; sur la route, il passe par Villeneuve-lès-Avignon et voit la chartreuse, où est inhumé le prince de Conti. Il demeure trois semaines à Alet, et repart par Grenoble, où il est reçu par l’évêque Étienne Le Camus, et par Annecy, où il visite la tombe de saint François de Sales, et où il voit la supérieure des Filles de la Visitation (ibid., p. 59-69). Sur les voyages de Nicole, en particulier à Troyes, voir Jean Mesnard, « Pierre Nicole, ou le janséniste malgré lui », Chroniques de Port-Royal, 45, 1996, p. 243-246. <?page no="64"?> Jean Lesaulnier 50 Melun, Fontainebleau, Orléans, Saumur, Angers, Avranches, le Mont-Saint- Saint-Michel et Coutances. Mais aussi voyage où ils rendent visite à d’anciens amis ou proches de Port-Royal : à Montbouy, le victorin Claude de Lalane, décrit par P. Thomas du Fossé comme un homme « très intelligent dans l’architecture » 13 ; à Angers, le vieil évêque Henri Arnauld, alors âgé de quatrevingt-quatorze ans et aveugle depuis plus de trois ans ; à Saint-Coulomb en Bretagne et à Avranches, plusieurs membres de la famille Dirois ; à Coutances, nos voyageurs évoquent, sans pouvoir lui rendre visite, la fameuse M me de Mondonville, fondatrice de la maison des Filles de l’Enfance, exilée de Toulouse. Enfin, à l’abbaye de la Trappe, ils rencontrent l’abbé de Rancé 14 . Signalons encore les visites régulières et discrètes du poète Jean Racine à sa tante abbesse de Port-Royal des Champs, la mère Agnès de Sainte-Thècle Racine, dans les années 90 : le poète prépare alors son Abrégé de l’histoire de Port-Royal, qu’il laissera inachevé à sa mort en 1699 ; et il se rend à intervalles réguliers, en 1698, à l’abbaye pour voir sa fille, Marie-Catherine, qui y passe six mois dans la perspective de s’y faire religieuse, mais qui doit y renoncer : l’archevêque de Paris, François de Harlay de Champvallon, a renouvelé toute interdiction de recevoir des novices 15 . Enfin on ne peut oublier le pèlerinage annuel, aux Champs, de Charles Wallon de Beaupuis, ancien maître des Petites Écoles, qui vivait à Beauvais, où il mourut en 1709 à l’âge de quatrevingt-sept ans : La seule intervention peu considérable qu’il faisait à sa vie uniforme, écrit Sainte-Beuve, était un petit voyage, chaque année, chaque été, vers le temps de la Fête-Dieu, à Port-Royal des Champs. Il faisait ce voyage d’ordinaire avec un de ses neveux pour compagnon, à pied et à jeun, hors les toutes dernières années de sa vie, où il dut prendre un cheval 16 . Ce dernier point ouvre une tout autre perspective. Charles Wallon de Beaupuis et d’autres proches inaugurent par là la série de ces innombrables 13 Mémoires, éd. F. Bouquet, Rouen, Ch. Métérie, 1876-1879, 4 vol., t. IV, p. 4-6 : cousin du théologien Noël de Lalane, Claude de Lalane travailla à Port-Royal des Champs à la construction de l’hôtel de Longueville. 14 Le voyage des Du Fossé occupe les p. 1-131 du t. IV des Mémoires. 15 Voir J. Lesaulnier, Images de Port-Royal, Paris, Nolin, coll. Univers Port-Royal, 2002, p. 501-518. 16 Port-Royal, éd. citée, t. I, p. 849. Voir aussi les Lettres de Germain Vuillart, éd. R. Clark, Genève-Lille, 1951, p. 112 ; Vuillart indique que le voyage de Wallon de Beaupuis durait environ six semaines et qu’il en profitait « pour voir des amis chrétiens sur sa route » : « On a céans la bénédiction d’exercer l’hospitalité envers cet homme de Dieu, depuis plusieurs années. Il y est encore pour quelques jours » (lettre du 27 juin 1697). <?page no="65"?> 51 Les voyageurs de Port-Royal voyages du siècle suivant aux ruines de l’abbaye des Champs 17 , ruines sur lesquelles gémiront tous ces pèlerins reprenant peut-être cet ultime poème de Jean Racine sur « un Port-Royal alors bien vivant », mais « assez persécuté, assez ruiné » pour que le poète le dise, dans l’un de ses poèmes, changé en un « triste tombeau » : C’est là qu’on foule aux pieds les douceurs de la vie, Et que dans une exacte et sainte austérité, À l’abri de la vérité On triomphe des traits de la plus noire envie. Mais, hélas ! Gémissons. De ce séjour si beau Tu ne vois à présent que le triste tombeau, Depuis que la Vertu, qui régnait dans ce temple, Succombe sous l’effort et sous la dureté De ceux qui ne pouvant la prendre pour exemple L’immolent à leur lâcheté 18 . Les voyages à l’extérieur des frontières Trois raisons poussent, semble-t-il, les gens de Port-Royal à voyager loin des lieux où ils travaillent, vivent et prient, à franchir les limites de nos frontières. La première résulte de l’obligation qui est faite à des théologiens ou à des intellectuels du groupe d’aller expliquer et soutenir les positions et les décisions de Port-Royal auprès des autorités pontificales. Quand le bachelier en théologie Blaise Le Féron se rend à Rome en 1626-1627, l’objectif de sa mission consiste à obtenir du pape l’autorisation d’ouvrir une maison religieuse consacrée à la vénération du Saint-Sacrement 19 . La mère Angélique Arnauld, sur l’incitation de l’évêque de Langres, Sébastien Zamet, s’est beaucoup investie dans ce projet : la démarche de Port-Royal obéit à la logique du 17 On peut lire deux articles de Marie-Christine Gomez-Géraud : « “Si je t’oublie, Jérusalem…” Pèlerinage aux ruines de Port-Royal et mémoire d’Israël », Chroniques de Port-Royal, 53, 2004, p. 199-213, et « Culte des reliques et dévotion aux ruines de Port-Royal », ibid, 55, 2005, p. 169-183. 18 Racine, Œuvres complètes, éd. G. Forestier, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1999, t. I, p. 1105. 19 Plusieurs lettres autographes de cette période ont été conservées dans le « Recueil Silvy » de la Bibliothèque de Port-Royal : revêtant une très grande importance, elles sont signées en particulier par la mère Angélique Arnauld et par la première duchesse de Longueville. <?page no="66"?> Jean Lesaulnier 52 temps, - nous sommes aux débuts de la Compagnie du Saint-Sacrement -, et à la politique de l’Église de France de contribuer à revigorer, suivant la ligne du concile de Trente, la pratique de l’Eucharistie et le culte du Saint-Sacrement : moyen par excellence de contrecarrer le protestantisme. La tâche de Blaise Le Féron est en apparence facile et il revient en France muni des autorisations nécessaires. Mais la création de cette maison nouvelle se heurte d’abord à des oppositions plus politiques que proprement religieuses, puisqu’elle attend 1633 pour voir le jour, et qu’elle ne survivra pas à une lutte intestine entre deux manières de concevoir la vie conventuelle. Des raisons supplémentaires de moindre importance, entre autres des difficultés financières, viendront vite à bout de la patience d’Angélique Arnauld, qui ferme la maison en mai 1638. D’autres voyages romains seront mis sur pied, au cours du XVII e siècle, en faveur d’intérêts vitaux de Port-Royal. Nous y insisterons peu, mais on ne peut passer sous silence la mission, d’une part, du docteur en théologie Jean Bourgeois, en 1645-1646, et, d’autre part, celle des cinq députés augustiniens des années 1652-1653. Le premier est envoyé à Rome pour défendre la cause d’Antoine Arnauld, injustement attaqué après la publication de la Fréquente Communion, publiée en 1643 20 : grâce aux interventions de Jean Bourgeois, l’ouvrage du théologien ne sera pas condamné 21 . Au contraire les seconds sont présents à Rome, malgré leurs auditions par le pape lui-même, quand la bulle Cum occasione du 31 mai 1653 met fin, de manière provisoire, au débat portant sur les cinq propositions prétendument tirées de l’Augustinus de Jansénius, en les déclarant hérétiques : les députés augustiniens, envoyés par des évêques français amis, quittent l’Italie sans voir obtenu gain de cause 22 . Mais 20 La mère Angélique Arnauld écrit à Louis Macquet, de Boulogne, en mai 1646 : « M. Bourgeois, docteur est arrivé à Rome, où il fait merveille pour bien défendre la pénitence contre les plus grands efforts des pères jésuites, qui publient partout que le livre de la Fréquente Communion est censuré… » (Lettres, t. I, p. 293). 21 Jean Bourgeois (1604-1687) racontera son voyage et son séjour romain dans un ouvrage qui sera publié après sa mort : Journal de M. Bourgeois, docteur de Sorbonne et député de vingt évêques pour la défense du livre de la Fréquente communion, composé par M. Arnauld, contenant ce qui s’est passé à Rome en 1645 et 1646 pour la justification de ce livre ; avec des lettres des évêques aux papes Urbain VIII et Innocent X et quelques autres pièces sur le même sujet, s.l.n.d. [1695]. 22 Ces députés sont au nombre de cinq : trois docteurs, Louis Gorin de Saint-Amour, Noël de Lalane, Nicolas Manessier, ainsi que l’oratorien Toussaint Desmares, prédicateur, et Louis Angran, licencié en théologie. Voir le Journal de Mr de Saint-Amour, de ce qui s’est fait à Rome dans l’affaire des cinq propositions, s.l. [Amsterdam], 1662, in-fol., et J. Lesaulnier, « Rencontres inattendues entre protestants et députés jansénistes à l’été 1653 », Chroniques de Port-Royal, 47, 1998, p. 345-371. <?page no="67"?> 53 Les voyageurs de Port-Royal les affrontements continueront en France, y compris sur la place publique avec la « campagne des Provinciales » 23 . Le souvenir de ces missions est certainement présent à l’esprit d’un abbé de Ponchâteau ou d’autres amis de Port-Royal, quand, dans le dernier quart du XVII e siècle, ils effectuent eux aussi divers séjours à Rome, avec plus ou moins de succès - on ne peut développer davantage ici 24 . Mais ils conduisent leurs pas dans d’autres lieux, d’autres pays déjà, pour des raisons du reste très différentes. C’est la Pologne, où la reine Louise-Marie de Gonzague, ancienne résidente de Port-Royal de Paris, tente d’attirer et attire effectivement des proches de l’abbaye : plusieurs proches de l’abbaye accompagnent la reine en Pologne, François Fleury, confesseur de Louise-Marie, ou M lle Josse, qui, revenant en France, se fera religieuse à Port-Royal 25 . Ce sera aussi la Hollande, où se rend le solitaire M. de Saint-Gilles, chargé de négocier avec le cardinal de Retz : émissaire du duc de Luynes et de Blaise Pascal, Saint-Gilles y rencontrera encore le savant Christian Huygens 26 ; puis Louis Gorin de Saint-Amour, entreprenant docteur en théologie, qui, après Rome, projette une implantation de Port-Royal à Nordstrand, en terre de Frise septentrionale : seuls les placements financiers défrayeront la chronique par la suite, et pendant plusieurs décennies, sans obtenir les fruits escomptés, pour dire le moins 27 . Il y aurait beaucoup d’informations à ajouter sur les échanges du groupe de Port- Royal avec leurs amis hollandais, à propos, en particulier, de la publication des ouvrages qu’il est impossible de publier en France : évoquons seulement le Journal de M. de Saint-Amour, Amsterdam, 1662, les Constitutions du monastère de Port-Royal du Saint-Sacrement, Mons, 1665, les Imaginaires, ou Lettres sur l’hérésie imaginaire, par le sieur de Damvilliers, de Pierre Nicole, Liège, 1667, et les très nombreux livres d’Antoine Arnauld et de Pasquier Quesnel. En dernier lieu, on ne saurait oublier les voyages forcés, les exils plus ou moins choisis ou volontaires, qui ne sont pas sans rappeler l’exil de plusieurs amis de Port-Royal, par exemple de Henri Duhamel, qui, suite à une lettre de 23 Voir les actes du colloque de la Société des Amis de Port-Royal, Paris, septembre 2007, dans les Chroniques de Port-Royal, 58, 2008. 24 Sur la vie et les voyages de Pontchâteau, voir Bruno Neveu, Sébastien-Joseph Du Cambout de Pontchâteau, 1634-1690, et ses missions à Rome d’après sa correspondance et des documents inédits, Paris, de Boccard, 1969. 25 La mère Angélique correspond ainsi souvent avec la reine et les membres de son entourage. Voir ci-après l’article d’Anne-Claire Josse-Volongo. 26 Voir Pascal, Œuvres complètes, éd. Jean Mesnard, Paris, Desclée De Brouwer, 1992, t. IV, p. 335-344, et M. de Saint-Gilles, Journal de Saint-Gilles, éd. citée, p. 31-32, et sur la correspondance entre Huygens et Saint-Gilles-Du Gast, p. 292-300. 27 Voir la notice d’Ellen F. Weaver-Laporte, Dictionnaire de Port-Royal, 2004, p. 764- 765. <?page no="68"?> Jean Lesaulnier 54 cachet, connaît l’éloignement à Quimper, à Langres et à Bellême au Perche 28 . Exil ensuite d’Antoine Arnauld. En 1679, après la mort de divers proches de l’abbaye, comme la duchesse de Longueville et l’évêque de Beauvais Nicolas Choart de Buzenval, Port-Royal entre dans une période très tourmentée. Le théologien juge bon de s’expatrier : le savant belge Émile Jacques a consacré un gros ouvrage aux années d’exil d’Antoine Arnauld, commencées en Hollande et terminées à Bruxelles 29 . Il est suivi peu après par Pierre Nicole, mais pour quelques mois seulement, car l’ami fidèle prend peur et rentre en France 30 . D’autres proches rejoindront l’exilé, formant avec lui une véritable communauté, dont la convivialité estompe les rigueurs de l’éloignement de l’abbaye des Champs. Pourtant un neveu d’Arnauld, Simon Arnauld de Pomponne, est le ministre de Louis XIV, et un autre ami, Jean Racine, figure parmi les familiers du roi : rien n’y fera, et le théologien meurt à Bruxelles en 1694, à quatre-vingt-deux ans et demi. Un proche d’Arnauld, son héritier, subit un sort identique : Pasquier Quesnel 31 est emprisonné à Bruxelles, mais il s’évade de manière rocambolesque et inaugure le séjour de nombreux amis en Hollande, la seconde patrie des jansénistes 32 . Terminons cette deuxième partie par l’évocation d’une figure méconnue, Cosimo Brunetti. Florentin grand connaisseur des milieux romains, il est en relation constante avec les proches de Port-Royal à partir du milieu des années 1650 33 . Sans cesse sur les routes de l’Europe, traducteur des Provinciales en italien, il séjourne au château de Vaumurier près de l’abbaye des Champs, chez 28 Voir le Journal de Saint-Gilles, éd. citée, p. 87-88. Deux prédicateurs échapperont de peu à l’exil à Quimper : le P. Toussaint Desmares et Antoine Singlin. En revanche, certains laïcs aussi sont éloignés de Paris, comme Maignart de Bernières, qui, après avoir reçu une lettre de cachet, doit passer les derniers mois de sa vie à Issoudun ; de nombreuses lettres d’exil de Bernières se lisent dans l’ouvrage d’A. Féron, Un Rouennais méconnu : la vie et les œuvres de Charles Maignart de Bernières, maître des requêtes, 1616-1662, Rouen, Lestringant, 1930. 29 Émile Jacques, Les années d’exil d’Antoine Arnaud (1679-1694), Louvain, éd. Nauwelaerts, 1976. 30 B. Chédozeau, « Comment Nicole se justifie-t-il de n’avoir point repris la lutte ? », Chroniques de Port-Royal, 29, 1980, p. 7-16. 31 Voir J.A.G. Tans, Pasquier Quesnel et le jansénisme en Hollande, Paris, Nolin, coll. Univers Port-Royal, 2007. 32 Voir le numéro des Chroniques de Port-Royal, 35, 1986 : « Port-Royal en exil ». On peut ajouter enfin les deux récits de voyage de Charles Le Maistre, docteur de Navarre : Relation de mon voyage en Flandre, de Hollande et de Zélande, fait en mil six cent quatre vingt et un, éd. Gilbert Van de Louw, Paris, 1978, et Voyage en Allemagne, Hongrie et Italie, 1664-1665, éd. Patricia et Orest Ranum, Paris, 2003. 33 Sur Brunetti, voir Jean Mesnard, dans Pascal, Œuvres complètes, t. IV, table analytique, et le Journal de Saint-Gilles, éd. citée, p. 174-176 et passim. <?page no="69"?> 55 Les voyageurs de Port-Royal le duc de Luynes, alors qu’on le croit encore à Rome. Ses pas le conduisent même jusqu’aux Antilles pour une mission un peu mystérieuse ou du moins mal connue 34 , et quand on le pense en Italie, il se trouve à Varsovie parmi les proches de la reine de Pologne, où il termine une vie de pérégrinations sans fin : symbole, s’il en est, d’un destin voué à la recherche de la vérité. Le voyage intérieur D’une certaine manière, l’histoire du jansénisme commence, au XVII e siècle, par un voyage, par une rencontre : Jean Duvergier de Hauranne, plus connu sous le nom d’abbé de Saint-Cyran, étudiant à Louvain, et Cornélius Jansénius, étudiant à Paris, se lient, par la suite, d’une profonde amitié lors d’un séjour commun consacré à la Bible et aux Pères de l’Église, en particulier à saint Augustin 35 . Les chemins des deux hommes divergeront : ils occupent dans leur pays des fonctions différentes, sans jamais cesser de correspondre sur le projet de Jansénius de composer une grande synthèse de la pensée augustinienne. L’ouvrage est terminé quand le professeur de Louvain devenu évêque d’Ypres meurt dans sa ville épiscopale. Une semaine plus tard, le 14 mai 1638, Saint-Cyran est emprisonné dans le grand donjon du château de Vincennes. Ce sont là deux destins très différents, mais qui illustrent bien, semblet-il, le sens d’une recherche commune, obstinément poursuivie, de l’action de la grâce divine dans l’âme humaine, telle que saint Augustin l’avait initiée. Jansénius disparu, Saint-Cyran en prison, que pouvait-il advenir du grand projet des deux théologiens ? Tandis que des amis de l’évêque conduisaient à bien la publication de l’Augustinus, en 1640, le « prisonnier de Richelieu », comme on l’a appelé, continue et approfondit son voyage intérieur. Ses proches auraient pu lui éviter l’arrestation. Le 13 mai, le directeur spirituel prononce trois conférences devant les solitaires de Port-Royal de Paris. Le lendemain, le chevalier du guet le conduit à Vincennes. Le premier ministre Richelieu ordonne une double enquête judiciaire, civile et ecclésiastique. Saint-Cyran n’a-t-il pas en effet conseillé le jeune avocat Antoine Le Maistre à quitter le barreau où il excelle ? N’est-il pas le complice de l’auteur du Mars gallicus (1635), Cornélius 34 Sur le voyage de sept mois de Brunetti aux Antilles en 1659-1660, voir le Dictionnaire de Port-Royal, 2004, p. 222-223 et le Journal de Saint-Gilles, p. 300, n. 214. 35 Voir les ouvrages de Jean Orcibal, Les origines du jansénisme. II et III. Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, et son temps, Paris, Vrin, 1947-1948, Saint-Cyran et le jansénisme, Paris, Seuil, coll. Maîtres spirituels, Paris, 1961, et Jansénius d’Ypres, 1585-1638, Paris, Études augustiniennes, 1989. <?page no="70"?> Jean Lesaulnier 56 Jansénius lui-même, critique contestataire de la politique étrangère de la France, conduite par Richelieu 36 ? N’est-il pas enfin en désaccord formel avec les positions théologiques de ce dernier, qui, en outre, a offert en vain un évêché à son ancien ami ? Les premiers mois de l’abbé en prison sont marqués par des angoisses de tous les instants. Mais, écrit Jean Orcibal, « la crainte de nouvelles persécutions, son état de santé, la surveillance constante de ses gardes et l’absence presque complète de livres n’empêchent pas que, même à Vincennes, ses cinq dernières années n’aient été étonnamment fécondes » 37 . Recourant à la Bible, il n’y trouve d’abord, « pendant douze ou quinze jours, que des sentences de mort ». Il accomplit un profond retour sur soi et, au terme de ce voyage intérieur, il sort « transformé d’une crise, qui a tous les caractères de la “seconde conversion” qu’offrent les vies de presque tous les grands spirituels ». Sans livres, il découvre qu’il possède ce qu’il appelle « une bibliothèque intérieure », profondément gravée au fond de son cœur. Il peut continuer à correspondre avec plusieurs de ses dirigés spirituels, à dialoguer avec le jeune Antoine Arnauld, nouvel Élisée, atteint lui-même par la grâce et occupé alors par la préparation de sa Fréquente Communion 38 . Le maître verra l’aboutissement de sa collaboration avec son fidèle disciple, mais disparaît, épuisé, en octobre 1643, sept mois après sa libération. L’expérience intérieure vécue par Saint-Cyran sera partagée, quelques décennies plus tard, par ses propres disciples que sont les religieuses de Port- Royal dans des circonstances et des conditions, il est vrai, bien différentes. 36 Voir ci-après la communication de Frédérick Vanhoorne. Sur le Mars gallicus, voir J. Orcibal, Jansénius d’Ypres, p. 223-243, et Bruno Neveu, « Les armes de l’érudition dans la guerre diplomatique au XVII e siècle », in Les premiers siècles de la République européenne des Lettres, dir. Marc Fumaroli, Paris, éd. Alain Baudry, 2005, p. 412-415. En 1637 (la même année qu’une traduction espagnole), parut une traduction française de l’ouvrage de Jansénius, le Mars françois, « dont l’oratorien comtois Jean- Hugues Quarré, ami de l’auteur, avait confié la rédaction à son neveu Jean-Hugues Doroz, lui-même ancien oratorien, et non pas à Charles Hersent, adversaire de Richelieu, comme on l’a cru depuis le XVII e siècle » (J. Orcibal, ibid., p. 239, note 109). 37 Saint-Cyran et le jansénisme, éd. citée, p. 39. Les citations qui suivent proviennent de la même page. 38 Sur la Fréquente Communion, qui est publiée en 1643 et qui connaîtra de nombreuses rééditions, voir J. Lesaulnier, « La “seconde renaissance” d’un théologien, Antoine Arnauld » (1995), dans Images de Port-Royal, Paris, Nolin, coll. Univers Port-Royal, 2002, p. 339-359. Arnauld se charge lui-même de traduire en latin son ouvrage à l’usage des lecteurs étrangers d’Europe et de le faire publier, sous le titre suivant : De Frequenti Communione liber… ab Antonio Arnaldo,… gallice primum scriptus et ab eodem latine conversus, Parisiis, apud A. Vitré, 1647, in-4°. <?page no="71"?> 57 Les voyageurs de Port-Royal Quand la sœur Angélique de Saint-Jean Arnauld d’Andilly compose sa Relation de captivité, quelques mois seulement se sont écoulés depuis sa libération du couvent des « Filles bleues », où elle est arrivée le 26 août 1664. Ce jour-là, douze religieuses considérées comme des meneuses, opposantes à la signature du Formulaire de condamnation de Jansénius, ont été enlevées de Port-Royal de Paris. Angélique de Saint-Jean vit mal son enfermement de dix mois : sa Relation de captivité en témoigne 39 . La moniale y fait un récit, qui, écrit Sainte-Beuve, « se distingue entre tous non seulement par l’esprit et le piquant […], mais par la gravité, la profondeur et l’intimité ; il y a de vraies larmes, des larmes brûlantes 40 ». Elle y dit la cruelle expérience d’un retour sur soi, l’affliction qui est la sienne, « en ce qu’il me semblait que Dieu me châtiait dans ma colère ». La honte l’envahit : il lui vint des idées si épouvantables, dit-elle, qu’elle apprit « ce que c’est que le désespoir et par où on y va 41 ». Certes « la prière et l’aveu de [ses] misères devant Dieu […) étaient toutes [ses] armes », mais elle avoue que « si cela eût duré plus longtemps, j’étais au hasard de laisser éteindre ma lampe, parce que je n’avais pas assez de confiance pour entretenir le feu de ma charité et la lumière de ma foi ». Est-il des mots plus justes et des mots plus simples pour exprimer la rigueur du voyage intérieur ? En écho à ce texte d’Angélique de Saint-Jean, on peut citer un extrait d’une lettre que la sœur Catherine de Champaigne adresse à son père, le peintre Philippe de Champaigne, le 20 mars 1666, de Port-Royal des Champs : Nous sommes ici dans une parfaite solitude, et nous n’avons que de ces visites intérieures et spirituelles, toutes les autres étant bannies. Le monde, et tout ce qui est au dehors, n’a non plus de communication avec nous que l’on a avec les morts qui sont dans le tombeau : c’est, je vous assure, un heureux état 42 . Curieuse remarque en apparence, sous la plume de cette fille qui vient de « témoigner [à son père] la douleur qu’[elle a] de [sa] séparation ». Les moniales non signeuses réunies aux Champs, « bannies et exilées dans ce désert », de juillet 1665 au début de 1669, sont sans relation avec l’extérieur, sans sacrements, sans maîtres spirituels ; mais elles restent déterminées et confiantes, comme le sont Louis-Isaac Le Maistre de Sacy et Nicolas Fontaine, embastillés au même moment, pour des raisons identiques : ils demeurent à la Bastille 39 Voir l’édition procurée par Louis Cognet, Paris, Gallimard, 1954. 40 Sainte-Beuve, Port-Royal, éd. Ph. Sellier, t. I, p. 982. 41 Id., ibid., p. 987 ; les citations suivantes proviennent des p. 987-988. 42 Lettre conservée en copie à la Bibliothèque de Port-Royal, P.R. 18, p. 252, citée dans J. Lesaulnier, Philippe de Champaigne et Port-Royal. Témoignages, La Rochelle, Himeros, 2 e éd., 2009, p. 89. <?page no="72"?> Jean Lesaulnier 58 du 13 mai 1666 au 31 octobre 1668 43 . Si la prison coupe du monde, elle n’en favorise pas moins la lente prise de conscience que le chrétien considère sa vie terrestre comme un passage. Plein de symboles, à ce titre, paraît être le dernier voyage des religieuses de Port-Royal quittant, contraintes et forcées, à la fin d’octobre 1709, leur abbaye vieille d’un demi-millénaire 44 : dernier voyage avant ce qu’elles considèrent comme l’ultime retour à Dieu 45 . Ainsi, le retour sur soi imposé de l’extérieur renvoie à celui que choisit le solitaire renonçant au monde, à l’exercice de sa profession, fût-elle sacerdotale : il conduit à une expérience intime, mystique même, où l’âme ne peut que reprendre la célèbre formule des Confessions de saint Augustin : Fecisti nos ad Te et inquietum cor nostrum donec requiescat in Te : Vous nous avez créés pour vous, et notre cœur est toujours agité de trouble et d’inquiétude jusqu’à ce qu’il trouve son repos en vous 46 … Nos amis de Port-Royal ont été, sans nul doute, de grands adeptes des voyages, témoignages de leur ouverture sur le monde extérieur et sur l’étranger : voyages choisis ou acceptés, à l’intérieur d’un pays et d’une Europe en pleine transformation religieuse et politique, voyages forcés hors des frontières de leur Église ou de leur État, voyages intérieurs enfin assumés et vécus comme une anticipation de leur vie future, comme l’affirment à de nombreuses reprises les écrits issus de Port-Royal, dans la plus pure tradition chrétienne. Aux yeux du croyant, la véritable patrie s’identifie avec son origine divine : l’homme y trouve sa source et y retrouvera sa fin, son accomplissement, après son passage sur la terre. Pour finir, il n’est pas exagéré d’affirmer que nos voyageurs de Port-Royal sont des voyageurs d’éternité. 43 De nombreux amis de Port-Royal seront emprisonnés, au moment de la campagne des Provinciales, puis tout au long du siècle et au début du XVIII e : ce sera en particulier le cas d’un ancien jésuite, Hancheman, emprisonné à la Bastille du 10 février 1666 au 10 novembre 1677, Journal de Saint-Gilles, éd. cit., p. 307-312 et passim, et celui de Germain Vuillart de 1703 à 1715. 44 Voir les relations des dernières heures des moniales à Port-Royal des Champs dans Sainte-Beuve, Port-Royal, éd. Ph. Sellier, t. II, p. 403-409. 45 Voir l’article de Françoise de Noirfontaine, « Entre Vineam Domini et Unigenitus les dernières religieuses de Port-Royal des Champs, Chroniques de Port-Royal, 54, 2004, p. 137-149. 46 Saint Augustin, Confessions. Éd. Ph. Sellier. Traduction de Robert Arnauld d’Andilly, établie par Odette Barenne, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1993, p. 25. <?page no="73"?> Biblio 17, 188 (2010) Une correspondance franco-polonaise : l’échange épistolaire de Mère Angélique et de Louise-Marie de Gonzague A NNE -C LAIRE J OSSE -V OLONGO Bibliothèque de l’Institut Introduction La correspondance de la mère Angélique Arnauld avec Louise-Marie de Gonzague, reine de Pologne, est bien connue des familiers de Port-Royal. La thèse que lui a consacrée François Boulêtreau, au-delà de l’édition critique des lettres, s’est attachée à évaluer la pénétration des idées port-royalistes hors du royaume de France, en l’occurrence dans le royaume de Pologne. À son tour, notre contribution se propose de passer les frontières habituellement dévolues aux études port-royalistes, en allant au-delà du territoire spirituel qui borne d’ordinaire l’étude de l’action et de l’influence de la mère Angélique Arnauld. En effet, l’existence d’un échange épistolaire long de quinze années entre la France et la Pologne n’a été rendu possible que par les progrès de la poste internationale au XVII e siècle et mérite que l’on s’arrête sur les conditions matérielles des correspondances, qui connaissent un formidable essor à cette époque. Sortir des confins port-royalistes, c’est encore tenter de situer l’échange de l’abbesse et de la souveraine, non plus au sein du réseau janséniste, ni même dans le mouvement réformateur, mais parmi les autres relations épistolaires contemporaines : on verra que le rapprochement de deux figures aussi différentes qu’Angélique Arnaud et la marquise de Sévigné révèle, dans la pratique épistolaire, bien des similitudes. Avant tout, il convient de présenter les deux protagonistes : si le parcours de la mère Angélique est bien connu, un rapide portrait de Louise-Marie de Gonzague mérite sans doute d’être brossé. <?page no="74"?> Anne-Claire Josse-Volongo 60 I. Une vocation tardive Née le 19 août 1611, la princesse Marie est fille de Charles de Gonzague, duc de Nevers, et de Catherine de Lorraine. Orpheline de mère dès l’âge de sept ans, son père quitte la France cinq ans plus tard pour Mantoue, où il reçoit la couronne ducale : le père et la fille ne se reverront jamais. Ses trois frères qui lui restent vont mourir au combat dans les années suivantes, tandis que sa sœur Bénédicte succombe à la peste en 1637. À vingt-six ans, Marie est célibataire ; des siens, il ne lui reste que sa sœur Anne, de cinq ans sa cadette, la future Palatine, et deux neveux de Mantoue avec qui elle aura d’interminables procès par la suite. Malgré une jeunesse solitaire, son éducation n’en fut pas moins soignée. Contrairement à ses sœurs très tôt dirigées vers le couvent, Marie demeura chez elle, auprès de ses frères. Avec eux elle étudia la peinture, l’équitation, les mathématiques. Surtout elle bénéficia de l’affection et de la science de Michel de Marolles, abbé de Villeloin, de onze ans son aîné, dont le père avait déjà été gouverneur des deux premiers fils de M. de Nevers. Traducteur et historien de l’Antiquité, poète, collectionneur, l’abbé de Marolles entretenait des rapports avec les auteurs dramatiques (Mainard, Rotrou, Sarrasin, Tristan) et les mathématiciens (Gassendi, Pascal, Roberval). Pour la Princesse Marie, il traduisit l’office de la semaine sainte et composa des comédies en prose et en vers. C’est sur sa recommandation que Marie, devenue reine de Pologne, accorda des gratifications à Saint-Amant et à Voiture. Le prestige de l’hôtel de Nevers, où la Princesse Marie recevait dans les années 1640, témoigne de l’intelligence et de l’honnête raffinement de la jeune femme. Marolles, dans ses Mémoires, note l’inclination de la Princesse à la piété, nourrie par les relations qu’avait toujours entretenues sa famille avec les ordres monastiques. La sœur de Marie, Bénédicte, fut la trente-neuvième abbesse de l’abbaye bénédictine Saint-Pierre-d’Avenay, de 1625 à 1637 : elle en fut chassée par la peste dont elle mourut. Marie pensa s’y faire religieuse lorsqu’elle y séjourna après son emprisonnement à Vincennes. Ses projets de mariage furent d’abord des échecs : avec Gaston d’Orléans en 1627, puis avec Cinq-Mars dont la fin tragique, en 1642, laissa la Princesse dans une position délicate. À trente et un ans, Marie était toujours célibataire. <?page no="75"?> 61 Une correspondance franco-polonaise La rencontre avec Port-Royal C’est à la suite de ces événements mouvementés que se placent les premiers contacts de la Princesse Marie avec Port-Royal. En août 1643, prenant les eaux à Forges en compagnie de Michel de Marolles, elle lit la Fréquente Communion d’Antoine Arnauld et choisit de se convertir en se mettant sous la direction de l’abbé de Saint-Cyran. Dans ce but, elle rencontre la mère Angélique le 7 octobre 1643, mais Saint-Cyran meurt quatre jours plus tard. Pensant recourir à une intermédiaire en la personne de mère Angélique, Marie vient en réalité de faire la rencontre décisive qui déterminera non seulement sa vie spirituelle, mais accompagnera toute la suite de son existence. En effet, à partir de cette date, Marie se rend très régulièrement à Port- Royal, seule ou avec des amies comme Mme de Raffetot. Elle finit par s’y faire construire un « fort petit logement » par Maître Philippe, un des ouvriers du monastère. Elle y retrouve d’autres dames de la Cour, la marquise de Sablé et la princesse de Guémené, sous l’œil discret mais vigilant de la mère Angélique, qui appréhende le tour mondain que risquent de prendre ces réunions. Précisons que Marie, lors de ses visites du jeudi au monastère, se retirait le plus souvent seule, sans personne pour la servir, ou ne rencontrait que la mère Angélique pour la direction spirituelle. Comme à son habitude avec les personnes du dehors, en particulier les femmes, Singlin acceptait de guider la princesse, mais sans la rencontrer personnellement : c’est à la mère Angélique qu’il incombait de transmettre les avis du prêtre à Marie de Gonzague. C’est la franchise, le tempérament volontaire et la grande lucidité de la Princesse qui conquièrent la mère abbesse et transforment cette direction spirituelle en relation plus profonde. Sans tomber dans un désir de pénitence exagéré et stérile, Marie ne rougit pas d’exprimer simplement sa difficulté à prier Dieu, voire son dégoût des choses spirituelles, à la suite d’erreurs de conduite répétées. Cette attitude plaît à la mère Angélique, car elle témoigne chez la princesse de la recherche d’une véritable unité de vie, « qui valait mieux que la témérité et l’illusion des personnes qui pensent, dans la dévotion d’aujourd’hui, que tout se peut allier et qu’on peut aller la nuit au bal et le matin à la communion 1 ». Féconde et décisive dans l’existence de Marie, l’époque des séjours à Port-Royal fut pourtant fort brève : à peine deux ans s’étaient écoulés depuis la première entrevue avec la mère Angélique, lorsque la belle amie de Port- 1 Cité par François Boulêtreau, Édition de la correspondance de la Mère Angélique Arnauld (1591-1661), abbesse et réformatrice de Port-Royal, avec Louise-Marie de Gonzague (1611-1667), reine de Pologne, aux origines des relations franco-polonaises. Sous la direction de Jean Orcibal. Thèse de Troisième Cycle dactylographiée, Paris IV-Sorbonne, 1980, t. 1, p. 72. <?page no="76"?> Anne-Claire Josse-Volongo 62 Royal dut s’éloigner définitivement du monastère pour commencer son long commerce épistolaire avec l’abbesse. Le mariage polonais En 1644, la reine de Pologne Cécile-Renée, épouse de Ladislas IV, mourut des suites d’un accouchement prématuré. Très vite, deux camps s’opposèrent pour placer une nouvelle épouse aux côtés du roi de Pologne : la France et les Habsbourg. Ladislas IV, quant à lui, souhaitait épouser Christine de Suède, pour reconquérir la maîtrise de la Baltique. L’envoyé français dépêché auprès du Roi de Pologne soutenait officiellement le projet de mariage suédois, mais en sous-main défendit si bien les intérêts français qu’il convainquit Ladislas IV de s’allier à la France 2 . Le 12 juillet 1645, le roi annonça qu’il épouserait la princesse Marie de Gonzague. L’ambassade polonaise arriva à Paris le 29 octobre, avec à sa tête Wenceslas Leszczynski, évêque de Warmie et Christophe Opalinski, palatin de Posnanie. Au nom du roi Ladislas, ce dernier épousa la Princesse Marie le 5 novembre 1645 en la chapelle du Palais-Royal. Devenue Louise-Marie, la nouvelle reine de Pologne vit son départ fixé au 27 novembre 1645. Elle arriva à Varsovie trois mois et demi plus tard, le 10 mars 1646. La période du premier mariage de la reine ne fut pas des plus sereines. Louise-Marie dut s’accommoder des maîtresses de son époux et fut desservie par l’entourage de Ladislas IV qui travaillait à la discréditer auprès de son mari. Peu à peu elle eut raison des coteries, mais l’entente entre les époux ne fut jamais parfaite. Le 20 mai 1648 Ladislas mourut, et la reine se remaria avec Jean-Casimir, un des frères du défunt roi. Les lettres de Louise-Marie témoignent de son réel attachement pour son second époux. Mais si la vie conjugale de Louise-Marie fut apaisée, les difficultés ne manquèrent pas durant cette période. Le règne de Jean-Casimir fut en effet traversé de guerres incessantes, en particulier lors de l’invasion suédoise, en 1655 et en 1657, qui contraignit par deux fois la cour à s’exiler en Silésie. Les deuils enfin jalonnèrent cette période : la mort, en 1647, à l’âge de sept ans, du premier fils de Ladislas IV en 1647, celle de l’abbé Fleury, le confesseur de la reine et fidèle correspondant de la mère Angélique, en 1658. Surtout la reine perdit ses deux enfants, nés de son remariage avec Jean-Casimir : sa fille aînée Thérèse, née en juillet 1650, fut sauvée in extremis d’un incendie provoqué par la chute d’une bougie sur un tapis de sa chambre, mais décéda quelques mois après, en août 1651, sans doute des séquelles des brûlures, même si la cause retenue fut une « convulsion qui lui survint causée 2 Ibid., p. 32. <?page no="77"?> 63 Une correspondance franco-polonaise par la douleur des dents qui ne lui purent percer 3 ». Dès le mois de janvier 1652, la reine accoucha d’un second enfant, un fils, qui ne vécut qu’un mois. Elle avait alors quarante-deux ans et ne connut pas d’autre maternité. II. Le transport des lettres de France en Pologne Jusqu’à la fin du XV e siècle, dans le royaume de France, il n’existait pas de service de poste centralisé, mais une multitude de petites liaisons non reliées entre elles. Rois et grands seigneurs avaient recours à des chevaucheurs ; les ordres religieux disposent de leur propre corps de messagers, ainsi que les universités. Il existait des messagers privés, mais progressivement, au cours du XV e siècle, les chevaucheurs du Roi acceptèrent de se charger de lettres provenant d’autres expéditeurs. L’État royal affirma peu à peu la propriété domaniale du souverain sur la route et son exploitation permit de dégager la notion de droit régalien, désormais attribué au privilège du transport de la correspondance. Au début du XVII e siècle, l’administration postale prend forme, sous le contrôle du Contrôleur général, puis du Surintendant général des postes et relais : les maîtres de Poste fournissent les chevaux dans des relais distants de sept lieues les uns des autres, soit environ vingt-huit kilomètres. Les courriers, anciens chevaucheurs, sont chargés du transport proprement dit ; enfin les commis distribuent les lettres à leur destinataire. La première carte des postes est éditée en 1632 et compte six cent vingt-trois relais. Louis XIV s’intéresse à son tour au pactole que représentait la poste. En 1668, Louvois rachète la charge de l’intendant général des Postes et réorganise le service qui comptait en 1675 sept cent cinquante-quatre relais de poste. Surtout Louis XIV lui accorde les revenus de la poste internationale. Louvois traite alors directement avec la famille Tour et Taxis, fermiers des postes internationales du Saint-Empire. Leur mission initiale consistait à mettre en relation les États héréditaires d’Autriche et l’Empire avec l’Italie, la France et l’Espagne. Dès le XVI e siècle, la France traitait directement avec eux pour la correspondance avec ces États ainsi que tous les pays allemands, le Danemark, la Suède et la Russie. La convention postale de 1716 lie officiellement l’Office postal de France avec les Tour et Taxis pour le transport des courriers à destination de la Basse-Allemagne, c’est-à-dire Liège, Aix-la-Chapelle, Hambourg, la Pologne, la Russie et les pays nordiques. Le choix des itinéraires n’était pas fixé en fonction de l’intérêt des usagers, mais dépendait d’impératifs commerciaux et financiers, chaque office 3 Ibid., p. 138. <?page no="78"?> Anne-Claire Josse-Volongo 64 cherchant à céder ses envois à celui qui en offrait le meilleur prix. Ainsi une poste comme celle des Taxis offrait pour l’époque un service non négligeable, car elle permettait de faire transiter le courrier par l’Allemagne en n’utilisant qu’un seul office pour aller de France en Pologne. La distance entre Paris et Cracovie est de 1550 km, entre Paris et Varsovie de 1650 km. Un courrier parcourant au mieux, et selon les saisons, quatrevingts à cent kilomètres par jour, trois semaines au minimum étaient nécessaires pour faire parvenir le courrier d’une ville à l’autre. La réalité est tout autre : quatre à cinq semaines en moyenne s’écoulent entre l’envoi de la lettre et son arrivée entre les mains du destinataire. Les Mémoriaux du Conseil du Roi en témoignent en 1661, alors que la diplomatie française s’active pour la préparation de la succession au trône de Pologne : La présentation des documents offrira quelque difficulté de ce fait que, les relations par ordinaire ou par courriers exprès entre Paris et Varsovie étant fort irrégulières, et chaque voyage demandant au moins une vingtaine de jours, parfois beaucoup plus d’un mois, presque toujours des incidents survenus entre chaque lettre et la réponse changeaient la face des choses et exigeaient de nouvelles combinaisons de part et d’autre 4 . L’échange épistolaire entre Angélique et Louise-Marie de Gonzague corrobore cette constatation. Il fallait en moyenne cinq à six semaines pour que les lettres de la reine parviennent à la mère abbesse, même si la tendance est à une diminution du temps de transport. Quelques exceptions peuvent apparaître : le 29 octobre 1649, la mère Angélique reçoit en même temps trois lettres dont une envoyée seulement dix-sept jours auparavant : ces lettres lui sont transmises par Madame des Essarts, autre grande correspondante de la reine de Pologne qui habitait le quartier Saint-André-des-Arts. Cet exemple invite à relativiser la fiabilité de nos informations car d’autres lettres que celles-ci ont dû être adressées chez Madame des Essarts, bien que destinées à la mère Angélique, ce qui rendait plus longue encore la transmission des courriers à la mère abbesse. À l’opposé, deux autres exceptions sont remarquables : au début de l’année 1650, la mère Angélique reçoit une lettre partie de Pologne le 9 octobre 1649, et le 30 mars, elle fait référence à une lettre datée du 13 décembre arrivée « depuis peu de jours ». Ces deux cas ne sont pas révélateurs : d’une part, rien n’assure que la Reine de Pologne ait envoyé ses lettres le jour même de leur rédaction, d’autre part, dans sa lettre du 30 mars 1650, Angélique cite une autre lettre de la reine plus récente (24 janvier 1650) et arrivée, elle, « plus de trois semaines auparavant », c’est-à-dire au début du mois de mars, donc après un voyage de cinq semaines. 4 Mémoriaux du Conseil de 1661, publiés par la Société de l’Histoire de France, par J. de Boislisle. Paris, Renouard, 1909, t. 2, p. 343. <?page no="79"?> 65 Une correspondance franco-polonaise Le premier tarif postal date de 1627, mais jusqu’en 1849, où apparut le « timbre-poste », c’est le destinataire qui payait le port de la lettre. Le tarif de 1644 indique un coût de trois à dix sols pour le courrier intérieur, selon le poids de la lettre, et un coût de dix à trente-six sols pour l’acheminement jusqu’à Paris des lettres de l’étranger. En 1650, quatre bureaux de poste existaient à Paris : rue aux Ours, devant le grand portail de Saint-Eustache, au Marché-Neuf et, le plus ancien, rue Saint-Jacques, en face de la rue du Plâtre, d’où partaient et arrivaient entre autres les courriers pour la Pologne. L’ordinaire partait le vendredi pour le royaume de Louise-Marie de Gonzague ; en 1661, on ajouta un départ le dimanche, mais les deux épistolières ne purent jamais en bénéficier, leur correspondance s’arrêtant en 1660. Le relevé systématique des jours de la semaine où la mère Angélique écrit à la souveraine révèle que l’abbesse prenait le plus souvent la plume le vendredi, c’est-à-dire le jour même du départ du courrier pour la Pologne. Il est vrai que du monastère de Port-Royal de Paris jusqu’à la rue du Plâtre, à peine vingt minutes étaient nécessaires au porteur pour déposer les lettres au bureau de Poste. Ce choix d’écrire au dernier moment s’explique aussi sans doute par le désir qu’avait la mère Angélique d’envoyer les nouvelles les plus fraîches possibles à Louise-Marie de Gonzague. Il n’en allait pas de même, lorsqu’elle se trouvait aux Champs : une proportion non négligeable de lettres sont datées du jeudi et correspondent dans leur grande majorité à des périodes où la mère Angélique se trouvait aux Champs et devait tenir compte de l’acheminement des lettres à Paris, avant d’être expédiées pour la Pologne. Elle préfère parfois écrire plus tôt, sachant qu’elle va quitter Paris pour repartir aux Champs : Ayant à retourner demain, Dieu aidant, à notre cher ermitage, j’avance le jour du courrier pour me donner l’honneur d’écrire à Votre Majesté 5 . Une fois retirée aux Champs, Angélique a du mal à changer ses réflexes d’épistolière : J’ai eu un grand regret d’avoir manqué le dernier courrier, sans me donner l’honneur d’écrire à Votre Majesté. Comme il faut que je le fasse dès le mercredi pour envoyer la lettre le jeudi à Paris, cela m’échappe de la mémoire et il ne m’en souvient que le vendredi que j’ai accoutumé d’écrire 6 . 5 Lettres de la Révérende Mère Marie-Angélique Arnauld, abbesse et réformatrice de Port- Royal, Utrecht, aux dépens de la Compagnie, 1742-1744, t. 2, p. 260. La lettre est datée du mardi 14 janvier 1653. 6 Ibid., t. 2, p. 261. <?page no="80"?> Anne-Claire Josse-Volongo 66 Le plus souvent, la mère Angélique écrit à la hâte et s’en remet à la bonté de Louise-Marie pour excuser ses « brouilleries » et ses « griffonnages », souvent causés ou aggravés par des migraines, des crises de gouttes ou des saignées 7 . L’abbesse se console parfois en opposant à son écriture médiocre celle de Singlin dont elle écrit à la Reine de Pologne qu’elle transcrira la lettre avant de la lui faire parvenir, car elle sait que « Sa Majesté aura encore plus de peine à la lire que mon griffonnage auquel elle est accoutumée 8 ». Finalement Singlin tint à transcrire lui-même sa lettre « qu’il me mande avoir été plus d’un jour à écrire, précise la mère Angélique, afin qu’elle n’eût pas de peine à la lire, et cependant il y a beaucoup de ratures à ce qu’il dit 9 ». Tandis que le courrier partait le vendredi pour la Pologne, il arrivait le jeudi, objet de toutes les attentes de la mère Angélique : Nous attendons les jeudis avec impatience pour apprendre les nouvelles de la santé de Votre Majesté 10 . Malgré cet attachement à l’échange épistolaire avec la Reine de Pologne, Angélique n’y sacrifia jamais ses devoirs d’abbesse. Elle justifie un jour l’écriture hâtive de sa lettre par la certitude que Louise-Marie de Gonzague « ne veut pas que je manque d’assister à la grand’messe pour la récrire, et que sa bonté excuse ma vieillesse 11 ». Une autre semaine elle renonça à écrire le jeudi comme le vendredi « parce qu’il me fallut assister deux de mes sœurs à la mort 12 ». Plus révélateur encore du caractère tout relatif qu’accordait la mère Angélique aux lettres dans son amitié avec la Reine de Pologne est cet aveu en 1647 : Je vous confesse, Madame, que […] il m’arrive assez souvent de prendre la plume, de la quitter et de m’en aller au lieu d’écrire, prier Dieu pour Votre Majesté qu’il plaise à sa divine miséricorde la remplir de ses saintes grâces 13 . Les progrès du transport postal au XVII e siècle ont rendu possibles la poursuite et l’approfondissement du lien entre Angélique et Louise-Marie : lettres de direction spirituelle avant tout, les missives de la mère Angélique n’en trahissent pas moins une affection qui se dit et ose s’écrire de plus en plus au fil du temps. Après avoir franchi les frontières du royaume de France pour 7 Voir les lettres du 1er décembre 1648, 17 juin 1654, 6 avril 1656, 30 juin 1656, 3 août 1657. 8 Ibid., t.2, p. 506. 9 Ibid., t. 2, p. 512. 10 Ibid., t. 2, p. 180. 11 Ibid., t. 3, p. 282. 12 Ibid., t. 3, p. 337. 13 Ibid., t. 1, p. 338. <?page no="81"?> 67 Une correspondance franco-polonaise s’intéresser au transport du courrier international, allons à présent au-delà des frontières spirituelles de cette correspondance pour tenter de replacer l’échange de la mère Angélique et de la reine Louise-Marie dans leur siècle, un siècle précisément riche en correspondances. Durant cette période, le genre épistolaire corseté de règles héritées de l’humanisme s’assouplit, se démocratise et devient un support privilégié de l’expression des sentiments et des pensées intimes, jusqu’à devenir dans certains cas, pour la postérité, une œuvre littéraire à part entière. C’est le cas de la correspondance de Madame de Sévigné dont la lecture réveille d’indéniables échos avec les missives de la mère Angélique. III. Madame de Sévigné et Angélique Arnaud : deux figures maternelles Il n’est pas question ici d’envisager une étude littéraire comparée de ces deux correspondances. Cependant la confrontation des lettres de la Mère Angélique à celles de la marquise de Sévigné permet, semble-t-il, une approche renouvelée des lettres de l’abbesse et révèle derrière la préoccupation spirituelle d’une religieuse, les attentions d’une mère et l’affection d’une amie pour sa correspondante. Une génération sépare les épistolières : Angélique est née en 1591 et Marie de Rabutin-Chantal en 1626. Mais bien des points communs unissent leurs correspondances : la marquise de Sévigné a vingt ans lorsque naît sa fille et future correspondante Françoise-Marguerite, Angélique et la reine de Pologne ont également vingt ans d’écart. Dans les deux cas ne nous sont parvenues que les lettres de la « mère », non celles de la « fille », à quelques exceptions près. Le corpus des lettres de Madame de Sévigné compte un peu plus de mille trois cents lettres, on en rassemble également plus de mille de la mère Angélique. La proportion de lettres de Mme de Sévigné adressées à sa fille est certes plus importante que pour la mère Angélique dont on a conservé deux cent quarante-six lettres à la reine de Pologne sur plus d’un millier en tout. Par ailleurs, il est intéressant de souligner que si les lettres viennent combler le vide de la séparation physique, cette séparation ne représente que huit années dans l’existence de Madame de Sévigné et de Madame de Grignan, tandis qu’elle s’étale sur quinze ans pour la mère Angélique et sa fille spirituelle, qui ne se retrouvèrent jamais. Enfin les éditions des lettres de l’une et de l’autre ont connu des péripéties analogues : publiées en 1734 par sa petitefille Pauline de Simiane, les originaux des lettres de Madame de Sévigné ont été détruits aussitôt après. Pour la mère Angélique, les copies ayant été effectuées pour la plupart par les destinataires dès réception des lettres originales, la première édition de 1742 se fit à partir des copies. De nouvelles éditions <?page no="82"?> Anne-Claire Josse-Volongo 68 des lettres de Madame de Sévigné ont été réalisées au XIX e (édition Monmerqué, 1818) et au XX e (édition Duchêne, 1972-1978) siècles à la suite de découverte d’originaux ou de copies manuscrites plus fidèles aux originaux ; pour la mère Angélique, une édition des œuvres complètes qui contiendra sa correspondance est prévue d’ici 2010. Dans le cas des deux épistolières, le texte qui nous est parvenu est certainement en partie différent de l’original, victime de premiers éditeurs soucieux, de la bienséance dans le premier cas et de l’élévation morale dans le second cas, de leurs publications. La sollicitude d’une mère Le thème central, et si débattu, des lettres de Madame de Sévigné est son acceptation difficile de l’éloignement de sa fille et l’expression d’un amour maternel jaloux et exclusif. Madame de Sévigné et la mère Angélique sont soucieuses des grossesses, des maternités et des soins apportés aux enfants de Mme de Grignan et de Louise-Marie de Gonzague. Si la reine de Pologne a vu mourir sa fille et son fils en bas âge, Mme de Grignan en a perdu deux et en a vu trois grandir. La mère Angélique n’hésite pas à qualifier chaque grossesse de la reine de « prospérité temporelle » en priant qu’elle ne vous attache pas au monde et à la terre, ce qu’il faut toujours appréhender 14 . Durant la grossesse, elle engage la reine à accepter les conseils et les soins de son entourage et surtout à pratiquer les dévotions qui lui assureront un accouchement tranquille : une des œuvres de miséricorde qui réussit le mieux est de faire délivrer des pauvres emprisonnés pour dette 15 . La marquise de Sévigné est plus enjouée et directe, quand elle recommande à sa fille de se ménager : Vous êtes dans votre septième mois ; cela me fait trembler, et d’autant plus que c’est un garçon. Vous me le promettez au moins : n’allez pas, par votre négligence, le laisser devenir fille 16 . La mort des deux enfants de la reine de Pologne est l’occasion, pour la mère Angélique, d’exhorter encore une fois sa chère reine au détachement des choses de ce monde, et cela dans des lettres aussi touchantes qu’exigeantes, car l’abbesse y exprime à la fois une souffrance bien humaine (trop humaine, 14 Ibid., t.1, p. 462. 15 Ibid., t. 1, p. 474. 16 Correspondance de Mme de Sévigné, 13 septembre 1671. <?page no="83"?> 69 Une correspondance franco-polonaise selon elle) et la conviction que les petits défunts sont déjà entrés dans la seule vie qui vaille la peine, celle du Paradis. Ainsi après l’incendie qui brûle gravement le premier bébé de la reine, la mère Angélique confesse qu’elle sent que « la colère s’échauffe en [elle] dans la seule représentation du passé 17 ». Mais elle trouve aussi des mots étonnants après la mort de l’enfant, en la présentant comme une grâce anticipée de Dieu : Dieu a tiré une partie de Votre Majesté dans son paradis, afin d’y tirer votre cœur, lui faisant voir de plus en plus l’instabilité des choses de ce monde et des contentements qui s’y rencontrent 18 . Lors de la mort du petit prince âgé d’un mois, les lenteurs du courrier la contraignirent à faire suivre une lettre de félicitation pour la naissance, d’une lettre de condoléances, en affirmant cependant que « les ermites et nous toutes prions bien Dieu qu’il lui donne un enfant qui vive 19 ». Mme de Sévigné pourrait sembler moins sensible dans sa lettre qui suit la mort du dernier fils de sa fille, à l’âge de seize mois : Ce n’est pas, comme vous savez, que j’aie compté sur sa vie. Je le trouvais […] sans aucune espérance, mais enfin, c’est une perte pour vous 20 . La séparation et l’expression des sentiments Roger Duchêne a analysé, à partir de ses lettres, les relations longtemps orageuses de Madame de Sévigné avec la comtesse de Grignan, de tempéraments trop différents pour se comprendre et communiquer sereinement en vivant l’une à côté de l’autre. Paradoxalement, l’éloignement de sa fille fut une circonstance favorable, car elle permit d’établir une communication entre les deux femmes par le biais de la lettre 21 . Ce nouveau mode d’expression des sentiments permet alors à Madame de Sévigné de prendre conscience de la violence de sa passion maternelle et du conflit qu’elle crée face aux exigences de sa foi 22 . Vers 1680, Madame de Sévigné va apaiser sa passion et la subordonner aux ordres de son Dieu, en se convertissant au sens le plus profond du terme. L’expression des sentiments maternels change de style et traduit davantage de retenue 23 . Madame de Sévigné abandonne le terme 17 Lettres de la mère Angélique, op. cit., t. 1, p. 546. 18 Ibid., t. 1, p. 584. 19 Ibid., t. 2, p. 100. 20 Correspondance de Madame de Sévigné, 3 juillet 1677. 21 Roger Duchêne, Madame de Sévigné et la lettre d’amour, Paris, Klincksieck, 1992, p. 205. 22 Ibid., p. 215. 23 Ibid., p. 235. <?page no="84"?> Anne-Claire Josse-Volongo 70 de « passion » pour celui de « tendresse » et recourt désormais au vocabulaire maternel pour l’exprimer très simplement : Nous n’avons point reçu vos lettres. Adieu, mon aimable bonne ; aimez toujours votre maman 24 . Chez Angélique Arnauld, on ne retrouve pas cette préoccupation obsessionnelle de la personne absente, mais la reine de Pologne demeure omniprésente dans l’esprit de l’abbesse, tenant en cela une place à part parmi les nombreux correspondants avec qui la mère se dit en union de prière. Elle écrit ainsi à Louise-Marie de Gonzague : Lorsque je m’éveille la nuit, d’ordinaire je me souviens de Votre Majesté 25 ; et encore : je puis dire avec sincérité, Madame, que je m’étonne de ce que j’oublie si souvent ce que je vois des yeux du corps et que Votre Majesté qui est si éloignée m’est presque toujours présente 26 , en particulier lorsque Angélique sait la Reine souffrante : je puis assurer Votre Majesté que cette pensée ne me quitte point que lorsque le sommeil me prive de l’usage de mes sens, et qu’à mon réveil elle se présente aussitôt 27 . Chez Madame de Sévigné, la vue des lieux autrefois fréquentés par sa fille éveille la douleur de l’absence, chez Angélique Arnauld, elle suscite également l’émotion dans le premier temps : votre image de la sainte Vierge et votre chapelet sont toujours à la petite grille et nous font souvent venir les larmes aux yeux en souvenance de Votre Majesté 28 . Toutefois, les années passant, la sensibilité laisse place au souvenir heureux des séjours de Louise-Marie de Gonzague à Port-Royal : Votre petite cellule se nomme souvent et porte le nom de Votre Majesté à tout jamais. Votre chapelet, un tableau, en un mot tout est précieux et nous fait souvenir de notre chère Reine 29 . 24 Correspondance, Lettre du 12 mars 1689. 25 Lettre de la mère Angélique, in op. cit., t. 2, p. 357. 26 Ibid., t. 2, p. 576. 27 Ibid., t. 3, p. 13. 28 Ibid., t. 1, p. 300. 29 Ibid., t. 2, p. 232. <?page no="85"?> 71 Une correspondance franco-polonaise Notons l’utilisation parfois ambiguë du « nous » par la mère Angélique. Elle peut en effet exprimer la sollicitude de la communauté tout entière : On parle si souvent de Votre Majesté céans, qu’on nous croirait toutes Polonaises 30 , et encore quand on ne les [les enfants et les religieuses] voit point à la conférence et par la maison, on dit qu’elles sont en Pologne 31 , mais aussi masquer la force du sentiment de la seule abbesse. Le terme qui revient constamment pour exprimer ce sentiment est « affection » : l’extrême affection que Dieu me donne pour Votre Majesté m’emporte 32 . L’abbesse s’excuse d’une longue lettre « puisque ce n’est que de l’abondance du cœur plein d’affection » de la mère Angélique 33 qui confie même à Louise- Marie de Gonzague : « mon cœur écrit plus que ma main 34 . » Dix ans après le départ de Louise-Marie de la Pologne, la force du sentiment d’Angélique Arnauld n’a pas diminué : Je sais bien que je suis sans réflexion le mouvement de mon cœur, qui est tout rempli d’affection pour son service et son véritable bien 35 . Cette spontanéité du sentiment et de son expression traduisent chez la mère Angélique une sensibilité dont elle est consciente, sans pour cela la nier ou la réprimer trop durement, même si elle écrit que son « affection encore trop humaine excite souvent [sa] curiosité 36 » au sujet de Louise-Marie de Gonzague. Cette part d’humanité que la mère Angélique laisse voir dans ses lettres à la reine de Pologne est à l’abri de la passion exclusive d’une Madame de Sévigné, car elle est justement équilibrée par la présence d’une troisième personne dans sa correspondance, la personne divine. La référence continuelle à Dieu protège la relation de l’exclusivité et de la démesure sentimentale et lui garantit par là même une profonde stabilité dans le temps : ainsi la mère Angélique écrit à Louise-Marie que 30 Ibid., t. 2, p. 313. 31 Ibid., t. 3, p. 185. 32 Ibid., t. 1, p. 313. 33 Ibid., t. 2, p. 18. 34 Ibid., t. 2, p. 160. 35 Ibid., t. 3, p. 112. 36 Ibid., t. 2, p. 230. <?page no="86"?> Anne-Claire Josse-Volongo 72 Dieu la rend d’autant plus présente à nos esprits qu’il l’a éloignée de nos yeux. Il est vrai, Madame, qu’ils sont tous les jours tournés vers la Pologne […] et en même temps vers Dieu 37 . Cette relation d’amitié en Dieu porte la mère Angélique à exprimer son affection avec les mêmes procédés qu’une Madame de Sévigné s’imaginant sa fille dans sa nouvelle demeure : « je m’imagine souvent que je vous vois en prières dans votre cabinet 38 », ou « il me semblait que je voyais Votre Majesté donner ses ordres 39 . » Mais ce procédé exprime ici plus la communion de deux âmes que la tentative désespérée d’un cœur privé de l’être cher pour nier la séparation. C’est ainsi que l’on retrouve chez les deux épistolières le désir de se transporter par magie en présence de leur fille, mais le ton est bien différent, insistant pour Madame de Sévigné qui écrit le 18 mai 1671 : Si vous n’étiez point grosse et que l’hippogriffe fût encore au monde, ce serait une chose galante et à ne jamais l’oublier que d’avoir la hardiesse de monter dessus pour me venir voir quelquefois, plus apaisé, voire facétieux chez la Mère Angélique : on dit ici qu’il y a en votre royaume un homme qui a trouvé l’invention de voler et qui fait quatre-vingts lieues en un jour ; ce qui nous fit dire dernièrement à ma sœur Catherine et à moi que si nous pouvions en faire autant, nous pourrions encore avoir l’honneur de voir Votre Majesté au moins une fois […]. Mais dans le désespoir que cela puisse réussir, nous mettons tous nos désirs à aller […] en Paradis, en attendant que Votre Majesté y arrive 40 . Ici la séparation physique n’est qu’une étape avant les retrouvailles définitives, cette vie n’étant finalement qu’un pèlerinage dont les bonheurs et les vicissitudes - et parmi elles les séparations - comptent moins que le terme du voyage. La marquise de Sévigné a dû réprimer sa passion maternelle pour faire une place à Dieu et aux exigences de sa foi : ses lettres témoignent qu’elle devra toute sa vie combattre sans parvenir à surmonter le conflit qui oppose, à l’intérieur de son âme, la mère à la chrétienne : Enfin Dieu est tout-puissant et fait tout ce qu’il veut ; j’entends cela. Il veut notre cœur, nous ne voulons pas lui donner : voilà le mystère, 37 Ibid., t. 1, p. 299. 38 Ibid., t. 2, p. 204. 39 Ibid., t. 3, p. 3. 40 Ibid., t. 1, p. 363. <?page no="87"?> 73 Une correspondance franco-polonaise écrit-elle, le 15 juin 1680. Angélique Arnauld témoigne d’une unité de vie assez solide pour faire cohabiter harmonieusement ses affections terrestres et sa vocation religieuse, et ce grâce à une énergie et une exigence qui viennent contrebalancer parfois violemment la sensibilité que nous venons de mettre en évidence chez l’abbesse. L’écriture énergique d’une âme tourmentée Il est frappant, à la lecture des lettres d’Angélique Arnauld à Louise-Marie de Gonzague, de voir se succéder aux délicates protestations d’amitié, des séquences de direction spirituelle ou de récits d’événements dont le champ sémantique relève des termes les plus tranchants, durs, cruels parfois, en tout cas sans complaisance pour la condition humaine. Les mêmes thèmes reviennent avec une acuité qui varie en fonction de la gravité des événements, la Fronde et les guerres de Pologne exaspérant les sentiments et leur expression. Ainsi le néant de la vie et le jugement de Dieu sont sans cesse rappelés, le temps opposé à l’éternité. La mère Angélique use de mots et d’images souvent tirés des psaumes, où Dieu apparaît vengeur et juge implacable. La fin du monde n’est jamais loin et promet toujours d’être violente. Les descriptions des misères du royaume pendant la Fronde ont valeur universelle : les pluies ont pourri les blés presque partout. Les maladies ont été universelles et continuent encore. Enfin ce ne sont que maux extrêmes 41 . La démesure de la catastrophe finale est déjà dans les mots : le fléau de la guerre remplit tous les sens d’horreur. Cependant ce n’est qu’une petite figure de la vengeance que Dieu prendra un jour des pêcheurs, quand il leur aura déclaré la guerre et qu’il aura lâché le torrent de sa colère 42 , ou nous pouvons bien dire que leur fin est très proche dans la ruine totale du monde 43 . La guerre est en effet le moment où ennemis visibles et invisibles ne font qu’un : 41 Ibid., t. 1, p. 542. 42 Ibid., t. 1, p. 561. 43 Ibid., t. 2, p. 100. <?page no="88"?> Anne-Claire Josse-Volongo 74 les soldats qui font souffrir ces maux sont la vraie figure des démons qui souffrent en faisant souffrir les autres 44 . La « misérable France » n’est qu’un « tragique théâtre où les démons exercent leur cruauté 45 ». La cruauté de la Fronde n’épargne pas les communautés religieuses, et la mère Angélique ne fait grâce d’aucun détail à la reine, comme le prouve la relation de cet épisode tragique : Un soldat mort à l’Hôtel-Dieu a confessé avec grande douleur que, de tous les horribles crimes qu’il avait commis, celui qui l’affligeait le plus était que comme il poursuivait une religieuse, elle avait monté par le moyen de la grille jusqu’au crucifix qu’elle tenait embrassé ; ce que voyant, de rage, il l’avait tuée d’un coup de fusil 46 . Le tableau peint par la mère Angélique devient apocalyptique, lorsqu’elle fait intervenir les démons au milieu des soldats : Les malheureux soldats ont tant commis de crimes, que toutes les femmes et filles de la campagne qui l’ont pu se sont sauvées en cette ville ; et la rage des démons qui veut toujours multiplier les maux faisaient que de méchantes personnes les attendaient aux portes pour, sous de belles promesses, les mener se perdre 47 . Angélique surtout est désespérée de voir des chrétiens s’entre-tuer : Les églises et les monastères sont aussi peu épargnées que si les soldats étaient des Turcs 48 . Moins violente dans son expression mais combien bien plus angoissante pour la dirigée est la conviction d’Angélique que seul un miracle peut procurer le salut à la Reine. En effet, comme tous les grands de ce monde, Louise-Marie est environnée de trop de luxe, de divertissements et de prospérité matérielle pour trouver la « voie étroite » : le chemin que [Jésus-Christ] nous a montré et qui n’est rempli que de croix, que d’humilité, que d’amour de la pauvreté, du renoncement et du mépris de soi-même, est incompatible avec les couronnes et les sceptres ; et l’alliance de choses si disproportionnées étant impossible autrement que par un miracle singulier de sa grâce, il est inutile d’en parler 49 . 44 Ibid., t. 2, p. 160. 45 Ibid., t. 2, p. 168. 46 Ibid., t.2, p. 140. 47 Ibid. 48 Ibid., t. 2, p. 210. 49 Ibid., t. 1, p. 549. <?page no="89"?> 75 Une correspondance franco-polonaise Conclusion À la lumière de ces dernières observations, on pourrait conclure que la relation épistolaire de la Mère Angélique et de la Reine de Pologne est avant tout une amitié spirituelle qui s’accommode fort bien de moyens de communication parfois défaillants et n’est pas profondément modifiée ou conditionnée par la séparation des deux femmes. Pour la mère Angélique, la communion n’est possible et souhaitable qu’en Dieu ; l’éloignement et le dépaysement imposés à sa correspondante n’ont donc que peu d’influence sur la teneur de ses lettres. Significative est à ce titre l’évocation par la mère Angélique du voyage de la nouvelle reine vers la Pologne : loin de donner lieu à des considérations géographiques, la lettre se sert du périple européen de la reine pour la détacher un peu plus du monde terrestre : Comme toutes ces grandes provinces que Votre Majesté a passées pour arriver à son royaume lui ont peu occupé l’esprit, son cœur ne s’y attachait point ; au contraire il désirait de les quitter promptement pour arriver dans ce royaume 50 . Si la relation entre la mère spirituelle et sa royale dirigée est demeurée fort stable durant les quinze années de leur correspondance, il n’en demeure pas moins que la complexité en même temps que les progrès du transport du courrier international ont créé chez la mère Angélique des habitudes d’écriture en terme de fréquence et de discipline personnelle pour s’adapter aux départs et aux arrivées de l’ordinaire. Cette contrainte supplémentaire dans la vie déjà si réglée d’une moniale s’est peu à peu transformée, pour Angélique Arnauld, en rendez-vous amical qu’elle ne manquait pour rien au monde dans la mesure où elle y trouvait une liberté de ton et un espace d’épanchement personnel que les Constitutions ne prévoyaient pas dans la journée d’une religieuse. La mère spirituelle qu’elle était pour Louise-Marie ne tombait jamais dans la complaisance ou la dépendance affective à l’égard de sa correspondante, mais grâce à la lettre, pouvait mettre en mots des sentiments qu’on n’aurait sans doute jamais rencontrés sous la plume d’une abbesse. Les lettres à Louise-Marie sont sans doute la meilleure illustration de ce qui encore aujourd’hui attire et retient chez la mère Angélique : une conception de la vie exigeante, sans illusion, âpre parfois, mais pétrie d’une humanité qui lui valut déjà à l’époque le qualificatif de « Madame du Cœur-Royal ». 50 Ibid., t. 1, p. 312. <?page no="90"?> Anne-Claire Josse-Volongo 76 La lettre gazette Madame de Sévigné excelle dans le récit des événements parisiens survenus à la Cour ou dans les salons. À y regarder de près, les lettres d’Angélique à Louise-Marie de Gonzague se transforment parfois en petite gazette de la vie du monastère, relatant aussi bien la construction de l’église de Port-Royal de Paris, l’augmentation du nombre des sœurs au monastère, les conséquences funestes de la Fronde à Paris, le retour à Port-Royal des Champs, les miracles opérés par la sainte Épine, et même la persécution de Port-Royal, sujet sur lequel la mère Angélique s’interdit tout commentaire en général. Sous couvert d’informer Louise-Marie de Gonzague, Angélique n’en livre pas moins ses impressions et ses commentaires sur les événements, avec force et conviction. Ainsi la nouvelle église de Port-Royal de Paris suscite sa fierté : elle est aujourd’hui presque achevée et si jolie que j’en ai de la confusion. […] Elle est si bien bâtie et tellement dans l’ordre de l’architecture que tous ceux qui la voient disent que c’est un petit chef-d’œuvre 51 . Pour la communauté de Visitandines que la Reine souhaite créer à Varsovie, Angélique lui conseille de préférer les Savoyardes aux Françaises car, outre que les premières ont été instruites sur le lieu de fondation de l’ordre, les esprits de ce pays-là sont solides, bons, simples et tels que je sais que Votre Majesté aime les religieuses. Celles-là sont, ce me semble, plus propres que nous autres Françaises à l’humeur des Polonais 52 . En mars 1656, en pleine campagne des Provinciales, la mère Angélique décrit avec concision et éloquence la persécution prochaine : les préparatifs de notre persécution s’avancent tous les jours : on attend du Tibre l’eau et l’ordre pour nous submerger 53 . 51 Ibid., t. 1, p. 309. 52 Ibid., t. 1, p. 451. 53 Ibid., t. 3, p. 193. <?page no="91"?> Diffusion et réception II : bibliothèques, encyclopédies, écrits polémiques, périodiques <?page no="93"?> Biblio 17, 188 (2010) Le jansénisme dans les bibliothèques bénédictines de l’espace mosan (fin XVII e -XVIII e siècles) F ABIENNE H ENRYOT Université Nancy 2 À partir des années 1690, au plus fort de la crise janséniste, Pasquier Quesnel, figure emblématique de ce courant, figure itinérante aussi, évolue entre Paris, Liège, Bruxelles, Utrecht et il est un correspondant actif de la Congrégation bénédictine de Saint-Vanne 1 . Cet exemple éminent montre d’emblée que l’« espace mosan » a été une composante essentielle de l’histoire du jansénisme et qu’il est donc tout indiqué pour étudier les modalités de circulation et de diffusion du jansénisme. Pris au sens large, il s’agit d’un long croissant rassemblant la Lorraine, le Luxembourg, le comté de Namur, le Limbourg, la Principauté de Liège et celle de Stavelot, la Gueldre et la partie septentrionale du Brabant 2 . Le fleuve définit en effet un axe important, d’envergure européenne, dans les relations commerciales et intellectuelles entre Lorraine, Pays-Bas méridionaux et principauté de Liège aux temps modernes 3 . Les travaux de René Taveneaux 4 et les réflexions critiques qu’ils ont suscitées de la part de Pierre Chaunu ont mis en évidence l’existence, à cette époque, 1 Lucien Ceyssens, « Quesnel à Bruxelles (1685-1703) », Augustiniana, vol. 44, n° 1-2 (1994), p. 137-176. Pour les liens entre Quesnel et la Lorraine, voir René Taveneaux, Le jansénisme en Lorraine, 1640-1789, Paris, Vrin, 1960, p. 163. 2 Voir sur cette définition les propositions de quelques historiens, belges notamment : Camille-Jean Joset, Les institutions religieuses, Répertoire Meuse Moselle, III, Namur, 1980 (recension des maisons religieuses comprises entre Metz et Maastricht) ; Alfred Mincke, Entre Meuse, Rhin et Moselle, Turnhout, Brepols, 1992 ; sur un sujet plus proche du nôtre : Jean-Claude Muller (dir.), Topographie des bibliothèques entre Meuse, Moselle et Rhin, de Gutenberg à Napoléon, Actes du colloque d’Echternach, 7-9 octobre 2004, à paraître. 3 Philippe Martin, « Lorraine et Pays-Bas : des liens politiques à la prospérité économique », in Philippe Guignet (dir.), Les Trente Glorieuses, Actes du colloque de Lille, mars 2007, à paraître. 4 René Taveneaux, op. cit., p. 725. <?page no="94"?> Fabienne Henryot 80 d’une « frontière de catholicité 5 » qui a été fondamentale pour l’expansion du jansénisme. Il s’agit donc bien, à l’époque moderne, d’un espace vécu par les hommes qui l’habitent. C’est aussi un espace où le livre circule, et en particulier le livre janséniste, le long d’un axe reliant Amsterdam et Nancy, où Liège est un pivot de ce commerce pas toujours licite. Or, René Taveneaux avait souligné l’importance du réseau monastique dans le développement de cette pensée entre Meuse et Moselle. Trente-deux abbayes, trente-quatre prieurés de l’ordre de Saint-Benoît sont présents dans cet espace à la fin du XVII e siècle. Ces maisons ont joué un rôle déterminant, on le sait, dans le débat sur la grâce et la querelle née autour de la bulle Unigenitus. Il s’agit ici de déterminer la tonalité exacte du jansénisme dans des maisons actives - à des degrés divers - dans la réflexion et plus encore dans la polémique janséniste. Or, c’est certainement pour les maisons bénédictines que l’habitude de dresser des inventaires des bibliothèques a été la plus fréquente et aussi la plus précise. Dans cet espace mosan, on en compte une dizaine 6 , totalisant des milliers de volumes. Nous avons retenu pour cette étude un document contemporain du jansénisme port-royaliste, celui de Saint-Hubert d’Ardenne, rédigé en 1665 7 , et un catalogue contemporain de la querelle née autour de la bulle Unigenitus, celui de Lay-Saint-Christophe (1716) 8 . Enfin, deux documents rédigés à huit ans d’écart permettent de dresser un bilan du jansénisme à la fin du XVIII e siècle. Ce sont ceux de Saint- Mihiel (diocèse de Verdun) en 1779 9 et de Saint-Jacques de Liège, en 1788, dressé au moment de la sécularisation de l’abbaye 10 . Cette amplitude chrono- 5 Pierre Chaunu, « Jansénisme et frontière de catholicité (XVII e et XVIII e siècles). À propos du jansénisme lorrain », in Revue historique, fasc. 241, 1960, p. 115-138. 6 Saint-Hubert d’Ardenne (1665) ; Saint-Jacques de Liège (1667) ; Lay-Saint-Christophe (1716) ; Saint-Laurent de Liège (début XVIII e siècle) ; Mouzon (vers 1760) ; Saint-Mihiel (1779) ; Saint-Jacques de Liège (1788). 7 Arch. État Saint-Hubert, FASH, n° 1537 : Catalogus librorum Monasterii Sancti Huberti in Ardenna, anno Domini 1665 conscriptus. Ce catalogue a été publié par Luc Knapen (éd.), La bibliothèque de l’abbaye de Saint-Hubert en Ardenne au XVII e siècle, Louvain, Bibliotheek van de Faculteit der Godgeleerdheid, 1999, 2 vol. 8 Arch. départementales de Meurthe-et-Moselle, H 214 : Catalogus omnium bibliothecae Monasterii S. Clodulpho de Laïo confectus Mense Augusto 1716. Pour une approche de ce document, voir Fabienne Henryot, « Dom Calmet lecteur », Fabienne Henryot et Philippe Martin (dir.), Dom Augustin Calmet (1672-1757). Un itinéraire intellectuel, Paris, Riveneuve, 2008, p. 105-117. 9 Bibl. municip. Saint-Mihiel, ms. 79 : Prospectus systematis bibliographici, 4 vol. 10 Catalogue des livres de la bibliothèque de la célèbre ex-abbaye de Saint-Jacques à Liège, dont la vente se fera publiquement au plus offrant sur les cloîtres de la dite ex-abbaye, le 3 mars 1788 et jours suivants…, [Liège], [1788]. <?page no="95"?> 81 Le jansénisme dans les bibliothèques bénédictines logique permet d’approcher l’évolution non pas du jansénisme dans les bibliothèques bénédictines, mais de la perception que les religieux ont eu de ce débat. Ce genre d’étude n’est pas nouveau. Les travaux de René Taveneaux n’ont pas omis l’examen des collections bénédictines. Des enquêtes plus récentes ont cherché à élucider la question du jansénisme au prisme des bibliothèques monastiques 11 . Toutes ces études ont buté sur une question de méthode, celle de savoir comment définir précisément le « livre janséniste ». Le livre janséniste : essai de définition Selon les observateurs, les époques, les critères retenus, les frontières du jansénisme peuvent varier. Dans l’historiographie également, elles n’ont cessé de s’étendre, du jansénisme port-royaliste au sens strict, jusqu’aux problèmes politiques du gallicanisme et de l’ultramontanisme 12 . Les principaux intéressés, hommes du XVII e et du XVIII e siècle mêlés au débat, disaient leur agacement quant à l’utilisation d’un terme aussi élastique et chargé de connotations polémiques. Les bibliographies jansénistes ne manquent pas et fournissent un premier point d’entrée. Le P. Colonia, au milieu du XVIII e siècle, recense mille soixante-seize « pernicieux écrits que le Parti ne cesse de produire », montrant que le jansénisme fut aussi une guerre de papier 13 . L’auteur est jésuite, et l’ouvrage est tout entier traversé par une intention polémique. Cette définition ne peut ici convenir, puisqu’il nous est indispensable de tenir compte aussi des livres antijansénistes. Le répertoire de L. Willaert, tout aussi consi- 11 Marie-Hélène Froeschlé-Chopard, « Le jansénisme dans la bibliothèque des Oratoriens de Marseille », Port-Royal et l’Oratoire. Chroniques de Port-Royal, 50, 2001, p. 383-411 ; de la même, « Le jansénisme dans la bibliothèque des Mauristes de Bonne-Nouvelle d’Orléans », L’Ordre de Saint-Benoît et Port-Royal. Chroniques de Port Royal, 52, 2003, p. 67-87. Damien Blanchard, « La réception du jansénisme dans l’abbaye de Saint-Fuscien au Bois (Somme). Étude de sa bibliothèque », L’Ordre de Saint-Benoît […], op. cit., p. 89-118. 12 Lucien Ceyssens, « Que penser finalement de l’histoire du jansénisme et de l’antijansénisme ? », Revue d’Histoire ecclésiastique, 1993, vol. 88, n° 1-2, p. 108-130. Sur les développements et les mutations du jansénisme au XVIII e siècle, et les problèmes historiographiques, voir Catherine Maire, De la cause de Dieu à la cause de la Nation. Le jansénisme au XVIII e siècle, Paris, Gallimard, 1998. 13 Dominique de Colonia, Louis Patouillet, Dictionnaire des livres jansénistes, ou qui favorisent le jansénisme, Anvers, J.-B. Verdussen, 1752-1755, 4 vol. <?page no="96"?> Fabienne Henryot 82 dérable, n’évoque pas davantage les critères de délimitation du jansénisme 14 . Aussi, au lieu de partir de la définition de l’historien ou du bibliographe, il est préférable de considérer la définition proposée par le bénédictin du XVIII e siècle, dans laquelle tient aussi la perception qu’il a de ce phénomène, cette subjectivité étant, pour nous, signifiante. Les moines de Saint-Mihiel, justement, nous en donnent une définition originale. En 1779, au moment où, dans la Congrégation bénédictine de Saint-Vanne, le jansénisme ne survit plus que discrètement et est devenu un choix individuel 15 , le bibliothécaire en charge à l’abbaye élabore un plan de classement des ouvrages qui dit clairement comment s’articule alors dans l’esprit d’un bénédictin lorrain l’étude des dogmes de l’Église. La série G du catalogue est consacrée à la théologie et elle se subdivise en une multitude de sections et sous-sections qui font très clairement référence au jansénisme et à ses principaux acteurs. Les huit cent quatre-vingt-treize titres qui y sont dénombrés sont rangés par format, selon l’usage, mais chaque format se divise à son tour en rubriques et sous-rubriques qui font apparaître une construction intellectuelle très significative dans laquelle le jansénisme a visiblement servi de critère pour associer des ouvrages dans une même rubrique. Premier signe que ce classement a été engendré par un siècle de réflexion janséniste à Saint-Mihiel : la rubrique centrale, dans tous les formats, s’intitule Gratia et se divise en traités historiques et traités dogmatiques, sections qui font apparaître une historicisation de la polémique janséniste. En outre, le bibliothécaire met en évidence un lien entre la théologie polémique suscitée par la Réforme (discussion sur l’Eucharistie et sur la prédestination notamment) et celle suscitée par le jansénisme - lien qui avait été perçu par les premiers jansénistes, notamment Arnauld et Nicole, travaillant pendant la paix de l’Église à des écrits de controverse antiprotestante 16 . Signe aussi que le jansénisme est compris dans un sens large, et avec ses implications concrètes, la théologie morale, qui suit les traités sur la grâce est explicitement mise en lien avec eux. Enfin, parmi les in-8°, livres les plus nombreux, une fragmentation plus précise des rubriques centre la théologie 14 Léopold Willaert, Bibliotheca Janseniana Belgica. Répertoire des imprimés concernant les controverses théologiques en relation avec le jansénisme dans les Pays-Bas catholiques et le Pays de Liège aux XVII e et XVIII e siècles, Namur, Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres, 1949. 15 René Taveneaux, op. cit., p. 671 : à la fin du XVIII e siècle, le jansénisme « a perdu l’élan primitif suscité par les Académies, les réseaux de propagande puis les appels ; ses structures se sont relâchées : de mouvement il est devenu état ». 16 Par exemple, Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La perpétuité de la foy de l’Eglise catholique touchant l’Eucharistie, Paris, s.n., 1669. <?page no="97"?> 83 Le jansénisme dans les bibliothèques bénédictines sur le jansénisme, avec des sous-rubriques aux intitulés évocateurs : de Jansenio, Unigenitus, Causa arnaldina, Causa Quesnelli, Casus conscientiae… De la sorte, la construction de ce catalogue nous livre une définition positive du « livre janséniste ». Celui-ci s’enracine dans un climat polémique et s’en ressent ; il est lu comme tel par les religieux. C’est le plus souvent un livre de petit format, donc de terrain plus que de bibliothèque 17 , qui est lié aux thèses de Jansen, d’Arnauld et de Quesnel, qui discute la bulle Unigenitus, le molinisme, et jusqu’à la morale des Jésuites. Il est en outre une réalité visible, au moins à la fin du XVIII e siècle. À Saint-Mihiel, topographiquement, il occupe une place précise dans l’espace de la bibliothèque, une armoire bien déterminée. De même à Liège, dans le catalogue dressé préalablement à la vente des livres, les ouvrages jansénistes sont facilement repérables du fait de l’astérisque qui les accompagne presque systématiquement et qui désigne les livres mis à l’Index, « qui se vendront séparément », dans une principauté où les évêques avaient sévèrement prohibé cette doctrine. À Lay, en 1716, la plupart de ces livres sont classés, du fait de leur aspect matériel, parmi ces « brochures » où sont regroupés sous une même reliure des écrits variés, mais sur un même sujet. Tenant compte de la dimension polémique de ces imprimés, se répondant les uns aux autres, les religieux de Lay les ont réunis en tenant compte de ce jeu de réponses 18 . Mais ces exemples tous du XVIII e siècle témoignent aussi d’un recul sur les événements. À Saint-Hubert un siècle plus tôt, les livres jansénistes ne sont pas identifiés comme tels par les religieux, qui les mêlent aux autres ouvrages de théologie. Pour un bénédictin, donc, le jansénisme est d’abord une affaire de théologie, et c’est sur ce terrain privilégié que se situe le débat. On a alors choisi de fonder cette étude exclusivement sur la section « théologie » des quatre bibliothèques 19 . On trouverait certes des livres jansénistes en droit canon, notamment des traités sur l’infaillibilité pontificale ; au rayon des Écritures saintes, avec le Nouveau testament de Mons et la Bible de Sacy ; et parmi les auteurs ascétiques véhiculant une spiritualité originale, empreinte de rigueur 17 À Saint-Mihiel, 64,6% des titres sont des in-8° ou plus petits ; la tendance est plus forte encore à Saint-Jacques (76,3%) et à Lay (82%). 18 Cette habitude de placer côte à côte des auteurs antagonistes n’est pas singulière ; elle est visible aussi, par exemple, chez les Mauristes de Bonne-Nouvelle à Orléans, en particulier dans la section janséniste de la Théologie. Voir M.-H. Froeschlé-Chopard, art. cit., p. 79. 19 Une section artificielle dès que l’on quitte Saint-Mihiel. Pour obtenir des groupes comparables, on a dû regrouper à Saint-Jacques la Théologie dogmatique, catéchétique et polémique (p. 193-204 du catalogue) et la Théologie scolastique (p. 204-214). À Lay, on a pris en compte les Theologi et les brochures ; à Saint-Hubert, les sections Scolastici, Casuistae et Controversistae. <?page no="98"?> Fabienne Henryot 84 morale. Cette restriction à la seule théologie permet au moins de contenir le jansénisme dans des limites bien déterminées : une affaire d’Église plus que d’individus, une affaire de doctrine plus que de mode de vie. Or, au sein de la rubrique « Théologie », le livre janséniste occupe dans nos quatre bibliothèques une place variable. À nouveau, on doit tenir compte des distorsions produites par la chronologie de rédaction de nos catalogues. Dans un premier temps, les religieux de Saint-Hubert n’ont pas manifesté une grande curiosité à l’égard de la querelle janséniste (5,8% de la section Théologie). En 1665, ils ont seulement un exemplaire de De la Fréquente communion d’Antoine Arnauld. De toute façon, dans cette bibliothèque en 1665, le poids des livres accumulés depuis près de deux siècles est trop considérable pour que le jansénisme, querelle naissante, puisse concurrencer le thomisme fondant l’enseignement officiel à l’abbaye. Cinquante ans plus tard, à Lay, le jansénisme semble au contraire susciter une certaine effervescence (52,2% des titres de théologie). La bibliothèque de ce prieuré vient d’être été constituée à partir des livres personnels de dom Augustin Calmet, de retour d’un long séjour à Paris (1706-1716) durant lequel il a été aussi l’informateur de la Congrégation bénédictine de Saint- Vanne sur les questions liées au jansénisme, pour lequel il avait pris parti. À la fin du XVIII e siècle, enfin, la proportion passe du simple au double entre Saint-Jacques, peu attirée par ce débat (16,3%), et Saint-Mihiel, où la question domine toutes les autres (30,2%) et particulièrement, chose rare, la controverse antiprotestante (22,3%). Enfin, dans cette bibliothèque, le jansénisme représente aussi, toutes sections confondues, 30% des volumes, signe que la rubrique « Théologie » est parfaitement représentative de l’ensemble du fonds. Ces chiffres traduisent sinon des engagements explicites, au moins une curiosité indiscutable pour cette question, partagée, à des degrés divers, par tous les établissements bénédictins 20 . Il y a donc eu en Lorraine un intérêt plus marqué pour le jansénisme. En effet, à partir de 1679, et à nouveau en 1705, la Congrégation avait donné à ses abbayes une ligne théologique faisant clairement référence à l’augustinisme 21 . Les abbayes et les prieurés étaient approvisionnés en livres en fonction de l’enseignement officiel demandé par les chapitres généraux. Il serait cependant réducteur de voir la construction des bibliothèques comme un mouvement qui se serait opéré du haut vers le bas, sans demande aucune des religieux. Cette demande a existé ; la correspondance de dom Calmet, au 20 À Saint-Nicolas de Port, au XVIII e siècle, 20% des livres des « sciences sacrées » sont relatifs au jansénisme. Voir Gérard Michaux, « Les bibliothèques de l’ordre de saint Benoît en Lorraine au XVIII e siècle », François-Yves Lemoigne (dir.), Patrimoine et culture en Lorraine, Metz, Éditions Serpenoise, 1980, p. 475. 21 René Taveneaux, op. cit., p. 159-131. <?page no="99"?> 85 Le jansénisme dans les bibliothèques bénédictines début du XVIII e siècle, en témoigne, et particulièrement les lettres échangées avec son confrère dom Matthieu Petitdidier, réclamant des livres pour son instruction et celle des ses confrères 22 . Cela pose donc la question des modalités de pénétration de ces livres jansénistes dans les cloîtres, et pour quel usage. Jansénisme et constitution des bibliothèques Il y a probablement eu - au moins à Saint-Mihiel - une politique d’acquisition réfléchie et visant la constitution d’un fonds janséniste aussi actuel que possible, à partir des années 1680. Mais la personnalité des pourvoyeurs en livres est en définitive la principale explication des différents profils et des chronologies divergentes des quatre bibliothèques étudiées. À Saint-Mihiel, où on dispose non seulement du catalogue, mais aussi des livres, conservés dans leurs rayonnages d’origine, l’examen des ouvrages montre que le hasard (peut-être savamment encouragé) a pu aussi jouer un rôle déterminant dans la configuration de la bibliothèque. L’Augustinus, que les religieux de Saint-Mihiel sont les seuls de nos quatre abbayes à posséder 23 , leur a été cédé par le Cardinal de Retz, frondeur exilé à Commercy, entretenant avec l’abbaye de Saint-Mihiel toute proche un commerce intellectuel assez soutenu et qui leur revend en 1675 une partie de sa bibliothèque 24 . L’ouvrage porte une remarquable reliure aux armes de la famille de Gondi. Ce transfert est ambigu, car le Cardinal de Retz n’était pas un janséniste. Il nous signale en outre que la parution des livres et leur entrée à la bibliothèque ne sont pas nécessairement concomitantes. À Lay Saint-Christophe, il est possible de distinguer dans le catalogue, les livres offerts par dom Calmet lors de sa prise de possession du prieuré en 1716, de ceux qui s’y trouvaient déjà avant sa venue, ou qui furent achetés après son priorat. Dom Calmet, durant les dix années passées à Paris, avait particulièrement fréquenté l’abbé Duguet. Or, de livres jansénistes, il n’y en avait point à Lay avant le début du XVIII e siècle. Dom Calmet rapporte de Paris 55 ouvrages ou libelles relatifs au jansénisme et particulièrement à 22 Correspondance conservée à la Bibl. diocésaine de Nancy, MB 59. 23 Cornelii Jansenii Yprensis Episcopi Augustinus seu doctrina Sancti Augustini de humanae naturae sanitate, aegritudine, medicina adversus Pelagianos et Massiliensis tribus tomis comprehenda, Paris, 1641, coté G 325-326 (aujourd’hui G 1087-1088). 24 Michel Pernot, « Le cardinal de Retz et les bénédictins vannistes », Philippe Martin et Noël Cazin (dir.), Autour de la Congrégation de Saint-Vanne. L’idée de réforme religieuse en Lorraine, Actes du colloque de Verdun, 2-3 octobre 2004, Bar-le-Duc, Société des Lettres, Sciences et Arts, 2006, p. 124. <?page no="100"?> Fabienne Henryot 86 Quesnel et à la bulle Unigenitus. Après son priorat, seule l’Histoire du cas de conscience arrive au prieuré, et six pièces concernant la bulle. Le jansénisme de la maison, quoique massif, n’est peut-être en définitive que celui de dom Calmet ; c’est un jansénisme fondé sur les faits les plus récents, c’est-à-dire l’agitation provoquée par la bulle Unigenitus, au détriment des fondements plus anciens du jansénisme. On ne trouve dans cette bibliothèque aucun livre d’Antoine Arnauld, mais cinq de Quesnel et une foule de brochures sur la bulle et l’appel. Et en 1730, dom Calmet change ses vues et se met alors à combattre le jansénisme. Il s’agit donc d’un épisode bref, quoique virulent. À Saint-Hubert, à la fin du XVIII e siècle, quelques livres frappés de l’exlibris de dom Nicolas Spirlet, religieux à la vie aventureuse et dernier abbé de Saint-Hubert, arrivent à l’abbaye. Parmi eux, trois recueils factices de documents sur la bulle Unigenitus et sur l’appel, et la Causa Quesnelliana d’Humbert Precipiano, évêque de Malines (Bruxelles, 1704). Outre que ces livres arrivent bien tard à l’abbaye, ils ne permettent pas de faire de dom Spirlet un janséniste. Ses écrits personnels, et notamment sa correspondance sont tout à fait neutres à ce propos 25 . Il est donc difficile de donner un sens précis à la présence de ces livres à l’abbaye à la fin du XVIII e siècle. Mais les choix individuels ont donc compté autant que la communauté dans la constitution de ces bibliothèques. En outre, la pénétration des livres jansénistes s’est parfois faite avec lenteur. C’est particulièrement vrai à Saint-Hubert, ce qui corrobore le profil fort peu janséniste de cette bibliothèque. Le catalogue, dressé en 1665, fut mis à jour jusqu’à une date inconnue, sans doute le milieu du XVIII e siècle, quand un nouveau catalogue, égaré celui-là, fut rédigé. L’examen de la succession d’écritures différentes dans le catalogue, couplée à l’étude des marques manuscrites dans les livres provenant de l’abbaye, permet de rétablir la chronologie de la pénétration des livres jansénistes dans cette maison. En 1665, les religieux possédaient seulement une édition non décrite de La Fréquente communion d’Antoine Arnauld, occurrence qui ne signifie rien en tant que telle. En revanche, les bibliothécaires suivants, au tournant des XVII e -XVIII e siècles, ajoutent de nouveaux livres plus clairement liés au jansénisme. Ce sont d’autres œuvres d’Arnauld et celles de Gommaire Huygens, professeur de théologie à Louvain, dont les thèses rigoristes, développées dans son Methodus remittendi et retinendi peccata (ici dans l’édition de 1686), avaient déclenché aux Pays-Bas une violente campagne contre les jansénistes. Ce sont aussi des acquisitions rétrospectives : au moment où les 25 Frédérick Vanhoorne, « L’empreinte des Lumières dans le Luxembourg : les curiosités intellectuelles de dom Nicolas Spirlet, dernier abbé de Saint-Hubert (1715-1794) », Bulletin de Dexia Banque, 212, 2000, p. 109-123. <?page no="101"?> 87 Le jansénisme dans les bibliothèques bénédictines religieux achètent ces livres, ils sont parus depuis près de vingt ans. C’est le cas, par exemple, de la Tradition de l’Eglise sur le sujet de la pénitence et de la communion d’Arnauld (Paris, 1644). Quesnel, en revanche, est boudé, et il ne semble pas au cours du XVIII e siècle que les religieux de Saint-Hubert aient possédé ses œuvres. Dans le domaine de la théologie morale, ils font aussi entrer quelques ouvrages contre le probabilisme, la Théologie morale de Grenoble en particulier, mais aussi son antithèse comme les Propositiones de Nicolas Du Bois (Louvain, 1666). D’une manière générale, livres pour (61,1%) et contre le jansénisme s’y équilibrent. En somme, les ouvrages conservés à l’abbaye de Saint-Hubert à la fin du XVII e et au début du XVIII e siècle, ne témoignent pas d’une prise de position claire ; tout juste d’une prudente curiosité. Reste à savoir si ces livres ont été lus et assimilés. À Saint-Hubert, l’existence d’un registre d’emprunts pour le début du XVIII e siècle 26 permet de répondre à cette question. La lecture à l’abbaye est assez surveillée, et seul l’abbé délivre les autorisations de prêt. Un très petit nombre de titres est proposé à la lecture des religieux, titres qui circulent d’une cellule à l’autre et qui composent le fonds véritablement vivant de la bibliothèque. Et celui-ci est très peu marqué par le jansénisme. Certes, les explications des différents livres de la Bible par Lemaître de Sacy ont un certain succès 27 , et l’abbé luimême, en 1730, en renferme une série complète dans son appartement 28 ; la Morale de Grenoble est lue par plusieurs religieux 29 ; le Nouveau testament en françois avec des réflexions morales passe d’un frère à l’autre avec la bénédiction de l’abbé 30 . Mais ces livres sont aussi possédés par toutes les maisons religieuses au XVIII e siècle, et leur présence dans le registre des emprunts n’est pas très significative. Les religieux sont aussi invités à travailler la théologie de Juenin 31 . On ne trouve cependant pas de livre de polémique, qui 26 Arch. État Saint-Hubert, FASH, n° 1539. 27 Dom Benoist lit les Psaumes de David avec l’explication des Saints Pères et l’Apocalypse ; dom Matthieu lit aussi l’Apocalypse et dom Blaxide, « Sacy sur les Pseaumes et les Cantiques et les Epîtres catholiques ». Frère Philippe détient « Job avec l’explication par Sacy ». 28 Arch. État Saint-Hubert, FASH, n° 1538 : Répertoire des livres qui se trouvent dans la chambre de Monsieur le Révérendissisme abbé seigneur de Saint-Hubert, 1730. 29 Dom Martin, dom Robert, dom Thomas, frère Jean, frère Barthélémy ; hormis dom Robert qui a emprunté les six volumes en même temps, les autres n’en lisent qu’un ou deux tomes à la fois, généralement le 6 e . 30 Dom Célestin, dom Odon, dom Martin Tissier, frère François. 31 Sans doute les Institutiones theologicae ad usum seminarorium ou le Compendium. « Le jansénisme, quoique déguisé avec quelque art, s’y rencontre à chaque instant ; tout y est semé de propositions entortillées, captieuses et tendantes à renouveler les erreurs condamnées » en dit l’auteur du Dictionnaire des livres jansénistes…, op. cit., t. II, p. 267. <?page no="102"?> Fabienne Henryot 88 dénoterait un intérêt plus marqué pour la crise qui empoisonne l’Église dans ces premières années du XVIII e siècle, hormis les Opera de Martin Steyaert, empruntées par frère Simon. Ainsi, les bibliothèques monastiques telles qu’elles se présentent à la fin du XVIII e siècle sont constituées de strates superposées qui donnent à voir des engagements parfois périmés, mais dont on a conservé la mémoire. C’est ce qu’on peut voir à Saint-Jacques de Liège et à Saint-Mihiel. Saint-Jacques de Liège et Saint-Mihiel : deux profils différents Une cartographie des réseaux jansénistes autour de la Lorraine 32 met en évidence un axe qui subsiste jusqu’à la fin du XVIII e siècle et qui relie la « Meuse lorraine » (Toul, Saint-Mihiel, Verdun) à Utrecht et Amsterdam, où les presses typographiques tournaient beaucoup en faveur des jansénistes. Liège fait figure de relais dans cet axe. L’importance du flux de livres donne à penser que les abbayes liégeoises et lorraines ont eu, au moins en principe, les mêmes possibilités d’accès à ces livres. Or, ce n’est pas le cas, signe de choix et de rejets. À Saint-Mihiel, le jansénisme s’enracine dans une histoire d’affrontements dogmatiques autour de la question de la grâce. Les religieux se sont procuré des ouvrages antérieurs au jansénisme proprement dit, mais qui portent en germe ce débat, comme le traité de Baïus par exemple 33 , ou de Lessius. Le lien entre Baïus et Jansénius est clairement identifié, puisque c’est la réédition de ses œuvres de 1691 qu’ils possèdent, celle qui fut préparée par dom Gerberon, mauriste. Alors que les religieux de Saint-Hubert, en 1665 possèdent aussi Baïus, mais dans une édition du XVI e siècle sans lien direct avec la querelle janséniste. Les bénédictins de Saint-Mihiel ont donc contextualisé cet affrontement, et ont cherché à comprendre les raisons de son émergence au milieu du XVII e siècle. Ce n’est pas le cas à Saint-Jacques, où la présence des livres jansénistes et anti-jansénistes semble motivée par des préoccupations plus immédiates, déconnectées des racines de ce débat. La pensée janséniste, dès lors, y paraît moins construite, plus diluée dans une autre tradition théologique. À Saint-Mihiel, la répartition des titres par date d’édition fait apparaître une volonté de suivre au plus près l’actualité ; la sédimentation des ouvrages à la veille de la Révolution suit très précisément la chronologie du conflit. 12,6% des titres sont publiés entre 1641 et 1660 soit au lendemain de la 32 René Taveneaux, op. cit., p. 574. 33 Michaelis Baii Theologi opera…, Cologne, 1691. <?page no="103"?> 89 Le jansénisme dans les bibliothèques bénédictines parution de l’Augustinus et de ses retombées immédiates. Les vingt années suivantes, celles de la paix de l’Église, sont moins bien représentées, puis les éditions sont plus nombreuses pour les années 1681-1700 (23,3%) et 1701-1721 (33,7%), avant de faiblir dans les années suivantes, lorsque le débat théologique retombe. Cette chronologie est très proche de celle des livres recensés par L. Willaert, signe que nos Bénédictins ont vraiment suivi le débat avec acuité. Cette répartition des éditions suit, avec un léger décalage, l’implication de l’abbaye de Saint-Mihiel dans le jansénisme. On retrouve la phase essentielle du séjour de dom Hilarion Monnier à Saint-Mihiel (1678-1685), après son séjour à Paris, où il avait rencontré Arnauld, Nicole et Duguet. C’est lui qui introduisit véritablement le débat à Saint-Mihiel 34 . La présence des Nouvelles ecclésiastiques ou mémoires pour servir à l’histoire de la constitution Unigenitus, au moins des livraisons de 1728 à 1740, laissent entrevoir pour ces religieux la volonté de suivre au plus près l’évolution au jour le jour du conflit 35 . Le fait que les religieux aient abandonné leur abonnement à partir de 1740 permet de situer à cette date le début du déclin de la polémique à Saint-Mihiel, ce qui concorde avec les dates d’édition des livres conservés à la bibliothèque. Vers 1780, ces religieux conservent la mémoire de tous les épisodes liés à la crise janséniste, alors que ceux de Saint-Jacques possèdent presque exclusivement des livres des années 1681-1700. Ces livres se regroupent autour de trois points forts. D’abord l’affrontement autour des Provinciales de Pascal et les multiples réponses et apologies qu’elles ont suscitées ; ensuite, les textes de Quesnel (huit textes) tous édités dans les années où Quesnel séjournait à Bruxelles (1685-1703) et où il était parvenu à mettre en place, à Liège, un réseau efficace de correspondants diffusant sa pensée - réseau dont il convient de préciser que les Bénédictins de Saint-Jacques comme ceux de Saint-Laurent étaient absents 36 . Enfin la controverse née autour de Martin Steyaert, théologien de Louvain, qui avait participé à la députation envoyée à Rome pour obtenir la condamnation des thèses laxistes. Une controverse l’avait opposé à Antoine Arnauld à partir de 1687, et Steyaert s’est distingué aux Pays-Bas 34 René Taveneaux, op. cit., p. 143-147. Sur Hilarion Monnier et ses publications, voir Jean Godefroy, Bibliothèque des Bénédictins de la Congrégation de Saint-Vanne et de Saint-Hydulphe, Paris, A. Picard et fils, 1925, p. 147-149. 35 Les Nouvelles ecclésiastiques paraissent régulièrement à partir de 1728 et jusqu’à la Révolution. Voir Madeleine Foisil, Françoise de Noirfontaine et Isabelle Flandrois, « Un journal de polémique et de propagande : les Nouvelles ecclésiastiques », Histoire, économie, société, vol. 10, n° 3 (1991), p. 399-420. 36 Estelle Duchesne, Contribution à la définition du jansénisme à Liège, mémoire de Licence, Liège, ULG, 1999. <?page no="104"?> Fabienne Henryot 90 par sa lutte contre les jansénistes de l’Université 37 . Les religieux liégeois n’ont qu’un livre publié après 1736, celui-ci étant d’ailleurs un ouvrage de Steyaert. On ne trouve nul écho des derniers soubresauts du jansénisme dogmatique, alors qu’à Saint-Mihiel, après cette date, l’abbaye se procure encore une vingtaine d’ouvrages, dont ceux relatifs aux convulsionnaires 38 . Cette différence entre les deux abbayes s’explique en partie par des contextes contraires. À partir de l’année 1725 et de l’épiscopat de Georges- Louis de Berghes à Liège, la lutte du pouvoir contre le jansénisme est sans merci et le prince-évêque s’emploie à réduire tous les foyers de jansénisme qui demeurent dans son diocèse : certaines cures, et surtout l’abbaye du Val des Écoliers, qui doit se soumettre en 1738 39 . À partir de cette date, au pays de Liège, le jansénisme n’est plus le fait d’un groupe. La sévérité de l’action de Berghes et de son prédécesseur Joseph-Clément de Bavière explique sans doute en partie le désintérêt des religieux de Saint-Jacques, soucieux de ne pas déplaire au pouvoir. Alors qu’en Lorraine à la même période, le jansénisme est toujours présent ; il change simplement de ton et il est toléré, jusqu’à la Révolution, du moment qu’il n’est pas tapageur. Ainsi, d’un bout à l’autre de l’axe mosan, les bénédictins ont rejoint, selon leur cœur ou leurs possibilités, les théories du pouvoir ou celles des jansénistes. Ces différences de choix expliquent aussi que pour ces deux bibliothèques, l’impact des échanges entre Nord et Sud n’ait pas été égal. Les bénédictins de Saint-Mihiel possèdent onze éditions liégeoises (6,5%) signe qu’il y a eu circulation des livres tout au long de l’axe défini par la Meuse ; ce sont essentiellement des livres de Gommaire Huygens 40 , de Pasquier 37 E. Amann, « Steyaert, Martin », A. Vacant et E. Mangenot (dir.), Dictionnaire de Théologie catholique, Paris, 1941, Letouzey et Ané, t. XIV, col. 2615-2616. 38 Recueil des miracles de M. de Pâris, diacre, Utrecht, s.n., 1733 et B. DOYEN (attribué à), Vie de monsieur de Pâris diacre au diocèse de Paris avec les requêtes des curés, Utrecht, 1732 ; L.-B. CARRE de MONTGERON, La vérité des miracles opérés par l’intercession de M. de Paris démontrées contre M. L’archevêque de Sens, Utrecht, 1737. Notons que ces deux ouvrages sont intégrés à la section « Gratia - Pars historica » de la théologie, signe que les religieux voient dans ces incidents un développement anecdotique et circonstanciel du jansénisme, et non plus un renouvellement dogmatique. 39 À cette occasion, l’examen de sa bibliothèque montre une grande quantité d’ouvrages jansénistes et anti-constitutionnaires. Voir Françoise Mottard, Contribution à l’histoire de l’abbaye du Val-des-Ecoliers de Liège aux XVII e et XVIII e siècles, mémoire de Licence, Liège, ULG, 1972, p. 129-135. 40 Gommaire Huygens, Responsio Gummori Huygens Lovaniensis ad accusationes contra se allegatas (…), H. Hoyoux, Liège, 1694 et Breves observationes de doctrina sacra et locis theologicis (…), H. Hoyoux, Liège, 1694. <?page no="105"?> 91 Le jansénisme dans les bibliothèques bénédictines Quesnel 41 et du carme Henri de Saint-Ignace 42 et elles sont toutes groupées autour de 1700. En quoi, d’ailleurs, l’édition liégeoise rend compte des accointances à Liège de Quesnel et d’Henri de Saint-Ignace dans les dernières années du XVII e siècle. Les bénédictins de Saint-Jacques, qui auraient eu un accès facilité à ces mêmes livres, ont faiblement profité de l’offre locale : ils disposent de trois livres imprimés dans leur ville - à nouveau Quesnel 43 et Henri de Saint-Ignace 44 . Ils ont donc suivi avec une certaine régularité les interdits promulgués par les princes-évêques en ce domaine. Même l’activisme des premiers temps, des années 1640 et 1650 déployé par les liégeois proches de Cornélius Jansen, ne les a pas touchés, alors qu’il avait atteint le diocèse de Verdun en Lorraine, dès 1650 45 . Ces mêmes livres, pourtant venus de Liège, ne se trouvent pas à Saint-Jacques. En conséquence, le jansénisme de la bibliothèque de Saint-Mihiel et celui de Saint-Jacques n’ont pas la même teneur. À Saint-Mihiel, il s’agit d’un jansénisme universel, né de l’Augustinus et qui s’en réclame, renouvelé par Quesnel et cristallisé par la violence des prises de positions autour de la bulle Unigenitus. C’est à Saint-Mihiel qu’avait eu lieu en 1716 le chapitre général de la Congrégation au cours duquel les cent vingt religieux lorrains présents avaient manifesté des vues communes contre la bulle. De l’examen des titres il ne résulte pas une particulière faveur pour les jansénistes lorrains qui se sont illustrés dans la polémique. Certes, les religieux possèdent les traités de Thomas de Lemos dans l’édition préparée par le Lorrain et grand bagarreur dom Thierry de Viaixnes 46 , ouvrages qui accusaient les jésuites de semi-pélagianisme. Ils ont ceux de Louis Habert, qui avait été leur « voisin », lorsqu’il enseignait la théologie au séminaire de Verdun : trois titres 47 de ce théologien, 41 Pasquier Quesnel, Causa arnaldina seu Antonius Arnaldus, … vindicatus suis ipsius aliorumque scriptis…, Liège, 1690 ; Justification de M. Arnauld…, Liège, H. Hoyoux, 1702 et Recueil de quelques pièces concernant la mort de M. Arnauld, Liège, s.n., 1696. 42 Henri de Saint-Ignace, Theologia veterum fundamentalis speculativa et moralis ad mentem resoluti…, Liège, G.H. Streel, 1677 et Ethica amoris sive theologia sanctorum magni praesertim Augustini et Thomae Aquinatis circa universam amoris et morum doctrinam adversus novitius opiniones, Liège, J.-François Broncart, 1709. 43 Pasquier Quesnel, Justification de M. Arnauld, op. cit., Liège, 1702. 44 Henri de Saint-Ignace, Theologia sanctorum…, Liège, L. de Milst, 1701. 45 En 1650, l’évêque de Verdun fait saisir le Catéchisme de la grâce, opuscule résumant la pensée de Jansénius et diffusés par Libert Froidmont. René Taveneaux, op. cit., p. 107. 46 Thomas de Lemos, Acta omnia Congregationum ac disputationum quae coram Clemente VIII et Paulo V sunt celebratae in causa et controversia de auxiliis divinae gratiae…, Louvain, A. Denique, 1702. 47 Louis Habert, Pratique du sacrement de Pénitence ou méthode pour l’administrer utilement, Blois, 1691 ; Theologia dogmatica et moralis ad usum Seminarii Catalaunensis, Paris, S. Billiot, 1712 ; et le Compedium de cette Theologia, s.d. <?page no="106"?> Fabienne Henryot 92 qu’on ne retrouve dans aucune autre bibliothèque, ni à Lay, ni à Saint-Jacques. Ils ont le Tournély convaincu d’erreur de leur confrère de Senones, dom Pierre Mougenot, paru à Nancy en 1764, qui par ce livre lançait un nouveau pavé dans la mare contre la théologie de Tournély devenue officielle dans les séminaires, et contre les Pélagiens, les jésuites, les molinistes, bref, tous les adversaires traditionnels du jansénisme. Mais leur conception de ce courant n’est pas vanniste, ni lorraine : elle est universelle. Ils accordent, par exemple, un grand intérêt aux affaires de Hollande, Utrecht conservant à leurs yeux un immense prestige tout au long du XVIII e siècle. À Saint-Jacques, en revanche, les livres jansénistes et antijansénistes semblent prendre sens les uns par rapport aux autres, dans une conception très étroite et plus locale des événements. Ils ont peu de documents sur les controverses autour de la bulle en France, ces mandements, réponses, avis et arrêts qui font le principal ingrédient de bibliothèques comme celle de Lay. On a déjà vu avec le cas de M. Steyaert l’intérêt porté, à Saint-Jacques, aux querelles internes aux Pays-Bas. D’autres titres confirment cette tendance. Ils ont aussi les pièces d’Adrien Delcourt, de Nivelles, à propos du scandale de l’Université de Douai qui avait abouti à l’éviction des professeurs jansénistes 48 . De même, celles touchant aux institutions liégeoises comme le Collège des Jésuites anglais, à qui Joseph-Clément de Bavière confia, en 1697, l’enseignement de la théologie au grand séminaire de Liège, afin d’empêcher la doctrine janséniste de se répandre dans la ville et surtout dans le clergé. Cette décision provoqua une avalanche de libelles pour la contester. Le prince-évêque réussit finalement à imposer son candidat à la présidence du séminaire, mais l’affaire avait fait grand bruit 49 . Les religieux ont constitué, à cette occasion, un petit recueil factice in-4° intitulé Diverses pièces touchant le séminaire de Liège et la doctrine des Jésuites anglois, que le Prince Joseph Clément substitue aux professeurs séculiers. Finalement, le jansénisme dans la bibliothèque de Saint-Jacques se borne dans sa dimension polémique, aux faits des Pays-Bas et de Liège. 48 Adrien Delcourt, Le faux Arnauld ou recueil des écrits publiés contre la fourberie de Douay, s.l.n.d., 1693. Sur cet épisode, voir Gilbert Dehon, « La fourberie de Douai (1690-1692) : un stratagème politique et religieux à la fin du XVII e siècle », Mélanges de Sciences religieuses, vol. 51, 1 (1994), p. 81-91. 49 Sur cet épisode, voir Guillaume Simenon, « Le jansénisme au pays de Liège », Revue ecclésiastique de Liège, 16, 1924, p. 87-99. <?page no="107"?> 93 Le jansénisme dans les bibliothèques bénédictines Un jansénisme bénédictin mosan ? Le jansénisme des maisons bénédictines de l’espace mosan présente quelques caractères spécifiques, élaborés tout au long des XVII e et XVIII e siècles. Sans perdre de vue le fait que la bibliothèque de Saint-Mihiel présente un profil tout à fait singulier, numériquement et qualitativement, quelques traits communs se dégagent. D’abord, jansénisme et antijansénisme s’équilibrent, avec une légère faveur pour le jansénisme 50 , signe que partout, on a voulu se forger une opinion propre sur ce sujet, en confrontant les arguments. La figure d’Antoine Arnauld occupe ensuite une place importante. L’ouvrage immanquable est De la fréquente communion possédé en plusieurs exemplaires à Saint-Mihiel, à Liège et à Saint-Hubert, ainsi que les discussions, interdictions diverses et commentaires autour de ce livre. La Tradition de l’Eglise sur le sujet de la communion et de la pénitence est l’autre ouvrage que possèdent ces trois abbayes. La bibliothèque de Saint-Mihiel, en 1779, renferme trente-six titres d’Antoine Arnauld, répartis en théologie principalement, mais aussi en philosophie, en prédication et en Écritures Saintes. On peut vérifier de diverses manières, « en creux », la place centrale d’Arnauld dans le jansénisme mosan. Seuls les religieux de Saint-Mihiel se sont intéressés à l’épisode de Port-Royal, et encore, comme à un fait purement historique 51 . Seule la figure d’Arnauld incarne ce moment fondateur. Hormis à Saint-Mihiel, c’est un jansénisme assez peu jansénien qui se fait jour. Certes, la sensibilité augustiniste existe dans les quatre bibliothèques, mais l’origine du conflit semble confuse aux religieux du diocèse de Liège ainsi qu’à Lay, où les préoccupations tournent surtout autour de la bulle Unigenitus et de Quesnel, aussi bien reçu à Liège qu’en Lorraine. Les textes discutant les Cinq propositions et le cas de conscience sont absents des bibliothèques de Liège et de Saint-Hubert ; ils sont rares à Lay 52 . L’antijésuitisme, né avec les Lettres provinciales de Pascal, constitue le second fondement de ce jansénisme mosan. Ce n’est pas une surprise, pour les établissements lorrains, puisqu’un vanniste, dom Matthieu Petitdidier, avait 50 La proportion entre livres jansénistes et antijansénistes avantage toujours les premiers, mais pas de manière écrasante : 59,4% à Saint-Mihiel, 69% à Saint-Jacques, 61,1% à Saint-Hubert. 51 Claude de Sainte-Marthe, Défense des religieuses de Port-Royal et de leurs directeurs…, s.l.n.n., 1667 ; Relation de la captivité de la mère Angélique de Saint-Jean, religieuse de Port-Royal, s.l.n.n., 1711 ; Recueil de plusieurs pièces pour servir à l’histoire de Port-Royal, Utrecht, aux dépens de la Compagnie, 1740. 52 Jean Louail et Françoise de Joncoux, Histoire du cas de conscience, Nancy, Jean Nicolai 1705-1711. <?page no="108"?> Fabienne Henryot 94 pris la plume pour défendre avec virulence les Provinciales 53 . Les religieux de Liège se sont aussi intéressés à cette polémique ; ceux de Saint-Hubert n’ont ni Pascal ni Petitdidier, mais n’ignorent pas le débat, puisqu’ils se sont procuré les Responses du jésuite François Annat (Liège, 1657). C’est pour finir un jansénisme qui irrigue toute la pensée et la pratique spirituelle. Les ouvrages de Gommaire Huygens, présents à Saint-Mihiel, à Liège et à Saint-Hubert, signalent la connexion entre le jansénisme dogmatique et ses applications concrètes au salut des hommes. Les auteurs spirituels, hors de la section théologie, introduisent à un mode de perfectionnement de vie qui est directement issu du jansénisme. L’abbé Duguet, par exemple, est sans aucun doute un maître spirituel reconnu à Saint-Mihiel 54 , à Lay-Saint-Christophe 55 (dom Calmet l’avait personnellement connu à Paris) et à Saint-Jacques de Liège 56 . Ainsi le livre, circulant tout au long de l’axe mosan, a contribué à donner aux religieux bénédictins une perception du jansénisme qui offre bien des traits communs. Quatre établissements, tous situés hors de France, tous tournés vers les événements parisiens ou hollandais : voilà qui illustre la dimension profondément européenne de ce courant. 53 Matthieu Petitdidier, Apologie des Lettres provinciales de Louis de Montalte contre la dernière réponse des Pères jésuites intitulée Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, Paris, 1696. 54 Jacques-Joseph Duguet, Traité sur la prière publique (voir ci-dessous) ; Explications des qualités ou des caractères que saint Paul donne à la charité, Bruxelles, s.n., 1735 ; Traité des scrupules (…), Paris, J. Estienne, 1717 ; Lettres sur divers sujets de morale (voir cidessous). 55 Id., Traité sur la prière publique, Paris, J. Estienne, 1713 ; Lettres spirituelles sur divers sujets de morale et de piété (…), Paris, J. Estienne, 1713. 56 Id., Traité de la prière publique, Bruxelles, F. Foppens, 1708. <?page no="109"?> Biblio 17, 188 (2010) Les livres jansénistes dans le milieu aristocratique en Bohême J ITKA R ADIMSKÁ Université de Bohême du Sud La circulation des idées jansénistes dans les pays de Bohême peut être étudiée grâce aux imprimés jansénistes conservés dans les collections privées de la noblesse des XVII e et XVIII e siècles. À cette époque, les écrits de spiritualité janséniste ont été lus, en français ou dans leurs traductions allemandes, par les aristocrates, femmes et hommes d’origine tchèque ou étrangère. Trois éléments peuvent témoigner de la réception du jansénisme dans le milieu aristocratique en Bohême à l’époque baroque : les collections, les lectures, les traductions. Nous présenterons les livres jansénistes qui faisaient partie de trois collections privées : ceux de la bibliothèque des Lobkowitz au château de Hor ˇ ín, collection restituée à ses propriétaires et réinstallée aujourd’hui au château de Me ˇ lník (Bohême Centrale), et ceux de la bibliothèque princière du château de C ˇ eský Krumlov (Bohême du Sud) des ducs d’Eggenberg et des princes de Schwarzenberg, où les livres sont restés à ce jour intacts. Nous rappellerons brièvement les activités éditoriales du comte de Sporck et les traductions allemandes des livres jansénistes réalisées par ses filles Eléonore et Anne-Catherine et nous essaierons de démontrer, au travers de notes manuscrites, par qui les livres jansénistes ont été lus et comment cette lecture a été éprouvée. Pour terminer, nous tâcherons de voir si nos exemples entrent dans les caractéristiques plus générales du rayonnement du jansénisme en Europe centrale aux XVII e et XVIII e siècles. Les livres jansénistes conservés au château de C ˇ eský Krumlov font donc partie de deux collections privées de la deuxième moitié du XVII e siècle : celle des ducs d’Eggenberg et celle des comtes de Schwarzenberg. Les propriétaires de ces livres, Marie Ernestine d’Eggenberg, née comtesse de Schwarzenberg (1649-1719), et son frère Ferdinand Wilhelm Eusebius de Schwarzenberg (1652-1703), sont nés à Bruxelles, où leur père Johann Adolf de Schwarzenberg (1615-1683) occupait la charge de majordome à la cour de l’archiduc Léopold Guillaume. À partir de 1656, la famille s’installa à Vienne, où le père <?page no="110"?> Jitka Radimská 96 exerça entre 1657 et 1683 les plus hautes fonctions dans le gouvernement 1 . En 1674, avant de reprendre ses charges de conseiller aulique, Ferdinand épousa la comtesse Maria Anna de Soulz (1652-1698), fille du comte Johann Ludwig de Soulz (1626-1687) et de la comtesse Maria Elisabeth de Königsegg- Aulendorf (1634-1658). Les époux Schwarzenberg eurent dix enfants, dont quatre décédèrent en bas âge 2 . Grâce aux mariages de trois de ses quatre filles avec les représentants des familles aristocratiques de vieille souche originaires de la Bohême, celles des Sternberg, des Kolowrat et des Lobkowicz, Ferdinand Wilhelm de Schwarzenberg réussit à enraciner sa famille d’origine allemande dans la société de Bohême. Ce qui n’était pas le cas de sa sœur aînée Marie Ernestine qui, après avoir épousé en 1666 le prince Jean Christian d’Eggenberg (1641-1710), vécut avec son mari en Bohême du Sud au château de C ˇ eský Krumlov. Comme le couple Eggenberg n’a pas eu d’enfants, c’est le neveu de Marie Ernestine d’Eggenberg, Adam François de Schwarzenberg (1680-1732), qui devint le prince héréditaire du domaine ducal de C ˇ eský Krumlov. Voilà pourquoi la bibliothèque aristocratique, conservée jusqu’à ce jour comprend les vieux imprimés provenant de deux fonds privés différents 3 . Les livres sont identifiables grâce à des ex-libris gravés aux armes de Ferdinand de Schwarzenberg, collés sur les contre-plats supérieurs et datés de 1690. Ses successeurs changèrent le prénom et la date : « Adam-François 1704, 1712 », « Joseph 1732 », « Joseph Adam 1782 ». Les Schwarzenberg firent transporter leur bibliothèque familiale, fondée au XVII e siècle par le frère de Marie Ernestine, de Vienne à C ˇ eský Krumlov en 1839. Les livres de Marie Ernestine d’Eggenberg portent des supralibros dorés aux initiales « ME » sous la couronne, placés au milieu des plats supérieurs et inférieurs. Dans le fonds Schwarzenberg de C ˇ eský Krumlov, les livres jansénistes des XVII e et XVIII e siècles ne sont pas très fréquents. Nous n’avons recensé que des ouvrages de Pierre Nicole, les Essais de morale (1689), la Continuation des essais de morale (1683, 1737) et le Traité de la prière (1731), dont des exemplaires du XVIII e siècle parurent chez André Chevalier, imprimeur de Sa Majesté Impériale et Catholique (1721-1740) et de Sa Majesté la Reine de 1 « Le prince Jean Adolphe de Schwarzenberg demeurait, comme président du Conseil aulique, l’un des conseillers les plus écoutés de l’empereur Léopold 1 er ». Jean Bérenger, Léopold I er (1640-1705). Fondateur de la puissance autrichienne, Paris, PUF, coll. « Perspectives germaniques », 2004, p. 158. 2 Johann Heinrich Haimb, Schwartzenberga gloriosa sive epitome historica de ortu et gestis gentis Schwartzenbergicae (etc.), Ratisbonae, S. Bruggmayer, 1708, p. 244. 3 Jitka Radimská, Knihovna šlechticˇny. Francouzské knihy Marie Ernestiny z Eggenbergu na zámku v Cˇ eském Krumloveˇ [La bibliothèque d’une aristocrate. Les livres français de Marie Ernestine d’Eggenberg au château de C ˇ eský Krumlov], Bibliotheca viva 1, Jihocˇeská univerzita Cˇ eské Budeˇjovice-Nová tiskárna Pelhr ˇimov, 2007, p. 7-15. <?page no="111"?> 97 Les livres jansénistes dans le milieu aristocratique en Bohême Hongrie et de Bohême (1741-1747) au Luxembourg 4 . Dans ces imprimés, nous n’avons pas trouvé de preuves de leur lecture. Néanmoins, les Schwarzenberg ont jugé nécessaire de se doter d’un ouvrage anti-janséniste de Joan Solerius de Colonia, à savoir la Bibliothèque janséniste ou Catalogue alphabétique des principaux livres jansénistes ou suspects de jansénisme qui ont paru depuis la naissance de cette Hérésie, avec des notes critiques sur les véritables auteurs de ces livres, sur les erreurs qui y sont contenues & sur les condamnations qui ont été faites pas le Saint Siége, ou par l’Eglise Gallicane, ou par les Evêques Diocésains 5 . Ils ont acheté la seconde édition dudit catalogue publiée en 1731 6 . Le livre a été consulté, mais les auteurs des notes marginales, à peine identifiables, restent anonymes. La situation diffère complètement quant au fonds Eggenberg, plus ancien, dans lequel nous avons identifié vingt-huit ouvrages jansénistes, mis à l’index et cités par Joan Solerius de Colonia 7 . Ces imprimés, en plus, abondent en preuves d’une lecture assidue de leur propriétaire, Marie Ernestine d’Eggenberg. Il s’agit de marques manuscrites de possession, de notes manuscrites marginales, de coins de pages cornés, de signets marquant un 4 Natif de Bourg-en-Bresse, André Chevalier (1660 ? -1747) fit son apprentissage chez Jean Antoine, à Metz, où il fut reçu maître le 24 mai 1685. Il y conserva jusqu’en 1697 une boutique de libraire. Il s’établit au Luxembourg en juin 1686 sur invitation de l’intendant français d’occupation et avec une garantie d’exclusivité de vingt ans. À la suite de l’évacuation du Luxembourg par les troupes françaises (janvier 1698), il perdit son monopole, puis ses titres, mais un privilège d’imprimeur impérial lui fut octroyé par décret du 15 janvier 1721. À partir de 1704, il publia sous le pseudonyme de Jacques Le Sincère et sans indication de lieu la Clef du cabinet des princes de l’Europe. Jean-Dominique Mellot - Élisabeth Queval - Antoine Monaque, Répertoire d’imprimeurs/ libraires (vers 1500-vers 1810), Paris, Bibliothèque nationale de France, 2004, notice n. 1144. 5 488 p. + 14 p. + 25 p. in-16, 16,5 × 9 cm, reliure en cuir marron, sans supralibros, sans ex-libris, Bibliothèque de C ˇ eský Krumlov, cote 47 A 8709. 6 S.l.n.d. La 1 ère éd. in-12 date de 1722. Les exemplaires de la 2 e éd. se trouvent dans la Bibliothèque du Séminaire à Malines (cote 28 D), dans la Bibliothèque du Collège Notre-Dame de la Paix à Namur (cote 77 G 5), dans la Bibliothèque des Amis de Port-Royal à Paris (cote PR. 564), dans la Bibliothèque Nationale à Paris, Imprimés (cote Q 3999). Cité d’après L. Willaert, Bibliotheca Janseniana Belgica, Répertoire des imprimés concernant les controverses théologiques en relation avec le jansénisme dans les Pays-Bas catholiques et le pays de Liège aux XVII e et XVIII e siècles, Namur-Paris, Éditions J. Vrin, 1949-1950, t. I, p. 34, col. 74-79. Willaert décrit cinq éditions différentes qui datent des années 1722, 1731, 1735, 1739 et 1740. 7 Voir Jitka Radimská, « Le jansénisme dans les bibliothèques de Bohême au XVII e siècle », in Le jansénisme en Europe centrale, Le jansénisme et la franc-maçonnerie en Europe Centrale aux XVII e et XVIII e siècles (éd. Daniel Tollet), Paris, PUF, 2002, p. 93-116. <?page no="112"?> Jitka Radimská 98 endroit de lecture terminée, de fleurs séchées ou de tissus utilisés comme signet et semblant indiquer l’endroit privilégié de la lecture. Marie Ernestine d’Eggenberg s’installa au château de Krumlov en 1666, après son mariage avec Jean Christian d’Eggenberg, et y séjourna jusqu’en 1717. Bien placés à la cour de Vienne et dotés d’une fortune immense, le duc et la duchesse « de Krumau » réussirent à faire de leur duché une somptueuse résidence baroque avec une garde de grenadiers, un atelier de la Monnaie, un théâtre avec une troupe d’artistes et de musiciens, une galerie de tableaux et une bibliothèque représentative et conservée dans sa quasi totalité en son lieu d’origine. Le classement des livres par langues, proposé par la duchesse elle-même, reflète le changement du goût et du statut des bibliothèques privées de la noblesse à l’âge baroque. L’inventaire manuscrit des titres des livres dressé dans les années 1719-1721 8 , après le décès de la duchesse, mentionne 2286 titres d’imprimés parmi lesquels 632 ouvrages allemands, 788 livres français, 557 livres italiens, 141 livres latins, 124 livres espagnols et 54 livres de géographie en diverses langues. Le fonds français fut subdivisé de la manière suivante : 247 livres d’histoire profane, Weltliche Historien (B I/ 1-247), 119 livres de religion, Geistliche Historien und Bücher (B II/ 1-27 et B III/ 1-92), 155 livres de morale et de civilité, Moral und Politische (B4/ 1-155), 149 livres d’amour, Liebesgeschichten (B5/ 1-149), 88 livres de poésie et de théâtre, Poëten und Comoëdien (B6/ 1-88) et 30 ouvrages divers, Unterschiedlich (B7/ 1-30). Les livres qui entrèrent dans la bibliothèque firent l’objet d’une appropriation soigneuse : Marie Ernestine d’Eggenberg avait mis sa signature à l’intérieur du plat supérieur de la reliure ou à la page de garde de soixantedix-huit ouvrages en langue française (cca 10% du fonds francophone) 9 . Sa 8 Catalogus über die in der hochfürstlichen Schwarzenbergischen Bibliotek zu Böhmisch Krumau befindliche in der deutschen, franzözisch, wälisch, lateinisch und spanischen Sprache bestehende Bücher, welcher anno 1721 errichtet worden. Archives du district de Tr ˇebonˇ, succursale de C ˇ eský Krumlov, ms n° 418, fol. 1-110. Pour les catalogues voir Jitka Radimská, « Francouzsky psaná literatura v eggenberské zámecké knihovneˇ » [La littérature en français de la collection des Eggenberg et conservée à la bibliothèque à C ˇ eský Krumlov], Opera historica, 5, Editio Universitatis Bohemiae Meridionalis, 1996, p. 595-616. 9 Cf. Jitka Radimská, « Une collectionneuse de livres français au château de C ˇ eský Krumlov à l’Âge classique », in Lecteurs & collectionneurs de textes clandestins à l’Âge classique, La Lettre Clandestine, 12, 2003, Presses de l’Université Paris-Sorbonne 2004, p. 23-35 ; id., « Francouzské knihy s majetnickým pr ˇípiskem Marie Arnoštky z Eggenberku v eggenberském oddeˇlení zámecké knihovny v Cˇ eském Krumloveˇ » [Les livres français avec la note manuscrite de possession par Marie Ernestine d’Eggenberg dans le fonds Eggenberg de la bibliothèque du château à C ˇ eský Krumlov], in Miscellanea, 18 (2003-2004), (éd. Jaroslava Kašparová), Prague, Národní knihovna Cˇ R, 2005, p. 334-380. <?page no="113"?> 99 Les livres jansénistes dans le milieu aristocratique en Bohême signature varia de Marie Ernestine de Crumau et d’Eggenberg, comtesse de Schwarzenberg (sept livres, publiés de 1642 à 1660), à travers Marie Ernestine Princesse d’Eggenberg (quarante-deux livres, publiés de 1645 à 1678), jusqu’à l’initiale majuscule E placée discrètement derrière l’adresse de l’imprimeur (vingt-neuf livres, publiés de 1660 à 1705). Cette lectrice assidue ajouta de nombreux signes sur certains ouvrages français non signés. La collection de livres en langue française de Marie Ernestine d’Eggenberg est très variée et riche, quasiment exhaustive pour le XVII e siècle français. Sa curiosité était universelle, il paraît qu’elle voulait posséder tout ce qu’il était possible d’avoir ou au moins tout ce qui était proposé dans les catalogues imprimés, même si ses goûts personnels l’inclinaient plutôt vers les belles-lettres et les livres de piété. La duchesse maîtrisait parfaitement les langues française et allemande et parlait couramment l’italien. Son admiration pour les littératures espagnole et italienne et pour celle de l’Antiquité s’étale à plusieurs reprises dans les notes manuscrites (en français, parfois en italien), consignées dans les ouvrages qu’elle lut dans leurs traductions françaises. Les notes manuscrites sont rares dans les imprimés allemands. D’après les marques typographiques, le plus grand nombre de livres français du fonds Eggenberg furent imprimés à Paris (53%) ou en Hollande (35%). Les contrefaçons y sont très fréquentes. Parmi les imprimeurs parisiens figurent le plus souvent Claude Barbin (19%) et Sébastien Marbre-Cramoisy (12%). Les livres mis sous presse par des imprimeurs réputés pour leur collaboration avec les jansénistes, tels que Pierre le Petit, Guillaume Desprez, ou Charles Savreux, représentent 10% de ladite production parisienne. Parmi ces ouvrages nous avons jusqu’à présent identifié vingt-huit livres jansénistes. Un quart de ces imprimés a été signé par leur propriétaire, Marie Ernestine d’Eggenberg. Dans la bibliothèque Eggenberg, les livres jansénistes ou suspectés de jansénisme par les jésuites furent rangés dans les rayons des livres de religion (rayons B 2 et B 3 d’après le classement de l’époque). D’autres ont été classés au rayon « morales » (rayon B 4) ou « historiques » (rayon B 1), soit par l’ignorance, soit par la prudence des bibliothécaires ou des propriétaires de la collection livresque. C’était le cas de deux ouvrages de Pierre Jurieu : L’Esprit de Monsieur Arnauld, tiré de sa conduite, avec la page 27/ 28 cornée dont le passage consulté Raisons pourquoy les livres de M. Arnaud ne peuvent entrer en France (n. 421) 10 et les Lettres pastorales adressées aux fidèles qui gémissent sou la captivité de Babylon (n. 422) 11 ; de même pour l’édition quadrilingue des Provinciales ou lettres écrites par Louis Montalte de Blaise Pascal (n. 642) 12 . 10 La description de l’imprimé, in Jitka Radimská, Knihovna šlechtic ˇny, op. cit., p. 216- 217. 11 La description de l’imprimé, ibid., p. 217. 12 La description de l’imprimé, ibid., p. 280. <?page no="114"?> Jitka Radimská 100 Cet imprimé ne porte pas le supralibros de la princesse. Les livres prohibés, y compris les livres jansénistes, faisaient souvent partie d’un recueil, comme La Traduction d’un discours de la réformation de l’homme intérieur prononcé par Jansen (n. 413) 13 . Ledit recueil comprenait les Œuvres chrétiennes de Robert Arnauld d’Andilly, mises à l’index, elles aussi. La pensée de Jansénius fut diffusée en France par l’un des « pères » du jansénisme, Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran (1581-1634). À la différence du théoricien Jansénius, l’abbé de Saint-Cyran appliqua la doctrine à la vie spirituelle la plus quotidienne et aux questions morales. Il se lia aux personnalités les plus actives du renouveau religieux en France : Pierre de Bérulle, Vincent de Paul, la famille Arnauld. Dans la collection Eggenberg se trouvent deux de ses ouvrages : la dixième édition de sa Théologie familière (n. 736) 14 et la cinquième édition en deux tomes des Lettres chrestiennes et spirituelles, dédiée aux archevêques et aux évêques français, l’édition préparée par Robert Arnauld d’Andilly qui, dans la Préface, s’adresse ainsi aux lecteurs : Ie supplie les Lecteurs de remarquer, que Monsieur de Saint Cyran n’auoit ny le loisir de chercher les passages de la Bible, lors qu’il escrivoit, quoy qu’il l’ait tousiours euë dans sa prison, ny le moyen de consulter les liures des Peres qu’on luy auoit refusé, & les extraits qu’on luy auoit pris : qu’il ne parle que sur la foy de sa memoire, ou plutost qu’il tire ses discours […] du thresor de son esprit & de son cœur (sic ! ) (n. 735) 15 . La famille Arnauld est représentée dans la bibliothèque Eggenberg par trois ouvrages provenant de la plume du frère de Robert Arnauld d’Andilly, Antoine Arnauld : De la fréquente communion (n. 30) 16 et La logique ou l’art de penser (n. 31) 17 ont été signés par leur propriétaire, Marie Ernestine d’Eggenberg, tandis que La tradition de l’Eglise sur le sujet de la Pénitence et de la Communion, représentée dans les plus excellents ouvrages des saints Pères grecs et latins ne donne signe ni de lecture ni d’intérêt particulier (n. 32) 18 . Il paraît que Marie Ernestine d’Eggenberg privilégia dans sa lecture des ouvrages de piété comme les Méditations des principales obligations des chrétiens 19 de 13 La description de l’imprimé, ibid., p. 214. 14 La description de l’imprimé, ibid., p. 307. 15 La description de l’imprimé, ibid., p. 306-307. 16 La description de l’imprimé, ibid., p. 108. 17 La description de l’imprimé, ibid. 18 La description de l’imprimé, ibid., p. 109. 19 « NOTA 1°. Que le sieur Feydeau Docteur de Sorbonne, & Théologal de Beauvais, étoit un de ces Jansenistes outrez qui portent tout aux derniéres extremités ; bien des Gens lui attribuent le Cateschisme de la Grace qu’on donne plus communément à Monsieur Hermant. Il est certain du moins que la soeur Feydeau a publié une maniére d’Apologie de ce Catechisme hérétique. » <?page no="115"?> 101 Les livres jansénistes dans le milieu aristocratique en Bohême Matthieu Feydeau avec une note manuscrite à l’encre Marie Ernestine de Schwarzenberg avec des ornements au-dessus et au-dessous de la signature. Le livre a été lu, la page 29 est à moitié abîmée, une fleur séchée en guise de signet s’est conservée entre les pages 68 et 69 (n. 317) 20 . De même pour Le jour évangélique de l’oratorien Pasquier Quesnel (1634-1719), ami et depuis 1701 porte-parole des jansénistes (n. 689) 21 . Sa biographie, l’ Histoire abrégée de la vie et des ouvrages de Monsr. Arnauld, fut classée parmi les ouvrages historiques (n. 688) 22 . Les Pensées chrétiennes de Jean Lacman, archidiacre et docteur en Théologie à l’Université de Louvain, publiées en 1704, ont été, elles aussi, signées par Marie Ernestine d’Eggenberg (n. 465) 23 . Dom Gabriel Gerberon (1628-1711), l’un des jansénistes érudits et poursuivis par Louis XIV, utilisa divers pseudonymes. Son ouvrage Le miroir de la piété chrétienne fut publié sous le pseudonyme Flore de Sainte Foy. Dans l’Avertissement, il justifie son objectif : La Predestination & la Grace sont depuis long temps le sujet ordinaire de l’entretien des personnes les plus Chrétiens. […] L’on en parle avec beaucoup de feu ; mais avec tres peu de lumiere. Cet ouvrage est fait a la loüange, & a la gloire de la Grace de Dieu (n. 348) 24 . Dans la bibliothèque Eggenberg se trouvent deux exemplaires de la Bible dite du sieur de Royaumont, œuvre commune de Nicolas Fontaine et Isaac Lemaistre de Sacy (n. 327, 328) 25 , La Saincte Biblie traduite du latin en français par les théologiens de l’Université de Louvain (n. 81) 26 , Les epistres de saint Paul et Le nouveau Testament, publiés sous une fausse adresse : chez Gaspard Migeot à Mons (n. 79, 80) 27 , trois livres d’ Isaac Lemaistre de Sacy (n. 471, 472, 473) 28 et cinq livres de Pierre Nicole, parmi lesquels trois tomes de Continuations des essais de morale, publiés en 1688-1689 à La Haye chez Adrian Moetjens, Nota 2°. Que M. Feydeau glisse en cent endroits le Dogme de la Grace irresistible. Personne n’entend cette voix qu’il n’y vienne, tome 2, page 183. On dit ailleurs que la Grace n’est donnée qu’aux El ű s, que tout le monde n’a pas la Grace necessaire pour le salut, tome 2. p. 94. L’Hérésie de la Grace necessitante se trouve à la page 348 du 2 e vol. : « nôtre libre-arbitre ne peut pas faire le bien, si la Grace ne le lui fait faire. » [Cité d’après Dominique de Colonia, Bibliothèque janséniste, op cit., p. 264-265, LXIX, qui décrit une autre édition, celle de 1651, s.l.] 20 La description de l’imprimé, in Jitka Radimská, Knihovna šlechticˇny, op. cit, p. 188. 21 La description de l’imprimé, ibid., p. 293-294. 22 La description de l’imprimé, ibid., p. 293. 23 La description de l’imprimé, ibid., p. 229-230. 24 La description de l’imprimé, ibid., p. 197. 25 La description de l’imprimé, ibid., p. 191-192. 26 La description de l’imprimé, ibid., p. 124-125. 27 La description de l’imprimé, ibid., p. 124. 28 La description de l’imprimé, ibid., p. 231-232. <?page no="116"?> Jitka Radimská 102 (n. 620, 621, 622) 29 , le traité De l’éducation d’un Prince, ouvrage en trois parties publié par la Veuve Charles Savreux à Paris en 1676 (n. 623) 30 et quatre volumes d’Essais de morale, parus chez Guillaume Desprez à Paris en 1678, avec approbation et privilège (n. 624) 31 . Ces derniers sont intéressants du point de vue de la réception. Seul le second volume abonde en notes écrites au crayon par Marie Ernestine d’Eggenberg, ce qui nous permet de discerner les intérêts particuliers de sa lecture : morceaux choisis, dispensant de lire le livre entier et passages privilégiés qui ont été consultés, soulignés, commentés. Le Discours où l’on fait voir combien les entretiens des hommes sont dangereux, qui commence à la page 49, ne fut pas lu jusqu’au bout, tandis que le traité De la civilité chrétienne le fut intégralement. Dans le chapitre III intitulé Comment la charité peut prendre part aux devoirs de la civilité (p. 145) elle a mis la note suivante : Maximes qu’il faut bien grauer (sic ! ) dans son coeur. Le fait d’avoir souligné et annoté par la remarque notamment, page 148, la phrase : Il faut agir avec les hommes comme avec les hommes, non comme avec des Anges, explique assez clairement les sentiments et les opinions de la lectrice. De même pour ce passage souligné tout entier dans le traité De la grandeur (p. 211) : Car l’immodestie des habits dans une femme qui n’est pas de qualité, n’est peché qu’à proportion de la vanité qui l’accompagne, et du scandale qu’elle peut causer à un petit nombre de personnes : Mais de mesme le mouvement de vanité, qui porte les personnes de grande qualité, qui sont l’exemple et la regle des autres, à paroistre devant le monde dans un estat qui blesse la modestie, est une approbation publique du vice et une loy de péché, puisque l’exemple de ces personnes est une loy vivante, qui a beaucoup plus de force sur l’esprit du monde que toutes les Loix et toutes les Ordonnances qui ne sont écrites que dans des livres. Ajoutons encore la citation suivante, soulignée par la duchesse, à la page 244 : Il y a si loin de la vie de la Cour à la vie chrestienne qu’on doit juger que ceux qui ont fait ce voyage ont beaucoup de force. Suivent dans le volume le Discours de feu M. Pascal sur la condition des grands (p. 247-288) et le Traité de l’éducation d’un Prince (p. 289-358), deux morceaux qui suscitent l’intérêt de la lectrice. Il en ressort, dans le domaine de l’éducation des jeunes Princes, comme objectif primordial la lecture de bons livres (p. 317) : 29 La description de l’imprimé, ibid., p. 274-275. 30 La description de l’imprimé, ibid., p. 275. 31 La description de l’imprimé, ibid., p. 275. <?page no="117"?> 103 Les livres jansénistes dans le milieu aristocratique en Bohême L’amour de la lecture et des livres est un perservatif general contre une infinité de déreglemens auxquels les grands sont sujets lors qu’ils ne sçavent à quoy s’occuper (…). Il faut les accoutumer à lire. (…) Il faut meme les y attirer par la qualité des livres (…). Pour Marie Ernestine d’Eggenberg, la lecture était non seulement une distraction, mais aussi un travail intellectuel d’étude et de réflexion qui portait vers des questions plus générales. La plupart des propos manuscrits de sa plume représentent des vérités ou des moralités qui correspondaient (au moins, nous le supposons) à sa vision du monde, à ses pensées, ou éventuellement, à sa propre expérience. Pour cette lectrice, maîtriser l’écrit était aussi le produire : sa traduction manuscrite du français en allemand des quatorze premières Epîtres de Sénèque, offerte par son auteur à la bibliothèque en 1717, en est la preuve 32 . Les livres de Pierre Nicole se montrent les plus fréquents dans les bibliothèques aristocratiques en Bohême aux XVII e et XVIII e siècles. Le catalogue de la bibliothèque des Lobkowicz à Hor ˇ ín comprend, lui aussi, des ouvrages de ce moraliste et controversiste janséniste. Nos recherches concernant les imprimés en langue française de la bibliothèque des Lobkowicz à Hor ˇín devaient s’appuyer sur des inventaires et des catalogues locaux sans possibilité d’étudier des exemplaires particuliers. Rassemblant 4615 livres, cette collection livresque s’est constituée par les achats successifs effectués par plusieurs générations de la famille Lobkowicz, descendant de la branche des Popel de Lobkowicz du XVI e siècle 33 . Cette collection privée comprend 523 vieux imprimés, parmi lesquels nous avons répertorié 191 livres en langue française (avec une prépondérance des ouvrages du XVIII e siècle). Le catalogue ainsi reconstitué nous a permis de constater la présence de vingt-trois ouvrages jansénistes qui datent des années 1716-1785. Parmi quinze auteurs, c’est Pierre Nicole qui figure en première position avec six ouvrages. 32 Auserlesene Epistolen des Weltweisen Annaei Senecae, so Ihro Durchlaucht Marie Ernestina Herzogin zu Crummau und Fürstin zu Eggenberg […] aus französischen ins deutsch versetzt und mit aigener Hand geschrieben, dann dieselbe zur Bibliothek geschenket im Jahr. 1717. Archives du district de Tr ˇebonˇ, succursale de C ˇ eský Krumlov, ms n° 93. Voir l’article Jitka Radimská, « Maria Ernestina v. Eggenberg », in Fürstinnen als Sammlerinnen, Leserinnen und Übersetzerinnen in der Frühen Neuzeit - (éd. Jill Bepler), Wolfenbüttel, HAB, septembre 2008, à paraître. 33 Stanislav Kasík, Petr Mašek, Marie Mžykova, Lobkowiczové [les Lobkowicz], Cˇ eské Budeˇjovice, Veduta, 2002. <?page no="118"?> Jitka Radimská 104 La liste des ouvrages jansénistes de la bibliothèque de Me ˇ lník 34 1. Besoigne, Jerôme, Morale des apôtres, ou concorde des Epistres…, Paris, Veuve Rondet et Labouttière, 1747. / 83/ 2. Caussel, Pierre (= Croz Pierre), Paraphrases sur le Pater. 1. Pour servir de Préparation à la Communion. 2. Pour méditer au pied du Crucifix. 3. Pour les Agonisans…, Paris, s.n., 1748. / 7/ 3. Debonnaire, Louis, La Religion chrétienne meditée dans le véritable esprit…, Tome 1-4, Paris, P. Prault, 1763. / 110/ 4. Duguet, Jacques-Joseph, Traité de Scrupules, de leurs causes…, Paris, Jean Estienne, 1718. / 21/ 5. Dusault, Jean Paul, Entretiens avec Jésus-Christ dans le Très-Saint Sacrement de l’Autel, Paris, 1771. / 6/ 6. Letourneux, Nicolas, L’année chrétienne, contenant les messes des dimanches…, Tome 1-13, Paris, de Hansy, Savoye, Le Prieur, Vve Thibout, 1757. / 133/ 7. Mésenguy, François Philippe, Abrégé de l’histoire de l’ancien Testament…, Tome 2, 6, Paris, 1773. / 169/ 8. Mésenguy, François Philippe, Abrégé de l’histoire de l’ancien Testament… Tome 4, 10, Paris, 1773-74. / 176/ 9. Morel, Robert, Effusion de cœur ou entretien spirituel et affectif…, Tome 1-4, Paris, J. Vincent, 1716. / 137/ 10. Morel, Robert, Entretiens spirituels, en forme de prières…, Paris, J. Vincent, 1755. / 84/ 11. Nicole, Pierre, Essais de morale, contenus en divers traités…, Tome 1-9, 11-13, Paris, 1743-1755. / 134/ 12. Nicole, Pierre, Instructions théologiques et morales…, Paris, G. Desprez, 1761. / 65/ 13. Nicole, Pierre, Traité de la prière, divisé en sept livres. Tome 1-2, Paris, J.-Fr. Josse et J. Délépine, 1740. / 158/ 14. Nicole, Pierre, Instructions théologiques et morales sur le premier commandement…, Tome 1-2, Paris, G. Desprez, 1741. / 164/ 15. Nicole, Pierre, Instructions théologiques et morales sur les Sacremens. Tome 1-2, Paris, G. Desprez, 1741. / 165/ 16. Nicole, Pierre, Instructions théologiques et morales sur le Symbole, Tome 1, Paris, G. Desprez, 1761. / 166/ 17. Noailles, Louis-Antoine de, Heures imprimées par l’ordre de Mgr. le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, Paris, 1785. / 13/ 34 Référence d’après Peter Hersche (1997), Der Spätjansenismus in Österreich, Wien, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, p. 409-419. <?page no="119"?> 105 Les livres jansénistes dans le milieu aristocratique en Bohême 18. Noailles, Louis-Antoine de, Heures imprimées par l’ordre de Mgr le cardinal de Noailles… Paris, 1785. / 24/ 19. Opstraet, Johannes, Idée de la conversion du pécheur…, Tome 1-2, s.l.n.n., 1734. / 161/ 20. Paccori, Ambroise, Avis salutaires aux peres et aux meres qui veulent se sauver par l’éducation chrétienne…, Vienne, 1767. / 122/ 21. POUGET, François, Instructions générales en forme de catéchisme…, Partie 1-3, Paris, Simart, 1739. / 179/ 22. Quesnel, Pasquier, Prières chrétiennes en forme de méditations…, Partie 1-2, Paris, 1752. / 72/ 23. Treuvé, Simon Michel, Instruction sur les dispositions qu’on doit apporter aux Sacrements, Paris, G. Desprez, 1760. / 82/ Qui étaient les propriétaires de ces livres ? Un petit aperçu de l’histoire du château de Hor ˇ ín nous aidera à répondre, sous réserve de ne pas pouvoir identifier, au travers des marques de possession, les lecteurs ou les lectrices en tant que personnages individuels. Les Lobkowicz sont devenus propriétaires du château de Hor ˇ ín grâce au mariage, en 1753, du comte Auguste Antoine de Lobkowicz (1729-1803) avec Maria Ludmila Czernin de Chudenicz (1738-1790). Ils ont entrepris la reconstruction complète du château, dans les années 60 du XVIII e siècle, l’aménagement de la bibliothèque fut terminé entre 1766-1767. La collection des vieux imprimés fut l’œuvre de leur fils unique Anton Isidor (1773-1819) et de sa femme Anna Marie Sidonie, née comtesse de Kinský (1779-1837), grands amateurs et mécènes des arts. Des nos jours, les Lobkowicz ont pu bénéficier des restitutions de leurs biens (y compris les livres de leurs collections privées des châteaux de Dolní Ber ˇ kovice, de Hor ˇ ín, près de Me ˇ lník, et de Drahenice). Après la restitution en 1994, le fonds de livres de Hor ˇ ín fut transféré au château de Me ˇ lník. Une installation récente d’une autre bibliothèque des Lobkowicz, de la branche plus ancienne (primogéniture), a été réalisée au château de Nelahozeves. La plus importante bibliothèque des Lobkowicz qui contient les livres de l’humaniste Bohuslav Hasištejnský de Lobkowicz et la collection particulière des seigneurs de Pernštejn, se trouve, après restitution, à Roudnice nad Labem, en Bohême du Nord. La famille des princes de Lobkowitz figurait sur la liste de la haute aristocratie catholique d’origine tchèque de bonne souche, tandis que la famille des ducs d’Eggenberg, comme celle du comte François-Antoine de Sporck 35 (1662-1738), appartenaient à la noblesse d’origine des pays de langue alle- 35 Pavel Preiss, Boje s dvouhlavou saní [Les luttes avec le dragon à deux têtes], Prague, Vysehrad, 1981. Pour consulter la bibliographie sporkienne, voir p. 331-343. <?page no="120"?> Jitka Radimská 106 mande, dont les prédécesseurs se sont installés en Bohême après 1620. Dans le domaine de la culture, le mérite du comte de Sporck reste indiscutable. Pendant son voyage d’études en Occident, il fut impressionné, en France, par la grandeur de la cour de Versailles, à Rome, il admira les arts plastiques, la musique et le théâtre, tout en restant sensible aux questions de mœurs et de piété. Non moins importants sont, dans sa vie privée et publique, son amour des livres et ses activités éditoriales. Vers la fin de sa vie, sa tolérance religieuse valut au comte de Sporck d’être poursuivi comme hérétique. Benedikt suppose que les origines des opinions jansénistes de Sporck remontent à l’époque de son voyage d’études en Europe occidentale en 1679. D’après le témoignage de son proche contemporain et biographe qui se cache sous le pseudonyme de Stillenau 36 , il se sentait apparenté avec les Messieurs de Port-Royal, hommes pieux qui voulaient vivre dans l’isolement. Les études récentes 37 évoquent la possibilité, que ce fut en 1675 l’un de ses précepteurs, Francis d’Oiblin, franciscain irlandais du monastère pragois « U hybernu˚ » qui aurait pu l’aider à découvrir la doctrine janséniste 38 . Le comte de Sporck commença ses études de droit et de philosophie à l’âge de treize ans, son intérêt pour la théologie fut probablement influencé par le fait que sa femme, protestante, se convertit au catholicisme. Le comte lui-même n’a que très peu 36 D’après Hanuš Jelínek, « Le Comte F.-A. Sporck et le jansénisme français en Bohême », in La revue de littérature comparée, XIV, Prague, 1934, p. 59 ; Gotwald Caesar Stillenau, Leben eines herrlichen Bildes wahrer und rechtschaffener Frömmigkeit […] Herrn Frantz Antoni des h. Röm. Reichs Grafen von Sporck, Amsterdam, s.n., 1720. 37 Eduard Winter, Tausend Jahre Geisteskampf im Sudetenraum : das religiöse Ringen zweier Völker, Salzburg-Leipzig, Müller 1938 ; Stephan Dolezel, « Frühe Einflüsse des Jansenismus in Böhmen », in Bohemia sacra : das Christentum in Böhmen 973-1973 ; ecclesia temporalis, ecclesia universalis, ecclesia magistra, ecclesia (hrsg. von Ferdinand Seibt), Düsseldorf, Schwan 1974, p. 145-153. 38 Le monastère « U hybern ů » a été fondé par Malachias Fullon, originaire d’ Angleterre, qui a dû quitter son pays, est venu en France, a connu la doctrine janséniste à Louvain (1621), d’où il est parti à Prague. La réception des idées jansénistes à Prague est confirmée par une plainte d’un jésuite anonyme qui s’adresse en 1653 au pape Innocent X pour dénoncer les pratiques de l’archevêque de Prague, le comte de Harrach. Ce dernier a donné la permission aux ecclésiastiques du monastère « U hybern ů » d’enseigner la théologie au séminaire ouvert près de l’archevêché à Prague. À son avis, les cours proposés ne respectent pas le Concile de Trente. Le texte de la plainte mentionne encore le conseiller le plus proche du comte de Harrach, Basilius de Aire, « ami et protecteur de la hérésie janséniste ». Le jansénisme en Bohême a été mis à l’index en 1653 par la Bulle Cum occasione…, et le comte de Harrach a dû l’accepter à Prague en 1654. La situation en Bohême a été très tendue suite à la défense de l’importation, de la diffusion et de la lecture de tout livre hérétique (y compris janséniste), proclamée par l’empereur dès 1652. Stephan Dolezel, Frühe Einflüsse, op. cit, p. 147-148. <?page no="121"?> 107 Les livres jansénistes dans le milieu aristocratique en Bohême vécu dans la solitude et la méditation, mais il a décidé d’élever ses deux filles dans la doctrine janséniste. Sa fille aînée Eléonore (1687-1717) décédée prématurément à l’âge de vingt-sept ans, est entrée en religion au couvent des Célestines, fondé par son père sur son domaine de Choustníkovo Hradišteˇ 39 . Sa fille cadette Anne-Catherine (1689-1754), mariée contre sa volonté à son cousin Franz Karl Swéerts, a conservé, elle aussi, son penchant pour la méditation pieuse. Après la mort de son père, elle a publié une série d’ouvrages de piété et fondé un studium theologiae asceticae au couvent des Servites de l’Annonciation à Prague 40 . Les deux sœurs collaborèrent comme traductrices des œuvres religieuses, publiées par leur père dans son imprimerie privée à Lysá nad Labem. F. Slabý 41 suppose que dans cette imprimerie Sporck n’éditait que des textes moins importants comme les prières, les chansons ou les species facti, donc les documents concernant ses procès. Les travaux plus importants devaient paraître à Prague chez Wickhart. La seule preuve de l’existence de cette imprimerie à Lysá nad Labem, est le mémoire adressé au gouvernement général qui ordonne sa fermeture immédiate en 1714. Sporck protesta vivement contre le fait que l’imprimerie ait été fermée en son absence et que l’imprimeur ait été mis en prison. En plus, il y justifiait son droit à la traduction et à la publication des livres. Et il ajouta la remarque sarcastique, que s’il avait été question des livres Ovidii incorrecti de arte amandi, Amanti Romanzen und andere Modi - Bücher, il n’aurait rien risqué 42 . En fait, la fermeture de l’imprimerie privée de Sporck par le Consistoire de Prague correspondait à la campagne antijanséniste en France, suite à la bulle Vineam Domini de Clément XI. L’activité éditoriale du comte de Sporck comprend une centaine d’ouvrages parmi lesquels vingt-cinq livres de religion traduits du français en allemand. Le choix des ouvrages ne se borne pas aux auteurs jansénistes ; parmi les vingt-cinq livres traduits du français par Eléonore et sa sœur, les noms des prédicateurs réformés, comme Charles Drelincourt de Paris, Benoît Pictet de Genève (les deux imprimés portent des supralibros de Marie Ernestine) 43 39 Le couvent des Célestines à Choustníkovo Hradišteˇ serait un Port-Royal en Bohême, et le comte aurait dû charger sa fille des traductions des auteurs français. Stephan Dolezel, Frühe Einflüsse, op. cit., p. 175. 40 Hanuš Jelínek, « Le Comte F.-A. Sporck et le jansénisme français en Bohême », op. cit., p. 53-67. 41 Fabian Slabý, Hrabeˇ František Antonín Sporck [Le comte François Antonin de Sporck], Listy filologické [Les Feuilles philologiques], XXXIV, Prague, 1907, p. 425-451. 42 Cité par Fabian Slabý, Hrabe ˇ…, op. cit., p. 439. 43 Christliche Sitten-Lehre, Oder Kunst recht und gut zu leben […] und Auß Frantzösischer in die Teutsche Sprache übersetzt durch El : Fr. Gr. V. Sp. [2 teile] Getruct im Fürstlichen Stifft Kempten durch Johann Mayr. Anno 1702 [I], 1705 [II]. = Morale chrétienne, ou l’Art de bien vivre [par Benedict Pictet]. Bibliothèque de C´ eský Krumlov, cote 45 I <?page no="122"?> Jitka Radimská 108 et Jean La Placette, réfugié à Copenhague après la révocation de l’ Édit de Nantes, figurent aux côtes d’un Jésuite, Timoléon Cheminais. Sporck ou ses filles s’intéressaient à tout ouvrage à tendance réformatrice dans le sens moral. Par ailleurs, Éléonore élimina, dans ses traductions, tout ce qui lui semblait s’opposer à la doctrine catholique. Au début de son activité éditoriale, Sporck considérait les écrits jansénistes comme anodins. Ce n’est qu’après 1713 qu’il commence à être plus prudent : en publiant Les Psaumes de David avec le commentaire d’Isaac Le Maître de Sacy, il ne désigne plus ni noms, ni initiales des traductrices. En 1712, il publia à Prague le traité intitulé Wiederlegung der Atheisten, Deisten, und neuen Zweyffler. Il s’agit de la libre adaptation du chapitre VII des Pensées de Pascal, ce qui est mentionné par Sporck dans la Préface, où il avoue sa grande admiration des idées pascaliennes. Benedikt affirme que Sporck n’en est pas l’auteur, Josef Pekarˇ et Hanus Jelínek croient qu’on peut l’attribuer à sa fille Eléonore. Ce qui est évident, c’est qu’après la mort d’Eléonore, qui avait traduit la plupart des écrits de nuance janséniste publiés par son père, ce genre de traduction cesse, à l’exception de l’Année chrétienne et des Epîtres de saint Paul 44 , dont la publication avait été décidée de son vivant. La censure des jésuites tchèques (parmi lesquels le Père Drbohlav, chanoine de Hradec Králové qui fut, lors du procès d’hérésie, chargé d’examiner les livres sporckiens), ressentait le danger de l’hérésie même dans les écrits ayant un jésuite pour auteur 45 . La plupart des livres jansénistes furent mis à l’index du Père 8420 ; Prague KNM (= Bibliothèque du Musée National), cote 42 G 62 ; cote 52 B 2 ; cote 54 B 7 ; Göttingen SUB DD, cote 92 A 33105 ; Wolfenbüttel HAB, cote Tg 115 ; Benedikt : 12. Tractat Wider Die Gleichgültigkeit derer Glauben. Verbessert Und auß dem Frantzösischen in das Teutsche Übersetzt : durch El : Fr. Gr. V. Sp. Getruct im Fürstlichen Stifft Kempten durch Johann Mayr. Anno 1702. = Traité contre l’indifférence des religions [par Benedict Pictet]. Bibliothèque de C´ eský Krumlov, cote 45 A 8335 ; Olomouc VK (= Bibliothèque scientifique), cote 4.464 ; Prague KNM (= Bibliothèque du Musée National), cote 52 G 32, cote 54 G 45 ok ; Benedikt : 7. 44 Das Christliche Jahr : Oder die Episteln und Evangelien, Auf die Sonn-Gemeine-Ferial-und Fest-Täge des gantzen Jahrs, Sambt dererselben Auslegung, In gebundener und ungebundener Rede : Wie auch einem kurtzen Begriff des Lebens von denen Heiligen derer Gedächtnus begangen wird. Aus dem Frantzösischen in die Teutsche Sprach übersetzt. Und Durchgehends mit Kuppfern gezieret, Prag, Labaun, 17XX (Prag, Wessely) ; Die Epistel S. Pauli an die Römer, Mit ihrer Auslegung, so wohl des Wort-Verstands, als auch der Worte geistlicher und geheimer Bedeutung, Aus denen Heiligen Vättern und andern Kirchen-Lehrern gezogen, Durch den Hernn De Sacy. Nun aber aus dem Frantzösichen in das Teutsche übersetzt. o.O. (Lysá), 1720. 45 C’était le cas de Nicolaus Causinus, dont la traduction fut qualifiée par le censeur prudent de Libellus alias pius, sed versio suspecta. Cité d’après Hanuš Jelínek, Le Comte…, op. cit., p. 61. <?page no="123"?> 109 Les livres jansénistes dans le milieu aristocratique en Bohême Koniáš 46 (1691-1760), auteur de l’ouvrage intitulé Clavis haeresim ac claudens et aperiens, publié à Hradec Králové en 1729 et en 1749 47 , et qui se vantait d’avoir mis lui-même au feu plus de trente mille livres hérétiques ou suspects d’hérésie. Le 26 juin 1729, les jésuites ont transporté la bibliothèque et les dépôts de l’édition du comte de Sporck à Hradec Králové pour soumettre les imprimés à l’examen. Le consistoire trouva seize écrits hérétiques et quinze ouvrages suspects. Pour avoir répandu l’hérésie, le comte fut condamné, en 1733, à une amende de six mille ducats. Aussi préféra-t-il se réconcilier avec les jésuites et assister publiquement à toutes les cérémonies d’une mission jésuite à Lysá nad Labem. L’activité éditoriale du comte de Sporck ne se bornait pas à la seule Bohême orientale. Les livres aus dem Frantzösischen ins Teutsche übersetzt, sortis de ses presses privées, ont été envoyés aux aristocrates et aux ecclésiastiques en Bohême ainsi qu’en Europe 48 . Parfois ce n’est que la gravure de son blason à la place de la marque typographique d’imprimeur qui nous informe qu’il s’agit d’une publication mise sous la presse par Sporck. C’est le cas d’un livre français conservé dans la bibliothèque baroque des seigneurs d’Eggenberg, au château de C ˇ eský Krumlov. 49 Quant à la bibliothèque du comte de Sporck, elle n’a malheureusement pas été conservée dans son intégralité. Ses exemplaires ont été dispersés dans d’autres bibliothèques, privées ou publiques, le reste des livres se trouve aujourd’hui à Lysá nad Labem 50 . 46 Voir Jaroslav Vlcˇek, Jansenismus na p ů deˇ cˇeské [Le jansénisme sur le sol tchèque], in Naše doba [Notre époque], VI, Prague, 1898, p. 15-24. 47 3 e édition posthume en 1770 sous le titre Index bohemicorum librorum prohibitorum et corrigendorum. 48 Entre autres, il les a offerts à Monsieur d’Abregé ; Madame de Bertholdin (trois cents exemplaires ! ) ; au Père Basselier, chanoine de Cambray ; au Père Boivin, maître de l’oraison ; au comte de Dietrichstein ; au Père Fitzing de Rätz ; au Père Freiberger ; à Nicolas Pierre Gondolfsky, Comte d’Apraksin, de Moscou ; au baron Grabau ; à la comtesse de Hohenlohe ; au baron Huldenberg ; au comte de Sarentheim ; au comte de Schütz ; au Recteur Streff ; au comte de Tondorff ; au comte de Zinzendorf ; etc. Dans sa lettre du 23 décembre 1717, le professeur Johann Daniel Köhler d’Altdorf a beaucoup apprécié ce cadeau de livres, ce qui semblait encourager le comte qui lui répondra le 8 janvier 1718 : « Aussi n’ai-je pas laissé tomber mon courage vivace, mais au contraire, j’ai été incité à éterniser, avec les hommes raisonnables, et mon nom, et mon blason, et mon portrait. » Cité d’après Fabian Slabý, Hrabeˇ …, op. cit., p. 440-441. 49 L’exercice de la constance chrestienne, Prague 1707, 192 p. in-8°. Bibliothèque de C´ eský Krumlov, cote 38 A 7155 ; British Library, cote 843.c.10. (1.) [Prague, 1707, 72 p. in-8°]. 50 Bohumír Lifka, « Historické knihovny v Kuksu » [« Les bibliothèques historiques à Kuks »], in Kuks, hospitál a Betlém. [Kuks, l’hôpital et Bethléem], Prague 1959, p. 20-25. <?page no="124"?> Jitka Radimská 110 En guise de conclusion La présence des livres de spiritualité janséniste dans les bibliothèques de la noblesse de Bohême témoigne de la connaissance des idées de Port-Royal aux XVII e et XVIII e siècles dans ces milieux aristocratiques. Cependant il s’agissait de l’aspiration générale à une piété authentique, c’est-à-dire de la nuance janséniste du christianisme, plutôt que du jansénisme doctrinal, répandu en France à cette époque. Au XVII e siècle, la Bohême, la Moravie et la Silésie, trois pays de la Couronne tchèque, ne se référaient pas au même passé que la France sous Louis XIV. L’exode des intellectuels protestants tchèques et moraves après 1627-1628, et la germanisation du peuple liée à la Contre- Réforme sous les Habsbourg, ont défini de nouvelles conditions. La réception du jansénisme se faisait à deux reprises avec la participation active de certains ordres, des Franciscains irlandais, par exemple, ou des Prémontrés en Moravie, à Olomouc. Il faut aussi souligner le fait que les idées jansénistes en Bohême et en Moravie étaient plus répandues dans les régions proches des pays protestants (les Sudètes, la Moravie du Nord). Dans ces conditions, la charité et la piété séduisaient les personnes qui admiraient surtout la rigueur morale des jansénistes. Voilà pourquoi il nous semble utile d’orienter les recherches centrées sur l’Europe Centrale vers des liens qui peuvent rapprocher le protestantisme et le jansénisme, au lieu de poursuivre la tradition des historiens privilégiant les conflits entre les jansénistes et les jésuites. Les relations entre la noblesse tchèque et la noblesse d’origine étrangère installée en Bohême au XVII e siècle, ainsi que les rapports entre les « nouveaux arrivés » et la bourgeoisie et le peuple restent à être éclaircis. En tout cas, l’apport positif des Femmes de Lettres, les généreuses comtesses Marie-Ernestine d’Eggenberg et Eléonore et Anne-Catherine de Sporck, mérite d’être souligné, et l’étude de la réception de la littérature janséniste française en Europe centrale, entreprise dans les dernières années 51 , devrait être poursuivie. 51 Voir Juliette Guilbaud, « La diffusion des idées jansénistes par le livre français en Europe centrale aux XVII e et XVIII e siècles », in Különlenyomat a Magyar Könyvszemle Magyar Könyvszemle, 1 [Revue hongroise pour l’histoire du livre et de la presse, 2005. [Tiré à part] ; id., « Livres et réseaux jansénistes en France et en Europe centrale aux XVII e -XVIII e siècles », in Histoire et civilisation du livre : revue internationale, 2, Genève, Droz, 2006 ; id., « A Paris, chez Guillaume Desprez… », in Le livre janséniste et ses réseaux aux XVII e et XVIII e siècles, Paris, École Pratique des Hautes Études, 2006, 2 volumes. [Thèse de doctorat]. <?page no="125"?> Biblio 17, 188 (2010) Le jansénisme - un concept de controverses et controversé dans les encyclopédies allemandes et italiennes V OLKER K APP Université de Kiel Dans une communication à l’Association internationale des études françaises, Jean Orcibal a examiné les diverses définitions tirées d’une description extérieure du jansénisme et constaté qu’elles ne pouvaient nous satisfaire 1 . Il nous avertit par-là que ce serait une entreprise décevante de vouloir consulter les encyclopédies pour suppléer à ce défaut. Aussi le sujet de cette communication vise-t-il un but beaucoup plus modeste, à savoir celui de préciser les significations attribuées à la notion de « jansénisme » depuis le XVIII e siècle. Nous focaliserons l’attention sur les encyclopédies des XIX e et XX e siècles, parce que ces ouvrages sont censés fournir une information de base à ceux qui les consultent sur les domaines du savoir jugés assez importants pour y figurer. Les entrées y sont rangées - comme on le sait - depuis L’Encyclopédie éditée par Diderot et d’Alembert par ordre alphabétique, afin de tenir compte de la diversité des matières et de garder une certaine distance vis-à-vis du contenu. Malgré la partialité incontestée du modèle français de ce genre de manuels, ils passent pour une source fiable d’informations objectives dont la sélection et la présentation reflètent par conséquent l’opinion commune des rédacteurs qui les compilent et de leurs utilisateurs, qui acceptent la compétence des auteurs afin de réfléchir sur leur manière de juger les données. C’est pour cette raison que nous voudrions étudier un certain nombre d’encyclopédies dans le but d’évaluer la vision qu’elles reflètent du « jansénisme » et aussi pour cerner l’évolution des idées sur le « jansénisme » en Europe. Le champ est trop vaste pour entrer dans les limites de cette communication, et une réduction s’impose. Il semble peu raisonnable de se contenter d’analyser les entrées « jansénisme », puisque le sujet est traité parfois sous 1 Voir Jean Orcibal, Études d’histoire et de littérature religieuses XVI e -XVII e siècles. Études réunies par Jacques Le Brun et Jean Lesaulnier, Paris, Klincksieck, 1997, p. 281-296. <?page no="126"?> Volker Kapp 112 l’entrée « Jansénius ». Cette sélection entre les deux possibilités se révèle souvent pleine de conséquences et aussi significative que la multiplication des entrées comme « Port-Royal », « Duvergier de Hauranne », « Arnauld », « Pascal », etc. Il faut donc également prendre en considération cet aspect et se limiter plutôt à un nombre restreint d’aires linguistiques. Nous nous sommes concentré surtout sur les encyclopédies de langue allemande que nous confronterons dans une certaine mesure avec celles d’Italie, afin de faire mieux ressortir quelques spécificités. La péninsule est dominée par le catholicisme dont le centre mondial, Rome, a examiné et condamné dans des commissions, dominées par une majorité de théologiens italiens, les ouvrages et les doctrines qualifiés de « jansénistes ». Le Saint Empire et la nation allemande qui lui succède sont marqués en revanche par l’antagonisme entre catholiques et protestants, antagonisme qui se reflète dans l’accusation, par les catholiques, d’un Jansénius sympathisant avec le calvinisme, opinion que Melchior Leydecker corrige en soutenant que Jansénius fut très injuste envers les réformés 2 . Leydecker lui reproche d’avoir bien compris la doctrine protestante de la justification tout en polémiquant contre le protestantisme 3 . Cette attitude a freiné l’effort des protestants, gênés par son comportement visà-vis de leurs corréligionnaires, de détecter chez Jansénius des affinités avec leur propre aversion contre le catholicisme. Il faut cependant se garder de généraliser l’opposition entre les jugements des catholiques et des protestants allemands. Le point de vue italien diverge de l’optique allemande, même dans le camp catholique. Par ailleurs, le nord de la péninsule est, jusqu’à la fin du XIX e siècle, sous la domination des Habsbourg, et l’histoire du jansénisme que les encyclopédies aiment qualifier d’autrichien concerne, en partie de même, ce qu’elles qualifient de « jansénisme italien ». Les affinités entre les deux composantes du corpus de textes deviennent encore plus évidentes dès qu’on se rend compte qu’il n’existe aucune encyclopédie universelle éditée en Autriche, étant donné que toutes les encyclopédies en langue allemande proviennent de maisons d’édition situées sur le territoire allemand. Notre corpus de textes comprend d’une part les encyclopédies universelles et d’autre part les encyclopédies spécialisées de théologie en langue vernaculaire. Sur le marché du livre en Allemagne, les protestants prédominent jusque dans les années 40 du XIX e siècle, quand paraissent les premières encyclopédies catholiques. C’est alors que les catho- 2 Injustissima autem fuit Jansenii cum Reformatis agendi methodus. (De historia jansenismi libri VI. Quibus Jansenii vita et morte, nec non de ipsius & sequacium dogmatibus disseritur, Halma, Trajecti Rhenum, 1695, p. 65). 3 Verùm sicuti Jansenius multa praeclarè de Conversionis gratia, sic vituperandus est in eo, quod ad fidem de Justificatione Euangelicam non pervenit. Imò Reformatae Religionis odio ad eam procedere noluit […]. (Ibid., p. 195). <?page no="127"?> 113 Le jansénisme - un concept de controverses liques commencent à éditer également la première encyclopédie de théologie catholique destinée à se profiler contre leurs concurrents protestants. Il est impossible d’envisager un grand nombre d’encyclopédies italiennes dans le cadre restreint de cette communication. L’Enciclopedia italiana reflète l’Italie laïque. Bien que compromise par ses liens avec le fascisme, elle s’impose sur la péninsule, et l’Enciclopedia cattolica, éditée deux décennies plus tard sous la protection du Vatican, sans lui faire véritablement concurrence, lui oppose une optique catholique. Les divergences italiennes entre libéralisme et catholicisme contrebalancent cependant assez bien l’antagonisme confessionnel allemand pour faire ressortir les spécificités nationales. Un élément qui caractérise la querelle du jansénisme est son hétérodoxie présumée. Les encyclopédies s’en occupent dès le XVIII e siècle, mais elles la jugent évidemment dans une optique confessionnelle qui diverge dans les deux camps. C’est dans une région protestante que paraît au XVIII e siècle l’encyclopédie publiée, entre 1732 et 1754, par Johann Heinrich Zedler à Leipzig et Halle. L’article « Jansénius » de Zedler renvoie à l’Historia Iansenismi (1695) de Melchior Leydecker qui publie les condamnations du Saint-Siège, une biographie de Jansénius et une histoire du « jansénisme ». C’est une des sources principales des articles d’encyclopédies allemandes au XIX e siècle. Zedler se conforme à Leydecker en constatant que le terme de « jansénisme » est dérivé du nom de Jansénius, mais il s’en détache en soutenant que les jésuites ont inventé cette dénomination pour les partisans de l’évêque d’Ypres afin de pouvoir les condamner en tant qu’« hérétiques ». Or, l’encyclopédie de Zedler fait allusion à Gottfried Arnold 4 qui renverse la signification courante de ce terme. Suivant ce théologien piétiste, les hérétiques perpétuent les doctrines orthodoxes trahies par l’Église en tant qu’institution. L’article ne prétend pas expressément que les jansénistes adhèrent au vrai christianisme, mais il aide le lecteur averti à se distancer de la condamnation catholique du jansénisme. La doctrine d’Arnold est rapidement tombée dans l’oubli dans les encyclopédies universelles dont celles d’orientation protestante se contentent de mentionner que le jansénisme a été condamné par Rome comme hérétique ; leurs concurrents catholiques, en revanche, le taxent catégoriquement d’hérésie. Un changement d’orientation est cependant perceptible en 1894 dans celle de Brockhaus qui substitue au terme d’hérésie celui de « parti 5 ». Dans les années 50 du XX e siècle, la même encyclopédie le qualifie d’« un des 4 Unparteyische Kirchen- und Ketzerhistorie, 1699-1700. Voir : Dietrich Blaufuss - Friedrich Niewöhner (Hrsg.), Gottfried Arnold (1666-1714). Mit einer Bibliographie der Arnold-Literatur ab 1714, Wiesbaden, Harrasowitz, 1995. 5 Jansenisten, eine kath. Kirchenpartei, genannt nach Cornelius Jansen. (Brockhaus’ Konversations=Lexikon. Vierzehnte vollständig neubearbeitete Auflage, Leipzig und Wien, Brockhaus in Leipzig, 1894, vol. IX, p. 853). <?page no="128"?> Volker Kapp 114 mouvements les plus importants de la théologie catholique après le concile de Trente surtout en France 6 ». À la même époque, son concurrent catholique recourt au même terme et à la même délimitation 7 , tandis que l’Enciclopedia cattolica commence l’histoire de la réception de l’Augustinus de Jansénius par sa condamnation en parlant d’« histoire d’une hérésie née à en croire les dernières paroles de l’évêque d’Ypres contre la volonté de son fondateur non véritablement hérétique 8 ». Les catholiques allemands sont donc plus proches des protestants que du Saint-Siège qui utilise toujours la catégorie traditionnelle. La question de savoir si le jansénisme est hérétique, est marginalisée par les encyclopédies de la seconde moitié du XX e siècle. Charles H. O’Brien est le premier à louer le style de l’ouvrage de Jansénius écrit dans un latin élégant marqué par celui d’Augustin 9 . C’est un changement radical par rapport aux préoccupations du siècle précédent, où catholiques et protestants consacraient toute leur attention au débat théologique et présentaient le jansénisme à l’intérieur du champ des controverses entre les deux confessions chrétiennes. Nous envisageons les deux adversaires en faisant abstraction des divergences entre les différentes versions du protestantisme. Qu’on nous pardonne cette simplification qui ne nous semble pas falsifier les résultats de notre enquête ! Le traditionalisme se manifeste partout dans l’Enciclopedia cattolica qui s’en tient aux débats de la fin du XIX e siècle sur le soi-disant testament de Jansénius dont l’authenticité, contestée alors dès les années 80, est chaleureusement défendue dans l’article « Jansénius » de l’encyclopédie de théologie catholique Kirchenlexikon 10 . B. Jungmann, historien de l’Église, y cherche 6 Eine der größten Bewegungen der nachtridentin., kath. Theologie (Der Grosse Brockhaus. Sechzehnte, völlig neubearbeitete Auflage in zwölf Bänden, Wiesbaden, Brockhaus, 1955, vol. VI, p. 24). 7 Von C. Jansen u. C. Du Vergier [J.A. Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran] begr. Bewegung in der kath. Kirche, hauptsächl. in Fkr. (Der Grosse Herder. Nachschlagewerk für Wissen und Leben. Fünfte, neubearbeitete Auflage von Herders Konversationslexikon, Freiburg, Herder, 1957, vol. IV, col. 1195). 8 Con questa condanna s’inizia la storia di un’eresia nata, a credere nelle ultime parole del vescovo d’Ypres, contro la volontà del suo fondatore non espressamente eretico. (Enciclopedia cattolica, Roma, Ente per l’Enciclopedia cattolica e per il libro cattolico, 1951, col. 351-352). 9 Der Augustinus ist in einem eleganten, von der Latinität Augustins geprägten Stil geschrieben. (Theologische Realenzyklopädie, Berlin - New York, De Gruyter, 1987, vol. XVI, p. 504). 10 Voir Indeß lässt sich die Unächtheit jenes Documents, welches dem Bischof zur Ehre gereicht, nicht nachweisen. (Wetzer und Welte’s Kirchenlexikon oder Encyklopädie der katholischen Theologie und ihrer Hilfswissenschaften. Zweite Auflage, Freiburg, Herder, 1889, vol. VI, col. 1220). <?page no="129"?> 115 Le jansénisme - un concept de controverses à déprécier Jansénius en avançant une explication psychologique suivant laquelle le jeune théologien de Louvain aurait gardé rancune à ses anciens maîtres d’avoir refusé son entrée dans la Compagnie de Jésus, soit à cause de sa santé fragile, soit à cause de son caractère 11 . De tels soupçons malveillants sont absents des encyclopédies protestantes qui érigent l’évêque d’Ypres en vedette de la lutte contre les jésuites détestés tout en prenant leurs distances avec le personnage. L’encyclopédie de Zedler souligne que Jansénius « est né de parents catholiques-romains 12 ». Les écrits de controverse contre les protestants y sont passés sous silence, à l’exception du Mars Gallicus dont la polémique contre l’alliance de Louis XIII avec les protestants est censée lui avoir valu la nomination d’évêque, accusation avancée déjà par Leydecker 13 , et que répétera un siècle plus tard l’Allgemeine Enzyklopädie der Wissenschaften und Künste dans l’article biographique sur Jansénius. L’auteur des articles « jansénisme » et « Jansénius », Lobegott Lange, y accuse les jésuites d’avoir soutenu cette alliance, tandis que Leydecker n’en dit rien. Cette polémique contre la Compagnie de Jésus provient d’une partialité qui simplifie les données historiques et occulte par-là la dimension politique du débat sur le jansénisme au lieu d’analyser le côté idéologique. À l’opposé du plaidoyer de B. Jungmann en faveur des jésuites, Lange s’adonne à la chasse aux jésuites et prétend que le jansénisme n’est qu’un fantôme issu de leur imagination 14 pour occulter l’hétérodoxie de leur doctrine de la grâce dont son article « jansénisme » retrace l’histoire depuis l’Antiquité chrétienne. Cette stratégie se retrouve dans la 11 Es scheint, daß dieser Vorfall der erste Grund seiner Abneigung gegen die Jesuiten bei ihm war, die sich in der Folge steigerte und später nicht bloß auf ihr Lehrsystem, sondern auch auf die ganze Richtung und Tätigkeit der Gesellschaft sich ausdehnte. (Wetzer und Welte’s Kirchenlexikon, ibid., col. 1218). 12 […] von Römisch-Catholischen Eltern geboren. (Johann Heinrich Zedler, Grosses vollständiges Universal-Lexikon (Leipzig-Halle 1735), 2. vollständiger photomechanischer Nachdruck, Graz, Akademische Druck- und Verlagsanstalt, 1995, vol. XIV, col. 209. 13 Et verò cum isthoc Opere aeternas Gallia Aulae iras in se suosque concitauerit, atque ex aduerso a Rege Hispaniarum Yprensem Episcopatum impetrauit & obtinuerit […]. (De Historia Jansenismi, op. cit., p. 77). 14 Aus dem Verlaufe der Geschichte der sogenannten Jansenistischen Streitigkeiten geht klar hervor, daß die Unruhen, welche sie veranlaßten, im Wesentlichen nur eine Folge der Intriguen des herrschsüchtigen Jesuitenordens, und daß die immer wieder aufgespürte und wieder verdammte angebliche Jansenistische Ketzerei nur eine schlaue Erfindung desselben Orden war. […] Welch ein großes Nichts hat also die Welt so lange geäfft ? Und wie sehr müssen die Jesuiten geneigt sein, Ketzer zu machen, wo keine sind. (J.S. Ersch - J.G. Gruber, Allgemeine Enzyklopädie der Wissenschaften und Künste (1818-1889), Graz, Akademische Druck- und Verlagsanstalt, 1981, Teil 14, zweite Sektion, p. 340). <?page no="130"?> Volker Kapp 116 plupart des encyclopédies de théologie protestante du XIX e siècle. Celles-ci ne cessent de répéter que la querelle autour de la doctrine théologique de la grâce et de la prédestination a son origine dans les difficultés du catholicisme, incapable après le concile de Trente de se délimiter des réformés, particulièrement de Luther, héritier de la théologie d’Augustin. C’est dans cette optique que la Realencyklopädie für protestantische Theologie und Kirche souligne, en 1900, les analogies entre calvinisme et jansénisme, censés être les deux origines de la Réforme en France 15 . Le jansénisme passe ainsi pour la revanche historique de la révocation de l’Édit de Nantes et pour une preuve que, malgré les apparences, la Réforme reste profondément enracinée dans ce royaume demeuré fidèle au catholicisme. La politique de Louis XIV est dépréciée par l’évocation de son combat contre les jansénistes et par le zeugme que le roi fut victime de ses passions et de ses confesseurs jésuites 16 . On n’est donc pas étonné de l’hypothèse selon laquelle la querelle du jansénisme est terminée après l’expulsion des jésuites hors de France 17 . Bien que le gallicanisme et le richerisme suscitent une certaine sympathie chez les protestants, le jansénisme des dernières décennies avant la Révolution française est qualifié d’« alliance artificielle de piété sérieuse, ascétique, de fanatisme et d’incroyance 18 ». Les victimes de la Terreur sont louées, Ricci, évêque de Pistoia, et son collègue de Tarante sont dépréciés, aussi bien que les collaborateurs de l’empereur Joseph II. La partie finale de l’article, où toutes ces informations sont accumulées, manque de cohérence et manifeste par conséquent la gêne de l’auteur face aux effets politiques de ces disputes à l’intérieur du catholicisme. Ce ne sera qu’au XX e siècle que les encyclopédies de théologie protestante chercheront à s’approprier les explications politiques ou sociologiques du jansénisme. L’article mentionné de Lange se caractérise par un mélange de clairvoyance et de polémique confessionnelle. Il tient compte du côté politique de la querelle du jansénisme sans en évaluer véritablement la signification. Selon cet auteur, le débat soulevé par la publication des trois volumes sur la 15 Frankreich hat einen zweifachen Anfang der Reformation gehabt, im Calvinismus einerseits, im Jansenismus andererseits. Diese Erscheinungen umschlingt ein enges Band der Verwandtschaft. (Ibid., p. 589). 16 Der König, seinen Lüsten und und jesuitischen Beichtvätern immer mehr verfallen, sah dies alles als persönliche Kränkung. (Ibid., p. 596). 17 Über die Aufregung, welche der Vertreibung des Jesuitenordens voranging, verstummen obige Streitigkeiten. (Realencyklopädie für protestantische Theologie und Kirche. Dritte und vermehrte Auflage, Leipzig, Hinrich’sche Buchhandlung, 1900, vol. VIII, p. 599). 18 Der vereinte kirchliche und bürgerliche Druck brachte eine unnatürliche Verbindung von ernster, asketischer Frömmigkeit, von Fanatismus, von Unglauben unter dem Namen von Jansenismus in den Jahrzehnten vor der Revolution hervor. (Ibid., p. 599). <?page no="131"?> 117 Le jansénisme - un concept de controverses théologie de saint Augustin a envahi le domaine politique de plusieurs États « catholiques-romains » et il ne pourra être surmonté que par « une réforme intérieure 19 » de tout le catholicisme, autrement dit par une assimilation du catholicisme aux Églises réformées. Le tort de celui qui est appelé avec une bienveillance condescendante le « bon Jansénius » consiste à soutenir le catholicisme 20 et la papauté par des arguments anachroniques parce qu’annihilés depuis longtemps par les protestants qui l’ont terrassé, à sa honte, dans leurs disputes orales. C’est donc une juste punition du partisan du Sainte- Siège romain que de subir lui-même l’accusation d’hérésie après avoir taxé de rebelles les réformateurs de l’Église 21 . Lange profite de sa présentation du « jansénisme » dans une encyclopédie universelle pour plaider la cause du protestantisme que l’évêque d’Ypres et ses partisans, aveuglés par leur adhésion au catholicisme romain, s’obstinent à méconnaître. Toutes les encyclopédies du XIX e siècle focalisent l’attention sur le débat théologique et ses implications politiques en France. Cette optique est peu adaptée à mettre en évidence le rôle spécifique des vedettes du jansénisme français. L’amitié entre Jansénius et Jean-Ambroise Duvergier de Hauranne est toujours mentionnée, mais la théologie de ce dernier est négligée. Son rôle se réduit à diffuser l’Augustinus en France. Pasquier Quesnel est associé à Antoine Arnauld dans la lutte contre la condamnation romaine du jansénisme, mais les spécificités de son œuvre passent à l’arrière-plan par rapport à la description de ses sympathisants et des poursuites qu’il a subies. Dans ce contexte, les Lettres provinciales de Pascal retiennent plus l’attention des encyclopédies que ses Pensées. Antoine Arnauld jouit d’un prestige analogue à celui de Pascal. Sa contribution à la rédaction des Lettres provinciales est mise en relief, et son importance est telle aux yeux des théologiens protestants que la Realencyclopädie für protestantische Theologie und Kirche exalte l’édition de Lausanne de ses œuvres et l’érige en « rempart inexpugnable contre le Voltairisme 22 ». 19 Ibid., p. 331. 20 M. Leydecker note également à propos du « testament » de Jansénius : At mirandum est, Virum Egregium adeò dubitasse de sua fede, ut, quidquid habuerit de eâ certitudinis, se suamque mentem Ecclesiae subjecerit […]. Eà tendunt Papistica Principia ! (De Historia Jansenismi, op. cit., p. 195). 21 Lange termine l’article biographique par la remarque suivante : Hätte der gute Jansen freilich voraussehen können, welche Unruhen dieses Werk erregen, wie es ihn den sonst treuen Anhänger des römischen Stuhls sogar in den Geruch der Ketzerei bringen würde, vielleicht würden ihm, dem eifrigen Bekämpfer der kirchlichen Reformation, in welcher er nur Rebellion erblicken konnte, die Augen noch zur rechten Zeit aufgegangen sein. (Ibid., p. 342). 22 Man hoffte sie als unübersteigliches Bollwerk dem einbrechenden Voltairianismus entgegenzustellen. (Ibid., p. 596). <?page no="132"?> Volker Kapp 118 Un changement de perspective ne se manifeste qu’en 1929 dans l’encyclopédie de théologie protestante Die Religion in Geschichte und Gegenwart. L’article « jansénisme », signé par Bornhausen, commence par réduire le mouvement à un épisode de l’histoire de la France tout en le plaçant dans un contexte philosophique. Arnauld, apprécié grâce à son dialogue avec Leibniz, y est l’auteur de l’ouvrage anti-protestant De la perpétuité de la foi. Bornhausen reproche au jansénisme de n’avoir pas saisi la pensée des temps modernes en ce qui concerne la morale 23 , tandis qu’il vante son programme pédagogique en insistant sur l’opposition entre La logique de Port-Royal et les principes de l’érudition de l’Académie et de la bonne société 24 , thèse qui confond les académies érudites en Allemagne avec l’Académie française. Selon cet article, le jansénisme, en favorisant l’individualisme, marque la civilisation française profane du XIX e siècle, surtout grâce à l’alliance de la philosophie avec la religion chez Pascal dont les Lettres provinciales restent présentes dans la conscience collective française. Cette interprétation fait écho à l’analyse de Bernhard Groethuysen des Origines de l’esprit bourgeois en France 25 . Bornhausen ne recourt pas au terme de richerisme ou de fébronianisme quand il avance l’hypothèse selon laquelle le concept janséniste de la liberté de l’Église est passé dans la conscience globale pour se manifester ensuite dans l’hostilité de la populace révolutionnaire vis-à-vis de l’Église et dans la séparation de l’Église et de l’État en 1905, suites infiniment étrangères au jansénisme 26 . La sympathie pour le jansénisme perce dans la phrase qui termine l’article : 23 Auf dem Boden der Ethik hat der J. das prinzipielle Denken der Neuzeit nicht so getroffen. (Die Religion in Geschichte und Gegenwart. Handwörterbuch für Theologie und Religionswissenschaft. Zweite, völlig neu bearbeitete Auflage, Tübingen, Mohr, 1929, vol. III, col. 26). 24 Das jansenistische Bildungswesen, La logique de Port Royal steht aber in prinzipiellem Gegensatz zu der höfisch-akademischen Gelehrsamkeit […], von der die Jansenisten ausdrücklich ausgeschlossen waren. (Ibid., col. 27). 25 Tel est le titre de la traduction française du livre publié en 1927. Selon Groethuysen, les jansénistes du XVIII e siècle accusent la « nouvelle religion » des jésuites d’avoir favorisé l’avènement de la « nouvelle philosophie ». Eine neue Religion kämpft gegen eine neue Philosophie, und zwar wäre es der jansenistischen Auffassung nach die neue Religion, die das Aufkommen der neuen Philosophie verursacht, oder jedenfalls ermöglicht hätte. (Die Entstehung der bürgerlichen Welt- und Lebensanschauung in Frankreich. Band 1: Das Bürgertum und die katholische Weltanschauung, Frankfurt, Suhrkamp, 1978, p. 179). 26 Der Gegensatz zwischen Kirche und Papismus drang durch den J. in die französische Allgemeinbildung. Er wirkte in der groben populären Unkirchlichkeit der Französischen Revolution ; er endigte in der Trennung von Kirche und Staat […], wie sie Frankreich 1905 vollzogen hat, Folgen, die dem J. fern lagen. (Ibid., col. 29). <?page no="133"?> 119 Le jansénisme - un concept de controverses Si l’Église catholique française avait su intégrer le mouvement réformateur janséniste, la France ne serait pas redevenue à partir de 1918 la fille la plus fidèle de Rome 27 . Ce n’est qu’en 1989 que Manfred Biersack récuse nettement toute affinité métaphysique du jansénisme avec la pensée des protestants 28 . La dernière édition de Religion in Geschichte und Gegenwart de 2001 contient un article « jansénisme » rédigé par l’historien Peter Hersche, auteur d’une étude sur le jansénisme en Autriche comportant en appendice une première ébauche de bibliographie de la littérature janséniste publiée, entre 1700 et 1795, en Autriche, où les traductions des maîtres à penser français et italiens sont bien présentes 29 . L’absence totale d’Antoine Arnauld et des Pensées de Pascal surprend dans cette bibliographie, et il faudra des études plus poussées pour en vérifier les raisons qui pourraient résider autant dans le hasard des éditions sauvegardées que dans l’occultation, dictée par la prudence des éditeurs, de l’auteur véritable de l’ouvrage traduit. Hersche élargit avec détermination la perspective de la France vers l’Europe et présente les différentes facettes du jansénisme avec beaucoup de circonspection et sans la moindre polémique contre le catholicisme. On pourrait reprocher à l’auteur le terme de « catholicisme baroque », s’il ne reconnaissait lui-même que cette notion reste toujours peu claire 30 . Hersche, qui a publié récemment deux livres pour préciser son concept du baroque 31 , cherche à justifier le luxe et la splendeur, qualifiés de baroques, dont les jésuites sont les porte-parole et les jansénistes les antipodes. Ce programme cherche à réhabiliter une époque de la civilisation européenne, méprisée au nom du progrès scientifique et d’un certain type de rationalité 32 , et à la sauvegarder du reproche de décadence 27 Hätte die französische kath. Kirche die jansenistische Reformbewegung in sich aufzunehmen vermocht, wäre Frankreich seit 1918 nicht wieder treueste Tochter Roms geworden. (Ibid., col. 29). 28 Das ontologische Denken des J. ist mit reformatorischem trotz des Verdachts kath. Gegner nicht vereinbar. (Evangelisches Kirchenlexikon. Internationale theologische Enzyklopädie (Neufassung), art. Jansenismus, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1989, vol. II, col. 798). 29 Peter Hersche, Der Spätjansenismus in Österreich, Wien, Österreichische Akademie der Wissenschaften, 1977, p. 407-419. 30 […] dem noch wenig klar definierten Barockkatholizismus. (Religion in Geschichte und Gegenwart. Handwörterbuch für Theologie und Religionswissenschaft. Vierte, völlig neu bearbeitete Auflage, Tübingen, Mohr Siebeck, 2001, col. 371). 31 Italien im Barock-Zeitalter (1600-1750). Eine Sozial- und Kulturgeschichte, Wien, Böhlau, 1999 ; Muße und Verschwendung. Europäische Gesellschaft und Kultur im Barockzeitalter, Freiburg, Herder, 2006, 2 vol. 32 Voir à ce propos notre chapitre sur la littérature italienne du XVII e siècle in Italienische Literaturgeschichte. Herausgegeben von Volker Kapp. Dritte, erweiterte Auflage, Stuttgart - Weimar, Metzler, 2007, p. 171-208, surtout p. 178-192. <?page no="134"?> Volker Kapp 120 et de conservatisme. L’avantage indéniable de son article sur le jansénisme consiste à attirer l’attention sur la doctrine économique et sur l’importance littéraire des œuvres de Nicole, Quesnel, Pascal et Racine, ainsi que sur les alliances du jansénisme tardif avec les Lumières qui en sélectionnent les idées. Le rôle du jansénisme au XVIII e siècle y est également thématisé dans le contexte des Lumières catholiques dans le Saint-Empire, phénomène vivement discuté ces dernières décennies 33 . L’Enciclopedia italiana évoque la grande diffusion des Lettres provinciales sur la péninsule en attribuant l’intérêt pour ce texte à l’hostilité pour les jésuites. Daniello Concina et quelques membres de l’Ordre des Augustiniens, le cardinal Enrico Noris, Fulgenzio Bellelli, Gian Lorenzo Berti, ont lutté pour la théologie augustinienne de la grâce 34 . Hersche est le premier à souligner dans une encyclopédie de théologie protestante que les jansénistes avaient des sympathisants italiens 35 . Il ne se contente pas d’évoquer l’évêque Scipione de’ Ricci et le théologien Pietro Tamburini, mais renvoie aux échanges, analysés dans sa monographie déjà mentionnée, entre les jansénistes italiens et autrichiens sous l’impératrice Marie Thérèse et son fils Joseph II. Il range Muratori parmi les jansénistes, tandis que Hubert Jedin soutenait en 1962 le contraire 36 , et que l’Enciclopedia cattolica soulignait encore sa haute estime des jésuites 37 . 33 Voir également Hersche, Der Spätjansenismus in Österreich, op. cit., p. 50 et Peter F. Barton, Jesuiten, Jansenisten, Josephianer. Eine Fallstudie zur frühen Toleranzzeit : Der Fall Innocentius Feßler. 1. Teil, Wien-Köln-Graz, Böhlau, 1978, p. 168-171. Dieter Breuer énumère ce thème parmi les éléments caractérisant les Lumières catholiques (« Katholische Aufklärung und Theologie », Rottenburger Jahrbuch für Kirchengeschichte 23, 2004, p. 75-90, part. p. 78). Il a montré l’influence du jansénisme sur Grimmelshausen : « Grimmelshausens simplicianische Frömmigkeit : zum Augustinismus des 17. Jahrhunderts », in Frömmigkeit in der Frühen Neuzeit. Studien zur religiösen Literatur des 17. Jahrhunderts. Hrsg. von Dieter Breuer, Amsterdam, Rodopi, 1984, p. 213-252, part. p. 239-252. 34 In Italia le Provinciali di Pascal furon prestissimo diffuse e ben presto si cominciò a parlare di giansenisti italiani. A ben guardare si tratta però soltanto di avversari dei gesuiti, e nemici del probabilismo, di sostenitori del rigorismo morale (tra questi emerge il dominicano Daniello Concina, 1686-1756), di difensori dell’agostinianismo rigido in contraposto ad altre scuole teologiche, difensori provenienti nella quasi totalità dall’ordine agostiniano. (Enciclopedia italiana di scienze, lettere ed arti, Rome, Istituto G. Treccani, 1932, vol. XVI, col. 972). 35 Seit dem späten 17. Jh. hatte der J., ungeachtet der päpstl. Verurteilungen, auch bei röm. Theologen Interesse gefunden. (Religion in Geschichte und Gegenwart, op. cit., 2001, col. 371). 36 Voir : […] er darf nicht als Jansenist bezeichnet werden (Lexikon für Theologie und Kirche, op. cit., vol. VII, col. 692). 37 [Muratori] constatò la decadenza degli Ordini mendicanti per i quali dimostrava poca simpatia, mentre l’aveva grande per i Gesuiti. (Francesco Cognasso, art. “Muratori “, in Encicplodepia cattolica, op. cit., 1952, vol. VIII, col. 1526). <?page no="135"?> 121 Le jansénisme - un concept de controverses L’Enciclopedia italiana consacre peu d’espace au jansénisme en Italie par rapport à l’histoire des luttes en France jusqu’à la Révolution et à la fondation de l’Église d’Utrecht. Elle attire l’attention sur Vicenzo Palmieri et Eustachio Degola, qui font partie des cercles ligures sympathisants avec les Révolutionnaires français, et insiste sur leur affinité avec le libéralisme et avec la famille de Manzoni. Les liens, souvent affirmés, de Cavour et de Mazzini avec le jansénisme sont en revanche mis en doute 38 . Benvenuto Matteucci, auteur d’une étude sur Scipione de ’Ricci 39 , date, dans l’Enciclopedia cattolica, la fin du jansénisme italien au début du XIX e siècle après la mort de Ricci et de Degola, ceci afin d’expliquer sa présence dans le procès de la formation de l’Italie unifiée par l’antipathie contre le pouvoir temporel du Pape et contre la Curie. Selon cet adversaire du jansénisme, les traces jansénistes sont peu précises, mais exaltées par une historiographie partiale 40 . L’Enciclopedia delle religioni constate pour sa part le manque de précision théologique du jansénisme au XVIII e siècle, manque confirmé par la trajectoire de l’Église d’Utrecht à celle de Pistoia. Selon l’auteur de cet article, la pensée religieuse perd son identité théologique en faveur d’un vague caractère politico-religieux promouvant les Églises à tendance nationale ou locale et même schismatiques 41 . Cette encyclopédie tend donc à minimiser l’importance du jansénisme en Italie. Les théologiens catholiques en Allemagne poursuivent une stratégie inverse que les trois éditions de l’encyclopédie Lexikon für Theologie und Kirche mettent en évidence. En 1933, l’article de W. Deinhardt reproche au jansénisme d’avoir fasciné des hommes importants tout en aliénant, par son rigorisme, la masse des fidèles au christianisme et d’avoir favorisé ainsi la pensée philosophique anti-religieuse par le bouleversement de l’autorité de l’Église 42 . 38 Meno nette tali tracce nel pensiero cavourriane, se pur certe relazioni della famiglia Cavour col cenacolo giansenista piemontese : oltremodo dubbie le asserite influenze gianseniste nella formazione del pensiero di G. Mazzini. (Ibid., p. 972). 39 Scipione de’ Ricci. Saggio storico teologico sul giansenismo, Brescia, Morcelliana, 1941. 40 […] il legame può riconoscersi nel carattere non giansenistico del giansenismo italiano […] I liberali vedevano infatti nel potere temporale un impedimento all’unità politica nazionale, il giansenismo ad una riforma religiosa. Così si spiega la storiografia pregiudiziosa che esaltò ed esalta tutti i ribelli a Roma come fossero puri spiriti e martiri della libertà. (Ibid., col. 359). 41 Ma la traiettoria Utrecht-Pistoia fa intendere l’inesaurabile declino del G. o almeno lo svuotamento progressivo della sua carica religiosa, deviata dalla primitiva fisionomia teologica verso esiti di carattere politico-religioso, sorrendo cioè figure di Chiese a tendenza nazionale e locale, appunto di Chiese scismatiche […]. (Enciclopedia delle religioni, Florence, Vallecchi, 1971, vol. III, p. 194). 42 Die jansenist. Bewegung hat bedeutende Geister in ihren Bann gezogen […], durch ihre schroffe Gnadenlehre aber u. ihren Rigorismus in Moral u. Aszese Scharen von Gläubigen der Kirche und dem Christentum entfremdet. […] Erschütterung der kirchl. Autorität u. <?page no="136"?> Volker Kapp 122 En 1960, Léopold Willaert, un jésuite, s’abstient de toute condamnation en faveur d’une description nuancée des multiples facettes de ce « mouvement dogmatique, moral et politique d’une grande complexité 43 ». Se proposant originairement une réforme de la théologie après le concile de Trente, il se développa différemment dans les divers pays et, à cause de sa condamnation par le pape, il s’allia avec les adversaires du centralisme romain. Willaert consacre une première partie à la description de la situation en Belgique, en France, aux Pays-Bas et en Italie, avant de présenter ensuite la doctrine et ses spécificités dans ces régions. Le terme d’hérétique est évité, l’unique concession faite au point de vue de l’orthodoxie catholique consiste à marginaliser l’hostilité de la Compagnie de Jésus et à éviter l’apologie du jansénisme. En 1996, la même encyclopédie confie à Françoise Hildesheimer la tâche de présenter le jansénisme. L’article est également divisé en deux parties, une première d’histoire et une seconde de doctrine. Il s’abstient de considérer séparément les différentes régions et se termine par un éloge du mouvement. L’auteur concède que la postérité compte le rigorisme moral parmi les éléments centraux du jansénisme tout en plaidant pour une évaluation de ses aspects d’innovation : le statut des laïcs, la liturgie compréhensible pour tout le monde, la valorisation de la femme, la lecture de la Bible en langue vernaculaire, la pédagogie. Voilà un renversement total par rapport aux jugements négatifs des encyclopédies catholiques d’autrefois. Peter Hersche confirme en 2001 cette haute estime dans l’encyclopédie protestante Religion in Geschichte und Gegenwart en affirmant qu’un certain nombre des positions du jansénisme sont réhabilitées tacitement et tardivement par le concile Vatican II 44 . Pour conclure, je voudrais prendre du recul par rapport à cet enthousiasme général. Si certaines affinités entre les réformes envisagées par le concile Vatican II et le jansénisme sont trop évidentes pour être niées, les divergences sont toutefois trop grandes pour être ignorées. Reconnaissons franchement que les théologiens catholiques contemporains se préoccupent nettement moins de la prédestination et de la grâce que les jansénistes et leurs adversaires. La pratique actuelle de la fréquente communion aurait choqué Antoine Arnauld aussi bien que la marginalisation du sacrement de weitgehende Gewissensverwirrung waren unmittelbare Folgen der Streitigkeiten. Damit hat der J. faktisch der antirel. Aufklärung vorgearbeitet. (Lexikon für Theologie und Kirche. Zweite, neubearbeitete Auflage des Kirchlichen Handlexikons, Freiburg, Herder, 1933, vol. V, col. 277). 43 […] eine äußerst komplexe Bewegung dogmatischer, sittl. u. polit. Art. (Lexikon für Theologie und Kirche. Zweite, völlig neu bearbeitete Auflage, Freiburg, Herder, 1960, vol. V, col. 865). 44 […] einige seiner Positionen haben im Vaticanum II inoffiziell eine späte Rehabilitierung erfahren. (Ibid., col. 372). <?page no="137"?> 123 Le jansénisme - un concept de controverses la confession par les catholiques après le concile Vatican II. Ces faits indéniables méritent d’être rappelés pour éviter des contresens historiques qui ne semblent pas moins à réprouver que les polémiques précédentes contre le jansénisme. Les encyclopédies du XX e siècle marquent un progrès salutaire par rapport à celles du siècle précédent, parce qu’elles s’abstiennent de plus en plus de controverses entre les confessions, catholicisme et protestantisme, et des hostilités entre les écoles théologiques qui faussaient la présentation des données historiques. La nécessité de condenser des données complexes force évidemment à trier impitoyablement l’essentiel et l’accidentel, mais elle tend à négliger des détails qui pourraient contribuer à mieux saisir la portée des données historiques. Les lecteurs des encyclopédies ignorent la complexité du jansénisme italien ressortie des analyses de Pietro Stella, qui a étudié en profondeur les disputes entre les théologiens de Rome sur le jansénisme 45 . Ils ne se rendent pas non plus compte de l’état insatisfaisant des recherches sur le jansénisme en Allemagne. La rédaction de l’encyclopédie de théologie catholique Lexikon für Theologie und Kirche s’efforce de rendre justice au jansénisme et oublie, de ce fait, le problème crucial de l’augustinisme dans le Saint- Empire aux XVII e et XVIII e siècles, ainsi que celui des Lumières catholiques et de la part que le jansénisme pouvait y assumer. Signalons pour terminer l’adaptation allemande de la comédie de Guillaume-Hyacinthe Bougeant La Femme Docteur ou la Théologie Janséniste tombée en Quenouille par la femme de Gottsched qui fournit ainsi en 1732 la première pièce régulière selon la dramaturgie élaborée par son mari. Au lieu de ridiculiser les jansénistes, elle vise les piétistes, dévots protestants allemands que, dans une lettre à Gottsched, elle met en parallèle avec les jansénistes français 46 . C’est ainsi que les philosophes allemands assimilent et combattent la dévotion rigoureuse dans les deux cultures, thème ignoré des encyclopédies qui mériterait cependant des études plus approfondies. Vues dans cette optique, les encyclopédies récentes pèchent aussi bien que leurs prédécesseurs par une partialité que nous apercevons moins parce qu’elle confirme nos propres préjugés. 45 Il giansenismo in Italia I. I preludi tra seicento e primo settecento ; II Il movimento giansenista e la produzione libraria ; III Crisi finale e transizioni, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 2006. La Realencyklopädie für protestantische Theologie und Kirche concluait encore l’article jansénisme par le constat : In Rom wird der Jansenismus gehaßt (op. cit., vol. VIII, p. 599). 46 Ich finde viel Ähnlichkeit unter den französischen Jansenisten und den deutschen heuchlerischen Frömmlingen. (Luise Adelgunde Victorie Gottsched, Die Pietisterey im Fischbein-Rocke. Komödie herausgegeben von Wolfgang Martens, Stuttgart, Reclam. 2 1996, p. 153). <?page no="139"?> Biblio 17, 188 (2010) Les polémiques anti-jansénistes de François-Xavier de Feller F RANCK C OLOTTE U NIVERSITÉ DU L UXEMBOURG À mon amie José Ensch I.M. François-Xavier de Feller, abbé-journaliste, polémiste, théologien et critique littéraire, « l’un des apologistes les plus honorables de la fin du siècle », selon l’expression d’Albert Monod 1 , est le chantre des traditions de la foi et du dogme de l’Église catholique. Considéré comme « l’ancêtre du journalisme luxembourgeois 2 », cet infatigable polémiste échoué dans le Siècle des Lumières, ne fut pas seulement l’adversaire farouche du « philosophisme ». Ce militant papiste, passionné pour « la plus grande gloire de Dieu 3 », s’opposa, dans ses écrits divers et variés, à ce qu’il considérait être contraire à l’orthodoxie de l’Église catholique, avec à sa tête l’autorité du souverain pontife. Au moment où l’abbé de Feller écrit, c’est-à-dire dans le dernier tiers du XVIII e siècle, l’historiographie du mouvement janséniste a déjà un long passé 4 . 1 A. Monod, De Pascal à Chateaubriand. Les défenseurs français du christianisme de 1670 à 1802, Paris, Alcan, 1916, p. 444. Référence également citée dans R. Trousson, « L’abbé F.-X. de Feller et les “philosophes” », Études sur le XVIII e siècle, VI, Bruxelles, ULB, 1979, p. 106. 2 A. Sprunck, « François-Xavier de Feller 1735-1802 », Biographie nationale, Luxembourg, fasc. I, 1947, p. 123. 3 La devise de la Compagnie de Jésus est ad maiorem Dei gloriam (pour la plus grande gloire de Dieu). 4 Parmi l’abondante bibliographie traitant de l’historiographie janséniste, nous avons consulté avec profit : A. Gazier, Histoire générale du mouvement janséniste depuis ses origines jusqu’à nos jours, Paris, Champion, 1924. (2 vol.) - C. Maire, Jansénisme et Révolution. Actes du colloque de Versailles tenu au Palais des congrès les 13 et 14 octobre 1989 réunis par Catherine Maire, Paris, Chroniques de Port-Royal, Bibliothèque Mazarine, 1990 - C. Maire, De la cause de Dieu à la cause de la Nation. Le <?page no="140"?> Franck Colotte 126 Ainsi, entre la bulle Unigenitus datant de 1713 et la période des quelque vingtdeux années durant lesquelles cet abbé protecteur des idées traditionnelles consacre, dans son Journal historique et littéraire, sa culture encyclopédique et tous ses talents à l’apologie de la religion chrétienne, une soixantaine d’années se sont écoulées. Serait-ce à dire que le mouvement doctrinal initié par Jansénius est mort et enterré, englouti dans les sables de l’oubli ? Rien n’est moins sûr. En réalité, le « phanthôme jansénien 5 », selon l’expression de Feller lui-même, avec ses polémiques et ses figures emblématiques, trouve des résonances extra-hexagonales durant tout le siècle ; cette « hérésie » continue en effet à susciter des controverses, à nourrir la mémoire collective, à déchaîner les passions de plume et les torrents d’encre. C’est précisément parce qu’il n’est pas encore « évacué », à la fin du XVIII e siècle, que le jansénisme continue à hanter - pour filer la métaphore du « phantôme » - la production littéraire - essentiellement celle qui est de nature polémique - de Feller, à ulcérer l’ex-jésuite, à l’inquiéter au point qu’il ressente le besoin de régler ses comptes avec ce mouvement. En d’autres termes, il trouve en ce gardien de l’orthodoxie imperméable aux déviations théologiques - et en son périodique - des échos « luxembourgeois » qui feront l’objet de la présente étude qui s’appuiera principalement sur le monumental Journal historique et littéraire de l’abbé de Feller dans la mesure où, dans l’œuvre considérable de cet infatigable polygraphe, ce Journal ainsi que les analyses qu’il contient, attestent un bon nombre d’occurrences illustrant la présence du jansénisme et en constituent autant d’échos. Les Mélanges 6 , ainsi que le Cours de morale chrétienne et de littérature religieuse 7 , ne sont qu’une compilation de notices bibliographiques extraites du Journal historique et littéraire, et ne présentent, à ce titre, aucune originalité pour notre corpus. Par sa dimension polémique, le Journal de notre jésuite était prédisposé à contenir des références au mouvement janséniste ; nous avons pris le parti d’opérer un choix significatif dans la présentation et l’analyse des occurrences dans la mesure où une étude exhaustive dépasserait le cadre de la présente communication. Nous nous appuierons néanmoins, ici et là, sur les autres œuvres de l’abbé de Feller, jansénisme au XVIII e siècle, Paris, Gallimard, Bibliothèque des histoires, 1998 - Edmond Préclin - Eugène Jarry, Les luttes politiques et doctrinales aux XVII e et XVIII e siècles, Paris, Histoire de l’Église depuis les origines jusqu’à nos jours, n° 19, Bloud & Gay, 1955. 5 J.H.L., octobre 1788, p. 182. 6 Mélanges de politique, de morale et de littérature extraits des journaux de M. l’abbé de Feller, Louvain, Valinthout et Vandenzande, 1822-1824, 4 vol. 7 Cours de morale chrétienne et de littérature religieuse par l’abbé de Feller, auteur du dictionnaire historique, Paris, Amable Costes, 1826, 5 vol. <?page no="141"?> 127 Les polémiques anti-jansénistes de François-Xavier de Feller notamment sur son Dictionnaire historique 8 qui a connu plusieurs rééditions. Il reste à dire encore un mot sur le Catéchisme philosophique 9 , « considéré par la plupart des critiques comme la quintessence de la pensée de Feller 10 ». Ce Catéchisme est l’exposé le plus complet et le plus ramassé de sa doctrine, il prétend fonder en raison les principales vérités de la foi et aussi constituer un rempart des honnêtes gens contre la philosophie antireligieuse 11 . Dans cet ouvrage, l’abbé Feller professe, dogmatise plus qu’il ne polémique. Par conséquent, le jansénisme en est quasiment absent. Le Journal historique et littéraire : une tribune de l’apologétique chrétienne Le Journal et historique et littéraire est un périodique dont l’abbé de Feller fut directeur de 1773 à 1794. Prenant le relais de La Clef du cabinet des princes de l’Europe, ce mensuel devint un bimensuel d’opinion. De 1773 à 1794, la collection formait un ensemble de soixante-quatre volumes, dont la plus grande partie avait été rédigée par Feller lui-même 12 . Nous pensons en effet qu’il ne peut être l’auteur - ne serait-ce que matériellement parlant - que d’une partie des notices bibliographiques constituant la partie « littéraire » de son Journal, dans laquelle il publie, sous forme de commentaire annoté, les 8 F.-X. de Feller, Dictionnaire historique ou histoire abrégée des hommes qui se sont fait un nom par leur génie, leurs talents, leurs vertus, leurs erreurs ou leurs crimes, depuis le commencement du monde jusqu’à nos jours, Paris, Méquignon-Havard, 7 e éd., 1827, 17 vol. 9 Catéchisme philosophique ou Recueil d’observations propres à défendre la religion chrétienne contre ses ennemis. Ouvrage utile à tous ceux qui cherchent à se garantir de la contagion de l’Incrédulité moderne, & sur-tout aux Ecclésiastiques chargés de conserver le précieux dépôt de la Foi. Par M. Flexier de Reval, Liège, J.F. Bassompierre/ Bruxelles, Van den Berghen, 1773. Nous avons consulté la troisième édition, parue à Liège, chez J.F. Bassompierre, 1787, 3 vol. 10 F. Wilhelm, « François-Xavier de Feller (1735-1802). Jésuite luxembourgeois adversaire de Voltaire et des Lumières », in L’image du prêtre dans la littérature classique (XVII e -XVIII e siècles) ». Actes du colloque organisé par le Centre « Michel Baude - Littérature et spiritualité » de l’université de Metz, 20-21 novembre 1998, éd. Danielle Pister, Berne, Peter Lang, 2001, p. 203-225 ; en particulier, p. 207. 11 Dans sa thèse, Un publiciste au siècle des Lumières. François-Xavier de Feller (1735- 1802), Université catholique de Louvain, 1949, Marcel Le Maire analyse de façon détaillée la structure et le contenu du Catéchisme (vol. 2, p. 238-268). 12 Marcel Le Maire, op. cit., affirme que Feller « recourut souvent à l’aide de copistes et de secrétaires, mais n’eut jamais de vrais collaborateurs ou associés. Son caractère indépendant ne l’y poussait pas » (vol. 1, p. 191). <?page no="142"?> Franck Colotte 128 nouveaux ouvrages consacrés à la littérature, aux sciences, à la philosophie, à la théologie et à la politique 13 . Même si Feller revendique l’entière responsabilité de l’ensemble de la production, la question portant sur l’auteur des notices reste délicate. En tout cas, cet ensemble bigarré n’est de loin pas qu’un simple journal d’information : il constitue un organe de lutte pour ce polémiste acharné, un instrument de formation morale pour le théologien et ancien professeur de rhétorique 14 que fut François-Xavier Feller. Pour reprendre l’heureuse formule de Marcel Le Maire, l’abbé de Feller est celui qui « pense contre 15 ». Dans le Journal historique et littéraire, le souci apologétique de la religion chrétienne éclate presque à chaque page. La suppression de l’ordre des Jésuites dans les Pays-Bas autrichiens, en juillet 1773 force en effet l’ex-jésuite à concentrer toute son énergie prosélyte dans le journalisme 16 ; les critiques littéraires, quant à elles, lui offrent non seulement l’occasion de traiter ses adversaires de tous les noms, mais encore de prendre sa revanche pour la 13 Dans le Précis historique sur la vie et les ouvrages de M. l’abbé de Feller, ex-Jésuite, Louvain, 1824, on peut lire : « XXIII. Journal historique et littéraire, Luxembourg et Liége, 60 vol., depuis 1774 jusqu’en 1794. Il en paroissoit régulièrement deux cahiers chaque mois ; dès l’an 1770, il avoit travaillé à la partie littéraire de ce journal, connu alors sous le titre de Clef de Cabinet. Cet ouvrage est plein de Dissertations intéressantes sur une infinité d’objets physiques, astronomiques, d’histoire naturelle, géographiques, historiques, critiques et théologiques. Il y combat sans cesse les philosophistes ; il fait la guerre à toutes les marottes du 18 e siècle ; il en démontre le danger ou au moins l’inutilité, tels que les conducteurs pour préserver les bâtimens de la foudre, l’huile pour calmer les tourmentes et échapper au naufrage, les ballons dont la direction est impossible, et qui par-là n’ont pas plus d’utilité que les cerfsvolans des enfans, etc. Les indications des pages ou renvois aux différens Journaux où il traite les mêmes matières, y établissent une espèce de concordance, et montrent combien il étoit uniforme et invariable dans ses principes. Il existe une Table des matières de cette collection de Journaux. Si on la publioit, elle seroit d’un grand intérêt pour les abonnés. » 14 J.-M. Kreins, « La plume et le glaive. La résistance intellectuelle de François-Xavier de Feller (1735-1802) et Henri-Ignace Brosius (1764 ? -1840), Luxembourgeois et ultramontains », in À l’épreuve de la Révolution. L’Église en Luxembourg de 1795 à 1802, catalogue d’exposition éd. par le Musée diocésain en Piconrue, Bastogne, 1996, p. 21 à 26. 15 M. Le Maire, ibid., vol 2, p. 271 : « S’il fallait caractériser d’un mot la pensée de Feller, on devrait dire non pas qu’il pense, tout court, mais qu’il pense contre. » 16 La récente monographie de D. Droixhe, Une histoire des Lumières au pays de Liège. Livre, idées, société, Liège, Éditions de l’Université de Liège, 2007, montre quelles polémiques politico-littéraires agitèrent le pays de Liège au XVIII e siècle et permet donc de recadrer l’action et la pensée de Feller dans le contexte riche et complexe où ce dernier fit paraître son Journal. <?page no="143"?> 129 Les polémiques anti-jansénistes de François-Xavier de Feller suppression de son ordre et de combattre les réformes joséphistes dans les Pays-Bas autrichiens 17 , ainsi que toutes les « modes du temps » jugées insensées et dangereuses, du paratonnerre à la montgolfière ! Le dépouillement des indices textuels montre que la lutte contre le jansénisme s’inscrit dans le combat général de l’ex-jésuite contre les adversaires de l’Église catholique, sa mission d’ensemble consistant globalement à enrayer le « poison de l’erreur ». La cinquantaine de mentions, références ou allusions au jansénisme que, sauf erreur ou omission, nous avons relevées dans le Journal - que ce soit dans des passages cités ou dans des commentaires personnels - attestent une présence plutôt faible quantitativement parlant, face au torrent de critiques et d’invectives qu’il déverse contre les philosophes de son temps. Ce combat de plume tient néanmoins très à cœur à l’abbé de Feller, et ce au moins pour deux raisons : en premier lieu, il stigmatise le jansénisme d’autant plus que son âme de croyant est piquée au vif, lorsqu’il s’agit de ce qu’il révère le plus. Par ailleurs, la lutte est âpre et acharnée également dans la mesure où à une composante morale - la direction de l’âme des lecteurs - se superpose une dimension « politique » : la défense des intérêts de l’Église catholique et le positionnement des jésuites - rendu très difficile depuis la suppression de la Compagnie de Jésus - au sein du débat spirituel. Le « phantôme Jansénien » : une dérive sectaire, schismatique et hérétique L’occurrence sur laquelle nous souhaitons insister en premier lieu est, à plusieurs égards, programmatique : en février 1792, l’abbé de Feller cite un passage qui provient, dit-il, de Julie ou La Nouvelle Héloise (1761) de Jean-Jacques Rousseau, philosophe avec lequel il se sent des accointances idéologiques et morales 18 : 17 Comme le rappelle Romain Hilgert, dans le dossier « François Xavier de Feller S.J. L’ancêtre du journalisme luxembourgeois », paru dans le journal d’Land (18/ 02/ 2002), à l’occasion de la commémoration du bicentenaire de sa mort, « pour son opposition aux réformes joséphistes, son Journal était censuré et interdit, mais de Feller changea d’imprimeur et continua sa croisade. Dans le mauvais siècle, souvent au mauvais endroit, il suivit avec enthousiasme de Liège la révolution conservatrice brabançonne et détesta la révolution liégeoise progressiste. Son Journal disparut en juillet 1794, quand les troupes révolutionnaires françaises occupaient la Belgique. C’était le mois de la chute de Robespierre, mais en fin de compte, de Feller sembla détester Robespierre moins que Joseph II. Il partit pour l’exil allemand, pour ne plus jamais revenir. » 18 A. Sprunck, op. cit., p. 210. L’auteur précise que « les jugements de Feller sur Rousseau ne sont pas marqués de cette animosité violente qu’il manifeste à l’égard de <?page no="144"?> Franck Colotte 130 Si les Jansénistes sont les plus forts, nous verrons bientôt s’élever un tribunal de sang et d’ignorance 19 . Et il ajoute en note : On ne peut nier que la faction protestante, soutenue par les encyclopédistes, les économistes, les jansénistes, en un mot tous les philosophistes qui affectaient de se faire appeler philosophes, n’ait ouvert l’abîme dans lequel la France vient d’être précipitée. C’est une affligeante vérité que je me charge de démontrer un jour à l’évidence. Feller veut mettre les lecteurs en garde contre la dangerosité de la faction janséniste, qui constitue un exemple du « poison de l’erreur 20 » qui s’est abattu sur l’Europe et qui s’y propage encore, la discréditer, en la plaçant sous l’appellation générique de « philosophistes 21 ». Ainsi, par une formule à l’emporte Raynal et de Voltaire. Il se déclare d’accord avec les idées du discours que Jean- Jacques avait présenté à l’académie de Dijon sur l’influence néfaste des arts et des sciences sur le développement de la moralité. » 19 J.H.L. I, février 1792, p. 184 et Mélanges de politique, de morale et de littérature extraits des journaux de M. l’abbé de Feller, op. cit., Louvain, vol. 4, p. 440. Les Mélanges sont, comme le précise l’avertissement, un « recueil qui offre l’analyse des nombreuses dissertations sur divers sujets dont ces Journaux sont enrichis ; c’est en un mot la substance de tout ce qu’a écrit, en faveur de la Religion et des bons principes, l’Abbé de Feller, que l’on compte à juste titre parmi les défenseurs du Christianisme. » (p. V). Notons que la même citation se trouve dans L’Année littéraire, n° 34, octobre 1789, lettre XXIII (Vie de J.J. Rousseau, précédée de quelques lettres relatives au même sujet, par M. le Comte de Barruel-Beauvert. A Londres, et se trouve à Paris, chez tous les marchands de nouveautés), p. 271 : « Cette femme ne se rebuta point du mauvais succès de sa première tentative. Ayant trouvé par hasard dans l’Héloïse la note suivante : Si les Jansénistes sont un jour les plus forts, nous verrons bientôt s’élever un tribunal de sang et d’ignorance, semblable à celui d’Espagne ; elle alla montrer cette note au magistrat, qui en fut si indigné, qu’il dénonça l’Emile au Parlement dès qu’il fut imprimé. » L’Année littéraire est peut-être la source de l’abbé de Feller. Nous avons en effet examiné en détail, dans l’édition de René Pomeau (Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, Paris, Classiques Garnier, 1988) le texte de La Nouvelle Héloïse, les notes de Rousseau ainsi que les variantes textuelles, mais nous n’avons nulle part trouvé trace de cette citation. S’agit-il d’un défaut de mémoire ou d’une déformation des sources ? La question, pour le moment, reste ouverte. 20 J.H.L., novembre 1787, p. 326 : cette expression qualifie ceux qui ont tenté de réformer l’Église, comme Luther et Oecolampade en Allemagne, Calvin à Genève et en France, Zuingle en Suisse. 21 Rappelons, pour mémoire, la définition que le Littré donne du « philosophisme » : « Philosophisme (fi-lo-zo-fi-sm), s.m. L’étude, la manie de la philosophie. En un sens péjoratif, l’esprit philosophique considéré comme perverti ou mauvais. La liberté que je me suis donnée d’inventer les mots philosophismes, philosophistes et advertance, ARNAULD, dans BAYLE, art. Poquelin, note D. Il vient de publier <?page no="145"?> 131 Les polémiques anti-jansénistes de François-Xavier de Feller pièces, comme il aime souvent à le faire, ce « hardi soldat de la plume » 22 ne fait guère de distinction entre ceux qu’il considère comme un groupement uni dans un but commun, et au nombre desquels figurent les jansénistes, qui sont une des « marottes du jour ». Amoureux des « -ismes », l’abbé de Feller est un jésuite à l’esprit de parti : pour les besoins de sa cause, il n’hésite pas à se plier aux procédés réducteurs d’une polémique qui met à pied d’égalité des éléments à la base disparates. Nous l’avons maintenant compris, François-Xavier de Feller est au service de la défense de l’Église romaine. À ce titre, il apparaît en effet clairement que le jansénisme est une hérésie, puisque l’Autorité romaine, témoin et véhicule de « l’infaillibilité de l’Église dans la décision des faits dogmatiques » 23 , porta condamnations sur des propositions qu’il contient. C’est en premier lieu l’ecclésiologie janséniste, cette « ecclésiologie de la résistance » 24 selon la formule de Catherine Maire, qu’anathématise Feller, puisque cette dernière est schismatique, comme le fut celle de Calvin en son temps. Se défier de l’autorité enseignante et dogmatique de l’Église catholique romaine, c’est s’attaquer aux fondements d’une institution qu’il révère. Dans sa critique littéraire portant sur l’ouvrage Ecclesiae infallibilitas in factis doctrinalibus demonstrata, & a jansenianorum impugnationibus vindicata 25 , Feller commence par citer la conclusion « fondamentale » de l’ouvrage, à savoir que l’Église catholique romaine, par l’aide surnaturelle de l’Esprit Saint, est exempte du danger de l’erreur concernant les questions du fait dogmatique, soit en général dans ses jugements au sujet du sens de n’importe quel livre regardant la foi et les mœurs 26 . une cinquième dénonciation contre le philosophisme ou péché philosophique, qui n’est pas moins forte que les précédentes, BAYLE, lettre 85, 5 déc. 1690, t. III, p. 293. », Paris, Gallimard/ Hachette, 1957, p. 1823. 22 A. Sprunck, op. cit., p. 253. 23 J.H.L., avril 1790, p. 530 : Ecclesiae infallibilitas in factis doctrinalibus demonstrata, & a jansenianorum impugnationibus vindicata, per Joannem Josephum Havelange ex Dieupart, presbyterum, non ità pridèm sacrae theologiae professorem in seminario regio Luxemburgensi. Commentaire de Feller : « Jamais la célèbre question de l’infaillibilité de l’Eglise dans la décision des faits dogmatiques, n’a été mieux discutée que dans cet ouvrage. » 24 C. Maire, De la cause de Dieu à la cause de la Nation, op. cit., p. 205 à 234. 25 J.H.L., avril 1790, p. 530. 26 Ecclesia Romano [a] catholica, ex supernaturali Spiritus Sancti auxilio, immunis est ab erroris periculo in quaestionibus facti dogmatici, seu generatim in suis de sensu librorum quorumcumque, ad fidem & moresque spectantium, judiciis. Nous avons établi la traduction française du texte latin. <?page no="146"?> Franck Colotte 132 Et, s’agissant de l’infaillibilité de l’Église, de commenter ainsi : Toutes les échappatoires des jansénistes, ou de ceux qui en ce point leur ont été favorables, sont examinées & anéanties 27 . La monumentale Histoire de l’Eglise 28 du jésuite Antoine-Henri de Bérault-Bercastel (1722-1795), chanoine de Noyon, est un ouvrage qui tient visiblement au cœur de Feller : il en cite de larges extraits 29 et, à nos yeux, l’instrumentalise volontiers. Voici par exemple un passage qui en est extrait : St. Cyran & les autres arcs-boutans de la nouvelle église, (…) tinrent à la chartreuse de Bourg-fontaine, afin de régler le plan de la nouvelle doctrine, une conférence qui est devenue trop fameuse, pour la passer absolument sous silence dans une histoire de l’Eglise. Ceux qui l’ont publiée dans le dernier siecle, prétendent qu’il y fut question (…) de sapper les premiers principes du christianisme, & d’anéantir les sacremens 30 . Cet extrait nous semble emblématique de l’opinion de Feller sur le mouvement janséniste considéré dans son ensemble : il s’agit d’une secte frondeuse à la propagande artificieuse 31 dont la pénétration et la diffusion dans les 27 J.H.L., avril 1790, p. 530. 28 L’abbé Comte de Robiano rédigea même une Continuation de l’histoire de l’Église de Bérault-Bercastel depuis 1721 jusqu’en 1830, Paris, Librairie Catholique de Perisse Frères, 1841. Dans leur « Avertissement », les éditeurs soulignent qu’il ne faut pas « penser que le continuateur ait usé de la même réserve, qu’il ait eu la même circonspection, en parlant de ce que l’on s’est plu d’appeler LES LIBERT É S DE L ’É GLISE . La prudence avoit suggéré à B ERAULT -B ERCASTEL des tempéraments qui ne sont plus de saison. Nous ne sommes plus en présence des parlements, et on entend mieux aujourd’hui qu’alors la liberté de penser. On a d’ailleurs tant abusé, parmi nous, de ces prétendues libertés, qu’il n’est plus permis d’en parler comme au temps de Bossuet. (…) Aussi l’auteur, en écrivant cette époque désastreuse de la religion, s’est montré fidèle à sa mission. Il défend avec courage les vrais principes sur la foi et les mœurs ; et, dans sa marche rapide, il signale les écueils et constate les ruines » (p. II). 29 Par exemple : Histoire de l’Eglise, par M. l’abbé de Bérault-Bercastel, chanoine honoraire de l’église de Noyon. Tomes 21, 22, 23, 24. Depuis la naissance du jansénisme en 1630, jusqu’à la mort de Clément XI en 1721 : J.H.L., 1 er septembre 1791, p. 3 à 25 ; J.H.L., 15 septembre 1791, p. 83 à 97 ; J.H.L., 1 er octobre 1791, p. 170 à 188. 30 J.H.L., septembre 1791, p. 4-5. 31 J.H.L., mars 1791 : Feller mentionne la publication de l’ouvrage Histoire de la Constitution Unigenitus. Par Messire Pierre-François Lafiteau, évêque de Sisteron. Nouvelle édition. Pour servir de suite à l’Histoire de l’Eglise par M. Berault-Bercastel. Il fournit notamment le commentaire suivant : « On y voit ces subterfuges de secte qui éludent la condamnation de l’erreur par tous les prétextes que le mensonge peut imaginer, jusqu’à ce qu’enfin poursuivi dans ses retranchements, le parti qui vouloit conserver les dehors de la catholicité, leve enfin le masque & déclare ouvertement sa révolte contre l’Eglise. » (p. 415) <?page no="147"?> 133 Les polémiques anti-jansénistes de François-Xavier de Feller églises d’Europe constituent par ailleurs une atteinte non seulement à l’ordre social, mais moral 32 . La stratégie manipulatrice de cette « secte » consiste en effet à faire comme si les erreurs dont on l’accuse étaient imaginaires, donc infondées. Feller en veut pour preuve une lettre du cardinal archevêque de Malines 33 et de l’évêque d’Anvers 34 , dont il cite notamment le passage suivant 35 : L’artifice sur lequel la secte fonde particulièrement ses succès, c’est de se faire passer pour un phantôme ; c’est de persuader que ses erreurs n’existent que dans l’imagination de ses adversaires, que depuis la destruction d’une société célebre, il n’y a plus ni Jansénistes, ni Jansénisme. Mais cet artifice, à qui peut-il en imposer ? Fut-il jamais dans l’église de schisme plus déclaré, plus manifestement & plus généralement connu que l’état de ces sectaires en Hollande ? Cette citation confirme par ailleurs l’accusation de « schismatisme » avéré, pour ainsi dire, du jansénisme 36 . De plus, il n’hésite pas à sciemment amalgamer plusieurs courants doctrinaux ou idéologiques dans le but de discréditer, en bloc, ses adversaires. Prenons ainsi l’exemple de Richer, et de son système, le « richérisme 37 » : ce dernier n’est « qu’un système combiné des maximes des calvinistes & des jansénistes » conclut Feller dans sa critique de l’ouvrage Découverte importante sur le vrai systême de la constitution du clergé, décrétée par l’assemblée-nationale 38 . Dans cette même notice, il ajoute que « c’est encore une chose curieuse de voir, avant le jansénisme, le calvinisme 32 J.H.L., septembre 1793 : Feller mentionne la publication de l’ouvrage Le Philosophe Chrétien, considérant les grandeurs de Dieu dans ses attributs & dans les mysteres de la Religion. Ouvrage 0ù l’on se propose d’éclairer & de nourrir la piété des fideles. Par M. l’abbé Pey, chanoine honoraire de l’église métropolitaine de Paris. Il en cite notamment le passage suivant : « Dans les derniers tems, on avoit vu des sectaires audacieux s’ériger en réformateurs de l’Eglise, secouer ouvertement le joug de son autorité, briser tous les liens de la subordination & embraser presque l’Europe entiere du feu de la discorde. » 33 Il s’agit du cardinal Jean-Henri de Franckenberg (1726-1804), dernier archevêque de Malines avant la Révolution française. 34 Il s’agit de Corneille-François de Nélis (1736-1798), dernier évêque d’Anvers d’Ancien Régime. 35 J.H.L., octobre 1788, p. 182-183. 36 Sur Calvin et le calvinisme, nous avons consulté avec profit : D. Müller, Puissance de la Loi et limite du Pouvoir, Paris, Michalon, 2001 et F. Wendel, Calvin. Sources et évolution de sa pensée religieuse, Histoire et société n° 9, Labor et Fides, 1985, en particulier, p. 175 à 220. 37 Sur le richérisme, cf. C. Maire, op. cit., p. 369 à 377. 38 J.H.L., mars 1791, p. 412. <?page no="148"?> Franck Colotte 134 enseigner la doctrine de Richer ». L’amalgame des « -ismes » ne s’arrête pas là : le « quesnellisme », terme désignant la doctrine de Pasquier Quesnel (1634- 1719), principal représentant du second jansénisme, « n’est au fond que le calvinisme même, qui n’osant se montrer en France à découvert, s’est caché sous les erreurs du tems 39 ». L’abbé de Feller cite ce passage qu’il qualifie de « prophétie qui dans les circonstances actuelles doit paroître remarquable ». Par ailleurs, en s’appuyant sur Discours à la France de M. de Marandé, Feller note que M. de Marandé regardoit le jansénisme, non comme un fantôme, mais comme une secte très-réelle sortie du sein du calvinisme, comme un calvinisme raffiné, & un appui de cette secte hérétique ; en un mot, plus à craindre que n’étoit le calvinisme dans son origine et dans ses premiers progrès 40 . Dans son esprit, le jansénisme semble être la continuation du calvinisme - du « calvinisme rebouilli » en quelque sorte, qui fait de Jansénius un simple plagiaire réitérant les erreurs de l’hérétique de Noyon. Il se plaît à citer des passages soulignant cette parenté, extraits notamment de la notice qu’il consacre à l’Histoire de l’Église de Bérault-Bercastel : Ainsi Jansénius trébuche-t-il à tout pas, en marchant de trop près sur ceux de Calvin, en s’appropriant avec avidité, non-seulement les opinions de cet hérésiarque & ce qui peut les faire valoir, mais ce qui ne peut que diffamer les siennes propres 41 . Le jansénisme est donc dangereux non seulement dans sa dérive ecclésiologique, c’est-à-dire dans sa propension à promouvoir une nouvelle Église se défiant de l’autorité du Saint-Siège romain, mais encore dans sa théologie. La vieille controverse définissant le lien pénitentiel entre l’homme et Dieu - l’attrition pour les jésuites, la contrition pour les jansénistes - trouve également un écho dans le Journal historique et littéraire : Comme j’ai averti que je ne pouvois ni ne voulois entrer en discussion touchant la controverse de l’attrition, & que l’existence des deux sentiments suffit à ma conclusion, je suis dispensé de répondre à tout ce qu’un théologien m’a écrit en faveur de l’attrition. Je ne puis cependant m’em- 39 J.H.L., mars 1791 : Histoire de la Constitution Unigenitus. Par Messire Pierre-François Lafiteau, op. cit. : « Qu’on revienne présentement sur tout ce qu’on a lu dans cette Histoire, & on trouvera que le Quesnellisme n’est au fond que le calvinisme même, qui n’osant se montrer en France a découvert, s’est caché sous les erreurs du temps. » (p. 416) 40 J.H.L., septembre 1791, p. 15-16. 41 J.H.L., septembre 1791, p. 15-16. <?page no="149"?> 135 Les polémiques anti-jansénistes de François-Xavier de Feller pêcher de dire un mot sur un passage du Catéchisme Romain qu’il allegue pour prouver la difficulté & la rareté de la contrition 42 . Les pommes de discorde d’hier ne sont pas encore évacuées, et Feller s’en fait le miroir, même s’il prétend ne pas vouloir prendre part à la polémique. Or, il dogmatise et polémique volontiers, par exemple avec l’abbé Bigy à propos de la célèbre « Théologie de Lyon » 43 , diffusée par les Institutiones theologicae 44 du Père Joseph Valla ; à ce dernier qui lui avait écrit que 42 J.H.L., janvier 1794, p. 28-29. Voici le passage que cite Feller : Ut enim hoc concedamus contritione peccata deleri, quis ignorat illam adeo vehementem, acrem, intensam esse oportere ut &c … Et quoniam pauci admodum ad hanc gratiam pervenirent, fiebat etiam a paucissimis hâc viâ peccatorum venia speranda esset. (p. 29, note marginale : Parte 2. de Sacr. Poen. n. 46) 43 Sur la théologie de Lyon et son histoire : M. l’abbé ***, Dictionnaire des Jansénistes, contenant un aperçu historique de leur vie et un examen critique de leurs livres, Paris, J.-P. Migne éd., 1853, art. « Montazet (Antoine Malvin de) », col. 664-672 : « (…) L’archevêque [Montazet] avait un autre projet auquel il attachait beaucoup d’importance : c’était de donner de nouveaux livres pour l’enseignement des séminaires. Il chargea le P. Joseph Valla, de l’Oratoire, de composer une théologie et une philosophie, en recommandant seulement à ce professeur de modérer son zèle et de ne point trop laisser paraître ses sentiments en faveur du jansénisme. Les amis de Valla assurent que ce sacrifice lui fut très-pénible ; cependant il trouva les moyens d’insinuer en plusieurs endroits ses idées favorites. Les Institutions théologiques parurent en latin, Lyon 1782, 6 vol. in-12 sans approbation et sans mandement ; ce n’était qu’un essai. (…) Mais les corrections auxquelles l’auteur consentit devinrent illusoires par ses artifices : s’il ôta dans l’exposé des thèses ce qui paraissait favoriser trop ouvertement le jansénisme, il eut soin de l’inculquer plus dans la réponse aux objections, et l’esprit de cette théologie resta le même. (…) On porta bientôt un autre coup à la nouvelle production, dans des Observations sur la Théologie de Lyon, 1786, in-12 de 127 pages. Elles étaient de l’abbé Pey, chanoine de l’Eglise de Paris et auteur du traité De l’autorité des deux puissances. » En note figure également le commentaire suivant : « Dans les Pays-Bas, Feller attaqua plusieurs fois cette théologie dans son journal ; nous avons vu une réponse qui lui fut faite par l’abbé Bigy, prêtre français, déporté par suite de la révolution. Cette réponse, peu connue en France, consiste en deux lettres, du 23 novembre 1793 et du 13 février 1794. L’auteur renvoie à la Défense de la Théologie, citée plus haut ; il est d’ailleurs modéré, et tire avantage de quelques assertions peu exactes de Feller. La théologie de Lyon est aujourd’hui abandonnée ; elle n’avait pas même le mérite d’une bonne latinité. » Voir également : F.-X. de Feller, Biographie universelle, ou Dictionnaire historique des hommes qui se sont fait un nom par leur génie, leurs talents, leurs vertus, leurs erreurs ou leurs crimes, Paris, Gaume Frères, tome 6, 1849, art. « Montazet (Antoine Malvin de) » p. 70-71. 44 J. Valla, Institutiones Theologicae, auctoritate D.D. Archiepiscopi Lugdunensis, ad usum Scholarum suae Dioecesis editae, Lugduni, ex Typis Fratrum Perisse, 1782. <?page no="150"?> Franck Colotte 136 la Théologie de Lyon conduit à l’athéisme ; vous le dites mais vous ne le prouvez pas, notre jésuite répond : je crois, M. l’abbé, l’avoir très-bien prouvé. Si vous m’aviez annoncé que vous viendriez dans ce pays, je vous aurois envoyé, pour ne pas vous causer de surprise, tout ce que j’ai imprimé là-dessus sans que personne y ait répliqué, si on excepte l’auteur des Nouvelles Ecclésiastiques, le scélérat obscur, l’apologiste exclusif des jansénistes & de leurs ouvrages 45 . Enjeux et perspectives de la bulle Unigenitus (1713) Dans le cadre de sa lutte pour la défense de la religion chrétienne, l’abbé de Feller martèle, à travers plusieurs notices bibliographiques, le bien-fondé de l’autorité de la bulle Unigenitus (1713) comme décret dogmatique de l’Église catholique romaine. Augustin Gazier, par exemple, dans sa monographie portant sur l’histoire générale du mouvement janséniste 46 , montre bien en effet que, tout au long du XVIII e siècle, le jansénisme continue d’influencer une bonne partie du clergé paroissial français. Comme l’on sait, des centaines d’ecclésiastiques, les « appelants » - s’opposant en cela aux constitutionnaires - refusèrent d’accepter la bulle Unigenitus et en appelèrent à un concile contre Rome. Feller a conscience de l’existence d’un « parti janséniste », au sens où l’expression est employée à l’époque, c’est-à-dire d’un petit groupe de militants - les précurseurs du groupe des parlementaires jansénistes - qui organisent clandestinement l’opposition et cet Appel au Concile. Son propre esprit militant est ainsi, pensons-nous, piqué au vif : dans la notice littéraire sur la Déclaration de Son Eminence le cardinal-archevêque de Malines, sur l’enseignement du Séminaire-général de Louvain, avec l’examen doctrinal des sentimens des professeurs & des livres classiques de cette nouvelle institution 47 , il fournit le commentaire suivant : Nous avons déjà fait voir de quelle importance il étoit de faire donner aux professeurs de la nouvelle école une déclaration formelle sur la bulle Unigenitus, devenu le signum Tau des catholiques, & le moyen sûr d’éluder tous 45 J.H.L., décembre 1793 : Lettre de M. l’abbé Bigy, prêtre François, à l’auteur du Journal. Liege le 23 Nov. 1793, p. 587 à 592. La notice mentionne la lettre proprement dite et simultanément la réponse fouillée de Feller, placée entre parenthèses, ainsi que chaque argument avancé par l’abbé Bigy. 46 A. Gazier, Histoire générale du mouvement janséniste depuis ses origines jusqu’à nos jours, op. cit., vol. 1, p. 320-339. 47 J.H.L., septembre 1789, p. 104. <?page no="151"?> 137 Les polémiques anti-jansénistes de François-Xavier de Feller les petits artifices des hommes de la secte qui prétendent garder le masque de l’orthodoxie*. (*note marginale : 1 juillet 1789, p. 386. Vues diverses sur cette secte, 1 août, p. 500, 509). Dans un autre passage, il note que [l’auteur] constate même par la déclaration de Charles VI, que la Constitution Unigenitus y est rangée parmi les loix de l’état, & que ceux qui s’opposent à son exécution, avec éclat & scandale, doivent être punis comme perturbateurs du repos public. Ces extraits - à bien des égards emblématiques - montrent que le Journal historique et littéraire se fait le miroir des luttes attestant la « transfiguration politique 48 » du jansénisme à la fin du XVIII e siècle. Cette hérésie ecclésiologique et théologique se double d’une dimension politique puisant son origine dans le « richérisme » 49 . Cette doctrine, née au début du XVII e siècle dans le contexte des luttes entre gallicans et jésuites, du nom du syndic Edmond Richer, est en effet une vision démocratisante du gouvernement ecclésiastique, inscrite dans la tradition de la pensée conciliaire et gallicane, qui aurait été réactivée par les jansénistes à la faveur de la lutte contre la bulle Unigenitus. Ainsi, l’abbé de Feller - perspicace pourfendeur moral - est également un habile stratège qui mesure l’enjeu politique se cachant derrière l’intervention janséniste dans la constitution du clergé, au-delà d’une condamnation théologique de façade plus que de contenu. Les notices littéraires qu’il présente dans son Journal nous apparaissent donc comme autant de tentatives d’enraiement de la pandémie « politico-doctrinale » janséniste. 48 C. Maire, « L’agonie religieuse et transfiguration politique du jansénisme », in Jansénisme et Révolution, op. cit., p. 103 à 114. 49 Sur les références au « richérisme », relevons par exemple : J.H.L., septembre 1789 : Observations pacifiques d’un curé. Tome second. Traduites de l’italien, p 15 : « Nous citerons encore le passage suivant où l’on répond à cette demande de M. Ricci : Quelle erreur ai-je enseignée, quelle est la vérité catholique dont j’ai été en doute (…) ? Vous demandez : quelle est votre hérésie ? Les propositions de Bajus, de Jansenius, d’Eybel, de Richer, de Dupin, &c., répandues dans les livres condamnés que vous appellez d’excellens ouvrages, & que vous avez donnés à votre troupeau pour une bonne pâture. » ; J.H.L., mars 1791, p. 410 : Découverte importante sur le vrai systême de la constitution du clergé, décrétée par l’assemblée-nationale : « Ce qu’il est bon de savoir encore, c’est que les jansénistes sont devenus panégyristes du systême de Richer, auquel ils ont donné le nom des lettres d’affiliation. Le fameux patriarche de la secte, l’abbé de St.-Cyran, pensoit qu’il y a de la témérité à traiter les Richéristes d’hérétiques ou de schismatiques. On devine, ce que dans le langage de St. Cyran, signifioit cette orthodoxie des Richéristes. » <?page no="152"?> Franck Colotte 138 Les jansénistes : entre chicanes, convulsions et sectarisme Comme nous venons de le voir, l’abbé de Feller milite contre la pensée et la progression politique du jansénisme. Il n’en reste pas moins vrai que notre abbé-journaliste s’attache également aux figures emblématiques du jansénisme des XVII e et XVIII e siècles. Par ses notices littéraires, il écorche à souhait tous ces « hérésiarques » qui constituent une galerie de portraits parfois hauts en couleurs, comparables, par certains aspects, à la fameuse « scène des portraits » du Misanthrope de Molière 50 . Les jansénistes apparaissent ainsi en premier lieu comme des « ergoteurs 51 », des chicaneurs, amis des controverses et des querelles théologiques. Ils aiment donc à discuter inutilement sur des détails insignifiants ou avec de faux arguments. Dans telle perspective, l’ex-jésuite, dans la notice qu’il consacre à la Nouvelle Histoire abrégée de l’abbaïe de Port-Royal 52 , écrit : On sait que Louis XIV lassé de voir des fillettes infatigablement argumenter sur la grace & sur la prédestination, rejetter les décisions de l’Eglise, faire de leur maison le rendez-vous de tous les factieux d’un parti fanatique & dangereux, a pris enfin la sage & charitable résolution de mettre ces pauvres & inquietes créatures dans une situation plus paisible, en les dispersant en divers monasteres, & de faire raser leur maison ; que la charrue y a passé, & qu’on a vu croître de bons épis là où on n’entendoit que de tristes ergoteries sur St. Augustin. La Lettre de Wurtzbourg sur les faits dogmatiques & sur l’autorité de l’Eglise en cette matiere 53 , quant à elle, est l’occasion pour l’abbé de Feller de stigmatiser la polémique arnaldienne du droit et du fait : Or, il n’est de foi, que l’Eglise n’est point & ne peut jamais être dans ce déplorable état, & conséquemment ceux qui le soutiennent, ou qui admettent le principe dont cette conséquence découle évidemment, sont formellement hérétiques. Il est d’ailleurs évident que la distinction du fait & du droit, emploïée par les farceurs de St. Médard, n’est qu’un subterfuge ; puisque condamnés également par la Constitution de Clément XI, qui proscrit les propositions prises mot pour mot dans le livre de Quesnel, 50 Le Misanthrope in Molière, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1971, p. 167-175. (1666, acte II, scène 4) 51 J.H.L., juin 1790, p. 171. 52 J.H.L., décembre 1786, p. 577 : Nouvelle Histoire abrégée de l’abbaïe de Port-Royal, depuis sa fondation jusqu’à sa destruction ; accompagnée de Vies choisies & abrégées des religieuses, & de quelques Dames bienfaitrices de la maison, & des Messieurs qui ont été attachés à ce célebre monastere. A Paris, chez Varin, 1786. 53 J.H.L., juin 1787, p. 264-265. <?page no="153"?> 139 Les polémiques anti-jansénistes de François-Xavier de Feller de manière que le fait étoit hors de toute contestation, ils n’en ont pas été plus soumis. Arnauld prétend donc que ces cinq propositions sont légitimement condamnées, mais que Jansénius ne les a jamais écrites. L’ex-jésuite stigmatise ainsi le détournement pour ainsi dire rhétorique d’une donnée théologique. De plus, ce qu’Augustin Gazier appelle le « merveilleux janséniste 54 » permet à Feller de poursuivre ses accusations, en taxant les jansénistes, ces « farceurs de St. Médard 55 », de charlatans. Il considère les célèbres convulsionnaires de Saint-Médard comme une déchéance janséniste nuisant à l’Église catholique. Feller semble par ailleurs être particulièrement ulcéré par « l’ignominie des convulsions », selon la formule sainte-beuvienne, à savoir par ce besoin de surnaturel et d’extraordinaire que le rationalisme religieux ambiant semblait ne plus pouvoir satisfaire 56 . Plus grave encore, les jansénistes sont des « sectaires 57 », et ce dans les deux sens que recouvre ce terme : d’abord, comme « partisans d’une secte » s’écartant des dogmes universellement reçus ; ensuite comme des rigoristes 58 qui, par l’étroitesse d’esprit alliée à l’intolérance, manifestent une forme de fanatisme. Feller, pensons-nous, considère leur rigorisme comme une théologie morale confinant au fanatisme religieux. Il reproche aux jansénistes de chercher à attiser un « fanatisme religieux » qui paraissait éteint, ‹dévoilant ainsi des liaisons étroites avec les agents méprisables des convulsions› 59 . La piété janséniste est austère et exigeante ; cette image populaire du jansénisme semble s’opposer à celle d’un catholicisme facile et extraverti que représenterait la Compagnie de Jésus. Cette accusation de rigorisme est double- 54 A. Gazier, op. cit., p. 276-295. Voir également D. Vidal, Miracles et convulsions jansénistes au XVIII e siècle. Le Mal et sa connaissance, Paris, P.U.F., 1987, en particulier p. 109 à 182. 55 J.H.L., juin 1787, p. 264. 56 Rappelons cependant que, comme le note René Pomeau, La Religion de Voltaire. Nouvelle édition revue et mise à jour, Paris, Nizet, 1995 : « Les convulsions n’étaient pas, au XVIII e siècle, une particularité janséniste. La superstition populaire n’y était que trop portée, même sans l’aiguillon de l’Unigenitus. » (p. 219) 57 Cf. F.-A.-A. Pluquet, Dictionnaire des hérésies et des erreurs et des schismes ou Mémoires pour servir à l’histoire des égarements de l’esprit humain par rapport à la religion chrétienne, publiée par l’abbé Migne, Paris, J.-P. Migne éd., 1853, [1 e éd. 1775] tome 2, col. 95 : « Sectaires : c’est le nom général que l’on donne, dans quelque religion que ce soit, à ceux qui s’éloignent de la commune façon de penser et du chef commun, pour suivre les opinions d’un maître particulier. » 58 Sur le rigorisme chrétien, cf. J.-L. Quantin, Le rigorisme chrétien, Paris, CERF, 2001. 59 M. Le Maire, op. cit., vol. 2, p. 310. <?page no="154"?> Franck Colotte 140 ment surprenante : au XVII e siècle, un très grand nombre de religieux étaient austères, l’austérité n’étant pas le seul fait des jansénistes. À cela s’ajoute le fait que cette accusation pourrait parfaitement être proférée contre Feller luimême, ce que d’autres polémistes n’ont pas manqué de faire. Saint-Cyran et Pasquier Quesnel Dans les portraits qu’il brosse des personnalités-phares du jansénisme, l’abbé de Feller porte une attention notable à Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, et à l’Oratorien Pasquier Quesnel. Jean-Ambroise Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, est certainement, pour Feller comme pour d’autres (ex)-jésuites, une des plus fortes personnalités religieuses du XVII e siècle 60 . Ce personnage haut en couleurs, ce polémiste né, dont l’agressivité polémique et les outrances verbales ont parfois desservi Port-Royal, s’en est souvent pris aux jésuites. Il prit par exemple vigoureusement le parti des prêtres diocésains, notamment en un énorme ouvrage qu’il publie sous le pseudonyme de Petrus Aurelius, Petri Aurelii theologici opera, qui trouve un écho dans une notice littéraire de Feller 61 : Est-ce bien faire preuve de goût, & même d’une sévere orthodoxie, que de tant exalter le galimatias du fameux S. Cyran, & de dire que le Petrus Aurelius fut distingué parmi les livres qui parurent travaillés avec le plus de soin, t. 8 p. 496 (a). - L’éloge que Mr. D. fait des lettres provinciales, condamnées à Rome & brulées par arrêt des parlements, a également de quoi paroître un peu étrange dans un abbé, historien de l’église, t. 9 p. 456 &c. &c. Le « galimatias du fameux S. Cyran » : par cette expression, Feller, dont le style est clair et souvent percutant, cherche à discréditer les écrits cyraniens, qualifiés de confus et d’inintelligibles. Le vitriol de la plume ne s’arrête pas là. Dans l’article qui lui est consacré dans le Dictionnaire historique de Feller, on peut lire : Ecrivain faible et diffus, en latin comme en français, sans agrément, sans correction et sans clarté, il avait quelque chaleur dans l’imagination ; mais cette chaleur n’étant pas dirigée par le bon sens et le goût, le jetait dans le galimatias 62 . 60 Art. « Duvergier de Hauranne, Jean-Ambroise », in Dictionnaire de Port-Royal. Élaboré sous la direction de Jean Lesaulnier et Antony McKenna, Paris, Champion, 2004, p. 381 à 384. 61 J.H.L, novembre 1777 : Les siecles chrétiens, ou histoire du christianisme dans son établissement & ses progrès, par l’abbé Mr. Ducreux. Tom 7. 8. 9. A Paris chez Moutard, p. 335. 62 Dictionnaire historique, 7 e éd., tome 17, p. 144. <?page no="155"?> 141 Les polémiques anti-jansénistes de François-Xavier de Feller À cette déficience stylistique s’ajoute le fanatisme de l’auteur, comme l’atteste ce passage tiré de l’Histoire de L’Eglise de l’abbé Bérault-Bercastel, qui dresse un catalogue des hérésiarques ; ce qui fait écrire à Feller que les autres instrumens des troubles & divisions funestes qui affligerent l’Eglise durant ces derniers siecles, ne sont pas traités avec plus d’indulgence. On les peint par les faits, par leurs écrits, par le génie & l’histoire de la faction dont ils ont été ou les auteurs ou les promoteurs ; & cela d’une maniere aussi exacte que laconique. Le suivant peut servir d’exemple. « Le dur abbé de St. Cyran traite à peu près d’insensés, ceux qui en réprouvoient la doctrine [celle de Richer]. Bien d’autres après lui, & jusqu’à nos jours, l’ont défendue avec toute la chaleur de gens de parti qui bravent la puissance pontificale, qui abhorrent l’autorité monarchique, qui ne peuvent souffrir aucun maître » 63 . L’exemple de Saint-Cyran illustre la technique « fellerienne » du portrait à l’emporte-pièces, réductrice et calomnieuse. Saint-Cyran serait donc un piètre écrivain, en plus d’un simple sectateur du « richérisme ». L’Oratorien Pasquier Quesnel (1634-1719), l’auteur des Réflexions morales sur le Nouveau Testament (1671) 64 , est présenté par Feller « comme hérétique et comme séditieux 65 ». Le mouvement auquel il donna naissance, le « quesnellisme », est, selon la métaphore dénigrante de Feller, un « poison » très nocif, comme le souligne ce passage caractéristique : Tout le monde sait quel bruit les Réflexions morales du P. Quesnel firent d’abord dans le monde, bruit soutenu par les éloges & les intrigues d’un parti puissant. Sous le voile de la piété l’erreur se glissoit parmi les fideles, les ames simples avaloient le poison mêlé à des alimens salubres, & la secte faisoit des prosélytes parmi ceux-mêmes qui en abhorroient le nom. L’abbé-journaliste, aux accents parfois graves et à la métaphore saisissante - à la manière des prédicateurs du Grand Siècle - affirme ainsi avec force, dans le cadre de sa lutte pour la défense de la constitution Unigenitus, sa détermination, à discréditer ce prêtre de l’Oratoire et à enrayer l’influence de son idéal de démocratie cléricale. 63 J.H.L., Histoire de l’Eglise, dédiée au Roi, par Mr. l’abbé de Berault-Bercastel, tomes 19 e et 20 e . A Paris, chez Moutard ; à Liège, chez Orval, Demazeaux, 1785, janvier 1786, p. 13-14. 64 Art. « Quesnel, Pasquier », in Dictionnaire de Port-Royal, p. 846-849. 65 Dictionnaire historique, 7 e éd., tome 14, p. 222-225. <?page no="156"?> Franck Colotte 142 Conclusion : le Journal historique et littéraire, miroir d’une hérésie protéiforme À la lumière de ces observations, il apparaît, en conclusion, que le tableau que l’abbé François-Xavier de Feller brosse du jansénisme et de ses personnalités-phares, est le fruit d’une reconstruction au sein du Journal historique et littéraire, et, à ce titre, un exemple éclairant d’une réception instrumentalisée du jansénisme dans un périodique polémique de la fin du XVIII e siècle. En effet, dans les notices littéraires consacrées au jansénisme - avec la connotation éminemment négative que le terme recouvre - le compilateur ne se contente pas d’un rôle de pure présentation des ouvrages, mais prend ouvertement position dans sa lutte contre ce qui constitue, mutatis mutandis - et pour reprendre les termes de Voltaire - « l’infâme ». Le Journal apparaît donc comme l’exutoire de l’ulcération fellerienne contre cet « infâme », au nombre duquel figure le jansénisme. Sans que ce mouvement soit une préoccupation obsessionnelle de l’ex-jésuite, la guerre de papier à laquelle il se livre est âpre et acharnée. Les échos du jansénisme dans le Journal doivent donc être compris et interprétés précisément à travers ce prisme idéologique et littéraire qui conduit l’abbé-journaliste à créer en quelque sorte « son » jansénisme, un jansénisme calibré fournissant au lecteur, en la matière, un « prêt-à-penser » d’ordre moral et philosophique, au sens large du terme, à savoir d’une interprétation globale du monde et de l’existence humaine. Les critiques acerbes qu’il adresse à ce mouvement, souvent en des termes vitriolés, concernent principalement les points suivants : l’hétérodoxie de la doctrine et la perversion du christianisme et de ses institutions. Par ce que Feller s’emploie à dénoncer dans le cadre de son apologétique, le jansénisme apparaît comme une hérésie protéiforme, tant dans son ecclésiologie que dans sa théologie. C’est une maladie, qui se répand insidieusement dans les églises d’Europe, et dont Feller, en médecin de l’âme catholique autant qu’en polémiste avisé, recense avec délectation les symptômes nombreux et divers. L’originalité de l’abbé de Feller ne réside cependant pas dans les critiques, somme toute conventionnelles, qu’il formule : tant les accusations qu’il lance contre le jansénisme que les portraits qu’il brosse répondent aux topoi de la polémique, qui sont destinés, chez lui, surtout à dénoncer la « transfiguration politique » du jansénisme - et avec elle, le risque d’une prise de pouvoir néfaste entre autres à l’ordre jésuite, en déliquescence depuis 1773. La défense de la bulle Unigenitus, pomme de discorde qui enflamma tout le siècle, n’est pas non plus une rareté au sein de la presse polémique. L’originalité de François-Xavier de Feller, à la fin du Siècle des lumières, réside donc paradoxalement dans sa contribution à la construction du mythe janséniste qui trouve, par l’intermédiaire du Journal historique et littéraire, une nouvelle dynamique. <?page no="157"?> Biblio 17, 188 (2010) Le jansénisme dans un périodique luxembourgeois du XVIII e siècle : les articles « jansénistes » de la Clef du Cabinet des Princes de 1704 à 1715 R AYMOND B AUSTERT Université du Luxembourg En 2007, la Bibliothèque Nationale de Luxembourg a poursuivi son projet de digitalisation des documents de la Réserve Précieuse par la mise sur toile d’une de ses collections les plus prestigieuses : La Clef du Cabinet des Princes de l’Europe, Ou Recuëil Historique & Politique sur les matieres du tems, dont la publication, s’échelonnant de 1704 à 1794, et couvrant donc la quasi totalité du XVIII e siècle, produit un bilan impressionnant de 1325 éditions, 202 volumes,105058 pages 1 . La seule date du premier tirage - 1704 - montre l’intérêt de cette publication pour le sujet abordé ici : la question du jansénisme est d’actualité, on est à neuf années seulement de la date fatidique de 1713, quand la constitution Unigenitus est venue porter le coup décisif que l’on sait. S’y ajoute qu’à côté des sujets historiques et politiques qui figurent dans le titre, le périodique fait aussi un sort à la littérature au sens large, à la spiritualité - à partir de juillet 1705, le titre même en tient compte, qui devient La Clef du Cabinet des Princes de l’Europe, Ou Recuëil Historique & Politique sur les Matieres du tems. Contenant aussi quelques nouvelles de Litterature &t autres remarques curieuses 2 . Le caractère pertinent de l’interrogation est manifeste. 1 Voir La Clef du Cabinet des Princes, dans Romain Hilgert, Les Journaux au Luxembourg 1704-2004, Luxembourg, Service information et presse du gouvernement luxembourgeois, 2004, p. 14. 2 Pour la période étudiée, cet ajout disparaît de nouveau pour les mois d’août à décembre 1705, réapparaît pour tous les mois de l’année 1706, sauf les mois de février, d’août et de décembre, pour les douze mois des années 1707, 1708, pour tous les mois de l’année 1709, sauf le mois d’août, pour tous les mois de l’année 1710, sauf les mois de février et de juillet, pour tous les mois de l’année 1711, sauf les mois d’avril et d’août, pour tous les mois de des années 1712, 1713 et 1714, pour tous les mois de l’année 1715, sauf le mois de novembre. <?page no="158"?> Raymond Baustert 144 Sujet légitime, donc, au niveau du jansénisme ; il faut ajouter qu’il l’est aussi à celui du jansénisme hors de France, c’est-à-dire à celui de l’implication luxembourgeoise. C’est ici que doit intervenir le nom d’André Chevalier, né en 1660 à Bourg-en-Bresse, et installé à Luxembourg, dans une maison de l’actuelle rue du Curé, tracée en 1610 sous le nom de Rue Neuve 3 . Le choix de cette installation est évidemment en rapport avec la situation politique : après la prise de la Ville par le Maréchal de Créquy, en 1684 4 , et son annexion à la France, Louis XIV a eu le souci constant de franciser sa conquête pour réussir une intégration aussi complète que possible ; il ne pouvait prévoir qu’il ne s’agirait que d’un intermède auquel le traité de Ryswick mettra fin dès 1697. Or, la symbiose politique, si elle se veut durable, doit passer par l’économie ; il convient donc d’encourager l’implantation de commerces français en territoire annexé. C’est ce que vise la déclaration royale du 9 janvier 1685 portant, « plusieurs Priviléges, en faveur des Artisans & Manufacturiers, qui iront s’établir à Luxembourg 5 » et précisant, entre autres, « qu’il leur soit donné gratuitement des places dans ladite Ville (…) [e]t qu’en outre ils jouïssent pendant le tems de dix années consécutives, d’exemption de tous logemens [de] Gens de guerre … », dispense de grand prix pour qui sait à quel point cette corvée était alors ressentie comme vexatoire. André Chevalier, exerçant jusqu’alors à Metz, ne put résister à l’offre, agrémentée encore, pour ce qui le concernait plus particulièrement, par d’autres avantages substantiels, comme il ressort de la convention qu’il a signée le 2 juin 1686 à Metz, avec Jean Mahieu, intendant du Roi à Luxembourg. Outre, en effet, la dispense susmentionnée, on lui assure « un logement pour vingt années convenable à une personne de sa profession », ainsi que l’absence de toute concurrence : « aucun imprimeur ne pourra s’établir pendant ledit tems de 20 années audit Luxembourg », et « deffences seront faites aux reverends pp. Jesuistes et à tous autres enseignans dans les escholes publiques de prendre aucuns livres a l’usage des escolliers chez aucun autre que ledit Chevalier… 6 » 3 Voir De l’Imprimerie Chevalier en 1685 à BIS Banking System S.A. en 1989, [recherche et assemblage Jean Pierre Kunnert], Mersch, Fr. Faber, 1989, p. 9. 4 Le gouverneur espagnol de la ville, le Prince de Chimay, signa l’acte de capitulation le 4 juin 1684. Une relation circonstanciée du siège est donnée par l’« Autheur du Mercure Galant » : Histoire du Siege de Luxembourg Par l’Autheur du Mercure Galant, Lyon, Thomas Amaulry, 1684, 315 p. in-12°. Les Archives Nationales de Luxembourg possèdent, de l’épisode, une autre relation, manuscrite, de la main de M. de [nom illisible], Lieutenant de Roy de Perpignan, et datée de juin 1728. [cote FD 121 : 46] 5 Cit. dans De l’Imprimerie Chevalier (…) à Bis Banking (…), op. cit., p. 11. 6 Arrêté de Jean Mahieu du 2 juin 1686 cit. dans De l’Imprimerie Chevalier (…) à Bis Banking (…), op. cit., p. 11. <?page no="159"?> 145 Le jansénisme dans un périodique luxembourgeois du XVIII e siècle Voilà donc tracé ce cadre légal, garant, autant qu’il peut l’être, d’une entreprise aux assises solides. André Chevalier demeurera dans la ville jusqu’à sa mort, en 1747, ses héritiers géreront encore le commerce de la rue du Curé à la fin du siècle, histoire ultérieure d’une famille « naturalisée » luxembourgeoise, au sens large du terme, qu’il est inutile de développer ici 7 . Ce qui importe, c’est qu’en 1704, le fondateur de la Maison lance l’édition de cette gazette promise à l’avenir centenaire que l’on sait. Certes, le premier tirage n’est pas explicitement à son nom, puisqu’il se dit « Imprimé chez Jacques Le Sincere à l’enseigne de la Verité 8 », mais la recherche, depuis, a démontré qu’il s’agit bien d’un de ces pseudonymes alors en usage dans le monde des imprimeurs. On dispose, du reste, dès l’année suivante, 1705, en date du 1 er septembre, d’un contrat établi entre Chevalier, éditeur, et Claude Jordan, rédacteur à Bar-le-Duc, obligeant ce dernier à fournir au premier un manuscrit par mois, pour la somme de cinquante livres 9 . Dans les années suivantes, d’ailleurs, le nom de l’éditeur ainsi que sa domiciliation, indiquée sur la page de couverture, se présenteront en différentes variantes 10 , alors que tout porte à croire que Luxembourg est demeuré lieu d’impression 11 . La topographie rejoint donc la chronologie : lieu et temps invitent à poser la question des incidences luxembourgeoises du jansénisme. 7 Héritiers d’André Chevalier, maîtres-imprimeurs à Luxembourg, rue du Curé, au XVIII e siècle : voir De l’Imprimerie Chevalier (…) à Bis Banking (…), op. cit., p. 17. 8 Voir page de couverture du premier numéro (juillet 1704). 9 De l’Imprimerie Chevalier (…) à Bis Banking, op. cit., p. 21. 10 De 1704 à 1715, deux noms d’éditeurs figurent sur les pages de couverture. À côté de celui de Jacques le Sincère, dont le nom n’est jamais suivi du lieu d’édition, on trouve celui de Claude Muguet, de Verdun, et, à partir de 1715, celui de la veuve de Claude Muguet. La distribution est la suivante : Jacques Le Sincère, 1704, de juillet à décembre,1705, de janvier à décembre, 1706, de janvier à décembre, 1707, juillet, 1708, juillet à octobre, 1709, janvier à mai, août, octobre à décembre, 1710, janvier, mars à juin, août à décembre, 1711, janvier à mai, août à décembre, 1712, janvier à mars, mai à août, octobre à décembre, 1713, janvier à février, mai à juillet, septembre à décembre, 1714, juillet à août, décembre, 1715, mai, juillet à août, octobre à décembre. Claude Muguet, 1707, janvier à juin, août à décembre, 1708, janvier à juin, août à septembre, novembre à décembre, 1709, juin à juillet, septembre, 1711, juin à juillet, 1712, avril et septembre, 1713, avril et août, 1714, janvier à juin, septembre à novembre, 1715, janvier. Veuve de Claude Muguet, 1715, février à avril, juin, septembre. Sans nom, 1710, février et juillet, 1713, mars. Des quatre suppléments de l’année 1713, deux sont au nom de Jacques Le Sincère, deux sans nom. 11 Voir Alphonse Sprunck, « La première ‹Gazette› du Duché de Luxembourg [La Clef du Cabinet des Princes de l’Europe, 1704-1774], in Annales de l’Institut archéologique du Luxembourg, t. 92, Arlon, 1961, p. 139. L’auteur indique comme lieu d’impression Luxembourg et Verdun, simultanément. <?page no="160"?> Raymond Baustert 146 Aussi faut-il dire que le dépouillement, dans cette optique, des volumes couvrant la période allant de 1704 à 1715, c’est-à-dire celle qui s’étend du premier numéro, produit au mois de juillet de cette année, à celui qui paraît au mois de décembre de l’année de la mort de Louis XIV, donne lieu à une riche moisson. On y compte, en effet, non moins de vingt-cinq articles, consacrés, d’une manière ou d’une autre, aux différentes questions relatives au jansénisme, c’est-à-dire plus de deux par année. Ces articles, il convient de le préciser, sont de volumes très différents. On en trouve d’une seule ligne, ainsi au mois de novembre de l’année 1709, cette réplique versifiée anonyme aux vers, aussi, d’un ami de Quesnel, qui avait contesté la mystique du pur amour développée par Fénelon dans l’Explication des maximes des Saints. L’anonyme s’y défend de quitter la voie droite de l’orthodoxie, se mettant à l’abri de toutes sortes de déviations, dont le jansénisme : « on ne me verra point, écrit-il, tomber dans le Deisme/ Ni sectateur d’Arnaud, prêcher le Jansenisme 12 », sans plus. Il y en a d’autres, très volumineux, comme ce développement de huit pages consacré, au mois de juillet 1712, au Memoire de Monseigneur le Dauphin pour nôtre S. Pere le Pape, c’est-à-dire à ce document adressé par le petit-fils de Louis XIV - le fils du Grand Dauphin - à Clément XI, et dans lequel ce prince se justifie des accusations de sympathies jansénistes dont il avait été l’objet. Voilà pour les extrêmes ; tous les autres articles se situent dans une fourchette allant de cinq à deux cent quarante-deux lignes, la moyenne se plaçant entre cinquante-quatre et cinquante-cinq lignes. Ce n’est pas négligeable. Il importe davantage de savoir quelle est la nature des sujets abordés. Ici il faut distinguer, toutes années confondues, deux grands volets, un premier qui fait état des mesures prises à l’encontre des jansénistes, tant par le pouvoir civil que par les autorités religieuses, un second qui produit une véritable bibliographie des ouvrages parus en rapport avec cette spiritualité, ouvrages critiques, pour la plupart, sans que soit déjà abordé, à cet endroit, la question du positionnement du rédacteur de l’article : ce sera pour tout à l’heure. Dans l’immédiat, on dira qu’une troisième approche doit être enregistrée, celle-ci non plus bibliographique, mais biographique et à l’occasion d’une notice nécrologique. Le cas est exceptionnel, unique même. Aussi, dans le cadre restreint de cette communication a-t-il été retenu pour un examen approfondi, permettant à la fois de sonder le contenu quant au sérieux de l’information qu’il véhicule et de poser la question du traitement, par l’auteur, de cette information. C’est s’interroger sur sa position face au jansénisme et à ceux qui le représentent, avec, bien entendu, la plus grande prudence quant aux éventuelles conclusions. 12 Clef, tome XI, novembre 1709, article IX, p. 402. <?page no="161"?> 147 Le jansénisme dans un périodique luxembourgeois du XVIII e siècle Pour aboutir à des évidences, l’analyse approfondie de l’ensemble des vingt-cinq articles s’impose, objet d’un livre, non d’une communication. Auparavant, un tableau synoptique, en quelque sorte, des deux grands volets - intervention des pouvoirs, bibliographie - doit permettre de faire sentir l’ampleur de la présence de la question janséniste dans les onze premières années de la Clef. Pour ce qui est du volet intervention des autorités, il faut, de toute évidence, y compter les textes officiels sanctionnant les jansénistes, et non seulement les mesures exécutées. Dans cette optique, et après une première année, 1704, muette, le registre s’ouvre, dans la deuxième livraison de 1705, par une double présence, pour les mois de septembre et d’octobre, de la bulle Vineam Domini, donnée le 16 juillet de cette année par Clément XI en réponse - antijanséniste - au célèbre Cas de conscience, document de 1701 réactualisé, en 1704, suite à sa condamnation par la Faculté de Théologie de Paris, et signalé, de ce fait, dès le premier volume de 1705, au mois de mai, mais qui appartient au deuxième volet défini ci-dessus. Ce texte, on le sait, développe l’idée du droit au « respectueux silence » que réclament pour eux ceux qui, tout en admettant la condamnation des Cinq Propositions par Innocent XII, demeurent réservés quant à leur présence effective dans l’Augustinus. Ils entendent garder, à ce sujet, un « respectueux silence », justement, attitude légitimée dans le Cas de conscience, dû à la plume d’une quarantaine de docteurs de Sorbonne. Vineam Domini rejette cette réserve et exige le refus des propositions comme contenues dans le livre de Jansen. La Clef signale d’abord, au mois de septembre 1705 13 , à ses lecteurs l’existence de la bulle, puis, au mois d’octobre 14 , les lettres patentes du roi enjoignant à tous les Parlements de France de procéder à son enregistrement. Une année plus tard, au mois d’octobre 1706 15 , les lecteurs sont informés d’une mesure, cette fois, sur le terrain : la nomination, par le roi, de Louise- Françoise Rousselet de Châteaurenaud comme abbesse des deux maisons 16 , celle des Champs et celle de Paris, avec comme mission d’amener la première à extinction. 13 Ibid., t. III, septembre 1705, article II, II, p. 162. 14 Ibid., t. III, octobre 1705, article II, VIII, p. 239-244. 15 Ibid., t. V, octobre 1706, article II, III, p. 226. 16 En fait, Louise-Françoise Rousselet de Château-Renaud est nommée à Port-Royal de Paris en juin 1706 ; la Gazette annonce la nouvelle en date du 26 juin (Dictionnaire de Port-Royal, Paris, Champion, 2004, p. 256). On relira dans Sainte-Beuve (Port- Royal, Paris, Gallimard, Bib. de la Pléiade, 1955, t. III, p. 642) que le motif de cette nomination était bien la réunion des deux maisons et donc l’extinction de celle des Champs. <?page no="162"?> Raymond Baustert 148 Il faut ensuite attendre l’année 1707, au mois de décembre, pour une nouvelle contrainte, de nature spirituelle, cette fois : les religieuses des Champs ayant refusé l’acceptation pure et simple de Vineam Domini, Firmin Pollet, supérieur de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, sur ordre du cardinal de Noailles, leur interdit les sacrements 17 . Même scénario, ou presque, l’année suivante, pour le mois d’août 1708 : il s’agit encore d’imposer l’observation des exigences de Vineam, mais, ici, au clergé du diocèse hollandais de Deventer, ceci en réaction à la contagion janséniste opérée, pensait-on, par le célèbre Neer- Cassel, évêque de Castorie, lui-même influencé par van Bont, traducteur, en flamand, de la Vérité Catholique Victorieuse du très janséniste Gerberon 18 . Au mois d’octobre de cette année 1708, les mesures antijansénistes font encore l’objet de deux autres mentions : celle, d’abord, des mesures décrétées par Clément XI à l’endroit des religieuses de Port-Royal des Champs, conciliantes, à première vue, puisque les sanctions antérieures, dont l’interdiction des sacrements, sont levées, mais non moins fatales, car demandant à l’official de Paris l’extinction de la maison 19 ; ensuite celle de la condamnation, par Clément XI, du Nouveau Testament de Quesnel et de la rétractation de ceux qui l’avaient approuvé dans un premier temps 20 . L’année suivante, au mois de juin 1709, les lecteurs de la Clef apprennent la censure romaine des livres de Tillemont, de Baillet et de Le Maistre de Sacy 21 . Voie des faits, de nouveau, au mois de février 1710 : la Clef donne à ses abonnés le détail de la sinistre journée du 29 octobre, celle de l’expulsion et de la dispersion des religieuses persistant dans leur refus de signer Vineam 22 . Retour, de nou- 17 Clef, t. VII, décembre 1707, article IX, IX, p. 440. 18 Ibid., t. IX, août 1708, article VIII, I, p. 138-139. 19 Ibid., tome IX, octobre 1708, article II, VII, p. 252-253. Il s’agira de la bulle du 27 mars 1708 qui ne fut pas enregistrée en France à cause, justement, des quelques dispositions favorables. Voir Sainte-Beuve, Port-Royal, op. cit., t. III, 637 et Gazier, Histoire générale du mouvement janséniste, Paris, Champion, 1924, t. I, p. 228. 20 Clef, t. IX, octobre 1708, article IX, IX p. 319. Le décret de Clément XI, condamnant les Réflexions morales sur chaque verset accompagnant Le Nouveau Testament en français date du 13 juillet 1708. Louis-Antoine de Noailles, en tant qu’évêque de Châlons, l’avait approuvé, mais, plus tard, archevêque de Paris, prendra ses distances, puisqu’il avait condamné, le 20 août 1696, l’Exposition de la foi de l’Église touchant la grâce et la prédestination de Barcos qui exposait la même théologie que celle de Quesnel. 21 Clef, t. X, juin 1709, article VIII, III, p. 421-422. 22 Ibid., t. XII, janvier 1710, article II, V, p. 93-94. La Clef place cette journée au 5 novembre 1609 ; en fait, il s’agit du 20 octobre. Voir, entre autres, Sainte-Beuve, Port-Royal, op. cit., t. III, p. 648 ; Cognet, Le jansénisme, Paris, PUF, 1961, p. 97. Pour l’expulsion des vieilles religieuses refusant de signer Vineam, voir Cognet, op. cit., p. 97. <?page no="163"?> 149 Le jansénisme dans un périodique luxembourgeois du XVIII e siècle veau, aux mesures écrites avec, pour le mois de janvier 1711, l’annonce de l’Instruction pastorale de l’évêque de Meaux - il s’agit de Henri-Pons de Thiard de Bissy - condamnant les très jansénistes Institutions théologiques du P. Juenin, de l’Oratoire 23 , et puis, en 1713, au mois de novembre et au mois de décembre, la mention d’Unigenitus 24 , avec simple précision qu’il s’agit de la condamnation pontificale du Nouveau Testament de Quesnel, sans plus. Ce n’est qu’à partir de 1716 que la célèbre bulle fera l’objet de considérations plus étendues et répétées 25 . Volet bien fourni, donc, que celui des mesures, arrêtées ou exécutées. Celui des textes intervenant au niveau théorique ne l’est pas moins. Ici la série s’ouvre, au mois de mai 1705, par la présentation du Cas de Conscience, ce document de 1701 redevenu d’actualité, comme on l’a dit, par sa condamnation en Faculté en 1704 et la bulle Vineam Domini. Une année plus tard, mois pour mois, au mois de mai 1706, mention d’une « petite brochure » - ce sont les mots de la Clef - intitulée Le Jansénisme démasqué ou l’Entretien de Théodore et de Caliste 26 , ouvrage, le titre le laisse deviner, peu favorable au jansénisme, cinquante-deux pages, tout de même, produites par Plantavit de la Pause dès 1693, mais plusieurs fois réédité, sans qu’on ait pu trouver la version de 1705, encore une année plus tard, au mois de septembre 1707, présentation d’un autre brandon antijanséniste, Le véritable esprit des nouveaux disciples de saint Augustin par le P. Lallemant - Jacques-Philippe Lallemant, Jésuite 27 , parution 1705, nouvelle édition 1706, à Bruxelles, chez A. Claudinot. Il faut attendre ensuite deux années pour voir présenter, en mars 1709, une Lettre de l’Auteur de la défense des Theologiens à Mr. l’Evêque de Belley sur son Mandement de Juillet 1706, c’est-à-dire la lettre de Jacques Fouillou, auteur, en 1703, de cette « Défense » 28 , adressée au très antijanséniste Godet des Marais, évêque de Chartres, et qui s’en prend encore, ici, en 1709, à Pierre du Laurent, titulaire du siège de Belley, non moins opposé au jansénisme que son confrère. Ce n’est qu’au mois de mai de l’année 1710 que l’on accède, enfin, à un texte favorable, celui de la lettre qu’adresse alors au Pape, toujours Clément XI, Guillaume François, prêtre, - mais le nom est supposé - pour dire sa désapprobation de la condamnation du Testament de Quesnel 29 . Au mois d’août 1711, les lecteurs sont invités à prendre connaissance de la Dénoncia- 23 Ibid., t. XIV, janvier 1711, article IX, III, p. 81. 24 Ibid., t. XIX, novembre 1713, article IV, XII, p. 337-338. 25 Voir Ibid., t. XXIV, février 1716, article II, II, p. 109 ; t. XXV, juillet 1716, article I, VII-VIII, p. 21 et s. et article III, II, p. 36-38 ; août 1716, article I, XII, p. 104. 26 Ibid., t. IV, juin 1706, article IX, II, p. 443. 27 Ibid., t. VII, septembre 1707, article VIII, IX, p. 215-216. 28 Défense de tous les théologiens, et en particulier des disciples de S. Augustin, contre l’ordonnance de M. l’évêque de Chartres, du 3 août 1703, s.l.n.n., 1704. 29 Clef, t. XII, mai 1710, article XII, X, p. 362. <?page no="164"?> Raymond Baustert 150 tion de la théologie de Mr. Habert 30 , livre antijanséniste de la plume, peut-être, du P. Lallemant, suivie, trois mois plus tard, en novembre de la même année, de deux autres ouvrages, antijansénistes encore, puisque l’un et l’autre - le premier du Censeur Pastel, le second d’Habert lui-même - contestent l’orientation janséniste de la théologie habertienne et s’en distancient donc 31 . Pour clore, en 1712, au mois de juillet, l’insertion in extenso du Mémoire du Dauphin au Pape, ce texte volumineux dans lequel, on l’a dit, le petit-fils de Louis XIV proteste de son antijansénisme viscéral 32 , et au mois de novembre de la même année, la réponse du Pape certifiant au Dauphin la pureté de ses sentiments 33 . Ces relevés peuvent paraître longs, fastidieux même : ils témoignent de l’importance accordée à tout ce qui touche au jansénisme par la gazette luxembourgeoise. Or, question intéressante parmi toutes : l’auteur, les auteurs des articles, prennent-ils position ? Approuvent-ils les mesures, les textes anijansénistes qu’ils rapportent, ou s’en distancient-ils ? Se cantonnent-ils, au contraire, dans un rôle de pure observation ? C’est bien là, paraît-il, leur parti pris, du moins à en juger par ce témoignage, tardif, il est vrai, puisqu’il se trouve dans l’édition de 1743, au mois d’août. Il s’agit, écrit alors le gazetier, d’exposer des faits, de rapporter des événements qui se présentent, de donner des détails, de montrer les choses au plus clair sans détour, et sans que le lecteur puisse le soupçonner de prendre un parti plutôt qu’un autre… 34 . Cette conception d’un journalisme non raisonné, proche de la chronique, est confirmé, dans les livraisons antérieures, par l’un ou l’autre article en rapport avec la question qui nous occupe. Voici quelques exemples à l’appui. Lorsque, au mois de septembre 1707, la Clef présente, comme signalé tout à l’heure, Le véritable esprit des nouveaux disciples de saint Augustin du P. Lallemant, le rédacteur, certes, semble critiquer les positions antijansénistes de ce Jésuite : l’Auteur, écrit-il, qui introduit les Jansenistes sur la scene, leur fait dire ce qu’il veut 35 , 30 Clef, t. XV, août 1711, article IX, IX, p. 150-151. 31 Ibid., t. XV, novembre 1711, article IX, I, p. 361-365. 32 Ibid., t. XVII, juillet 1712, article II, I p. 18-25. 33 Ibid., t. XVII, novembre 1712, article II, IX, p. 325-327. 34 Ibid., t. LXXIX, août 1743, article I, p. 81. Pour la question de l’objectivité de la presse au XVIII e siècle, voir Ammari Djilali, L’actualité dans la Clef du Cabinet des Princes, Mémoire de Maîtrise (dactylographié), Université de Metz, UFR Sciences humaines & Arts, 2000-2001. 35 Ibid., t. VII, septembre 1707, article VIII, IX p. 216. <?page no="165"?> 151 Le jansénisme dans un périodique luxembourgeois du XVIII e siècle reproche, donc, de présentation arbitraire. Mais il s’empresse d’ajouter : [c]omme Mr. Pascal faisoit dire tout ce qu’il vouloit aux Jesuites qu’il faisoit parler dans ses ouvrages, et il cite nommément les Provinciales 36 . Belle preuve d’impartialité. Ou encore, en mars 1709, à l’endroit du différend entre le rédacteur de la Lettre de l’Auteur de la défense des Théologiens à Mr. l’Evêque de Belley, et ce prélat - Pons de Thiard - à qui il reproche d’avoir mal compris l’Augustinus : la Clef se refuse de trancher, se prévalant de son incompétence : Ces matieres de Theologie, y lit-on, n’estans pas de mon ressort, je me contente d’indiquer l’ouvrage qui fait le sujet de cet Article & d’y renvoyer les Lecteurs intéressés 37 . Dernier exemple, novembre 1711, la présentation de la défense de la théologie de Louis Habert ; après l’exposé, non commenté, du contenu, le rédacteur se contente de conclure comme suit : Voilà l’essentiel de ce qui est contenu dans les deffenses de la theologie de Mr. Habert, qui remplissent 190. pages d’un caractere plus menu que celui de ce Journal 38 , sans plus. Au lecteur de juger, l’auteur ne se prononce pas. Neutralité de principe, donc, associée au souci d’éviter tout dépassement de compétences : cette presse se veut d’information, non de manipulation ; on n’imagine pas d’attitude plus respectueuse du lecteur que celle-là. On lui fournit le fait, il l’interprète à sa guise. Encore faudrait-il que les principes, honorables, s’appliquent, que les articles garantissent, dans les faits, une information fiable et impartiale. Est-ce vraiment le cas ? Il faudrait, pour le savoir, analyser, on l’a dit au début, l’ensemble des textes sur l’authenticité des données communiquées, sur le sens, aussi, de telles formules, glanées ici ou là, et aptes à faire incliner le lecteur d’un côté ou de l’autre. L’analyse annoncée d’une notice nécrologique permettra de constater la complexité de l’approche. * Le 10 janvier 1705 meurt Étienne Pavillon, membre de l’Académie française depuis le 22 novembre 1691, jour auquel il y a succédé à Benserade. Sans compter parmi le premier choix des grands esprits du XVII e siècle, c’est cependant un écrivain remarqué, bien que dans le registre de la Muse légère 36 Ibid. 37 Ibid., t. X, mars 1709, article I, II p. 214-215. 38 Ibid., t. XV, novembre 1711, article IX, II p. 364. <?page no="166"?> Raymond Baustert 152 voire gauloise : tel critique a cru pouvoir le qualifier de « Rabelais des boudoirs 39 » ; ce n’est que sur le tard qu’il s’est converti, sans trop de bonheur, dit-on, au genre sérieux. Toujours est-il que ses œuvres, fortes de deux volumes, lui avaient valu, outre son immortalité académicienne, de nombreux témoignages d’estime, recueillis sur non moins de quatre-vingt-sept pages servant d’entrée au premier d’entre eux 40 . Rien ne s’oppose donc à lui consacrer quelques réflexions, à l’heure de sa mort, en cette année 1705. L’auteur de la Clef est de cet avis, qui lui réserve, au mois de mai 1705, un passage de trente-cinq lignes, et qui commence de la façon la plus convenue, invitant le lecteur à s’attendre vanter, comme cela se fait en pareille circonstance, les mérites du défunt : Nous venons encore de perdre un homme celebre en France, c’est Mr. Pavillon, de l’Academie Françoise (…) ; cet Academicien étoit frere de Nicolas Pavillon Evêque d’Alet 41 ; Jusqu’ici rien d’exceptionnel, si ce n’est une première inexactitude : Étienne, l’académicien, était non le frère de Nicolas Pavillon, Évêque d’Alet, mais le neveu, donc le fils du frère. Lapsus qu’on peut, sans doute pardonner, mais qui éveille des soupçons quant à la fiabilité de l’information fournie par la Clef. On verra tout de suite qu’ils ne manquent pas de fondement. Mais voici qui, dans l’optique qui est la nôtre, doit susciter un intérêt au moins égal. Dans toute la suite de la notice nécrologique - trente-cinq lignes donc - il ne sera plus question, ne fût-ce qu’en un seul mot, du défunt dont il s’agit, après tout, de commémorer la mémoire, mais de son oncle, Nicolas, Évêque d’Alet, personnage auquel l’auteur, manifestement, porte un intérêt infiniment supérieur à celui qu’il accorde au neveu, expédié en deux lignes. Or, quand on sait à quel point Nicolas Pavillon, était une personnalitéphare du jansénisme, la question se pose de l’implication, dans le débat autour de cette spiritualité, de l’auteur de l’article, que ce soit d’un point de vue positif ou négatif. Il est donc primordial de savoir comment il procède pour présenter l’évêque d’Alet, et ici encore son texte est surprenant au suprême degré. Disons-le d’emblée, il réussit ce véritable tour de force qui consiste à parler à longueur de page de ce protagoniste majeur de la querelle janséniste, sans mentionner, même pas au détour d’une phrase, même pas de manière allusive, son engagement dans la bataille. En fait, son témoignage sur la vie de l’Évêque, après un exorde auquel il y aura à revenir, commence 39 Lucien Solvay, « Un ami de Boileau, Étienne Pavillon », in Revue de Belgique, Année IV, tome X, 1872, p. 310. 40 Ibid., p. 302. 41 Clef, t. II, mai 1705, article IX, p. 384. <?page no="167"?> 153 Le jansénisme dans un périodique luxembourgeois du XVIII e siècle par une espèce de captatio benevolentiae : le lecteur doit être disposé favorablement par le jugement que portait sur Pavillon une autorité au prestige incontesté. C’est Richelieu lui-même qui a distingué le personnage en le recommandant - le « nommant » comme s’exprime la Clef -, pour la dignité épiscopale. Passage banal, mais qui jette, pour la seconde fois, une lumière étrange sur la qualité de l’information du journaliste : il fut, écrit-il, un des six Evêques nommez par le Cardinal de Richelieu, pendant la minorité du Roi, & dont le choix fait encore honneur à la mémoire de ce Cardinal ; les cinq autres sont Mr. Grillet, qui fut nommé à l’Evêché de Bezas ; Mr. Rohou à celui de Nîmes, le Père Lingendes à celui de Sarlat, l’Abbé de la Chancelade, à celui de Cahors, & le Pere Gault de l’Oratoire à celui de Marseille 42 . Un premier détail attire l’attention : Richelieu aurait procédé à ces nominations pendant la minorité du Roi. La minorité du roi, ici de Louis XIV, et si l’on prend l’expression stricto sensu, commence au moment même où expire son prédécesseur : Louis XIII décède le 14 mai 1643, son fils accède au trône ce même 14 mai 1643 ; il a tout juste cinq ans, minorité du roi. Richelieu est mort quelque cinq mois plus tôt, le 4 décembre 1642. On ne peut donc dire, en bonne logique, qu’il ait fait cette fournée de prélats, à moins que l’on ne confonde minorité du roi avec minorité du futur roi. Détail, sans doute, mais c’est pour la seconde fois qu’on surprend le journaliste en flagrant délit d’inexactitude. On n’en sera que plus curieux de sonder ces promotions quant à leur authenticité. Nicolas Pavillon lui-même, nommé en 1637, sur recommandation de Richelieu : le dauphin, futur Louis XIV, naîtra une année plus tard : la Clef informe mal, mais au moins peut-on lui accorder que le sacre n’eut lieu qu’en 1639 43 . M. Grillet, Évêque de Bezas : ce premier cas cause un problème que ne peut évacuer aucune interprétation indulgente. Nicolas Grillé a été nommé à l’évêché de Bezas, actuellement Bazas, dans la Gironde, en 1631, et il y prit possession de son siège l4 juillet de la même année. C’est son éloquence oratoire qui lui a valu l’attention d’Anne d’Autriche et son intervention auprès de son royal époux, Louis XIII, pour lui obtenir la mitre : ea petente, lit-on 42 Ibid., p. 384-385. 43 Le sacre eut lieu à Saint-Lazare, à Paris, le 22 août 1639. Voir Vie de Monsieur Pavillon, Evêque d’Alet. Nouvelle Edition Revûë, corrigée & augmentée avec la Carte du Diocèse, Utrecht, 1739, L. I, p. 3 ; Jérôme Besoigne, Vies des Quatre Evesques engagées dans la Cause de Port-Royal, Cologne, s.n., 1756, p. 10 ; Étienne Dejean, Un prélat indépendant au XVII e siècle, Nicolas Pavillon (…), Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1909, p. 16. <?page no="168"?> Raymond Baustert 154 dans la Gallia Christiana, designatus a rege anno 1631 44 . Le futur Louis XIV est né sept années plus tard, le 5 septembre 1638. La Clef, qui place l’événement pendant la minorité du Roi, est irrémédiablement infirmée. L’information est fausse. M. Rohou nommé au siège de Nîmes : c’est pire. Aucune recherche sur l’évêché de Nîmes n’a permis d’aboutir ; le nom ne figure ni dans la Gallia ni dans aucun autre document consulté ; l’information est encore fausse, jusqu’à preuve du contraire. On émettra, toutefois, une hypothèse : Rohou serait une corruption de Cohon - Anthime Denis Cohon -, évêque de Nîmes de 1633 à 1644, puis, une seconde fois, de 1655 à 1670, et qui doit sa première nomination, en 1633, soit cinq années avant la naissance du Dauphin, à Richelieu. Erreur de la Clef, partout. Le Père Lingendes à celui de Sarlat : cette fois, l’identité du personnage est facilement accessible et la date recevable, à condition de ne pas ergoter sur la formule de la Clef : Jean de Lingendes, en effet, a été nommé par Louis XIII, qui l’appréciait parlant en chaire, à Sarlat/ Dordogne, et sacré le 14 décembre 1642, le futur Louis XIV étant alors âgé de quatre ans 45 . L’abbé de la Chancelade, à celui de Cahors : si le cas Lingendes a pu rassurer au moins faiblement, après les déconvenues précédentes, sur la qualité de l’information de la Clef, celui-ci, de nouveau, obtient l’effet contraire. C’est que l’abbé de la Chancelade n’est autre qu’Alain de Solminihac - le Bienheureux Alain de Solminihac - pourvu de cette abbaye en 1623 et élevé par Louis XIII à la dignité épiscopale en 1636 avec sacre le 27 septembre 1637, donc, l’année précédant la naissance de Louis XIV. Ce grand réformateur est une des hautes figures de la spiritualité du XVII e siècle, et Richelieu l’avait choisi pour restaurer la discipline dans l’église de Cahors, alors relâchée, comme celle de tant d’autres diocèses. Seulement, on l’aura encore noté : les dates, 1636, 1637, démentent une fois de plus la chronologie de la Clef. Cette nomination, comme la plupart de celles qui précèdent, est placée, par le gazetier, pendant la minorité d’un prince qui n’est pas encore né. Reste, pour redresser le bilan, un dernier cas, celui du Père Gault : effectivement, Jean-Baptiste Gault, l’apôtre des galériens, dans la mouvance de saint Vincent de Paul, a succédé à son frère Eustache Gault au siège de Marseille, sur recommandation de Richelieu, adiuvante cardinale Richelio, et ceci en date du 14 juillet 1642 - il mourra d’épuisement quelques mois plus tard, au mois de mai 1643 46 . À la limite, on peut donc valider l’information de la Clef. 44 Gallia Christiana (…), Paris, Victor Palmé, MDCCCLXX, tome I, col. 1212. 45 Gallia Christiana, col. 1529 et t. IV, col. 1103. 46 Ibid., t. I, col. 672. <?page no="169"?> 155 Le jansénisme dans un périodique luxembourgeois du XVIII e siècle Cependant, sur les six cas, deux seulement peuvent être retenus, et à condition de ne pas ergoter sur l’expression « pendant la minorité du Roi ». Si on y ajoute le lapsus de la fausse filiation - Étienne Pavillon, frère de Nicolas, au lieu de fils du frère - on demeure réservé : l’information véhiculée par cette gazette luxembourgeoise du XVIII e siècle, quantitativement si importante, est-elle qualitativement recevable ? Et surtout, dans le présent contexte, comment est présenté Nicolas Pavillon, cet acteur majeur dans la querelle janséniste ? Le début du portrait qu’en trace le gazetier est édifiant, sans doute, mais conventionnel : il est de bon ton, depuis toujours, de présenter l’élu comme rétif à l’honneur qui lui échoit, comme s’en jugeant indigne au suprême degré, vertu de l’humilité oblige. On n’est pas loin du topos hagiographique : Pour revenir, lisons-nous, à Mr. Pavillon Evêque d’Alet, il refusa d’abord l’Episcopat qu’on lui offrit, & il ne falut pas moins que l’autorité du Roi, dont le Cardinal se servit pour le lui faire accepter ; ces sortes de refus ne sont plus du goût de ce siécle … 47 , mais de celui, répétons-le, des hagiographes : à titre d’exemple, on ne voudra que le cas de cet autre ami des jansénistes qu’était François de Caulet qui, appelé à l’évêché de Pamiers, après bien des résistances « se laissa imposer le joug & accepta humblement la Dignité dont il s’estimoit très-indigne 48 ». Certes, le fait est confirmé et largement étalé dans les biographies du personnage, à commencer par celle, monumentale, parue en 1738 et consultée dans l’édition « Revûë (…) & augmentée » parue en 1739, à Utrecht, déjà sollicitée. Après avoir évoqué les efforts de Richelieu, prenant conseil, entre autres, chez « M. Vincent » - le futur saint Vincent de Paul - pour s’assurer des vertus de celui qu’il veut proposer au Roi pour le siège d’Alet, il en vient à la réaction de l’élu. Un Prêtre, écrit-il, si humble (…) ne pouvoit manquer de résister avec force au choix que l’on faisoit de sa personne, pour une dignité dont il avoit une si haute idée, & qui demande des qualités & des talens qu’il ne reconnoissoit point en lui 49 , et on retrouve la même modestie partout ailleurs, en particulier dans Les Vies des Quatre Évêques engagés dans la cause de Port-Royal de Jérôme Besoigne, consultées dans l’édition de 1756 (Cologne) 50 . Ce qui peut étonner, c’est que 47 Clef, t. II, mai 1705, p. 385. 48 Jérôme Besoigne, Vies des Quatre Evesques, op. cit., t. II, p. 125. 49 Vie de Monsieur Pavillon, Evêque d’Alet. Nouvelle Édition, Revûë, corrigée & augmentée, avec la Carte du Diocèse, op. cit., t. I, p. 13. 50 Jérôme Besoigne, Vies des Quatre Evesques, op. cit., t. I, p. 8 et s. <?page no="170"?> Raymond Baustert 156 la Clef explique l’acceptation finalement arrachée par l’intervention directe du roi - « l’autorité du Roi », y lit-on. Aucun des grands biographes consultés ne la mentionne, mais bien celle de Vincent de Paul voire celle de Dieu Luimême par le moyen de phénomènes mystiques 51 . Le gazetier, en ce début du XVIII e siècle, serait-il déjà trop rationaliste pour accueillir ce qui sort des voies communes ? Mais enfin, les cas similaires, relevés plus haut, et parmi tant d’autres, en font un trait bien commun. De la mention qu’en fait le gazetier de Luxembourg, on peut sans doute conclure à une présentation bienveillante, du moins non hostile, mais est-ce déjà le ranger parmi ceux qui accueillent favorablement le jansénisme ? On demanderait des précisions que la seconde qualité consentie n’apporte pas plus que la première. Quoi de plus commun, en effet, que ce souci constant des pauvres que l’évêque d’Alet partage avec tous ceux qui ont vocation de sainteté, souci qui s’extériorise par des dotations généreuses en leur faveur, jointes à un dépouillement personnel qui ne conserve rien pour soi pour tout donner aux autres : La premier chose qu’il fit, écrit la Clef, fut de disposer en faveur des Pauvres, de 100 000. écus de Patrimoine, et elle ajoute : il ne sortit jamais de son Diocese, & le Roi fut exprés à Alet pour l’y voir Evêque : pour aller à la rencontre de S.M. il fut obligé d’emprunter un Carosse (sic), le sien étant tout rongé par les rats ou gâté par les poules, qui y nichoient depuis plus de 15. ans qu’il ne s’en étoit pas servi 52 . Les traits, qui tiennent du fioretto, sont confirmés par les biographes 53 ; ils prouvent au mieux l’héroïcité des vertus du personnage ; ils confirment l’admiration que le gazetier lui porte ; ils n’apportent rien au niveau de la question qui nous occupe. Or, on l’a dit : parler, ne fût-ce que sommairement dans le cadre d’une notice nécrologique, de Nicolas Pavillon, sans prononcer une seule fois le mot de jansénisme, ou de Port-Royal, relève de l’ignorance ou, plutôt, du parti pris, vu l’importance de l’engagement du personnage. Certes, ses bio- 51 Ainsi Pavillon, assailli de doutes, ayant consulté, sans révéler son identité, Mère Marie-Madeleine, Prieure des Carmélites du Grand Couvent, celle-ci, inspirée par Dieu et sans même lui laisser le temps d’expliquer la raison de sa visite, lui donne déjà la réponse : s’il n’accepte pas, il offense Dieu. (Besoigne, Vies, op. cit., p. 7). 52 Clef, t. II, mai 1705, p. 385. 53 Voir p. ex., Besoigne, Vies, op. cit., p. 29 et s. : la générosité de l’évêque en faveur des pauvres. <?page no="171"?> 157 Le jansénisme dans un périodique luxembourgeois du XVIII e siècle graphes - ses hagiographes, serait-on tenté de dire - s’efforcent d’insister sur sa neutralité, au moins initiale : … pendant les premières années des disputes, écrit Besoigne, [il] étoit demeuré neutre, & (…) même n’avoit connu que très-tard les Messieurs de Port-Royal 54 , et il ajoute, un peu lourdement que « [c]ette observation étoit nécessaire, pour écarter toute idée de partialité ». Le même auteur n’en avoue pas moins l’attachement du personnage à Augustin et à son enseignement sur la grâce, dès qu’il avait eu accès aux textes de ce Père, et puis il le présente mêlé à toutes les polémiques contre les Jésuites, à commencer par celle de la casuistique, dans les Provinciales, témoignage, écrit-il du « zéle de M. Pascal » à confondre la turpitude de la morale relâchée de ces Pères 55 . On a parlé tout à l’heure de ce « respectueux silence » qu’entendaient garder ceux qui ne voulaient pas reconnaître la présence des propositions déclarées hérétiques dans l’Augustinus. Nicolas Pavillon est au centre de ce débat, qui publie un Mandement exigeant, précisément, le droit à ce silence 56 . Autrement dit, Nicolas Pavillon est de tous les combats du jansénisme, c’est d’eux que sa vie prend son véritable relief. Silence complet dans l’article que lui consacre la Clef, sauf un mot - et nous revenons, comme annoncé, à l’exorde - appelé à ouvrir cette dimension, mot présent dans le texte de la Clef, occasion rêvée pour réparer le silence de la suite, occasion manquée, cependant : Le Rituel d’Alet, écrit le gazetier au début de sa nécrologie, (…) que ce Savant & zélé Prélat nous a laissé [est un monument] de son zèle & de sa pieté exemplaire 57 . Le Rituel d’Alet ! Pour qui connaît l’histoire de ce recueil d’instructions pastorales destiné, en 1667, par l’Évêque d’Alet à son clergé, le mot sonne comme un cri de ralliement, tant des partisans que des opposants. Les premiers, comme Besoigne, y voient un canon de règles salutaires engageant ceux qui les suivent dans la voie de la plus saine dévotion. Les autres, et les Jésuites les premiers, n’y sentent qu’hérésie et déviation, et ceci surtout au niveau de la pratique des sacrements. Le Rituel la recommande circonstanciée, éclairée par l’instruction soignée des fidèles 58 , tout ceci dans la mouvance de la Fréquente 54 Ibid., p. 150. 55 Ibid., p. 90. 56 Ibid., p. 167-168. 57 Clef, t. II, mai 1705, p. 384. 58 « Sur cette matiére [l’administration des sacrements] (…) il les avertissoit de tout ce qu’il y avoit de dangéreux dans les différentes opinions de cette foule de nouveaux <?page no="172"?> Raymond Baustert 158 Communion. Et il a l’approbation de l’auteur de celle-ci, d’Arnauld donc, ainsi que celle de Martin de Barcos, autre coryphée de Port-Royal, désignés tous deux par Nicolas Pavillon pour en réviser le texte 59 . Il ne fallut pas plus pour déchaîner les Pères qui obtiennent, dès l’année suivante, de Clément IX un bref d’une violence extrême, comme on en jugera par l’extrait suivant que nous donnons en traduction : [ce livre], écrit le Pape, [contient] certaines doctrines et propositions fausses, singulières, périlleuses (…) erronées (…) et répugnantes à la coutume reçue communément dans l’Église (…). Conclusion : Nous condamnons (…) le livre français intitulé Rituel ; Nous le réprouvons et interdisons, voulons qu’il soit tenu pour condamné, réprouvé et interdit, et défendons sous peine d’excommunication (…) encourue par le seul fait, la rétention et usage de celui-ci, à tous et à chacun des fidèles de l’un et l’autre sexe, principalement ceux de la ville et diocèse d’Alet, de quelque degré, condition, dignité qu’ils soient… 60 . L’indignation soulevée en France par ce rescrit papal ne fut pas mince. On œuvra pour son retrait 61 , on proposa, mais sans succès, à son auteur quelques modifications pour y parvenir 62 , quitte à accompagner la nouvelle édition d’une série d’approbations épiscopales, et l’affaire eut d’autres péripéties, impossibles à détailler ici 63 . On aura assez dit à quel point la tempête avait fait rage, opposant une fois de plus le tenants d’une pastorale austère, alimentée aux sources du jansénisme, et leurs adversaires. Comment expliquer le mutisme de la Clef, alors même qu’elle cite l’ouvrage : simple manque d’information, souci de la brièveté, sympathie Auteurs qui ont inondé l’église en ces derniers tems, & en ont corrompu la morale par leurs relachemens. » (Besoigne, Vies, op. cit., p. 36). Besoigne songera plus particulièrement à certaines formulations de la Cinquième Instruction du Rituel, traitant justement du « Tres St Sacrement de l’Eucharistie ». Pour communier souvent, « [i]l faut estre exempt non seulement de tout peché mortel, mais encore de toute affection & complaisance volontaire pour les pechez veniels » (Les Instructions du Rituel d’Alet, Seconde Edition, Paris, Charles Savreux, 1670, p.68), ou encore se travailler « fidellement à se mortifier dans les moindres choses qui (…) offensent [Notre Seigneur ] » (ibid., p. 69), et ainsi de suite. 59 Voir Besoigne, Vies, op. cit., p. 288 et Vie de Monsieur Pavillon, Evêque d’Alet, op. cit., t. III, p. 3-4. 60 Traduction Institutions liturgiques par le R.P. Dom Prosper Guéranger, Abbé de Solesmes, Paris-Bruxelles, Victor Palmé, 1878, t. II. 61 Besoigne, Vies, op. cit., p. 189. 62 Ibid. 63 Ibid., p. 219. <?page no="173"?> 159 Le jansénisme dans un périodique luxembourgeois du XVIII e siècle secrète pour l’auteur et son Rituel, puisque l’article tout entier est encomiastique ? La question du positionnement de gazetier par rapport au jansénisme est pertinente, plus que jamais. Encore une fois : le travail - vaste, s’il en est - de l’analyse de l’ensemble des articles s’impose, celui aussi, bien sûr, d’une éventuelle évolution s’expliquant par la relève des rédacteurs, inévitable au fil des années. Il serait intéressant, plus particulièrement, d’envisager la réception, dans la Clef, d’Unigenitus, qui, on l’a dit, ne paraît que dans les années postérieures à celles retenues ici. La question est d’autant plus légitime qu’il est établi que la discussion autour de la bulle était vive dans cette ville. Les Archives Nationales disposent, à ce sujet, d’une lettre de l’Empereur Charles VI, le père de Marie Thérèse, aux Président et membres du Conseil de Sa Majesté à Luxembourg, daté du 7 juillet 1723 et leur enjoignant d’accueillir enfin cette Constitution de Clément XI, déjà, à l’époque « d’heureuse mémoire » - il est mort en 1721- et qu’on leur aurait ordonné de publier dès 1714. Et on possède aussi la réponse : les destinataires font savoir à l’empereur qu’à cette date Luxembourg était encore sous une « domination Etrangere », entendons espagnole : le Pays, après le départ des Français, en 1697, est redevenu espagnol avant de passer à l’Autriche 64 . Là aussi, il faudrait sonder les articles respectifs de la Clef sur la fiabilité de leur information, se poser la question d’omissions signifiantes, de formulations éventuellement tendancieuses. À cet endroit, il suffisait d’établir, d’abord, la présence de la question janséniste dans cette gazette luxembourgeoise du XVIII e siècle, de montrer ensuite, à l’aide d’un cas précis, le travail circonstancié qu’exige l’analyse de chacun de ces nombreux articles. 64 Cote A-XXIII-1. <?page no="175"?> Théologie <?page no="177"?> Biblio 17, 188 (2010) Un exposé roumain de 1667 sur la Présence réelle dans l’Eucharistie V LAD A LEXANDRESCU Université de Bucarest Cet article porte sur un gentilhomme érudit roumain du XVII e siècle, le baron spathaire Nicolas 1 , une figure intéressante de l’Europe centrale et orientale. Né en 1636 d’une famille grecque et roumaine, ce qui justifie l’origine qu’il se donne dans le titre de l’opuscule 2 qu’Antoine Arnauld et Pierre Nicole publieront de lui dans la « grande » Perpétuité de 1669, de « moldavo-lacon », élevé dans la confession orthodoxe, il fut éduqué dans l’ambiance de l’école princière de Ia ş i, qui avait été fondée vers 1640 par le prince roumain Vasile Lupu. Cette école reprenait la tradition de l’enseignement latinisant inauguré à Kiev, par l’Académie créée par Pierre Movil ă en 1635, selon un programme occidental auquel s’ajoutaient les éléments indispensables de l’éducation orthodoxe, tels que le grec ancien, le vieux slave et l’étude des auteurs byzantins et post-byzantins. À partir de 1647, Nicolas poursuivit ses études à l’Académie patriarcale de Constantinople, où il comptait quelques profes- 1 Connu à tort dans l’historiographie roumaine sous le nom de famille de Milescu (Mile ş ti étant le domaine que son frère Apostol acquit par mariage). Le titre de spathaire, que les Français ont compris comme nom de famille (d’où le nom ridicule qu’utilisent Pomponne et Nicole : « Spatari »), est un degré de l’aristocratie moldave et valaque, hérité de l’Empire Byzantin, qui désignait à l’origine celui qui, lors des cérémonies, portait l’épée et la massue du prince, et plus tard le commandant de son armée. Nicolas avait reçu ce titre en 1659, du prince de Valachie, Grigore Ghica. 2 Publié dans l’édition de 1669, La Perpetuité de la Foy de l’Église Catholique touchant l’Eucharistie, annexes, p. 50-54, sous le titre d’Écrit d’un seigneur moldave sur la creance des Grecs. Enchiridion sive Stella Orientalis Occidentali splendens, id est sensus Ecclesiae orientalis, scilicet Graecæ, de Transubstantiatione Corporis Domini, aliisque controversiis, a Nicolao Spadario Moldavo-lacone, Barone ac olim Generali Wallachiæ, Conscriptum Holmiae, anno 1667, mense Febr. Dans l’édition de 1781, le texte se trouve au tome premier, deuxième partie, Livre XII, p. 1091-1098. Nous donnons à la suite de cet article le texte latin et une version française de cet opuscule. <?page no="178"?> Vlad Alexandrescu 164 seurs illustres, tel Gabriel Vlassios, et des collègues non moins importants, tels Dosithée Notaras, le futur patriarche de Jérusalem, qui exercera une influence considérable sur l’orientation spirituelle de l’orthodoxie jusqu’à la fin du XVII e siècle, Stefani ţă Lupu, le futur prince de Moldavie, Grégoire Ghica et Ş erban Cantacuzène, futurs princes de Valachie, Alexandre Mavrocordat, dit l’Exaporite, qui continuera ses études à Padoue, donnant une thèse sur la circulation du sang. Le séjour de Nicolas à Constantinople, qui aura duré environ six ans, coïncidait avec la Contre-Réforme orthodoxe, mouvement général de l’Église Orientale après la direction exercée par le patriarche de Constantinople Cyrille Loucaris, qui avait essayé d’y imposer une confession de foi d’inspiration calviniste (1629, 1632). L’académie patriarcale de Constantinople, réorganisée autour de 1635 par Loucaris et par Théophyle Corydalée, devait beaucoup à l’esprit néo-aristotélicien qui régnait dans l’Université de Padoue (Loucaris, Corydalée, Caryophile avaient étudié à Padoue, les deux premiers avec César Crémonini). Nicolas était arrivé à Stockholm en octobre 1666, comme émissaire du prince moldave Georges Ş tefan, déposé du trône de Moldavie en 1658, porteur de lettres de créance pour le roi de Suède Charles XI et pour le nouvel Ambassadeur de France, Arnauld de Pomponne. Le prince moldave, qui vivait retiré à Szczecin, ville qui depuis les traités de Westphalie avait été officiellement attribuée à la Suède, nourrissait l’espoir de revenir sur son trône et souhaitait plaider sa cause auprès des grands monarques de l’Europe. La destination suivante du spathaire sera Paris, où il demandera audience à Louis XIV. Reçu, le 17 octobre 1666, par le roi-enfant Charles XI et par la reinemère, présidente du Conseil de régence, Nicolas commença à fréquenter les milieux intellectuels suédois. Il y rencontra Georg Stiernhielm, poète et savant, directeur du Collegium Antiquitatum de Stockholm, auquel il fit cadeau d’une version roumaine du Pater noster, que celui-ci publiera en 1671. Mais il y rencontra surtout Arnauld de Pomponne, l’Ambassadeur de France, avec lequel il passa beaucoup de temps. Dans une lettre que Pomponne envoie à son père, à Paris, le 26 février 1667, celui-ci fait l’éloge du « baron spathar », « un homme si voisin de la Tartarie [qui néanmoins est] autant instruit aux langues et avec une connaissance aussi générale de toute chose. Il parle bien le latin, mais il prétend que, comme sa principale étude a été le grec, il y est beaucoup plus savant 3 ». 3 Mémoires de M. de Coulanges (…). Publiés par M. de Monmerqué, Paris, J.-J. Blaise, 1820, p. 420. Le manuscrit de la lettre se trouve à la Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 6037, fol. 59-60v. M. Rémi Mathis prépare une nouvelle édition de la correspondance entre Arnauld de Pomponne et son père Arnauld d’Andilly. <?page no="179"?> 165 Un exposé roumain de 1667 sur la Présence réelle dans l’Eucharistie Les deux hommes commencèrent alors des colloques prolongés sur des sujets variés, utilisant tous les deux la langue des érudits et des diplomates de l’époque, le latin. C’était l’époque où Nicole, après avoir publié, en 1664, la « petite » Perpétuité, rassemblait des pièces justificatives pour documenter sa polémique contre le pasteur calvin Jean Claude. C’est durant l’une de leurs conversations prolongées devant la cheminée, qu’Arnauld de Pomponne se rendit compte qu’il avait devant lui un homme très savant dans les questions théologiques orientales, qui pouvait lui fournir des renseignements précieux pour les gens de Port-Royal. Aussi décida-t-il apparemment d’inviter Nicolas à prolonger son séjour à Stockholm pour lui faire écrire un témoignage orthodoxe sur la question eucharistique. Dans son texte, Nicolas mentionne qu’il a travaillé entre les murs de la maison de Pomponne, c’est-à-dire de la Résidence de France, protégé contre le froid de l’aquilon. Cette initiative n’est pas étonnante de la part d’un homme proche du groupe de Port-Royal, qui avait largement bénéficié du talent et du savoir des laïcs dans des questions de polémique théologique. Pomponne avait dû connaître Pascal et gardait à l’esprit la définition pascalienne de l’honnête homme. Il est clair qu’il voyait dans le spathaire Nicolas un honnête homme de l’Orient, et ce fut la base de leur entente et de leur collaboration intellectuelle. Nicolas a d’abord rédigé en grec son mémoire sur la foi orthodoxe à propos de l’Eucharistie et il l’a traduit tout de suite après en latin, sous le titre Enchiridion sive Stella Orientalis Occidentali splendens, id est Sensus Ecclesiae Orientalis scilicet Graecae de Transubstantiatione Corporis Domini, aliisque controversis. Pomponne a immédiatement envoyé le mémoire à Nicole 4 , qui en publiera la version latine dans la « grande » Perpétuite en 1669, parmi les pièces qui traitent de la foi de l’Église Orientale. Jusqu’à présent, la version grecque n’a pas été retrouvée. Il est très probable que le dessein de Nicolas d’aller à Paris afin d’y continuer la mission confiée par le prince déchu Georges Ş tefan a été fortement encouragée par Arnauld de Pomponne. Outre le caractère politique de la mission du « baron spathar », Pomponne y voyait aussi une possibilité d’assurer au groupe de Port-Royal un pilier orthodoxe, dans la polémique contre les calvinistes. Son propre rôle d’honnête homme finissait ici, c’était maintenant aux théologiens de voir ce qu’ils pouvaient en tirer. Sur recommandation de Pomponne, le baron Nicolas se rendit à Paris en juillet 1667. Louis XIV n’y était pas, occupé à diriger personnellement les opérations militaires autour de la ville de Tournay, qu’il venait d’enlever 4 L’enquête menée par Nicole, afin d’obtenir des informations sur l’Orthodoxie, est bien présentée par Jean Lesaulnier, « Arnauld de Pomponne, Port-Royal et les Moscovites », in Images de Port-Royal, Paris, Nolin, 2002, p. 452-471. <?page no="180"?> Vlad Alexandrescu 166 aux Espagnols. Porteur d’une lettre de recommandation de Charles XI de Suède, l’allié de la France, Nicolas fut reçu en audience par Hugues de Lionne, ministre des Affaires étrangères. Le spathaire Nicolas devint ainsi le premier intellectuel roumain a être reçu, au XVII e siècle, dans les milieux diplomatiques et littéraires français. Nicolas plaida ardemment la cause de son patron. Il soutint de nouveau la proposition que Georges Ş tefan avait faite à Louis XIV en 1665, d’organiser une nouvelle croisade contre les Ottomans. Leibniz, porteur d’un projet d’invasion de l’Egypte par la France, tentera une ambassade semblable en 1672, ce qui aurait eu pour effet de détourner les armées françaises des Provinces- Unies ; cependant l’idée d’une nouvelle croisade s’était essoufflée, et le jeune diplomate allemand ne réussit plus ce qu’avait réussi le spathaire Nicolas, à savoir d’obtenir une audience auprès du ministre des Affaires étrangères, qui, à cette époque, n’était personne d’autre qu’Arnauld de Pomponne ! Suite à cette audience, Louis XIV, informé à Tournay, écrivit à Georges Ş tefan en lui promettant son soutien et il daigna mander à son ambassadeur à Constantinople, Denis de la Haye, d’insister auprès du Sultan Mehmed IV, pour que le prince déposé Georges Ş tefan fût remis sur son trône. Les rapports franco-ottomans à cette époque étaient loin d’être excellents, et Louis XIV ne pouvait sans doute rien faire de plus. Le spathaire Nicolas resta à Paris environ deux mois (juillet-août 1667). Outre une recommandation du même Pomponne pour son amie, Mme de Sévigné, on ignore tout de ce séjour. Au vu du texte latin qui nous a été transmis 5 , l’effort de Nicolas pour rapprocher l’Église Orthodoxe et l’Église Catholique est remarquable. À commencer par la rhétorique, il semble très habile. En fustigeant les hérésies, dont il décrit le foisonnement aux premiers siècles en utilisant des métaphores très expressives, Nicolas affirme en effet que « … ces hérésies, notre mère commune, l’Église de l’Orient et celle d’Occident, les combattit toutes, d’une force unie, chassant, dans une pensée une et une entente totale, ces loups rusés étrangers à sa doctrine loin de la bergerie, pour que ces deux sœurs, unies par leur amour du Christ, se connussent plus facilement l’une l’autre ». Passant aux temps modernes, il rappelle, après le Concile de Florence (1439), du côté orthodoxe, la dérive calviniste récente de Cyrille Loucaris et les accusations que Gabriel Vlassios avaient portées contre celui-ci du haut de sa chaire, qui avaient valu au patriarche la perte de ses fonctions 5 Tant que nous n’avons pas accès au manuscrit original, grec ou latin, du texte, la version publiée par Arnauld et Nicole doit être prise sous bénéfice d’inventaire. Nos démarches pour retrouver les manuscrits sont restées jusqu’à présent infructueuses. <?page no="181"?> 167 Un exposé roumain de 1667 sur la Présence réelle dans l’Eucharistie et la condamnation comme hérétique. Se tournant vers l’Église Catholique, il décrit dans des couleurs vives « l’hydre » de la Réforme, dont plusieurs hérésies sont sorties : Car, habiles et savants, comme sont les gens en Europe, dit-ils, ils se précipitèrent dans l’abîme. L’hérésie est en effet, selon le Philosophe, une imagination des gens habiles qui, se mettant d’accord entre eux, se séparent de ceux qui pensent correctement. Mais sur bien des points de dogmatique, Nicolas s’avère extrêmement généreux. Nous verrons ci-après la façon dont il traite de l’Eucharistie. Mais déjà concernant les sept mystères de l’Église, la place de la confirmation parmi les mystères, et le fait qu’elle ne peut être administrée par le prêtre, semblent témoigner d’une main tendue vers les catholiques. En effet, chez les orthodoxes, l’onction du chrême, le deuxième des mystères de l’Église, se fait juste après le baptême, comme une prolongation de ce dernier, par le prêtre lui-même. Venons-en à la formulation du dogme de l’Eucharistie. Nicolas le schématise sous quatre points. 1. Quod purissimum corpus et pretiosissimus sanguis Domini post consecrationem sub speciebus panis et vini vere, realiter et substantialiter, in pane corpus, et in vino sanguis sit praesens inseparabiliter. Quomodo autem nescimus ; quia super quomodo est mysterium : modo tamen quodam incomprehensibili et invisibili, sed vere 6 . 2. Quia credimus panem et vinum per verba Domini substantialiter et vere mutari ac transubstantiari in corpus et sanguinem, ita ut post consecrationem non maneat substantia panis et vini, sed loco ipsorum corpus et sanguis Christi per divinam operationem et voluntatem succedat. Licet enim mutatio illa et conversio intrinseca non cognoscatur sensu externo, miro tamen modo fit, signis seu accidentibus permanentibus 7 . 6 Que le corps très pur et le sang très précieux du Seigneur est présent, après la consécration, inséparablement, sous les espèces du pain et du vin, le corps dans le pain et le sang dans le vin, vraiment, réellement et substantiellement. De quelle façon, cependant, nous l’ignorons, car sur cette façon plane le mystère, étant incompréhensible et invisible, et pourtant vraie. 7 Car nous croyons que le pain et le vin changent et se transsubstantient par les paroles du Seigneur (per verba Domini), substantiellement et vraiment, dans le corps et le sang, de sorte qu’après la consécration il ne reste pas la substance du pain et du vin, mais à leur place succède le corps et le sang du Christ par l’opération et la volonté divines. Car bien que ce changement et cette conversion intérieure ne soient pas perçus par les sens extérieurs, ils se font cependant par miracle, les signes ou accidents demeurant. <?page no="182"?> Vlad Alexandrescu 168 3. Credimus Christi et sanguinem in divina Liturgia omnimodo lautretice adorandum cultu tam interno quam externo, ut pote creditum, quod sui participatione sanctificet communicantes 8 . 4. Credimus oblationem mysterij esse verissimum ac proprium sacrificium novi Testamenti, quo propitietur Deus et vivis et mortuis. Et nostra Ecclesia canit : « Ecce sacrificium mysterium perfectum 9 . Pour comprendre l’apport de la schématisation que Nicolas propose du dogme eucharistique orthodoxe, il est indispensable de la comparer avec celle de l’Orthodoxa confessio fidei catholicae et apostolicae Ecclesiae Orientalis (1640) de Pierre Movil ă , rédigée en latin lors du Concile de Kiev (1640) et avec celle de Ia ş i (1642), approuvée par le Patriarcat de Constantinople en 1643, dont une version grecque due à Meletios Syrigos fut publiée en 1667 à Amsterdam. Cette confession fit autorité au XVII e siècle pour l’Église d’Orient. Elle résumait la doctrine eucharistique comme suit : [Tertium mysterium] est Eucharistia sive corpus et sanguinis Christi Domini sub specie panis et vini et realis praesentia. (Q. 106) […] animadvertendum est ut sacerdos habeat talem intentionem tempore consecrationis, quod ipsa vera substantia panis et substantia vini transsubstantientur in verum corpus et sanguinem Christi per operationem Spiritus Sancti. Cuius invocationem facit tum temporis, ut perficiat mysterium hoc, orando et dicendo : « Mitte Spiritum tuum Sanctum in nos et in haec praeposita dona et fac hunc panem preciosum corpus Christi tui, quod autem est in hoc calice preciosum sanguinem Christi tui, transmutans per spiritum tuum Sanctum ». Statim enim ad haec verba fit transsubstantiatio, et transssubstantiatur panis in verum corpus Christi et vinum in verum sanguinem Christi, remanentibus solum speciebus visibilibus […] (Q. 107) […] De exhibendo honore huic mysterio, qui debetur tanquam ipsi Christo, quemadmodum sanctus Petrus de illo ore omnium Apostolorum dixit : « Tu es Christus Filius Dei viventis ». Ita et nos dicimus cultu latriae : « Credo, Domine, et confiteor quod tu es Christus Filius Dei vivi ». Est etiam id mysterium sacrificium pro vivis et defunctis, iis qui in spe resurrectionis mortui sunt, quod sacrificium ad extremum iudicium non cessabit. (Q. 107) 10 . 8 Nous croyons que le corps et le sang du Christ doit être adoré pendant la divine Liturgie d’un culte de latrie, tant intérieur qu’extérieur, en tant que nous le croyons corps du Seigneur, qui sanctifie ceux qui s’en communient. 9 Nous croyons que le don de ce mystère est le sacrifice très propre et véritable du Nouveau Testament par lequel Dieu prend pitié des vivants et des morts. Et notre Église chante : « Voici le Sacrifice mystique déjà accompli. » 10 Le texte latin de l’Orthodoxa Confessio, retrouvé à la Bibliothèque Nationale de Paris, fut publié par A. Malvy et M. Viller, dans Orientalia Christiana, Rome, 1927, vol. X, n° 39. Nous citons après l’édition de T. Diaconescu, p. 120-124. <?page no="183"?> 169 Un exposé roumain de 1667 sur la Présence réelle dans l’Eucharistie Ce que l’on peut constater en comparant ces deux textes, c’est que le texte de Movil ă , canonique, parle de : (1) présence réelle et non de transsubstantiation, qui est une notion introduite par saint Thomas pour expliquer l’Eucharistie, adoptée par après dans les canons du concile de Trente ; (2) conversion par l’opération de l’Esprit Saint et non par les paroles du Seigneur. Ces deux innovations semblent donc, de la part de Nicolas, une concession faite à la doctrine catholique, si toutefois il n’y a pas eu une modification du manuscrit envoyé par Arnauld de Pomponne à Port-Royal 11 . En effet, il n’y a pas de raison interne à l’Orthodoxie d’introduire l’explication thomiste d’un mystère pour lequel les Pères grecs avaient trouvé d’autres mots. De même, Nicolas n’avait aucune raison de renoncer à la place centrale que l’épiclèse a toujours tenue dans les liturgies orientales 12 . Si, maintenant l’on examine certaines formulations de la XIII e session du Concile de Trente (1551), l’on verra que la formule de Nicolas vere, realiter et substantialiter est une reprise du texte tridentin 13 et qu’elle n’apparaît pas dans les autres confessions de foi orthodoxes. De même, le fait qu’il souligne que l’Eucharistie doit être adorée du culte de latrie « aussi bien intérieurement qu’extérieurement », semble un écho d’un autre canon tridentin 14 . En revanche, la mention du culte de latrie en soi, ainsi que le renvoi au sacrifice mystérieux pour les vivants et les morts est bien un point de tradition orthodoxe, comme on l’a pu voir dans le texte de Movil ă . Pour conclure, Nicolas se place, de par son texte, sur une position considérablement rapprochée du dogme catholique, exauçant ainsi les voeux formés par Antoine Arnauld et Pierre Nicole, de montrer, à l’aide de la foi de l’Église d’Orient, les « nouveautés » introduites par les confessions protestantes au sujet de la Présence réelle. L’habileté de Nicolas à présenter le lien unissant les deux Églises, plutôt que ce qui les oppose, répondait certainement à sa vocation d’ambassadeur, au service d’un prince qui attendait de lui un redressement de sa situation politique. 11 Hypothèse faite par Al. I. Ciurea, « M ă rturisirea de credin ţă a Sp ă tarului Nicolae Milescu », 1958, p. 524. 12 Suivant ainsi saint Jean Damascène : « Le changement du pain dans le corps du Christ s’effectue par la seule puissance du Saint-Esprit », De fide orthodoxa, IV, 13. 13 Par exemple : Si quis negaverit, in sanctissimae Eucharistiae sacramento contineri vere, realiter et substantialiter, corpus et sanguinem una cum anima et divinitate Domini nostri Jesu Christi ac proinde totum Christum ; sed dixerit, tantummodo esse in eo ut in signo vel figura, aut virtute : anathema sit (Can. l). 14 Si quis dixerit, in sancto Eucharistiae sacramento Christum unigenitum Dei Filium non esse cultu latriae etiam externo adorandum, atque ideo nec festiva peculiari celebritate venerandum, neque in processionibus secundum laudabilem et universalem Ecclesiae sanctae ritum et consuetudinem solemniter circumgestandum, vel non publice, ut adoretur, populo proponendum, et ejus adoratores esse ido(lo)latras : anathema sit (Can. 6). <?page no="185"?> Biblio 17, 188 (2010) Enchiridion ou l’Étoile de l’Orient resplendissant à l’Étoile d’Occident, à savoir, l’opinion de l’Église d’Orient, ou Grecque, au sujet de la Transsubstantiation du Corps du Seigneur et d’autres controverses N ICOLAS LE S PATHAIRE M OLDAVO -L ACON , BARON ET NAGUÈRE G ÉNÉRAL DE LA V ALACHIE , écrit à Stockholm, en l’année 1667, au mois de février. T RADUIT DU LATIN ET NOTES PAR V LAD A LEXANDRESCU Je souhaite aux lecteurs le salut dans le Christ et toute la félicité que l’homme puisse acquérir dans ce corps mortel. Que personne ne s’étonne de ce qu’il n’y ait pas eu jusqu’à présent d’ouvrages grecs qui expliquent aux pays européens la religion pure de l’Église d’Orient, mère antique et sage-femme des chrétiens, car peu nombreux sont les Grecs de passage dans ces contrées et, en outre, à cause de la tyrannie sous laquelle ils gémissent, ils sont ignorants et presque illettrés. Jadis il n’y avait pas autant de questions au sujet du culte divin ni des querelles aussi fréquentes qu’il y en a dans notre siècle, où plusieurs illustres savants, ne sachant dans quelle voie diriger leurs forces intellectuelles, ne cessent de se disputer Lectoribus salutem in Christo, ac felicitatem, quam homo in hoc mortali corpore potest assequi. Mirum nemini videatur si hactenus syngraphae graecae non extiterint, quae puram antiquae matris, ac Christianorum obstetricis Orientalis Ecclesiae Religionem de divino cultu Europaeis regionibus explicarent : pauci enim Graecorum in has partes transeunt ; ijque pene rudes ac illiterati, ob tyrannidem sub qua gemunt. Non erant tot olim de divino cultu quaestiones, nec altercationes tam crebrae, quam hoc saeculo, quo plurimi sapientia illustres, nescii in quem potissimum usum vires sapientiae sint conferendae, de Reli- <?page no="186"?> Nicolas le Spathaire Moldavo-Lacon 172 au sujet de la religion. N’importe qui veut en fixer par son opinion le dogme et les parties. Cependant il me semble à moi aussi comme au sage Esdras que rien n’est plus fort que la vérité 1 et que celle-ci est notre amie plus que tout autre chose. Les novateurs regardent comme une cible l’Église d’Orient, établissant par elle leurs syllogismes, qui néanmoins demeurent loin d’elle ; et, l’embrassant des deux mains, ils l’opposent à l’Église d’Occident de la même façon qu’une armée oppose à l’ennemi le fossé et la palissade. Mais quoi ? Est-ce que l’Église d’Orient approuve cela ? À Dieu ne plaise ! Ils errent loin du but ceux qui forgent des dogmes de ce genre. De là bon nombre de savants souhaitaient fortement qu’un Grec mît de l’ordre dans cette discorde, en rendant claire pour l’esprit la religion de l’Orient et la lavant des énormes calomnies de tant d’hommes effrontés. Mais l’espoir qui ne tue pas l’espoir augmenta le désir. Car maintenant enfin, un homme très instruit, comme il y en eut peu d’autres, de nation française, au nom de Pomponne, Ambassadeur plénipotentiaire du Roi Très-Chrétien, tellement paré des dons de chaque vertu en particulier qu’il est seul reconnu les posséder toutes à bon droit, le seul homme, dis-je, qui ne s’écartât pas du but lorsqu’il m’invita, à loisir, entre les murs de sa résidence, protégé du froid septentrional, moi qui suis de religion, de nation et de langue grecques, à exposer brièvement, sans plus tarder et non sans profit, ce que l’Église d’Orient gione altercari nunquam quiescunt. Quilibet opinione sua suum dogma partesque suas vult stabilitas : sed veritate nihil esse fortius, uti sapienti Esdrae ita et mihi videtur, praestatque omnibus amicissima veritas. Respiciunt Novatores, veluti scopum, Ecclesiam Orientalem, per ipsam stabilientes, quae procul ab ipsa, sua epicheremata ; eamque ambabus complexi manibus, non secus opponunt Ecclesiae Occidentali, quam exercitus fossam ac vallum hosti. Sed quid? An his Ecclesia Orientalis suffragatur? Absit. Procul deviant a meta, qui ejusmodi dogmata fabricantur. Hinc complures litterati oppido desiderabant virum Graecum, qui hanc discordiam faceret concordem, declarata Orientalium Religione, eaque a tam enormibus audacissimorum hominum calumniis vindicata. Sed spes spem minime egressa auxit desiderium. Vix enim nunc vir in paucis sapientissimus, natione Gallus, nomine Pompone, Christianissimi Regis summa cum potestate Orator, quem singulae virtutum dotes ita ornarunt, ut solus omnes jure suo possidere agnoscatur, solus, inquam, vir iste sapientia singularis non aberravit a scopo, dum otiosum me inter privatos parietes ab aquilonari frigore conclusum invitavit, me non solum religione, sed etiam natione ac idiomate Graecum, ut paucis expromerem quid Ecclesia 1 « Veritas magna et fortior prae omnibus », 3 Esdras, 4, 35. <?page no="187"?> 173 Enchiridion Orientalis sentiat de corpore Domini : Quid de perfecta transubstantiatione: Quid de reliquis? De quibus obiter, et non absque emolumento. Decrevi (licet multum a recte vivere et a bene intelligere distem, et puer extremis vix digitis sapientiam contrectarim), et ego breviter Religionem Graecam explicare iis, qui veluti plagae aegyptiacae furtim Ecclesiam sunt ingressi, compulsus sapientissimi viri jam dicti desiderio, ut opus hoc viribus majus aggrediar. Vos vero, sapientes veritatis amatores, benevole excipiatis viri militaris orationem ; quia et hoc ad gloriam Dei, secundum Apostolum fecimus. Faxit optimus ille Deus, ut plenum regni coelestis desiderium assequamur : quod facile fiet, si in unitatem fidei conspiremus. Valete in multos annos et corpore et animo salvi et incolumes. Haereticum hominem, post unam et secundam correptionem, devita, sciens, quia subversus est, qui eius modi est, et delinquit, cum sit proprio iudicio condemnatus. (Ep. Ad Tit., 3, 10 et 11). pense au sujet du corps du Seigneur, de l’accomplissement de la transsubstantiation et des autres choses semblables. Je décidai (bien que je fusse bien loin de vivre droitement et de comprendre pleinement ces choses et que j’eusse à peine touché la vérité, à l’instar d’un enfant, de l’extrémité de mes dix doigts) d’expliquer moi-même brièvement la religion grecque à ceux qui, tels les plaies de l’Égypte, étaient entrés à la dérobée dans l’Église, étant poussé par le souhait de l’homme très savant que je viens de nommer, d’entreprendre cet ouvrage au-dessus de mes forces. Et vous, sages amateurs de vérité, daignez accueillir avec bienveillance le discours d’un militaire 2 , car je l’ai fait, celui-ci aussi, pour la gloire de Dieu, selon l’Apôtre 3 . Puisse Dieu le très bon faire que nous comblions notre désir du royaume des cieux, ce qui adviendra facilement si nous nous entendons dans l’unité de la foi. Portez-vous bien de nombreuses années, sains et saufs de corps et d’esprit ! « Évitez celui qui est hérétique, après l’avoir averti une première et une seconde fois, sachant que quiconque est en cet état est perverti, et qu’il pèche, comme un homme qui se condamne luimême par son propre jugement. » Épître à Tite, 3, 10 et 11. 2 Cf. « Faites-vous à la fatigue et au travail, comme un soldat de Jésus Christ », 2 Epître à Timothée, 2, 3 (trad. de la Bible de Port-Royal). 3 Cf. « Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, soit que vous fassiez quelque autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu », 1 Corinthiens, 10, 31. <?page no="188"?> Nicolas le Spathaire Moldavo-Lacon 174 Enchiridion 4 Cf. « car il faut qu’il y ait même des hérésies, afin qu’on découvre par là ceux d’entre vous qui ont une vertu éprouvée », 1 Corinthiens, 11, 19. 5 Épiphane de Salamine (vers 315-403), saint de l’Église orthodoxe et de l’Église catholique romaine, connu pour sa défense de l’orthodoxie, auteur de textes hérésiologiques, dont le Panarion, un traité sur quatre-vingts hérésies, organisées en sectes ou en groupes philosophiques, détaillant leur histoire et réfutant leurs croyances. Après que notre Sauveur, par amour pour nous, fut descendu sur notre terre, la multitude des dieux fut ôtée et presque tout l’univers fut instruit dans la connaissance vraie et absolue de la puissance divine. Bientôt après, lorsque les Apôtres étaient encore vivants, plusieurs hérésies se développèrent, pour que la vérité de la foi fût prouvée par un témoignage encore plus assuré, car c’était ainsi que, selon l’Apôtre 4 , les hérésies étaient nécessaires. Mais il serait long d’énumérer ici chacun des actes des Apôtres et tant d’hérésies multiformes ou mille ruses de l’Enfer ennemi de l’intégrité de la foi. Néanmoins, au milieu de toutes celles-ci, l’Église du Christ refleurit, plus suave qu’une rose entre les épines, et remplit toute la terre de son parfum. Si quelqu’un souhaite connaître ces hérésies, il dispose du livre d’Épiphane, dans lequel, par un labeur facile et en peu de temps, il les apprendra toutes 5 ; ces dernières, les Pères très sages de cette époque les foulèrent aux pieds comme des couleuvres, lorsque, armés d’un juste zèle, réunis sagement dans des assemblées et des conciles, ils clouèrent la doctrine corrompue et vaine, de sorte que les restes de ces hérésies survivassent à peine Posteaquam Salvator noster ex amore nostri in hanc terram descendit, sublata est ista Deorum pluralitas, fuitque totus prope orbis vera et absoluta divini Numinis notitia eruditus. Mox vivis adhuc Apostolis non paucae gliscebant haereses, qui fidei veritas certiori probaretur testimonio ; et sic, secundum Apostolum, oportebat esse haereses. Longum vero hic foret complecti singula quae ab Apostolis sunt gesta, totque multiformes haereses, ac mille Stygij hostis contra fidei integritatem machinas. Sed in his omnibus Christi Ecclesia suavius quam rosa inter spinas, refloruit, suoque fragore totum orbem complevit. Has haereses si scire desideras, habes Epiphanium ex quo omnes labore levi intra paucum tempus addisces, quas veluti colubros calcarunt Patres illius aevi sapientissimi, dum justo armati Zelo, variis seculis per coactos sapientissime coetus et Synodos, putridam et inanem eorum doctrinam ita confixerunt, ut vix reliquiae (tanquam rudera Trojanae olim ruinae, Deo ita moderante, ut malitia suo tumuletur opprobrio) harum haereseon supersint, quas omnes com- <?page no="189"?> 175 Enchiridion (comme jadis les décombres des ruines de Troie, car Dieu dirige les choses de façon à ce que la malice soit ensevelie sous son opprobre) ; ces hérésies, notre mère commune, l’Église de l’Orient et celle de l’Occident, les combattit toutes d’une force unie, chassant, dans une pensée une et une entente totale, ces loups rusés étrangers à sa doctrine loin de la bergerie, pour que ces deux sœurs, liées par l’amour du Christ, se connussent plus facilement l’une l’autre. Lorsque cependant Dieu, qui fait tout et change tout (par quel dessein, qui le sait ? ), voulut aussi ce changement, ce fut alors que les Évêques de l’Église de l’Orient et de celle de l’Occident se réunirent pour le huitième Concile à Florence ; hélas ! leur concert tourna au dissentiment, la discorde succéda à la concorde et ce schisme très fameux fit irruption dans les deux Églises. Mais laissons ce sujet à d’autres et ne nous éloignons pas de notre but. Après le schisme des deux Églises, l’Église Grecque sembla plus heureuse, car chez nous ne parut aucune hérésie, Dieu le défendant, ou bien, si elle parut, elle s’évanouit aussitôt telle une ombre. Certes, il y a quelques années, Cyrille originaire de Crète, alors qu’il faisait ses études en Grande-Bretagne, absorba le fiel de cet endroit plus que du bout des lèvres et, de retour parmi les siens, il fut reçu dans le clergé pour la réputation générale de sa sagesse ; non longtemps après, il fut élu aussi métropolite et, pour le dire d’un mot, élevé au trône même de Patriarche de la célèbre ville de Constantinople et poussé à gouverner toute l’Église d’Orient, qu’il ne prémunis mater Ecclesia Orientalis et Occidentalis sociis viribus impugnarunt, atque uno sensu ac pari concordia callidos hos lupos a doctrina sua alienos, procul ab ovili suo abegerunt, quo sorores hae mutuo Christi amore conjuctae facilius cognoscerentur. Quando vero ille qui omnia facit et mutat Deus (quo consilio, quis novit? ) et ista mutare voluit ; tum enim, tum Synodum illam Florentinam octavam (heu malum! ) Episcopi Orientalis et Occidentalis Ecclesiae celebrarunt, fuitque illis consensus dissensus, et concordiae successit discordia, famosimum illud schisma in ambas irrepsit Ecclesias. Sed de his alij, nos a scopo non recedamus. Felicior deinceps apparuit Ecclesia Graeca post factum utrinque Schisma. Nam nec unica ex nobis prodiit haeresis, Deo ita prohibente; aut si prodiit, ita statim tanquam umbra evanuit. Paucis quidem abhinc annis Cyrillus natione Cretenis, dum in Britannia litteris suam navat operam, non extremis labris virus illius loci delibavit, reversusque ad suos, ob communem sapientiae famam, in Clerum adoptatur : non diu post et Metropolita salutatur ; et, ut verbo dicam ad ipsum inclytae Constantinopoleos thronum patriarchicum effertur, et ad gubernacula totius Ecclesiae Orientalis admovetur, quibus non diu <?page no="190"?> Nicolas le Spathaire Moldavo-Lacon 176 sida pas pour longtemps. Bientôt après, il instilla le fiel britannique dans les oreilles de ses jeunes disciples, remplit la ville d’infamie et ne suscita pas peu de crainte dans l’Église. Néanmoins, non longtemps après, un homme savant et pieux, Gabriel Vlassios, naguère mon professeur dans la cité impériale, le dénonça du haut de sa chaire comme adepte d’opinions étrangères à l’Église du Christ et formant de nouveaux dogmes au sujet de la transsubstantiation du Corps du Seigneur et bien d’autres infections pleines d’hérésie venant des étrangers. Que dire de plus ? Cyrille fut non seulement chassé du trône sur lequel il était monté, mais on lui prit la vie, et l’Église le proclama hérétique. Telles sont les mœurs de notre Église d’Orient. Voyons maintenant l’Église Occidentale et de quelle façon elle subsista après le schisme. D’ici, tel le cheval de Troie, selon l’adage connu, de nombreuses hérésies apparurent à diverses époques, que je n’ai pas dessein de rapporter ici. Après avoir désavoué l’Église d’Occident, alors qu’elles venaient à peine de naître, elles foulèrent aux pieds, telles des faons, leur mère et, du haut de leur science de toutes choses, vaste et sublime (telle qu’ils se l’imaginaient), elles décidèrent que l’Église du Christ avait arrêté d’autres choses, abominables et criminelles, que la plume rougit de reproduire. Et après ? L’hérésie s’éteignitelle ? Tant s’en faut, elle engendra des flammes qui ravagèrent bon nombre de cours royales et de pays et d’une petite étincelle il se fit un immense incendie, car il est certain que le genre humain chancelle surtout lorsqu’il lui est permis praefuit. Mox teneris discipulorum auribus virus instillare Britanicum, fama urbem complere, nec parvos metus in Ecclesia ciere. Sed non multo post sapiens vir juxta, ac pius Gabriel Blasius meus olim Professor in urbe Imperatoria, ex cathedra illum de opinionibus ab Ecclesia Christi alienis redarguit, quod nova dogmata de transubstantiatione Corporis Domini, aliaque quamplurima virulenta extraneorum haeresi plena moliretur. Quid multa? Cyrillus non a throno solum in quem conscenderat remotus, sed et privatus vita ac veluti haereticus ab Ecclesia est proscriptus. Hi mores sunt Ecclesiae nostrae Orientalis. Videamus nunc Occidentalem Ecclesiam et quo post schisma modo perstiterit. Sane hinc veluti ex equo Trojano, juxta commune diverbium, diversis temporibus multae extiterunt haereses, quas hic repetere mei non est instituti. Hae cum ab Occidentali Ecclesia resilirent, tanquam hinnuli vix nati matrem suam pedibus calcarunt, atque ob sublimem et grandem (ita sibi imaginabantur) rerum omnium scientiam, alia plane a Christi Ecclesia statuta decreverunt, quae tanquam nefanda et nefas calamus erubescit. Quid deinde? An sopita subito haeresis? Haud quaquam, verum eas concepit flammas, quae complures Regum aulas et provincias devastarunt, et ex scintilla parva ingens extitit incendium : scilicet constat in lubrico humanum genus, maxime ubi geni- <?page no="191"?> 177 Enchiridion de vivre selon son bon plaisir. En effet, l’esprit de l’homme et toutes les pensées de son cœur sont portées au mal dès sa jeunesse 6 , comme le dit l’Écriture. Bien des conciles se réunirent à divers moments (presque toute l’Europe en fut considérablement secouée), mais la plaie nouvelle fut pire que les anciennes. En effet, d’une seule hérésie, à l’instar d’une hydre multicéphale, plusieurs sortirent bientôt. Car, habiles et savants, comme sont les gens en Europe, ils se précipitèrent dans l’abîme. L’hérésie est en effet, suivant le Philosophe, une imagination des gens habiles qui, se mettant d’accord entre eux, se séparent de ceux qui pensent correctement. Mais de ceux-ci nous avons dit peut-être davantage que la raison ne l’exigeait. Je reviens à la toile que mon enchiridion doit tisser. Ces nouveaux controversistes, exclus de tout autre refuge, se tournèrent aussitôt vers l’Église d’Orient et, impudents, ils décidèrent que notre Église protégeait leurs dogmes ; toutefois, l’asyle leur fut un précipice. Le Patriarche de Constantinople, qu’ils consultèrent fréquemment, condamna toujours avec force leurs dogmes. Ici cependant [en Occident], bien loin des Grecs, ils ne craignent de répandre ce que l’Église Grecque juge et pense, mais ils découvrent un Hercule à la peau noire, comme le veut l’adage 7 . Car alis vitae permittitur facultas. Sensus enim et cogitatio humani cordis ab adolescentia in malum prona sunt, teste scriptura. Multae per diversa tempora (Europa pene tota haud modice concussa) coguntur Synodi topicae : sed facta est plaga novissima pejor prioribus. Nam ab haeresi una, veluti multicipice hydra, mox plures prodierunt. Versuti enim et sapientes cum sint in Europa homines, in profundissimum corruerunt barathrum. Haeresis enim, secundum Philosophum, est imaginatio hominum versutorum qui inter se se concordes ab aliis recte sentientibus discordant. Sed de his plura forte quam ratio postulabat. Redeo ad telam Enchiridij mei pertexendam. Novi hi disputatores omni alio exclusi refugio ad Orientalem ita statim Ecclesiam se se recipiunt, et effrontes statuunt quod nostra Ecclesia suis dogmatis patrocinetur : sed asylum sit ipsis praecipitium. Patriarcha Constantinopolitanus saepius ab his consultus, nunquam non gravi censura illorum dogmata notavit. Hic vero procul a Graecis dissiti, non verentur disseminare quod Ecclesia Graeca, secum sapiat ac sentiat : sed reperiunt Herculem ut habet paroemia. 6 Cf. Gen. 8, 31 : « L’esprit de l’homme et toutes les pensées de son cœur sont portées au mal dès sa jeunesse » ; Ps. CXXVIII, 1-2 : « Ils m’ont depuis ma jeunesse souvent attaqué ; mais n’ont pu prévaloir sur moi. » 7 Est-ce un souvenir de Lucien de Samosate, Hercule, 1? « Hercule, chez les Gaulois, se nomme Ogmios dans la langue nationale. La forme sous laquelle ils représentent ce dieu a quelque chose de tout à fait étrange. C’est pour eux un vieillard, d’un âge fort <?page no="192"?> Nicolas le Spathaire Moldavo-Lacon 178 comment la mère commune, l’Église d’Orient, qui donna la première le nom de chrétien (en effet, ce fut à Antioche que les chrétiens furent nommés ainsi pour la première fois 8 ), embrasserait-elle des dogmes étrangers de cette sorte ? Tout Grec doit fuir au plus vite ces illusions, bien loin et d’un pied rapide. Toutefois ne paraissons pas apprendre la poterie au tableau (comme on dit) ; le temps nous rappelle à en venir plus près de notre sujet et à réfuter les doctrines qu’ils ont forgées à notre insu afin de s’établir eux-mêmes. Quant à nous, nous suivrons la vérité nue, selon notre pouvoir, Dieu est témoin. Car nulle chose n’est plus ignoble que le mensonge, et notamment dans les doctrines qui mettent en danger le corps et l’âme. Et en premier lieu, il est non seulement grave de dire, mais aussi abominable d’entendre que les Grecs ne perçoivent pas substantiellement dans les mystères le corps et le sang de notre Seigneur Jésus-Christ. Loin de moi la blasphémie ! Mais, pour ne pas paraître trop long, j’ai décidé ne plus répéter dans cet enchiridion les dogmes des novateurs, mais plutôt de faire connaître véritablement et ouvertement ce qu’en pense l’Église d’Orient, qui, à propos du premier point, décida comme il suit. 1. Que le corps très pur et le sang très précieux du Seigneur est présent, après la consécration, inséparablement, Quomodo enim communis mater Orientalis Ecclesia, quae primum etiam Christianis nomen dedit (nam Antiochiae primum Christiani sunt apellati) ejusmodi dogmata extranea amplecteretur? Apage atque celeri pede omnis Graecus ab his se illusionibus quantocyus proripiat. Sed ne in abaco figulinam (quod dicitur) addiscere videamur; monet tempus ut rem ipsam propius accedamus, eaque refutemus quae nobis insciis ad se stabiliendos comminiscuntur. Nos pro viribus nudam sectabimur veritatem, Deo teste. Nihil enim mendacio turpius, maxime in iis in quibus corpus et anima periclitatur. Et primum quidem ordine, atque dictu non solum grave, sed etiam auditu nefas asserere quod Domini nostri Jesu Christi corpus et sanguinem in divinis mysteriis non percipiant Christiani Graeci substantialiter. Apage blasphemiam. Sed ne longior videat, statui non tam Novatorum dogmata repetere in hoc Enchiridio, quam demonstrare vere et evidenter quid sentiat de his Orientalis Ecclesia, quae de primo puncto sic statuit. 1. Quod purissimum corpus, et pretiosissimus sanguis Domini post consecrationem sub speciebus panis avancé, qui n’a de cheveux que sur le sommet de la tête, et ceux qui lui restent tout à fait blancs. Sa peau est ridée et brûlée par le soleil, jusqu’à paraître noire comme celle des vieux marins ». (Traduction É. Talbot, Paris, Hachette, 1912). 8 Cf. Actes des Apôtres, 11, 26 : «… ce fut à Antioche que les disciples furent premièrement nommés chrétiens. » <?page no="193"?> 179 Enchiridion sous les espèces du pain et du vin, le corps dans le pain et le sang dans le vin, vraiment, réellement et substantiellement. De quelle façon, cependant, nous l’ignorons, car sur cette façon plane le mystère, étant incompréhensible et invisible, et pourtant vraie. 2. Car nous croyons que le pain et le vin changent et se transsubstantient par les paroles du Seigneur (per verba Domini) 9 , substantiellement et vraiment, dans le corps et le sang, de sorte qu’après la consécration il ne reste pas la substance du pain et du vin, mais à leur place succède le corps et le sang du Christ par l’opération et la volonté divines. Car bien que ce changement et conversion intérieure ne soient pas perçus par les sens extérieurs, ils se font cependant par miracle, les signes ou accidents demeurant. 3. Nous croyons que le corps et le sang du Christ doivent être adorés pendant la divine Liturgie d’un culte de latrie, tant intérieur qu’extérieur, en tant que nous les croyons corps du Seigneur, qui sanctifie ceux qui s’en communient. 4. Nous croyons que le don de ce mystère est le sacrifice très propre et véritable du Nouveau Testament par lequel Dieu prend pitié des vivants et des morts. Et notre Église chante : « Voici le Sacrifice mystique déjà accompli. » 10 et vini vere, realiter, et substantialiter, in pane corpus, et in vino sanguis sit praesens inseparabiliter. Quomodo autem, nescimus; quia super quomodo est mysterium: modo tamen quodam incomprehensibili et invisibili, sed vere. 2. Quia credimus panem et vinum per verba Domini substantialiter et vere mutari ac transubstantiari in corpus et sanguinem, ita ut post consecrationem non maneat substantia panis et vini, sed loco ipsorum corpus et sanguis Christi per divinam operationem et voluntatem succedat. Licet enim mutatio illa et conversio intrinseca non cognoscatur sensu externo, miro tamen modo fit, signis seu accidentibus permanentibus. 3. Credimus Christi corpus et sanguinem in divina Liturgia omnimodo lautreutice adorandum cultu tam interno quam externo, ut pote corpus Domini creditum, quod sui participatione sanctificet communicantes. 4. Credimus oblationem mysterij esse verissimum ac proprium sacrificium novi Testamenti, quo propitietur Deus et vivis et mortuis. Et nostra Ecclesia canit : Ecce sacrificium mysterium perfectum. Et dum 9 S’agit-il d’une interpolation des éditeurs de Port-Royal ? Le moment de l’épiclèse opposé à la force des paroles du Seigneur était déjà une particularité que les théologiens orthodoxes faisaient valoir contre les protestants au XVII e siècle. 10 Certains jours, à l’intérieur de la Liturgie des Saints Dons Présanctifiés, célébrée les jours de Carême, le choeur chante : « Maintenant les puissances célestes/ célèbrent invisiblement avec nous./ Car voici que s’avance le Roi de gloire./ Voici avec son escorte,/ le Sacrifice mystique déjà accompli. » <?page no="194"?> Nicolas le Spathaire Moldavo-Lacon 180 Et lorsque les Grecs vont à la communion, chacun récite avec grande foi et confiance la prière de notre Saint Père Jean Chrysostome : « Je crois, Seigneur, et je confesse que Tu es, en vérité, le Christ, le Fils du Dieu vivant, venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier. Je crois encore que ceci même est ton Corps très pur et que ceci même est ton Sang précieux. Je Te prie donc, etc. 11 » Et de nouveau, après avoir communié, ils disent : « Le Corps de Dieu me déifie et me nourrit, il rend mon esprit divin et nourrit mon âme prodigieusement 12 . » Les fidèles de l’Église d’Orient font plusieurs prières de ce genre, ainsi que l’on pourra le voir dans la Liturgie de saint Chrysostome. Et pour ne pas oublier au détour des paroles ce que je me suis proposé, tous les fils de l’Église d’Orient, non seulement les Grecs, mais aussi les Russes, les Moscovites, les Moldaves, les Valaques, les Géorgiens, les Mingréliens, les Circassiens, les Arabes et une foule d’autres (même si les Russes et les autres n’utilisent pas le grec), croient fermement et unanimement que ce mystère est le corps et le sang du Seigneur, et ils le reçoivent comme étant le corps et le sang du Seigneur, avec la plus grande révérence. L’Église d’Orient a pris de nombreuses décisions inflexibles contre ceux qui en ont une autre opinion. Cependant, parce que j’ai dessein de montrer les articles de notre foi plutôt que de piquer nos adversaires d’une plume aiguisée, je me contrains ad communionem pergunt Graeci, quilibet orationem S.P.N. Joannis Chrysostomi recitat cum magna fide et fiducia : Credo, Domine et fateor quod tu es Christus filius Dei vivi, qui venisti in mundum peccatores salvare, quorum ego primus sum. Credo etiam quod hoc ipsum est purissimum corpus tuum, et hic ipse est pretiosus sanguis tuus. Rogo enim etc. Et rursum peracta communione dicit : Dei corpus et me deificat et alit : divinam facit mentem, ac animam alit prodigiose. Plura ejusmodi orant fideles Orientalis Ecclesiae uti reperies in Liturgia S. Chrysostomi. Et ne in verborum ambagibus mei obliviscar instituti, omnes Orientalis Ecclesiae filij, non solum Graeci, verum etiam Russi, Moscovitae, Moldavi, Vallachi, Georgiani, Mingreli, Circassae, Arabes et sexenti alii (licet Russi aliaeque gentes Graeco non utantur idiomate) uno ore omnes firmiter credunt mysterium hoc esse corpus et sanguinem Domini atque illud, ut-pote corpus et sanguinem Domini, summa recipiunt reverentia. Multa adversus eos qui aliter sentiunt, eaque firmissima decreta sanxit Orientalis Ecclesia. Verum quoniam constitui fidei nostrae articulos exhibere potius, quam acriori calamo perstringere aemulos, hinc alto nos coercemus silentio. Illos vero qui superioribus derogant, dubitantque de omnibus usque ad ultimum apicem, Orientalis Ecclesia tanquam alienos ab Ecclesia Christi 11 Prière lors de la communion, de saint Jean Chrysostome. 12 Vers après la XII e prière de saint Jean Chrysostome du Typique de la Communion. <?page no="195"?> 181 Enchiridion au silence le plus total. Ceux toutefois qui dérogent à ce qui précède et qui en doutent de quelque point que ce soit, l’Église d’Orient les tient pour étrangers à l’Église du Christ, pour fils des ténèbres et nouveaux hérétiques, elle les condamne et les anathémise. Car si on l’appelle un mystère et si c’en est un, à quoi bon chercher à le pénétrer par des moyens sophistiques et à l’embrouiller de questions inutiles ? L’Apôtre en a parlé suffisamment 13 . Les novateurs prétendent même que les Apôtres n’ont pas imposé les mains sur les Évêques et que l’Église puisse être administrée sans évêques, ne craignant pas le divin Paul et tant d’impositions des mains des Apôtres 14 . L’Écriture est pleine, et tout le monde chrétien, des noms des Évêques, qui ne manqueront à l’avenir non plus, si Dieu y pourvoit. Mais ils nient aussi le mystère du sacerdoce, puisqu’ils disent que le peuple, sans l’imposition des mains de l’Évêque, peut ordonner quelqu’un prêtre. A quoi bon alors les évêques ? Allons donc ! Ce sont des fictions forgées par les novateurs. Il n’y a jamais eu cela, il n’y en a et n’y en aura pas. Les prêtres sont ordonnés par les évêques par imposition des mains, ainsi que Saint Chrysostome en parle plus amplement dans son ouvrage sur le sacerdoce 16 . Les premiers évêques ont eux aussi été consacrés par ac fillios tenebrarum, novosque haereticos, habet, damnat et anathematizat. Nam si mysterium sit et nominetur, quid sophistice illud scrutari atque inutilibus quaestionibus implicare attinet? Satis de hoc Apostolus. Contendunt etiam Novatores Episcopis manus ab Apostolis non impositas, posseque absque Episcopis Ecclesiam administrari, minime veriti divinum Paulum totque Apostolorum impositiones manuum. Plena est, scriptura, totusque orbis Christianus Episcoporum nomine, qui nec in futurum, Deo ita providente, deficient. Sed et mysterium sacerdotale negant, cum dicunt populum, absque manuum impositione Episcopi, initiare posse aliquem sacerdotio. Sed quorsum tum Episcopi? Hem novatorum figmenta. Non fuit hoc, nec est, nec erit. Ab Episcopis enim sacerdotes initiati sunt per manuum impositionem, ut S. Chrysostomus fusius in lib. De sacerdotio. Et ab Apostolis per manuum impositionem consecrati sunt primi Episcopi, et ab his successores usque ad haec nostra 13 Nicolas pense naturellement à l’institution eucharistique, telle que saint Paul la retrace : 1 Cor. 10, 16 et XI, 20-34. 14 Actes des Apôtres, 6, 6 : « Ils les présentèrent devant les apôtres, qui leur imposèrent les mains, en priant » ; 1 Timothée, 4, 14 : « Ne négligez pas la grâce qui est en vous, qui vous a été donnée, suivant une révélation prophétique, par l’imposition des mains des prêtres » ; etc. <?page no="196"?> Nicolas le Spathaire Moldavo-Lacon 182 imposition des mains par les Apôtres et leurs successeurs l’ont été de même par eux jusqu’à nos jours. À ce sujet, il y en a davantage dans les Canons des Apôtres, qui pour certains ont peut-être perdu de la valeur 16 . Pour que vous connaissiez mieux cependant les sept sacrements de l’Église d’Orient, les voici. Ce sont : le Baptême, l’Eucharistie, le Sacerdoce ou l’Ordre, la Pénitence, le Mariage, l’Extrême Onction et la Confirmation. Tous, sauf l’Ordre et la Confirmation, sont conférés par le prêtre. Aussi, l’Église d’Orient considère-t-elle comme hérétiques et excommunie tous ceux qui ne reconnaissent pas ces sept sacrements. Vous direz peut-être cependant que c’est à cause du joug 17 que l’Église moderne de l’Orient s’est éloignée de l’Église antique. Mais cela est impossile. Car si, entre les Barbares 18 , les Russes, les Scythes, etc. qui utilisent une autre langue, ne s’en sont pas écartés, d’autant plus fleurissent chez les Grecs les antiques Constitutions des Apôtres, reçues et enseignées jusqu’au bout du monde. Mais de quoi m’étonner, lorsque les sages de ce siècle abhorrent aussi le jeûne, par lequel nous acquérons tous les biens. Car ils prétendent que le précepte du jeûne, pour les gens capables de jeûner, est étranger à l’Église. Nous disons, quant à nous, qu’il est étranger tempora. Plura de his Canones Apostolorum, qui forte nonnullis viluerunt. Quo vero plenius cognoscas Ecclesiae Orientalis septem sacramenta, ecce et ista tibi exhibeo. Sunt autem ista, Baptismus, Eucharistia, sacerdotium sive Ordo, Poenitentia, Matrimonium, Extrema unctio, Confirmatio. Quae omnia, praeter Ordinem et Confirmationem, a sacerdote conferuntur. Hinc omnes qui haec septem sacramenta non agnoscunt, Ecclesia Orientalis tanquam haereticos censet, et anathematizat. Sed dices forte propter jugum grave abiisse procul ab antiqua Ecclesiam Orientis modernam. Sed id est impossibile. Nam si non deviarunt ex barbaris Russi, Scythae etc. qui alio utuntur idiomate, multo magis florent apud Graecos antiquae Apostolorum Constitutiones usque ad fines orbis creditae et propagatae. Sed quid haec mirer, cum sapientes hujus seculi etiam jejunium horreant, per quod omnia nobis bona acquiruntur. Dicunt enim extraneum esse Ecclesiae Christi praeceptum jejunij in illis quibus vires ad jejunandum suppetunt. Nos vero dicimus 15 Cf., par exemple, Dialogue sur le sacerdoce, Livre quatrième, in Jean Chrysostome, Sur le sacerdoce, introduction, texte critique, traduction, notes par A.-M. Malingrey, « Sources Chrétiennes » 272, Paris, 1980. 16 Règles de discipline ecclésiastique, dont les catholiques et les protestants n’acceptent pas les trente-cinq dernières. 17 La domination de l’Empire Ottoman sur quelques-unes des Églises orthodoxes. 18 Les Grecs appelaient barbares les étrangers, de même que les anciens Hellènes. <?page no="197"?> 183 Enchiridion 19 Cf. Deutéronome, 32, 7. à l’Église du Christ non de jeûner, mais de manger comme un glouton tous les jours et de faire le Sardanapale. Les Apôtres demeuraient bien dans l’oraison et le jeûne, et tous les hommes saints, de même. L’Écriture est pleine de jeûnes, et le temps ne me suffirait pas pour les énumérer. Autant de dommages avonsnous subis par la bouche, autant et même plus de biens nous sont venus par le jeûne. L’Église d’Orient jeûne chaque Mercredi et Vendredi toute l’année : le Mercredi, parce que notre Seigneur Jésus y fut vendu, et le Vendredi, parce qu’il y fut crucifié. Et de nouveau tout au long de la Quarantaine avant Pâques. Car les Canons des Apôtres disent qu’ils sont excommuniés ceux qui ne jeûnent pas le Mercredi, le Vendredi et la Quarantaine. Et le grand Athanase dit : Quiconque ne jeûne pas le Mercredi et le Vendredi crucifie le Christ avec les Juifs. L’Église d’Orient a, en outre, trois jeûnes : avant la Naissance du Christ pour quarante jours, le jeûne des Apôtres Pierre et Paul et celui de la Très- Sainte Mère du Christ, que les Chrétiens grecs implorent comme protectrice dans tous les besoins. Car la prière de la Mère est très utile pour apaiser le Seigneur. En outre, l’Église d’Orient conserve beaucoup de rites sacrés, que le fils a reçus du père par tradition, tel celui-ci : Interrogez votre père, il vous instruira ; interrogez vos aïeux, et ils vous diront ces choses 19 . extraneum esse Ecclesiae Christi non jejunare, sed quotidie helluari agereque Sardanapalum. Apostoli sane erant expectantes in oratione et jejunio, omnesque viri sancti. Plena est jejunio Scriptura, neque tempus mihi in hoc commendando sufficiet. Quot damna nos per gulam accepimus, tot ac plura bona per jejunium sumus non consecuti. Ecclesia Orientalis jejunat omni die Mercurii et Veneris per totum annum: Mercurii quidem, quod venditus Dominus noster Jesus, Veneris autem, quia crucifixus. Et rursum per totam Quadragesimam ante Pascha. Dicunt enim Apostolorum Canones iis anathema, qui non jejunant Mercurii, Veneris et Quadragesima. Et magnus Athanasius inquit: Qui non jejunat Mercurii et Veneris, Christum cum ludaeis crucifigit. Habet etiam Orientalis Ecclesia alia tria jejunia, ante Natalem Christi per quadraginta dies, jejunium Apostolorum Petri et Pauli, atque sanctissimae Matris Christi, quam Graeci Christiani tanquam protectricem implorant in omnibus necessitatibus. Multum enim prodest oratio matris ad propitiandum Dominum. Praeterea habet ritus multos sacros, quos per traditionem filius a patre accepit, juxta illud: Interroga patrem tuum, et annuntiabit tibi, et seniores tuos, et dicent tibi. <?page no="198"?> Nicolas le Spathaire Moldavo-Lacon 184 D’où Basile le Grand a établi que la coutume ancienne avait la force de la loi et de la foi 20 . Aussi nombreux sont les usages introduits dans notre Église par la tradition des Anciens, qui sont religieusement conservés, comme de se signer du signe de la Croix du Seigneur, ériger les églises et les autels face à l’Orient, etc. Tous ceux qui sont hostiles au jeûne, que l’Église d’Orient pratique, et qui jugent que, par décision de l’Apôtre 21 , il ne faut pas jeûner, l’Église d’Orient les excommunie. Très célèbre est aussi l’oeuvre du Chrysostome, en deux oraisons, au père fidèle et au père infidèle 22 . En effet, ceux-ci déclaraient alors ce qu’ils répètent sans cesse aussi maintenant, à savoir que l’ordre des moines ne vaut rien et qu’il est contraire au précepte de l’Apôtre et au mariage. Mais ils sont loin de la vérité, ces interprètes de songes. Jean Prodrome a le premier consacré la vie monacale, pareille à la vie angélique, vivant très simplement en érémite, et il fut suivi par des hommes très saints, tels le grand Antoine, vainqueur des démons, le divin Basile, dont les livres ascétiques témoignent de l’ardeur avec laquelle il a pratiqué la vie monastique. Sabbas, le maître du désert, rassembla plus de six mille moines en Palestine, non loin de Jérusalem ; et de nos jours, au saint Mont Athos, environ onze mille religieux seuls se sont voués à Dieu. Pensez-vous que ce soient là des fic- Unde Basilius statuit quod mos antiquus vim habet legis et fidei. Hinc multa sunt in Ecclesiam nostram per traditionem antiquorum introducta, quae sancta conservantur, uti signare se Cruce Domini, templa et altaria aedificare versus Orientem etc. Omnes qui jejunium aversantur, quod Ecclesia Orientalis colit, et qui statuunt ex Apostoli decreto non jejunandum, omnino Ecclesia Orientalis anathematizat. Celeberrimum est et illud in duabus orationibus Chrysostomi ad fidelem et infidelem patrem. Nam tunc clamabant quod et tunc crepant, nihil esse Monachorum ordinem, atque contrarium Apostoli dicto et Matrimonio. Sed procul absunt a veritate ejusmodi somniatores. Monachalem enim vitam Angelicae parem primus Joannes Prodromus in eremo tenuissime vivens consecravit, quem aemulati viri sanctissimi, magnus Antonius daemoniorum triumphator, divinus Basilius, cujus libri ascetici testantur, quanto vitam monasticam studio coluerit. Sabbas eremi magister ultra sex millia Monachorum in Palaestina haud procul a Solyma congregavit; et nunc in sancto monte Athon ad undecim Religiosorum millia soli se Deo manciparunt. Haeccine credis figmenta? Sed de his satis, quae 20 Basile le Grand, Ép. Cl. II, Ép. 160, 2, P.G. 32, 623-624. 21 Cf. Romains, 14, 2-3. 22 Saint Jean Chrysostome, Apologie de la vie monastique, Livres II et III, à un Père Chrétien, P.G. 47, 310-380. <?page no="199"?> 185 Enchiridion tions ? Mais de ce sujet, dont le Chrysostome traite amplement, j’ai dit assez. L’Église condamne et excommunie ceux qui nient tout cela. Ensuite, l’Église d’Orient invoque la Très Sainte Mère de Dieu, vénère du culte de latrie, et relativement à la croix, les icônes sacrées du Christ, celle de la Sainte et toujours Vierge Marie du culte d’hyperdulie et celles des Anges et des autres Saints du culte de dulie. Nous invoquons aussi les Saints et, entre eux, notamment la Très Sainte Vierge Marie Mère de Dieu. Car par elle nous avons le salut, et elle n’a pas peu d’autorité sur le Fils, comme les Saints l’affirment. Nous honorons aussi les Saints et les appelons à notre secours en différents dangers et célébrons leur mémoire et leur jour de fête tous les ans, présentant leurs icônes dont la vénération se réfère au prototype. Mais que dire au sujet des icônes, lorsque le Concile réuni contre les iconomaques a chassé ces derniers comme étrangers à l’Église 23 ? Ceux qui refusent d’appeler les Saints à leur secours ignorent l’histoire ecclésiastique et ses innombrables miracles. Enfin, l’Église d’Orient prie toujours pour les morts, suppliant Dieu, lors des offices divins, et notamment les jours de samedi de toute l’année ; elle allume des cierges et de l’huile aux tombes des Chrétiens pour lesquels elle offre des aumônes et des liturgies, se souvient de leur mémoire après trois, neuf et quarante jours et enfin après six mois et un an. Car le grand Athanase dit dans ses interrogations à Antiochus que les Chrysostomus fusius persequitur. Illos vero qui haec negant, Ecclesia damnat et excommunicat. Deinde Ecclesia Orientalis sanctissimam Dei Matrem invocat, sacras Christi imagines adorat ejusque latreutice et crucem relative, sanctae Matris ac semper virginis hyperdulice, sanctorum Angelorum et reliquorum Sanctorum cultu duliae. Invocamus etiam Sanctos et ex his praecipue sanctissimam Dei genitricem Virginem Mariam. Per ipsam enim nobis est salus, nec modicam ipsa habet apud Filium, ut Sancti volunt, authoritatem. Honoramus etiam Sanctos, et invocamus in variis periculis, eorumque memoriam ac festos dies quotannis celebramus, propositis ipsorum imaginibus, quarum honor ad prototypum refertur. Sed quid dicam de imaginibus, quando synodus contra Iconomachos congregata, illos ab Ecclesia tanquam extraneos ejecit. Ignorant historiam ecclesiasticam, ac innumera miracula, qui Sanctos nolunt invocare. Denique et pro mortuis Ecclesia Orientalis semper orat Deo supplex in divinis mysteriis; maxime vero diebus sabbathinis, per totum annum : accendit candelas et oleum ad sepulchra Christianorum, pro quibus etiam eleemosynas ac liturgias offert, recolitque post tertium, nonum, et quadragesimum diem, ac tandem post semestre, et annum eorum memoriam. Dicit enim magnus Atha- 23 Deuxième Concile de Nicée, en 787. <?page no="200"?> Nicolas le Spathaire Moldavo-Lacon 186 24 Athanase le Grand, P.G., 36, 793-810. Le lieu auquel Nicolas fait référence : « Même si quelqu’un qui est mort pieusement est déjà dissous dans l’atmosphère, ne cesse pas d’allumer dans son tombeau de l’huile et des cierges, en invoquant le Christ notre Dieu. Car cela est agréable à Dieu et procure une grande compensation. Si le défunt était un pécheur, tu contribueras à la rémission de ses péchés ; si c’était un juste, sa récompense s’en trouvera accrue. Si par hasard c’était un étranger sans enfants et qu’il n’ait personne pour s’occuper de lui, alors Dieu, qui est juste et ami des hommes, subviendra pour lui à son besoin, car il ajuste sa miséricorde à chaque situation. En outre, celui qui fait une offrande pour de tels cas participe à la récompense, parce qu’il a montré de la charité pour le salut de son prochain, tout comme celui qui doit enduire un autre de parfum s’en imprègne lui-même le premier, et ceux qui ne font pas de legs ou de testament pour cela en subiront toute la peine. » aumônes et autres cérémonies ne procurent pas peu de soulagement aux morts, car s’ils sont justes, elles les font resplendir davantage ; s’ils sont pécheurs, elles leur procurent un repos 24 . À ce sujet, des hommes très savants de l’Église d’Orient ont parlé plus à loisir. Il est aussi d’usage dans l’Église d’Orient que, le premier Dimanche de la Quarantaine, que l’on appelle Dimanche de l’Orthodoxie, le Très Saint Patriarche de Constantinople, à l’issue de la liturgie dans la cathédrale patriarchale, en présence des Archevêques, des Évêques et des Légats des Rois et des Princes Chrétiens qui sont en résidence à Constantinople et prennent part à cette assemblée solennelle, excommunie et jette l’anathème sur chaque hérésie en particulier et qu’il sépare et exclue ceux qui sont contraires à la doctrine exposée ci-dessus, et notamment à la transsubstantiation, et, au contraire, qu’il embrasse ceux qui pensent comme elle. Voilà ce que l’Église d’Orient juge et jugera, Dieu aidant, sans aucun changement. Vous direz peut-être que ma plume est plus habile à défendre l’Église d’Occinasius in interrogationibus ad Antiochum, quod eleemosynae etc. non parum mortuis afferant emolumenti, ut si sunt justi, magis resplendeant ; si sint peccatores, requiem consequantur. De his sapientissimi viri in Ecclesia Orientali locupletius. Mos quoque est Orientalis Ecclesiae, ut prima Dominica Quadragesimae quae orthodoxiae dicitur, sanctissimus Patriarcha Constantinopolitanus, finita liturgia in Patriarchio templo, praesentibus Archiepiscopis, Episcopis, et Legatis Regum ac Principum Christianorum qui degunt Constantinopoli, ac intersunt solenni isti coetui, omnes haereses speciatim excommunicet et anathematizet, eosque qui supradictae doctrinae, MAXIME VERO TRANSUBSTANTIATIONI ADVERSANTUR , a communione sua separet et excludat : et contra hos qui idem secum sapiunt, veluti suos complectatur. Haec sunt quae Ecclesia Orientalis sentit, et cum bono Deo sentiet absque ulla vicissitudine. Forte dices calamum in Occidentalem Ecclesiam <?page no="201"?> 187 Enchiridion dent. Mais il ne peut y avoir de lieu pour ces conjectures. Car l’Église d’Orient observe les articles déjà mentionnés, de sorte que nul ne peut en avoir le moindre doute. Nous avons d’autres différends avec l’Église d’Occident, comme au sujet de la procession de l’Esprit Saint, et d’autres qu’il n’y a pas lieu d’évoquer ici. Mais dans ce que nous venons de dire, nous nous sommes efforcé de telle manière de dire la vérité que nul Grec, si ce n’est le plus sot, ne nous accuse de méconnaissance ou d’erreur. Les novateurs non plus ne resteront complètement accrochés à leurs opinions. Car rien n’est absolu sous tous les rapports. Ce que vous louez, un autre le méprise. Aussi que celui qui accorde moins de foi à cet enchiridion demande l’avis de Constantinople, la mère de l’Église d’Orient, qu’il lui expose amplement ses doutes et qu’il en attende une tout aussi ample réfutation. Nous, qui aurions pu établir ces vérités par plusieurs raisonnements démonstratifs, les avons annoncées assez pour notre faiblesse et notamment pour ceux qui se sont écartés et de l’Église d’Orient et de celle d’Occident. Qu’ils connaissent donc ce que l’Église en pense et combien loin en sont ceux qui remuent de telles questions dont il est criminel de disputer. Notre foi a jadis été édifiée avec soin par les Pères, qui sont non seulement plus sages que ceux qui donnent stupidement leur point de vue et, ignorants, publient leur savoir vain, mais ils sont supérieurs de beaucoup de parasanges par la splendeur de leur vertu et ont rempli tout le monde de leurs miracles. defendendam callide expeditiorem. Sed nullus his conjecturis locus esse potest. Nam articulos jam dictos ita tenet Ecclesia Orientalis, ut nemini de his dubium esse queat. Habemus alias cum Occidentali Ecclesia simultates, puta de processione Spiritus Sancti, aliisque quae non sunt hujus loci. In dictis vero sic veritati studuimus ut Graecorum nullus, nisi stolidissimus quisque, nos inscitiae aut erroris insimulare valeat. Neque Novatores adeo mordicus suis affixi opinionibus aliter deprehendent. Nihil quidem omnibus absolutum numeris. Quod tu enim laudas, ille spernit. Hinc qui fidem huic Enchiridio tribuit minorem, ipsam Orientalis Ecclesiae matrem Constantinopolim consulat, suaque dubia eidem proponat fusius, ac fusiorem expectet suarum opinionum confutationem. Nos qui pluribus apodicticis syllogismis has veritates stabilire potuissemus, abunde satis pro tenuitate nostra eas elucidavimus ; maxime iis qui ab utraque Orientali et Occidentali Ecclesia aberrarunt. Unde cognoscant quid Ecclesia sentiat, et quam procul absit ab ea, qui movent quaestiones de iis, de quibus disputare est nefas. Fides nostra jam pridem fuit a Patribus exculta, qui non solum sapientiores sunt iis qui stulte sapiunt, ac inani sapientia se se efferunt dum rudes sunt ; verum multis etiam parasangis superiores virtutis splendore ac miraculis universum orbem compleverunt. <?page no="202"?> Nicolas le Spathaire Moldavo-Lacon 188 Il est beau de conserver intacte la foi qui a commencé avec Notre Seigneur Jésus-Christ, et qui, depuis les Apôtres, par leurs successeurs jusqu’aux Pères et jusqu’à nous, à travers tant de persécutions, a augmenté toujours plus florissante, qui croit et n’examine pas les décisions des Pères, selon le dit des Proverbes : « Ne passez point les anciennes bornes qui ont été posées par vos pères 25 . » Et je m’étonne de ce que des gens qui croient à la résurrection des morts et à plusieurs autres choses qui excèdent toute compréhension fassent tant d’embarras sur la transsubstantiation et le « comment » de celle-ci. Si vous cherchez ce froid « comment » dans tous les mystères de l’Incarnation du Seigneur, il ne restera plus rien dans notre foi qui n’aura été souillé par les disputes. Qu’ils renoncent donc aux questions sophistiques et embrouillées de tant d’embarras et qu’ils viennent à l’Église du Christ et à la communion avec le corps et le sang du Seigneur, qu’ils croient à ce corps du Christ auquel ils s’unissent, pour qu’il y ait une seule bergerie et un seul Berger, à qui est la gloire et la puissance, avec le Père et le Saint Esprit ! Amen ! Decorum est fidem servare integram, quae a Domino nostro Jesu Christo coepit, et ab Apostolis per succesores ad Patres ac nos inter tot persecutiones semper florentior crevit, creditque et non examinat Majorum decreta, juxta illus Proverbiorum 22, Ne transgrediaris terminos antiquos, quos posuerunt patres tui. Et miror homines qui resurrectionem mortuorum aliaque quamplurima quae sensum omnem superant credunt, et tot tricas de transubstantiatione ejusque modo faciunt. Hoc frigidum, Quomodo, si in omnibus Incarnationis dominicae mysteriis requiras, nihil erit in fide nostra ab altercationibus inviolatum. Quapropter mittant sophisticas ac tot tricis implicatas quaestiones, veniantque ad Christi Ecclesiam et communionem corporis ac sanguinis Domini, ac credant illud Christi corpus cui communicant, ut fiat ovile unum et unus Pastor, cui gloria et potestas, cum Patre et sancto Spiritu. Amen. [texte latin extrait de La perpétuité de la foy de l’Eglise catholique touchant l’Eucharistie, 1669] 25 Proverbes de Salomon, 22, 28. <?page no="203"?> Biblio 17, 188 (2010) Louis Racine : La Grâce La diffusion européenne d’un manifeste janséniste S YLVAIN M ENANT Université Paris IV-Sorbonne-CNRS Cellf 17 e -18 e , UMR 8599 Dans la diffusion des idées religieuses, le rôle de la poésie ne doit pas être minimisé, si étrange que cela puisse paraître à des lecteurs du XXI e siècle. Il existe certes de fortes réticences rationalistes, mais aussi chrétiennes, devant cette activité futile, la fabrication des vers, et devant les moyens d’action de la poésie, qui agit d’abord sur l’imagination et sur la sensibilité, « maîtresses d’erreur et de fausseté ». On connaît les débats internes à la Compagnie de Jésus sur ce sujet dès la fin du XVI e siècle, débats d’où est sortie la prédilection de la Compagnie pour une formation des élèves par les Belles-Lettres, et notamment par les poètes latins. Mais ces débats sont loin d’être éteints au début du XVIII e siècle : tous les pédagogues en chambre s’y intéressent, comme le fera encore Jean-Jacques Rousseau dans Émile, à propos de La Fontaine notamment. La poésie est suspecte, ou le devient plus encore alors que se développe une critique littéraire raisonneuse et méfiante à l’égard des legs du passé (dont les vers, les formes, les thèmes de la poésie font très largement partie). Mais un mouvement se dessine dès les premières années du siècle, mouvement fondé sur la recherche érudite en matière de linguistique générale : c’est notamment à l’Académie des Inscriptions que plusieurs savants cherchent à retrouver ce que pouvait être la langue primitive ; et ils tendent à faire de cette langue primitive une langue poétique, capable d’exprimer une vérité que les fautes des hommes, l’usure des siècles, la complication des mœurs et des arts ont brouillée et masquée. La poésie, à la différence de tous les autres moyens d’expression, aurait conservé, à travers les temps et les civilisations, quelque chose de ce langage primitif. C’est ce qui la rend apte à dire la vérité religieuse et les sentiments profonds et essentiels qui doivent refléter cette vérité. La poésie de la Bible, ce livre premier, constitue la preuve de l’adéquation entre le langage poétique et la vérité religieuse ; la Bible constitue donc à la fois la source d’un lyrisme authentique et le modèle d’une <?page no="204"?> Sylvain Menant 190 poésie éternellement moderne. Ainsi rebondit, à la fin du règne de Louis XIV, la vogue des traductions-adaptations et des paraphrases des psaumes, telles que les pratiquent d’illustres poètes du temps comme Jean-Baptiste Rousseau. Ainsi la littérature qui veut exposer ou défendre le christianisme va-t-elle se nourrir de la substance biblique, celle des psaumes, mais aussi celle des prophètes, celle de la Genèse, celle même du Nouveau Testament 1 . Seconde remarque préliminaire : la poésie est, à la fin du règne de Louis XIV, et restera pendant tout le XVIII e siècle (et encore au XIX e siècle) un moyen particulièrement efficace de se faire imprimer, lire, entendre, comprendre. Le public qui lit, écoute, retient des vers paraît plus étendu que le public de la prose. Les textes en vers sont plus denses et plus concis que les textes en prose, ce qui diminue le coût de l’édition et le prix d’achat. La copie manuscrite en est plus facile à réaliser, et plus facile à réaliser sans faute de copie, puisque les erreurs de rythme et de rime se repèrent aisément. Enfin, l’attrait du langage poétique, maintes fois analysé dans ces grandes années de réflexion sur la littérature que furent les premières décennies du Siècle des Lumières, cet attrait s’exerce sur toutes sortes de lecteurs et, dénoncé par les plus austères ou loué par les épicuriens, ne fait de doute pour personne. Grande est la tentation de le faire servir à de bonnes causes. C’est ce qu’a pensé Louis Racine, à qui il faut venir après ces vérités bonnes à rappeler pour mieux comprendre son projet et son œuvre. Louis Racine, second fils de Jean Racine, a vécu de 1692 à 1763 ; c’est un exact contemporain de Voltaire, né en 1694, qui a été son condisciple au Collège Louis-le-Grand et a suivi de près sa carrière et son œuvre, veillant charitablement à ce que la réputation poétique de son camarade ne nuise en rien à la sienne propre 2 . On sait que Louis Racine a conquis une durable célébrité avec son grand poème apologétique en six chants intitulé La Religion et publié en 1742. L’audience européenne et pérenne de cette œuvre n’est pas contestable : elle est devenue rapidement un texte classique, au moins dans les établissements d’enseignement catholiques, en France et à l’étranger, comme en témoignent, jusque tard dans le XIX e siècle, des éditions dites « classiques » agrémentées de notes explicatives et de commentaires - comme en témoigent aussi, sur des exemplaires conservés dans les bibliothèques publiques, des ex-libris désignant La Religion de Louis Racine comme un ouvrage volontiers offert lors des distributions des prix dans les collèges. Il s’agit d’une démonstration méthodique 1 Sur ce contexte de l’œuvre de Louis Racine, je continuerai à renvoyer, faute de travaux plus récents et plus détaillés, aux chapitres II et VI de mon livre déjà ancien, La Chute d’Icare, Genève, Droz, 1981. 2 Voir Haydn Mason, « Voltaire and Louis Racine », in Voltaire and his world, studies presented to W.H. Barber, Oxford, 1985 et S. Menant, La Chute d’Icare, op. cit., p. 338-349. <?page no="205"?> 191 Louis Racine : La Grâce de la vérité du christianisme, étroitement inspirée par le dessein des Pensées de Pascal. Quoi qu’en aient dit des critiques trompés par les précautions du poète, La Religion reste une œuvre profondément marquée par des thèmes et une sensibilité caractéristiques des milieux jansénistes : mais Louis Racine a pris un soin extrême, et croissant au fil des rééditions, pour équilibrer l’abondance des sources pascaliennes et augustiniennes par de multiples renvois aux œuvres de saint Thomas d’Aquin ou de Bossuet 3 . On ne saurait, globalement, parler à propos de La Religion d’un « manifeste janséniste ». Il en va autrement, ou du moins la question se pose 4 , au sujet de la première œuvre retentissante de Louis Racine, La Grâce, écrite en 1715 et publiée pour la première fois en 1720. La date de ce texte, extérieur aux développements dramatiques liés à la bulle Unigenitus et aux convulsionnaires du cimetière Saint-Médard des années 1727-1728, peut permettre d’y voir l’expression d’une position religieuse dans le prolongement direct du Port-Royal classique. Son sujet surtout, qui concerne bravement l’objet central des débats qui ont amené le jansénisme à se définir - tous ces éléments conduisent à s’interroger sur le sens du poème, et donnent de l’intérêt à une enquête sur le retentissement du texte et son éventuelle influence dans l’Europe du XVIII e siècle. Louis Racine, fils de Jean Racine, avait évidemment des liens historiques et familiaux avec Port-Royal. Était-il pour autant janséniste, et quel janséniste ? On sait qu’il ne faut pas se fier aux souvenirs de la pseudo-Mme de Créquy, mais en l’occurrence on serait assez tenté de la suivre. Voici ce qu’on y lit : Louis Racine avait une gouvernante et c’était une janséniste forcenée qui s’était déjà fait crucifier deux ou trois fois. Ce n’était pourtant pas que M. Racine fût devenu convulsionnaire ou Parîcolâtre. Il n’était pas entièrement convaincu des miracles de saint Pâris ; il n’éprouvait aucune satisfaction de ce que Mam’selle Bergerat, sa gouvernante, allait se faire donner des coups de bûche sur la poitrine et des coups de maillet sur la tête en l’honneur du Père Quesnel et consorts ; il avait osé désapprouver que Mlle Bergerat se fît enclouer les pieds et les mains à titre de secours, ce qui l’avait obligée de rester au lit pendant plus de six mois, au lieu de soigner leur petit ménage. Enfin ce pauvre M. Racine était un homme inconséquent ; il était demeuré comme un traîneur en arrière des autres jansénistes ; il en 3 Voir S. Menant, « Voltaire dans le contexte : les notes de Louis Racine et le genre du poème annoté », in Les Notes de Voltaire, une écriture polyphonique. Études rassemblées par N. Cronk et Ch. Mervaud, SVEC 2003, Oxford, 2003, p. 84-94. 4 Voir Klara Padanyi, « De La Grâce à La Religion. Du jansénisme aux Lumières dans les œuvres de Louis Racine », in Acta litteraria Academiae scientiarum hungaricae, 1975, fasc. 3-4. <?page no="206"?> Sylvain Menant 192 était resté sur le bord du gouffre avec la logique et la grammaire de Port- Royal à la main 5 . « Un traîneur […] resté sur le bord du gouffre » : dans les mains de Louis Racine, la logique et la grammaire sont le signe que le poète est un janséniste raisonnable. Cette reconstitution historique suspecte correspond sans doute à la réalité. Les positions modérées de Louis Racine contribuent à expliquer l’audience large qui a été la sienne : l’exploration de cette audience fera l’objet d’un second point, quand, pour commencer, aura été analysé ce qui, dans La Grâce, peut apparaître comme marqué par une tradition janséniste. Dans la préface de son poème, Louis Racine résume ce qu’il appelle sa « doctrine ». Elle est fondée sur une double évidence : l’évidence de l’existence et de la toute-puissance de Dieu, « dont les décrets sont les règles de l’avenir », toute-puissance « qui est renfermée nécessairement dans l’idée que nous avons d’un être infini », et, seconde évidence, « la liberté de notre âme », « vérité qu’il n’est pas nécessaire de prouver ». Ces deux vérités d’évidence semblent se contredire, et notre raison ne parvient pas à « les raccorder » : Racine conclut qu’il faut « qu’elle ait assez de lumière pour les adorer ». Racine appuie cette position de l’autorité de Bossuet : Il faut, dit M. Bossuet, tenir fortement les deux bouts de la chaîne, quoiqu’on ne voye pas toujours le milieu par où l’enchaînement se continue (p. VII-VIII 6 ). Les efforts des uns et des autres pour accorder la grâce et la liberté ont entraîné « cette contrariété de systèmes » qu’on constate parmi les chrétiens. Racine, pour sa part, affirme ne pas s’écarter de ce qu’ont écrit « deux grands maîtres que l’Eglise a particulièrement reconnus pour les docteurs de la grâce, Saint Augustin et Saint Thomas » (p. XII-XIII). Toute la préface met en vedette des garants d’ouverture doctrinale, Bossuet constamment cité, mais aussi Bourdaloue « ce héros des orateurs chrétiens, qui a fait l’admiration de la ville et de la cour […] on verra souvent ses principes conformes aux miens » (p. XVI). Le P. Malebranche, « ce fameux ennemi de l’imagination, si souvent abusé par elle » (p. XVI), est en revanche critiqué par Racine pour ses réserves sur la doctrine thomiste ; mais Racine évite autant que possible la polémique, 5 Souvenirs de Mme de Créquy [par Cousin de Courchamps], Paris, Garnier Frères, 1873, Tome III, chap. 2, p. 302. Voir Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, Paris, Garnier, t. LXII, p. 439-491. 6 Toutes les références à La Grâce renvoient à l’édition de 1751 : La Grâce, poème, à la suite de La Religion, poème, par M. Racine, de l’Académie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres, Sixième édition revue et augmentée, à Paris, chez Desaint et Saillant, Durand et Le Prieur, MDCCLI. <?page no="207"?> 193 Louis Racine : La Grâce car « l’Eglise n’a point condamné tous ceux qui suivent d’autres maîtres » (p. XVII), et donc « il ne nous est pas permis non plus de les condamner ». Racine s’interdit aussi les traits satiriques : « la vérité doit toujours être défendue avec les armes de la charité » (p. XVIII). Il ajoute : j’avoue qu’il m’était échappé d’abord quelques traits un peu mordants ; mais la réflexion me les a fait retrancher […] je n’ai point voulu réveiller le triste souvenir de nos troubles (p. XVIII). Une seule exception à cette discrétion : il reprochera vivement à Molina son rejet de la doctrine augustinienne : « Rome, tout l’univers admire ses écrits/ Et M… lui seul en ignore le prix 7 », et plus explicitement il l’attaque au chant III : Téméraire docteur […] Honteux de reconnaître un si libre esclavage, Par tes détours subtils, par tes systèmes vains, Tu prétends éluder les paroles des saints. Racine résume longuement la doctrine moliniste pour en montrer l’orgueil et la nouveauté coupable - et là il cite Molina dans le texte et le De Concordia Graciae et liberi Arbitrii dans les notes 8 . À ces passages près, ce n’est donc pas par son contenu polémique et ses positions ouvertement partisanes que La Grâce peut être considérée comme un manifeste janséniste. Racine prétend s’en tenir aux « vérités dont il est nécessaire d’être instruit » (p. XIX). Le résumé qu’il donne lui-même de son œuvre laisse voir cependant que si le point de départ fait l’objet d’un consensus parmi les chrétiens, les développements successifs introduisent des points controversés et l’aboutissement manifeste une profonde opposition à un courant florissant au moment où Racine écrit : Dans le premier chant, pour conduire à la nécessité de la grâce, je dépeins l’innocence de l’homme et sa chute […]. J’établis dans le IIe chant la puissance et l’efficacité de cette grâce, qui ne détruit point la liberté, puisqu’on peut toujours résister. Dans le IIIe chant j’étends la grande preuve de la puissance de cette grâce, qui est le changement du cœur, malgré tous les combats des pécheurs ; et je fais voir que ces combats détruisent le système de la grâce versatile et de l’équilibre. Enfin le IVe chant renferme le mystère de la prédestination, qui nous apprend combien la grâce est gratuite (p. XIX). 7 Chant I, p. 21. 8 Chant III, p. 44-45 et note de la page 47. <?page no="208"?> Sylvain Menant 194 Ces thèmes, Louis Racine les développe avec l’ardeur d’un témoin de la décadence, d’un homme révolté par l’impiété de son temps, décidé à ne pas se contenter de gémir, mais à parler haut : Si la timidité fait taire les prophètes, La colère ouvrira la bouche des poétes (ch. I, p. 2). et à parler avec les mots mêmes d’Augustin : Augustin dans mes vers donne encor ses leçons (ch. I, p. 22). Il faut aller au chant II pour entendre monter le ton : Que le Juste à toute heure appréhende la chute. S’il tombe cependant, qu’à lui seul il l’impute. Oui, l’homme qu’une fois la grâce a prévenu, S’il n’est par elle encor conduit et soutenu, Ne peut, à quelque bien que son âme s’applique… Mais à ce mot j’entends crier à l’hérétique. Ne peut, c’est là, dit-on le jansénisme pur. Dans ses expressions Luther est-il plus dur ? (ch. II, p. 29-30) À cet interlocuteur agressif, « qui transporté d’un zèle charitable/ Voulez me mettre au rang des noirs enfants du Diable », et à qui le poète reproche de taxer d’hérésie « tout ce qui [lui] déplaît » (ch.II, p. 30), Racine oppose les mots même de Jésus : « Sans moi vous ne pouvez rien faire. » Et il propose une analyse de l’action humaine, où à « notre volonté » doit être joint le « suffrage » de Dieu (ch.II, p. 31). Cette position de synthèse devrait mettre fin à la querelle, à la « dispute amère », si ses adversaires étaient sincères et ne s’arrêtaient pas à des mots comme « pouvoir suffisant » : O pouvoir suffisant, qui seul ne suffit pas ! (ch. II, p. 31) On voit que l’ironie, une ironie parfois cinglante, n’est pas absente d’un poème qui est plus souvent empreint d’un lyrisme émouvant. L’insistance sur la liberté qui est inséparable de la nature humaine conduit par exemple à rappeler le poids de la liberté, et la difficulté de vivre dans ce monde de tentations et de péché qu’est notre monde : Oui, je sens que je l’ai, ce malheureux pouvoir Et loin de m’en vanter je gémis de l’avoir […] Ah ! qui me donnera l’aile de la colombe ! (ch. II, p. 37) L’« aile de la colombe » représente le moyen d’échapper à ce bas-monde et d’accéder au Royaume de Dieu : C’est là que sans regret l’on perd sa liberté […] Le cœur n’a plus alors ni craintes ni désirs (ch. II, p. 38). <?page no="209"?> 195 Louis Racine : La Grâce Dans l’attente de ce monde divin, la terre est un exil : puissant thème du lyrisme de Louis Racine, nourri des textes prophétiques. Nous gémissons encor sur la terre exilés Près de l’Euphrate assis nous pleurons sur ses rives […] Que mon exil est long ! ô tranquille Cité ! (ibid.) Autre thème qui inspire puissamment Racine : la misère de l’homme. Un grand argument contre les thèses molinistes, c’est l’incapacité de l’homme à se maîtriser, à maîtriser ses humeurs comme ses actes : source de développements cinglants et pathétiques. Toi qui trouves toujours la grâce sous ta main, Contre tant de malheurs montre son privilège […] Le chagrin te saisit, tu te sens agité ; Viens te rendre la joie et la tranquillité. […] Il est temps, qu’attends-tu, commande, parle en maître ! Mais quoi, désir, effort, menace, tout est vain […] Misérable, du moins reconnais ta misère (III, p. 47-48). Mais cette misère n’est pas le fait des seuls adversaires du poète : il leur parle en frère, car elle constitue son expérience intime, Hélas, qui n’en a point la triste connaissance ! Quel mortel à son gré dispose de son cœur ? (III, p. 49) et elle s’oppose aux « systèmes flatteurs », comme celui de l’« équilibre », longuement attaqué à la fin du chant III et ainsi résumé : Pour le bien et le mal l’homme également libre Conserve, quoi qu’il fasse, un constant équilibre. Lorsque pour l’écarter des lois de son devoir Les passions sur lui redoublent leur pouvoir, Aussitôt balançant le poids de la nature, La grâce de ses dons redouble la mesure (III, p. 49). C’est un système de pensée que Voltaire laïcisera dans les Discours en vers sur l’Homme. Racine y oppose l’expérience de l’endurcissement dans le péché, la tyrannie des passions, et finit par prendre en exemple une héroïne paternelle, Phèdre (III, p. 52). Enfin, au chant IV, la présentation de la prédestination est dominée et inspirée par un sentiment intime et profond, celui de la toute - puissance de Dieu, qui explique et justifie les incohérences apparentes des sorts réservés aux humains : Il touche, il endurcit, il punit, il pardonne : Il élève, il aveugle, il condamne, il couronne. S’il ne veut plus de moi, je tombe, je péris. <?page no="210"?> Sylvain Menant 196 S’il veut m’aimer encor, je respire, je vis. […] O sage profondeur ! ô sublimes secrets ! J’adore un Dieu caché, je tremble et je me tais (ch. IV, p. 62-63). Ce tremblement est pourtant balayé par un mouvement d’amour et de confiance, qui dépasse les raisonnements de ceux qui voient dans la doctrine de la prédestination l’anéantissement de la morale et, comme Voltaire, la réduction de Dieu à un être de menace : Je tremble comme vous ; espérez comme moi […] Je laisse murmurer ma raison orgueilleuse (ch. IV, p. 74). Le dernier vers du poème, aboutissement de ce mouvement lyrique, rappelle pourtant, non sans esprit, que, sous des dehors bénins, et tout nourri qu’il soit d’une ardente poésie de la foi, La Grâce est un poème tourné contre les adversaires des positions que reflète le poème : Donne la grâce enfin même à ses ennemis (ch. IV, p. 75). * Ce texte, à bien des égards admirable, a-t-il été entendu dans l’ensemble de l’Europe du XVIII e siècle, et même au-delà ? Il est possible aujourd’hui de rassembler quelques éléments de réponse, mais l’enquête est évidemment loin d’être achevée et elle est, inutile de le préciser, étroitement dépendante des instruments dont la recherche dispose. Ils ont fait en quelques années des progrès considérables, avec la réalisation, dans plusieurs pays, de catalogues informatisés en ligne, et même de catalogues collectifs réunissant les richesses de nombreux fonds, catalogues encore incomplets et sans doute destinés à le rester, mais très éclairants. Ces catalogues permettent de compléter les explorations sur place par des indications précieuses 9 . On suivra l’ordre dégressif de la valeur démonstrative des faits : en étudiant d’abord ce qui prouve indubitablement l’intérêt des nations étrangères pour le poème de Racine, en finissant par les données les plus difficiles à interpréter. On pouvait s’attendre qu’étant donné son sujet, le poème soit traduit en latin, pour pouvoir être compris par l’ensemble du public clérical européen. Et en effet, il l’a été au moins en 1768, par un abbé Revers dont l’œuvre a 9 Ont été notamment utilisés le catalogue de la BNF (Opale Plus), le catalogue collectif des bibliothèques françaises, le SUDOC pour les bibliothèques universitaires françaises, le catalogue en ligne de la British Library, celui de la Library of Congress, celui de la National Library of Scotland, celui de la National Library of Poland, celui de la Deutsche Nationalbibliothek, celui de la Biblioteca Nazionale di Firenze, celui de la Biblioteca Municipale di Livorno, celui de la Biblioteca Trivulziana-Archivio storico civico di Milano, celui de la Bibliothèque de l’Université Lomonossov de Moscou. <?page no="211"?> 197 Louis Racine : La Grâce été publiée à Avignon. Des exemplaires conservés à Grenoble, à Besançon, à Montauban attestent sa diffusion hexagonale, mais les traces de son rayonnement font pour le moment défaut. Il faudrait pouvoir vérifier que comme dans la plupart des éditions françaises, La Grâce est associée à La Religion, car Louis Racine est surtout traduit à l’étranger à partir de la publication de son grand poème apologétique (1742). C’est en italien que l’activité des traducteurs est la plus grande : en 1748 paraît à Avignon un Della Religione […] tradotto in versi toscani par l’abbé Filippo de’Venuti (exemplaires à Livourne et Florence), en 1761 paraît à Rome un Della Religione […] tradotto in ottava rima italiana par Giambattista Carro (exemplaire à Milan), et en 1791, un Della Religione anonyme. En 1829 encore, une traduction anonyme sera imprimée à Turin. Une traduction allemande de La Grâce (Die Gnade) est imprimée à Francfort-sur-le-Main en 1747 : elle est l’œuvre de F.A.Consbruch et elle est accompagnée de notes de Johann Michael von Loen (exemplaires dans plusieurs bibliothèques allemandes). James Elphinston, un pédagogue directeur d’un « séminaire jacobite », ami de Samuel Johnson et ardent défenseur de la religion, traduit Racine (the younger Racine) en 1754. En Pologne deux traductions tardives paraissent en 1816 (par Oziela Stanislawa Staszica) et en 1821 (par J.N. Zglinckiego). La diffusion de La Grâce se manifeste surtout par la présence dans les bibliothèques étrangères de nombreux exemplaires des éditions successives du poème en français, comme on peut s’y attendre dans une Europe où les élites intellectuelles pratiquent couramment notre langue. Il est toutefois difficile ou impossible de connaître la date d’entrée de ces exemplaires et leur provenance, ce qui laisse une marge d’incertitude sur la lecture du poème au XVIII e siècle. D’autre part, la plupart des éditions recensées contiennent à la fois La Grâce et La Religion : nous pouvons difficilement en tirer des conclusions sur l’audience du premier poème. À ces réserves près, l’abondance des exemplaires et la diversité des éditions sont impressionnantes. En Italie, par exemple, la Biblioteca Trivulziana de Milan en conserve quatre (1759, 1808, 1822, 1852). On peut penser que l’achat tardif d’éditions a correspondu avec la reconquête catholique et une tendance au rigorisme religieux après la période d’influence française et face au mouvement libéral ; même analyse sans doute pour la Bibliothèque de Livourne, où l’on trouve des éditions de 1808, 1821, 1853. La Bibliothèque Nationale de Pologne possède une édition de 1821. Outre-Manche, en terre majoritairement protestante, la moisson n’est pas des plus riches à la British Library qui possède des éditions de 1751, 1763 et 1819 ; mais l’ Écosse, où l’intérêt pour les débats théologiques est très vif au XVIII e siècle, conserve les traces les plus riches d’intérêt pour La Grâce : la bibliothèque d’Édimbourg possède des éditions de 1720 (la première donc), 1743, 1747, 1750, 1763, et même trois exemplaires de celle de 1785. <?page no="212"?> Sylvain Menant 198 Mais les bibliothèques publiques ne sont pas toutes les bibliothèques, et une indication intéressante est fournie par la production éditoriale française, car on sait qu’une partie importante des tirages des livres français est, au XVIII e siècle, destinée à l’exportation. Or l’offre des libraires est particulièrement importante en ce qui concerne La Grâce. Sans entrer dans un détail que fournissent le catalogue de la Bibliothèque Nationale et la bibliographie de Cioranescu, soulignons qu’on compte au moins trente éditions ou réimpressions séparées de La Grâce, au moins trente-quatre éditions de La Grâce publiées à la suite de La Religion, auxquelles s’ajoutent neuf éditions d’Oeuvres complètes de Louis Racine. Il s’agit d’un véritable phénomène éditorial qui a duré jusqu’en 1853, et qui a engendré un maquis de réimpressions difficile à démêler. Usage scolaire, curiosité, effet d’entraînement du succès de La Religion, réaction au fil du siècle vers un catholicisme plus austère et plus intérieur face aux attaques antichrétiennes des philosophes des Lumières et aux mésaventures de la Compagnie de Jésus : toutes ces raisons peuvent expliquer une extraordinaire production des imprimeurs. Les suites de l’enquête nous montreront peut-être la part que le commerce européen du livre avait dans la diffusion de tant de réimpressions successives. Il resterait aussi à explorer les périodiques, ce qui suppose de multiples recherches dans de multiples pays. Nul doute en tout cas que La Grâce a largement circulé à travers l’Europe : c’est ce que suggèrent ces modestes sondages. La période de plus grande diffusion semble coïncider avec la publication des éditions successives de La Religion, qui attire l’attention sur Louis Racine comme apologiste dans une période où l’apologétique est plus nécessaire que jamais - jusqu’au milieu du XIX e siècle, à la faveur d’une restauration religieuse et peut-être, dans certains pays, d’une réaction contre un catholicisme jugé trop ultramontain. Mais cette diffusion ne doit pas tout au sujet et aux choix religieux de Racine. La Grâce met en œuvre des matériaux profondément poétiques, d’une poésie qui résiste à la traduction et aux différences nationales, et elle fait entendre une voix fraternelle capable de franchir les frontières. * La Grâce n’est pas le manifeste d’un jansénisme polémique, même si son contenu constitue bien en réalité une offensive contre le molinisme et les doctrines qui font la part trop belle à la liberté humaine et au pouvoir de l’homme sur lui-même, même si ce poème est inspiré clairement par un rejet radical des espérances que les hommes des Lumières voulaient mettre dans l’existence terrestre et dans la sagesse de la nature. Il manque dans l’ensemble à La Grâce, pour être un manifeste, non la netteté doctrinale, mais le ton incisif, la vivacité des attaques, les armes de la polémique. La date à partir de laquelle le texte connaît une diffusion européenne probablement impor- <?page no="213"?> 199 Louis Racine : La Grâce tante correspond à l’époque d’un combat qui n’est plus celui des courants catholiques les uns contre les autres, mais celui de la foi contre l’incroyance qui se démasque : le milieu du XVIII e siècle voit les attaques frontales contre le christianisme se multiplier, et les positions de l’Église catholique contre le mouvement intellectuel contemporain se durcir. Pourtant La Grâce est bien la manifestation lyrique d’un certain jansénisme, fait d’une foi sans réserves et d’un morale rigoureuse, l’expression poétique des sentiments sincères d’un exilé sur la terre et d’une âme confiante. On peut penser que la large diffusion dont ce texte a bénéficié correspond en profondeur à une attente, celle d’un christianisme exigeant, refusant tout compromis avec la société contemporaine et toute adhésion à ses valeurs. C’est ce qu’a compris Voltaire en attaquant vivement l’oeuvre de Louis Racine. La Grâce, en effet, fait bien entendre, à ce titre, dans toute l’Europe, une voix qu’on peut qualifier de janséniste. <?page no="215"?> Biblio 17, 188 (2010) Autour de l’Instructio ad tyronem (1672). Les enjeux d’une définition dogmatique de l’Immaculée Conception 1 A NNICK D ELFOSSE FNRS-Université de Liège Le 24 septembre 1672, le Saint-Office écrit à Galeazzo Marescotti, nonce à Madrid, un long courrier inquiet 2 : dans les Pays-Bas espagnols, la doctrine de Michel Baius et de Corneille Jansénius serait en train de refaire surface, séduisant en nombre des membres du clergé régulier et du clergé séculier ainsi que des ministres de Sa Majesté Catholique. L’informateur du Saint-Siège, très vraisemblablement l’internonce à Bruxelles, Carlo Francesco Airoldi (1668-1673), a avisé le pontife que cette recrudescence est excitée depuis la France, où quelques docteurs de la Sorbonne, pour pallier « l’extirpation du jansénisme » dans leur royaume, ont pensé que le mouvement pourrait plus facilement renaître en Flandre. Le Saint-Siège a ainsi été informé que des partisans de la doctrine de l’évêque d’Ypres enseigneraient dans les provinces belges, à la suite des thèses d’Arnauld, que les définitions de fide établies par le pontife sans l’accord d’un concile œcuménique ne sont pas infaillibles et que le même pontife est susceptible de se tromper sur les questions de fait. Il est avéré par ailleurs qu’à cause de la recrudescence du mouvement, naissent tous les jours des disputes autour de la doctrine de l’Immaculée Conception de la Vierge, attisées par des libelles publiés sans noms d’auteur ni d’imprimeur « semant les graines très pernicieuses de la discorde ». Le Saint-Office 1 La rédaction de ce texte se fonde largement sur des recherches documentaires effectuées lors de deux séjours successifs à Rome, le premier rendu possible par le Fonds National de la Recherche Scientifique de Belgique, le second par la Fondation Darchis. Nous tenons à les en remercier. 2 Rome, Archivio Segreto Vaticano [A.S.V.], Segretaria di Stato, Nunziatura di Madrid, vol. 8, f. 1-8 ; publié par Lucien Ceyssens, Sources relatives à l’histoire du jansénisme et de l’anti-jansénisme des années 1661-1672, Louvain, 1968, doc. 533bis, p. 525-534 (= Bibliothèque de la R.H.E., 45). Cet ouvrage sera désormais cité L. Ceyssens, Sources 1661-1672. <?page no="216"?> Annick Delfosse 202 est inflexible : le nonce madrilène doit prendre les mesures nécessaires pour exiger de la Reine-Régente Marie-Anne d’Autriche qu’elle mette fin à ces débats dans ses territoires belges et tue l’hydre qu’est le jansénisme renaissant avant qu’il ne reprenne vigueur 3 . De toute évidence, le Saint-Siège fait référence dans ce courrier aux éclats d’une vive dispute que provoque, depuis bientôt neuf mois, la publication à Gand d’un petit livret intitulé Instructio ad tyronem. L’auteur, Pierre van Buscum (ca. 1620-1689), et le censeur, Ignace Gillemans (1620-1674), tous deux chanoines de la cathédrale de Gand, sont d’ailleurs cités dans la longue liste de « personnes infectées par le jansénisme » fournie en annexe de la missive. Leur libelle, manuel de théologie destiné à un jeune étudiant gantois, condamne avec virulence la scolastique et définit strictement, selon des principes de la théologie positive, les conditions de l’infaillibilité de l’Église remettant en cause l’autorité du pape à définir seul ce qui doit être embrassé de foi divine. Or, s’il provoque tant de débats dans les Pays-Bas, c’est bien sûr parce qu’il critique la prérogative tridentino-romaine accordée au pontife d’être un définiteur isolé de la foi mais aussi, et surtout, parce qu’il refuse toute définition de fide de l’Immaculée Conception de la Vierge. Condamné par ses adversaires comme un ouvrage perfide et scandaleux, précisément parce qu’il malmène le culte marial, il sera considéré comme un signe tangible de la renaissance du jansénisme en Belgique. La controverse a été approchée à plusieurs reprises par différents auteurs, principalement au début du XX e siècle et toujours de manière superficielle voire erronée 4 . Il a fallu les enquêtes de Lucien Ceyssens et sa vaste entreprise de publication de pièces d’archives pour mettre au jour des documents per- 3 Marescotti relaie rapidement les doléances romaines auprès de la Couronne espagnole en soumettant au roi un mémorial (Bruxelles, Archives Générales du Royaume, Conseil d’État, vol. 929 ; Rome, A.S.V., Segr. Stato, Nunziatura di Fiandra, vol. 205, non fol., résumé). Le 28 novembre 1672, le Conseil Suprême de Flandre à Madrid délibère sur les mesures à prendre pour endiguer les progrès du jansénisme aux Pays-Bas et, le 10 décembre, charge le gouverneur-général, le comte de Monterey, de prendre des mesures (L. Ceyssens, Sources 1661-1672, op. cit., doc. 559, p. 575 ; Correspondance de la Cour d’Espagne sur les affaires des PB au 17 e s., t. V (Précis de la correspondance de Charles II : 1665-1700), p. 172). La question est alors renvoyée vers les Pays-Bas. Le Conseil d’État se réunit à Bruxelles le 13 février 1673 pour rendre son avis (L. Ceyssens, La seconde période du jansénisme, Bruxelles, 1968, t. I, doc. 35, p. 33). 4 Paul Hoffer, La dévotion à Marie au déclin du XVII e siècle autour du Jansénisme et des « Avis salutaires de la B.V. Marie à ses dévots indiscrets », Paris, Cerf, 1938, p. 141-143 ; Guido Pettinati, « Il cardinal Giovanni Bona e il Giansenismo », in Nuove ricerche storiche sul giansenismo, Rome, Pontificia Università Gregoriana, 1953, p. 107-113 (= Analecta Gregoriana, 71). <?page no="217"?> 203 Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) mettant une approche plus fine des débats. C’est en grande partie sur base des lettres et actes publiés par cet historien que nous avons mené cette étude en retournant aux textes originaux, lorsque cela était possible, et en analysant la production imprimée qui a découlé de la querelle. Nous nous attacherons à préciser la chronologie des événements, leurs racines et conséquences, ainsi que les termes du conflit. Nous montrerons surtout comment celui-ci a opposé deux conceptions difficilement conciliables de l’autorité, de la théologie et de la spiritualité 5 . D’un côté, un groupe de théologiens et prêtres, formés par l’université de Louvain à la théologie positive, défend une position documentaire et historiciste. Ils encouragent, sur un plan théologique autant que cultuel, une attitude mesurée et rigoureuse, invoquant l’obligation d’invariabilité et la fidélité aux sources scripturaires et patristiques. De l’autre côté, l’évêque de Gand, l’internonce, les ordres mendiants et les jésuites sont les champions d’une idéologie romaine qui privilégie la tradition orale transmise par la communauté vivante des croyants et sanctionnée par un pontife qui, comme successeur de Pierre, ne peut se tromper. Ceux-ci soutiennent par ailleurs, malgré quelques remontrances romaines, des formes de dévotion démonstratives, parfois ostentatoires, toujours affectives et sensibles. Les uns et les autres ne pouvaient s’entendre. Leur incompatibilité s’est cristallisée autour de l’Instructio. Nous allons voir comment. L’Instructio ad tyronem Vers 1665-1666, Pierre van Buscum rédige, à l’intention d’un jeune homme désireux d’aller étudier la théologie à Louvain, un bref manuel manuscrit intitulé Instructio ad tyronem theologum de methodo theologica octo regulis perstricta qu’il ne signe pas. Né à Malines vers 1620, il est licencié en théologie de l’université de Louvain et, en 1651, a pris possession de la cure de la cathédrale Saint-Bavon de Gand 6 . Lorsqu’il rédige son Instructio, il s’illustre par son opposition vive aux thèses diffusées par les jésuites belges selon lesquelles l’attrition est suffisante pour recevoir le sacrement de pénitence et 5 Bruno Neveu, « Juge suprême et docteur infallible : le pontificat romain de la bulle In eminenti (1643) à la bulle Auctorem fidei (1794) », in Érudition et religion aux XVII e et XVIII e siècles, Paris, Albin Michel, Histoire, 1994, p. 385-450. 6 Jean-François Foppens, Bibliotheca Belgica, sive virorum in Belgio vita, scriptisque illustrium catalogus, librorum nomenclatura, Bruxelles, Pierre Foppens, 1739, vol. 2, p. 959 ; Émmanuel-Auguste Hellin, Histoire chronologique des évêques, et du chapitre exemt de l’église cathédrale de S. Bavon à Gand ; suivie d’un recueil des épitaphes modernes et anciennes de cette église, Gand, Pierre de Goesin, 1772. <?page no="218"?> Annick Delfosse 204 la justification devant Dieu 7 . Avec Ignace Gillemans, archiprêtre, chanoine et censeur des livres de la même cathédrale de Gand, connu pour ses affinités avec les milieux jansénistes français et madrilène 8 , il mène un groupe de prêtres gantois qui soutient des positions doctrinales anti-laxistes. Ceux-ci obtiennent l’appui de Louvain à défaut de celui des évêques de Gand. Charles van den Bosch (1660-1665) puis Eugène-Albert d’Allamont (1666-1673), en effet, préférèrent se ranger du côté des jésuites et s’opposèrent durement à la congrégation que les curés avaient formée dans l’évêché. Tout au long des années 1660, le conflit est tendu, et l’on ne compta bientôt plus les récriminations, justifications, procès et condamnations opposant les curés de Gand et leur évêque. Les jésuites, de leur côté, menèrent la vie dure aux séculiers en multipliant les sermons incendiaires en chaire et les répliques théologiques virulentes. En 1667, Alexandre VII imposa le silence à chacun 9 . Il reconnaissait toutefois que la théorie attritioniste était la plus commune. Cependant, le clergé paroissial continua, au grand déplaisir de l’évêque et de l’internonce, à maintenir son énergique opposition aux thèses pénitentielles jugées laxistes 10 . Par ailleurs, au moment précis où Pierre van Buscum offre son manuel théologique au jeune étudiant de Louvain, la France s’agite autour de la signature du Formulaire et de la soumission de foi divine aux jugements posés sur les questions de fait par une Église susceptible, en cette matière, de se tromper. C’est empreint de ces débats que le chanoine propose dans son manuel huit règles théologiques élémentaires permettant, si elles sont strictement suivies, de ne pas errer et d’aller droit à la Vérité. Elles développent à cette fin un principe fondamental : toute définition théologique doit 7 L. Ceyssens, Sources 1661-1672, op. cit., p. XXX-LII. 8 En 1649, Ignace Gillemans (1620-1674) avait accompagné Jean Recht à Madrid pour obtenir l’appui royal dans la défense de Jansénius. À son retour, il aurait remis une série de documents à Antoine Arnauld qui les publia dans la Morale pratique des Jésuites. Il a ensuite été le secrétaire de l’évêque Antoine Triest. Il fut élu chanoine gradué de la cathédrale de Gand en 1657, puis nommé archiprêtre par l’évêque Eugène-Albert d’Allamont en 1668 (Lucien Ceyssens, « art. Gillemans, Ignace », in D.H.G.E., XX (1984), col. 1350-1351 ; Émile Jacques, Les années d’exil d’Antoine Arnauld, Louvain, Publications universitaires, 1976, passim). 9 A. Beugnet, « art. Attrition. Décret d’Alexandre VII », in D.T.C., I (1909), col. 2258-2262 ; L. Ceyssens, « Le décret du Saint-Office concernant l’attrition (5 mai 1667) », in Ephemerides Theologicae Lovanienses, XXV (1949), p. 83-91 ; Pierre Adnes, « art. Pénitence. Attritionisme-contritionisme aux 17 e -18 e siècles », in D.S., XII (1986), col. 986-993. 10 En 1669, Ignace Gillemans tint Antoine Arnauld informé du conflit en confiant certains documents y afférant au jeune Gilles de Witte (É. Jacques, op. cit., p. 74). <?page no="219"?> 205 Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) nécessairement se fonder sur l’Écriture ou la Tradition et fuir absolument les ratiocinations creuses des scolastiques, « maîtres aveugles de brebis errantes ». Cette instruction est également l’occasion pour van Buscum de prendre position sur l’autorité que détient l’Église pour définir infailliblement ce qui doit être reçu comme étant de fide. Cette autorité, il la reconnaît à l’Église assemblée en concile général dont les définitions sont « aussi certaines et infaillibles que l’Évangile lui-même ». Il la conteste, en revanche, au pape seul qui entreprend de définir la foi « sans l’approbation et le consensus des autres évêques ». Il refuse en outre l’adhésion de foi divine à des définitions élaborées par l’Église, même réunie en concile général, sur des questions de fait. Le manuscrit rédigé par Pierre van Buscum circule. Il semble même rencontrer un certain succès auprès des étudiants de Louvain qui se le transmettent pour le retranscrire 11 . Mais une copie finit par tomber, en 1671, entre les mains du jésuite Gilles d’Estrix (1624-1694) 12 . Celui-ci a été formé à Rome, au Collegio Romano, et est ensuite revenu prêter ses vœux dans les Pays-Bas d’où il est originaire. Après avoir enseigné la philosophie à Anvers, il a été désigné en 1663 pour prendre en charge l’enseignement de la théologie dans le collège de Louvain. Il s’est alors impliqué dans la querelle autour de la pénitence, défendant la suffisance de l’attrition contre les curés gantois et les théologiens louvanistes qui les soutiennent 13 . Quand il prend connaissance de l’Instructio, Estrix est sur le point de publier son grand-œuvre, le Diatriba theologica de Sapientia Dei 14 , dans lequel il défend des théories sur la foi probable et sur l’infaillibilité pontificale pour les questions de fait. La lecture du livret provoque sa colère. Afin de montrer aux étudiants en théologie que « cette instruction est pernicieuse et engendre l’opposition à l’autorité pon- 11 Rome, Archivum Romanum Societatis Iesu [ARSI], Flandro-Belgica [FB], vol. 67, f. 208r, Supplementum Historiae Collegii Gandensis 1672. 12 Albert Sohier, « Gilles d’Estrix, SJ (1624-1694). Un important controversiste oublié », in Gregorianum, XXVIII/ 2-3 (1947), p. 236-292 et Id., « art. d’Estrix, Gilles », D.H.G.E., XV (1963), col. 1092-1094. 13 Gilles d’Estrix, S.J., Decertatio historico-theologica pro mente Concilii Tridentini de vi attritionis sine amore amicitiae in sacramento comprobata nuper ex historia concilii nunc etiam enervatis vindiciis suppositae veritatis et caritatis confirmanda ac stabilienda, Malines, Gisbert Lints, 1669 ; Id., Confutatio suppositae Veritatis et caritatis nihilo plus sperantis ex historia Concilii Tridentini quam ex incolumitate doctrinae de contritionis perfectae necessitate ad sacramentum poenitentiae, Malines, Gisbert Lints, 1670. 14 Gilles d’Estrix, S.J., Diatriba theologica de Sapientia Dei Beneficia Optimi Mundi Architecta & Gubernatrice optima. De Sapientia Dei Verace, Ecclesiae in Mundo militantis Moderatrice, & Magistra sive Manuductio ad fidem divinam pervestigandam, confirmandam, expoliendam ; asserta potissimum Authoritate Romani Pontificis, eaque nulli obnoxia errori etiam in quaestione facti vulgo dicta, Anvers, Michel Cnobbaert, 1672. <?page no="220"?> Annick Delfosse 206 tificale et l’Église 15 », il entreprend de la réfuter dans la neuvième et dernière section de son traité prêt à paraître. Son argumentation s’articule essentiellement autour de trois points : l’apologie de l’infaillibilité pontificale contre les assertions de l’« Instructeur », un éloge énergique de la théologie scolastique malmenée par van Buscum, ainsi qu’une défense du concile de Trente, jugé sévèrement par le chanoine. Le Diatriba paraît au tout début de 1672. Quelques semaines après cette publication, on commence à vendre à Louvain un petit carnet imprimé sans nom d’auteur, sans nom de lieu et sans approbation reprenant le texte de l’Instructio qui jusqu’alors avait circulé dans des cercles privés sous forme manuscrite 16 . Était jointe à l’Instructio une Instructio vindicata, anonyme elle aussi, et pour le moins véhémente, répondant méthodiquement à chaque accusation d’Estrix 17 . Les exemplaires sont rapidement écoulés tant à Louvain qu’ailleurs dans le pays : ils se vendent à Bruges, à Malines, à Bruxelles, à Anvers et aussi, semble-t-il, en Hollande 18 . L’évêque de Gand, Eugène-Albert d’Allamont, mène une enquête, découvre qui en est l’imprimeur, lui achète les quatre cents exemplaires restants de l’Instructio et tente d’obtenir de lui les noms de l’auteur et du censeur 19 . En outre, il lui interdit, ainsi qu’à tous les autres imprimeurs de la cité, de republier l’ouvrage, espérant faire cesser définitivement la distribution du libelle qu’il juge scandaleux. Dans le courant du mois de février pourtant, le texte est réimprimé. Si la nouvelle édition ne porte toujours pas le nom de l’imprimeur - un témoin affirme cependant que l’impression aurait été faite à Bruges 20 -, elle contient cette fois un avis au lecteur signé par van Buscum lui-même, désormais élu chanoine gradué (1666), puis pénitencier (1668) de la cathédrale, ainsi que l’approbation de son ami Ignace Gillemans, toujours censeur des livres. Le premier donne les 15 Hoc ostendam, Tyronibus Theologis perniciosam esse instructionem, atque ad Pontificiae authoritatis ipsiusque Ecclesiae vilipensionem ingenerandam isti aetati praeclare adornatam (Ibid., p. 270). 16 Instructio ad tyronem theologum de methodo theologica octo regulis perstricta, s.l.n.d., in-8, 30 p. 17 Instructio ad tyronem theologum de methodo theologica octo regulis perstricta ab Insulsis Jesuitae Estrix cavillis vindicata, s.l.n.d., in-8, 35 p. 18 Gratien de Saint-Élie, O.Carm., à Séraphin de Jésus-Marie, O.Carm., Gand, 14 avril 1672 (Lucien Ceyssens, « De carmelitana actione antijansenistica iuxta chartas P. Seraphini a Jesus Maria », in Analecta Ordinis Carmelitarum, XVII (1952), p. 27). 19 Rome, A.S.V., Segr. Stato, Fiandra, vol. 205, non fol., relation anonyme des événements. Cette relation est largement favorable à l’évêque de Gand dont l’auteur veut défendre la réputation et l’autorité exposée, par Gillemans et van Buscum, « au mépris public ». 20 Ibid. <?page no="221"?> 207 Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) raisons de sa publication : il juge le Diatriba d’Estrix insultant et veut prouver l’orthodoxie de ses positions doctrinales. Il semble, de l’aveu d’Estrix lui-même, que cette nouvelle édition s’épuise vite et que ses auteur et censeur soient contraints de réimprimer le libelle à plusieurs reprises, chaque fois sur des presses différentes. Les véhémentes « revendications » qui avaient accompagné la première publication du texte sont cependant vite abandonnées pour préférer une Defensio plus claire, moins virulente, plus soignée, mais toujours anonyme 21 . Réactions et oppositions À Bruxelles, comme à Gand, l’on s’inquiète. Le 5 mars, Airoldi envoie à Rome l’Instructio et la Defensio, pour qu’elles soient examinées par le Saint-Office 22 . De son côté, l’évêque de Gand s’entoure de quelques théologiens notoirement antijansénistes, décidé à obtenir d’eux un soutien dans son opposition aux chanoines. Parmi eux, l’on rencontre deux jésuites : Gilles d’Estrix, évidemment, mais également, Maximilien Le Dent (1619-1688), lui aussi acteur important de la controverse attritioniste, lui aussi professeur de théologie au collège de Louvain et, par ailleurs, confesseur du gouverneur-général, le comte de Monterey 23 . On y trouve encore le provincial des carmes déchaux, François de Bonne-Espérance (1617-1677) qui, comme les premiers, était intervenu dans la controverse entre attrition et contrition, en proposant toutefois une position médiane 24 . Se joignent à ceux-ci le récollet Willem Herincx (1621-1678), lecteur en théologie à Louvain et futur évêque d’Ypres 25 , 21 Defensio Petri Van Buscum adversus ea quae P. Aegidius Estrix Societ. Jesu in libro a se edito cui titulus Diatriba theologica etc. opponit Instructioni ad Tyronem theologum etc., Gand, François d’Ercle, 1672, in-8, 63 p. 22 Carlo-Francesco Airoldi à Paoluzzo Altieri, Bruxelles, 5 mars 1672 (Rome, A.S.V., Segr. Stato, Fiandra, vol. 61, f. 177-178, copie ; publié par L. Ceyssens, Sources 1661-1672, op. cit., doc. 482, p. 481). 23 É. Amann, « art. Le Dent, Maximilien », in D.T.C., IX (1926), col. 125-126 ; Willem Audenaert, Prosopographia Iesuitica Belgica Antiqua (PIBA) : a biographical dictionary of the Jesuits in the Low Countries, 1542-1773, Louvain, Filosofisch en Theologisch College S.J., 2000, vol. 1, p. 283. 24 François de Bonne-Espérance, O.Carm., Christi Fidelium parochiale apologeticum, Malines, Gisbert Lints, 1667 ; Id., Christi Fidelium contritionale, Malines, Gisbert Lints, 1667 ; Id., Clypeus contritionalis, Anvers, M. Parys, 1670. - Jacob Schmutz, Scholasticon [en ligne], http : / / www.scholasticon.fr (22 janvier 2008). 25 Servais Dirks, Histoire littéraire et bibliographie des frères mineurs de l’observance en Belgique (…), Anvers, 1886, p. 256-260 ; Édouard d’Alençon, « art. Herincx, Willem », in D.T.C., VI (1914), col. 2260-2261 ; Jacob Schmutz, Scholasticon [en ligne], http : / / www.scholasticon.fr (22 janvier 2008). <?page no="222"?> Annick Delfosse 208 ainsi que celui que Lucien Ceyssens appelle le « professeur improvisé », Nicolas du Bois (c. 1620-1696), directeur depuis peu du Séminaire du Roi à Louvain et professeur d’Écriture Sainte sans avoir obtenu le moindre grade en théologie 26 . D’Allamont leur demande de prendre la plume contre Pierre van Buscum et Ignace Gillemans. C’est ainsi que François de Bonne-Espérance, qui reçoit les deux libelles à la fin du mois de mars, en fait un examen théologique pointilleux sur le mode de la disputatio quodlibétique et, de quaestio en refutatio, conclut en dénonçant leur caractère hérétique, anti-pontifical et pernicieux 27 . Au même moment, Gilles d’Estrix entame la rédaction de l’Apologia pro summis pontificibus, où il répond en deux temps à l’Instructio et à sa Defensio. Il y reprend, pour l’essentiel, l’argumentation du Diatriba qu’il développe cependant en insistant particulièrement sur l’infaillibilité personnelle du pontife et son autorité à établir des définitions de foi divine sur des questions de fait 28 . Le 27 avril, ce petit comité se rassemble pour une réunion de quatre heures chez l’internonce : les condamnations de Bonne-Espérance et d’Estrix sont examinées par l’assemblée qui encourage leur publication. Quelques jours plus tard, Nicolas du Bois donne son accord, comme censeur ordinaire, pour l’impression du texte de Bonne-Espérance, déjà approuvée par le censeur des carmes depuis le 20 avril. Le livre d’Estrix est, lui, approuvé par le provincial jésuite, puis par Aubert van den Eede, chanoine anversois. L’internonce, cependant, a donné l’ordre d’attendre prudemment la réponse du Saint-Office sur le sujet et a finalement décidé d’interdire ces publications 29 . Estrix n’en a cure et dévoile son texte. Suivant le mouvement, l’imprimeur de Bonne-Espérance, Henri Fricx, décide, puisqu’il a reçu approbation et privilège, d’imprimer à son tour le texte du carme, sous prétexte qu’une suspension de l’impression lui ferait perdre quatre cents florins 30 . Il a probablement été poussé à prendre cette décision par Bonne-Espérance lui-même, intimement convaincu de la faiblesse de l’argumentation d’Estrix - qu’il juge 26 L. Ceyssens, Sources 1661-1672, op. cit., p. LXXII et suiv. 27 François de Bonne-Espérance, O.Carm., Examen theologicum super regulis octo ex Instructione R. Adm. D. Petri van Buscum, &c. et huius ab eodem Defensione, Bruxelles, Henri Fricx, 1672, in-4, 72 p. 28 Gilles d’Estrix, S.J., Apologia pro summis pontificibus romanis, generalibus conciliis & ecclesia catholica contra D. Petri van Buscum S.T.L. Eccl. Cath. S. Bavonis Can. ; & Poenitentiarii Instructionem ad Tyronem theologum de metodo teologica octo regulis perstricta eiusdemque instructionis defensionem, et vindicias, Anvers, Michel Cnobbaert, 1672, in-4, 94 p. 29 François de Bonne-Espérance, O.Carm., à Séraphin de Jésus-Marie, O.Carm., Gand, 28 mai 1672 (L. Ceyssens, Sources 1661-1672, op. cit., doc. 496ter, p. 495). 30 Ibid., p. 496. <?page no="223"?> 209 Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) incomplète et superficielle - et de l’absolue solidité de la sienne. Si l’Apologia ne s’attache qu’à l’autorité pontificale dans les questions de fait, son ouvrage, dit-il à Séraphin de Jésus-Marie, carme à Rome, oppose des centaines d’arguments aux livres de van Buscum que ni l’auteur, ni les « théologiens de la Sorbonne » ne pourront contrer 31 . Sur la base de cet argumentaire, le Saint-Office devrait sans difficulté ou pousser van Buscum à se rétracter, ou le condamner, comme il l’a fait pour Michel de Bay in illo tempore. Le glissement vers le débat immaculiste À l’occasion de la réunion chez l’internonce, l’assemblée met par ailleurs au point un décret destiné à condamner les deux chanoines. Le 29 avril, d’Allamont publie des mesures strictes contre van Buscum et Gillemans : ceux-ci sont suspendus de toutes leurs fonctions 32 . Cette punition lourde est alors expliquée par un seul motif : celui d’avoir, par l’Instructio, gravement porté atteinte à la Vierge en lui refusant le privilège de l’Immaculée Conception. L’instructeur et le censeur auraient ainsi contrevenu à la bulle Sollicitudo omnium ecclesiarum d’Alexandre VII (1661) et doivent dès lors encourir les peines qui y sont stipulées. L’argument n’est pas neuf. Déjà, Estrix, dans son Diatriba puis dans l’Apologia, s’était plaint des « propos désespérants » du chanoine au sujet de l’Immaculée Conception. De la même manière, Bonne- Espérance avait entrepris de montrer dans son Examen theologicum que van Buscum péchait contre la constitution alexandrine. Mais, par son décret, d’Allamont fait de l’argument immaculiste le seul argument de condamnation du livret et déplace les débats sur un autre plan. L’argument central de la querelle touche désormais presque exclusivement à la défense du culte marial négligeant l’apologie explicite de l’infaillibilité et de l’autorité romaine, bien que celles-ci continuent à sous-tendre la controverse. Que trouve-t-on dans l’Instructio qui donne lieu à cette argumentation ? La règle 7 de l’Instructio affirme que « pour démontrer que quelque chose est ou n’est pas de fide, il est requis et il suffit de prouver qu’il est contenu dans l’Écriture ou la Tradition ». La règle est ainsi explicitée : Il est démontré que ne sont pas de foi, ou ne peuvent être crues de foi divine, les révélations de Brigitte, d’Hildegarde, de l’évêque Malachie, etc. De même des canonisations des saints, de même des décisions & définitions de l’Église même en Concile général au sujet des questions de fait. 31 Ibid. 32 Décret d’Eugène-Albert d’Allamont du 29 avril 1672 (L. Ceyssens, Sources 1661- 1672, op. cit., doc. 490, p. 486-487). <?page no="224"?> Annick Delfosse 210 De la même manière, les choses que l’Église permet aux fidèles de croire pieusement, mais dont on ne peut prouver qu’elles sont contenues dans l’Écriture ou la Tradition, c’est-à-dire le Mystère de l’Immaculée Conception de la Sainte Vierge, qui est soutenu comme vrai pour de nombreuses raisons mais, par un défaut de l’Écriture et de la Tradition ne peut être de foi 33 . Van Buscum fait donc de l’Immaculée Conception, au détour d’une leçon de théologie biblique et positive, un mystère pouvant être honoré pieusement, mais refuse que celui-ci soit embrassé et reçu comme une vérité de foi divine. Dans les Pays-Bas espagnols, cette proposition ne pouvait que provoquer une importante crispation dans le camp désormais triomphal des partisans de l’Immaculée Conception. Depuis 1616, ceux-ci ont œuvré avec la monarchie espagnole à faire de ce mystère un dogme de foi 34 . Les franciscains et la Compagnie de Jésus ont été les principaux acteurs de ce mouvement, mais les Archiducs Albert et Isabelle, ainsi que leurs successeurs à la tête du pays, ont eux aussi été d’ardents champions du mystère. La campagne fut longue et insistante. Si les immaculistes ont rapidement obtenu de la papauté que les thèses soutenant la conception maculée de la Vierge ne puissent être débattues ni en public, ni en privé, ils ont continué pendant plusieurs décennies à rencontrer à la fois l’opposition des théologiens thomistes et le refus de Rome de trancher définitivement une querelle trop vive. Progressivement cependant, ils ont multiplié les victoires, grandes et petites, parvenant par exemple à faire prêter par les États du Brabant, le 8 décembre 1659, jour de la fête de l’Immaculée Conception, le serment de défendre toujours la Vierge 35 . Deux ans plus tard, ils fêtent dans les Pays-Bas, comme en Espagne, la publication par Alexandre VII de ladite bulle Sollicitudo omnium ecclesiarum (8 décembre 1661). Celle-ci, si elle ne définit pas le mystère comme dogme, encourage cependant la dévotion à l’Immaculée Conception, réinstaure sa fête solennelle 33 Hoc modo demonstatur non esse de fide, aut fide divina credendas revelationes Brigittae, Hildegardis, Malachite Episcopi etc. item canonizationes sanctorum, item decisiones & definitiones Ecclesiae etiam in Concilio generali de quaestonibus facti : item ea quae permittuntur per Ecclesiam a fidelibus pie credi, probari tamen non possunt contineri in Scriptura vel Traditione, v. g. mysterium Immaculatae Conceptionis Beatae Virginis, quod quidam ob multas rationes sustinetur ut verum, sed defectu Scripturae, & Traditionis de fide non esse potest (Instructio ad tyronem…, op. cit., p. 20-21). Nous traduisons et soulignons. 34 Pour l’Espagne, voir Suzan Stratton, The Immaculate Conception in Spanish Art, Cambridge, Cambridge University Press, 1994 ; pour les Pays-Bas, Annick Delfosse, « La Protectrice du Païs-Bas ». Stratégies politiques et figures de la Vierge dans les Pays-Bas espagnols, Turnhout, Brepols, 2009, p. 149-195. 35 A. Delfosse, op. cit., p. 183-189. <?page no="225"?> 211 Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) et renouvelle les précédents décrets pontificaux interdisant toute affirmation privée ou publique selon laquelle la Vierge a été conçue dans le péché. La bulle est accueillie dans la liesse et renforce l’assurance des partisans de l’Immaculée Conception dont le dominicain belge Thomas Leonardi (1596/ 1600-1668) fut la première victime. À la demande du nonce Girolamo di Vecchi (1656-1665), il tentait alors de se défaire de sa réputation janséniste et d’obtenir les faveurs du Saint-Siège en rédigeant contre le protestant Jean-George Dorche (1597- 1659) un traité sur le péché et la grâce 36 . Dans celui-ci, il avait adopté, fidèle à la théologie thomiste, une position maculiste, rappelé la nécessité de ne pas entraver la réflexion en acceptant le silence imposé par les décrets pontificaux et affirmé que si l’Immaculée Conception pouvait être célébrée pieusement, rien n’obligeait les fidèles à y croire de foi divine. Ce passage irrita au plus haut point les champions de la doctrine récemment exaltée par la bulle alexandrine et menaça un temps la réhabilitation du théologien qui dut faire amende honorable. Par ailleurs, en 1665, alors que très vraisemblablement van Buscum rédigeait son Instructio, la Congrégation des Rites avait autorisé les Pays-Bas à célébrer la fête de l’Immaculée Conception avec octave. Peu après, le pape publiait un décret rétablissant l’office et la messe de praecepto de l’Immaculée Conception, supprimés par Urbain VIII en 1642. Les immaculistes triomphent, et l’on comprend pourquoi d’Allamont, pieux dévot à la Vierge, s’offusque de l’Instructio de van Buscum : à ses yeux, elle est une injure à la Mère de Dieu, au pape qui a favorisé la fête et au roi d’Espagne qui a obtenu de celui-ci la fameuse bulle. De la même manière, le gouverneur-général, le comte de Monterey, sollicité par Airoldi et d’Allamont, se montre « particulièrement irrité par l’article qui parle avec préjudice de l’Immaculée Conception, contrevenant en cela au bref d’Alexandre VII, émané à l’instance du roi Philippe IV 37 ». Il veut faire examiner les ouvrages pour faire éventuellement châtier les « rebelles ». Il semble cependant que les intentions du gouverneur n’aient pas été suivies des faits. L’évêque, au contraire, punit sévèrement ses chanoines et, conformément aux clauses pénales insérées dans la bulle, les prive de leur faculté de prêcher, de lire en public, d’enseigner et d’interpréter, ainsi que de voix, et passive et active, dans toute élection 38 . Mais l’Instructeur et son censeur font appel de la 36 Thomas Leonardi, O.P., Angelicis doctoris D. Thomae Aquinatis sententia de prima hominis institutione, eius per peccatum corruptione, illiusque per Christum reparatione, tribus libris comprehendens, adversus Joannem Georgium Dorschaeum, doctorem lutheranum, Bruxelles, Balthasar Vivien, 1661. 37 Carlo-Francesco Airoldi à Paoluzzo Altieri, Bruxelles, 5 mars 1672 (Rome, A.S.V., Segr. Stato, Fiandra, vol. 61, f. 177r-v, copie). 38 […] per praesentes subiicimus, etiam concionandi, publice legendi, seu docendi et interpretandis facultate, ac voce activa et passiva in quibuscumque electionibus eo ipso absque <?page no="226"?> Annick Delfosse 212 décision, d’abord auprès de l’internonce, puis auprès du Saint-Siège, estimant que la procédure de jugement n’a pas été suivie. En effet, ni l’un ni l’autre n’a été cité à comparaître par l’évêque et n’a pu se défendre. Les chanoines finissent par obtenir que l’affaire soit revue par trois juges, à savoir l’archevêque de Malines, Alphonse de Berghes, l’évêque de Namur, Ignace-Augustin de Grobbendonck, et l’évêque de Bruges, François de Baillencourt 39 . Commencent alors d’infinies tracasseries juridiques. D’Allamont demande à Nicolas du Bois de l’aider à justifier sa condamnation. Ce dernier réunit l’ensemble des pièces qui ont conduit l’évêque à poser son jugement afin de faire connaître aux juges délégués les raisons du procès 40 . Le dossier est également envoyé à la Congrégation du Saint-Office. Son préfet, le cardinal Francesco Barberini (1595-1679), répond en juillet que l’affaire est prise en main par Rome et invite instamment l’évêque à réprimer tout conflit entre les parties jusqu’à ce que la Congrégation ait statué 41 . Entretemps cependant, l’évêque, voyant que le clergé séculier ne le soutient guère et met en doute sa manière de procéder dans son opposition aux chanoines, fait distribuer le 13 juin à tous les curés et pasteurs de son diocèse ladite Justification. Il y joint une circulaire, également rédigée par Nicolas du Bois, où il se présente comme le garant d’une « saine doctrine » et le défenseur d’un culte marial promu par le Saint-Siège ainsi que par la Couronne d’Espagne 42 . Il montre sa crainte de voir les âmes simples scandalisées par l’Instructio, invoque la ruine spirituelle du pays qu’entraîne forcément pareil ouvrage et exige la rétractation des chanoines qu’il accuse de jansénisme. En réponse, van Buscum et Gillemans publient un Motivum iuris qu’ils alia declaratione privatos esse volumus, necnon ad concionandum, publice legendum, docendum et interpretandum perpetuae inhabilitatis poenas ipso facto incurrere absque alia declaratione (Alexandre VII, Sollicitudo omnium ecclesiarum, 8 décembre 1661, clauses pénales, publié in extenso dans le Bullarium diplomatum et privilegiorum sanctorum romanorum pontificum, sous la dir. de Aloys Bilio, t. XVI (Alexandre VII), Turin, A. Vecco et soc., 1869). 39 Gand, Rijksarchief, Bisdom, B 900/ 2, Actes de Charles-François Airoldi du 16 juin 1672 (publié par L. Ceyssens, Sources 1661-1672, op. cit., doc. 503, p. 502-503). 40 Nicolas du Bois, Justificatio processus Eugeni Alberti, Gandensis episcopi, in causa Ignatii Gillemans S.T.L. Archipresbyteri et Petri van Buscum Poenitentiari, qui de immaculata conceptione B. Mariae Virginis minus recte sentire visi sunt, in-4, 54 p. 41 Francesco Barberini à Eugène-Albert d’Allamont, Rome, 23 juillet 1672 (Gand, Rijksarchief, Bisdom, B 900/ 2 ; publié par L. Ceyssens, Sources 1661-1672, op. cit., doc. 514, p. 510-511). 42 Eugène-Albert d’Allamont, Sollicitudo Pastoralis officii, & animarum cura, angelicis humeris formidabilis, Gand, 13 juin 1672 (publiée par Fr.-X. de Ram, Synodicon Belgicum sive acta omnium ecclesiarum Belgii a celebrato concilio tridentino usque ad concordatum anni 1801, t. IV, Malines, J. Hanicq, 1839, p. 327-329). <?page no="227"?> 213 Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) soumettent à l’évêque de Bruges 43 . Ils n’ont de cesse d’y démontrer qu’ils ne s’opposent pas aux décisions alexandrines, puisqu’ils ne soutiennent pas des positions maculistes, mais qu’ils revendiquent seulement le fait que l’Immaculée Conception n’est pas, par manque d’éléments scripturaires, une vérité dogmatique. La référence à l’Immaculée Conception dans l’Instructio a, en outre, été insérée incidemment et n’en constitue guère le fondement principal. La crainte du scandale est une chimère et aucune injure n’a été faite à la sentence pontificale : ils refusent fermement de se rétracter. Ils proclament enfin leur dévotion mariale et leur désir d’être les émules des vertus de la Vierge, mais refusent de mettre pour autant de côté la « doctrine du Fils » 44 . On remarquera que l’évêque de Gand et le groupe dont il s’entoure ne sont pas les seuls à craindre l’Instructio pour la menace qu’elle représenterait à l’égard du culte marial. Le prieur du couvent des carmes déchaux de Malines, Michel de Saint-Augustin, considère ainsi que le refus d’une définition de foi divine de l’Immaculée Conception, tel qu’il le voit s’affirmer de plus en plus ostensiblement en Belgique, est une preuve flagrante de la consolidation du jansénisme dans le pays. Il évoque le cas d’un capucin, prédicateur à Enghien : celui-ci dit faire peu de cas du pontife et de ses décrets, en ajoutant qu’il ne croirait pas en l’Immaculée Conception « même si le pontife la définissait comme étant de fide 45 ». Michel de Saint-Augustin désigne alors van Buscum comme le chef de file du mouvement et assure également qu’il « infecte les monastères de moniales ». Ainsi, une tertiaire de Gand, Livina Que- 43 Motivum iuris pro RR. Admodum DD. Ignatio Gillemans & Petro van Buscum, S.T.L. exemptae Ecclesiae Cathedralis S. Bavonis Gandavi canonicis & respective archipraesbitero ac poenitentiario, appellantibus in causa pendente coram Illustrissimo ac Reverendissimo Domino episcopo Brugensi, deputato apostolico contra Decretum Illustrissimi ac Reverendissimi Domini Episcopi Gandensis emanatum 29 aprilis 1672. In quo una refelluntur Responsiones Domini Nicolai Du Bois theologi et jurisconsulti, SS. Litterarum Professoris primarii pro Iustificatione processus eiusdem D. Ep. Gand, s.l.n.d., 50 p. Nicolas du Bois réfutera systématiquement cette défense dans l’Examen Motivi iuris pro RR. Admodum DD. Ignatio Gillemans et Petro van Buscum S.T.L.L. exemptae Ecclesiae Cathedralis S. Bavonis Gandavi Canonicis, & respective Archipresb. Ac Poenitentiar. Appellantibus in causa pendente coram Illustrissimo ac Reverendissimo Domino D. Episcopo Brugensi contra Decretum Illustrissimi ac Reverendissimi Domini D. Episcopi Gandensis, emanatum 29 aprilis 1672. In quo una refelluntur responsiones D. Nicolai Dubois, theol, & juriscons. SS. Litterarum Profess. Primarii pro justificatione Processus eiusdem D. Ep. Gand., Malines, Gisbert Lints, s.d. [1672], 34 p. 44 Utinam obtentu promovendi cultum Matris, non remorentur doctrinam Fili (Motivum iuris…, op. cit., p. 48). 45 Michel de Saint-Augustin, O.Carm., à Séraphin de Jésus-Marie, O.Carm., Malines, 27 mai 1672 (L. Ceyssens, Sources 1661-1672, op. cit., doc. 496bis, p. 494). <?page no="228"?> Annick Delfosse 214 drix, aurait rapporté que van Buscum se rirait des dévotions au rosaire et au scapulaire qui conduiraient droit au Démon. Le même van Buscum lui aurait demandé de renoncer au culte des saints et aurait condamné violemment les canonisations récentes, comme celles d’Ignace de Loyola (1622) ou de la carmélite Marie-Madeleine de Pazzi (1669). Le prieur carme semble désespéré : le jansénisme reprend vigueur et le pays gît dans un état lamentable 46 … À Rome Le débat autour de l’Instructio n’agite pas seulement les Pays-Bas. Rapidement, il se déplace de Gand à Rome, où arrivent les libelles autant que les rumeurs. Dans la cité pontificale, Giovanni Bona (1609-1674), consulteur à la Congrégation de l’Index et au Saint-Office, soutient ouvertement van Buscum et Gillemans 47 . Les échanges entre les chanoines et le cardinal ont commencé tôt, dès le début des tensions provoquées par la publication du manuel. Van Buscum avait alors envoyé à Bona, espérant son appui, l’Instructio, la Defensio et le Diatriba d’Estrix. Dans sa réponse, comme dans chacune des lettres qui suivront, Bona se montre convaincu de l’orthodoxie de la doctrine des chanoines gantois et affirme être leur défenseur devant le Saint-Office 48 . Il œuvre par ailleurs à faire condamner par le tribunal romain les traités accusateurs d’Estrix. Giovanni Bona est discrètement soutenu par Antoine Durban (1626-1697), envoyé à Rome en 1672 comme procureur général de la Congrégation de Saint-Maur près du Saint-Siège 49 . Dès le mois de mai, celui-ci envoie régulièrement au bibliothécaire de Saint-Germain-des- Prés, dom Luc d’Achery, des nouvelles sur les progrès de l’affaire 50 . Les mau- 46 Quae tunc scripsi de lamentabili statu, in dies, heu ! nimium confirmantur. Nam jansenismus mirabiliter invalescit (Ibid., p. 492-493). 47 Sur Giovanni Bona, voir L. Ceyssens, « art. Bona, Giovanni », in Dizionario biografico degli Italiani, II (1969), p. 442-445. Il y fait la synthèse de ses précédents travaux, approfondissant notamment son article « Le cardinal Bona et le jansénisme. Autour d’une récente étude », in Benedictina, X (1956), p. 79-120 et 267-328, où il répondait à Guido Pettinati, « Il cardinal Giovanni Bona e il Giansenismo… », op. cit., 1953. 48 Giovanni Bona à Pierre van Buscum, Rome, 9 avril, 3 mai, 17 septembre, 29 octobre 1672 et 26 novembre 1673 (Robert Sala (éd.), Joannis Bona Epistolae selectae aliaeque eruditorum sui temporis virorum ad eumdem scriptae, Turin, 1755 ; L. Ceyssens, Sources 1661-1672, op. cit.). 49 R. Limouzin-Lamothe, « art. Durban, Antoine », in Dictionnaire de biographie française, XII (1970), col. 736-737. 50 G. Charvin, « La correspondance des procureurs généraux de la Congrégation de Saint-Maur près de la Cour de Rome », in Revue Mabillon, XXII (1932) et XXIII (1933), passim. <?page no="229"?> 215 Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) ristes se montrent attentifs et favorables aux thèses rigoristes de van Buscum. Lorsque Jean Mabillon, assistant de d’Achery à la bibliothèque, se rend dans les Pays-Bas dans le courant de l’été 1672, il prend d’ailleurs soin d’expédier à Paris des libelles concernant la querelle de l’Instructio et rencontre Pierre van Buscum dès son arrivée à Gand 51 . De son côté, en Belgique, van Buscum ne se prive pas de faire connaître largement l’appui qu’il reçoit de Rome. En exhibant les lettres de Giovanni Bona, il se présente comme autorisé à continuer à diffuser ses enseignements 52 . L’internonce et l’évêque s’en irritent et écrivent au cardinal à plusieurs reprises, tandis que chez les carmes déchaux des Pays-Bas, les rumeurs circulent : le cardinal est trop proche de van Buscum qui proclame partout que Bona est son protecteur et donc trop proche des « hérésies qui, peu à peu, se répandent en cachette 53 ». Le chanoine a aussi des opposants à Rome même. Car si, aux dires de Durban, son affaire est dans un premier temps examinée « un peu mollement 54 », il semble qu’ensuite les jésuites entreprennent de convaincre tout Rome du caractère hérétique du libelle, laissant Bona fort seul dans sa campagne de soutien 55 . C’est probablement à ce moment-là que l’Italien Ippolito Marracci (1604-1675) prend connaissance du manuel gantois. Ce clerc de l’Ordre de la Mère de Dieu, dévot exalté de la Vierge, plusieurs fois recteur de la communauté romaine de Santa Maria in Campitelli, est depuis des décennies un ardent défenseur de l’Immaculée Conception et a écrit sur le sujet pléthore de libelles 56 . Son combat en faveur du mystère lui a d’ailleurs 51 D. Ursmer Berlière, « Mabillon et la Belgique », in Revue Mabillon, IV (1909), p. 19 ; G. Charvin, « La correspondance des procureurs généraux… », op. cit., XXIII (1933), p. 73. - À titre d’information, lorsqu’Arnauld se réfugiera à Gand, il recevra aussi la visite de Pierre van Buscum (É. Jacques, op. cit., p. 134 et passim). 52 Carlo-Francesco Airoldi à Giovanni Bona, Bruxelles, 14 mai 1672 (L. Ceyssens, Sources 1661-1672, op. cit., doc. 495bis, p. 491). 53 Jacques de la Passion, O.Carm., à Séraphin de Jésus-Marie, O.Carm., Malines, 14 juillet 1673 (L. Ceyssens, La seconde période du jansénisme, op. cit., t. I, doc. 83, p. 70). 54 Antoine Durban à Luc d’Achery, Rome, [20-25 juin 1672] (G. Charvin, « La correspondance des procureurs généraux … », op. cit., XXII (1932), p. 122). 55 Antoine Durban à Luc d’Achery, Rome, 11 octobre 1672 (G. Charvin, « La correspondance des procureurs généraux … », op. cit., XXIII (1933), p. 69). 56 P. Francesco Petrillo, O.S.M., Ippolito Marracci. Protagonista del movimento mariano del secolo XVII, Rome, edizioni Confortane, 1992 (= Monumenta Italica Mariana. Studi e testi, 1) ; P. Gabriele Roschini, O.S.M., « Un grande precursore dell’era mariana : il P. Ippolito Marracci, O.M.D. », in Alma Socia Christi. Acta congressus mariologici-mariani Romae anno sancto MCML celebrati, vol. 11 (De mariologia in genere nonnulisque privilegiis ac muneribus Almae Sociae Christi), Rome, Academia Mariana - Officium libri Cattolici, 1953, p. 219-232. <?page no="230"?> Annick Delfosse 216 valu, à Rome même, de nombreux soucis avec les Maîtres du Sacré Palais, les dominicains Raimondo Capizucchi, puis Giacinto Libelli. Ainsi, ami proche du franciscain Pedro Alva y Astorga, qui s’était installé dans les Pays-Bas pour y faire imprimer une vaste anthologie immaculiste sur les presses de la Typographia Immaculatae Conceptionis, il avait soutenu ce dernier en 1665 dans son opposition houleuse aux dominicains louvanistes, entrant une première fois dans le champ polémique belge. Cette prise de position lui avait valu la condamnation du Sacré Palais pour être intervenu dans des débats interdits par la bulle Sollicitudo : il avait donc été soumis, ironie du sort, aux mêmes peines que van Buscum et Gillemans qu’il vilipendera par la suite. Il obtint cependant l’absolution du Saint-Office le 21 janvier 1671. C’est donc rentré en grâce qu’il rédige, contre l’Instructio, un traité resté manuscrit et intitulé La fausse instruction autour de la définition du mystère de l’Immaculée Conception 57 . L’ouvrage polémique est malheureusement aujourd’hui perdu, mais son titre seul montre qu’une nouvelle fois, sous la plume de Marracci, le libelle gantois fut condamné comme une perfidie anti-immaculiste. Les Monita salutaria En octobre 1672, le conflit semble s’apaiser : François de Baillencourt, à qui il revint in fine de juger l’affaire, parvient à ce que d’Allamont suspende sa condamnation jusqu’à ce que le Saint-Siège ait émis son jugement définitif. Les requérants, de leur côté, acceptent de se soumettre à la sentence romaine, quelle que soit son issue. Le procès est donc réglé à l’amiable. L’évêque de Gand, cependant, inquiet des soutiens que ses chanoines semblent trouver auprès du Saint-Siège, écrit directement à Clément X pour justifier sa condamnation en invoquant la nécessité de lutter contre le développement du jansénisme dont il dit craindre la contagion, depuis la Belgique, à toute l’Église catholique 58 . 57 Ippolito Marracci, O.S.M., Instructio falsa circa definitionem mysterii Conceptionis Immaculatae Deiparae Virginis Mariae, vera instructione confutata, seu opusculum in quo contra instructionem D. Petri van Buschum, sacrae Theologiae licentiati et Ecclesiae cathedralis Sancti Bavonis Gandavi canonici, et poenitentiari in suo libello praenotato ; « Instructio ad Tyronem Theologum de methodo theologico octo regulis restricta », Gandavi 1672, falso Tyronem suum docentis mysterium Immaculatae Conceptionis Beatae Virginis, ex defectu Scripturae et Traditionis non posse ab Ecclesia definiri de fide, vera instructione ostenditur huiusmodi mysterium ex his capitibus posse definiri. Cité par F. Sarteschi, De scriptoribus Congregationis Clericorum Regularium Matris Dei, Rome, Rotili et Bacchelli, 1753, p. 144, n. XXXIX. 58 Eugène-Albert d’Allamont au pape Clément X, Gand, 20 janvier 1673 (Rome, A.S.V., Segr. Stato, Vescovi e Prelati, vol. 59, f. 47-50). <?page no="231"?> 217 Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) Si son appel est désespéré, il n’obtient cependant pas de Rome la réponse attendue : on lui annonce en mars 1673, par l’entremise d’Airoldi chargé de lui communiquer adroitement la nouvelle, que son procès contre les chanoines a été déclaré nul en raison du problème de procédure déjà relevé par Pierre van Buscum et Ignace Gillemans 59 . On lui rappelle en outre, avec assez de sécheresse, que la Congrégation du Saint-Office a coutume d’examiner attentivement les questions qui touchent les dogmes de la foi et qu’il ne doit pas conclure, d’une apparente lenteur romaine, que le Saint-Siège néglige cette affaire. La Congrégation continue donc à mener l’examen approfondi des livrets. Toutefois, la sentence de Rome tarde toujours à tomber. Entretemps, Airoldi est remplacé en mars 1673 par Ottavio Falconieri (1673-1674) et d’Allamont, parti demander à la Couronne d’Espagne la décharge d’une pension annuelle de six mille florins que l’évêché de Gand devait verser au diocèse de Ruremonde, meurt à Madrid le 1 er août de la même année. Le siège vacant, le chapitre élit cinq chanoines-vicaires parmi lesquels, au grand dam des jésuites gantois, Ignace Gillemans 60 . Au mois de novembre suivant, par ailleurs, commence à circuler, sous le titre de Monita salutaria Beatae Virginis Mariae ad cultores suos indiscretos, un nouveau libelle anonyme, approuvé, une fois encore, par Ignace Gillemans 61 . Le court livret met en scène la Vierge exhortant directement ses dévots à plus de modération : elle appelle à la pénitence, refuse d’être honorée du même culte que celui qui doit être rendu à Dieu seul, exhorte à honorer avant tout le Saint-Sacrement, condamne les ors et les parures dont sont couvertes ses statues au détriment de la charité envers les pauvres, réprouve l’usage abusif de ses images miraculeuses et blâme, enfin, la violence des querelles théologiques nées autour de sa personne. Les réactions, dans les milieux monastiques et cléricaux, ne sont pas uniformes. Mais si d’aucuns, même chez les jésuites, adoptent une position modérée 62 , 59 Paoluzzo Altieri, cardinal-neveu, à Carlo Francesco Airoldi, Rome, 4 mars 1673 (Rome, A.S.V., Segr. Stato, Fiandra, t. 145, f. 206v-207r). 60 Rome, ARSI, FB, 62, Supplementum historiae Collegii Gandensis Societatis Iesu pro anno 1673, f. 251r. 61 Monita salutaria Beatae Virginis Mariae ad cultores suos indiscretos, Gand, s.n., 1673. - Sur les Monitaria salutaria, l’étude de référence reste celle de Paul Hoffer, La dévotion à Marie au déclin du XVII e siècle…, op. cit, 1938. La question mériterait néanmoins d’être reprise : pour de premières pistes, voir Bernard Chédozeau, « Art. Widenfelt, Adam », in D.S., XXVI (1994), col. 1423-1431. L’article, plus qu’une biographie d’Adam Widenfelt, esquissée en quelques lignes, est une excellente mise au point sur l’histoire de la publication des Monita salutaria et des controverses qui en ont découlé. 62 Iesu-Christi Monita maxime salutaria de cultu dilectissimae Matris Mariae debitae exhibendo, Douai, Marie Serrurier, 1674. <?page no="232"?> Annick Delfosse 218 nombreux sont ceux qui, parmi les dévots, contestent violemment le livret et le dénoncent comme un pamphlet janséniste. Le 17 novembre 1673, les chanoines-vicaires de Gand interdisent à Gillemans d’approuver dorénavant aucun livre sans leur avoir auparavant communiqué sa censure et ordonnent que tous les exemplaires encore conservés chez l’imprimeur-libraire soient confisqués, anticipant de quelques heures l’injonction d’Ottavio Falconieri qui demande la destruction du libelle 63 . Quelques jours plus tard, le même internonce requiert l’aide de l’archevêque de Malines, Alphonse de Berghes, qui soumet pour jugement le libelle à ses chanoines et à Nicolas du Bois 64 . Le 2 décembre, Ottavio Falconieri envoie par ailleurs les Monita au Saint- Office et le prie de châtier durement Gillemans en lui retirant sa fonction de censeur 65 . Tous cherchent à savoir qui est l’auteur du petit ouvrage qui cause tant de scandales. Rapidement, celui-ci se fait connaître : il s’agit d’un avocat et juriste de Cologne du nom d’Adam Widenfelt (1618-1678). Les ordres mendiants se persuadent cependant, surtout à Gand, que van Buscum et Gillemans mènent la danse. Ainsi, le carme déchaux Gratien de Saint-Élie écrit à Rome, le 1 er décembre, que l’auteur et le censeur de l’Instructio, à la tête de la « secte janséniste », persévèrent dans leurs assauts contre le culte marial 66 . Et le prieur des carmes déchaux de Malines, Michel de Saint-Augustin, de se lamenter : Si ce libelle est ainsi toléré, comme l’autre de van Buscum [l’Instructio], le culte de la S. Vierge se refroidira totalement, les confraternités se languiront, les fréquentations des sacrements et les autres exercices pieux disparaîtront, l’ornement des églises et des images saintes sera diminué, les indulgences dédaignées, la dévotion envers l’Immaculée Conception négligée, etc. 67 . 63 L. Ceyssens, La seconde période du jansénisme, op. cit., t. I, doc. 101, p. 88 et doc. 102, p. 89. 64 Nicolas du Bois fait publier, sous un faux nom, Lodoviscio Bona [= anagramme de du Bois], Defensio BV Mariae et piorum cultorum illius contra libellum intitulatum : Monita salutaria BV Mariae ad cultores suos indiscretos et contra epistolam apologeticam pro iisdem, Mayence, Christophe Küchler, 1674. - De son côté, Alphonse de Berghes interdira d’écrire davantage sur le sujet le 29 mars 1674. 65 Ottavio Falconieri à Paoluzzo Altieri, Bruxelles, 2 décembre 1673 (Rome, ASV, Segr. Stato, Fiandra, vol. 59, f. 327r-v ; publié par L. Ceyssens, La seconde période du jansénisme, op. cit., t. I, doc. 106, p. 92). 66 [Hoc libellum] continet monita sacra, minime sacra, potius valde contagiosa cultui D. Virginis Mariae. Ecce quo tandem isti homines praesumunt. Gillemans et Buscum, cum secta jansenistica iterum audent honorem Marianum impetere (Gratien de Saint-Élie, O.Carm., à Séraphin de Jésus-Marie, carme à Rome, O.Carm., Gand, 1 er décembre 1673. Publié par L. Ceyssens, « De carmelitana actione antijansenistica… », op. cit., p. 33). 67 Si et ille sic toleretur ut alius Domini Buscum, refrigescet totaliter cultus Divae Virginis, confraternitates flacescent, frequentationes sacramentorum et alia pia exercitia tollentur, <?page no="233"?> 219 Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) Les jésuites gantois, de leur côté, écrivent indignés à leur général que Gillemans parle en chaire avec mépris de la Vierge en affirmant que celle-ci « n’était en rien meilleure que les femelles du même sexe 68 ». Ils affirment également que l’impiété du chanoine est communicative : un chapelain de la cathédrale de Gand, du nom de Cock, aurait proposé que l’on abroge les titres de Médiatrice, Avocate, Mère de Miséricorde, Refuge des Pécheurs et autres louanges que l’Église attribue généralement à la Vierge. Il aurait également comparé le scapulaire de la Vierge, honoré par les carmes, aux ailes d’Icare et défini la dévotion mariale des ordres mendiants comme un « culte adultérin et idolâtre 69 ». Le chapelain est alors suspendu puis mis en prison sur ordre du Procureur général envoyé par le Conseil des Flandres pour remettre de l’ordre à Gand. Le scandale est grand, et les jésuites se convainquent que Gillemans et ses amis ont réussi à semer le trouble dans la population : dans un confessionnal, une femme, avouant ses péchés, se serait accusée d’avoir lu trop fréquemment les litanies de la Vierge et aurait promis de ne plus se soumettre à cette pratique inconvenante, tandis que quelques hommes mariés auraient dit à leur épouse : Tu es aussi bien que Notre-Dame : elle est seulement une femme comme toi 70 . Une lettre envoyée par Giovanni Bona à Ignace Gillemans le 31 mars 1674, reprenant les mêmes histoires, montre que la rumeur circule, à Rome, hors des milieux jésuites 71 . Les Monita ont suscité de nombreuses autres oppositions, y compris hors de Gand. La querelle, déjà étudiée par Hoffer, mériterait une étude neuve que nous ne pourrons pas offrir ici. Nous retiendrons seulement qu’ils sont mis à l’Index, en attendant correction, par un décret de la Congrégation du Saint- Office 72 , une semaine après la condamnation des trois ouvrages de Pierre van Buscum - l’Instructio, l’Instructio vindicata et la Defensio - condamnés le ornatus templorum et sacrarum imaginarum minuetur, indulgentiae spernentur, devotio erga Immaculatam Conceptionem evanescet etc. (Michel de Saint-Augustin, O.Carm., à Séraphin de Jésus-Marie, O.Carm., Malines, 8 décembre 1673. Publié par L. Ceyssens, La seconde période du jansénisme, op. cit., t. I, doc. 110, p. 97). Nous traduisons. 68 Rome, ARSI, FB, 62, Supplementum historiae Collegii Gandensis Societatis Iesu pro anno 1673, f. 252r. 69 Ibid. 70 Ita ut coniugati aliqui suis uxoribus dixerint : Ghy syt alsoo goet als onse Lieve Vrauwe, want sy en is maer een vrauwe ghelyck ghy. Praeterea quaedam persona inter confitendum peccata, hoc addidit : accuso etiam me, quod multoties in vita legerim Litanias B. Virginis, sed amplius non faciam, cum intelligam hoc non licere (Ibid., f. 254r). 71 L. Ceyssens, La seconde période du jansénisme, op. cit., t. I, doc. 175, p. 174. 72 J.M. De Bujanda, Index librorum prohibitorum (1600-1966), Montréal, Médiaspaul et Genève, Droz, 2002, p. 942. <?page no="234"?> Annick Delfosse 220 14 février, en même temps que l’Apologia pro summis pontificibus romanis de Gilles d’Estrix 73 . Le Diatriba est, lui, mis à l’Index par le Saint-Office le 5 avril suivant. Les livrets continuent toutefois à circuler. Le carme Michel de Saint- Augustin s’écrie ainsi en juillet 1674 : Donc le libelle de Buscum et les Monita salutaria, odieux à tous les cœurs non jansénistes et au peuple dévot, scandaleux et préjudiciables au culte marial, restent non censurés ! Les hommes de bien sont tristes ; les jansénistes exultent et clament leur triomphe 74 . En février 1675, les supérieurs des dominicains, franciscains, augustins, carmes et jésuites de Louvain se plaignent que l’on répande encore à Louvain des ouvrages condamnés ou hérétiques. Parmi ceux-ci, particulièrement, le Rituel d’Alet, le Nouveau Testament de Mons ainsi que l’Instructio et les Monita Salutaria. Conclusion L’analyse de la crise née de l’Instructio, prélude aux troubles provoqués par les célèbres Monita salutaria, met en évidence combien la question de l’Immaculée Conception a soulevé des enjeux majeurs, tant sur un plan théologique qu’institutionnel et spirituel. En effet, si sa définition a d’abord mis aux prises des conceptions différentes de la transmission du péché originel et du debitum peccati, elle fait se confronter également, depuis 1661, deux univers juridiques, politiques et dévotionnels inconciliables. À une époque où la piété mariale s’exalte par des preuves d’affection extraverties et trouve le comble de son expression dans le serment de défendre - toujours et quoi qu’il en coûte - l’Immaculée Conception, la remise en cause de la possibilité d’établir une définition dogmatique du mystère provoque des réactions contrastées. Les uns, attachés à une démonstration emphatique, sincère et passionnelle de leur dévotion à la Vierge, voient dans ce refus une offense choquante et scandaleuse. Convaincus qu’une définition définitive permettrait de faire triompher définitivement l’Église catholique romaine sur l’hérésie que l’Immaculée foulera aux pieds, ils espèrent que la papauté 73 Ibid., p. 329-330 et 905. 74 Ergo incensuratus manet libellus Domini van Buscum et Monita salutaria, omnibus cordatis non-jansenistis et devoto populo ita odiosa, scandalosa et cultui mariano praeiudiciosa ! Multum tristantur plurimi boni ; exultant et triumphum clamant jansenistae. (Michel de Saint-Augustin, O.Carm., à Séraphin de Jésus-Marie, O.Carm., Boxmeer, 24 juillet 1674. Publié par L. Ceyssens, La seconde période du jansénisme, op. cit., t. I, doc. 231, p. 216). Nous traduisons. <?page no="235"?> 221 Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) Autour de l’Instructio ad tyronem (1672) prendra enfin une position dogmatique nette et, en attendant, célèbrent ostensiblement le mystère. Les autres encouragent, au contraire, une dévotion modérée et rigoureuse, recentrée sur la figure du Christ médiateur et rédempteur, tout en accordant une place mesurée à la Vierge, saluée comme Mère et imitée comme modèle de vertus. Une dualisation de la piété mariale, déjà entamée vingt ans plus tôt par la critique pascalienne des Cent dévotions à la Mère de Dieu du jésuite du Barry, s’affirme désormais plus nettement. Elle effraie les tenants du courant démonstratif qui craignent que ne s’imposent des pratiques impies et sacrilèges. La réaction paniquée et exacerbée d’Eugène- Albert d’Allamont face à l’Instructio le démontre suffisamment. Cependant, l’affolement marial n’explique pas seul la querelle. Plus fondamentalement, le débat sur la définibilité dogmatique de l’Immaculée Conception renvoie à des positions divergentes concernant l’autorité de l’Église et du pontife à définir des points de doctrine en l’absence d’éléments scripturaires ou reçus de la Tradition. L’Instructio montre la méfiance que pouvaient éprouver certains théologiens face à une définition romaine qu’ils jugent fondée sur un néant documentaire. Pour van Buscum et Ignace Gillemans, refuser l’Immaculée Conception est donc aussi refuser au pontife son rôle de régulateur tout-puissant de la foi. Quant à leurs détracteurs, s’ils œuvrent activement à leur condamnation, c’est non seulement pour sauver l’honneur de la Vierge, comme ils le répètent à l’envi, mais aussi pour s’assurer de l’obéissance due au Souverain pontife, gardien et interprète de l’Écriture et d’une Tradition vivante. Aussi la dévotion à l’Immaculée Conception devient-elle, dans un contexte de tensions fortes entre mouvements dits « jansénistes » et « romains », l’expression d’un catholicisme orthodoxe et triomphant. <?page no="237"?> Philosophie, Morale, Politique <?page no="239"?> Biblio 17, 188 (2010) Le jansénisme dans les Essais de théodicée de Leibniz H ÉLÈNE B OUCHILLOUX Université de Nancy 2 Plus que Descartes, Spinoza ou Malebranche, Leibniz est non seulement luimême un grand esprit européen, mais encore un auteur dont l’écriture parfois polyphonique met en relation la plupart des grands esprits européens : c’est notamment le cas dans les Essais de théodicée de 1710. On cherchera donc dans cet ouvrage l’inscription du jansénisme dans la vaste culture européenne qui était celle de Leibniz. On mettra de côté sa confrontation avec Pierre Nicole au sujet de la damnation des enfants morts sans baptême. D’un mot, on peut dire que Leibniz désapprouve la doctrine augustinienne défendue par Nicole : elle n’a de fondement suffisant ni dans la raison ni dans l’Écriture, et sa dureté est particulièrement choquante puisque injuste : M. Nicole se sert de ce prétexte [pour défendre la doctrine augustinienne], qu’il y a encore d’autres dogmes dans la religion chrétienne qui paraissent durs. Mais outre que ce n’est pas une conséquence qu’il doit être permis de multiplier ces duretés sans preuve, il faut considérer que les autres dogmes que M. Nicole allègue, qui sont le péché originel et l’éternité des peines, ne sont durs et injustes qu’en apparence ; au lieu que la damnation des enfants morts sans péché actuel et sans régénération le serait véritablement, et que ce serait damner en effet des innocents 1 . 1 Essais de théodicée, I, § 93, p. 156 (éd. utilisée : Paris, Garnier-Flammarion, 1969). Voir aussi « Discours de la conformité de la foi avec la raison », § 39, p. 74-75 ; puis III, § 283, p. 286-287. Bien que le péché originel produise en tous les hommes un penchant inné au mal, seul le péché actuel, ou le mal effectif, les rendent dignes de la damnation. C’est pourquoi Leibniz enveloppe dans une commune réprobation deux doctrines issues de l’augustinisme : celle de la damnation des enfants morts sans baptême et celle de la fausseté de la vertu des païens. Voir Essais de théodicée, préface, p. 46-47 ; puis III, § 259, p. 271-272, et III, § 283, p. 286-287. <?page no="240"?> Hélène Bouchilloux 226 On mettra également de côté sa confrontation avec Antoine Arnauld au sujet de l’action créatrice de Dieu. Là aussi, d’un mot on peut dire que Leibniz approuve Malebranche contre Arnauld en affirmant que, parmi une infinité de mondes possibles, Dieu crée nécessairement le meilleur, non d’une nécessité métaphysique incompatible avec sa liberté mais d’une nécessité morale, ou d’obligation, compatible avec sa liberté. La doctrine des mondes possibles sert à disculper Dieu : s’il ne peut mieux faire que ce qu’il fait, c’est parce que sa puissance est subordonnée à sa sagesse, ou qu’il en est empêché, soit par la loi de la simplicité des voies, chez Malebranche, soit par la loi de la compossibilité logique, chez Leibniz. Pour Arnauld, ces tentatives de théodicée reviennent à introduire en Dieu une certaine forme d’impuissance, ce qui est inacceptable. On ne s’étendra pas davantage sur ce sujet passionnant 2 , qui a été très finement étudié par Steven Nadler, dans le numéro des Chroniques de Port-Royal consacré à Antoine Arnauld 3 . On se concentrera sur la vision que Leibniz donne du jansénisme en général, quand il aborde, dans les articles 36 à 44 de la 1 ère partie, puis dans les articles 367 à 371 de la 3 e partie, l’épineuse question, à la fois théologique et philosophique, de la conciliation du libre arbitre humain avec la prescience et la préordination divines. L’examen du premier passage, d’une extrême densité, devrait permettre de montrer que, sur cette épineuse question, il adopte un point de vue surplombant : non seulement celui d’un philosophe capable de distinguer les concepts que les théologiens confondent 4 , mais encore celui d’un philosophe capable, précisément grâce à sa vaste culture européenne, de replacer les conflits théologiques suscités par la postérité de l’augustinisme au sein d’une problématique philosophique beaucoup plus ancienne et beaucoup plus large, qui les explique tout en les relativisant. Cette problématique n’est autre que celle de la vérité des futurs contingents, telle qu’elle a été élaborée par la philosophie grecque et amplifiée, avec l’apport du christianisme, par la philosophie médiévale. Il est aisé de la résumer. Comment peut être vrai, d’une vérité déterminée, ce qui n’est pas encore arrivé, ou l’événement futur, si ce n’est qu’on suppose qu’il doit arriver, ou qu’il ne peut pas ne pas arriver, de sorte que le futur devient nécessaire ? Et comment échapper à cette conclusion si, de surcroît, tout ce qui arrive est prévu et voulu par Dieu ? Leibniz procède en trois temps. 2 Voir Essais de théodicée, op. cit., II : § 203, p. 239 ; § 210-211, p. 245-246 ; § 218, p. 249-250 ; § 223-224, p. 252-253. 3 Voir « “Tange montes et fumigabunt” : Arnauld face aux théodicées de Malebranche et Leibniz », in A. Arnauld (1612-1694) - Philosophe, écrivain, théologien, in Chroniques de Port-Royal, n° 44, 1995, p. 323-334. 4 Sur ce reproche, voir Essais de théodicée, op. cit., III, § 367, p. 333-334. <?page no="241"?> 227 Le jansénisme dans les Essais de théodicée de Leibniz Le jansénisme dans les Essais de théodicée de Leibniz Il repart non des Grecs, mais de l’opinion qui a prévalu au Moyen Âge, selon laquelle les futurs sont à la fois déterminés et contingents. Cela n’a rien de surprenant, dans la mesure où il s’agit non seulement de sa propre thèse, mais encore d’une thèse inéludable en contexte chrétien : premièrement, il faut que les futurs soient déterminés pour qu’ils soient prévisibles par Dieu ; deuxièmement, il faut que les futurs soient contingents pour que la liberté humaine soit sauve. Toute la difficulté est, néanmoins, de savoir comment peut être déterminé et prévisible ce qui est contingent. La difficulté majeure n’est donc pas celle de la prescience divine, Dieu prévoyant sans difficulté ce qui est déterminé et prévisible, mais celle du fondement de la prescience divine, ou celle du fondement de la détermination et de la prévisibilité. Il semble qu’on soit acculé à soutenir que, si Dieu prévoit le futur dont la vérité est déterminée, c’est parce que celle-ci est prédéterminée, ou déterminée par sa préordination, c’est-à-dire par sa volonté. Cependant, si on rabat ainsi la prescience sur la préordination, ou l’entendement sur la volonté, Dieu n’ayant plus de science, concernant les futurs, que de ce qui arrivera parce que lui-même le prédétermine, ne tombe-t-on pas dans un nécessitarisme qui est celui qu’on impute ordinairement aux disciples de saint Augustin, mais surtout celui que revendiquent ouvertement des philosophes comme Hobbes et Spinoza ? Dans cette éventualité, rien d’autre n’est possible que ce que Dieu veut. Et, même si on croit se soustraire au nécessitarisme en arguant que Dieu n’est pas nécessité à vouloir ce qu’il veut, il est clair que, en l’absence de la réalité d’autres possibles dans son entendement, l’acte de sa volonté est à la fois libre et nécessaire, et qu’il est nécessitant à l’égard de tout ce qu’il prédétermine. Aussi la solution de Leibniz consistera-t-elle à cliver l’entendement de Dieu et la volonté de Dieu, et à chercher le fondement de la prescience dans son entendement avant de le chercher dans sa volonté. Dieu n’a pas la science de ce qui arrivera parce que lui-même le prédétermine, qu’il n’ait préalablement la science de tout ce qui arriverait dans l’infinité des mondes possibles, où le futur est déterminé sans être prédéterminé. Par son entendement, il perçoit l’infinité des mondes possibles avec, en chacun de ces mondes, l’infinité des créatures possibles qui l’expriment, chacune selon sa situation, et avec toutes les actions possibles de ces créatures possibles, par conséquent la liaison des actions de chaque créature et la liaison des actions de toutes les créatures ; par sa volonté, il fait exister hors de lui le meilleur des mondes possibles, avec tout ce qu’il comporte. Il s’ensuit que la volonté de Dieu ne change rien dans la constitution des choses telle qu’elle est appréhendée, à titre de possible, par l’entendement de Dieu. Les futurs ne sont pas moins contingents dans le monde réel que dans l’infinité des mondes possibles, où ils sont conditionnels, puisque, dans la rigueur des termes, est <?page no="242"?> Hélène Bouchilloux 228 contingent ce dont le contraire n’implique pas de contradiction, ou est possible. Les futurs sont donc à la fois déterminés et contingents, conformément à la requête enregistrée par la philosophie médiévale, sans que subsiste pour autant la difficulté majeure du fondement de la prescience divine, sur laquelle la philosophie médiévale avait achoppé. Et, comme la contingence du futur est la condition de la liberté humaine, ce n’est qu’après l’avoir établie qu’on pourra exposer comment la volonté humaine n’est jamais indifférente, mais toujours déterminée à vouloir ce qu’elle veut, sans y être aucunement nécessitée, et comment elle concourt avec la volonté divine dans l’actualisation du meilleur des mondes possibles, l’une se déterminant selon le principe du meilleur apparent quand l’autre se détermine, de manière concomitante, selon le principe du meilleur réel. Mais, avant d’esquisser cette solution, il est indispensable d’insérer une parenthèse historique et théologique, Leibniz n’ignorant pas qu’il n’est pas le premier à entreprendre d’écarter le nécessitarisme auquel semble conduire la thèse de la détermination du futur. Molina et les molinistes s’y sont employés, mais sans pouvoir se dérober aux pertinentes critiques des jansénistes. Ni la science moyenne, ni l’indifférence ou l’indétermination de la volonté humaine, sur lesquelles la science moyenne est fondée, ne résistent en effet à ces critiques. Il n’en reste pas moins que molinistes et jansénistes ont formulé une partie de la vérité, quoique malheureusement ils n’aient pas su l’articuler avec l’autre partie de la vérité, détenue par leurs adversaires respectifs : les molinistes, en admettant les mondes possibles et la science des futurs conditionnels ; les jansénistes, en admettant la prédétermination de la volonté humaine, comme de tout événement, dans le monde réel. Le tort des molinistes est d’avoir fondé la science des futurs conditionnels sur une indifférence chimérique de la volonté humaine, laquelle sape leur détermination ; le tort des jansénistes est d’avoir réduit la science de Dieu, concernant les futurs, à la science des futurs réels, ce qui confère à la prédétermination de la volonté humaine dans le monde réel une absolue nécessité. Ainsi, Leibniz se flatte de conjuguer ce qu’il y a de vrai chez les uns et chez les autres, en éliminant ce qu’il y a de faux chez les uns et chez les autres. Cette démarche triadique n’est pas sans rappeler celle que Pascal met en œuvre dans les Écrits sur la grâce. Les deux auteurs ont la même conception de la vérité et de l’erreur : de la vérité comme intégrant l’erreur ; de l’erreur comme vérité partielle et partiale. L’erreur doit être considérée comme une déformation réglée de la vérité qu’elle ne cesse de figurer, selon un schéma que les deux mathématiciens empruntent à la géométrie projective. Mais Pascal demeure dans la théologie, alors que Leibniz sort de la théologie. Là où Pascal oppose molinistes et calvinistes au profit des jansénistes qui seuls disposent, dans la doctrine augustinienne des <?page no="243"?> 229 Le jansénisme dans les Essais de théodicée de Leibniz Le jansénisme dans les Essais de théodicée de Leibniz deux natures de l’homme, du bon point de vue pour juger ces hérésies à la fois rivales et solidaires, Leibniz oppose, quant à lui, molinistes et jansénistes au profit de sa propre synthèse philosophique. On soulignera, toutefois, que l’un et l’autre ne parviennent à concilier le libre arbitre humain avec la prescience et la préordination divines qu’en recourant à un clivage dont ils envisagent les répercussions, et dans la volonté de Dieu, et dans la volonté de l’homme : chez Pascal, cette conciliation repose sur le clivage théologique entre deux natures de l’homme (antérieure et postérieure au péché originel) ; chez Leibniz, elle repose sur le clivage philosophique entre deux attributs de Dieu (entendement et volonté). L’examen du second passage, beaucoup moins dense, confirme que les fins de Leibniz ne sont pas celles de Pascal, même si leurs méthodes sont apparentées. Pascal entend montrer que les jansénistes ont des sentiments parfaitement orthodoxes, qu’ils sont les fidèles disciples de saint Augustin et les fidèles interprètes des décrets du Concile de Trente. Les cibles de Leibniz ne sont nullement à chercher au sein de la théologie. Au contraire, celui-ci est prêt à concéder que, dans le fond, molinistes et jansénistes, jésuites et thomistes s’accordent entre eux et avec lui plus qu’il n’y paraît. Leurs querelles sont verbales plutôt que réelles, elles portent sur les mots plutôt que sur les choses. Incontestablement, les véritables cibles sont ailleurs. Elles sont à chercher au sein de la philosophie. Il s’agit de ceux pour qui la puissance divine n’est plus subordonnée à la sagesse divine : prioritairement de Hobbes et de Spinoza, mais aussi de Descartes, voire d’Arnauld. Hobbes et Spinoza vident la causalité divine de toute finalité. Dieu est cause efficiente et totale de ce qui est, sans que lui soit laissé le choix du meilleur possible, qui oblige les créatures ellesmêmes intelligentes et libres que sont les hommes à lui rendre grâce. Ainsi, ce que Leibniz craint par-dessus tout, c’est l’avènement d’une philosophie qui détruise la religion, la relation de l’homme à Dieu fondée sur une communauté des normes de vérité et de justice : soit qu’avec Hobbes ou Descartes on fasse de Dieu un monarque absolu ; soit qu’avec Spinoza on ne récuse cette représentation de Dieu comme monarque absolu que pour lui substituer une représentation peut-être pire encore, à savoir celle de Dieu comme absolue puissance de la nature. Les jansénistes ne sont qu’une pièce dans ce dispositif philosophique, mais une pièce importante et en quelque sorte surdéterminée, puisque les griefs contre Hobbes, Descartes, Spinoza ramènent insensiblement tout lecteur attentif aux griefs contre Nicole (Dieu qui est juste ne saurait damner les enfants morts sans baptême) et aux griefs contre Arnauld (Dieu qui est sage ne saurait créer qu’en s’astreignant aux lois de sa sagesse). Après cette longue introduction, destinée à marquer nettement les enjeux du texte leibnizien, on se contentera maintenant d’analyser le premier passage. <?page no="244"?> Hélène Bouchilloux 230 Leibniz commence par déclarer que « les philosophes conviennent aujourd’hui que la vérité des futurs contingents est déterminée 5 », suggérant par là qu’autrefois il en allait autrement. Et, en effet, cette opinion renverse l’opinion d’Aristote. Dans le chapitre 9 du Péri herménéias, celui-ci énonce deux choses. Premièrement, parce qu’ils sont contingents, les futurs sont indéterminés. Ce qui est vrai, d’une vérité déterminée, c’est l’alternative, mais ce n’est ni l’un ni l’autre des deux membres de l’alternative : c’est que tel événement arrivera ou n’arrivera pas, mais ce n’est ni que tel événement arrivera, ni que tel événement n’arrivera pas. Car, pour Aristote, il n’est pas question de sacrifier le principe de contradiction à la contingence du futur. De manière générale, comme Leibniz le précise dans l’article 169 de la 2 e partie, on ne peut que refuser d’exposer le principe de contradiction aux débats sur la contingence ou la nécessité des événements ; sinon, au rapport de Cicéron dans son De fato, on le nierait, avec Épicure, afin d’établir la contingence, ou on le restaurerait, avec Chrysippe, afin d’établir la nécessité. Deuxièmement, parce qu’ils sont contingents et indéterminés, les futurs n’ont pas le même statut que les présents et les passés. La vérité des présents et des passés est déterminée parce que, avec leur actualisation, ils sont devenus nécessaires. Comme le dit Aristote, « que ce qui est soit, quand il est, et que ce qui n’est pas ne soit pas, quand il n’est pas, voilà qui est nécessaire ». La vérité des futurs est indéterminée parce que les futurs ne sont pas en acte, mais seulement en puissance. Au Moyen Âge, les avis convergent contre l’indétermination du futur, laquelle est inadmissible en contexte chrétien. L’opinion commune des « modernes », au rapport de Bradwardine qui les critique dans son De causa Dei 6 , se définit alors ainsi : premièrement, pour être déterminés, les futurs n’en sont pas moins contingents ; deuxièmement, à la différence de la vérité des futurs, la vérité des présents et des passés n’est pas déterminée sans être, de surcroît, nécessaire. Les « modernes » seraient donc contraires au premier énoncé d’Aristote, tout en étant conformes au second énoncé d’Aristote. Si tel est le cas, il faut reconnaître que la position de Leibniz ne coïncide pas tout à fait avec celle des « modernes ». Car elle renverse entièrement l’opinion d’Aristote. Selon lui, à l’affirmation selon laquelle les futurs sont à la fois déterminés et contingents, on doit joindre l’affirmation selon laquelle les futurs ont le même statut que les présents et les passés, non pas pour étendre aux futurs la nécessité des présents et des passés, dans le sillage de Bradwardine, mais à l’inverse pour étendre aux présents et aux passés la contingence 5 Essais de théodicée, op. cit., I, § 36, p. 124. 6 Voir Jean-François Genest, Prédétermination et liberté créée à Oxford au XIV e siècle (Buckingham contre Bradwardine), Paris, Vrin, 1992, notamment chap. I, p. 34. <?page no="245"?> 231 Le jansénisme dans les Essais de théodicée de Leibniz Le jansénisme dans les Essais de théodicée de Leibniz des futurs. À partir du moment où on soutient la détermination du futur, on homogénéise les trois dimensions du temps : il est aussi sûr que le futur sera qu’il est sûr que le passé a été [; ] il était déjà vrai il y a cent ans que j’écrirais aujourd’hui comme il sera vrai après cent ans que j’ai écrit 7 . Mais, à partir du moment où on soutient la contingence du futur, nonobstant sa détermination, on étend cette contingence aux présents et aux passés. Cette mise en perspective historique appelle une réorganisation du champ conceptuel. Ce qui est déterminé et certain n’est pas pour autant nécessaire. Entre « déterminé » et « certain », on effectuera d’abord la distinction suivante : le certain n’est que le déterminé en tant qu’il est connu, donc le déterminé pris subjectivement ; et inversement, le déterminé n’est que le certain pris objectivement. C’est ce qui, du temps, est vrai de manière intemporelle, sans rapport au sujet et au temps, que la connaissance du sujet soit temporelle (dans le cas de l’homme) ou éternelle (dans le cas de Dieu). Il découle de cela que la certitude est fondée sur la détermination, et non le contraire. Entre « déterminé » et « nécessaire », on effectuera ensuite la distinction suivante : dans la rigueur des termes, n’est nécessaire que ce dont le contraire implique contradiction, ou est impossible ; est déterminé ce qui doit arriver, ce dont il est vrai, ou qu’il est arrivé, ou qu’il arrive, ou qu’il arrivera, sans qu’on puisse en inférer aucunement la nécessité. Cependant, ces distinctions conceptuelles ne dissipent pas tous les embarras. Elles permettent plutôt de les hiérarchiser. Le moins embarrassant est d’affronter la liberté humaine à la détermination du futur due à sa vérité. Car, que, indépendamment de la connaissance de qui que ce soit, il soit vrai que la volonté humaine voudra telle chose ou il soit vrai que la volonté humaine ne voudra pas telle chose, cela ne nuit en rien à la liberté de la volonté humaine. Il ne s’ensuit nullement qu’elle sera nécessitée à vouloir telle chose ou à ne la vouloir pas. Apparemment plus embarrassant est d’affronter la liberté humaine à la prescience divine. Car, du moment que la détermination du futur est connue de quelqu’un d’omniscient et d’infaillible, le futur ne peut pas ne pas arriver 8 . Toutefois, il ne s’agit ici que d’une nécessité conditionnelle ou hypothétique : supposé que Dieu prévoie ce dont il est vrai qu’il arrivera ou ce dont il est vrai qu’i1 n’arrivera pas, la conséquence est nécessaire, mais non le conséquent. Le conséquent ne serait nécessaire que si la prémisse était elle-même nécessaire. Mais il n’est pas nécessaire que Dieu prévoie ce 7 Essais de théodicée, op. cit., I, § 36, p. 124. 8 Voir Cyrille Michon, Prescience et liberté (Essai de théologie philosophique sur la Providence), Paris, PUF, 2004, notamment chap. III et IV. <?page no="246"?> Hélène Bouchilloux 232 dont il est vrai qu’il arrivera ou ce dont il est vrai qu’il n’arrivera pas, puisque la prévision est appuyée sur la détermination et puisque la détermination se distingue de la nécessité. Le futur est prévu, de Dieu même, parce qu’il est déterminé en raison de sa vérité, et non le contraire : la prescience en elle-même ne rend point la vérité plus déterminée ; elle est prévue parce qu’elle est déterminée, parce qu’elle est vraie ; mais elle n’est pas vraie parce qu’elle est prévue : et en cela la connaissance du futur n’a rien qui ne soit aussi dans la connaissance du passé ou du présent 9 . Cependant, si la prescience divine ne rend pas la vérité des futurs plus déterminée, n’est-ce pas le fondement de la prescience divine, n’est-ce pas la cause de cette détermination et de cette vérité des futurs, qui le font ? Le plus embarrassant est donc, finalement, d’affronter la liberté humaine non à la prescience divine, mais à la préordination divine. La détermination des futurs tient à leur vérité, mais à quoi tient leur vérité ? D’où vient qu’il soit vrai que tel événement arrivera ou qu’il soit vrai que tel événement n’arrivera pas ? N’est-on pas contraint de répondre, en contexte chrétien, que c’est parce que Dieu le veut, sans que la possibilité du contraire soit conservée ? Leibniz se réfère à Laurent Valla quand il s’agit de creuser l’écart entre la question de la prescience et la question de la préordination. Comme il l’indique dans l’article 365 de la 3 e partie, l’auteur du dialogue De libero arbitrio, dirigé contre Boèce, ne doute pas de pouvoir concilier la liberté humaine avec la prescience divine mais, en revanche, n’ose espérer de pouvoir la concilier avec la préordination divine. On sait, par ailleurs, que Leibniz n’a pas voulu achever les Essais de théodicée sans résumer le texte de Valla et lui adjoindre ce qui lui manque, comme il l’annonce dans l’article 405 de la 3 e partie. La difficulté devant laquelle Laurent Valla capitule semble insoluble. Selon Leibniz, c’est cette difficulté qui a fait naître deux partis adverses qui se combattent sans fin : le parti des prédéterminateurs et le parti des défenseurs de la science moyenne. Les dominicains et les augustins sont pour la prédétermination, les franciscains et les jésuites modernes sont plutôt pour la science moyenne. Ces deux partis ont éclaté vers le milieu du seizième siècle, et un peu après. Molina lui-même, qui est peut-être un des premiers, avec Fonseca, qui a mis ce point en système, et de qui les autres ont été appelés molinistes, dit, dans le livre qu’il a fait de la Concorde du libre arbitre avec la grâce, environ l’an 1570, que les docteurs espagnols (i1 entend principalement les thomistes), qui avaient écrit depuis vingt ans, ne trouvant point d’autre moyen d’expliquer comment Dieu pouvait avoir une science certaine des futurs contingents, avaient introduit les prédéterminations comme nécessaires aux actions libres. 9 Essais de théodicée, op. cit., I, § 38, p. 125. <?page no="247"?> 233 Le jansénisme dans les Essais de théodicée de Leibniz Le jansénisme dans les Essais de théodicée de Leibniz Pour lui, il a cru avoir trouvé un autre moyen. Il considère qu’il y a trois objets de la science divine : les possibles, les événements actuels et les événements conditionnels, qui arriveraient en conséquence d’une certaine condition, si elle était réduite en acte. La science des possibilités est ce qui s’appelle la science de simple intelligence ; celle des événements qui arrivent actuellement dans la suite de l’univers, est appelée la science de vision. Et comme il y a une espèce de milieu entre le simple possible et l’événement pur et absolu, savoir l’événement conditionnel, on pourra dire aussi, selon Molina, qu’il y a une science moyenne entre celle de la vision et celle de l’intelligence 10 . En fait, aux sectateurs de Molina et de la science moyenne, Leibniz oppose non pas un, mais deux partis : premièrement, celui des dominicains espagnols qui ont besoin d’une prédétermination immédiate de l’acte volontaire pour expliquer comment Dieu sait ce que la volonté voudra ; deuxièmement, celui des augustiniens et des thomistes classiques qui n’ont besoin que de l’ordre causal pour expliquer comment Dieu sait ce que la volonté voudra. C’est à ces derniers que Leibniz s’arrête dans son analyse, non sans évoquer les premiers dans l’article 47 de la 1 ère partie. L’opposition entre les deux partis se ramène alors à l’opposition entre molinistes et jansénistes. La position de Molina est caractérisée par deux points : le premier est la profession de la science moyenne comme science intermédiaire entre la science de simple intelligence et la science de vision ; le second est la profession de l’indifférence ou de l’indétermination de la volonté humaine, capable de se déterminer sans y être prédéterminée. Leibniz va s’attacher à prouver que la profession du second point prive le premier point de toute véritable portée. Qu’est-ce que la science moyenne ? Molina distingue en Dieu trois sciences : celle qui porte sur ce qui est possible, celle qui porte sur ce qui est actuel, celle qui porte sur ce qui deviendrait actuel si autre chose devenait actuel. Une illustration de cette troisième science est fournie par l’épisode biblique relaté dans le 1 er livre de Samuel, au chapitre XXIII. David y consulte Dieu pour apprendre de lui s’il peut se renfermer dans la ville de Queïlah, ou si les habitants de Queïlah le livreraient au cas où Saül assiégerait la ville, afin de le capturer. Dieu l’avertissant que Saül assiégerait la ville s’il y demeurait et que, si Saül assiégeait la ville, les habitants le livreraient, David quitte Queïlah, et Saül le poursuit hors de Queïlah. Dieu a donc la science non seulement de ce qui arrive, mais encore de ce qui arriverait si la décision des hommes était autre qu’elle n’est : si David demeurait à Queïlah, si Saül assiégeait Queïlah, si les habitants de Queïlah livraient David. Cette science des 10 Op. cit., I, § 39 et § 40, p. 125-126. <?page no="248"?> Hélène Bouchilloux 234 événements conditionnels suppose que Dieu sache ce que feraient librement les hommes, placés en telles ou telles circonstances, tout comme la dispensation de la grâce suppose que Dieu sache quel usage, bon ou mauvais, en feraient librement les hommes, placés en telles ou telles circonstances. Loin de fonder la prescience divine sur la préordination divine, Molina fonde celle-ci sur celle-là, de sorte que la science moyenne a pour corrélat le pélagianisme. C’est pourquoi Leibniz n’hésite pas à s’approprier l’analogie très courante en vertu de laquelle les molinistes passent pour les pélagiens d’aujourd’hui, comme les augustiniens passent pour les jansénistes d’autrefois. Pascal, de son côté, n’accuse-t-il pas les molinistes d’être les pélagiens d’aujourd’hui, comme les manichéens sont les luthériens d’autrefois ? Mais il ne suffit pas de dresser une typologie des erreurs. Il faut comprendre en quoi consiste l’erreur des molinistes. Rien ne facilitera mieux cette compréhension que de ramasser les objections que leur adressent les prédéterminateurs. La première objection est philosophique. C’est l’objection du fondement de la prescience divine, appliquée à la science moyenne. Comment Dieu peut-il savoir ce que feraient librement les hommes, placés en telles ou telles circonstances, si cela n’est déterminé ni par son décret, ni par les causes qui en dépendent ? On perd tout le bénéfice de la science moyenne, qui réside dans l’admission d’autres mondes possibles et d’autres décisions humaines possibles, si celle-ci recèle en définitive la même aporie que la science de vision : car, qu’il s’agisse des actions libres conditionnelles ou des actions libres actuelles, Dieu ne peut les connaître que sous la condition de leurs causes et de ses décrets. Il n’est donc pas valable de fonder la science moyenne sur une indifférence ou une indétermination chimériques de la volonté humaine, lesquelles ruinent la prévisibilité de son acte. La seconde objection est théologique. C’est l’objection de l’irrévérence imputable au pélagianisme. En soumettant l’action divine à l’action humaine, il attente à l’honneur de Dieu et à l’autorité de saint Paul. D’où les données du problème qui s’offre à Leibniz : comment garder les avantages de la science moyenne, sans tomber dans les inconvénients de sa version moliniste ? Leibniz distingue en Dieu deux sciences : celle qui porte sur ce qui est possible et celle qui porte sur ce qui est réel. Est possible ce qui n’implique pas de contradiction, et qui de ce fait est concevable. Puis il subdivise la première science en deux : celle qui porte sur ce qui est simplement possible et celle qui porte sur ce qui est possible à titre d’élément d’un monde possible ou à titre de créature possible. Dans un monde, toutes les créatures, avec toutes leurs actions, sont idéalement réglées les unes sur les autres, sans que rien puisse être modifié. La science d’un monde possible enveloppe donc le décret possible qui ferait accéder un tel monde à l’existence, et toutes les causes pos- <?page no="249"?> 235 Le jansénisme dans les Essais de théodicée de Leibniz Le jansénisme dans les Essais de théodicée de Leibniz sibles dépendant de ce décret possible. Tout y est déterminé et prévisible, sans y être nécessaire, puisqu’un monde possible n’exclut pas la possibilité d’une infinité d’autres mondes, et puisque les créatures possibles qui l’expriment n’excluent pas davantage la possibilité d’une infinité d’autres créatures qui les expriment pareillement. Dieu ne conçoit pas le monde dans lequel David quitte Queïlah, Saül le poursuit hors de Queïlah, les habitants de Queïlah ne livrent pas David, sans concevoir aussi un autre monde dans lequel un autre David demeurerait à Queïlah, un autre Saül assiégerait Queïlah, afin de le capturer, d’autres habitants de Queïlah le livreraient. On a bien ici les avantages de la science moyenne, sans les inconvénients de sa version moliniste : les avantages, puisque d’autres événements que les événements réels sont possibles et d’autres décisions humaines que les décisions humaines réelles sont possibles ; sans les inconvénients, puisque l’acte de la volonté humaine peut être exempt de nécessité, mais non de détermination et de prévisibilité. À partir du moment où Dieu choisit de créer le meilleur des mondes possibles, qui est le monde réel, il a, outre la science de ce qui arriverait dans l’infinité des mondes possibles, la science de ce qui arrivera dans le monde réel qu’il choisit de créer. C’est donc le décret de sa volonté qui prédétermine l’objet de la science qui porte sur ce qui est réel et pas seulement possible, mais sans que ce décret en change aucunement la nature, déjà déterminée à titre de possible. Voilà pourquoi le fondement de la prescience doit être cherché dans l’entendement de Dieu avant d’être cherché dans la volonté de Dieu. Comme le note Leibniz, quand il serait envisageable que, dans le monde réel, les libres actions des hommes pussent échapper à la prédétermination, il y aurait moyen de les prévoir, car Dieu les verrait telles qu’elles sont dans la région des possibles, avant même que son décret ne les ferait accéder à l’existence. Il en conclut qu’il est d’accord et avec les molinistes, et avec les jansénistes. Avec les premiers, il admet d’autres mondes possibles et d’autres décisions humaines possibles, préservant ainsi la contingence de l’acte de la volonté humaine qui, pour être celui d’un libre arbitre, doit être exempt non seulement de contrainte, mais encore de nécessité. Avec les seconds, il admet la prédétermination de ce qui arrivera et de ce que les hommes voudront, préservant ainsi la subordination de l’action humaine à l’action divine. Par l’intermédiaire de l’ordre causal, Dieu incline la volonté humaine à vouloir ce qu’elle veut, sans la nécessiter pour autant. Il est certain qu’elle prendra le parti qui lui paraîtra le meilleur, mais il n’est pas nécessaire qu’elle le prenne. Dans plusieurs de ses textes, Leibniz invoque le dicton astra inclinant, non necessitant en précisant toutefois que, à la différence de l’astrologie qui n’est nullement infaillible, supposé d’ailleurs que les astres aient une quelconque influence sur la volonté humaine, la prescience divine l’est, puisque la volonté humaine ne laisse pas d’être inclinée à ce à quoi l’incline la volonté divine. <?page no="250"?> Hélène Bouchilloux 236 Reste une question : Leibniz tient-il la balance égale entre les deux partis adverses ? Au plan métaphysique, oui. Loin qu’avec molinistes et jansénistes on soit précipité de Charybde en Scylla, comme le prétend Bayle, on peut et on doit conjuguer ce qu’il y a de vrai chez les uns et chez les autres, ce qui permet de contourner sans encombre les deux écueils qui surgissent de part et d’autre 11 . Au plan moral, non. Les articles 279, 280 et 281 de la 3 e partie attestent que Leibniz préfère au discours des jansénistes, qui favorise le fatalisme et paralyse l’effort humain, le discours des molinistes, qui évacue le fatalisme et encourage l’effort humain. Cependant, comme on l’a souligné précédemment, les véritables cibles sont philosophiques, et non théologiques : Un thomiste et même un janséniste sage se contentera de la détermination certaine, sans aller à la nécessité ; et si quelqu’un y va, l’erreur peut-être ne sera que dans le mot. Un moliniste sage se contentera d’une indifférence opposée à la nécessité, mais qui n’exclura point les inclinations prévalentes 12 . Seules les exagérations liées aux besoins de la polémique peuvent faire croire que, tandis que les molinistes rabattraient la contingence sur l’indétermination, les jansénistes rabattraient la prédétermination sur la nécessité. Même les deux principales confessions du protestantisme ne réclament que la prédétermination 13 . On observe que Leibniz gomme les divergences affichées par les jansénistes en vue de se démarquer des protestants, pourtant source d’interminables controverses à l’âge classique. Il souhaite manifestement se concilier les théologiens de toutes tendances, et les réunir contre un ennemi commun. Car c’est bien pour combattre Hobbes, Descartes et, surtout, Spinoza, qu’il propose cette impressionnante synthèse philosophique qui intègre les dissensions théologiques, une synthèse qui, à la plus prodigieuse information historique, allie la plus redoutable technicité conceptuelle. 11 Sur l’image des deux écueils, que Leibniz emprunte au Dictionnaire historique et critique, article « Jansénius », voir Essais de théodicée, op. cit., III, § 368, p. 334. 12 Ibid., III, § 367, p. 334. 13 Ibid., III, § 371, p. 336-337. <?page no="251"?> Biblio 17, 188 (2010) Le jeûne et le chocolat : le rigorisme janséniste en Italie M ASSIMO L EONE Université de Turin La présence du Jansénisme en Italie peut être étudiée sous deux aspects différents mais complémentaires : d’un côté, l’on peut s’interroger sur l’existence, en Italie, d’« un Jansénisme idéologique », à savoir des manifestations culturelles dont certains traits figurent parmi les éléments caractéristiques du Jansénisme historique, même avant ou indépendamment de son émergence ; de l’autre côté, l’on peut investiguer sur la présence, en Italie, d’« un Jansénisme historique », à savoir des manifestations culturelles se produisant suite au contact entre la culture italienne et les foyers européens de la culture janséniste. Les deux perspectives sont liées, puisque le développement du Jansénisme historique italien s’explique souvent en relation à la préexistence d’un Jansénisme idéologique. En ce qui concerne l’époque moderne, les premières manifestations d’un Jansénisme idéologique en Italie peuvent être détectées pendant le Concile de Trente, dans les positions théologiques, plutôt minoritaires, d’Agostino Bonucci 1 , Général de l’Ordre des Servites de Marie, et de Girolamo Seripando 2 , Général des Augustins ; face aux décisions du Concile sur la théologie de la concupiscentia, ils craignirent qu’elles n’atténuassent trop l’idée de la décadence humaine et de ses effets ; par conséquent, ils suggérèrent que la concupiscence qui perdure dans le baptisé est encore du péché, quoiqu’elle ne soit pas imputée par Dieu aux hommes en tant que péché 3 . D’autres traces de Jansénisme ante litteram en Italie se trouvent dans certains ouvrages dévotionnels, d’assez grande diffusion. Ainsi, dans un livre publié en 1586, puis réimprimé plusieurs fois pendant la première moitié du dix-septième siècle, 1 Monte San Savino, 1506 - Rome, 1553. 2 Troia, 1493 - Trente, 1563. 3 Pallavicino, Sforza. 1656-1657. Istoria del Concilio di Trento, 2 vol. Rome, nella stamperia d’Angelo Bernabo dal Verme erede del Manelfi, per Giouanni Casoni libraro all’insegna di san Paolo, 1 : 639 et seq. <?page no="252"?> Massimo Leone 238 enfin condamné en 1671, le Rituario de Vincenzo Auruccio de Todi, ouvrage dédié à Camillo de Lellis 4 , l’on lit la prière suivante : Que sa divine piété veuille m’accepter dans le nombre de ceux qui sa Divine Majesté a prédestinés, depuis l’éternité, à se sauver le jour du jugement 5 . En définitive, ainsi configuré, le Jansénisme idéologique italien se révèle comme un augustinisme, se caractérisant par plusieurs traits théologiques qu’il partage avec l’augustinisme de Port-Royal. En ce qui concerne le Jansénisme proprement historique, les milieux cultivés italiens furent tout de suite conscients des événements principaux de la vie ecclésiastique et des disputes littéraires françaises, beaucoup moins des disputes théologiques : peut-être, la Contre-Réforme avait-elle éteint tout intérêt des non-cléricaux pour ce genre de controverses. Les idées du Jansénisme se diffusèrent en Italie par plusieurs canaux. En premier lieu, la correspondance ; le Cardinal Giovanni Bona 6 , par exemple, était en contact avec Mabillon 7 , Christian Lupus 8 , Luc d’Achéry 9 , le bollandiste Papenbroeck 10 , Étienne Baluze 11 , Johannes van Neercassel 12 , Pierre Floriot 13 et avec Antoine Arnauld 14 , qu’il qualifiait de summus vir 15 . Les voyages furent un deuxième canal de diffusion du Jansénisme en Italie : Mabillon et Bernard de Montfaucon 16 visitèrent la péninsule et entrèrent en contact avec des sa- 4 Bucchianico, 1550 - Rome, 1614. 5 « Che sua divina pietà mi voglia accettare nel numero di quelli, che ab aeterno da S.D.M. sono stati predestinati, per salvarsi nel giorno del giudizio » (Auruccio, Vincenzo. 1586. Rituario che tener si deve da quelli, che havendo cura d’anime, desiderano, come buoni pastori, vegliare sopra il grege a loro commesso da Dio, nel comunicar gl’infermi : amministrare il santissimo sacramento della estrema untione : e di raccomandar l’anima. Con l’aggiunta d’un compendio d’orationi, salmi, versetti, & preci… Opera utilissima ad ogni fedele, e caritativo cristiano, éd. de 1611, Rome, per Bartolomeo Zannetti, ad instanza de Pietro Paolo Giuliani, all’insegna del Griffo : 56 et seq. 6 Mondovì, 1609 - Rome, 1674. 7 Saint-Pierremont, 1632 - Saint-Germain-des-Prés, 1707. 8 Ypres, 1612 - Leuven, 1681. 9 Saint-Quentin, 1609 - Paris, 1685. 10 1628-1714. 11 Tulle, 1630 - Paris, 1718. 12 Gorinchem, 1625 - Zwolle, 1686. 13 1604-1691. 14 Paris, 1612 - Bruxelles, 1694. 15 Bona, Giovanni. 1755. Epistolæ selectæ aliæque eruditorum sui temporum virorum ad eumdem scriptæ. Turin, ex typographia regia : 61 et 99, lettres XVI et LXIII. 16 Soulatge, 1655 - Saint-Germain-des-Prés, 1741. <?page no="253"?> 239 Le jeûne et le chocolat: le rigorisme janséniste en Italie vants tels que Lodovico Sergardi 17 et Antonio Magliabecchi 18 ; certains de ces voyages eurent des retombées dans la longue période de l’histoire culturelle italienne ; pendant l’une de ces visites, par exemple, Mabillon se lia d’amitié avec Benedetto Bacchini 19 , maître de Ludovico Antonio Muratori 20 , l’un des protagonistes du Jansénisme italien. Un troisième canal fut la présence de certains professeurs français de théologie enseignant dans des universités italiennes, comme les dominicains Jacques-Hyacinthe Serry 21 , René-Hyacinthe Druin 22 et Amat de Graveson 23 . Enfin, les livres furent un quatrième canal, très important, pour la propagation en Italie des idées jansénistes. En premier lieu, par des traductions : en 1684, Cosimo Brunetti traduisit les Provinciales en italien 24 , traduction qui fut lue surtout dans les éditions vénitiennes de 1761 et 1789. Mais ce fut surtout grâce à des Servites lucquois que les ouvrages du Jansénisme français furent traduits en Italien : Alessandro Pompeo Berti 25 traduisit Pierre Nicole 26 , et pour cela fut accusé de répandre le Jansénisme en Italie ; Nicolao Burlamacchi traduisit la Vie de Rancé 27 de Jacques Marsollier 28 ; Costantino Roncaglia 29 édita l’Historia ecclesiastica 30 d’Alexandre Noël 31 . En outre, en 1734 l’on publia, toujours à Venise, la Theologia dogmatica moralis 32 17 Sienne, 1660 - Spoleto, 1726. 18 Florence, 1633-1714. 19 Fidenza, 1651 - Bologne, 1721. 20 Vignola, 1672 - Modena, 1750. 21 1659-1738. 22 1682-1742. 23 1670-1733. 24 Pascal, Blaise. 1761. Le Provinciali o Lettere scritte da Luigi di Montalto ad un provinciale de’ suoi amici colle annotazioni di Guglielmo Wendrok tradotte nell’italiana favella con delle nuove annotazioni, 6 vol. Venise, nella stamperia dei PP. Gesuiti nel foro deretano. 25 1686-1751. 26 Chartres, 1625 - Paris, 1695. L’oeuvre de traduction de Berti fut vaste, allant des quatre volumes des Saggi di morale del signor di Chanteresme (Venise, presso Nicolo Pezzana, 1729) jusqu’aux deux volumes des Lettere scritte dal fu signore di Chanteresme baccilliere in sacra teologia (Venise, appresso Lorenzo Baseggio, 1786). 27 Marsollier, Jacques. 1706. Vita di D. Armando Giovanni le Bouthillier di Rancé […] Raccolta da quella che ha scritta in lingua francese il signor abbate di Marsollier… publicata nell’idioma italiano dall’abbate Nicolao Burlamacchi, Lucques, per i Marescandoli. 28 1647-1724. 29 1677-1737. 30 Alexandre, Noël. 1734. Historia ecclesiastica Veteris Novique Testamenti, 9 vol., Luques, typis L. Venturini. 31 Rouen, 1630 - Paris, 1724. 32 Habert, Louis. 1734. Theologia dogmatica et moralis ad usum seminarii Catalaunensis, 7 vol.,Venise, ex typographia Balleoniana. <?page no="254"?> Massimo Leone 240 de Louis Habert 33 , en 1738 une traduction latine des Réflexions sur les règles et sur l’usage de la critique 34 d’Honoré de Sainte-Marie 35 . Si Venise fut le centre le plus important pour les éditions diffusant la culture janséniste en Italie, Rome et Naples furent, au contraire, les villes où l’on imprima des ouvrages qui essayaient de contrecarrer cette tendance. Entre 1669 et 1679, Antonio Marinari 36 , évêque de Thagaste, publia à Rome les trois volumes de l’ouvrage In materia de gratia verus Augustinus, adversus opus cuius titulus est : Augustinus Cornelii Jansenii, episcopi Iprensis 37 . En 1711, Giovanni Lorenzo Lucchesini 38 faisait imprimer, toujours à Rome, une Polemica historia Jansenismi 39 ; en 1728, le jésuite Giuseppe Sanfelice 40 publia à Naples une Jansenii doctrina ex Thomisticæ theologiæ præceptis, atque Institutis damnata 41 ; en 1770, Ambrogio Manchi faisait imprimer, toujours à Naples, un ouvrage intitulé De superno adjutorio innocenti creaturæ necessario 42 . L’existence de ces ouvrages, soient-ils favorables à certaines idées jansénistes ou bien tout à fait contraires, démontre une pénétration de ces idées en Italie à partir de la fin du dix-septième siècle. La lecture de ces ouvrages contribue à indiquer de quelle façon ces idées furent transformées au moment de leur absorption par le tissu culturel et religieux italien. La définition que proposait, des Jansénistes italiens, Carlo Arturo Jemolo, est peut-être encore la plus efficace : « Catholiques peu aimants des Jésuites 43 . » Car, dit 33 1636-1718. 34 Sainte-Marie, Honoré de. 1738. Animadversiones in regulas et usum critices, spectantes ad historiam ecclesiæ, opera patrum, acta antiquorum martyrum, gesta sanctorum […] Accedunt notationes historicæ, cronologicæ, et criticæ, Venise, excudebat Franciscus Pitteri. 35 1651-1729. 36 1605-1689. 37 Rome, M. Herculis. 38 1638-1716. 39 Lucchesini, Giovanni Lorenzo. 1711. Polemica historia Jansenismi contexta ex bullis, & brevibus pontificiis, literis cleri Gallicani, Sorbonæ decretis, aliisque authenticis actis, quæ omnia, nullo adempto verbo, dantur in fine voluminis : in quo statuitur judicandum esse infallibili actu fidei divinæ, quod in Jansenii libro sensus, & doctrina hæretica contineatur, Rome, typis Georgii Plachi. 40 1665-1737. 41 Sanfelice, Giuseppe. 1728. Jansenii doctrina ex Thomisticæ theologiæ præceptis, atque Institutis damnata, Naples, typis Stephani Abbatis. 42 Manchi, Ambrogio. 1770. De superno adjutorio innocenti creaturæ necessario et præcipue commenta dissipantur libri cui titulus D. Augustinus D. Thomæ […], Naples, apud Josephum Antonium Elia. 43 Jemolo, Carlo Arturo. 1928. Il Giansenismo in Italia prima della Rivoluzione, Bari, Laterza, 99. <?page no="255"?> 241 Le jeûne et le chocolat: le rigorisme janséniste en Italie Jemolo lorsqu’il s’interroge, par exemple, sur l’appartenance de Muratori au Jansénisme 44 , si l’on dénommait par ce terme sa signification étymologique, à savoir les souteneurs des cinq propositions, ou même si l’on désignait par ce terme ceux qui nient que ces cinq propositions soient en Jansen, ou, encore, si l’on ne désignait par le terme « Jansénisme » que ceux qui n’acceptent pas l’Unigenitus, et bien, l’on trouverait très peu de Jansénistes en Italie. Pour repérer les traces du Jansénisme européen en Italie, il faut considérer, continue Jemolo, tous les anti-jésuites de la théologie, de la morale, des cent questions de détail dans lesquels se concrétise la vie religieuse italienne 45 . Le rigorisme moral fut donc la manifestation la plus évidente du Jansénisme italien. Toute l’œuvre du Cardinal Bona, notamment les Principia et documenta vitæ christianæ 46 , est pétrie de cette tendance. Elle révèle son ascendance française surtout dans l’ouvrage du frère mineur conventuel Bernardino Ciaffoni 47 , intitulé Apologia in favore de’ Santi Padri contra quelli, che nelle materie morali fanno de’medesimi poca stima 48 ; publié en 1696, ce pamphlet suivait le style et même les exemples des Provinciales, au point que, deux ans plus tard, le Jésuite Giovanni Battista De Benedictis 49 en fit l’objet d’un autre pamphlet satyrique, intitulé La scimia del Montalto 50 , « le singe de Montalte ». En lisant les ouvrages des rigoristes italiens du dix-huitième siècle, l’on ne peut ni totalement accepter cette ironie sur leur manque d’originalité, ni totalement la refuser. D’un côté, des ouvrages comme La scuola Mabillona 51 de Ceppi, le Trattato della frequenza della SS. Comunione 52 de Bambacari, la 44 Ibid., 110. 45 Ibid. 46 Bona, Giovanni. 1674. Principia et documenta vitæ christianæ. Rome, sumptibus Nicolai Angeli Tinassij. 47 1614-1684. 48 Bassano, per Gio. Antonio Remondinj. 49 1622-1706. 50 Benedictis, Giovanni Battista de. 1698, La Scimia del Montalto cioe un libricciulo intitolato Apologia in favore de’ Santi Padri contra quelli, che in materie morali fanno de’ medesimi poca stima convinto di falsita da Francisco de Bonis sacerdote. Graz, ad istanza dell’Autore. 51 Ceppi, Nicola Girolamo. 1701, La scuola mabillona nella quale si trattano quei studi, che possono convenire agl’ecclesiastici ; con una lista delle principali difficoltà, che si trovano nella lettura de concili, de Padri, e dell’istoria. Gia eretta per li pp. benedettini di Francia, & ora aperta a tutti li religiosi d’Italia dal maestro Nicola Girolamo Ceppi, Rome, per Antonio de Rossi. 52 Bambacari, Cesare Niccolò. 1700, Trattato della frequenza della santissima comunione o spirituale, o sacramentale, 2 vol., Lucques, Per Domenico Ciuffetti. <?page no="256"?> Massimo Leone 242 Dissertazione dogmatica 53 d’Orsi 54 , la Lettera ad un nuovo parroco intorno al probabilismo 55 de Bosio, les Epistolæ 56 de Ballerini 57 , les Riflessioni sopra l’opinione probabile 58 de da Bergamo, posèrent des questions générales concernant la théologie morale de la modernité chrétienne ; de l’autre côté, cependant, plusieurs auteurs se laissèrent emporter par un goût plutôt provincial pour les détails curieux et, souvent, piquants. De ce point de vue, Daniele Concina 59 , le prince des rigoristes italiens, est, peut-être, le cas le plus représentatif. Controversiste infatigable, il écrivit, entre autres, une Theologia christiana dogmatico-moralis 60 en cinq mille pages, sorte d’encyclopédie de la morale catholique ordonnée selon les dix commandements. Avec une attitude typique du rigorisme italien, il traite, dans cet ouvrage monumental, avec la même intensité rhétorique des questions très générales, comme l’obligation de l’amour de Dieu ou la possibilité du salut malgré l’ignorance de la doctrine, et des questions très spécifiques, comme la licéité de manger des beignets pendant le carême. Le provincialisme du rigorisme italien, son particularisme quelque peu ridicule, était une contrepartie du provincialisme et du particularisme de la casuistique italienne, qui n’enfanta aucun Caramuel 61 , aucun Busembaum 62 ; au contraire, elle s’exprima au plus haut degré dans les ouvrages du Carme Cassiano di S. Elia, condamnés à cause de la bizarrerie de ses exemples ; dans 53 Orsi, Giuseppe Agostino. 1727, Dissertazione dogmatica, e morale contro l’uso materiale delle parole in cui dimostrasi colla tradizione de’ Padri ed altri antichi scrittori che le parole, ne’ casi eziandio di grave, o estrema necessita, non perdono per legge della Repubblica il valor del lor significato. Rome, nella stamperia di Girolamo Mainardi. 54 Florence, 1692 - Rome, 1791. 55 Bosio, Vincenzo. 1731, Lettera ad un nuovo parroco intorno al probabilismo. Padoue, Nella Stamperia del Seminario appresso Giovanni Mandre. 56 Ballerini, Pietro. 1734, Epistolæ quatuor theologomorales P.B.P.V. adversus dissertatorem S.J. seu Censura quatuor dissertationum quæ dictatae fuerunt contra libellum Italice inscriptum, Risposta alla Lettera del P. Paolo Segneri della Compagnia di Gesù su la materia del probabile, Venise, typis Dionysii Ramanzini bibliopolae ad S. Thomam. 57 1698-1769. 58 Da Bergamo, Gaetano Maria. 1739, Riflessioni sopra l’opinione probabile per i casi della coscienza nella teologia morale opera teologico-ascetica divisa in due parti, 2 vol., Brescia, dalle stampe di Giam-Batista Bossino. 59 Clauzetto, Udine. 1687 - Venise, 1756. La bibliographie sur Concina est vaste. Cf. l’entrée Concina, Daniele, dans le Dizionario biografico degli italiani, 68 vol. jusqu’à 2007, Rome, Istituto della Enciclopedia Italiana, vol. 27, 716-722, rédigée par Paolo Preto. 60 Concina, Daniele. 1749-1751, Theologia christiana dogmatico-moralis, 10 vol. Rome, prostant venales Venetiis, apud Simonem Occhi. 61 Juan Caramuel y Lobkowitz, Madrid, 1606 - Milan, 1682. 62 Hermann Busembaum, Notteln, Westphalia, 1600 - Münster, 1668. <?page no="257"?> 243 Le jeûne et le chocolat: le rigorisme janséniste en Italie le Centum historiarum examen cum sententia definitiva in utroque iure 63 , publié à Bologne en 1682, Sant’Elia affirmait qu’un couvent peut acheter le prix de prostitution d’une religieuse ; que le Pape peut donner une dispense à une femme pour qu’elle devienne prêtre ; qu’une femme mariée, mise enceinte par le supérieur d’un monastère cloîtré, ne viole pas ledit monastère si elle y pénètre pour donner naissance à l’enfant, même si, dans l’attente de l’accouchement, elle a encore des contacts sexuels avec le supérieur. Mais le véritable triomphe de la casuistique italienne fut, probablement, la célèbre Dissertatio in casus reservatos 64 , où le jésuite Bernardino Benzi 65 soutenait l’opinion que toucher les seins d’une religieuse n’est qu’un péché véniel, s’attirant, ainsi, la critique d’être le fondateur d’une theologia mamillaris, d’une théologie mamillaire. Lorsque les rigoristes italiens, inspirés par leurs prédécesseurs européens, se proposèrent de réformer la théologie morale de leur pays, ils se situèrent souvent au même niveau de leurs antagonistes et, au lieu de les couvrir d’ironie, comme l’aurait fait Pascal, ils s’évertuèrent à débattre des mille cas inventés par leurs adversaires, jusqu’à développer une véritable anticasuistique, aussi cuistre que sa version spéculaire. Afin de souligner les traits principaux de cette tendance, l’un des ouvrages de Daniele Concina, les Memorie storiche sopra l’uso della cioccolata in tempo di digiuno 66 , est très pertinent. Le choix du sujet, l’usage du chocolat en temps de jeûne, ne révèle pas seulement une attention pour les minuties de la morale catholique, mais aussi un certain narcissisme de l’auteur, souhaitant mêler sa voix à une controverse à la mode. Le chocolat était devenu matière de débat au sein de l’Église au moins depuis 1569, lorsque, selon la tradition, Pie V, ayant goûté la boisson américaine pour la première fois et l’ayant trouvée écœurante, avait déclaré qu’elle ne rompait pas le jeûne 67 ; ensuite, le célèbre aphorisme liquidum non frangit jejunium, attesté dans plusieurs auteurs catholiques, fut adopté par le Jésuite 63 Di Sant’Elia, Cassiano. 1682, Centum historiarum examen cum sententia definitiua in vtroque iure, & pro vtroque foro, Bologne, ex Camerali typographia Manolessiana. 64 Benzi, Bernardino. 1743, Dissertatio in casus reservatos Venetæ dioceseos, Venise, apud Joannem Mariam Lazaroni sub signo S. Cajetani. 65 1688-1768. 66 Concina, Daniele. 1748, Memorie storiche sopra l’uso della cioccolata in tempo di digiuno, esposte in una lettera a monsig. illustriss., e reverendiss. arcivescovo N.N., Venise, appresso Simone Occhi. 67 Paltrinieri, Elisabetta. 1999, “Introduzione” a Colmenero de Ledesma, Antonio. 1631, Curioso tratado de la naturalezza y calidad del chocolate. Madrid, por Francisco Martinez. Trad. it. Vitrioli, Alessandro, 1667. Della cioccolata discorso. Rome, nella stamparia della R.C.A., nouvelle edition de 1999. Curioso trattato sulla natura e qualità del cioccolato. Alessandria, Edizioni dell’Orso, 22. <?page no="258"?> Massimo Leone 244 Antonio Escobar y Mendoza 68 , afin de permettre l’ingestion de chocolat liquide pendant le jeûne. Significativement, le sujet devint matière de morale religieuse en Amérique avant de l’avoir été en Europe : en 1591, à Mexico, Juan de Cárdenas 69 publiait un ouvrage intitulé Problemas y secretos maravillosos de las Indias, dans lequel il écrivait : […] podemos sacar en limpio que quien pensando que ayuna y usa d’estas bevidas, pecca doblado que si no ayunara : lo uno, en no ayunar, y lo otro, en querer engañar a Dios y a su confessor, haziéndole encreyente que ayuna 70 . Plus tard, en 1636, cette même opinion apparut en Europe dans un pamphlet d’Antonio de León Pinelo 71 intitulé Question moral : si el chocolate quebranta el ayuno eclesiastico 72 , mais auquel s’opposa un autre ouvrage, publié par Tomaso Hurtado 73 en 1645, intitulé Chocolate y tabaco, Ayuno eclesiastico y natural si este le quebrante el chocolate y el tabaco al natural, para la sagrada Comunion 74 , où l’auteur affirmait l’existence d’une bulle papale permettant l’ingestion de chocolat pendant le jeûne. Ensuite, plusieurs théologiens européens alimentèrent cette controverse jusqu’au point que, en 1664, le cardinal Francesco Maria Brancaccio 75 y intervint par l’opuscule De chocolatis potu diatribe 76 , où le chocolat est considéré boisson per se, et non seulement per accidens et, par conséquent, il est admis pendant le jeûne, tout comme l’eau et le vin. La réponse du rigorisme italien face à ce défi est exemplifiée par l’ouvrage que Daniele Concina consacra à la question du jeûne et du chocolat. L’ouvrage est écrit en forme de lettre de réponse à la question d’un Archevêque anonyme, qui se demandait si c’était vrai que, pendant le carême, un prêcheur avait d’abord enseigné que, quiconque boit una chicchera di 68 Valladolid, 1589-1669. 69 1563-1609. 70 Cárdenas, Juan de. 1591, Primera parte de los problemas, y secretos maravillosos de la Indias, Mexico, Pedro Ocharte, 122v-123r. Les chapitres sept, huit et neuf traitent de la question du chocolat. 71 1590-1660. 72 León Pinelo, Antonio de. 1636, Question moral : si el chocolate quebranta el ayuno eclesiastico : tratase de otras bebidas i confecciones que usan en varias provincias. Madrid, por la viuda de Iuan Gonçalez. 73 1589-1659. 74 Madrid, por Francisco Garcia. Cf. Hurtado, Tomaso, 1651, Tractatus Varii Resolutionum Moralium : In quibus multiplices casus ex principiis Theologiæ Moralis S. Thomæ et […] Caietani, metodo brevi, risoluta et clara enucleantur, Louvain, Sumptibus Laurentii Anisson, & Soc., II, 162-187, De Potione Cocolatica Sumenda, vel non sumenda in die jeiunii ecclesiastici. 75 Canneto, 1592 - Rome, 1675. 76 Brancaccio, Francesco Maria. 1664, De chocolatis potu diatribe, Rome, per Zachariam Dominicum Acsamitek a Kronenfeld. <?page no="259"?> 245 Le jeûne et le chocolat: le rigorisme janséniste en Italie cioccolato, « une tasse de chocolat », commet un péché mortel, puis, accusé de rigorisme, avait récusé ses propres mots. Au début de sa réponse, Concina proclame que, si un étranger venait en Italie, et en observait les mœurs, il s’écrierait que le Rigorisme invoqué par les Bénignistes est une chimère 77 . Puis, l’auteur fait parler le chocolat à la première personne, dans un sonnet teint de conceptisme baroque. En voici une traduction française : Je suis celui qui par sa vieille essence / eut déjà des dures disputes avec le jeûne : / de sorte que les plus grands théologiens, éperdus, / ne savent pas à qui de nous donner la sentence. / / Dans l’Ecole les deux Jésuites / étudient et le goût, et l’abstinence, / et l’un dit, que les liquides absorbés / rompent le jeûne, lorsqu’il y a incontinence, / / l’autre pour calmer les scrupules, conseille / que ce soit un rite civil d’amitié, / si l’on me prend parfois sans vanille. / / Cette doctrine moyenne, entre l’innocence et la malice, / accorde à merveille / le jeûne, la gourmandise et l’avarice 78 . Ensuite, Concina commence sa pars destruens, qui vise principalement à démolir les opinions probabilistes favorables au chocolat en temps de jeûne, notamment les avis de Tomaso Hurtado. La première controverse porte sur la catégorisation du chocolat en tant que matière, étant donné que, à l’époque, on avait l’habitude de le consommer comme les natifs d’Amérique, plus ou moins dilué avec de l’eau, parfois avec d’autres ingrédients, comme du lait ou des œufs. Ainsi, dit Concina, Hurtado et les autres théologiens bénignistes admettent que l’on violerait le jeûne, si l’on avalait en morceaux la même quantité de chocolat qui, diluée avec de l’eau et bien chauffée, ne préjugerait pas de l’observance du jeûne. Proposition merveilleuse, dit Concina, car selon cette logique, quiconque mange quatre onces d’esturgeon rôti, gâche le jeûne, mais celui qui le liquéfie dans un bouillon substantiel, ne pèche point. La deuxième controverse porte sur la catégorisation du chocolat en tant que boisson. Hurtado appuie sa sentence sur l’autorité de Thomas d’Aquin, 77 Non griderebbe, che il Rigorismo spacciato da’ Benignisti una chimera, che in pratica nell’Italia non si trova. (Concina, Daniele, 1748, Memorie storiche, op. cit., vii). 78 « Colei son io che per l’antica essenza / Ebbi già col digiun sì fiere liti : / Che i maggiori Teologi smarriti / Non sanno a chi di noi dar la sentenza. / / Studian del pari il gusto, e l’astinenza / Nella Scuola ambedue de i… / E dice l’un, che i liquidi assorbiti / Frangono, quando v’è l’incontinenza. / / Per sedar l’altra i scrupoli consiglia, / Che sia rito civil dell’amicizia, / Se si prende talor senza vaniglia. / / Questa tra l’innocenza, e la malizia / Dottrina media accorda a maraviglia / Il digiuno, la gola, e l’avarizia. » (Ibid., xx). Dans le texte originel, les Jésuites ne sont pas mentionnés explicitement, mais évoqués implicitement par la réticence du vers six, qui se termine par des points de suspension ; grâce à la structure métrique du vers et à sa place dans le schéma des rimes, le lecteur peut aisément deviner que les points de suspension cachent le mot Gesuiti, « Jésuites ». <?page no="260"?> Massimo Leone 246 Antonin de Florence 79 , Pierre de la Palud 80 , Durand de Saint-Pourçain 81 et d’autres théologiens, qui écrivirent tous avant la diffusion du chocolat, mais qui touchèrent le sujet des électuaires, à savoir les conserves qu’au Moyen Âge on avait l’habitude de consommer après le dîner, uniquement pour faciliter la digestion. Selon Hurtado, le chocolat peut être bu pour se désaltérer, ou comme médicament, ou bien pour se nourrir. Mais comme le chocolat est une boisson per se, quoiqu’il puisse nourrir per accidens, ceux qui le boivent sans l’intention de se nourrir, ne pèchent pas. Face à cet argument, Concina révèle que son but est de placer sous les yeux des [mes] lecteurs quelques passages de théologie probabiliste, de sorte qu’ils soient convaincus combien soit-il nuisible pour la morale chrétienne ce probabilisme qu’aujourd’hui tous les savants d’Europe, les Catholiques comme les Luthériens, condamnent, et que les Calvinistes détestent, et que toute la Grande Église de France a condamné comme source venimeuse de tous les maux 82 . Ensuite Concina se penche sur le troisième point de la controverse, sur ce qu’il retient comme « l’argument le plus solide » d’Hurtado : et sicut potus vini pluries repetitus non frangit, ita neque chocolatus, comme boire du vin, même plusieurs fois, ne rompt pas [le jeûne], alors même le chocolat ne le rompt pas. Selon le théologien espagnol, on avait introduit, dans chaque partie du monde, des boissons obtenues en pressant des comestibles, comme le vin au miel chez les Romains, la bière chez les Flamands, le cidre chez les Cantabres. Qu’une boisson ait été inventée par des païens idolâtres, n’empêchait qu’elle ne rompît pas le jeûne chrétien. Face à ce troisième argument, Concina ironise : nous ne devons pas nous effarer, si les prêtres idolâtres s’abstiennent du chocolat, lorsqu’ils pratiquent leurs jeûnes, car leur rigueur n’appartient pas à la substance de la pénitence chrétienne, qui est douce, aimable, dépourvue de tout rigorisme 83 . 79 Florence, 1389-1459. 80 Savoie, 1275 - Paris, 1342. 81 Saint-Pourçain-sur-Sioule, 1270 - Meaux, 1332 ou 1334. 82 « Io vo stendendo sotto gli occhi de’ miei leggitori alcuni squarci di Probabilistica Teologia, affinché sempre più pesuasi restino, quanto pernizioso, e fatale sia alla cristiana Morale quel Probabilismo che a giorni nostri tutti e quanti i sapienti d’Europa, così Cattolici, come Luterani, e Calvinisti detestano, che tutta la Gran Chiesa di Francia ha condannato, qual velenoso fonte di tutti i mali. » (Concina, Daniele. 1748, Memorie storiche, op. cit., xxxi). 83 « Né dee sgomentarci che i Sacerdoti idolatri si astengano dal ciocolate in tempo de’ loro digiuni : perché egli usano tal astinenza per digiunare con più di rigore, il qual rigore non appartiene alla sostanza del precetto di noi altri Cristiani. […] La penitenza di noi altri <?page no="261"?> 247 Le jeûne et le chocolat: le rigorisme janséniste en Italie Toutefois, les dards polémiques de Concina ne s’adressent pas au probabilisme tout court, mais aux probabilistes qui admettent l’usage du chocolat. Il cite, par exemple, le théologien probabiliste Zaccaria Pasqualigo 84 , qui, dans son traité sur le jeûne 85 , avait trouvé des raisons pour exempter de cette abstinence les pauvres, les servants, les voyageurs, les mariés faibles, les femmes qui pâlissent lorsqu’elles jeûnent, de sorte qu’elles pourraient déplaire à leurs maris, les épouses vierges, s’il y a danger que leur beauté en soit offusquée, tous les cordonniers, les cochers, les boulangers, les tisserands, les meuniers, les tanneurs, les argentiers, les orfèvres, les marchands de rue, les blanchisseuses, les sculpteurs, les imprimeurs, les marins, les soldats vaillants et même, après une longue liste, les professeurs d’Université ; mais, continue Concina, même un théologien aussi permissif que Pasqualigo avait condamné « les chocolatants », ceux qui boivent du chocolat en temps de jeûne. Après une longue tirade contre les opinions des cardinaux Brancaccio et Cozza 86 , favorables tous les deux au chocolat, Concina propose la pars construens de ses Memorie storiche. Il part du présupposé que l’essence du jeûne chrétien est de mortifier la gourmandise, de macérer la chair, de freiner les sens, d’assujettir les appétits rebelles à la volonté, d’humilier l’homme devant le trône de la divine majesté 87 . Il cite Augustin 88 , mais il reporte également les mots de Calvin, lorsqu’il accuse les catholiques en disant que ineptissimo abstinentiæ prætextu cum deo ludere cœperunt 89 . Il rappelle qu’il n’y a aucune hérésie, aucune secte, qui ne pratique pas le jeûne : mais ni chez les Turcs, ni chez les Juifs, ni chez les Protestants, l’on trouve que le jeûne admette trois repas par jour, et les délices les plus exquises 90 . Puis, il donne une longue Cristiani è dolce, e soave, nella cui sostanza non ci entra il Rigorismo, secondo la probabilità dello storico nostro. » (Ibid., xxxviii). 84 Vérone, 1600-1664. 85 Pasqualigo, Zaccaria. 1644, Praxis ieiunii ecclesiastici et naturalis in qua quicquid in hac materia occurrere potest, atque item alia plura dubia ex theologicis principiis, Rome, typis haeredum Francisci Corbelletti. 86 Lorenzo Cozza, San Lorenzo alle Grotte, 1654 - Rome, 1729. 87 « La indole, la essenza di questo digiuno è di mortificare la gola, di macerare la carne, di frenare il senso, di soggettare gli appetiti ribelli alla volontà, di umiliare l’uomo avanti il trono della divina Maestà. » (Concina, Daniele. 1748, Memorie storiche, op. cit., lxxxvi). 88 Ser. 2 in Quadrag. : illi qui sic a carnibus temperant, ut alias escas difficilioris praeparationis, & maioris pretii inquirant, multum errant. Hoc enim non est suscipere abstinentiam, sed mutare luxuriam. 89 Institutio, IV, xii. 90 « Non v’ha eresia, non v’ha setta che i suoi digiuni non pratichi. In niuna di queste sette, sia di Turchi, sia di Ebrei, sia di Protestanti, ritroverassi che i digiuni praticati per umiliarsi avanti a Dio, per placare la divina vendetta, ammettano tre refezioni il giorno, e le delizie più squisite. » (Ibid., xci). <?page no="262"?> Massimo Leone 248 liste de probabilistes - Antonino Diana 91 , Zaccaria Pasqualigo 92 , Hernando de Castropalao 93 , etc. - qui s’opposent au chocolat en temps de jeûne ; et une liste aussi longue d’anti-probabilistes - Lorenzo Berti, Pietro Ballerini 94 , Enrico di Sant’Ignazio, etc., qui sont du même avis. Enfin, il propose deux conclusions ; la première : l’usage du chocolat est tout à fait contraire au précepte du jeûne ; la deuxième : quoique la matière du chocolat soit subtile, les confins de cette subtilité sont difficiles à préciser : si selon Pasqualigo ou Tommaso Tamburino 95 la quantité permise de chocolat en temps de jeûne est d’un sixième, d’une octave d’once, devrait-on peut-être considérer une âme comme éternellement damnée ou comme éternellement bienheureuse, pour une demi-tasse ? Mais, continue Concina, seras-tu, ô Chrétien, si lâche, si aveugle, de vouloir risquer ton salut éternel pire qu’Ésaü, pour une tasse de chocolat 96 ? * La lecture et l’étude des Memorie storiche de Daniele Concina sont intéressantes pour aborder le sujet du jansénisme italien sous les deux aspects mentionnés au début de ce texte, à savoir son développement historique entre les siècles dix-septième et dix-huitième et sa présence idéologique dans la longue durée de la culture italienne. En ce qui concerne le premier aspect, on peut suggérer que, lorsque certains théologiens italiens, ainsi que certains membres des milieux cultivés, intégrèrent des idées jansénistes dans leur culture religieuse, encouragés, parfois, par la présence d’un substrat d’augustinisme, ils s’égarèrent souvent dans les détails de la morale, incapables, par manque de perspective intellectuelle ou bien par crainte de la réaction de Rome, de placer cette morale dans le cadre général de l’idéologie janséniste. Concina, par exemple, qui pourtant était un théologien d’envergure, peut-être l’un des rigoristes majeurs de son époque, au lieu de critiquer la logique du probabilisme moral, se limitait à défendre un point particulier, finissant par adopter la même stratégie rhétorique des probabilistes, à savoir l’étalage d’érudition, la quête de références favorables, la recherche d’ergoteries, un certain narcissisme stylistique. Le résultat en est la production de textes qui, au lieu d’être 91 Palerme, 1586 - Rome, 1663. 92 1600-1664. 93 León, 1583 - Medina del Campo, 1663. 94 1698-1769. 95 1591-1675. 96 « Ma per contrario sarai tu, o Cristiano, così vigliacco, così cieco, di voler arrischiare la tua eterna salute peggio che Esau, per una chicchera di cioccolate ? » (Concina, Daniele. 1748, Memorie storiche, op. cit., cxxvi). <?page no="263"?> 249 Le jeûne et le chocolat: le rigorisme janséniste en Italie ironiques et amusants, comme les Provinciales de Pascal, sont plutôt amusants et ridicules. Le donquichottisme de Concina et, en général, de la plupart des rigoristes italiens, en détermina également la stérilité dans la courte et, à fortiori, dans la longue durée de l’histoire culturelle italienne. À ce propos, il serait difficile d’établir si le rigorisme janséniste, comme d’autres rigorismes du passé, restèrent des voix isolées dans la société italienne, des voix à peine tolérées et même quelque peu ridiculisées, car un substrat profond de la culture italienne, pour des raisons historiquement très complexes, s’oppose à toute pensée de la rigueur morale, ou bien si ce fut exactement l’échec du rigorisme italien, le triomphe du bénignisme, qui contribua à déterminer, dans la longue durée, la lassitude morale de la société italienne. Certes, en observant l’anthropologie morale et juridique des Italiens d’aujourd’hui, l’on a l’impression qu’un fil rouge lie les théologiens qui, aux dix-septième siècle, interprétaient la morale chrétienne pour légitimer l’usage du chocolat en temps de carême et les juristes qui, aux vingt-et-unième siècle, interprètent la loi administrative pour légitimer la fausse comptabilité. Toutefois, déterminer l’existence de ce fil rouge et, encore plus, son parcours pendant les siècles, requiert des études vastes et approfondies, qui nous aideront à mieux connaître le présent par la connaissance du passé. <?page no="265"?> Biblio 17, 188 (2010) Du Mars gallicus aux Inconvéniens d’Estat : naissance du jansénisme entre religion et politique F RÉDÉRICK V ANHOORNE Université de Liège Bibliothèque générale de Philosophie et Lettres Dès l’annonce de sa parution, l’Augustinus de Jansénius a suscité la controverse. Sa condamnation et, ultérieurement, celle de ses défenseurs, a été très ardemment souhaitée par les autorités françaises. Ce sont là des faits bien connus. Ils n’en posent pas moins question : comment une querelle universitaire sur des sujets théologiques, certes aussi importants que sensibles, mais également fort abstraits, a-t-elle pu engendrer une controverse politico-religieuse d’une longueur et d’une âpreté peu communes ? Plutôt que de proposer d’emblée des réponses à cette question complexe et controversée, il paraît intéressant de relever l’opinion que quelques contemporains développaient à ce sujet et de tenter d’en percevoir la signification. Dans une lettre de 1694, Quesnel évoque le rôle central que les autorités françaises ont joué dans les différentes condamnations du jansénisme et y voit la raison suivante : La haine de la France contre Jansénius est fondée sur le zèle qu’il a témoigné pour les intrigues de son prince et de la monarchie [d’Espagne] par son Mars gallicus 1 . Selon l’auteur des Réflexions morales, la France chercherait donc davantage à condamner en Jansénius l’auteur du Mars gallicus, qui est un pamphlet politique hispanophile, que le théologien auteur de l’Augustinus. Cinquante ans auparavant, dans sa Seconde apologie pour M. Jansénius, parue en avril 1645, Antoine Arnauld avait développé la même argumentation et en déduisait que l’accusation d’hérésie n’était que prétexte. D’une manière aussi élégante que malicieuse, Arnauld n’hésite pas à conclure à propos de Jansénius que 1 Lettre de Quesnel à Claude Niçaise, 12 février 1694, Inventaire Tans-Schmitz du Moulin, n° 1074, Rijksarchief Utrecht, fonds Oud Bisschoppelijk Clerezie, n° 633. <?page no="266"?> Frédérick Vanhoorne 252 si on ne l’avait cru auteur du Mars françois, on n’aurait point trouvé d’hérésie dans son Augustin 2 . En dépit de sa force suggestive, l’assertion d’Arnauld, reprise par Quesnel, ne peut d’emblée être jugée concluante et doit plutôt être considérée avec précaution. Elle vient en effet fort opportunément appuyer l’argumentation développée à Port-Royal qui présente ce qu’on appelle le jansénisme comme un « phantosme » ou une « hérésie imaginaire » 3 . Quoi qu’il en soit, Port-Royal n’est pas le seul à considérer le Mars gallicus comme une des causes principales de l’acharnement des autorités françaises à l’encontre de Jansénius et de sa postérité. Dès 1641, une des personnes les mieux informées de la situation religieuse des Pays-Bas espagnols et des premières controverses autour du jansénisme ne dit pas autre chose : dans une lettre adressée au cardinal Francesco Barberini, neveu du pape Urbain VIII, le nonce de Cologne, Fabio Chigi, futur pape Alexandre VII, souligne que pour contrer les défenseurs français de Jansénius, les jésuites n’ont pas manqué d’entreprendre le cardinal de Richelieu, le portant à la haine de Jansénius et lui démontrant que celui-ci, avec le président Roose 4 a été l’auteur de l’ouvrage d’Armanacus [i.e. le Mars gallicus] contre le roi de France et contre son Eminence. Et Francesco Albizzi, assesseur du Saint-Office et collaborateur de Barberini, répond à Chigi dans le même sens en 1643, estimant que les défenseurs de Jansénius ne sauraient rien obtenir des autorités de Paris, la mémoire de Jansénius y étant honnie pour avoir été l’auteur du Mars gallicus 5 . Rome n’est donc pas dupe du zèle que met la France à dénoncer l’hérésie naissante et perçoit bien le règlement de compte politique derrière la controverse théologique. 2 Antoine Arnauld, Seconde apologie pour M. Jansénius, dans Œuvres, Paris et Lausanne, 1778, t. 17, p. 44. 3 Antoine Arnauld, Le phantôme du jansénisme, s.l.n.d., 1686 ; Pierre Nicole, Les Imaginaires et les visionnaires, ou lettres sur l’hérésie imaginaire, Liège, Adolphe Beyers, 1667. Sur cette problématique, voir Jean-Robert Armogathe, « Le Phantôme du jansénisme ou la rhétorique de la déviance », Antoine Arnauld, trois études, La Rochelle, Rumeur des Âges, 1994, p. 33-47 ; Jean-Louis Quantin, « Ces autres qui font ce que nous sommes : les jansénistes face à leurs adversaires », Revue de l’histoire des religions, CCXII , 1995, p. 397-417. 4 Pierre Roose, chef-président du Conseil privé des Pays-Bas espagnols. 5 La correspondance anti-janséniste de Fabio Chigi, nonce à Cologne et plus tard pape Alexandre VII, éd. Aimé Legrand et Lucien Ceyssens, Bruxelles et Rome, Institut historique belge de Rome, 1957, p. 30 (lettre de Chigi à Barberini, 25 mai 1641) et p. 100 (lettre d’Albizzi à Chigi, 7 novembre 1643). <?page no="267"?> 253 Du Mars gallicus aux Inconvéniens d’Estat Du Mars gallicus aux Inconvéniens d’Estat En France même, les antijansénistes ne font d’ailleurs pas mystère de leurs motivations. Dans ses Inconvéniens d’Estat procédans du jansénisme, un des plus violents pamphlets antijansénistes publié en 1654, Léonard de Marandé n’hésite pas à déclarer que la raison principale qui oblige le roi de France de proscrire le jansénisme de son Etat est que Monsieur Jansénius a été un des plus grands ennemis de la France et de ses monarques 6 . Il apparaît donc clairement que l’engagement politique de Jansénius a joué un rôle important dans la condamnation de son ouvrage théologique et a constitué un facteur déterminant dans l’attitude des autorités françaises à l’égard du jansénisme et de Port-Royal. Il importe donc de cerner avec précision les prises de position politiques de Jansénius. Celles-ci ne peuvent se comprendre qu’à la lumière de la situation des Pays-Bas confrontés à la guerre de Trente ans, dernière grande guerre de religion et affrontement armé des impérialismes européens. Jansénius était né en 1585 à Leerdam en Hollande, dans une famille catholique isolée en terre calviniste. Quelques années avant sa naissance, en 1579, les unions d’Arras et d’Utrecht avaient concrétisé la division des anciens Pays-Bas en Provinces-Unies protestantes, au Nord, et Pays-Bas espagnols catholiques, au Sud. Il n’est pas douteux que Jansénius qui, pour accéder à la prêtrise, avait dû quitter les Provinces-Unies et se réfugier à Louvain, dans les Pays-Bas espagnols, a douloureusement vécu la division de l’ancien espace bourguignon. Sa correspondance, tout particulièrement, marque un balancement entre les vestiges du sentiment identitaire qui existait aux Pays-Bas à l’époque de Charles-Quint, et la quête d’une nouvelle identité fondée sur la confession qui est très présente dans les Pays-Bas espagnols, après la sécession des provinces du Nord. Avant les troubles de la seconde moitié du XVI e siècle, les Pays-Bas des ducs de Bourgogne et de Charles-Quint, constitués de XVII provinces qu’unissaient des institutions communes, s’étaient progressivement attachés à leur destin commun et avaient développé une forme de sentiment national 7 . Les progrès de la réforme calviniste, nettement plus affirmée dans les provinces septentrionales que dans leurs consœurs méridionales, ainsi que la politique résolument catholique et autoritaire de l’intransigeant Philippe II, avaient bientôt amené la déchirure des XVII provinces entre la république des Provinces-Unies et les Pays-Bas demeurés sous l’autorité de l’Espagne. Désormais, 6 Léonard de Marandé, Inconvéniens d’Estat procédans du jansénisme, Paris, Sébastien et Gabriel Cramoisy, 1654, p. 155. 7 Jean Stengers, Histoire du sentiment national en Belgique des origines à 1918. T. 1, Les racines de la Belgique, Bruxelles, Racine, 2000, p. 81-120. <?page no="268"?> Frédérick Vanhoorne 254 chacune des deux parties ne trouvait plus son identité face à l’autre que dans sa confession religieuse et cherchait dans sa foi des repères identitaires. Ainsi, dans cette première moitié du XVII e siècle, les provinces méridionales et septentrionales des anciens Pays-Bas n’avaient pas encore redéfini leur identité propre, si bien que leur religion respective leur en tenait lieu, contrairement à la France, où l’identité confessionnelle et le sentiment national s’étaient dissociés à l’issue des guerres de religion 8 . Les gouvernants des Pays-Bas eux-mêmes étaient davantage préoccupés des intérêts confessionnels que de l’unité nationale. Les archiducs Albert et Isabelle, qui administrèrent les Pays-Bas espagnols pendant la majeure partie de la vie de Jansénius, se conduisirent toujours en princes de la Contre-Réforme ; ils pensaient plutôt à reconquérir des provinces à l’Église qu’à reconstituer un État démembré 9 . Il n’est dès lors guère étonnant de constater que, au sein de la pensée politique que Jansénius a élaborée, le catholicisme primait tout. De ce dernier dépendaient et l’identité des provinces où le professeur louvaniste vivait sa foi, et la seule possibilité de réunification du pays où il était né. Il lui était donc bien difficile de comprendre que certains, en France, pussent dissocier la politique nationale des intérêts de la religion officielle et majoritaire. Un tel sentiment le choquait d’autant plus que, mis en pratique, il risquait de compromettre la cause catholique aux Pays-Bas et, corollairement, de remettre en question l’existence même de ce pays. Or Jansénius était passionnément attaché à sa foi et à sa patrie 10 . Sans doute est-ce ce double attachement, ainsi que les craintes qui y étaient liées, qui le firent sortir de sa réserve en 1635 et transformèrent celui qui n’avait jamais hésité précédemment à critiquer les manquements du gouvernement de Madrid en un hispanophile convaincu qui tient la plume dans le Mars gallicus. Jansénius avait suivi de près les développements de la guerre de Trente ans dès son origine. Il l’évoque dans de nombreuses lettres à son ami Saint- Cyran et y voit exclusivement une guerre de religion. Aussi n’est-il pas prêt à accepter que des impératifs politiques et stratégiques se substituent aux objectifs confessionnels dans le chef des puissances européennes. La rédaction du Mars gallicus est le résultat de son indignation, lorsqu’il découvrit que la politique menée par la France de Richelieu dans la guerre de Trente ans, privilégiait l’affaiblissement de l’Espagne et des Habsbourg au détriment de la défense du catholicisme. 8 Myriam Yardeni, La conscience nationale en France pendant les guerres de religion (1559-1598), Louvain et Paris, Nauvelaerts, 1971, p. 176-177 et 317-332. 9 Henri Pirenne, Histoire de Belgique, éd. Franz Schauwers et Jacques Paquet, t. 2, Bruxelles, La Renaissance du livre, s.d., p. 393-395 (l. 6, ch. 2). 10 Jean Orcibal, Jansénius d’Ypres, Paris, Études augustiniennes, 1989, p. 228 et 243. <?page no="269"?> 255 Du Mars gallicus aux Inconvéniens d’Estat Du Mars gallicus aux Inconvéniens d’Estat Jansénius connaissait bien la France où il avait vécu plusieurs années. Son ami Saint-Cyran lui en envoyait régulièrement des nouvelles circonstanciées. Jansénius crut longtemps voir dans la politique menée par Louis XIII et Richelieu une politique de la Contre-Réforme. Il s’enthousiasma pour les expéditions militaires menées contre les villes protestantes et loua même publiquement la politique cardinalice lors d’une controverse 11 . À partir de l’automne 1631, Jansénius comprit cependant que Richelieu n’entendait pas poursuivre sa politique de reconquête catholique et préférait combattre les ambitions hégémoniques des Habsbourg, afin d’assurer à la France un rôle de premier plan en Europe. Pour Jansénius, il n’était dès lors plus temps d’encenser le puissant Cardinal. Regrettant l’enthousiasme de ses écrits précédents, il déclara avec dépit : … maintenant cette affection est passée, à cause d’autres choses qu’il [le Cardinal] conduit et qui me déplaisent infiniment 12 . Richelieu avait pris soin de préparer l’opinion publique française à la politique qu’il menait et dont il se doutait qu’elle ne serait pas populaire. Il s’était entouré de pamphlétaires à sa solde 13 . La propagande cardinalice s’attacha à dévaloriser les facteurs religieux qui sous-tendaient la politique, et insista à l’opposé sur les intérêts nationaux et les nécessités de l’État. L’Europe fut présentée, non plus comme une chrétienté prête à s’unir et qu’il s’agissait de défendre, mais comme un ensemble d’États rivaux. Cette laïcisation des principes de la politique a, semble-t-il, été bien assimilée par les populations françaises. Jansénius le constatera avec amertume : … le menu peuple de France se persuade que la guerre d’Allemagne, et moins encore, celle des Pays-Bas, n’est pas une guerre de religion, et qu’il s’y agit seulement de quelques difficultés touchant la police et l’État, auxquelles le roi de France veut prendre part sans se mêler du fait de religion 14 . 11 Cornelius Jansenius, Notarum spongia quibus Alexipharmacum civibus Sylvae-ducensibus nuper propinatum aspersit Gisbertus Voetius…, ed. secunda, Louvain, 1641, p. 341-342. Cet ouvrage, composé en mars - avril 1631 et paru à la fin du mois de juillet de la même année, clôture une série de controverses entre calvinistes et catholiques consécutives à la prise de Bois-le-Duc par les Provinces-Unies. 12 Lettre de Jansénius à Saint-Cyran, 31 octobre 1631 (Jean Orcibal, Les origines du jansénisme. T. 1, Correspondance de Jansénius, Louvain, Revue d’histoire ecclésiastique/ Paris, Vrin, 1947, p. 534). 13 Étienne Thuau, Raison d’Etat et pensée politique à l’époque de Richelieu, Athènes et Paris, Presses de l’Institut français d’Athènes, 1966, p. 169-251. 14 Cornelius Jansenius, Le Mars françois ou la guerre de France, en laquelle sont examinées les raisons de la justice prétendue des armes et des alliances du Roi de France, s.l., n.n., 1637, p. 244-245. <?page no="270"?> Frédérick Vanhoorne 256 Parmi les nombreux factums qui défendaient la politique extérieure de Richelieu, l’un d’eux, dû à un docteur de Sorbonne nommé Bésian Arroy, s’attira des réponses cinglantes, dues sans doute à ses outrances. Dans ses Questions décidées sur la justice des armes des rois de France, parues en 1634, Arroy s’attachait à prouver la justice de la guerre larvée que la France soutenait contre la Maison d’Autriche par l’intermédiaire de ses alliances protestantes et proclamait la supériorité de la monarchie française 15 . L’ouvrage d’Arroy, qui attribuait à la France les qualités que l’Espagne convoitait, provoqua une indignation certaine dans les milieux gouvernementaux de Madrid et de Bruxelles. Pierre Roose, le chef-président du Conseil privé des Pays-Bas, demanda à Jansénius d’en rédiger une réfutation. Ce dernier, réticent, finit par accepter après que son commanditaire l’eût assuré du secours de ses notes et de sa direction 16 . Le 17 août 1635 voyait la diffusion des premiers exemplaires du Mars gallicus, seu de justitia armorum et fœderum regis Galliae 17 . Le succès fut immédiat. Si la rédaction de l’ouvrage était entièrement due à la plume de Jansénius, son plan général ainsi que toutes les informations de caractère historique et juridique étaient dues à Pierre Roose. Le génie du professeur louvaniste avait été de fondre en un ensemble cohérent ces informations et sa propre argumentation théologique 18 . Deux livres composaient la cinglante réfutation de la politique menée par Richelieu. Le premier s’attachait à examiner « les raisons de la justice prétendue » des armes du roi de France, et le second s’intéressait à la légitimité de ses alliances. Dans un premier temps, Jansénius contestait la supériorité de la monarchie française 19 . Dans la seconde partie de sa démonstration, le futur 15 Surl’ouvraged’Arroy,voirGérardFerreyrolles,« Janséniuspolitique : le ‹Mars gallicus› », Justice et force : politiques au temps de Pascal. Actes du colloque « Droit et pensée politique autour de Pascal », Clermont-Ferrand, 20-23 septembre 1990, éd. Gérard Ferreyrolles, Paris, Klincksieck, 1996, p. 95-108, spéc. p. 96-98 ; et Viviane Frings, Politique nationale et politique catholique à l’époque de Richelieu, autour du Mars gallicus de Jansénius, mémoire de Licence inédit, Université de Liège, Histoire, 1988-1989, p. 11-30. 16 René Delplanche, Un légiste anversois au service de l’Espagne. Pierre Roose, chef-président du Conseil privé des Pays-Bas (1586-1673), Bruxelles, Éditions universitaires, les Presses de Belgique, 1945, p. 96-97. 17 Paru s.l., n.n., 1635. Nous nous référons à la traduction française faite sur la 3 e édition (voir note 14). Sur le Mars, les circonstances de sa rédaction et ses différentes éditions, voir J. Orcibal, Jansénius d’Ypres. op. cit., p. 235-242. 18 Albert De Meyer, « Jansénius et Roose, auteurs du ‹Mars gallicus› », Miscellanea historica in honorem Leonis van der Essen, (…), t. 2, Bruxelles, Éditions Universitaires, 1947, p. 831-836. 19 Le thème de la supériorité de la monarchie française était cher à la littérature de propagande des Étatistes, de ceux qui soutenaient la politique de Richelieu. Cf. É. Thuau, op. cit., p. 300. <?page no="271"?> 257 Du Mars gallicus aux Inconvéniens d’Estat Du Mars gallicus aux Inconvéniens d’Estat évêque d’Ypres prouvait point par point que les alliances conclues par le roi avec les hérétiques étaient injustes et illicites. Du Mars gallicus les prétentions françaises sortaient anéanties, et l’apparente justice dont le Cardinal avait tenté de couvrir sa politique était dévoilée dans toute la nudité de son inexistence. Le droit de la couronne espagnole s’en trouvait au contraire revalorisé, et le caractère résolument catholique de ses entreprises, glorifié. Deux préoccupations motivaient l’exposé du professeur louvaniste. Tout d’abord la volonté de défendre la cause de la cour de Madrid face aux revendications françaises exposées par Arroy. C’était le travail qui lui avait été demandé, et dont il s’acquitta avec une grande conscience et une égale force de persuasion, dues sans doute à la vivacité de ses aspirations nationales menacées. Mais l’auteur saisit également l’occasion pour exposer ses idées personnelles sur la politique internationale, qui se trouvaient heureusement concorder avec les intérêts de l’Espagne. Obnubilé par l’existence et la proximité des Provinces-Unies calvinistes, effrayé de leur progrès militaires, Jansénius développa une politique chrétienne idéale que nourrissait le vieux rêve d’une chrétienté politique unie, où tous les souverains catholiques se soutiendraient dans leur lutte commune contre les hérétiques et les infidèles 20 . Dans cette optique, l’un des principaux devoirs du prince consistant en la protection de la religion, il ne lui était nullement permis de s’allier aux hérétiques pour combattre un roi catholique. En cas de conflit entre nations qui partageaient une même foi, les seules alliances licites étaient limitées aux États catholiques. Mais pour Jansénius, pareils conflits devaient être évités. Toutes les forces des puissances fidèles à Rome devaient être consacrées à la lutte contre les nations qui répandaient l’erreur dans laquelle elles étaient plongées. Aussi, dans son Mars gallicus, Jansénius tenait non seulement à montrer que la monarchie française n’était en rien supérieure à l’espagnole, mais il voulait surtout souligner combien elle faisait fausse route : c’était aux côtés de l’Espagne et de l’Empereur en lutte contre les hérétiques que la France avait sa place, et non aux côtés des ennemis de la Maison d’Autriche. Le pamphlet de Jansénius, qui provoqua l’ire de Richelieu et valut au jansénisme la tenace opposition des autorités françaises, fut vivement attaqué, notamment par un pamphlétaire à la solde du rancunier Cardinal, Daniel de Priézac 21 . En dépit de son succès et de la solidité de ses arguments, le Mars ne trouva en France aucun défenseur. Même s’il défendait des positions qui se 20 Jansénius prend cependant ses distances avec toute la tradition de l’augustinisme politique. Il ne parle d’aucun pouvoir, direct ou indirect, de la papauté sur les rois. Son modèle se montre donc proche, mais bien distinct, de la théologie politique espagnole et romaine. 21 Sur les réfutations du Mars gallicus, voir J. Orcibal, Jansénius d’Ypres, op. cit., p. 239- 240, note 113 ; et V. Frings, op. cit., p. 59-110. <?page no="272"?> Frédérick Vanhoorne 258 situaient dans la même ligne de pensée que celles du parti dévot, il présentait un caractère hispanophile trop marqué et, par ses attaques à l’égard de la précellence de la monarchie française ainsi que par le mépris qu’il affichait pour la piété jugée trop tiède des habitants du royaume, il choquait les sensibilités françaises. C’est sans doute en ce sens qu’il faut comprendre les réticences de Saint-Cyran lors de sa parution 22 , et le silence de Port-Royal autour de sa postérité. Aussi, lorsque débuta la querelle janséniste, s’il s’agissait bien de défendre en Jansénius l’auteur de l’Augustinus, conçu comme l’expression pure et orthodoxe de la pensée d’Augustin, il ne s’est nullement agi de soutenir l’auteur du Mars gallicus 23 . Ceux qui se désignaient désormais comme les « disciples de saint Augustin » n’entendaient aucunement partager les opinions politiques de l’évêque d’Ypres dont le pamphlet les plaçait dans une position délicate. Ce qu’on pourrait nommer le jansénianisme politique n’a donc pas eu de postérité en France et, finalement, fort peu aux Pays-Bas. En revanche, dans l’esprit des contemporains, le jansénisme fut d’emblée lié aux idées politiques de Jansénius, mais aussi à une notion de sédition ou d’indépendance recouverte par le terme de « républicanisme ». Il s’agit là du résultat d’un travail de propagande bien mené, voulu par Mazarin et son entourage dans une perspective toute stratégique. Certes, les engagements politiques de Saint-Cyran, proche du parti dévot et peu enclin à faire céder la rigueur de la morale aux impératifs politiques, et ceux de Jansénius, auteur du Mars Gallicus, ont immédiatement fait paraître suspect au pouvoir français ce que l’histoire allait retenir sous le nom de jansénisme. Mais c’est seulement sous le ministère de Mazarin que les jansénistes vont être jugés « ennemis de l’Église et de l’État », principalement pour des raisons diplomatiques. En effet, au lendemain des traités de Westphalie, la France poursuit la guerre contre l’Espagne, et, pour remporter la victoire, envisage de s’allier à une puissance navale, les Provinces-Unies ou l’Angleterre, toutes deux « protestantes ». Le pape, qui cherche à éviter les conflits entre États catholiques, ainsi que la défaite de l’Espagne, s’en montre fort mécontent. Par ailleurs, 22 Claude Lancelot, Mémoires touchant la vie de M. de Saint-Cyran (…), t. 2, Cologne, aux dépens de la Compagnie, 1738, p. 283 ; J. Orcibal, Les origines du jansénisme, op. cit., t. 2, p. 500, note 2. 23 Antoine Arnauld fait une nette mise au point dans la Seconde apologie pour M. Jansénius (Oeuvres, op. cit., t. 17, p. 42-44 et 709-710). Il ne blâme pas Jansénius, sujet du roi d’Espagne, d’avoir défendu les intérêts de son prince en guerre contre la France, mais il souligne qu’il ne partage pas son opinion. Néanmoins, il fait remarquer que son attachement pour sa patrie ne doit nullement l’empêcher de défendre la vérité que professe un docteur étranger. <?page no="273"?> 259 Du Mars gallicus aux Inconvéniens d’Estat Du Mars gallicus aux Inconvéniens d’Estat vainqueur de la Fronde, mais toujours incertain de son pouvoir, Mazarin entend bien l’affermir, et ôter l’appui pontifical à son principal adversaire, le cardinal de Retz, que le roi a fait emprisonner. Dans le but de se concilier le Saint-Siège, il choisit d’intervenir dans la grande affaire religieuse du moment, le jansénisme, qu’il perçoit comme un dangereux héritier du parti dévot, opposé à sa politique 24 . Dès le printemps 1653, une virulente campagne de propagande anti-janséniste se développe, présentant le jansénisme comme un ennemi de la religion et de l’État 25 . Celle-ci culmine, en ce qui concerne les théories politiques, avec la parution en juillet 1654 des Inconvéniens d’Estat procédans du jansénisme 26 . Sur l’auteur de cet ouvrage, Léonard de Marandé 27 , nous ne savons que peu de choses. D’abord commis au greffe de la Cour des Aides, il embrasse tardivement l’état ecclésiastique, est ordonné prêtre et devient conseiller du roi et aumônier de Louis XIII, puis de Louis XIV 28 . À partir de ce moment - vers 1650 -, il se distingue par son opposition farouche au jansénisme qu’il combat dans plusieurs ouvrages, soit qu’il ait été, comme l’affirme Hermant, « l’écrivain à gages des jésuites 29 », soit qu’il se révèle un de ces pamphlétaires 24 Paule Jansen, Le cardinal Mazarin et le mouvement janséniste français 1653-1659, (…), Paris, J. Vrin, 1967. 25 Lettre d’Arnauld d’Andilly, 26 avril 1654, dans Arnauld d’Andilly, défenseur de Port- Royal (1654-1659) : sa correspondance inédite avec la Cour conservée dans les Archives du Ministère des Affaires étrangères, éd. Paule Jansen, Paris, J. Vrin, 1973, p. 50-52. 26 L’ouvrage était, sinon en rédaction, du moins en projet le 24 février 1654, date du privilège. D’après le colophon, la première impression fut achevée le 4 juillet 1654. 27 Sur la biographie de Marandé, la notice la plus complète est celle de Jean Carreyre, DTC, t. 9-2, Paris, 1927, c. 1936-1938. Sur l’auteur et son œuvre, un article récent apporte de nombreuses informations : Keisuke Misono, « Léonard de Marandé, polémiste antijanséniste », in Courrier du Centre international Blaise Pascal, XXVI, 2004, p. 7-23. 28 La charge d’aumônier du roi (il y en avait huit en plus du Grand aumônier de France) était uniquement protocolaire, à la différence de celle de confesseur. À côté des ces aumôniers effectifs, dits « aumôniers servants », étaient répertoriés de nombreux aumôniers honoraires. Quant au titre de conseiller du roi, il était souvent octroyé à tous les grands officiers du royaume, du moins jusqu’au règne personnel de Louis XIV. Ni sa charge d’aumônier, ni le titre de conseiller qui y était probablement attaché, ne suffisent à conclure que Marandé ait eu des relations privilégiées avec le monarque et son proche entourage, même s’ils lui garantissaient une position officielle à la cour (Dictionnaire de l’Ancien Régime : royaume de France, XVI e -XVII e siècle, dir. Lucien Bély, Paris, Presses Universitaires de France, 1996, p. 320 ; Roland Mousnier, Les institutions de la France sous la monarchie absolue, 1598-1789, 2e éd., t. 2, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 115-116). 29 Godefroid Hermant, Mémoires sur l’histoire ecclésiastique du XVII e siècle, éd. Augustin Gazier, t. 2, Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1906, p. 354. <?page no="274"?> Frédérick Vanhoorne 260 à la solde du gouvernement qui, soucieux de son image, a pleinement pris conscience de la nécessité de pouvoir influencer l’opinion publique. En dehors de ses polémiques avec les jansénistes, Marandé a publié un ouvrage d’apologétique, Le philosophe chrétien (1639), que prolonge un traité de vulgarisation théologique, Le théologien français (1641) ; il a également rédigé plusieurs autres ouvrages de vulgarisation, comme La clef ou abrégé de la Somme de saint Thomas (1649), relatifs à la philosophie scolastique et au thomisme qu’il souhaitait ardemment promouvoir. Par son attachement pour la théologique de l’Aquinate, il ne paraît donc pas spécialement proche de la Compagnie de Jésus, même si celle-ci, ravie de son action de pamphlétaire, l’a conseillé et soutenu 30 . Il est en fait plus probable que Marandé ait travaillé pour le compte des milieux gouvernementaux, sans doute pour Mazarin. En effet, les Marandé comptaient de longue date au nombre des serviteurs de la monarchie 31 . Léonard, qui semble avoir travaillé dans l’entourage de Richelieu dès les années 1625, a toujours évolué dans le monde de l’administration monarchique. Greffier à la cour des aides, probablement à partir de 1641, il jouit d’une promotion sociale importante entre 1649 et 1651 en accédant aux charges d’aumônier et de conseiller du roi. Le fait que ses activités de polémiste débutent peu après cet avancement important nous paraît porteur de sens : Léonard de Marandé semble avoir voulu quitter l’ombre des antichambres administratives et se distinguer auprès du pouvoir. Il en a d’ailleurs adopté l’idéologie : à la fin de ses premiers Inconvénients du jansénisme, adressés à Mr. Arnauld, publiés en 1653, le libelliste laisse en effet entendre qu’il approuve les options politiques de Richelieu et de son successeur, ainsi que leur défiance vis-à-vis du jansénisme : d’ailleurs si votre plume française a quelque avantage sur la mienne, écrit le pamphlétaire à Arnauld qu’il avait vainement critiqué à propos de la Fréquente communion, au moins puis-je assurer que je suis fort bon Français et fort bon catholique […] et que les maximes de ma doctrine […] ne causeront jamais de trouble dans l’État ni de parti dans la religion 32 . 30 D’après Arnauld, le jésuite Jean Ferrier présenta d’ailleurs Marandé au roi en 1663 (lettre à Arnauld d’Andilly, 6 mai 1663, Œuvres, op. cit., t. 1, Paris et Lausanne, 1775, p. 363-364). 31 Jean de Marandé, le père de Léonard, avait travaillé comme secrétaire et conseiller de Henri IV, tandis que son fils Charles de Marandé, frère de Léonard, fut chargé de diverses missions diplomatiques par Mazarin (voir K. Misono, op. cit., p. 7-8). 32 Léonard de Marandé, Inconvénients du jansénisme, adressés à Mr. Arnauld, Paris, Sébastien et Gabriel Cramoisy, 1653, avis préliminaire non pag. in fine. Le fait que les Inconvénients, comme la plupart des ouvrages de Marandé, aient été édités chez Sébastien Cramoisy, n’est guère significatif. Imprimeur de Richelieu et directeur de l’imprimerie du Louvre, Sébastien Cramoisy (1586-1669) était aussi un des <?page no="275"?> 261 Du Mars gallicus aux Inconvéniens d’Estat Du Mars gallicus aux Inconvéniens d’Estat Bon catholique, Marandé entend montrer dans ses premiers Inconvénients combien le jansénisme est néfaste à l’Église dont il combat la doctrine. Sous le couvert d’une fausse antiquité, celui-ci renouvelle les erreurs de Luther et de Calvin, détruit le fondement de la foi, détourne l’homme de la recherche des bonnes œuvres, le dissuade d’éviter le péché, détruit l’espérance et la charité ainsi que la vertu de la prière, ruine les sacrements et déshonore saint Augustin tout en le louant. Bon Français, le même auteur s’applique à démontrer dans ses Inconvéniens d’Estat procédans du jansénisme le danger que ce nouveau mouvement représente pour la nation. À l’en croire, il se serait résolu à écrire cet ouvrage après avoir constaté que « l’opiniâtreté » des jansénistes face à la bulle Cum occasione, « rebellion manifeste à l’autorité du Saint-Siège et des Évêques de France […], était une espèce de maladie […] qui pouvait encore communiquer un venin dangereux et causer dans l’État des symptômes très dommageables 33 ». Et Marandé, dans son épître dédicatoire, d’exhorter le roi à d’autant plus de rigueur envers les « hérétiques » que ceux-ci menacent son autorité. Léonard de Marandé mêle fort habilement dans ses Inconvéniens d’Estat procédans du jansénisme une critique des conséquences politiques qu’il croit déceler dans la doctrine développée par l’Augustinus à une dénonciation et une réfutation des plus vives du Mars gallicus 34 . L’argumentation soigneuse qu’il monte afin de justifier les alliances de la France avec les hérétiques conforte l’hypothèse selon laquelle son ouvrage est très vraisemblablement une commande officielle 35 . Les commanditaires semblent lui avoir laissé tout loisir d’énoncer les critiques doctrinales telles qu’il les entendait pour autant qu’elles permettent d’insérer l’argumentation politique souhaitée. Par un jeu de parallélisme qui n’était sans doute pas innocent, Marandé semble avoir disposé d’une liberté semblable à celle de Jansénius pour rédiger son pamphlet. principaux éditeurs des jésuites. Son frère Gabriel, qui travaille avec lui jusqu’en 1661, s’installera d’ailleurs plus tard dans la cour du collège de Clermont (Philippe Renouard, Répertoire des imprimeurs parisiens (…) au XVII e siècle, Nogent-le-Roi, Jean Laget, 1995, p. 105-107 ; Henri-Jean Martin dans Histoire de l’édition française, t. 1, Le livre conquérant, Paris, Promodis, 1983, p. 381-383). 33 L. de Marandé, Inconvéniens d’Estat…, op. cit., Advis important, non pag. 34 On trouvera une brève comparaison du Mars gallicus et des Inconvéniens d’Estat dans l’article de Christian Nadeau, « Conscience nationale et raison d’État : le Mars gallicus de Jansénius et la critique de Léonard de Marandé », in Chroniques de Port- Royal, t. 46, Port-Royal et l’histoire, Paris, 1997, p. 185-196. 35 Marandé consacre tout l’article VIII de ses Inconvéniens d’Estat (op. cit., p. 155-196) à réfuter le Mars gallicus pro-espagnol, où Jansénius se montre « l’ennemi de la France et de ses monarques ». L’aumônier du roi en prend le contre-pied, évoque Henri IV et loue les « bons Français » (p. 172-173). <?page no="276"?> Frédérick Vanhoorne 262 En effet, alors qu’il développe un discours théologique très personnel, le libelliste se contente de reprendre les principes étatistes et gouvernementaux lorsqu’il justifie la politique française. Il estime qu’« il est permis à un prince catholique dans la nécessité de ses affaires de s’allier avec les hérétiques, dans les choses temporelles seulement, pour conserver son Estat 36 ». La guerre que la France mène contre la maison d’Autriche ne concerne en rien la religion. Les alliances y sont donc toutes libres. Par celles-ci, la France n’a d’ailleurs fait qu’imiter des méthodes que l’Espagne avait déjà employées. Et Marandé de conclure que « le blâme dont M. Jansénius prétendait couvrir le front de nos monarques lui retombe sur la tête à la confusion de la Maison d’Autriche 37 ». Par l’argumentation qu’il développe, l’auteur des Inconvéniens d’Estat se rattache à la tradition des pamphlétaires officiels engagés par Richelieu qui se sont attachés, tels Priézac ou Silhon, à défendre et promouvoir les théories d’un étatisme chrétien tel que le concevait le Cardinal, qui accordait une large autonomie à la politique, à ses buts et à ses méthodes, mais lui maintenait un ancrage chrétien 38 . Certes, Mazarin avait largement renoncé aux services des pamphlétaires durant les premières années de son ministère. La Fronde a toutefois amené les milieux gouvernementaux à engager la reconquête de l’opinion et à recourir à nouveau au service des hommes de plume 39 . Marandé a ainsi probablement été sollicité comme libelliste - à moins qu’il ne se soit proposé -afin de préparer la diversion diplomatique que devait constituer aux yeux de Mazarin l’affaire janséniste. Mais au-delà de sa réfutation du Mars gallicus, quelle est l’argumentation développée par Marandé ? C’est avant tout par sa nouveauté que le jansénisme est dangereux pour l’État. En effet, toute nouveauté en matière de foi - et Marandé perçoit comme tel le jansénisme - crée un parti et amène une division au sein de la nation : … Tout parti dans un État divise l’unité de l’État en divisant les sujets les uns des autres par l’intérêt le plus sensible, qui est celui de la religion 40 . 36 L. de Marandé, Inconvéniens d’Estat…, op. cit., p. 179. 37 Ibid., p. 188. 38 Marandé reconnaît d’emblée que Dieu a voulu que son Église « fût… appuyée et maintenue dans le peuple chrétien par la puissante main de ses monarques » (Ibid., Au Roy, non pag.). Sur Silhon, voir É. Thuau, op. cit., p. 263-275. 39 Hubert Carrier, La presse de la Fronde (1648-1653) : les Mazarinades, t. 1, La conquête de l’opinion, Genève, Droz, 1989, p. 82-83. 40 L. de Marandé, Inconvéniens d’Estat…op. cit., p. 5. Marandé ajoute : « Mais la raison principale qui oblige le prince d’éloigner et de proscrire de son État toute nouveauté en matière de religion, est que toute doctrine nouvelle fait un parti dans un État, et un parti d’autant plus dangereux que l’intérêt spirituel qui regarde le salut éternel, fait bien d’autres impressions dans le cœur de ses sujets que ne fait l’intérêt temporel. » <?page no="277"?> 263 Du Mars gallicus aux Inconvéniens d’Estat Du Mars gallicus aux Inconvéniens d’Estat En France tout particulièrement, « la religion et l’État sont liés si étroitement » que la division de la première ne peut que menacer le second : Le prince ne peut tolérer ce dommage, sans péril de sa couronne, ou du moins sans l’affaiblissement de ses forces et de son autorité. Car tout parti de religion forme bientôt « un État dans son État » et amène des troubles politiques 41 . À l’époque des derniers Valois, dont le souvenir est encore très proche et très présent dans les années 1650, la France n’a-t-elle pas été déchirée entre religionnaires et catholiques regroupés dans la Ligue ? Tolérer une nouveauté religieuse comme le jansénisme, c’est exposer le royaume au renouvellement des calamités qui l’ont frappé au XVI e siècle. Pour Marandé, le jansénisme n’est d’ailleurs rien d’autre qu’une reformulation des erreurs de Luther et de Calvin. Il n’en est que plus redoutable, tout comme dans les maladies, les rechutes se montrent plus dangereuses, plus pernicieuses et plus virulentes que les infections premières. Il est entre autres capable « de pervertir les sujets de l’État et d’en corrompre les bonnes mœurs ». L’auteur des Inconvéniens s’attache alors à « montrer que cette doctrine nouvelle sape les fondements de l’État en détruisant dans le cœur de ses sujets l’amour et l’exercice des vertus qui sont les nerfs et la force de l’État 42 ». Et Marandé d’expliquer que, comme le jansénisme condamne comme vice toute action qui n’est pas mue par la charité, il condamne par là-même la vertu civile, qui est la plus courante et la seule qui soit accessible à la majorité des hommes délaissés par la grâce. Par là, il ruine les fondements de la société : Bref, que seront les royaumes qui autoriseront cette doctrine, que de grands brigandages, […] que des États et des empires dissolus, où les lois seront méprisées, la justice abattue, les vices tolérés et les crimes impunis ? 43 Pour Marandé, qui procède à une lecture très engagée et très excessive des théories d’origine augustinienne sur la liberté et la grâce efficace que défendaient les jansénistes, ces derniers favorisent en toute tranquillité d’esprit le vice, la négligence et l’impiété 44 . Cependant, la théologie et la morale séditieuses que Marandé lit dans le jansénisme n’en constituent qu’une des facettes. Celui-ci est avant tout une « secte d’État » qui « s’est efforcée de communiquer son venin dans les ordres 41 Ibid., p. 5-6. 42 Ibid., p. 44-47. 43 Ibid., p. 49-50. 44 Cf. Jean Orcibal, « Qu’est-ce que le jansénisme ? », dans Idem, Etudes d’histoire et de littérature religieuses, Paris, Klincksieck, 1997, p. 284. <?page no="278"?> Frédérick Vanhoorne 264 de l’État pour en infecter quelques membres 45 » et qui ambitionne de ruiner la puissance de la France et l’autorité de ses rois. La meilleure preuve de cette accusation n’est-elle pas le Mars gallicus de Jansénius, ce libelle « si faible en solidité, et si puissant en injures et calomnies contre la France et contre ses monarques 46 » ? Les projets de Jansénius tendaient « à la République et à la subversion de la foi 47 » ; et, même s’ils n’aboutirent pas, Marandé estime que les disciples de l’évêque d’Ypres continuent de menacer l’édifice de l’Église et son autorité, tout autant qu’ils ébranlent « la souveraineté des monarques temporels, pour faire autant de républiques dans l’empire chrétien qu’il n’y a de souverains 48 ». Même s’ils n’ont jamais été réédités, les Inconvéniens d’Estat marquent une étape importante dans l’histoire de la propagande antijanséniste 49 . L’ouvrage synthétise en effet des critiques qui avaient déjà été énoncées, comme celle de l’identité du jansénisme et du calvinisme, mais il développe surtout une argumentation dont bien des pamphlets ultérieurs seront tributaires. Déjà dénoncés comme ennemis de l’Église et de l’État, les jansénistes passent désormais pour des crypto-calvinistes qui penchent à la « république ». C’est, à notre connaissance, avec Marandé qu’ils apparaissent pour la première fois comme des « républicains », comme des opposants systématiques à la monarchie et aux pouvoirs établis. Pour la première fois aussi, les accusations politiques s’appuient sur une argumentation doctrinale : ce n’est plus seulement par leur conduite que les jansénistes sapent l’autorité de l’État, c’est aussi par leur théologie qui amène la ruine de la morale, de la justice et, partant, de la société. La présentation volontairement caricaturale d’un augustinisme rigide permet d’étayer la thèse du jansénisme séditieux, que viennent encore conforter une lecture très orientée des ouvrages de Jansénius, ainsi qu’une supputation malveillante de ses intentions. Le procédé fera encore école au début du XVIII e siècle, avec une argumentation semblable. Simplement, Quesnel y prendra la place de l’évêque d’Ypres. Le mythe du républicanisme janséniste dont nous trouvons les échos chez Saint-Simon est désormais lancé 50 . 45 L. de Marandé, Inconvéniens d’Estat… Op. cit., p. 100. 46 Ibid., Advis important, non pag. 47 Ibid., p. 161 et 165. 48 Ibid., p. 99 et 225. 49 Nous ne savons guère quel fut le succès de l’ouvrage : Antoine Arnauld (La morale pratique des jésuites (t. 8), Oeuvres, op. cit., t. 35, p. 122) dit qu’il fut imprimé par Cramoisy « à son grand dommage », sans préciser si le préjudice fut financier, ou s’il affecta plutôt la réputation de l’éditeur ; Hermant (op. cit., t. 2, p. 354) soutient que le livre fut méprisé, mais laisse entendre qu’il eut aussi ses laudateurs. 50 Saint-Simon, Mémoires, éd. A. de Boislisle, t. 23, Paris, Hachette, coll. « Les grands écrivains de la France », 1911, p. 403 (passage relatif à 1713). <?page no="279"?> 265 Du Mars gallicus aux Inconvéniens d’Estat Du Mars gallicus aux Inconvéniens d’Estat Au-delà de leur antijansénisme, les Inconvéniens d’Estat constituent un témoignage important dans la mesure où ils reflètent l’opinion d’un auteur proche des milieux gouvernementaux et, de par la présence même de leur argumentaire au sein de ce pamphlet, montrent que ces derniers redoutaient l’aile port-royaliste du parti dévot. La présentation que Marandé donne des rapports de l’Église et de l’État, ainsi que la réfutation qu’il propose du Mars gallicus de Jansénius, reflètent les sensibilités politiques des cardinaux-ministres. La religion y apparaît avant tout comme un facteur fondamental de l’unité de la nation. Toute pluralité des croyances amène la formation d’États dans l’État qu’il convient de réduire au plus vite. En exhortant le roi à réprimer sans tarder l’hérésie qu’est le jansénisme, les Inconvéniens approuvent certes la politique de rigueur menée à l’égard des protestants par Richelieu, mais ils reconnaissent surtout le bien-fondé d’une politique autoritaire destinée au maintien de l’ordre et de la cohésion du royaume, et cautionnent une idéologie où les intérêts de l’État priment les intérêts de la religion 51 . Les Inconvéniens se révèlent donc être une justification de la politique gouvernementale, tout autant qu’un appui à l’utilisation diplomatique du jansénisme qu’elle met en œuvre. Qu’en conclure ? Il apparaît que la querelle théologique que constitue le jansénisme s’est en bonne partie envenimée, parce qu’elle a été utilisée comme un pion sur l’échiquier diplomatique international et comme un moyen, pour la France comme pour l’Espagne, d’exposer les arguments philosophiques et théologiques qui sous-tendaient ou légitimaient leur action. Au travers des écrits de propagande qui entourent la naissance de la controverse janséniste, comme le Mars gallicus ou les Inconvéniens d’Estat de Marandé, les enjeux idéologiques et stratégiques des royaumes très catholique et très chrétien, engagés dans la guerre de Trente ans, se dévoilent et s’affrontent. Le jansénisme apparaît donc comme un acteur involontaire, et sans doute une victime, d’un des plus terribles affrontements européens. 51 L. de Marandé, Inconvéniens d’Estat… op. cit., p. 155-196. <?page no="281"?> Langue et Art <?page no="283"?> Biblio 17, 188 (2010) La langue latine dans les éditions jansénistes (XVII e -XVIII e siècles) J ULIETTE G UILBAUD Centre de recherches interdisciplinaires sur l’Allemagne (EHESS-CNRS, Paris) À l’heure où l’anglais fait florès sur la scène internationale comme langue véhiculaire dans nombre de manifestations culturelles ou scientifiques, tandis que Luxembourg, capitale européenne de la culture en 2007, fait honneur au français en accueillant ce colloque, il pourrait paraître quelque peu provocateur de revenir aujourd’hui sur la place du latin dans les éditions jansénistes du temps de Port-Royal, ainsi que dans leurs avatars ultérieurs de l’âge classique et des Lumières. Le sujet n’a pourtant rien d’anecdotique, si l’on veut bien se rappeler ne serait-ce que les deux points suivants. Le premier est la place encore prépondérante traditionnellement occupée par le latin dans la sphère culturelle des XVII e et XVIII e siècles, comme l’ont notamment montré les travaux de Françoise Waquet, à la fois sur la langue latine et sur l’importance de l’oralité dans les milieux savants 1 . Le second point est l’acuité avec laquelle, dans ce contexte, se pose la question linguistique chez les auteurs jansénistes, au moment de coucher leurs idées sur le papier 2 . Comme nous avons eu en effet l’heur de le mettre en évidence au cours de nos recherches, l’un des enjeux fondamentaux de ces auteurs - enjeu dont ils témoignent régulièrement dans leurs préfaces, avertissements et autres avis au lecteur - est l’intelligibilité des textes, sans pour autant sacrifier leur authenticité. Cette démarche complexe 1 Françoise Waquet, Le Latin ou l’Empire d’un signe, XVI e -XX e siècle, Paris, A. Michel, 1998 ; ead., Parler comme un livre. L’oralité et le savoir, XVI e -XX e siècle, Paris, A. Michel, 2003. 2 Sur la réflexion préliminaire des auteurs jansénistes, nous nous permettons de renvoyer à notre propre contribution : Juliette Guilbaud, « Singulier et pluriel. L’auteur janséniste au XVII e siècle », in La Fabrication de l’auteur [colloque, Montréal (Longueuil), 2006], Montréal, Nota Bene (sous presse). <?page no="284"?> Juliette Guilbaud 270 s’illustre par une collaboration étroite entre les auteurs et les professionnels du livre (imprimeurs et libraires/ libraires-éditeurs) d’un bout à l’autre de la chaîne de publications des écrits. Chacun à son niveau - tantôt celui de la création intellectuelle, tantôt celui de la technique artisanale -, ces acteurs opèrent dans le souci de donner la préséance au texte, fondant ainsi une réflexion à la fois sur la langue et sur l’environnement paratextuel des imprimés jansénistes. C’est là le leitmotiv des traducteurs de la Bible - l’équipe des Arnauld - Le Maistre pour le Nouveau Testament dit de Mons, puis Sacy, pour l’Ancien Testament. C’est également l’un des points forts de la pédagogie pratiquée aux Petites Écoles : faire apprendre la grammaire, notamment celle du latin, en passant par le français, la langue vernaculaire comprise d’un plus grand nombre. En pareils cas, qu’il s’agisse de la Bible ou de manuels scolaires, la langue latine peut à bon droit faire figure de repoussoir. Si ces tentatives fructueuses sur lesquelles nous reviendrons brièvement, tant dans le domaine de la traduction de l’Écriture que dans celui de la pédagogie, résolvent pour un temps la question de l’intelligibilité matérielle du discours, celle-ci ne tarde pas à se reposer, dès lors que les jansénistes envisagent une diffusion élargie de leurs écrits, au-delà des seuls milieux savants, d’une part, mais également des cercles français, voire francophones d’autre part, que ce soient ceux de l’élite sociale ou même des milieux culturellement moins privilégiés. C’est là qu’intervient le paradoxe du latin, selon nous, ou au moins cette dualité pourtant propre à tout idiome d’être traduit et de traduire, mais qui a singulièrement été négligée dans le cas de la langue latine et de son usage dans les éditions jansénistes. Naguère rejeté pour son caractère obscur comme langue source, le latin rejoindrait donc habilement et provisoirement la cohorte des langues vulgaires, pour sa capacité à diffuser ces publications hors de leur berceau linguistique et/ ou culturel originel, à l’instar d’autres langues cibles vernaculaires. Dans ce contexte de transfert culturel à l’échelle « européenne », où se conjuguent efficacement rééditions et traductions de textes originaux réputés jansénistes, nous voudrions montrer : comment la traduction vers le latin facilite la rencontre, sur la scène européenne, de nouveaux publics rompus à l’exercice de cette langue, qu’ils soient issus de milieux ecclésiastiques, mais aussi - on a tendance à l’oublier trop souvent - de cercles savants et scientifiques au sens large ; quels textes se prêtent à ce jeu de la traduction ; comment ces entreprises de traduction et d’édition s’inscrivent fondamentalement dans le projet de large diffusion des éditions jansénistes. Nous reviendrons d’abord sur les modalités de la question linguistique, telle qu’elle est posée d’emblée par les auteurs jansénistes, et sur les transformations fondamentales qu’elle introduit dans la diffusion de l’Écriture sainte <?page no="285"?> 271 La langue latine dans les éditions jansénistes (XVII e -XVIII e siècles) La langue latine dans les éditions jansénistes (XVIIe-XVIIIe siècles) et le développement de la pédagogie. Nous montrerons ensuite comment, en dépit de ce constat, le latin aiguillonne la diffusion hors de France des éditions de Port-Royal : il pousse en effet les auteurs sur la scène européenne par le biais de publications scientifiques de premier plan, tout en devenant la langue de publication d’écrits jansénistes de référence couvrant pratiquement tout le spectre de ces éditions. Pour terminer, nous nous pencherons sur le rôle indispensable de vecteur endossé par le latin, entre le français et les autres langues vernaculaires, dans un cadre géographique privilégié qui nous est un peu moins mal connu que d’autres : celui de l’empire et des États patrimoniaux de la maison des Habsbourg - territoires où l’historiographie reconnaît, sans trop savoir comment les désigner, des courants qualifiés tour à tour de « jansénisants », de « philojansénistes » ou simplement de « catholiques réformateurs ». Ce rôle du latin permet aux idées véhiculées par les éditions jansénistes de s’assurer encore au XVIII e siècle une audience élargie, et par là même une nouvelle jeunesse en Europe, loin de leurs premières terres d’élection. I. La question linguistique préliminaire A. La clarté de la langue au service du texte L’une des clés indispensables au lecteur pour accéder au discours est la langue du texte. Les jansénistes l’ont tôt compris, que ce soit dans le domaine de la théologie, de la spiritualité ou, plus simplement, de la pédagogie et de la morale chrétienne. Plusieurs des théologiens du groupe n’hésitent pas à s’appuyer sur des latinistes confirmés, qu’ils reconnaissent en cette matière plus habiles qu’eux-mêmes : Saint-Cyran travaille ainsi avec Martin de Barcos, et Antoine Arnauld avec Pierre Nicole 3 . Ils se font les promoteurs d’une démarche d’écriture et de traduction innovante, qui ne cherche pas à s’imposer aux dépens des sources, mais à les rendre accessibles, dans leur complexité formelle et conceptuelle. Ce propos est celui des traducteurs du Nouveau Testament dit de Mons, publié pour la première fois en 1667 4 . La préface rédigée par Le Maître de Sacy apparaît comme le manifeste d’intention du théologien et de ses collaborateurs. Dans la concurrence que se livrent alors les jansénistes et l’oratorien Denis 3 Nous remercions M. Jean Mesnard de cette précision. 4 Nouveau Testament de Notre Seigneur Jésus-Christ, traduit en françois selon l’édition Vulgate, avec les différences du grec, Mons, G. Migeot [i.e. Amsterdam, D. Elzevier], 1667, 2 vol. 8 o . <?page no="286"?> Juliette Guilbaud 272 Amelote, pour fournir une nouvelle traduction du Nouveau Testament, le préambule de Sacy fait référence à une traduction antérieure de l’Écriture en langue vulgaire, la Bible dite de Louvain, rééditée régulièrement depuis sa première parution dans les années 1570. Sacy ne remet pas en cause la qualité de la Bible de Louvain, mais rappelle le principe d’évolution inhérent à toute langue vivante, qui rend l’expression française de la fin du XVI e siècle presque amphigourique pour les lecteurs de la seconde moitié du XVII e : [L]a faculté de théologie de Louvain entreprit dans le siècle passé de donner à l’Église une traduction française de toute la Bible, dans laquelle les fidèles pussent s’instruire sans tomber dans les pièges de Calvin et de ses premiers disciples […]. On ne saurait assez louer le zèle et le travail de ces savants docteurs […] ; mais il faut aussi reconnaître que les changements qui sont arrivés dans notre langue depuis leur temps, et qui sont ordinaires à toutes les langues vivantes avant qu’elles aient été portées jusqu’à un point de perfection où elles s’arrêtent, ont tellement défiguré leur ouvrage qu’encore que de temps en temps on ait retranché de leur version certaines expressions qui n’étaient plus intelligibles, elle était néanmoins devenue si étrangement éloignée de notre usage que si elle subsistait encore, ce n’était plus que par l’impuissance où l’on était de s’en passer, jusqu’à ce qu’on en eût donné une autre. […] Si nous avions été de leur temps, nous aurions parlé comme eux ; et s’ils étaient du nôtre, ils parleraient comme nous 5 . Il est indispensable de reprendre la traduction, avec la clarté et la simplicité comme maîtres mots, mais sans simplification, afin « [non d’] expliquer le fond des choses, mais seulement de faire entendre le sens du texte et la force des paroles 6 ». Aucune variante importante de traduction par rapport aux versions sources (Vulgate, versions grecque ou hébraïque) n’est passée sous silence : elle trouve sa place soit dans le corps du texte sous forme d’incise entre crochets, soit en note marginale pour éviter de truffer le texte de citations trop longues 7 . « Et ainsi, on n’a plus sujet de se plaindre qu’on retranche les 5 Nouveau Testament de Notre Seigneur Jésus-Christ…, p. VII - VIII (pagination des fol. prélim. restituée, correspond au fol. *iiij recto-verso). Voir également le mémoire concernant les privilèges d’impression des ouvrages de Sacy : « [Le succès du livre des Proverbes] fit juger à M. de Sacy qu’il était appelé à continuer un ouvrage si saint et si important, et d’autant plus nécessaire à l’Église que les autres traductions toutes fort anciennes n’étaient presque plus intelligibles. » (BNF, ms. fr. 21739, fol. 129-131 ; ici, fol. 129 recto). 6 Nouveau Testament de Notre Seigneur Jésus-Christ…, p. X (fol. *v verso). 7 Ibid., passim. <?page no="287"?> 273 La langue latine dans les éditions jansénistes (XVII e -XVIII e siècles) La langue latine dans les éditions jansénistes (XVIIe-XVIIIe siècles) sens de l’Écriture, puisque ce qui ne se trouve pas dans le texte se trouve à la marge dans les endroits les plus importants 8 ». B. La mise en pratique : la pédagogie des Petites Écoles Cette approche de la langue et de son expression écrite, au cœur de la réflexion janséniste, ne se limite pas aux textes sacrés. C’est pour rompre avec le traditionnel enseignement de la lecture sur le latin - longtemps préconisé au motif de l’adéquation, en cette langue, entre la prononciation et l’orthographe -, que l’Oratoire, Port-Royal, puis quelques années plus tard les Écoles chrétiennes 9 , prônent le renouvellement des méthodes d’apprentissage au XVII e siècle 10 . Les jésuites aussi consentent à introduire le français dans leur enseignement, mais celui-ci reste fondé sur le thème, la praelectio et la rhétorique, tandis qu’aux Petites Écoles, le français participe de la pédagogie, il en est la source, un des secrets de son efficacité. La voie est ouverte par les oratoriens de Juilly qui proposent, dès les années 1640, une grammaire latine expliquée en français. Les maîtres de Port-Royal, sur le même chemin, privilégient l’exercice de la version et systématisent l’usage du français dans l’apprentissage de la grammaire, du latin et du grec, à l’image de la Grammaire générale et raisonnée d’Antoine Arnauld et Claude Lancelot 11 ou du Jardin des racines grecques de Le Maistre de Sacy et Lancelot 12 . Dans son avis au lecteur, l’inventeur de la Nouvelle Grammaire pour apprendre la langue latine en peu de temps se fait le chantre d’une pédagogie novatrice : Le sens commun dicte assez à tous les hommes qu’il faut entendre des règles pour s’en pouvoir servir avec avantage ; et la nécessité où on se trouve dans la méthode ordinaire d’expliquer en français des règles latines, nous fait aisément comprendre que c’est abréger de la moitié que de les donner en une langue où elles puissent tout d’un coup être entendues. On a donc pris la méthode française ; et l’utilité qu’on trouvait dans les vers de Despautère, qui aident beaucoup la mémoire des enfants, a fait qu’on s’est avisé de mettre aussi les règles françaises en vers ; ce qu’on a reconnu être très utile 13 . 8 Ibid., p. XXX (fol. **VII verso). 9 Association créée d’abord à Reims (1679) puis à Paris (1688), par Jean-Baptiste de La Salle, elle devient la congrégation des frères des Écoles chrétiennes en 1694. 10 Françoise Waquet, Le Latin ou l’Empire d’un signe, XVI e -XX e siècle, op. cit., p. 18. 11 Grammaire générale et raisonnée contenant les fondements de l’art de parler…, Paris, P. Le Petit, 1660, 12 o . 12 Le Jardin des racines grecques…, Paris, P. Le Petit, 1657, 12 o . 13 Nouvelle Grammaire pour apprendre la langue latine en peu de temps…, Paris, G. Desprez, 1676, fol. -2. <?page no="288"?> Juliette Guilbaud 274 Le pédagogue de Port-Royal reprend à son compte les moyens mnémotechniques éprouvés des anciens manuels comme, au XVI e siècle, ceux de Jean Despautère avec leurs exemples rimés, mais il en multiplie l’efficacité en remplaçant le latin abscons par le français, misant sur le simple fait qu’un énoncé clair sera d’autant plus vite assimilé par les élèves. II. L’entrée des éditions jansénistes sur la scène européenne A. Les publications scientifiques comme aiguillon Ce constat dressé, on aura bien garde toutefois de ne voir dans la langue latine qu’un repoussoir. S’il est en effet un milieu où elle a pour longtemps encore de beaux jours devant elle, au XVII e siècle et au-delà, c’est à coup sûr celui des cercles savants européens. Parmi les matières concernées, les mathématiques et la physique sont celles où l’autorité d’un Pascal ou la pédagogie d’un Antoine Arnauld sont reconnues dans les cercles les mieux informés de ces questions. En 1659, le mathématicien Pierre de Carcavy joue ainsi les messagers entre Pascal et le savant hollandais Christiaan Huygens. Ce dernier fait en effet part à l’un de ses correspondants, l’astronome Ismaël Boulliau, qu’« [il vient] de recevoir de M. Carcavy par la voie de la poste un exemplaire du livre de M. Dettonville 14 », autrement dit les Lettres de A. Dettonville contenant quelques-unes de ses inventions de géométrie…, écrites par Pascal sous pseudonyme et parues en 1659 15 . Ces échanges épistolaires ou par messagers interposés ne sont pas exceptionnels. Bien plus, ils se révèlent sources d’émulation scientifique : l’envoi des Lettres en latin n’est autre que la réplique à l’Horologium, un traité adressé par le Hollandais à Pascal l’année précédente 16 par un intermédiaire de toute confiance, Antoine de Saint-Gilles. Ce dernier, après sa compromission dans l’affaire des Provinciales, a jugé bon de se retirer quelque temps de Paris, mais sans omettre de faire profiter le réseau janséniste de son « exil » temporaire 17 . Huygens n’est pas, loin s’en faut, le seul lecteur enthousiaste de Pascal. D’autres savants européens s’en font les promoteurs, 14 Ch. Huygens à I. Boulliau, le 8 mai 1659, éd. dans Blaise Pascal, Œuvres complètes, t. IV, éd. Jean Mesnard, Paris, Desclée de Brower, 1992, p. 627. 15 Lettres de A. Dettonville contenant quelques-unes de ses inventions de géométrie…, Paris, G. Desprez, 1659, 4 o . 16 Christiani Hugenii a Zulichem […] Horologium, Hagae Comitum [La Haye], A. Vlacq, 1658, 4 o . 17 Pascal, Œuvres complètes…, op. cit., t. IV, p. 336. <?page no="289"?> 275 La langue latine dans les éditions jansénistes (XVII e -XVIII e siècles) La langue latine dans les éditions jansénistes (XVIIe-XVIIIe siècles) à l’instar de Henry Oldenburg écrivant de Londres à Leibniz, le 12 avril 1675, au sujet des derniers débats mathématiques : Adjeceramque tractatus Dni. Paschalis et Dni. Desargues penes bibliopolam Desprez adhuc ineditos delitescentes, […] eos, inquam, tractatus mereri ut in lucem emittantur, quippe qui sine dubio varias contineant speculationes novas utilesque, trigonometriam […] in doctrinam conicam introducendo 18 . Le sort des œuvres du mathématicien et philosophe Jacques Rohault (1620- 1672) est tout aussi éclairant sur la renommée dont jouissent les jansénistes et leurs proches dans les milieux autorisés. Rohault est lui aussi un familier de Port-Royal. Il est très apprécié d’Antoine Arnauld et de la duchesse de Longueville, donne des conférences de physique et de philosophie avec grand succès et enseigne les mathématiques aux jeunes princes de Conti. Dans ses traités de physique, il se place en rupture avec la philosophie aristotélicienne et se rattache à la pensée cartésienne. Dès 1672, deux ans après sa première publication en français 19 , son Traité de physique paraît à Amsterdam, « sur la copie imprimée à Paris », c’est-à-dire sans autorisation et sous une fausse adresse derrière laquelle se cache en réalité l’atelier de Daniel Elzevier 20 . On se l’arrache vraisemblablement, car en 1676 est imprimée à Lausanne, « sur la copie imprimée à Amsterdam », une nouvelle contrefaçon 21 . Entre-temps, le traité d’inspiration cartésienne a été traduit en latin, ce qui rend son propos accessible à l’ensemble de la communauté scientifique à qui elle s’adresse et, au-delà, à un public de clercs latinistes qu’une telle conception du monde ne saurait laisser indifférents. En 1674, une première version latine est en effet éditée à Genève 22 , puis une nouvelle à Londres, en 1682 23 . De Pascal à Arnauld en passant par Rohault, plusieurs des proches de Port- Royal contribuent ainsi à installer - dans ces sphères d’activité scientifiques qui sont également les leurs - une certaine réputation des jansénistes, réputa- 18 H. Oldenburg à G.W. Leibniz, le 12 avr. 1675, éd. dans [Gottfried Wilhelm Leibniz] Der Briefwechsel von Gottfried Wilhelm Leibniz mit Mathematikern (éd. C.I. Gerhardt), t. I, Berlin, 1899, p. 121, lettre n o XXXII : « Et j’avais ajouté les traités du sieur Pascal et du sieur Desargues, que le libraire Desprez garde en sa possession, encore inédits, […] traités, dis-je, qui mériteraient publication puisqu’ils contiennent assurément diverses observations neuves et utiles, par l’introduction de la trigonométrie […] dans la théorie des coniques. » [Trad. J.G.]. 19 Jacques Rohault, Traité de physique…, Paris, Vve Ch. Savreux, 1670, 4 o et maintes fois réédité sous privilège du Roi. 20 Id., Traité de physique…, Amsterdam, J. Le Jeune [i.e. D. Elzevier], 1672, 2 vol. 12 o . 21 Id., Traité de physique…, Lausanne, D. Gentil, 1676, 2 vol. 8 o . 22 Id., Tractatus physicus…, Genevæ [Genève], J.H. Widerhold, 1674, 8 o . 23 Id., Tractatus physicus…, Londini [Londres], G. Wells & A. Swalle, 1682, 4 o . <?page no="290"?> Juliette Guilbaud 276 tion qui entretient un climat favorable à une diffusion pérenne des idées de Port-Royal à travers l’Europe, par le biais de l’imprimé. B. Les premières traductions latines des jansénistes Il s’agit bien là d’« entretenir » un terrain, non de le « défricher ». Dès les années 1640, en effet, plusieurs éditions françaises sont rapidement traduites vers le latin. Elles le sont d’abord par les jansénistes eux-mêmes, et l’on peut à bon droit penser que les milieux ecclésiastiques français ne sont pas le seul public visé par de telles entreprises : le De frequenti communione liber d’Arnauld, publié à Paris chez le libraire Antoine Vitré en 1647, fait écho à la Fréquente Communion, parue quatre ans plus tôt à la même adresse 24 ; la Réponse au P. Annat touchant les cinq propositions attribuées à M. l’évêque d’Ypres paraît la même année (1654) d’abord en français, puis dans une version latine de cette édition, qui mentionne expressément le texte source 25 . La traduction latine des Provinciales dès 1658 par Pierre Nicole, mérite que l’on s’y arrête un instant 26 . À tous les stades de sa publication - de la figure de l’auteur tel qu’il se présente (Nicole alias Wendrock), jusqu’à la forme matérielle du volume pensée en vue de faciliter sa diffusion 27 - ce recueil illustre en effet tout l’art médiatique des jansénistes, qui montrent dès cette époque une véritable stratégie dans l’utilisation de l’imprimé et de ses divers ressorts, afin d’augmenter leur audience. Le fait que le texte n’ait pas été soumis à la censure préalable en France (comme c’est pourtant la règle) laisse croire à son caractère provocateur, voire subversif, et constitue une incitation supplémentaire à la lecture 28 . L’identité de théologien germanique (salzbour- 24 Antoine Arnauld, De frequenti communione liber…, Paris, A. Vitré, 1647, 4 o ; id., De la fréquente communion…, Paris, A. Vitré, 1643, 4 o . C’est la traduction latine de la Fréquente Communion, et non sa version française, qui est envoyée en Pologne à la cour de Louise-Marie de Gonzague. (Nous remercions M. Jean Lesaulnier de cette précision.) 25 [Antoine Arnauld, Pierre Nicole], Réponse au P. Annat touchant les cinq propositions attribuées à M. l’évêque d’Ypres…, s.l., 1654, 4 o ; iid., Ad P. Annatum […] responsio, s.l., 1654, 8 o . 26 Ludovici Montaltii litteræ provinciales de morali et politica jesuitarum disciplina […] a Willelmo Wendrockio Salisburgensi theologo…, Coloniæ [Cologne], N. Schouten [i.e. Amsterdam, Elzevier], 1658, 12 o . 27 J. Guilbaud, « Singulier et pluriel. L’auteur janséniste au XVII e siècle », in La Fabrication de l’auteur [colloque, Montréal (Longueuil), 2006], op. cit. ; ead., « La circulation des imprimés jansénistes entre la France et les Provinces-Unies au XVII e siècle », in Les Échanges religieux entre la France et les Pays-Bas du Nord à l’époque moderne [colloque, Lyon, 2007], sous presse. 28 Jean-Dominique Mellot, article « Adresse », dans Dictionnaire encyclopédique du livre, t. I, dir. Pascal Fouché, Daniel Péchoin, Philippe Schuwer, Paris, Éd. du Cercle de la <?page no="291"?> 277 La langue latine dans les éditions jansénistes (XVII e -XVIII e siècles) La langue latine dans les éditions jansénistes (XVIIe-XVIIIe siècles) geois, en l’occurrence), endossée par Nicole, joue dans le même sens : en tant qu’étranger, l’auteur-traducteur-commentateur peut d’une part prétendre à toute l’objectivité indispensable au traitement de son sujet particulièrement polémique ; de l’autre, alléguer du profit de l’ouvrage pour un public non plus seulement français ou francophone, mais européen. Cet intérêt d’une large communauté, et non plus d’un seul cercle relativement fermé de rayonnement local ou régional (en tout cas limité) est réel, si l’on en juge par les traductions latines d’écrits jansénistes (ou réputés comme tels) entreprises non plus par les théologiens de Port-Royal, mais par leurs homologues étrangers, à l’instar du traité de La Grandeur de l’Église romaine de Martin de Barcos, publié à Bâle en 1657 29 . Citons encore l’exemple de la Logique qui, après une première version latine parue à Leyde en 1682 30 , est retraduite à partir de la troisième édition française et publiée au début du XVIII e siècle : d’une part à Utrecht (1700) 31 , de l’autre, à l’initiative des piétistes de Halle, et notamment de Johann Franz Budde (1667-1729) qui en est le préfacier (1704) 32 . Cette précision n’est pas sans importance, puisque les piétistes se font fort de dispenser un enseignement où la langue vernaculaire tient une plus large place que jusqu’alors ; ils reprennent des principes qui, à bien des égards, rappellent la morale nicolienne, laquelle - mais c’est une autre histoire qui, pour aujourd’hui, nous éloignerait de notre propos -, a été importée en Allemagne, notamment par l’entremise des pasteurs exilés après la Révocation (1685). III. La langue latine comme tremplin pour une diffusion élargie Nous touchons là au cœur du paradoxe évoqué comme point de départ. Les recherches que nous poursuivons sur les éditions jansénistes « héritées » du XVII e et du début du XVIII e siècle, et diffusées en Europe au temps des Lumières, font en effet apparaître deux tendances de prime abord contradictoires, dans le phénomène des traductions : la première est un mouvement de traduction du français vers le latin, à l’usage privilégié des milieux ecclésiaslibrairie, 2002, p. 27-30. 29 Epitome tractatus Gallicani cui titulus : « La grandeur de l’Eglise Romaine », demonstrans autoritatem Ecclesiæ romanæ fundatam super Petro et Paulo tanquam uno Ecclesiæ capite. Latine vertit notasque addidit Joh. Henricus Otto, Bâle, Vve Wagner, 1657, 8 o . 30 [A. Arnauld, P. Nicole], Logica sive ars cogitandi, Leyde, J. Caal, 1682, 8 o . 31 [A. Arnauld, P. Nicole], Logica sive ars cogitandi, Utrecht, G. vom de Water, 1700, 12 o . 32 [A. Arnauld, P. Nicole], Logica sive ars cogitandi, Halle, J.F. Zeitler, 1704, 8 o . <?page no="292"?> Juliette Guilbaud 278 tiques ; la seconde, qui lui est concomitante, est un courant de traductions, certes à partir du français mais aussi du latin, vers les autres langues vernaculaires européennes (allemand, italien, hongrois et, dans une moindre mesure, espagnol). Ainsi, après avoir endossé le rôle de langue cible pour faciliter la diffusion des éditions jansénistes dans des sphères non francophones dès la fin du XVII e et au début du XVIII e siècle, le latin sert-il tout au long du XVIII e siècle de truchement à la compréhension des textes par le plus grand nombre, rejoignant en quelque sorte, et de façon occasionnelle, le bataillon des langues vulgaires. Dans sa correspondance avec Clément du Tremblay, qui est alors chanoine d’Auxerre, Gabriel Dupac de Bellegarde, agent des jansénistes à travers l’Europe, explique à son interlocuteur que les étudiants grecs et hongrois de deux séminaires viennois « qui ont le plus grand zèle pour les bons livres, […] trouvent surtout admirable celui des Réflexions morales [de Quesnel], et [l]e pressent de procurer une nouvelle édition de cet ouvrage en latin, la première étant très rare, et la latine étant plus universellement à leur portée que la française 33 ». Dupac précise même qu’en cas de difficulté pour Clément à se procurer une édition latine à Paris, il s’engage à lui en faire parvenir un exemplaire, en huit volumes in-18, et lui garantit par ailleurs la souscription des deux séminaires viennois évoqués pour deux cents exemplaires de la nouvelle édition, sans compter la probable souscription au moins équivalente d’autres établissements en Allemagne 34 . La volonté de faire connaître en dehors des seuls milieux ecclésiastiques les idées et la morale jansénistes conduit certains clercs ou religieux à publier des traductions vers les langues vernaculaires, avec la bénédiction et parfois même à l’instigation des autorités épiscopales. S’il n’est pas rare que le français serve de langue source, le latin n’est toutefois pas laissé pour compte, notamment lorsque sa version fait référence, à l’instar de la traduction latine de Nicole, alias Wendrock, pour les Provinciales 35 . C’est notamment le cas pour les éditions en allemand parues pour la première à Lemgo, chez Meyer 33 Bibl. de l’Arsenal (Paris), ms. 4986 : lettre de Gabriel Dupac de Bellegarde à Clément du Tremblay, chanoine trésorier de l’église d’Auxerre, le 28 avr. 1783 ; ici fol. 22 recto. 34 Ibid. 35 La qualité de la version latine des Provinciales, et notamment des commentaires de Nicole, est telle, que comme par une sorte de mise en abyme, elle est retraduite vers le français par Mlle de Joncoux : Les Provinciales […] avec les notes de Guillaume Wendrock…, s.l., 1699, 3 vol. 12 o (voir Ellen Weaver, Mademoiselle de Joncoux. Polémique janséniste à la veille de la bulle Unigenitus, Paris, 2002, p. 153-154). <?page no="293"?> 279 La langue latine dans les éditions jansénistes (XVII e -XVIII e siècles) La langue latine dans les éditions jansénistes (XVIIe-XVIIIe siècles) (1773-1775), et en 1792 sans adresse, pour la seconde 36 , toutes deux faisant expressément référence au latin comme source de leur traduction. Il est intéressant de souligner la cohérence d’un libraire comme Meyer, car il édite également les œuvres du pasteur Jean La Placette 37 , dont l’inspiration nicolienne est connue et lui vaut le surnom de « Nicole protestant » 38 . Autre exemple : en préambule, le traducteur bénédictin du catéchisme de Montpellier rappelle lui aussi sa dette envers le latin dès la page de titre (Aus dem lateinischen in die deutsche Sprache uebersetzt), et dédie son texte avant tout « à la communauté des catholiques » de langue allemande (den gemeine[n] Leute der katholischen Kirche) et « aux croyants dans l’erreur » (den Irrgläubige[n]) 39 . Il met en avant sa volonté d’avoir ainsi voulu offrir un manuel de morale utile (ein nützliches geistliches Hausbuch), avant tout destiné aux lecteurs ne sachant pas le latin 40 . Le temps manque pour d’autres exemples, mais qui tous tendraient à montrer le rôle d’intermédiaire culturel essentiel joué par le latin dans la diffusion des idées jansénistes par le biais de l’imprimé. La mise au jour et l’examen progressif des éditions de Port-Royal tantôt republiées, tantôt traduites dans l’Europe du XVIII e siècle sont loin d’être achevés, mais toujours stimulants. Dans un espace vaste comme celui de l’empire et des États patrimoniaux centre-européens de la maison de Habsbourg, elle permet de reconstituer les modalités d’un transfert culturel par l’imprimé, où entrent, certes, des considérations spirituelles et philosophiques, mais également des enjeux politiques et économiques réels. Dans ce contexte, la question linguistique est d’autant plus importante, qu’elle se double d’une question nationale et identitaire de plus en plus prégnante, jusqu’à atteindre un apogée au XIX e siècle. Alors que l’avenir du latin pouvait sembler compromis pour ce qui est de la diffusion des idées de Port-Royal, au regard du projet initial de ses auteurs, la réalité de la demande révèle qu’il n’en est rien et souligne même combien 36 Provinzialbriefe über die Sittenlehre und Politik der Jesuiten…, Lemgo, Meyer, 1773- 1775, 3 t. ; Provinzialbriefe über die Sittenlehre und Politik der Jesuiten…, s.l., 1792. 37 Provinzialbriefe über die Sittenlehre und Politik der Jesuiten…, t. III, Lemgo, Meyer, 1775 : « Verzeichnis der Buecher, welche in der Jubilate-Messe 1775 beym Verleger dieses Werks herausgekommen sind ». 38 Eugène & Émile Haag, La France protestante ou Vie des protestants français qui se sont fait un nom dans l’histoire… [fac-similé], Genève, 1966, t. VI, p. 314-318. Sur les influences de Jean La Placette, voir également Sandra Pott, Reformierte Morallehren und deutsche Literatur von Jean Barbeyrac bis Christoph Martin Wieland, Tübingen, M. Niemeyer, 2002. 39 Katholische Unterweisungen nach der Weise einer Christenlehre…, Augsburg, Veith, 1779, 9 t. ; t. I, p. LI . 40 Ibid., p. LIV . <?page no="294"?> Juliette Guilbaud 280 l’entremise de cette langue est indispensable, pour ne pas dire salutaire à une circulation pérenne et non plus locale (ou régionale) des écrits jansénistes entre les XVII e et XVIII e siècles. Autre preuve, s’il en était encore besoin, d’un art où excellent les jansénistes et qui fait fureur aujourd’hui : celui des réseaux, du réseau et de la communication. <?page no="295"?> Biblio 17, 188 (2010) De la destruction de Port-Royal des Champs à la Révolution française : les réseaux européens de la gravure d’obédience janséniste C HRISTINE G OUZI Université de Lyon III De 1709 à la veille de la Révolution, nombre d’estampes illustrèrent ce que l’on nommait alors « les affaires du temps ». Gravures volantes, vendues à la criée par des colporteurs, dans les boutiques de marchands graveurs ou de libraires, elles représentaient de manière descriptive, allégorique ou encore satirique les événements politiques et religieux survenus dans le royaume de France. La querelle janséniste, ravivée en plusieurs occasions au XVIII e siècle, fut pendant plusieurs décennies un des sujets les plus prisés des graveurs : ces derniers se complurent à mettre en image ses péripéties les plus fameuses et s’attachèrent à fixer les traits de ses protagonistes. Or, le jansénisme étant avant tout un mouvement d’obédience française, voire gallicane, il serait tentant de penser que les artistes qui l’illustrèrent furent des dessinateurs et des graveurs français, favorisés dans leur tâche par leur proximité avec les événements. Cette conclusion serait pourtant trop rapide : même s’il n’est pas contestable que Paris soit demeuré tout au long des Lumières le centre des réseaux artistiques jansénistes, d’autres pays d’Europe eurent un rôle essentiel dans leur développement. De même, un nombre non négligeable d’artistes venus de l’étranger œuvra en France pour la cause janséniste. Cette dimension européenne n’a jusqu’à ce jour jamais retenu l’attention, à cause peut-être, de l’interprétation strictement port-royaliste de l’art lié au jansénisme, initiée par Saint-Beuve dès le XIX e siècle 1 . Elle est cependant un des éléments essentiels qui permettent de comprendre la constitution des réseaux de la gravure janséniste et leur mode de fonctionnement. Ces réseaux ne furent pas uniformes durant tout le siècle. Le premier se constitua à partir de 1709, date du début de la destruction de Port-Royal des Champs et changea de nature vers 1730, au moment des miracles du 1 Charles-Augustin Sainte-Beuve, Port-Royal, Paris, 1840-1859. <?page no="296"?> Christine Gouzi 282 cimetière de Saint-Médard. Un second réseau s’adjoignit alors au premier et fut actif à partir de 1728 environ, pour finalement supplanter le premier dès la fin des années 1730. Le ralentissement de ses activités correspond à peu près à la fin des miracles opérés à l’intercession du diacre Pâris, dans les années 1740. Enfin, le troisième et dernier réseau, le plus complexe dans son organisation et ses buts, se mit en place en 1757, après une période de latence de plus de dix ans, et s’offre comme une des conséquences de l’attentat de Damiens. Il s’éteignit peu après la suppression de la Compagnie de Jésus en France, le 26 novembre 1764. Les graveurs qui œuvrèrent dans ces trois réseaux se renouvelèrent au cours du siècle : certains d’entre eux furent choisis à cause de leurs rapports avec des créateurs originaires de pays étrangers, ou bien parce qu’eux-mêmes résidaient hors de France. Dès que la destruction de l’abbaye de Port-Royal des Champs fut décidée par le pouvoir royal, en 1709, plusieurs artistes manifestèrent leur indignation. Les vues de l’abbaye et de la vie quotidienne des cisterciennes, gravées par Madeleine Horthemels, sont demeurées célèbres 2 . Mais il est une estampe, 2 Il existe de nombreux exemplaires de cette suite : notamment à la bibliothèque de Port-Royal, à la B.N.F., à la bibliothèque de Sainte-Geneviève. Illustration 1 : Bernard Picart, Les religieuses enchaînées ou La destruction de Port-Royal, BN.F. Estampes, 1709. <?page no="297"?> 283 De la destruction de Port-Royal des Champs à la Révolution française exécutée par un autre graveur, qui est intéressante pour l’histoire des réseaux jansénistes européens. Il s’agit des Religieuses enchaînées, gravée en 1709 par Bernard Picart 3 , qui dénonce de manière virulente les persécutions policières contre les moniales et la mise à bas des bâtiments conventuels (ill. 1). Bernard Picart (1673-1733) était un graveur alors renommé 4 . Issu d’une famille de réformés, comme l’était aussi Madeleine Horthemels, il avait pour père Étienne Picart, également graveur de son état 5 . Auteur d’illustration de livres, de figures de modes, de gravures d’interprétation, il aurait pu décider de lui-même de réaliser les Religieuses enchaînées, par conviction personnelle. Proche des milieux jansénistes de la capitale, il hésitait à ce moment entre la foi épurée des port-royalistes et la pensée philosophique des « esprits libres », représentés par les figures tutélaires de Pierre Bayle et de Malebranche 6 . C’est finalement ce dernier camp qu’il choisira, alors même qu’il tentait de fuir la France. Ayant échoué en 1709 à gagner la Suède, il réussit en 1710 à partir avec son père à La Haye, puis à s’installer à Amsterdam en 1711 7 . Il mit alors sur pied un vaste atelier, susceptible de fournir des illustrations pour des ouvrages romanesques, scientifiques ou religieux, mais aussi capable de l’assister pour la gravure d’ouvrages de son invention. Bernard Picart est en effet surtout connu pour la conception des Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde, qui commença à paraître à partir de 1723 à Amsterdam. Ce recueil, conçu comme une encyclopédie en images, illustre les rites des 3 Paris, B.N.F., Estampes, Ed 56a, fol., cote microfilm R 143511. 4 Pour les biographies de Picart, voir celle que l’on a longtemps crue de sa seconde femme, Anna Vincent, et qui est en réalité de son ami P. Marchand, 1734, citée à la note 6. Également B.N.F., Estampes, collection Deloynes, t. 60, n° 1859, pièce 114, p. 263 ; et B.N.F., Manuscrits, Pièce originale-2261, Picart, fol. 218 ; Pierre-Jean Mariette, Abecedario, éd. Paris, 1851-1853, t. III, p. 303. 5 Sur Picart, voir Jeanne Duportal, « Bernard Picart » in Louis Dimier, Les peintres français du XVIII e siècle, Paris, Bruxelles, G. Van Oest, 1928 et Margaret C. Jacob, « Bernard Picart and the Turn toward Modernity », De Achttieude eeuw, vol. 37, 2005, p. 1-16. 6 Cette attirance de Picart pour le jansénisme vers 1709 est décrite dans la biographie écrite par le libraire Prosper Marchand, dans Impostures innocentes ou Recueil d’estampes d’après divers peintres illustres… par Bernard Picart avec son Éloge historique et le catalogue de ses ouvrages, Amsterdam, Vve de Bernard Picart, 1734. Sur les rapports de Picart avec le jansénisme et le baylisme, voir Christine Gouzi, « L’influence de Bernard Picart et de son atelier amstellodamois sur la gravure française janséniste », actes du colloque Les échanges religieux entre la France et les Pays bas du Nord, Lyon, 2007, actes à paraître en 2010. 7 Ces renseignements sont donnés par Prosper Marchand, en 1734, voir infra, note 6. <?page no="298"?> Christine Gouzi 284 religions de tous les continents 8 . Grand succès de librairie dès le XVIII e siècle, ce livre d’inspiration philosophique comprend plusieurs volumes, dont la parution ne s’achèvera qu’en 1743, après la mort de Picart. Mais toutes ces activités, pour prenantes qu’elles soient, ne constituent que la face émergée de sa production. Grâce aux archives du ministère des Affaires Etrangères, il est en effet loisible d’affirmer qu’il en exista un versant caché : celui de la conception et de la gravure de motifs défendant la cause janséniste. Ainsi, en 1727, selon un mémoire du lieutenant de police Hérault destiné au cardinal de Fleury, une estampe, imaginée et gravée par Bernard Picart à Amsterdam, est sur le point d’être diffusée en France 9 . Hérault, qui décrit très précisément cette œuvre, intitulée Brigandage d’Embrun, s’interroge sur l’opportunité et la possibilité de faire détruire la planche : cette destruction n’empêcherait pas, selon lui, sa prompte diffusion à Paris. Hérault était clairvoyant, puisque la gravure figure en bonne place dans la collection Qb1 du département des estampes de la B.N.F 10 (ill. 2). Elle fut donc vendue en France à des amateurs, mais était restée jusqu’à présent anonyme, car non signée. Grâce à des comparaisons de style, mais aussi grâce aux archives de la Bastille, d’autres estampes conçues par Bernard Picart pour le marché français et prônant des idées jansénistes, ont pu être mises au jour 11 . Ce corpus, qui pourrait certainement être augmenté par 8 Sur ce recueil et sa portée, on peut consulter Danièle Prégardien, « L’iconographie des Cérémonies et coutumes… de Bernard Picart », L’Homme des Lumières et la découverte de l’autre, éd. par D. Droixhe et Pol.-P. Gossiaux, Bruxelles, Éd. de l’Université Libre de Bruxelles, 1985, p. 183-190 ; Odile Faliu (éd.), Cérémonies et coutumes religieuses dans tous les peuples du monde, Paris, Herscher, 1988 ; Geneviève Artigas- Menant, « L’utilisation de la Rome antique dans la propagande anti-Catholique », in Images de l’Antiquité dans la littérature française, Paris, Presses de l’École normale supérieure, 1993, p. 125-136. 9 Paris, Archives du Ministère des Affaires étrangères, Mémoires et documents, France, 1260, fol. 184, 185 et 186, 16 octobre 1727. Hérault cite nommément Bernard Picart et précise que l’estampe est en train d’être imprimée dans son atelier. Nous reproduisons l’intégralité de cette source dans les actes du colloque de Lyon, cités note 6. 10 Fol. Histoire France, 1727, cote microfilm M 95937. Cette gravure n’apparaît dans aucun des catalogues de l’œuvre de Picart édités après 1727 : Catalogue des estampes qui composent la plus grande partie de l’œuvre de Bernard Picart, Amsterdam, 1734 ; Catalogue d’une belle partie des planches de cuivre gravées par Bernard Picart lesquelles se vendront à Paris, juin, Amsterdam, 1738 ; Catalogue des planches de Bernard Picart, [Paris, chez Gaspar Duchange], [1750]. Elle ne se trouve pas non plus dans le catalogue manuscrit de ses œuvres (Rijksmuseum, Prentenkabinet, MS C/ R MO111. ASC, 174*1, 1730 et 1735). 11 Voir Christine Gouzi, L’art et le jansénisme au XVIII e siècle, Paris, Nolin, 2007, chapitre II, ainsi que les actes du colloque cités note 6. Picart imagina notamment le premier frontispice des Nouvelles ecclésiastiques en 1717. <?page no="299"?> 285 De la destruction de Port-Royal des Champs à la Révolution française d’autres recherches d’archives, prouve qu’il existait un réseau de gravures jansénistes amstellodamois. En lien constant avec Paris, où se trouvaient ses commanditaires, Picart exécutait, avec l’aide de ses collaborateurs et de ses élèves, des estampes dont la teneur sulfureuse ne pouvait lui être reprochée, puisqu’il se trouvait hors de toute juridiction française. Dessinateur hors pair, car très inventif, Picart pouvait graver lui-même ses œuvres à Amsterdam ou envoyer ses modèles à Paris pour qu’ils soient gravés sur place, ou encore, faire circuler d’Amsterdam à Paris le cuivre gravé par ses soins, qu’un graveur parisien n’aurait eu plus qu’à imprimer 12 . De plus, ses anciennes amitiés avec des graveurs ou des marchands graveurs parisiens lui assuraient des débouchés pour la diffusion de ses estampes 13 qui pouvaient redoubler les organisations parisiennes de graveurs jansénistes. 12 Nicolas Godonnesche grava à Paris en 1732 un dessin signé Bernard Picart : l’hypothèse de la circulation de modèles entre l’atelier de Picart à Amsterdam et l’atelier de Godonnesche à Paris est ainsi avérée. Sur cette affaire, connue par une perquisition de police dans l’atelier de Godonnesche, voir Christine Gouzi, « Du Grand Siècle aux Lumières : commanditaires et mécènes jansénistes », Revue de l’Art, n° 153, 2006-3, p. 9-23. 13 Grâce aux annonces de la Gazette d’Amsterdam, on sait que Picart avait gardé des liens commerciaux avec son ami marchand graveur Gaspard Duchange, qui vendait à Paris ses estampes. Voir Christine Gouzi, actes du colloque de Lyon cités note 6. Illustration 2 : Bernard Picart, Brigandage d’Embrun, B.N.F., Estampes, 1727. <?page no="300"?> Christine Gouzi 286 Ainsi, pour des raisons évidentes de sécurité, les réseaux de gravure janséniste se ramifièrent très tôt vers la Hollande. Comme pour le livre, le choix se porta sur ce pays, qui permettait des échanges fréquents et faciles avec Paris. Ce choix fut certainement renforcé par l’exil de Bernard Picart, qui rendit possible le trafic de gravures séditieuses entre les deux pays. Cette extension géographique dans l’Europe du Nord des réseaux de la gravure janséniste ne resta d’ailleurs pas sans conséquence : les estampes conçues par Bernard Picart mirent en vogue des allégories satiriques que n’osaient pas, dans les années 1720, les graveurs parisiens. Picart, qui s’inspirait peut-être de la manière de la gravure hollandaise de la fin du XVII e siècle, notamment de celle de Romeyn de Hoogue, fut en effet le premier artiste qui imagina un système métaphorique pour décrire les ennemis des jansénistes, dans lequel la caricature et l’allégorie tenaient une place de choix 14 . Jamais menacé d’une perquisition ou d’une arrestation, Picart, de son nouveau pays d’élection, fut l’artiste qui élabora un répertoire de dessins anti-jésuites et pro-jansénistes, dont la virulence influença durablement les graveurs parisiens, car il demeura actif dans le domaine de l’estampe janséniste jusqu’à sa mort, en 1733. À cette date, un groupe de graveurs français s’était constitué à Paris autour de figures artistiques gagnées à la cause janséniste. Ces protagonistes du second réseau de la gravure d’obédience janséniste sont aujourd’hui bien connus 15 : il s’agit de plusieurs membres de la famille Cochin, Tardieu et Horthemels, auxquels il faut ajouter Nicolas Godonnesche et Nicolas-Jean- Baptiste de Poilly. Or, dans les années 1730, ce réseau accepta en son sein des graveurs étrangers. Le cas de Georg Friedrich Schmidt est exemplaire à cet égard. Schmidt était né en 1712 à Berlin et y mourut en 1775. Ayant débuté des études de graveur dans sa ville natale, il décida de parfaire sa formation à Paris 16 . Il y arriva en 1736, sans autre recommandation que quelques exemples de son art ; mais il fut rapidement aidé par son compatriote, l’amateur et graveur Johann Georg Wille, qui, selon son propre témoignage 17 , 14 Pour l’analyse du style des gravures jansénistes de Picart, nous renvoyons à notre communication des actes du colloque cité note 6. 15 Voir Christine Gouzi, op. cit., 2007, les chapitres II et III pour les Cochin, les Tardieu, les Horthemels et N.-J.-B. de Poilly. Pour N. Godonnesche, voir notre article, 2006, cité note 12. 16 Sur Schmidt, voir Auguste Crayen, Catalogue raisonné de l’œuvre de feu Georges-Frédéric Schmidt, graveur du roi de Prusse, Londres, s.n., 1789 et Joseph Eduard Wessely, Georg Friedrich Schmidt, Vezeichniss seiner Stiche und Radirungen beschrieben von Prof. J.E. Wessely…, Hambourg, Haendcke & Lehmkuhl, 1887. 17 Mémoires et journal de Johann Georg Wille, graveur du Roi, Paris, Vve J. Renouard, 1857, p. 48-51-52. <?page no="301"?> 287 De la destruction de Port-Royal des Champs à la Révolution française le présenta à de nombreux artistes 18 et le fit bénéficier de ses premières commandes. Est-ce Wille qui l’introduisit auprès de certains des artistes parisiens jansénistes, qui étaient de ses amis 19 ? Toujours est-il que dès 1737, le jeune Schmidt grava plusieurs estampes demeurées fameuses dans le corpus de la gravure janséniste de ces années 20 : une gravure d’après le frontispice de La Vérité des Miracles… de Louis Basile Carré de Montgeron (1737) représentant le diacre Pâris en prières, dont l’original avait été conçu par Jean Restout et gravé par Nicolas Tardieu 21 . En 1738, il réalisa un autre portrait de Pâris, en ovale cette fois, dont le dessin avait aussi été imaginé par Restout 22 . Entre 1736 et 1738, il donna une estampe du portrait de Restout représentant l’abbé Tournus en prières 23 (Tournus avait été le compagnon du diacre Pâris). Enfin, 18 Parmi ceux-ci, H. Rigaud, dont Schmidt grava plusieurs portraits et qui fut lui aussi proche des milieux jansénistes parisiens. Voir à ce sujet Ariane James Sarazin, Hyacinthe Rigaud, thèse de l’École des Chartes, 2003. À paraître aux éditions Faton. 19 Selon son journal, publié en 1857, Wille était un ami intime de Charles-Nicolas Cochin fils (1715-1790), qui grava en 1737 et 1738 les frontispices des Nouvelles ecclésiastiques. Il était également très proche de Crayen, qui fit en 1789 le catalogue de l’œuvre gravé de Schmidt. 20 Elles sont toutes signalées dans le catalogue d’A. Crayen en 1789 (op. cit.). Wessely n’en signale plus que deux en 1887 : le portrait de l’abbé Tournus (n° 115, p. 50) et le portrait en ovale du diacre Pâris (n° 77, p. 34) et ne semble pas en comprendre la teneur. Crayen au contraire suggère habilement que ces estampes « de la plus grande rareté », et que Schmidt lui-même « ne possédoit pas », étaient des œuvres sulfureuses (voir A. Crayen, op. cit. note 15, p. 9). Un autre portrait de Schmidt pourrait être classé dans ce corpus d’œuvres « jansénistes » : le portrait de l’évêque d’Auxerre, monseigneur de Caylus, d’après le portraitiste Fontaine, exécuté en 1739 (Crayen, op. cit., 1789, n° 40, p. 21 : il signale que les objets sur la table ont été gravés par Wille). 21 Cette gravure d’après celle de Tardieu exécutée pour La Vérité des Miracles… sur un modèle de Restout fut sans doute conçue comme image de piété (elle existe en effet sous une forme volante à la B.N.F., département des Estampes, N2 portraits, cote microfilm D 232222), mais elle fut aussi utilisée pour illustrer en frontispice la Vie du bienheureux François de Pâris de l’édition de 1788 (un exemplaire relié avec la gravure à la bibliothèque de Port-Royal). 22 B.N.F., département des Estampes, collection Hennin, 8016 (cote microfilm 159076), daté de 1727 à la B.N.F, en réalité de 1738. C’est certainement ce portrait qui avait été imaginé pour frontispice de l’édition de 1738 de la Vie de Monsieur de Paris, diacre, par Barthélémy Doyen (1ère éd. 1731), réécrite par l’abbé Goujet en 1738. Un exemplaire de cette édition de 1738 avec le portrait en ovale de Schmidt à la bibliothèque de Port-Royal, Paris. 23 Nous ne connaissons qu’un seul exemplaire de cette gravure, à la réserve de la bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris (Fol W 3192, inv. 452), dont Crayen précise qu’il comporte un monogramme caché dans les tailles du motif de la table. Crayen <?page no="302"?> Christine Gouzi 288 vers 1739-1740, il grava à l’eau forte et au burin Le Pèlerinage de piété d’après un dessin ou une peinture du même Restout 24 (ill. 3). On peut légitimement s’interroger sur les raisons de cette participation de Schmidt à l’élaboration d’œuvres « jansénistes ». Jeune luthérien que le jansénisme ne touchait certainement pas avant son arrivée à Paris, Schmidt put considérer ces commandes comme un travail purement alimentaire, qui lui permettait de faire face à ses premières dépenses parisiennes. Les trois portraits datent en effet du début de son séjour : arrivé à la fin de 1736, il repartit en 1743 ; et de 1740 à 1743, il obtint des commandes prestigieuses qui lui permirent peut-être d’abandonner sa « carrière janséniste ». Toute plausible qu’elle soit, cette interprétation demande cependant quelques nuances : dès 1737, Schmidt, apprécié des cercles français, n’avait plus un besoin pressant de commandes. Plus tard, revenu glorieux de son séjour parisien à Berlin, il était évidemment dans une position assez éminente pour refuser tout travail qu’il aurait dû accomplir sans goût. Pourtant, certains traits stylistiques des gravures du tome III de La Vérité des Miracles… de Louis-Basile Carré de décrit le monogramme comme étant « F.R. ». En réalité il s’agit de « F.S. » entrelacé avec un « R. » : c’est-à-dire « Friedrich Schmidt » et « Restout ». 24 B.N.F., département des Estampes, N2 portraits, cote microfilm 232238. Illustration 3 : Georg Friedrich Schmidt d’après Jean Restout, Le Pèlerinage de piété, B.N.F. Estampes, vers 1738. <?page no="303"?> 289 De la destruction de Port-Royal des Champs à la Révolution française Montgeron, édité à Cologne en 1747, laissent à penser qu’il put participer à son illustration gravée 25 . Notons de plus que Schmidt fut à Paris un ami proche du peintre Jean Restout et du graveur Charles-Nicolas Cochin 26 , tous deux fort engagés dans les « querelles du temps » : même si ses convictions religieuses ou politiques, dont nous ne savons rien, ne déterminèrent pas sa participation à des ouvrages défendant le jansénisme, il put fort bien y apporter sa contribution, seulement par amitié. Pour les commanditaires jansénistes, la « réquisition » de Schmidt peut s’expliquer assez facilement : sa nationalité prussienne, sa nouveauté dans le panorama artistique parisien lui garantissait, au moins pour un temps, une relative impunité. Selon les archives de la Bastille, les services de la police avaient d’abord à cœur de démasquer, dans les étrangers de Paris, les chevaliers d’industrie 27 . Il est donc possible que les commanditaires jansénistes aient cherché à renouveler leurs troupes artistiques dans les années 1730 en s’adjoignant les services de jeunes artistes européens de passage à Paris, dont la nationalité garantissait l’anonymat. Habile à démanteler les réseaux de graveurs lorsque des « mouches » les dénonçaient 28 , la police ne pouvait en effet qu’échouer dans la reconnaissance d’un étranger, dont les activités, trop récentes, menées en quelque sorte hors du réseau traditionnel, n’étaient pas encore connues des indicateurs. En outre, le renouvellement fréquent de ces jeunes artistes en assurait de facto la discrétion. Il demeure difficile de mettre au jour le nom d’autres graveurs qui auraient participé à l’élaboration de gravures jansénistes, car ces dernières sont presque toujours anonymes. Le cas de Caspar Schwab, plus tardif, permet cependant de supputer que Schmidt ne fut pas un isolé. Graveur viennois né en 1727, Schwab décida de séjourner à Paris en 1759. Comme Schmidt, il fut aidé à ses débuts par Wille 29 , qui lui obtint ses premières 25 Voir Christine Gouzi, Jean Restout (1692-1768), peintre d’histoire à Paris, Paris, Arthena, 2000, p. 416. 26 Cochin fut un de ses correspondants tout au long de sa vie. Voir Christian Michel, Charles-Nicolas Cochin et l’art des Lumières, Rome, École française de Rome, 1993. 27 Nous avons dépouillé les dossiers des étrangers à l’Arsenal, dans les archives de la Bastille pour les années qui intéressent Schmidt et n’avons trouvé nulle trace de mentions d’artistes étrangers suspectés de jansénisme : Ms Bastille 10 286 (1732- 1740) et 10 287 (1741-1743). Un sondage pour les années antérieures n’a de même pas été concluant : Ms Bastille 10 283 (1725-1729) et 10284 (1730). 28 Ce fut le cas pour certaines imprimeries clandestines de Louis Basile Carré de Montgeron, où se tenaient certains graveurs en 1736 ; ce fut également le cas en 1732 pour l’atelier clandestin du graveur Nicolas Godonnesche. Voir Christine Gouzi, op. cit., 2000 pour Montgeron et article Revue de l’Art, 2006, cité note 12 pour Godonnesche. 29 Mémoires et journal de Johann Georg Wille, graveur du Roi (…), Paris, Vve de J. Renouard, 1857 : « 30 juillet 1759. Le 30 un graveur, nommé M. Schwab, étant arrivé <?page no="304"?> Christine Gouzi 290 commandes. Or, dès le début des années 1760, Schwab était un des graveurs qui travaillaient pour la « nébuleuse janséniste ». Wille semble ainsi avoir joué un rôle non négligeable dans « l’approvisionnement » de jeunes graveurs d’origine germanique, assez talentueux pour servir la cause janséniste et assez résolus pour ne pas la trahir. Si l’apport d’artistes venus de l’Europe de l’Est est un élément qui perdura dans les années 1750 et 1760, il faut cependant comprendre que les réseaux de la gravure janséniste avaient à cette époque complètement changé de nature. Les artistes qui travaillaient dans les années 1730 et 1740 étaient morts, ou bien avaient cessé leur activité dans ce domaine précis. Ils furent remplacés à partir de 1757 par des graveurs restés anonymes, ou bien dont la carrière est peu documentée. Il n’est pas aisé de comprendre la manière dont se constituèrent ces nouveaux réseaux, de même que les liens qui unissaient les graveurs les uns aux autres. Même si leurs convictions personnelles restent obscures, une caractéristique réunit leurs œuvres : toutes sont dirigées contre les jésuites. Or il y a loin de l’anti-jésuitisme au jansénisme, et confondre ici les deux pourrait sembler un contresens. Pourtant, une preuve formelle de la concordance de ces commandes anti-jésuites avec le jansénisme existe : la plupart des graveurs des années 1750 et 1760 conçurent en même temps, et parfois sous une forme très proche, à la fois les frontispices des Nouvelles ecclésiastiques et les frontispices, en-têtes et culs-de-lampe des ouvrages de ces années dirigés contre les jésuites. Grâce aux signatures portées sur certaines de ces estampes, les noms de six graveurs peuvent être relevés, dont les activités dépendaient des anciennes ramifications européennes des réseaux jansénistes : notamment celles mises en place dès le début du siècle en Hollande. Le premier de ces graveurs a pour nom « de Montalais » ; son prénom est inconnu, de même que toute information biographique qui permettrait de le mieux connaître. Il n’est du reste pas impossible que cet énigmatique graveur ait usé d’un pseudonyme qui cache l’identité d’un personnage célèbre 30 . Quoi qu’il en soit, Montalais participa de Vienne, me vient voir, m’apportant deux lettres de recommandation, l’une de M. Brandt, habile peintre de paysage, l’autre de M. Zeis, directeur de l’Académie du dessin d’ornement. » (T. I, p. 117). Et plus loin : « Août. Le 12, j’ay donné trois paysages à M. Schwab pour qu’il les grave pour M. Herliberger. » (T. I, p. 118). 30 En nous fondant sur la correspondance de Voltaire, qui cite en 1762 le nom du graveur et celui du duc d’Ayen comme auteur des Larmes…, nous avons supposé en 2007, op. cit., que Montalais faisait partie de l’entourage du duc d’Ayen, futur duc de Noailles. Dans le catalogue du département des estampes de la B.N.F., Montalais est identifié en une occurrence au graveur « Montulay ». Il s’agirait alors de Pierre François Montulay, actif à Paris vers 1754-1785, illustrateur des Fables de La Fontaine en 1765, du Télémaque de Fénelon en 1785. Le style des gravures n’est pas celui des <?page no="305"?> 291 De la destruction de Port-Royal des Champs à la Révolution française à l’élaboration de tous les projets jansénistes les plus importants des années 1750 et 1760 : celui de l’illustration des Nouvelles ecclésiastiques de 1757 à 1763 31 , de pamphlets anti-jésuites (tels Les larmes de saint Ignace 32 , ou l’Arrest de la cour du Parnasse pour les Jésuites 33 en 1762) et surtout d’un recueil intitulé Figures historiques, symboliques et tragiques pour servir à l’histoire du XVIII e siècle (ill. 4). Ce recueil, publié à Amsterdam chez Ray et Iver en 1762, illustrait en une suite d’estampes à l’eau forte et au burin, et de façon allégorique, toutes les vicissitudes des jésuites. Il en existe trois exemplaires dans divers départeestampes jansénistes qui nous occupent, mais dans ces ouvrages, Montulay n’était pas le dessinateur des œuvres, à l’inverse du « Montalais » de nos estampes. Cette hypothèse de l’identification de Montulay et Montalais est donc plausible, mais invérifiable et finalement assez peu crédible : pourquoi Montulay aurait-il changé son nom en un pseudonyme si proche de son nom véritable et si aisément reconnaissable ? 31 Voir à ce sujet notre ouvrage, op. cit., 2007, chapitre II. 32 Les Larmes de saint Ignace ou Dialogue entre saint Thomas et saint Ignace, par un cousin du prophète Malagrida, Sur la copie, A Arevalo, en Castille, chez dom Juan Velasco, [1762]. 33 [Cauvin], Arrest de la Cour du Parnasse Pour les Jésuites. Poëme avec Notes et Figures, A Delphes chez Pagliarini Libraire, Avec Permision et privilège d’Apollon, 1762. Illustration 4 : De Montalais, Frontispice pour les Larmes de saint Ignace, B.N.F., Estampes, 1762. <?page no="306"?> Christine Gouzi 292 ments de la B.N.F. 34 , qui ne comprennent pas les mêmes estampes et ne sont pas exactement constitués de la même façon. Ce fait nous avait amenée à conclure trop rapidement qu’il s’agissait d’un recueil factice 35 . En réalité, les dissemblances des différents exemplaires des Figures historiques… s’expliquent plutôt par l’histoire de la réalisation du recueil : les gravures devaient former un tout cohérent, dont le détail, en forme de sommaire allégorique, est placé en tête de deux d’entre eux (ill. 5). Mais exécutées sur plusieurs années, ces estampes ne purent peut-être pas être réunies de façon exhaustive par leurs propriétaires : le recueil, qui devait être publié en 1762 contient même des estampes datées de 1763 36 . Ainsi l’aspect disparate des ouvrages ne doit pas faire conclure à leur caractère factice. Cependant, d’autres gravures, qui ne faisaient pas partie de l’ensemble tel qu’il avait été prévu, ont été reliées avec le reste de la suite dans deux exemplaires de l’ouvrage. Mais ces gravures ajoutées ont un rapport avec le 34 B.N.F., département des Estampes, QZ-241-4 ; B.N.F, Réserve des Imprimés, Smith Lesouef R-1104 ; Arsenal, 4-H-6264. 35 Dans notre ouvrage, op. cit., 2007, p. 100. 36 La plupart de ces estampes sont aussi conservées, volantes, au département des Estampes de la B.N.F. dans la collection Qb 1, fol. Histoire de France, fait qui donne à penser qu’elles pouvaient aussi être achetées isolées, comme des pamphlets imagés. Illustration 5 : De Montalais ? , Sommaire des Figures historiques… Amsterdam, chez Ray et Iver, B.N.F., Estampes, 1762. <?page no="307"?> 293 De la destruction de Port-Royal des Champs à la Révolution française reste des illustrations, puisque le plus souvent, elles dénoncent, elles aussi, les jésuites et furent conçues par des graveurs du réseau parisien des années 1730 37 (ill. 6/ ill. 7). La plupart des estampes conçues en 1762 furent exécutées par Montalais qui, selon la lettre de la gravure, en est le plus souvent à la fois le dessinateur et le graveur. Mais deux d’entre elles furent gravées par Caspar Schwab : la première, datable de 1762, s’intitule Assertions pernicieuses… enseignées… par les soi-disans jésuites (ill. 6) et fut sans doute dessinée par Montalais dans un style qui doit beaucoup à l’estampe satirique nordique (la présence de la double trompette de la Renommée, du Temps en vieillard, assimilé à la Vérité par le dévoilement assez vulgaire de son postérieur, sont des éléments que l’on retrouve souvent dans l’estampe politique hollandaise). La seconde est Les Faits du Grand Henri, qui avait servi en 1762 de frontispice au Supplément 37 Il s’agit des gravures du recueil de Nicolas Godonnesche pastichant l’histoire métallique de Louis XV : Evenemens memorables. Déclaration du Roi. Arrêt du Parlement contre le Schisme. Les sacremens administrés, s.l., Au Législateur pacifique, 1755. Il est d’ailleurs notable qu’un grand nombre des gravures des Figures historiques… dues à Montalais reprennent la forme du médaillon historié satirique mise en vogue par Godonnesche en 1755, dans son recueil. Il semble qu’il y ait une filiation directe entre Godonnesche et Montalais, au moins pour le style de leurs estampes. Illustration 6 : Caspar Schwab (d’après Montalais ? ), Assertions…, B.N.F., Estampes, 1762. <?page no="308"?> Christine Gouzi 294 aux Mémoires de Sully 38 (ill. 7). Cet ouvrage des abbés Montempuis et Goujet, jansénistes notoires, répondait à une biographie d’un jésuite sur Sully et voulait en dénoncer les mensonges 39 . Selon la lettre de l’estampe, le dessin de la gravure de Schwab fut imaginé par Jacques-Philippe Caresme (1734-1796), qui ne faisait pas là ses premiers pas dans le domaine de l’estampe antijésuite, puisqu’il avait conçu en 1761 le frontispice du Balai, poème dirigé contre les agissements de la Compagnie de Jésus 40 . Caresme dessina et grava de même en 1764 une « pièce emblématique » célébrant de façon satirique la suppression de la Compagnie : L’éclipse du 1 er avril 1764 (ill. 8). Jacques- Philippe Caresme participa peut-être à d’autres projets de ce type, mais ses œuvres n’étant pas répertoriées de façon exhaustive, il est difficile d’analyser plus avant sa participation à l’entreprise de gravures jansénistes. La carrière de Schwab demeure également obscure, mais il est certain qu’il fit partie dans les années 1760 du cercle qui travailla pour les jansé- 38 Amsterdam, chez B. Paff, 1762. 39 Voir l’introduction de l’ouvrage, non paginé. 40 Henri Joseph Du Laurens, Le Balai, poème héroïco-comique en XVIII chants, Constantinople, imprimerie du Mouphti, 1762. Illustration 7 : Caspar Schwab (d’après Jacques-Philippe Caresme), Des faits du grand Henri…, B.N.F., Estampes, 1762. <?page no="309"?> 295 De la destruction de Port-Royal des Champs à la Révolution française nistes, cercle qui avait de toute évidence partie liée avec des libraires et des éditeurs hollandais : Pieter Yver (1712-1787), éditeur des Figures historiques…, était fixé à Amsterdam, et il se trouve qu’il était l’élève de Bernard Picart dans les années 1720 (il en fut le successeur à sa mort). À ses débuts, simple graveur, Pieter Yver avait du reste créé plusieurs frontispices pour l’édition hollandaise des Nouvelles ecclésiastiques 41 . Le Supplément aux mémoires de Sully, auquel participa Schwab, fut lui aussi publié à Amsterdam en 1762, preuve supplémentaire, s’il en était besoin, que les graveurs jansénistes travaillant en France étaient encore à cette date en liaison avec les milieux de la librairie hollandaise (ill. 8). Les noms de deux autres graveurs apparaissent dans les Figures historiques… Il s’agit de « N. Courteille » qui signa le Monument de la piété d’un grand Roi et tout ensemble de la félonie des Jésuites (1761), et qu’il est difficile d’identifier au peintre Nicolas de Courteille 42 , ainsi que de Jean-Pierre Norblin de la Gourdaine (1745-1830). Élève de François Casanova et graveur à l’eau forte, 41 Pour le frontispice de 1728 ; il grava aussi deux bandeaux en 1728-1730 ; voir notre ouvrage, op. cit., 2007, p. 77-78. 42 Nicolas de Courteille (v. 1768 - après 1830). Il semble plus probable qu’il s’agisse d’un descendant du graveur Courteille, actif dans la seconde moitié du XVII e siècle à Paris, et parfois appelé « Courtille », selon l’Inventaire du Fonds français, B.N.F., Département des Estampes, t. V, Paris, 1946. Illustration 8 : Jacques-Philippe Caresme, L’éclipse du 1 er avril 1764, pièce emblématique. B.N.F., Estampes, 1764. <?page no="310"?> Christine Gouzi 296 Norblin était spécialisé dans le portrait et la scène de genre 43 . Mais il grava également une pièce insérée dans les Figures Historiques… (une pyramide « érigée…en mémoire des divers attentats de jésuites… » 44 ) qui avait été créée à l’origine pour illustrer le Supplément aux Mémoires de Sully en 1762. Il imagina aussi un fleuron pour ce dernier ouvrage, ce qui le place dans le cercle direct de Caresme et de Schwab, (tous deux, on s’en souvient, travaillèrent de concert pour le frontispice du Supplément aux Mémoires…). Le dernier graveur des Figures historiques… a pour nom Antoine Radiguès. Né en 1721 45 , il était le fils d’un graveur parisien, Jacques Valentin Radiguès, celui-là même qui avait gravé en 1725 l’estampe montrant la procession célébrant la guérison miraculeuse de Madame Lafosse 46 , habituellement considérée comme la première miraculée de l’histoire du jansénisme des Lumières. Cette estampe reprenait le motif d’une première œuvre que Jacques Valentin Radiguès avait imaginé en 1709 : L’Auguste procession de la châsse de sainte Geneviève en l’église de Notre-Dame 47 ; elle fut de même reprise en 1727 48 (par Radiguès ? ), telle qu’elle avait été remaniée en 1725, pour former le support d’une représentation de la vie édifiante du diacre Pâris. On peut donc supputer que Radiguès père était lui-même engagé dans les réseaux de gravure janséniste parisiens des années 1720. Son fils, Antoine Radiguès, eut une vie assez agitée. D’après des documents mis au jour en 1862, il fut plusieurs fois assigné en jugement pour avoir plagié et vendu des gravures d’artistes célèbres, dont il n’avait pas le privilège 49 . En 1732, il est condamné pour avoir 43 Voir Frédéric Hillemacher, Catalogue des estampes qui composent l’œuvre de J.P. Norblin, Paris, Impr. de Lacrampe et Fertiaux, 1848. Les œuvres de l’artiste pour les Figures historiques… n’y sont pas répertoriées. 44 Il s’agit d’une estampe reliée à la page 235 du Supplément… et isolée dans les Figures historiques… 45 Grâce à une lettre en russe d’une conservatrice de l’Ermitage, Galina Nicolaievna Komilova datée de 1986 et conservée dans le dossier Radiguès de la B.N.F., Estampes, SNR 3, il est loisible de corriger aujourd’hui les ouvrages mentionnant Radiguès (notamment celui de Charles Blanc) : Radiguès est né en 1721 et non en 1719. Il est mort à saint Pétersbourg en 1809 et non en 1795. Il était le fils de Jacques Valentin Radiguès, graveur, qui avait lui-même pour père Jacques Viventien Radiguès, procureur au Parlement de Paris. 46 B.N.F., Estampes : Qb 1, fol. Histoire de France et collection Hennin, également S.N.R. 3, pièce 8. 47 B.N.F., Estampes, collection Hennin, 7965 et SNR 3, pièce 10. 48 B.N.F., Estampes, collection Hennin, t. 92, 8045, cote microfilm G 159105. 49 Archives de l’Art français, t. 8, 1862, p. 197-201, cité dans Maxime Préaud, Pierre Casselle, Marianne Grivel et Corinne Le Bitouzé, Dictionnaire des éditeurs d’estampes à Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Promodis-Éd. du Cercle de la Librairie, 1987, p. 271. Il est signalé de même que le graveur François Chéreau était le parrain d’un <?page no="311"?> 297 De la destruction de Port-Royal des Champs à la Révolution française distribué la contrefaçon d’une estampe, dont Nattier avait le privilège ; peu de temps après, il est condamné pour le même motif : il s’agissait cette fois d’une gravure de Nicolas Lancret. À la fois graveur, éditeur et marchand (parfois colporteur), Antoine Radiguès ne demeura pas toute sa vie à Paris. Selon certains ouvrages, il voyagea en Hollande et en Angleterre 50 . On ne peut s’empêcher de faire le rapprochement entre ces voyages et ses activités des années 1760 : en 1763, il participait au recueil des Figures historiques… éditées à Amsterdam en gravant d’après le dessin de Jacques-Philippe Caresme un médaillon allégorique représentant l’abbé Chauvelin, fameux contempteur des jésuites (ill. 9). Au même moment, il participait avec Hubert Gravelot à l’illustration du Théâtre de Corneille, publié à Genève en 1764. Or Hubert Gravelot, s’il ne participa au recueil des Figures historiques… exécuta dans ces mêmes années des enfants de Radiguès père : or nous avons montré que François Chéreau était lui aussi engagé dans l’édition et peut-être la gravure de portraits du diacre Pâris à la fin des années 1720 (« L’image du diacre Pâris : portraits gravés et hagiographie », Chrétiens et Sociétés, n° 12, 2005, p. 29-58). 50 Charles Blanc, Le Manuel de l’Amateur d’estampes, Paris, 1888, t. III, p. 268. Illustration 9 : Antoine Radiguès d’après Jacques-Philippe Caresme, Médaillon allégorique représentant l’abbé Chauvelin. B.N.F., Estampes, 1763. <?page no="312"?> Christine Gouzi 298 plusieurs gravures dont la teneur peut faire supposer son appartenance aux réseaux des artistes jansénistes des années 1760. En 1762, il dessina les motifs de trois gravures destinées à illustrer la vie de dom Palafox, évêque persécuté par les jésuites 51 ; surtout, vers 1761, il réalisa une estampe à la gloire de Chauvelin, accusateur des jésuites dans l’assassinat de Henri IV 52 (ill. 10). Très proche, pour le thème autant que pour la forme, de l’estampe de Radiguès contenue dans les Figures historiques… (le portrait de Chauvelin apparaît en médaillon dans les deux cas), cette gravure a pu servir de frontispice pour un ouvrage anti-jésuite paru dans les mêmes années. Quant aux correspondances formelles entre l’estampe de Radiguès et celle de Gravelot, elles indiquent peut-être une appartenance commune aux mêmes réseaux de gravure (ill. 10). La carrière d’Hubert Gravelot (1699-1773), si on l’examine de près, accrédite cette hypothèse. Dans ses jeunes années, Gravelot fit un assez long séjour en Angleterre : parti en 1745, il ne revint en France qu’en 1758, après un séjour en Hollande 53 . Il avait travaillé dès 1733 pour l’éditeur français 51 Publiées dans notre ouvrage, op. cit., 2007, p. 232-234. 52 B.N.F., Estampes, Qb 1, Fol. Histoire de France, 1759-1761, cote microfilm M 97424. 53 Voir Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville, Nécrologie de 1774, Éloge de M. Gravelot, 1774. Le géographe Bourguignon d’Anville était le frère de Gravelot. Illustration 10 : Claude Baron d’après Hubert Gravelot, Médaillons de Chauvelin et d’Henri IV tenus par la France, B.N.F., Estampes, vers 1761. <?page no="313"?> 299 De la destruction de Port-Royal des Champs à la Révolution française installé à Londres, Claude Dubosc, à une édition anglaise des Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde d’après Bernard Picart, dont il imagina au moins une estampe : Les Pèlerins d’Emmaüs 54 . Dubosc mena à bien cette édition avec l’accord de la femme de Picart, qui avait recueilli son héritage après sa mort, en 1733. À Paris, dans les années 1730, il avait été l’élève de Restout, qui avait été un des pivots des réseaux de gravure janséniste des années 1730. Aussi, sa présence au début des années 1760 dans le cercle des graveurs qui travaillèrent pour les jansénistes n’est-elle pas surprenante : ses liens avec eux dataient certainement de ses voyages anglais et hollandais. Il est notable que la plupart des artistes qui participèrent à des projets commandités par des jansénistes aient eu des contacts avec des éditeurs ou des graveurs en Angleterre ou en Hollande. Les liens entre ces artistes, ces éditeurs et ces libraires étaient du reste peut-être habilement tissés par un personnage bien connu de la vie littéraire des Lumières : le chanoine de la Trinité Henri-Joseph Laurens (1719-1793), qui était romancier, poète et surtout pamphlétaire sous des pseudonymes variés, dont le plus connu est Henri-Joseph Du Laurens 55 . Auteur, en 1761, d’un ouvrage anti-jésuite, Les Jésuitiques, dont certaines éditions furent illustrées de gravures de Montalais 56 , il n’évita l’embastillement que par sa fuite en Hollande 57 . Exilé à Amsterdam de 1761 à 1765, il se réfugia chez le libraire Marc-Michel Rey, celui-là même qui édita en 1762 avec Pieter Yver les Figures historiques… Sans même faire l’hypothèse, pourtant fort plausible, de la paternité du recueil par Du Laurens, sa participation à son élaboration n’est pas contestable. La table des Figures historiques… est en effet rédigée dans un style similaire à celui des odes des Jésuitiques : dans les deux cas l’auteur use de la métaphore filée de l’animal répugnant (crapaud, lézard, hydre…) pour décrire les jésuites. Du Laurens recourut en tout cas pour nombre de ses ouvrages aux graveurs des Figures 54 Voir Yves Bruand, « Hubert Gravelot et l’Angleterre », in Gazette des Beaux-Arts, janvier 1960, p. 35-44. 55 Il est aussi connu en tant qu’écrivain sous le nom de Compère Matthieu. Il fut non seulement pamphlétaire et poète, mais aussi romancier. 56 Il en existe plusieurs éditions sous des titres un peu différents : Les jésuitiques, enrichies de notes curieuses pour servir à l’intelligence de cet ouvrage, A Rome, aux dépens du Général [sous-entendu des jésuites], 1761. Cette édition fut certainement imprimée à Paris. Une autre édition fut imprimée à Amsterdam selon le matériel typographique : Les Jésuitiques et autres prières, En Vauceron, 1762. Selon Henri Cohen, cette édition avait été ornée de huit figures par Montalais (Guide de l’amateur de livres à gravures du XVIII e siècle, Paris, A. Rouquette, 1912, p. 858). Nous n’avons pas trouvé d’exemplaire illustré à la B.N.F. 57 Voir la notice du catalogue de la B.N.F. sur Dulaurens. Selon cette notice, il partit en 1765 dans l’Empire et y fut incarcéré à cause de ses opinions politiques. <?page no="314"?> Christine Gouzi 300 historiques… Jacques-Philippe Caresme fut peut-être en contact direct avec lui, puisqu’il imagina dix-neuf dessins, gravés par Tassaert, pour son poème satirique anti-jésuite Le Balai, achevé en même temps que les Jésuitiques, en 1761 (le Balai fut certainement édité en France, comme les Jésuitiques). Quant à Montalais, il fut à la fois l’illustrateur des Jésuitiques et des Figures historiques…, comme il fut dans les mêmes années celui des Nouvelles ecclésiastiques, ce qui accrédite l’hypothèse d’une collusion, sinon d’une identité, entre les jansénistes et les pamphlétaires anti-jésuites des années 1760. Un autre indice renforce cette supposition : Montalais conçut en 1762 le frontispice de La Religion à l’assemblée du clergé de France, qui selon le catalogue de la B.N.F., serait dû à l’oratorien Louis Guidi. Or Guidi était un des rédacteurs des Nouvelles ecclésiastiques depuis les années 1750, de même qu’un convulsionnaire convaincu. Il semble donc que les réseaux des graveurs travaillant pour les jansénistes s’organisaient vers 1757-1764 autour de deux pôles en liaison constante : celui de la librairie d’Amsterdam tout d’abord, où gravitaient réfugiés jansénistes et pamphlétaires anti-jésuites, parfois de tendance janséniste, tous Français ; celui de la librairie janséniste parisienne ensuite, qui comptait dans ses rangs les éditeurs et les rédacteurs des Nouvelles ecclésiastiques de même que des auteurs engagés dans les querelles religieuses en général. En ce sens, on pourrait croire que les réseaux de graveurs de la fin du siècle étaient plus larges que dans les années 1710 ou 1720. Mais en réalité, ils perpétuaient ceux mis en place dans la jeunesse de Bernard Picart : les artistes qui travaillèrent pour les jansénistes étaient donc affiliés aux courants de pensée des « Lumières radicales » 58 . Picart était en effet l’ami intime de Prosper Marchand 59 , éditeur à Amsterdam de Pierre Bayle, dont les deux hommes admiraient les thèses philosophiques ; tandis que Marc-Michel Rey était dans la même ville proche des exilés déistes français, ainsi que l’éditeur de Voltaire 60 . Ce dernier eut d’ailleurs maille à partir avec Rey : il l’accusait de lui attribuer faussement les pamphlets anti-jésuites qu’il publiait, notamment ceux de Du Laurens, pour mieux les vendre : 58 Voir Margaret C. Jacob, The radical Enlightenment. Pantheists, Freemasons and Republicans, Londres, Boston, Allen and Unwin, 1981 et Jonathan I. Israël, Radical Enlightenment. Philosophy and the Making of Modernity 1650-1750, Oxford, Oxford University Press, 2001. 59 Voir Christiane Berkvens-Stevelinck, Prosper Marchand (1678-1756), la vie et l’œuvre, Leyde, New York, Copenhague et Cologne, E.J. Brill, 1987. 60 Marc-Michel Rey (1720-1780) était lui-même écrivain, mais surtout imprimeurlibraire, originaire de Genève, où il avait travaillé chez le libraire Marc Michel Bousquet. Installé en 1744 à Amsterdam, il édita surtout des oeuvres philosophiques ou politiques. À partir de 1752, il devient à la fois l’éditeur de Voltaire et celui de Rousseau. <?page no="315"?> 301 De la destruction de Port-Royal des Champs à la Révolution française « La Hollande est infestée depuis quelques années 61 , se plaint-il en avril 1768, de plusieurs moines défroqués, capucins, cordeliers, mathurins que Marc Michel Rey, d’Amsterdam, fait travailler à tant la feuille, et qui écrivent tout ce qu’ils peuvent contre la religion romaine pour gagner du pain… 62 . » Les troupes de Rey, (allié pour la circonstance à Pieter Yver ? ), comprenaient aussi apparemment des graveurs français, engagés pour séduire les futurs acheteurs : traduisant de manière satirique et cocasse les textes qu’elles illustraient, leurs estampes avaient autant une portée démonstrative qu’esthétique. En ce sens, les artistes n’avaient pas abandonné le but rhétorique de la peinture d’histoire de l’Ancien Régime : docere et delectare, mais ils l’avaient transposé dans le domaine de l’estampe religieuse et politique. Après 1764, les graveurs des Figures historiques… n’apparaissent plus dans aucune source, excepté trois d’entre eux : Radiguès, Schwab et Norblin de la Gourdaine. Radiguès partit en mai 1764 à Saint-Pétersbourg 63 pour enseigner la gravure à l’Académie des Sciences de la ville, puis à l’Académie impériale des Beaux-Arts. Abandonnant l’orientation polémique de sa production, il se spécialisa dans la réalisation de portraits, domaine très lucratif qui lui apporta une grande renommée. Il mourut en 1809, pensionné par Catherine II, sans jamais revenir en France. Caspar Schwab, selon Charles Blanc 64 , serait parti pour Saint-Pétersbourg en 1765 65 , quelque temps après Radiguès. Ses activités russes ne sont pas connues, mais on ne peut s’empêcher de supposer qu’il rejoignit peut-être là-bas son ancien collaborateur. Quant à Norblin de la Gourdaine, il partit vers 1774 à Varsovie, sur l’invitation du prince Czartoryski pour y fonder une école de peinture 66 . Il revint en France en 1804 et mourut en 1830. Le séjour polonais de Norblin de la Gourdaine paraît d’abord motivé par la volonté de faire fortune à l’étranger, mais on peut penser que le brusque exil de Radiguès en 1764 (et celui de Schwab, s’il est véritable) s’apparentait à une fuite hors de France. Ses activités de pasticheur et de plagieur 61 Lettre de Voltaire à Chardon du 11 avril 1768, citée dans Radeville et Deschamps [alias Fernand Fleuret et Louis Perceau], L’Arétin moderne, Paris, Bibliothèque des curieux, 1920, p. 3. 62 Ibid., p. 3. 63 Voir Charles Blanc, op. cit., t. III, p. 268. Voir aussi le cat. d’exposition La France et la Russie au siècle des Lumières, Paris, Grand Palais, 1986-1987, p. 307. 64 Charles Blanc, op. cit., t. III, p. 482. 65 Selon Charles Blanc, op. cit., t. III, p. 482. Notons que Schmidt travailla lui aussi à Saint-Pétersbourg exactement dans les mêmes années (à partir de 1757) : ibid., t. III, p. 457. 66 Frédéric Hillemacher, op. cit., introduction et Charles Blanc, op. cit., t. III, p. 105. Il fit notamment en Pologne une suite de dessins de costumes polonais, gravés en 1817 par Debucourt. <?page no="316"?> Christine Gouzi 302 n’y étaient certainement pas pour rien ; mais il faut peut-être aussi compter avec ses accointances « jansénistes » du début des années 1760, qui ont pu le rendre indésirable dans son pays natal. C’est là un autre aspect de l’importance de l’Europe dans les réseaux de la gravure janséniste des Lumières : elle ne fut peut-être pas seulement une base arrière de repli, permettant le développement d’activités artistiques clandestines, mais aussi un refuge, comme l’avaient été auparavant les refuges protestants hollandais. <?page no="317"?> Conférence de clôture <?page no="319"?> Biblio 17, 188 (2010) Mythe janséniste et mythe jésuitique dans l’Europe d’après la Réforme J EAN M ESNARD de l’Institut Pourquoi ce sujet ? Pour des motifs d’abord très peu rationnels. À cause de l’espèce d’agacement qu’a provoqué chez moi la substitution, comme titre général du présent colloque, de la formule Le Jansénisme et l’Europe, à celle qui avait d’abord prévalu, Port-Royal et l’Europe. À vrai dire, je n’aurais pas à faire état de cette réaction, si elle n’obéissait quand même à une certaine rationalité et n’avait pu servir de point de départ à ma réflexion présente. Si j’en juge par les explications qui m’ont été données, le changement proposé se fondait lui aussi en raison, au moins une raison de commodité, et aussi d’extension, en ce qu’il incluait plus expressément le XVIII e siècle dans le programme envisagé. Il me semble que la réception et la postérité de Port-Royal appartenaient de toute façon à ce dernier siècle, de même qu’aux suivants. Il faut donc, pour y voir tout à fait clair aller plus loin. L’opposition des deux titres met fortement en évidence deux attitudes différentes, souvent inconciliables, qui peuvent commander l’étude du domaine auquel nous avons entendu nous appliquer, deux attitudes représentées l’une et l’autre dans les écoles littéraires et historiques de notre temps, et opposant souvent en fait les premières et les secondes. Pour rendre compte de cette dualité, il est indispensable de s’arrêter quelques instants, dans un préambule, à des considérations théoriques. Toute recherche relative au passé, c’est-à-dire, au sens le plus large du terme, historique, met en œuvre deux catégories de ce qu’on peut appeler, épistémologiquement parlant, des principes, sortes de points d’appui du raisonnement. Les uns sont les faits, en y incluant les textes, fruits d’une documentation, objets d’une approche concrète et particulière, soumis à critique et à interprétation. Les autres sont les concepts, plus ou moins abstraits et généraux, mais toujours création de l’esprit, même lorsqu’ils entendent faire la synthèse d’une certaine réalité. On comprend sans difficulté que les <?page no="320"?> Jean Mesnard 306 faits sont nécessaires pour donner consistance à l’objet envisagé ; et que les concepts ne le sont pas moins en apportant leur force unificatrice et explicative, seule susceptible de transformer l’inventaire en discours, la constatation en connaissance. C’est ici que la divergence peut s’installer entre les deux titres qui ont été successivement proposés. Parler de Port-Royal, c’est mettre l’accent sur une histoire factuelle, tournant naturellement au récit, au portrait, au tableau de groupes, aux analyses doctrinales et spirituelles, aux études d’influences, avec une dominante psychologique aisée d’ailleurs à suivre sur le terrain religieux. La notion de jansénisme apparaîtra, mais avec son caractère à la fois occasionnel et problématique. Au contraire, mettre au principe de l’enquête le jansénisme comme concept, c’est partir d’une idée, avec tout ce que ce mot, de par l’héritage platonicien, comme par celui de l’idéalisme allemand, comporte de dévaluation du réel, au profit d’un essentiel qui le dépasse. Certes le mot jansénisme appartient à l’histoire et il ne manque pas de textes pour en élaborer une définition. Mais le maniement de ces textes est particulièrement redoutable ; et le besoin, fort compréhensible, d’unité, conduit à préférer la synthèse sommaire à l’analyse des complexités. Le danger est grand, et souvent constatable, de se laisser aller à une invention qui accordera beaucoup, dans l’élaboration du sens, à des choix personnels, à des courants théoriques anciens ou modernes, voire à de simples collections d’idées reçues ; le tout provoquant l’invasion de ce grand ennemi de l’histoire qu’est l’anachronisme. Pour l’historien, tout emploi du mot jansénisme, tout discours sur le jansénisme exigent précaution et rigueur épistémologique. À défaut, le concept deviendra créateur de mythe. Nous voilà parvenus, par une démarche théorique et généalogique, au sujet indiqué par le titre de la présente communication. Le problème qui se pose est double : d’abord, celui de la valeur du mot jansénisme, dans ses divers emplois traditionnels ; puis de ses conditions de validité pour l’usage actuel. Dans cette recherche, il m’a semblé très éclairant de mettre en parallèle notre concept avec un autre qui peut faire figure de son antithèse, celui de jésuitisme. Point n’est besoin de rappeler le long et puissant antagonisme qui a mis aux prises la Compagnie de Jésus avec le groupe qualifié de « janséniste ». Au caractère péjoratif de ce dernier terme répond une intention non moins péjorative dans le parti opposé. Conséquence du fait que les deux termes ont été créés, non pas par des partisans, qui se devaient de les refuser, mais par des adversaires, jouant un jeu analogue à celui de la caricature. De plus, le goût de la polémique réciproque n’a pas sévi avec une moindre intensité d’un côté que de l’autre. Le caractère européen de ce conflit, notamment par le double rôle de Louvain et de Paris, et par les prolongements saisissables <?page no="321"?> 307 Mythe janséniste et mythe jésuitique dans l’Europe d’après la Réforme en Angleterre, en Italie et en Europe centrale, saute aux yeux. Enfin, ce qui n’est pas négligeable, cette confrontation fournit un moyen de donner de la chaleur à des termes auxquels il faut conserver tout ce qu’ils enferment d’humanité vivante. L’orientation à donner à notre étude apparaît maintenant d’une façon très claire. Il convient de se livrer à une étude parallèle des deux termes, en suivant du plus près possible le déroulement de la chronologie et en relevant les occurrences principales, abstraction évidemment faite de toute idée préconçue concernant la nature des débats engagés. On veillera, bien entendu, à déjouer le piège qui se constitue à partir d’une opposition fondamentale, celle de la réalité vécue, d’une part, et du regard rétrospectif porté par l’historien, d’autre part, le premier domaine, le seul qui ait valeur de source, donnant lieu à la création du langage, le second à son exploitation, à son évolution, heureuses ou malheureuses. Pour dégager des sens que le vocabulaire seul ne peut faire atteindre, notamment un vocabulaire perverti par des siècles d’impropriété, il faudra se référer exclusivement au contexte et aux circonstances (lesquelles sont souvent appelées aussi, abusivement, contexte). Il sera bon de faire jouer encore, selon la leçon des linguistes, non seulement la dénotation, c’est-à-dire le sens pur des mots, mais les connotations, c’est-à-dire les idées et les émotions adventices qui peuvent s’y joindre : règle particulièrement importante avec des écrits polémiques. Exigence plus subtile : il peut arriver que les notions dont nous cherchons l’éclaircissement entretiennent des liens avec des courants ou des thèmes où elles n’apparaissent pas, mais où elles trouveraient aisément leur place. Il faut alors souligner la continuité ainsi perçue, grâce à laquelle le contexte des notions qu’il nous appartient de définir peut être beaucoup élargi. C’est d’ailleurs la méthode qu’applique le P. Léopold Willaert, jésuite, auteur d’une grande Bibliographia Janseniana Belgica, publiée en 1949, ouvrage très précieux, quoique scientifiquement insuffisant, où les références commencent à l’année 1476, c’est-à-dire bien avant jésuites et jansénistes. Ajoutons que ces références initiales concernent des questions de théologie morale, sujet beaucoup plus souvent traité que celui de la grâce. Considérons donc comme mythique l’idée fort répandue que Pascal, par ses Provinciales, aurait, avec un certain artifice, opéré le glissement du second sujet au premier. Mais ne nous écartons pas davantage de la chronologie. S’il m’est permis de poser encore quelques garde-fous en entrant dans le vif de cette étude, j’en indiquerai deux ou trois. D’abord il importe de bien distinguer, parmi les innombrables ouvrages qu’il y aurait lieu de citer, ceux qui sont destinés à un public savant et que distingue, surtout jusqu’au milieu du XVII e siècle, l’emploi de la langue latine, et ceux qui s’adressent au grand public. Des uns aux autres les intentions et le langage ne sont pas toujours les mêmes, et la constitution d’un mythe se réalise plus aisément lorsque le <?page no="322"?> Jean Mesnard 308 grand public est visé. De plus, les controverses qui seront rapportées seront régulièrement ponctuées par des décisions, condamnations en particulier, émanant de diverses autorités, universitaires, parlementaires, royales, romaines. Ces décisions jouent évidemment un grand rôle dans l’évolution des débats ; mais l’appréciation de leurs effets, notamment dans la réception des controverses, étape où s’élabore l’image des courants en dispute, doit être analysée au cas par cas. Enfin il n’y aura pas lieu de s’étonner si les discussions, selon les temps et les occasions, roulent sur des sujets souvent divers, et si la qualification de janséniste ou de jésuitique est employée dans des acceptions différentes. Il faudra simplement essayer de rendre compréhensibles les évolutions constatées, et de retrouver l’unité dans les grands ensembles ou sur les longues durées. Jouer le jeu de l’histoire Munis de ces règles de méthode, nous voilà établis sur un terrain plus solide pour aborder l’essentiel de notre propos, l’enquête historique. Conséquence des principes précédemment posés, nous nous attarderons surtout sur le temps des origines, où les réalités surgissent, où les mots se constituent et prennent sens, en notant seulement, pour la suite, les glissements, légitimes ou déformants, qui se sont opérés. Quel point de départ choisir ? Non pas exactement celui de l’apparition des deux termes. Comme il a déjà été suggéré, cette apparition est généralement postérieure à celle des tendances et des courants auxquels se rattache l’emploi de ces termes. S’il est des mouvements fondamentaux que l’on peut invoquer pour baliser le terrain à explorer, il en est deux qui s’imposent à l’attention, tous les deux bien affirmés an long de la première moitié du XVI e siècle, l’humanisme et la Réforme. La référence à l’humanisme aura sa part d’utilité pour notre enquête. Mais celle qu’il faut faire à la Réforme est incomparablement plus importante. Les deux courants que nous avons à explorer en étudiant jansénistes et jésuites sont d’abord religieux. Ils se rattachent tous les deux au catholicisme. Tous les écrits qui émanent d’eux dénotent une véritable obsession de la Réforme et une quête angoissée des moyens de la contenir. La fondation même de la Compagnie de Jésus par Ignace de Loyola en 1540 est d’abord conçue comme un moyen de mener la reprise en main nécessaire. Quant au refus de la scolastique et au retour vers les Pères de l’Eglise, notamment saint Augustin, dont témoignent les précurseurs de ceux qu’on appellera plus tard « jansénistes », et dont le rayonnement se développe au XVI e siècle à partir de l’Université de Louvain, on pourrait l’expliquer en invoquant l’humanisme, <?page no="323"?> 309 Mythe janséniste et mythe jésuitique dans l’Europe d’après la Réforme conçu comme retour à l’antiquité chrétienne, qui leur est commun avec des esprits aussi différents qu’Érasme et Luther, mais on retiendra plutôt l’hypothèse d’une continuité de l’enseignement théologique délivré à Louvain avec l’augustinisme demeuré vivant au long du Moyen Age. Non sans espoir de trouver là des armes contre l’exploitation de saint Augustin pratiquée aussi par les Réformés. Les deux courants ainsi constitués auraient pu s’allier contre l’ennemi commun. Mais l’étude des controverses, quelles qu’elles soient - voyez la politique d’aujourd’hui -, montre qu’il est souvent plus difficile de s’entendre avec un ami en puissance qu’avec un ennemi déclaré, d’autant que des intérêts contradictoires peuvent se mêler aux débats d’idées. D’où la situation qui s’établit à Louvain vers la fin du XVI e siècle. Attiré par la réputation de l’Université, un puissant collège de jésuites, animé par de brillants professeurs, s’était fondé au même lieu. Deux pôles intellectuels se trouvaient en présence, tous les deux catholiques (n’oublions pas qu’à l’époque, la Belgique actuelle est terre espagnole) ; mais en conflit quasi permanent. Parallèlement, comme l’on sait, à Paris, à la même époque et pour longtemps, la Sorbonne, d’une réputation comparable à celle de la Faculté de Théologie de Louvain, mais fidèle à l’enseignement scolastique, subissait directement la concurrence du Collège de Clermont, citadelle des jésuites, édifié à sa porte. C’est sur de telles oppositions de pouvoirs que se sont greffées, dans des conditions assez malsaines, des disputes plus fondamentales, d’ordre théologique, ecclésiologique et moral. Allons donc progressivement de l’extérieur à l’intérieur. Lorsque nos deux points chauds sont apparus, occupés chacun par deux pôles adverses, on ne parlait pas encore de jésuitisme, et encore moins de jansénisme. Mais le conflit était déjà là. L’étude de nos deux termes nous permettra de le saisir à sa naissance. Chose curieuse, le premier des deux termes que les textes nous proposent est celui de jésuitisme. Notre surprise vient de ce que, si l’on s’en tient à un lieu commun des études littéraires et historiques, lieu commun erroné comme on le verra, quoique illustré par de multiples exemples encombrant les dictionnaires, c’est Pascal qui, attaquant la morale des jésuites dans Les Provinciales en 1656-1657, aurait rabaissé la Compagnie aux yeux du public, l’aurait soumise au décri et au déshonneur. C’est Pascal aussi qui aurait produit l’image type du jésuite rusant, ou invitant les autres à ruser avec la loi morale, d’où se tire le sens banal du mot jésuitisme, tenu pour synonyme d’hypocrisie. En fait, ce que Pascal critique principalement dans la morale des jésuites est beaucoup plus fondamental : c’est l’abandon de la grande règle, évangélique et augustinienne, de l’évaluation des actes humains, celle de l’amour, et la substitution qui lui est faite de la raison, capable seulement de <?page no="324"?> Jean Mesnard 310 mesurer des intérêts. La critique traditionnelle a considéré le texte des Provinciales par le petit bout de la lorgnette. Pour en finir tout de suite avec la morale, éliminons aussi une autre critique adressée à celle qui préconise Pascal : l’accusation de rigorisme, terme souvent considéré comme synonyme de jansénisme. Une telle attitude serait tout à fait inconciliable avec la spontanéité qui caractérise l’amour. Mais elle ne l’est nullement avec l’usage pratique de la raison, dont les démarches peuvent conduire aussi bien à la rigueur qu’au laxisme, selon les valeurs choisies. Il suffit de considérer dans cette perspective la doctrine du stoïcisme, féru de raison et très porté à la rigueur. Dans tous les cas, pour Pascal, l’attitude morale se définit par la rectitude intérieure, et non par l’obéissance à des règles, quel que soit leur contenu. Ajoutons que, pour sa part, il n’emploie jamais le mot jésuitisme, peut-être parce qu’il était provisoirement passé de mode en son temps ; peut-être parce qu’il évite les termes insultants ; plus probablement parce que le sens traditionnel du mot ne correspondait plus à l’image qu’il se faisait du jésuite. Pour en juger, revenons à l’ordre chronologique et reportons-nous plus de cinquante ans avant Les Provinciales. Nous rencontrons alors un auteur qui, indiscutablement catholique, témoigne d’une animosité rare contre les jésuites. Il s’agit d’ Étienne Pasquier, avocat au Parlement de Paris, célèbre surtout pour avoir écrit l’un des livres les plus originaux du XVI e siècle, les Recherches de la France, qui l’ont occupé presque toute sa vie (il est mort en 1614). C’est là une étude très documentée sur l’histoire et la civilisation de la France depuis les origines : sujet plus proche qu’il ne pourrait sembler de celui qui nous retient ; car en une époque où s’impose à la réflexion du monde intellectuel la comparaison entre la France et l’Italie, le sujet peut se particulariser en celui de l’opposition entre le Français et le Romain, lequel prendra facilement les traits du jésuite : nous voilà tout à fait sur le terrain européen. Mais il convient surtout de situer dans l’époque l’hostilité d’Étienne Pasquier contre les jésuites. Cette attitude est alors extrêmement répandue. Les collections de textes dirigés contre la Compagnie de Jésus au lendemain de sa fondation et beaucoup plus tard fourmillent d’exemples multiples, dont le nombre ne garantit d’ailleurs pas la qualité. Ce jugement peut parfois s’appliquer aussi à Étienne Pasquier lui-même. Plusieurs de ses interventions demeurent pourtant mémorables. La première fut occasionnée par les démarches des jésuites pour obtenir une implantation dans l’Université de Paris. L’avocat, en 1565, plaida pour l’Université, soucieuse de défendre ses privilèges contre de nouveaux venus considérés comme intrus. On sait que, quelques années plus tard, en 1594, à l’occasion d’un nouveau procès, le même rôle fut joué, plus brillamment encore, par un jeune avocat nommé Antoine Arnauld, père d’Arnauld d’Andilly, de la Mère Angélique, de la Mère Agnès et du célèbre Docteur. Ainsi, par l’unité du milieu constitué par <?page no="325"?> 311 Mythe janséniste et mythe jésuitique dans l’Europe d’après la Réforme les grands avocats parisiens, une certaine unité intellectuelle et morale, voire, comme l’on verra, politique, se réalise-t-elle entre le monde parlementaire, ainsi qu’universitaire, et celui, non pas du jansénisme, mais du futur Port- Royal. Mais, si j’ai mis en relief le personnage d’Étienne Pasquier, ce n’est pas seulement parce qu’il s’est opposé aux jésuites, c’est parce qu’il a été lui-même le créateur, ou le premier utilisateur, du mot jésuitisme. Plus exactement, le terme qu’il emploie est celui de « jésuisme », tiré d’un doublet ancien, et assez vite passé de mode, « jésuiste », du mot jésuite - encore attesté dans certaines versions des premières Provinciales (1656). Il a le même sens que jésuitisme, qui le remplace par la suite. Il apparaît dans le principal ouvrage de Pasquier consacré à notre sujet, Le Catéchisme des jésuites, publié en 1602. On le trouve aussi en plusieurs endroits de sa correspondance. Point n’est besoin d’élaborer une définition du mot. Les idées qui lui sont associées, les contextes dans lesquels on le trouve composent une vue d’ensemble peu différente de celle que suggèrent les divers écrits qui viennent d’être énumérés. Quelle image des jésuites se dégage donc de tous ces écrits ? Celle d’une Compagnie animée par l’esprit de conquête, et avide de succès. L’exemple le moins contestable est sans doute celui des nombreux collèges qu’elle a fondés, pour la formation d’une élite au service de l’Église et de l’État, et selon une pédagogie moderne, utilisant les ressources du modèle païen. Mais, pour s’insérer dans une société où elle n’avait pas encore sa place, elle cherchait à s’imposer par tous les moyens possibles, faisant bon marché des positions antérieurement acquises. Elle manifestait aussi une volonté de novation propre à bousculer les usages ecclésiastiques : par une insertion dans la vie urbaine beaucoup plus radicale que celle des ordres mendiants, par sa conception d’un ordre pourvu d’une puissante unité, gouverné par un général, par celle, comparable, d’une Église très centralisée, où les revendications anciennes du pouvoir pontifical en faveur de sa prééminence sur les autorités monarchiques rejoignaient, en les contredisant, celles des rois en quête d’un pouvoir absolu et s’achevaient dans l’affirmation, encore problématique, mais réclamée avec insistance, de l’infaillibilité ; enfin, plus difficile encore à admettre, par le vœu personnel d’obéissance au pape imposé à tous les jésuites. Autant de provocations pour les tenants des « libertés de l’Église gallicane », c’est-à-dire d’une autonomie relative de l’Église de France, qui ne pouvaient non plus supporter sans peine l’effacement du Concile par l’accroissement du pouvoir pontifical. On sait que le Concile de Trente (1545-1563) fut le dernier pour trois siècles. Des accusations plus graves surgissaient aussi parfois. Elles touchaient souvent à la politique des jésuites, aux moyens employés pour parvenir à leurs fins, en sacrifiant éventuellement la morale à leurs intérêts, en prati- <?page no="326"?> Jean Mesnard 312 quant un certain machiavélisme. Étaient notamment mises en cause les intrigues pour s’introduire dans les cours, la propension à rechercher les fonctions politiquement capitales de confesseur du roi. L’accusation la plus sévère, et la plus lourde de conséquences, était celle de soutenir la théorie du régicide, autorisant le meurtre du souverain dressé contre l’Église et, particulièrement, du souverain hérétique, eût-il abjuré. Au temps d’Henri III et d’Henri IV, la portée d’une telle attitude, si elle était avérée, ne pouvait échapper. Elle entraîna pour un temps, sous Henri IV, l’exil de la Compagnie de Jésus. Ainsi le jésuitisme, tel qu’il a été d’abord conçu, et tel que l’idée en a longtemps subsisté, quoique le mot ait tendu à s’effacer pour ne reparaître que beaucoup plus tard avec un autre sens, n’a rien à voir avec un système de théologie morale ni avec la pratique de la direction de conscience, encore moins avec une théorie de la grâce : certes, le molinisme était déjà né, mais il n’intéressait guère que les théologiens de profession. Il est représenté d’abord comme une politique, à la fois religieuse et profane, poursuivant certaines fins et utilisant certains moyens. La fin, c’est la grandeur et la puissance de la Compagnie elle-même, et de l’Église, dont elle se considère comme le principal moteur. Les moyens sont aussi de grandeur et de puissance, obtenues grâce à toutes les ressources de l’esprit moderne, même s’il s’écarte parfois du strict christianisme. D’où les grands projets d’insertion dans les États européens et d’expansion missionnaire. D’où la volonté de constituer un pouvoir centralisé et une administration efficace. D’où le triomphalisme des constructions, des fêtes et des écrits. Si ces analyses sont souvent développées d’une manière tendancieuse et outrancière, elles forment un ensemble très cohérent. Elles se retrouvent d’ailleurs amplement, sous une présentation nouvelle et approfondie, chez le Pascal des Provinciales. Ce tableau du jésuitisme n’est pas seulement à prendre, avec toutes les interprétations nécessaires, comme un document sur l’esprit de la Compagnie. On peut en déduire indirectement, à partir du choix des coups portés, une peinture de ceux qui se sont livrés à cette dénonciation. Nul doute qu’après maintes évolutions, ils ne constitueront le terreau sur lequel se développera l’esprit de ceux que leurs adversaires, quarante ans plus tard, après ce que j’appellerai le coup de théâtre de l’Augustinus, appelleront très improprement « jansénistes ». On sait quelle est leur origine, quelle est leur culture. Étienne Pasquier, Antoine Arnauld sont des avocats. Hommes de lois et de lettres, ils ont des traits communs avec d’autres artisans de la parole, les magistrats, qu’ils côtoient au Parlement, les officiers de la chancellerie, davantage engagés dans la cour. Leur commerce avec la langue française, et avec toutes les réalités concrètes qu’elle porte, a contribué à nourrir en eux une sorte de patriotisme. Les grands horizons ne sont pas ce qui les attire. La France à laquelle ils <?page no="327"?> 313 Mythe janséniste et mythe jésuitique dans l’Europe d’après la Réforme sont attachés est celle qui s’est peu à peu constituée à partir de ses origines gauloises. Serviteurs de la monarchie, ils entendent défendre l’aspect traditionnel de l’institution, la référence aux « lois fondamentales du royaume », avec beaucoup de méfiance pour les nouveautés que sont la centralisation et l’absolutisme. Sur ce point, ils rejoignent à beaucoup d’égards les « politiques », au sens occasionnel du terme, partisans de confier à Henri IV le trône de France, en distinguant les intérêts nationaux de ceux de l’Église. En matière religieuse, ils sont, fondamentalement, catholiques. Ils reconnaissent la prééminence du Souverain Pontife, mais, hommes d’assemblées délibérantes, ils accordent un rôle important au Concile. Dans le gouvernement de l’Église de France, ils tiennent à ce que soient respectées les « libertés de l’Église gallicane » (ce dernier adjectif, à l’époque, ne signifiant rien de plus que « français ») - ce qui réserve les droits du roi par rapport au pape, fixés d’ailleurs par concordat, et aussi une grande indépendance des évêques, voire des curés. En fait de culture, religieuse ou profane, ils proscrivent l’excessif et le spectaculaire, réclament l’équilibre et la mesure, entendent substituer au culte du sensible et de l’imaginaire l’attention à l’intériorité, soit dans l’analyse morale, soit dans l’élévation spirituelle. L’esprit français, tel qu’il se constituera au XVII e siècle, avant de déferler sur l’Europe au XVIII e , doit beaucoup à cette école. Ainsi, non moins que pour les jésuites, si l’on essaie de caractériser leurs adversaires, les aspects politiques et culturels entrent majoritairement dans la définition que l’on peut en donner. Même si la situation se modifie par la suite, ces éléments fondamentaux ne disparaîtront jamais. Si l’on se souvient que ces deux tendances se sont largement constituées en réaction contre les avancées de la Réforme protestante, il est utile de préciser en quelques mots - car les controverses ultérieures en recueilleront un puissant écho -, quelle a été l’attitude de l’une et de l’autre à ce sujet. Les jésuites représentent ce qu’on peut appeler, en un sens plus précis qu’on ne le fait habituellement, la Contre-Réforme. Ils adoptent, vis-à-vis des protestants, une attitude volontiers agressive. Ils ne cherchent nullement à atténuer les divergences qui les séparent d’eux ; ils seraient même tentés de les aggraver. Ils ont favorisé le durcissement de la réflexion et de la pratique eucharistiques. Ils ont insisté sur le culte de la Vierge et des Saints. Dans la politique menée contre les protestants, ils n’ont certes pas eu le monopole de la violence ; mais leur expansion, européenne en particulier, a été souvent motivée par des exigences de lutte contre l’hérésie. Le groupe que caractérise son noyau parlementaire est au contraire bien caractérisé par le mot de réforme, mais de ce qu’on appelle de plus en plus aujourd’hui réforme catholique. Le refus du protestantisme est clairement affirmé ; mais aussi la nécessité d’une rénovation du catholicisme. C’est là <?page no="328"?> Jean Mesnard 314 l’intention fondamentale qui a inspiré la tenue du Concile de Trente, dont ce groupe se réclame hautement. C’est aussi à la volonté de réforme manifestée par la Mère Angélique que le monastère de Port-Royal des Champs a dû de prendre son essor au début du XVII e siècle et de connaître son extraordinaire prestige. Mais il ne s’agit nullement d’adopter une attitude triomphaliste. La réforme préconisée est essentiellement intérieure. Elle repose sur une formation religieuse authentique, très simple d’ailleurs ; sur le respect de la règle ; sur la méditation et la prière ; sur le travail ; sur une pratique de la pénitence pénétrée de bon sens et excluant, sauf quelques exceptions comme il y en avait autant du côté opposé, toute complaisance pour l’ascétisme. La qualité de la vie monastique a été le premier passeport de Port-Royal pour son destin exceptionnel. J’ai presque tout dit, et pourtant je n’ai pas encore rencontré le mot jansénisme. Heureusement pour nous, car avec le mot, c’est le mythe qui va entrer. Eh bien, laissons-le entrer. Pour en prendre la mesure, il convient d’abord de rappeler en quelles circonstances, et d’en suggérer toute la complexité, impossible à épuiser par une analyse purement doctrinale, qui sera pour le moment réservée. Il n’y aurait pas de jansénisme sans Jansénius, du moins sans une certaine idée de Jansénius. Quittons donc la France pour rencontrer ce Flamand, professeur d’Écriture Sainte à l’Université de Louvain, récompensé de ses services par l’évêché d’Ypres, réputé sans doute, mais sans grande notoriété. Il ne devint célèbre qu’après sa mort, en 1638. Ses disciples favoris, Froidmont et Calenus, décidèrent alors de publier ses manuscrits. Deux commentaires bibliques, l’un sur le Pentateuque, l’autre sur les Évangiles, manifestant une prédilection marquée pour l’exégèse figurative, dont l’orthodoxie n’a jamais été mise en cause et qui bénéficièrent d’un large succès. Puis un énorme ouvrage, synthèse de la doctrine de la grâce selon saint Augustin, et intitulé Augustinus. Comme les précédents, il vit le jour à Louvain, avec la date de 1640. Mais il se répandit rapidement en France, où il connut plusieurs rééditions, une à Paris en 1641, puis trois successivement à Rouen. Diffusion remarquable, qui intéressa certainement toute l’Europe, prolongeant celle qu’avait eue la grande édition en 8 volumes des Œuvres de saint Augustin publiée aussi à Louvain au XVI e siècle. Preuve de l’extrême attention qu’attirait alors ce Père de l’Église. Une attention évidemment concentrée en certains milieux savants, et qui, parallèlement, pouvait indisposer les tenants d’autres théologies. Au premier chef, les jésuites, dont l’optimisme foncier était très opposé au pessimisme augustinien. Or, chose curieuse, c’est le grand ministre Richelieu, certes très soucieux de théologie, mais surtout attentif au gouvernement de l’État, qui crut devoir mettre cet ouvrage sur la place publique. Il demanda en effet à un de ses <?page no="329"?> 315 Mythe janséniste et mythe jésuitique dans l’Europe d’après la Réforme fidèles, le théologal de Paris, Isaac Habert, de prêcher dans la chaire de Notre- Dame contre le livre, ce qu’il fit lors de deux séries de prédications, en l’Avent 1642 et au Carême 1643. Il prit ainsi la responsabilité, quinze ans avant Les Provinciales, souvent tenues pour première manifestation de cette nouveauté, de rendre le grand public témoin et juge de querelles très savantes, dans lesquelles ce dernier risquait d’introduire la confusion. Mais il nous appartient surtout de noter que cette prédication fut l’occasion de lancer le terme de « janséniste » pour désigner les sectateurs éventuels de Jansénius. La bizarrerie de l’attitude de Richelieu, à ma connaissance, n’a jamais été remarquée. Elle peut pourtant trouver une raison, éminemment européenne, même si elle n’a pas grand chose à voir avec la grâce. C’est que le tout-puissant ministre voyait en Jansénius un adversaire personnel, un adversaire politique. Lorsqu’il fit franchir un pas décisif à son ambition de grandeur française, en déclarant la guerre à l’Espagne, en 1635, il trouva en travers de son chemin un théologien flamand qui, naturellement, était aussi sujet espagnol, et convaincu, notre Jansénius. Ce dernier lança contre lui un vigoureux pamphlet, le Mars Gallicus, qui connut plusieurs éditions et une traduction française. Il attaquait, au nom de la prééminence religieuse, ce qui était au cœur de la politique extérieure du ministre : la priorité du national sur le religieux, obligeant éventuellement à des alliances avec des hérétiques et à l’entrée en guerre contre des catholiques. Sans aucun doute vivement touché, Richelieu aura essayé de ruiner le crédit de son adversaire, désormais défunt, en essayant de le faire condamner sur le terrain, plus redoutable, et plus réservé, de la théologie. Il pouvait d’ailleurs espérer faire d’une pierre deux coups. Il y avait à Paris un ancien ami de Jansénius, l’abbé de Saint-Cyran, disciple éminent du cardinal de Bérulle (+1629), dont il pouvait apparaître comme le successeur. Or Bérulle avait été le chef du parti dévot, qui défendait, contre Richelieu, exactement la même politique que Jansénius. En 1635, Saint-Cyran commençait aussi à jouer un rôle capital au monastère de Port-Royal, désormais établi à Paris, au faubourg Saint-Jacques, et il était le guide, théologique et spirituel, du grand Arnauld au début de sa carrière. Surveillé par Richelieu, plus sans doute pour des raisons politiques que pour des raisons religieuses, il avait été, en 1638, emprisonné au donjon de Vincennes, pour n’en sortir que peu de temps après la mort du ministre, et avant sa propre mort, survenue en 1643. On voit qu’entre 1635 et 1643, toutes sortes de fils se sons noués, où il aurait été difficile de démêler l’essentiel de l’accessoire. Si la politique pouvait brouiller les pistes, il est un autre domaine, authentiquement religieux celui-là, où une confusion semblable s’est instaurée : celui de l’ecclésiologie. Au centre, la personne de Jansénius. Que la publication de l’Augustinus pût être génératrice de conflits, en raison des tensions <?page no="330"?> Jean Mesnard 316 entre écoles sur le problème de la grâce, l’évêque d’Ypres en avait eu, de son vivant, pleine conscience. Il éprouvait, en particulier, d’évidents scrupules à la pensée qu’il risquait d’enfreindre, en publiant son livre, la, et même les décisions pontificales récentes interdisant d’écrire quoi que ce fût sur les matières de la grâce, en raison des disputes qu’elles entraînaient, fort préjudiciables à l’Église. Il avait même rédigé une déclaration destinée au Souverain Pontife, qu’il faisait seul juge de la décision à prendre pour la publication de son livre. Ce bon Espagnol était donc un parfait ultramontain. C’est l’ironie des circonstances qui a suscité ses défenseurs les plus acharnés parmi les champions des libertés de l’Église gallicane nombreux à Port-Royal. Nulle trace donc d’un complot organisé. L’évêque dont le nom a servi à désigner une hérésie souvent tenue pour monstrueuse, et injurieuse à l’autorité du pape, a toujours été prêt à une soumission totale. C’est à partir du moment où il était disparu que son nom a pu être attaché à une certaine doctrine. Ceux qui, à Louvain, ont publié son chef-d’œuvre, et ceux qui, en France, ont tant souffert d’avoir pris sa défense lui ont été infidèles. Pour atténuer un peu la somme d’absurdités dénoncée par ces réflexions, il faut seulement observer que la cause défendue dépassait le cas des personnes, et même le domaine de l’ecclésiologie, qu’elle impliquait une certaine conception de l’essence du christianisme. Reste que cette conception ne peut pas être appelée jansénisme. Il vaudrait mieux l’appeler augustinisme, ou, tout au plus, comme on le verra, une certaine forme d’augustinisme. Les questions doctrinales, notamment à propos de la grâce, dominent donc de plus en plus notre propos. C’est sur ce point qu’il y a lieu, désormais, de se concentrer. Pratiquer l’art de la conceptualisation Ainsi l’histoire, surtout l’histoire événementielle, sans être oubliée quand il faudra y recourir, va passer au second plan. Il faudra la déborder largement et s’élever aux idées qui s’y trouvent engagées, pratiquer la conceptualisation. Ce qui constitue tout un art. Il ne m’appartient pas ici d’en faire la théorie. Mais il conviendra d’en user avec autant de constance que de prudence. L’objet de Jansénius était d’exposer, pour le public savant de son temps, et dans l’esprit de saint Augustin, une théologie de la grâce et de la prédestination, ou, en termes plus techniques, de la sanctification et de la justification. Pour aborder correctement son œuvre, il faudrait presque remonter aux origines du christianisme, notamment à saint Paul. C’est alors en effet que commencent à se poser les problèmes, très particuliers à la religion chrétienne, qui, après beaucoup de précédents, soulèveront tant de disputes au <?page no="331"?> 317 Mythe janséniste et mythe jésuitique dans l’Europe d’après la Réforme XVII e siècle. La notion de grâce, au sens théologique du terme, n’apparaît ni dans l’antiquité païenne, ni dans l’Ancien Testament. C’est qu’avec le Nouveau Testament, l’idée de Dieu se développe nécessairement en celle de son rapport à l’homme, mise puissamment en valeur par celle de l’Homme-Dieu. Le christianisme n’est pas seulement une religion de Dieu, mais une religion de l’homme. Il y a pourtant un grand déséquilibre entre les deux termes de cette relation. En Dieu s’associent, à un degré suprême, la puissance et la sainteté. L’homme, comme il résulte de la simple expérience, a partie liée avec le mal, présent dans le monde, comme il l’est en lui-même, par le péché. Pourtant l’homme participe en quelque façon de la bonté de Dieu. C’est d’abord Dieu qui l’a créé, l’établissant en un rang éminent, au sommet de la création. De plus, il l’accompagne dans son existence terrestre, lui offrant la sanctification, c’est-à-dire la délivrance actuelle du péché, et, au terme de sa vie, la justification, c’est-à-dire le salut dans une union à Dieu qui réalise une harmonie attendue. L’homme ne saurait avoir l’initiative de sa propre création, qui dépend, en dernier resssort, de Dieu seul. Peut-il, en revanche, jouer un rôle pour se rendre saint et juste ? Répondre à cette question, c’est poser le problème de la grâce. Dans cette perspective, Dieu et l’homme restent les deux pôles à considérer. On ne saurait exclure l’un ou l’autre sans tomber hors des limites du christianisme. Une affirmation absolue de la toute-puissance de Dieu réduirait l’homme au néant ; une affirmation absolue des pouvoirs de l’homme anéantirait l’idée de Dieu. Pour éviter ce double écueil, il faut reconnaître en Dieu une bienveillance à l’égard de l’homme manifestée par le don gratuit de la grâce, et en l’homme un degré d’autonomie qui confère à son action, même aidée de la grâce, le caractère de la liberté. Mais il existe bien des façons de se représenter l’entre-deux qui se trouve ainsi constitué. Selon les textes bibliques pris comme références, selon leur interprétation, selon les autorités retenues, selon les décisions du magistère, selon les concepts mis en œuvre, enfin selon les synthèses réalisées, on découvrira une multitude de positions, plus ou moins parallèles, et plus ou moins fidèlement reçues. On se bornera évidemment à des évocations très brèves, en insistant sur les concepts explicatifs, et en ne retenant de l’ancien que ce qui reste vivant dans la conscience des hommes du XVII e siècle, principalement des théologiens. Le plus vivant est peut-être le plus ancien. C’est le conflit, à beaucoup d’égards exemplaire, qui, aux IV e et V e siècles, s’éleva entre saint Augustin et le moine Pélage. Héritier de la tradition grecque, et notamment du stoïcisme, ce dernier reconnaissait à l’homme une capacité absolue de faire le bien et de parvenir au salut. Il tient que la nature de l’homme est bonne et sa raison constamment libre d’opérer le choix entre le bien et le mal. L’idée d’un péché <?page no="332"?> Jean Mesnard 318 originel corrupteur de l’humanité entière est exclue et l’idée même du péché actuel se réduit à celle d’un simple incident sans conséquences. Certes Dieu est la fin à poursuivre ; il ne sera vraiment atteint que par l’exercice d’une vertu difficile ; mais ce ne sera que par l’effort de l’homme, qui sera de même seul responsable de son échec éventuel. En face, la pensée de saint Augustin est dominée par l’idée de la puissance du mal et de l’infection qu’il a produite en l’homme par l’événement majeur du péché originel, rapporté par la Genèse. L’interprétation de ce récit sacré joue un rôle capital dans les théologies chrétiennes, et c’est souvent par elle que l’on peut les distinguer. Saint Augustin veille à y préserver la bonté de Dieu et celle de la Création, tout en expliquant l’apparition du mal. Dieu bon a donc créé l’homme et le monde bons - les deux réalités étant inséparables - mais il a créé l’homme libre, capable tant du mal que du bien, l’exercice de sa liberté commandant ensuite le destin de l’humanité. Le choix opéré par le premier homme en faveur du mal a entraîné une corruption générale, une pente naturelle au mal en tous les hommes, dénommée concupiscence, et une incapacité naturelle à obtenir le salut. La bonté de Dieu se manifeste alors une seconde fois, plus essentielle encore que la première : par la Rédemption, par le sacrifice du Christ expiant sur la croix les péchés des hommes. Aux hommes la Rédemption procure la grâce pour la guérison du péché en ce monde, et la prédestination au salut pour la fin des temps. Mais, ici encore, la signification théologique de la volonté divine, considérée comme universelle pour les uns, comme limitée pour les autres, peut faire l’objet de plusieurs interprétations, accompagnées de vigoureux débats. Ces débats ont commencé, en fait, à l’époque même de saint Augustin et ils ont été suivis par ses disciples saint Prosper et saint Fulgence. Ceux-ci se sont attaqués à un groupe de moines provençaux, dont le plus célèbre, éminent d’ailleurs, se nommait Cassien. L’hérésie de Pélage étant dénoncée et admise comme telle, il restait possible, à propos de la grâce et de la prédestination, d’assouplir la doctrine de saint Augustin qui, dans ses expressions variables, mais souvent hardies, semblait parfois faire bon marché de la liberté des actes humains et de la responsabilité de chaque homme dans l’œuvre de son salut. Ceux qu’on appela semi-pélagiens plaidèrent pour l’idée d’une coopération entre Dieu et l’homme tant dans l’exercice de la volonté que dans l’effort vers le salut. Mais il suffisait d’appuyer tant soit peu sur le rôle de l’homme pour réduire pratiquement à néant celui de Dieu. Après de longues discussions, la condamnation finit par tomber. Sur ce point comme sur beaucoup d’autres, le Moyen Âge fut une époque de triomphe pour saint Augustin. Pendant plus de dix siècles, sa théologie de la grâce demeura incontestée. Elle fut notamment l’objet de nombreuses approbations pontificales. On peut s’en étonner lorsqu’on se rappelle les am- <?page no="333"?> 319 Mythe janséniste et mythe jésuitique dans l’Europe d’après la Réforme ples débats antérieurs et qu’on pressent ceux qui devaient survenir ensuite. Mais l’affirmation de la grandeur de Dieu allait de soi à cette époque et la revendication en faveur de l’homme commençait à peine à voir le jour. Les fondements de la théologie augustinienne étaient solides. On en a la preuve en examinant l’œuvre du principal auteur qui ait alors écrit sur le même sujet, saint Thomas d’Aquin (XIII e siècle). Il s’appuie spontanément sur saint Augustin, mais en introduisant l’apport d’une culture nouvelle. Cette nouveauté est d’abord constituée par l’aristotélisme, en particulier par son arsenal logique. Ainsi l’action de Dieu en l’homme par le don de la grâce reçoit une explication inédite et séduisante par la distinction familière entre causes premières et causes secondes. Dieu a l’initiative comme cause première ; mais l’homme participe à l’action comme cause seconde, sans perdre sa liberté, qui est impliquée, et prise en compte par Dieu, dans le règne des causes secondes. Excès de subtilité, peut-être, mais qui traduit la nécessité salutaire de dépasser la pure rationalité. Une autre nouveauté, qui ne va pas non plus sans subtilité, consiste dans un effort pour aller plus avant dans l’analyse de ce qu’on pourrait appeler la psychologie de la grâce. Les grâces que Dieu accorde à l’homme sont alors diversifiées et classées, notamment selon leur degré de force, les grâces faibles pouvant donner lieu à résistance, et non les grâces fortes. Ce qui pouvait ouvrir la voie à toutes sortes de distinctions et de nuances, ainsi que de cas particuliers : tâche à laquelle les théologiens ultérieurs se livreront volontiers. C’est l’ouverture des temps modernes, à partir de la fin du XV e siècle, qui ramènera la question de la grâce au premier plan de la réflexion philosophique et théologique et y introduira des perspectives qui, pour prendre la suite des précédentes, n’en reflèteront pas moins un esprit nouveau. Pour décrire les grands changements dont on essaiera ensuite de saisir les effets, il est plus nécessaire que jamais de procéder par conceptualisation. Le premier phénomène à analyser est depuis longtemps fort bien situé et connu : c’est celui qu’on appelle l’humanisme. Mais il comporte plusieurs faces, elles aussi souvent distinguées. L’une d’elles est philologique : elle a consisté dans un apport considérable de textes encore inconnus de l’antiquité principalement grecque et latine, textes d’une grande richesse littéraire et humaine, d’une grande beauté, mais fournissant aussi de nouveaux éléments de savoir ; presque toujours antérieurs au christianisme ou indépendants de lui. Un accès considérable à l’homme non chrétien était ainsi donné, susceptible d’éveiller de nouvelles pensées. Aussi bien cet apport de textes se doublait-il d’un apport d’idées, d’une nouvelle philosophie et d’un nouvel idéal humain. Le lien de Dieu à l’homme qui fait le fond de la doctrine de la grâce ne pouvait plus apparaître, ou apparaissait différemment. De plus, si la morale ascétique n’était nulle- <?page no="334"?> Jean Mesnard 320 ment inconnue de l’antiquité, les tendances les plus courantes en ce domaine allaient dans le sens de l’hédonisme et de la quête du bonheur terrestre. Tous éléments qui se joignent à une quête religieuse authentique chez un Érasme. C’est aussi de cet optimisme, mais sur un fond plutôt stoïcien, que procédera l’idéal religieux et humain de saint Ignace de Loyola. Un même optimisme inspirera les jésuites, et fondera même un certain jésuitisme en théologie morale. Comme prolongement de cet acquis humaniste, le début des temps modernes a connu un extraordinaire développement scientifique et technique. Les grandes découvertes, fruit des progrès de l’astronomie et de la navigation, la découverte de l’imprimerie ont donné à l’homme un sentiment tout neuf de ses pouvoirs, et peut-être quelque chose d’un esprit prométhéen, encore que ni Pétrarque ni Montaigne ne nous conduisent en ce sens. On remarquera surtout, à propos de l’invention de l’imprimerie, la situation nouvelle dans laquelle allaient se trouver les controverses, théologiques ou autres, par l’usage de ce nouveau moyen de diffusion, permettant d’atteindre, d’une manière plus sûre et plus rapide, des publics plus nombreux et plus divers. C’est dans un sens tout opposé que nous entraîne l’esprit de la Réforme protestante, autre grande composante de ce monde en renaissance. Elle n’est pas totalement étrangère à l’humanisme ; elle le prouve par son refus de la scolastique médiévale et son souci de recourir à la tradition originale de l’Église par un retour à la Bible et à la patristique, notamment à saint Augustin. En ce dernier, conformément à son esprit en définitive opposé à l’humanisme, elle trouve exalté son sentiment de la grandeur de Dieu et de la déchéance de l’homme pécheur. On n’oubliera pas que l’idée de réforme n’est pas seulement protestante, mais qu’elle existe aussi, sous une autre forme, dans le catholicisme, comme on l’a vu à propos de Port-Royal. On voit que des forces multiples et parfois divergentes ont présidé au grand renouvellement opéré au temps de l’humanisme et de la Réforme. C’est sur la voie ainsi ouverte que se situera Jansénius. Mais pour l’atteindre le plus sûrement, il faut se faire une idée des chemins que la théologie avait parcourus et qu’il avait parcourus lui-même avant de parvenir à l’aboutissement de l’Augustinus. Dans le foisonnement que l’on peut constater alors, il importe de s’en tenir aux grandes tendances et de les analyser conceptuellement. Non sans souligner d’abord la vivacité des passions qui accompagnèrent alors l’expression des doctrines, parallèlement aux violences qui se déchaînaient tant dans le monde chrétien que dans les rapports entre nations. L’origine de ce trouble est directement lié à l’évolution du problème de la grâce. La naissance du protestantisme, dans la première moitié du XVI e siècle, a été marquée par une nouvelle formulation de l’augustinisme, aux <?page no="335"?> 321 Mythe janséniste et mythe jésuitique dans l’Europe d’après la Réforme conséquences aggravées par la constitution d’Églises nouvelles, en rupture avec Rome, et par des interférences avec les politiques des pays européens. Avec Luther, puis Calvin, c’est un augustinisme radical qui s’affirme. On retrouve le schéma fondamental, avec la Création et la chute, la Rédemption et la grâce. Mais, tout au long de cette histoire, c’est Dieu qui agit, manifestant plus que jamais sa toute-puissance. Même le mal est dans sa dépendance. La corruption de l’homme est telle qu’il ne peut accomplir aucun acte bon, même avec la grâce. Le salut lui est quand même promis, du moins à un certain nombre d’élus, choisis de toute éternité, même avant la chute, qui entre elle aussi dans le plan divin. Des élus choisis d’une manière totalement gratuite et qui ne sauraient posséder aucun mérite, jouissant seulement de la certitude qu’ils sont prédestinés, et prédestinés par la foi. Mais, par un paradoxe plus apparent que réel, la gratuité du salut, qui ne saurait être obtenu par des œuvres, a pour conséquence de libérer l’ordre humain, qui devient totalement profane, soumis au seul règne de l’homme. D’où une adaptation immédiate à un monde en pleine mutation et appelant les énergies de tous. D’où aussi une morale de l’action, exigeante, même si elle était à finalité humaine. Dans la lutte qui s’engageait, sur toutes sortes de fronts, avec le protestantisme, le catholicisme disposera d’une force neuve par la fondation et l’essor rapide de la Compagnie de Jésus. L’une de ses premières visées était la lutte contre la Réforme. Mais, comme celle-ci, elle offrait des aspects très divers. On le constate d’abord dans la personne de son fondateur, l’Espagnol Ignace de Loyola, mystique, d’un côté, homme d’action et organisateur, de l’autre. La Compagnie elle-même manifestait de grandes ambitions intellectuelles, et venait ajouter ses publications à celles de ses prédécesseurs du XIII e siècle, les ordres mendiants, franciscains et dominicains principalement. Mais elle allait beaucoup plus loin qu’eux pour l’insertion dans le monde moderne. D’abord par la participation au mouvement humaniste, notamment dans le domaine scientifique, par l’établissement de nombreux collèges, dispensant un enseignement rénové, par l’intérêt porté aux relations internationales et par l’entreprise des missions, par le souci de peser sur la politique des États en tenant leur place dans la vie de cour, par une ecclésiologie dynamique et l’insistance sur l’unité de l’Église, rassemblée autour du pape, et conçue un peu à l’image de l’absolutisme naissant. Pourtant toute cette action ne se situait nullement sur le plan profane, comme dans le protestantisme ; elle prolongeait au contraire la vie religieuse, suscitant l’essor de toutes sortes d’œuvres. Reste que la religion elle-même était souvent sollicitée de se plier aux exigences du monde moderne : programme qui s’inscrit souvent dans les ouvrages émanant de cette origine. Ainsi s’explique le développement, favorisé par eux, de la casuistique, science fort ancienne des cas de conscience, <?page no="336"?> Jean Mesnard 322 auxiliaire indispensable de la confession, qui devenait peu à peu moyen d’accommoder la règle évangélique aux réalités de la vie. Pour la théologie, pénétrée par la vision humaniste, elle se situait évidemment aux antipodes de celle des réformés. Par désir de ne pas trop se heurter à la tradition scolastique, et pour préparer son entrée dans les Universités, elle cherchait quand même son point de départ chez saint Thomas. Mais elle soumettait l’œuvre du grand Docteur, base immuable de l’enseignement des dominicains, à des adoucissements qui devenaient incompatibles avec l’augustinisme. Molina, créateur d’un système fameux (1688), relativement simple, a porté cette tendance à son terme. Pour aller vite, on en retiendra surtout la distinction de deux grâces, toutes les deux gagnées par les mérites du Christ, mais en fait dépendantes du bon vouloir de l’homme : une grâce suffisante donnée à tous les hommes, qui procure une première avancée vers l’acte bon, soumise à l’agrément du bénéficiaire, et, lorsque la première a rencontré une réponse positive, une grâce efficace, produisant infailliblement l’acte. On voit évidemment mal la différence entre cette théologie et une simple morale. Faisons maintenant le point sur les positions respectives des diverses écoles théologiques au sujet de la grâce à la transition du XVI e et du XVII e siècles. Le protestantisme s’étant placé hors de l’Église, il ne doit être mentionné ici que comme l’aiguillon des controverses entre catholiques, ou plutôt comme constituant, avec, à l’autre extrémité, l’héritage des morales païennes, stoïcisme et épicurisme, l’un des deux pôles entre lesquels devaient s’établir ces controverses. Le pôle le plus sensible et le plus dangereux, puisqu’il s’agissait de se placer sur le terrain théologique et d’éviter l’accusation d’hérésie. Trois écoles auront seules à nous retenir, toutes offrant des variantes qu’il faudra négliger. On nommera, par ordre d’ancienneté : les augustiniens, forts du renouveau de prestige de leur maître ; les thomistes, peuplant les Universités et jouissant d’une sorte de statut officiel ; les jésuites, largement tentés par un molinisme qui pouvait invoquer à son profit l’expérience et le sens commun. Chacune de ces écoles pouvait prétendre à l’orthodoxie, la première et la dernière comportant des points faibles, la première sur la liberté humaine, la seconde sur la grâce divine. Aux deux tiers du XVI e siècle, le Concile de Trente, qui eut à se prononcer sur les conséquences du protestantisme et éventuellement à prendre parti sur les écoles déclarées dans le catholicisme, s’efforça d’exprimer des jugements mesurés et de tenir compte des multiples avis exprimés en son sein. Mais, à la même époque, des tensions se manifestèrent entre ces groupes. Notamment entre augustiniens et jésuites, à Louvain, où l’augustinisme trouva une nouvelle expression dans l’œuvre de Michel de Bay, le fameux Baïus, précurseur de Jansénius. Autre conflit, un peu plus tard, entre thomistes et jésuites, qui se livrèrent pendant de longues années, à Rome, à des discussions dites de <?page no="337"?> 323 Mythe janséniste et mythe jésuitique dans l’Europe d’après la Réforme Auxiliis - c’est-à-dire, pour simplifier « de la grâce » - disputes auxquelles le pape Paul V mit fin en imposant aux deux parties le silence. Décision fort sage, et qui fut renouvelée et généralisée un peu plus tard par Urbain VIII. Il n’existe en effet aucun moyen rationnel de concilier la toute-puissance divine et la liberté humaine, ce qui constitue proprement un mystère, dont l’explication ne peut être jamais que partielle. Les éditeurs de l’Augustinus, mais non pas Jansénius lui-même, comme on l’a vu, n’avaient pas tenu compte de la règle posée. Voilà d’où naquit le plus grave des conflits, dont l’examen n’est ici entrepris que pour savoir si, oui ou non, il a existé un « jansénisme » et, dans l’affirmative, en quoi il consiste. On peut dire, certes, que ce mouvement a existé, puisqu’il a reçu un nom. Mais où a-t-il existé ? Telle est la seule façon pratique de répondre. Il y a aussi une seule réponse pleinement valable. Le jansénisme ayant été défini comme hérésie, on ne peut l’atteindre que par le texte de sa condamnation à Rome, d’abord en 1653, puis en 1657, c’est-à-dire par les cinq propositions. Voilà certes une définition qui comporte une réelle rationalité. Mais elle soulève aussi bien des difficultés. D’abord parce que les cinq propositions ont été vigoureusement contestées dans leur formulation, soit que leur sens soit ambigu, soit que leur présence dans l’ouvrage visé, l’Augustinus, soit niée. Argumentation de type tout à fait courant dans ce genre de situation, et parfaitement recevable sur le terrain juridique. Or argumenter de la sorte était, en fait, condamner les cinq propositions. C’est ce qu’ont fait les plus autorisés de ceux qu’on appelle « jansénistes ». Ce nom est donc impropre . Être janséniste, est-ce donc nier expressément la présence des cinq propositions dans l’Augustinus ? Oui, si l’on reconnaît la valeur d’une affirmation de fait dans un texte dogmatique tel qu’une bulle pontificale. Certes il y a lieu de distinguer des cas divers. Mais on doutera qu’un doute soluble par la lecture d’un livre puisse faire l’objet d’un tel jugement. Qu’on se reporte pour le savoir au premier concile du Vatican. Est-ce alors l’Augustinus lui-même, en son texte complet, qui constituera le critère du jansénisme ? La question ne saurait admettre de réponse formelle. Mais, même si cette réponse était accessible, elle ne saurait faire atteindre un groupe hérétique, mais simplement une école de théologie, facile à insérer dans un courant séculaire. N’est-ce pas, en définitive, saint Augustin lui-même qui serait visé par la condamnation du jansénisme au XVII e siècle et par l’abus de ce mot dont nous sommes témoins aujourd’hui ? Évidemment, à travers saint Augustin, c’est toute forme de vie religieuse et morale exigeante qui serait condamnée, parfois dans l’inconscience la plus totale. <?page no="338"?> Jean Mesnard 324 P. S. En dépit de sa longueur, ce texte est fort incomplet. C’est ainsi qu’il ne tient pas compte de Pascal, ni pour Les Provinciales (capitales sur la question du « jésuitisme »), ni pour les Pensées, ni même pour les Ecrits sur la grâce. Il ne comporte pas l’analyse de l’Augustinus qui s’imposerait. Il manque d’un commentaire sur la notion d’acte libre, et sur les diverses espèces de grâces. La richesse du sujet dans son ensemble ne permettait pas d’en traiter en quelques pages tous les aspects. <?page no="339"?> Biblio 17, 188 (2010) En guise de synthèse Un jansénisme peut en cacher un autre F RANK W ILHELM Université du Luxembourg Au terme de nos débats m’incombe l’honneur de faire le bilan des communications qui ont été présentées, exposés et discussions à la clé qui renouvellent la vision que l’on pouvait avoir du courant janséniste. Rappelons l’appel à communication lancé par notre collègue et ami Raymond Baustert, il y a plus d’un an : « Dans le contexte de l’année 2007 ‹ Luxembourg, capitale des cultures européennes ›, appelée entre autres, à témoigner de la circulation des idées dans l’Europe d’hier et d’aujourd’hui, il paraît non dépourvu d’intérêt d’enquêter sur les incidences européennes de ce moment fort de la spiritualité française que fut le jansénisme. Inscrite cette optique, la thématique du colloque ne se veut nullement limitative : il s’agit, au contraire, de mettre en évidence des aspects divers de la manifestation extra-hexagonale du phénomène sur l’arrière-fond d’une géographie englobant tous les grands espaces européens à partir desquels on éclairera des problèmes aussi variés que la présence du jansénisme aux XVII e et XVIII e siècles. » C’est là-dessus que je voudrais faire porter les observations et les réflexions que m’ont inspirées les difflérentes interventions. Si le jansénisme, avec Jean Racine et Blaise Pascal, a donné à la France deux écrivains majeurs qui font honneur à la littérature nationale - littérature au sens de Belles-Lettres -, ses retombées internationales sont moins littéraires que théologiques, philosophiques, sociales, politiques et culturelles au sens très général du terme. Pour autant, ces manifestations à l’échelle de l’Europe ne peuvent laisser indifférents les littéraires que sont la plupart des spécialistes réunis ici par Raymond Baustert, lequel peut se féliciter d’avoir invité une belle brochette de savants venus de tous les horizons. J’avoue que, face à la notion de jansénisme, mon premier réflexe a été, en tant qu’ancien étudiant du professeur René Pomeau à la Sorbonne, de me reporter à son édition jubilaire (1964) du Dictionnnaire philosophique de <?page no="340"?> Frank Wilhelm 326 Voltaire. Dans l’article « Grâce », sans jamais nommer les jansénistes, le seigneur ratiocineur de Ferney exécute en deux pages à peine la doctrine de la Prédestination, dans des phrases du genre de celle-ci : Personne n’a jamais imaginé parmi nous que Dieu fût semblable à un maître insensé qui donne un pécule à un esclave, et refuse la nourriture à l’autre […]. Ou encore : Malheureux [il s’adresse aux pères, sans doute jansénistes], voyez ce chêne qui porte sa tête aux nues, et ce roseau qui rampe à ses pieds ; vous ne dites pas que la grâce efficace a été donnée au chêne, et a manqué au roseau. 1 Vous savez bien comment fonctionne l’ironie cinglante de Voltaire, dont vous n’avez eu que faire, ayant à l’esprit, chacune, chacun à partir de sa sensibilité disciplinaire et de ses affinités idéologiques, de tracer un portrait le plus exact possible de telle ou telle personnalité janséniste, quand il ne s’agissait pas d’évoquer, au-delà d’un destin particulier ou d’une trajectoire singulière, toute une époque avec ses mentalités ou, comme le disait si bien une intervenante, ses « dévotions déviantes ». Voilà une première conclusion à tirer de vos savants travaux, semble-t-il. Le colloque était certes focalisé sur Le Jansénisme et l’Europe, beaucoup d’entre vous ont su cependant heureusement élargir le sujet et prendre du recul. J’ai envie de dire, m’appuyant sur la notion de littérature comparée, que vous avez fait de la théologie comparée. Or, le comparatisme est à la fois un moyen d’ouvrir son esprit vers l’Autre, de franchir des frontières, et un moyen de se révéler (à) soi-même. Ici, je songe en particulier aux remarques, toujours innovantes, de Volker Kapp, qui nous a donné une image presque bifide de l’Allemagne déclinée en deux grandes religions chrétiennes, et donc en deux cultures qui n’entretenaient pas et n’entretiennent pas la même relation aux idées jansénistes. Et d’ailleurs - peut-être que j’aurais mieux fait de commencer par là - : qu’est-ce qu’un janséniste ? On a vu que le terme a surgi de la plume de l’adversaire idéologique, la Compagnie de Jésus. Vous n’avez d’ailleurs pas été en peine de trouver des (para)synonymes à ce terme que d’aucuns jugent péjoratif, et vous avez parlé de « Port-Royalistes », d’« Arnauldistes », de « prédestinalistes », d’« Amis de la vérité », de « nos Amis de Port-Royal ». On pourrait y voir une forme 1 Voltaire, Dictionnaire philosophique, éd. par R. Pomeau, Paris, Garnier Flammarion, 1964, p. 215-216. <?page no="341"?> 327 En guise de synthèse d’embarras ; je suis persuadé qu’il s’agit de votre part d’un souci d’honnêteté intellectuelle pour trouver le mot juste qui ne fasse pas de dégâts collatéraux et traduise exactement votre propre adhésion à certaines de ces idées. Néanmoins, je reviens à ma question : qu’est-ce, qu’était-ce qu’un janséniste ? Je passe sur la connotation négative que les jésuites - encore eux - ont accolée au terme, Franck Colotte l’a très bien dégagée à travers son analyse des textes journalistiques du père de Feller. Mais alors, quelle est la vraie signification de cette appellation ? Il faut bien partir de l’idée que, tout en se réclamant de saint Augustin et d’autres penseurs, les jansénistes n’ont pas constitué ou fondé d’ordre religieux propre, pas de structure organisationnelle officialisée, mais que leur rigorisme particulier dans un siècle religieusement austère de toute façon, leur désir de réformer la pratique religieuse avec un surplus de piété authentique ont eu une influence sur de multiples ordres bien en place sur l’échiquier socioreligieux du Grand Siècle et de l’époque des Lumières. On a vu qu’il y avait des pères bénédictins, voire des abbés ou autres prélats, des cisterciens, des religieuses d’autres ordres encore qui, sur tel point de doctrine ou tel aspect de la pratique religieuse ou des dogmes métaphysiques, se rencontraient avec les grands doctrinaires du mouvement, Quesnel, Nicole et Arnauld. À propos du Grand Arnauld, lors d’un récent séjour en Bourgogne, j’ai vu au château de Tanlay (Yonne), qui appartenait à la famille de l’amiral de Coligny, un somptueux portrait du Grand Arnaud par Philippe de Champaigne, une pièce originale jamais exposée, et une statuette de Blaise Pascal assis, maquette pour une statue du Louvre. Beaucoup d’entre vous ont souligné, textes et faits à l’appui, - l’Augustinus, le Mars gallicus, au sujet duquel Frédérick Vanhoorne a fait des révélations utiles -, la Bulle Unigenitus étant les documents les plus allégués - que le jansénisme a souvent été attaqué pour des raisons moins théologiques et doctrinales que politiques et sociales. Cette idée d’instrumentalisation de la religion, que certains, à notre époque soumise à une laïcisation galopante, voudraient reléguer dans la sphère privée, peut choquer, si les jansénistes, les jésuites ou les partisans du roi de France, de l’empereur d’Autriche ou du roi d’Espagne ou les responsables d’autres États, à commencer par la papauté, n’avaient pas tous, peu ou prou, opéré avec des cartes biaisées. Les jésuites se sont souvent vu reprocher leur hypocrisie, leur casuistique, leurs ruses, alors que d’autres idéologues de la même époque usaient du même mode opératoire. Une idée, convergente dans de multiples communications, touchait à l’amalgame qui a souvent été fait, à tort ou à raison, de plein gré ou inconsciemment, entre les débats théologiques, les questions ecclésiales, les controverses dogmatiques et les enjeux diplomatiques, politiques, voire militaires. <?page no="342"?> Frank Wilhelm 328 Certes, il y a des cas admirables de dialogue entre honnêtes gens, comme Vlad Alexandrescu l’a montré à travers le rapprochement et la conciliation diplomatique entre orthodoxie et catholicisme à propos du problème de la transsubstantiation, mais on voudrait être sûr qu’il ne s’agit pas là d’un exemple unique. Vos communications ont su, comme je l’ai déjà signalé, déborder la stricte thématique du colloque, oser des digressions, s’attarder sur des aspects surprenants de la circulation des idées en Europe à l’époque ou solitaires et moniales sont sur les routes de France et de Navarre, des Pays-Bas autrichiens aussi et d’ailleurs pour échapper aux pressions et aux persécutions. Cela nous a valu quelques excursions culturelles, voire gastronomiques, pour un peu touristiques, avec le voyage de Pierre Sartre commenté par Ellen Weaver-Laporte et les trois types de déplacement des « voyageurs de Port-Royal » selon le mot de Jean Lesaulnier. Pour une thématique aussi austère que celle proposée pour ce colloque, vous avez su montrer une inventivité critique remarquable, où ne manquaient ni l’humour pour aborder des choses sérieuses - Merci pour le chocolat ! Massimo Leone -, ni la technicité postale - Anne-Claire Josse-Volongo nous a fait vivre le trajet d’une lettre de Paris à Varsovie -, ni les études bibliothéconomiques - comme dans les recherches de Fabienne Henryot et de Jitka Radimská -, ni le principe de la revue de presse comme étude de la réception du jansénisme, comme l’a exposé entre autres Raymond Baustert, ni la réception du jansénisme par le biais d’œuvres graphiques, étudiées par Christine Gouzi. À l’époque du Roi Soleil, le latin jouissait encore de tout son prestige, nous a dit Juliette Guilbaud, le latin continuant d’assurer l’universalité qui a permis aux idées jansénistes de circuler, malgré le désir des solitaires de se rapprocher du peuple en utilisant la langue vernaculaire. L’œuvre poétique de Louis Racine, à laquelle Sylvain Menant nous a initiés, est peut-être la seule production proprement littéraire générée par le jansénisme au XVIII e siècle, littéraire dans la mesure où elle s’inscrit dans un genre codifié, la poésie didactique et apologétique, aux références intertextuelles et bibliques marquées, sans toutefois - mais c’est un avis personnel - donner lieu à un vrai travail du langage sur le message, ce qui est ma définition personnelle de l’émotion littéraire. Bien entendu, les sujets purement philosophiques ne manquaient pas, illustrés par la question de l’Immaculée Conception, exposée par Annick Delfosse, ou par le difficile compromis entre le prédéterminisme divin et l’expérience humaine du libre arbitre éprouvé par Leibniz, commenté par Hélène Bouchilloux. Le libéral que je suis a néanmoins été sensible à votre façon d’évoquer d’autres questions épineuses que, dans la lignée des Lu- <?page no="343"?> 329 En guise de synthèse mières, j’avais tendance à considérer comme de faux débats, par exemple le culte marial, les miracles, les convulsionnaires, la présence réelle du corps du Christ dans l’eucharistie avec la belle formule vere, realiter, substantialiter, la théologie féministe, et j’en passe. Recontextualisés par vous, ces débats d’un autre temps reprennent de la vigueur et permettent de mieux comprendre l’Ancien Régime. Je vous remercie en particulier de m’avoir fait découvrir un aspect du jansénisme qui m’échappait jusqu’ici : les aspirations à une véritable démocratie ecclésiale, voire des visées républicaines, en tout cas une critique de l’absolutisme monarchique à la française, plus tard le jansénisme des Lumières. J’ai envie de dire que certains jansénistes fondamentalistes pratiquaient une forme d’écologie de la morale, pour ne pas employer la formule dangereuse de sectarisme. Leur statut de victimes de leurs rivaux jésuites et de la crispation idéologique de la fin du règne de Louis XIV - songeons aussi à la révocation de l’édit de Nantes et à l’expulsion des huguenots -, leur statut de victimes, donc, leur confère une sympathie certaine, au même titre, par exemple, qu’aux cathares. La vraie conclusion du colloque, ce n’est évidemment pas votre serviteur, spécialiste du XIX e siècle, qui peut vous la délivrer, mais c’est mon prédécesseur au pupitre d’orateur qui l’a parfaitement présentée : Jean Mesnard. En effet, par quel autre mot rendre compte de l’historicité des courants religieux comme le jansénisme, c’est-à-dire du champ sémantique fluctuant au fil du temps et souvent subjectif, associé à des préjugés et à des modes, que par le terme de mythe ? Oui, il y a un mythe janséniste et un mythe jésuitique, d’ailleurs indissociables et (re)construits au fil des siècles. Il y a eu simultanément, successivement, alternativement plusieurs jansénismes ; en somme, un jansénisme peut en cacher un autre. Sans vous être donné le mot, vous avez presque tous démontré que les grands mouvements religieux en présence et en concurrence, de même que le mouvement des Lumières avaient à leur tête des meneurs de haute volée, des intellectuels de premier ordre, qui travaillaient - on l’a vu sur l’exemple du P. de Feller et de bien d’autres - avec les mêmes méthodes de réflexion et les mêmes figures rhétoriques. Le cas de Feller, que je connais bien pour l’avoir étudié dans ses relations avec Voltaire et les Lumières, a exactement le même goût de la formule, le même sens du mot qui fait mouche que le châtelain des Délices. Pour en revenir à de Feller le jésuite, sachez que dans son ouvrage posthume Itinéraires ou Voyages de M. l’abbé de Feller en diverses parties de l’Europe, en Hongrie, en Transylvanie, en Esclavonie, en Bohême, en Pologne, en Italie, en Suisse, en Allemagne, en France, en Hollande, aux Pays-Bas, au Pays de Liège etc. (Liège & Paris, 1820, 2 t.), il est question de sa visite à l’abbaye d’Orval en 1775. « Le jansénisme y avait été entièrement anéanti », selon l’historien luxembourgeois Alphonse Sprunck. Lui-même avait été suspecté de « ten- <?page no="344"?> Frank Wilhelm 330 dances jansénistes », mais a pu les dissiper 2 . Comme quoi on ne sait jamais être assez prudent face à l’« hérésie ». Laissez-moi terminer mon intervention comme Raymond Baustert avait commencé la sienne en début de colloque : en essayant d’ancrer la thématique de notre manifestation dans un contexte local, luxembourgeois. Ce qui me permet de placer l’épisode suivant, que l’on trouve dans le carnet de voyage de Victor Hugo, le 24 juillet 1871. Il était alors réfugié politique dans le Grand-Duché de Luxembourg et vivait à Vianden, où il a depuis 1935 sa maison-musée littéraire. Comme anticlérical virulent, il était à tort suspecté d’avoir été membre de la Commune de Paris, ce qui est faux, mais il réclamait pour les communards un procès équitable et le droit à la défense. Toujours est-il que le camp catholique luxembourgeois était déchaîné contre lui, il est vrai que les communards avaient fusillé l’archevêque de Paris. Aussi, dans le paisible Vianden, Hugo était-il en très mauvais termes avec l’autorité ecclésiastique, qui le lui rendait bien. D’où la notice suivante dans son carnet : « Le curé de Vianden 3 a dit hier dimanche en chaire : ‹Le diable avait sur la terre trois religions, les Luthéristes, les Calvinistes et les Jansénistes. Maintenant il en a une quatrième, les Hugonistes 4 . » Et voilà donc vos chers « Augustiniens » en illustre compagnie ! Je vous remercie pour votre attention. 2 A. Sprunck, « L’odyssée d’un savant luxembourgeois », Les Cahiers luxembourgeois, 1930, V, p. 487-494, ici p. 491. 3 Ce curé doyen s’appelait Jean-Baptiste Colles. 4 Voir Tony Bourg, Frank Wilhelm, Le Grand-Duché de Luxembourg dans les carnets de Victor Hugo, Luxembourg, RTL éd., [1985], p. 171-172. <?page no="345"?> Biblio 17, 188 (2010) Répertoire des études et des œuvres citées Sont retenus tous les ouvrages cités dans les différentes contributions, exploités par les auteurs ou mentionnés incidemment. Pour les ouvrages dont la date de publication n’a pas été précisée, on a retenu, en principe, l’édition la plus ancienne repérée, ainsi que le nom de lieu et celui de l’éditeur correspondants. Dans quelques cas rares, les coordonnées n’ont pu être établies. Pour la rubrique « Documents antérieurs à 1800 », on notera qu’y figurent les ouvrages antérieurs à l’année 1800, même s’ils ont été consultés dans une édition postérieure à cette année. Les œuvres traduites figurent sous le nom de l’auteur, suivi, entre crochets, du nom du traducteur. Les deux chiffres qui suivent chaque titre permettent de le situer dans le volume des Actes. Le chiffre latin renvoie à la section des Actes, le chiffre arabe à l’article. Les articles mêmes des Actes cités dans la synthèse ne figurent pas dans le Répertoire. R R. Baustert, Remerciements P A. Monhonval, Préface I Diffusion et réception I : voyages et correspondances I, 1 E. Weaver-Laporte, Le Voyage hollandais de Pierre Sartre. I, 2 J. Lesaulnier, Les voyageurs de Port-Royal. I, 3 Anne-Claire Josse-Volongo, Une correspondance franco-polonaise. II Diffusion et réception II : bibliothèques, encyclopédies, écrits polémiques, périodiques II, 1 F. Henryot, Le jansénisme dans les bibliothèques bénédictines de l’espace mosan. II, 2 J. Radimská, Les livres jansénistes dans le milieu aristocratique en Bohême. II, 3 V. Kapp, Le jansénisme - un concept de controverses et controversé dans les Encyclopédies allemandes et italiennes. II, 4 F. Colotte, Les polémiques anti-jansénistes de l’abbé François-Xavier de Feller. II, 5 R. Baustert, Le jansénisme dans un périodique luxembourgeois du XVIII e siècle (…). <?page no="346"?> Répertoire des études et des œuvres citées 332 III Théologie III, 2 V. Alexandrescu, Un exposé roumain de 1667 sur la Présence réelle dans l’Eucharistie. Nicolas le Spathaire, Enchiridion (trad. Alexandrescu). III, 2 S. Menant, Louis Racine : La Grâce. La diffusion européenne d’un manifeste janséniste. III, 3 A. Delfosse, Autour de l’Immaculée Conception : le débat jésuitico-janséniste dans les Pays-Bas méridionaux. IV Philosophie, Morale, Politique IV, 1 H. Bouchilloux, Le jansénisme dans les ‹Essais de Théodicée› de Leibniz. IV, 2 M. Leone, Le jeûne et le chocolat : le rigorisme janséniste en Italie. IV, 3 F. Vanhoorne, Du « Mars Gallicus » aux « Inconvéniens d’Estat » : naissance du jansénisme entre religion et politique. V Langue et Art V, 1 J. Guilbaud, La langue latine dans les éditions jansénistes (XVII e -XVIII e siècles). V, 2 C. Gouzi, De la destruction de Port-RoyaL des Champs à la Révolution française : Les réseaux européens de la gravure d’obédience janséniste. CC J. Mesnard, Conférence de clôture : Mythe janséniste et mythe jésuitique dans l’Europe d’après la Réforme. S F. Wilhelm, Synthèse : Un jansénisme peurt en cacher un autre. Documents antérieurs à 1800 Abbé ***, Dictionnaire des jansénistes, contenant un aperçu historique de leur vie et un examen critique de leurs livre. Par M. l’abbé***, Paris, J.-P. Migne, 1853. II, 4 Actes du 16 juin 1672 concernant Charles-François Airoldi Gand, Rijksarchief, Bisdom, B 900/ 2 publ. par Ceyssens L., Sources, voir ci-dessous Documents postérieurs à 1800 : Ceyssens. III, 3 Airoldi, Carlo-Francesco, Lettre du 5 mars 1672 à Paoluzzo Altieri, Rome, Archivio Segreto Vaticano, Segr. Stato, Fiandra, vol. 61, f. 177-178 publ. par Ceyssens, L., Sources, voir ci-dessous Documents postérieurs à 1800 : Ceyssens. III, 3 Id., Lettre du 14 mai 1672 à Giovanni Bona, III, 3, in Ceyssens, Sources, voir cidessous Documents postérieurs à 1800 : Ceyssens. Albizzi, Francesco, Lettre à Fabio Chigi, 7 novembre 1643, in La correspondance anti-janséniste de Fabio Chigi. IV, 3. Voir aussi ci-dessous : Chigi et Documents postérieurs à 1800 : Legrand-Ceyssens, La correspondance janséniste de Fabio Chigi. Alexandre VII, Sollicitudo omnium ecclesiarum, bulle du 8 décembre 1661, in Bullarium diplomatum et privilegiorum sanctorum romanorum pontificum. Sous la direction d’Aloys Bilio, Turin, A. Vecco et soc., 1869, t. XVI. III, 3 Id., Smi. in Christo Patris, ac D.N.D. Alexandri, divina providentia Papae VII, constitutio, qua continetur formula fidei, ab omnibus ecclesiasticis, tam regularibus, <?page no="347"?> 333 Répertoire des études et des œuvres citées quam secularibus, etiam mon.ialibus subscribenda, de quinque propositionibus ex Cornelii Jansenii libro, cui nomen Augustinus, excerptis, Parisiis, jussu Regis edita per suos typographos ordinarios, 1665 [Formulaire]. III, 3 Allamont, Eugène-Albert d’, Décret du 29 avril 1672 relatif aux mesures prises contre Van Buscum et Gillemans. III, 3, in Ceyssens, Sources, voir Documents postérieurs à 1800 : Ceyssens. Id., Sollicitudo Pastoralis officii & animarum cura, angelicis humeris formidabilis, Gand, 13 juin 1672, publ. par Fr.-X. de Ram III, 3, voir Documents postérieurs à 1800 : Ram. Id., Lettre d’Eugène-Albert d’Allamont au pape Clément X, 20 janvier 1673, Rome, A.S.V., Segr. Stato, Vescovi et Prelati, vol. 59, f. 47-50. III, 3 Altieri, Paoluzzo, Lettre de Paoluzzo Altieri à Carlo Francesco Airoldi, Rome, 4 mars 1673, Rome, A.S.V., Segr. Stato, Fiandra, t. 145, f. 206v-207r. III, 3 Angélique de Saint-Jean, voir ci-dessous : Arnauld d’Andilly. Annat, François, Responses aux Lettres provinciales, II, 1, voir ci-dessous : Nouet, Jacques, Annat, François, de Lingendes, J. Brisacier, Responses aux Lettres provinciales … Année chrétienne L’, voir ci-dessous : Fontaine. Anville, Jean-Baptiste Bourguignon d’, Nécrologie de 1774, Éloge de M. Gravelot, 1774. V, 2 Aristote, Péri herménéias, [Sur l’Interprétation]. IV, 1 Arnauld, Agnès, Mère, Lettres de la Mère Agnès Arnauld, abbesse de Port-Royal. Éditées par P. Faugère et R. Gillet, Paris, B. Duprat, 1858, t. I. I, 2 Arnauld, Antoine, De la fréquente communion où les sentiments des pères, des papes et des Conciles, touchant l’usage des sacremens de pénitence et d’Eucharistie sont fidèlement exposez (…), Paris, A. Vitré, 1643. I, 2 ; I, 3 ; II, 1 ; II, 2 ; II, 4 ; II, 5 : IV, 3 ; V, 1 Id., De Frequenti Communione Liber (…) ab Antonio Arnaldo, (…) gallice primum scriptus et ab eodem latine conversus, Parisiis, apud A. Vitré, 1647, in-4. I, 2 ; V, 1 Id., La Tradition de l’Eglise sur le sujet de la Pénitence et de la Communion, (…) Paris, A. Vitré, 1644. II, 1 ; II, 2 Id., Seconde apologie pour Monsieur Jansenius, eveque d’Ipre & pour la doctrine de S. Augustin expliquée dans son livre, intitulé Augustinus. Contre la response que Monsieur Habert. Theologal de Paris, a faite à la premiere Apologie, & qu’il a intitulée, La Defense de la foy de l’Eglise (…), s.l.n.n., 1645, in Œuvres, Paris et Lausanne, S. d’Arnay, 1778, t. 17. IV, 3 Id. [et Pierre Nicole], Réponse au P. Annat touchant les cinq propositions attribuées à M. l’évêque d’Ypres (…), s.l.n.n., 1654. V, 1 Id., [et Pierre Nicole], Ad P. Annatum (…) responsio, s.l.n.n., 1654. V, 1 Id., [et Claude Lancelot], Grammaire générale et raisonnée contenant les fondements de l’art de parler (…), Paris, P. Le Petit, 1660. V, 1 Id. [et Pierre Nicole], La Logique ou l’Art de penser (…), Paris, Charles Savreux, 1662. II, 2 ; II, 3 ; V, 1 <?page no="348"?> Répertoire des études et des œuvres citées 334 Id., Logica sive ars cogitandi, Leyde, J. Caal, 1682. V, 1 Id., Logica sive ars cogitandi, Utrecht, G. vom de Water, 1700. V, 1 Id., Logica sive ars cogitandi, Halle, F.F. Zeitler, 1704. V, 1 Id., Lettre à Arnauld d’Andilly du 6 mai 1663 IV, 3, in Œuvres, voir ci-dessous : Œuvres de messire Antoine Arnauld, t. I. Id. [et Pierre Nicole], La perpétuité de la foy de l’Eglise catholique touchant l’Eucharistie, Paris, s.n., 1669. II, 1 ; II, 3 ; III, 1 Id., La Nouvelle Défense de la Traduction du Nouveau Testament imprimée à Mons, Contre le livre de M. Mallet, Cologne, 1680. I, 1 Id., le Phantôme du jansénisme, s.l.n.d., 1686. IV, 3 Id., Défense des versions de l’Écriture Sainte. Des offices de l’Église, et des Ouvrages des Pères. Et en particulier de la nouvelle traduction du Bréviaire, contre la Sentence de l’Official de Paris du 10 avril 1688, A Cologne, chez Nicolas Schouten, 1688. I, 1 Id., Œuvres de messire Antoine Arnauld, docteur de la maison et société de Sorbonne, publiées par Gabriel du Pac de Bellegarde et Jean Hautefage, avec la vie de messire Antoine Arnauld, Paris, Lausanne, S. d’Arnay, 1775-1783. IV, 3 Id., La morale pratique des Jésuites, in Œuvres, op. cit., t. 35. III, 3 ; IV, 3 Id. [et Du Cambout de Pontchâteau], La Morale pratique des Jésuites (…) III, 3. Voir ci-dessous : Pontchâteau Arnauld, Marie-Angélique, la Mère Angélique, Lettres de la Révérende Mère Marie- Angélique Arnauld, abbesse et réformatrice de Port-Royal, Utrecht, aux dépens de la Compagnie, 1742-1744. I, 2 ; I, 3 [nombreuses lettres citées à partir de cet ouvrage]. Arnauld d’Andilly, Robert, Traduction d’un discours de la Réformation de l’homme intérieur (…) prononcé par Cornélius Jansénius, Paris, Vve Jean Camusat, 1642. II, 2 Id., Œuvres chrétiennes (6 e éd.), Paris, Vve J. Camusat et P. Le Petit, 1644. II, 2 Id., Lettre du 26 avril 1654, IV, 3, voir ci-dessous Documents postérieurs à 1800 : Jansen, Paule. Arnauld d’Andilly, Sœur Angélique de Saint-Jean, Relation de la captivité de la Mère Angélique de Saint-Jean, religieuse de Port-Royal des Champs, s.l.n.n., 1711. II, 1 Id., Relation de captivité, éd. Louis Cognet, Paris, Gallimard, 1954. I, 2 Arnauld d’Andilly, Sœur Angélique de Saint-Jean, Relation de captivité, éd. Louis Cognet, Paris, Gallimard, 1954. I, 2 Arnauld de Pomponne, Lettre à son père du 26 février 1667, Arsenal, ms. 6037, fol. 59-60v. III, 1 et in Mémoires de Coulanges, voir ci-dessous : Coulanges Arnold, Gottfried, Gottfrid Arnolds Unparteyische Kirchen-und Ketzerhistorie : Vom Anfang des Neuen Testaments bis auff das Jahr Christi 1688, Franckfurt am Mayn, bey Thomas Fritsch, im Jahr 1700. Leipzig-Halle, Johann Heinrich Zedler, 1732-1754. II, 3 Arroy, Besian, Questions décidées sur la justice des armes des rois de France, sur les alliances avec les heretiques ou infidelles et sur la conduite de la conscience des gens de guerre, par M. Besian Arroy, Paris, G. Loison, 1634. IV, 3 <?page no="349"?> 335 Répertoire des études et des œuvres citées Athanase le Grand, Interrogations à Antiochus, [Quaestiones ad Antiochum], PG 28, col. 597-700. III, 1 Augustin, saint, Opera d. Augustini (…) tomis decem comprehensa per theologos lovanienses ex manuscriptis, codicibus multo labore emendata, & ab innumeris erroribus vindicata, illustrata preterea eruditis censuris, & locupletata multis homiliis & aliquot epistolis eiusdem d. Augustini, antea non editis, cum indice tripartito, Antverpiae, ex officina Christophori Plantini, 1576-1577. CC Id., Sermones, 209 [In Quadragesima, 5], PL 38, col. 1047. IV, 2 Id., Confessions. Éd. Ph. Sellier. Traduction de Robert Arnauld d’Andilly, établie par Odette Barenne, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1993. I, 2 Auruccio, Vincenzo, Rituario che tener si deve da quelli, che havendo cura d’anime, desiderano, come buoni pastori, vegliare sopra il grege a loro commesso da Dio, nel comunicar gl’infermi : amministrare il santissimo sacramento della estrema untione : e di raccomodar l’anima. Con l’aggiunta d’un compendio d’orationi, salmi, versetti, & preci (…). Opera utilissima ad ogni fedele, e caritativo cristiano, Rome, per Bartolomeo Zannetti, ad instanza de Pietro Giuliani, all’ insegna del Griffo, éd. de 1611. IV, 2 Ayen, Louis de, voir ci-dessous : Noailles, Louis de. Baius, Michaelis Baii Theologi opera, Cologne, 1691. II, 1 Ballerini, Pietro, Epistolae quatuor theologomorales P.B.P.V. adversus dissertatorem S.J. seu Censura dissertationum quae dictatae fuerunt contra libellum Italice scriptum : Risposta alla Lettera del P. Paolo Segneri della Compagnia di Gesù su la materia del probabile, Venise, typis Dionysii Ramanzini bibliopolae ad S. Thomam, 1734. IV, 2 Bambacari, Cesare Niccolò, Trattato della frequenza della santissima comunione o spirituale, o sacramentale, 2 vol. Lucques, per Domenico Ciuffetti, 1700. IV, 2 Barberini, Francesco, Lettre du 23 juillet 1672 à Eugène-Albert d’Allamont, III, 3, in L. Ceyssens, Sources, voir Documents postérieurs à 1800 : Ceyssens. Barcos, Martin de, Epitome tractatus Gallicani cui titulus : ‹La grandeur de l’Eglise Romaine›, demonstrans autoritatem Ecclesiae romanae fundatam super Petro et Paulo tanquam uno Ecclesiae capite. Latine vertit notasque addidit Joh. Henricus Otto, Bâle, Vve Wagner, 1657. V, 1 Id., Exposition de la foi catholique touchant la grâce et la prédestination, Mons, G. Migeot, 1696. II, 5 Barruel-Beauvert, Comte de, « Vie de J.J. Rousseau, précédée de quelques lettres relatives au même sujet, A Londres et se trouve à Paris, chez tous les marchans de nouveautés », in Année littéraire, N° 34, octobre 1789 (Lettre XXIII). II, 4 Barry, Paul de, le P., Le Paradis ouvert à Philagie par cent dévotions à la Mère de Dieu, Lyon, Vve Cl. Rigaud et Ph. Borde, 1636. III, 3 Basile le Grand, Epîtres Cl, II, 160, 2, P.G. 32, col. 623-624. III, 1 Baudry de Saint-Gilles d’Asson, Antoine, Journal d’un Solitaire de Port-Royal. Éd. par Jean Lesaulnier, Paris, Nolin, coll. Univers de Port-Royal, 2008. I, 2 <?page no="350"?> Répertoire des études et des œuvres citées 336 Bayle, Pierre, article « Jansénius », in Dictionnaire historique et critique, [Rotterdam, Reinier Leer, 1697]. IV, 1 ; article « Poquelin », II, 4 Id., Paris, Gallimard, 1957, t. III. II, 4 Benzi, Bernardino, Dissertatio in casus reservatos Venetae dioceseos, Venise, apud Joannem Mariam Lazzaroni sub signo S. Cajetani, 1743. IV, 2 Bérault-Bercastel, abbé Antoine-Henri de, Histoire de l’Église, par M. l’abbé de Bérault-Bercastel, chanoine honoraire de l’église de Noyen (…), Paris, Moutard, 1778-1790, 24 vol. [A Paris, chez Moutard, à Liège, chez Orval, Demazeaux, 1785]. II, 4 Besoigne, Jérôme, Morale des apôtres ou concorde des Epistres (…), Paris, Veuve Rondet et Labottière, 1747. II, 2 Id., Vies des Quatre Evesques engagées dans la Cause de Port-Royal (…), Cologne, s.n., 1756. II, 5 Bible des théologiens de Louvain, Louvain, Plantin, 1578. V, 1 Bigy, M. l’abbé, Lettre de M. l’abbé Bigy, prêtre François, à l’auteur du Journal, Liege, 23 Nov. 1793, in Journal historique et littéraire [voir ci-dessous : Journal], décembre 1793, p. 587-592. II, 4 Bona, Giovanni, Principia et documenta vitae christianae, Rome, sumptibus Nicolai Angeli Tinassij, 1674. IV, 2 Id., Lettre de Giovanni Bona à Ignace Gillemans du 31 mai 1674, in L. Ceyssens, La seconde période du jansénisme. III, 3, voir Documents postérieurs à 1800 : Ceyssens. Id., Joannis Bona Epistolae selectae aliaeque eruditorum sui temporis virorum ad eumdem scriptae, una cum nonnullis ipsius analectis, collegit, digessit, ordinavit, illustravit Robertus Salsa, Turin, ex typographia regia, 1755 [Lettres à Pierre van Buscum des 9 avril, 3 mai, 17 septembre, 29 octobre 1672, du 26 novembre 1673]. III, 3 ; IV, 2 Bona, Lodoviscio [anagramme de Du Bois], Defensio BV Mariae et piorum cultorum illius contra libellum intitulatum : Monita salutaria BV Mariae ad cultores suos indiscretos et contra epistolam apologeticam pro iisdem, Mayence, Christophe Küchler, 1674. III, 3 Bonneau [Bonnaud], abbé Jacques-Julien, [auteur présumé selon Barbier], Découverte importante sur le vrai système de la constitution du clergé décrétée par l’Assemblée nationale, Paris, Crapart, s.d. II, 4 Bonne-Espérance, François de, voir ci-dessous : François de Bonne-Espérance Bosio, Vincenzo, Lettera ad un nuovo parocco intorno al probabilismo, Padoue, Nella Stamperia del Seminario appresso Giovanni Mandre, 1731. IV, 2 Bougeant, Guillaume Hyacinthe, La Femme docteur ou la Théologie tombée en quenouille, A Liege, chez la veuve Procureur, 1731. II, 3. Voir aussi ci-dessous : Gottsched. Bourgeois, Jean, Journal de M. Bourgeois, docteur de Sorbonne et député de vingt évêques pour la défense du livre de la Fréquente Communion, composé par M. Arnauld, contenant ce qui s’est passé à Rome en 1645 et 1646 pour la justification de ce livre ; avec des lettres des évêques aux papes Urbain VIII et Innocent X et quelques autres pièces sur le même sujet, s.l.n.d. [1695]. I, 2 <?page no="351"?> 337 Répertoire des études et des œuvres citées Bourguignon d’Anville, voir ci-dessus : Anville. Bradwardine, Thomas, De causa Dei contra Pelagium et de virtute causarum, éd. par Sir Henry Savile, Londres, apud I. Billium, 1618. IV, 1 Brancaccio, Francesco Maria, De chocolatis potu diatribe, Rome, per Zachariam Dominicum Acsamitek a Kronenfeld, 1664. IV, 2 Brisacier, Jean de, Responses aux Lettres provinciales (…). II, 1, voir ci-dessous : Nouet. Bullarium diplomatum et privilegiorum sanctorum romanorum pontificum, voir : Documents postérieurs à 1800. Calmet, Dom Augustin, Correspondance, Bibliothèque diocésaine de Nancy, MB 59. II, 1 Calvin, Institutio Religionis Christianae, 1527. IV, 2 Cárdenas, Juan de, Primera parte de los problemas, y secretos maravillosos de la Indias, Mexico, Pedro Ocharte, 1591. IV, 2 Caresme, Jacques-Philippe, frontispice du Balai de Henri Joseph Du Laurens, 1762. V, 2, voir ci-dessous : Du Laurens. Id., dessin de la gravure de C. Schwab Les Faits du Grand Henri, V, 2, voir ci-dessous : Schwab. Id., L’éclipse du 1 er avril 1764 [dessin et gravure à l’occasion de la suppression de la Compagnie de Jésus]. V, 2 Id., Médaillon de Chauvelain. V, 2 Carré de Montgeron, Louis-Basile, La Vérité des miracles opérés à l’intercession de M. de Pâris et autres appelans démontrée contre M. l’archevêque de Sens, t. I ; Continuation des démonstrations (…), t. 2, Utrecht, 1737, Cologne, 1747. V, 2 Cas de conscience, II, 1, voir ci-dessous : Louail. Cassiano Di Sant’Elia, Centum historiarum examen cum sententia definitiva in utroque iure, Bologne, ex Camerali typographia Manolessiana, 1682. IV, 2 Catalogue des estampes qui composent la plus grande partie de l’œuvre de Bernard Picart, Amsterdam, 1734. V, 2 Catalogue des livres de la bibliothèque de la célèbre ex-abbaye de Saint-Jacques à Liège, dont la vente se fera publiquement au plus offrant sur les cloîtres de la dite exabbaye, le 3 mars 1788 et jours suivants, Liège, 1788. II, 1 Catalogue des planches de Bernard Picart, Paris, chez Gaspar Duchange, 1750. V, 2 Catalogue d’une belle partie des planches de cuivre gravées par Bernard Picart lesquelles se vendront à Paris, juin, Amsterdam, 1738. V, 2 Catalogue manuscrit des œuvres de B. Picart du Rijksmuseum, Prentenkabinet, MS C/ R Mo111, ASC, 174*1, 1730 et 1735. V, 2 Catalogus librorum Monasterii Sancti Huberti in Ardenna, anno Domini 1665 conscriptus. Archives État Saint-Hubert, FASH, n° 1537. II, 1. Voir aussi Documents postérieurs à 1800 : Knapen, Luc). Catalogus omnium bibliothecae Monasterii S. Clodulpho de Laïo confectus Mense 1716. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, H 214. II, 1 Catalogus über die in der hochfürstlichen Schwarzenbergischen Bibliotek zu Böhmisch Krumau befindliche in der deutschen, französisch, wälisch, lateinisch und <?page no="352"?> Répertoire des études et des œuvres citées 338 spanischen Sprache bestehenden Bücher, welche anno 1721 errichtet worden, Archives du district de T ř ebo ň , succursale de Č eský Krumlov, ms n° 418, fol. 1-110. II, 2 Catéchisme de la Grâce (ouvrage résumant la pensée de Jansen diffusé par Libert Froidmont). II, 1 Catéchisme de Montpellier [Instructions generales en forme de catechisme (…). Imprimées par ordre de messire Charles Joachim Colbert, évêque de Montpellier (…), Paris, Nicolas Simart, 1731. V, 1 Catherine de Champaigne, Lettre à Philippe de Champaigne du 20 mars 1666 cit. in J. Lesaulnier, « Philippe de Champaigne et Port-Royal. Témoignages », voir Documents postérieurs à 1800 : Lesaulnier, Jean. I, 2 Causa Quesnelliana, II, 1, voir ci-dessous : Précipiano. Caussel, Pierre [Croz, Pierre], Paraphrases sur le Pater. 1. Pour servir de Préparation à la Communion. 2. Pour méditer au pied du Crucifix. 3. Pour les Agonisans (…), Paris, s.n., 1748. II, 2 [Cauvin], Arrest de la Cour du Parnasse Pour les Jesuites. Poëme avec Notes et Figures, A Delphes chez Pagliarini Libraire, Avec Permission et privilège d’Apollon, 1762. V, 2 Ceppi, Nicola Girolamo, La scuola mabillona nella quale si trattano quei studj, che possono convenire agl’ ecclesiastici : con una lista delle principali difficoltà, che si trovano nella lettura de concilij, de Padri, e dell’ istoria. Gia eretta per li pp. benedettini di Francia, & ora aperta a tutti li religiosi d’Italia dal maestro Nicola Girolamo Ceppi, Rome, per Antonio de Rossi, 1701. IV, 2 Charles VI, empereur romain-germanique, Lettre de l’Empereur Charles VI aux Président et membres du Conseil de Sa Majesté à Luxembourg du 7 juillet 1723, manuscrit Archives Nationales de Luxembourg A-XXIII-1. II, 5 Chigi, Fabio, La correspondance anti-janséniste de Fabio Chigi, nonce à Cologne et plus tard pape Alexandre VII, éd. Aimé Legrand et Lucien Ceyssens, Bruxelles et Rome, Institut belge de Rome, 1957. [Lettre à Francesco Barberini, 25 mai 1641]. IV, 3 Christliche Sittenlehre, II, 2, voir ci-dessous : Pictet. Chrysostome, voir ci-dessous : Jean Chrysostome. Ciaffoni, Bernardino, Apologia in favore de Santi Padri contre quelli, che nelle materie morali fanno de’ medesimi poca stima, Bassano, per Gio. Antonio Remondinj, 1696. IV, 2 Cicéron, De Fato, 44 av. J.-C. IV, 1 Clef du Cabinet des Princes de l’Europe, Ou Recuëil Historique & Politique sur les matieres du temps, La 1704-1794 [t. II, mai 1705 ; t. III, septembre, octobre 1705 ; t. IV, juin 1706 ; t. V, octobre 1706 ; t. VII, septembre, décembre 1707 ; t. IX, août 1708, octobre 1708 ; t. X, mars, juin 1709 ; t. XI, novembre 1709 ; t. XII, mai, juin 1710 ; t. XIV, juin 1711 ; t. XV, août, novembre 1711 ; t. XVII, juillet, novembre 1712 t. XIX, novembre 1713 ; t. XXIV, février 1716 ; t. XXV, juillet, août 1716 ; t. LXXIX, août 1743. II, 2 ; II, 4 (mention générale) ; II, 5 <?page no="353"?> 339 Répertoire des études et des œuvres citées Clément IX, Bref contre le Rituel d’Alet, II, 5, voir Documents postérieurs à 1800 : Guéranger. Clément XI, Vineam Domini Sabaoth, bulle du 16 juillet 1705. II, 2 ; II, 4 Id., Unigenitus Dei Filius, bulle du 8 septembre 1713. I, 1 ; II, 1 ; II, 4 ; II,5 ; III, 2 ; S Colmenero de Ledesma, Antonio, Curioso tratado de la naturaleza y calidad del chocolate : dividido en quatro puntos (…) por (…) Antonio Colmenero de Ledesma, Madrid, por Francisco Martinez, 1631. IV, 2 Id., [trad. italienne Vitrioli Alessandro], Della ciccolata discorso diviso in quattro parti d’Antonio Colmenero Ledesma (…) tradotto dalla lingua spagnuola nell’ italiana, con aggiunta d’alcune annotazioni da Alessandro Vitrioli, Rome, nella stamparia della R. C. A, 1667. IV, 2. Voir aussi Documents postérieurs à 1800 : Paltrinieri. Colonia, Dominique de [Joan Solerius de], Bibliothèque janséniste ou Catalogue alphabétique des principaux livres jansénistes ou suspects de jansénisme qui ont paru depuis la naissance de cette Hérésie, avec des notes critiques sur les véritables auteurs de ces livres, sur les erreurs qui y sont contenues & sur les condamnations qui ont été faites par le Saint Siége, ou par l’Eglise Gallicane, ou par les Evêques Diocesains,2 e éd., s.l.n.n., 1731. II, 2 Colonia, Dominique, Patouillet, Louis, Dictionnaire des livres jansénistes, ou qui favorisent le jansénisme, Anvers, J.-B. Verdussen, 1752-1755, 4 vol. II, 1 Concina, Daniele, Memorie storiche sopra l’uso della cioccolata in tempo di digiuno, esposte in una lettera a monsign. illustriss., e revenrendiss., arcivescovo N.N., Venise, appresso Simone Occhi, 1748. IV, 2 Id., Theologia christiana dogmatico-moralis, Rome, prostant venales Venetiis, apud Simonem Orchi, 1749-1751, 10 vol. IV, 2 Conseil suprême de Flandre, pièces relatives au combat contre le jansénisme aux Pays-Bas, III, 3, voir Documents postérieurs à 1800 : L. Ceyssens, Sources et ci-dessous : Correspondance de la Cour d’Espagne sur les affaires des Pays-Bas au XVII e siècle. Constitutions du monastère de Port-Royal du Saint-Sacrement. Éd. par Véronique Alemany et Jean Lesaulnier, Paris, Nolin, coll. Univers de Port-Royal, 2004. I, 2 Corneille, Pierre, Théâtre de Pierre Corneille (…), Genève, Cramer, (éd. de Voltaire), 1764. V, 2 Correspondance de la Cour d’Espagne sur les affaires des Pays-Bas au XVII e siècle. Recueil commencé par Henri Lonchay (…) et continué par Joseph Cuvelier ; avec la collaboration de Joseph Lefèvre, t. V : Précis de la correspondance de Charles II, 1665-1700, Bruxelles, M. Lamertin, 1935. III, 3 Coulanges, Philippe-Émmanuel de, Mémoires de M. de Coulanges, suivis de Lettres inédites de Mme de Sévigné, de son fils, de l’Abbé de Coulanges, d’Arnauld d’Andilly, d’Arnauld de Pomponne, de Jean de La Fontaine et d’autres personnages du même siècle. Publiés par M. de Monmerqué, Paris, J.-J. Blaise, 1820. III, 1 Courteille, N., Monument de la piété d’un grand Roi et tout ensemble de la félonie des Jésuites, 1761 [gravure dans les Figures historiques, voir ci-dessous Figures historiques]. V, 2 <?page no="354"?> Répertoire des études et des œuvres citées 340 Crayen, Auguste, Catalogue raisonné de l’œuvre de feu Georges-Frédéric Schmidt, graveur du roi de Prusse, Londres [? ], Leipzig [? ] s.n., 1789. V, 2 Créquy, Madame de, Souvenirs de Mme de Créquy [par Cousin de Courchamps], Paris, Garnier Frères, 1873, t. III. III, 2 Cuvelier, Joseph, voir ci-dessous : Lonchay, Henri, Cuvelier, Joseph, Lefèvre, Joseph, Correspondance de la Cour d’Espagne … Da Bergamo, Gaetano Maria, Riflessioni sopra l’opinione probabile per i casi della coscienza nella teologia morale opera teologico-ascetica divisa in due parti, 2 vol., Brescia, dalle stampe di Giam-Batista Bossino, 1739. IV, 2 De Benedictis, Giovanni Battista, La Scimia dal Montalto cioe un libricciuolo intitolato Apologia in favore de Santi Padri contra quelli, che in materie morali fanno de’ medesimi poca stima, convinto di falsita da Francisco de Bonis sacerdote, Graz, alla instanza dell’ Autore, 1698. IV, 2 Debonnaire, Louis, La Religion chrétienne méditée dans le véritable esprit (…). T. 1-4, Paris, P. Prault, 1763. II, 2 Déclaration de Son Éminence le cardinal-archevêque de Malines, IV, 3, voir ci-dessous : Franckenberg. Découverte importante sur le vrai systême de la constitution du clergé. II, 4, voir cidessus : Bonneau. [Défense de la théologie. II, 4] Delcourt, Adrien, Le faux Arnauld ou recueil des écrits publiés contre la fourberie de Douay, s.l.n.n.n.d., 1693. II, 1 Dictionnaire des livres jansénistes. II, 2, voir ci-dessus : Colonia. Diderot, D’Alembert, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers Par une Société de Gens de Lettres, Paris, Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand, 1751-1772. II, 3 Di Sant’Elia, voir ci-dessus : Cassiano di Sant’Elia. Diverses pièces touchant le séminaire de Liège et la doctrine des Jésuites anglois, que le Prince Joseph Clément substitue aux professeurs séculiers. Recueil factice constitué par les religieux du Collège des Jésuites de Liège. II, 1 Dossiers des étrangers à l’Arsenal, Archives de la Bastille, Ms Bastille 10283 (1725- 1729 ; 10284 (1730) ; 10826 (1732-1740) ; 10287 (1741-1743). V, 2 Doyen Barthélemy, Vie de Monsieur de Pâris, diacre du diocese de Paris, s.l.n.n., 1731. V, 2 Id., La Vie de Monsieur de Paris, diacre, Bruxelles, Foppens, 1721 [pour 1731]. V, 2 Id. (attribué), Vie de monsieur de Pâris, diacre, Utrecht, Corneille Guillaume Le Febvre, 1732. II, 1 Id., Vie du Bienheureux François de Paris, diacre du Diocèse de Paris. Nouvelle édition augmentée de plusieurs faits qui ne se trouvent dans aucune des précédentes, s.n.n.l., 1738. V, 2 Id., Vie de M. de Pâris, diacre du diocèse de Paris, en France, s.n., 1788. V, 2 Du Bois, Nicolas, Nicolai Du Bois (…) ad quadraginta quinque propositiones in praxi perniciosas et nuper damnatas ac quasdam censuras, tractatus duo (…), Lovanii, apud P. Sassenum, 1666. II, 1 <?page no="355"?> 341 Répertoire des études et des œuvres citées Id., Examen Motivi iuris pro RR. Admodum DD. Ignatio Gillemans et Petro van Buscum S.T.L.L. exemptae Ecclesiae Cathedralis S. Bavonis Gandavi Canonicis, & respective Archipresb. Ac Poenitentiar. Appellantibus in causa pendente coram Illustrissimo ac Reverendissimo Domino D. Episcopo Brugensi contra Decretum Illustrissimi ac Revenrendissimi Domini D. Episcopi Gandensis, emanatum 29 aprilis 1672. In quo una refelluntur responsiones D. Nicolai Du Bois, theol. & iuris cons. SS. Litterarum Profess. Primarii pro justificatione processus eiusdem D. Ep. Gand., Malines, Gisbert Lints, 1672. III, 3 Id., Justificatio processus Eugeni Alberti, Gandensis episcopi, in causa Ignatii Gillemans S.T.L. Archipresbyteri et Petri van Buscum Poenitentiari, qui de immaculata conceptione B. Mariae Virginis minus recte sentire visi sunt, s.n.n.l.n.d. III, 3 Voir aussi ci-dessus : Bona Lodoviscio. Ducreux, Gabriel-Marin, abbé, Les siecles chrétiens, ou histoire du christianisme dans son établissement & ses progrès. Par l’abbé Mr. Ducreux, Paris, Moutard, 1775-1777, (9 vol.). II, 4 Du Fossé, Thomas, Mémoires. Éd. par F. Bouquet, Rouen, Ch. Métérie, 1876-1879, 4 vol. I, 2 Duguet, Jacques-Joseph, Traitez sur la prière publique et sur les dispositions pour offrir les SS. Mystères et y participer avec fruit, Paris, J. Estienne, 1707. I, 1 ; II, 1 Id., Traité de la prière publique, Bruxelles, F. Foppens, 1708. II, 1 Id., Lettres spirituelles sur divers sujets de morale et de piété, Paris, Jean Estienne, 1708. II, 1 Id., Règles pour l’intelligence des Saintes-Écritures. Avec une préface par l’abbé J.-V. d’Asfeld, Paris, J. Estienne, 1716. I, 1 Id., Explications des qualités ou des caractères que saint Paul donne à la charité (…), Paris, Jean Estienne, 1717. II, 1 Id., Traité sur les scrupules (…), Paris, Jean Estienne, 1717. II, 1 Id., Traités des Scrupules, de leurs causes (…), Paris, J. Estienne, 1718. II, 1 ; II, 2 Id., Explications des qualités ou des caractères que saint Paul donne à la charité, Bruxelles, s.n., 1735. II, 1 Du Laurens, Henri-Joseph, Les Jésuitiques, enrichies de notes curieuses pour servir à l’intelligence de cet ouvrage, Rome, aux dépens du Général, 1761. V, 2 Id., Les Jésuitiques et autres prières, En Vauceron, 1762. V, 2 Id., Le Balai, poème héroïco-comique en XVIII chants, Constantinople, imprimerie du Mouphti, 1762. V, 2 Id., Figures historiques, voir ci-dessous: Figures hist. Dupac de Bellegarde, Gabriel, Lettre à Clément du Tremblay du 28 avril 1783, Bibliothèque de l’Arsenal, ms. 4986, fol. 22r. V, 1 Durban, Antoine, Lettre d’Antoine Durban à Luc d’Achery, Rome, 20-25 juin 1672, III, 3, in G. Charvin « La correspondance des procureurs généraux … », voir Documents postérieurs à 1800 : Charvin. Id., Lettre d’Antoine Durban à Luc d’Achery, Rome, 11 octobre 1672. III, 3, voir Documents postérieurs à 1800 : Charvin. Dusault, Jean-Paul, Entretiens avec Jésus-Christ dans le Très-Saint Sacrement de l’Autel, Paris, 1771. II, 2 <?page no="356"?> Répertoire des études et des œuvres citées 342 Du Vaucel, Louis- Paul, voir ci-dessous : Lefebvre de Saint-Marc, Antoine, (…) Du Vaucel, Louis-Paul. Duvergier de Hauranne, Jean-Ambroise, abbé de Saint-Cyran, Petri Aurelii theologi [J. Duvergier de Hauranne, necnon et Martini de Barcos] opera, (…), Parisiis, excudebat A. Vitray, 1642. II, 4 Id., Lettres chrestiennes et spirituelles de messire Jean Du Verger de Hauranne, abbé de St Cyran [publiées par Arnauld d’Andilly], 5 e édition, Paris, J. Le Mire, 1648. II, 2 Id., Théologie familière (…), 10 e édition. II, 2 Écriture : regroupement selon l’ordre biblique des textes scripturaires donnés sans référence à un traducteur ou à une édition précise : Ancien Testament Pentateuque CC Genèse III, 1 ; III, 2 ; CC Lévitique I, 1 Deutéronome III, 1 Livres historiques Livre d’Esdras (AT) III, 1 Premier Livre de Samuel IV, 1 Livre d’Esdras III, 1 Livres poétiques et sapientiaux Psaume CXXVIII III, 1 Proverbes de Salomon III, 1 Nouveau Testament Nouveau Testament III, 2 Évangiles CC Actes des Apôtres III, 1 Épîtres de saint Paul II, 2 Épître aux Romains III, 1 Première épître aux Corinthiens III, 1 Première et Deuxième épîtres à Timothée III, 1 Épître à Tite III, 1 Eggenberg, Marie Ernestine d’, Espistolen des Weltweisen Annaei Senecae, II, 2, voir ci-dessous : Sénèque. Épiphane de Salamine, Panarion/ Adversus Haereses. III, 1 Estampes, B.N.F., collection Qb1, fol. Histoire de France. V, 2 Estrix, Gilles d’, Decertatio historico-theologica pro mente Concilii Tridentini de vi attritionis sine amore amicitiae in sacramento comprobata nuper ex historia concilii nunc etiam enervatis vindiciis suppositae veritatis et caritatis confirmanda ac stabilienda, Malines, Gisbert Lints, 1669. III, 3 Id., Confutatio suppositae Veritatis et caritatis nihilo plus sperantis ex historia Concilii Tridentini quam ex incolumitate doctrinae de contritionis perfectae necessitate ad sacramentum poenitentiae, Malines, Gisbert Lints, 1670. III, 3 <?page no="357"?> 343 Répertoire des études et des œuvres citées Id., Apologia pro summis pontificibus romanis, generalibus conciliis & ecclesia catholica contra D. Petri van Buscum S.T.L. Eccl. Cath. S. Bavonis Can. ; & Poenitentiarii Instructionem ad Tyronem theologum de metodo teologica octo regulis perstricta eiusdemque instructionis defensionem, et vindicias, Anvers, Michel Cnobbaert, 1672. III, 3 Id., Diatriba theologica de Sapientia Dei Beneficia Optimo Mundi Architecta & Gubernatrice optima. De Sapientia Dei Verace, Ecclesiae in Mundo militantis Moderatrice, & Magistra sive Manuductio ad fidem divinam pervestigandam, confirmandam, expoliendam ; asserta potissimum Authoritate Romani Pontificis, eaque nulli obnoxia errori etiam in quaestione facti vulga dicta, Anvers, Michel Cnobbaert, 1672. III, 3 Falconieri, Ottavio, Lettre d’Ottavio Falconieri à Paoluzzo Altieri, Bruxelles, 2 décembre 1673, Rome, Archivio Segreto Vaticano, Segr. Stato, Fiandra, vol. 59, f. 327 r-v. III, 3, in Ceyssens, La seconde période (…), voir Documents postérieurs à 1800 : Ceyssens. Feller, François-Xavier de, SJ, Catéchisme philosophique ou Recueil d’observations propres à défendre la religion chrétienne contre ses ennemis. Ouvrage utile à tous ceux qui cherchent à se garantir de la contagion de l’Incrédulité moderne, & sur-tout aux Ecclésiastiques chargés de conserver le précieux dépôt de la Foi. Par M. Flexier de Reval, Liège, J.F. Bassompierre, Bruxelles, Van den Berghen, 1787, 3 vol. II, 4 Id., Journal historique et littéraire, Luxembourg, chez les héritiers d’André Chevalier, 1 ier août 1773-1 ier février1788, 15 février 1788-1 ier juillet 1794, Maestricht, François Cavelier, 61 vol. II, 4 Id., Voyages de M. l’abbé de Feller en diverses parties de l’Europe, en Hongrie, en Transylvanie, en Esclavonie, en Bohême, en Pologne, en Italie, en Suisse, en Allemagne, en France, en Hollande, aux Pays-Bas, au pays de Liège etc., Liège, Lemarié, Paris, Delalain, 1820, 2 vol. (posthumes). S Id., Mélanges de politique, de morale et de littérature extraits des journaux de M. l’abbé de Feller, Louvain, Valinhout et Vandenzande, 1822-1824, 4 vol. II, 4 Id., Cours de morale chrétienne et de littérature religieuse par l’abbé de Feller, auteur du dictionnaire historique, Paris, Amable Costes, 1826, 5 vol. II, 4 Id., Dictionnaire historique ou histoire abrégée des hommes qui se sont fait un nom par leur génie, leurs talents, leurs vertus, leurs erreurs ou leurs crimes, depuis le commencement du monde jusqu’à nos jours, Paris, Méquignon-Havard, 7 e édition [1 ière éd. du t. I : 1781], 1827, 17 vol. II, 4 Id., article « Montazet, Antoine Malvin de », in Biographie universelle, ou Dictionnaire historique des hommes qui se sont fait un nom par leur génie, leurs talents, leurs vertus, leurs erreurs ou leurs crimes, Paris, Gaume Frères, t. 6, 1849, p. 70-71. II, 4 Fénelon, Explication des maximes des saints, 1696. II, 5 Id., Les Aventures de Télémaque, Paris, Imprimerie de Monsieur, 1785, 3 vol. V, 2 Feydeau, Matthieu, Méditations des principales obligations du chrestien, tirées de la Sainte Écriture, des Conciles et des Pères, Paris, J. Le Mire, 1649. II, 2 <?page no="358"?> Répertoire des études et des œuvres citées 344 Id., Mémoires inédits de Matthieu Feydeau, curé de Vitry-le-François (25 mai 1669-3 juin 1676), commentés par une relation contemporaine. Éd. par Ernest Jovy, Vitry-le-François, impr. J. Denis, 1905. I, 2 Id., Cateschisme de la Grace, s.l.n.n.n.d. II, 2 Figures historiques, symboliques et tragiques pour servir à l’histoire du XVIII e siècle, Amsterdam, Ray et Iver, 1762, B.N.F., département des Estampes, QZ-241-4 ; Réserve des Imprimés, Smith Lesouef R-1104 ; Arsenal, 4-H-6264. V, 2 Fontaine, Nicolas, voir ci-dessous : Le Maistre de Sacy, Bible de Royaumont. II, 1 ; II, 2 ; V, 1 Id., L’Année chrétienne contenant des réflexions pour tous les dimanches & les principales festes de l’année. Tirée de l’Ecriture & des SS. Peres. Première [- troisieme partie], Paris, en la maison d’Antoine Vitré, chez Lambert Roulland, 1677. II, 2 Fontaine, portrait de Monseigneur de Caylus, évêque d’Auxerre, V, 2, voir ci-dessous : Schmidt, Friedrich, Georg. Foppens, Jean-François, Bibliotheca Belgica, sive virorum in Belgio vita, scriptisque illustrium catalogus, librorum nomenclatura, Bruxelles, Pierre Foppens, 1739, vol. 2. III, 3 Fouillou, Jacques, Défense de tous les théologiens, et en particulier des disciples de S. Augustin, contre l’ordonnance de M. l’évêque de Chartres, du 3 août 1703, s.l.n.n., 1704. II, 5 Id., Lettre de l’Auteur de la défense des Theologiens à Mr. L’Evêque de Belley sur son Mandement de Juillet 1706. II, 5 Franckenberg, Jean-Henri Ferdinand de, Déclaration de Son Eminence le cardinal-archevêque de Malines, sur l’enseignement du Séminaire-général de Louvain, avec l’examen doctrinal des sentimens des professeurs & des livres classiques de cette nouvelle institution. II, 4 François, Guillaume, (auteur supposé), Lettre à Clément XI pour dénoncer la condamnation du Nouveau Testament de Quesnel. II, 5 François de Bonne-Espérance, O. Carm., Christi Fidelium parochiale apologeticum, Malines, Gisbert Lints, 1667. III, 3 Id., Christi Fidelium contrionale, Malines, Gisbert Lints, 1667. III, 3 Id., Clypeus contrionalis, Anvers, M. Parys, 1670. III, 3 Id., Examen theologicum super regulis octo ex Instructione R. Adm. D. Petri van Buscum, et hujus ab eodem Defensione, Bruxelles, Henri Fricx, 1672. III, 3 Id., Lettre à Séraphin de Jésus-Marie, O. Carm., Gand, 28 mai 1672. III, 3, in Ceyssens, Sources, op. cit. Voir Documents postérieurs à 1800 : Ceyssens. Gallia Christiana (…), Paris, Victor Palmé, 1870, t. I, t. IV, (premières éditions au XVII e siècle). II, 5 Gazette d’Amsterdam. V, 2 Genet, François, Théologie morale (dite de Grenoble), ou Résolution des cas de conscience, selon l’Écriture Sainte, les Canons et les SS. Pères (par François Genet), Paris, s.n., 1676, 6 vol. II, 1 <?page no="359"?> 345 Répertoire des études et des œuvres citées Gerberon, Dom G., Le Miroir de la piété chrétienne où l’on considère (…) l’enchaînement des veritez catholiques (…) par Flore de S. Foy [Dom G. Gerberon], Liège, Bonard, 1676. II, 2 Gillemans, Ignace, Van Buscum, Pierre, Motivum iuris pro RR. Admodum DD. Ignatio Gillemans & Petro van Buscum, S.T.L. exemptae Ecclesiae Cathedralis S. Bavonis Gandavi canonicis & respective archipraesbitero ac poenitentiario, appellantibus in causa pendente coram Illustrissimo ac Reverendissimo Domino Episcopo Brugensi, deputato apostolico contra Decretum Illustrissimi ac Reverendissimi Domini Episcopi Gandensis emanatum 29 aprilis 1672. In quo una refelluntur Responsiones Domini Nicolai Du Bois theologici et iurisconsulti, SS. Litterarum Professoris primarii pro Iustificatione processus eiusdem D. Ep. Gand., s.l.n.n.d. III, 3 Godonnesche, Nicolas (reexxxed de), Evenemens memorables. Déclaration du Roi. Arrêt du Parlement contre le Schisme. Les sacremens administrés, s.l., Au Législateur pacifique, 1755. V, 2 Gonzague, Louise-Marie de, Lettre à la mère Angélique du 9 octobre 1649. I, 3 Id., Lettre 13 décembre 1649. I, 3 Id., Lettre 24 janvier 1650. I, 3 Gottsched, Luise Adelgunde von, Die Pietisterey im Fischbein-Rocke (…), Rostock, 1736. (Nouvelle édition Die Pietisterey im Fischbein-Rocke. Komödie. Herausgegeben von Wolfgang Martens, Stuttgart, Reclam 2, 1996). II, 3 Goujet, Claude-Pierre, Vie de M. Nicole, in Nicole, Continuation des Essais de Morale, t. XIV, Luxembourg, André Chevalier, 1732. I, 2. Id., Vie de M. de Pâris (…) [par Barthélemy Doyen]. Nouvelle édition augmentée (…), s.l.n.n., 1738. V, 2. Voir aussi ci-dessous : Montampuis et Goujet, Supplément aux Mémoires de Sully. Gourdaine, voir ci-dessous : La Gourdaine. Gratien de Saint-Élie, Lettre de Gratien de Saint Élie O. Carm. A Séraphin de Jésus-Marie, carme à Rome, Gand, 1 er décembre 1673, in L. Ceyssens, « De carmelitana actione antijansenistica…», III, 3, voir Documents postérieurs à 1800 : Ceyssens. Gravelot, Hubert, Les Pèlerins d’Emmaüs [estampe pour la version anglaise des Cérémonies et coutumes religieuses, voir ci-dessous Picart, Bernard]. V, 2 Id., trois gravures illustrant la vie de dom Palafox. V, 2 Id., estampe à la gloire de Chauvelin ~ 1761, B.N.F., Estampes, Qb 1, Fol. Histoire De France, 1759-61, c. microfilm M 97424. V, 2 Id., part. à l’illustr. Du Théâtre de Corneille, Genève, 1764. V, 2 Guidi, Louis, [attribué à] La Religion à l’Assemblée du Clergé de France [frontispice], 1762. V, 2 Id., Nouvelles ecclésiastiques (inter alios). V, 2 Voir aussi Documents postérieurs à 1800 : Catalogue BNF. Habert, Louis, Pratique du sacrement de la Pénitence ou méthode pour l’administrer utilement (…), Blois, impr. de M. Boyer, 1691. II, 1 Id., Défense de l’auteur de la Théologie du séminaire de Châlons [Louis Habert] contre un libellé intitulé : Dénonciation de la théologie de M. Habert adressée à S.E. Mgr <?page no="360"?> Répertoire des études et des œuvres citées 346 le Cardinal de Noailles, archevêque de Paris et à Mgr l’évêque de Châlons-sur- Marne, Paris, É. Billiot, 1711. II, 5 Id., Theologia dogmatica et moralis ad usum Seminarii Catalaunensis, Paris, S. Billiot, 1712, et Compendium de cet ouvrage, (Louvain, 1635 ? ). II, 4 ; CC, II, 1 Id., Theologia dogmatica et moralis ad usum seminarii Catalaunensis, 7 vol., Venise, ex typographia Balleoniana, 1734. IV, 2 Haimb, Johann Heinrich, Schwartzenberga gloriosa sive epitome historica de ortu et gestis gentis Schwartzenbergicae (…), Ratisbonae, S. Bruggmayer, 1708. II, 2 Havelange, Jean Joseph, Ecclesiae infallibilitas in factis doctrinalibus demonstrata et a Jansenianorum impugnationibus vindicata, per Joannem Josephum Havelange (…), s.l., 1788. II, 4 Hellin, Émmanuel-Auguste, Histoire chronologique des évêques, et du chapitre exemt de l’église cathédrale de S. Bavon à Gand ; suivie d’un recueil des épitaphes modernes et anciennes de cette église, Gand, Pierre de Goesin, 1772. III, 3 Henri de Saint-Ignace, Theologia veterum fundamentalis speculativa et moralis ad mentem resoluti (…), Liège, 1677. II, 1 Id., Theologia sanctorum (…), Liège, J.L. de Milst, 1700. II, 1 Id., Ethica amoris sive theologia sanctorum magni praesertim Augustini et Thomae Aquinatis circa universam amoris et morum doctrinam adversus novitius opiniones, Liège, J. François Broncart, 1709. II, 1 Hérault, René de, mémoire pour le cardinal de Fleury sur une estampe de Bernard Picart, Paris, Archives du Ministère des Affaires étrangères, Mémoires et Documents, France, 1260, fol. 184, 185, 186, 16 octobre 1727. V, 2 Hermant, Godefroy, Cateschisme de la Grace, s.l.n.d. (attribué) II, 2 Id, Mémoires sur l’histoire ecclésiastique du XVII e siècle, éd. Augustin Gazier, t. 2, Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1906. IV, 3 Histoire du Siege de Luxembourg par l’Autheur du Mercure galant, Lyon, Thomas Amaulry, 1684. II, 5 Honoré de Sainte-Marie, [traduction latine des Réflexions sur les règles et sur l’usage de la critique, Paris, 1713-1719] Animadversiones in regulas et usum critices, spectantes ad historiam ecclesiae, opera patrum, acta antiquorum martyrum, gesta sanctorum (…) Accedunt notationes historicae, cronologicae, et criticae, Venise, excudebat Franciscus Pitteri, 1738. IV, 2 Horthemels, Madeleine, vues de l’abbaye et gravures de la vie quotidienne des cisterciennes de Port-Royal, Bibliothèque de Port-Royal, de la B.N.F., de la Bibliothèque Sainte-Geneviève. V, 2 Hurtado, Tomaso, Chocolate y tabaco, Ayuno eclesiastico y natural si este le quebrante el chocolate y el tabaco al natural, para la sagrada Comunion, Madrid, por Francisco Garcia, 1645. IV, 2 Id., « De Potione Cocolatica, vel non sumenda in die jeiunii ecclesiastici », in Tractatus Varii Resolutionum Moralium : In quibus multiplices casus ex principiis Theologiae Moralis S. Thomae et (…) Caietani, metodo brevi, risoluta et clara enuncleantur, Louvain, Sumptibus Laurentii Anisson, & Soc., II, 1651. IV, 2 <?page no="361"?> 347 Répertoire des études et des œuvres citées Huygens, Christiaan, Christiani Hugenii a Zulichem (…) Horologium, Hagae Comitum, [La Haye]. Vlacq, 1658. V, 1 Id., Lettre à I. Boulliau, 8 mai 1659, in Pascal, Œuvres complètes, t, IV, éd. Jean Mesnard. Voir ci-dessous : Pascal. V, 1 Huygens, Gommaire, Methodus commitendi ac retinendi peccata (…), Leodii, apud G. Kalcoven, 1686. II, 1 Id., Breves observationes de doctrina sacra et locis theologicis (…), Liège, H. Hoyoux, 1694. II, 1 Id., Responsio Gommari Huygens Lovaniensis (…) ad accusationes contra se allegatas (…), Liège, H. Hoyoux, 1694. II, 1 Index bohemicorum librorum prohibitorum, et corrigendorum ordine alphabeti digestus, Prague, 1770, 3 e éd. posthume de Koniàš, Clavis haeresim claudens et aperiens. Voir ci-dessous : Koniàs. II, 2 Innocent X, Cum occasione, bulle du 31 mai 1653. I, 1 ; I, 2 ; IV, 3 Institutiones theologicae ad usum seminariorum, voir ci-dessous : Juénin. Inventaire du Fonds français, B.N.F., Département des Estampes, t. V, Paris, 1946. Voir Documents postérieurs à 1800 : Roux. Jacques de la Passion, O. Carm., Lettre de Jacques de la Passion, O. Carm., à Séraphin de Jésus-Marie, O. Carm., Malines, 14 juillet 1673, in L. Ceyssens, La seconde période du jansénisme, III, 3, voir Documents postérieurs à 1800 : Ceyssens. Jansen, Cornélius, Lettre de Jansénius à Saint-Cyran du 31 octobre 1631, IV, 3, in J. Orcibal, Les origines du jansénisme (…), voir Documents postérieurs à 1800 : Orcibal. Id., Alexandri Patricii, Amachani, Theologi, Mars Gallicus, seu de justitia armorum et Foederum Regis Galliae libri duo, s.n., Louvain, 1635. IV, 3 ; CC ; S Id., Le Mars françois ou la guerre de France, en laquelle sont examinées les raisons de la justice prétendue des armes et des alliances du Roi de France, s.l.n.n., 1637. I, 2 ; II, 3 ; IV, 3 Id., Cornelii Jansenii Yprensis Episcopi Augustinus seu doctrina Sancti Augustini de humanae naturae sanitate, aegritudine, medicina adversus Pelagianos et Massilienses tribus tomis comprehensa, Paris, 1641. I, 1 ; I, 2 ; II, 1 ; II, 3 ; II, 5 ; IV, 3 ; CC ; S Id., Notarum spongia quibus Alexipharmacum civibus Sylvaeducensibus nuper propinatum aspersit Gisbertus Voetius (…), ed. secunda, Louvain, 1641. IV, 3 Id., Traduction d’un discours de la réformation de l’homme intérieur (…) par Cornélius Jansénius. Voir ci-dessus : Arnauld d’Andilly, Robert Jean Chrysostome, Apologie de la vie monastique, L. II et III, PG 47, col. 310-380. III, 1 Id., Dialogue sur le sacerdoce, in Jean Chrysostome, Sur le sacerdoce, introduction, texte critique, traduction, notes par A.-M. Malingrey, « Sources chrétiennes », 272, Paris, 1980. III, 1 <?page no="362"?> Répertoire des études et des œuvres citées 348 Id., Prière lors de la Communion. III, 1 Id., Typique de la Communion. III, 1 Jean Damascène, De fide orthodoxa, PG 94, col. 781-1228. III, 1 Jesu Christi Monita maxime salutaria de cultu dilectissimae Matris Mariae debitae exhibendo, Douai, Marie Serrurier, 1674. III, 3 Joncoux, Mademoiselle de, voir ci-dessous : Louail et Pascal. Juénin, Gaspard, le P., Institutiones theologicae ad usum seminariorum, (…), Lugduni et vaeneunt Parisiis, J. Anisson, 1694. II, 1 ; II, 5 Jurieu, Pierre, L’Esprit de Monsieur Arnauld, tiré de sa conduite et des écrits de lui et de ses disciples (…), Deventer, chez les héritiers de J. Colombius, 1684. II, 2 Id., Lettres pastorales adressées aux fidèles qui gemissent sous la captivité de Babylone, Rotterdam, A. Acher, 1686 (2 e éd.). II, 2 Katholische Unterweisungen nach der Weise einer Christenlehre (…), Augsburg, Veith, 1779, t. I. V, 1 Koniàš, Antonin, Clavis haeresim claudens et aperiens, Königgrätz, Tybel, 1749. Voir aussi ci-dessus : Index bohemicorum librorum prohibitorum. II, 2 La Chassaigne, Antoine, voir ci-dessous : Le Febvre de Saint-Marc, La Chassaigne, Antoine. Lacman, Jean, Pensées chrétiennes (…), 3 e éd., Louvain, Martin Hullegaerde, 1680. II, 2 Lafiteau, Pierre-François, Histoire de la constitution Unigenitus, par Messire Pierre- François Lafiteau, évêque de Sisteron, ci-devant chargé des affaires du roi auprès du Saint-Siège, Avignon, F. Labaye, 1737-1738, 2 vol. II, 4 La Fontaine, Fables choisies et mises en vers par J. de La Fontaine. Nouvelle édition gravée en taille douce, les figures par le Sr Fressard, le texte par le Sr de Montulay, Paris, l’auteur, 1765, 6 vol. V, 2 La Gourdaine, Jean-Pierre Norblin de, pyramide « érigée (…) en mémoire des divers attentats de jésuites », [gravure insérée dans les Figures historiques, voir ci-dessus Figures historiques]. V, 2 Id., Dessins de costumes polonais gravés par Debucourt. V, 2 Lallemant, Jacques-Philippe, le P., Le véritable esprit des nouveaux disciples de saint Augustin, (nouvelle éd.), Bruxelles, A. Claudinot, 1706. II, 5 Id. (auteur supposé), Dénonciation de la Theologie de M. Habert adressée à Son Eminence Monseigneur le cardinal de Noailles archevêque de Paris, & à Monseigneur l’evêque de Châlons sur Marne, s.l.n.n., 1711. II, 5 Lancelot, Claude [et Le Maistre de Sacy], Jardin des racines grecques, mis en vers françois, avec un traité des prépositions et autres particules indéclinables et un recueil alphabétique des mots françois tirez de la langue grecque, Paris, P. Le Petit, 1657. V, 1 Id. [et Antoine Arnauld], Grammaire générale et raisonnée [1660]. V, 1, voir cidessus : Arnauld, Antoine. <?page no="363"?> 349 Répertoire des études et des œuvres citées Id., Mémoires touchant la vie de M. de Saint-Cyran (…), t. 2, Cologne, aux dépens de la Compagnie, 1738. IV, 3 Id., Relation d’un voyage d’Aleth, contenant des mémoires pour servir à l’histoire de la vie de Messire Nicolas Pavillon, évêque d’Aleth, s.l.n.d. I, 2 La Saincte Biblie traduite du latin en français par les théologiens de l’Université de Louvain. II, 2 Le Febvre de Saint-Marc, Charles-Hugues, La Chassaigne, Antoine de, Du Vaucel, Louis- Paul, Vie de M. Pavillon, évêque d’Alet. Nouvelle édition revûë, corrigée & augmentée, avec la carte du diocèse, Utrecht, aux dépends de la Compagnie, 1739. II, 5 Lefèvre, Joseph, voir ci-dessous : Lonchay, Henri, Cuvelier, Joseph, Lefèvre, Joseph, Correspondance de la Cour d’Espagne … Leibniz, Der Briefwechsel von Gottfried Wilhelm Leibniz mit Mathematikern, éd. C.I. Gerhart, t. I, Berlin, s.n., 1899. V, 1 Id., Essais de théodicée, Paris, Garnier-Flammarion, 1969. IV, 1 Le Maistre, Charles [et autres], Requête de plusieurs docteurs de la Faculté de théologie de Paris, présentée à Messieurs du Parlement pour empêcher l’examen de la Seconde Lettre de M. Arnauld. I, 1 Id., Relation de mon voyage de Flandre, de Hollande et de Zélande fait en mil six cent quatre-vingt et un. Texte établi et annoté par Gilbert Van de Louw avec Préface de René Taveneaux, Besançon, Impr. de la Faculté des Lettres/ Paris, Belles Lettres, 1978. I, 1 ; I, 2 Id., Voyage en Allemagne, Hongrie et Italie, 1664-1665, éd. Patricia et Orest Ranum, Paris, 2003. I, 2 Le Maistre de Sacy, Isaac-Louis, Cantique des cantiques traduit en françois avec une explication tirée des saints Pères & des auteurs ecclésiastiques, Paris, Guillaume Desprez, 1629 (? )-1708. II, 1 Id., Epistres catholiques traduites en françois avec une explication tirée des saints Pères & des auteurs ecclésiastiques, Paris, Guillaume Desprez, 1629 (? )-1708. II, 1 Id., [et Claude Lancelot], Le Jardin des racines grecques, [1657], V, 1, voir ci-dessus : Lancelot, Claude. Id. [et Antoine Arnauld], Le Nouveau Testament de Nostre Seigneur Jesus-Christ, [dit le Testament de Mons], Paris, Gaspard Migeot, 1667. I, 1 ; II, 1 ; III, 3 ; V, 1 Id., [et Nicolas Fontaine], L’Histoire du Vieux et du Nouveau Testament, représentée avec des figures et des explications édifiantes tirées des SS. PP. (…) par le sieur de Royaumont, prieur de Somberval, Paris, P. Le Petit, 1670. II, 1 ; II, 2 ; V, 1 Id., Les Proverbes de Salomon (…) avec une explication tirée des SS. Pères et des auteurs ecclésiastiques, Paris, Veuve de Charles Savreux, 1672. V, 1 Id., Job traduit en françois. Avec une explication tirée des saints Pères, & des auteurs ecclésiastiques, Paris, Guillaume Desprez, 1688. II, 1 Id., Pseaumes de David traduits en françois. Avec une explication tirée des Saints Peres, & autres auteurs ecclésiastiques, Paris, Guillaume Desprez, 1689. II, 1 ; II, 2 Id., L’Apocalypse traduite en françois, (…) avec une explication tirée des SS. Peres & autres auteurs ecclésiastiques, Paris, Guillaume Desprez, 1702. II, 1 <?page no="364"?> Répertoire des études et des œuvres citées 350 Id., Die Epistel S. Pauli an die Römer, Mit ihrer Auslegung, so wohls des Wort-Verstands, als auch der Worte geistlicher und geheimer Bedeutung, Aus denen Heiligen Vättern und andern Kirchen-Lehrern gezogen. Durch Den Herrn De Sacy. Nun aber aus dem Frantzösischen in das Teutsche übersetzt, o.O. (Lysá), 1720. II, 2 Lemos, Thomas de, Acta omnia Congregationum ac disputationum que coram Clemente VIII et Paulo V sunt celebratae in causa et controversia de auxiliis divinaeque gratiae, Louvain, A. Denique, 1702. II, 1 Le Nouveau Testament de Notre Seigneur Jesus-Christ, traduit en françois selon l’édition Vulgate, avec les différences du grec, Mons, Gaspard Migeot, 1667 [i.e. Amsterdam, D. Elzevier]. II, 2 ; III, 3 León Pinelo, Antonio de, Question moral : si el chocolate quebranta el ayuno eclesiastico : tratase de otras bebidas i confecciones que usan en varias provincias, Madrid, por la vidua de Iuan Gonçalez, 1636. IV, 2 Leonardi, Thomas, O.P., Angelici doctoris D. Thomae Aquinatis sententia de prima hominis institutione, eius per peccatum corruptione, illiusque per Christum reparatione, tribus libris comprehendens, adversus Joannem Georgium Dorschaeum, doctorem lutheranum, Bruxelles, Balthasar Vivien, 1661. III, 3 Lessius, Léonard, De Gratia efficaci, decretis divinis, libertate arbitrii et praescientia Dei conditionata, disputatio apologetica Leonardi Lessii (…), Anvers, ex officina plantiniana, apud J. Moretum, 1610. II, 1 Le Tourneux, Nicolas, De la meilleure manière d’entendre la sainte messe (…), Paris, L. Roulland et H. Josset, 1680. I, 1 Id., [trad. Sporck] Das Christliche Jahr : Oder die Episteln und Evangelien, Auf die Sonn- Gemeine-Ferial-und Fest-Täge des gantzen Jahrs, Sambt dererselben Auslegung, In gebundener und ungebundener Rede. Wie auch Einem kurtzen Begriff des Lebens von denen Heiligen derer Gedächtnis begangen wird. Aus dem Frantzösischen in die Teutsche Sprach übersetzt. Und Durchgehends mit Kuppfern gezieret, Prag, Labaun, 17XX (Prag, Wessely). II, 2 Id., L’année chrétienne, contenant les messes des dimanches (…), t. 1-13, Paris, De Hansy, Savoye, le Prieur, Vve Thibout, 1757. II, 2 Lettre de Wurtzbourg sur les faits dogmatiques & sur l’autorité de l’Eglise en cette matiere. II, 4 L’Exercice de la constance chrestienne, Prague, 1707. Ouvrage mis sous presse par le comte Sporck, Č . Krumlov Schlossbibl., cote 38. II, 2 Leydecker, Melchior, De historia jansenismi libri VI. Quibus Jansenii vita et morte, nec non de ipsius & sequacium dogmatibus disseritur, Halma, Trajecti Rhenum, 1695. II, 3 Lingendes, Claude de, Responses aux lettres provinciales (…). II, 1, voir ci-dessous : Nouet. Louail, Jean et Joncoux, Françoise de, Histoire du cas de conscience signé par quarante docteurs de Sorbonne (…), Nancy, Jean Nicolai, 1705-1711. II, 1 Louis de France, duc de Bourgogne, Mémoire de Monseigneur le Dauphin pour Nostre Saint-Père le Pape, imprimé par ordre exprès de Sa Majesté, Paris, Imprimerie royale, 1712. II, 5 <?page no="365"?> 351 Répertoire des études et des œuvres citées Lucchesini, Giovanni Lorenzo, Polemica historia Jansenismi contexta ex bullis, & brevibus pontificiis, literis Cleri Gallicani, Sorbonae decretis, aliisque authenticis actis, quae omnia, nullo adempto verbo, dantur in fine voluminis : in quo statuitur judicandum esse infallibili actu fidei divinae, quod in Jansenii libro sensus, & doctrina haeretica contineatur, Rome, typis Georgii Plachi, 1711. IV, 2 Lucien, de Samosate, Hercule, in Œuvres complètes de Lucien de Samosate. Traduction nouvelle avec une introduction et des notes, par Eugène Talbot, Paris, Hachette, 1912. III, 1 Mallet, Charles, De la Lecture de l’Écriture Sainte en langue vulgaire, par M. Charles Mallet, Rouen, É. Viret, 1679. I, 1 Manchi, Ambrogio, De superno adjutorio innocenti creaturae necessario et praecipue commenta dissipantur libri cujus titulus D. Augustinus D. Thomae (…), Naples, apud Josephum Antonium Elia, 1770. IV, 2 Marandé, Léonard de, Le philosophe chrétien, 1639. IV, 3 Id., Le Théologien français (…), Paris, M. Soly, 1646 (2 ième éd. 1 ière éd. : 1641). IV, 3 Id., La Clef ou Abbrégé de la ‹Somme› de S. Thomas (…) par le Sr de Marandé, Paris, M. Soly, 1649. IV, 3 Id., Inconvénients du jansénisme, adressez à Mr Arnauld, par le sieur de Marandé, (…), Paris, S. et G. Cramoisy, 1653. IV, 3 Id., Inconvéniens d’Estat procédans du jansénisme, Paris, Sébastien et Gabriel Cramoisy, 1654. IV, 3 Id., Discours à la France. II, 4 Marescotti, Galeazzo, Mémoire au roi d’Espagne sur le jansénisme, Archives générales du Royaume, Conseil d’État, vol. 929 ; Rome, Archivio Segreto Vaticano, Nunziatura di Fiandra, vol. 205, non fol. III, 3, résumé [in Ceyssens, Sources, voir : Documents postérieurs à 1800]. Marinari, Antonio, In materia de gratia verus Augustinus, adversus opus cujus titulus est : Augustinus Cornelii Jansenii, episcopi Iprensis, Rome, M. Herculis, 1669-1679. IV, 2 Marolles, Michel de, Mémoires (1605-1656), Paris, Sommaville, 1656-1657. I, 3 Marracci, Ippolito, O.S.M., Instructio falsa circa definitionem mysterii Conceptionis Immaculatae Deiparae Virginis Mariae, vera instructione confutata, seu opusculum in quo contra instructionem D. Petri van Buschum, sacrae Theologiae licentiati et Ecclesiae cathedralis Sancti Bavonis Gandavi canonici, et poenitentiari in suo libello praenotato ; « Instructio ad Tyronem Theologum de methodo theologico octo regulis restricta », Gandavi, 1672, falso Tyronem suum docentis mysterium Immaculatae Conceptionis Beatae Virginis, ex defectu Scripturae et Traditionis non posse ab Ecclesia definiri de fide, vera instructione ostenditur huiusmodi mysterium ex his capitibus posse definiri, III, 3 cit. par F. Sarteschi, De scriptoribus Congregationis Clericorum Regularium Matris Dei, Rome, Rutili et Bachelli, 1753, p. 144, n. XXXIX. Voir ci-dessous : Sarteschi. <?page no="366"?> Répertoire des études et des œuvres citées 352 Marsollier, Jacques [traducteur Nicolao Burlamacchi], Vita di D. Armando Giovanni le Bouthillier di Rancé (…) Raccolta da quella che ha scritta in lingua francese il signor abbate di Marsollier (…) publicata nell’ idioma italiano dall’ abbate Nicolao Burlamacchi, Lucques, per i Marescandoli, 1706. IV, 2 Mauduit, Michel, II, 2. Voir ci-dessous : Sporck. Mémoire relatif aux privilèges d’impression des ouvrages de Sacy, BNF, ms. Fr. 21739. V, 1 Mémoriaux du Conseil de 1661. Publiés par la Société d’Histoire de la France par J. de Boislisle, Paris, Renouard, 1909, t. 2. I, 3 Mésenguy, François-Philippe, Abrégé de l’histoire de l’ancien Testament (…), t. 2, 6, Paris, 1773. II, 2 Id., Abrégé de l’histoire de l’ancien Testament (…), t. 4,10, Paris, 1773-1774. II, 2 Michel de Saint-Augustin, Lettre de Michel de Saint-Augustin à O. Carm à Séraphin de Jésus-Marie O. Carm., Malines, 27 mai 1672, III, 3, in Ceyssens, Sources, voir Documents postérieurs à 1800 : Ceyssens Id., Lettre de Michel de Saint-Augustin, O. Carm, à Séraphin de Jésus-Marie, O. Carm., Malines, 8 décembre 1673, III, 3, in L. Ceyssens, La seconde période du jansénisme, voir Documents postérieurs à 1800 : Ceyssens. Id., Lettre de Michel de Saint Augustin, O. Carm., à Séraphin de Jésus-Marie, O. Carm., Boxmeer, 24 juillet 1674, III, 3, in L. Ceyssens, La seconde période du jansénisme, voir Documents postérieurs à 1800 : Ceyssens. Milescu, Sp ă ratul Nicolae, Manual sau Steava Orientului str ă lucind Occidentului, edi ţ ie îngrijit ă , introducere, tabel bibliografic, text stabilit, traducerea textului latin, note ş i comentarii de Traian S. Diaconescu, Ia ş i, Institutul European, 1997. III, 1 Molière, Le Misanthrope [1666], in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1971, t. II, p. 121-218. II, 4 Molina, Luis de, Concordia liberi arbitrii cum gratiae donis, divina praescientia, providentia, praedestinatione et reprobatione (…), doctore Ludovico Molina (…) autore (…), Olyssipone, apud A. Riberium, 1588-1589. P ; III, 2 ; IV, 1 Montalais, de, frontispice La Religion à l’Assemblée du Clergé de France, 1762. V, 2. Voir aussi ci-dessus : Guidi, Louis. Id., [attribution] huit figures pour Les Jésuitiques et autres prières, En Vauceron, 1762, de Henri-Joseph Du Laurens. V, 2 Id., voir ci-dessous : Schwab, Assertions pernicieuses (…). V, 2 Id., participation à l’illustration des Nouvelles ecclésiastiques (voir ci-dessous : Nouvelles ecclésiastiques), des Larmes de Saint Ignace, (voir ci-dessous : Noailles, Louis de), de l’Arrest de la Cour du Parnasse pour les Jésuites (voir ci-dessus : Cauvin), des Figures historiques (voir ci-dessus : Figures historiques). Montempuis et Goujet (abbés), Supplément aux Mémoires de Sully, Amsterdam, chez B. Paff, 1762. V, 2 <?page no="367"?> 353 Répertoire des études et des œuvres citées Montgeron, voir ci-dessus : Carré de Montgeron. Morel, Robert, Effusion de cœur ou entretien spirituel et affectif (…), t. 1-4, Paris, J. Vincent, 1716. II, 2 Id., Entretiens spirituels, en forme de prières (…), Paris, J. Vincent, 1755. II, 2 Mougenot, Pierre (auteur supposé), Tournély convaincu d’erreurs et de mauvaise foi dans ce qu’il a écrit sur les matières de la Grâce, Cologne, s.n., 1764-1771. II, 1 Movil ă (Moghila), Petru, Orthodoxa confessio fidei catholicae et apostolicae Ecclesiae Orientalis, 1640-1642. III, 1 Id., in Orientalia Christiana, Rome, 1927, vol. X, N° 39, pub. par A. Malvy et M. Viller. III, 1 Id., M ă rturisirea Ortodox ă a creden ţ ei universale ş i apostolice a Bisericii Orientale, edi ţ ie bilingu ă , text latin, traducere ş i note de Traian Diaconescu, Ia ş i, Institutul european, 2001. III, 1 Nicolas le Spathaire, Enchiridion sive Stella Orientalis Occidentali splendens, id est Sensus Ecclesiae Orientalis scilicet Graecae de Transubstantiatione Corporis Domini, aliisque controversiis a Nicolao Spadario Moldavolacone, Barone ac olim Generali Wallachiae, conscriptum Holmiae anno 1667. Mense Febr. III, 1 Id., Écrit d’un seigneur moldave sur la creance des Grecs. Enchiridion sive Stella Orientalis Occidentali splendens, id est sensus Ecclesiae Orientalis, scilicet Graecae, de Transubstantiatione Corporis Domini, aliisque controversiis, a Nicolao Spadario Moldavo-Iacone, Barone olim Generali Wallachiae, Conscriptum Holmiae, anno 1667, mense Febr., in annexes de La Perpétuité de la Foy de l’Église Catholique touchant l’Eucharistie, éd. de 1669, p. 50-54 ; éd. de 1781, p. 1091. III, 1 Id. [trad. Vlad Alexandrescu], Enchiridion ou l’Étoile de l’Orient resplendissant à l’Étoile d’Occident, à savoir l’opinion de l’Église d’Orient, ou Grecque, au sujet de la Transsubstantiation du Corps du Seigneur et d’autres controverses, par Nicolas le Spathaire Moldavo-Iacon, baron et naguère Général de Valachie, écrit à Stockholm, en l’année 1667, au mois de février. III, 1 Nicole, Pierre, La Logique ou l’Art de penser, voir ci-dessus : Arnauld, Antoine. Id., La Perpétuité de la foy de l’Église catholique touchant l’Eucharistie, avec la Réfutation de l’écrit d’un ministre [Claude] contre ce traité, divisée en trois parties, Paris, C. Savreux, 1664. III, 1 Id., Les Imaginaires, ou Lettres sur l’hérésie imaginaire, par le sieur de Damvilliers, Liège, Adolphe Beyers, 1667. I, 2 ; IV, 3 Id., De l’éducation d’un Prince, Paris, Vve Charles Savreux, 1676. II, 2 Id., Essais de Morale, Paris, Guillaume Desprez, 1678. II, 2 Id., Essais de Morale (1689). II, 2 Id., [traducteur Alessandro Pompeo Berti], Saggi di morale del signor di Chanteresme, Venise, presso Nicolo Pezzana, 1729. IV, 2 Id., Essais de Morale, contenus en divers traités (…), t. 1-9, 11-13, 1743-1755. II, 2 Id. Continuation des Essais de Morale, éd. de 1683 et 1737. II, 2 Id., Continuation des Essais de Morale, La Haye, A. Moetjens, 1688. II, 2 <?page no="368"?> Répertoire des études et des œuvres citées 354 Id., [traducteur Alessandro Pompeo Berti], Lettere scritte dal fu signore di Chanteresme baccilliere in sacra teologia, Venise, appresso Lorenzo Baseggio, 1786. IV, 2 Id., Traité de la prière ; divisé en sept livres, 3 e éd., Luxembourg, André Chevalier, 1731. II, 2 Id., Traité de la Prière, divisé en sept livres (…), Paris, J. Fr. Josse et Ch.B. Delépine, 1740. II, 2 Id., Instructions théologiques et morales sur le premier commandement (…), t. 1-2, Paris, G. Desprez, 1741. II, 2 Id., Instructions théologiques et morales sur les Sacremens, t. 1-2, Paris, G. Desprez, 1741. II, 2 Id., Instructions théologiques et morales sur le Symbole, t. 1, Paris, G. Desprez, 1761. II, 2 Id., Instructions théologiques et morales (…), Paris, G. Desprez, 1761. II, 2 Voir aussi Antoine Arnauld, Pierre Nicole et Pascal (Provinciales). Noailles, Louis de, (duc d’Ayen, puis duc de), Les Larmes de Saint Ignace, ou Dialogue entre S. Thomas et S. Ignace, l’an de la destruction du colosse de Rhodes 9999, par un cousin du prophète Malagrida, Sur la copie, à Aravelo, chez dom Juan Velasco, 1762. V, 2 Noailles, Louis-Antoine de, Heures imprimées par l’ordre de Mgr. Le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, Paris, 1785. II, 2 Noël, Alexandre [éditeur Constantino Roncaglia], Historia ecclesiastica Veteris Novique Testamenti, 9 vol., Lucques, typis L. Venturini, 1734. IV, 2 Norblin de La Gourdaine, voir ci-dessus : La Gourdaine. Nouet, Jacques, Annat, François, de Lingendes, Brisacier, J., Responses aux Lettres provinciales publiées par le secrétaire de Port-Royal contre les PP. de la Compagnie de Jésus, sur le sujet de la morale des dits Pères, Liége, J.M. Hovius, 1657. II, 1 Nouvelle grammaire pour apprendre la langue latine en peu de temps par une méthode courte et facile (…), Paris, G. Desprez, 1676. V, 1 Nouvelle Histoire abrégée de l’abbaïe de Port-Royal (…). II, 4, voir ci-dessous : Poulain. Nouvelles ecclésiastiques, depuis l’arrivée de la Constitution en France jusqu’au vingttrois février mil sept cent vingt-huit, que lesdites Nouvelles ecclésiastiques ont commencé d’être imprimées. II, 1 ; V, 2 Nouvelles ecclésiastiques ou mémoires pour servir à l’histoire de la constitution Unigenitus, Paris, s.n., livraisons 1728 à 1740. II, 1 Nouvelles ecclesiastiques, 1757 à 1763. V, 2 Observations pacifiques d’un curé, adressées à monseigneur l’évêque de Pistoie et de Prato (…). Traduites de l’italien, tome second, Paris, s.n., 1788. II, 4 Oldenburg, Henry, Lettre à G.W. Leibniz, 12 avril 1675, in Leibniz, Der Briefwechsel von G.W. Leibniz mit Mathematikern. V, 1, voir ci-dessus : Leibniz. Opstraet, Johannes, Idée de la conversion du pécheur (…), t. 1-2, s.l.n.n., 1734. II, 2 <?page no="369"?> 355 Répertoire des études et des œuvres citées Orsi, Giuseppe Agostino, Dissertazione dogmatica, e morale contro l’uso materiale delle parole in cui dimostrasi colla tradizione de’ Padri ed altri antichi scrittori che le parole, ne’ casi eziandio di grave, o estrema necessita, non perdono par legge della Republicca il valor dell or significato, Rome, nella stamperia di Girolamo Mainardi, 1727. IV, 2 Paccori, Ambroise, Avis salutaires aux peres et aux meres qui veulent se sauver par l’éducation chrétienne (…), Vienne, 1767. II, 2 Pallavicino, Sforza, Istoria del Concilio di Trento, 2 vol., nella stamperia d’Angelo Bernabo dal Verme erede del Manelfi, per Giovanni Casoni libraro all’insegna di san Paolo, 1656-1657. IV, 2 Pascal, Œuvres, éd. Jean Mesnard, Paris, Desclée de Brouwer, 1992, t. IV. I, 2 ; V, 1 Id., Écrits sur la Grâce, 1655-1656. IV, 1 ; CC Id., Lettres de A. Dettonville contenant quelques-unes de ses inventions de géométrie (…), Paris, G. Desprez, 1659. V, 1 Id., Pensées de M. Pascal sur la religion et sur quelques autres sujets, Paris, G. Desprez, 1670. II, 2 ; II, 3 ; III, 2 ; CC Id., Provinciales ou lettres écrites par Louis de Montalte [les Petites Lettres], 1656-1657. I, 2 ; I, 3 ; II, 1 ; II, 2 ; II, 3 ; II, 5 ; IV, 2 ; V, 1 ; CC Id., Ludovici Montaltii litterae provinciales de morali et politica jesuitarum disciplina (…) a Willelmo Wendrockio Salisburgensi theologo [Nicole] (…), Coloniae, N. Schouten, [i.e. Amsterdam, Elzevier], 1658. V, 1 Id. [éd. Mademoiselle de Joncoux], Les Provinciales (…) avec les notes de Guillaume Wendrock (…), s.l.n.n., 1699, 3 vol. V, 1 Id., [traducteur Cosimo Brunetti] Le Provinciali o Lettere scritte da Luigi di Montalto ad un provinciale de’ suoi amici colle annotazioni di Guglielmo Wendrok tradotte nell’ italiana favella con delle nuove annotazioni, 6 vol., Venise, nella stamperia dei PP. Gesuiti nel foro deretano, 1761. IV, 2 Id., [trad. Friedrich Ludolf Lachmann], Provinzialbriefe über die Sittenlehre und Politik der Jesuiten, nebst dem Leben der Herrn Paskal, und der Geschichte dieser Provinzialbriefe/ unter dem Namen Louis de Montalte an einen Provinzial, und an die Ehrwürdigen Väter aus der Gesellschaft Jesu geschrieben von Blasius Paskal. Aus dem Französischen und Lateinischen übersetzt [von Friedrich Lachmann], Lemgo, Meyer, 1773-1775. V, 1 Id., Provinzialbriefe über die Sittenlehre und Politik der Jesuiten (…), s.l.n.n., 1792. V, 1 Pasqualigo, Zaccaria, Praxis ieunii ecclesiastici et naturalis in qua quicquid in hac materia occurrere potest, atque item alia plura dubia ex theologicis principiis, Rome, typis haeredum Francisci Corbelletti, 1644. IV, 2 Pasquier, Estienne, Des recherches de la France, livres premier et second. Plus un pourparler du prince. Le tout par Estienne Pasquier, Paris, chez Pierre l’Huilier, 1569 (livre premier paru dès 1560). CC Id, Le Catéchisme des Jésuites, ou Examen de leur doctrine, Villefranche, G. Grenier, 1602. CC Passion, Jacques de la, voir ci-dessus : Jacques de la Passion. <?page no="370"?> Répertoire des études et des œuvres citées 356 Pavillon, Nicolas, Les Instructions du Rituel d’Alet, Seconde Edition, Paris, Charles Savreux, 1670. II, 5 ; III, 3 Petitdidier, Matthieu, Apologie des Lettres provinciales de Louis de Montalte contre la dernière réponse des Pères jésuites intitulée Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, Paris, 1696. II, 1 Pey, abbé Jean, Observations sur la Théologie de Lyon, intitulée ‘Institutiones theologicae, auctoritate D.D. archiepiscopi lugdunensis, ad usum scholarum suae dioecesis editae, Lugduni, ex typis fratrum Perisse, 1784. II, 4 Id., De l’Autorité des deux puissances, Strasbourg, s.n., 1788, 2 vol. II, 4 Id., Le philosophe chrétien considérant les grandeurs de Dieu, dans ses attributs & dans les mystères de la religion. Ouvrage où l’on se propose d’éclairer & de nourrir la piété des fideles. Par M. l’abbé Pey, chanoine honoraire de l’église métropolitaine de Paris, Louvain, De l’Imprimerie de l’Université, 1793. II, 4 Picart, Bernard, Religieuses enchaînées, gravure, 1709, Paris, B.N.F., Estampes, Ed 56a, fol. cote microfilm R 143511. V, 2 Id., Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde représentées par des figures dessinées de la main de Bernard Picard [sic] avec une explication historique (…) quelques dissertations curieuses, Amsterdam, J.F. Bernard, 1723, 8 vol. in-fol. V, 2 Id., The ceremonies and religious customs of the various nations of the known world, 7 vol., London, Claude Du Bosc, 1733-1739. V, 2 Id., Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde dessinées par Bernard Picart. Présenté par Odile Faliu, Paris, Herscher, 1989. V, 2. Voir aussi Documents postérieurs à 1800 : Faliu. Id., estampe Brigandage d’Embrun, B.N.F., Département des Estampes, coll. Qb1, Fol. Histoire de France, 1727, cote microfilm M 95937. V, 2 Id., Estampes, collection Deloynes, t. 60, n° 1859, pièce 114, p. 263 ; B.N.F., Manuscrits, Pièce originale-2261, Picart, fol. 218. V, 2 Id., V, 2, in Mariette, Pierre-Jean, (1694-1774), Abecedario, éd. de Paris, 1851-1853, t. III. Voir aussi ci-dessous : Mariette. Pictet, Bénédict, Christliche Sitten-Lehre, Oder Kunst recht und gut zu leben […] und Auss Frantzösischer in die Teutsche Sprache übersetzt durch El. Fr. V. Sp. [zwei Teile]. Getruct im Fürstlichen Stifft Kempten durch Johann Mayr. Anno 1702 [I]. 1705 [II] [Morale chrétienne, ou l’Art de bien vivre [par Benedict Pictet]. II, 2 Id, Morale chrétienne ou l’Art de bien vivre. II, 2, voir ci-dessus : Christliche Sitten- Lehre (…). Id., Tractat wider die Gleichgültigkeit derer Glauben (sic). Verbessert und aus dem Frantzösischen in das Teutsche übersetzt : durch El. Fr. Gr. V. Sp. Getruct im Fürstlichen Stifft Kempten durch Johann Mayr. Anno 1702. [Traité contre l’indifférence des religions par Benedict Pictet]. II, 2 Plantavit de La Pause, Le Jansénisme démasqué, ou entretien de Théodore et de Caliste, s.l.n.n., 1693. II, 5 Pluquet, François André Adrien, Dictionnaire des hérésies et des erreurs et des schismes ou Mémoires pour servir à l’histoire des égarements de l’esprit humain par rap- <?page no="371"?> 357 Répertoire des études et des œuvres citées port à la religion chrétienne. Publié par l’abbé Migne, Paris, J.-P. Migne, 1853 [1 ière éd. 1775]. II, 4 Pontchâteau, Sébastien-Joseph Du Cambout de et Antoine Arnauld, la Morale pratique des Jésuites (…), Cologne, G. Quentel, 1669-1695. III, 3 Pouget, François, Instructions générales en forme de catéchisme (…), Partie 1-3, Paris, Simart, 1739. II, 2 Poulain, Mademoiselle de Nogent, Nouvelle Histoire abrégée de l’abbaïe de Port- Royal, depuis sa fondation jusqu’à sa destruction ; accompagnée de Vies choisies & abrégées des religieuses, & de quelques Dames bienfaitrices de la maison, & des Messieurs qui ont été attachés à ce célebre monastere(…), Paris, Varin, 1786 [2 vol. in-12°]. II, 4 Précipiano, Humbert-Guillaume de, Causa Quesnelliana, sive Motivum juris pro procuratore curiae ecclesiasticae Mechliniensis actore contra P. Paschasium Quesnel, Oratorii Berulliani in Gallia presbyterum, citatum fugitivum. Cui dein accessit sententia ab illustrissimo ac reverendissimo D. archi-episcopo Mechliniensi (…), etc. (Humbert Guillaume de Précipiano), Bruxelles, s.n., 1705. II, 1 Prospectus systematis bibliographici, 4 vol. Bibliothèque municipale Saint-Mihiel, ms. 79. II, 1 Quesnel, Pasquier, Causa arnaldina seu Antonius Arnaldus, (…) vindicatus suis ipsius aliorumque scriptis, Liège, 1690. II, 1 Id., Lettre de Quesnel à Claude Niçaise, 12 février 1694. Inventaire Tans-Schmitz du Moulin, n° 1074, Rijksarchief Utrecht, fonds Oud Bisschoppelijk Clerezie, n° 633. IV, 3 Id., Histoire abrégée de la vie et des ouvrages de M. Arnauld (…), Cologne, N. Schouten, 1695. II, 2 Id., Recueil de quelques pièces concernant la mort de M. Arnauld, Liège, s.n., 1696. II, 1 Id., Le Nouveau Testament en françois, avec des réflexions morales sur chaque verset, pour en rendre la lecture plus facile, et la méditation plus aisée (nouvelle éd ; 1 ière éd. 1692.), Paris, Pralard, 1696-1697. I, 1 ; II, 1 ; II, 4 ; II, 5 ; IV, 3 ; V, 1 Id., Le Jour évangélique, ou Trois-cens-soixante-et-six veritez tirées de la Morale du Nouveau Testament (…), Bruxelles, E.H. Frick, 1699. II, 2 Id., Justification de M. Arnauld (…), Liège, J. Hoioux, 1702. II, 1 Id., Prières chrétiennes en forme de méditations (…), Partie 1-2, Paris, 1752. II, 2 Racine, Jean, Œuvres complètes. Éd. G. Forestier, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1999, t. I. I, 2 Id., Abrégé de l’Histoire de Port-Royal par feu M. Racine, Cologne, aux dépens de la Compagnie, 1742. I, 2 Racine, Louis, La Grâce, poème, à la suite de La Religion, poème, par M. Racine, de l’Académie Royale des Inscriptions et Belles-Lettres. Sixième édition revue et augmentée, à Paris, chez Desaint et Saillant, Durand et Le Prieur, MDCCLI. III, 2 <?page no="372"?> Répertoire des études et des œuvres citées 358 Id., La Grâce souvent associée à la Religion dans les bibliographies et les fonds des bibliothèques suivantes : III, 2 Bibliothèque d’Édimbourg, 1720, 1743, 1747, 1763. Bibliothèque de Livourne, 1808, 1821, 1853. Bibliothèque Nationale de Pologne, 1821. Biblioteca Trivulziana de Milan, 1759, 1808, 1822, 1852. British Library, 1751, 1763, 1819. Id. [Consbruch, F.A., traducteur, notes von Loen, Johann Michael], La Grâce/ Die Gnade, Francfort-sur-le-Main, 1747. III, 2 Id., [Staszica, Oziela Stanislawa], traduction polonaise de La Grâce, 1816. III, 2 Id., [Zglinckiego, J.N.,], traduction polonaise de La Grâce, 1821. III, 2 Id., La religion, poëme, Paris, J.B. Coignard, 1742. III, 2 Id., [De’ Venuti, Filippo], Della religione poema del signor Racine (…) tradotto dal francese in versi toscani sciolti dall’abbate Filippo de’Venuti, in Avnignone, appresso Alexandro Giroud, 1748. III, 2 Id., [Elphinston, James], Religion, a poem, from the French of the younger Racine, London, J. Hodges, 1754. III, 2 Id., [Carro Giambattista], Della religione poema del signor Racine membro dell’ Accademia reale delle iscrizioni, e belle lettere di Parigi tradotto dal francese in ottava rima italiana da Giambatista Carro (…), Roma, per Giuseppe e Niccolo Grossi, nel Palazzo Massimi, 1761. III, 2 Id., Della Religione [anonyme], 1791. III, 2 Radiguès, Ant., gravure d’un médaillon de Chauvelin, Particip. Fig. hist., illustr. Théâtre de Corneille. V, 2 Radiguès, Jacques Valentin, [estampe] L’Auguste procession de la châsse de sainte Geneviève en l’église de Notre-Dame, 1709, B.N.F., Estampes, collection Hennin, 7965 et SNR 3, pièce 10 et id., 1729, B.N.F., Estampes, collection Hennin, t. 92, 8045, cote microfilm G 159105. V, 2 Id., estampe de la procession célébrant la guérison miraculeuse de Madame Lafosse, B.N.F., Estampes : Qb 1, fol. Histoire de France et collection Hennin, S.N.R. 3, pièce 8. V, 2 Recueil de Silvy, Bibliothèque de Port-Royal. I, 2 Id., Recueil de plusieurs pièces pour servir à l’histoire de Port-Royal, Utrecht, aux dépens de la Compagnie, 1740. II, 1 Recueil des miracles de M. de Pâris, diacre au collège de Paris, avec les requêtes des curés, Utrecht, 1732. II, 1 Registre d’emprunts de l’abbaye de Saint-Hubert, Archives de l’État Saint-Hubert, FASH n° 1539. II, 1 Relation anonyme des événements autour de l’Instructio ad tyronem de Pierre Van Buscum, Archivio Segreto Vaticano, Segr. Stato, Fiandra, vol. 205, non fol. III, 3 Répertoire des livres qui se trouvent dans la chambre de Monsieur le Révérendissime abbé seigneur de Saint-Hubert, 1730, Archives de l’État Saint-Hubert, FASH, n° 1538. II, 1 Restout, Jean, Le Pèlerinage de piété. V, 2, voir ci-dessous Schmidt, Georg Friedrich. Id., conception du Portrait du diacre Pâris en prière, gravé par Nicolas Tardieu. V, 2 <?page no="373"?> 359 Répertoire des études et des œuvres citées Id., Portrait de Pâris en ovale. V, 2, voir ci-dessous : Schmidt, Georg Friedrich. Id., portrait de l’abbé Tournus en prières. V, 2, voir ci-dessous : Schmidt, Georg Friedrich. Rohault, Jacques, Traité de physique (…), Paris, Vve Charles Savreux, 1670. V, 1 - Amsterdam, J. Le Jeune [i.e. D. Elzevier] 1672. V, 1 - Lausanne, D. Gentil, 1676. V, 1 Id., Tractatus physicus (…), Genevae, J.H. Widerhold, 1674. V, 1 Londini, G. Wells & A. Swalle, 1682. V, 1 Rousseau, Jean-Jacques, Julie ou la Nouvelle Héloïse. Lettres de deux amans, habitans d’une petite ville au pied des Alpes, recueillies et publiées par J.-J. Rousseau, Amsterdam, M. Rey, 1761. II, 4 Id., Émile ou de l’Éducation, La Haye, J. Néaulme, 1762. II, 4, III, 2 Id., Julie ou la Nouvelle Héloïse, éd. René Pomeau, Paris, Classiques Garnier, 1988. II, 4 Saint-Amour, Louis Gorin de, Journal de M. de Saint-Amour, de ce qui s’est fait à Rome dans l’affaire des cinq propositions, s.l. [Amsterdam], 1662. I, 2 Saint-Augustin, Michel de, voir ci-dessus : Michel de Saint-Augustin. Saint-Élie, Gratien de, voir ci-dessus : Gratien de Saint-Élie. Saint-Gilles d’Asson, voir ci-dessus : Baudry de Saint-Gilles d’Asson. Saint-Ignace, Henri de, voir ci-dessus : Henri de Saint-Ignace. Saint-Office, Lettre du, à Galeazzo Marescotti, Archivio Segreto Vaticano, Segretaria di Stato, Nunziatura di Madrid, vol. 8, f. 1-8. III, 3 Saint-Simon, Mémoires, éd. A. de Boislisle, Paris, Hachette, coll. « Les grands écrivains de la France », t. 23, 1911. IV, 3 Sainte Foy, Flore de, voir ci-dessous : Gerberon. Sainte-Marie, Honoré de, voir ci-dessous : Honoré de Sainte-Marie. Sainte-Marthe, Claude de, Défense des religieuses de Port-Royal et de leurs directeurs (…), s.l.n.n., 1667. II, 1 San Felice, Giuseppe, Jansenii doctrina ex Thomisticae theologiae praeceptis, atque Institutis damnata, Naples, typis Stephani Abbatis, 1728. IV, 2 Sarteschi, Frederico, De scriptoribus Congregationis Clericorum Regularium Matris Dei, Rome, Rotili e Bacchelli, 1753 p. 144 n. XXXIX : Maracci, Ippolito, Instructio falsa circa definitionem Mysterii Conceptionis Immaculatae Deiparae Virginis Mariae (…) Rome, Rotili e Bachelli, 1753, voir ci-dessus : Marracci. III, 3 Sartre, Pierre, Voyage fait en Hollande fait en 1719 par Pierre Sartre, Prêtre du Diocèse de Montpellier, envoyé en mission vers le Père Quesnel. Publié, avec Préface, d’après le Manuscrit inédit, par Victor Advielle (…), Paris, Librairie Lechevalier, 1896. I, 1 ; I, 2 Schmidt, Georg Friedrich, gravure d’après le frontispice de la Vérité des Miracles (…) de Louis Basile Carré de Montgeron représentant le diacre Pâris en prières [original conçu par Jean Restout, gravé par Nicolas Tardieu]. Oeuvre conçue aussi sous forme de feuille volante (image de piété), <?page no="374"?> Répertoire des études et des œuvres citées 360 B.N.F., Département des estampes N2, portraits, cote microfilm D 232222. V, 2 Id., portrait de Pâris en ovale [dessin imaginé par Jean Restout], B.N.F., Département des Estampes, collection Henin 8016, cote microfilm 159076, 1727 [en fait 1738]. V, 2 Id., estampe du portrait de l’abbé Tournus en prières [par Restout], Bibliothèque Sainte-Geneviève, Fol W 3192, inv. 452. V, 2 Id., gravure à l’eau forte et au burin, Le Pèlerinage de piété [d’après dessin ou peinture de Restout] B.N.F., département des estampes, N2 portraits, cote microfilm 232238. V, 2 Id., portrait de Monseigneur de Caylus, évêque d’Auxerre, 1739 [d’après le portraitiste Fontaine]. V, 2 Schwab, Caspar, [estampe ; dessin probablement par Montalais], Assertions pernicieuses (…) enseignées (…) par les soi-disans jésuites. V, 2 Id., [estampe ; dessin Jacques-Philippe Caresme], Les Faits du Grand Henri, [frontispice du Supplément aux Mémoires de Sully de Montempuis et Goujet, 1762]. V, Sénèque, Épîtres, Auserlesene Epistolen des Weltweisen Annaei Senecae, so Ihro Durchlaucht Marie Ernestina zu Crummau und Fürstin zu Eggenberg (…) aus französichen ins deutsch versetzt und mit aigener Hand geschrieben, dann diselbe zur Bibliotek geschenket im Jahr. 1717, Archives du district de T ř ebo ň , succursale de Č eský Krumlov, ms. N° 93. II, 2 Sévigné, Madame de, Correspondance. Texte établi, présenté et annoté par Roger Duchêne, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1972-1978, 3 vol. [Lettres des 18 mai 1671, 13 septembre 1671, du 3 juillet 1677, du 12 mars 1689]. I, 3 Solerius de Colonia, Joan, Bibliothèque janséniste ou Catalogue alphabétique des principaux livres jansénistes ou suspects de jansénisme qui ont paru depuis la naissance de cette Hérésie, avec des notes critiques sur les véritables auteurs de ces livres, sur les erreurs qui y sont contenues & sur les condamnations qui ont été faites par le Saint Siège, ou par l’Eglise Gallicane, ou par les Evêques diocésains, 1731. Bibliothèque de Č eský Krumlov, cote 47 A 8709. II, 2 Sporck, Franz Anton von, Wiederlegung (sic) der Atheisten, Deisten, Und neüen Zweyffler darinnen man ohne ihre vermeyntlich-habende Gründe unzustossen (…) darthut, (…). Auss dem Frantzösischen ins Teutsche übersetzt, Prag, Wolfgang Wickhart, 1712. [Auteur Michel Mauduit]. II, 2 Steyaert, Martin, Opuscula, Louvain, Denique, 1703, 6 vol. II, 1 Stillenau, Gotwald Caesar, Leben eines herrlichen Bildes wahrer und rechtschaffener Frömmigkeit […] Herrn Franz Antoni des h. Röm. Reichs Grafen von Sporck, Amsterdam, 1720. II, 2 Supplementum historiae Collegii Gandensis Societatis Jesu pro anno 1673, f. 251r. et f. 252r., 254r. ARSI, Fb, 62. III, 3 <?page no="375"?> 361 Répertoire des études et des œuvres citées Tardieu, Nicolas, Portrait de Pâris, en ovale, d’après un dessin de Jean Restout, B.N.F., Département des Estampes, collection Henin, 8016, cote microfilm 159076, 1727 [en fait 1788]. V, 2 Id., portrait gravé du diacre Pâris en prières, conçu par Jean Restout. V, 2, voir cidessus : Schmidt, Friedrich, Georg. Tassaert, Philippe Joseph, dix-neuf dessins gravés et imaginés par Philippe Caresme pour Le Balai de Henri-Joseph Du Laurens, V, 2 voir ci-dessus : Du Laurens. Théologie morale de Grenoble. II, 1, voir ci-dessous : Genet. Tournély, Honoré, Institutiones theologicae (…), s.l.n.n. (? ), 1744. II, 1 Treuvé, Simon Michel, Instruction sur les dispositions qu’on doit apporter aux Sacremens (…), Paris, G. Desprez, 1760. II, 2 Valla Joseph, Institutiones Theologicae, auctoritate D.D. Archiepiscopi Lugdunensis, ad usum Scholarum suae Diocesis editae, Lugduni, ex Typis Fratrum Perisse, 1782. II, 4 Valla, Laurent, De libero arbitrio, in Dialogi decem variorum auctorum, Cologne, Franciscus de Mayronis, 1473. IV, 1 Van Buscum, Pierre, Instructio ad Tyronem theologum de methodo theologica octo regulis perstricta, Gandavi, apud F. d’Ercle, 1672. III, 3 Id. Instructio ad tyronem theologum de methodo theologica octo regulis perstricta, s.l.n.d., in-8°, 30 p. III, 3 Id., Instructio ad tyronem theologum de methodo theologica octo regulis perstricta ab insulsis Jesuitae Estrix cavillis vindicata, s.l.n.d., in-8°. III, 3 Id., Defensio Petri Van Buscum adversus ea quae P. Aegidius Estrix Societ. Jesu in libro a se edito cui titulus Diatriba theologica etc. opponit Instructioni ad Tyronem theologum etc., Gand, François d’Ercle, 1672. III, 3 Id., Motivum iuris, III, 3, voir ci-dessus : Gillemans. [Id.], texte relatif au Formulaire retranscrit par les étudiants de Louvain, Archivum Romanum Societatis Jesu [ARSJ], Flandro-Belgia [FB], vol. 67, f. 208r, Supplementum Historiae Collegii Gandensis 1672. III, 3 Vincent, Anna, Impostures innocentes ou Recueil d’estampes d’après divers peintres illustres (…) par Bernard Picart avec son Éloge historique et le catalogue de ses ouvrages, Amsterdam, Vve de Bernard Picart, 1734. V, 2 Voltaire, Discours en vers sur l’Homme, 1738. III, 2 Id., Correspondance 1762, éd. Frédéric Deloffre, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1977-1992, t. VI. V, 2 Id., Lettre à Chardon du 11 avril 1768, V, 2, in Radeville et Deschamps, L’Arétin moderne, voir Documents postérieurs à 1800 : Radeville. Id., article « Grâce », in Dictionnaire philosophique, éd. René Pomeau, Paris, Garnier- Flammarion, 1964. S Vuillart, Germain, Lettres de Germain Vuillart. Éd. R. Clark, Genève-Lille, 1951. I, 2 <?page no="376"?> Répertoire des études et des œuvres citées 362 Widenfelt, Adam, Monita salutaria Beatae Virginis Mariae ad cultores suos indiscretos, Gand, s.n., 1673. III, 3 Wille, Johann Georg, Mémoires et journal de Johann Georg Wille [1715-1808], graveur du Roi (…), V, 2, voir Documents postérieurs à 1800 : Wille. Yver, Pieter, frontispices et bandeaux pour l’éd. hollandaise des Nouvelles ecclésiastiques. V, 2 Zedler, Johann Heinrich, Grosses vollständiges Universal-Lexikon (Leipzig-Halle 1735). Zweiter vollständiger photomechanischer Nachdruck, Graz, Akademische Druck-und Verlagsanstalt, 1995. II, 3 Documents postérieurs à 1800 Actes du colloque de la Société des Amis de Port-Royal, Paris, septembre, 2007, dans Chroniques de Port-Royal, 58, 2008. I, 2 Adnes, Pierre, « art. Pénitence. Attritionisme-contritionisme aux 17 e -18 e siècles », in Dictionnaire de Spiritualité, XII, 1986, col. 986-993. III, 3 Alençon, Édouard d’, « art. Herincx, Willem », in Dictionnaire de Théologie Catholique, VI, 1914, col. 2260-2261. III, 3 Amann, Émile, « art. Le Dent, Maximilien », in Dictionnaire de Théologie Catholique, IX, 1926, col. 125-126. III, 3 Id., art. « Steyaert, Martin », in A. Vacant et É. Mangenot (dir.), Dictionnaire de théologie catholique, Paris, 1941, t. XIV, col. 2615-2616. II, 1 Archives de l’Art français, Paris, s.n., 1862, t. 8. V, 2 Armogathe, Jean-Robert, « Le Phantôme du jansénisme ou la rhétorique de la déviance », in Jean-Robert Armogathe, Jean Lesaulnier, Denis Moreau, Antoine Arnauld, trois études, La Rochelle, Rumeur des Âges, 1994, p. 33-47. IV, 3 Artigas-Menant, Geneviève, « L’utilisation de la Rome antique dans la propagande anti-Catholique », in Images de l’Antiquité dans la littérature française, Paris, Presses de l’École Normale supérieure, 1993, p. 125-136. V, 2 Audenaert, Willem, Prosographia Jesuitica Belgica Antiqua (PIBA) : a biographical dictionary of the Jesuits in the Low Countries, 1542-1773, Leuven, Filosofisch en Theologisch College S.J., 2000, vol. 1. III, 3 Barton, Peter F., Jesuiten, Jansenisten, Josephianer. Eine Fallstudie zur frühen Toleranzzeit : Der Fall Innocentius Fessler. 1. Teil, Wien-Köln-Graz, Böhlau, 1978. II, 3 Baustert, Raymond, La querelle janséniste extra muros ou la polémique autour de la Procession des Jésuites de Luxembourg, 20 mai 1685, Tübingen, Gunter Narr, coll. Biblio 17, N° 162, 2005. R Bély, Lucien (dir.), Dictionnaire de l’Ancien Régime : royaume de France, XVI e -XVII e siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1996. IV, 3 Bérenger, Jean, Léopold Ier (1640-1705), fondateur de la puissance autrichienne, Paris, PUF, coll. « Perspectives germaniques », 2004. II, 2 Berkvens-Stevelinck, Christiane, Prosper Marchand (1678-1756), la vie et l’œuvre, Leyde, New York, Copenhague et Cologne, E.J. 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