Nouveaux regards sur Ivan Goll en exil avec un choix de ses lettres des Amériques
1006
2010
978-3-8233-7584-5
978-3-8233-6584-6
Gunter Narr Verlag
Stephen Steele
Cet ouvrage vient combler une lacune dans l'historiographie récente de l'exil américain, durant la Deuxième Guerre, des écrivains francais, où le nom d'Ivan Goll est souvent absent ou réduit à une simple mention. Il arrive à Goll d'être rattaché par les travaux de l'Exilforschung à l'émigration de langue allemande, à un moment qui le voit pourtant délaisser l'allemand au profit du francais et même de l'anglais. Puisant dans une vingtaine de fonds d'archives des deux côtés de l'Atlantique, la recherche menée a permis de placer Goll auprès de poètes américains et des surréalistes réfugiés à New York, dans ses tentatives d'établir des connexions avec les appareils de publication et la vie littéraire newyorkais. Parmi les lettres inédites retenues pour reproduction à la fin de l'étude, figurent celles expédiées lors du séjour de Goll à La Havane en 1940 à William Carlos Williams et à Louise Bogan, où la poésie de Goll (Parmenia, Jean sans Terre) et sa correspondance se complètent au contact de "fruits" "pleins de surprise" et de "femmes succulentes", non sans suggérer l'existence d'un tourisme sexuel sur l'île.
<?page no="0"?> Nouveaux regards sur Ivan Goll en exil avec un choix de ses lettres des Amériques par Stephen Steele <?page no="1"?> études littéraires françaises · 75 <?page no="2"?> études littéraires françaises collection fondée par Wolfgang Leiner directeur: Rainer Zaiser <?page no="3"?> Nouveaux regards sur Ivan Goll en exil avec un choix de ses lettres des Amériques par Stephen Steele Préface d’Henri Béhar <?page no="4"?> Image de couverture : Photographie d’Ivan Goll. Au dos, inscription de la main de Claire Goll : - « Yvan et le port de New-York avec les gratte-ciel devant notre fenêtre 136, Columbia Heights-Brooklyn - New-York 1944 ». Cliché : Musée Pierre-Noël de Saint-Dié-des-Vosges. Reproduit avec l’autorisation de Madame Albert-Ronsin. Information bibliographique de la Deutsche Nationalbibliothek La Deutsche Nationalbibliothek a répertorié cette publication dans la Deutsche Nationalbibliografie; les données bibliographiques détaillées peuvent être consultées sur Internet à l’adresse http: / / dnb.d-nb.de. © 2010 Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG Dischingerweg 5 · D-72070 Tübingen Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Gedruckt auf chlorfrei gebleichtem und säurefreiem Werkdruckpapier. Internet: http: / / www.narr.de · E-Mail: info@narr.de Satz: NagelSatz Reutlingen Printed in Germany ISSN 0344-5895 ISBN 978-3-8233-6584-6 <?page no="5"?> Préface Il était de toutes les avant-gardes. Présent à toute bonne occasion, toujours prêt pour le bon combat. Le voilà à Berlin en 1913, au cœur de l’expressionnisme. À Genève en 1914, parmi les pacifistes. À Zürich, il est le témoin contestataire de Dada. En liaison avec Ljubomir Micic de Zagreb, il est associé au Zénithisme européen. À Paris, le premier il lance la revue Surréalisme en 1924, dans le sillage d’Apollinaire, et boxe avec André Breton. On le croit à Paris, il est à Londres, Rome, Zürich, Bruxelles, Berlin. À New York en 1939, il arrive tout juste après la déclaration d’une guerre qu’il pressent mondiale à nouveau. Il apprend l’anglais et compose en cette langue. Au cours d’un bref séjour à Cuba, il chante la Vénus cubaine. À New York de nouveau, c’est l’Élégie d’Ihpétonga en l’honneur des premiers habitants. Au Québec, il est frappé par Le Mythe de la Roche-Percée. Avant de quitter les États-Unis, il se lance dans la poésie hermétique et la Kabbale. Jean sans Terre, ce nouveau Juif errant, est de tous les lieux, de toutes les innovations. On devrait réciter dans toutes les écoles ce poème de l’humanité au XXe siècle. Poète à la double nationalité, Lorrain né en France, éduqué en Moselle allemande, parfaitement bilingue, de culture juive, assimilé, il aura occupé un poste essentiel de passeur entre les nations, entre les civilisations. Et voilà que chaque année, il faut reprendre son bâton de pèlerin en faveur de la poésie, expliquer pourquoi Yvan Goll est un des plus grands méconnus de notre histoire littéraire. Les meilleurs esprits se sont attachés à lui, ont publié et commenté ses recueils, ses trouvailles, ses avancées. Mais ses Œuvres complètes restent à jamais inachevées. Chaque ouvrage qui lui est consacré demeure confidentiel. Un sort semble s’acharner sur son œuvre, sur sa réputation, comme un vent à effet de foehn sur la plaine d’Alsace, desséchant tout sur son passage. Pour les uns, il relève de la littérature allemande, pour les autres de la française, et finalement, au lieu de multiplier ses gains par deux pour l’avenir, le voilà réduit à la portion congrue. Ah ! les hommes n’aiment pas trop qu’on leur rappelle qui leur a mis le pied à l’étrier, qui les a fait connaître par-delà les frontières. <?page no="6"?> VI Préface Ce Nouvel Orphée aura passé son temps, épuisé son énergie, à concevoir des anthologies de la poésie des cinq continents, à traduire, à diriger des collections, à monter des projets de revues, dont la plus réussie restera Hémisphères, publiée à New York. Les hommes ne lui en seront pas reconnaissants. Un jeu littéraire, voulez-vous ? Qui a écrit : Élégies internationales ? - Rainer Maria Rilke. - Non, Yvan Goll. Qui a écrit : Le Nouvel Orphée ? - Apollinaire. - Non, Yvan Goll. Qui a écrit : Le Canal du Panama ? - Blaise Cendrars. - Non, Yvan Goll. Qui a écrit : La Chaplinade ? - Philippe Soupault. - Non, Yvan Goll. Qui a écrit : Mathusalem ? - Bertolt Brecht. - Non, Yvan Goll. Qui a écrit : Chansons malaises ? - Évariste Parny. - Non, Yvan Goll. Qui a écrit : Poèmes d’amour ? - Paul Eluard. - Non, Yvan Goll. Qui a écrit : Jean sans Terre ? - Tristan Tzara. - Non, Yvan Goll. Qui a écrit : Élégie d’Ihpétonga ? - Benjamin Péret. - Non, Yvan Goll. Qui a écrit : Le Mythe de la Roche Percée ? - André Breton. - Non, Yvan Goll. Qui a écrit : Le Char triomphal de l’antimoine ? - O. V. Milosz. - Non, Yvan Goll. Qui a écrit : L’Herbe de songe ? - Jean-Hans Arp. - Non, Yvan Goll. Et le jeu pourrait se poursuivre à l’infini, tant Yvan Goll participe de notre littérature, tant il la précède souvent, tant il en a humé les principes et les évolutions. À force de sauter d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre, <?page no="7"?> VII Préface peut-être lui aura-t-il manqué une chose, si l’on en croit l’ironique Baudelaire des Fusées : établir un poncif. Il n’y a pas de poncif Yvan Goll. Il est temps désormais de retourner à sa poésie à l’état brut, ou encore parée des illustrations des peintres amis, et de tenir pour nulles et non avenues les querelles d’un passé révolu, visant des positions de pouvoir intellectuel. Aujourd’hui, Stephen Steele a décidé de combler une lacune en nous montrant le poète aux prises avec le quotidien durant son exil américain. Il faut le suivre dans le détail pour comprendre comment le feu poétique transcende tous les obstacles, toutes les catastrophes. Chaque fois, l’humain triomphe. C’est peut-être la leçon profonde que dégage ce livre de pure érudition. Henri BÉHAR <?page no="9"?> 1 Les lettres de Goll issues de ces fonds et reproduites in extenso dans la section VI, « Correspondance », ne font pas l’objet d’une note de référence quand elles sont citées dans l’étude. Liste des fonds cités ou mentionnés, avec la forme abrégée utilisée 1 : Bogan Papers : Louise Bogan Papers, Amherst College Archives and Special Collections, Amherst College Library, Amherst Bogan Papers (Princeton) : Louise Bogan Papers, Manuscripts Division, Princeton University Library Calas Archive : The Nicolas and Elena Calas Archive, Nordic Library, Athènes (Grèce) Colum Collection : The [Mary and Padraic] Colum Collection, Special Collections and University Archives, Binghampton University Libraries, State University of New York, Binghampton Fales Collection : The Fales Manuscript Collection (lettres à Ruth Herschberger), Fales Library, New York University Fletcher Papers : John Gould Fletcher Papers, Special Collections, University of Arkansas Libraries, Fayetteville Freeman Papers : Joseph Freeman Papers, Hoover Institution Archives, Stanford University Fonds Goll : Fonds Yvan et Claire Goll, Médiathèque de Saint-Dié-des-Vosges Grabhorn Press Records : Grabhorn Press Records, Bancroft Library, University of California, Berkeley Humphries Papers : Rolfe Humphries Papers, Amherst College Archives and Special Collections, Amherst College Library, Amherst Jolas Papers : Eugène and Maria Jolas Papers, Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Yale University Miller Papers : Henry Miller Papers, Young Research Library, University of California, Los Angeles Collection New Directions : Collection de New Directions Publishing Corporation (lettres à James Laughlin), Houghton Library, Harvard College Library, Harvard University Poetry Records: Poetry : A Magazine of Verse Records (lettres à George Dillon), Special Collections Research Center, University of Chicago Quinn Papers : J. Kerker Quinn Papers, University Archives, University Library, University of Illinois, Urbana-Champaign Fonds Raymond : Fonds Louis-Marcel Raymond, Centre d’Archives de Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec Roditi Papers : Édouard Roditi Papers, Young Research Library, University of California, Los Angeles Archives privées André Spire : Collection privée, Paris Williams Papers : William Carlos Williams Papers, Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Yale University <?page no="10"?> X Liste des fonds cités ou mentionnés Zukofsky Collection (Texas) : Louis Zukofsky Collection, Harry Ransom Humanities Research Center, University of Texas, Austin Zukofsky Papers (Kansas) : Louis Zukofsky Papers (lettres à René Taupin), Morse Department of Special Collections, Hale Library, Kansas State University <?page no="11"?> 2 Emmanuelle Loyer, Paris à New York - Intellectuels et artistes français en exil 1940-1947, Paris : Grasset, 2005, p. 340. Anne-Marie Duranton-Crabol décrit les « départs échelonnés » des Etats-Unis après la guerre, dans son article « Les intellectuels français en exil aux États-Unis pendant la Seconde guerre mondiale : aller et retour », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 60, 2000, pp. 41-47 (p. 45). À ces départs s’ajoutent ceux souhaités mais jamais réalisés, ainsi Jacques Schiffrin gravement malade et mourant à New York en 1950, ou Victor Serge qui meurt démuni au Mexique fin 1947. 3 Denis de Rougemont, Journal d’une époque, 1926-1946, Paris : Gallimard, 1968, p. 581. La citation provient de l’entrée de janvier 1946, qui constitue le début de ce que Rougemont nomme son « Journal d’un retour ». 4 Lettre d’Yvan Goll à Louis-Marcel Raymond, du 5 juillet 1946. Fonds Raymond. 5 Yvan Goll, « Jean sans Terre achète Manhattan », Jean sans Terre - A Critical Edition with Analytical Notes, ed. Francis J. Carmody, Berkeley et Los Angeles : University of California Press, 1962, pp. 102-103 (p. 103). Le poème rencontre un peu de cette instabilité, errance, solitude et indépendance appauvrie de l’écrivain solitaire jetant son regard sur la ville impénétrable, « unsettlement, homelessness, solitude and impoverished independence » du « lonely writer gazing down on the unknowable city », image croisée d’un « modernism » que Raymond Williams voit à son plus fort dans une ville comme New I. Le retour en France de 1947: un prologue Il a été noté que la plupart des Français sont rentrés de leur exil de la Deuxième Guerre en Amérique à des rythmes variés allant des « retours précipités », comme Gustave Cohen appelé d’Alger à rejoindre la France Libre en décembre 1943, aux « retours différés », à la manière de Breton qui regagne Paris en mai 1946 au bout d’un temps passé en Haïti et à la Martinique. 2 Plus tardivement encore, Benjamin Péret ne revient qu’en 1948, faute de moyens, incarnant un aspect derrière le « Peut-on partir » exprimé par Denis de Rougemont, qui renverse la question de l’époque « Faut-il rentrer » pour suggérer, dans l’après-guerre, les vertus du partir, de la France, de l’Europe, vers le monde. 3 Pour le cas qui intéresse cette étude, où Paris est le point de rentrée, Ivan Goll quitte New York le 31 mai 1947, après des traitements de rayons pour sa leucémie, des ennuis de bateau et des menaces d’éviction de son logement. Ce départ lent et difficile, évoqué par Goll depuis le mois de janvier dans les lettres à son ami le botaniste et critique canadien Louis-Marcel Raymond, met fin à « 6 ans de claustration à Brooklyn » 4 et va mener Goll jusqu’à sa réinstallation à Paris d’où il continue d’observer New York, cette fois à distance. Le regard que Goll pose sur les grands immeubles vides et pleins de solitude de New York dans le cinquième livre des Jean sans Terre, sur les « Cent deux étages […] meublés de vide » 5 ou les « Cent trente étages vides » 6 , <?page no="12"?> 2 Le retour en France de 1947 : un prologue York, elle-même ville d’émigrés et d’exilés, « City of Emigrés and Exiles itself ». Raymond Williams, « When was Modernism », The Politics of Modernism - Against the New Conformists, ed. Tony Pinkney, London et New York : Verso, 1989, pp. 31-35 (p. 34). 6 Yvan Goll, « Jean sans Terre longe Broadway », Œuvres, ed. Claire Goll et F. X. Jaujard, vol. 2, Paris : Émile-Paul, 1970, pp. 247-248 (p. 247). L’édition de Carmody n’inclut pas ce poème, considéré comme une version ancienne de « Jean sans Terre achète Manhattan ». F. J. Carmody, « Critical Analysis » dans Yvan Goll, Jean sans Terre - A Critical Edition, op. cit., p. 168. 7 Lettre d’Yvan Goll à Louis-Marcel Raymond, du 20 octobre 1947. Fonds Raymond. 8 Cette interview est reprise dans la collection de portraits littéraires de Paul Guth, « Yvan Goll : L’alchimiste de la pierre », Quarante contre un, vol. 2, Paris : Denoël, 1951, pp. 189-195 (p. 194). 9 Goll écrit ces remarques le 27 février 1944 au poète John Gould Fletcher, qui traduit deux « Jean sans Terre » dans University Review au printemps 1944. La lettre est conservée dans les Fletcher Papers. 10 Le mot de Claire Goll est reproduit dans Iwan Goll et Claire Goll, Briefe, ed. Kasimir Edschmid, Mainz et Berlin : Florian Kupferberg, 1966, pp. 230-231. 11 Charles Baudelaire, « La soupe et les nuages », Œuvres complètes, ed. Y.-G. Le Dantec et Claude Pichois, Paris : Gallimard, 1961, p. 298. 12 Claire Goll, La Poursuite du vent, avec la collab. de Otto Hahn, Paris : Olivier Orban, 1976, p. 226. 13 Yvan Goll, « Jean sans Terre achète Manhattan », Jean sans Terre - A Critical Edition, op. cit., p. 103. Carmody repère l’adresse des Goll sur Columbia Heights à travers les vues du resurgit au retour de Goll à Paris sous forme de mots durs contre l’Amérique et en opposition avec tout ce que Paris lui semble offrir. Goll écrit alors à Louis-Marcel Raymond ne « regrett[er] » « [p]as un instant » « l’Amérique qui étouffe dans son beurre et s’oxyde dans son égoïsme confortable », disant préférer « geler » à Paris « dans ces petits hôtels pleins d’une musique humaine que s’épaissir dans les immeubles chauffés d’une atmosphère irrespirable ». 7 Un entretien de 1949 accordé à Paul Guth pour La Gazette des lettres montre Goll à Paris dans sa chambre d’hôtel « qui tremble aux heures des trains de banlieue », mais qui lui aurait permis d’« échapp[er] au métro ferrailleur de New York et à l’air conditionné » 8 , peut-être un peu de cet Air- Conditioned Nightmare américain décrit dans les mêmes années par son ami Henry Miller. C’est bien entouré de bâtiments démesurés, à « la chaleur excessive malgré le coal shortage », la pénurie de charbon, le long d’« avenues » aux « vents meurtriers », qu’a vécu Goll à New York. 9 Une note « griffonnée » de 1944 voit Claire Goll s’adresser à son mari comme au « Roi d’Ihpétonga », au grand poète dans l’appartement où il écrit, avec « vue sur son Port, ses gratte-ciels et », pour le ventre, « sa soupe aux légumes » 10 , scène qui peut se lire à côté du « marchand de nuages » sommé de « manger [sa] soupe » 11 chez Baudelaire. Les souvenirs plus éloignés dans le temps de Claire Goll continuent de faire habiter au couple « un superbe appartement orienté vers la ligne des gratte-ciel qui finissait Wall Street ». 12 Pour l’Ivan Goll de « Jean sans Terre achète Manhattan », en 1942, c’est un Wall Street qui lie rhétorique et mythologie, où « [l]e sens de l’ironie est à la baisse/ Et le coton est stocké par les Parques ». 13 De la « terrasse » du « grand apparte- <?page no="13"?> 3 Le retour en France de 1947 : un prologue balcon dans Elégie de Lackawanna et dans Elégie d’Ihpétonga, cette dernière élégie traduite d’ailleurs par Babette Deutsch, Louise Bogan et Claire Goll en 1954. F. J. Carmody, « Appendices » dans Yvan Goll, Jean sans Terre - A Critical Edition, op. cit., pp. 199-202. 14 Denis de Rougemont, Journal d’une époque, op. cit., p. 536. 15 Ibid., p. 538. 16 Claude Lévi-Strauss, « New York postet préfiguratif », Le Regard éloigné, Paris : Plon, 1983, pp. 345-356 (p. 345). « [D]ésordre » et « indiscipline », de l’architecture au social, caractérisent chez Le Corbusier, en 1931, les gratte-ciel de New York, du moins ceux reproduits dans l’une des photographies de son texte « Descartes est-il américain ? ». Le texte se trouve dans l’ouvrage constitué par Le Corbusier, La Ville radieuse, Paris : Vincent, Fréal & Cie, 1964 (1935), pp. 127-134 (p. 129). 17 Denis de Rougemont, Journal d’une époque, op. cit., p. 536. 18 Élie Faure, « Mon périple - Tour du monde 1931-1932 », Œuvres complètes, ed. Yves Lévy, vol. 3, Paris : Jean-Jacques Pauvert, 1964, pp. 553-581 (p. 558). André Spire revient sur des éléments de ce passage de « Mon périple » dans ses « Rencontres avec Élie Faure », Souvenirs à bâtons rompus, Paris : Albin Michel, 1962, pp. 152-178 (p. 170). Voir aussi Colette qui, en 1935, approche comme une « harmonie » cette « cité » « soulevée seulement par les sursauts violents d’une architecture verticale » et dont la « beauté évidente procède du quadrilatère et méprise résolument la géométrie qui s’écarterait de l’angle droit ». Ces mots sont tirés de deux articles, « Impressions de New York » et « Impressions verticales », que Colette signe pour Le Journal les 5 et 7 juin 1935. Les articles sont repris dans Colette journaliste - Chroniques et reportages 1893-1935, ed. Gérard Bonal et Frédéric Maget, Paris : Seuil, 2010, pp. 151-152 (p. 151) et pp. 152-154 (p. 153). 19 André Maurois, En Amérique, Paris : Flammarion, 1933, p. 22. 20 Denis de Rougemont, Journal d’une époque, op. cit., p. 450. 21 Julien Green intitule un petit texte de 1945 sur New York, « La ville debout », et l’intègre à son recueil Mon Amérique, Paris : Fayard, 2008, pp. 169-173 (p. 169). C’est par des termes analogues de « ville qui vous attend debout » que Le Corbusier aurait décrit New York, selon ce que rappelle Lévi-Strauss. Claude Lévi-Strauss, « New York postet préfiguratif », Le Regard éloigné, op. cit., p. 346. Déjà, dans Voyage au bout de la nuit en 1932, New York, « absolument droite », « est une ville debout ». Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, Paris : Gallimard, 1980, p. 237. ment » qu’il a un temps sur Beekman Place, Rougemont a, début 1943, une perspective inverse, « de l’East River jusqu’à Brooklyn », qui lui présente, comme en parenté avec les poèmes newyorkais de Goll, « [u]n paysage immense de minéral et d’eau », auquel ne manquent pas les « réclames lumineuses » 14 et, comme « fond sonore », l’« appel commercial » des « sirènes des ferry-boats » 15 . Partout chez les écrivains français ou suisses de passage est peint et repeint ce New York boursier et spéculateur, tout en verticalité jusqu’à l’aperçu de l’horizontalité que la hauteur permet, ville, selon Lévi- Strauss, d’un « immense désordre horizontal et vertical » 16 , ce que Rougemont voit en « chaos géométrique » 17 , tandis qu’Élie Faure, dix ans auparavant, voit une « harmonie », le « [t]out » « droit », « simple », « ramassé pour faire flèche vers le haut » 18 ou, pour Maurois en 1927, « hauts plans verticaux d’ombre et de lumière [...] à droite et à gauche de la Cinquième Avenue » 19 . Avec Rougemont se poursuivent, aussitôt après son arrivée par Ellis Island en 1940, ces représentations de l’« élan vertical » d’un « New York identique à son rêve » 20 , à son image réitérée de « ville debout » 21 , que Goll <?page no="14"?> 4 Le retour en France de 1947 : un prologue 22 André Breton, « Hommage à Antonin Artaud », Œuvres complètes, ed. Marguerite Bonnet, vol. 3, Paris : Gallimard, 1999, pp. 736-739 (p. 736). 23 Idem. Si Breton n’inscrit Paris ni dans l’immuable, ni dans le mouvement, Robert Goffin opte pour le permanent lorsqu’il décrit sa visite de Paris en 1946 pour les lecteurs d’Hémisphères restés à New York, où lui-même était en exil pour la durée de la guerre : « Rien n’avait changé [à Paris], si ce n’était moi ». L’article de Goffin, « Je reviens de Paris... », est publié dans le dernier numéro de la revue de Goll, Hémisphères, 6, mars 1946, pp. 52-54 (p. 53). 24 Nathalie Limat-Letellier replace l’intervention en faveur d’Artaud dans une perspective à plus long terme de « reconqu[ête] » par le surréalisme de « son audience » et la lit donc comme un « succès » alors que, sur le moment, la réception de Breton est mitigée. N. Limat-Letellier, « Positions surréalistes dans le champ intellectuel » dans Intellectuel surréaliste (après 1945), ed. Maryse Vassevière, Paris : Association pour l’étude du surréalisme, 2008, pp. 29-50 (p. 29). repousse par l’« émerveillement » dont il enveloppe le Paris qu’il redécouvre de ses propres yeux, comme il le dit à Louis-Marcel Raymond le 13 juillet 1947. Bien différente, et beaucoup plus publique, est la reprise de contact de Breton avec Paris, l’année précédente, quand il est invité à prendre la parole dans son « Hommage à Antonin Artaud », au théâtre Sarah-Bernhardt. Alors que les remarques de Goll s’adressent à un ami au Québec qui a fréquenté, à New York, le milieu des exilés, Breton se tient, ce 7 juin 1946, devant un auditoire ayant vécu l’Occupation et les premières redéfinitions du monde littéraire de l’après-guerre. Dans un « préambule » dont il voudrait qu’on le tienne « quitte », et qu’il achève en reprenant les principaux mots d’ordre du surréalisme, Breton s’interroge sur le décalage qui pourrait exister entre ce qu’il est maintenant et la ville où il revient. 22 En France et à Paris depuis seulement une dizaine de jours, Breton n’est pas aussi assuré que Goll lors de son entrée dans la ville, conscient d’avoir « contre [lui] une trop longue absence » et de ne s’être pas encore nécessairement « remis au diapason de » Paris, incertain aussi sur la manière de « placer [s]a voix ». 23 Autant de questions qui se présentent à Breton, confronté à un public qu’il sait en partie réticent sinon hostile à sa réapparition à Paris et, avec lui, celle du surréalisme, auquel la guerre et l’exil ont fait perdre de sa visibilité et de sa résonance. 24 De retour à Paris, Goll ne reçoit pas le même nombre de sollicitations que Breton, n’a pas à s’expliquer sur un mouvement ni à défendre ses années d’exil. Sa position plus individuelle, et quelque peu en marge, d’avant-guerre ne donne pas à son arrivée un grand retentissement et ses activités et paroles ne sont pas suivies avec une attention particulière. Paris, pour Goll, est un lieu où peuvent se renouveler sans heurt des liens ou s’en créer de nouveaux. Lorsqu’il écrit une deuxième fois de Paris, le 14 juillet 1947, à Louis-Marcel Raymond, l’enthousiasme qu’il avait déjà exprimé pour la ville le 13 s’étend à une France sortie de la guerre comme d’une parenthèse regrettable et ayant conservé intacte son identité, avec ses fleurs des champs et ses récoltes abon- <?page no="15"?> 5 Le retour en France de 1947 : un prologue 25 L’essentiel de cette lettre du 14 juillet 1947 de Goll à Raymond montre des liens qui continuent de relier Goll à l’Amérique, avec une visite en compagnie d’ « amis de New York » à l’Abbaye de Royaumont, où Goll retrouve par hasard trois autres exilés, Jean Wahl, Gustave Cohen et Eugène Jolas, alors que se déroule à Royaumont une nouvelle Décade de Pontigny, version d’après-guerre des séances de Pontigny-en-Amérique, qui pourrait apparaître pour Goll comme l’Amérique-à-Pontigny. 26 Sur ce point, commun à d’autres exilés contemplant leur retour, voir Emmanuelle Loyer, Paris à New York, op. cit., p. 342. L’image d’une « France intacte » est effectivement développée dans Les Lettres françaises immédiatement après la Libération, comme le détaille, pour Mauriac ou Guéhenno entre autres, Verena Andermatt Conley, Littérature, politique et communisme - Lire « Les Lettres françaises, » 1942-1972, New York : Peter Lang, 2005, p. 50. 27 Fragment d’une lettre d’Yvan Goll à Charlotte et Louis Bergman, du 5 juillet 1947. Fonds Goll. 28 Gisèle Sapiro, La Guerre des écrivains - 1940-1953, Paris : Fayard, 1999, p. 568. 29 Lettre d’Yvan Goll à Louis-Marcel Raymond, du 5 juillet 1946. Fonds Raymond. dantes, regroupées en une image de la féminité. La lettre de Goll reconnaît ainsi, dans cet air de fête, la « [v]ieille France, France éternelle, toute revenue à [elle]-même : les cauchemars balayés, et les bleuets piqués dans [s]a belle poitrine de blé ». 25 L’adhésion à cette vision, répandue avec ses variantes par les gaullistes et par les communistes, d’une France qui n’aurait fait que suspendre son histoire un moment est aussi ce qui permet à Goll d’envisager son retour sans s’attarder trop longtemps à mesurer l’étendue de la collaboration, se voyant plutôt réintégrer une France qui se serait retrouvée. 26 Cela n’empêche pas Goll d’adopter une vue à la fois moins triomphaliste et moins mythique quand il s’agit non plus d’une simple idée de la France, mais du problème courant de la pénurie de logements dans le pays aussi bien que dans la région où il retourne pour une brève visite à sa mère, en Moselle, ce même été 1947. Goll se peint, le 5 juillet, à côté de tant d’autres en « sinistr[é] » après avoir décrit l’appartement de sa mère à Metz, qu’elle a été contrainte d’abandonner en 1939, encore habité en juillet 1947 par « des sinistrés » qui « campent », à peu de frais, en ce domicile familial « dans une ordure inconcevable », laissant pour l’heure Claire et Ivan Goll sans « pied-à-terre en Europe ». 27 Goll, qui avait quitté Paris le 22 juin 1947 pour la Lorraine, revient se promener à la mi-juillet dans un Paris où les poètes, de par leur engagement dans la Résistance et le « capital moral » 28 qu’ils se sont ainsi constitué, seraient placés au premier plan, leur personne accueillie et leurs vers bénéficiant d’un marché. À l’inverse, la poésie à New York était, dans l’expérience de Goll, affaire de lutte et d’énergies perdues. Quatre étés de suite néanmoins, Goll a pu arranger des séjours dans des colonies d’artistes, « de petites escapades » offrant un autre cadre à la poésie et au poète, que ce soit à Yaddo en 1941 et 1942 ou à la résidence d’artistes Mac Dowell, dans le New Hampshire, les années suivantes. 29 Pour son premier séjour, à l’été 1941, Goll passe plusieurs semaines avec sa femme dans la colonie de Yaddo, à Saratoga Springs, recommandé par le responsable de Poetry : A Magazine of Verse, George <?page no="16"?> 6 Le retour en France de 1947 : un prologue 30 Carte postale d’Ivan Goll à George Dillon, du 11 août 1941. Poetry Records. Deux lettres à Dillon du printemps 1941 font état de la demande d’un mot de recommandation pour Yaddo concernant le couple Goll, qui signe en duo la lettre du 21 mars 1941. 31 Lettre d’Yvan Goll à Henry Miller, du 12 juillet 1944. Miller Papers. 32 Carte postale d’Ivan et Claire Goll à André Spire et sa femme, du 12 août 1941. Archives privées André Spire. De vifs remerciements à Madame Marie-Brunette Spire pour la communication de cette carte. Le poste offert à Spire à la New School for Social Research et sa participation à l’École Libre des Hautes Études permettent aux Spire, qui regagneront la France en mai 1946, de vivre dans une certaine stabilité. En même temps, remarque aujourd’hui de façon poignante la fille du poète, « ce qu’ils ont laissé derrière eux en Europe [...] hante Spire et sa femme ». Courriel de Marie-Brunette Spire à S. Steele, du 15 octobre 2009. 33 Les deux lettres sont citées par Fabrice Flahutez, Nouveau monde et nouveau mythe - Mutations du surréalisme, de l’exil américain à l’ « Écart absolu » (1941-1965), Paris : Les Presses du réel, 2007, p. 232. 34 Du titre d’un article de Claude Morgan, « Paulhan ou la fausse ingénue », Les Lettres françaises, 7, 167, 1 er août 1947, p. 1. 35 Gisèle Sapiro, La Guerre des écrivains, op. cit., pp. 597 et 658-659. Paulhan publie ses « Sept lettres aux écrivains blancs » durant toute l’année 1947, où le « blanc » résonne en contraste avec la circulation des listes noires. Dillon, auquel il envoie une carte postale, le 11 août, s’extasiant de voir les poètes traités à Yaddo comme dans un conte de fées, une « fairy-tale » 30 , mot que Goll répète, à l’été 1944, dans son appréciation de la Mac Dowell Colony lorsqu’il écrit à Henry Miller 31 . Le ton venu de ces colonies montre des similarités quels que soient les correspondants auxquels Goll s’adresse. Le lendemain de la carte à George Dillon, Ivan et Claire Goll écrivent ensemble une autre carte postale, à leurs amis arrivés en exil à New York en mars 1941, André Spire et sa femme, auxquels les Goll présentent Yaddo comme « un endroit admirablement fait pour la rêverie et le travail ». 32 Ces moments d’enchantement qui se reproduisent l’été sont trop rares pour tempérer le jugement d’Ivan Goll sur la vie de poète qu’il a menée à New York. Par contraste non pas avec Yaddo mais avec New York, la rencontre de Goll avec la poésie à Paris se fait dans les hauts lieux du Comité National des Écrivains, où il côtoie les plus influents et les plus porteurs d’autorité, Aragon, Éluard, Tzara, et leur entourage de poètes s’étant fait un nom dans la Résistance. Goll n’est évidemment pas autant sur ses gardes que Breton et Péret en 1945, qui échangent des mots de méfiance à l’encontre de « la dictature Aragon- Éluard », pour Breton le 1 er juillet, ou, pour Péret le 23 mars, contre « ces canailles d’Éluard et Aragon ». 33 De son côté, Goll n’entre pas, quand il écrit à Raymond, dans les débats qui touchent le CNE et son rôle contesté dans le champ littéraire où il distribue sanctions et exclusions tandis que la revue qui lui est longtemps rattachée, Les Lettres françaises, offre aux écrivains et poètes en faveur un public acquis. Dans cette époque de pleine polémique entre Les Lettres françaises et cette « fausse ingénue » que serait devenu Jean Paulhan 34 , démissionnaire en novembre 1946 du CNE et imité en cela par les « aînés » comme Jean Schlumberger ou Georges Duhamel le mois suivant, Goll demeure sur une surface d’harmonie et de bonnes relations au sein du CNE. 35 <?page no="17"?> 7 Le retour en France de 1947 : un prologue 36 Jean Marcenac, Je n’ai pas perdu mon temps, Paris : Messidor-Temps actuels, 1982, p. 343. 37 Gisèle Sapiro, La Guerre des écrivains, op. cit., p. 662. 38 Lettre d’Yvan Goll à Louis-Marcel Raymond, du 20 octobre 1947. Fonds Raymond. 39 « La Vente du C.N.E. », Les Lettres françaises, 7, 178, 16 octobre 1947, p. 5. 40 Les Lettres françaises, 7, 179, 23 octobre 1947, p. 5. Loin d’apparaître, dans la lettre de Goll à Raymond du 13 juillet 1947, au milieu des conflits qu’il suscite et qui contribuent à son affaiblissement, le CNE est décrit dans une ascension irrésistible, qui le fait emménager, n’en déplaise à Aragon, dans les beaux quartiers, avec une nouvelle « résidence somptueuse » près de l’Élysée. Dans ce lieu fourmillant d’activités, Goll croise, comme le décrit la lettre, Éluard et Tzara « publi[ant] » « livres sur livres », « réimpressions, éditions de luxe, morceaux choisis » et, pour Raymond, Goll décline les noms de poètes et écrivains issus de la Résistance, jeunes et moins jeunes, qui sont aussi présents à l’un de ces « samedis du CNE » 36 . La poésie, que Goll apparentait à une activité précaire à New York, se vend en nombre à Paris. Lui-même est inclus dans ce marché, avec un plaisir non caché, lors d’une autre nouveauté, l’inauguration, avenue Gabriel, de la Maison de la Pensée, le 16 octobre 1947. Pour cette occasion, rendue plus officielle par la visite, annoncée depuis juillet, du Président Auriol, une « vente des livres [est] organisée par Elsa Triolet au nom du C[omité] ». 37 Ce jour-là, Goll voit « les billets de 1000 francs vol[ant] comme les tourterelles bleu-pâles » « [a]utour des stands d’Éluard, d’Aragon, d’Elsa Triolet », tandis qu’eux aussi, Claire et Ivan Goll, tout près, « vend[ent] et sign[ent] leurs livres ». 38 Le tout se déroule dans une atmosphère de vedettariat où l’on ne sait, des actrices, Madeleine Renaud, Maria Casarès, Gaby Sylvia, des acteurs, Louis Jouvet, Jean-Pierre Aumont, ou des « écrivains les plus aimés du public », qui s’attire le plus de célébrité, alors que « [l]e buffet [est] servi par les danseuses du corps de ballet de l’Opéra ». 39 Dans l’une des photos qui documentent l’événement pour Les Lettres françaises, Louis Jouvet, exilé pendant la guerre en Amérique latine, se fait « vendeur », l’espace d’un jour, des livres qu’Aragon et Elsa Triolet dédicacent aux acheteurs près de lui. 40 Pour comprendre mieux ce que cette scène peut avoir d’extraordinaire pour Ivan Goll, on peut se tourner vers une autre de ses correspondances, qui date des premières années de la guerre, avec la poétesse américaine Louise Bogan. Dans tout ce qu’il expédie à Louise Bogan se dessine une image de Goll lors de ses débuts américains et son passage à Cuba, quand la poésie s’écrit, se traduit, et attend une publication en exil, quand le poète tente de pénétrer un monde sans points de repère familiers. Dix envois à Louise Bogan, neuf à William Carlos Williams, quatre à René Taupin, deux lettres à Louis-Marcel Raymond, une lettre chacun à George Dillon, James Laughlin, Rolfe Humphries, et une carte postale à Louis Zukofsky paraissent en dernière partie de cette étude, qui se veut à la fois introduction à cette correspondance pour l’essentiel inédite de Goll, lecture de son exil newyorkais, lecture aussi <?page no="18"?> 8 Le retour en France de 1947 : un prologue 41 F. J. Carmody, The Poetry of Yvan Goll - A Biographical Study, Paris : Caractères, 1956, p. 99. 42 Cette information, ainsi que d’autres précisions de la même nature sur les déplacements de Goll en 1939-1940, figurent dans l’ouvrage de Barbara Glauert : Claire Goll et Iwan Goll, Meiner Seele Töne - Das literarische Dokument eines Lebens zwischen Kunst und Liebe, aufgezeichnet in ihren Briefen, ed. B. Glauert, Bern : Scherz, 1978, pp. 256-257. Klaus Weissenberger entre aussi dans le détail de cette période jusqu’en 1947. K. Weissenberger, « Iwan Goll : New York 1939-1947 » dans John Spalek et Joseph Strelka, Deutsche Exilliteratur seit 1933, vol. 2, t. 1, Bern : Francke, 1989, pp. 238-259. Un aperçu de l’exil de Goll est donné par Nan Watkins, «‹ Soleils jumeaux ›: Yvan et Claire Goll en Amérique » dans Yvan Goll (1891-1950) Poète européen des cinq continents, ed. A. Ronsin, Saint-Dié-des-Vosges : Société des Amis de la Fondation Yvan et Claire Goll, 1999, pp. 57-63. Le sujet est traité également par Philippe Brun dans son article « L’exil américain : Recherche d’une nouvelle théorie poétique », Europe, 82, 899, mars 2004, pp. 241-252. 43 Guy Stern, dans son article évoquant « Hiobs Revolte », positionne implicitement Goll parmi les écrivains d’expression allemande, sur la base de ce poème d’après-guerre, où il relève les « dernières années » d’exil que Goll passe à New York. G. Stern, « Job as Alter Ego : The Bible, Ancient Jewish Discourse, and Exile Literature », The German Quarterly, 63, 2, Spring 1999, pp. 199-210 (p. 203). 44 Ivan Goll, « Ivan Goll writes », View, 1, 4-5, Dec. 1940-Jan. 1941, p. 4. Aucune mention n’est faite par Goll, dans ces quelques lignes de la rubrique « View Poets », de sa religion juive, à moins d’une coupure dans le texte. Goll termine la notice par sa vie en Amérique, où il poursuit, dit-il, l’écriture de « Jean sans Terre and the passive resistance of the de ses poèmes liés à Cuba, où est écrite la part la plus importante des lettres à Louise Bogan. Des éléments de l’exil de Goll aux Etats-Unis sont connus des travaux de ses plus assidus commentateurs, Francis J. Carmody, Barbara Glauert-Hesse et l’historien-bibliothécaire Albert Ronsin, sans oublier bien sûr ce que Claire Goll a pu en dire. Ainsi, sur un plan pratique, Carmody rappelle qu’Ivan et Claire Goll effectuent le voyage qui les mène en exil à bord du Veendam en provenance de Boulogne-sur-Mer. 41 Le départ a lieu le 26 août 1939 42 , quelques jours avant la déclaration de guerre, mettant Goll parmi la première vague de réfugiés français aux Etats-Unis. Il peut être surprenant de constater que Goll est, sinon absent, du moins rarement mentionné dans les récents ouvrages parus sur les exilés français en Amérique durant la Deuxième Guerre. Cet oubli est sans doute lié au fait que Goll est aussi assimilé, comme dans l’ouvrage de John Spalek et Joseph Strelka, à l’émigration de langue allemande, où il ne se retrouve pas non plus complètement à sa place. 43 La difficulté à situer Goll pour la période d’exil, vers la fin de laquelle il obtient la citoyenneté américaine, est justement représentative de ses premiers états civils. Sa naissance en Lorraine à Saint-Dié-des-Vosges, alors dans la région d’Alsace-Lorraine annexée, prépare pour Goll un parcours à la fois commun et individuel de nationalités et de langues faisant se succéder allemand et français. Alsacien par son père, Lorrain par sa mère, Goll se dit en perpétuelle contradiction avec lui-même, avec l’Est et l’Ouest, « in constant contradiction with [him]self, with the East and the West », d’après les mots qu’il utilise en 1941 dans la revue fondée par Charles Henri Ford avec Parker Tyler, View. 44 <?page no="19"?> 9 Le retour en France de 1947 : un prologue poet ». Idem. Ce mot de View est cité en début d’article par Barbara Glauert-Hesse, «‹ Je n’appartiens qu’à l’Europe ›», Europe, 899, mars 2004, pp. 114-151 (p. 114). 45 Le texte a été retrouvé à Saint-Dié-des-Vosges par Eric Robertson et Robert Vilain, qui le citent dans leur « Introduction » à Yvan Goll - Claire Goll : Texts and Contexts, Amsterdam/ Atlanta : Rodopi, 1997, pp. 1-8 (p. 2). 46 Voir l’extrait de la lettre d’Yvan Goll à Clark Mills, du 3 septembre 1942, reproduit dans Yvan Goll (1891-1950). Poète européen des cinq continents, op. cit., p. 112. 47 Claude Lévi-Strauss et Didier Éribon, De près et de loin, Paris : Odile Jacob, 2008 (1988), p. 47. Dans la retouche faite au nom de Lévi-Strauss, Laurent Jeanpierre distingue un facteur qui conduit les intellectuels exilés à un effort de « mise en cohérence de soi », ajoutant à l’analyse sociologique de l’implantation « une psychologie ». Celle-ci n’est pas nécessairement exclusive à l’exil si l’on prend en compte la conjonction des discours et mesures, dans l’entre-deux-guerres, où le sujet a pu être jeté dans cette position d’être « étranger » à lui-même ou au monde. L. Jeanpierre, « Les structures d’une pensée d’exil : La formation du structuralisme de Claude Lévi-Strauss », French Politics, Culture & Society, 28, 1, Spring 2010, pp. 58-76 (p. 61). Dans un portrait similaire, rédigé également aux Etats-Unis, Goll évoque les deux aires géographiques qui lui viennent de son ascendance familiale, se percevant moins entre la France et l’Allemagne qu’au « croisement de ces provinces ennemies, l’Alsace et la Lorraine ». 45 La collection des attaches est étendue, et cultivée longtemps, par Goll lui-même dans son recours, en tant qu’écrivain, à une série de noms et pseudonymes, comme Tristan Thor, qui varient en fonction de la langue d’écriture, de l’époque, du lieu de publication ou de résidence. Enfin, ce jeu marqué par les nécessités touche aussi la graphie du prénom de Goll, qui signe « Ivan » ses lettres et écrits des premières années en Amérique. C’est la graphie retenue ici, la plus commune du reste pour ses publications en français, en usage depuis l’époque où il signait Lazang, en 1910, par une alliance des noms de sa mère, Lazard, et de son père, Lang. Le « I » d’Ivan reste au plus près de la signature allemande de Goll, « Iwan », et conserve un lien avec son prénom d’origine « Isaac », mais cette lettre initiale produit en Amérique une confusion qui associe Goll au monde russe. La forme « Yvan », qu’il s’est déjà appropriée dans le passé, semble de nouveau à Goll, au courant de l’année 1942, préférable, ne seraitce que pour éviter l’autre appartenance, toute de surface, celle appelée par le « I » d’Ivan. 46 La modification du « I » en « Y » que Goll apporte à son prénom vient plus facilement chez cette personne aux noms multiples que le changement exigé de Claude Lévi-Strauss à sa prise de fonction à la New School d’Alvin Johnson à New York, où il se fait appeler du « patronyme mutilé » Claude L. Strauss, pour échapper à l’amalgame avec la marque de jeans dont il réentendra parler à d’autres moments de sa vie. 47 Reste, après la discussion du nom dans ses variations voulues et imposées, à apporter quelques précisions sur les mots de réfugié, d’émigré, d’exilé - un exilé que Saint-John Perse voit en 1940 à New York, « partout » en cette ville et « en ce monde », dans « l’œil du cheval de police qui [...] refuse chaque <?page no="20"?> 10 Le retour en France de 1947 : un prologue 48 Saint-John Perse, Lettre du 6 novembre 1940 à Mrs. Francis Biddle, Œuvres complètes, Paris : Gallimard, 1972, pp. 899-900 (p. 900). 49 Saint-John Perse, « D’une interview de Pierre Mazars (Extraits) », Œuvres complètes, op. cit., pp. 575-577 (p. 576). 50 Dans la même lettre du 6 novembre 1940, Saint-John Perse indique avoir « appris récemment par la presse que le Gouvernement de Vichy, au lendemain des entrevues franco-allemandes de Paris, avait pris contre [lui] la mesure extrême de privation de la nationalité française ». Saint-John Perse, Lettre du 6 novembre 1940 à Mrs. Francis Biddle, Œuvres complètes, op. cit., p. 900. 51 Peter von Mendelssohn, « Writers Without Language » dans Writers in Freedom - A Symposium, ed. Hermon Ould, Port Washington (NY)/ London : Kennikat Press, 1970 (1941), pp. 92-98 (pp. 94-95). 52 Jacqueline Chénieux-Gendron, « Surrealists in Exile : Another Kind of Resistance », trad. Andrew Eastman, Poetics Today, 17, 3, Fall 1996, pp. 437-451 (p. 439). L’exil lié au langage, indique Goll, serait plus simplement trouvé dans l’écart entre le poète et le public, avec des exemples allant de Verlaine à Joyce, comme il le dit dans son article « Poètes en exil », Pour la Victoire - Journal français d’Amérique, 14 février 1942, p. 6. nuit, avec la même douceur, [un] morceau de sucre sur la voie publique ». 48 Cet animal, déplacé de son habitat naturel, coupé de ses instincts, éloigné de ses origines, laisse sentir les contours d’un mythe de l’exil, que Saint-John Perse généralise encore ailleurs, quand on l’interroge en 1960 sur son poème Exil, comme une « éternité » « dans la condition humaine », où l’histoire est tenue à bonne distance. 49 L’image du cheval soumis, sans apparente révolte, aux commandes de la police, a quant à elle sa résonance historique, d’autant plus perceptible qu’elle émane d’un acteur de la politique étrangère de la France d’avant-guerre. Cet animal tiré de son terroir et de sa noblesse, tenu par un agent des forces de l’ordre, pourrait signifier la sujétion de la France avec la complicité de Vichy, qui a tout juste retiré, en octobre, à Alexis Saint- Léger Léger, la nationalité française. 50 Les termes d’exil et d’exilé, qui affleurent dans la lettre du 6 novembre 1940 de Saint-John Perse, reviennent plus souvent dans cette étude que celui de réfugié, employé ici dans le sens concret de l’époque, tel que le donne par exemple l’écrivain allemand Peter von Mendelssohn qui a lui-même fui en France puis en Angleterre pour échapper aux Nazis. Dans son intervention de septembre 1941 devant le P.E.N. Club à Londres, Mendelssohn définit le réfugié par opposition à l’« émigré » comme celui qui cherche « refuge » de manière temporaire, à la recherche d’un lieu qui lui permette de vivre en attendant un retour possible. 51 Une autre intemporalité que celle du commentaire de Saint-John Perse sur Exil s’attache au modèle d’analyse proposé par Jacqueline Chénieux-Gendron, qui privilégie, chez les surréalistes partis d’Europe, une notion de double exil, « double exile, from language and land », où « language » se rapporte à un écart originaire entre le poète et le langage dans lequel il écrit, condition plus à vif, pourrait-on penser, dans le cas des poètes frontaliers comme Goll, partagés entre différents appels et voix. 52 Pour rester aussi fidèle que possible au cadre de l’histoire et de la guerre, quand les langues varient au rythme des lieux abandonnés et traversés, l’« exil » est entendu, dans ces pages, comme départ <?page no="21"?> 11 Le retour en France de 1947 : un prologue 53 Sabine Eckmann, « Considering (and Reconsidering) Art and Exile » dans Exiles and Emigrés - The Flight of European Artists from Hitler, ed. Stephanie Barron, Los Angeles : Los Angeles County Museum of Art, 1997, pp. 30-39 (p. 30). forcé par les événements, sans contrôle véritable sur la fin de ces événements qui rendrait envisageable le retour. Le mot « événements » reste vague à dessein pour correspondre aux situations que ne couvre pas nécessairement le sens plus strict d’exil selon lequel l’État se trouverait être l’autorité contraignant l’individu à partir, que ce soit en lui retirant sa citoyenneté, en le bannissant ou en le persécutant ; « the state is the active party, compelling the individual to relocate by ‹ deprivation of citizenship, banishment, persecution › ». 53 La France est encore en paix lorsque Goll quitte le pays, sentant, comme tant d’autres, la menace venir de l’extérieur. Comme tant d’autres aussi, Goll ne s’attend guère à ce que l’État qu’il laisse derrière lui se retourne contre des segments de la population. <?page no="22"?> 54 Lettre de Louise Bogan à Morton Zabel, du 1 er mars 1940 dans What the Woman Lived : Selected Letters of Louise Bogan, 1920-1970, ed. Ruth Limmer, New York : Harcourt Brace Jovanovich, 1973, pp. 201-203 (p. 201). Son correspondant, Morton Dauwen Zabel, dirige en 1936-1937 la revue Poetry : A Magazine of Verse, où Louise Bogan publie de temps en temps. 55 Robert Goffin, Souvenirs à bout portant - Poésie, barreau, jazz, Charleroi : Institut Jules Destrée, 1979, p. 171. 56 Lettre de Louise Bogan à Morton Zabel, du 1 er mars 1940 dans What the Woman Lived, op. cit., p. 201. 57 Ibid., p. 202. 58 Louise Bogan, Journey Around my Room, ed. Ruth Limmer, New York : The Viking Press, 1980, p. 95. II. L’installation à New York, 1939-1940 Quelques mois après qu’Ivan Goll, arrivé le 6 septembre 1939 avec sa femme Claire à New York, se soit présenté par lettre à Louise Bogan, cette poétesse, également critique et traductrice, décrit à un ami une visite chez les Goll, dans leur maison délabrée près de Riverside, « dilapidated house near Riverside » 54 , quartier où trouveront à loger plusieurs réfugiés à New York, parmi lesquels Simone Weil, Gustave Cohen et Robert Goffin, qui se souvient plus tard de Goll comme lui étant, parmi « les exilés », « particulièrement cher » 55 . Vivant dans une situation typique des réfugiés au bout de leurs ressources, le couple Goll habite deux chambres de bonne et une petite cuisine, « two ex-servants’ rooms and a little cuisine » 56 , mais ce n’est pas sur les difficultés d’installation des Goll que s’arrête Louise Bogan dans ses remarques, évoquant plutôt ce qui rapproche, selon elle, le comportement d’Ivan et Claire Goll de celui qu’elle voit chez les réfugiés en général. Elle relève une approche de réfugié, « the refugee approach », chez Claire, une détermination de réfugié, « refugee drive » 57 , chez Ivan, des tactiques et manœuvres qui consisteraient à chercher à tout prix à se faire des relations dans le cercle newyorkais des revues et de l’édition. Cette question de survie pour les poètes et écrivains que sont les Goll est rejetée, dans d’autres circonstances, par Louise Bogan comme simple moyen de parvenir à ses fins, une « technique […] to gain […] ends », et est tournée en un calcul froid, un arrivisme que Bogan perçoit au cours des années trente dans le monde littéraire, avec entre autres ses comptes rendus de faveur, ses soirées du P.E.N. Club, « P.E.N. Club dinners ». 58 L’insertion sociale et professionnelle des Goll en tant qu’écrivains transplantés lui semble planifiée, assurée, avec une vitesse que recommande à l’« emigrant writer » Peter von Mendelssohn dans son discours du P.E.N. Club, où il insiste <?page no="23"?> 13 L’installation à New York, 1939-1940 59 Peter von Mendelssohn, « Writers Without Language » dans Writers in Freedom, op. cit., p. 96. Mendelssohn prononce son discours à la fin de l’été 1941, lors du congrès du P.E.N. Club International réuni à Londres, où le titre de président, tenu depuis 1936 par Jules Romains, lui est retiré. La création, par Romains, à New York d’une section européenne des P.E.N. Clubs pour les écrivains et intellectuels exilés en Amérique, en défense d’une culture européenne libre, est jugée cavalière, en même temps que lui sont de nouveau reprochés ses contacts avec l’Allemagne nazie des années trente. Voir les allocutions d’Antoni Slonimski et de Robert Neumann à ce XVII e Congrès, recueillies dans Writers in Freedom, op. cit., pp. 68 et 99-103. Olivier Rony voit Hermon Ould, alors secrétaire international du P.E.N. Club et éditeur de l’ouvrage Writers in Freedom, au centre des manœuvres contre Romains. O. Rony, Jules Romains ou l’appel au monde, Paris : Robert Laffont, 1993, pp. 523-526. Un échange de lettres entre Lion Feuchtwanger et Romains renseigne sur la création de la section européenne des P.E.N. Clubs et son dîner d’inauguration du 15 mai 1941 à New York. Cette correspondance de février à avril 1941 figure dans la Feuchtwanger Archive, à l’University of Southern California. Goll participe, au mois de février 1941, aux côtés de Jules Romains, à une rencontre de cette section européenne alors en formation. La lecture que Goll va faire de son œuvre est annoncée dans « Books - Authors », The New York Times, 18 février 1941, p. 21. 60 Lettre de Louise Bogan à Morton Zabel, du 1 er mars 1940 dans What the Woman Lived, op. cit., p. 202. 61 Idem. 62 David Laskin, Partisans - Marriage, Politics, and Betrayal Among the New York Intellectuals, New York : Simon & Schuster, 2000, p. 50. 63 L’ouverture de la revue à des auteurs plus internationaux est replacée dans le contexte des premières années de la guerre par Terry Cooney, The Rise of New York Intellectuals - « Partisan Review » and Its Circle, Madison : The University of Wisconsin Press, 1986, p. 207. sur le fait que le travail de l’écrivain émigrant est d’acquérir un nouveau fonds aussi vite que possible et qu’il ne doit pas perdre de temps à se rééquiper : « His job is to acquire a new [stock] as quickly as possible. He must not lose time to re-equip himself ». 59 Se heurtant en 1940, chez les Goll, à cet usage accéléré du temps qui, dans le modèle de Mendelssohn, ferait de Goll un émigré plutôt qu’un réfugié, Louise Bogan énonce, avec un dédain touchant aussi les juifs, qu’au bout de six mois à New York, les Goll ont mis de leur côté tous ceux qui comptent, naturellement, à commencer par les intellectuels juifs, « [t]hey have everyone lined up, naturally, beginning with the Jewish intellectuals ». 60 Bogan donne alors à Morton Zabel les noms de deux poétesses américaines, Babette Deutsch, qui effectue plusieurs traductions de Goll, et Jean Starr Untermeyer, qu’elle fait suivre d’un large « etc. » 61 , qui pourrait être compris par Zabel comme désignant les « Partisan Review intellectuals » 62 , alors en plein repositionnement et gardant leur forte présence à New York. Goll peut envisager d’ajouter sa voix à la Partisan Review qui, à ce moment précis, réagit à la guerre en s’ouvrant à diverses tendances littéraires, pour faire entendre autre chose que la ligne anti-stalinienne de gauche qui a été la sienne. 63 La revue devient, dans les mots acides de Nicolas Calas en 1940, un organe qui zigzague de Trotsky à T. S. Eliot suivant une ligne culturelle peu cohérente, « zigzags from Trotsky to T. S. Eliot follow[ing] a broken <?page no="24"?> 14 L’installation à New York, 1939-1940 64 Nicolas Calas, « View Listens [Lettre au directeur de View] », View, 1, 2, Oct. 1940, pp. 1 et 5 (p. 5). Dans sa lettre à View, le poète et critique d’art Nicolas Calas, arrivé au début de cette même année à New York, aborde la question de la « relationship of the Surrealists with Partisan Review » et prend à partie l’un des auteurs de cette revue, Clement Greenberg, pour une série de fausses vérités sur le surréalisme. Ibid., p. 1. Voir aussi, autour de cet article, Vassiliki Kolocotroni, « Minotaur in Manhattan : Nicolas Calas and the Fortunes of Surrealism », Modernist Cultures, 4, 2009, pp. 84-102 (pp. 87-88). La Partisan Review et Greenberg restent sur leur hostilité, comme le rappelle Romy Golan, qui note d’autres voix allant dans ce même sens, l’hebdomadaire Time Magazine en 1942 et Klaus Mann avec son « Surrealist Circus » au vitriol de 1943. Romy Golan, « On the Passage of a Few Persons Through a Rather Brief Period of Time » dans Exiles and Emigrés, op. cit., pp. 128-146 (pp. 132-133). 65 David Laskin, Partisans, op. cit., p. 25. 66 Lettre de Louise Bogan à Morton Zabel, du 1 er mars 1940 dans What the Woman Lived, op. cit., p. 202. 67 Denis de Rougemont, Journal d’une époque, op. cit., p. 463. 68 Lettre d’Ivan Goll à Clark Mills, du 1 er septembre 1940. Fonds Goll. 69 En 1914, Goll quitte Berlin où il séjourne depuis peu, fuyant le service militaire pour se réfugier en Suisse. Là, il retrouve un certain nombre d’écrivains « pacifistes » de langue allemande, divisés bien qu’unis contre la guerre. Voir Jean-Michel Palmier, Weimar en exil cultural line ». 64 Dans la vision de Bogan, Babette Deutsch et Jean Starr Untermeyer forment la première étape d’un parcours tout tracé d’une intégration professionnelle et sociale de Goll qui mène directement aux revues. Bogan savoure ainsi la connexion qu’Ivan Goll a tout juste établie avec l’équipe éditoriale de la Partisan Review, Dwight Macdonald et Frederick Dupee, ce dernier rencontré à l’un des nombreux cocktails de la Partisan Review, « PR cocktail parties » 65 , où « Dupee was ‹ very dronk › » 66 , un « dronk » ou soûl qui laisse peut-être entendre l’intonation de Goll dans son récit des événements et de l’ivresse du personnage de Dupee. Plus qu’anecdotique, la « party » qui tire son « anim[ation] » du passage renouvelé des « plateaux de cocktails » apparaît à Denis de Rougemont en janvier 1941 comme la manifestation d’« un milieu littéraire » newyorkais où se retrouvent les « intellectuels » dont « les noms [figurent] dans les petites revues de l’avant-garde américaine » ; et d’autres éléments encore de la description de Rougemont, l’âge des invités et les références qui surgissent dans leurs conversations, amènent à rapprocher cette soirée de la vie sociale de la Partisan Review. 67 Les contacts que Goll forme en 1940 avec les responsables de la Partisan Review se développent au point que la revue devient, selon les mots de Goll lui-même, sa principale source de revenus durant sa première année à New York. 68 C’est avec cette précarité économique en tête qu’on peut lire les lettres d’avril-mai 1940 à Bogan montrant l’inquiétude avec laquelle Goll suit la parution de son « Jean sans Terre traverse l’Atlantique » dans la Partisan Review. Toujours guidée par un soupçon de faux réfugié ou vrai privilégié, que ce soient les exilés allemands et autrichiens des années 1930, que Goll a pu connaître, pour certains d’entre eux, de son exil en Suisse pendant la Première Guerre 69 , et que Bogan a pu côtoyer de près ou de loin à New York <?page no="25"?> 15 L’installation à New York, 1939-1940 - Le destin de l’émigration intellectuelle allemande antinazie en Europe et aux Etats-Unis, vol. 2, Paris : Payot, 1988, pp. 40-41. Palmier situe Goll dans la « littérature allemande » pour les années suisses, et dans un groupement plus large pour l’exil américain, celui de la « littérature [...] européenne ». Ibid., p. 188. Massimo Morasso revient aussi sur les rencontres que fait Goll en Suisse et perçoit cette période comme déterminante sur le parcours poétique de Goll, « una tappa decisiva ». M. Morasso, « 1914-1918 : Guerra e esilio in Yvan Goll », Quaderni del Dipartimento di Lingue e Letterature Straniere Moderne - Universita di Genova, 9, 1997, pp. 95-106 (p. 95). 70 Lettre de Louise Bogan à Morton Zabel, du 19 mars 1940 dans What the Woman Lived, op. cit., pp. 203-206 (p. 205). 71 Barbara Glauert-Hesse précise que les Goll ont reçu, le 14 avril 1939, un « sauf-conduit » pour Cuba par l’entremise de la chargée d’affaires de la République de Cuba en France, Flora Diaz-Parrado. Claire Goll, Iwan Goll, Meiner Seele Töne..., op. cit., p. 257. Claire Goll suggère que le départ de France s’est fait dans la précipitation. Claire Goll, La Poursuite du vent, op. cit., pp. 214-215. 72 Albert Ronsin, « Yvan Goll, ‹ L’homme à tiroirs › dans la littérature européenne du XX e siècle », dans Yvan Goll (1891-1950) Poète européen des cinq continents, op. cit., pp. 13-45 (p. 33). Se reporter aussi à la lettre d’Ivan Goll à Flora Diaz-Parrado, du 20 février 1940, où Goll explique en grand détail sa situation de visa. Fonds Goll. On peut également lire le début de la lettre du 28 avril 1940 de Goll à la poétesse Paula Ludwig, avec laquelle il est longtemps resté proche. De Cuba, il évoque pour elle le processus qui pourra le mener, au bout de cinq ans, à la nationalité américaine. Iwan Goll, Paula Ludwig, Ich sterbe mein Leben. Briefe 1931-1940. Literarische Dokumente zwischen Kunst und Krieg, ed. Barbara Glauert-Hesse, Francfort-Berlin : Limes, 1993, pp. 541-543 (p. 541). dans son travail pour la chronique poétique « Verse », tenue régulièrement à partir de 1937 au New Yorker, ou bien qu’il s’agisse de ces tout récents arrivants du début de la guerre, Louise Bogan les voit avec des choix et des portes ouvertes devant eux, vivant par moments même dans une certaine aisance. C’est ainsi qu’apparaît Ivan Goll quand elle le décrit à Morton Zabel, le 19 mars 1940, entrant gratuitement au musée pour une séance de cinéma avec elle grâce à la carte de presse qu’il présente au guichet. Plus déterminant encore, Bogan montre Goll sur le point d’embarquer, dans une quinzaine ou plus tôt, pour Cuba avant d’aller au bord de la mer pour l’été, « in a fortnight or less, he oars away to Cuba, and then goes to the seaside for the summer ! ». 70 Le voyage à Cuba n’a pas la légèreté du rameur partant sur son petit bateau que suggère l’expression « oars away » de Bogan, d’une traduction difficile. Il est en fait prévu, depuis le printemps 1939, de passer par Cuba, au cas où cela s’avérerait nécessaire pour gagner un autre pays, avec l’idée de plus en plus pressante chez Claire et Ivan Goll de quitter une Europe au bord du conflit. 71 Une fois les Goll aux Etats-Unis, aller à Cuba répond aussi, sur un plan pratique, à la nécessité d’établir une nouvelle demande de visa américain pour remplacer la première autorisation de séjour, simplement « touristique », d’une durée limitée à six mois et prenant fin le 18 avril 1940. 72 Ces raisons, que Louise Bogan peut ignorer, connaissant les Goll depuis peu de temps, n’existent pas dans sa lettre, qui ne retient que la villégiature, Cuba et puis le bord de mer sur la côte Est. L’agréable itinéraire amène chez Bogan la réflexion ironique, « O leave it to the refugees ! », ce qui équivaut à dire : <?page no="26"?> 16 L’installation à New York, 1939-1940 73 Lettre de Louise Bogan à Morton Zabel, du 19 mars 1940 dans What the Woman Lived, op. cit., p. 205. 74 Ibid., pp. 203-204. 75 Ibid., p. 201. 76 Lettre de Ruth Herschberger à Mr. Frank Walker, de la Fales Library, datée du 12 mars 1985. Fales Collection. 77 Cette page fait partie de l’envoi du 28 octobre 1941. Fales Collection. Tous droits réservés (Alle Rechte bei und vorbehalten durch Wallstein Verlag, Göttingen). 78 Fales Collection. Tous droits réservés (Alle Rechte bei und vorbehalten durch Wallstein Verlag, Göttingen). Voir aussi les trois exacts mêmes vers tirés d’un autre manuscrit dans Yvan Goll, Die Lyrik in vier Bänden - IV, Späte Gedichte, 1930-1950, ed. Barbara Glauertc’est bien leur genre, les réfugiés, d’avoir tant de possibilités derrière les difficultés visibles. 73 Les deux lettres de mars 1940 de Louise Bogan à Morton Zabel peuvent fonctionner comme une introduction à la correspondance Ivan Goll-Louise Bogan, où seules les lettres d’Ivan Goll paraissent avoir subsisté en nombre, dans les Louise Bogan Papers à Amherst College. Un type d’intimité semble d’abord se développer entre Ivan Goll et Louise Bogan, qui parle dans la lettre du 19 mars à Zabel de sa petite idylle, « little idyll », des espèces de mamours, « huggings and tuggings » 74 , après avoir décrit le 1 er mars sa rencontre avec ce « fellow lyric poet » 75 à travers une série d’allusions théâtrales et alors même qu’elle est le témoin attentif de problèmes dans le couple Goll. Les lettres de Goll à Bogan n’entrent pas dans la sphère privée de sa vie conjugale, à l’exception de quelques mots accusateurs à l’encontre de Claire, le 5 mai 1940 à La Havane, où il est question de « drames », de « jalous[ie] » et de « démêlés exaspérants » qui, selon Goll, lui viennent « plus [...] que jamais » de sa femme. La lettre enchaîne aussitôt, sans faire le lien avec cette apparente jalousie, sur une scène où « les filles » cubaines « passent » tout autour de Goll « à [le] rendre fou » d’un désir qui ne s’arrête pas là. Un autre moment de tension entre Claire et Ivan Goll, à l’automne 1941, est conservé dans quelques lettres et poèmes adressés à la jeune poétesse Ruth Herschberger, avec laquelle Goll a une brève liaison. Bien plus récemment, en 1985, alors qu’elle se dit désargentée, Ruth Herschberger explore la possibilité de vendre les documents manuscrits de Goll qu’elle possède du temps de cette aventure et donne une copie de poèmes et lettres formant une unité à la Fales Library de New York University. 76 À l’intérieur du lot apparaissent les trois « Songs for Ruth », expédiées sous forme manuscrite par Goll en courrier rapide, « Special Delivery », le 28 octobre 1941 à Ruth Herschberger, avec l’instruction de ne pas faire de réponse, « Please : no answer », ajoutée à la main au bas du poème « Nobody saw the red wound under my shirt ». 77 Cette inscription, qui laisse la lectrice seule avec les poèmes qu’elle a reçus, suit des vers où tout reste intime et confidentiel, plaie amoureuse, rivières ou chamois, « Nobody saw the red wound under my shirt/ Nobody saw the rivers rush home to the enzian of the Alps/ Nobody saw the chamois bury their return in the snow ». 78 Ce poème, qui dit un amour dérobé au regard des <?page no="27"?> 17 L’installation à New York, 1939-1940 Hesse pour la Fondation Yvan et Claire Goll (Saint-Dié-des-Vosges), Berlin : Argon, 1996, p. 315. 79 Idem. 80 Fales Collection. Tous droits réservés (Alle Rechte bei und vorbehalten durch Wallstein Verlag, Göttingen). 81 Yvan Goll, Die Lyrik… - IV, op. cit., p. 316. 82 Fales Collection. Tous droits réservés (Alle Rechte bei und vorbehalten durch Wallstein Verlag, Göttingen). 83 Yvan Goll, Die Lyrik… - IV, op. cit., p. 315. 84 Fales Collection. Tous droits réservés (Alle Rechte bei und vorbehalten durch Wallstein Verlag, Göttingen). 85 Yvan Goll, Die Lyrik… - IV, op. cit., p. 315. 86 Fales Collection. Tous droits réservés (Alle Rechte bei und vorbehalten durch Wallstein Verlag, Göttingen). 87 Lettre de Claire Goll à Ruth Herschberger, du 1 er novembre 1941. Fales Collection. Ruth Herschberger est reconnue le lendemain, 2 novembre, par la rubrique « Books and Authors » du New York Times comme appartenant aux jeunes poètes prometteurs du moment. « Books and Authors », The New York Times, 2 novembre 1941, Book Reviews, p. 12. autres et qui porte le numéro 3 de la série des trois poèmes, est placé en deuxième position dans la version publiée de 1996, avec pour unique changement un signe de ponctuation en moins à la fin du vers « Nobody knew that summer was gone ». 79 Les deux autres poèmes des copies de Ruth Herschberger, par contre, présentent plusieurs variantes, dans leurs mots et leurs images, par rapport à l’édition de 1996. La première des « Songs for Ruth » de l’envoi du 28 octobre 1941, « While on the pale wall of your chamber », évoque en deuxième strophe « Your temper [...] tainted with phosphor » 80 qui devient, lors de la publication, le vers moins personnel, montrant le lieu d’un danger, « Your temple was poisoned with phosphor » 81 . Le second poème de la copie du manuscrit de Ruth Herschberger, « Just a few candledrops » 82 , se lit, dans le vers initial de la publication, avec un déplacement, « Just a few drops of wax » 83 . Le début du poème publié est suivi d’une expansion de l’image sur deux vers au lieu d’un seul dans l’envoi à Ruth Herschberger. Plus avant dans le poème, les « parthenons » 84 grecs se trouvent modifiés, dans le manuscrit utilisé pour l’édition de 1996, en « walhallas » 85 de la mythologie germanique. Donnant du réel aux « Songs for Ruth », on peut aussi lire dans la Fales Collection deux lettres de Goll, l’une à sa « Dear Amazon », qui évoque un rendez-vous amoureux, l’autre à « Dear Ruth », qui tendrait à vouloir limiter leurs rapports ultérieurs à la poésie. 86 Chacune des lettres a, symétriquement, pour date un vendredi à 5 heures. La brève lettre à l’Amazone, qui évoque des bougies proches des « candledrops » du poème, porte le cachet de la poste du vendredi 31 octobre 1941, six heures. Le lendemain arrive une lettre habile à Ruth Herschberger, envoyée aussi en « Special Delivery », où Claire Goll révèle, ce 1 er novembre 1941, sa connaissance de l’aventure de son mari, et suggère que leurs rencontres futures, si elles devaient avoir lieu, se fassent au domicile des Goll. 87 En <?page no="28"?> 18 L’installation à New York, 1939-1940 88 Lettre de Ruth Herschberger à Mr. Frank Walker, du 12 mars 1985. Fales Collection. 89 Fales Collection. 90 Lettre de Louise Bogan à Morton Zabel, du 1 er mars 1940 dans What the Woman Lived, op. cit., pp. 202-203. La volumineuse bibliographie des premières œuvres d’Ivan Goll ne recense pas d’autres traductions de Jouve que celles qu’il fait paraître en septembreoctobre 1939 dans Centaur, à Amsterdam. Andreas Kramer et Robert Vilain, Yvan Goll - A Bibliography of the Primary Works, Oxford : Peter Lang, 2006, p. 185. Il semblerait plutôt que Bogan ait effectué la traduction de Jouve elle-même, publiant vers la fin de l’année 1940, en anglais, « Kapuzinerberg (Salzburg) » de Jouve dans New Republic, 103, 18 Nov. 1940, p. 699. 91 Albert Schinz, « L’année littéraire 1942 », The Modern Language Journal, 27, 4, April 1943, pp. 263-270 (p. 268). Pour contrebalancer cette vision des Goll, on peut évoquer, avec Dagmar Lorenz, les efforts de Claire Goll à soutenir la carrière de son mari durant l’exil. D. Lorenz, « Jewish Women Authors and the Exile Experience : Claire Goll, Veza Canetti… », German Life and Letters, 51, 2, April 1998, pp. 225-239 (p. 231). 92 Lettre d’Yvan Goll à Louis-Marcel Raymond, du 18 janvier 1945. Fonds Raymond. 93 Madeline Stinson, « The Leaders of French Intellectual Life - At Home and in Exile », The Modern Language Journal, 28, 3, March 1944, pp. 246-253 (p. 251). Madeline Stinson, de Greensboro College, identifie une série d’auteurs américains auxquels Goll se serait intéressé et dont il aurait traduit les œuvres. 1985, Ruth Herschberger revient sur ce moment où Ivan Goll, se comportant, dit-elle, en stéréotype d’homme marié adultère, lui impose le secret, « Please : no answer », tandis que Claire Goll, au courant de ce secret, redresse très vite la situation. 88 Ce témoignage, qui a pour effet de clore le dossier, est dans la lettre que Ruth Herschberger, aujourd’hui décédée, envoie à la Fales Library le 12 mars 1985 pour accompagner son don. 89 Un problème d’une autre nature entre Claire et Ivan Goll trouve un écho dans la lettre de Bogan du 1 er mars 1940 à Zabel, lorsqu’elle dit avoir cédé à Goll un travail de traduction de Pierre Jean Jouve pour lui faire gagner un peu d’argent, « thinking it might earn him a little money », et, par la même occasion, lui permettre de mieux rivaliser avec sa femme en importance, « make him a little so important as Claire ». 90 Cette dernière remarque de Bogan n’est pas entièrement sans objet, comme le serait une vaine spéculation sur les rapports de force à l’intérieur du couple Goll. Se faire connaître aux Etats-Unis représente, en effet, pour Ivan Goll un défi souvent renouvelé. Il reste par moments tributaire de la notoriété de Claire, à en juger par le profil fantaisiste qui lui est donné dans le bilan de l’année littéraire 1942 par le vieil universitaire Albert Schinz. Goll serait ainsi « réfugié en Californie, et probablement frère de la romancière Claire Goll ». 91 Le malentendu suscitant une parenté entre Claire et Ivan Goll perdure en Amérique au point d’amener un Goll alors mieux établi à faire allusion à « cette […] question douteuse » dans une lettre de 1945 à Louis-Marcel Raymond, trouvant « flatteur qu’on puisse [...] prendre [Claire] pour [s]a sœur ». 92 Dans la revue où écrivait Schinz, une autre appréciation, un peu plus conforme à la réalité, et largement due aux traductions et publications que Goll a faites de la poésie américaine, dont celle de Louise Bogan, met Goll, en 1944, parmi les intellectuels français de premier plan, « Leaders of French Intellectual Life ». 93 <?page no="29"?> 19 L’installation à New York, 1939-1940 94 Les Bogan Papers recensent aussi une traduction du poème de Bogan, « Zone », par Goll, dont la publication ne semble pas attestée. 95 Louise Bogan, « Medusa », Collected Poems, New York : The Noonday Press, 1959, p. 10. 96 Yvan Goll, « Jean sans Terre sur les cimes », Jean sans Terre - A Critical Edition, op. cit., pp. 15-17 (p. 15). 97 Yvan Goll, « Jean sans Terre devant le miroir », Jean sans Terre - A Critical Edition, op. cit., pp. 17-20 (p. 20). 98 Cette dernière strophe de « Jean sans Terre Defined by Yvan Goll », dans une traduction par Galway Kinnell, s’interroge sur la possibilité d’un « Landless John » « free of his shadow, his other I ». Yvan Goll, Jean Sans Terre, New York-London : Thomas Yoseloff, 1958, p. 190. 99 James Phillips, Yvan Goll and Bilingual Poetry, Stuttgart : Verlag Hans-Dieter Heinz, 1984, p. 204. 100 Louise Bogan, « Medusa », Collected Poems, op. cit., p. 10. La traduction, qui finit par associer durablement Goll et Bogan, aide effectivement à disséminer le nom de Goll dans les revues de langue anglaise, à créer et resserrer, voire parfois desserrer, ses liens avec des poètes américains. Dans cet échange de langues, qui est aussi bien économie de soutien et de promotion, on se traduit mutuellement et, de manière idéale pour l’exilé, plus ou moins simultanément en vue de publication. La réciprocité fonctionne encore par d’autres moyens et à d’autres moments, puisque Bogan ne traduit pas aussitôt Goll mais rédige un article en sa faveur en octobre 1940. Les affinités que Goll trouve avec la poésie de Bogan, qui lui offre l’occasion de revenir sur ses propres poèmes, sont matière à discussion dans les premières lettres que Goll écrit à Bogan et transparaissent dans les traductions qu’il réalise de ses poèmes. Un de ces poèmes traversé des mots de Bogan et de Goll est « Méduse », composé par Bogan en 1921 et dont Goll fait la traduction pour La Voix de France en janvier 1942. La version française de « Méduse » est intercalée sous forme imprimée dans la liasse de lettres de Goll à Bogan à Amherst 94 , où peut s’évaluer l’ampleur du travail de Goll. Le vers initial de la dernière strophe de « Méduse », « And I shall stand here like a shadow » 95 , est traduit plus lyriquement par Goll, dans un présent qui dure, en un « Et moi, je reste là, debout comme une ombre ». Le mot « ombre » ramène le lecteur vers les ombres rencontrées et l’ombre projetée à travers les poèmes de Jean sans Terre depuis « [l]’ombre du mélèze » 96 et cette « Ombre de matière » 97 qu’est Jean sans Terre, ombre qui est un autre lui-même et dont il est question qu’il se libère dans une dernière strophe ajoutée à une traduction du poème « Jean sans Terre défini par Yvan Goll » 98 . En plus de l’expansion donnée au « je » et à la « shadow » de Bogan, Goll modifie deux autres endroits du poème « Méduse », avec un degré de contraste, « degree of contrast », entre la version de base et la nouvelle, que James Phillips met en évidence dans les traductions d’autres auteurs par Goll, surtout du français vers l’allemand, « especially from French to German » 99 . L’anglais des vers de la première strophe de « Méduse », « Everything moved, - a bell hung ready to strike,/ Sun and reflection wheeled by » 100 , est transposé par Goll en « Tout était mouvant - une cloche était prête à tinter/ Le soleil et ses réverbérations tournaient ». La transformation de <?page no="30"?> 20 L’installation à New York, 1939-1940 101 Idem. 102 Deborah Pope, « Music in the Granite Hill : The Poetry of Louise Bogan » dans Critical Essays on Louise Bogan, ed. Martha Collins, Boston : G. K. Hall, 1984, pp. 149-166 (p. 153). 103 Jacques Derrida, Le Toucher, Jean-Luc Nancy, Paris : Galilée, 2000, p. 114. Derrida relie, dans un mouvement nécessaire, cette étrangeté à celle, beaucoup plus radicale, du « corps étranger au corps propre », à partir de ce que Nancy a discuté de lui-même dans L’Intrus. Idem. 104 Louise Bogan, « Man Alone », Collected Poems, op. cit., p. 81. Voici la traduction des vers cités du poème, parue dans le Journal des poètes sous le titre « Homme solitaire » : l’expression « wheeled by » en « tournaient » ne reproduit pas pleinement le sens de quelque chose qui passe, véritable signification de « wheeled by », et joue plus strictement sur le verbe « wheel », sans la préposition qui le modifie. En revanche, les « réverbérations » de Goll capturent à la fois le visuel du mot « reflection » et la dimension sonore du vers précédent, « a bell hung ready to strike ». La seconde intervention importante du poète apporte un changement unifiant aux deux derniers vers du poème, « My eyes on the yellow dust, that was lifting in the wind, And does not drift away ». 101 Ces derniers vers, avec leur « paradox of stasis and motion » 102 , sont rendus plus statiques et plus définitifs, un peu plus médusés dans la traduction de Goll, « Les yeux fixés dans le brouillard jaune/ Que nul vent ne dissipera ». « Méduse » est l’un des poèmes de Bogan qui a certainement marqué Goll avant qu’il s’engage à le traduire, comme il l’exprime dans sa lettre initiale du 13 décembre 1939 à Louise Bogan, lui disant combien il « aime [s]e promener dans [son] univers peuplé de ‹ Medusa ›». Le 11 janvier 1940, Ivan Goll envoie une autre lettre entièrement consacrée à la poésie de sa correspondante, et surtout à l’« émotion » qu’ont suscitée chez lui quelques-uns de ses poèmes qu’il semble avoir tout juste reçus d’elle lors d’une visite. Sa poésie à lui surgit à l’occasion de la lecture d’un poème en particulier, « Man Alone », de 1934, qui trace un cheminement vers la connaissance de soi sans se trouver vraiment, dans cet état ordinaire d’« étrangeté quasi transcendantale qui nous rapporte tous à notre ‹ je › ou à notre propre corps » 103 , à nos mots aussi pour Bogan dans « Man Alone » : It is yourself you seek In a long rage, Scanning through light and darkness Mirrors, the page, Where should reflected be Those eyes and that thick hair […] The printed page gives back Words by another hand. And your infatuate eye Meets not itself below : Strangers lie in your arms As I lie now. 104 <?page no="31"?> 21 L’installation à New York, 1939-1940 « C’est toi-même que tu cherches/ Dans une longue colère/ Scrutant à travers la nuit et la lumière/ Les miroirs, la page/ Où devraient se refléter/ Ces yeux, ces cheveux épais/ [...]/ La page imprimée tend/ Des mots écrits par une autre main/ Et ton œil affolé/ Ne se rencontre pas d’en bas,/ Des étrangers reposent dans tes bras/ Comme je repose maintenant. » Le nom du traducteur n’est pas indiqué avec le poème. « Homme solitaire », Journal des poètes, 6, juin 1954, p. 3. 105 Goll traduit Soupault, avec « Say it with Music », dans Centaur, 1, 2, sept.-oct. 1939, pp. 42-43. 106 Philippe Soupault, Les Frères Durandeau, Paris : Lachenal et Ritter, 1995, p. 70. 107 Ibid., p. 160. 108 Ibid., p. 159. 109 Idem. 110 Louise Bogan, « Man Alone », Collected Poems, op. cit., p. 81. 111 Yvan Goll, « Lucifer vieillissant » (1927 en allemand ; 1934 pour la version française), Œuvres, ed. Claire Goll et F. X. Jaujard, vol. 1, Paris : Émile-Paul, 1968, pp. 237-287 (p. 240). Lucifer vieillissant est réédité durant les années newyorkaises de Goll, en 1944, à Montréal aux éditions Variétés. 112 Yvan Goll, « Lucifer vieillissant », Œuvres, vol. 1, op. cit., p. 240. L’homme seul de « Man Alone » n’évolue pas dans une solitude aussi complète ni aussi détachée que celle que préconise le personnage de 1924 de Philippe Soupault, Pierre Durandeau, qui fait irruption à ce moment de l’étude pour la possibilité qu’il offre d’observer un cas de solitude revendiquée. Dans sa brève retraite à la campagne, le plus jeune des Durandeau est montré par Soupault, que Goll traduit en 1939 105 , quelque peu contraint par sa famille de mettre un terme à sa liaison amoureuse avec une danseuse de music-hall, qui se trouve être également la maîtresse d’un de ses frères, Émile, entièrement ignorant du fait, ce qui provoque chez Pierre Durandeau une « joie méchante » 106 . Il se rend dans la petite propriété familiale de Saint- Léonard, désireux finalement de se perdre, « seul sans miroir et sans ombre » avec, à atteindre, « une cible faite à l’image de soi ». 107 Loin de la scène où Durandeau, par un de ses derniers gestes de solitude et de « désœuvrement » 108 , se refuse à lire, rejetant la compagnie toute pertinente d’« un Montaigne » 109 offert, dans le train qui les ramène de Saint-Léonard à Paris, par son frère aîné, Louis, venu le chercher, l’existence solitaire du « Man Alone » est meublée d’effets miroir. Ce « Man Alone » est enragé de sa quête de soi dans les glaces et par ces autres moyens, ou tentations, de dédoublement que sont l’écriture et l’étreinte. Ni l’étreinte, ni l’écriture, ni « the silvered glass » 110 , l’étain du miroir, ne renvoient une image du même, montrant plutôt une altérité, comme dans le « miroir » du Lucifer vieillissant de Goll, où le « je » « découvre un étranger, presque un ennemi » 111 . Cette étrangeté, que la suite de Lucifer vieillissant fait rencontrer, est réduite en partie à travers le moi « descend[u] parmi la foule », explorant les recoins de Paris. 112 Goll retient, le 11 janvier 1940, l’économie de moyens de « Man Alone » et ses « raccourcis », qu’il a, dans son œuvre, « mis si longtemps à développer », non seulement dans le « je me connais si peu » ou « [j]e ne veux pas <?page no="32"?> 22 L’installation à New York, 1939-1940 113 Ibid., pp. 239 et 240. 114 Yvan Goll, « Jean sans Terre devant le miroir », Jean sans Terre - A Critical Edition, op. cit., pp. 17-19. 115 Ibid., p. 17. 116 Ibid., p. 20. 117 Idem. 118 Ibid., pp. 17 et 18. 119 Jean-Luc Nancy, 58 indices sur le corps et Extension de l’âme, Québec : Nota bene, 2004, p. 61. 120 Voir les deux pages de l’« Avant-propos » de Jacques Derrida, Le Toucher, op. cit., pp. 9-10. 121 Jean-Luc Nancy, 58 indices sur le corps, op. cit., p. 61. Cet inventaire du corps est la prolongation surtout interne d’un autre « assemblement » qui constitue le corps dans un ouvrage précédent de Nancy, dont l’un des modes d’écriture est précisément la liste, plus ou moins étendue. J.-L. Nancy, Corpus, Paris : A.M. Métailié, 1992, p. 33. 122 Ibid., p. 31. 123 Ibid., p. 32. 124 Jean-Luc Nancy, La Création du monde ou la mondialisation, Paris : Galilée, 2002, p. 86. 125 Jean-Luc Nancy, 58 indices sur le corps, op. cit., p. 61. me connaître ! Je te brise, miroir » du Lucifer vieillissant 113 , que Goll ne mentionne pas à Bogan, mais aussi dans le poème nommé par la lettre, « Jean sans Terre devant le miroir », où l’œil est dirigé vers l’intérieur du corps, pour avoir meilleure prise sur un « moi » entouré d’une dimension religieuse totalement absente du « Man Alone » de Bogan. Ainsi, « Jean sans Terre devant le miroir » est exhorté à « [r]egard[er] [s]on corps », où apparaissent, en succession de strophes, « artères », « nerfs », « capillaires », « aorte », « paupières », « poumons », « sang », « carcasse »… 114 Le corps de Jean sans Terre, relié au « Christ mis en croix » par leurs « Trente-trois printemps » en commun, reste, avec son absence de « foi » 115 , obscur jusque dans les derniers vers du poème, « Ombre de matière/ Captive du moi » 116 . La connaissance demeure à accomplir et aboutit, dans cet endroit du poème, à l’injonction à « Jean de Terre », « connais-toi » 117 , l’intérieur de son corps étant une zone dénuée de lumière, difficile à scruter. Le regard et l’ouïe, par un enchaînement d’impératifs, « [r]egarde », « [é]coute » 118 , sont censés se porter vers ce qui est dans le corps, dont n’existe pas réellement un sens intime mais plutôt une compréhension à travers des « fictions cognitives » 119 , selon l’expression de Jean-Luc Nancy. Par endroits philosophe du « toucher », Nancy, nommé ainsi par Derrida qui rappelle aussitôt tout ce qui déborde de cette description dans la pensée de son ami 120 , donne une liste d’éléments constitutifs du corps similaire à celle du poème de Goll, avec « [m]uscles, tendons, nerfs et os, humeurs, glandes et organes », où « la vérité, c’est la peau » 121 ou, pour l’approcher par une autre formule de Nancy, « [e]xpeausition » 122 par laquelle le « corps est l’être-exposé de l’être », ce dernier « être » à lire comme « l’exister » 123 , au sens de « l’exister de l’existence » 124 . L’intérieur et l’extérieur se conjuguent dans la peau, « toute tournée au dehors en même temps qu’enveloppe du dedans ». 125 La peau, dans ses différentes couches, ses <?page no="33"?> 23 L’installation à New York, 1939-1940 126 Jean-Luc Nancy, Corpus, op. cit., p. 17. 127 Jacques Derrida, Le Toucher, op. cit., p. 248. 128 Yvan Goll, « Jean sans Terre devant le miroir », Jean sans Terre - A Critical Edition, op. cit., p. 19. 129 Idem. 130 Ibid., p. 20. 131 F. J. Carmody, « Introduction » à Yvan Goll, Jean sans Terre - A Critical Edition, op. cit., p. 7. Carmody précise en même temps à quel point les carnets d’Ivan Goll évoquent ses conversations avec Louise Bogan. 132 Idem. épaisseurs, suit un horaire de vieillissement, de mort, de renouvellement, chaque étape de la vie de l’épiderme s’effectuant à des rythmes et moments variés, avec des accidents ou contacts, avec ce qui va faire de la peau un « lieu d’événement d’existence » 126 . Pour revenir à « Jean sans Terre devant le miroir », qui se situe loin en fait du « Man Alone » de Bogan, à une grande distance également des réflexions de Nancy, sauf à considérer que Corpus « ne cesse de s’expliquer avec l’histoire du corps chrétien » 127 , le poème de Goll, dans un appel à la double nature du Christ, fait se rejoindre le « divin » et un « cycle » lié au biologique. 128 La « semence » ou le « sperme » 129 de Jean de la Terre, s’extériorisant au-delà de la peau, en pleine visibilité, doit lui fournir la révélation qu’il est, dans cette part de l’acte de création surdéterminé par l’incarnation et la transsubstantiation, à la fois homme et Dieu. Ce poème de 1936, du premier livre des Jean sans Terre, porte en effet le partage de christianisme et d’humanisme que son vers « Hais et connais-toi » 130 , avec une dénigration de la chair et une curiosité pour ce qu’est l’homme, réunit en un mot d’ordre. Le cas de « Jean sans Terre devant le miroir » et « Man Alone », qui présentent jusqu’à un certain point seulement « une idée » en commun, est soulevé par Goll le 11 janvier 1940 à côté d’autres poèmes encore de Bogan, « tous un univers » qu’il vient de lire et dont il commente la « rapidité » à atteindre l’effet voulu. Cette attention à l’œuvre de Bogan est peu avérée chez les spécialistes de Goll, qui signalent plus souvent l’intérêt que Louise Bogan exprime, de manière inverse, pour l’œuvre de Goll, qu’elle travaille en tant que critique et traductrice. Bogan aurait été aussi au début des années 1940 à New York, en plus de ses traductions et notes de lecture de Jean sans Terre, conseillère principale, « principal consultant », d’Ivan Goll au sujet des écrits d’autres auteurs, « regarding the work of others ». 131 Au départ, Bogan se montre réticente à se lancer dans une traduction de Goll, et sa version anglaise des poèmes de Jean sans Terre ne sera faite, en réalité, qu’après la mort de Goll. 132 Dans sa lettre à Morton Zabel du 19 mars 1940, Bogan rapporte qu’elle ne se laisse pas entièrement prendre par l’offensive de charme de Goll, « I am not taken in », et considère les demandes de traductions qui lui viennent pour les œuvres impérissables, « immortal works », de cet ami de fraîche date, comme une nouvelle tactique de la part de Goll pour inscrire son <?page no="34"?> 24 L’installation à New York, 1939-1940 133 What the Woman Lived, op. cit., p. 205. 134 Idem. 135 Idem. 136 Plusieurs lettres de Williams à Goll ont été réunies dans William Carlos Williams, « Five Letters to Yvan Goll and One Letter to William Wilson », Stony Brook, 3-4, 1969, pp. 364-370 (p. 368). Pour un éclairage sur l’« awkward » de Williams, se reporter à Robin Orr Bodkin, qui analyse une rime de la traduction de « Jean sans Terre fait sept fois le tour de la terre » par Williams, où le sens de l’original est modifié par la recherche du son, « terre »/ « fière » se lisant « earth »/ « girth ». R. O. Bodkin, « Jean sans Terre and William Carlos Williams » dans Vistas - Proceedings of the 35 th Conference of the American Translators Association, ed. Peter W. Krawutschke, Medford, NJ : Learned Information, 1994, pp. 151-161 (p. 157). 137 Lettre d’Ivan Goll à Clark Mills, du 27 août 1940. Fonds Goll. nom dans le Who’s Who poétique de New York. 133 Bogan semble persuadée que Goll a vu en elle la reine de la ruche poétique, « the female queen-bee in the poetry line », et qu’il entend greffer son succès sur celui de Bogan pour se hisser vers le haut, « giv[ing] him quite a push upward and onward ». 134 Bogan hésite, d’ailleurs, face à l’énormité de la tâche d’une traduction pareille, « one hell of a job ». 135 De son côté, Ivan Goll tente d’alléger le travail en proposant à Bogan de ne mettre que deux mots rimant par strophe, au lieu des quatre du texte original. Rares, en fait, sont les traducteurs de Goll, dans l’édition de 1958 de Jean sans Terre en anglais, à maintenir la constance des rimes dans les poèmes. Louise Bogan, dans les huit « Jean sans Terre » qu’elle traduit, ne semble pas avoir été trop tenue par la rime, allant bien en deçà de la concession initiale de Goll. William Carlos Williams, traduisant un « Jean sans Terre », soulève lui aussi la question de la rime, qu’il tente de reproduire en anglais, au prix peut-être, dit-il à Goll dans une lettre du 2 juin 1940, d’avoir rendu sa traduction « involved », ou compliquée, et maladroite, « awkward ». 136 C’est vers cette époque que Goll s’implique directement dans la traduction de ses propres poèmes pour publication aux Etats-Unis. Avec un groupe de poètes traducteurs, qui contribueront comme Bogan et Williams à l’édition de 1958 de Jean sans Terre, Goll effectue un voyage à l’automne 1940 dans la partie nord de l’état de New York, voyage qui peut être vu comme l’emmenant au pays de la traduction. De ces « jours partagés entre la nature et le travail », Goll retrace une scène de traduction collective de Jean sans Terre, lorsqu’il écrit une carte postale à Bogan le 25 septembre 1940. Dans cette même carte, il ne résiste pas à tirer du nom d’Ithaca un Ulysse ou un Jean sans Terre à la légère, « wanderer », personnage errant qui « poursuit une nouvelle odyssée » après avoir pris congé du jeune poète Clark Mills, attaché à l’université Cornell, que Goll considère, un mois plus tôt, son traducteur de prédilection. Goll explique l’importance qu’il accorde aux traductions de Clark Mills, auquel il s’est lié à la fin de l’année 1939, dans la lettre qu’il lui envoie le 27 août 1940. 137 Déjà dans sa lettre du 28 juin 1940, où il soumet à James Laughlin, pour New Directions in Prose and Poetry, « John Landless <?page no="35"?> 25 L’installation à New York, 1939-1940 138 William Carlos Williams, « Five Letters to Yvan Goll », Stony Brook, op. cit., p. 365. 139 Cette première rencontre entre Claire Goll et Williams se fait sans Ivan Goll, à la différence de ce qui apparaît dans la biographie par Paul Mariani, William Carlos Williams - A New World Naked, New York : McGraw-Hill, 1981, p. 816 ; également dans Robin Orr Bodkin, « Jean sans Terre and William Carlos Williams », op. cit., p. 155. 140 William Carlos Williams, « Five Letters to Yvan Goll », Stony Brook, op. cit., p. 366. 141 Le poème « Metric Figure » est recueilli dans William Carlos Williams, The Collected Poems - 1909-1939, ed. A. Walton Litz et Christopher MacGowan, vol. 1, New York : New Directions, 1986, p. 66. Cleansed by the Void », avec la version française aussi, Goll peut se recommander de « bonnes traductions » de Clark Mills. Avant Mills, Goll place un temps son espoir dans William Carlos Williams pour des traductions de Jean sans Terre. Le 22 mars 1940, Goll reçoit quatre strophes de « Jean sans Terre conduit la caravane » mises en anglais par Williams, qui les considère peu réussies, « not very good », mais décide de les envoyer à Goll, pensant que cela pourrait l’intéresser, « I thought it might interest you ». 138 Deux jours plus tôt, Goll avait saisi comme prétexte à entrer en contact avec Williams la rencontre récente de celui-ci avec Claire chez le photographe et propriétaire de galerie Alfred Stieglitz. 139 Dès cette première lettre, Goll propose de traduire Williams, comme il en a « envie » « [d]epuis longtemps », mais attend un mot de Williams pour savoir sur quels poèmes travailler. À cette occasion, il lui offre son Troisième livre de Jean sans Terre, qui s’ouvre sur le poème que Williams se met à traduire, sans que Goll lui en ait fait explicitement la demande. À la réception de cette version écourtée de « Jean sans Terre leads the Caravan », Goll, le 26 mars 1940, pousse Williams à mener jusqu’au bout la traduction, puisqu’aussi bien il ne « reste plus que huit » strophes. Goll fait sentir à Williams une certaine urgence à répondre aux sollicitations des revues par l’envoi d’une traduction. Cet argument, qui montre l’intérêt que lui marquent « [d]ifférents directeurs de magazine », ne quitte pas Goll et revient, en termes similaires, dans une lettre d’introduction du 10 août 1940 au poète Rolfe Humphries. Goll tente, en effet, de convaincre Humphries de traduire « un poème quelconque », faute d’une disponibilité de Clark Mills et, pourrait-on ajouter, de Williams aussi. Bien que Williams ne l’ait pas orienté vers des poèmes à traduire, Goll lui fait parvenir, à son tour, les traductions françaises qu’il a réalisées de deux de ses poèmes, « Metric Figure » et « The Late Singer », publiés en recueils en 1917 et 1921. Williams apprécie, le 28 mars 1940, la manière dont Goll a su garder l’aspect métrique que possédaient les originaux, « the metrical feeling of the originals » 140 , ce que l’on peut aisément voir dans les derniers vers de « Metric Figure », « It is his singing/ outshines the noise/ of leaves clashing in the wind », rendus sobrement par Goll en « C’est son chant/ Qui efface le bruit/ Des feuilles tintant au vent », avec le verbe « effacer » introduisant un sens plus catégorique que « outshines ». 141 Trois ans après Goll, Jean Wahl donne lui-même une version française de « Metric Figure », dans le numéro <?page no="36"?> 26 L’installation à New York, 1939-1940 142 Jean Wahl, trad., « Figure métrique » dans Écrivains et poètes des États-Unis d’Amérique, Paris : Fontaine, 1945, p. 157. Il s’agit de la réédition du numéro 27-28 de Fontaine, édité en 1943 à Alger. 143 William Carlos Williams, Poèmes : édition bilingue, ed. et trad. Jacqueline Saunier-Ollier, Paris : Aubier-Montaigne, 1981, p. 45. 144 Lettre de Williams à Goll, du 28 mars 1940, recueillie dans William Carlos Williams, « Five Letters to Yvan Goll », Stony Brook, op. cit., p. 366. 145 Idem. La traduction de « Metric Figure » par Goll paraîtra finalement dans l’article de John C. Thirlwall, « Two Cities : Paris and Paterson », The Massachusetts Review, 3, Winter 1962, pp. 284-291 (p. 291). La version que Goll a faite du poème « The Late Singer » semble n’avoir jamais été publiée. 146 Lettre de Williams à Goll, du 2 avril 1940, dans William Carlos Williams, « Five Letters to Yvan Goll », Stony Brook, op. cit., p. 367. de Fontaine qu’il organise sur la poésie américaine et auquel Goll contribue plusieurs traductions, comme il le fait aussi dans La Voix de France en 1942 et 1943. Wahl choisit, pareillement à Goll, pour « Outshines the noise », le verbe « effacer », « Qui efface l’éclat du bruit », le mot « éclat » permettant de saisir en outre le « shines » de « outshines ». 142 Une autre traduction, plus récente, du poème, par Jacqueline Saunier-Ollier, maintient le sens de « outshines » et l’enrichit avec le terme « éclipse », « C’est son chant/ qui éclipse le cliquetis/ des feuilles dans le vent ». 143 Goll semble plus intéressé par le rythme que par toutes les nuances du sens, attentif à reproduire le vers dans son déroulement, et s’attire une remarque enthousiaste de Williams qui trouve, pour cette raison, sa transposition en français tout à fait étonnante, « astonishing ». 144 Toujours dans cette lettre du 28 mars, Williams considère les poèmes choisis par Goll pour des traductions comme appartenant à une autre époque de sa poésie, où la forme n’était pas aussi « regular » que dans ses derniers poèmes, et veut éviter, pour le moment en tout cas, leur publication en français. Il mentionne vaguement la possibilité pour Goll de traduire de son œuvre plus récente, « some of [his] later things ». 145 Williams écrit à Goll, le 2 avril 1940, en termes plus évidents cette fois, pour s’assurer que les deux traductions effectuées par son correspondant ne seront pas envoyées pour publication, Goll s’étant dit « perplexe », dans sa lettre du 1 er avril, devant la réticence exprimée par Williams à ce sujet. Se joint à cette perplexité de Goll un désappointement, toujours plus grand, du fait de ne pas pouvoir rencontrer Williams pour continuer les discussions que les lettres ont entamées sur les formes poétiques dans leurs œuvres. Le « what’s the use », ou à quoi bon, de Williams pour souligner, le 2 avril 1940 dans sa brève lettre rédigée à la main, l’inutilité d’une rencontre où ils seraient pressés par le temps avant le départ de Goll pour Cuba, n’a sans doute pas amoindri la déception de Goll. 146 Contraint de délaisser la question d’un rendez-vous en tête-à-tête par son voyage, Goll la pose de nouveau après son retour à New York, dans une carte postale du 30 mai, « Quand vous verrai-je enfin ? ». Le 2 juin 1940, Williams indique à Goll qu’il est trop occupé pour le voir dans l’immédiat et lui envoie la version complète de <?page no="37"?> 27 L’installation à New York, 1939-1940 147 Cette lettre du 30 août 1940 de Goll à Williams, dont l’original se trouve à Yale, est aussi conservée en copie au Fonds Goll. 148 Le magazine que Williams et Nicolas Calas travaillent à lancer semble à l’origine du différend qui les oppose tous deux à Clark Mills, comme pourrait le suggérer la lettre du 6 janvier 1941 de Williams à Calas. Calas Archive. On peut se reporter aussi à un autre dossier de lettres de Calas à Williams, largement identique, dans la Calas Manuscript Collection, The Lilly Library, Indiana University. Ce magazine projeté, « Midas », aurait été, dans l’optique accueillante de Williams, un lieu où « divergent intelligences » se seraient trouvées réunies, du fait de la guerre, « for new trial », ou expérimentation, « and opportunity ». William Carlos Williams, « Midas : A Proposal for a Magazine », Selected Essays of William Carlos Williams, New York : Random House, 1954, pp. 241-249 (pp. 246-247). Sur la revue, voir Dickran Tashjian, A Boatload of Madmen : Surrealism and the American Avant-Garde, 1920-1950, New York et London : Thames and Hudson, 1995, p. 206 ; et son étude précédente, « Translating Surrealism : Williams’ ‹ Midas Touch › », William Carlos Williams Newsletter, 4, 2, Fall 1978, pp. 1-8. 149 La difficulté, que l’on voit ici, de trouver des traducteurs aurait même amené Goll, selon l’hypothèse de James Phillips, à écrire directement en anglais ses deux recueils Fruit from Saturn et Love Poems. James Phillips, Yvan Goll and Bilingual Poetry, op. cit., p. 239. Pour ce qui concerne l’auto-traduction, pratiquée à différentes époques par Goll, Andreas Kramer la repère comme un élément qui rend l’œuvre du poète inclassable entre littérature française et littérature allemande. A. Kramer, « Europa minor. Yvan and Claire Goll’s Europe », dans Europa! Europa ? The Avant-Garde, Modernism and the Fate of a Continent, ed. Sascha Bru et al., Berlin : De Gruyter, 2009, pp. 126-137 (p. 127). 150 Cette lettre de Williams à Goll, du 3 septembre 1940, classée au Fonds Goll, ne fait pas partie du lot reproduit dans la revue Stony Brook en 1969. Le poème « Jean sans Terre aborde au dernier port » est publié à la fois en français et dans la traduction de Williams par The Nation, 152, 1, 4 Jan. 1941, pp. 23-24. Williams traduira aussi la cinquième version de ce poème. 151 Le Fonds Goll possède le journal de Goll, dont Carmody cite une partie de l’entrée du 29 octobre 1940. F. J. Carmody, « Critical Analysis » dans Yvan Goll, Jean sans Terre - A Critical Edition, op. cit., p. 146. « Jean sans Terre leads the Caravan », première des six traductions qu’il fera en tout de Jean sans Terre, sur une longue période d’années. La prochaine lettre archivée dans les papiers de Williams à Yale, du 30 août 1940, recueille des expressions d’admiration de Goll pour la traduction de son poème par Williams mais contient surtout des reproches sur ce que Goll perçoit chez Williams comme un « long et inexplicable silence », qui repousse encore un premier contact en personne. 147 Goll termine sa lettre en signalant qu’il se trouve dans une mauvaise passe, sans traducteur. Clark Mills, qui aura bientôt des ennuis avec Williams 148 , est trop pris par ses tâches universitaires, ce qui force Goll à se lancer dans une auto-traduction dont il confie le résultat à Williams. 149 Celui-ci répond quelques jours plus tard, impatient des remontrances à propos de leur rencontre différée mais se mettant néanmoins à corriger la traduction faite par Goll, qu’il juge inadéquate, d’une des premières versions de « Jean sans Terre aborde au dernier port ». 150 C’est encore plus tard que Goll et Williams se croisent, dans l’après-midi du 29 octobre 1940 à New York, lors d’une séance de dédicace de Williams au Gotham Book Mart. Dans sa lettre du 1 er novembre et dans son entrée de journal du 29 octobre 151 , Goll revient sur ce qu’il considère un moment de prestige qui réunit différents <?page no="38"?> 28 L’installation à New York, 1939-1940 152 Dans sa rubrique « Reports and Reporters », où circulent rumeurs et insinuations, View passe sur cet événement du 29 octobre 1940, apparemment plus tendu que ce que laisse entendre Goll, avec une question adressée au « Gotham Book Mart : Did you know that more than one literary vendetta was on display during the cocktail party given on your premises for William Carlos Williams ? », Vous ne saviez peut-être pas que lors du cocktail organisé chez vous pour Williams, on a pu assister à plus d’une vendetta littéraire. « Reports and Reporters », View, 1, 4-5, Dec.-Jan. 1941, p. 1. 153 William Carlos Williams, « Five Letters to Yvan Goll », Stony Brook, op. cit., p. 368. 154 Voir, par exemple, l’annonce de Nierendorf Editions dans View, 3, 4, Dec. 1943, p. 122. 155 Martica Sawin, « Magus, Magic, Magnet : The Archaizing Surrealism of Kurt Seligmann », Arts Magazine, 60, 6, Feb. 1986, pp. 76-81 (p. 76). 156 Dickran Tashjian cite cette partie de la lettre à Calas dans « Translating Surrealism : Williams’ ‹ Midas Touch › », William Carlos Williams Newsletter, op. cit., p. 6. 157 Idem. 158 Ce détail figure dans la lettre de Williams à Calas du 4 décembre 1940. Calas Archive. groupes littéraires, exilés et Américains confondus, autour de Williams 152 , qui a déjà tenté le 2 juin, en termes sensibles à la situation de l’exilé, d’amoindrir l’importance que Goll lui attribue : je sais que vous devez vous sentir perdu ici et je sais que vous croyez que je suis quelque chose que peut-être je ne suis pas du tout, « I know you must feel lost here and I know you believe that I am something which perhaps I am not at all » 153 . Aucune hésitation chez Goll, le 1 er novembre, à redire son « admir[ation] » à Williams, à croire à l’inéluctabilité d’une poursuite de l’échange qu’ils ont eu de vive voix (« le jour viendra »), et enfin à essayer de rallier Williams à un projet qui se concrétise sous le nom de Tandem et ressemble à ce que Goll fait par ailleurs de manière plus ambitieuse avec « Poets’ Messages ». L’objectif de Tandem Editions, créées à la Galerie Nierendorf, est de publier des plaquettes à tirage limité et signé, en « édition de luxe », mesurant dix pouces sur treize, « 10×13 inches », qui réunissent chaque fois un poète et un artiste autour d’un poème illustré. 154 Paraît ainsi, vers la fin de l’année 1940, « Jean sans Terre nettoyé par le vide », traduit par Clark Mills et illustré par Kurt Seligmann, arrivé comme Goll en septembre 1939 aux États-Unis et demeuré sur place à la demande insistante de Karl Nierendorf, chez qui il était venu exposer. 155 Williams ne répond pas à l’invitation de Goll de lui envoyer un poème pour Tandem et refuse, comme on l’apprend de sa lettre du 10 novembre 1940 à Nicolas Calas, une demande plus exigeante faite par Seligmann d’écrire un poème destiné à cette série. 156 Si Goll avait écrit à Williams de choisir le peintre qu’il souhaiterait voir illustrer son poème, Seligmann semble insister pour que l’illustrateur ne soit pas américain, ce qui laisse Williams tout irrité, dans sa lettre à Calas, se disant par contre, ce même jour, enchanté d’un Tanguy qui ne vient pas vers lui avec des demandes, « he did not try to sell me anything ». 157 Williams finit néanmoins par participer à l’entreprise Tandem en tant que traducteur, apportant le 4 décembre 1940 les dernières touches à une traduction de Calas 158 , publiée en 1941 sous le titre Wrested from Mirrors, avec une eau-forte de Seligmann. Celui-ci est l’incontournable illustrateur de l’ensemble des plaquettes de Tandem, au <?page no="39"?> 29 L’installation à New York, 1939-1940 159 Voir la reproduction des différents états de l’illustration de Seligmann dans Rainer Michael Mason, Kurt Seligmann - Œuvre gravé, Genève : Cabinet des Estampes - Editions du Tricorne, 1982, pp. 72-74. 160 Cette expression vient du bref « The Minotaur and the Poet » que Calas donne pour le livret de l’exposition Kurt Seligmann de 1941 à la Galerie Nierendorf. Voir la reproduction du texte de Calas dans Kurt Seligmann Graphics. May 11-June 16, 1974, ed. Jeffrey R. Brown, Springfield, MA : The Museum of Fine Arts, 1974, pp. 8-11 (p. 11). 161 Rainer Michael Mason, Kurt Seligmann - Œuvre gravé, op. cit., p. 82. 162 La copie de la lettre du 16 janvier 1941 de Goll à Williams est conservée dans le Fonds Goll. Ni cette lettre, ni le télégramme auquel Goll fait référence dans la lettre ne figurent dans les papiers de Williams, à Yale. 163 Les sept traductions de Goll par Williams sont reprises dans William Carlos Williams, The Collected Poems - 1939-1962, ed. Christophe MacGowan, vol. 2, New York : New Directions, 1988, pp. 29-38. Elles avaient paru soit en revue, soit, pour trois d’entre elles, dans l’édition bilingue de Jean sans Terre par Grabhorn Press en 1944, soit encore, pour six, dans l’édition en anglais de 1958. La Beinecke a, depuis 2000, un exemplaire du recueil de 1946 de Goll, Fruit from Saturn, portant une dédicace de Goll à Williams, qui représente, sauf erreur, le contact le plus tardif attesté entre les deux poètes. Le dossier Goll dans les Williams Papers contient aussi une carte de remerciements et de vœux, avec au dos une image de la Seine et Notre-Dame, sans date, que l’on pourrait supposer être expédiée de Paris. Il existe également une lettre du 8 juin 1952 de Claire Goll à Williams, concernant l’anthologie de poésie américaine qu’elle est alors en train de préparer. De 1952 encore figure dans le dossier une coupure de journal sur la création de la Société des Amis d’Yvan Goll en France. nombre de quatre, où il fait revenir pour le « Jean sans Terre » de Goll un personnage squelettique, portant cape et bâton, dans un mouvement de marche agitée 159 ; et pour Calas, avec la traduction de Williams, un personnage au corps tout aussi tourmenté, et toujours avec son « bone-shaped aspect » 160 , saisi par un miroir, suspendu à l’envers, la tête touchant l’eau. 161 La lettre que Goll envoie à Williams le 1 er novembre 1940 présente un avenir plein « d’autres projets » qui les feraient travailler en commun tous les deux. Goll voit son idée de collaboration avec Williams un peu plus avancée lorsque, le 4 janvier 1941, The Nation publie « Jean sans Terre aborde au dernier port » accompagné de la traduction de Williams. La sortie du poème suscite un télégramme puis une lettre à Williams, le 16 janvier, de la part de Goll, qui ronronne de plaisir à voir son nom et celui de Williams apparaître ensemble au sommaire de la revue. 162 C’est l’occasion aussi pour Goll de demander une nouvelle fois à Williams d’accomplir pour lui un travail rapide, qui serait de traduire le poème « Élégie pour James Joyce », écrit sur la demande de The Nation, où ne paraît le mois suivant que la version française, sans trace d’une traduction par Williams. L’absence d’autres lettres jusqu’à un petit échange sur la contribution de Williams au premier numéro d’Hémisphères en 1943, et le fait que Williams limite son rapport à l’œuvre de Goll à quelques traductions, sept au total si l’on fait le compte des publications jusque dans les années cinquante 163 , indiquent que Williams se rapproche relativement peu de Goll, que le temps compté dans lequel vit l’exilé comporte peut-être trop d’exigences pour le poète établi. <?page no="40"?> 30 L’installation à New York, 1939-1940 164 Louise Bogan, « A Note on Jean Sans Terre », Partisan Review, 7, July-August 1940, pp. 294-295. Cet écrit est repris dans l’édition traduite de Jean Sans Terre de 1958, avec quelques modifications et l’ajout d’une citation de Goll sur son œuvre qui renforce le lien avec le romantisme que Bogan met en avant. Voir Louise Bogan, « Critical Notes », dans Yvan Goll, Jean Sans Terre [1958], op. cit., pp. 13-16. Un brouillon de cette « Note » pour la Partisan Review figure dans les Bogan Papers (Princeton). 165 Louise Bogan, « A Note on Jean Sans Terre », op. cit., p. 294. S’en prendre aux surréalistes pour leur rapport au temps est déjà chose établie parmi les poètes américains, ne serait-ce que chez Pound qui revient plusieurs fois à cette idée. Voir, par exemple, Ezra Pound, « Epstein, Belgion and Meaning », The Criterion, 9, 36, April 1930, pp. 470-475 (p. 474). 166 Cette large analyse de Bogan est relevée par Marianne Moore dans un compte rendu qu’elle fait de l’ouvrage Selected Criticism de Bogan. M. Moore, A Marianne Moore Reader - Poems and Essays, New York : The Viking Press, 1965, pp. 229-232 (p. 232). 167 L’article « The Poetry of Paul Éluard », paru dans la Partisan Review, est repris sous le titre abrégé « Paul Éluard » dans Louise Bogan, A Poet’s Alphabet : Reflections on the Literary Art and Vocation, ed. Robert Phelps et Ruth Limmer, New York : McGraw-Hill, 1970, pp. 112-122 (p. 116). Alors que Williams en vient doucement à traduire Goll durant l’année 1940, Louise Bogan est plus active pour le compte de Goll. Ce même été du « silence » de Williams, elle fait paraître, dans la Partisan Review, une « Note on Jean Sans Terre », où cette œuvre de Goll est considérée, dans ses trois volumes déjà parus en France, comme conçue de manière épique, « epically conceived », ancrée, avec son personnage de « John Landless », dans une « tradition romantique » rendue on ne peut plus moderne, « modern in the extreme ». 164 Tout particulièrement sévère contre le surréalisme, Bogan attaque, au début de sa « Note on Jean Sans Terre », un mouvement qui se serait positionné sans ancêtres ni avenir, et ramène art et poésie surréalistes au « pre-Romantic Gothic », aux états de l’enfance et de la vie sauvage. 165 À regarder ailleurs dans les textes critiques de Bogan, une méfiance générale ressort à l’égard d’un avant-gardisme borné, « stubborn avant-gardism », porté, par désir d’« exploration », à aller toujours de l’avant, alors qu’existerait un moment où une pause doit être faite pour donner place à l’« interprétation ». 166 Non loin de cette idée d’une « stubborn » avant-garde, Bogan insiste, dans sa « Note on Jean Sans Terre », sur le caractère juvénile, « childish », de l’exploration de l’inconscient et du rêve chez les poètes surréalistes comme elle l’avait fait l’année d’avant dans son étude plus ample sur Éluard, où le mot « childish » était là encore associé au surréalisme. 167 Si la lecture de ce mot dans la Partisan Review en 1939 a pu faire s’arrêter Goll, sa lettre du 13 décembre 1939 à Bogan ne donne d’autre indication que la satisfaction d’avoir lu une « ardente apologie de Paul Éluard ». Ce « childish »-là fait partie du langage de Goll comme de celui de Bogan et, en 1925, à l’époque où Goll se proclame plus fidèle à ce que peut revêtir l’appellation surréalisme que les « surréalistes bretonniens », il considère que ces derniers restent sur une « notion enfantine » du rêve, avec une part d’« irréel », alors que pour lui le rêve fait partie de la vie, selon l’optique qu’il <?page no="41"?> 31 L’installation à New York, 1939-1940 168 Goll est cité par Céline Mansanti (qui elle-même cite Goll par l’intermédiaire de Jean Bertho) dans son étude « Présence du surréalisme dans la revue transition (Paris, 1927-1938) : Eugène Jolas entre André Breton et Ivan Goll », Mélusine, 26, 2006, pp. 277-304 (p. 285). 169 Nicolas Calas, « View Listens », View, op. cit., p. 5. 170 Lettre de Williams à Ivan Goll, du 3 septembre 1940. Fonds Goll. 171 Lettre de Williams à Nicolas Calas, du 8 décembre 1940. Calas Archive. 172 Albert Ronsin rappelle, entre autres, que Goll correspond « jusqu’en 1947 » avec Calas et que ce dernier est publié dans Hémisphères. A. Ronsin, « Yvan Goll et André Breton : La querelle littéraire à propos de Surréalisme », Europe, 82, 899, mars 2004, pp. 191-207 (p. 198). 173 Lettre d’Ivan Goll à Nicolas Calas, du 25 novembre 1940, dont deux versions existent au Fonds Goll. Aucune lettre portant cette date ne figure dans la Calas Archive, pas plus défend dans la revue de Guy Lévis-Mano, Ceux qui viennent. 168 Toujours est-il qu’en 1939, Goll semble s’accorder avec Bogan sur l’existence d’un aspect enfantin dans le surréalisme, même s’il essaie, par la suite, de se désolidariser d’avec la « Note on Jean Sans Terre » et sa mise à mal des surréalistes. Dans ce sens, le 30 août 1940, Goll écrit à William Carlos Williams pour expliquer n’avoir rien à voir avec la « Note » de Bogan qui a tant irrité les surréalistes à New York, Nicolas Calas au premier chef, celui-ci continuant en octobre 1940 dans View à rétorquer à l’article de Bogan, à sa prétention de faire de Goll un poète plus grand qu’Apollinaire, « greater than Apollinaire », et qui serait allé au-delà des surréalistes, « beyond the Surrealists » 169 . Williams n’évite pas cette affaire quand il répond à la lettre de Goll en septembre, comme lorsqu’il écrit à Calas au mois de décembre après son mot dans View, et se montre sensible à ce qui peut séparer Goll de Calas, vif défenseur du surréalisme durant cette période. Williams est direct avec Goll, le 3 septembre, lorsqu’il lui rapporte les échanges qu’il a eus avec Calas à son sujet. 170 Tout aussi ouvert avec Calas, Williams va, le 8 décembre, jusqu’à le sonder pour savoir si cela ne le dérangerait pas trop qu’il continue à réaliser les traductions promises des poèmes de Goll, sans s’inquiéter en vérité de ce que Calas en pense, déclarant qu’il s’en fiche et veut simplement l’informer de ce travail pour Goll. 171 Deux autres éléments peuvent être ajoutés à ce dossier, qui attestent, comme Albert Ronsin l’a remarqué, l’existence d’une série d’échanges moins conflictuels entre Goll et Calas 172 , tandis que se fait entendre en plein jour un désaccord. Des rapports d’une autre nature sont indiqués tout d’abord par une contribution à la revue en germe, discutée cidessous, La France en Liberté, que Calas a promise à Goll, comme on l’apprend de la lettre de Goll à René Taupin du 13 septembre 1940. Mais la méfiance qu’on trouve par ailleurs chez Goll vis-à-vis de Calas n’est pas complètement absente de cette lettre à laquelle s’ajoute un « commentaire » envoyé à part, destiné, semble-t-il, à informer Taupin, et plus probablement à l’avertir, sur Calas. Un deuxième indice, plus net encore, de liens entre Calas et Goll vient d’une lettre du 25 novembre 1940 qui relance Calas sur un aspect de sa pensée où Goll, avec le « réisme », l’aurait précédé. 173 Goll joint à sa lettre, <?page no="42"?> 32 L’installation à New York, 1939-1940 que d’autres lettres de Goll à Calas. Le passage concernant le « réisme » est reproduit par Albert Ronsin de la plus courte des deux lettres du 25 novembre 1940. A. Ronsin, « Yvan Goll et André Breton », Europe, op. cit., p. 198. 174 La première formule provient de la version courte de la lettre du 25 novembre 1940, les suivantes de la version longue. Lettres d’Ivan Goll à Nicolas Calas, du 25 novembre 1940. Fonds Goll. 175 Nicolas Calas, « View Listens », View, op. cit., p. 5. 176 Ivan Goll, « Jean sans Terre découvre le Pôle ouest » suivi de « John Landless Discovers the West Pole », New Directions, 6, 1941, pp. 483-484 et 484-485. Le nom du traducteur n’est pas donné. Goll va tout aussi bien pouvoir publier dans View, dès le numéro double de décembre 1940-janvier 1941, avec la traduction par Clark Mills de « Jean sans Terre s’immole au soleil ». 177 L’échange de lettres entre Goll et Laughlin du 2 et du 13 octobre 1940 se trouve au Fonds Goll. Un extrait de la lettre de Goll à Laughlin est cité par Albert Ronsin, « Yvan Goll et André Breton », Europe, op. cit., pp. 197-198. Seules trois lettres de Goll à Laughlin, datées des 28 juin 1940, 7 août 1942 et 21 octobre 1942, figurent au dossier Goll conservé dans la Collection New Directions. comme il le fait souvent avec d’autres correspondants, un volume promis de ses Jean sans Terre ainsi qu’un choix de poèmes récents. Sur tout ce qu’il a confié dans sa lettre, Goll recherche les impressions de Calas, allant des termes pesés « Je suis très curieux de connaître votre réaction » à une expression beaucoup plus radicale, sinon d’une certaine actualité pour lui dans les échos qu’il a pu avoir de Calas : « J’accepte avec un masochisme désespéré toutes les critiques. Ne craignez pas de me déchirer ». 174 Les deux manières de solliciter la réaction de Calas montrent Goll penchant tantôt vers l’intimité, tantôt vers la distance dans les rapports qu’il envisage avec Calas. Quand Calas, plus tôt au mois d’octobre 1940 avec sa lettre à View, passe à l’attaque contre la Partisan Review pour le traitement qui est fait du surréalisme dans ses pages, donnant pour faire bonne mesure une petite chiquenaude à Bogan, dont les mots ne sauraient être pris au sérieux par quiconque connaît quelque chose à la littérature française contemporaine, « cannot be taken seriously by anyone who knows anything about contemporary French literature » 175 , Goll se sent atteint, lui qui s’estime depuis quelque temps déjà, par jeu d’associations, pénalisé auprès de certaines revues. Écrivant à Williams le 30 août 1940, Goll voit ce problème se poser pour lui avec New Directions in Prose and Poetry, qui lui fera pourtant une place en 1941 avec « Jean sans Terre découvre le Pôle Ouest ». 176 La parution de ces vers, à la fois en anglais et en français, survient après le refus de « Jean sans Terre nettoyé par le vide », l’année précédente, pour manque d’espace dans le numéro de la revue, selon l’explication envoyée à Goll par le directeur de New Directions, James Laughlin, le 13 octobre 1940, en réponse aux craintes formulées le 2 par Goll. 177 D’emblée, au début de sa lettre, Laughlin écarte la question d’une influence de Calas sur les choix de la revue, écrivant tout simplement à Goll qu’il ne se fie pas à Calas sur les questions littéraires. Il finit, comme en geste de réparation, par inviter Goll à participer à la prochaine livraison de New Directions in Prose and Poetry, publiée une fois par an. Goll fait par la suite un <?page no="43"?> 33 L’installation à New York, 1939-1940 178 Lettre d’Ivan Goll à James Laughlin, datée du 7 août 1942. Collection New Directions. La traduction en question, « La rose qui sent l’amour », vient s’ajouter au « Vieux Dr. Dieu », que Goll traduit pour Laughlin dans La Voix de France, 1 er janvier 1942, p. 5. 179 Billet de James Laughlin à un correspondant non identifié, « MT », du 11 mai 1954 (dicté de Kuala Lumpur le 29 avril), sur papier à en-tête de la Ford Foundation. Il s’agit du document le plus tardif sur Goll dans son dossier de la Collection New Directions, même si Goll continue de paraître, dans les années 1960 et 1970, au sein de publications de New Directions. 180 Martica Sawin, Surrealism in Exile and the Beginning of the New York School, Cambridge, MA : M.I.T. Press, 1995, p. 151. 181 James Laughlin, « Preface », New Directions in Prose and Poetry, 5, 1940, pp. xiii-xxi (p. xviii). Christopher MacGowan rappelle comment les idées de Laughlin sur le surréalisme se modifient durant la période d’élaboration du numéro de New Directions. Christopher MacGowan, «‹ Sparkles of Understanding › : Williams and Nicolas Calas », William Carlos Williams Review, 22, 1, Spring 1996, pp. 81-88 (pp. 83-84). geste envers Laughlin en août 1942, comme cela avait été le cas au mois de janvier, en lui traduisant et en arrangeant que paraisse l’un de ses poèmes « dans un journal français », et s’engage au-delà même de ces traductions à « faire connaître » la poésie de Laughlin à un nouveau public. 178 Beaucoup plus tard, en 1954, quand des projets sur Goll commencent à voir le jour en Amérique, il est vaguement question à New Directions de publier un ouvrage de Goll, et l’avis de Laughlin, alors en congé sabbatique de sa maison d’édition, est recherché sur ce point. Laughlin répond d’abandonner, sans plus de considération, l’idée d’un livre de Goll, estimant ses écrits intéressants mais pas particulièrement importants. 179 Au moment de sa lettre du 30 août 1940 à Williams, Goll n’ignore pas que la parution à venir de New Directions d’où il est évincé va comporter un large dossier intitulé « Values in Surrealism », dans lequel est incluse une « Surrealist Anthology » avec de nombreux poèmes. On peut supposer que Goll a aussi eu vent du passage de Calas chez Laughlin à l’été 1940, où ces derniers ont poursuivi leur préparation du numéro sur le surréalisme. 180 L’idée de Calas et Laughlin travaillant en duo au Connecticut aurait pu prendre pour Goll, de l’extérieur, les allures d’un formidable obstacle à ses espoirs de publication. Mais le degré d’entente entre Calas et Laughlin, comme la lettre du 13 octobre 1940 l’indique d’ailleurs, ne représente pas, en réalité, un problème pour Goll. Calas et Laughlin terminent leur numéro divisés sur les différentes structures que l’écriture automatique peut donner à un texte, Calas s’en tenant à une stricte définition que Laughlin conteste sur l’exemple des poèmes de Breton, Péret et Éluard reproduits dans le numéro, qui lui apparaissent construits, avec un œil sur les relations entre les éléments poétiques, et ne coulant pas, comme le miel d’un pot, d’un esprit qui se déverserait librement , « built - constructed with an eye to relationships - and not simply poured, like honey from a jar, out of the free-flowing mind ». 181 Ces types de « relationships », que Calas nommerait plutôt « laws of the combination of images », relèvent pour Laughlin d’une recherche affectant la forme et, pour Calas, du hasard qui seul donne la forme et parvient à une réalité plus pro- <?page no="44"?> 34 L’installation à New York, 1939-1940 182 Nicolas Calas, « The Meaning of Surrealism : An Interview with Nicolas Calas », New Directions in Prose and Poetry, 5, 1940, pp. 385-395 (p. 387). 183 Christopher MacGowan, «‹ Sparkles of Understanding ›», William Carlos Williams Review, op. cit., p. 84. 184 Herbert Muller, « Surrealism : A Dissenting Opinion », New Directions in Prose and Poetry, 5, 1940, pp. 548-562 (pp. 550 et 556). Le lien que l’article de Muller tente d’établir entre l’irrationel surréaliste et l’hitlérisme donne à Calas de fermes raisons de mettre en question certains choix de Laughlin. Dickran Tashjian rappelle qu’Eugène Jolas formule ce même soupçon, de manière plus voilée, dans la revue Fantasy en 1941. Dickran Tashjian, A Boatload of Madmen, op. cit., pp. 183 et 190. 185 James Laughlin, « Preface », New Directions, op. cit., p. xvi. Calas ne se distancie pas totalement de New Directions et figure au sommaire de 1941. Pour des informations complémentaires sur Calas et Laughlin, voir les deux dossiers Calas répertoriés dans la Collection New Directions. Une seule lettre, non datée, de Calas à Laughlin est conservée à la Calas Archive. Elle discute du numéro de 1941 de New Directions et touche l’idée que Laughlin se fait alors de Calas. 186 Louise Bogan, « Verse » (compte rendu du recueil de Breton, Young Cherry Trees Secured Against Hares), The New Yorker, 22, 39, 9 Nov. 1946, pp. 121-123 (pp. 121-122). 187 « His subconscious […] seems never to have grown up. » Ibid., p. 123. fonde, « deeper reality », où se reconnaît le hasard objectif. 182 Deux essais insérés à la fin de la section « Values in Surrealism », apparemment sans l’accord de Calas, « apparently without Calas’ approval » 183 , viennent ajouter aux frictions entre Laughlin et Calas. Herbert Muller, qui trouve le moment mal choisi pour faire paraître une anthologie surréaliste, décortique, dans le premier essai, les mots mêmes de Calas, y compris la manière dont la forme naîtrait d’une combinaison d’images 184 , tandis que dans le deuxième essai, intitulé « Surrealism », Kenneth Burke refuse à ce mouvement la place que Calas voudrait lui faire prendre auprès du public de la revue. La réticence des lecteurs devant le surréalisme s’exprime dès l’ouverture du numéro, dans les objections que Laughlin leur fait formuler dans sa préface sur l’espace dévolu au surréalisme alors que la revue avait rejeté un type d’auto-expressionnisme excessif : « the reader may object, if you have rejected excessive self-expressionism, how can you devote so much space to Surrealism, how can you approve it ? The answer is that I don’t ». 185 La réserve des lecteurs est avant tout celle de Laughlin, qui assure ne pas cautionner le surréalisme. Pour rejoindre le fil que Bogan a laissé à travers ses écrits sur le surréalisme, outre l’article de la Partisan Review qui a éveillé l’ire de Calas, on retrouve l’idée persistante d’un mouvement confiné dans l’enfantin. Dans son compte rendu de Young Cherry Trees Secured Against Hares au New Yorker en 1946, Bogan revient plusieurs fois au portrait de Breton en « adolescent », « a bullying boy », c’est-à-dire un jeune tyrannisant ses camarades, avec son dernier recueil, qui reprend des poèmes de 1923 à 1944, plein de « student childishness », avec aussi le groupe surréaliste montré en classe turbulente ou en écoliers intelligents, « turbulent schoolroom », « intelligent children ». 186 Bogan conclut à un inconscient, chez Breton, qui n’aurait jamais grandi 187 , maintenant le reproche fait en 1939 aux « Surrealist poets » pour la légèreté <?page no="45"?> 35 L’installation à New York, 1939-1940 188 Louise Bogan, « Paul Éluard », A Poet’s Alphabet, op. cit., p. 116. 189 Le compte rendu de Young Cherry Trees est recueilli dans Something to Say : William Carlos Williams on Younger Poets, ed. James Breslin, New York : New Directions, 1985, pp. 146-149 (p. 148). 190 Ibid., p. 149. 191 The Correspondence of William Carlos Williams and Louis Zukofsky, ed. Barry Ahearn, Middletown : Wesleyan University Press, 2003, pp. 351-353 (pp. 351-352). 192 Dickran Tashjian, « Translating Surrealism : Williams’ ‹ Midas Touch ›», William Carlos Williams Newsletter, op. cit., p. 2. 193 The Correspondence of William Carlos Williams and Louis Zukofsky, op. cit., pp. 312-313. 194 Lettre de Williams à Parker Tyler, du 9 février 1946, reproduite dans William Carlos Williams, The Selected Letters of William Carlos Williams, ed. John C. Thirlwall, New York : McDowell, Obolensky, 1957, pp. 242-243 (p. 242). 195 Louise Bogan, « A Note on Jean Sans Terre », Partisan Review, op. cit., p. 295. avec laquelle ils sont allés dans le subconscient comme s’ils partaient en excursion à la campagne, « gone into the subconscious as one would take a short trip into the country » 188 . Williams est lui-même l’auteur d’un compte rendu de Young Cherry Trees dans View, à l’automne 1946, où le recours à l’inconscient, sans être nommé ni rabaissé, est glissé sous l’expression de « new mechanisms » 189 , qui modernisent chez Breton un « [p]ure classicism », aussi simple que ces légumes classiques que sont les haricots verts, « [s]imple as green beans » 190 , un classicisme que Williams a déjà apprécié à sa lecture de « Pleine marge » en 1944. Dans une lettre à son ami le poète Louis Zukofsky le 22 décembre 1944, Williams repère un type de simplicité dans « Pleine marge », qu’il a pu lire à travers la traduction effectuée par Édouard Roditi pour View, percevant le poème de Breton comme une « rareté », quelque chose de simple venant d’une incroyable complexité de méthode, « something simple coming out of an insensate complexity of method ». 191 Williams partage néanmoins avec Bogan une méfiance de l’inconscient surréaliste, de ses incursions poétiques peu rigoureuses dans l’inconscient, « sloppy poetic forays into the unconscious » 192 . Une lettre précédente à Zukofsky, du 29 janvier 1943, dénonce chez Alain Bosquet, que Williams vient de lire, et chez les surréalistes en général, l’abandon à l’inconscient qui condamnerait au répétitif et supposerait que le poète est né parfait - si seulement il pouvait relâcher le col de sa vessie et tout pisser, « the poet is born perfect - if only he can loosen the neck of his bladder and piss it out. » 193 Williams a, plus tard, une autre image tout aussi physiologique et torturée de la production écrite des surréalistes, qui iraient dans le désordre chercher au fond d’eux-mêmes leurs précieux boyaux, un exercice de « loose-jointed dredging up of their precious guts ». 194 Cette exposition à l’inconscient, ni Williams ni Bogan ne la trouvent chez Goll. Dans la conclusion à sa note sur Jean sans Terre, Louise Bogan situe Goll auprès des surréalistes pour un point seulement, lorsque ses poèmes puisent au « brilliant surrealist vocabulary ». 195 Bogan dira en ce sens au sujet de Breton, dans son compte rendu de Young Cherry Trees, qu’il est bon et élo- <?page no="46"?> 36 L’installation à New York, 1939-1940 196 Louise Bogan, « Verse » (Young Cherry Trees…), The New Yorker, op. cit., p. 122. 197 Louise Bogan, « Yvan Goll in America », Bulletin of the Society of Friends of Yvan Goll, 2, 1955, pp. 4-5 (p. 4). 198 Louise Bogan, « The Revolving Bookstand - Experiment and Post-Experiment », The American Scholar, 16, 2, Spring 1947, pp. 237-252 (p. 244). 199 William Carlos Williams, compte rendu de Young Cherry Trees, Something to Say, op. cit., p. 149. 200 Henri Thomas, Carnets 1934-1948, ed. Nathalie Thomas et Luc Autret, Paris : Éditions Claire Paulhan, 2008, p. 644. 201 Louise Bogan, « Verse » (Young Cherry Trees…), The New Yorker, op. cit., p. 122. 202 L’entrée de journal est citée par Michael Collier, « A Final Antidote : The Journals of Louise Bogan », The Virginia Quarterly Review, 83, 3, Summer 2007, pp. 210-225 (p. 217). 203 Louise Bogan, « A Note on Jean Sans Terre », Partisan Review, op. cit., p. 295. Ces mots de Bogan sont retenus sur un prospectus, probablement de 1941, annonçant des traductions de « Jean sans Terre » aux Editions de la Maison Française, qui seront publiées, sous une autre forme, par Grabhorn Press en 1944 à San Francisco. La lettre du 21 octobre 1942 de Goll à James Laughlin fait état d’une série de retards et de difficultés dans l’édition de Jean sans Terre par Grabhorn Press, le projet étant alors « en panne ». Lettre d’Yvan Goll à James Laughlin, du 21 octobre 1942. Collection New Directions. La seule lettre de Goll présente dans les Grabhorn Press Records évoque un autre contretemps pour la sortie de ce Jean sans Terre. Il s’agit d’une soudaine demande d’argent par Salvador Dali pour une illustration qu’il souhaiterait se faire payer plusieurs centaines de dollars, somme que Goll juge ahurissante. Lettre d’Yvan Goll à Mrs. [Irma] Grabhorn, du 3 novembre 1943. Grabhorn Press Records. Le livre finira par paraître sans le dessin de Dali, mais l’édition d’un autre Jean sans Terre à Montréal en 1946 comportera bien une illustration signée Dali. quent rhétoricien, « [h]e is a fine and eloquent rhetorician » 196 , de cette rhétorique qu’elle juge à plusieurs reprises « empty » 197 , ou vide. Elle écrit pareillement, en 1947, que le « rhetorical gift » ou « verbal power », ce don rhétorique, ou puissance verbale, de Breton accompagne une œuvre singulièrement vide, « singularly empty ». 198 Chaque fois, Breton se voit concéder une qualité que Williams lui trouve par contre associée à sa manière de dire le monde autrement, de le montrer sous une lumière différente. 199 C’est surtout une qualité d’ordinaire reconnue à Breton par ses détracteurs, à la manière d’Henri Thomas en 1947 dans ses Carnets évoquant Breton qui aurait « pour lui (et contre lui) sa rhétorique, du type le plus classique, genre Bossuet » 200 . Goll n’est finalement, de son côté, l’objet d’aucune des accusations portées par Louise Bogan contre un « tiresome », ennuyeux Breton ou un surréalisme n’ayant fini par produire que « smallness and dullness », petitesse et, encore ce mot, ennui. 201 Bogan notera de nouveau dans son journal en 1961 que le surréalisme l’ennuie, « Surrealism bores me », émettant quelques-uns de ses griefs contre ce qui amènerait, selon elle, à la naissance du poème chez les surréalistes, le faux prétexte, le détail tout de surface, le langage seul, « [t]he fake reason, the surface detail, language only ». 202 Si Goll s’est attaché à ce langage, explique Bogan en 1940, s’il a emprunté au surréalisme un type de vocabulaire (sur lequel Bogan reste vague), il l’a transformé, lui infusant d’autres sens, « charging and weighting it » d’une manière inconnue des surréalistes. 203 De ce point de contact avec le surréalisme de <?page no="47"?> 37 L’installation à New York, 1939-1940 204 Louise Bogan, « Verse » (Young Cherry Trees…), The New Yorker, op. cit., p. 122. Breton, Goll s’est fait une force aux yeux de Bogan, tandis que le mouvement surréaliste se retrouverait dans une impasse, « a blind alley ». 204 Tout semble indiquer l’existence d’une certaine configuration chez Bogan où Goll se voit accorder une place laissée vacante par un surréalisme réduit à sa caricature. <?page no="48"?> 205 Saint-John Perse, « Éloges », Œuvres complètes, op. cit., pp. 3-52 (p. 35). 206 Williams Carlos Williams, « Five Letters to Yvan Goll », Stony Brook, op. cit., p. 368. 207 Yvan Goll, « Cuba, corbeille de fruits », Hémisphères, 2-3, Fall-Winter 1943-1944, pp. 22-24 (p. 24). 208 La récupération du vécu qui se fait dans la poésie de Goll a été notée de façon générale par Jean-Jacques Thomas et, plus spécifiquement pour Cuba, par Carmody, qui cite le séjour sur l’île comme source de la production cubaine chez Goll. Voir J.-J. Thomas, III. Le voyage à Cuba, printemps 1940 Les lettres de Goll à Louise Bogan contiennent peu de traces du surréalisme si ce n’est par rapport à ce que Goll observe à Cuba sur les plans de la nature, de la société et de la poésie. Le grand intérêt de cette correspondance, comme de celle à Williams, réside dans l’expression de l’île comme révélation pour le voyageur. Goll abandonne rapidement l’idée qu’il s’était faite de Cuba avant de quitter New York quand il imaginait revenir plus tôt que prévu, même si, en écrivant à Williams le 26 mars, il a envisagé le voyage à Cuba comme quelque chose de « très beau ». Juste avant de s’embarquer sur l’S.S. Oriente, Goll envoie une autre lettre à Williams, le 1 er avril, où il lui indique que Cuba sera « sans doute » une déception. Cette terre des Grandes-Antilles pourrait bien se révéler « trompeuse comme tant d’îles ». Le faux espoir qui s’étend à d’autres îles comme lieux de séjour après avoir été lieux rêvés, peut-être à partir de récits qui, dans cette époque encore coloniale, auraient « fait plus d’une promesse d’îles » 205 , ne va finalement pas ternir Cuba, où Goll trouve plutôt une source inattendue pour sa poésie. Williams a senti à travers les lettres de Goll un nouveau souffle pour sa poésie, espérant, le 2 juin 1940, voir Goll écrire sous l’influence de Cuba : « I hope you are writing and that you have allowed Cuba to influence you - a little ! » 206 Les lettres que Goll expédie de Cuba gardent effectivement la trace de la matière première des poèmes écrits du fait de ce voyage, notamment durant le temps passé à La Havane. Dans sa lettre du 13 avril 1940 à Bogan, Goll considère, un peu euphoriquement, que « tout le monde est poète » à Cuba, que la poésie est composée et lue en nombre, « [l]es journaux publi[a]nt des vers tous les jours ». Il a déjà mentionné le 11 avril à Williams « des centaines de poètes », « des jeunes revues tonitruantes », tant de poésie dans un vieux « paysage de Heredia ». Lui-même se dit porté par ce « pays de la poésie », cette « île de poètes » 207 , où il se met « à écrire [son] ‹ Jean sans Terre à Cuba ›». Par l’envoi du 5 mai 1940 de Goll à Bogan, on peut voir qu’une écriture cubaine, ce que Goll appelle son «‹ Journal Cubain › en vers », est déjà en cours à cette date, avec un titre qui rattache au vécu et à une composition sur le terrain. 208 <?page no="49"?> 39 Le voyage à Cuba, printemps 1940 « Michel Leiris, Yvan Goll : ‹ Touristes nous nous sommes promenés… ›», French Forum, 3, 3, Sept. 1978, pp. 206-219 (p. 218) ; F. J. Carmody, « Critical Analysis » dans Yvan Goll, Jean sans Terre - A Critical Edition, op. cit., p. 150. 209 Yvan Goll, « Canto Negro », Die Lyrik… - IV, op. cit., p. 153. 210 Henri Béhar a déjà fait la remarque que Goll trouve chez Reverdy « une définition de l’image poétique à laquelle il se montrera constamment attaché ». H. Béhar, Les Enfants perdus - Essai sur l’avant-garde, Lausanne : L’âge d’homme, 2002, p. 115. 211 L’article de Goll « Surréalisme », paru en octobre 1924 dans l’unique numéro de sa revue Surréalisme, est reproduit dans Yvan Goll, Œuvres, vol. 1, op. cit., pp. 87-89 (p. 87). 212 André Breton, « L’Amour fou », Œuvres complètes, ed. Marguerite Bonnet, vol. 2, Paris : Gallimard, 1992, p. 755. 213 Louise Bogan, « Paul Éluard », A Poet’s Alphabet, op. cit., p. 116. Il y a, à Cuba, écrit-il toujours à Bogan le 5 mai, deux poètes, Guillén et Ballagas, qui se distinguent par leur « poésie afro-cubaine », poésie aux « rythmes primitifs », « poésie populaire […] qui n’ignore pas le surréalisme », et à laquelle Goll à son tour paraît s’essayer en 1940 dans « Canto Negro » avec des vers voulus peut-être incantatoires comme « congo solongo del Songo » ou « Tamba, tamba, tamba, tamba » 209 . Si Goll ne pousse pas plus loin l’expérimentation de ce type de vers, Nicolas Guillén et Emilio Ballagas continuent de retenir son attention puisqu’il les traduit et les publie quelques années après dans sa revue Hémisphères. Plus caractéristique de l’écriture de Goll, l’expression de ce que Cuba provoque en lui, poésie et « contraste » des extrêmes, l’amène à énoncer, le 13 avril 1940, une formule qui fait perdurer sa proximité avec l’image poétique de Reverdy. 210 À la définition de Reverdy reprise en 1924, où l’image « rapproche des éléments de la réalité éloignés les uns des autres le plus directement et le plus rapidement possible », Goll avait joint ce qui pourrait être tiré d’une anecdote sur Apollinaire et sa manière d’enregistrer le quotidien pour composer un poème. 211 La lettre de Goll du 13 avril 1940 à Louise Bogan intègre, en plus des éléments de 1924, le « choc » et la « surprise » dans le contraste, suivant la manière dont l’image est travaillée dans les débuts du surréalisme et jusque dans L’Amour fou où Breton considère de nouveau l’image qui comporte un « choc initial » 212 . Goll, dans sa lettre, où n’apparaît pas le mot « image », ne se réclame de personne, tout au contraire : « Pour moi, le contraste est le choc qui produit la surprise ». Cette conviction est nuancée au préalable par une remarque plus large, en rapport avec Cuba, « pays de la poésie » : « Si la poésie est l’art des contrastes ». Les propos de Goll en ce début de lettre, agencés sur quatre lignes comme dans une strophe, sont susceptibles de ramener sa correspondante aux réserves qu’elle a déjà exprimées face à la « tiresome juxtaposition » à laquelle la « forme » se trouverait « réduite », devenue « monotone », dans le surréalisme. 213 Les contrastes de la lettre du 13 avril 1940 à Bogan n’entrent pas seulement dans la conception de la poésie chez Goll mais, dès la lettre du 8 avril en fait, signalent l’état de cette île à la nature abondante et à la population vivant dans une grande pauvreté ou, comme Goll l’écrit de manière concise le 13, <?page no="50"?> 40 Le voyage à Cuba, printemps 1940 214 Iwan Goll, Paula Ludwig, Ich sterbe mein Leben, op. cit., p. 542. 215 Idem. 216 En lointain écho à Baudelaire et sa « mendiante rousse », Goll écrit dans « Cuba, corbeille de fruits » : « Dans les rues […] de La Havane, voici la femme […], en haillons hautement colorés […], une démarche royale, un torse putréfiable ». Yvan Goll, « Cuba, corbeille de fruits », Hémisphères, op. cit., p. 23. 217 Ce passage empreint d’un « primitivism » de 1940 peut se lire chez Goll en continuité avec sa description, dans les années vingt, de la culture noire à Paris et Berlin, « black culture in Paris and Berlin », comme une force revigorante, « a reinvigorating […] force ». Andreas Kramer, « Europa minor », dans Sascha Bru et al., Europa! Europa ? , op. cit., p. 135. 218 Goll lui-même dénonce, de manière un peu caricaturale, en 1943, « quatre siècles […] de faim, […] de maladie, […] de détresse », depuis l’arrivée du « barbare blanc » sur l’île. Yvan Goll, « Cuba, corbeille de fruits », Hémisphères, op. cit., p. 22. Il faut rappeler aussi que Goll a, plus anciennement, prêté sa voix de traducteur aux écrits visant le colonialisme. Voir sur ce sujet encore Andreas Kramer, « Europa minor », dans Sascha Bru et al., Europa! Europa ? , op. cit., p. 135. « la richesse de la nature, et la profonde misère des hommes ». Goll continue d’être frappé par cette vision de « misère », qu’il transforme un peu plus en dénonciation, constatant le 28 avril 1940 dans sa lettre à Paula Ludwig des « injustices grotesques ». 214 Les extrêmes apparaissent à Goll à l’intérieur même des « mendiants » et « loqueteux » 215 qu’un regard exotique mais également esthétique, présent sous d’autres formes chez l’ancêtre Baudelaire ou le contemporain Cendrars, relativise par la trouvaille, le 13 avril, du « magnifiqu[e] » chez des « êtres » vêtus d’un simple « pantalon de toile […] en vingt loques ». 216 Une légère touche d’exotisme fournit un autre contraste, le 5 mai à Bogan, lorsque, passant de la poésie afro-cubaine au sculpteur Ramos Blanco, Goll, dans des mots où l’on reconnaît sous la douceur une voix colonisatrice, constate : « L’influence nègre est ici primordiale, et donne des résultats qui me plaisent » ou, ainsi qu’il le dit au début de la lettre, le « croisement des races » à Cuba « donne des résultats surprenants ». Se dessine un paysage de toute simplicité autour de la poésie et de la sculpture afro-cubaines, le primitif, aux attraits pittoresques, avec son « coloris », sa « naïveté », sa « gaîté », en somme la « vie qui manque aux civilisés endormis ». 217 La lettre du 8 avril met en place une distance du même ordre entre celui qui vient de la civilisation et celui qui vit dans un monde plus naturel. Goll le « voyageur » se sent, à la fin de cette lettre, comme « un intrus », loin de pouvoir « poss[éder] » la « terre » qu’il visite et les femmes aux « corps de bronze », moins bien armé en cela que le colonisateur. 218 Un antécédent littéraire de ces fantasmes où, selon les mots de Goll du 8 avril 1940 à Bogan, les femmes « sont près de la terre [et] ne connaissent qu’une chose, l’amour, l’amour, l’amour », peut être retrouvé dans ce que le Fermina Márquez de Valery Larbaud dit, en 1911, des « petites Cubaines » de quatorze, quinze et seize ans qui « se laiss[eraient] embrasser dans tous les <?page no="51"?> 41 Le voyage à Cuba, printemps 1940 219 Valery Larbaud, « Fermina Márquez », Œuvres, ed. G. Jean-Aubry et Robert Mallet, Paris : Gallimard, 1958, pp. 307-393 (p. 375). 220 J.-B. Rosemond de Beauvallon, Un Français à Cuba en 1842, La Rochelle : La Découvrance, 2007, p. 83. Fermina Márquez désigne le personnage d’Encarnacion, celle qui a précisément quinze ans, comme « la plus jolie des petites Cubaines ». Valery Larbaud, « Fermina Márquez », Œuvres, op. cit., p. 378. 221 J.-B. Rosemond de Beauvallon, Un Français à Cuba en 1842, op. cit., p. 85. 222 Graham Greene, « Introduction » (1970), Our Man in Havana, London : William Heinemann & The Bodley Head, 1970, pp. vii-xix (p. ix). 223 Yvan Goll, « Jean sans Terre à Cuba », Jean sans Terre - A Critical Edition, op. cit., pp. 91-93 (p. 91). 224 Yvan Goll, « Chansons malaises », Œuvres, vol. 2, op. cit., p. 32. 225 Les arbres sont parmi d’autres éléments naturels, dans le poème de Chansons malaises, « Depuis que tu m’as regardée », à offrir une perspective inverse, c’est-à-dire masculine, où la femme découvre partout le regard de l’homme, « Je n’ose plus me risquer au jardin/ Car tous les arbres/ Portent tes yeux au lieu de fruits ». Ibid., p. 29. coins du parc », « aim[ant] les baisers pour les baisers mêmes » 219 , sans que ces personnages soient développés sur d’autres plans dans le roman. Comme antécédent plus ancien à la fois à Goll et à Larbaud, existe un écrit français sur Cuba du début des années 1840. Le voyageur Rosemond de Beauvallon (1819-1903), issu d’une famille créole de la Guadeloupe, visite alors Cuba et pense, sur le bateau qui le conduit vers l’île, à « la créole, ce rêve du poète », « jeune femme de quinze ans ». 220 Le « rêve [s’]accompli[t] » à Cuba quand ses yeux « aperç[oivent] » les « filles de cette terre de lumière et d’amour, [...] parmi les fruits et les fleurs », dans des mots qui ont un écho chez Goll. 221 Les fruits de la lettre du 8 avril 1940 de Goll ont leur place ménagée au milieu d’observations à caractère plutôt social. Des informations sont données qui jouent sur l’opposition abondance-pauvreté, avec une illustration par les chiffres, nombre d’habitants, nombre vivant dans l’indigence et dans la promesse vide des « billets de loterie », « substitute for hope in hopeless Cuba », selon les mots de Graham Greene 222 , substitut d’espoir dans un Cuba sans espoir. Ce dernier exemple de la vie quotidienne que donne la lettre de Goll, avec l’espoir trompeur du billet de loterie, passe dans les vers plus démesurés de « Jean sans Terre à Cuba », où « [l]’homme pourrit sous l’arbre de la chance/ Et meurt de faim sous les citronniers d’or ». 223 L’image du « citronnier » et de ses « fruits » comme « de l’or » se rencontre plus tôt chez Goll, dans le poème « Debout sous tes cent citronniers » des Chansons malaises de 1935, en image d’abondance, accessible dans ce cas, « Debout sous tes cent citronniers/ Tu sais attendre/ Que leurs fruits deviennent de l’or ». 224 Les fruits et les arbres, à eux seuls ou rattachés à des images d’inépuisables ressources ou encore à des images féminines, ne manquent pas dans le poème de « Jean sans Terre à Cuba ». 225 Ils sont, titre oblige, très présents dans l’article de 1943, « Cuba, corbeille de fruits », à la « prose enchantée » dira plus tard <?page no="52"?> 42 Le voyage à Cuba, printemps 1940 226 Ces mots de Goll lui sont attribués par Pierre-Louis Flouquet dans son article « Des rives de la Seine aux rives de l’Hudson... - Claire et Yvan Goll en poésie », Le Journal des poètes, 17, 1, 1947, pp. 1-2 (p. 2). 227 Yvan Goll, « Cuba, corbeille de fruits », Hémisphères, op. cit., p. 22. 228 Claude Lévi-Strauss, « Tristes Tropiques », Œuvres, ed. Vincent Debaene et al., Paris : Gallimard, 2008, pp. 1-445 (p. 16). 229 Idem. 230 Yvan Goll, « Lucifer vieillissant », Œuvres, vol. 1, op. cit., p. 243. 231 Yvan Goll, « Aube sur La Havane », Die Lyrik… - IV, op. cit., p. 145. 232 Steven Nagy et Philip Shaw, Tropical and Subtropical Fruits : Composition, Properties and Uses, Westport : AVI, 1980, p. 417. Goll 226 , où la « corbeille » qui se « renvers[e] » et devient « pourri[ture] » contient aussi « fruits charitables » et « fruits sexuels » 227 . L’énumération de types de fruits et les réflexions que donne « Cuba, corbeille de fruits » sont précédées, dans la lettre du 8 avril 1940 à Bogan, par une liste émerveillée des fruits qu’offre l’île. À leur vue, Goll est saisi par ce que Lévi-Strauss donne pour un « ravissement » à Fort-de-France en avril 1941 lorsqu’il « retrouv[e] » toute une série de fruits sous d’autres noms que ceux qu’il avait connus en Amazonie. 228 Ce transport, chez un Lévi-Strauss rousseauiste, est vite canalisé dans une liste comparative des noms « d’espèces végétales », ceux que l’ethnographe connaissait et ceux qu’il apprend à la Martinique, observant la flore sur le trajet qui le mène, dans une « vieille Ford », au camp du Lazaret où viennent d’être internés, parmi d’autres, Breton et Victor Serge. 229 Goll, un an plus tôt, rencontre lui aussi avec enthousiasme les fruits du pays visité, les apercevant au moment de leur vente, à la fin de leur circuit de production et de commercialisation. Une fois descendu du bateau à La Havane, Goll, ainsi qu’il l’écrit à Bogan le 8 avril 1940, s’installe dans un parc de la ville « près d’un marchand de fruits » à l’étalage dépeint comme extraordinaire, beaucoup plus en tout cas, pour les lecteurs de Goll, que celui de la « pauvre fruiterie » de Lucifer vieillissant qu’« illuminent » seuls « [d]es citrons » 230 . Le matin se levant sur la capitale cubaine lui paraît fait d’un fruit hors du commun, un agrume-horloge qui démarque le temps dans le poème de 1940 « Aube sur La Havane », où « [l]’orange de l’aube se pèle/ Et les douze quartiers des heures/ Se détachent lentement/ Pour être mangés ». 231 De l’ensemble de « fruits tout à fait inconnus et miraculeux » que Goll identifie pour Louise Bogan le 8 avril 1940 et qu’il a découverts à vendre dans le parc, le mamey fera l’objet d’un traitement intense et continu, où la couleur, la forme et la chair du fruit, tous éléments de la lettre, subiront une expansion ou une contraction poétique dans l’écriture cubaine de Goll. Ce fruit, spécifiquement appelé mamey à Cuba, est la sapotille, fruit du sapotier ou sapotillier. L’une des particularités du mamey semble avoir retenu l’attention de Goll, la rapidité avec laquelle le fruit vieillit après son mûrissement, processus de la « senescence ». 232 Goll estime néanmoins qu’avant d’atteindre le stade de la putréfaction, ce fruit pourrait solutionner les problèmes de la faim. La valeur nutritive réelle du mamey, assez faible, est sans <?page no="53"?> 43 Le voyage à Cuba, printemps 1940 233 Ibid., pp. 419-421. 234 F. J. Carmody, « Critical Analysis » dans Yvan Goll, Jean sans Terre - A Critical Edition, op. cit., pp. 151-152. 235 Lettre d’Yvan Goll à Louis-Marcel Raymond, du 15 octobre 1944. Fonds Raymond. Sur ce point, la lettre de Goll répond à celle du 25 septembre 1944 de Louis-Marcel Raymond conservée dans le Fonds Goll. Merci à Monsieur Louis Bertho d’avoir partagé cette lettre, parmi d’autres de Raymond. 236 Lettre d’Yvan Goll à Louis-Marcel Raymond, du 15 octobre 1944. Fonds Raymond. Dans la première série de ces Itinéraires botaniques, le mamey est présenté comme un fruit à « la chair [...] rouge [et au] noyau d’un noir d’ébène [...], la graine cont[enant] une huile médicinale ». Les deux botanistes, frères des écoles chrétiennes, notent aussi, comme Goll le dit pour le fruit, que le « sapotillier » est un « arbre remarquable ». Frère Marie-Victorin et Frère Léon, Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba, première série, Montréal : Institut botanique de l’Université de Montréal, 1942, p. 205. 237 Il s’agit du troisième voyage à Cuba par Marie-Victorin, comme le note André Bouchard dans son édition Marie-Victorin à Cuba - Correspondance avec le frère Léon, Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 2007, p. 120. 238 Iwan Goll, Paula Ludwig, Ich sterbe mein Leben, op. cit., pp. 540-541 (p. 540). 239 Yvan Goll, « Jean sans Terre à Cuba », Jean sans Terre - A Critical Edition, op. cit., p. 92. 240 Pour « mamme », il y a le vers « À tes mammes la mangue fine », d’« Antille », poème de la nature-femme d’André Masson, publié en même temps que « Cuba, corbeille de commune mesure avec l’imaginaire fruitier de Goll ou avec les sources qu’il a pu consulter. 233 Carmody suggère que Goll se serait renseigné sur Cuba et ses fruits dans Terry’s Guide to Cuba et relève, dans la description des fruits du guide de 1926, des points de ressemblance avec les informations données dans « Cuba, corbeille de fruits ». 234 Goll reçoit, à l’automne 1944, un écrit plus documenté, les Itinéraires botaniques dans l’île de Cuba, que l’un des deux auteurs, le Frère Marie-Victorin, peu avant sa mort et alors qu’il avait lu « Cuba, corbeille de fruits », avait demandé à Louis-Marcel Raymond d’envoyer à Goll. 235 L’examen de cet ouvrage ramène Goll à son intérêt « pour la flore de Cuba » et éveille chez lui le regret de n’avoir pas croisé à Cuba, « au printemps 1940 », le Frère Marie-Victorin 236 , qui a sillonné l’île de la mi-mars à la mi-mai 237 . Avec ce que ses lectures et contacts ont pu lui apporter de connaissances pour sa visite à La Havane, avec aussi une poétisation du « mamey rouge-brique », Goll s’invente, dans sa lettre du 8 avril 1940 à Bogan, un mamey « ovale comme un gros œuf d’autruche », « doux et nourrissant comme une tranche de bœuf », fruit dont le goût également rappelle le bœuf, écrit-il le 25 avril à Paula Ludwig, « schmeckt wie ein Beefsteak » 238 . Goll effectue un certain mélange des termes lorsqu’il écrit ensuite, le 11 avril 1940, à Williams que le mamey, avec sa « chair rougebrique », donne l’impression de « mordre dans un bifteck très tendre, nourrissant comme un œuf dur ». Un condensé du coloris et de l’association œufbœuf du mamey apparaît dans « Jean sans Terre à Cuba » avec « [l]a chair brique et bien cuite du mamey » 239 . Si l’on regarde cette fois dans « Cuba, corbeille de fruits », le mamey appartient au cru, à la viande non cuite, et à un certain primitif, sein maternel qui nourrirait de manière inépuisable. Le mamey, devenu « mamme » 240 par l’évidence de sa graphie, « mamelle » par <?page no="54"?> 44 Le voyage à Cuba, printemps 1940 fruits » dans le numéro d’Hémisphères sur les tropiques et repris dans Martinique charmeuse de serpents. André Masson, « Antille », dans André Breton, Œuvres complètes, ed. Marguerite Bonnet, vol. 3, Paris : Gallimard, 1999, pp. 369-370 (p. 370). 241 Yvan Goll, « Cuba, corbeille de fruits », Hémisphères, op. cit., p. 22. 242 Lettre de Louis-Marcel Raymond à Yvan Goll, du 11 mars 1944. Fonds Goll. 243 Yvan Goll, « Amérique », Die Lyrik... - IV, op. cit., pp. 221-231 (p. 227). Louise Bogan traduit une partie du poème « Amérique » en août 1954, sous le titre « America », pour le premier numéro du Bulletin of the Society of Friends of Yvan Goll, p. 2. Dans un autre poème de l’Elégie de Lackawanna, « Memnon-Woolworth », où antiquité et commerce de grands magasins se côtoient, ceux qui travaillent et viennent acheter passent en « abeilles purificatrices » par la « Tour Woolworth » pour « [q]uête[r] le miel du grand fruit mûr » qu’est « New York », image qui contraste avec le trop mûr de Cuba. Yvan Goll, « Memnon-Woolworth », Die Lyrik... - IV, op. cit., pp. 257-260 (p. 257). 244 Yvan Goll, « Histoire de Parmenia l’Havanaise », Circle, 1, 3, 1944, pp. 17-18 (p. 17). La correspondance entre Goll et Miller conservée à UCLA ne fait pas mention de cette dédicace, l’année même où Goll découvre un autre New York, pour photographier, avec Gabrielle Lederer, le quartier de la jeunesse de Miller, traversé, comme le note Goll, par une des rues les plus vides au monde, Driggs Avenue. Lettre d’Yvan Goll à Henry Miller, du 20 septembre 1944, en anglais. Miller Papers. Gabrielle Lederer, en jeune admiratrice, avait proposé à Miller de prendre en photo plusieurs lieux où il avait vécu enfant, ce qui a amené Miller à mettre Goll en contact avec elle au mois d’août 1944. Lettre d’Henry Miller à Yvan Goll, du 22 août [1944]. Miller Papers. L’idée initiale est que ces photographies accompagnent un chapitre de Black Spring, à la manière de Breton utilisant des photos bon marché dans son Nadja, « as Breton used cheap chromos in his Nadja ». Lettre d’Henry Miller à Gabrielle Lederer, du 18 mai 1944. Miller Papers. Cette idée est reprise beaucoup plus tard, dans les années soixantele son, est érigé en fruit susceptible de combler tous les besoins, tous les désirs, le fruit magique : « le mamey, à la rondeur oblongue et à l’odeur d’une mamelle d’Indienne, offre une chair couleur brique, un bifteck tartare, repas de toute une journée » 241 ou du moins, comme Goll l’écrit à Williams le 11 avril 1940, « [c]’est un dîner complet, dessert compris », pour le prix modique de « 5 cents ». Ce n’est pas l’aspect alimentaire du mamey que le botaniste Louis-Marcel Raymond relève lorsqu’il évoque pour Goll, le 11 mars 1944, l’existence d’une « sensualité chez les végétaux », après sa lecture de « Cuba, corbeille de fruits » et « Vénus cubaine » dans Hémisphères. 242 Autour de la même période, Goll donne, avec « Amérique », poème d’ouverture de son Elégie de Lackawanna, une version qui vient un peu en clin d’œil au mot de Raymond, sans qu’on ait besoin de savoir laquelle a été écrite en premier tellement l’idée circule chez Goll : « Le vice prend des formes végétales ». 243 Goll ne s’embarrasse pas des précautions oratoires de Raymond quand il présente pour la première fois le mamey à Williams, le 11 avril 1940, faisant faire à ce fruit le tour du corps féminin : « Le mamey ressemble à un immense vagin ». Cette image, comme celle du mamey-sein, s’intègre alors à la poésie de Goll. Dans le poème de la série où figure la jeune prostituée Parmenia, « Histoire de Parmenia l’Havanaise », dédié en 1944 par Goll à Henry Miller, le « passant » entend « l’appel » chargé de la prostituée, « Mange mes mameys à la chair de brique pilée et d’œuf pourri ». 244 Des expressions analogues, dans cette chaîne <?page no="55"?> 45 Le voyage à Cuba, printemps 1940 dix, pour l’ouvrage de Miller, Book of Friends, publié avec de nouvelles photographies des lieux autrefois visités par Goll et Lederer munie de son « kodak ». Lettre d’Yvan Goll à Henry Miller, du 20 septembre 1944, en anglais. Miller Papers. Miller écrit, en 1951, à Claire Goll pour préciser que lui-même n’était effectivement pas présent lors de cette séance de photos, ce qui n’empêchera pas que Goll et Miller soient montrés tous les deux à Brooklyn avec un « Kodak », dans les souvenirs de Claire Goll, La Poursuite du vent, où perce aussi une certaine hostilité contre Miller. Voir la lettre d’Henry Miller à Claire Goll, du 23 avril 1951 ; voir aussi Claire Goll, La Poursuite du vent, op. cit., pp. 240-241. 245 Yvan Goll, « Histoire de Parmenia. Rue de la Vertu à La Havane », Die Lyrik... - IV, op. cit., p. 113. 246 Yvan Goll, « Parmenia de Cuba. Calle Animas et Calle Virtudes », Die Lyrik… - IV, op. cit., p. 125. 247 Louise Bogan, « Yvan Goll in America », Bulletin of the Society of Friends of Yvan Goll, op. cit., p. 5. 248 F. J. Carmody, The Poetry of Yvan Goll, op. cit., p. 115. 249 Louis-Marcel Raymond, « La Vie et l’œuvre d’Yvan Goll » dans Yvan Goll, Choix de poèmes, Saint-Jean, Québec : Le Canada-Français, 1948, p. 11. Raymond, Carmody et Bogan poursuivent chacun, à travers leurs comparaisons entre la femme et le fruit, cette « procédure d’anthropomorphisation » que Jean-Jacques Thomas remarque chez Goll dans l’équation « roche = femme » du Mythe de la Roche Percée. J.-J. Thomas, « Michel Leiris, Yvan Goll : ‹ Touristes nous nous sommes promenés … ›», French Forum, op. cit., p. 218. 250 Yvan Goll, « Parmenia de Cuba. Calle Animas et Calle Virtudes », Die Lyrik… - IV, op. cit., p. 138. de poèmes de « Parmenia » qui se répètent comme autant de clients chez la prostituée, peuvent se lire dans « Histoire de Parmenia. Rue de la Vertu à La Havane », « Caresse mon mamey à la pulpe pilée de brique rouge et d’œufs pourris ». 245 Vient encore, dans « Parmenia de Cuba », la sollicitation « Nourris-toi de mamey, au goût de mon sexe, fait de brique pilée et d’œufs durs pourris ». 246 La lecture successive des trois groupes d’images accentue le mélange fruit-femme établi dans les lettres d’avril 1940 à Bogan et Williams et dans « Cuba, corbeille de fruits », ajoutant à l’ensemble de significations une pourriture sexuelle qui prend la forme, par odeur et goût, d’une décomposition organique, vers la senescence du fruit. Par ce que le fruit, la femmeprostituée et la chair partagent, la frontière entre le végétal et l’humain disparaît, le végétal écrasant l’humain, au point que Bogan dit de la jeune fille Parmenia qu’elle est fruit plutôt qu’être, « like a tropical fruit » plutôt que « human being » 247 , et Carmody écrit de la même manière sur le corps pourrissant, « [l]ike the rich fruit of the island, her body rots » 248 . Ou bien encore, comme le formule Louis-Marcel Raymond, « [l]es fruits pourrissent sur les arbres, comme la chair des femmes dans les bohios lambrissés de gaines de palmier », avec ce dernier détail végétal, ajouté par Raymond, qui forme un décor au travail de la prostituée. 249 Goll voit les femmes, toutes jeunes, poussées à la prostitution par l’immense pauvreté de leur famille, avec « [l]eurs maigres cuisses apprenant tôt l’amour/ En l’absence de pain ». 250 Il les représente sous la forme de <?page no="56"?> 46 Le voyage à Cuba, printemps 1940 251 Yvan Goll, « Jean sans Terre à Cuba », Jean sans Terre - A Critical Edition, op. cit., p. 91. 252 Yvan Goll, « Cuba, corbeille de fruits », Hémisphères, op. cit., p. 23. 253 Yvan Goll, « Parmenia de Cuba. Calle Animas et Calle Virtudes », Die Lyrik… - IV, op. cit., p. 124. 254 Ibid., p. 139. Alain Montaudon résume cette figure en une « Ein-Dollar-Frau » dans son étude traduite en allemand « Der Karawane treu - Anmerkungen zum poetischen Werk Yvan Golls », dans Vom Gedicht zum Zyklus. Vom Zyklus zum Werk. Strategien der Kontinuität in der modernen und zeitgenössischen Lyrik, ed. Jacques Lajarrige, Innsbruck : Studien Verlag, 2000, pp. 18- 29 (p. 26). 255 L’expression de cette écrivaine établie à Paris, Zoé Valdés, est tirée de son roman Te di la vida entera, traduit chez Actes Sud en 1996 sous le titre La Douleur du dollar, et est examinée par Esther Whitfield, Cuban Currency : The Dollar and « Special Period » Fiction, Minneapolis et London : University of Minnesota Press, 2008, pp. 48-54. 256 Yvan Goll, « Parmenia de Cuba. Calle Animas et Calle Virtudes », Die Lyrik… - IV, op. cit., p. 125. 257 Yvan Goll, « Élégie sur une Pêche », Die Lyrik... - IV, op. cit., pp. 448-452 (pp. 449 et 452). 258 La mention de la prostitution par le Terry’s Guide to Cuba est reliée par Rosalie Schwartz à la campagne de marketing de cette époque qui met en avant les « plaisirs » de l’île. R. Schwartz, Pleasure Island : Tourism and Temptation in Cuba, Lincoln : University of Nebraska Press, 1997, p. 86. 259 Yvan Goll, « Élégie sur une Pêche », Die Lyrik... - IV, op. cit., p. 452. « filles-amandiers » 251 dans « Jean sans Terre à Cuba », de « jeunes palmiers ambulants » le 11 avril 1940 à Williams, ou de « femme-arbre » 252 dans « Cuba, corbeille de fruits », travaillant pour « [leur] maître de dollar, [leur] roi de dollar, [leur] président de dollar » 253 , pour « les dollars de [leur] dégoût et de [leur] déchéance » 254 et, si l’on voulait finir sur le jeu de mots d’une romancière cubaine actuelle, « el dolor del dólar » 255 . La voix de Parmenia, qui interpelle le client et l’incite à « [e]ntrer dans le cercueil de [s]on corps », est aussi le « fruit » de celui auquel elle s’adresse, se donnant comme « la vieille chair purulente de la pêche ». 256 Goll consacre une élégie à ce fruit, publiée dans Les Cercles magiques en 1951 mais composée plus tôt dans les années quarante, où, de toutes les variétés de pêches qui s’énumèrent dans le poème, revient par deux fois celle à la « [c]hair de vierge et de vieille putain ». 257 Le mot de pêche est, par ailleurs, associé à la palette des prostituées à trouver dans le quartier du vieux port, « the old port area », de La Havane de 1929, où, selon le Terry’s Guide to Cuba apparemment connu de Goll, les rues sont pleines d’adolescentes, « teenagers », décrites par leur teint qui varierait d’un blanc de pêche à un noir charbon. 258 Dans « Élégie sur une pêche », deux vers reviennent presque à l’identique, à deux endroits du poème, en rappel de la jeunesse pendant laquelle les filles sont forcées à la prostitution au profit d’abord de leur famille : « Elles ont été cueillies vertes et maigres/ De fillettes dalmates trop tôt vendues par leur mère ». 259 Ce dernier vers prend plus l’allure d’un témoignage direct dans « Peach Elegy », que Goll compose en anglais pour son recueil de 1946, Fruit from Saturn, où le sort des « fillettes dalmates » est énoncé par la voix de l’acheteur, impliqué luimême dans l’affaire, « I bought Dalmatian girls too early sold by their <?page no="57"?> 47 Le voyage à Cuba, printemps 1940 260 Yvan Goll, « Peach Elegy », Die Lyrik... - IV, op. cit., pp. 296-298 (p. 297). 261 Yvan Goll, « Lucifer vieillissant », Œuvres, vol. 1, op. cit., p. 244. 262 Ibid., pp. 244-245. 263 Ibid., p. 245. 264 Yvan Goll, « Histoire de Parmenia. Rue de la Vertu à La Havane », Die Lyrik… - IV, op. cit., p. 113. 265 Ibid., p. 114. 266 Yvan Goll, « Parmenia de Cuba. Calle Animas et Calle Virtudes », Die Lyrik… - IV, op. cit., p. 137. 267 Voir Jules Romains et al., Yvan Goll, Paris : Seghers, 1956, pp. 152-153 (p. 152). L’universalité est amenée au premier plan dans le Goll cubain chez Albert Ronsin, qui voit « la Havanaise femme internationale » incarner « en réalité la souffrance millénaire de la femme ». A. Ronsin, « Yvan Goll, ‹ L’homme à tiroirs ›… » dans Yvan Goll (1891-1950). Poète européen des cinq continents, op. cit., p. 33. Pour Parmenia, considérée, au même titre que la Vénus de Goll, comme « Femme Universelle », on peut se reporter à Vivien Perkins, Yvan Goll - An Iconographical Study of his Poetry, Bonn : Bouvier, 1970, p. 66. 268 Andreas Kramer et Robert Vilain, « Introduction », Yvan Goll - A Bibliography of the Primary Works, op. cit., pp. 9-17 (p. 9). mother ». 260 Au cours d’une scène de Lucifer vieillissant, où la prostitution occupe assez peu de place, c’est d’une autre pêche qu’il s’agit, avec un retentissement social lié à une journée de travail qui ne sort pas de la misère « l’armée des monstres difformes de la déchéance humaine [qui] se lève » de sa nuit passée sous les ponts pour distribuer « les produits de la terre » à l’intérieur des Halles. 261 L’amoncellement des fruits et légumes en « collines » et « montagnes » côtoie « la pureté des jeunes pêches » et prépare l’image de la « corne d’abondance », à laquelle ces manutentionnaires, dans un contraste marqué, ne goûteront jamais. 262 « [I]ls gagnent juste de quoi verser un litre de vin rouge sur » une richesse d’apparat, « une couronne de pain d’or », avant de retourner dormir « sous le pont, sans connaître leur misère », sans mesurer leurs véritables conditions de vie. 263 À travers les rues de Parmenia, où le social est moins largement peint, les fruits, dans leur fraîcheur ou dans leur « purulen[ce] », que la prostituée invoque dans son appel comme autant d’actions à accomplir sur son corps - « [h]ume mes langueurs de mangue » ou bien l’invitation sous-entendue dans « Mes tétons sont laqués comme les pousses des datiers » 264 - expriment autrement sa douleur, son « jardin de plaies » 265 . Sur des pages et des pages, la prostitution est montrée dans ses souffrances individuelles au point que l’universel apparaît en retrait malgré le vers de « Parmenia de Cuba », « Je suis la Femme Universelle » 266 , presque systématiquement mis en avant par la critique depuis l’édition de 1956 de « Poètes d’aujourd’hui » consacrée à Goll. Le découpage de « Parmenia » retenu par le volume inverse deux groupes de strophes, plaçant le « Je suis la Femme Universelle » en premier vers du poème. 267 Le changement apporté de l’extérieur à l’ordre des vers, pas tout à fait assimilable à la pratique de Goll de « modifi[er] » et « réorganis[er] » ses écrits 268 , a installé une lecture universaliste de « Parmenia » qui <?page no="58"?> 48 Le voyage à Cuba, printemps 1940 269 Yvan Goll, « Cuba, corbeille de fruits », Hémisphères, op. cit., p. 23. 270 Yvan Goll, « Histoire de Parmenia. Rue de la Vertu à La Havane », Die Lyrik… - IV, op. cit., p. 118. 271 Ibid., p. 115. 272 Yvan Goll, « Parmenia de Cuba. Calle Animas et Calle Virtudes », Die Lyrik… - IV, op. cit., p. 126. La prostitution dans la poésie cubaine de Goll est également rapprochée d’un travail industriel par Klaus Weissenberger, « Iwan Goll : New York 1939-1947 » dans John Spalek et Joseph Strelka, Deutsche Exilliteratur seit 1933, vol. 2, t. 1, op. cit., p. 245. Margaret A. Parmée consacre aussi quelques mots à l’aspect mécanique dans « Calle Virtudes » et examine peu au-delà de ce qu’elle nomme les « unpleasant images », images peu plaisantes des poèmes de « Parmenia ». M. A. Parmée, Ivan Goll : The Development of his Poetic Themes and their Imagery, Bonn : Bouvier, 1981, pp. 162-163. Pour clore sur ces remarques, et sans qu’il soit nécessaire d’impliquer dans la discussion le Benjamin de Passagen-Werk, Goll rejoint l’un des poncifs littéraires de la prostitution qui assimile celle-ci, comme c’est souvent le cas chez Mac Orlan par exemple, à un travail mécanisé. Voir Roger W. Baines, ‹ Inquiétude › in the Work of Pierre Mac Orlan, Amsterdam : Rodopi, 2000, p. 225. Même lorsque Mac Orlan, chroniquant en 1934 les quartiers réservés des villes d’Afrique du Nord et d’Europe, croit voir dans l’activité de la prostituée « le seul métier où le travail de la machine n’[ait] pas remplacé celui de l’homme », resurgit sous ses yeux, à Alexandrie, devant le répétitif de la scène, « [d]evant chaque boutique… », la « triste usine à plaisir ». Pierre Mac Orlan, Rues secrètes, Paris : Arléa, 2009, pp. 9, 66 et 67. 273 Yvan Goll, « Paris brûle », Œuvres, vol. 1, op. cit., pp. 128-140 (p. 132). 274 Ivan Goll, « L’art révolutionnaire », Clarté - Bulletin français de l’Internationale de la pensée, 52, janv. 1921, colonne 1. Se reporter à Alain Cuenot, « Clarté (1919-1928) - La définition d’une pensée et d’une esthétique au service de la révolution », Dissidences, 3, oct. 2007, pp. 115-151 (p. 118). 275 Ivan Goll, « L’art révolutionnaire », Clarté, op. cit., colonne 1. trouve, il est vrai, un écho dans la « fille universelle » de « Cuba, corbeille de fruits » 269 . La vision d’une universalité féminine ne diminue pas la part industrielle et mécanique, toute de matérialisme, de la prostitution dans les poèmes de « Parmenia », « usine », « machine » 270 , « travai[l] à la chaîne » 271 , « moulin », « batteur » 272 . En fait, l’image associant prostituée et machine survient bien plus tôt chez Goll, dans le poème de 1921 « Paris brûle », où le signal du travail dans les « usines » est donné comme l’appel irrésistible des « sirènes prostituées » qui « nasillent » leur commande à l’intention du travailleur : « pousse coupe soude tourne laboure chauffe balaye tricote soulève meurs ». 273 « Paris brûle », où la mort n’est que la dernière des tâches de l’ouvrier, peut être vu comme l’expression poétique des idées formulées par Goll dans son article de la même année pour Clarté, « L’art révolutionnaire ». Sa discussion d’un ouvrage du futur diplomate Constantine Oumansky, de l’un des « rares documents qui nous viennent de Russie », montre Goll saisi par une idée de l’art qui suit trois axes, « art de la vie moderne », « art de la rue », « art pour tout le monde » qui « émane[raient] de l’inspiration et de la volonté de la masse ». 274 Ce « nouvel art qui naît » 275 s’inscrirait dans un système de « Proletkultur » diffusée « par tout le pays » soviétique dans « des trains dits de ‹ propagande et de littérature ›», réunis dans l’image de Goll en « [u]n train rouge parmi les moissons d’été » qui l’amène à s’interroger : <?page no="59"?> 49 Le voyage à Cuba, printemps 1940 276 Ibid., colonne 2. 277 Louis Aragon, « Front rouge », Persécuté persécuteur, ed. Olivier Barbarant, Paris : Stock, 1998, pp. 13-27 (pp. 26-27). 278 Yvan Goll, « Lucifer vieillissant », Œuvres, vol. 1, op. cit., pp. 285-286. 279 Ibid., p. 256. La figue mûre sera pour Goll, à la fin de sa vie, associée à la maladie et à la mort, dans le vers du poème « Haut-fourneau de la Souffrance », « Mûrit les figues du cancer ! ». On retrouve ce vers, avec des variations, dans la série des poèmes d’« Hôpital » de cette période. Le poème est reproduit par Erhardt Schwandt, Das poetische Verfahren in der späten Lyrik Yvan Golls, thèse de doctorat, Freie Universität Berlin, 1968, pp. 187-188 (p. 188). 280 Un vers comme « Mes oreilles sont deux camélias qui repoussent tous les matins », d’« Histoire de Parmenia », fait aussi apercevoir une femme-fleur, autrement présente en 1945 chez Suzanne Césaire dans les « îles » des Caraïbes aux « femmes-fleurs tropicales », avec des échos dans le recueil de 1949 d’Aimé Césaire, Corps perdu. Outre l’illustration d’une femme-fleur par Picasso, le recueil montre, dans le poème « Élégie », « les belles boucles noires des canéfices qui sont des mûlatresses », certains des canéficiers donnant des fleurs jaunes. Les « camélias », qui font partie des répétitions d’un poème de « Parmenia » à un autre, figurent dans Yvan Goll, « Histoire de Parmenia. Rue de la Vertu à La Havane », Die Lyrik... - IV, op. cit., p. 113. Pour Suzanne Césaire, voir son article « Le grand camouflage », Le Grand camouflage - Écrits de dissidence (1941-1945), ed. Daniel Maximin, Paris : Seuil, 2009, pp. 84-94 (p. 86). Pour « Élégie », voir Aimé Césaire, Cadastre suivi de Moi, Laminaire… - Poésie, Paris : Seuil, 2006, pp. 75-76 (p. 75). La fleur sort tout aussi conventionnellement de la littérature de la prostitution, comme dans « Pierreuse », de Jean Lorrain, où, en « [u]n coin de banlieue » parisienne évolue « la fleur malsaine, aux écoeurants relents de crasse et de pommade, de cette nature écorchée et pleurante, fleur de prostitution sur fumier de gravats » et où, pour élargir ce tableau d’une décadence, ne manquent pas « çà et là « peut-il y avoir spectacle plus coloré et plus enivrant ? ». 276 Dans ces mots de 1921 de Goll, on voit poindre le « Front rouge » de 1930 d’Aragon et son « train rouge » qui « s’ébranle », « s’emballe », « brûle les gares les signaux les airs ». 277 Quand Goll va rapprocher de nouveau machine et prostituée, à la fin de Lucifer vieillissant, le souci révolutionnaire présent au moment de Clarté aura perdu de son urgence. Place est laissée, dans le poème, au pathétique de ces « vieilles femmes » qui se prostituent, en totale déchéance et décrépitude, et font entendre, dans leur « Viens, mon ange », « leur appel automatique et cristallin », qui semble renvoyer à l’habitude machinale d’appeler malgré tout le passant « débraillé ». 278 La lettre à Louise Bogan du 5 mai 1940 ne s’attarde pas sur la désespérante mécanique de la prostitution et néglige un moment ce que peut contenir véritablement un accueil, montrant les femmes, comme les fruits, essentiellement en une pure offrande, « vous n’avez qu’à tendre la main, elles sont à vous ». De la lettre du 8 avril 1940 à Bogan où, pour le voyageur tout juste arrivé, les femmes « sont des fruits », à la lettre du 5 mai où les « fruits continuent à être pleins de surprises, et les femmes succulentes », auxquelles peuvent se mêler les « [m]ulâtresses sucrées comme des figues de septembre » de Lucifer vieillissant 279 , l’image tant reprise de la femme-fruit n’a pas encore acquis la dimension sociale qu’elle prendra en se développant, avec ses condamnations, dans les poèmes et dans « Cuba, corbeille de fruits ». 280 Goll <?page no="60"?> 50 Le voyage à Cuba, printemps 1940 [des] fruits pourris ». Jean Lorrain, « Pierreuse », dans Figures de Paris - Ceux qu’on rencontre et celles qu’on frôle - Silhouettes et petits métiers du Paris 1900, ed. Éric Walbecq, Paris : Editions La Bibliothèque, 2009 (1901), pp. 21-24 (pp. 21-22). 281 Claire Goll, La Poursuite du vent, op. cit., p. 219. 282 Amalia L. Cabezas, Economies of Desire - Sex and Tourism in Cuba and the Dominican Republic, Philadelphia : Temple University Press, 2009, p. 2. L’ouvrage examine la résurgence de Cuba, depuis le début des années 1990, comme destination du tourisme sexuel. 283 Voir la carte postale d’André Breton à sa fille Aube, envoyée de La Havane en 1938, dans André Breton, Lettres à Aube, 1938-1966, ed. Jean-Michel Goutier, Paris : Gallimard, 2009, pp. 11-12. 284 L’article de Desnos, intitulé « Mœurs de Cuba » et paru dans Germinal en 1933, est reproduit dans Carmen Vásquez, Robert Desnos et Cuba - Un Carrefour du monde, Paris : L’Harmattan, 1999, pp. 156-161 (pp. 157-158). montre à Williams, le 12 avril 1940, le temps d’une lettre, un désespoir devant l’état du monde, qui prend une forme individuelle et locale. Pour Goll, ou pour Jean sans Terre, dont le nom est apposé au bas de la lettre comme signataire, « tout désir », qu’il s’agisse de « fruits » ou de « femmes » « à découvrir », risque de devenir « inutile et caduc ». La voix de ce Jean sans Terre, qui termine d’ailleurs la lettre sur l’anecdote d’un « émigrant » réclamant un autre monde que la « mappemonde » sur laquelle il a cherché où aller, ne résonne plus autant dans les lettres suivantes, qui montrent un retour du désir. La lettre à Bogan du 5 mai est dans la même veine que celle qui lui est envoyée le 8 avril et celle du 11 avril à Williams avec ses « filles » « aussi impudiques que les fruits », trois lettres où chaque mention des femmes laisse transparaître, à la longue, dans cette Havane de 1940, un tourisme sexuel. Cet aspect du séjour à Cuba ressort en particulier des souvenirs de Claire Goll qui, à son tour, met en balance fruit et femme dans leur exotisme : « Nous [n’]avions pas d’argent mais pour cinq cents je pouvais m’offrir des corbeilles de mangues et Goll s’acheter les plus belles négresses ». 281 Dans ces constats de Claire Goll, qui viennent faire écho à « Cuba, corbeille de fruits », passe l’économie du sexe sur une île à la réputation de terrain de plaisir, « pleasure playground » 282 , où le touriste, muni de ses dollars, part en quête des prostituées vendues et se vendant. Que ce soit dans le langage de Claire ou Ivan Goll, les fruits et les femmes s’affichent sur le plan de la consommation, avec la réification de la femme que cela entraîne de la part du visiteur de 1940. Voyageur précédent à Cuba, Robert Desnos évoque, dans un article tiré en partie de sa dizaine de jours vécus sur l’île en 1928 pour le Congrès de la Presse latine, les rues de La Havane traversées plus tard par Goll et où Breton, en 1938, fait une brève escale 283 . Desnos se rappelle avoir été interrompu au cours de sa promenade par une « invita[tion] à entrer » dans « une maison » de prostitution décrite par son mobilier, « un lit immense avec des draps éblouissants de blancheur », et ses occupantes, « cinq jeunes négresses » qui « se pouss[ent] un peu les unes contre les autres » pour le laisser « [s’]allong[er] près d’elles » « une heure ou deux ». 284 Desnos prend un ton <?page no="61"?> 51 Le voyage à Cuba, printemps 1940 285 Ibid., p. 158. 286 Paul Morand, Hiver caraïbe, Paris : Flammarion, 1929, pp. 177-180. Bien plus près de Goll dans le temps, au mois de novembre 1941, plusieurs personnalités actives dans France Forever, Jules Romains, Henri Bonnet, Henri Focillon et le secrétaire général de l’association, Henri Laugier, se rendent pour un congrès à cette autre Havane, à l’hôtel dit « le plus cher du monde ». Voir O. Rony, Jules Romains ou l’appel au monde, op. cit., p. 535 ; et Lise Jules-Romains, Les Vies inimitables - Souvenirs, Paris : Flammarion, 1985, pp. 275-276. 287 Robert Desnos, « Mœurs de Cuba » dans Carmen Vásquez, Robert Desnos et Cuba, op. cit., p. 157. Le tourisme sexuel se poursuit pour les écrivains à La Havane dans les années 1950, avec Graham Greene racontant, dans une lettre à des amis, qu’aussitôt sorti de l’hôtel, il se voit offert, outre des drogues, différentes combinaisons de deux filles et un garçon, deux garçons et une fille, etc., « various varieties of two girls and a boy, two boys and a girl, etc. » et précise avoir, durant deux jours avant de repartir de Cuba, goûté à la plupart des délices, « sampled most of the delights ». Lettre de Graham Greene à Natasha et Peter Brook, du 6 septembre 1954, dans Graham Greene, A Life in Letters, ed. Richard Greene, Toronto : Knopf Canada, 2007, pp. 210-211 (p. 211). 288 Carmen Vásquez, Robert Desnos et Cuba, op. cit., p. 76. 289 Yvan Goll, « Cuba, corbeille de fruits », Hémisphères, op. cit., p. 24. léger et extravagant pour raconter ce moment passé avec les prostituées. Il n’oublie pas de glisser une anecdote sur Paul Morand, qui se serait arrêté « quelques mois auparavant » précisément dans ce lieu, exerçant toutefois plus de « réserve » que Desnos. 285 Par le jeu de Desnos, Morand est transporté dans cette zone de la ville, au contact d’un monde à l’envers de La Havane de la haute société qu’il décrit dans Hiver caraïbe en 1929, une Havane « propre » et « riche », « traversé[e] en auto », dans un trajet qui aboutit au « patio de l’hôtel Sevilla, à l’heure du cocktail ». 286 La Havane, de ses rues de prostitution à ses hôtels de luxe, offre à Desnos un cadre opportun pour tirer sur un adversaire du surréalisme des années vingt, d’autant que Morand poursuit, à travers les pages d’Hiver caraïbe, une discussion pleine de bonhomie avec des propos parmi les plus outrés de Gobineau et trouve à vanter en quelques endroits l’eugénisme. L’article « Mœurs de Cuba » a aussi un effet secondaire, celui de faire passer Morand, un peu moins que Desnos, dans l’histoire du tourisme sexuel à Cuba, où la misère, « grande pièce délabrée », se dessine même à travers la gaîté du ton. 287 Si les difficultés sociales à Cuba et l’important écart entre la richesse naturelle et la misère de la population sont relevés par Goll à son tour et lui donnent un terrain de contrastes pour son imaginaire poétique, cela ne l’amène pas à une écriture plus politique, à la différence de Desnos, impliqué dans les combats contre la dictature cubaine avec son « ami inséparable » 288 , Alejo Carpentier. Pendant les soirées « au Café Lucero » où Nicolas Guillén « agit[e] » 289 les esprits, Ivan Goll se cantonne à un rôle d’observateur, à une distance qui ne surprend pas chez une personne en situation incertaine du fait de la guerre et se trouvant simplement de passage à Cuba entre deux visas. En référence à Guillén et à la réception de ce poète « agitateur d’extrême-gauche […] par les foules », Goll place, en 1943, la poésie dans <?page no="62"?> 52 Le voyage à Cuba, printemps 1940 290 Idem. 291 Ivan Goll, « Chant des invaincus », La Voix de France, 1, 10, 1 er février 1942, p. 11. 292 Le poème de Goll, non publié à l’époque de sa composition, figure dans l’étude d’Erhardt Schwandt, Das poetische Verfahren in der späten Lyrik Yvan Golls, op. cit., pp. 250-251 (p. 250). 293 Ce texte de Desnos, « Lanceur de bombes », resté longtemps inédit, a été mis au jour par Carmen Vásquez, Robert Desnos et Cuba, op. cit., pp. 133-139 (p. 136). 294 Idem. l’action avec une vague formule que ne méconnaît pas la poésie de la résistance en France, « [l]a poésie lance toujours le premier cri de la liberté ». 290 Goll peut inclure sous cette devise un poème comme « Chant des invaincus », qu’il publie à New York dans La Voix de France en février 1942, où le « grain » de la révolte, « grain de liberté », suit un cours naturel, alimenté par une « colère » tout aussi naturelle, « [l]a truffe de colère ». 291 D’une manière plus allusive, faisant recevoir à la nature les plaies du combat, le poème « The Tree of Ashes », que Goll compose également en 1942, montre en image des morts les fruits de l’arbre. Créé de la fumée et des cendres du champ de bataille, ce « tree of smoke and darkness » donne à l’approche de l’automne, « as fall approached », une récolte de « fruits » qui sont autant de « skulls in abundance/ O tiny smiling apple-skulls », de toutes petites pommes-crânes souriantes. 292 À la différence de la guerre, qui surgit dans ces poèmes de Goll, le caractère dramatique de la situation à Cuba, à une autre échelle que la guerre en train de se dérouler, ne semble pas appeler pour Goll une action politique, économique et sociale immédiate, que ce soit dans « Cuba, corbeille de fruits » ou dans les lettres à Louise Bogan et à William Carlos Williams écrites de La Havane. L’indigence face aux richesses naturelles, dans ce qu’on peut lire des lettres et des poèmes de Goll sur Cuba, pourrait aussi bien être due à un arbre dont les fruits pousseraient trop haut. Il n’est jamais question, lorsque sont mentionnés le champ, la mine, la plantation, d’une concentration de ces ressources, qui éblouissent Goll, dans quelques mains, de la domination de la masse des travailleurs par un petit nombre d’argentés, si ce n’est, indirectement, à travers les relations prostituée-passant. Sur un plan plus délibérément économique que Goll, Desnos, quelques années après son court séjour à Cuba, rapporte des observations sur ce jeu de contrôle et de pouvoir où la « société propriétaire » d’une « plantation » sucrière tient « [l]’ouvrier » à sa « merci ». 293 Celui-ci est pris dans l’engrenage de son endettement auprès du magasin de la société, unique lieu de commerce où il puisse s’approvisionner. Desnos estime pouvoir seulement comparer la condition de cet ouvrier faisant « un travail exténuant pour moins cher qu’il est possible » à celle des « femmes des maisons closes » qui, elles aussi, « vendent leur corps » « très bon marché », mais « sous forme d’amour », circonstance atténuante pour Desnos l’emportant sur ses préoccupations sociales. 294 Une autre voix, celle de Breton dans Pour la Victoire en 1942, relève une distribution des biens faite dans une pareille absence <?page no="63"?> 53 Le voyage à Cuba, printemps 1940 295 André Breton, « Eaux troubles », Œuvres complètes, vol. 3, op. cit., pp. 385-398 (pp. 394-395). 296 Yvan Goll, « Premier Mai à La Havane », Die Lyrik… - IV, op. cit., p. 152. 297 La carte postale envoyée à Louise Bogan le 16 avril 1940 représente un club où figure en fond, peinte derrière l’orchestre, une scène un peu kitsch avec, en grosses lettres d’allure festive, les mots « La Comparsa ». Les deux côtés de la carte postale sont reproduits dans la section « Correspondance », envoi 12. Sur la place des comparsas à La Havane contestées à diverses reprises pour leurs origines africaines, voir Robin D. Moore, Nationalizing Blackness : Afrocubanismo and Artistic Revolution in Havana, 1920-1940, Pittsburgh : University of Pittsburgh Press, 1997, pp. 63-72. Voir aussi ce qui est ajouté à l’analyse de Moore par Thomas Anderson, « Carnival, Cultural Debate, and Cuban Identity in ‹ La comparsa › and ‹ Comparsa habanera ›», Revista de Estudios Hispánicos, 40, 1, Enero 2006, pp. 49-78 (pp. 49-53). 298 Yvan Goll, « Premier Mai à La Havane », Die Lyrik… - IV, op. cit., p. 152. 299 Idem. 300 Idem. 301 Marc Martin, « Les Cinq Continents, les Nègres d’Europe ou la rêverie de métissage chez Yvan Goll » dans Pluralité des langues et mythe du métissage - Parcours européen, ed. Judit Karafiáth et Marie-Claire Ropars, Saint-Denis : Presses Universitaires de Vincennes, 2004, pp. 177-187 (p. 183). d’équité à la Martinique, où « toute la propriété des plantations, des usines et du commerce [est] aux mains de quelques familles », jusqu’aux « sept francs » que gagnent alors les descendants des esclaves, vus « toujours esclaves » dans un mélange de passé et de présent « à couper et lier les cannes, sur un fond de nature prodigue ». 295 Pour le Goll du poème de 1940 « Premier Mai à La Havane », le travail dans les champs, les usines, les lieux de détente même, est idéalisé et sensualisé dans une mise en rapport étroite de l’homme et de la nature. Les travailleurs de la « Terre », des plantations de « canne à sucre », des « Champs de Tabac », de la « Papeterie », de la « Brasserie », de la « Musique, du Rhum et du Cuir », les « conducteurs d’autobus » et les « déesses du Tabac » 296 apparaissent dans ce poème au long d’un défilé d’un caractère, pourrait-on croire, plus revendicatif sur le plan des droits des travailleurs que les comparsas de la période du carnaval où s’associent à Cuba musique traditionnelle, masques, chars et danses rappelant un héritage africain 297 . Cependant, la manifestation dans le poème de Goll, avec ses paysans qui labourent « La Terre aux membres doux et gracieux/ Qui aime qu’on la caresse » et ses ouvrières des fabriques de cigares « Qui ajoutent à chaque cigare/ L’ivresse de leurs mains amoureuses » 298 , n’offre pas la vision d’un Premier Mai combattant. Les slogans entendus dans cette procession ordonnée n’exigent rien de plus que « la parole du vent », « le geste de la vanité », au point que ces gens descendus dans la rue « se contenteront à la fin d’une glace à la fraise ». 299 Le parfum de la glace est donné en spectacle comme dernier lien des manifestants aux teintes roses-rouges de la fête du travail, avant de rentrer chez eux. La révolte au « drapeau rouge » 300 , chez un poète où « flott[ai]ent » au lendemain de la Première Guerre « les drapeaux rouges » « en assez grand nombre » 301 , ne saurait prendre ce jour-là à La <?page no="64"?> 54 Le voyage à Cuba, printemps 1940 302 Yvan Goll, « Premier Mai à La Havane », Die Lyrik… - IV, op. cit., p. 152. 303 Yvan Goll, « Grand Cortège de la Résistance en l’An mil neuf cent misère », France- Amérique, 11, 531, 14 novembre 1943, p. 1. 304 Idem. 305 Yvan Goll, « Cuba, corbeille de fruits », Hémisphères, op. cit., p. 24. 306 Yvan Goll, « Jean sans Terre à Cuba », Jean sans Terre - A Critical Edition, op. cit., p. 92. 307 Idem. 308 Idem. 309 Ibid., p. 93. Havane, les manifestants « ont trop chaud » 302 . L’autre défilé dans la poésie de Goll de cette époque, « Grand Cortège » « [p]lus long que les longs jours sans pain », « traverse [le] Paris » de l’Occupation dans ses multiples petits métiers, représentant autant de manières de résistance, « imprimeurs de la vérité minée » ou « ébénistes de la barricade ». 303 Incontournable révolte « [d]ans la France sans villes dans le monde sans France » 304 tandis qu’à Cuba et dans les îles alentour, plus épargnées par la guerre, la révolte, si révolte il y a, « annonc[ée] » en cette année 1943 par « des poètes cachés », prend une forme eschatologique de « misère » à vivre et de « rédemption » à venir on ne sait quand 305 . Ailleurs, dans « Jean sans Terre à Cuba », le soulèvement qui est vu en préparation « [p]our rompre les barrages de misère et pour trancher les invisibles nœuds » perd de son élan social. 306 Le « rhum », la « rumba » et « les havanes » détournent « un peuple de panthères » de ses pensées de révolte et donnent à la scène imaginée par le poème un immanquable effet d’exotisme. 307 Si la violence demeure dans la représentation poétique de Cuba, elle se mêle à des images d’une nature sexualisée où, à l’agression virile succède le calme, « hauts palmiers […] dont les verges verticales/ Giclent la dynamite de la paix ». 308 La dernière strophe du poème fait passer la violence et son apaisement plus complètement dans la nature, où un temps cyclique occupe tout l’espace, sécheresse de la terre puis « colère des moussons », sans réapparition d’un social en action. 309 <?page no="65"?> 310 Lettre d’Ivan Goll à Joseph Freeman, du 4 décembre 1940. Freeman Papers. Le Fonds contient aussi la copie d’une lettre du 3 décembre 1940 où Freeman fait état à Goll de son échange de correspondance avec Charles A. Pearce, auprès de qui il a tenté d’appuyer le projet de publication de Goll. 311 Lettre d’Ivan Goll à Joseph Freeman, du 4 décembre 1940. Freeman Papers. 312 Lettre d’Ivan Goll à Joseph Freeman, du 4 décembre 1940. Freeman Papers. 313 Roditi a repris le contact avec Goll, grâce à Clark Mills, comme il apparaît dans une lettre d’Ivan Goll à Édouard Roditi, du 16 septembre 1940. Roditi Papers. 314 Lettre d’Ivan Goll à Édouard Roditi, du 27 novembre 1940. Roditi Papers. 315 Lettre d’Ivan Goll à Édouard Roditi, du 27 novembre 1940. Roditi Papers. IV. Scènes de la vie newyorkaise En dehors des surprises que lui apporte l’île de Cuba, l’autre point qui préoccupe Goll durant son séjour est lié à son éloignement de New York où il a commencé à se faire une place dans les revues. Lui-même donne un bilan, à la fin de l’année 1940 dans une lettre à Joseph Freeman, co-fondateur de New Masses et de la Partisan Review, de sa présence imminente dans des lieux de publication bien établis pour souligner que le refus qui vient d’être opposé à la sortie d’un recueil de « Jean sans Terre » chez les éditeurs Duell, Sloan and Pearce, de New York, va contre une acceptation naissante de son œuvre en Amérique. 310 Il envoie ainsi à Freeman la liste des revues où ses écrits vont bientôt figurer, Poetry, Nation, Saturday Review, ainsi que le tout nouveau et de courte durée Diogenes, édité, pour ses trois numéros, dans le Wisconsin. 311 On se souvient comment, dans ses quelques lettres à Morton Zabel, Louise Bogan a vu chez Goll, dans ses premiers mois à New York, le désir de percer dans le monde des lettres et de faire connaître sa poésie. Ce souci est toujours avec Goll à l’automne 1940 et au début de l’année 1941 quand il arrange que paraisse dans Diogenes un article sur Jean sans Terre et son œuvre en général, ce qu’il présente à Freeman comme un exemple de ses « succès » 312 . Une ancienne relation de Goll, le poète Édouard Roditi, traducteur de Young Cherry Trees de Breton en 1946 et lui-même traduit par Goll dans La Voix de France en 1942, se charge de l’article pour Diogenes. 313 Dans ses lettres de l’automne 1940, Goll discute quelques points du « manuscrit de [l’]article » de Roditi, reçu par l’intermédiaire de Clark Mills, qui l’avait obtenu de Diogenes. 314 À la recherche d’un certain type de reconnaissance pour son œuvre, Goll exprime le 27 novembre 1940 à Roditi ses réserves à voir sa poésie associée à ce que Roditi nomme tous les accessoires conventionnels du surréalisme, son vocabulaire et ses images, « all the conventional ‹ props ›, the vocabulary and imagery of surrealism ». 315 Roditi se sert, à l’été 1941, de l’étiquette « nearsurrealist verse », vers quasi surréalistes, pour désigner l’œuvre de Goll qui <?page no="66"?> 56 Scènes de la vie newyorkaise 316 Édouard Roditi, recension de Chansons de France de Goll, Books Abroad, 15, 3, Summer 1941, p. 307. 317 Lettre d’Ivan Goll à Édouard Roditi, du 27 novembre 1940. Roditi Papers. Goll exprime le même désir de se faire lire en Amérique avec Jean sans Terre, dans une lettre du 27 août 1940 à Clark Mills. Fonds Goll. 318 Lettre d’Ivan Goll à Édouard Roditi, du 6 février 1941. Roditi Papers. 319 Édouard Roditi, « The Poetry of Ivan Goll », Diogenes, 1, 2, Dec. 1940-Jan. 1941, pp. 69-73 (p. 72). 320 Lettre d’Ivan Goll à Édouard Roditi, du 27 novembre 1940. Roditi Papers. 321 Lettre d’Ivan Goll à Édouard Roditi, du 27 novembre 1940. Roditi Papers. 322 Louise Bogan, « A Note on Jean Sans Terre », Partisan Review, op. cit., p. 295. 323 Lettre d’Ivan Goll à Édouard Roditi, du 6 février 1941. Roditi Papers. 324 Robert de Saint Jean, Passé pas mort - Souvenirs, Paris : Grasset et Fasquelle, 1983, p. 293. aurait tendu vers une émotion extrême à propos de rien de particulier, « tended to be extremely emotional about nothing in particular », avant d’atteindre son point de maturité, « maturity », depuis l’exil à New York et l’effondrement de la France et du monde tout entier du poète, « the collapse of France and of the poet’s whole world ». 316 Goll demande à Roditi dans sa lettre du 27 novembre 1940 que la version publiée de l’article de Diogenes fasse mieux ressortir l’importance de Jean sans Terre, « [d]’autant plus », précise-t-il, « que c’est la première fois que le public américain va apprendre l’existence de ce poème » 317 . Le travail de Roditi, paru dans le second et dernier numéro de la revue, semble avoir rallongé la partie consacrée à Jean sans Terre « dans le sens voulu ». 318 Est retenue, cependant, la phrase avec « conventional ‹ props ›» 319 qui, tout en gênant Goll, lui avait fait recevoir comme un compliment, le 27 novembre, le « reproch[e] d’employer à [s]a manière, dans une œuvre construite et consciente, les magnifiques découvertes de l’expérience surréaliste ». 320 Goll, au-delà du « plaisir » 321 que lui procure le « reproch[e] » de Roditi, semble retourner à la phrase de Louise Bogan de l’été 1940, Monsieur Goll a réussi à employer le brillant vocabulaire surréaliste d’une manière inconnue au surréalisme, « M. Goll has been able to use the brilliant surrealist vocabulary […] in a manner unknown to surrealism » 322 . Le 6 février 1941, satisfait par ce qu’il a lu de Roditi dans Diogenes, puisqu’« il n’y a vraiment plus rien à objecter à [l’]article », Goll confie avoir trouvé sur le plan poétique ce qu’il a obtenu au printemps 1940 à son retour de Cuba, des papiers, qui le transforment du touriste à une situation régularisée, obtenant « sur le plan littéraire, les first citizen-papers, alors que les magazines publiant [s]es poèmes [lui] avaient donné des visas temporaires ». 323 Son statut de poète est, en langage administratif, régularisé, par référence au système d’affidavits en vigueur à cette époque. Le journaliste et écrivain exilé Robert de Saint Jean se souvient de ce document « exigé de tout immigrant désirant entrer aux U.S.A. » 324 , qui, dans le cas des « visas de visite spéciaux » destinés à la catégorie des intellectuels et artistes pouvant « justifier d’une célébrité notoire », existe sous plusieurs formes correspon- <?page no="67"?> 57 Scènes de la vie newyorkaise 325 Ce visa, avec ses exigences et les types d’affidavits demandés, est décrit dans un document de 1941 distribué par le Consulat américain de Marseille et reproduit dans le catalogue d’exposition d’Olivier Corpet, Claire Paulhan et Robert O. Paxton, Archives de la vie littéraire sous l’Occupation - À travers le désastre, Paris : Tallandier/ IMEC, 2009, p. 320. 326 Lettre d’Ivan Goll à Édouard Roditi, du 6 février 1941. Roditi Papers. 327 C’est Claire Goll qui recourt au mot « adage » dans son propre emploi de l’expression « les absents ont tort », qu’elle utilise, dans une lettre du 3 octobre 1939, pour résumer les risques littéraires d’un éloignement trop long de la France. Cette lettre fait partie d’une tentative d’obtenir, en son nom et au nom de son mari, des « titres de voyage » du consulat de France à New York par le biais du Préfet de Police de Paris. Claire Goll et Iwan Goll, Meiner Seele Töne..., op. cit., pp. 386-387 (p. 386). dant chacune à un type de garantie, l’« affidavit financier » et l’ « affidavit de responsabilité ou affidavit moral » 325 . Le remerciement de Goll à Roditi suite à l’article de Diogenes, « Votre affidavit poétique réclame toute ma gratitude » 326 , n’a pas seulement pour effet de continuer la métaphore d’une régularisation mais montre, par trop-plein, à quel point l’exil de Goll et d’autres est soumis à ces questions et documents. Plus incertain encore sur son droit de cité dans les lettres américaines que sur son statut administratif, Goll s’interroge le 13 avril 1940, aussitôt après son débarquement à La Havane, sur l’état des poèmes qu’il a laissés pour publication derrière lui à New York et demande à Louise Bogan d’effectuer une démarche à ce sujet. La possibilité, pour Goll, de perdre le peu de place qu’il a réussi à se faire à New York l’amène par deux fois à émettre une « appréhension », comme il le fait le 13, « On est si vite oublié quand on est loin - à Cuba ». Le 5 mai, c’est cette fois sous la forme d’un « adage » accompagné d’une explication qu’il résume sa position de poète exilé, d’un exil accru, puisque éloigné momentanément du lieu de son refuge et des appareils de publication newyorkais : « Les absents ont toujours tort. Dès qu’on tourne le dos, on est oublié ». 327 Goll continue de se créer des liens jusqu’à la veille de son départ pour La Havane. Il « fait la connaissance de [la journaliste et poète] Amy Bonner », par laquelle il entre en contact avec George Dillon, de la revue Poetry, en lui proposant le 29 mars 1940 la traduction de « Jean sans Terre conduit la caravane » par Williams, ce qu’il mentionne à Williams dans sa lettre du 1 er avril. Goll précise encore, le 29 à Dillon, que son courrier le suivra jusqu’au bureau de l’American Express à La Havane, comme il en informe aussi Williams, le 1 er avril, montrant l’espoir de maintenir le réseau de poètes-traducteurs et d’éditeurs qu’il est en train de se constituer pour la diffusion de son œuvre en Amérique. Malgré ces précautions, Cuba représente un hiatus qui semble à Goll lui faire du tort du point de vue de ses relations littéraires. Finalement, par un « Mais, bah », le 5 mai dans sa lettre à Bogan, Goll se résigne à un ralentissement dans son ascension à New York et voit déjà rétrospectivement sa période à Cuba comme un temps productif où il aura « beaucoup travaillé ». <?page no="68"?> 58 Scènes de la vie newyorkaise 328 Dans les mois qui suivent le début de l’Occupation, la correspondance Goll-Roditi montre Goll impliqué dans des actions pour « venir en aide » aux écrivains et artistes qui tentent de quitter la France, comme le précise la lettre du 16 octobre 1940 où Goll se joint à « Jules Romains, Maritain, Robert de St Jean, Klaus Mann » pour « discuter » de possibles démarches. Lettre d’Ivan Goll à Édouard Roditi, du 16 octobre 1940. Roditi Papers. Pour sa part, une part encore à mettre en lumière, Roditi se charge d’obtenir des affidavits, d’en produire lui aussi et de les faire parvenir en Europe. Vers la fin de sa vie, Roditi évoquera encore son « very old friend the trilingual German, French and American poet Yvan Goll », dans son article, autrement discutable, sur Paul Celan. É. Roditi, « Paul Celan and the Cult of Personality », World Literature Today, 66, 1, Winter 1992, pp. 11-20 (p. 18). 329 Robert de Saint Jean, Passé pas mort, op. cit., p. 300. 330 Raoul Aglion, De Gaulle et Roosevelt - La France Libre aux Etats-Unis, 2 e édition revue et augmentée, Paris : La Bruyère, 1997, p. 10. 331 Eugène Jolas, Man from Babel, ed. Andreas Kramer et Rainer Rumold, New Haven et London : Yale University Press, 1998, p. 189. Sur ces dissensions, parfois publiques, vues de Londres, voir les souvenirs de Raymond Aron, qui note aussi, de ses contacts avec des représentants des pays occupés parvenus en Angleterre, que « [l’]exil accentue les traits les plus déplaisants de la politique : pullulement des intrigues, propos rapportés, inimitiés couvertes, rapprochements superficiels ». Raymond Aron, Mémoires, Paris : Julliard, 1983, pp. 186-187 ; et, pour la citation, p. 193. 332 Ibid., p. 190. 333 A. Ronsin, « Yvan Goll et André Breton… », Europe, op. cit., pp. 199-207. Henri Béhar analyse la véritable cause de l’écart entre Goll et Breton, entre Goll et Tzara également, au-delà de leurs frictions ponctuelles, comme « une appréciation différente de la modernité ». Goll se serait attaché à une poésie libre des disciplines que le surréalisme y fait entrer, « psychologie des profondeurs » entre autres, dont l’absence chez Goll, peut-on ajouter, est précisément ce qui attire Bogan. H. Béhar, Les Enfants perdus..., op. cit., p. 129. Dans le reste de sa correspondance avec Louise Bogan, Goll, fraîchement « arriv[é] de Paris », comme l’explique sa lettre du 13 décembre 1939, ne fait pas état de son statut d’exilé ni de ses demandes de papiers, ayant peut-être senti l’irritation que Bogan exprime dans sa correspondance avec Morton Zabel sur les réfugiés, qui auraient des ambitions et un train de vie excessifs. Les lettres à Louise Bogan précèdent presque toutes l’arrivée plus grande, bien qu’infime au regard de ceux qui désirent venir mais restent bloqués dans les pays envahis, de réfugiés venus de France après l’armistice de juin 1940. 328 Elles n’ont donc pas à compter avec ce qui va préoccuper les individus et les groupes se retrouvant dans leur nouveau cadre, parfois même autour du type de lien qu’il convient de tisser avec le pays d’accueil ou de garder avec la France occupée, en somme leurs « querelles intestines » 329 , « haines et [...] disputes » 330 , « acrid political divisions » 331 , « bitter rivalries and antipathies » 332 . Goll n’est pas épargné par les conflits, qui sont aussi pour lui d’un autre ordre. Albert Ronsin rappelle l’inimitié de longue date de Breton pour Goll, transposée à New York malgré des projets de publication en commun qui finissent par les séparer de nouveau, et pour de bon, en 1944, autour de la publication par Hémisphères du Cahier d’un retour au pays natal de Césaire. 333 La Martinique et Césaire auront joué pour Breton, d’après le « parallèle » <?page no="69"?> 59 Scènes de la vie newyorkaise 334 Ibid., p. 201. 335 Ibid., p. 206. Le brouillon du Mythe de la Roche Percée a peut-être servi à la traduction du poème par Louise Bogan, parue, avec des illustrations de Tanguy, dans l’édition Four Poems of the Occult, Kentfield, CA : Lewis Allen Press, 1962. 336 Lettre d’Yvan Goll à Louis-Marcel Raymond, du 20 octobre 1947. Fonds Raymond. Il faut tenir compte aussi des mots contre la poésie de Breton dans un texte sur le réisme que Goll laisse à l’état d’ébauche vers la fin de sa vie. Voir, réuni avec d’autres écrits sur le réisme où est encore pris à partie Breton poète, le manuscrit de Goll, « J’exige (pour moi-même) la Réité du poème (Hôpital Civil) », transcrit par Erhardt Schwandt, Das poetische Verfahren in der späten Lyrik Yvan Golls, op. cit., pp. 236-237. 337 Une carte que Goll envoie à Taupin le 27 juin 1940 répond à une invitation de la part de Taupin de le « rencontrer », dans ce qui a l’air d’être l’un de leurs premiers contacts. La carte est conservée, avec les autres envois de Goll à Taupin, dans les Zukofsky Papers (Kansas). Le 22 mars 1940, Williams avait suggéré à Goll de se mettre en relation avec Taupin, enseignant alors à Hunter College. William Carlos Williams, « Five Letters to Yvan Goll », Stony Brook, op. cit., p. 365. 338 Goll communique cette deuxième appellation à Jacques Maritain dans une lettre du 12 août 1940, dont une copie est conservée au Fonds Goll. 339 Documents de La France en Liberté, Zukofsky Collection (Texas). Barry Ahearn a mentionné l’existence de ce dossier et permet d’avancer une date pour l’un des textes constitutifs de la revue, qui apparaît au dos d’une lettre du 7 août 1940. Voir The esquissé par Ronsin, un rôle similaire à Cuba et Nicolas Guillén pour Goll. 334 L’itinéraire commun se poursuit avec la Gaspésie, Breton écrivant Arcane 17 et Goll Le Mythe de la Roche Percée, dont existe un brouillon manuscrit de huit pages dans les papiers de Louise Bogan. 335 Le dernier de leurs conflits, survenu à New York, n’a pas mené Goll à se détourner de l’œuvre de Breton, à laquelle il demeure toujours aussi attentif. On le voit dans une lettre de 1947 à Louis-Marcel Raymond, qui connaît Breton de New York, défendre, quelques mois après sa parution, la « grandeur de pensée » et la « pureté de style » d’Arcane 17. 336 Les divisions qui peuvent exister parmi les Français à New York commencent à atteindre Goll à l’été 1940, comme il l’exprime dans sa lettre du 30 août à Williams, où le problème n’est pas seulement du côté des « Surréalistes », dont Goll craint la vengeance, mais concerne aussi René Taupin, avec lequel Goll a des relations depuis juin 1940 et que Williams lui avait recommandé de voir en mars. 337 Goll se demande si Williams a été informé par Taupin du point sensible sur lequel tous deux se sont affrontés. Taupin et Goll restent chacun fermes sur l’orientation à donner à leur idée de revue La France en liberté - Quarterly of French refugee writers and the struggle for free France, qui ne paraîtra jamais, ni sous ce nom, ni sous l’autre nom, moins marqué, que Goll aurait souhaité s’attacher, La Revue française de New York 338 . Dans ses différents états projetés, auxquels Goll n’est pas toujours associé, la revue est tantôt très inclusive, visant tous les écrivains encore animés par l’espoir de temps meilleurs, « all writers who are still animated by the hope of better times », tantôt plus ciblée, allant vers les écrivains français ayant échappé à la tyrannie d’Hitler, « French writers who have escaped the Hitler tyranny », tantôt encore nommément ouverte aux écrivains américains et anglais. 339 La <?page no="70"?> 60 Scènes de la vie newyorkaise Correspondence of William Carlos Williams and Louis Zukofsky, op. cit., p. 273. Deux indices fixent plus précisément encore le moment de ce texte, « Prospectus », le situant au mois de juillet 1940 par sa référence à « last month’s armistice » et au New York Times du 6 juillet. Documents de La France en Liberté, Zukofsky Collection (Texas). 340 Documents de La France en Liberté, Zukofsky Collection (Texas). 341 Ainsi, durant sa rencontre de 1947 avec Pierre-Louis Flouquet, Goll aurait indiqué avoir mis Hémisphères « au-dessus de la Politique », lui donnant « une position intellectuelle intransigeante, celle de la Poésie Pure », que Goll entend avoir maintenue en force, même avec la publication « de nombreux poèmes de circonstance ». P.-L. Flouquet, « Des rives de la Seine aux rives de l’Hudson... », Le Journal des Poètes, op. cit., p. 1. 342 Lettre d’Ivan Goll à Édouard Roditi, du 16 octobre 1940. Roditi Papers. On n’a pas pu trouver d’autre indication de cette démarche effectuée auprès de Goffin. Goll et Goffin se retrouvent, en 1941, tous deux associés à La Voix de France au moment de sa création, taille du comité de lecture, composé d’universitaires, de scientifiques et d’écrivains, dont Williams et Richard Aldington, varie aussi, avec, dans la version plus longue et sans doute exploratoire, Paul Morand, qui apparaît quelque peu déplacé. 340 Goll, quant à lui, entend ne pas positionner La France en Liberté sur un plan politique, comme ce sera le cas aussi pour Hémisphères 341 , et fait savoir à Williams le 30 août 1940 que la revue qu’il prépare avec Taupin se trouve « à un point mort ». Le ton est plus optimiste le 12 septembre, où Goll, dans une lettre à Taupin, se dit prêt à reprendre avec lui le travail et à lutter contre « les ennemis » de leur revue. Le poète Louis Zukofsky, membre du comité de rédaction de la revue pour la section anglaise, avec Goll et Taupin pour la section française, montre à Goll « les derniers prospectus [...] imprimés » pour La France en liberté, qui semblent postérieurs au dossier conservé au Harry Ransom Center. Toujours dans sa lettre du 12 septembre 1940, Goll laisse entendre que Zukofsky est à l’origine de son retour vers Taupin. Le 21, par une carte postale d’Ithaca, Goll avertit Zukofsky qu’il a reçu des manuscrits pour la revue et l’invite à venir consulter, la semaine suivante, en même temps que Taupin, les textes soumis. Toujours affairé, Goll, qui avait « continué à chercher des manuscrits » sans être allé d’abord jusqu’à les « demand[er] ‹ ferme ›», s’est à peu près assuré la collaboration de « quelques jeunes surréalistes, nouveaux arrivés ». Il a puisé également dans la première vague d’exilés à New York, Jolas, Maritain, ainsi que Maeterlinck et Romains, dont il avait été question dans la lettre de Goll à Taupin du 19 juillet 1940, avec un cri triomphal le 15 juillet, « On les aura tous ». Plus pragmatique le 12 septembre, Goll craint un effet Maurois, qui détermine, pour La France en Liberté, le type de contributions à solliciter auprès de Maeterlinck et Romains. Goll s’est refusé à « leur demander des articles » depuis que Maurois a poussé le marché excessivement vers le haut pour les petites revues en touchant une forte rémunération d’un vénérable hebdomadaire américain pour l’un de ses articles. Goll est, du reste, à la recherche d’argent pour la revue et il semblerait, d’après ce qu’il écrit au mois d’octobre à Roditi, qu’il ait obtenu de Robert Goffin que celui-ci lui « procur[e] » des « fonds ». 342 Goll n’oublie pas de demander un article à <?page no="71"?> 61 Scènes de la vie newyorkaise de même que Claire Goll. La sortie imminente du premier numéro de cet organe d’une politique vigoureusement anti-Vichy, « vigorous anti-Vichy policy », est annoncée dans le billet « New Paper Out Sept. 15 », The New York Times, 7 septembre 1941, p. 47. 343 La feuille désignée sous le nom de « Prospectus » prévoit la publication, au premier numéro, d’écrivains contemporains et d’auteurs du passé qui exprimeraient ensemble « the attachment of France to lasting things », à des valeurs qui perdurent. Documents de La France en Liberté, Zukofsky Collection (Texas). Du mois d’août 1940 au début de l’année 1941, la naissance de La France en Liberté est signalée, aussi bien aux États-Unis qu’en Angleterre. Voir le mot glissé par l’universitaire William Peters Reeves dans la petite section « French Reviews in the U.S.A. » de la revue Books Abroad, 15, 1, Winter 1941, pp. 64-65 (p. 64). Durant l’été des va-et-vient entre Taupin, Goll et Zukofsky, un appel est lancé dans le Times de Londres aux « French and English writers of high standing », écrivains de renom, les invitant à contacter René Taupin à New York. « La France en Liberté », The Times, 10 août 1940, p. 6. 344 Sur ce dernier point en relation avec Decision, voir Sherill Tippins, February House, Boston : Houghton, Mifflin, 2005, pp. 94-95. 345 Ce travail de Goll est rappelé par Philippe Brun, « L’exil américain... », Europe, op. cit., p. 242. Deux lettres de Saint-John Perse à Goll, des 8 et 20 mars 1943, montrent Goll dans un rôle d’intermédiaire entre Saint-John Perse et Klaus Mann pour cette anthologie. Voir « Saint-John Perse à Yvan Goll : Huit lettres inédites », présentées par Roger Little dans Cahiers Saint-John Perse, 2, 1979, pp. 105-126 (pp. 118 et 120). Roditi, qui pourrait venir s’ajouter à la liste des auteurs pour La France en liberté que Goll compile pour Taupin le 13 septembre. Les noms sont, pour plusieurs, accompagnés de détails sur les textes promis, et ces informations peuvent se lire comme un type de sommaire de ce qu’auraient été les premiers numéros de cette revue, si elle avait pu voir le jour, et jusqu’à l’hiver 1940-1941 sa parution est encore attendue. 343 À l’époque où La France en Liberté s’organise, Klaus Mann réussit à se construire un lot de contributions et à mettre en place le financement de sa revue newyorkaise Decision - A Review of Free Culture, trouvant dans le monde des affaires et du grand commerce américain l’argent nécessaire à son lancement. Il a pour avantage sur Goll, dans les débuts de la revue, d’être depuis plus longtemps aux Etats-Unis et d’avoir des portes déjà ouvertes devant lui, ne serait-ce que par la résonance du nom du père 344 , Thomas Mann, qui émigre en 1938 aux Etats-Unis, où son fils s’est déjà installé pour l’essentiel à partir de 1936. Decision commence à paraître en janvier 1941 mais cesse de fonctionner en janvier-février 1942, l’une des raisons étant liée à des difficultés financières, qui semblaient initialement pouvoir être surmontées. Les papiers associés à Decision, aussitôt la revue terminée, deviennent documents d’histoire, vendus par Klaus Mann en 1942 aux archives de Yale, là-même où est en voie de constitution depuis 1937 la Thomas Mann Collection. Les rapports de Goll avec Klaus Mann passent, plus tard durant la guerre, par la participation de Goll à l’anthologie littéraire de 1945, Heart of Europe, pour les auteurs de langue française. 345 Goll retrouve certaines de ses connaissances en 1940 lorsque d’autres réfugiés, de France ou encore de Belgique, parviennent à New York. Il peut alors ajouter à la publication de ses propres écrits et de ses traductions la mise <?page no="72"?> 62 Scènes de la vie newyorkaise 346 Ce que Goll envisage pour « Poets’ Messages » est exposé en quatrième de couverture du premier numéro de la série, Ivan Goll, Chansons de France, New York : The Gotham Book Mart, 1940. La fondatrice du Gotham Book Mart, Frances Steloff, place Goll parmi les visiteurs de la librairie lui ayant laissé un bon souvenir. Frances Steloff, « In Touch with Genius », Journal of Modern Literature, 4, 4, April 1975, pp. 749-882 (p. 844). 347 Donna Kuizenga, « Yvan Goll’s Hémisphères : A Forgotten French-American Review of the 1940’s », The French-American Review, 2, 1-2, Winter 1977-Spring 1978, pp. 17-27 (p. 17). Deux autres noms ont été envisagés un moment pour Hémisphères, « Refuge » et « Outremonde ». Voir la notice consacrée à Alain Bosquet dans la rubrique « Nos collaborateurs » du premier numéro de la revue à l’été 1943, p. 2. 348 Lettre d’Yvan Goll à Henry Miller, du 10 novembre 1943. Miller Papers. 349 Albert Ronsin note que, pour « cet emploi de journaliste-speaker » « au War Office Information », Goll touche « 180 dollars par mois ». A. Ronsin, « Yvan Goll, ‹ L’homme à tiroirs ›… », dans Yvan Goll (1891-1950) Poète européen des cinq continents, op. cit., p. 34. Goll explique à Alain Bosquet qu’une part du financement d’Hémisphères provient de son travail radiophonique. Lettre d’Yvan Goll à Alain Bosquet, du 20 février 1943. Fonds Goll. La trace de Goll ne se retrouve pas dans l’étude fouillée d’Emmanuelle Loyer, « La ‹ Voix de l’Amérique ›: un outil de la propagande radiophonique américaine aux mains d’intellectuels français », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 76, oct.-déc. 2002, pp. 79-97 ; ni chez Bruno Ackermann qui relève certains détails de la Voix de l’Amérique à travers l’expérience de rédacteur de Rougemont et des documents d’archives. B. Ackermann, Denis de Rougemont - Une biographie intellectuelle - Vol. 2 - Combats pour la liberté - Le Journal d’une époque, Genève : Labor et Fides, 1996, pp. 746-751. 350 Lettre d’Ivan Goll à J. Kerker Quinn, du 29 août 1942. Quinn Papers. Il s’agit d’Accent : A Quarterly of New Literature, qui publie « Landless John Cleansed by the Void » dans une traduction de Clark Mills à l’été 1942. À l’intérieur de ce même numéro est expliquée la mauvaise passe que connaît la revue, depuis le 7 décembre 1941, avec, parmi les raisons citées, outre le prix du papier et de l’impression, les inquiétudes de la guerre, « the war jitters », qui tendraient à faire de la littérature un luxe, ce que Goll semble sur pied et la coordination de projets d’édition, à la manière de ce qu’il faisait avant son exil. À New York, pour ce qui est véritablement réalisé, il s’agit principalement de sa collection de « Poets’ Messages », qui est lancée dès 1940 par l’entremise du Gotham Book Mart avec l’idée de faire entendre, dans une édition au tirage limité à soixante-dix exemplaires, la voix du « Poet », seul « prophet of this time », avec des illustrations de peintres liés aux poètes. 346 Goll crée aussi, avec, pour les débuts, Alain Bosquet, bientôt engagé dans l’armée américaine, son « little magazine » Hémisphères, qui paraît sur six numéros entre 1943 et 1946 347 , et pour lequel, en novembre de la première année de parution, Goll affirme n’avoir « ni dactylo ni ‹ associate editors › ni staff », « port[ant] [lui]-même les paquets chez les libraires et à la poste » 348 . De façon plus rémunérative, comme cela est connu, Goll participe aux Editions de la Maison Française et aux émissions de la section française de Voice of America. 349 À une occasion au moins, on peut remarquer que Goll redonne l’argent reçu en paiement de ses publications, ainsi en août 1942 lorsqu’il renvoie à J. Kerker Quinn, de la revue Accent, un chèque qu’il considère trop généreux pour un jeune magazine en difficulté avec la pénurie de papier qui affecte l’époque. 350 Goll fait face lui aussi à un « manque de <?page no="73"?> 63 Scènes de la vie newyorkaise résumer en une lutte, « struggle to save Accent », dans sa lettre du 29 août 1942. Voir, pour ce qui est dit dans la revue, « A Note to Our Readers », Accent, 2, 4, Summer 1942, p. 238. 351 Le « papier » est cité parmi d’autres « obstacles » à l’impression du numéro deux d’Hémisphères dans la lettre d’Yvan Goll à John Gould Fletcher, du 27 novembre 1943. Fletcher Papers. La sortie du quatrième numéro est retardée par une question d’argent, qui se voit résolue pour les deux numéros suivants de la revue, cinq et six, lorsque les Editions de la Maison Française apportent leur aide financière. Lettre d’Yvan Goll à John Gould Fletcher, du 14 décembre 1944. Fletcher Papers. La disparition de cette source d’argent ainsi que le départ envisagé par Goll pour la France à la fin de l’année 1946 font abandonner le septième numéro d’Hémisphères avant même qu’il soit bouclé. Il est un temps question aussi de transférer la publication de la revue à Paris. À cet effet, Goll laisse entendre à Henry Miller, qui a donné un extrait de Remember to Remember pour le numéro sept, que « des pourparlers sont en train ». Lettre d’Yvan Goll à Henry Miller, du 26 décembre 1946. Miller Papers. 352 Lettre d’Yvan Goll à Louis-Marcel Raymond, du 3 avril 1944. Fonds Raymond. 353 Lettre de Louis-Marcel Raymond à Yvan Goll, du 3 mai 1944. Fonds Goll. 354 Lettre d’Yvan Goll à Louis-Marcel Raymond, du 25 juin 1944. Fonds Raymond. 355 Lettre d’Yvan Goll à John Gould Fletcher, du 27 novembre 1943. Fletcher Papers. 356 Lettre d’Yvan Goll à John Gould Fletcher, du 4 avril 1944. Fletcher Papers. papier » pour Hémisphères, ce qui rend incertaine la parution de la revue de numéro en numéro, et un manque de financement vient par la suite poser des problèmes qui, à la longue, vont mettre en question l’existence de la revue. 351 En 1944, Goll se renseigne auprès de Louis-Marcel Raymond sur les possibilités d’impression d’Hémisphères au Canada, « étant donné les difficultés de se procurer du papier en U.S.A. » 352 La réponse de Raymond indique que les imprimeurs canadiens sont confrontés à des restrictions de papier similaires et qu’il serait nécessaire de passer par « un service de régie du papier en temps de guerre » pour recevoir une autorisation de publication au Canada. 353 Hémisphères bénéficie peu après d’une nouvelle loi américaine sur l’édition, du 24 mai 1944, grâce à laquelle la revue trouve une source suffisante de papier aux Etats-Unis. 354 Les conditions matérielles de publication s’imposant aux revues à petite circulation, que ce soit le papier ou la « main d’œuvre chez les imprimeurs » 355 , s’ajoutent à la somme des démarches de Goll, à ses « soucis » 356 , et rendent son existence plus instable encore. On peut suivre un autre épisode lié au travail d’édition de Goll, survenu plus tôt, en 1941, où les ennuis sont d’une nature un peu différente, cas de figure opposant celui qui est exilé à celle qui est rentrée dans son pays. Il s’agit d’Ivan Goll et de l’Américaine Maria Jolas se disputant autour de Joyce. Quelques lettres de Goll de mars et octobre 1941, conservées dans les papiers d’Eugène et Maria Jolas à Yale, le montrent en train de préparer avec l’aide des Jolas une édition de luxe de « Poets’ Messages » consacrée à James Joyce et, dans la même collection, prêt à faire sortir un recueil de poèmes d’Eugène Jolas, Words from the Deluge. Eugène et Maria Jolas, que Goll connaît depuis des années en France, où ils se sont établis, reviennent aux Etats-Unis, lui en 1939, elle en 1940, non sans détresse et réajustements difficiles, « distress and <?page no="74"?> 64 Scènes de la vie newyorkaise 357 Eugène Jolas, Man from Babel, op. cit., p. 187. 358 Idem. 359 Idem. 360 Lettre d’Ivan Goll à Maria Jolas, du 22 octobre 1941. Jolas Papers. 361 Céline Mansanti, « Présence du surréalisme dans la revue transition (Paris, 1927- 1938) », Mélusine, op. cit., p. 284. Pour des informations complémentaires, voir aussi le récent ouvrage de C. Mansanti, La revue « transition » (1927-1938), le modernisme historique en devenir, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2009, pp. 144 et 156. Sur Goll et Solveen, on peut consulter Maryse Staiber et Adrien Finck, « Yvan Goll et la littérature alsacienne » dans Yvan Goll (1891-1950) - Situations de l’écrivain, ed. Michel Grunewald et Jean-Marie Valentin, Bern : Peter Lang, 1994, pp. 9-19 (pp. 14-18). Eugène Jolas date l’origine de ses contacts avec Goll du début des années vingt, « the early twenties », sans plus de détails, dans la notice qu’il écrit à la mort de Goll pour l’édition européenne du New York Herald Tribune le 14 mars 1950, « An International Poet », où Jolas repère en Goll « the European frontier-man par excellence », formule désignant, en plus du natif de Lorraine, l’homme de la frontière, au sens américain, qui serait allé à la limite du territoire connu. La notice peut se lire dans Eugène Jolas, Critical Writings, 1924-1951, ed. Klaus H. Kiefer et Rainer Rumold, Evanston : Northwestern University Press, 2009, pp. 499-500. 362 Marjorie Perloff, «‹ Logocinéma of the Frontiersman › : Eugène Jolas’s Multilingual Poetics and Its Legacies », Differentials : Poetry, Poetics, Pedagogy, Tuscaloosa : The University of Alabama Press, 2004, pp. 82-101 (p. 95). 363 Eugène Jolas, « Super-Occident and the Atlantic Language », Decision, 1, 6, juin 1941, pp. 51-52. difficult readjustments ». 357 Les obstacles à surmonter dans cette réadaptation apparaissent chez les Jolas plus moraux que matériels. Eugène Jolas évoque ainsi avoir éprouvé un sentiment de perte irréparable, « sense of irreparable loss », rattaché à la guerre et aux dispersions qu’elle a forcées, « great migrations », de grandes migrations selon l’expression de Jolas. 358 Les souvenirs de Jolas identifient l’été 1941, avec sa famille réunie au bord d’un lac dans le Connecticut, comme le moment où ce sentiment de perte s’est vu relégué à l’arrière-plan pour laisser place à un nouveau sentiment d’espoir dans l’avenir, « hope in the future ». 359 Pour ajouter foi à ses actions aux yeux de Maria Jolas, Goll rappelle que ses liens avec Eugène Jolas remontent à « vingt ans » et à ces grandes entités communes que sont pour eux la « Lorraine » de leur jeunesse, le « trilingu[isme] » et la poésie. 360 Céline Mansanti précise que « [l]a première rencontre de Goll et [Eugène] Jolas » aurait eu lieu en 1924 autour du « groupe de l’Arc », lancé d’Alsace par le peintre Henri Solveen dans une perspective de rapprochement des cultures et des langues. 361 C’est un programme que Jolas va reprendre avec ses poèmes multilingues et théoriser sous d’autres formes et expérimentations, sans compter transition. Il aboutit à l’idée « a bit Utopian » 362 , aux contours impérialistes, d’une langue unique, l’« Atlantic language », qui serait bâtie à partir d’un puissant « American language » toujours en « expansion » s’enrichissant aux langues du « melting pot » 363 . Goll sera confronté aux différentes langues et cultures sur un plan plus modeste, dans son quotidien, sa poésie et ses activités d’éditeur. Son entreprise d’une anthologie des Cinq continents de 1922 montre chez Goll <?page no="75"?> 65 Scènes de la vie newyorkaise 364 Henri Béhar, Les Enfants perdus..., op. cit., p. 113. 365 Lettre d’Eugène Jolas à Ivan Goll, du 3 août 1940. Fonds Goll. Ayant retrouvé Jolas en France après la guerre, Goll fait converger une nouvelle fois, par une série de « comme moi », des aspects de son parcours et de celui de son ami, dans la lettre qu’il écrit à Louis-Marcel Raymond le 14 juillet 1947. 366 Maria Jolas, Woman of Action - A Memoir and Other Writings, ed. Mary Ann Caws, Columbia : University of South Carolina Press, 2004, p. 111. Goll n’apparaît pas dans l’ouvrage. 367 Les Jolas Papers contiennent une page manuscrite ainsi qu’un tapuscrit complet d’« Eaux troubles » avec des corrections d’une autre main que celle de Breton, qui situeraient ce texte entre la version de 1942 de Pour la Victoire et celle de 1948 parue au Sagittaire et retenue par le troisième volume des Œuvres complètes de Breton dans la Pléiade. 368 Le Fonds Goll conserve un échange de deux lettres entre Ivan Goll et Gustave Cohen en octobre 1941, suite à une très brève rencontre à la Maison Française à New York. Goll demande, le 9 octobre, à Cohen de retour à Yale, s’il pourrait être son répondant pour une bourse de la Guggenheim Foundation, ce à quoi Cohen s’engage volontiers le 12 octobre, « vous pouvez disposer de mon nom comme de celui d’un de vos admirateurs ». Fonds Goll. l’« esprit » « internationaliste » que lui reconnaît Henri Béhar par ailleurs 364 , et que Jolas possède à sa façon universalisante avec son « International Anthology » parue en juin 1941 dans Decision. Si Goll, dans sa lettre du 22 octobre 1941, faisait ressortir de sa mémoire poésie, langue et géographie pour montrer à Maria Jolas sur quoi se fondaient les liens avec son mari, le passé commun sur lequel revient une lettre de l’année précédente, du 3 août 1940, d’Eugène Jolas à son compatriote lorrain ne recouvre pas un aussi large ensemble d’éléments et se réduit plutôt à une série d’anciens actes de soutien de Jolas à l’œuvre de Goll, ce que Goll va lui aussi accomplir pour l’œuvre de Jolas en l’éditant à New York l’année d’après. 365 Que l’aide ait bénéficié à l’un ou à l’autre, Goll fait partie de l’imposant réseau professionnel et amical que les Jolas se sont constitué en France, également aux Etats-Unis, à travers la revue transition, le journalisme, les traductions. À leur réinstallation à New York, les Jolas voient se reformer des éléments de cette vie antérieure, de par leur implication dans l’association France Forever et d’autres initiatives en faveur de la France Libre. Ils attirent vers eux des exilés en besoin de traductions, à un rythme moindre que celui auquel ils étaient habitués mais tout de même important à en juger par le nombre de pages traduites, selon le compte donné par Maria Jolas en 1941 : à peine avions-nous défait nos valises que les gens ont commencé à me demander des traductions de conférences rédigées en français. J’ai traduit plus de cent cinquante pages de littérature ; j’ai dû aider mon mari pour d’autres traductions ; « Scarcely had we unpacked when people started asking me for translations of French lectures. I’ve translated more than a hundred and fifty literary pages ; I had to help my husband with other translations ». 366 S’ajoutent à ces premières traductions « Eaux troubles » d’André Breton 367 , Lettres aux Américains, de Gustave Cohen 368 , alors à Yale, ainsi que, pour <?page no="76"?> 66 Scènes de la vie newyorkaise 369 Lettre d’Ivan Goll à Maria Jolas, du 10 mars 1941. Jolas Papers. Peu avant cet échange de lettres avec Maria Jolas, Goll publie en février 1941 dans The Nation son « Elegy for James Joyce », poème en français au titre anglais. On retrouve ce poème, en tapuscrit, sous le titre « Élégie pour James Joyce », dans les papiers de Louise Bogan, à Amherst, où figure aussi, jointe au texte original, sa traduction en anglais, qui ne semble pas avoir été publiée ni répertoriée. La lettre du 16 janvier 1941 de Goll à Williams, dont le Fonds Goll conserve une copie, montre que Goll est à la recherche d’une traduction de son poème. 370 Lettre d’Ivan Goll à Maria Jolas, du 12 mars 1941. Jolas Papers. 371 Brouillon d’une lettre de Maria Jolas à Ivan Goll, du 13 mars 1941. Jolas Papers. 372 Pour un regard nuancé sur les liens entre Goll et Joyce, voir Ira B. Nadel, « Joyce and Expressionism », Journal of Modern Literature, 16, 1, Summer 1989, pp. 141-160 (pp. 150-151). Jacques Maritain, à Columbia, une correspondance liée à la France Libre, comprenant deux lettres similaires, datées toutes deux du 27 mai 1941, l’une à Eleanor Roosevelt, l’autre au Secrétaire d’État Cordell Hull, où Maritain essaie de contrer une opposition ressentie à l’aide alimentaire (« vitamins and milk ») destinée à la France, en particulier aux enfants. Quand Goll envoie, le 10 mars 1941, à Maria Jolas une série de devis détaillés pour l’édition dans « Poets’ Messages » du « Monument pour James Joyce », réunissant plusieurs contributions et subventionné, semble-t-il, par Maria Jolas, amie de Joyce, on voit Goll parcourant dans tous les sens les rues de New York (« les différentes adresses vous le prouveront » 369 ) pour faire aboutir le projet. Le 11 mars, une deuxième lettre de Goll arrive pour indiquer qu’il a déjà réussi à intéresser au projet Joyce des éditeurs et écrivains. Le lendemain, il répond longuement aux objections d’une lettre, du 11 également, de Maria Jolas sur les prix qu’il lui avait donnés, faisant valoir son expérience d’éditeur auprès des imprimeurs newyorkais, « je connais les prix, les ateliers travaillent avec moi en confiance » 370 . Dans le brouillon d’une lettre datée du 13 mars 1941, Maria Jolas retire, un peu brutalement, son soutien à Goll pour le « Monument », lui expliquant qu’il vaudrait mieux laisser réaliser cet ouvrage par un anglophone, anglais ou américain, proche de Joyce. 371 Se trouvent réduits à peu de chose les contacts que Goll avait eus avec Joyce sur une longue période de temps, les traductions en français d’œuvres comme Anna Livia Plurabelle, seul ou en équipe, dans les années 1930, tandis que plus tôt encore, à l’époque de son poste avec Rhein-Verlag, Goll avait travaillé à la publication en allemand de Ulysses. 372 Par la même lettre, Maria Jolas tente de mettre un coup d’arrêt à deux autres publications en cours, l’une que Goll va néanmoins publier, après un délai, Words from the Deluge de son ami Eugène Jolas, l’autre, Pastimes de Joyce, qui paraîtra ailleurs par les soins du Joyce Memorial Fund Committee, avec Maria Jolas au premier plan. La déception de Goll, qui avait distribué des « prospectus » annonçant les parutions à venir et trouvé des « souscript- [eurs] » pour Pastimes (« on ne peut pas se jouer ainsi du public »), et qui voyait le « Monument » comme une « action » désintéressée, l’amène, le 16 <?page no="77"?> 67 Scènes de la vie newyorkaise 373 Lettre d’Ivan Goll à Maria et Eugène Jolas, du 16 mars 1941. Jolas Papers. 374 Lettre d’Ivan Goll à Eugène Jolas, du 2 avril 1941, dont la copie est conservée par le Fonds Goll. 375 Voir les lettres de Goll à Roditi, des 6 et 28 février 1941. Roditi Papers. Roditi paraît dans le numéro de Decision de janvier-février 1942. 376 La copie de la lettre du 16 octobre 1941 de Goll à Eugène Jolas se trouve dans le Fonds Goll. 377 Lettre d’Ivan Goll à Maria Jolas, du 22 octobre 1941. Jolas Papers. Le Fonds Goll détient la copie d’une lettre du 7 juillet 1948 que Goll écrit à Maria Jolas suivant une rencontre qui les a réunis par hasard dans un autobus parisien et qui coïncide avec un projet de publication des Jolas, auquel Goll envoie une contribution. 378 Lettre d’Ivan Goll à Maria Jolas, du 22 octobre 1941. Jolas Papers. mars 1941, à situer leur différend dans le contexte de la guerre pour le remettre à sa juste place et dépasser leurs « questions d’amour-propre », eux qui se retrouvent à New York « rescapés du désastre ». 373 Deux autres versions de cette lettre, toutes deux datées du 14 mars, existent dans le Fonds Goll de la Médiathèque de Saint-Dié-des-Vosges. La variété de formulation de ces lettres, en particulier dans l’expression à laquelle Goll s’essaie pour parler de son désintéressement (« je ne gagnerai jamais un cent avec de la poésie en Amérique », dit l’une des lettres ; « dans quelle mesure [Poets’ Messages] me rendront millionnaire », lit-on dans l’autre), suggère que Goll a longuement réfléchi à la manière dont il allait répondre à la demande de Maria Jolas d’abandonner le projet Joyce et que cette histoire lui a beaucoup pesé. L’affaire s’étend aux lettres que Goll adresse directement à Eugène Jolas. Le 2 avril 1941, Goll lui explique le retard de parution de Words from the Deluge comme une conséquence des actions de Maria Jolas contre « Poets’ Messages ». 374 Malgré les craintes exprimées par Goll, son amitié avec Eugène Jolas ne semble pas entamée comme en témoignent leurs lettres du reste de l’année 1941, y compris une lettre du 16 octobre à Jolas qui voit Goll suggérant son nom à Klaus Mann et à Decision, ce que Goll se proposait déjà de faire pour Roditi au mois de février 375 . Il s’agirait pour Jolas de traduire, de Sartre, un « chapitre » qui n’est pas identifié dans la lettre du 16 octobre 1941 mais qui pourrait en fait être la nouvelle « Erostrate », du Mur, publiée par la revue Decision dans son numéro de novembre-décembre 1941, mise en anglais par Eleanor Clark et non par Jolas. 376 Quelques jours après cette lettre d’amitié à Eugène Jolas, le 22 octobre 1941, une dernière lettre de Goll à Maria Jolas, conservée à Yale, revient sur une occasion de réconciliation qui aurait été déclinée par elle et finit par exposer toute la précarité ressentie par Goll dans sa position de « réfugié », surtout par rapport à l’« Américaine » qu’est Maria Jolas, avec ses « relations toutes faites et une grande influence et une base matérielle. » 377 Goll ajoute : « Moi, comme réfugié, j’ai un mal inouï à prendre pied dans ce pays nouveau ». 378 La remarque a sa part de dramatisation, selon l’effet recherché par Goll auprès de sa correspondante, mais l’élément de fond demeure, même si Goll s’attarde sur une autre dimension de l’exil en 1942, lourde d’une respon- <?page no="78"?> 68 Scènes de la vie newyorkaise 379 Ivan Goll, « Poètes en exil », Pour la Victoire, op. cit., p. 6. Ce passage de l’article de Goll est cité par Colin Nettelbeck dans Forever French : Exile in the United States, 1939-1945, New York-Oxford : Berg, 1991, p. 51. 380 Le passage est cité et discuté par Klaus Weissenberger, « Iwan Goll : New York 1939-1947 » dans John Spalek et Joseph Strelka, Deutsche Exilliteratur seit 1933, vol. 2, t. 1, op. cit., p. 240. 381 Ivan Goll, « Poètes en exil », Pour la Victoire, op. cit., p. 6. 382 Louise Bogan, « Yvan Goll in America », Bulletin of the Society of Friends of Yvan Goll, op. cit., pp. 4-5. Plus récemment, Philippe Brun a parlé du « sceau de l’exil », pour indiquer la trace laissée par l’Amérique sur « la dernière partie de l’œuvre » de Goll. P. Brun, « L’exil américain... », Europe, op. cit., p. 241. 383 Louise Bogan, « Yvan Goll in America », Bulletin of the Society of Friends of Yvan Goll, op. cit., pp. 4-5. sabilité en dehors de l’individu-poète, qui écrit pour une entité collective à laquelle il a le sentiment d’appartenir. Goll a des mots à caractère épique sur l’exil du poète de cette période dans Pour la Victoire où il perçoit l’exil comme « vertu » plutôt que « déchéance », conférant « une allure héroïque » au poète, « ambassadeur [...] de son peuple », « porteur de germes spirituels ». 379 En revanche, l’exil est ramené par Goll à une échelle tout individuelle, tout américaine, toute grandiloquente, dans un texte autobiographique de 1943 qui laisse de côté les problèmes à « prendre pied » dans le nouveau pays, « Exilé ? Je ne me sens pas en exil en Amérique. Je ne me sentirai jamais en exil dans un pays, dont les lois sont basées sur la liberté et dont les habitants agissent comme des frères envers ceux qui souffrent ». 380 La perception que les poètes américains ont de l’exil de Goll varie aussi. On se souvient que Williams, en juin 1940, reconnaît combien Goll doit se sentir coupé de ses attaches, rejoignant le « mal inouï » dont parle Goll à Maria Jolas. Bogan, à l’inverse, voit comme un jeu d’ascension les premiers efforts de Goll à former de nouveaux liens dans le monde de l’édition, de la traduction et des revues, précisément les liens qui vont lui permettre d’assurer sa subsistance comme poète en Amérique. Si Bogan tient, en mars 1940, à l’impression que les réfugiés ont des moyens plus que suffisants, et laisse cette idée colorer son aperçu des luttes quotidiennes de Goll à New York, elle relève plus tard toute l’importance de l’Amérique et de l’exil dans l’écriture poétique de Goll qui, en 1942, disait de l’exil en général qu’il « a toujours enrichi les poètes de nouvelles sensations et images » 381 . Après la mort de Goll, pour l’éphémère Bulletin of the Society of Friends, Bogan décrit ce moment d’exil comme une « transplantation » qui aurait ouvert la poésie de Goll à des forces puissantes, climatologiques, géographiques, anthropologiques, géologiques, la faisant s’aventurer aussi dans les savoirs chimiques et botaniques. 382 De cette façon, le continent américain aurait produit un « choc » se répercutant dans les poèmes de Goll, que ce soit Manhattan, Gaspé ou bien sûr, pour « Parmenia », Cuba. 383 <?page no="79"?> V. Note sur la correspondance et remerciements Les lettres d’Ivan Goll reproduites ici en ordre chronologique, allant du 13 décembre 1939 au 14 juillet 1947, s’adressent à Louise Bogan, William Carlos Williams, George Dillon, James Laughlin, René Taupin, Rolfe Humphries, Louis Zukofsky et Louis-Marcel Raymond. La table des matières indique, pour chaque lettre, s’il s’agit d’un envoi manuscrit ou tapé. Les titres de revues ou de livres, mis entre guillemets à l’origine, ont été transcrits en italique, ainsi que l’essentiel des mots et expressions qui avaient été soulignés par Goll. La langue et la ponctuation n’ont pas été modifiées, à l’exception de quelques rares cas d’accents et d’orthographe. Les lettres retenues, de même que les extraits en français cités d’autres correspondances inédites de Goll, paraissent avec la très aimable autorisation de Madame Nadine Albert-Ronsin, qui m’a toujours témoigné son soutien. La publication des lettres est dédiée à la mémoire de son mari, Monsieur Albert Ronsin. Ma reconnaissance va aux bibliothécaires et archivistes beaucoup sollicités durant mes recherches et s’étend aux spécialistes de Goll et aux descendants de certains de ses proches qui ont eu la gentillesse de partager avec moi leurs informations. Que tous ces individus soient remerciés ici : Francine Bisson, Ottawa; Ronald Bulatoff, Stanford; Heather Cole, Cambridge, MA; Anthony R. Crawford, Manhattan, KS; Lisa Darms, New York; Heather Dean, New Haven; Juliet Demeter, Amherst; Vibeke Elpsholm, Athènes; Dave Frasier, Bloomington; Elizabeth Garver, Austin; Christopher Glover, New Haven; Lilace Hatayama, Los Angeles; Joy Holland, Brooklyn; Leah Jehan, New Haven; Karine Laine, Saint-Dié-des-Vosges; Daniel Meyer, Chicago; Robert D. Montoya, Los Angeles; Peter Nelson, Amherst; Megan O’Shea, New York; Christopher Prom, Urbana; Cheryl Spiese, Binghampton; Geoffrey Stark, Fayetteville; Eric Swanick, Burnaby; Maddie Thompson, Bloomington; Emily Walhout, Cambridge, MA; Reina Williams, Chicago; Sonny Wong, Burnaby; puis Jean Bertho; Barbara Glauert-Hesse; Diana J. Limjoco; Richard J. Millington; Marie-Brunette Spire. Mes remerciements aux éditions Wallstein et à Antina Porath. Aux éditions Narr, un très grand merci à Rainer Zaiser et aux lecteurs anonymes de leur évaluation du manuscrit, un très grand merci qui inclut également Kathrin Heyng pour sa diligence dans la mise en forme du livre. Toute ma gratitude encore à Henri Béhar pour avoir, entre plusieurs projets et demandes, donné son temps et sa voix à la préface de cet ouvrage. Enfin, pour leur aide, leur patience et douceur, ma famille, Anne-Françoise, Charlotte et Trevor. <?page no="80"?> 384 Ce projet de Goll pour la revue hollandaise Centaur semble avoir été abandonné. Le dernier numéro de la revue, paru sous sa forme d’avant-guerre, date de septembreoctobre 1939, et comporte un poème, un essai et six traductions de Goll. 385 « Medusa », « Cassandra » et « The Alchemist », de Bogan, datent de la première moitié des années vingt. VI. Correspondance de Goll, 1939-1947 Envoi 1, Goll à Louise Bogan, 13 décembre 1939 : 616 West 113 th Street New York, NY December 13, 1939 Madame, J’arrive de Paris et vous écris en français, ayant lu dans Partisan Review votre ardente apologie de Paul Éluard, et vos traductions admirables… La revue Centaur qui paraît à Amsterdam et qui a publié des numéros consacrés à la poésie nouvelle - hollandaise, française, norvégienne, etc. - m’a chargé de réunir pour elle la matière d’un numéro consacré à la jeune poésie américaine. 384 Vous êtes une de ses championnes. Puis-je vous demander votre collaboration, sous forme de poème ou d’une étude sur le mouvement poétique actuel ? J’aime me promener dans votre univers peuplé de « Medusa », de « Cassandra » et d’Alchimistes… 385 Dans l’attente de vous lire, agréez, Madame, l’assurance de mes meilleurs sentiments, Ivan Goll Envoi 2, Goll à Louise Bogan, 5 janvier 1940 : 616 W 113 St 5 Jan. 1940 Chère Madame, Je vous remercie de votre aimable lettre et me ferai un plaisir de venir vous voir lundi 8 janvier à 4h, sauf contre-ordre. Croyez, chère Madame, à mes sincères sentiments, Ivan Goll <?page no="81"?> 71 Correspondance de Goll, 1939-1947 386 Ces poèmes de Bogan ont tous paru dans les années 1920-1930. 387 Dorothy Norman (1905-1997), elle-même photographe, écrivaine et biographe d’Alfred Stieglitz (1864-1946), s’occupait à New York de la galerie de Stieglitz, An American Place. Des lettres de Claire Goll adressées à Stieglitz pour la période 1940-1941 existent à Yale (Alfred Stieglitz/ Georgia O’Keefe Archive). 388 Goll a fait paraître, en 1936, son poème « La Lionne » dans la revue Yggdrasill - Bulletin mensuel de la poésie en France et à l’étranger. Le projet de traduction de poésie américaine, évoqué pour son versant Williams dans cette lettre, de même que dans les lettres du 26 mars et du 1 er avril 1940, ne paraît pas dans Yggdrasill, qui ne publie pas au-delà de son 46e numéro, d’avril 1940. 389 Williams est, en effet, traduit dans le numéro spécial de Mesures sur les « Lettres américaines » en 1939. Envoi 3, Goll à Louise Bogan, 11 janvier 1940 : New York, Jan. 11, 1940 Chère Madame, Je ne veux pas laisser ce moment d’émotion sans vous en faire part. Ils sont trop rares. En rentrant, j’ai lu « Song », « At a Party », « The Sleeping Fury » 386 : Comme vous savez souffrir et donner des ailes à votre souffrance ! Elle devient générale, elle remplit le monde. Avec la rapidité du folk-song vous construisez un drame, déchirez une âme. Peu de poèmes ? Mais tous un univers. « Man Alone » : avec quels raccourcis vous exprimez une idée que, par exemple, dans « Jean sans Terre devant le miroir » j’ai mis si longtemps à développer. Rilke, sous la protection duquel vous vous placez, eût aimé vos poèmes. Je les admire. A la semaine prochaine, Ivan Goll Envoi 4, Goll à William Carlos Williams, 20 mars 1940 : 616 West 113 New York City March 20, 1940 Mon cher Confrère, Ma femme Claire est revenue l’autre jour de chez Stieglitz et Dorothy Norman 387 , tout enchantée d’avoir fait votre connaissance. J’aurais partagé son enthousiasme, si j’avais eu la même chance. Depuis longtemps je chéris vos poèmes, pour leur spontanéité, leur coloris, leur esprit. Depuis longtemps j’avais envie d’en traduire quelquesuns pour une revue française : Yggdrasill 388 , qui, je crois, continue à vivre. Mais je me rappelle que Mesures en a publié. 389 Je ne voudrais pas faire double emploi. Pourriezvous me dire lesquels ? <?page no="82"?> 72 Correspondance de Goll, 1939-1947 390 Goll lui envoie le Troisième livre de Jean sans Terre, Paris : Editions Poésie et Cie, 1939. 391 Il faut aller dans une lettre de Williams à Nicolas Calas, du 12 décembre 1940, pour une caractérisation de la poésie de Goll, appréciée par Williams pour la concision de sa « forme » mais jugée trop constamment arrêtée sur une même matière. Calas Archive. Goll poursuit, le 25 novembre 1940, dans la plus longue des lettres qu’il écrit à Calas ce jour-là, sa réflexion sur « la forme » qu’il s’est alors « choisie », interrogeant : « oserezvous prétendre que l’alchimie a plus de pouvoir que la chimie ? Que les mots en liberté sondent la vie davantage que les formes strictes ? » et, orientant plus directement vers le surréalisme, « le jour n’a-t-il pas autant de droits que la nuit ? ». Lettre d’Ivan Goll à Nicolas Calas, du 25 novembre 1940 (version longue). Fonds Goll. 392 La traduction est faite à partir du poème « Jean sans Terre conduit la caravane ». 393 Un suit, c’est-à-dire un costume. Je profite de l’occasion pour vous envoyer le dernier petit volume de la série de Jean sans Terre 390 , ce poème où je concentre ce que j’ai encore à dire. Je fus verslibriste, autrefois. Cette forme stricte cependant ne limite point ma liberté d’expression, au contraire, je sens qu’elle me donne des ailes. 391 Croyez, mon cher confrère, au sentiment sincère de votre Ivan Goll Envoi 5, Goll à William Carlos Williams, 26 mars 1940 : 616 West 113 St. New York City March 26, 1940 Mon cher William Carlos Williams, Faut-il vous dire combien j’ai été ému et touché par votre lettre fraternelle qui m’apporte tant d’amitié et de confiance à la fois ? Votre traduction de ces quatre strophes 392 , qui sont aussi parmi mes préférées dans le petit livre, m’a surpris par sa spontanéité et par sa virtuosité. Vous, le maître du vers libre (oui, oui, nous reparlerons de cela) atteindre à une telle réussite dans la forme la plus difficile ! C’est admirable. C’est admirable surtout, parce que, à ma connaissance, vous n’avez pas, jusqu’ici, tiré profit d’une telle habileté. Vous avez cherché la difficulté pour exprimer l’inexprimable. Oh je le sais bien, que le vers libre est plus sensible que tout au monde. Voilà, et votre bonté va vous coûter cher : vous avez traduit quatre strophes, il n’en reste plus que huit pour que tout le poème resplendisse dans un suit 393 anglais. Vous voyez, je suis bien moins modeste que vous, et j’en ai honte. Mais plusieurs editors de revue m’ont demandé si je n’avais pas une traduction. Et quel honneur pour moi ! William Carlos Williams ! <?page no="83"?> 73 Correspondance de Goll, 1939-1947 394 La première fois qu’il lui écrit, dans sa lettre du 22 mars 1940, Williams suggère à Goll d’aller voir « e. e. cummings [1894-1962] who lives at 4 Patchen Place. Go and see him, he is always at home. » William Carlos Williams, « Five Letters to Yvan Goll », Stony Brook, op. cit., p. 365. 395 René Taupin (1905-1981) est établi depuis les années vingt aux États-Unis, où il a une longue carrière de traducteur, critique et universitaire, avant de revenir en France à la fin des années soixante. 396 La lettre est conservée avec les traductions par Goll, en tapuscrit, des deux poèmes de Williams, « Metric Figure » (« Figure métrique ») et « The Late Singer » (« Le chanteur en retard »). 397 George Dillon est à la tête de la revue Poetry de 1937 à 1949, où il a remplacé Morton Zabel. 398 Amy Bonner (1891-1955) occupe, à cette époque, une fonction administrative à la revue Poetry. Vous dispensez votre amitié sur une grande échelle : vous m’envoyez tout de suite chez vos meilleurs amis. Je me réjouis d’aller voir E. E. Cummings un de ces jours. 394 Et je voudrais envoyer les 3 volumes de Jean sans Terre à René Taupin 395 , et d’abord à vous aussi les deux premiers : j’attends un envoi de Paris, et je crois que je peux attendre longtemps. Mais avant mon départ j’ai voulu terminer la petite série de poèmes américains destinée à Yggdrasill. Voici les traductions des deux poèmes 396 que j’ai choisis - Dieu et W.C.W. savent combien le choix était difficile. Dites-moi très franchement votre opinion là-dessus. Hélas et hallo : bientôt nous partons pour Cuba. Ce sera très beau, et je regrette tout de même de quitter New York au moment où la tulipe et l’amitié fleurissent. Claire vous envoie son plus beau sourire. Recevez pour vous et Madame Williams mon ardente poignée de mains, Ivan Goll Envoi 6, Goll à George Dillon, 29 mars 1940 : 616 West 113 th Street New York City March 29, 1940 Cher Monsieur Dillon 397 , Hier soir, j’ai fait la connaissance de Miss Amy Bonner 398 , qui m’a beaucoup parlé de vous et de Poetry. Elle m’a dit que vous étiez un excellent connaisseur de la poésie française et traducteur de Baudelaire. Cela m’encourage à vous envoyer ma dernière œuvre Jean sans Terre, qui se compose jusqu’à présent de trois Livres, mais dont le IVe, auquel je travaille, ne tardera pas à sortir. <?page no="84"?> 74 Correspondance de Goll, 1939-1947 399 « Jean sans Terre conduit la caravane », dans la traduction de Williams, va finalement paraître en novembre-décembre 1941 dans la revue de Klaus Mann, Decision. En janvier 1941, Poetry publiera une traduction par Clark Mills de « Jean sans Terre a le mal de terre ». 400 Le mot « clients » renvoie aux patients de Williams à Rutherford, dans le nord du New Jersey, où il vit et exerce la médecine auprès de populations souvent démunies. J’ai parlé à Miss Bonner de l’heureuse fortune que j’avais d’être traduit par William Carlos Williams. Ce poète, en effet, m’a envoyé il y a quelques jours quelques strophes du poème liminaire du III e Livre de Jean sans Terre, et je trouve son interprétation parfaite en tous points. Il m’a promis de terminer la traduction sous peu. Cette traduction vous intéresserait-elle pour Poetry 399 ? Comme je quitte New York pour La Havane, mercredi prochain, vous pourriez, dans le cas affirmatif, demander à W.C. Williams directement, de vous envoyer le manuscrit. Les lettres me parviendront ici jusqu’à mercredi, puis ensuite à la American Express Co., Havana (Cuba). Je vous prie, cher Monsieur Dillon, de croire à [mes] meilleurs sentiments, Ivan Goll Envoi 7, Goll à William Carlos Williams, 1 er avril 1940 : 616 West 113 St. New York City April 1, 1940 Mon cher William Carlos Williams, Votre lettre du 28 mars me laisse perplexe : si je vous comprends bien, vous préférez que je n’envoie pas encore vos poèmes traduits à Paris... All right, je me réjouis beaucoup de lire vos nouveaux poèmes, dans la forme plus rigide. Je suis content d’apprendre que vous aussi êtes à demi converti au dogme orthodoxe. C’est une lutte cruelle pour un poète de délaisser une « liberté » qui fut factice d’ailleurs, mais pour laquelle il a lutté avec une foi si farouche. Quel dommage de quitter New York juste maintenant : de quel enthousiasme m’eût rempli la perspective de bavarder et de discuter avec vous sur ces graves problèmes. (« Graves » : chut, si vos clients 400 vous entendaient ! ) Mais ce n’est que partie remise. Nous reviendrons peut-être plus tôt que nous ne pensons de cette île - sans doute trompeuse comme tant d’îles. Quant à la traduction promise de mon poème, je l’attends avec un orgueil légitime. L’autre soir, j’ai eu l’occasion de faire la connaissance de Miss Amy Bonner, qui m’a fortement engagé à envoyer un exemplaire de Jean sans Terre à George Dillon, <?page no="85"?> 75 Correspondance de Goll, 1939-1947 401 Il s’agit toujours de la traduction « John Landless leads the Caravan ». 402 C’est à la même période de l’année, trois ans plus tard, que Louis Jouvet débarque à La Havane, commentant combien « la chaleur », tout comme les « taxes sur les spectacles », sont élevées à Cuba. Louis Jouvet, Prestiges et perspectives du théâtre français - Quatre ans de tournée en Amérique latine, 1941-1945, Paris : Gallimard, 1945, p. 40. Les souvenirs de son secrétaire Léo Lapara replacent Jouvet, de passage avec sa troupe, à Cuba, habillé d’un « costume blanc » en « peau de serpent », sorte de « gabardine légère, lisse et luisante [...], très courante à La Havane en ce temps-là », du moins pour la partie aisée de la société. Léo Lapara, Dix ans avec Louis Jouvet, Paris : Presses Pocket, 1977, p. 108. L’île de Cuba peut ainsi appeler une image de privilège, et quand le narrateur de Céline, dans son Guignol’s band de 1951, choisit le cadre parfait de naissance, pour mieux échapper au fait d’être « venu » au monde « chez des gougnafes, dans un coin pourri sur toutes parts », il formule l’hypothétique perfection : « On serait né fils d’un riche planteur à Cuba Havane ». Louis-Ferdinand Céline, Guignol’s Band, Paris : Gallimard, 1980, p. 23. directeur de Poetry, ce que j’ai fait. Dans ma lettre je lui ai dit que vous étiez en train de traduire la « caravane ». 401 Peut-être vous la demandera-t-il. Nous partons mercredi après-midi sur l’SS Oriente. Au revoir. Mille sourires de Claire et une forte poignée de mains de votre Ivan Goll Mon adresse à La Havane : American Express Co. Envoi 8, Goll à Louise Bogan, 8 avril 1940 : Havana April 8, 1940 Chère Louise, 9 heures du matin. 30° à l’ombre. Comment tenir une promesse que j’ai faite la semaine dernière à - 3° ? Pour moi qui arrive ici, c’est jour et nuit la lutte contre cette nouvelle chaleur. Les Cubains eux-mêmes se lamentent : « Et pendant 9 mois, le thermomètre ne descendra plus ! » Je n’ai pas encore de complet blanc, et je semble complètement ridicule. (Mais un complet de toile blanche coûte aussi cher qu’un complet de drap anglais à New York.) 402 Et pourtant la vie est belle, magnifique. En tout cas, les premiers jours. Tout est neuf et miroitant. (Déjà l’existence sur le bateau est oubliée, où l’on avait honte de ce luxe de passagers de croisière, qui ne faisaient que manger trois fois trop, dormir trois fois trop, jouir trois fois trop…) <?page no="86"?> 76 Correspondance de Goll, 1939-1947 403 Les mots de Goll rencontrent, dans le temps, le câble envoyé de Cuba dans le film de 1941 d’Orson Welles, Citizen Kane : Filles charmantes à Cuba. Stop. Pourrais vous envoyer des poèmes en prose sur le paysage, « Girls delightful in Cuba. Stop. Could send you prose poems about scenery ». Pour la transcription du film, dont l’action se situe en 1898, voir « RKO Cutting Continuity of the Completed Film » dans The Citizen Kane Book, Boston/ Toronto : Little, Brown and Company, 1971, pp. 305-423 (p. 337). Le scénario daté du 16 juillet 1940 dessine un peu plus encore le Cuba de Goll, avec sa merveilleuse nourriture, « Food marvelous in Cuba - girls delightful stop could send you prose poems about scenery ». Herman J. Mankiewicz et Orson Welles, « The Shooting Script », ibid., pp. 87-297 (p. 150). 404 On peut lire aussi la description du caimito que donne un petit texte de Williams de 1927, où le fruit apparaît, avec d’autres, à travers des souvenirs d’enfance, rond comme une pomme et d’un vert vif, mais avec l’intérieur complètement blanc comme le lait, « round like an apple and bright green but inside it is pure white, like milk. » William Carlos Williams, « A Memory of Tropical Fruit », Imaginations, New York : New Directions, 1971, pp. 324-326 (p. 325). Ailleurs chez Williams, le « cherimoya » est tenu pour le fruit tropical au goût le plus délicat, dans ces vers du troisième livre de Paterson qui puisent à l’image du fruit et de la femme coupable, d’une culpabilité étendue à celui qui s’adresse à la femme, « Did I do more than share your guilt, sweet woman. The cherimoya is the most delicately flavored of all tropic fruit », l’expression « tropic fruit » ramenant aussi vers la poésie et le langage des tropes. William Carlos Williams, Paterson, ed. Christopher MacGowan, New York : New Directions, 1992, p. 144. La Havane, ville grouillante, jaune et blanche avec quelques dômes et tours qui émergent, et une population terriblement pauvre, ce qui donne sans doute à tous cet aspect humain. Tout de suite on discerne le grand péché de la société d’aujourd’hui : une Ile paradisiaque, qui a un climat excellent, la végétation la plus abondante du monde, avec une chaleur toujours égale et toujours équilibrée par une humidité non malsaine, le tabac, le sucre, les fruits qui pourraient suffire pour tout un hémisphère - et sur 4 millions d’habitants seulement, les ¾ se promènent en loques, souffrent de faim, essaient de gagner 2 cents avec des billets de loterie. Je suis idiot, chère Louise, je vous envoie des statistiques, alors que je voulais vous parler de la vie et de moi. La vie : luxuriante. Vous trouvez ici les plus beaux fruits et les plus belles femmes du monde. 403 En arrivant, je me suis assis dans un parc, près d’un marchand de fruits, et j’ai eu la sensation d’être dans un nouveau paradis, goûtant à des fruits tout à fait inconnus et miraculeux : le mamey rouge-brique, ovale comme un gros œuf d’autruche, et qui est doux et nourrissant comme une tranche de bœuf. le caimito, petit, rond, à la chair pâle gélatineuse, et qui, avec son goût neutre, ressemble un peu à une huître. 404 l’ananas magnifique, 2 fois plus gros qu’en Amérique du nord. de toutes petites bananes aromatiques, sucrées comme des bonbons. Encore une statistique ! Je vous ennuie. Vous voudriez savoir comment sont les femmes ? Eh bien non, vous ne le saurez pas cette fois. Elles sont minces comme des cannes à sucre, elles <?page no="87"?> 77 Correspondance de Goll, 1939-1947 405 La Norvège et le Danemark sont attaqués le 9 avril 1940 par les Nazis. n’ont qu’une robe simple sur la peau, une chevelure miroitante, une démarche de princesses - et à quinze ans elles ont déjà un enfant. Comme elles vivent, comme elles sont près de la terre, naturelles, elles ne connaissent qu’une chose, l’amour, l’amour, l’amour. Elles sont des fruits. Mais leur goût échappe à l’étranger. Le voyageur n’est qu’un intrus. Il regarde, il ne convainc pas. Il ne possèdera ni les arbres ni la terre étrangère ni les corps de bronze. Et puis, il fait trop chaud pour parler de soi. Je vous embrasse parce que vous êtes au Nord, Ivan Envoi 9, Goll à William Carlos Williams, 11 avril 1940 : Havana (Cuba) Hotel Royal Palm April 11, 1940 Mon cher William Carlos Williams, Ne pas connaître La Havane : c’est ignorer les fruits les plus beaux et les plus impudiques et les filles les plus belles et les plus pudiques du monde. (Non, ce n’est pas vrai, je ne dis cela que pour la joliesse de la formule : en réalité, les filles sont aussi impudiques que les fruits. Mais elles le montrent moins.) Le mamey ressemble à un immense vagin, il a une chair rouge brique, et vous croyez mordre dans un bifteck très tendre, nourrissant comme un œuf dur. C’est un dîner complet, dessert compris. 5 cents. Les jeunes filles sont toutes de jeunes palmiers ambulants, d’une sveltesse, d’une flexibilité étonnante. Cela vient sans doute de la rumba qu’elles dansent tous les soirs. Elles vous regardent avec des yeux de feu. Oh, comme elles me vengent du Nord ! Du soleil tous les jours garanti. Des étoiles toutes les nuits. Il paraît que le thermomètre ne baisse pas pendant 9 mois. (30°) C’est merveilleux. Surtout lorsque j’aurai un costume blanc comme tout le monde. Nous habitons, Claire et moi, un 8e étage, qui nous donne une vue sur la ville jaune qui, avec ses coupoles et ses tours, a l’aspect d’un 100 e de Rome. Au bout, des collines, la mer. Ville remuante jusqu’au petit jour, avec ses nègres aux longues jambes nues et ses Chinois épais, qui vendent toujours n’importe quoi : dans les parcs, dans des thermos, une tasse de café à 1 cent. Un paradis... sans les journaux, avec les télégrammes de cette Europe en folie et en sang, dans ses fjords regorgeant de cadavres... 405 Que faire ? Allongeons-nous au soleil. <?page no="88"?> 78 Correspondance de Goll, 1939-1947 406 Ce Jean sans Terre est noté à la main. 407 José Maria de Heredia (1842-1905) naît sur une plantation de café près de Santiago de Cuba. L’un de ses poèmes, de 1860, écrit à La Havane s’arrête sur un monument situé dans un parc de la capitale et dédié au passé précolombien qu’une « forme » féminine incarne. Celle-ci est pour le poète, à la troisième strophe, « [s]a belle Indienne », prête à s’offrir, que l’arrivée du civilisé va « éveill[er] » de sa pureté « virginal[e] », dans ce « paysage de Heredia » qui retient de l’île « [s]es palmiers si beaux », « la voix de [s]es ruisseaux » et « [l]es murmures d’amour de [s]es nuits lumineuses ». José Maria de Heredia, « À la fontaine de la India », Poésies complètes, Paris : Archives Karéline - L’Harmattan, 2009, p. 221. 408 Les titres des journaux sont pleins de la capitulation du Danemark. 409 Référence est faite ici au Tristan de la Saga norroise du XIII e siècle. Les hirondelles voltigent autour de la cathédrale et dans les bosquets de tamaris du couvent, où dorment les pierres. Je vous envoie en léger chant de flûte Jean sans Terre 406 Et vous, envoyez-moi bientôt vos nouveaux poèmes à la forme plus dure : ils conviendront bien à ce paysage de Heredia. 407 Il y a d’ailleurs des centaines de poètes ici, des jeunes revues tonitruantes, l’enthousiasme est partout, malgré une pauvreté générale. Je vous en parlerai prochainement. Envoi 10, Goll à William Carlos Williams, 12 avril 1940 : La Havane, April 12, 1940 Mon cher William Carlos Williams, (Suite de ma lettre d’hier) Paradis qui se transforme en inferno. Les nègres parcourent les rues et annoncent avidement l’effondrement de l’Europe. 408 Ce pays du rêve s’enfonce dans les eaux magiques où aimèrent et souffrirent les plus purs des hommes : Hamlet et Tristan. 409 Impossible de s’allonger au soleil. Derrière le gros dos de la mer, là-bas, s’accomplit le destin de toute l’humanité. Deux mille ans vont s’engouffrer dans le silence de l’oubli. Je suis si triste, si triste. Je croyais qu’il y avait encore des choses à découvrir, des fruits, des femmes, des danses, mais la certitude monte en moi que tout désir est inutile et caduc. Et ce qu’il a de pire, c’est la certitude que toute volonté d’aider et de servir est vaine, comme contre le hurricane. À l’origine de ce désastre fut la bêtise des hommes. Et cela vous prive même de la pitié. <?page no="89"?> 79 Correspondance de Goll, 1939-1947 410 L’allusion porte sur l’agence de voyage Thomas Cook, dont les premiers voyages, organisés d’Angleterre par le fondateur du même nom, remontent aux années 1840. 411 Comme dans la lettre précédente à Williams, Jean sans Terre est noté à la main. 412 La Havane est déjà perçue au milieu du XIX e siècle par Rosemond de Beauvallon comme un lieu où « on ne saurait croire combien » « [l]es poètes » « sont nombreux ». J.-B. Rosemond de Beauvallon, Un Français à Cuba en 1842, op. cit., p. 90. Passé une dizaine d’années plus tôt par Cuba, Eugène Ney écrit, dans un jugement aussi hâtif que celui de Goll, « tout le monde est musicien à La Havane », de retour dans la rue à la sortie de l’Opéra. Eugène Ney, « Visite récente à l’île de Cuba », Revue des deux mondes, 4, 1831, pp. 425-463 (p. 437). Connaissez-vous cette histoire d’un émigrant qui, chez Cook, après avoir tourné, tourné pendant une demi-heure une mappemonde, demande à l’employé : « Monsieur, n’en auriez-vous pas une autre ? » 410 De plus en plus votre Jean sans Terre 411 Envoi 11, Goll à Louise Bogan, 13 avril 1940 : Havana (Cuba) Hôtel Royal Palm April 13, 1940 Chère Louise, Cuba est le pays de la poésie. Si la poésie est l’art des contrastes. (Comme le vent est la lutte du chaud et du froid) Pour moi, le contraste est le choc qui produit la surprise. D’une part, Cuba offre ces paysages d’une beauté et d’une abondance bibliques : au milieu des terres rouge-ocre, des champs de tabac sous le scintillement des palmiers - éventails, on voit surgir des hommes nus, à dos de mulets, un panier d’ananas devant, une fillette derrière, et traînant un coq au bout d’une ficelle… C’est la richesse de la nature, et la profonde misère des hommes. Nulle part, on ne peut être aussi pauvre. Des êtres magnifiques ne portent qu’un pantalon de toile, et celui-ci est en vingt loques. J’ai vu un marchand de journaux, qui n’avait que deux numéros près de lui, allongé sur le sol devant le Capitole pompeux, mâchonnant un citron et un bout de vieux cigare - qui écrivait sur un sac de papier un : sonnet ! Car tout le monde est poète ici. 412 Il y en a des centaines. Les journaux publient des vers tous les jours. Alors, ma chère Louise, vous pensez bien que moi aussi je me suis mis à écrire un « Jean sans Terre à Cuba ». <?page no="90"?> 80 Correspondance de Goll, 1939-1947 413 Une recherche resterait à faire à la radio ou dans les journaux cubains sur la réception de Goll à La Havane. 414 Clark Mills McBurney (1913-1986), plus simplement appelé Clark Mills. Les papiers de Clark Mills n’ont pu être retrouvés, à l’exception d’un petit Fonds à Washington University (Saint-Louis), où il a étudié le français dans les années trente. 415 John Hall Wheelock (1886-1978) devient directeur de Charles Scribner and Sons à partir de 1932. Dans son unique lettre à Ivan Goll conservée par le Fonds Goll, et datée du 8 février 1940, Louise Bogan ajoute un mot d’introduction pour Goll auprès de Wheelock qui pourrait lui proposer des travaux de catalogage à Scribner’s et aurait manifesté un intérêt à connaître son œuvre. Bogan suggère ainsi à Goll de prêter à Wheelock ses volumes de Jean sans Terre. 416 Les « Chansons malaises » vont paraître, traduites par Clark Mills, sous le titre « Songs of a Malay Girl », à 200 exemplaires, dans The Swallow Pamphlets, 5, Albuquerque : Alan Swallow, 1942. 417 L’écrivain Frederick W. Dupee (1904-1979) est literary editor de New Masses, avant de participer, avec une équipe éditoriale comprenant le journaliste Dwight Macdonald (1906-1982), à la relance de la Partisan Review lorsque la revue s’éloigne du Parti Communiste en 1937. Dupee a enseigné longtemps à Columbia. 418 Il s’agit de l’ouvrage de Marcel Raymond (à ne pas confondre ici avec Louis-Marcel Raymond, confusion qui se produit généralement dans l’autre sens), De Baudelaire au Surréalisme, publié en 1933 à Paris aux éditions Corrêa. D’ailleurs j’ai beaucoup d’amis ici. J’ai été reçu officiellement au bateau. On m’interviewe. 413 On me demande des conférences. Et l’on traduit « Jean sans Terre ». Mais à propos : que devient New York ? Je ne peux plus imaginer un ciel gris, un vent aigre, comme près de votre Washington Bridge. Comment s’est passée votre entrevue avec Clark Mills 414 ? Je vous ai envoyé ce grand garçon blond, dans l’espoir d’un contact électrique entre les deux poètes que vous êtes. La veille de mon départ, il était allé chez Wheelock 415 et lui avait porté les « Chansons malaises » 416 : au téléphone, le dernier jour, il m’annonça même qu’il avait espoir que Scribner’s s’y intéresserait. Et la Partisan Review ? Êtes-vous maintenant co-editor ? Mais même si vous ne l’êtes pas, pourriez-vous vous informer chez Dupee 417 si mon poème paraîtra réellement dans le N° de mai-juin ? J’aimerais beaucoup que cela ne traîne pas. On est si vite oublié quand on est loin - à Cuba ! Mais j’espère ne pas être oublié de vous. Je pense souvent à vous et je me demande, ce que vous écririez ici. Vous avez tort de voyager si peu. Les nouvelles visions sont si importantes. Je crois que ma première lettre d’ici était idiote - mais elle s’adressait à une vraie amie. Croyez-moi toujours fidèlement vôtre, Ivan P.S. On me demande ici une conférence sur la jeune poésie française. N’ayant que peu de livres à ma disposition, pourriez-vous m’envoyer le plus tôt possible votre Marcel Raymond ? 418 Merci à l’avance. <?page no="91"?> 81 Correspondance de Goll, 1939-1947 [Carte postale montrant, au dos, une scène de rumba, dans un décor de comparsa] Envoi 12, Goll à Louise Bogan, 16 avril 1940 : Habana (Cuba) Hôtel Royal Palm April 16, 1940 Mrs. Louise Bogan 709 West 169 St. New York City USA Chère Louise, Malgré la chaleur, malgré le soleil, les Cubains dansent dansent la rumba folle et boivent le feu doré du rum. Pour oublier leur misère, ils jouent à la loterie et chaque mendiant a tous les jours de l’espoir. Que n’êtes-vous ici pour oublier tout ce qui pèse, pour vous oublier… Amicalement Ivan <?page no="92"?> 82 Correspondance de Goll, 1939-1947 419 Cette association du fruit, de la surprise et de la femme, tous réunis par le goût, rapproche Goll et Breton, pour lequel, « à l’échelle des saveurs, les étranges fruits éveillent toutes les surprises [...] de l’inéprouvé ». La citation de Breton provient du court poème en prose « La Providence tourne », qui fait partie de l’ensemble « Des épingles tremblantes », paru dans le même numéro d’Hémisphères que « Cuba, corbeille de fruits », et plus tard repris dans Martinique charmeuse de serpents. André Breton, Œuvres complètes, vol. 3, op. cit., p. 381. 420 Cette vision revient chez Goll, encore plus travaillée par un exotisme lui-même caricature d’exotisme, quand la « Parmenia de Cuba » décline ses origines : « Je suis l’Arbre Central/ Au feuillage habité par tous les vents/ A la fleur noir-blanc-rougejaune/ Assaisonnée de Chine épicée de nègre sucrée d’Espagne huilée d’indien ». Yvan Goll, « Parmenia de Cuba. Calle Animas et Calle Virtudes », Die Lyrik… - IV, op. cit., p. 137. C’est aussi, dans « Cuba, corbeille de fruits », avec les stéréotypes les plus fermes sur les différents peuples, « la femme rouge-noire-jaune-blanche », qui « contient les piments rouges de l’Indienne, le feu noir de la Négresse, le songe jaune de la Chinoise et la grâce blanche de l’Espagnole ». Yvan Goll, « Cuba, corbeille de fruits », Hémisphères, op. cit., p. 23. 421 Nicolas Guillén (1902-1989), journaliste, poète, activiste cubain. Des traductions de Guillén par Yvan Goll, « Discours sur le tropique » et « Chaleur », paraissent dans Hémisphères, 2-3, Fall-Winter 1943-1944, pp. 28-30. Envoi 13, Goll à Louise Bogan, 5 mai 1940 : La Habana (Cuba) Hôtel Royal Palm May 5, 1940 Chère Louise, Après 4 semaines, le charme de Cuba continue encore à agir. Malgré que le vernis de la nouveauté se soit un peu effrité, toutes les louanges de mes premières lettres sont encore valables. Les fruits continuent à être pleins de surprises, et les femmes succulentes. 419 Ce croisement des races espagnole, chinoise et nègre donne des résultats surprenants. 420 Il y a ici une beauté féminine que je n’ai soupçonnée nulle part. Je vous parle en camarade, je vous avoue mes subtils émois. Mais cela ne va pas sans drames, et j’ai avec Claire, plus jalouse que jamais, des démêlés exaspérants, quoique je prenne tous les égards envers elle et que je me rende très malheureux, sans pouvoir lui garantir le bonheur. Mais figurez-vous que les filles ici passent près de vous, comme des bouquets de camélias, ou comme des palmiers, ou comme des figurines chinoises - et vous n’avez qu’à tendre la main, elles sont à vous. C’est à vous rendre fou. Avec cela, nous avons de nombreux amis - poètes qui font tout pour nous rendre la vie agréable. Il y a d’excellents poètes ici qui ont inventé la « poésie afro-cubaine » et qui utilisent des rythmes primitifs pour une poésie populaire très raffinée qui n’ignore pas le surréalisme. Deux poètes surtout de grande valeur : Nicolas Guillén 421 <?page no="93"?> 83 Correspondance de Goll, 1939-1947 422 Emilio Ballagas (1908-1954), poète et essayiste cubain. De Ballagas, on trouve la traduction d’Yvan Goll, « Elégie de María Chacón » dans Hémisphères, 2-3, Fall-Winter 1943-1944, p. 32. 423 Il s’agit probablement de Ben Frederick Carruthers, de l’University of Illinois, qui en 1941 achève sa thèse sur The Life, Work and Death of Plácido et, en 1948, avec Langston Hughes, traduit des poèmes de Guillén sous le titre Cuba Libre. 424 Teodoro Ramos Blanco (1902-1972), sculpteur cubain. 425 Dans « Premier Mai à La Havane », de 1940, on retrouve « [l]es conducteurs d’autobus agiles comme des singes ». Yvan Goll, « Premier Mai à La Havane », Die Lyrik… - IV, op. cit., p. 152. 426 « Jean sans Terre à Cuba » paraît à La Havane dans Espuela de Plata. Cuaderno bimestral de Arte y Poesia dans le numéro d’avril-juillet 1940, pp. 1-2. Une traduction en espagnol, par Manuel Altolaguirre et Bernardo Clariana, de Jean sans Terre est publiée à La Havane en 1941, La Canción de Juan sin Tierra. 427 La Partisan Review publie « Jean sans Terre traverse l’Atlantique », 7, 4, July-August 1940, pp. 290 et 292. 428 Les principaux écrits en vers sur la période passée à Cuba sont les poèmes de « Parmenia ». et Emilio Ballagas 422 . D’ailleurs il y a déjà un jeune professeur de Chicago ici, qui fait une étude ici sur cette poésie afro-cubaine, et la traduit. 423 L’influence nègre est ici primordiale, et donne des résultats qui me plaisent : du coloris, de la naïveté, de la gaîté, bref de cette vie qui manque aux civilisés endormis. Hier j’étais chez le sculpteur nègre Ramos Blanco 424 , qui a enfin le courage de faire grand, et surhumain. Un garçon très fin et très puissant à la fois. Tout le monde ici est agile, vif. Les conducteurs d’autobus ont un sens de la vitesse, comme les panthères. C’est un ravissement ici de voyager ici en autobus : comme dans un numéro de cirque, ils font des prouesses vertigineuses dans les ruelles étroites de la Havane. 425 C’est d’ailleurs une très grande ville, 800 000 habitants : donc pleine de ressources inépuisables. Naturellement, j’ai écrit « Jean sans Terre à Cuba » qui va paraître en français et traduit en espagnol ce mois-ci, dans une petite revue d’ici. 426 J’aurai réussi ici après 1 mois, ce qui ne m’aura pas été donné d’atteindre à New York après 6 mois : car Macdonald m’a écrit que « Jean sans Terre traverse l’Atlantique » a été renvoyé au prochain numéro. 427 Vous voyez, chère Louise, que j’avais raison d’avoir des appréhensions et de vous demander de vous enquérir si mon poème paraîtrait dans le N° de Mai. Les absents ont toujours tort. Dès qu’on tourne le dos, on est oublié. Mais bah - j’ai beaucoup travaillé ici. J’écris un « Journal Cubain » en vers. 428 Je crois qu’il y aura quelques jolis poèmes, quoique je l’écrive surtout, pour ne pas être obligé de le rédiger en prose ennuyante. Pour la première fois dans ma vie, je n’ai pas vu une violette ce printemps : comme c’est reposant ! Comme le mariposa est plus vif et plus passionné ! <?page no="94"?> 84 Correspondance de Goll, 1939-1947 429 On peut supposer qu’il s’agit de l’ouvrage de Jean Cassou, Pour la poésie, publié à Paris par Corrêa en 1935, et qui réunit huit années de contributions par Cassou aux Nouvelles littéraires. Je vous ai beaucoup parlé de moi. Écrivez-moi de vous. Merci pour le livre de Cassou 429 : la conférence est remise pour le moment. Je vous envoie une gerbe de jasmin, Ivan Écrivez à l’adresse, Hôtel Plaza La Habana (Cuba) Envoi 14, Goll à William Carlos Williams, 30 mai 1940 : [Carte postale, avec cachet de la poste du 30 mai 1940] St. George Hotel Brooklyn, NY De retour de Cuba hélas ! Quand vous verrai-je enfin ? Ivan Goll Envoi 15, Goll à James Laughlin, 28 juin 1940 : 136 Columbia Heights Brooklyn New York 28 juin 1940 Cher Monsieur Laughlin, Je me proposais de vous écrire depuis longtemps. Des amis me pressaient de vous envoyer des manuscrits. Je crois d’ailleurs que vous avez reçu mes livres de Paris. Si je ne me décide qu’aujourd’hui à vous écrire, c’est que j’attendais d’avoir quelque chose à vous offrir. Je possède maintenant quelques bonnes traductions de certains poèmes, dues à M. Clark Mills, qui est aussi, je crois, votre collaborateur. <?page no="95"?> 85 Correspondance de Goll, 1939-1947 430 Delmore Schwartz (1913-1966), poète, écrivain et universitaire, lié à la Partisan Review qu’il dirige de 1943 à 1947, et à laquelle il reste associé jusqu’en 1955. Le poème auquel j’attache le plus d’importance s’appelle Jean sans Terre. Trois volumes de Jean sans Terre ont paru à Paris, ces dernières années. Je compose en ce moment le 4 e . Clark Mills en a traduit des extraits. « John Landless Crosses the Atlantic » paraîtra dans le prochain numéro de Partisan Review, avec une introduction de Louise Bogan. Ci-inclus, je vous envoie « John Landless Cleansed by the Void », en même temps que le texte français. Je serais heureux si vous vouliez le publier dans New Directions. Les deux textes, français et anglais, sont inédits. Dès que je serai en possession d’un envoi attendu mais hypothétique de Paris, je me ferai un plaisir de vous envoyer mes livres français. S’ils n’arrivent pas, je prierai une des personnes qui les possèdent, comme Delmore Schwartz 430 , de vous les prêter. Avez-vous vu Eugène Jolas, dernièrement ? Agréez, cher Monsieur Laughlin, l’expression de mes meilleurs sentiments, Ivan Goll <?page no="96"?> 86 Correspondance de Goll, 1939-1947 431 Romains arrive à New York à bord de l’Excambion, en provenance de Lisbonne, le jour de cette lettre de Goll, le 15 juillet 1940, en même temps que Darius Milhaud et le cinéaste Julien Duvivier. Olivier Rony, Jules Romains ou l’appel au monde, op. cit., p. 501. Comme l’indique Goll, Julien Green lui aussi fait partie des 144 passagers du bateau, qui transporte encore, selon le New York Times du 16 juillet, une large cargaison d’or du Portugal. Romains descend du bateau avec des mots catégoriques sur le devenir de la France sous occupation allemande : Il est impossible que la France se tourne vers le fascisme ; l’immense majorité de la France est contre le fascisme ; il n’y a rien sur lequel il puisse se greffer ; il sera impossible dans les faits d’établir un régime comparable au fascisme, « It is impossible that France should go fascist. [...] The immense majority of France is against fascism. There is no basis in the country for it. It will be materially impossible to establish anything comparable to a fascist regime ». Le journal note que les autres passagers venus de France ont préféré demeurer muets sur le sujet, « preferred to remain silent on the subject », et qu’ils ne tenaient pas non plus, pour diverses raisons sans doute, à expliquer comment ils étaient parvenus à avoir droit de passage sur le bateau. « Celebrities Forced to Flee France Arrive Here by Way of Lisbon », The New York Times, 16 juillet 1940, p. 19. 432 Les Maeterlinck arrivent à New York le 12 juillet 1940, comme le note Gaston Compère, Maurice Maeterlinck, Paris : La Manufacture, 1990, p. 73. Dès son arrivée, Maurice Maeterlinck fait figure d’antiquité fin de siècle dans l’image saisissante de Jeffrey Mehlman, le « doyen of the French literary community in New York, as close to an 1890s literary antique as one might hope to behold ». J. Mehlman, Émigré New York : French Intellectuals in Wartime Manhattan (1940-1944), Baltimore : The Johns Hopkins UP, 2000, pp. 45-46. Un des endroits hantés par Maeterlinck et son œuvre était un restaurant newyorkais, situé en face de Central Park, dont l’une des salles avait été transformée en « scènes » de L’Oiseau bleu. Voir Patrick Mahony, The Magic of Maeterlinck, New York : Kraus Reprint, 1969, p. 159. Voir aussi, sur ce cadre aux images de Mytyl et Tyltyl, et pour d’autres détails de la vie de Maeterlinck en exil à New York, Wilfred D. Halls, Maurice Maeterlinck : A Study of His Life and Thought, London : Oxford UP, 1960, pp. 152-162. Envoi 16, Goll à René Taupin, 15 juillet 1940 : 15 juillet [1940] Cher ami, Que dites-vous de ce nouvel arrivage d’esprit ? Jules Romains, Julien Green, Milhaud, Duvivier 431 ... Si maintenant nous ne faisons pas une revue de grand style ! J’ai parlé à Mélisande Maeterlinck. 432 On les aura tous ! Donc à jeudi 6h30. Votre ami Ivan Goll <?page no="97"?> 87 Correspondance de Goll, 1939-1947 433 Saul Colin s’affaire à différentes activités dans le monde du théâtre et du cinéma, travaille auprès de Pirandello dans les années trente et devient l’agent littéraire de Maeterlinck aux Etats-Unis. Goll mentionne ailleurs encore Colin, le 12 août 1940, à Maritain, le montrant impliqué dans la création de La France en Liberté et prêt, avec Goll, à rencontrer Maritain pour lui parler de cette revue. Lettre d’Ivan Goll à Jacques Maritain, du 12 août 1940. Fonds Goll. 434 Le 19 janvier 1940 est sorti dans les cinémas de New York The Blue Bird, adaptation hollywoodienne de la pièce de Maeterlinck, L’Oiseau bleu, dans une réalisation de Walter Lang, avec Shirley Temple, Johnny Russel et Gale Sondergaard. Il semblerait que, quelques jours après l’arrivée de Maeterlinck, un visionnement particulier ait été organisé en sa présence. Claire Goll évoque cette « projection privée du film », mêlée à d’autres souvenirs de la période sur Maeterlinck, dans La Poursuite du vent, op. cit., p. 236. De la lettre de Goll à Maritain, le 12 août 1940, il semble que Saul Colin ait eu sa part dans la tenue de cette séance de cinéma, lui qui s’applique, selon Goll, à donner à la présence de Maeterlinck à New York un retentissement. Lettre d’Ivan Goll à Jacques Maritain, du 12 août 1940. Fonds Goll. 435 Né Antoine Cierplikowski (1884-1976), le coiffeur Antoine a, dans les années 1940, toute une chaîne de salons à son nom aux Etats-Unis, où il travaille occasionnellement pour le cinéma. Son débarquement le plus récent à New York est noté le 13 janvier 1940 par le New York Times, p. 17. 436 Voir aussi le mot humoristique en anglais qu’Ivan Goll griffonne pour sa femme un jour de 1940 avant de sortir : « Three times in the week, I take english lessons [...] Now I must go to school ». Claire Goll et Iwan Goll, Meiner Seele Töne..., op. cit., p. 258. Ces Envoi 17, Goll à René Taupin, 19 juillet 1940 : 136 Columbia Heights Brooklyn July 19, 1940 Cher ami, J’ai été ce matin chez ce Colin 433 , pour lui dire ce que nous avions décidé. Il a paré le coup très gentiment. Il a seulement demandé que nous publiions aussi un article de… lui. C’est le comble, mais j’ai dit : naturellement. Là-dessus, il m’a tout de suite invité à une projection du film L’Oiseau bleu, avec Shirley Temple, où j’ai en effet pu parler à Maurice et Mélisande Maeterlinck. 434 Quelle désillusion, ce poète tout à fait décrépit, et cette femme qui ne laisse personne l’approcher, et ce film qui est une honte. Il commence dans une famille de bons Tyroliens, et la petite Mytyl fronce tout le temps les sourcils comme une futée du Broadway. À la sortie, Maeterlinck m’a dit qu’il n’avait pas emporté une feuille de papier. Bon. Mais il m’a promis sa collaboration. Le coiffeur Antoine 435 est témoin... ayant aussi assisté à la scène. Donc vous pouvez être tranquille, quoi ? Et son nom nous est acquis. J’ai écrit à Thomas Mann, Jules Romains, etc. J’ai l’impression que notre entreprise ira très loin, à juger par les exclamations des gens auxquels j’en parle. Quant à notre expédition à Chinatown, cela ne vous dérangera-t-il pas de la remettre à mercredi, car nous nous sommes rappelé après votre départ que nous prenons des cours d’anglais le mardi et le jeudi soir. 436 <?page no="98"?> 88 Correspondance de Goll, 1939-1947 leçons d’anglais deux ou trois fois par semaine sont intéressantes pour plusieurs raisons, allant de l’utilitaire au poétique, et contrastent avec le refus délibéré d’André Breton de laisser l’anglais se mêler à son français, même si des traces existent d’un Breton écrivant en anglais dans sa correspondance newyorkaise. Parmi les lettres menant à la publication de Fata Morgana dans le numéro 6 de 1941 de New Directions in Prose and Poetry, figure une lettre du 18 novembre 1941, de Breton à un « Mr. Bellenson », rédigée dans un anglais calqué sur le français et où Breton demande que lui soit envoyée une deuxième série d’épreuves conforme à ses instructions. Trois autres lettres de 1941, en français, adressées par Breton à James Laughlin durant l’été, complètent le dossier Fata Morgana. En 1944, Breton écrit deux fois à Laughlin, de Percé puis de New York, mettant fin, dans sa seconde lettre, du mois de décembre, au projet de publication en anglais de Nadja et réclamant alors sa copie du roman, la seule qu’il possède. Collection New Directions. Dans le même moment, pris par le projet de photographier les lieux de son enfance à Brooklyn, Henry Miller demande à Goll de lui prêter une copie de Nadja. Lettre d’Henry Miller à Yvan Goll, du 7 juillet 1944. Miller Papers. 437 Par la date de cette lettre, on peut supposer que Goll évoque le « Prospectus » pour La France en Liberté. 438 Rolfe Humphries (1894-1969), de son vrai nom George Rolfe Humphries, traducteur apprécié des poètes, poète lui-même et classiciste. 439 Humphries traduit le poème de Lorca, « Poeta en Nueva York », dans Federico García Lorca, The Poet in New York and Other Poems, trad. R. Humphries, New York : Norton, 1940. Envoyez-moi s.v.p. quelques exemplaires de votre programme 437 , et croyez aux meilleurs sentiments de nous deux, Ivan Goll Envoi 18, Goll à Rolfe Humphries 438 , 10 août 1940 : 136 Columbia Heights Brooklyn, NY Aug. 10, 1940 Cher Monsieur, Je vous écris sur l’initiative de notre excellente amie commune, Louise Bogan, qui m’a beaucoup parlé de vous et m’a prêté votre traduction de García Lorca. 439 Quel grand livre ! Quelle révélation ! Ce garçon de génie est venu découvrir un New York sauvage, inconnu à la plupart des poètes américains eux-mêmes : ils doivent se frapper le front et se dire : tout de même ! Puis-je ajouter sans blasphème que bien des fois la version anglaise me plaît mieux que l’original ? Parce que la langue anglaise est plus précise et plus fluide, tandis que l’espagnol, plus incantatoire assurément, est aussi gêné par des tours de phrases grammaticaux, qui alourdissent les bondissements du poète. Il en est de même, d’ailleurs, pour la langue française. Je m’en rends compte, en ce moment, où l’on vient de traduire différents poèmes de Jean sans Terre. Je me <?page no="99"?> 89 Correspondance de Goll, 1939-1947 440 Il n’y a pas trace de la traduction d’un poème de Goll par Humphries. 441 Cette lettre a paru dans le catalogue de l’exposition tenue du 9 mai au 10 juin 1973 au Gutenberg-Museum zu Mainz, Yvan und Claire Goll. Bücher und Bilder, ed. Barbara Glauert, Mainz : Verlag Philipp von Zabern, 1973, p. 70. 442 La lettre que Williams envoie à Goll le 2 juin 1940 mentionne une autre lettre à venir deux semaines plus tard pour décider d’une rencontre. Si cette lettre a été écrite, elle n’est pas connue. Pour la lettre du 2 juin, voir William Carlos Williams, « Five Letters to Yvan Goll », Stony Brook, op. cit., p. 368. 443 Le poème paraît, avec sa traduction en regard effectuée par Goll et Clark Mills, dans le numéro de juillet-août 1940 de la Partisan Review. 444 Williams répond, dans sa lettre du 3 septembre 1940, qu’il a bien vu le prospectus annonçant la création de La France en Liberté. Fonds Goll. Il a, du reste, préparé deux ou trois contributions pour la revue, comme on l’apprend de sa lettre du 2 octobre 1940 à permets de vous envoyer le III e volume, en m’excusant de ne pas y joindre aujourd’hui les deux premiers, dont j’attends encore un envoi de France. Différents directeurs de magazine me demandent des traductions, mais je n’en ai pas. Clark Mills, qui a traduit le poème de Partisan Review, est trop occupé en ce moment. Seriez-vous tenté par un poème quelconque ? 440 Louise Bogan m’a d’ailleurs promis qu’elle nous réunirait, lorsque vous passerez de nouveau par New York. En attendant, recevez, cher Monsieur Humphries, l’expression de mes meilleurs sentiments, Ivan Goll Envoi 19, Goll à William Carlos Williams, 30 août 1940 441 : 136 Columbia Heights Brooklyn, New York August 30, 1940 Mon cher William Carlos Williams, Votre long et inexplicable silence commence à m’inquiéter, après qu’au mois de juillet, ou même de juin, vous m’aviez promis « qu’on se verrait dans quelques jours ». 442 À force d’attendre, on s’habitue à l’attente, et l’on souffre, au lieu de prendre la plume et d’écrire soi-même. Finalement, les suppositions les plus folles me viennent à l’esprit : W.C.W. est-il fâché contre moi ? Lui a-t-on monté la tête ? Ai-je quelque part des ennemis inconnus ? Peut-être vous imaginez-vous que je vous ai caché quelque chose - en attendant simplement votre arrivée pour m’ouvrir à vous tout entier ? N’avez-vous pas aimé la publication de « Jean sans Terre traverse l’Atlantique » dans Partisan Review ? 443 Taupin vous a-t-il raconté à sa façon nos projets d’éditer La France en Liberté, projets arrivés à un point mort, lorsque je déclarai qu’en principe, un magazine, comme je l’envisage, devrait s’abstenir de tomber dans la politique et dans la polémique ? 444 <?page no="100"?> 90 Correspondance de Goll, 1939-1947 Zukofsky. The Correspondence of William Carlos Williams and Louis Zukofsky, op. cit., pp. 272-273. Quelques mois plus tard, Williams signale à Calas, dans une lettre du 29 décembre 1940, l’effondrement de la revue et, curieux de connaître l’avis de Calas sur l’un des articles qu’il avait préparés pour cette publication défunte, se dit prêt à le lui envoyer dès qu’il le récupérera. Calas Archive. 445 « Jean sans Terre nettoyé par le vide » sort une première fois chez Tandem Editions en 1940. Accent le publie de nouveau, à l’été 1942, toujours dans la traduction de Clark Mills. 446 Goll fait allusion au numéro de New Directions in Prose and Poetry de 1940, « Values in Surrealism ». 447 Dans ses lettres à Louise Bogan, Goll ne communique ni réserves, ni désapprobation à ce sujet. 448 Le « rien » ou le « pas » semble de trop dans la formulation. 449 La lettre du 4 décembre 1940 de Williams à Calas fait écho à cette remarque de Goll. En effet, Williams déclare à Calas s’intéresser peu à la distinction auteur-traducteur, Et sans doute attendiez-vous que je vous entretienne à mon tour de cette entreprise ? Tout cela serait de peu d’importance, si nous avions eu un entretien d’une heure, et si nous avions pu échanger des pensées, que depuis toute une vie, nous avons omis de communiquer. Enfin il reste une troisième supposition : j’ai envoyé à James Laughlin votre traduction de « John Landless leads the Caravan ». Je crois que je vous avais annoncé jadis mon intention d’envoyer le poème à Poetry de Chicago, et vous ne vous y êtes pas opposé. Plus tard, j’ai pensé que New Directions était bien plus important. Et j’ai aussi envoyé un autre poème inédit « Jean sans Terre nettoyé par le vide » et sa traduction par Clark Mills. 445 Je n’ai pas reçu de réponse de Laughlin, ce qui m’étonne aussi beaucoup. Je sens de ce côté une certaine résistance, qui me semble étrange également. Je me demande si les Surréalistes, dont il prépare une anthologie, n’y sont pour quelque chose. 446 En tout cas, je sais que Nicolas Calas est entré dans une violente colère à la lecture de la « Note on Jean Sans Terre » par Louise Bogan, dans Partisan Review de July-August, où elle écrit des choses vraiment faites pour déplaire aux Surréalistes, mais pour lesquelles, au fond, je ne suis nullement responsable ! 447 En ce moment donc, les Surréalistes ont une place favorite à New Directions. Estce pour cela que Laughlin me boude ? D’ailleurs, je ne suis pas du tout antisurréaliste : au contraire, je me sens aussi surréaliste que beaucoup dans le groupe, sans en faire partie officiellement. Il se peut que toutes ces suppositions soient erronées, et que de toutes ces élucubrations bien françaises, rien ne soit pas possible 448 dans cette grande et franche Amérique. En effet, l’accueil des Américains est si généreux, et vous-même m’en avez donné un exemple si sensible, que j’ai honte maintenant de ces craintes mièvres. Je montre à tout le monde votre belle traduction de « John Landless leads the Caravan », dont je suis si fier. Mon Dieu, que cette question des traductions est donc difficile. Le traducteur est toujours quelqu’un qui se sacrifie et qui se soumet. 449 Et les poètes ont leurs propres <?page no="101"?> 91 Correspondance de Goll, 1939-1947 cherchant surtout, par chacun de ces actes d’écriture, à faire passer dans la forme ce qu’il souhaite vraiment dire. Calas Archive. L’importance de ce passage pour l’œuvre de Williams est relevée par Dickran Tashjian, « Translating Surrealism : Williams’ ‹ Midas Touch ›», William Carlos Williams Newsletter, op. cit., pp. 4-5. Voir aussi Christopher MacGowan, qui prend également en compte la réponse de Calas, le 6 décembre 1940. C. MacGowan, «‹ Sparkles of Understanding ›», William Carlos Williams Review, op. cit., p. 86. 450 Goll tente d’arranger pour Clark Mills des références pour l’obtention d’une bourse Guggenheim, qui permettrait à Mills de quitter un moment ses fonctions universitaires et, du même coup, d’avoir plus de loisir pour la traduction des « Jean sans Terre ». Voir la lettre de Goll aux écrivains irlandais installés en Amérique Mary et Padraic Colum, du 5 septembre 1940, conservée dans la Colum Collection. Padraic Colum deviendra, en 1953, le président de la section américaine de la Société des Amis d’Yvan Goll, dont sont membres aussi beaucoup de personnalités de cette étude, Carmody, Williams, Deutsch, et parmi les plus proches, Mills et Bogan, qui en 1958 va visiter avec Claire Goll la tombe du « poor Ivan » au Père-Lachaise, sans laisser passer l’occasion d’une réflexion « macabre » sur l’attitude de Claire, selon Bogan débordant d’orgueil à l’idée de cet aboutissement final, car elle aussi ferait partie un jour de cette enceinte célèbre, « bursting with pride over this final outcome - for she, too, will one day be included in this famous precinct ». Lettre de Louise Bogan à Morton Zabel, du 27 août 1958, What the Woman Lived, op. cit., pp. 313-314 (p. 314). 451 C’est le poème traduit par Williams sous le titre « John Landless at the Final Port », publié par The Nation en janvier 1941. 452 Goll parvient à faire publier une « trilogie » de poèmes de « Jean sans Terre », traduits par lui-même et Clark Mills, dans Diogenes, en décembre 1940-janvier 1941, dont une version de « John Landless leads the Caravan ». Il avait approché, le 9 octobre 1940, George Dillon à Poetry avec deux poèmes, dont « John Landless haunts the Boulevard », qui finit par prendre place dans la série de Diogenes ; le second, « John Landless is Landsick », est retenu par Poetry pour son numéro de janvier 1941. La lettre de Goll à Dillon, du 9 octobre 1940, se trouve dans les Poetry Records. chimères qui les tourmentent. Ainsi, Clark Mills, qui est professeur à Cornell, Ithaca, ne peut aussi me consacrer que peu de temps. 450 De désespoir, savez-vous ce que je viens de faire ? Je viens de traduire moi-même mon dernier poème : « Jean sans Terre aborde au dernier Port », et je suis tout à fait confus du résultat. 451 Je vous l’envoie ci-inclus, et je vous serais très reconnaissant de me dire très franchement ce que vous en pensez. J’aurais voulu envoyer ce poème aussi à Laughlin, de sorte qu’il ait ainsi une petite trilogie, dont je vous soumets ci-inclus aussi les 2 autres pièces. 452 Nous habitons maintenant à Columbia Heights, régnant ainsi sur tout le port de New York, de Brooklyn Bridge à la Statue of Liberty. Je lui dois « Le Dernier Port ». Viendrez-vous un jour contempler cette vue unique ? Croyez-moi très affectueusement votre Ivan Goll <?page no="102"?> 92 Correspondance de Goll, 1939-1947 453 Zukofsky, qui habite East 180th Street à New York, s’installera un peu plus tard sur Columbia Heights, à deux minutes à pied de chez Goll qui, demeurant dans cette rue, vit, comme un écho à Cuba, au coin de Pineapple Street, qui a pour rues parallèles Orange Street puis Cranberry Street. 454 Parmi les papiers annonçant la parution de La France en Liberté conservés dans la Zukofsky Collection (Texas), on retrouve l’état ancien du questionnaire évoqué par Goll, type d’enquête comportant trois questions sur la « France républicaine », celle du régime de Vichy (la survie de la culture française sous « régime totalitaire ») et celle de l’avenir ou de la « reconstruction ». Sur la feuille portant le titre « Prospectus », « M. Baudoin », ou plus précisément Paul Baudouin, ministre des affaires étrangères du gouvernement de Vichy jusqu’en octobre 1940, est décrié pour des calomnies prononcées contre les Anglais, dans des remarques qui le désolidariseraient du reste des Français, qui ne l’ont jamais choisi comme porte-parole, « who never chose him for their spokesman ». Documents de La France en Liberté, Zukofsky Collection (Texas). 455 Maurois ne semble pas avoir paru dans la Saturday Evening Post à cette époque. Il est possible que les propos de Goll et, par ailleurs, les souvenirs de Goffin, où Maurois aurait perçu « 20 000 dollars », se fondent sur une rumeur et peut-être sur le spectacle Envoi 20, Goll à René Taupin, 12 septembre 1940 : 136 Columbia Heights Brooklyn Sept. 12, 1940 Mon cher Taupin, Pendant votre absence, j’ai vu Zukofsky 453 , qui, dans une lettre touchante, m’avait exprimé son regret de notre désaccord qui, pensait-il, ne pouvait pas être profond, puisque, ensemble, nous étions partis d’une idée jaillie d’une même conception des choses. Il m’a montré les derniers prospectus que vous avez imprimés avant votre départ, et je n’ai pu qu’acquiescer. En effet, la teneur même de votre questionnaire est devenue très générale, et il n’est plus question que de culture, et plus du tout de politique et d’un certain M. Baudoin. 454 J’ai senti que mon influence n’avait pas été étrangère à leur rédaction et j’en ai exprimé ma satisfaction à Zukofsky. Et maintenant que vous êtes de retour, et que le vrai travail de rédaction va commencer, je suis prêt à aller de l’avant avec vous, d’un pas ferme. Il s’agit, en effet, de ne pas disperser nos forces, que les ennemis de La France en Liberté se chargeront de désagréger avec des ruses savantes. Vous avez lu tout ce qui s’est passé depuis. Soyons farouches ! Soyons ardents ! Votre influence aura été salubre pour moi également. Aussi, j’ai continué à chercher des manuscrits. Je ne les ai pas demandés « ferme », vu votre absence, mais j’ai la collaboration de quelques jeunes, surréalistes, nouveaux arrivés. J’ai quelque chose d’Eugène Jolas sur Paris. Mais j’ai surtout l’assurance d’obtenir des pages de Maeterlinck et de Romains, par un chemin détourné. J’ai décidé de ne pas leur demander des articles, vu que, dans cette éventualité, ils sont trop gourmands et trop égoïstes, depuis qu’ils savent qu’André Maurois a touché 15 000 Dollars à la Saturday Evening Post. 455 <?page no="103"?> 93 Correspondance de Goll, 1939-1947 que peut donner aux autres réfugiés la grandiose installation des Maurois à New York. Pour l’évaluation de la somme, voir Robert Goffin, Souvenirs à bout portant, op. cit., p. 154. André Maurois, arrivé au Canada par Halifax le 12 juillet 1940, rejoint rapidement New York où, raconté dans ses souvenirs de manière plutôt modeste, il obtient de son éditeur Harper « un peu d’argent sur des publications futures » et est accueilli par des offres qui lui viennent de tous côtés. André Maurois, Mémoires, Paris : Flammarion, 1970, pp. 322-323. Les revues, pour plusieurs, se sont déjà ouvertes à Maurois par le passé et continuent de le publier, Saturday Review of Literature, Scribner’s Magazine, Harper’s Magazine ou encore Collier’s, Commonweal, Atlantic Monthly. 456 On peut mettre en relation ces « Pensées » de Maeterlinck avec l’ouvrage qu’il fait paraître en 1942 aux Editions de la Maison Française à New York, L’autre Monde ou le Cadran stellaire. 457 Cet essai n’a pas pu être identifié. 458 Marguerite Yourcenar débarque en novembre 1939 à New York, comme elle le rappelle dans ses entretiens à Matthieu Galey, où elle compare aussi la ville à un « enfer », et nomme Les Lettres françaises avec Caillois à Buenos Aires comme l’un de ses rares endroits de publication dans les années de la guerre, beaucoup plus tard en 1944. Au contraire, moquons-nous de ces articles qui, dans trois semaines, seront de la poussière. L’élément que je veux apporter personnellement à la revue, est celui de la qualité et de la durée. Vous êtes bien d’accord, n’est-ce pas ? Eh bien, je suis sûr maintenant, d’obtenir de Maeterlinck des « Pensées » inédites 456 , et de Romains des poèmes ou des pages de littérature, qu’il ne pourrait de toute façon pas placer ailleurs. Seulement, il faut que je sois sûr, que vous êtes d’accord. Une telle contribution sera plus intéressante qu’une vague réponse au questionnaire. Leurs affirmations officielles, ils se les font payer à prix d’or. Grand bien leur fasse ! C’est aussi dans ce sens, vous le savez, que je m’étais adressé à Maritain. Fallait-il pour cela insinuer que je suis de son bord, et calotin ? Quelle plaisanterie ! Alors, on y va ? Je vous serre la main, Ivan Goll Envoi 21, Goll à René Taupin, 13 septembre 1940 : Brooklyn, Sept. 13, 1940 Mon cher Taupin, J’espérais vous voir un de ces jours prochains, pour vous donner en détail la liste des collaborations que j’ai recueillies jusqu’à présent. Mais voici qu’on m’appelle à Ithaca, pour où je pars demain samedi matin, et où je resterai environ cinq à six jours. Et comme il est urgent, naturellement, de mettre sur pied le sommaire de notre revue, je vous donne en hâte la liste des collaborateurs sur lesquels vous pouvez compter sérieusement : Nicolas Calas, auteur de Foyers d’incendie, chez Denoël, exégète et poète surréaliste, sur lequel le commentaire ci-inclus (et que je vous prie de me conserver) vous renseignera amplement. Il m’enverra demain un long essai de 12 à 15 pages. 457 Marguerite Yourcenar, auteur de six romans à la NRF, nous donnera également un essai de 10 pages. 458 <?page no="104"?> 94 Correspondance de Goll, 1939-1947 Marguerite Yourcenar, Les Yeux ouverts : Entretiens avec Matthieu Galey, Paris : Editions du Centurion, 1980, pp. 135 et 132. On pourrait hasarder que l’écrit destiné à La France en Liberté est le texte souvent donné pour incertain quant à ses dates de composition et de publication, « Forces du passé et forces de l’avenir », où Marguerite Yourcenar critique le pamphlet de 1940 d’Anne Lindbergh, The Wave of the Future. Voir, sur la question, Bérengère Deprez, Marguerite Yourcenar and the USA - From Prophecy to Protest, Bruxelles : P.I.E. Peter Lang, 2009, pp. 116-117. 459 Outre l’illustration pour Jean sans Terre nettoyé par le vide, Seligmann va réaliser avec Goll le cinquième numéro d’Hémisphères, « Magie et Poésie », au printemps 1945, où il donne son article « Magiciens du XVI e siècle », l’un des textes précurseurs de son ouvrage de 1948, The Mirror of Magic. 460 Le byzantiniste Georges Duthuit, en exil aux Etats-Unis de 1939 à 1945, est proche des Jolas, qui l’aident à faire venir son fils de huit ans, Claude, en Amérique. Eugène Jolas, Man from Babel, op. cit., p. 179. Le 29 octobre 1940, Goll est invité avec Claire à rendre visite aux Jolas qui accueillent pour une semaine Duthuit. Lettre d’Eugène Jolas à Ivan Goll, du 29 octobre 1940. Fonds Goll. Pour les dates de l’exil de Duthuit et quelques informations sur ses activités d’alors, voir la « Notice biographique » de Rémi Labrusse dans le catalogue de l’exposition Autour de Georges Duthuit, ed. Michel Bépoix, Lyon : Actes Sud, 2003, pp. 87-91 (p. 89). 461 Ce titre n’apparaît pas dans la longue liste des poèmes d’Eugène Jolas présentée dans les Jolas Papers. Dans ses lettres de l’été et de l’automne 1940 à Goll, Jolas propose quelques-uns de ses poèmes pour La France en Liberté, demandant, le 29 octobre, une semaine supplémentaire pour retrouver un poème. Il s’était rallié, le 18 août, au souhait de Goll de garder cette nouvelle revue à distance de la politique. La lettre du 18 août 1940, comme celle du 29 octobre 1940, est conservée dans le Fonds Goll. 462 Jules Supervielle se trouve alors, et jusqu’à la fin de la guerre, dans son Uruguay natal. 463 À cette époque, Buñuel est à New York, où il travaille au Museum of Modern Art. 464 L’adresse est celle de Clark Mills à Cornell University. Kurt Seligmann, peintre surréaliste, nous donnera un article sur la « peinture hermétique et surréaliste » et, « si nous voulons », une demi-douzaine de culs-delampe, au choix. 459 Georges Duthuit 460 , le fameux critique d’art, attend que nous lui indiquions un sujet. Eugène Jolas m’a envoyé un poème véhément : « La venue de l’Anté-Christ ». 461 Sans compter Romains et Maeterlinck. Cela fera un très beau mélange. J’attends aussi les poèmes de Supervielle. 462 Et Buñuel 463 , l’auteur du Chien Andalou, nous donnerait quelque chose, si nous voulons. Je n’ai naturellement pas pu m’avancer trop, avant de connaître votre avis. Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : Ivan Goll Romance Languages Dept. Cornell University ITHACA, New York 464 Très cordialement vôtre, Ivan Goll <?page no="105"?> 95 Correspondance de Goll, 1939-1947 465 Maritain continue, pendant la guerre, son travail de longue haleine sur Bergson et prononce par exemple, trois jours après la lettre de Goll, le 16 septembre 1940, une conférence à l’Université de Pennsylvanie, « Contemporary Renewals in Religious Thought », qui, avec d’autres textes liés à Bergson et au thomisme, sera intégrée à l’ouvrage que Maritain publie aux Editions de la Maison Française à New York en 1944, De Bergson à Thomas d’Aquin - Essais de métaphysique et de morale. 466 Cette carte postale ne semble exister dans aucune des différentes collections contenant les papiers de Louis Zukofsky et provient du Fonds Goll. [à la main, dans la marge de gauche de la lettre : ] Mieux encore : à l’instant me parvient le manuscrit de Maritain : « Les Nouveaux Développements de la Philosophie Bergsonienne » (33 pages) qu’on peut couper ou publier en 2 fois. 465 Aubaine précieuse. J’emporte le manuscrit avec moi, parce qu’il y a des retouches à faire. Donc à bientôt, G. Envoi 22, Goll à Louis Zukofsky, 21 septembre 1940: [Carte postale montrant Ithaca, et l’Université Cornell au premier plan] 466 Ithaca, Sept. 21, [19]40 Cher ami, Je suis ici depuis une dizaine de jours : rentrant pour la fin de cette semaine, je serai heureux de vous revoir et de vous montrer tous les manuscrits que j’ai recueillis. Voulez-vous, à cet effet, venir dîner chez nous, avec Mme Zukofsky et Taupin, dimanche 28 sept. à 6h, ou préférez-vous un autre jour ? Bien cordialement, Ivan Goll Mr. & Mrs. Zukofsky 1088 E. 180th St. New York City <?page no="106"?> 96 Correspondance de Goll, 1939-1947 467 L’invitation envoyée par les éditeurs à rencontrer Williams à l’occasion du lancement de son nouveau livre figure dans la correspondance Williams-Zukofsky et permet de situer précisément l’événement évoqué par Goll : « The Gotham Book Mart and New Directions invite you to meet William Carlos Williams on the publication day of his new novel In the Money. The date : Tuesday, October 29th. The Place : The Gotham Book Mart, 51 West 47, N.Y.C. The Time : 4 to 6 P.M. » The Correspondence of William Carlos Williams and Louis Zukofsky, op. cit., p. 276. Envoi 23, Goll à Louise Bogan, 25 septembre 1940 : [Carte postale, avec cachet de la poste du 25 sept. 1940, montrant Ithaca Falls] [adressée à] Mrs. Louise Bogan 709 West 169 St. New York City USA Chère Amie, Je viens de passer dans ce pays admirable, en compagnie de Clark Mills et de gais compagnons une dizaine de jours partagés entre la nature et le travail. Nous avons traduit une grande quantité de poèmes de « Jean sans Terre ». Et maintenant, d’Ithaca, le wanderer poursuit une nouvelle odyssée. J’espère que vous passez aussi un Indian Summer coloré quelque part dans les forêts ? Et de vous revoir bientôt à NY ? Sincèrement vôtre, Ivan Goll Envoi 24, Goll à William Carlos Williams, 1 er novembre 1940 : 136 Columbia Heights Brooklyn Nov. 1, 1940 Mon cher William Carlos Williams, Quelle joie cela a été pour moi, de faire votre connaissance un véritable jour de gloire, où, m’a-t-il semblé, toute l’élite littéraire et l’avant-garde est venue vous apporter l’hommage le plus enviable. 467 Ainsi je n’ai pas seulement fait la connaissance du poète le plus racé de l’Amérique, mais aussi de toute une génération qui porte la marque de son esprit. J’aurais voulu vous dire avec encore plus de chaleur, combien je vous admire et combien je vous suis reconnaissant - le jour viendra où nous pourrons bavarder plus à notre aise. <?page no="107"?> 97 Correspondance de Goll, 1939-1947 468 Ce serait Calas qui aurait présenté Williams à Seligmann, d’après l’ouvrage de Mike Weaver, William Carlos Williams - The American Background, Cambridge : Cambridge University Press, 1971, p. 148. Williams donne son assentiment à une rencontre avec Seligmann dans une lettre du 27 octobre 1940 à Calas. Calas Archive. 469 Karl Nierendorf (1889-1947), venu de Berlin, fonde sa galerie newyorkaise en 1937. 470 Mills et Calas sont publiés dans cette série, Mills avec The Beggars - Place Edmond Rostand en 1940, Calas avec Wrested from Mirrors, dans une traduction de Williams, en 1941. C’est Seligmann qui illustre les poèmes de Mills et Calas, comme il le fait en 1940 pour Jean sans Terre nettoyé par le vide de Goll et, en 1943, toujours chez Tandem, Pleine marge de Breton. Jolas et Auden n’ont pas paru chez Nierendorf. 471 Cette carte de visite est classée avec la traduction du poème « Méduse », ce qui situerait cet envoi à la fin 1941, à moins qu’il ne s’agisse de l’année précédente. Aujourd’hui je voudrais seulement continuer le rapide appel que je vous ai fait au sujet d’une collaboration. Je suis en train de lancer, avec mon ami, le peintre surréaliste, Kurt Seligmann 468 , chez Karl Nierendorf 469 , une petite édition de haut luxe qui s’appellera : TANDEM, et qui comportera 1 poème + 1 dessin, et qui, tiré à 30 exemplaires, vendu à 10 dollars, pourra même rapporter quelque chose. Je vous prie de nous donner un poème d’une ou 2 pages et de nous dire aussi, quel est le peintre que vous choisiriez comme illustrateur. Les autres collaborateurs choisis jusqu’à présent sont : Jolas, Auden, Clark Mills, Calas. 470 Et vos avis seront toujours écoutés avec faveur. J’ai encore d’autres projets - que je vous soumettrai dans une autre lettre. Claire vous envoie son plus beau sourire, et moi une chaleureuse poignée de mains Ivan Goll Envoi 25, Goll à Louise Bogan, non daté (carte de visite) 471 : IVAN GOLL [Avec] mes meilleurs vœux de Noël et Nouvel An 136 Columbia Heights Brooklyn, N.Y. <?page no="108"?> 98 Correspondance de Goll, 1939-1947 472 Le poème, traduit par Ivan Goll, a paru dans La Voix de France, 1, 8, January 1942, p. 5. Cette publication permet de dater l’envoi du début de l’année 1942. 473 Les trois ans écoulés font vraisemblablement référence au projet de 1940 de La France en Liberté. La revue fondée en 1943 est Hémisphères. 474 Dans le premier numéro d’Hémisphères, de l’été 1943, paraît le poème de William Carlos Williams « The Clouds ». 475 L’année même où Hémisphères publie les « Sacred Elegies » du poète anglais George Barker (1913-1991), un temps proche du surréalisme, New Directions fait paraître son recueil Sacred and Secular Elegies où on lit, dans la partie « Secular Elegies », une puissante évocation du conflit en Europe vu d’une Amérique pas encore entrée en guerre qui, sur les combats, garderait un silence bienséant, pratiquerait une litote en vogue refusés par le poète : « THEREFORE, declining a more becoming silence/ Or the fashionable understatement, I record/ That I stood on a Californian mountain, whence/ I looked over America and the Atlantic toward/ September in flames, and the detritus of France ». George Barker, « Elegy II », Sacred and Secular Elegies, Norfolk, CT : New Directions, 1943, p. 9. Cette strophe, qui ouvrait le poème en 1943, ainsi que celle qui la suivait, ne sont pas reprises à partir de 1944 quand les élégies sont intégrées au recueil Eros in Dogma. Enfin, sur la présence de Saint-John Perse dans les premiers moments d’Hémisphères, voir Joëlle Gardes Tamine, « Yvan Goll et Saint-John Perse - La publication de ‹ Poème à l’Étrangère ›», Europe, 82, 899, mars 2004, pp. 253-260 (pp. 255-259). Envoi 26, Goll à Louise Bogan, [janvier 1942] : [Poème imprimé en français de Louise Bogan, intitulé « Méduse » 472 , avec la mention manuscrite, en bas à droite : ] Avec les meilleurs vœux d’Ivan Goll Envoi 27, Goll à William Carlos Williams, 31 mai 1943 : 136 Columbia Heights Brooklyn, N.Y. May 31, [19]43 Mon cher William Carlos Williams, Enfin - « Trois ans après » - je vais publier la revue, dont j’ai toujours rêvé, et que je suis d’ailleurs heureux de ne pas avoir publiée jadis, car elle n’aurait pu à cette époque devenir aussi intéressante que celle que je projette maintenant. 473 Je viens vous demander, si vous pourriez me confier un récent poème, de préférence assez long. 474 La revue s’appellera HÉMISPHÈRES ; le premier numéro contiendra des poèmes inédits de Saint-John Perse, George Barker, etc. 475 Bien sincèrement votre Yvan Goll <?page no="109"?> 99 Correspondance de Goll, 1939-1947 476 Cette nouvelle adresse du CNE date du mois d’avril. 477 Steinbeck, envoyé par le New York Herald, s’arrête à Paris en route vers l’URSS en compagnie du photographe Robert Capa, et arrive à Moscou le 31 juillet. Les Lettres françaises du 11 juillet 1947 annoncent sa réception au CNE le lendemain et publient une entrevue avec lui. Envoi 28, Goll à Louis-Marcel Raymond, 13 juillet 1947 : Paris, 13 juillet [19]47 Mon cher Marcel, Nous voici à Paris : quel émerveillement ! Quelle beauté dans chaque façade, quel charme à chaque tournant de rue ! Nous l’avions oublié, combien Paris est fine et gracieuse. Et nous nous demandons maintenant comment nous avons pu en rester si longtemps éloignés ! Nous habitons au Cœur de cette Cité Spirituelle, au 13 Rue des Beaux-Arts, l’Hôtel d’Alsace où « Oscar Wilde est mort », comme l’indique une plaque. Et nous vivons - encore ! Encore, car ma santé a été assez ébranlée par les fatigues du voyage. Mais depuis une huitaine je me sens tout ragaillardi comme si, des racines de cette terre et des fruits délicieux de ses arbres, ma force remontait en moi. Notre chambre donne sur une petite cour avec un figuier et sur les immeubles augustes qui donnent eux-mêmes sur la Rue Visconti - tu connais ce bibelot branlant. A chaque heure, nous entendons 7 horloges : de la petite pendule dorée dans le salon d’un professeur émérite jusqu’à la voix sainte et austère de St. Germain-des- Prés. Quelques pas seulement nous séparent, soit du marché populeux de la rue de Buci, où s’élèvent les montagnes de cerises en 7 variations - les aigres, les noires, les Montmorency, etc. - et du Café de Flore où continuent les batailles tantôt véhémentes tantôt silencieuses des esprits et des vanités. Hier après-midi, nous étions à une des réceptions hebdomadaires du fameux CNE (Congrès National des Ecrivains) qui occupe maintenant une résidence somptueuse 2 rue de l’Élysée, avec vue sur les jardins parfumés de l’Élysée lui-même. 476 On y recevait justement John Steinbeck de passage à Paris, qui semble être constamment sous pression alcoolique, et dont, malgré cela, le flegme autoritaire et lointain a choqué bien des interviewers. 477 Les vagues de l’enthousiasme parisien se brisent contre les parois de sa poitrine de centaure en pleine possession de la gloire. Il a ses idées et il n’en démord pas. Je lui ai parlé pendant un quart d’heure : il prétend que le peuple américain est très malheureux et souffre de misère. Et alors que dira-t-il de cette France où les boulangeries avaient fermé hier, parce que la farine manquait et où aujourd’hui les baguettes de pain faites entièrement de maïs sont plus lourdes que les bâtons des agents de police qui endiguent les queues. Et pourtant, et pourtant, j’ai objecté à Steinbeck, un peu sophistiquement, que le peuple parisien est heureux, malgré ses petites misères - il est heureux, en effet, en cette veille de 14 juillet, il est gai, il est bon enfant, il n’a de récriminations contre <?page no="110"?> 100 Correspondance de Goll, 1939-1947 478 Dans une lettre de février 1945 à Henry Miller, Goll exprime déjà cet avis sur la question des collaborateurs, influencé peut-être par ce qu’il a pu entendre de Sartre, de passage à New York quelques jours auparavant. Ainsi Goll s’interroge-t-il : « Punition des traîtres ? Au compte-gouttes de sang. Les plus dangereux échappent à la peine suprême, c’est-à-dire que dans six mois, tout le monde sera amnistié, aux lampions de la victoire. » Lettre d’Yvan Goll à Henry Miller, du 12 février 1945. Miller Papers. Répondant à Henry Miller qui souhaiterait, le 26 février, savoir où en sont les écrits de Giono et d’où viennent les rumeurs de « traître » à son encontre, Goll dit tout net qu’il réserverait à Giono la pire des punitions possibles pour avoir désespéré de la France, semblant ignorer le séjour en prison de Giono et sa récente libération de la fin du mois de janvier. Lettre d’Henry Miller à Yvan Goll, du 26 février 1945 ; et, pour la réponse, lettre d’Yvan Goll à Henry Miller, du 7 mars 1945, en anglais. Miller Papers. Dans son article de 1942 « Poètes en exil », Goll s’en prend déjà à Giono, qu’il voit « s’humili[er] » avec « combien de douzaines d’autres » « devant l’ambassadeur Abetz ». Ivan Goll, « Poètes en exil », Pour la Victoire, op. cit., p. 6. 479 L’écrivain et publiciste José Germain, pétainiste de la première heure, actif dans le groupe « Collaboration », est remis en liberté en juillet 1947 après trois ans de prison. Dans le cas de Jérôme Carcopino, un temps ministre de l’Éducation nationale sous Vichy, la Haute-Cour rend un arrêt de non-lieu le 11 juillet 1947. 480 La condamnation à mort de l’historien Jacques Benoist-Méchin, notamment conseiller de Darlan, sera commuée. 481 Madeleine Riffaud, longtemps correspondante de guerre pour L’Humanité, a été dans l’actualité en 2008, ayant reçu l’Ordre National du Mérite, au grade d’officier, « pour 66 ans d’activités associatives, de services civils et militaires ». Journal Officiel de la République Française, 0266, 15 novembre 2008. 482 Tous deux dans la résistance, Madeleine Riffaud et Pierre Daix ont une petite fille, Fabienne, en 1946. Madeleine Riffaud, On l’appelait Rainer (1939-1945), avec la collab. de Gilles Plazy, Paris : Julliard, 1994, p. 160. Leur couple, résultat d’un « mariage de guerre », dans les mots de Daix, « se défait » dans l’année 1947. Pierre Daix, Tout mon temps, Paris : Fayard, 2001, pp. 279 et 257. 483 Un article du 18 juillet 1947 dans Les Lettres françaises, qui revient sur la visite au CNE de Steinbeck, fournit une liste des personnes présentes similaire à celle de Goll, où figurent d’ailleurs, après Tzara et Marcenac, « Mme et M. Ivan Goll ». Jean Augerpersonne et il oublie déjà les angoisses de l’Occupation. Il les oublie peut-être même un peu trop vite, à mon goût. 478 Hier par exemple, ont été déclarés innocents par les tribunaux les collabos José Germain et Carcopino 479 … Il est vrai que le soir de notre arrivée à la gare St. Lazare les journaux portaient en manchette : « Benoist-Méchin Condamné à Mort » - et nous en avions eu un frisson joyeux ! 480 Et à la CNE, hier après-midi, nous avons rencontré des héros authentiques : la petite Madeleine Riffaud, qui n’a aujourd’hui que 21 ans, et qui il y a 3 ans, en juillet 1944, tua un capitaine allemand, à bout portant, sur le Pont de Solférino. 481 Elle écrit des vers qui l’ont rendue célèbre, elle a un mari, Daix, aussi jeune et valeureux qu’elle, et un enfant, une petite fille de 1 an. 482 Et puis il y avait là Paul Éluard et Tristan Tzara qui publient en ce moment livres sur livres, au rythme d’un toutes les quinzaines - réimpressions, éditions de luxe, morceaux choisis. Il y avait là Claude Morgan, Louis Parrot, Jean Marcenac, Clara Malraux, Andrée Viollis, Simone Téry, Jean Tardieu, des douzaines d’autres. 483 <?page no="111"?> 101 Correspondance de Goll, 1939-1947 Duvignaud, « Pour saluer Steinbeck », Les Lettres françaises, 7, 165, 18 juillet 1947, p. 5. 484 Suit un long post-scriptum concernant la publication et la vente du Mythe de la Roche Percée et l’ouvrage que Raymond prépare sur Goll. 485 Louis Bergman, architecte anglais, et sa femme Charlotte Bergman (1904-2003), d’origine belge, rassemblent leur vie durant une importante collection d’œuvres d’art moderne. Ils vivent de nombreuses années à New York et Charlotte Bergman apportera leur collection au musée d’Israël de Jérusalem vers la fin des années soixante. 486 Jean Wahl dirige la Décade consacrée à « L’idée de culture » du 10 au 20 juillet 1947. 487 Il s’agit de la Décade intitulée « La Grande Clarté du Moyen Age », tenue du 1 er au 10 juillet 1947. 488 Sur cette expression de Gustave Cohen, voir Helen Solterer, Medieval Roles for Modern Times - Theater and the Battle for the French Republic, University Park, PA : The Pennsylvania State University Press, 2010, p. 266. En sortant, tout éblouis, Claire et moi sommes descendus des Champs-Elysées, avons salué les Chevaux de Marly aux crinières allumées du crépuscule et admiré la calme grandeur de la Place de la Concorde qui, ce soir-là, attendait les foules tumultueuses de demain. On va danser dans les rues de Paris. Mon cœur danse à chaque pas. Yvan 484 Envoi 29, Goll à Louis-Marcel Raymond, 14 juillet 1947 : Paris, 14 juillet 1947 7h du matin Mon cher Marcel, Après t’avoir rendu compte de ma journée du samedi 12, je ne puis m’empêcher de te faire le récit des événements d’hier, auxquels tu prendras un intérêt personnel. A peine ma lettre terminée, des amis de New York, les Bergman 485 , vinrent nous chercher pour faire un tour en voiture, et je leur proposai de nous conduire à l’Abbaye de Royaumont, cette merveille du 13e siècle, fondée par Saint-Louis, au carrefour des forêts royales d’Ile-de-France. Elle avait été restaurée pendant la guerre, mais depuis le mois de Mai de cette année, un centre culturel y fonctionne, et on y a aussi transplanté les fameuses Décades de Pontigny. Et nous tombâmes en plein sur une conférence-discussion conduite par Jean Wahl sur la Culture parfaite et le Héros. 486 Nous étions très en retard, malheureusement, et ne prîmes part qu’aux dernières joutes. Une trentaine de personnes était assemblée dans les péristyles. Je saluai Wahl et m’entretins longuement avec Gustave Cohen, qui avait conduit la Décade précédente sur la littérature du Moyen-Age. 487 Il est actuellement torturé par des blessures de 1915 qui se sont réouvertes, et doit être soutenu par deux personnes pour se déplacer. Il se nomme lui-même « une ruine sur roulettes » 488 - et pourtant quelle fraîcheur encore dans l’œil et dans la voix. Quelle activité de l’esprit ! <?page no="112"?> 102 Correspondance de Goll, 1939-1947 489 Cohen se dit lui-même, en 1949, « le premier invité des universités allemandes de la zone française ». Sur ce mot, voir S. Steele, « L’après-guerre de Gustave Cohen et les institutions françaises », Nottingham French Studies, 42, 2, Autumn 2003, pp. 35-53 (pp. 40-41). 490 Gustave Cohen effectue au moins trois visites au Canada durant la Deuxième Guerre, se liant avec Louis-Marcel Raymond, qu’il voit aussi à Mount Holyoke à l’été 1943 pour la deuxième série des « entretiens », autrement appelés Pontigny en Amérique. Voir Louis-Marcel Raymond, « Les Entretiens de Mount Holyoke College », Revue dominicaine, 52, 1, avril 1946, pp. 213-220 (p. 214). 491 Le déchiffrage de ces deux premiers mots est incertain. 492 Le nouvel Orphée est publié en 1923 à Paris aux Editions de la Sirène, que Paul Laffitte avait fondées en 1917 avec Cendrars. 493 Ce projet de Paul Laffitte ne semble pas avoir été concrétisé. Laffitte meurt deux ans plus tard, en 1949. 494 Office of War Information. 495 Dans le début de l’année 1944, Jolas est envoyé, selon ses mots, à travers l’espace et le temps, le jour et la nuit sur le continent de la grande agonie, « through space and time through day and night/ into the continent of the great dying ». Jolas est d’abord assigné N’a-t-il pas entrepris, handicapé comme il l’est, une tournée de conférences en Allemagne occupée, à Mayence, à Tübingen et à Fribourg ! 489 Nous avons beaucoup parlé de toi ; Claire nous a rappelé que l’année dernière à cette époque nous avons occupé la même chambre que lui à St Jean d’Iberville. 490 Et Madame Cohen a fait un récit amusant de ton court passage chez eux en novembre 45. Ah comme 491 il ferait beau de s’installer dans une des 25 cellules du monastère, mises à la disposition des penseurs modernes ! De se promener dans ce domaine magnifique, dans ces gazons qui ont poussé sur l’emplacement de l’imposante cathédrale, qui fut hélas détruite en 89 par les révolutionnaires, un jour comme aujourd’hui. Seuls quelques panneaux et restes de colonnes témoignent encore de sa grandeur. Mais le prix de pension est de 500 francs par jour, et même au change, très élevé pour deux poètes. J’ai d’ailleurs encore rencontré d’autres anciennes connaissances à Royaumont : un beau vieillard au visage d’ivoire entouré d’une lumineuse barbe blanche qui m’embrassa avec effusion : mon premier éditeur en France, Laffitte, des Éditions de la Sirène, où parut Le nouvel Orphée. 492 À 78 ans, plus jeune, plus entreprenant, plus fou que jamais - en réalité, un vieux rusé, un grand aventurier. Il me dit sa joie immense de me retrouver, car il se propose d’ouvrir en automne une nouvelle maison d’édition sous le signe de « Pégase » et il veut absolument avoir mon prochain livre. 493 Il a trouvé un ou deux millions, paraît-il. « La Sirène » avait été créée avec un ou deux millions du propriétaire de Pétrole Hahn ; cette fois, ce sera un trafiquant de café au marché noir… Autre méditation sous les voûtes du monastère de Royaumont. Dans une autre aile, au bas d’un haut escalier, je rencontre un autre ami d’antan, Eugène Jolas, disparu de mon horizon depuis quatre ans. Nous avons travaillé ensemble à l’OWI 494 en 1943. Puis il se fit envoyer en Europe par le gouvernement américain. Il a organisé la propagande alliée en Allemagne, à Wiesbaden et Bad Nauheim, et il a écrit des tas de vers. 495 Je le connais depuis 30 ans, il est, comme <?page no="113"?> 103 Correspondance de Goll, 1939-1947 à Londres puis en France, enfin en Allemagne où il va s’occuper notamment de la mise en place d’une agence de nouvelles. Voir Eugène Jolas, Man from Babel, op. cit., pp. 196-197 et, pour son travail en Allemagne, le chapitre « News from Babel », pp. 227-258. moi, originaire de Lorraine (Forbach), il a écrit, comme moi, en allemand, en français et surtout en anglais, il fut le directeur (comme moi) d’une grande revue internationale transition, il fut, plus que moi, l’ami de James Joyce, et le voici, comme moi, en France, et à Royaumont. Quelle journée abondante ! En revenant, nous traversâmes les champs roux et les forêts frémissantes d’Ile-de-France, et ces villages animés du drapeau tricolore, faisant de chacun un tableau de Monet ou de Pissarro. Devant les mairies pavoisées, le peuple un peu lourd, un peu pensif, dansait sans exubérance, mais les jeunes savaient s’aimer à l’écart, et combien de baisers surpris sous les marronniers. Vieille France, France éternelle, toute revenue à toi-même : les cauchemars balayés, et les bleuets piqués dans ta belle poitrine de blé ! J’étais heureux et je t’envoie quelques bribes de ma joie. Yvan <?page no="114"?> Liste complémentaire des fonds Liste complémentaire des fonds contenant des lettres ou documents de Goll aux États-Unis, à l’intention des chercheurs (liste non exhaustive) Jorge Carrera Andrade Collection, Special Collections and University Archives, Stony Brook University Libraries, State University of New York, Stony Brook John Peale Bishop Papers, Manuscripts Division, Princeton University Library Hermann Broch Archive, Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Yale Malcolm Cowley Papers, Baskes Department of Special Collections, Newberry Library, Chicago Babette Deutsch Papers, Manuscripts and Archives Division, New York Public Library, New York Charles Henri Ford Papers, Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Yale Kimon Friar Papers, Manuscripts Division, Princeton University Library Claire Goll Collection, Leo Baeck Institute at the Center for Jewish History, New York Galway Kinnell Papers, Manuscripts Department, Lilly Library, Indiana University Edward and Marian MacDowell Collection, Music Division, Library of Congress, Washington, D.C. Heinrich Mann Collection, Feuchtwanger Memorial Library, University of Southern California, Los Angeles Karl Otto Paetel Papers, M. E. Grenander Department of Special Collections and Archives, University Libraries, University at Albany, State University of New York Kurt Seligmann Papers (non encore répertoriés), Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Yale Alan Swallow Papers, Special Collections, Syracuse University Library, Syracuse Allen Tate Papers, Manuscripts Division, Princeton University Library Johannes and Gertrude Urzidil Collection, Leo Baeck Institute at the Center for Jewish History, New York Józef Wittlin Correspondence, Houghton Library, Harvard College Library, Harvard University <?page no="115"?> Index des noms cités Les personnages de l’époque sont indiqués en caractères gras. A ABETZ, Otto, 100 ACKERMANN, Bruno, 62 AGLION, Raoul, 58 AHEARN, Barry, 35, 59-60 ALDINGTON, Richard, 60 ALTOLAGUIRRE, Manuel, 83 ANDERSON, Thomas, 53 ANTOINE (Coiffeur), 87 APOLLINAIRE, Guillaume, 31, 39 ARAGON, Louis, 6-7, 49 ARON, Raymond, 58 ARTAUD, Antonin, 4 AUDEN, W. H., 97 AUGER-DUVIGNAUD, Jean, 100-101 AUMONT, Jean-Pierre, 7 AURIOL, Vincent, 7 AUTRET, Luc, 36 B BAINES, Roger W., 48 BALLAGAS, Emilio, 39, 83 BARBARANT, Olivier, 49 BARKER, George, 98 BARRON, Stephanie, 11 BAUDELAIRE, Charles, 2, 40, 73 BAUDOUIN, Paul, 92 BÉHAR, Henri, 39, 58, 65 BELLENSON (Mr.), 88 BENJAMIN, Walter, 48 BENOIST-MÉCHIN, Jacques, 100 BÉPOIX, Michel, 94 BERGMAN, Charlotte, 5, 101 BERGMAN, Louis, 5, 101 BERGSON, Henri, 95 BERTHO, Jean, 31 BLANCO, Ramos, 40, 83 BODKIN, Robin Orr, 24-25 BOGAN, Louise, 3, 7-8, 12-16, 18-24, 30-32, 34-40, 42-45, 49-50, 52-53, 55-59, 66, 68-71, 75-77, 79-85, 88-91, 96-98 BONAL, Gérard, 3 BONNEELS, Léa, 102 BONNER, Amy, 61, 78-80 BONNET, Henri, 51 BONNET, Marguerite, 4, 39, 44 BOSQUET, Alain, 35, 62 BOUCHARD, André, 43 BRESLIN, James, 35 BRETON, André, 1, 4, 6, 33-37, 39, 42, 44, 50, 52-53, 55, 58-59, 65, 82, 88, 97 BRETON-ELLÉOUËT, Aube, 50 BROWN, Jeffrey R., 29 BRU, Sascha, 27, 40 BRUN, Philippe, 8, 61, 68 BUÑUEL, Luis, 94 BURKE, Kenneth, 34 C CABEZAS, Amalia L., 50 CAILLOIS, Roger, 93 CALAS, Nicolas, 13-14, 27-29, 31-34, 72, 90-91, 93, 97 CARCOPINO, Jérôme, 100 CARMODY, Francis J., 1-3, 8, 23, 27, 38-39, 43, 45, 91 CARPENTIER, Alejo, 51 CARRUTHERS, Ben Frederick, 83 CASARÈS, Maria, 7 CASSOU, Jean, 84 CAWS, Mary Ann, 65 CELAN, Paul, 58 CÉLINE, Louis-Ferdinand, 3, 75 CENDRARS, Blaise, 40, 102 CÉSAIRE, Aimé, 49, 58 CÉSAIRE, Suzanne, 49 CHÉNIEUX-GENDRON, Jacqueline, 10 CIERPLIKOWSKI, Antoine (voir ANTOINE) <?page no="116"?> 106 Index des noms cités CLARIANA, Bernardo, 83 CLARK, Eleanor, 67 COHEN, Gustave, 1, 5, 12, 65, 101- 102 COHEN (épouse, voir Léa BONNEELS) COLETTE, Sidonie Gabrielle, 3 COLIN, Saul, 87 COLLIER, Michael, 36 COLUM, Mary, 91 COLUM, Padraic, 91 CONLEY, Verena Andermatt, 5 COOK, Thomas, 79 COONEY, Terry, 13 CORPET, Olivier, 57 CUENOT, Alain, 48 CUMMINGS, E. E., 73 D DAIX, Fabienne, 100 DAIX, Pierre, 100 DALI, Salvador, 36 DARLAN, François, 100 DEBAENE, Vincent, 42 DEPREZ, Bérengère, 94 DERRIDA, Jacques, 20, 22-23 DESNOS, Robert, 50-52 DEUTSCH, Babette, 3, 13-14, 91 DIAZ-PARRADO, Flora, 15 DILLON, George, 5-7, 57, 69, 73-75, 91 DUHAMEL, Georges, 6 DUPEE, Frederick, 14, 80 DURANTON-CRABOL, Anne-Marie, 1 DUTHUIT, Claude, 94 DUTHUIT, Georges, 94 DUVIVIER, Julien, 86 E EASTMAN, Andrew, 10 ECKMANN, Sabine, 11 EDSCHMID, Kasimir, 2 ELIOT, T. S., 13 ÉLUARD, Paul, 6-7, 30, 33, 70, 100 ÉRIBON, Didier, 9 F FAURE, Élie, 3 FEUCHTWANGER, Lion, 13 FINCK, Adrien, 64 FLAHUTEZ, Fabrice, 6 FLETCHER, John Gould, 2, 63 FLOUQUET, Pierre-Louis, 42, 60 FOCILLON, Henri, 51 FORD, Charles Henri, 8 FREEMAN, Joseph, 55 G GALEY, Matthieu, 93-94 GARCÍA LORCA, Federico, 88 GARDES TAMINE, Joëlle, 98 GERMAIN, José, 100 GIONO, Jean, 100 GLAUERT-HESSE, Barbara, 8-9, 15-17, 89 GOBINEAU, Joseph, 51 GOFFIN, Robert, 4, 12, 60, 92-93 GOLAN, Romy, 14 GOLL, Claire, 2-3, 5-8, 12, 15-18, 21, 25, 29, 45, 50, 57, 61, 71, 73, 75, 77, 82, 87-88, 91, 94, 97, 101-102 GOLL, Ivan, Yvan, Iwan, voir Œuvres GOLL (mère, voir Rebecca LAZARD) GOLL (père, voir Abraham LANG) GOUTIER, Jean-Michel, 50 GRABHORN, Irma, 36 GREEN, Julien, 3, 86 GREENBERG, Clement, 14 GREENE, Graham, 41, 51 GREENE, Richard, 51 GRUNEWALD, Michel, 64 GUÉHENNO, Jean, 5 GUILLÉN, Nicolas, 39, 51, 59, 82-83 GUTH, Paul, 2 H HAHN, Otto, 2 HALLS, Wilfred Douglas, 86 HEREDIA, José Maria de, 39, 78 HERSCHBERGER, Ruth, 16-18 HUGHES, Langston, 83 HULL, Cordell, 66 HUMPHRIES, Rolfe, 7, 25, 69, 88-89 <?page no="117"?> 107 Index des noms cités J JAUJARD, François Xavier, 2, 21 JEAN-AUBRY, Georges, 41 JEANPIERRE, Laurent, 9 JOHNSON, Alvin, 9 JOLAS, Eugène, 5, 34, 58, 60, 63-67, 85, 92, 94, 97, 102-103 JOLAS, Maria, 63-68, 94 JOUVE, Pierre Jean, 18 JOUVET, Louis, 7, 75 JOYCE, James, 10, 63, 66-67, 103 JULES-ROMAINS, Lise, 51 K KARAFIÁTH, Judit, 53 KIEFER, Klaus H., 64 KINNELL, Galway, 19 KOLOCOTRONI, Vassiliki, 14 KRAMER, Andreas, 18, 27, 40, 47, 58 KRAWUTSCHKE, Peter W., 24 KUIZENGA, Donna, 62 L LAFFITTE, Paul, 102 LAJARRIGE, Jacques, 46 LANG, Abraham, 8-9 LANG, Walter, 87 LAPARA, Léo, 75 LARBAUD, Valery, 40-41 LASKIN, David, 13-14 LAUGHLIN, James, 7, 24, 32-34, 36, 69, 84-85, 88, 90-91 LAUGIER, Henri, 51 LAZANG (voir Ivan GOLL) LAZARD, Rebecca, 5, 8-9 LE CORBUSIER, né Charles- Édouard JEANNERET, 3 LE DANTEC, Yves-Gérard, 2 LEDERER, Gabrielle, 44-45 LÉON (Frère), 43 LÉVIS-MANO, Guy, 31 LÉVI-STRAUSS, Claude, 3, 9, 42 LIMAT-LETELLIER, Nathalie, 4 LIMMER, Ruth, 12, 30 LINDBERGH, Anne, 94 LITTLE, Roger, 61 LITZ, A. Walton, 25 LORENZ, Dagmar, 18 LORRAIN, Jean, 49-50 LOYER, Emmanuelle, 1, 5, 62 LUDWIG, Paula, 15, 40, 43 M MACDONALD, Dwight, 14, 80, 83 MacGOWAN, Christopher, 25, 29, 33- 34, 76, 91 MAC ORLAN, Pierre, 48 MAETERLINCK, Maurice, 60, 86-87, 92-94 MAETERLINCK, Mélisande, 86-87 MAGET, Frédéric, 3 MAHONY, Patrick, 86 MALLET, Robert, 41 MALRAUX, Clara, 100 MANKIEWICZ, Herman J., 76 MANN, Klaus, 14, 58, 61, 67, 74 MANN, Thomas, 61, 87 MANSANTI, Céline, 31, 64 MARCENAC, Jean, 7, 100 MARIANI, Paul, 25 MARIE-VICTORIN (Frère), 43 MARITAIN, Jacques, 58-60, 66, 87, 93, 95 MARIX-SPIRE, Thérèse, 6 MARTIN, Marc, 53 MASON, Rainer Michael, 29 MASSON, André, 43-44 MAURIAC, François, 5 MAUROIS, André, 3, 60, 92-93 MAXIMIN, Daniel, 49 MEHLMAN, Jeffrey, 86 MENDELSSOHN, Peter von, 10, 12-13 MILHAUD, Darius, 86 MILLER, Henry, 2, 6, 44-45, 62-63, 88, 100 MILLS (McBURNEY), Clark, 9, 14, 24-25, 27-28, 32, 55-56, 62, 74, 80, 84-85, 89-91, 94, 96-97 MONET, Claude, 103 MONTAUDON, Alain, 46 MOORE, Marianne, 30 MOORE, Robin D., 53 MORAND, Paul, 51, 60 MORASSO, Massimo, 15 <?page no="118"?> 108 Index des noms cités MORGAN, Claude, 6, 100 MULLER, Herbert, 34 N NADEL, Ira B., 66 NAGY, Steven, 42 NANCY, Jean-Luc, 20, 22-23 NETTELBECK, Colin W., 68 NEUMANN, Robert, 13 NEY, Eugène, 79 NIERENDORF, Karl, 28, 97 NORMAN, Dorothy, 71 O OULD, Hermon, 10, 13 OUMANSKY, Constantine, 48 P PALMIER, Jean-Michel, 14-15 PARMÉE, Margaret A., 48 PARROT, Louis, 100 PAULHAN, Claire, 57 PAULHAN, Jean, 6 PAXTON, Robert O., 57 PEARCE, Charles A., 55 PÉRET, Benjamin, 1, 6, 33 PERKINS, Vivien, 47 PERLOFF, Marjorie, 64 PHELPS, Robert, 30 PHILLIPS, James, 19, 27 PICASSO, Pablo, 49 PICHOIS, Claude, 2 PINKNEY, Tony, 2 PIRANDELLO, Luigi, 87 PISSARRO, Camille, 103 PLAZY, Gilles, 100 POPE, Deborah, 20 POUND, Ezra, 30 Q QUINN, John Kerker, 62 R RAYMOND, Louis-Marcel, 1-2, 4-7, 18, 43-45, 59, 63, 65, 69, 80, 99-103 RAYMOND, Marcel, 80 REEVES, William Peters, 61 RENAUD, Madeleine, 7 REVERDY, Pierre, 39 RIFFAUD, Madeleine, 100 RILKE, Rainer Maria, 71 ROBERTSON, Eric, 9 RODITI, Édouard, 35, 55-58, 60-61, 67 ROMAINS, Jules, 13, 47, 51, 58, 60, 86-87, 92-94 RONSIN, Albert, 8, 15, 31-32, 47, 58-59, 62 RONY, Olivier, 13, 51, 86 ROOSEVELT, Eleanor, 66 ROPARS, Marie-Claire, 53 ROSEMOND de BEAUVALLON, Jean- Baptiste, 41, 79 ROUGEMONT, Denis de, 1-3, 14, 62 RUMOLD, Rainer, 58, 64 RUSSEL, Johnny, 87 S SAINT JEAN, Robert de, 56-58 SAINT-JOHN PERSE (Alexis SAINT-LÉGER LÉGER), 9-10, 38, 61, 98 SAPIRO, Gisèle, 5-7 SARTRE, Jean-Paul, 67, 100 SAUNIER-OLLIER, Jacqueline, 26 SAWIN, Martica, 28, 33 SCHIFFRIN, Jacques, 1 SCHINZ, Albert, 18 SCHLUMBERGER, Jean, 6 SCHWANDT, Erhardt, 49, 52, 59 SCHWARTZ, Delmore, 85 SCHWARTZ, Rosalie, 46 SELIGMANN, Kurt, 28-29, 94, 97 SERGE, Victor, 1, 42 SHAW, Philip, 42 SLONIMSKI, Antoni, 13 SOLTERER, Helen, 101 SOLVEEN, Henri, 64 SONDERGAARD, Gale, 87 SOUPAULT, Philippe, 21 SPALEK, John, 8, 48, 68 SPIRE, André, 3, 6 SPIRE, Marie-Brunette, 6 <?page no="119"?> 109 Index des noms cités SPIRE (épouse, voir Thérèse MARIX-SPIRE) STAIBER, Maryse, 64 STEELE, Stephen, 102 STEINBECK, John, 99-101 STELOFF, Frances, 62 STERN, Guy, 8 STIEGLITZ, Alfred, 25, 71 STINSON, Madeline, 18 STRELKA, Joseph, 8, 48, 68 SUPERVIELLE, Jules, 94 SYLVIA, Gaby, 7 T TANGUY, Yves, 28, 59 TARDIEU, Jean, 100 TASHJIAN, Dickran, 27-28, 34-35, 91 TAUPIN, René, 7, 31, 59-61, 69, 73, 86-89, 92-95 TEMPLE, Shirley, 87 TÉRY, Simone, 100 THAEW, Celia, 95 THIRLWALL, John C., 26, 35 THOMAS, Henri, 36 THOMAS, Jean-Jacques, 38-39, 45 THOMAS, Nathalie, 36 TIPPINS, Sherill, 61 TRIOLET, Elsa, 7 TROTSKI, Léon, 13 TYLER, (Harrison) Parker, 8, 35 TZARA, Tristan, 6-7, 58, 100 U UNTERMEYER, Jean Starr, 13-14 V VALDÉS, Zoé, 46 VALENTIN, Jean-Marie, 64 VÁSQUEZ, Carmen, 50-52 VASSEVIÈRE, Maryse, 4 VERLAINE, Paul, 10 VILAIN, Robert, 9, 18, 47 VIOLLIS, Andrée, 100 W WAHL, Jean, 5, 25-26, 101 WALBECQ, Éric, 50 WALKER, Frank, 16, 18 WATKINS, Nan, 8 WEAVER, Mike, 97 WEIL, Simone, 12 WEISSENBERGER, Klaus, 8, 48, 68 WELLES, Orson, 76 WHEELOCK, John Hall, 80 WHITFIELD, Esther, 46 WILLIAMS, Raymond, 1-2 WILLIAMS, William Carlos, 7, 24-36, 38, 43-46, 50, 52, 57, 59-60, 66, 68-69, 71-79, 84, 89-91, 96-98 Y YOURCENAR, Marguerite, 93-94 Z ZABEL, Morton Dauwen, 12-16, 18, 23, 55, 58, 73, 91 ZUKOFSKY (épouse, voir Celia THAEW) ZUKOFSKY, Louis, 7, 35, 60-61, 69, 89-90, 92, 95-96 <?page no="120"?> Index des œuvres de Goll évoquées Œuvres de Goll Poèmes Les Cercles magiques, 46 « Élégie sur une Pêche », 46 Chansons de France, 56, 62 Chansons malaises, 41, 80 « Debout sous tes cent citronniers », 41 « Depuis que tu m’as regardée », 41 « Chant des invaincus », 52 Élégie de Lackawanna, 2-3, 44 « Amérique », 44 « Memnon-Woolworth », 44 Élégie d’Ihpétonga, 2-3 « Élégie pour James Joyce », 29, 66 Fruit from Saturn, 29, 32, 50 « Peach Elegy », 46-47 « Grand Cortège de la Résistance en l’An mil neuf cent misère », 54 « Hiobs Revolte », 8 Poèmes d’ « Hôpital », 49 « Haut-fourneau de la souffrance », 49 Jean sans Terre (recueils), 1-2, 8-9, 19, 23-25, 27, 29-30, 32, 36, 55-56, 72-75, 80, 83-85, 88-89, 96 « Jean sans Terre aborde au dernier port », 27, 29, 91 « Jean sans Terre achète Manhattan », 1-2 « Jean sans Terre à Cuba », 38, 41, 43, 45-46, 54, 79, 83 « Jean sans Terre a le mal de terre », 74, 91 « Jean sans Terre conduit la caravane », 25-27, 57, 72, 74-75, 90-91 « Jean sans Terre découvre le Pôle Ouest », 32 « Jean sans Terre défini par Yvan Goll », 19 « Jean sans Terre devant le miroir », 19, 21-23, 71 « Jean sans Terre fait sept fois le tour de la terre », 24 « Jean sans Terre hante le boulevard », 91 « Jean sans Terre longe Broadway », 1-2 « Jean sans Terre nettoyé par le vide », 24-25, 28, 32, 62, 85, 90, 94, 97 « Jean sans Terre s’immole au soleil », 32 « Jean sans Terre sur les cimes », 19 « Jean sans Terre traverse l’Atlantique », 14, 83, 85, 89 «‹ Journal Cubain › en vers », 38-39, 83 « Just a few drops of wax », 17 « La Lionne », 71 Love Poems (avec Claire Goll), 27 <?page no="121"?> 111 Index des œuvres de Goll évoquées Lucifer vieillissant, 21-22, 42, 47, 49 Le Mythe de la Roche Percée, 45, 59, 101 Le Nouvel Orphée, 102 « Paris brûle », 48 Poèmes de « Parmenia », 44-49, 68, 82-83 « Aube sur La Havane », 42 « Canto Negro », 39 « Histoire de Parmenia l’Havanaise », 44-45 « Histoire de Parmenia. Rue de la Vertu à La Havane », 44-45, 47-49 « Parmenia de Cuba. Calle Animas et Calle Virtudes », 45-48, 82 « Premier Mai à La Havane », 53-54, 83 « Vénus cubaine », 44 « Songs for Ruth » [Fales Collection], 16-18 « Just a few candle-drops », 17 « Nobody saw the red wound under my shirt », 16-17 « While on the pale wall of your chamber », 17 « The Tree of Ashes », 52 Articles et autres textes « L’art révolutionnaire » (Clarté), 48-49 « Cuba, corbeille de fruits », 38, 40-46, 48-52, 54, 82 « Ivan Goll writes » (View), 8-9 « J’exige (pour moi-même) la Réité du poème (Hôpital Civil) », 59 Journal, 27 « Poètes en exil » (Pour la Victoire), 10, 67-68, 100 « Surréalisme » (Surréalisme), 39 Texte autobiographique retrouvé (note manuscrite), 9 « Three times in the week, I take english lessons » (note manuscrite), 87-88 Œuvres traduites par Goll Anna Livia Plurabelle (collab.), de James Joyce, 66 « Chaleur », de Nicolas Guillén, 82 « Le chanteur en retard », de William Carlos Williams (« The Late Singer »), 25-26, 73 « Discours sur le tropique », de Nicolas Guillén, 82 « Élégie de María Chácon », d’Emilio Ballagas, 83 « Figure métrique », de William Carlos Williams (« Metric Figure »), 25-26, 73 « Méduse », de Louise Bogan (« Medusa »), 19-20, 70, 97-98 « La rose qui sent l’amour », de James Laughlin, 33 « Say it with Music », de Philippe Soupault, 21 « Le Vieux Dr. Dieu », de James Laughlin, 33 « Zone », de Louise Bogan (« Zone »), 19 <?page no="122"?> Table des matières Préface .................................................................................................... V Liste des fonds cités ou mentionnés ....................................................... IX I. Le retour en France de 1947 : un prologue ........................................ 1 II. L’installation à New York, 1939-1940 ............................................... 12 III. Le voyage à Cuba, printemps 1940 ................................................... 38 IV. Scènes de la vie newyorkaise ............................................................ 55 V. Note sur la correspondance et remerciements ................................... 69 VI. Correspondance de Goll, 1939-1947 ................................................ 70 Liste des lettres reproduites : 1. Goll à Louise Bogan, New York, 13 décembre 1939 (manuscrit), Bogan Papers ............................................................. 70 2. Goll à Louise Bogan, New York, 5 janvier 1940 (manuscrit), Bogan Papers ................................................................................. 70 3. Goll à Louise Bogan, New York, 11 janvier 1940 (manuscrit), Bogan Papers ................................................................................. 71 4. Goll à William Carlos Williams, New York, 20 mars 1940 (tapuscrit), Williams Papers .......................................................... 71 5. Goll à William Carlos Williams, New York, 26 mars 1940 (tapuscrit), Williams Papers ........................................................... 72 6. Goll à George Dillon, New York, 29 mars 1940 (tapuscrit), Poetry Records ................................................................................ 73 7. Goll à William Carlos Williams, New York, 1 er avril 1940 (tapuscrit), Williams Papers ........................................................... 74 8. Goll à Louise Bogan, La Havane, 8 avril 1940 (manuscrit), Bogan Papers ................................................................................. 75 9. Goll à William Carlos Williams, La Havane, 11 avril 1940 (tapuscrit), Williams Papers ........................................................... 77 10. Goll à William Carlos Williams, La Havane, 12 avril 1940 (tapuscrit), Williams Papers ........................................................... 78 11. Goll à Louise Bogan, La Havane, 13 avril 1940 (manuscrit), Bogan Papers ................................................................................. 79 12. Goll à Louise Bogan, La Havane, 16 avril 1940 (carte postale manuscrite), Bogan Papers ...................................... 81 <?page no="123"?> 113 Table des matières 13. Goll à Louise Bogan, La Havane, 5 mai 1940 (manuscrit), Bogan Papers ................................................................................. 82 14. Goll à William Carlos Williams, Brooklyn, 30 mai 1940 (carte postale manuscrite), Williams Papers .................................. 84 15. Goll à James Laughlin, Brooklyn, 28 juin 1940 (tapuscrit), Collection New Directions ................................................................ 84 16. Goll à René Taupin, [Brooklyn], 15 juillet 1940 (manuscrit), Zukofsky Papers (Kansas) .............................................................. 86 17. Goll à René Taupin, Brooklyn, 19 juillet 1940 (tapuscrit), Zukofsky Papers (Kansas) .............................................................. 87 18. Goll à Rolfe Humphries, Brooklyn, 10 août 1940 (tapuscrit), Humphries Papers .......................................................................... 88 19. Goll à William Carlos Williams, Brooklyn, 30 août 1940 (tapuscrit), Williams Papers ........................................................... 89 20. Goll à René Taupin, Brooklyn, 12 septembre 1940 (tapuscrit), Zukofsky Papers (Kansas) .............................................................. 92 21. Goll à René Taupin, Brooklyn, 13 septembre 1940 (tapuscrit), Zukofsky Papers (Kansas) .............................................................. 93 22. Goll à Louis Zukofsky, Ithaca, 21 septembre 1940 (carte postale manuscrite), Fonds Goll ................................................................. 95 23. Goll à Louise Bogan, [Ithaca], [25 septembre 1940] (carte postale manuscrite), Bogan Papers ............................................................ 96 24. Goll à William Carlos Williams, Brooklyn, 1 er novembre 1940 (tapuscrit), Williams Papers ........................................................... 96 25. Goll à Louise Bogan, Brooklyn, non daté (carte de visite avec mention manuscrite), Bogan Papers .............................................. 97 26. Goll à Louise Bogan, sans lieu, [janvier 1942] (poème imprimé avec mention manuscrite), Bogan Papers ...................................... 98 27. Goll à William Carlos Williams, Brooklyn, 31 mai 1943 (tapuscrit), Williams Papers ........................................................... 98 28. Goll à Louis-Marcel Raymond, Paris, 13 juillet 1947 (manuscrit), Fonds Raymond ............................................................................. 99 29. Goll à Louis-Marcel Raymond, Paris, 14 juillet 1947 (manuscrit), Fonds Raymond ............................................................................. 101 Liste complémentaire des fonds ............................................................. 104 Index des noms cités .............................................................................. 105 Index des œuvres de Goll évoquées ....................................................... 110 Table des matières .................................................................................. 112 <?page no="124"?>
