Concordia Discors I
Choix de communications présentées lors du 41e congrès annuel de la North American Society for Seventeenth-Century French Literature, New York University, 20-23 may 2009
0914
2011
978-3-8233-7650-7
978-3-8233-6650-8
Gunter Narr Verlag
Benoît Bolduc
Henriette Goldwyn
Placé sous le signe de la formule horatienne "Concordia Discors" ce principe d´un univers formé de l´union harmonieuse d´éléments divergents - en apparence incompatibles - le 41e colloque de la North American Society for Seventeenth-Century French Literature a choisi de mettre en lumière les tensions génératrices du Grand Siècle et de questionner les principaux courants de la critique dix-septiémiste, tels qu´ils se sont développés de part et d´autre de l´Atlantique. ce dialogue , riche en perspectives origineales , qui répondait outre à l´exigence d´interdisciplinarité que s´est toujours fixée la NASSCFL, a permis de réfléchir de manière dynamique aux forces qui ordonnent les contradictions du XVIIe siècle, et d´établir un rapport fructueux entre littérature, religion, musique, beau-arts et pouvoir politique.
Les deux présents volumes réunissent donc une diversité féconde de points de vues et d´approches méthodologiques, couvrant une large mosaique thématique , située à tous les niveaux de la pratique littéraire, dépuis sa genèse jusqu´à sa réception. La richesse et la variété des textes rassemblés nous invitent ainsi, en ces temps de crise littéraire, `poursuivre dans la voie de la "concorde discordante" et de l´esprit de syncrétisme où s´est distingué le Grand Siècle.
<?page no="0"?> BIBLIO 17 Concordia Discors Choix de communications présentées lors du 41 e congrès annuel de la North American Society for Seventeenth-Century French Literature New York University, 20-23 mai 2009 Édité par Benoît Bolduc et Henriette Goldwyn Volume I <?page no="1"?> Concordia Discors <?page no="2"?> BIBLIO 17 Volume 194 · 2011 Suppléments aux Papers on French Seventeenth Century Literature Collection fondée par Wolfgang Leiner Directeur: Rainer Zaiser <?page no="3"?> Concordia Discors Choix de communications présentées lors du 41 e congrès annuel de la North American Society for Seventeenth-Century French Literature New York University, 20-23 mai 2009 Édité par Benoît Bolduc et Henriette Goldwyn Volume I <?page no="4"?> © 2011 · Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG P. O. Box 2567 · D-72015 Tübingen Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Gedruckt auf säurefreiem und alterungsbeständigem Werkdruckpapier. Internet: http: / / www.narr.de · E-Mail: info@narr.de Satz: Informationsdesign D. Fratzke, Kirchentellinsfurt Druck und Bindung: Laupp & Göbel, Nehren Printed in Germany ISSN 1434-6397 ISBN 978-3-8233-6650-8 Bibliographic information published by the Deutsche Nationalbibliothek The Deutsche Nationalbibliothek lists this publication in the Deutsche Nationalbibliografie; detailed bibliographic data are available in the Internet at http: / / dnb.d-nb.de. Image de couverture : François Chauveau, « Le Feu et l’Eau », détail de l’arc de triomphe dressé sur la place Dauphine pour l’entrée de Louis XIV et de Marie-Thérèse à Paris en 1660. Reproduit avec l’aimable autorisation de l’Institut national d’histoire de l’art, Bibliothèque, collections Jacques Doucet. <?page no="5"?> The North American Society for Seventeenth-Century French Literature Comité Exécutif (2008-2010) Co-Présidents: Benoît Bolduc, Henriette Goldwyn Trésorier (États-Unis): Perry Gethner Trésorière (Canada): Claire Carlin Secrétaire: Christine McCall Probes Éditeur: Rainer Zaiser Bibliographe: William Roberts Représentants des membres: Marie-Christine Pioffet, Jean-Vincent Blanchard 41 e colloque annuel: Concordia Discors, New York University, 21-23 mai 2009 Organisateurs: Benoît Bolduc, Henriette Goldwyn Comité scientifique: Jean-Vincent Blanchard Perry Gethner Elizabeth Goldsmith Erec R. Koch John Lyons Ellen McClure Marie-Christine Pioffet Volker Schröder Lewis Seifert Guy Spielmann Malina Stefanovska Gabrielle Verdier Coordinatrice du colloque: Nina Hasenstein Coordinatrice des actes: Amrit Aneja <?page no="7"?> Biblio 17, 194 (2011) Table des matières Volume 1 B ENOÎT B OLDUC et H ENRIETTE G OLDWYN Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Conférence d’honneur O REST R ANUM Imposing Discordant Harmony on the Quarrel over Le Cid . . . . . . . . . . . 19 Méthodes critiques E MMANUEL B URY (Re)construire le XVII e siècle au XXI e siècle? Accords et désaccords entre histoire culturelle “à la française” et cultural theory. . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 M AX V ERNET Discorde et Interprétation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 M ICHAEL C ALL Mind and Body: The Late Works of Molière and Jacques Guicharnaud . . 65 P IERRE Z OBERMAN Gender, Identity, Sexuality: French and American Approaches . . . . . . . . 75 A MY W YGANT Storms of War, Storms in a Teacup: Seventeenth-Century French Studies in Britain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 Stratégies d’écriture D ELPHINE D ENIS Pratiques du pastiche au XVII e siècle: écrire comme un autre . . . . . . . . . 97 <?page no="8"?> 8 Table des matières F RANÇOISE L AVOCAT Paradoxes et métalepses aux pays des romans . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107 J UDITH S RIBNAI Discordances du je dans les récits à la première personne . . . . . . . . . . . . 117 K ATHLEEN W INE The Carte de Tendre and Hesiod’s song: Problems of Publishing in Clélie . 127 C ONSTANCE C ARTMILL L’Ethos masculin dans les Mémoires de La Guette, ou comment (ne pas) être femme au XVII e siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137 Vérité et fiction C LOTILDE T HOURET Le conflit des loyautés dans les Sophonisbe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147 S YLVIE R EQUEMORA -G ROS Viatica concors ou viatica discors? Du Cafre du Sud au Cafre du Nord. . . . 157 M ARIA N EKLYUDOVA Historian’s Uncertainties: Investigation of Truth in Antoine Varillas’ Œuvre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 M ARC H ERSANT Discordances narratives et vérité dans les Mémoires du cardinal de Retz et dans les Mémoires du duc de Saint-Simon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177 Pratiques scéniques A NNE S URGERS “Cet accord des choses opposées qu’ils appellent harmonie”: conditions scénographiques d’un théâtre-emblème à l’âge baroque . . . . 189 J ULIA G ROS DE G ASQUET Les “farceurs tragédiens” de l’Hôtel de Bourgogne: les origines du jeu baroque français? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201 F ABIEN C AVAILLÉ Applaudissement universel et ricanements importuns: représentations de l’assemblée théâtrale de la Querelle du Cid à la Pratique du Théâtre . . . 211 <?page no="9"?> 9 Table des matières A DRIANA B ONTEA Écritures du geste et cartographie du sensible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223 K AREL V ANHAESEBROUCK L’authenticité historique au XVIII e siècle: Britannicus interprété par Lekain et Talma . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233 J UDITH LE B LANC Armide de Lully et Quinault: tensions au cœur de “l’opéra des femmes” (XVII e -XXI e siècles) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243 Volume 2 Querelles galantes S OPHIE R OLLIN Querelles galantes autour de l’œuvre de Voiture. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 N ATHALIE F REIDEL Débats épistolaires: Du modèle galant à la lettre intime. . . . . . . . . . . . . . 23 S OPHIE T ONOLO De la querelle à l’idylle: quelques enjeux de la poésie de Mme Deshoulières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 Rhétorique R AINER Z AISER La rhétorique de l’harmonie discordante: La théorie de la pointe dans les traités poétiques du XVII e siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 A NNE R ÉGENT -S USINI La rhétorique d’exposition dans la controverse anti-protestante: irénisme ou violence? L’exemple de Bossuet. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 L AURENT S USINI Style simple et style figuré à l’âge classique: émergence d’une concordia discors . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 G ILLES D ECLERCQ How to Deal With an Unfriendly Audience: Insinuatio in Seventeenth- Century French Literature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 <?page no="10"?> 10 Table des matières Religion A DRIEN P ASCHOUD Le politique au prisme de la concordia discors dans Les Tragiques (1616) d’Agrippa d’Aubigné . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 M ARIE -C HRISTINE P IOFFET Des affres du cannibalisme aux supplices de l’Enfer: Discordances et controverses dans Le Nouveau Panurge (1615) et sa Suitte (1623? ) . . . . . . 97 N ATACHA S ALLIOT De la discorde à la concorde: l’idéal d’une réunion confessionnelle au XVII e siècle en France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107 M ICHAEL M ORIARTY Concordia: Reconciling Grace, predestination, and freedom. . . . . . . . . . . 117 C HRISTINE M C C ALL P ROBES Boileau et Bossuet, le poète-satiriste et le pasteur d’âmes. Leurs rôles et leurs armes dans la controverse sur l’amour de Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . 127 R ICHARD G. H ODGSON Morale janséniste et pensée libertine chez Pierre Bayle: du péché originel à une théorie des passions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137 Croyances et superstitions D ENIS A UGIER Rémores et salamandres: à la recherche d’une unité des métaux . . . . . . . 147 M ICHEL F OURNIER De la croyance à l’éloquence: l’imaginaire superstitieux dans le discours pamphlétaire de la première moitié du XVII e siècle . . . . . . . . 157 D IDIER C OURSE Le Traité des superstitions du Père Thiers: poudre de momie, trèfle à quatre feuilles et corde de pendu. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167 L UCIE D ESJARDINS Des croyances populaires à une poétique du divertissement littéraire: Le Monsieur Oufle de Laurent Bordelon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177 <?page no="11"?> 11 Table des matières Formes du savoir E LIZABETH H YDE Form, Function, and Eloquence? Hybridity in the Seventeenth-Century French Instructional Manual . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189 J EAN L UC R OBIN Méthode vs expérience dans le Discours de la méthode et les Essais de Descartes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199 R OGER B ELLIN “Dubitandi ac disputandi”: Descartes’ Argument against Argument . . . . . 209 G ABRIELLE R ADICA Les tensions dans la pensée de Bernard Lamy. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219 H ÉLÈNE M ERLIN -K AJMAN Le “sens contraire” et la “mauvaise part” dans le Dictionnaire universel de Furetière. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229 Programme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239 <?page no="13"?> Biblio 17, 194 (2011) Introduction B ENOÎT B OLDUC et H ENRIETTE G OLDWYN New York University quid uelit et possit rerum concordia discors… Horace, Épîtres, XII, 15 que signifient et que peuvent ces principes des choses toujours opposés et toujours unis… trad. d’A. Dacier Les textes rassemblés dans ces deux volumes correspondent environ au tiers des communications présentées au 41 e colloque de la North American Society for Seventeenth-Century French Literature qui s’est tenu à la New York University du 21 au 23 mai 2009. En choisissant pour thème de ces journées la formule horatienne “concordia discors”, ou, comme la traduit Dacier, “ces principes des choses toujours opposés et toujours unis”, leurs organisateurs ont voulu encourager les membres de la société à réfléchir aux tensions génératrices du Grand Siècle ainsi qu’aux dissidences et antagonismes qui peuvent résulter de la rencontre entre les diverses approches et traditions critiques pratiquées par les dix-septiémistes en France, dans le reste de l’Europe, et en Amérique du Nord. Le colloque de New York a été l’occasion de rendre hommage à deux grands dix-septiémistes nord-américains dont les travaux ont mis en lumière d’importants points de tension et de résistance. Dans sa conférence inaugurale, Eglal Henein, professeur émérite de la Tufts University, a fait inopinément se rencontrer l’Astrée d’Honoré d’Urfé et l’Astérix de Goscinny et d’Uderzo, accordant l’“après-guerre” d’Henri IV et celle du général De Gaulle, la littérature et la paralittérature, l’histoire et le mythe. On trouvera l’essentiel de son analyse de la Gaule de l’Astrée dans la préface de son édition électronique du roman (http: / / astree.tufts.edu/ preface.html). Nous reproduisons en tête de ce volume la conférence prononcée par le second invité d’honneur, Orest Ranum, professeur émérite de la Johns Hopkins University. Revisitant les pièces de l’une des plus célèbres querelles du siècle, l’historien de l’absolutisme, de la Fronde et de Richelieu situe l’auteur du Cid et celui <?page no="14"?> 14 Benoît Bolduc et Henriette Goldwyn des Sentiments de l’Académie Française sur le Cid dans un contexte culturel et sociopolitique plus favorable au consensus qu’à l’originalité. Ce sont des questions de critique littéraire qui ouvrent le premier volume. On y trouvera, réunis dans une première section (Méthodes critiques), cinq mises au point de méthode émanant de chercheurs aguerris qui prolongent l’important débat engagé par la NASSCFL lors des colloques de Virginie (2002), organisé par John Lyons, et de Dartmouth (2003), organisé par Faith Beasley et Kathleen Wine. Comme on le verra dans les autres sections qui composent les deux volumes, la concordia discors se manifeste à tous les niveaux de la pratique de la littérature depuis sa genèse (Stratégies d’écriture) jusqu’à sa réception (Vérité et fiction). L’équilibre singulier qui distingue l’âge classique parmi les grandes époques littéraires, ce point d’orgue précaire où s’accordent la production littéraire et les attentes du public, est bien le résultat de tensions dynamiques. Il procède de l’opposition entre “réguliers” et “irréguliers”, théoriciens et praticiens, notamment dans ce nouvel espace qu’est le théâtre (Pratiques scéniques). Il repose sur un idéal, l’honnêteté, qui, mis à l’épreuve de la conversation et de la controverse (Querelles galantes), encourage un nouvel art d’écrire (Rhétorique). Les écrivains du Grand Siècle, de d’Aubigné à Saint-Simon, ont traduit cette vision d’un monde contrasté en développant un art subtil du compromis, reposant sur un esprit de syncrétisme d’ordre à la fois esthétique, politique, religieux, et philosophique (Religion; Croyances et superstitions; Formes du savoir). Bien que nos sponsors nous aient permis de faire le meilleur accueil à nos collègues des États-Unis, du Canada, de France, du Royaume-Uni et d’ailleurs, et que les quatre journées du colloque se soient plutôt déroulées sous les auspices de la concorde, nous ne pouvons ignorer la crise que traversent présentement les sciences humaines en général et les études littéraires en particulier. Au moment où s’élaborait le programme du colloque, une lecture-marathon de La Princesse de Clèves était organisée devant le Panthéon à Paris en réaction aux déclarations du Président de la République sur l’inutilité, pour les candidats des concours administratifs, des études littéraires. Au moment où l’on éditait les actes, le gouvernement de l’état de New York prenait la décision de fermer les départements de français, d’italien, de russe, d’études classiques et de théâtre de la State University of New York à Albany pour des raisons budgétaires. Par conséquent, il nous paraît plus que jamais vital de continuer, dans l’esprit de la concordia discors, un “dialogue transatlantique” - pour reprendre le sous-titre des actes du colloque La littérature, le XVII e siècle et nous édités par Hélène Merlin-Kajman - qui nous permette de canaliser nos “différences arc-boutées les unes aux autres”, suivant l’heureuse expression de Max Vernet, afin de rendre plus que jamais manifeste l’importance des études littéraires dix-septiémistes. <?page no="15"?> 15 Introduction Le colloque et la publication des actes ont été rendus possibles grâce à la généreuse contribution de la Florence Gould Foundation, de la Humanities Initiative (NYU) et des Services Culturels de l’Ambassade de France. Nous tenons à remercier chaleureusement tous les participants du colloque, les collègues nord-américains qui ont accepté de faire partie de notre comité scientifique et éditorial, la New York University en la personne d’Edward Sullivan, doyen des Humanités, de Thomas Bishop, directeur du Centre for French Civilization and Culture, et de Judith Miller, directrice du département d’études françaises, dont la confiance et le soutien ne se sont jamais démentis, ainsi que le personnel du département d’études françaises et les étudiants qui nous ont assistés durant les quatre jours du colloque. Nous sommes tout particulièrement reconnaissants à Nina Hasenstein et à Amrit Aneja, coordinatrices du colloque et de la publication des actes, ainsi qu’à Christian Biet et Volker Schröder qui nous ont très souvent conseillés. Nous remercions enfin notre patient éditeur, Rainer Zaiser, et la maison Gunter Narr qui a accepté d’accueillir une fois de plus les travaux de la NASSCFL dans ses collections. <?page no="17"?> Conférence d’honneur <?page no="19"?> Imposing Discordant Harmony on the Quarrel over Le Cid O REST R ANUM Johns Hopkins University I humbly dedicate this essay to my late friend Noémi Hepp A quick check in the Loeb Library edition of Horace’s Epistles revealed that the Concordia discors locus for Horace remained principally about the workings of nature, always paradoxical, yet measurable and, in some sense, comprehensible as wealth, or its opposite. The tag to Empedocles, and presumably to his disciple, Stertinius, reassures his listener/ reader that he has identified a particular argument beneath the examples given to illustrate it. The diffusion of the tag has been assured by Diogenes Laertius’s life of Empedocles, the great well of tags about and from ancient philosophers, each with his principal arguments summed up in easy-to-remember commonplaces - made easy to remember by their linguistic or grammatical cleverness. There are about 75 specific references to Horace in Montaigne’s Essays. I checked them all, and to no avail. In the Apology for Raymond Sebond our tag is quickly mentioned among a long summary of arguments made by various philosophers, “la discorde et amitié d’Empedocles” (II, xii), in fact part of a critique of doing scientific inquiry by merely listing philosophers and their principal arguments. A few lines later, occurs the familiar passage that, again, begins with an analogy to wealth: En cette pratique et negotiation de science, nous avons pris pour argent content le mot de Pythagoras, que chaque expert doit estre creu en son art. Le dialecticien se rapporte au grammarien de la signification des mots; le rhetoricien emprunte du dialecticien les lieux des arguments; le poete, du musicien les mesures; le geometricien, de l’arithmeticien les proportions; les metaphysiciens prennent pour fondements les conjonctures de la physique. Car chaque science a ses principes presupposez par où le jugement humain est bridé de toutes parts (II, xii, 605). <?page no="20"?> Orest Ranum 20 Montaigne shuffles the whole deck. He and the Essays are an exemplum of concordia discors, a unique synthesis of authorial authorities and skeptical learning. *** Literary scholars have been quick to situate Le Cid in relation to Corneille’s other plays, and to the founding of the Academy; but they rarely mention (Niderst is an exception) that, in 1636, about one-fifth of the realm was in rebellion under the Croquants; that the Grisons had defected for lack of payment, thereby letting Spanish troops pass the Val Telline; that Normandy was reportedly in revolt; that a plot to assassinate Richelieu failed because Gaston d’Orléans had scruples about killing a priest; and that the Spanish swept south and west, to besiege and capture Corbie and much of Picardy. The coinage had been devalued, and the government was on the verge of bankruptcy. The storm created by Le Cid had been unprecedented, and there were plenty of well-read Parisians, including Richelieu, who shared an awareness and fascination with, if not an admiration for, honor as practiced in Spain. The play could not be interpreted as anything but a studied exemplum of the commanders who captured Corbie and made Richelieu think of fleeing Paris. Would the Spanish capture Paris, spring 1637? There would be allusions to the social-Hispanic parallels in the flow of polemic launched by Le Cid, but it was certainly the elephant in the room. As the king, not Richelieu, rallied his subjects and prepared to lead them north himself, Desmarests de Saint-Sorlin produced Les Visionnaires! In January 1637 Corneille produced Le Cid. In his Les Abeilles et les Araignées, Marc Fumaroli notes the importance of warfare, but casts it as a question of foreign versus civil strife, as indeed it was for the early 1630s; but by the year of the Spanish invasion at Corbie, it was both (Lecoq 98). Whether written simultaneously or not, as a response to the sensation caused by Le Cid, the “melancholy” and “autism” of the characters in Les Visionnaires may be interpreted as a satire of the chatter unleashed by Le Cid. Each character projects a self that cannot be engaged by others. Desmarests implies that there can be no “public” capable of generating a critical discussion about a work of literature. One of the characters, a poet, as Fumaroli puts it: “lives in a world of Greco-Roman fables.” Thus in the spring of 1637, with Richelieu’s support, Les Visionnaires implicitly questioned the possibility for the creation of critical discourse except by honnêtes gens. It would be published in July, just when the academicians were drafting their critique of Le Cid. 1 1 Desmarests’ explicit views on the Querelle are found in his Argument to Les Visionnaires, a diatribe directed not only at le peuple but at the poets who write for them, <?page no="21"?> 21 Imposing Discordant Harmony on the Quarrel over Le Cid Robert Schneider, 2 J. Sawyer, and H. Duccini have rightly discerned the fearful and constrained mood that fell on French culture in the decades immediately following the Wars of Religion. Would the violence start up again? Would vitriolic preaching and plotting return? The backlash to Henri IV’s assassination, and the seemingly endless wars against the Huguenots in the South, tamped down bolder voices not only through self-censorship but also through repression. Was it safe to permit published disputes among men of letters? Colloquies between Catholics and Huguenots certainly were not. The Edict of Nantes had made it illegal to research or narrate virtually all aspects of history after 1585, with the exception of royal policy and biography - as the great de Thou learned. And then, at only a few months’ interval, the Discours de la Méthode and Le Cid stunned the Parisian elite by the arrogance of the authors and the boldness of their thought. Daring to argue that all ancient learning and history have been worthless to him, and daring to write verses that make grown men weep, shocked the senses and prompted bewilderment, especially since both men had been trained in Jesuit schools, with their emphasis upon humility. 3 1637: a remarkable programmatic statement characteristic of Humanist culture in its emphasis on the immense extension of the individual as expressed in writing, not unlike similar works by Valla, Pico, Erasmus, du Bellay, and Montaigne, ignoring or attacking the teachings of the “Eschole,” that is, a late scholastic Aristotelianism. Burckhardt’s chapter on Individualism must come to mind. 1637: a play, a tragi-comédie that is at once historical and ethical - the grandes âmes in verse and action - written by a modern not unlike Descartes, whose strength of character freed him, as a modern, to pick and choose from Aristotle. 1637: Gassendi was completing his life of Peiresc and working on the question of the magnitude of the sun. Looming already in his mind was a sense that he needed to write a life of Epicurus, but also that, if he was to do philosophy, he had to write a history of it. 1637: letters of nobility arrived in Rouen in March, for Corneille’s father. The son of a nobleman would be a gentleman, as Corneille’s license in law and his admission to the bar declined in importance. certainly also Richelieu’s view. Writing to please le peuple is characteristic of those republics where “il [le peuple] courra plustost en foule pour voir un monstre, que pour voir quelque chef d’œuvre de l’art, ou de la nature” (7ff). 2 While awaiting Schneider’s forthcoming book, see his “Disclosing Mysteries” and “Political power and the Emergence of Literature”. 3 See P.M. Ranum. <?page no="22"?> Orest Ranum 22 I shall pursue responses to the playwright, not to the philosophers; but Gassendi’s ways of working will be brought up briefly, later. What I propose to do now is to suggest how the tag concordia discors may help us to understand how the literary broker, Chapelain, applied his expertise and professionalism as a writer (1) to create an ideal, both social and discursive, for fostering better literature; (2) a personal and literary exemplum (Collas III), that is, a standard of comportment and a vocabulary for literary criticism that combined learning and bienséance (Lanson); and 3) I shall explore the fate of the legal terms and metaphors in one important text of criticism (e.g., the expression “le jugement”), as a measure of the general decline of Robe culture across the century. Here are some general points to recall: In mid-February 1637, Mlle Paulet had asked Chapelain to ask Desmarests to delete some verses [in Les Visionnaires] that had “shocked” Monsieur de Scudéry. Desmarests accepted to do so and said that he would have removed from Le Cid the ones that had caused a scandal. 4 Scudéry had begun to pose as a critic through the intermediary of a salonnière. In his Observations sur Le Cid, Scudéry creates an honnête pose while displaying his knowledge of classical theory about the theater. Scudéry is assertive and categorical, as a courtly and noble docte, but he uses the vocabulary of judgment. His remark about errors in his own works is mocking, as he almost challenges Corneille to write criticism of them. He claims to be astonished that “le peuple porte le jugement…” (qtd. in Civardi 368); and like a hammer at the end: “Après ce que vous venez de voir, jugez (Lecteur) si un ouvrage dont le sujet ne vaut rien, qui choque les principales règles du Poeme Dramatique, qui manque de jugement en sa conduite …” (372), the frame of bienséance is broken by a frequent and categorical recourse to juridical vocabulary. In contemporary terms, Scudéry’s Observations contain what David Denby calls “snark,” a type of verbal abuse in our time that is only comprehensible to a specific group. Denby relates writing snark to social rank, the disparity in this instance being between noble rank and the ability to sustain it. Could bienséance and posed anonymity include a near ad hominem attack on the play, if not the author? Richelieu rather liked Le Cid, 5 and his support for Corneille, as a protector, did not falter; but his marginalia on Chapelain’s draft of the Sentiments de l’Académie Française, 6 reveal that the ignorants’ (his word) talking and writing 4 Discussed below. The principal source is a letter from Chapelain to Mlle Paulet, Feb. 15, 1637, in Chapelain, I, 137. 5 See Civardi’s Introduction. 6 Superbly edited by Civardi, pp. 930-99. Though Civardi has carefully integrated the findings of C. Searles, these apostilles are easier to grasp in the photographs in Searles’s edition of Les Sentiments. <?page no="23"?> 23 Imposing Discordant Harmony on the Quarrel over Le Cid about the play became unacceptable. Scudéry had used the words vulgaire and bourgeois to characterize these talkers and writers, certainly more social terms than ignorants was. Would the controversy and polemic get out of control? Scudéry had refrained from attacking Corneille’s social-professional and provincial origins, but the very important boundary between the writer and his work for polemic might not hold, and it would be the Academy’s task to reinforce it. The effort would be modern; the ancients slammed away at the private lives of poets and philosophers, often descending from a pun on a name to the outright nasty. Would the moderns follow them? What would be Chapelain’s approach to his task? Earlier generations of writers and scholars have usually been content to dismiss Les Sentiments because it was not only a coup d’autorité, it was also derivative (Civardi 923). Research by the historians of natural philosophy Lynn Joy and Ann Blair, and historians of sixteenth-century rhetoric Ann Moss 7 and Francis Goyet, 8 suggest how the academician might have conceived of his project, and how he executed it. Hélène Merlin (224 ff.) points out that the Academy’s task was to find a discourse that legitimated it. For both Descartes and Corneille, their radical Individualism, at once intellectual and social, shocked a society in which creative identities were manifested through relations of protection and corporate membership (Shoemaker passim). 9 By framing his Observations in legalese and Aristotelian criticism, Scudéry set the terms of the exchange. Chapelain would reject the first and deepen the other, with the help of the Stagirite and his Italian commentators. The letters-patent founding the Academy date from the very days when Le Cid was first produced, early January 1637. Not until July of that year would the Parlement register them, and then with the reservation that academicians could discuss only their own works. Les Sentiments is constructed around commonplaces, or principles taken directly from Aristotle (his name is mentioned), or else from his translatorcommentators. Les Sentiments embodied savoir that could not be refuted, since the commonplaces constituted a trans-historical frame on which were fixed points of fact. The latter could, of course, be contested, as occurred in the rejoinders to Scudéry’s points. Neil Kenny’s remark captures why Les Sentiments was read as authoritative: “Underlying such passages [loci from 7 Cf. Beugnot. 8 Chap. 6 and 7; Goyet also offer a convincing reading of Corneille’s Horace. See also Faisant. 9 For the academicians, see Delhez-Sarlet. Pellisson probably exaggerates the sense of personal autonomy sought by the academicians in the 1630s, but the low and irregular attendance indicates opposition to the Cardinal. See Stenzel. <?page no="24"?> Orest Ranum 24 Aristotle] is the basic Aristotelian tenet that knowledge can only be of universals, not particulars.” (98) 10 The Academy, as Chapelain sought to found it, would be neither a court of law nor a simple sodality. It would be distinct from the courtly by its exclusive expertise, dependent on Conrart and the chancery for defending its privileges and relations with publishers, while its protector controlled membership (Schapira chap. 2 and 3). 11 The commentators on Le Cid would wallow in personal opinion. After Concini’s execution, some 100 pamphlets had circulated (Duccini 329). Richelieu feared a long battle among the men of letters whom he protected. Matthieu de Morgues published that summer still another devastating polemic against Richelieu, just as the Academy was working on Les Sentiments. Chapelain needed all the authority that Aristotelianism could supply - not just tags pulled from here and there, but tags wrought into a dessein and articulating a method. Chapelain (I, p. 162 qtd. in Miller 20) says that Gualdo’s biography of Pinelli is the “patron” for Gassendi’s life of Peiresc. The possibility that an Italian work provided the dessein for Les Sentiments cannot be excluded. Refuting Scudéry was not really the challenge, nor was the working-out of a relationship with a radically independent provincial poet. The challenge was how to quiet things down and return theater-goers to reading, rather than writing. Scudéry, probably rightly, thought that Richelieu would approve an attack on a play that had been so arresting to the vulgaire (Civardi 116). 12 In the margin of the version submitted to him, Richelieu came down in favor of 10 Chapelain uses the term principe when commenting on a work of natural philosophy. Attempts to draw distinctions between sentences and lieux communs have been interesting but not conclusive (Garofalo). See Corneille, “Discours de l’utilité des parties du poëme dramatique,” in Œuvres complètes, III, pp. 117-90. What Dennis Des Chene writes about Aristotelianism helps scholars grasp what had been abandoned from the philosophy of the schools. See also Headley 145-79, who asks whether or not On Gentilism is a kind of “manifesto,” p. 147. 11 On the Chapelain-Balzac friendship, see Jouhaud chap. 2. 12 What seems so elitist and snobbish may in fact have veiled fears that ran deeper than loss of favor or censure by the Parlement or the Church, very sound reasons to be fearful. Chapelain writes: “Il n’est pas question ici de satisfaire les libertains et les vicieux qui ne font que rire des adultères et des incestes … pourvu qu’ils se divertissent. Il n’est pas question de plaire à ceux qui regardent toutes choses d’un œil ignorant ou barbare,” (I, 360). In a society where one-fifth of the wealth was controlled by celibates, the law courts royal still had conseillers clercs; and in the republic of letters, which remained largely celibate, fears of sexual behaviors nourished codes of comportment that unleashed waves of verbal and gestural correctness. The passions had to be purged from the theater, not aroused. <?page no="25"?> 25 Imposing Discordant Harmony on the Quarrel over Le Cid expertise being necessary if one was to write about literature, and he favored silencing les ignorants. There is a danger in over-interpreting the differences between the two words, just as there is a danger in thinking that ignorant is synonymous with bourgeois (Civardi 368). 13 Elitist that he was, and eager to enhance the status of letters, Chapelain favored restrictions on who might write and publish on the subject of Le Cid. Here again, Corneille did not agree, and he said so in his dedication to La Suivante, published in August 1637, just when the Academy was drafting Les Sentiments. Cependant, mon avis est celui de Térence: puisque nous faisons des poèmes pour être représentés, notre premier but doit être de plaire à la cour et au peuple et d’attirer un grand monde à leurs représentations. Il faut, s’il se peut, y ajouter les règles, afin de ne déplaire pas aux savants, et recevoir un applaudissement universel; mais surtout gagnons la voix publique; autrement, notre pièce aura beau être régulière, si elle est sifflée au théâtre, les savants n’oseront se déclarer en notre faveur et aimeront mieux dire que nous aurons mal entendu les règles que de nous donner des louanges quand nous seront décriés par le consentement général de ceux qui ne voient la comédie que pour se divertir. (Qtd. in Youssef 186). Note how he begins with a reference to an ancient authority, one not known for having appealed to the plebs; and note the absence of any reference to the salons. The voix publique is that ontological being that Richelieu and Chapelain also sought to attract to the theater. The harsh remarks about popular taste are, of course, a commonplace from Aristotle; but torn from its context, the significance changes meaning. Corneille takes up the question in 1660, when he describes how audiences always seem to want the good to triumph and the bad to be punished: C’est cet intérêt qu’on aime à prendre pour les vertueux qui a obligé d’en venir à cette autre manière de finir le poëme dramatique par la punition des mauvaises actions et la récompense des bonnes, qui n’est pas un précepte de l’art, mais un usage que nous avons embrassé, dont chacun peut se départir à ses périls. Il étoit dès le temps d’Aristote, et peut-être qu’il ne plaisoit pas trop à l’imbécilité du jugement des spectateurs, et que ceux qui le pratiquent s’accomodent au goût du peuple, et écrivent selon les souhaits de leur auditoire. En effet, il est certain que nous ne saurions voir un honnête homme sur notre théâtre sans lui souhaiter de la prospérité, et nous fâcher de ses infortunes. (Corneille, III, 122) Here Corneille is in dialogue with Aristotle, whom he characterizes in almost familiar ways, as he addresses what is a primordial question: Why do audi- 13 See also Richelieu, “Apostles” in Civardi 927, 934. For Chapelain, see 937. <?page no="26"?> Orest Ranum 26 ences want the “good guys” to prevail? In Scudéry, the locus is merely social, as it likewise would be in Desmarests. Here I have anticipated Corneille, the critic of 1660, to illustrate not only how loci can function, but how mis-readings caused by ignoring their contexts can shift the theme from literary to social thought. The Marty-Leveaux edition supplies the Greek. Corneille admits that he is relying on Latin translations; but we shall note later how he responds when faced with conflicting translations of key words. What were Chapelain’s options as he sat down to prepare Les Sentiments? Commonplaces about judgment, including complex metaphors about court procedure, had antique precedents. Quintilian writes about judging literature (Dubois 312). This was Scudéry’s vocabulary, and it was, of course, very familiar to Chapelain. In his letters to friends he refers to his text as a “jugement” of Le Cid. 14 The first option could have been to elaborate the judicial vocabulary. A second one could be characterized as philosophical; a third, learned; a fourth, the Conférences organized by Renaudot, which were attracting attention in 1637. Any discussion of the judicial vocabulary in Les Sentiments must begin with Christian Jouhaud’s observation (Jouhaud, Power 34-82) that it was very strong in the first version, and that it was replaced by a vocabulary of explanation in the second. In the intervening few weeks, Scudéry’s Lettre à l’Illustre Académie is framed in legalese, with the famous reference to the Academy being a “tribunal”: “Que Monsieur Corneille paroisse donc, devant le tribunal où je le cite….” (Civardi 567). Does this continuity in the use of legal vocabulary, from the Observations to the Lettre, suggest that Scudéry remained oblivious to the undercurrents running against the use of legalese? Just where Chapelain’s friend, Guez de Balzac, stood on this issue can only be noted here in passing. By 1640 he would make jugement the final mental activity and arbiter over génie and raison (Youssef 271 ff). We shall see later how Corneille implicitly rejects this formulation. As for a philosophical mode, he could have followed Aristotle, Book VIII of the Topics, which described discourse as a disputatio in what Francis Goyet terms l’art de conférer. This type of discourse was philosophical, not bienséant, and it could often culminate in altercatio. (F. Goyet 693 and passim). Chapelain takes his time in presenting fairly, in Les Sentiments, Scudéry’s 14 To Boisrobert he writes (July 31, 1637): “Monsieur, je ne doute point que Monseigneur [Richelieu] ayant daigné jetter les yeux sur cette esbauche de jugement que j’ai faitte du Cid …” (Chapelain, Lettres, I, 159). The excuses that Chapelain makes about his text clarify his sense of purpose in using judicial vocabulary in this first draft. <?page no="27"?> 27 Imposing Discordant Harmony on the Quarrel over Le Cid “Observations,” which indicates a desire for a dialogue that is inclusive and built on the humanistic assumption that readers will share in the effort to establish truth and advance knowledge. The interpersonal relations of those frequenting the Cabinet Dupuy - a learned group only open by invitation - could become competitive, as specific historical facts, epigrams and Latin tags were exchanged (Delatour passim; Miller 68 ff. 15 ). The Conférences sponsored by Renaudot hit their stride by the mid-1630s (Wellman). Open to anyone, these were regularly occuring occasions rather than a formal institution; they had no other moderator than the people who assumed leadership owing to their learning, rhetoric and charisma. The Conférences were little more than brief reports of what had been said. Chapelain does not pursue silence or censure; he seeks concordia about Le Cid. The commonplace about how true knowledge and true eloquence will always be in harmony may have been in his mind, as it was in Descartes’s, in the Discours; but he might also have shared the deep convictions of his friend Gassendi about how concordia and science are attained. Here I have been much influenced by the work of Lynn Joy (chap. 2-4) and Emmanuel Bury (655-63) 16 . Gassendi gave his writings in biography and natural philosophy to Chapelain and other friends to read, and Chapelain offered criticism. This commitment to sharing and community had been strong among Epicureans since Antiquity (Grafton and Williams 55, 225 ff). In one instance Chapelain proposed that Gassendi translate his terms in physics from Epicurean ones to Aristotle’s terms (Joy 122). 17 In Gassendi’s case, the commitment to collective literary and scholarly inquiry was deeper and more routinized, as a form of inquiry, than what typically went on in the Republic of Letters. But, as a salonnier, Chapelain also knew that literature ranged far beyond the world of the doctes. I lack the time to research the precise distinctions between conversation and conférer that might have come to mind as Chapelain wrote, but he was struggling to find the right word to describe the type of creative discourse that should prevail, not only in the Academy but also among all gens de lettres. At one point he says “contestation honneste” (Civardi, p. 933)! What he calls “agitation de la dispute” is to be avoided (Civardi 932). Montaigne had associated Empedocles’s concordia with amitié, the social relation Chapelain fostered among republicans of letters. 15 Miller is particularly emphatic about the differences between antiquarian and salon cultures. 16 Joy elucidates how Gassendi understood doing philosophy as researching the history, and thereby the framing of the discipline. Bury notes Gassendi’s legalhumanist approach (Donald Kelley) to ancient texts. 17 I doubt that Chapelain “demanded” such a translation. He probably suggested, or “asked” for it. <?page no="28"?> Orest Ranum 28 Always fearful of being accused of pedantry, Chapelain sketches lightly, but authoritatively, his views on creative activity and draws an analogy to how this occurs in natural philosophy. Having noted that no work is perfect in its first state, he writes: Celles qui sont estimées les plus belles sont presque toutes sorties de la contention des esprits; et il est souvent arrivé que par cette heureuse violence on a tiré la Vérité du fons des abysmes. … C’est une espece de guerre qui est avantageuse pour tous lorsqu’elle se fait civilement. (Civardi 933) He then asserts that innocent and profitable quarrels have been known to break out in the entire Cercle des Sciences, between “ces rares hommes de l’Antiquité. Il suffira de dire que parmy les Modernes il s’en est esmeu de tres favorables pour les Lettres. …” And he continues by noting how recent great works in Italy had been much discussed and threatened by censorship. In the first version, there is no reference to the Moderns. After alluding to “the rare men of Antiquity,” Chapelain ends with a phrase about “la culture de l’esprit et à la recherche des merveilles de la Nature.” The Aristotelian “golden mean” between polemic and undiscussed individual creative action produces concordia discors that enables the author-poet to perfect his work, and literary criticism takes its place in “le cercle des sciences,” that enkyklos paediaia of the ancient Greeks. A consensus thus ought to be reached, perhaps with some disagreement in agreement, about the moral and theatrical significance of a work of literature, thus contributing to a paradigm of knowledge about letters not unlike what Thomas Kuhn discerned in his work on scientific revolutions. Just to recall: a month or two after the production of Le Cid, Corneille had stated his own theory of creativity, encapsulated in the unforgettable phrase “moi seul,” in the Excuse d’Ariste (l. 50). 18 Among writers there were those who took pride in their ability to oblige a fellow writer to remove lines from a text. As briefly mentioned, on February 15, 1637, just weeks after Le Cid had been produced, Chapelain wrote his friend Mlle Paulet: Suyvant vos orderes, je vis hier M. Desmarests, auquel j’eus à peine proposé de vostre part le retranchement des vers dont M. de Scudéry avoit esté choqué, qu’il me respondit de galand homme que non seulement il les rayeroit volontiers pour l’amour de ceux qui prenoit interest, mais encore osteroit ceux du Cid qui avoit causé ce petit scandale…. (Hall, xxxi; Chapelain, Lettres, I, 137-138) 18 See Civardi 296ff., for an overview. Note especially the inexorable logic in Jouhaud’s close reading (Power 300). <?page no="29"?> 29 Imposing Discordant Harmony on the Quarrel over Le Cid Note that Scudéry did not go directly to Desmarests to ask him to excise some lines from Les Visionnaires; he transmitted his wishes through a third party, a friend of Chapelain’s, a supposed friend of just about everyone in the grand monde, creating a kind of kinetic spin that enhances power. And then, on his own, Desmarests volunteers to have Corneille remove some verses from Le Cid. It is not clear that Scudéry had, at this point, already written his Observations. But by what authority did Desmarests offer to make such a strong commitment anent Corneille’s play? Another illustration of an excision by a fellow writer occurred when Chapelain made quite major cuts in Gassendi’s life of Peiresc, after assuring the author and praising the work. (Chapelain, Lettres, I, p. 569). 19 If Chapelain understood Gassendi’s manner of working by commentary and critical emendation, he did not make an effort to preserve the integrity of his friend’s text. In his letters, Chapelain puts Gassendi on a pedestal among the learned and recognizes that he is out of his depth in reading some of his friends’ works in natural philosophy. He is quite revealing about the Aristotelian way of reading: … j’ay bien reconneu que ce que je n’en entendois pas ne venoit pas du manquement de l’expression, qui ne peut estre plus pure et ni plus latine, mais du défaut de mon esprit à qui manquent quelques uns des principes necessaires pour cette connoissance. (Chapelain, Lettres, I, 706.) *** Close-reading and word-counting both have their limitations. For example, Richelieu is reported to have wanted the Academy’s “jugement” on Le Cid; but was that the word he used? On Chapelain’s draft, the four marginalia in the Cardinal’s own hand - “il faut un exemple; il faut un temperament; il ne faut point dire cela si absolument; il faut adoucir cette expression” (Civardi 944, 945, 974, 998) 20 - do not in their contexts include any words from the vocabulary of judgment. Had the Cardinal desired a legal vocabulary, Chapelain would have done his bidding. Colbert Searles concluded that, except possibly for the first, these comments are stylistic. But taken together, the Cardinal’s comments show that he favored a text that would be more nuanced, less categorical, more adouci (Searles, Académie). Though at one point the Cardinal 19 He had been asked to read with a view toward cutting it, I, p. 558. “Le vieux thème cicéronien de la collaboration nécessaire et féconde de l’éloquence et de la philosophie est repris, depuis 1550 …” (Lafond 68). 20 Searles’s findings on the “apostilles” made by the Cardinal have been carefully and accurately incorporated by Civardi. Their contexts and the critique of Pellisson still merit attention. <?page no="30"?> Orest Ranum 30 wished increased harshness toward Corneille, he also wanted “flowers” to be added. This synonym for loci is not the meaning he sought, since Chapelain’s phrase “embellit de fleurs” implies emotion, affection and courtliness. Was Richelieu a salonnier too? Not really. But his stable of writers included several salonniers, and for what it is worth, Tallement des Réaux says that the Cardinal “avoit beaucoup d’amitié pour Mme de Rambouillet” (Tallement 43). In Les Sentiments, Scudéry’s points are noted in their original legalese; but when Chapelain replies, it is in his own voice, and he rarely makes a direct appeal that the reader judge either Le Cid or Les Sentiments. There is, of course, the underlying theme, namely that the play is about justice; but when he refers to judges burning the records of a trial along with the criminal, in cases of monstrous and horrible wrong-doing, and talks of “larcin, apparence de justice and chicane,” he weakens the more juridical semantic field around the word jugement. When judges speak collectively, they deliberate; the terms Chapelain uses to describe what the academicians do is to debate in conférences. Downplaying a legal vocabulary to create a new, convivial and scientific atmosphere, Chapelain was carrying out the mission of the Academy’s foundation, that is, he was literally expressing and exemplifying a language in which polemic and invective would be absent. The eloquence of the parlementaires, and the Atticism that undergirded it, might more easily have been characterized by discors. 21 The 1630s are far too early to discuss a fully articulated theory of a social order founded on sociability and manners, as Shaftesbury projected and Daniel Gordon has perceived in the salon society of the eighteenth century (Gordon, passim; Klein). Dena Goodman’s point about the petty quarrelsomeness and polemic that characterized masculine-dominated institutions such as the universities also deserves mention here (Goodman 91 ff.). While the turn away from the vocabulary of the legal profession in favor of a Castiglione-Guazzo-Erasmus-Della Casa vocabulary of honnêteté and manners that was in the air, so to speak, its foundation in history and philology probably would not have been abandoned without the blistering accusations of pedantry that seemed to accompany the lawyer in the salon. 22 It would eventually mean transplanting the critical techniques for determining the authorship of texts, the analysis of word usage - and diplomatics - all of 21 Over all these issues looms Marc Fumaroli’s discussion of Atticists and Asianists in L’Âge de l’éloquence. 22 Across the century, the point of reference would remain Montaigne (Essais, I, 25). See Beasley for an overview; and for social history see Lougee. While the “facts” are well known, little in a synthetic way has been written about lay writers’ rush to learning that was partly a cause and partly a consequence of quarrels across the century. Exceptionally illuminating are Zuber, Hepp, and T. Goyet. <?page no="31"?> 31 Imposing Discordant Harmony on the Quarrel over Le Cid which would, in the future, be necessary practices for historians of literature. Gassendi’s projects on the life of Epicurus required the use of jurisprudential criticism (Bury 660 ff.) (one of his friends edited Cujas), but Chapelain would never seek to make his mark in the elite group of the learned who edited and commented on antique texts, the true doctes. The Academy’s foundation as a royal institution, and the terms describing its rights, privileges and procedures, were certainly couched in legal vocabulary. By using the vocabulary of bienséance to draft Les Sentiments, Chapelain partially recovered the convivial and informal relations that had characterized the circle around Conrart. The legal professionals had failed to stop the civil wars, and the jumble of laws - ancient, royal and customary - might not appeal to the academicians whose task, since 1635, had been to construct a French language superior to all other languages, and up to the task of pursuing perfect eloquence and knowledge. History, the handmaiden of the law, continued to fare poorly in the decades of renewed skeptical thinking. 23 Moreover, while familiar with them, the philological practices of the Scaligers, Heinsius, and Lipsius (important to Gassendi) lacked the direct and quasi-divine status of Aristotle and Horace. It would not be easy for the doctes of the 1630s to give up trying to figure out how Plato, Aristotle, Virgil and Horace could be assured residency in one of the Lord’s “many mansions.” If there are no sources to inform us of Chapelain’s exact state of mind when, at the top of the holograph page, he wrote Les Sentiments instead of “Jugements,” there are sources that indicate the importance of the difference between the two words for him. Commenting on a work sent to him by his friend Balzac, Chapelain wrote: “je ne prétends point vous donner des jugements, mais des sentiments avec naïveté et sans ambition, à mon ordinaire” (Chapelain, Lettres, I, p. 147). In this letter written on April 1, 1637, Chapelain goes on to say that Corneille had asked him to forward a copy of Le Cid to Balzac. Then, on June 13, Chapelain wrote Balzac: La matière, les beaux sentiments que l’Espagnol [the poet Castro] lui avoit donnés [Rodrigue] et les ornemens qu’a ajoutés notre poëte françois, ont mérité l’applaudissement du peuple et de la cour… (Chapelain, Lettres, I, p. 156.) 24 23 While taking note of the skeptical currents, the recent and best work on historical thought suggests that skepticism about history remained largely a question addressed by philosophers, and that writers of history took little account of it (Uomini; Guion 244). 24 Civardi (913) asserts that Chapelain rejected the juridical vocabulary because it was inappropriate for epideictic, the “grave” style in which he chose to write. This “style grave” accords with the suggestion that he was seeking to establish literary criticism as a science. The rejection of the vocabulary of judgment did not mean a suspension <?page no="32"?> Orest Ranum 32 Having informed Balzac that he will only offer sentiments, not jugements about his writing, Chapelain now finds sentiments a defining characteristic of the play, as a template for critical thought about it. In the same letter, and with ill-concealed irritation, Chapelain narrates, in legal vocabulary, his role in the Academy as autobiography: Maintenant ces chaleurs de poëtes nous embarrassent: car Scudéry se tenant fort de la vérité, a retenu pour juge du différens la noble académie dont vous êtes un des principaux membres; et ensuite la requête qu’il lui a présenté …. Et ne croyez pas que je me mocque: l’affaire est passée en procès ordinaire, et moi qui vous parle en ai été le rapporteur…. Dieu veuille que nous en sortions plus à notre honneur que ceux qui nous ont rendus juges souverains et réguliers par leur déference [Scudéry and Corneille] estant obligés par de trop puissantes considérations à ne nous pas récuser nous mesmes en cette cause. (Chapelain, Lettres, I, p. 156) Chapelain had drawn a distinction between judgments and sentiments in his letter of April 1 to Balzac, so it is not right to conclude that the words are synonymous, as Furetière does (Quoted by Civardi 999). And the phrase that follows it - “… avec naïveté et sans ambition, à mon ordinaire …” - goes some distance toward a definition of writing grounded on sentiment (the “first impression”) and writing that is not deeply reasoned, that is not for ambitio, that is without self-enhancement or interest. It is at this juncture that Domna Stanton’s remark that the “form of the text as content” clarifies Chapelain’s choice of sentiment for his title, Les Sentiments (Stanton 139). Thanks to Civardi’s edition, we can follow any changes that occurred from the esbauches submitted to the Cardinal, to the final version (Civardi 930). There was no modification in the title. As writer-critic of Balzac’s augmented edition of his Letters, Chapelain claims in friendship that he writes down what comes to him on texts that purport to be private or particuliers, but that contain letters to persons prominent in the state. Balzac would soon turn to writing “De la conversation des Romains,” which superimposes the frame of bienséance or decorum on the social relations of ancient private life, a frame distinct from the civic-rhetorical frame. 25 of interest in justice or the judicial on the part of honnêtes gens. Corneille seems aware of the difference between the more Greek emphasis on equity, and the Roman greater emphasis on justice. For an overview, see Jehasse 143-56. 25 Chapelain wrote Balzac: “Et parce que le titre est une des choses plus considérables dans un livre…,” Lettres, I, p. 144. By “title” he means mode of address, that is, Monsieur rather than sieur: “… ce sieur estant bas en ce temps et pris par ceux mesme qui donnent au public des bagatelles les plus mèprisables.” See the reproduction of the title page in Searles, ed., Les Sentiments, plate IV. Writing to Scudéry, Chapelain calls what he is drafting a “discours raisonné,” Lettres, I, p. 163. <?page no="33"?> 33 Imposing Discordant Harmony on the Quarrel over Le Cid J. Laffond suggests that Balzac is “theorizing” the social relations of the Hôtel de Rambouillet through his study of the Romans (Lafond 30; Guion 244). Thus, as Bray pointed out long ago (218 ff), the legal vocabulary would be submerged in Aristotle’s thought, and the framing of criticism about Le Cid made possible the deepening of the analysis of character to the point that bienséance became the grounds for participating vicariously in the play by criticizing it (Civardi 363). 26 Relying on research on Chapelain’s library catalog, Searles demonstrates that the principal works of Italian literary criticism from the preceding century had been mined as many as 33 times for points and commonplaces; but he does not address the possible similarities of argument and genre between Les Sentiments and the Italian works (some of which are translations), others are arts of poetry, and others, polemical works (Searles, Italian). Close comparison might yield interesting results, but it is also clear that Chapelain set out to impose the Academy’s views in France, and also to impress the Italians. After revising La comédie des Tuileries in 1635, Chapelain wrote Boisrobert: Je l’ay fait avec ce soin principalement pour servir Monseigneur et le divertir de toute l’estendue de mon pouvoir, et ensuitte pour faire voir aux Italiens, qui pensent seuls posséder les sciences et les arts en leur pureté, et qui nous traitent de barbares… (Chapelain, Lettres, I, p. 89). 27 The dessein and the claim to authority could not just be lifted from some Italian work. Les Sentiments would not only be Aristotelian, it would be French, historical, and sententious. Rhetoricians and historians of rhetoric are inclined to develop distinctions between loci, maxims and principles, certainly an understandable and worthwhile direction for research; but they infrequently attempt to determine whether or not writers carefully distinguish among them. We do not know if Chapelain had a commonplace book, but if he did, it might have been like Richelieu’s Maximes, that is, a body of short texts about moral and political action, with very few histories or examples (Hildesheimer 223 ff). There are no source references. Not a few of these passages remain close to the Quaestio - for example, whether the purpose of poetry is to be useful or to delight, a subject of heated debate among Italian writers (Searles, Italian 390). Chapelain addresses the question and attempts to resolve it by reasonably joining the two as if it were a syllogism informally stated. Did not Montaigne at least name the author he was citing, if not the precise location? Not always. Like the taboo around Latin in salon circles, the citation was not bienséant. 26 I do not share the view that bienséance makes a work less moral: it is more internalized and less verbally explicit, but just as moral. 27 For the relations in learned culture between France and Italy, see Waquet IV-V. <?page no="34"?> Orest Ranum 34 The shift away from doing natural philosophy by ordering and commenting on commonplaces, in favor of applying mathematics and experiment, would accelerate across the century. Gassendi’s work would play a part in this revolution. Over the centuries there would be many appeals and references to the Academy as a court of law, but the terms and learning adopted from Robe culture would never become more meaningful about judging than metaphor or than Quintialian’s remark about judging being something humans do. Scudéry had wished to humble Corneille, if not break his pen. Many of his criticisms of Le Cid were accepted, but not the tone or the language in which they had been stated. From what he writes in Le Testament Politique, Richelieu did not foresee the possible consequences of joining the vocabulary of bienséance with an institution such as the Academy. That synthesis, like the honnêteté in the salons, would slowly refashion aristocratic culture and integrate the writers and the artistic into an elite that would eventually be open to a fundamentally different relation between king and subject, bringing an end to the Ancien Régime. But is Les Sentiments an honnête text, as John Lyons characterizes conversation in Méré? (Lyons). Not really. There are dialogues between texts, claims of utility to the public, and at least fifteen references to reason; but often in a neutral, non-philosophical sense. One example of the philosophical is the recognition that what Scudéry writes is sometimes “une bonne et solide doctrine, fondée sur l’autorité d’Aristote, ou pour mieux dire sur celle de la raison.” (Civardi 956). 28 In some instances, raisonnable would seem to be synonymous with bien-séant. Les Sentiments is perhaps close to the more theoretical aspects of bienséance when it refers to interior bienséance (Civardi 983; Bray 216, 224). Searles notes that the Italian commentators on whom Chapelain relied were very attentive to “bonnes manières” (Searles, Italian 383, 384). 29 And just as Chapelain evokes authorities, so ought we to mention that Bray’s pages on bienséance (he quotes Lanson! ) derive from reading Aristotle, not Castiglione or Faret. 30 What we have, then, in Les Sentiments, is a demonstration of literary criticism. The ordering of themes, and the consistent signification of vocabulary grounded on authorities, made possible reading it as science. The presence of history - that is, Spanish Medieval history - integrated into the critique contributed to savoir. The ignorant reader could understand it; the learned reader 28 As in Descartes, “bon sens” is synonymous with raison, p. 971. 29 See Civardi’s overview of this question, pp. 999-1009. 30 Bray 219: “Ce sont les attaques de Scudéry contre Le Cid qui donnèrent un nouveau lustre à la vieille théorie des mœurs.” <?page no="35"?> 35 Imposing Discordant Harmony on the Quarrel over Le Cid could savor the artful displacement of the familiar applied to new literary circumstances. It was not the author’s intention to stifle debate about Le Cid, but to uplift that debate and encourage others to read the ancients, in order to create a modern perspective on the moral and the pleasurable in literature. The obvious must be said here: the truly great reader of Les Sentiments would be Corneille, who at the start of his career as a playwright possessed only a rudimentary knowledge of ancient and modern literary thought. Corneille must be thought of as the great mid-seventeenth-century literary critic. *** The trans-historical dimension of criticism would become the predominant approach in the age of Taine, Sainte-Beuve, and Brunetière. In order better to comprehend, frame or reject a literary work, the seventeenth-century critic brought to bear on it principles - loci - that are true at all times and in all places. The pursuit of order had, as its opposite, fear of the particular unreasonable disorder, the product of the undisciplined imagination. For the ancients, what was thought to be criticism did not go beyond the boundaries of the stoa or the garden. The person who simply published what he thought about a play, skidded toward oblivion or scandal. The loci shift the “critic” not only to the historical - Antiquity - but also to the reasoned trans-historical, and to the author’s choice of loci and their contextualization is his art. In 1957 Noémi Hepp characterized Chapelain’s project as one that defines criticism as discerning or finding the faults in a work of literature, and perhaps in its author. 31 From Chapelain, Corneille, Bouhours, Rapin, Boileau, Houdard, and the Daciers, Hepp pulls out the significant critical terms and finds that, of the direct Latin sources, 275 (only 10 percent) derive from indirect Latin sources. Put another way, about 250 critical terms from Latinized Aristotle, Horace, Cicero, and Terence, come directly into French with very little semantic variance. All the legal terms - plus plaisir, esprit, génie, raison, naturel, goût, parties, for example - may be found in antique criticism. Hepp does not find important shifts in meaning from the Latin to the Italian used by Aristotle’s commentators. The terms that, although they derive from Latin, have more complex meanings come from the language of honnêté and from what she calls “psychology”: passion, imagination, chaleur, dessein (a modern word, but Aristotle had the idea, p. 360), force, cœur, caractère, style, froid, bas, for example. A word such as simple, while found in ancient Latin criticism, took on a more moral and less mondain significance (p. 378). While esprit, génie, and imagination 31 Hepp, Esquisse; see also Brunot’s ever-awesome Histoire de la langue française, containing a chapter entitled “Exclusion des mots du Palais.” (Brunot IV). <?page no="36"?> Orest Ranum 36 were typically employed to characterize authors, these same terms yielded richer and more variegated meanings in spirituel, plein d’esprit, and ingénieux (p. 383). Tempting as it is to explore Hepp’s findings on the Latin origins of the vocabulary of criticism, our understanding of the continued reliance on loci leads us directly to the chef d’œuvre in mid-seventeenth-century criticism, namely, Corneille’s Trois Discours published in 1660: on the Dramatic Poem, on tragedy, and on the unities. Georges Couton deftly touches on how much France had changed since 1637, not only politically but culturally and socially (Couton “1660”). A self-assertive, still hierarchical, and very mannered courtliness, and a highconsuming urbanity undermined fascination for the heroically political. Corneille had been careful to replace any equivocal terms or innuendo in his early comedies; and whenever he modified lines in his later plays, including Le Cid, bienséance gained weight over respect for historical fact or the desire to shock. The Parlement’s fears that the Academy might become a real court were assuaged. We can perceive him as constantly in dialogue with himself over every aspect of current and past theatrical life. While writing the examens, Corneille had developed a direct, almost intimate, sardonic style. His aim is to anticipate any and all possible serious lines of criticism that someone else might develop. In short sentences, often with double negatives, he evaluates his verse and states categorically what he accepts from history. What remained to be done was to undermine the paradigm of agreement about tragedy that Chapelain and his colleagues thought they had authoritatively and collectively established. To characterize formally Les Trois Discours is beyond my competence. 32 I shall close with some remarks about the periphery of meanings, in the context of what has been found in Les Sentiments. The center of these Discours is a virtual geometry about the unities, character, reason, and sentiment, history, Antiquity, Modernity, the public, the poet. Claire Carlin’s characterization of Corneille’s project as a “drive for distinction” is on the mark (Carlin 9). He is rejecting the theory of collective Concordia discors in creative writing. 32 G. Couton’s Introduction to Corneille, Œuvres complètes, III, pp. 1391-94, provides the point of departure, but how to characterize Corneille’s rhetoric? H. Davidson long ago found d’Aubignac to be borrowing and synthesizing rhetorics, pp. 169-81 in Critique et création littéraires; and, also in Critique et création, Fumaroli, p. 289, who finds that the rhetoric taught by the Jesuits before 1650 would be abandoned later in the century. Might this text be exemplary classical prose, the synthesis of Atticism and Asianism grounded on newly created grammatical and stylistic rules? <?page no="37"?> 37 Imposing Discordant Harmony on the Quarrel over Le Cid In Les Sentiments, authority is institutional, royal, and Aristotelian. In Les Trois Discours he avows respect for Aristotle and quotes or cites Plautus, Horace, Terence, Grotius, Sephonius, Castelvetro, Robertel, Ghirardelli, Barclay, Buchanan, and Heinsius; but the only dialogue is with Aristotle, as the guide to understanding two distinct bodies of plays: those of the ancient Greeks, and those of Corneille. The effect is to imply that his plays are worthy of being considered with those of the ancients. Corneille observes that there are obscure passages in Aristotle, and that parts of the text are perhaps lost. After comparing differences in the translation of certain Greek terms into Latin and Italian, he adds: Dans cette diversité d’interprétations, chacun est en liberté de choisir, puisque même on a le droit de les rejeter toutes … et que les opinions des plus savans ne sont pas des lois pour nous. 33 This is a manifesto in favor of authorial authority. Corneille notes interpretations that are wrong, because as maxims they mean one thing, but in their context they mean something else. He includes maxims, but he also admits that he has included some unknown to the ancients. Chapelain had written as if “la bonne doctrine” was an established savoir. Corneille not only shares the difficulties of understanding a text whose meaning is inherently unstable, he goes one step further by suggesting that Aristotle would modify his text if he were to see the plays performed in the seventeenth century - including, of course, plays by Corneille. Corneille thus reveals respect for the philosopher’s method as something distinct from his findings. At one point, however, his school-boy training came to the fore: “Il reste donc à trouver un milieu entre ces deux extrémités….” The golden mean, again. In fact, he joins Aristotle in offering critical remarks about all the ancient playwrights and their works. In Les Sentiments, Chapelain refers to the rules of Art, the vices of Art, and the sins against Art; but he does not make the word work to enhance the meaning of literature, or the poet. Corneille writes: Quelques personnes de condition qui peuvent tout sur moi, ont voulu que je donnasse mes sentiments au public sur les règles d’un Art qu’il y a si long temps que je pratique assez heureusement. (Corneille III, 140) The vocabulary of art/ practice that we found in Montaigne’s quote from Pythagorus is complemented, even articulated by what Corneille calls “l’es- 33 He implies that sentences, instructions morales, maximes, and lieux communs are synonymous, Corneille, Œuvres complètes, III, p. 120. In his letter to de Pure, Corneille refers to maximes perhaps taken from Machiavelli, III, p. 6. <?page no="38"?> Orest Ranum 38 périence [sic] du théâtre,” (Corneille, III, 141) 34 to paraphrase theory and practice with expérience yielding its own savoir. When Corneille states emphatically that the playwright’s only aim ought to be to please, he evokes Aristotle and notes that the word “utility” upon which so many insist, is not even in the philosopher’s text (119). The useful must be delectable before anything else. When Christian Jouhaud sensed that Les Sentiments were turning from legalese to a vocabulary of explanation about Le Cid, he did not find that word; but as a critical reader, he sensed what was happening. In Les Trois Discours Corneille uses expliquer about Aristotle, Castelvetro, and himself. Expliquer, or explicare, that is, to unfold, to develop, as in a drama, without clarification or justification. would over the century become a term in the critical vocabulary (Cayrou 370). 35 The public would seem to be ever-present in Corneille’s mind, but he does not expatiate on it. Neither the court, nor the salons, nor the doctes are taken into consideration. By now, my conclusion has long since become apparent. There is little judicial vocabulary in Corneille’s Trois Discours; but there are two instances worth noting, one of them the statement about judging translations from the Greek that we have already noted. The other is in a quotation from Aristotle! Corneille does not ask the reader to judge his writing. When defining vraisemblable, Corneille uses bienséance in a quotation from Aristotle (Corneille 166). In both Scudéry and Chapelain, it is mentioned as an approach or an alternative mode of criticism (Civardi 395, 966). For Corneille, there would always be a confrontation between the historical and the honnête. Was he being mindful of the bienséances? Yes, but his aims and intentions, conscious or unconscious, were far more profound than that, because as he pursued true eloquence, Corneille trusted his expérience and his gifts as a poet. In his dialogues with the ancients, Corneille comes close to proceeding as Gassendi did, that is, taking pleasure in critique (Bury 661). There is a philologia grounded on the assumption that Aristotle’s meaning can never be fully recovered, but that the mind eagerly goes about doing the best it can to interpret. While he may have disagreed with Chapelain about social conditions for creativity, and about the ways of reading Aristotle, it is nonetheless possible to sense that Corneille found that he had to discuss all aspects of the dra- 34 See also p. 119, for a critique of the grammarians and philosophers (d’Aubignac included) who have lacked the theatrical experience that would help them interpret Aristotle and Horace. 35 Hepp does not include it in her Esquisse of the vocabulary of criticism. “Ce n’est pas démentir Aristote, que de l’expliquer ainsi favorablement” (153). <?page no="39"?> 39 Imposing Discordant Harmony on the Quarrel over Le Cid matic poem. He is including points about which he personally had nothing to say, thereby revealing the force of the bride in a science. And yet he was not able to be only on his own, with his expérience. While he may not still be inspired by Aristotle, Aristotle is still there when he rejects him. There may have been thoughts, without the Stagarite’s coming to mind. For example, as Corneille imagined a very different stage, he expressed his desire to be like the jurists who had fictions in the law. He asks: Why no fictions in the theater? A fiction is a lie, a disguised truth, a dissimulation; and jurists do indeed use them as foundations from which to argue. Corneille is perhaps at his most modern when he proposes borrowing from the world of the law to support the idea of a new stage design, and at the same time lets the reader infer that jurisprudence may be founded on un-truth. As we noted at the beginning, Montaigne says: “chaque science a ses principes présupposez par où le jugement humain est bridé de toutes parts.” But Corneille’s superbe bursts through at the end: Quoi qu’il en soit, voilà mes opinions, ou si vous voulez, mes hérésies touchant les principaux points de l’art; et je ne sais point mieux accorder les règles anciennes avec les agréments modernes. Je ne doute point qu’il ne soit aisé d’en trouver de meilleurs moyens, et je serai tout prêt de les suivre lorsqu’on les aura mis en pratique aussi heureusement qu’on y a vu les miens (Corneille III, 190). The heroic individual voice is as strong as ever. Chapelain may have worked out an Aristotelian critique of Le Cid, when he describes it as better than any previous modern play, but it is not fully perfected, parfaite. Corneille accepted this critical frame and rather happily asserts (Senecan felicitas) that, while willing to take up whatever comes along that might inspire a play better than his, it is, in fact, his plays that are presently the best! Works cited Beasley, F.E. Salons, History, and the Creation of Seventeenth-Century France. Aldershot: Ashgate, 2006. Beugnot, B. “Florilèges et Polyanthae; diffusion et statut du lieu commun à l’époque classique,” Études Françaises 13 (1972): 119-41. Blair, A. The Theatre of Nature: Jean Bodin and Renaissance Science. Princeton: Princeton UP, 1997. Bray, R. La Formation de la doctrine classique en France. Paris: Hachette, 1927. Brunot, F. Histoire de la langue française. Paris: Colin, 1913. Burckhardt, J. Civilization of the Renaissance in Italy. New York: Modern Library, 1954. Bury, E. “Gassendi: philologie et République des Lettres,” XVII e Siècle 233.4 (2006): 655-63. <?page no="40"?> Orest Ranum 40 Carlin, C. Pierre Corneille Revisited. 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Accords et désaccords entre histoire culturelle “à la française” et cultural theory E MMANUEL B URY ESR/ Université de Versailles-Saint-Quentin À John Lyons, qui lança le défi du “dialogue impossible” Mon propos vise à s’inscrire dans la réflexion à laquelle nos réunions de la NASSCFL ont conduit depuis quelques années, à savoir la confrontation, plus ou moins harmonieuse selon les temps, des approches respectives des chercheurs français et américains dans le domaine des études dix-septiémistes. Je remercie John Lyons de m’avoir donné l’occasion de reprendre une réflexion qui avait déjà été menée lors du colloque qu’il avait co-organisé avec Hélène Merlin à Paris en juin 2005, et où le dialogue “entre” les deux critiques avait été esquissé, au risque du constat d’une impossibilité radicale. 1 On me permettra ici de remonter dix ans plus tôt, et de rappeler ce qui fut le signal d’alarme annonçant qu’un tel dialogue devenait urgent: je veux parler, bien sûr, de l’incompréhension qui éclata lors d’un précédent colloque de notre société, à Montréal, en 1995. Jamais ne fut plus patent, selon moi, le hiatus qui s’était creusé insensiblement, depuis les années 80, entre les approches françaises et américaines de l’objet qui pourtant, aurait dû fédérer nos travaux: la culture française du 17 e siècle. Dix ans plus tard, le volume des actes du 35 e colloque de la NASSCFL dirigé par Faith Beasley et Kathleen Wine paraissait sous le titre de Intersections: les éditrices, en introduction, insistaient précisément sur cette idée d’intersection, et mettaient en avant la fécondité du croisement (“cross fertilization”) entre différentes disciplines (9); selon elles, l’histoire, la sociologie et les études politiques avaient été spécialement rajeunies dans le 1 L’épigraphe ci-dessus renvoie au propos de John Lyons, “Libres réflexions sur les différences franco-américaines” (Merlin-Kajman 53). <?page no="46"?> Emmanuel Bury 46 champ des études dix-septiémistes. Elles nous incitaient ainsi à regarder celui-ci comme le champ d’une métamorphose du discours critique: et c’est un peu dans cette perspective que je voudrais faire ma présentation devant vous aujourd’hui. Les débats auxquels nous entraîne la confrontation de nos méthodes aboutiront, d’une manière ou d’une autre, à des modifications, de part et d’autre, dans les pratiques de la recherche, et dans les choix interprétatifs qui orientent, explicitement ou implicitement, nos travaux. Il ne s’agit pas de décider ici quelle est la meilleure voie à suivre; en revanche, ce qui est certain, c’est que “l’objet” dix-septième siècle français, en suscitant ces débats, sera devenu l’occasion, pour ne pas dire le vecteur d’une réflexion sur les méthodes et les enjeux de la recherche: reconstruire le 17 e siècle, c’est aussi reconstruire nos manières de travailler. Parce qu’interdisciplinaire, l’approche “culturelle” que proposait le colloque de Dartmouth en 2003 avait donc l’ambition d’aboutir à une meilleure compréhension de notre siècle de prédilection, mais une compréhension qui fût aussi conforme aux attentes du public contemporain du 21 e siècle: The current emphasis on interdisciplinarity has done much to restore this literature to its original, dynamic context and to accentuate its pertinence to contemporary France. This was the first conference on this crucial period of French culture to focus specifically on the convergence of the major currents that shaped this celebrated era. (9-10) Un double mouvement animait donc ce colloque qui me sert de point de départ: à la fois un travail de croisement des méthodes issues de différentes disciplines, pour mieux éclairer les fondements de la culture du 17 e siècle, et un travail de confrontation entre méthodes françaises et américaines, avec la conviction que ce double mouvement pouvait favoriser le dialogue et la compréhension entre les chercheurs venus des deux côtés de l’Atlantique: We also hoped that the conference would create a true dialogue between scholars on both sides of the Atlantic, a conversation enabling each participant to understand and profit from the insights of the others. (10) Cela m’a incité à réfléchir sur la comparaison entre deux paradigmes aujourd’hui dominants pour l’approche des textes et de la culture du “Grand Siècle”: d’une part ce que nous nommons, en France, l’“histoire culturelle,” et d’autre part les cultural studies qui ont été initiées dans la tradition anglosaxonne depuis la fin des années cinquante, avec l’affirmation contemporaine de courants plus spécifiques en leur sein comme la critique féministe ou celle des “rapports sociaux de sexe” (gender studies). L’un comme l’autre, ces deux modèles opèrent avant tout par une remise en cause de la canonisation <?page no="47"?> 47 (Re)construire le XVIIe siècle au XXI e siècle? traditionnelle qui a fait du 17 e siècle le répertoire d’œuvres de référence, à lire et à imiter comme un modèle, non seulement par les auteurs français qui ont suivi, mais même comme un canon d’essence universelle, avec toutes les retombées pédagogiques (et morales) que cela a induit par la suite dans la conception de la littérature et de sa fonction dans la formation des esprits. Il s’agit, dans les deux cas, de faire sauter le “carcan” de la tradition, de décentrer la perspective, de relire un “autre” dix-septième siècle. En France, il est indéniable que l’histoire culturelle contemporaine doit beaucoup à l’ambition d’un Richard Hoggart ou d’un Raymond Williams, qui concentraient leur attention sur la culture prolétarienne dans l’Angleterre de l’ère industrielle: tout un courant historiographique français a privilégié à son tour la culture “populaire” face à la culture savante portée par la tradition scolaire. C’est ainsi qu’on pourrait lire les travaux de Robert Muchembled, qui centre son propos sur la culture de la plus grande masse de la population d’Ancien Régime, c’est-à-dire les paysans, légitimant son discours précisément par un argument “majoritaire.” Outre ses travaux sur la violence au village, il convient de retenir la place qu’il accorde, dans un ouvrage à visée plus pédagogique, à la culture collective, qui est, à ses yeux, essentiellement paysanne: son petit livre de synthèse sur Culture et société en France (XVI e - XVIII e siècles) consacre l’essentiel de ses chapitres à “Famille et culture au village” (naissance, mariage et mort), “La faim, les peurs et la violence au village” (nourriture, épidémies et guerre, violence), “sociabilités et solidarités dans le monde rural” (cadre, lieux, rôles sociaux) et “la culture paysanne au quotidien” (calendrier, religion, sorcellerie, dérivatifs…). La dimension plus proprement politique donne lieu à un chapitre (attendu, sur l’absolutisme), et suivent deux chapitres sur “la civilisation du livre” (ce qui pose le problème de l’alphabétisation, de la lecture, puis de la formation scolaire) et sur la “civilisation des mœurs” (le courtisan, la politesse, le “dressage” des corps…). En insistant, à la fin de son ouvrage, à la fois sur la “désacralisation” de l’Ancien Régime et sur le “laboratoire de la modernité” qu’il constitue, Muchembled résume l’ambition de cette approche “culturelle” à la française, qui poursuit l’œuvre de l’histoire des mentalités de Robert Mandrou, en faisant son miel de l’histoire de l’édition (dans la lignée de Roger Chartier et de Henri-Jean Martin) et en recentrant l’histoire de la culture sur celle de la majorité des hommes et des femmes de la période étudiée, ce qui laisse naturellement de côté la culture des élites, privilégiée auparavant par la tradition scolaire et universitaire. À titre de comparaison, rappelons que le colloque de Dartmouth comportait certaines sessions qui visaient justement à mettre en rapport des aspects consacrés de la culture du Grand Siècle avec des aspects plus négligés (“High and Low Culture,” “Sacred and Profane”). Comme chez Muchembled, l’objet <?page no="48"?> Emmanuel Bury 48 “culture” n’est plus ici compris sous l’angle de la “distinction,” mais au contraire, relativisé au sein de “cultures” diverses. On pourrait me faire remarquer que l’histoire culturelle en France, si elle se réclame de Hoggart ou de Williams, est essentiellement le fait d’historiens qui s’intéressent à la période contemporaine, comme l’atteste un des centres de recherche de notre université à Versailles (“Centre d’Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines,” fondé par Pascal Ory): mais les noms de Lucien Febvre, de Robert Mandrou ou de Roger Chartier nous rappellent aussi que cette histoire culturelle “à la française” a des antécédents, chez les historiens modernistes, dans ce qu’on appelait naguère “l’histoire des mentalités,” dont l’école des Annales fut longtemps synonyme. Elle incarna aussi, on le sait, un renouveau remarquable des études médiévales, que les noms de Jacques Le Goff ou de Georges Duby emblématisent encore aujourd’hui. Cette complexité des filiations méthodologiques a été mise en lumière dans un récent ouvrage collectif dirigé par Philippe Poirrier et postfacé par Chartier, dont le titre s’interrogeait justement sur L’Histoire culturelle: un “tournant mondial” dans l’historiographie? . Ce recueil d’articles visait à confronter les points de vue de différents spécialistes (Allemagne, Angleterre, France, Italie, Etats-Unis), en général à propos d’objets plus récents que le nôtre (19 e et 20 e siècles), avec pour objectif d’instaurer une histoire comparée de l’histoire culturelle. Le constat que dresse Poirrier en tête du volume est celui d’une internationalisation de cette approche, qui ne correspond pas, cependant, à une unité théorique et/ ou méthodologique sans réserve; pour éclairer ce paradoxe, il cite cette réflexion éclairante de Chartier, qui, en 2002, mettait en garde contre la tentation de ranger dans la même catégorie tous les travaux qui se réclament de l’histoire culturelle; moins qu’une unité de méthode, expliquait-il, il s’agissait plutôt de présupposés communs à l’égard de ce qu’il ne faut pas faire: Ce qui demeure, pourtant, est un ensemble de questions et d’exigences partagées par-delà les frontières. En ce sens la “new cultural history” n’est pas, ou plus définie par l’unité de son approche, mais par l’espace d’échanges et de débats construit entre des historiens qui ont pour identité commune leur refus de réduire les phénomènes historiques à une seule de leurs dimensions et qui se sont éloignés tant des illusions du tournant linguistique que des héritages contraignants qui postulaient le primat du politique ou la toute-puissance du social. (10, cité par Poirrier) En postface de ce volume, Chartier résume les deux grands modèles historiographiques qui, selon lui, façonnent ces approches diverses: l’école des Annales et l’historiographie culturelle anglo-saxonne (dont les origines sont à chercher du côté d’un marxisme hétérodoxe). Il conviendrait de rappeler, <?page no="49"?> 49 (Re)construire le XVIIe siècle au XXI e siècle? dans cette perspective, la lignée plus complexe de l’histoire du livre et de la lecture, dont on pourrait trouver la source à la fois dans la tradition des Annales et dans une approche anglo-saxonne de la sociologie de la lecture. Des Annales, on peut retenir les travaux qui débouchent à la fois sur l’enquête précise d’une histoire du livre et de la librairie (travaux d’Henri-Jean Martin, dans la lignée de Febvre) et sur les travaux sur la lecture, dont Mandrou ouvrit la voie en étudiant la Bibliothèque bleue, et qui fut reprise, non sans nuance critique, par Chartier lui-même; de l’école anglo-saxonne, il ne faut pas négliger la dette que cette tradition historique a contractée à l’égard de Donald F. McKenzie: cet historien du livre a mis en lumière tous les acquis de la bibliographie matérielle pour mieux comprendre la manière dont les textes étaient lus et reçus, et ainsi comment la réception pouvait en être radicalement modifiée: selon lui, une histoire du livre bien comprise permet de témoigner “des changements culturels, soit dans la civilisation de masse, soit dans la culture minoritaire” (31). Jean-Yves Mollier, historien de l’édition au 19 e siècle, a rappelé dans un article récent de la RHLF, où il confrontait “histoire culturelle et histoire littéraire,” la complexité de cette tradition historiographique, qui ancre la méthode des historiens culturels “à la française” dans le sol de cette historiographie anglo-saxonne. Cela expliquerait donc qu’un accord est possible entre l’histoire culturelle “à la française” et la tradition des cultural studies anglo-saxonnes; dans le domaine spécifique des historiens, les passages sont d’autant plus faciles, comme l’explique Poirrier en tête de son volume, que, pour la période plus tardive de la fin du 18 e siècle et de la Révolution française, les historiennes américaines (Joan Scott, Lynn Hunt, entre autres) sont des spécialistes de l’histoire de France: elles ont importé d’autant plus rapidement dans le champ français de ces études les problématiques des gender studies - d’autant que la question de la parité fut une question thématisée à l’époque même de la Révolution. Pour le 17 e siècle, et les études plus proprement littéraires, cela est sans doute moins évident, comme nous allons le voir. Il est vrai que le colloque parisien de 2005 sur le Dialogue critique a sans doute changé la situation du dialogue (même si l’incompréhension demeure parfois, comme le notait finement John Lyons); mais nous sommes loin de la mise en avant des débats et de la prise en charge théorique dont les historiens français ont déjà fait preuve - quitte à constater la faiblesse de certaines influences, comme le fait Poirrier. “L’histoire sociale des représentations” qui est le projet ouvertement avoué de l’histoire culturelle ne fait pas forcément bon ménage, il est vrai, avec l’approche plus étroite des textes propre aux littéraires. Les perspectives et les outils définis par Jean-François Sirinelli et Jean-Pierre Rioux ou par Ory, souvent appuyés sur les travaux portant plutôt sur la période contemporaine, <?page no="50"?> Emmanuel Bury 50 sont peu revendiqués par les spécialistes de la littérature, notamment pour le 17 e siècle. On forge plus volontiers des théories ad hoc, qui font entrer massivement des perspectives de philosophie politique, de sociologie et d’histoire dans le champ d’une étude qui embrasse des œuvres singulières et/ ou qui retrace des parcours d’auteurs remarquables, comme le font Christian Jouhaud ou Hélène Merlin, “littéraires” qui vagabondent avec ingéniosité sur les terres de l’historien: la déclaration liminaire de Jouhaud à son livre sur Les Pouvoirs de la littérature est sans ambiguïté: “Ce livre est un livre d’histoire” (9). L’intérêt, dans ces cas, est de recontextualiser fortement les questions esthétiques - souvent rendues intouchables par la tradition critique “classicisante” - en les “remettant à leur place,” mais sans pour autant perdre de vue le détail textuel des œuvres convoquées pour l’analyse. L’articulation entre politique et littérature opérée par Jouhaud s’appuie notamment sur un ensemble d’œuvres et d’auteurs singuliers, ce qui semble tourner le dos à une approche plus traditionnelle de l’histoire culturelle, plus collective, et moins soucieuse de la singularité auctoriale. Les effets de ces approches en matière heuristique, et leur influence sur certains travaux anglo-saxons sont indiscutables: je citerai, par exemple, le livre récent de Peter Shoemaker, qui reprend à nouveaux frais l’analyse du mécénat et de son évolution entre l’âge de Louis XIII et la période de Louis XIV, ce qui offre bien une étude de “formes culturelles” spécifiques. Ici, nous sommes dans la courte durée, au moment précis d’un changement, et l’analyse précise de cas singuliers est déterminante pour éclairer le propos. L’usage des analyses de Jouhaud ou de Merlin sert de point de départ à plusieurs analyses de Shoemaker - qui fait aussi, de manière éclectique, appel aux analyses de Marc Fumaroli en matière de rhétorique. On voit ici ce que j’appelle la construction de théories ad hoc: la construction de l’objet - ici la question du mécénat dans l’élaboration de l’autorité littéraire - conduit à combiner les outils que la bibliographie secondaire offre, pour forger ses propres outils au fil de l’élaboration de la problématique. Mais s’agit-il d’histoire culturelle pour autant? Le gain est surtout d’ordre interprétatif du point de vue d’une “histoire littéraire” qui cherche à rendre compte des évolutions, et à esquisser l’identité de la modernité littéraire, voire l’“invention” de la littérature, dont le 17 e siècle serait le berceau. Dans un autre livre récent, celui de Gregory Brown - qui porte plutôt sur le 18 e siècle, mais qui embrasse, pour son enquête, la période “classique” - la formule initiale de Jouhaud est reprise explicitement à son compte par l’auteur, qui se défend d’être exclusivement dans le champ de la critique littéraire ou de la sociologie historique. De fait, au fil de l’étude, les références à la République des lettres (dans la lignée des travaux de Daniel Roche), à la notion de champ littéraire <?page no="51"?> 51 (Re)construire le XVIIe siècle au XXI e siècle? (dans la lignée de Bourdieu) attestent que nous sommes bien ici aux confins de plusieurs approches disciplinaires complémentaires, qui rendraient sans doute difficile le classement d’un tel ouvrage dans les catégories bibliographiques simplifiantes dont usent souvent nos bibliothèques! Mais c’est ce qui fait leur fécondité: l’usage du concept de “culture” ou de “différenciation culturelle,” notamment lorsque l’auteur analyse le statut des gens de lettres, nous situe bien dans une perspective que l’histoire culturelle ne saurait renier (21). On pourrait donc dire que, dans le cas de ces travaux récents, et bien informés, l’influence de l’histoire culturelle sur les approches littéraires américaines est une des composantes du dispositif d’analyse, mais qu’il n’en constitue pas le paradigme exclusif. Cela rejoint, au demeurant, les remarques de Chartier sur l’“unité” problématique de ces approches, qui se définissent plus par les écueils qu’elles cherchent à éviter (déterminisme socio-politique étroit, enfermement dans la pure immanence du texte) que par un cahier des charges et des procédures communes pour l’enquête. Mais le hiatus entre histoire culturelle et cultural studies est peut-être ailleurs: tout d’abord, les historiens culturels français ont été peu réceptifs aux théories des cultural studies pour des raisons de philosophie intrinsèque de leur discipline, comme le rappelle Poirrier, citant Chartier et Ory. Du fait que l’histoire a pour objet une vérité “positive,” extérieures aux textes, elle ne vise pas, selon Ory, à accorder le primat culturel à une minorité dominée, pour la seule raison qu’elle a été dominée. Le caractère de “remise à plat,” voire de remise en cause des hiérarchies établies par l’histoire et la tradition est donc beaucoup moins prédominant dans la tradition française qu’elle ne l’est dans la perspective culturaliste américaine. Il existe donc un hiatus fort entre “historiens” et “littéraires,” là même où on aurait pu s’attendre à une convergence - notamment autour de l’histoire du livre et de la lecture. D’autre part, certaines catégories essentielles de l’approche culturelle nordaméricaine, comme la notion de gender, n’entrent pas en ligne de compte dans la perspective des historiens culturels de l’Ancien Régime (ce qui n’est pas le cas des études sur la période contemporaine): il est frappant de voir, par exemple, dans le livre de Muchembled, à propos de la culture rurale, que la place accordée à “la part des femmes” dans la “transmission des rôles sociaux” occupe à peine une page (87 en l’occurrence). Dans sa contribution à l’Histoire culturelle de la France, Alain Croix, en conclusion, insiste, à propos de l’inégalité des sexes sous l’Ancien Régime, sur la condition juridique de la femme (elle est mineure) et sur la limitation de son rôle aux tâches de la maternité et du soin de la maison… L’évolution même de son accès à l’éducation est due à l’évolution de la société (et non à un effort d’émancipation ou à une prise de conscience individuelle). <?page no="52"?> Emmanuel Bury 52 Le tableau qui ressort, en dernière analyse, de l’évolution de la vie intellectuelle du 17 e siècle, sous la plume de cet historien, n’est guère différent, même s’il est plus nuancé, des tableaux traditionnels de l’histoire littéraire classique. Les catégories esthétiques elles-mêmes (baroque, classicisme) ne sont pas enrichies des perspectives et des acquis de la critique “littéraire” récente sur le sujet; il est d’ailleurs notable que, dans la plupart des ouvrages synthétiques sur l’histoire culturelle de la période, la préciosité est traitée - et souvent de manière symétrique avec le libertinage érudit -, sans lui accorder la place que les travaux récents lui ont restituée. La notion de galanterie, au sens que lui ont donné Delphine Denis et Alain Viala, n’apparaît même pas. Cela justifie sans doute l’indignation de Beasley dans son livre sur les salons, qui souligne cette carence de l’histoire culturelle française par rapport aux problématiques élaborées par les gender studies et la critique féministe: au sujet de la contribution de Chartier à l’Histoire de la France, elle note que “beaucoup d’historiens actuels reproduisent souvent la vision dont ils ont hérité, et ils conservent une vision du 17 e siècle libéré de toute influence littéraire féminine” (247). De fait, comme elle le constate en dressant le tableau critique de la manière dont a été “créée” la France classique par l’historiographie des 19 e et 20 e siècles, la perspective, concernant le rôle des femmes dans la vie littéraire du siècle classique, n’a guère changé depuis les origines. À propos d’un autre grand ouvrage d’histoire culturelle, le recueil de Pierre Nora, sur Les lieux de mémoire, Beasley relève qu’aucune contribution ne reconnaît la valeur proprement littéraire de l’apport des salons. Même la description que Fumaroli propose de l’univers de la conversation est, à ses yeux, male-oriented and dominated. Ce constat critique atteste que de nombreux travaux parus en France depuis deux décennies, bien qu’ils ressortissent explicitement au champ de l’histoire culturelle, ont fait peu de cas des apports intrinsèques des cultural studies américaines, alors même qu’une bonne part de la critique dix-septiémiste active se déploie dans le cadre de ces théories, comme le prouvent de nombreuses contributions de la NASSCFL depuis plus de vingt ans. Conclusions: j’espère avoir montré en quoi les enjeux et les objectifs des deux formes d’approche culturelle que constituent les paradigmes français (histoire culturelle) et américain (cultural studies) ont, si l’on peut dire, tout pour s’entendre. Il n’en reste pas moins que, pour des raisons qu’il reste à étudier, les divergences demeurent: on pourrait souligner que le fait que l’approche française soit le fait des “historiens” de formation alors que l’approche anglo-saxonne est plutôt le fait des “littéraires” explique quelques différences. L’histoire culturelle, issue de l’histoire des mentalités, semble beaucoup plus attentive à la longue durée (la plupart des ouvrages d’histoire auxquels je me suis référé portent sur l’ensemble de la période d’Ancien <?page no="53"?> 53 (Re)construire le XVIIe siècle au XXI e siècle? Régime, et l’histoire “populaire” fait souvent appel à une durée plus longue encore, qui va s’enraciner dans le “long Moyen âge” cher à Georges Duby); cela s’accompagne d’un regard porté de préférence sur la culture du plus grand nombre, avec une attention, dans le cas du “processus de civilisation,” à la “vulgarisation” progressive de modèles venus d’en haut (Chartier): nous sommes loin ici de l’accent mis sur la culture des minorités et sur l’éloge de la différence qui caractérise l’approche des cultural studies. Lorsque la culture “classique” est mise à l’honneur, c’est comme culture dominante et comme cadre de compréhension des autres cultures; le soin qu’a mis Chartier à remettre en cause la hiérarchie trop nette des deux cultures (savante/ populaire) établie par Mandrou en est un indice. La tradition française d’histoire du livre privilégie l’écrit - alors que la culture orale serait le fait des cultures “minoritaires.” Enfin, comme le notait Beasley dans son dernier ouvrage, il est vrai que les perspectives de l’histoire culturelle française sur l’Ancien Régime ne remettent pas en cause la suprématie d’une vision “masculine” dominante, et laissent de côté la part féminine de la culture du Grand Siècle. Il reste donc du chemin à faire pour réunir deux perspectives qui apparaissent pourtant bien animées d’un même souci initial d’approche critique et innovante; j’espère que cette petite mise au point permettra de faire avancer la réflexion. Bibliographie Beasley, Faith E. Salons, History, and the Creation of Seventeenth-Century France: Mastering Memory. Women and Gender in the Early Modern World. Aldershot: Ashgate Pub, 2006. Beasley, Faith E. and Kathleen Wine. Introduction. Intersections: actes du 35 e congrès annuel de la North American Society for Seventeenth-Century French Literature, Dartmouth College, 8-10 mai 2003. Tübingen: Narr, 2005. Brown, Gregory S. A Field of Honor: Writers, Court Culture and Public Theater in French Literary Life from Racine to the Revolution. New York: Columbia UP, 2002. Chartier, Roger. Postface. L’histoire culturelle: un “tournant mondial” dans l’historiographie? Éd. Philippe Poirrier. Dijon: Éditions universitaires de Dijon, 2008. -. “Trajectoires et tensions culturelles de l’Ancien Régime.” Histoire de la France: choix culturels et mémoire. Éds. A. Burguière et J. Revel. Paris: Editions du Seuil, 2000. Croix, Alain. Histoire culturelle de la France. Vol. 2. Paris: Seuil, 1997. Hoggart, Richard. The Uses of Literacy: Aspects of Workingclass Life, with Special References to Publications and Entertainments. London: Chatto and Windus, 1957. Jouhaud, Christian. Les pouvoirs de la littérature: histoire d’un paradoxe. 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Les articles de ce volume, dans un ensemble très représentatif des débats d’alors, confrontent à l’herméneutique les divers courants philosophiques de l’époque: Freud (“Herméneutique et psychanalyse”), Heidegger (“Herméneutique et phénoménologie”), le structuralisme (“Herméneutique et structuralisme”), pour terminer sur “Religion et foi.” En introduction, le futur auteur de La Métaphore vive met en place les notions qui peuvent soutenir une réflexion sur l’interprétation des textes du passé, dont il convient de s’étonner combien la critique universitaire de nos jours refuse de lui reconnaître son caractère conflictuel. Ricœur, donc, part du désaccord constant des différentes herméneutiques. Il en voit la cause dans le fait que chacune de ces sciences a grandi “à l’intérieur d’une communauté, d’une tradition ou d’un courant de pensée vivante, qui développent des présupposés et des exigences” (7). La divergence des interprétations n’est donc, à l’intérieur du domaine de la compréhension, que l’image de la contrainte de l’être-là, du Dasein, de la manière d’être au monde. C’est ce qui sera pris maintenant comme point de départ de la présente étude, reformulé ainsi trois fois: le préjugé est le degré zéro de la compréhension; la distance est le nom de l’identité de l’autre et l’autre nom de l’identité; la discorde est première. Ce qui est donc premier, c’est la distance, qui est en quelque sorte la définition de l’autre, et, avec une au moins égale nécessité, la définition de textes du passé. Ceci, qui semble une évidence, doit être maintenu avec une vigilance de tous les instants, car, à l’intérieur de la critique littéraire, toute notre tradition historique, celle qui “contextualise” le texte, qui le remet dans son “milieu,” qui l’“intertextualise,” est encore un effort, dans un mime pervers de l’interprétation, soit pour réduire la distance (par exemple dans la tradition classicisante) soit pour faire de cette distance le point d’arrivée de l’effort critique, dans la tradition historiciste par exemple, <?page no="56"?> Max Vernet 56 qui fait des œuvres du passé les objets inertes d’un musée des mentalités. Voici par contre ce que dit Le Conflit des interprétations: si un texte peut avoir plusieurs sens, par exemple un sens historique et un sens spirituel, il faut recourir à une notion de signification beaucoup plus complexe que celle des signes dits univoques que requiert une logique de l’argumentation. Enfin, le travail même de l’interprétation révèle un dessein profond, celui de vaincre une distance, un éloignement culturel, d’égaler le lecteur à un texte devenu étranger, et ainsi et ainsi d’incorporer son sens à la compréhension présente qu’un homme peut avoir de luimême. (8) Voici maintenant un texte qui date de cinq petites années avant celui de Ricœur, et montre à mon sens que la tradition classicisante et la tradition historiciste sont l’envers et l’endroit d’une même menace de mort: Certains écrivains ne sont les hommes que d’une minorité ou d’une brève période, d’autres sont portés par de vastes groupes sociaux, classes ou nations, ou bien encore par des communautés chronologiques s’étendant sur plusieurs générations. Ainsi s’expliquent l’illusion de l’universalité ou de la pérennité d’un écrivain. Les écrivains ‘universels’ ou ‘éternels’ sont ceux dont l’assise collective est particulièrement étendue dans l’espace ou dans le temps. … Molière est encore jeune pour nous, Français du XX e siècle, parce que son monde vit encore et que nous avons encore avec lui une communauté de culture, d’évidences et de langage, parce que sa comédie est encore jouable, et que son ironie nous est encore accessible, mais le cercle se rétrécit et Molière vieillira et mourra quand mourra ce que notre type de civilisation a encore de commun avec la France de Molière. (Escarpit, 110) Ces quelques lignes sont très révélatrices, d’une part, des deux traditions critiques que je nommais il y a quelques instants: la classicisante, qui dissimule sous le vocabulaire de l’esthétique de l’éternel sa complicité avec l’œuvre étudiée, et l’historiciste qui, une fois cette complicité disparue ou niée, n’a plus vraiment de voie d’accès à l’œuvre du passé, le recours historique 1 servant cette fois à enfermer l’œuvre dans son contexte. Ces lignes sont d’autre part révélatrices de la profonde complicité des deux traditions, qui ne sont que l’envers l’une de l’autre, complicité mortifère (“Molière vieillira et mourra”) qui refuse à l’œuvre, dans l’un et l’autre cas, le statut d’autre: dans le premier cas par fusion avec la conscience critique, dans l’autre en rendant impossible 1 L’expression est je crois de Barthes, et désigne l’ensemble des procédures mises à contribution pour remettre l’œuvre dans son écosystème (contexte), et quelquefois pour l’y enfermer. <?page no="57"?> 57 Discorde et Interprétation le dialogue avec ce qui est devenu un objet. On voit que dans les deux cas il n’y a pas vraiment de dia-chronie, parce que la distance, qui comme la différence fonde à la fois une étrangeté et un lien, n’existe pas. Pour être complet, il faudrait mentionner la version plus ancienne de la tradition classicisante, dont on pourrait penser qu’elle aurait dû disparaître, mais qui a décidément la vie dure: celle qui, souvent de manière non dite, ne reconnaît à l’œuvre que ses antécédents littéraires, celle des lignées littéraires, celle des études de sources, et plus récemment, sous sa forme encore virulente, celle de l’“intertexte,” qui est l’intertextualité mal comprise. En choisissant de rester fascinée par les rapports diachroniques intra-littéraires, cette posture critique forclôt les déterminations synchroniques qui lient la littérature aux autres activités de la formation sociale dans laquelle elle apparaît. Ceci est bien sûr largement et depuis longtemps reconnu au niveau de la théorie, mais on peut s’étonner de voir combien la distance est grande entre cette théorie et les pratiques. Par exemple, il a été salutaire de montrer combien, autour de la production littéraire du XVII e siècle, la conversation galante a contribué à cette dernière. Encore faut-il ne pas minoriser ce qui est alors une authentique pratique artistique et ne pas la qualifier de préou infra-littéraire pour lui préférer, comme antécédent, les classiques de l’Antiquité. Cette “coupure esthétique” valorisant la littérature permet alors de rester aveugle à la réalité du processus qui fait de la création littéraire un système doté de qualités émergentes 2 qui se constitue avec, sur et contre une pratique diffuse. Si j’ai dû m’interroger sur la distance des œuvres du passé, c’est qu’à l’occasion d’une édition de Camus (Jean-Pierre), j’ai dû m’interroger sur le mot “préclassique,” qui désigne on le sait une période sur laquelle la critique a peine à se mettre d’accord, y compris sur ses limites et sur la manière de la désigner. Disons entre 1600 et 1640. L’adjectif préclassique bien sûr n’est pas neutre, et gauchit déjà la posture critique en faveur de la tradition des lignées littéraires (la dernière mentionnée ci-dessus), et de l’une ou l’autre des traditions, la classiciste ou l’historiciste, selon la façon dont on comprend le préfixe pré-. Si on comprend qu’est pré un état de chose qui “annonce” l’état suivant (comme par exemple 2 “L’émergence désigne l’apparition de nouvelles caractéristiques à un certain degré de complexité. C’est un phénomène qu’on trouve dans les domaines physiques, biologiques, écologiques, socio-économiques, linguistiques et autres systèmes dynamiques … À partir d’un certain seuil critique de complexité, de nouvelles propriétés peuvent apparaître dans ces systèmes, elles sont dites propriétés émergentes. Ces dernières deviennent observables lorsqu’elles vont dans le sens d’une organisation nouvelle” (http: / / fr.wikipedia.org/ wiki/ Émergence, dernier accès le 17/ 01/ 2011, mes italiques). <?page no="58"?> Max Vernet 58 le pré-cancéreux), alors le préclassicisme est en continuité avec le classicisme, lui-même (comme le disait Escarpit) en continuité avec nous-mêmes. On est bien dans la tradition classicisante. Si par contre on donne à préle sens que lui donnent très souvent l’histoire ou la géologie, d’un état antérieur à un événement qui installe une mutation (le précambrien n’est nullement cambrien et le préhistorique est bien ce qui est étranger à l’histoire), alors le préclassicisme est en rupture avec le classicisme (et on l’appellera alors souvent baroque) et la critique littéraire contemporaine se trouve désemparée. Quant à nous, entre les deux, un des choix est désormais impossible, semble-t-il: car l’évolution de la notion d’histoire en général et d’histoire des mentalités en particulier devrait nous avoir convaincu que leurs parcours sont scandés de mutations brusques (changements de paradigmes, mutations d’épistémès) et qu’ainsi il est impossible de “remonter” le temps et que nous ne pouvons plus entrer de plain-pied dans le XVII e siècle. Reste donc à savoir ce que nous allons faire de cet éloignement culturel maintenant installé entre nous et nos classiques. 3 Et par conséquent entre nous et le préclassicisme, dont les déterminations deviennent du coup encore moins fiables. On peut toujours, bien sûr, en faire cette sorte d’arrière-cour du classicisme, pas même un musée, où sont entassés les prototypes ou les essais malheureux de l’avant-siècle de Louis XIV: œuvres mal faites, genres mort-nés, auteurs fourvoyés et sans génie. Le curieux ne s’y attarde que pour se préparer à constater l’amplitude, la perfection et la permanence des grandes œuvres à venir. On lui doit pourtant, à ce premier dix-septième siècle, plus qu’un coup d’œil, au moins pour une raison “empirique.” C’est le temps où cherche à se maintenir la posture dialogique qui était celle de la Renaissance, et le moins que nous puissions pour ceux de ce temps, c’est d’essayer de voir ce qu’est vraiment ce régime du dialogue, ce monde du je-tu qui va bientôt être submergé par celui du je-il. 4 Ainsi Jean-Pierre Camus parsème-t-il constamment ses œuvres narratives d’apostrophes à celui qu’il tutoie et appelle “mon lecteur, mon ami,” et lui adresse explicitement des Préludes, des Diludes, des Avertissements avant et après les récits. Il n’est guère possible de lire une des brèves notices que nos critiques contemporains consacrent à l’évêque de Belley sans y lire que le récit de Camus est “interrompu” par de nombreuses incises où l’auteur s’adresse 3 Voir ci-dessus le texte cité de Ricœur. 4 Parce qu’il s’est agi ici en partie de conversation et de littérature, l’opposition je-tu et je-il a été convoquée pour désigner une des mutations induites par la mutation globale qui introduit la modernité. Elle tend à répartir d’un côté (l’amont) l’éthique, l’oral et la coprésence du dialogue; de l’autre: la science, l’écrit et l’individualisme. <?page no="59"?> 59 Discorde et Interprétation au lecteur. On voit bien comment sous l’apparence factuelle (comment nier effectivement que le récit est “interrompu”? ) se cache l’incompréhension de la tentative de Camus de garder le lecteur “près de lui,” près de l’échange oral, etc. Pourquoi ne pas dire, ce qui serait en fait plus “factuel,” que dans les textes de Camus alternent discours et récit, éliminant ainsi ce qu’a de sourdement péjoratif cette “interruption,” qui est conceptuellement adossée à l’esthétique de l’unité et de la complétude classiques. Une telle phrase (celle sur l’interruption) me paraît un symptôme, une construction produite pour masquer, voici le mot, un conflit, et, voici mon propos, masquer la nature conflictuelle de l’interprétation. Car ce qu’elle dit, cette phrase, c’est qu’une communication est interrompue par une autre. Que la circulation de sens fusionnelle qui est établie entre nos classiques et nous, rassemblés dans le giron de l’esthétique de la complétude et de l’unité, est contrecarrée, interrompue, attaquée par l’échange entre Camus et son lecteur. Cette phrase cherche à masquer l’angoisse de l’apparition de l’autre comme autre et de la discordance première de la rencontre. Là contre, il faut maintenir le risque; maintenir que la critique est au risque de l’incompréhension, et que la posture première devant une œuvre du passé est “ je ne comprends pas.” Et je proposerais même d’en faire plus qu’une exigence de constatation empirique, d’“objectivité” “scientifique,” d’“élimination des préjugés,” tous termes fortement compromis avec l’idéologie de la modernité. Ce serait une décision méthodologique; devant un texte du passé, il faut d’abord se dire: je ne comprends pas, en important à l’intérieur de la critique littéraire une des exigences déontologiques de l’anthropologie: d’abord, ne pas contaminer l’observé, rester, dans tous les sens du mot, à distance, ne pas se féliciter de comprendre, prendre le risque du désaccord. Sans revenir sur la méthode même de l’herméneutique - ce qu’on a appelé le cercle herméneutique, qui, dans le va-et-vient en boucle entre la partie et le tout, finit par atteindre le sens - on n’insistera ici que sur le “recours historique,” qui est ce qui rend le texte à ses liens avec son écosystème. Encore une fois, il semble que ce que nous voyons de recherche sur le “milieu,” sur le “contexte historique” tend à faire des rapports entre le littéraire et le non-littéraire une sorte de relation symbiotique, dont l’exemple le moins satisfaisant est la théorie du reflet. En poussant presque jusqu’au paradoxe, on pourrait dire au contraire que plus j’apprends de choses sur l’environnement de ce texte qui me résiste, moins je le comprends, puisque l’ensemble des renseignements historiques que j’accumule ne fait que souligner, créer même, la distance historique qui nous sépare. C’est bien ce que constate la tradition historiciste, qui devant le surgissement de la différence <?page no="60"?> Max Vernet 60 induit par l’exactitude historique (avec l’obstacle supplémentaire que dresse l’unicité supposée de l’événement, qui est l’horizon de la recherche historique), se retrouve devant un “différend” (le terme est de Lyotard), lève les bras au ciel, et abandonne le texte à son mutisme. Mais il n’y a là nulle fatalité, comme je l’ai vérifié récemment en faisant l’édition de ce recueil de nouvelles de Jean-Pierre Camus. L’incompréhension la plus pesante s’est avérée être celle du régime du texte lui-même, du fonctionnement du système auteur-texte-lecteur. La position par défaut de notre critique est de croire que ce fonctionnement est plus ou moins le même en 1630 qu’en 1930, disons. Il n’en est rien. Cette présence constante du discours dans le récit que j’évoquais cidessus, la présence de l’auteur “auprès” de son lecteur, largement pointée comme une faute, est en fait la marque d’un système autre. Pour faire court, ce système est celui de la Charité (celui évidemment - mais ceci n’apparaît pas au premier abord - auquel est astreint l’évêque qu’est Camus). Ce je-tu, dans la version Contre-Réforme de la conception renaissante qui est celle de Camus, est celui du dialogue entre le pasteur et ceux dont il a charge. Mais ce n’est pas tout: le système entier création-lecture est pris dans la conception finaliste qui vit alors ses derniers beaux jours. Car le but de l’œuvre n’est pas d’être lue, il est, au-delà de la lecture dont nous avons bien tort de faire un terminus, de produire dans le lecteur un changement, un retour, une conversion. La transformation du lecteur est la cause finale de l’œuvre, dans une vision du monde qui garde le salut comme cause finale de l’homme. Ce qui change beaucoup de choses. Car dans cette conception - ceci est extrêmement important pour l’histoire de la littérature de la première modernité - l’œuvre n’est pas l’objet que je mets entre les mains de l’autre, mais la modification que je pourrais - à la grâce près 5 - effectuer dans l’autre, mon frère en charité. On voit combien se redit ici l’opposition du monde du je-tu à celui du je-il qui est la nôtre, dans lequel nous avons à passer par l’objet (il, la non-personne) pour atteindre l’autre. Le mot œuvre, c’est capital, n’est compréhensible chez Camus que dans sa proximité avec ses emplois proches: les œuvres charitables, les saintes œuvres. L’œuvre n’est pas un objet, elle est un acte, un événement. Ici encore se révèle l’oubli de la nature conflictuelle de la création et de l’interprétation. Car si le texte se révèle historiquement déterminé, et en cela me résiste dans la mesure exacte où j’accepte de le traiter comme autre et donc de dialoguer avec lui, cette détermination historique elle-même, le fait qu’il soit né dans un milieu déterminé fait qu’outre les limites de ce milieu, de cette pensée, de cette vision du monde, d’autres pensées, d’autres visions, 5 Ce n’est pas, bien sûr, le livre qui produit la conversion du lecteur, mais la Grâce. <?page no="61"?> 61 Discorde et Interprétation d’autres textes sont ce-qui-n’est-pas-lui, ce qu’il essaie de comprendre, ce à quoi il s’oppose. Et c’est là le deuxième sens de “discorde et interprétation,” mais si fortement lié au premier que les deux sont en rapport de boucle de récursion. Toute recherche d’origine, de sources, de lignage historique a tendance, si on n’y prend garde, à être aveugle aux circonstances conflictuelles de la naissance de l’œuvre, “naturellement” en quelque sorte puisqu’elle cherche une continuité historique longitudinale et non les oppositions latérales. Avec Camus, cette vérité est littéralement aveuglante, puisqu’il répète à longueur de préface qu’il écrit “contre.” On dira que je me suis, avec lui, donné la partie belle. Certes; mais on ne peut éviter deux constatations: 1) La première est que, tout le XVII e siècle durant, siècle où il faut se défendre de vouloir être auteur, les écrivains répètent à l’envi qu’ils n’écrivent que parce que d’autres ont écrit. Ce ne sont pas les polémiques qui manquent: toute la lignée des Jansénistes, des Arnauld à Pascal, n’écrit que pour répondre. Descartes aussi. Ce ne serait que dans les débats d’idées? Peutêtre, mais alors que dire de toute la production romanesque, Charles Sorel en tête, qui écrit pour “corriger”? La discorde est la fée penchée sur tous les berceaux littéraires. 2) La deuxième est qu’il faut s’assurer d’avoir un tableau complet des oppositions tissées autour de l’œuvre. Ainsi pour Camus toujours, il ne suffit pas de dire que son œuvre “reflète” les Guerres de religion. En fait, l’erreur première est peut-être de surestimer dans le texte sa dimension référentielle (le reflet, le miroir, etc.), aux dépens de ce que fait l’œuvre. Dans le cas de Camus, on manque la complexité de sa situation si on ne s’aperçoit que sa spécificité est de s’opposer non seulement aux protestants, mais aussi aux Ligueurs, ce qui inclut une bonne part des Jésuites et des moines. Le contre qui motive Camus est une opposition “multipolaire.” L’altérité n’est pas sans multiplicité. C’est même pratiquement sa définition, et de même que par hygiène méthodologique il vaut mieux “écarter” la distance qui nous sépare des œuvres du passé, il vaut mieux surestimer leurs dimensions oppositionnelles. On vérifiera ceci rapidement sur deux autres exemples. L’un que tout le monde connaît, et qui montrera bien cette tendance qui pousse dans le non-conflictuel les œuvres vues comme référentielles: il s’agit de Molière. Nous avons tous lu ces livres qui font de la comédie “le miroir” de son temps, miroir “comique” ou ironique, ou distancé. Presqu’immanquablement, cette posture critique parle du public de Molière: “le public de Molière, dans son ensemble,” “Molière écrit pour le public,” “Molière a soin de son public”. Alors que la définition même de la comédie est qu’elle est construite <?page no="62"?> Max Vernet 62 comme un trope de la négation: ce que je vous montre n’est pas ce qui devrait être. Qu’elle se place donc, par sa poétique même, dans l’opposition: du côté du légitime et non du vrai. Il s’ensuit que l’œuvre comique œuvre sur son public, le travaille, travaille ses divisions, et qu’il n’y a pas un public de Molière, mais (dans la salle même, qui doit être prise comme un volume) des attitudes plus ou moins réceptrices. Si par exemple l’on suit la description par Roger Duchêne de la Querelle de l’École des Femmes (320-348), on s’aperçoit qu’il y a bien au moins une demi-douzaine de publics: le Roi et la “bonne” Cour; la “mauvaise” Cour des sots de qualité; deux parterres: le bon (celui qui naïvement s’accorde avec la bonne Cour) et le mauvais; les prudes; les pédants; et les rivaux, acteurs et écrivains. Ici non plus, les désaccords, qui ne sont pas tous dans la salle, ne naissent pas de l’apparition, dans le paysage théâtral, de L’École des Femmes; ils sont la projection dans le débat d’idées des tensions de cette formation sociale. Molière en joue et s’en amuse. S’agissant de Molière, bien sûr, nous avons une longue tradition critique - depuis les tout débuts - qui souligne le côté polémique de son théâtre, comme Les Luttes de Molière (le titre est de 1925). 6 Mais ceci est resté au niveau du “message,” des “idées,” alors qu’il faudrait proposer que c’est la genèse même qui est oppositionnelle (et non référentielle). Tout le monde, donc, sait qu’il ne peut avoir un public de Molière. Alors pourquoi peut-on encore trouver, dans un Dictionnaire parfaitement courant, 7 ces lignes: Le public suit par ailleurs avec intérêt les polémiques et les querelles de la vie théâtrale qui, telle celle du Cid, ou, plus tard, celle de L’École des femmes, opposent les acteurs et les théâtres; quant à la rivalité des auteurs, elle donne lieu à des luttes dont les spectateurs sont également très friands. Le public, dans son ensemble, soutient Molière dans les mauvaises querelles que lui cherchent les rivaux jaloux ou les coteries dont il fustige l’hypocrisie, mais cela ne signifie pas qu’il le suive aveuglément. … Le public est parfois déroutant dans ses réactions, et cela se manifeste même dans la réception d’un effet précis qu’il ne perçoit pas toujours comme le souhaitait le dramaturge, ce qui peut donner lieu à des scènes amusantes. Ainsi, … Grimarest raconte cette anecdote survenue pendant la représentation du Misanthrope, au moment où Oronte fait la lecture d’un misérable sonnet: “À la première lecture, ils [les courtisans] en furent saisis; ils le trouvèrent admirable; ce ne furent qu’exclamations. Et peu s’en fallut 6 Voir Michaut. 7 Que je laisse anonyme d’abord parce qu’il ne fait que répéter ce qu’on peut lire ou entendre bien des fois, et ensuite parce que, à la suite de Jean-Pierre Camus, il faut s’en prendre au péché, et non au pécheur. <?page no="63"?> 63 Discorde et Interprétation qu’ils ne trouvassent fort mauvais que le Misanthrope fît voir que ce sonnet était détestable.” À côté de son public de théâtre ordinaire, si l’on peut dire, Molière s’est également attaché un public aristocratique qui lui est tout aussi fidèle; c’est ainsi qu’il joue fréquemment en visites chez les grands du royaume. On voit combien cette présentation d’un public un et passif (“Le public” “suit” les polémiques, il est “friand” des luttes) est intenable, et que d’ailleurs ce court texte ne parvient pas à s’y tenir: pour que “le public … soit déroutant dans ses réactions,” il faut bien qu’il y en ait un autre qui ramène “les courtisans” (quels courtisans? ) à la juste appréciation du sonnet. De plus, on apprend que Molière avait “un public de théâtre ordinaire, si l’on peut dire” (probablement le même qui le soutient “dans son ensemble”), et un autre, “aristocratique.” Ce qui, comme pour le Médecin Volant, fait au moins deux, dans son ensemble. Il n’y a vraiment aucune raison de ne pas restituer au XVII e siècle comme aux autres sa nature conflictuelle, pas plus que de refuser à l’œuvre littéraire le rôle de partie prenante dans les conflits de son époque. Mais il ne faut pas voir dans ce précepte une autre formulation d’un soi-disant caractère référentiel de l’œuvre, qui ne ferait encore qu’être le miroir uni d’une société brisée. La reconnaissance des conflits extra-littéraires, qui permet de ne pas se laisser prendre aux multiples pièges de l’Un, n’est que la condition préalable, historique et non littéraire, d’une herméneutique de la discorde. La Discorde est la marraine de l’interprétation: elle s’y reconnaît, et si le XVII e siècle l’a souvent peinte écrasée sous le pied de ses rois dans les tableaux encomiastiques, c’est que ceux-ci appelaient l’avènement de l’Un et de la monotonie monarchique. Notre interprétation, qui place le conflit dans la genèse même de l’œuvre et permet ainsi à celle-ci de trouver son efficace dans son époque, ne peut prendre sa portée que si elle (l’interprétation) prend part aux discordes de sa propre époque, ce qui lui permet de percevoir la distance, historique et idéologique, sans laquelle il n’est pas d’interprétation. Difficile de savoir, finalement, si la Concorde est bien une fée; si les erreurs auxquelles elle nous a poussés valent le prix de notre paix. Mais peutêtre faut-il aussi ressusciter l’ancien sens de la Concordia discors, qui n’est pas ce qui vient “après,” qui n’est pas la résolution quasi-musicale d’une dysharmonie soluble qui la précède et l’annonce. Elle est au contraire l’harmonie bien comprise qui est la stabilité des différences arcboutées les unes aux autres: c’est à nous que s’adresse le fragment 51 de (peut-être) Héraclite: “Ils ne comprennent pas comment ce qui lutte avec soi-même peut s’accorder. L’harmonie du monde est par tensions opposées, comme pour la lyre et pour l’arc”. <?page no="64"?> Max Vernet 64 Bibliographie Escarpit, Robert. Sociologie de la littérature, Paris: PUF, 1968. Duchêne, Roger. Molière. 1998. Paris: Fayard, 2006. Michaut, Gustave. Les Luttes de Molière. Paris: Hachette, 1925. Ricœur, Paul. Le conflit des interprétations: Essais d’herméneutique. Paris: Seuil, 1969. Site internet: http: / / fr.wikipedia.org/ wiki/ Émergence (dernier accès le 17/ 01/ 2011). <?page no="65"?> Biblio 17, 194 (2011) Mind and Body: The Late Works of Molière and Jacques Guicharnaud M ICHAEL C ALL Brigham Young University In 1963, Jacques Guicharnaud published Molière, une aventure théâtrale, the book which, arguably more so than any other, established the notion of a central trilogy in the Molière corpus - Tartuffe, Dom Juan, and Le Misanthrope - and constructed an intricate theoretical arc connecting the plays. 1 After tracing Molière’s increasingly sophisticated treatment of comedy through the three plays, Guicharnaud wrote, “Après Le Misanthrope, [Molière] aurait pu cesser d’écrire” (527). But it was not Molière who stopped writing; it appears that it was Guicharnaud, at least as far as Molière was concerned. An introduction to a 1964 edited volume of essays, and a 1973 written article appearing in a Festschrift for W.G. Moore comprise all of Guicharnaud’s published work on Molière after his landmark study. As it turns out, although Guicharnaud may have stopped publishing on Molière, he did not entirely stop writing about him. An investigation of Guicharnaud’s papers reveals a possible suite to the theatrical adventure that brings important clarification to Guicharnaud’s views on Molière, the late plays, and the act of literary criticism. Upon Guicharnaud’s death in 2005, his papers were donated to the Beinecke Rare Book and Manuscript Library at Yale University. In this bequest there is substantial evidence - around sixty-five handwritten pages and fifty-one typed pages - that at some point Guicharnaud contemplated in 1 See, for example, Gérard Defaux, who writes that Guicharnaud “a su mieux que personne, à travers une lecture extrêmement minutieuse et brillante de la grande trilogie moliéresque, rendre compte de la dimension réflexive de ce théâtre et décrire l’aventure existentielle de Molière” (27). More recently, Caldicott’s La Carrière de Molière also acknowledges Guicharnaud’s “étude célèbre” for its role in establishing Tartuffe’s centrality in Molière criticism, while at the same time seeking to correct this notion (20). <?page no="66"?> Michael Call 66 earnest an additional project on Molière, unfortunately left incomplete. 2 While the final product might have evolved in many different directions, the documents suggest that the resulting work, like Guicharnaud’s earlier book, would have concentrated on three plays - Le Bourgeois gentilhomme, Les Femmes savantes, and Le Malade imaginaire - thus constituting a second, and rival, trilogy as a response to Tartuffe, Dom Juan, and Le Misanthrope (Guicharnaud, “Papers” 3: 5). 3 The analysis of these three plays would have been supplemented by references and comparisons to other late works - La Comtesse d’Escarbagnas, for example, which appears frequently in the notes. 4 The study clearly looks to explore the implications of Molière’s changing comedic aesthetic, including the increasing importance of the later comédiesballets, creating a dialogue with the earlier book and its claims. While many suggested titles appear throughout the documents, one seems to be given particular prominence: Le Comique de l’Esprit et du Corps: Essai sur les dernières pièces de Molière (4: 1). While the project is potentially a radical departure from the perspective of Molière, une aventure théâtrale, the surviving materials do not evince a desire to reject or wholly revise Guicharnaud’s earlier work. Of the three plays to be studied, only the analysis of one of these late plays is extant: Les Femmes savantes. 5 The methodology employed remains very similar to Guicharnaud’s earlier work, and those familiar with the careful approach to the text in Molière, une aventure théâtrale - its painstaking attention to details such as 2 It is difficult to date the documents with precision. Professor Charles Porter, a colleague and friend of Guicharnaud’s, has indicated his belief that the papers date from the early 1970s. This is corroborated by incidental materials included in the files. 3 My references here are to the contents of Uncat Mss 826, box 2, in the Jacques Guicharnaud Papers (Beinecke Rare Book and Manuscript Library). The collection of documents can be divided roughly into ten groups of sheets: the first consists of non-paginated handwritten notes, while the nine following groups (typed or handwritten) contain page numbers. I will therefore reference quotations by document group and listed page number, if available. In addition, to help distinguish between Molière, une aventure théâtrale and this later project, I will refer to the former as a book and the latter as a manuscript. 4 Guicharnaud even suggests that La Comtesse d’Escarbagnas “peut nous servir de point de départ” (5: 5), illustrating his intention noted elsewhere to “commencer par les pièces ‘mineures’ après 1669” and “prendre Molière par la queue” (1: np). 5 The majority of the handwritten pages (4: 1-38) are dedicated to a scene-by-scene analysis of the play, and the typed pages (6: 1-10: 4) represent a polished version of Guicharnaud’s analysis of Act I, from the opening scene between Armande and Henriette to the closing conversation between Clitandre and Bélise. <?page no="67"?> 67 Mind and Body: The Late Works of Molière and Jacques Guicharnaud the phonemes in the name Tartuffe, or the theatrical genres suggested by the list of characters in Dom Juan - will find echoes here: for example, the study opens with a consideration of the play’s title in the context of Molière’s other titles, exploring the implications of singular and plural nouns (6: 1-11). As with the earlier book, Guicharnaud’s method in the manuscript consists of a scene-by-scene close reading of the play, relying on few outside sources and preferring instead to tease out the nuances of character, setting, and dialogue in order to explore larger intellectual themes. Other factors indicate, though, that the analysis of Les Femmes savantes constitutes for the critic something more than the application of his former critical approach to a new text. In the earlier book, Guicharnaud speaks disparagingly of Les Femmes savantes, labeling it a “sorte de ‘composition’ sans nouveauté” (“Molière” 534). In this later analysis, however, the play held a special status for the critic, who describes it as a “reprise et synthèse des procédés les plus efficaces d’une brève mais riche carrière dramaturgique,” or as a “pot-pourri de nombreuses réussites précédentes” (“Papers” 7: 2). While the imitative character of Les Femmes savantes is still acknowledged, Guicharnaud’s second take on the play argues that it is a means of engaging with Molière’s dramaturgy in its totality. In short, it comes to represent for the critic a condensation, or a résumé, of the methods and issues at the heart of Molière’s theater. Perhaps the reason why Guicharnaud attributes such importance to Les Femmes savantes is that the play in many senses constitutes a debate about literature and criticism. While Les Femmes savantes from a compositional standpoint could be considered among the most “literary” of Molière’s plays, it nevertheless contains at the same time one of Molière’s most virulent attacks against pedantry and errant criticism, posing the problem of language and literary interpretation more directly than any other play since La Critique de l’Ecole des femmes. After all, the project of the eponymous femmes savantes is essentially a linguistic and a critical one, including the elimination of certain words and the “retranchement de ces syllabes sales” (Molière 3.2.913). 6 Armande declares: “Nous serons par nos lois les juges des ouvrages; / Par nos lois, prose et vers, tout nous sera soumis; / Nul n’aura de l’esprit hors nous et nos amis; / Nous chercherons partout à trouver à redire,/ Et ne verrons que nous qui sache bien écrire” (3.2.922-26). Here, literary criticism and linguistic regulation become tools of domination, or the weapons of a will to power. Little does it matter that the servant Martine performs all her essential duties well; Philaminte evicts her from the household because of her shoddy 6 All Molière quotations are taken from Georges Couton’s 1971 Bibliothèque de la Pléiade edition. <?page no="68"?> Michael Call 68 grammar, coupling the act of linguistic censure to a demonstration of social hierarchy. The usurpation of domestic power by Philaminte mirrors the reversal that the femmes savantes seek to bring about on the literary plane. Authors will submit to non-authors (note that the femmes savantes confess to having not yet actually written anything, and the only firm work on the horizon is the “plan” of their Academy); literary critics will ascend to the roles of judges and lawgivers. While the conversation between Trissotin and Vadius degenerates into open feuding, the resentment between these authors masks a more latent and widespread antagonism: that between the femmes savantes (and their masculine equivalents) and the wider literary community. Staging the femmes savantes thus becomes a way to stage criticism and misreading. In Guicharnaud’s analysis, misreading is even given a prominent concrete form in the character of Bélise, the most “visionnaire” of the femmes savantes, trapped in a fantasy world that she creates through her tangential and idiosyncratic semiology. As Guicharnaud writes, “[Bélise] vit par les yeux, ceux qui lisent et ceux qui déchiffrent les signes muets du monde dit réel” (“Papers” 10: 3). Bélise finds meaning where there is none; for her, significance is always a step removed from the surface. Words and appearances are deceptively hieroglyphic and can only be correctly understood by a specialist. Bélise consequently becomes the very image of a hermeneutics that Guicharnaud refuses. The text may be complicated, but Guicharnaud argues that it is clear, and it reveals its structure and its significance to the careful and sympathetic reader who steers clear of the ego-driven excesses of Trissotin and the femmes savantes. For Guicharnaud to pursue his familiar critical method in examining Les Femmes savantes - this play about criticism - speaks of a confidence in his having forged critical tools that are not at odds with the text, but rather that suit or correspond to the work at hand. And, it bears mentioning that this method as Guicharnaud practices it constitutes in its own way a remarkable example of bringing together divergent critical strains. In fact, the cultural and educational context for the formation of Guicharnaud’s critical approach is vital for an understanding of the work. Two years after finishing his studies at the Ecole Normale Supérieure, Guicharnaud was recruited to Yale in 1950 by Henri Peyre, department chair of French from 1939 to 1969 (Peyre, “His Life” 1083). Guicharnaud’s professional activities during these years were particularly varied, influenced by Peyre’s desire that the department bring French culture, language, and literature to the attention of American students through methods beyond traditional teaching and research: a series of public lectures given by the faculty on topics often assigned by Peyre; Yale French Studies, begun in 1948 (May 8-9); and, most significantly for Guicharnaud, amateur plays and scenes staged by <?page no="69"?> 69 Mind and Body: The Late Works of Molière and Jacques Guicharnaud the department with roles held by the professors and students. 7 Guicharnaud himself played the title role in Dom Juan opposite Jean Leblon’s Sganarelle, and Cléante opposite Georges May’s Orgon in Tartuffe. 8 Seventeenth-century French literature held a prominent place in the Yale Department of French during the Peyre years. Editions of Peyre’s Qu’est-ce que le classicisme? spanned almost the entire length of Peyre’s Yale career, with a first edition in 1933 and a final one in 1965, two years after the publication of Guicharnaud’s Molière, une aventure théâtrale. Peyre’s particular view of Classicism is inseparably connected to the American context of its elaboration, as Peyre himself stated in the introduction to his book. Charged with the need to justify the teaching of seventeenth-century French literature in a context where it was not simply de rigueur, Peyre made French Classicism the symbol of French individuality and a vehicle for cultural identity. “Intellectualité” (Peyre’s term) instead of rationality, Classicism is defined in Peyre’s work as a reconciliation of tensions, an acknowledgment of difference with an eye towards subjecting these strains to the harmony of an organized whole: “Emotion et sensation, troubles sensuels et élans imaginatifs ne sont point supprimés au nom d’une philosophie hautaine et exclusive. Ils sont admis, mais gouvernés; ils sont compris et analysés, donc affinés et humanisés” (“Qu’est-ce que le classicisme? ” 90). Classicism is, for Peyre, above all else an équilibre, a balancing of emotion and thought, of form and content. Peyre writes, “Le vrai classique, loin de donner la prééminence à la forme, s’applique à réaliser un équilibre difficile entre la pensée ou l’émotion (c’est-à-dire le contenu de l’œuvre) et la forme. Il établit entre la matière et la manière de son œuvre une ‘adéquation’ aussi parfaite que possible” (143). This re-imagined French Classicism and the methods used to present it become particularly important when considering Guicharnaud’s formulation of a critical language to grapple with Molière’s theater. The method of Molière, une aventure théâtrale derives directly from the unique lived experience of a French devotee and scholar of the theater, teaching and staging that theater for an American audience that, as Guicharnaud gently terms it, is “non prévenus par les anciens impératifs scolaires français” (“Molière” 9). This helps place in context Guicharnaud’s critical move announced at the beginning of the book, noting the immense amount of material written on Molière and simultaneously declaring that for the most part this body of ma- 7 I wish to thank Brian Reilly, who is currently digitizing some of the recordings of these faculty lectures and who shared with me an excerpt from Guicharnaud’s lecture on Mallarmé’s “Apparition.” 8 Information for Dom Juan is from William Roberts’s comments (“In Memoriam” 3). My information for Tartuffe comes from a personal conversation with Guicharnaud. <?page no="70"?> Michael Call 70 terial will not be cited or acknowledged. It is a deliberate attempt at a fresh revaluation or re-exploration of the plays, one that Guicharnaud describes as a “rencontre” between his reading of the Molière critical bibliography, his own study of the texts, and his “étonnements (parfois indignés) devant l’irrespect d’étudiants très intelligents et non corrompus” (10). Like Peyre’s Classicism, this is a new Molière from a New World. And, like Peyre’s Classicism, it will be built on an acute appreciation for tensions and oppositions. The final act of Tartuffe, or the apparent disconnected sketches of Dom Juan, for example, are explained in Guicharnaud’s criticism in terms of dramatic functionality and their contributions towards a common intellectual theme. The “raisonneurs” are read not as incarnating a philosophical or moral lesson; instead they are discussed in their function as diametrical poles, rich in dramatic possibilities. Molière’s theater is analyzed as the willful confrontation of opposing theatrical forces: Philinte/ Alceste; Sganarelle/ Dom Juan; Orgon/ Cléante or even Elmire/ Tartuffe. As Guicharnaud writes of Tartuffe, the play celebrates “la valeur esthétique de la tension entre l’ordre et le désordre, le plaisir ambigu qui consiste à reconnaître les possibilités de subversion de l’homme tout en affirmant le pouvoir inverse de leur imposer des limites calculées” (167). Guicharnaud’s critical methodology, mirroring his claims about Molière’s plays, seems a concentrated effort to acknowledge and resolve tensions, subjecting them to an overarching intellectual structure. Peyre’s quasi-Cartesian notion of an équilibre between thought and form announces the most important of the tensions that Guicharnaud analyzes: that between the literary significance of the plays and their mise en scène, or between page and stage. This aspect of Guicharnaud’s critical methodology once again grows out of the scholarly context for the work, and Guicharnaud recognizes in the book’s introduction the extent to which his own amateur theatrical productions had a hand in shaping his approach to the plays (9-10). This translates in his work into the constant reminder that the plays have a corporeal element, that is, that the characters are never merely names on a page, but are incarnated by human beings and that an entire visual and gestural language surrounds the text. As Guicharnaud writes in his discussion of Tartuffe: [I]l est impossible au critique de comprendre véritablement une pièce hors de sa représentation, et lorsqu’on travaille sur le texte publié, toute lecture doit être accompagnée d’un effort d’imagination qui lui montre des personnages en mouvement dans un espace. Le début d’une ‘scène,’ ce n’est pas seulement un personnage qui commence à parler, c’est un corps qui surgit, c’est une porte qu’on ouvre, un escalier qu’on descend. (21) <?page no="71"?> 71 Mind and Body: The Late Works of Molière and Jacques Guicharnaud It is in this sense that Guicharnaud’s interest in Les Femmes savantes, and particularly in the opening scene, takes on synecdochical importance for his larger critical project. With its central focus on a debate over the possibilities of combining body and mind, the play becomes in essence a debate about the theatrical enterprise itself, constituting a fusion between the immateriality of the written word and the corporeal nature of acting bodies. The femmes savantes err in their establishment of a material hierarchy, a vertical axis as Guicharnaud describes it, that sets a series of terms in opposition: “[m]énage ou étude, chair ou esprit, esclavage ou domination,” terms considered by Armande and the other femmes savantes to be mutually exclusive (“Papers” 7: 10). In response to her sister’s view of conflict and exclusivity, Henriette proposes instead a view of, as Guicharnaud writes, “fonctions dont les différences ne sauraient être niées, mais qui ne sauraient se passer l’une de l’autre, étant complémentaires et réciproquement conditionnelles” (8: 3). Tensions are resolved as Henriette places these contrasting terms on a horizontal, not vertical, axis: “Pour ce qui est du mariage, […] union et tendresse mutuelle, sans un soupçon de hiérarchie. Pour ce qui est de l’être, les deux côtés compatibles de l’espace d’Henriette accommodent à la fois la séparation des deux substances et leur coexistence sans conflit” (8: 2). Just as Henriette places together the life of the mind and the life of the body, Guicharnaud’s analysis juxtaposes considerations of theme and literary structure with observations regarding staging both real and imagined. For example, in his analysis of this opening scene, he notes: Le contraste rhétorique entre les deux sœurs est si éclatant, en ce début de pièce, qu’on peut pardonner à certains metteurs en scène d’asseoir une fois pour toutes Henriette avec un tambour à broderie entre les mains … et de peupler l’espace scénique d’une Armande qui se multiplie par ses alléeset-venues, ponctuées de coups d’éventail suffoqués. (7: 4) Guicharnaud imagines costumes - “On se plaît à imaginer une mise en scène de la pièce … où les têtes à la fois inquiètes, agressives et ravies des femmes savantes se promèneraient au bout d’un long col érigé au-dessus de lourds oripeaux Louis XIV” (7: 8) - and blocking: “Quels que soient les symboles scéniques qu’on puisse inventer pour la représentation, il semble bien difficile de ne pas placer Clitandre entre les deux jeunes filles” (7: 12). Even when the actors’ movements are not specifically suggested for the stage, Guicharnaud includes them as ways for the reader to envision a physical representation of the intellectual debate that is taking place on stage: Nous n’oserions pas conseiller aux actrices la gestuelle suivante, et pourtant elle serait utile à titre d’exercice: alors qu’Armande a pointé vers le ciel un index didactique en mentionnant sa mère et en parlant de l’étude, <?page no="72"?> Michael Call 72 de la philosophie, etc., et a fait le geste de brasser, vers le sol et avec dégoût, en parlant des pauvretés de la vie mariée, Henriette aux vers 69-70 a montré d’un calme revers de main les deux plateaux d’une balance en équilibre. (7: 11) Nor are these observations detached from actual practice - a handwritten marginal note in the documents makes reference to Guicharnaud’s own amateur staging of Les Femmes savantes (4: 36). In the vein of Henriette’s description of marriage, Guicharnaud sees criticism as reconciliatory, the elaboration not only of the play’s tensions, but also a joint product of author and critic. Applied to a play that stages this same harmony of discords, Guicharnaud’s scholarship testifies of a conscious and deliberate attempt to match the methodology of the critic and that of the author, an invention of a criticism that corresponds to its object in what could be termed a critical “adéquation.” Such an approach, however, risks creating a critical short circuit, as Guicharnaud’s method of inquiry appears to predetermine what the critic will find. In the manuscript, Guicharnaud attempts to address this by insisting that it is Molière’s “limpide” dramaturgy, not his own critical perspective, that determines the issues that he examines (“Papers” 5: 1). This echoes the earlier book’s description of the critic or interpreter in similarly passive terms: “Il convient simplement de devenir le ‘public idéal’ de la pièce” (“Molière” 150). A criticism based on the intellectual discovery and resolution of tensions finds a dramaturgy that does the same. For Guicharnaud the spectator, Molière’s theater is one of satisfaction, or of expectations fulfilled (20, 81-82). About Tartuffe, Guicharnaud notes, “L’intérêt repose surtout sur le désir de voir arriver ce qu’on attend - et non sur celui d’être surpris. Ce théâtre n’est pas une œuvre de virtuose ni de coquet: il offre à l’intérieur ce qu’il présente en vitrine” (71). But what happens when it does not? Guicharnaud’s privileging of Les Femmes savantes is telling, as the play is in this second proposed trilogy the most backwards-looking from a stylistic or a thematic point of view. While Les Femmes savantes could certainly be described as fulfilling expectations in light of both Molière’s previous works and the play’s own dramaturgy, could the same be said for Le Bourgeois gentilhomme, with its radical abandoning of closure and balance for fantasy and spectacle? It is in a case like this, where Guicharnaud’s search for intellectual balance would have had to deal with Molière’s evolving theatrical vision, that the absence of the work on the trilogy’s remaining plays is most to be lamented. And why was the project abandoned without completing or publishing the study of Les Femmes savantes? Perhaps an indication might be gleaned from Guicharnaud’s prior remarks about Molière’s late works. After noting <?page no="73"?> 73 Mind and Body: The Late Works of Molière and Jacques Guicharnaud that Molière did indeed continue writing after Le Misanthrope, Guicharnaud states, “Mais il a ou bien joué à fond le jeu des conventions théâtrales, ou bien pris le parti du mal ou tout simplement escamoté le problème” (527). For the critic, the playwright’s late works moved away from the dramaturgical conflicts of greatest interest, removing the kinds of tensions and fractures that Guicharnaud had so deftly examined and that formed the heart of his own critical methodology. The unity of playwright and ideal critical spectator is shattered, not in the central trilogy where Defaux would later situate the rupture between Molière and his audience, but precisely where Molière’s art shifts “du règne de la raison à celui de la folie” (Defaux 30). Is it in the end Guicharnaud, then, who evaded the questions raised by the final plays? Les Femmes savantes, however, offers a final reconciliation between critic and playwright, a crystallization of a past dramaturgy and critical methodology. Nor should such an “adéquation” be taken for granted. While we may regret lost opportunities or roads not taken - in particular Guicharnaud’s take on the late comédie-ballets - there is certainly much to be appreciated in what we could call (adapting Guicharnaud’s own description of Les Femmes savantes) a “reprise et synthèse des procédés les plus efficaces d’une … riche carrière” (“Papers” 7: 2). Works Cited Caldicott, C.E.J. La Carrière de Molière entre protecteurs et éditeurs. Amsterdam: Rodopi, 1998. Defaux, Gérard. Molière, ou les métamorphoses du comique: De la Comédie morale au triomphe de la Folie. Lexington, KY: French Forum, 1980. Guicharnaud, Jacques. Jacques Guicharnaud Papers. Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Yale University. -. Molière, une aventure théâtrale. 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In Autour de Madame de Lafayette (1993), a section was dubbed “Un regard d’Outre-Atlantique”; as recently as in 2008, Hélène Merlin edited La Littérature, le XVII e siècle et nous: dialogue transatlantique. Whether or not we acknowledge it, academic traditions differ, and there are culturally determined ways of approaching objects of research and learning. Particularly significant in this respect is Joan DeJean’s characterization of Ancients against Moderns: This is an inherently American attempt to reevaluate a formative moment in the history of French culture. (ix) The split between a culturally determined object (the history of French culture) and an equally situated subject (she who embarks on an inherently American attempt) is particularly relevant. Americans do not do things the way the French do them; a socio-historical character inheres in human endeavors, even those of a scholar. The often confrontational nature of the opposition was again brought home to me by the premise according to which an article I had been commissioned to write was revised by the editor: Nous ne donnons pas dans les “gender studies,” si bien que, tout en appréciant la justesse de vos analyses, et l’exactitude historique de vos remarques, la forme nous a souvent gênées. … quand vous avez écrit qu’en France, lorsqu’on disait “La Fayette,” on pensait systématiquement au général: oui, mais on ne confond jamais les deux personnages, car par <?page no="76"?> Pierre Zoberman 76 ailleurs, en France, on dit toujours “Mme de La F” - sauf peut-être dans les groupes inspirés des Women studies. 1 One might be tempted to consider such statements as emblematic of at least one aspect of 17 th -century studies in France, and more generally, of the French take on gender and identity: gender has no bearing on the reading of texts. Identity is defined nationally, not by gender or sexuality 2 - and let us by the by cast some aspersions on those pseudo-fields, gender studies, women studies. There seems to be an enduring fear of anachronism - thinking the seventeenth century using tools developed in a modern context - and a fear of identity - the scholar-researcher dangerously involving who/ what s/ he is in her/ his endeavors, a danger only remarked upon, however, where sexuality and gender are concerned. However, the situation is clearly more complex. What defines an American or a French approach? In 1993 Catherine Spencer celebrated the diversity of the voices that made themselves heard (669). Not to mention the question of the position in time: would the “regard d’Outre-Atlantique” be the same today as it was then? Within the context of gender studies, how do the fast developing masculinity studies inflect the divide? And what happens when we move to questions of dissident sexualities? The overall context is changing: in recent years, a few major works of lesbian/ gay/ bi-/ transstudies and especially queer theory have been translated into French. 3 Could the shifts in research and publishing in France continue to bypass the seventeenth century? I cannot go over the exhaustive body of work published on gender, identity, and sexuality. Instead, I will present what represents only my personal assessment along three main axes, trying each time to move from “traditional” gender considerations to issues of (dissident) sexual identities: first, questions relating to the interpreting subject, then, questions relating to the 1 I am quoting from an e-mail message. Before I move on the (perhaps deceptive) evidence of the split, I must point out that the naming of women writers is indeed a site of cultural identity. In her introduction to the American corner of the 1993 special issue of XVII e SIECLE with the revealing title of Autour de Madame de Lafayette, Catherine Spencer refers to “Mme de Lafayette - que d’entrée de jeu on s’autorisera, à l’exemple de Joan DeJean, à designer par son seul nom de famille - Lafayette” (669): a kind of apology is still necessary (on the development of this distinctive naming practice, see Zoberman, “Représentations.” 2 As the recent institution of the Ministère de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale implies. 3 Butler’s Gender Trouble appeared in French in 2005, Bodies That Matter in 2009 and Sedgwick’s Epistemology of the Closet in 2008. <?page no="77"?> 77 Gender, Identity, Sexuality: French and American Approaches space(s) women/ disenfranchised groups occupied, and, finally, questions relating to the canon and (gendered) poetics. 4 The Interpreting Subject On one side, a French tradition seems to emphasize the underlying existence of an object that has to be uncovered and explored. The exploring subject is then secondary - except in very practical terms, i. e. to the extent that it (not s/ he) brings knowledge to an object to gain even more knowledge about it or the field. On the other side, an inescapable and acknowledged subjectivity. Joan DeJean clearly formulates a transcendental conception of the subject: … I am openly acknowledging what I see as an obvious but too generally unexamined fact: that our view of the past, literally what we are able to see in each particular historical situation, is inevitably shaped by the events and the issues at the heart of our own historical moment… . [T]his means that I would never have portrayed the late seventeenth century in France as I do, had I not been writing this in the thick of … Culture Wars. (Ancients ix) It pertains particularly to questions of gender, identity, and sexuality. The 1984 Poetics of Gender conference (see Miller Poetics) in its entirety testified to it, as did articles like Elaine Showalter’s “Feminist Criticism in the Wilderness.” 5 17 th -century French studies were particularly well-represented (cf. Miller 1981). French scholars tend to see themselves as rational subjects, whose subjectivity can be silenced at the opportune moment. There is a paradox, of course, in view of Foucault’s success in France, and the contextualization the concepts of episteme and systems of thought implied. The practice of overreading advocated by Miller is emblematic of readers with an agenda. However, there seems to be a difference, in degree, or perhaps in nature, between women’s/ gender studies and LGBTQ studies. Thus, David Robinson, advocates speculating about an author’s sexual identity, to counter a “positivist,” “rationalist” imperative - “We should read texts, but not read into them”: … [I]f there are as yet undiscovered closeted texts out there, the only way to receive the partially concealed messages they were meant to convey to certain readers is to engage in what Creech calls “wild surmise” about their authors’ sexual desires and/ or identities, …even though one’s specu- 4 The phrase “and anachronism” might be added to all three of my headings. 5 Miller sums up in the Subject to Change version of “Arachnologies” (77-101) the significance of that conference: the yearly Colloquium on Poetics took on a whole new dimension as a site for the exploration of a feminist poetics (77-78). <?page no="78"?> Pierre Zoberman 78 lations may turn out to be fallacious. Indeed, in many cases …, the validity or falsity of such speculations will prove unresolvable. Nonetheless, the speculation is fruitful, even necessary, for a greater appreciation of dissident lesbian and gay authorial, readerly, and textual possibilities. (62) James Creech’s own claim is that homosexual texts (i.e. for him texts produced by homosexual writers) are erotically more appealing to the homosexual reader - an assumption far from self-evident, but which is a variant of the kind of subject-engagement I view as a feature of American-influenced approaches. 6 With Sedgwick as his reference, Robinson states the benefits he hopes to reap: We are likely to find that other … authors are hailing us, even cruising us, in ways and from places we never suspected. Without projecting ourselves out on that critical limb, we will never know. (64) The very title of his 2006 Closeted Writing and Lesbian and Gay Literature brings to the fore the interpretive gesture required of the reader. Even if the question of the signature is not as clear-cut as it may seem - and DeJean showed the importance of not signing one’s literary creation when one is a woman - Miller’s overreading demanded that one take into account the author’s (assumedly known) gender and tries to pinpoint a difference (be it only a subtle “emphasis”). 7 When overreading a(n assumed) closeted text, one must assign a dissident sexual identity to the author - Robinson’s critical limb. This will, on the one hand, jar with a historyand biography-based reading practice since instead of hearing a faint trace of the feminine, detected from the author’s ‘known’ gender (as problematic as this may be), one must take the author out of the closet s/ he locked her/ himself in on the basis of what is construed as lesbian/ gay; it will, on the other hand, not sit well with readers who adamantly reject the reference to the author as a real person (though I would argue that the author is only neutral when he is a man - see Zoberman “Représentation”). Both attitudes are widely represented in French scholarship. 8 Gendering Public Spheres I can only briefly outline a hypothesis about the distinctive role played by the notion of alternative public spheres in scholarship aiming to reassess, or rather reassert the place of women in 17 th -century France. 6 I borrow here Michèle Longino’s way of summarizing in the English abstract of “Derrière le ‘présentisme’ du regard lointain” (Merlin-Kajman 318). 7 I do not mean to oversimplify: the Lettres portugaises show that even assigning authorship involves preconceived ideas about gender (see Kamuf). 8 I cannot develop here, but there is, in this field as well, a link between subjectengagement and conceptions of historicism. <?page no="79"?> 79 Gender, Identity, Sexuality: French and American Approaches In 2001, Barbara Cassin and Philippe-Joseph Salazar organized a conference at the Collège international de philosophie asking: “Qu’est-ce que la parole publique? ” They opposed a concept of “rhetorical democracy,” viewed as characteristic of the Anglo-Saxon, and particularly American, world and culture and Habermas’s “public sphere of deliberation”, which they considered more germane to European thought (see Cassin & Salazar). Though a lot of work has been done recently on women writers in the society of early-modern France, it seems the notion of “public sphere” has not actually served as a focus for 17 th -century studies in France where gender is concerned the way it is in the Anglo-Saxon context, perhaps again for fear of anachronism. I can only mention Daniel Gordon’s characterization of “The Public Sphere in Apolitical Form” (107) as a trait of the Scudéry-inspired aristocratic feminism, which differs from modern feminism in its rejection of the professional and the political. “The logic of aristocratic feminism helped to give the concept of conversational politeness its distinctively apolitical but egalitarian flavor” (109). The very title of Going Public: Women and Publishing in Early Modern France (Goldsmith and Goodman) shows how high the stakes were for women who emerged as writers. Hence the interest for our field of a reflection on the public. Whether explicitly or not, the question of the relationship of women and women writers to the public sphere has been at the core of feminist and gender studies in America. 9 In 1993, DeJean saw the eponymous princess of Clèves as a counterpart to the process Viala terms “naissance de l’écrivain,” which brings to mind Myriam Maître’s Naissance des femmes de lettres (dissertation defended in 1998, published in 1999). However, perhaps because of the proximity of such considerations to cultural studies (a linkage inherent in the kind of cross-disciplinary approach involved in considering both the author and her text), the centrality of the notion seems to be a distinctly American-inspired trait. DeJean puts forth the connection between the Querelle as an instance of “Culture Wars” and the formation of the first public sphere in France - against the background of the emergence of a true culture of interiority: Because of the controversy between Ancients and Moderns, the first public sphere worthy of the designation public emerged. (DeJean 1997, x) [L]iterature became a radically more public phenomenon, the center of a cultural sphere in which a variety of previously silent groups began to engage in active participation. (DeJean 1997, xi) Reading together the late 20 th -century Culture Wars and their late 17 th century counterpart, DeJean combines the acknowledgement of the role of 9 For a recent overview see Duggan 40-45. <?page no="80"?> Pierre Zoberman 80 the subject and the adoption of the public sphere as a heuristic/ hermeneutic tool for the study of 17 th -century culture. The issue of the public sphere has not, it seems, been tackled so clearly where masculinity is concerned. Yet, the kind of sociability that salons implied might be illuminated by the distinction between the authentic/ inauthentic, political/ apolitical, or political/ socio-cultural spheres. And a study of dissident sexualities along those lines might also prove helpful in current debates. Monsieur, Louis XIV’s brother, for instance, is the subject of several biographies: the question of his homosexuality has been at the center of debates about the epistemological possibility for a homosexual identity in the seventeenth century and about attitudes toward dissident sexualities. 10 Memoirs of the period mention conversations about same-sex intercourse and homoerotic desire. 11 Madame states that sodomy is a ubiquitous practice among the nobility. 12 Is there a homosexual (and not only homosocial) public sphere? The Canon: Gendering Poetics This is a more obvious component of the strategies involved in women and gender studies. The canon is, for the recent American tradition, a political as well as an intellectual battleground. 13 But rereading canonical texts and exposing the illusory self-evidence of the existing literary canons has been a sustained endeavor of feminist critics, theorists, and teachers. It is clear in Miller’s “Emphasis Added” and it is very clearly formulated in The Poetics of Gender (Miller) or The Politics of Tradition: Placing Women in French Literature (DeJean and Miller). In her introductory remarks, DeJean emphasizes how keenly she had felt the absence of women writers from the canon when she was a student. She then moves to a comparison with the situation in English, with the Gilbert and Gubar’s then recent Norton Anthology of Literature by Women: The Tradition in English (see DeJean and Miller 2). There was nothing in French, no reader, no anthology that gave easy access to literature written 10 For a discussion of Monsieur’s potential queerness, see Zoberman “A Modest Proposal” and “Queer.” 11 See Hammond; for a more general exploration, see Ferguson. 12 She adds: “Il n’y a que les gens du commun qui aiment les femmes” (Palatine Princess 111). 13 The accusations leveled by extreme-rightist milieus (see for instance, D’Souza) of a politically/ ideologically motivated agenda show that the political/ ideological underpinning of a certain strategy of defense of the canon is easily obscured by the apparent self-evidence of tradition. <?page no="81"?> 81 Gender, Identity, Sexuality: French and American Approaches by women in the French tradition, a tradition Miller refers to as well in her introductory remarks as she traces the “moves that historically have come to institute a politics of poetics across the social text” (4). Quoting Lillian Robinson’s characterization in “Treason our Text” of the canon as a “gentlemanly artifact,” and given the prevalent exclusionary politics, with a practice of exclusion by gender, she calls for a wide redeployment while stressing the urgency of the questioning: If we think of the canon as a complex social field of intersections and interventions, the cross-hatching lines of class and race, of national ‘identity’ itself - the clusters of differences subsumed under the territorialization of the Hexagon - also need careful siting and remapping. In a sense, while the elimination of women’s writing from the cultural record has been our organizing concern here, the question it points to - how can we understand the process by which the cultural record is constructed? - continues to occupy the horizon. (4) I am not suggesting that French(-influenced) research has stayed away from the area. I am, however, offering the hypothesis that the agenda(s) at the root of any concern for the canon differ substantially. Exposing its hidden ideological consequences and workings, and offering alternative canons are two ways of giving voice to silenced individuals/ groups. I propose, on the other hand, that revising the canon, on the French side of the Atlantic, has more to do with enhancing our knowledge of the past, a knowledge that good research must extend and make more reliable. A certain French tradition has retained something of the Boileau’s confidence who in 1701 sees the selection process as a winnowing of the works worthy, in an essential way, of being remembered. By contrast, a feminist, and may I add a politically, historically, and socially conscious poetics, will strive to understand and explain how the “gestures of selection are erased, forgotten and rewritten as a transcendent literary history - is … always a matter of local history.” (DeJean and Miller 4) The scarcity of contexts for the study of sexual dissidence in the seventeenth century may explain why so little effort has been made toward establishing a LGBT canon. Madeleine Alcover in her article on Cyrano, Chapelle, and d’Assoucy showed how homosexuality was erased from Cyrano’s life in order to better erase it from the interpretation of his works (Magne, for instance, lists Cyrano’s supposed heterosexual affairs - see Alcover). There are a few academic sites of discussion (like Marie-Hélène Bourcier’s EHESS seminar) and a few well known figures (Didier Eribon, among others). A few book series are open to issues of gender and sexualities in the social sciences (not specifically on the seventeenth century). But, even if directors may produce French classical plays with a definitely homoerotic outlook, efforts to reassess <?page no="82"?> Pierre Zoberman 82 the canon or to create alternative canons seem to stem (if at all) from the American side. 14 Such an overview is at best partial and sketchy. I do not mean to offer any definitive conclusion - it would be a self-contradictory endeavor given my premise. Rather, I would like to return to the Princesse de Clèves in order to question, or perhaps to queer, the very notion of divide I seem to have at least partially endorsed. In recent work, concerned with dissident identities, and thus at variance with the tradition of a nationally defined, I have questioned the possibility and sites of a queer 17 th -century France: if Monsieur’s life was one such locus, so was Lafayette’s novel (see Zoberman 2007, 2008a, 2008b). 15 And there seems to be less resistance about sexuality than other aspects. The question then is, how are we to situate such approaches? Research in France is more and more organized around “unités de recherche” with various names and institutional structures, and more or less formal groups (such as EFIGIES or the SIEFAR) where such studies can find a place. 16 The organization, in the past few years, of a couple of seminars on masculinity/ ies may signal an evolution. At the 2009 ACLA meeting in Boston, scholars from université Paris 13, université Paris-Sorbonne and the university of Sussex co-organized a seminar on “Queer(ing) Voices: Comparative Approaches to the Gender/ Voice Articulation.” What I am offering in the end, therefore, is measured hope. Such evolutions as I have just outlined may still be marginal or tentative. They might however be the harbingers of change, a modest indication that American-influenced or, better, transatlantic scholars could eventually trump the American/ French divide - like cultural passeurs. 14 I mentioned Robinson’s wild surmises; Lewis Seifert’s recent work on masculinity and homosexuality; and though it is not exactly a literary anthology, Merrick and Ragan’s Homosexuality in early modern France was not published in a French context. 15 There are changes apparent at the present time, beyond the translation of some of the founding texts of queer theory I mentioned in my opening (and the language divide may indeed play an important role in the discors part of our titular oxymoron; to which remark I have to add the traditional suspicion that foreign scholars may be barred from reaching the essence of the works they study: how many times do I have to remind my students that they would be well inspired to search the MLA bibliography! ) 16 EFIGIES is the Association de Jeunes Chercheuses et Chercheurs en Etudes Féministes, Genre et Sexualités, http: / / www.efigies.org/ . SIEFAR is the Société internationale d’étude des femmes de l’Ancien Régime. Established 2000, SIEFAR aims to restore obscured knowledge and to develop new knowledge. I want to thank Gary Ferguson for drawing my attention to the political nature of its program. It is both a relatively new trend and a project that moves away from an isolationist tradition. <?page no="83"?> 83 Gender, Identity, Sexuality: French and American Approaches Works Cited Alcover, Madeleine. “Un gay trio: Cyrano, Chapelle, Dassoucy.” L’Autre au dix-septième siècle. Actes du 4 e colloque du Centre International de Rencontres sur le XVII e siècle, University of Miami, 23 au 25 avril 1998. Eds. Ralph Heyndels and Barbara Woshinsky. Tübingen: Narr, 1999. 264- 275. Butler, Judith. Trouble dans le genre: Pour un féminisme de la subversion. Paris: La Découverte, 2005. Cassin, Barbara and Philippe-Joseph Salazar. “Qu’est-ce que la parole publique? ” Collège International de Philosophie. Feb. 2001-Jul. 2001. 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The “storm in a teacup” refers to the founding in late 1970s of the Society for Seventeenth-Century French Studies, Britain’s oldest specialist society in French. 3 Far from suggesting that this moment of foundation was trivial, or that the image of the “storm in a teacup” describes it properly as the result of a pointless tizzy, my argument here will be that this was a serious response to 1 I remain grateful to the British Academy, the Faculty Strategic Research Fund, and the School of Modern Languages and Cultures of the University of Glasgow for funding travel to the 2009 annual conference of the North American Society for Seventeenth-Century French Literature, at which an earlier version of this text was presented. 2 While colleagues in departments of English and of classics have long been curious about the establishment and development of their own subjects as university-level pursuits, and have admitted the history of their own conditions and possibilities of work as areas of emphasis within their scholarly fields, very few such enquiries have been undertaken by scholars in French. For English, see Baldick, Crawford, and Miller; for classics, see Stray (“Classics Transformed”), Stray (“Owl of Minerva”), and Symonds. No book-length study exists for French, but see Campos, Birkett and Kelly, Evans, Cohen, and France. 3 The first group meeting with a view to organizing the Society took place at Birkbeck College, London, at the end of the spring term, in May-June 1977, and a general organizational meeting of the Society took place on November 12 of that year. The first conference was held on November 4, 1978, and the first number of the Society’s journal, then called the Newsletter of the Society for Seventeenth-Century French Studies, appeared in 1979 (Brooks). <?page no="86"?> Amy Wygant 86 a situation perceived as being serious indeed. The uses of the past in Britain had changed, and the state of affairs which led to the organizational meeting at Birkbeck College in London was one which had developed out of the storms of the two world wars of the twentieth century, and out of the social changes which followed them. Because these microand macro-histories make up a story suitable for book-length treatment, 4 this outline account will take a well-known film as a shorthand for the development to be traced: the 1930 All Quiet on the Western Front, certainly one of the most famous antiwar films ever made. It is, I will argue, an index into a climate in which the pursuit of the study of modern languages flourished as a university subject in Britain; the end of the Second World War would see the advent of a very different kind of posture with respect to the past and its uses. The film, although not Erich Maria Remarque’s novel, begins in a German classroom, with the schoolmaster urging his boys to go to the front by quoting Horace, “Sweet it is to die for the fatherland: ” pro patria. 5 On the blackboard is written in Greek the first line of the Odyssey. When one of the boys so encouraged, Paul, returns after having seen action, the schoolroom is the same, filled with a new crop of eager youths, but the writing on the board is a smear: it has been erased. Paul, urged by the schoolmaster to tell the younger boys about the glory of war, will say only, “We live in the trenches and we fight. We try not to be killed - that’s all.” It is a powerful scene for many reasons, but for the question of language, its interest is in its equation of the teaching of Greek and Latin in Germany with war. For in this equation we encounter the first of the ghosts which haunt the past of French studies, and seventeenth-century French studies with it, classics. In 1918, British Prime Minister Lloyd George pointed out that The most formidable institution we had to fight in Germany was not the arsenals of the Krupps or the yards in which they turned out submarines, but the schools of Germany. They were our most formidable competitors in business and our most terrible opponents in war. An educated man is a better worker, a more formidable warrior, and a better citizen. That was only half-comprehended before the war. (qtd. in Baldick 93) World War I was indeed, for many, about education. In a first chapter, “Kultur,” of a book whose first page is a list of his classics students killed in the war, the Dean of Arts at St Andrews in 1917, John Burnet, recalled that 4 See my War, Women and the Study of French in Britain, in progress. 5 The novel lacks these references. The schoolmaster’s jingoism is described, but it is attributed to the fact that he is “small” (Remarque 17). <?page no="87"?> 87 Storms of War, Storms in a Teacup It was a high privilege to be a university teacher in those early days of the war, when one’s best students came to say goodbye and revealed something of what they were really thinking. […] They were not particularly interested in trade … nor was there any strong objection to Prussian militarism as such. […] What they really dreaded was the intellectual and moral influence of modern Germany, and being students they were extremely sensitive with regards to any proposals to “Germanize” our education system. (21) 6 The German, particularly Prussian, system of higher education, according to Burnet, was based on two fundamental principles: Its aim was to produce experts for the service of the state; and this training was possible only on the basis of a wide general education in which no specialization was permitted (71). The substance of this general education was, as it had been in Europe since the Renaissance, the study of Greek and Latin. 7 Classics was the Mandarin subject par excellence, valued above all for its mental discipline. In the US it was propped up for half of the nineteenth century by the 1828 Yale Report (Graff 22), and in Britain it was essential in the competition for the highest class of posts in the civil service examination, and for entry into the professions such as law and medicine (Bruford 24). 8 The mythology of classics as a particularly effective training for the mind persisted. As late as 1933, a retired headmaster could write in the London Observer, “If I were in a runaway motor-car, and the driver had to dodge a dog, put his foot on the right one of three pedals and show presence of mind in handling the steering-wheel, the prayer I should put up would be: I hope this fellow has learnt Latin” (qtd. in Orr 27). Simplified, then, the equation established by the anti-war film and indeed the opinion held at the time was that war was underpinned by a militaristic, jingoistic educational system whose ideology was based on the study of the classics. Defeat Germany, and what was really defeated was ancient literature, along with the privilege and the mindset which its study imparted to those on both sides of the conflict. Hence the turn to the modern languages in post-war Britain. Within a year of the Armistice, the government had established four committees to investigate the state of teaching in the fields of science, classics, modern languages, and English (Baldick 93). Chairing the modern languages committee was the first commissioner of the Civil Service Commission, Sir Stanley Leathes, a Cambridge classicist, 6 See also Guérard 50. 7 See Grafton and Jardine. 8 On the balance of languages in the examination for entry into the Indian Civil Service, see Vasunia. <?page no="88"?> Amy Wygant 88 and co-editor of the Cambridge Modern History (Bruford 24-26; Dampier and Matthew 11). The committee’s report appeared in 1918 (“Committee to enquire”). Modern Studies, as it was known, took a breathtakingly broad view of its subject. We shall use the term “Modern Studies” to signify all of those studies (historical, economic, literary, critical, philological, and other) which are directly approached through modern foreign languages. “Modern Studies” are thus the study of modern peoples in any and every aspect of their national life, of which the languages are an instrument as necessary as hands and feet, and heart, and head. The term may sometimes be used in this Report for the study of one or more languages without consideration of ulterior aims, but it is well to remember that the study of languages is, except for the philologist, always a means and never an end in itself. (Modern Studies, 1) Three immediate points may be taken from this opening definition. Firstly, the adjective, “modern,” is applied here not just to studies and foreign languages but also to “peoples,” “modern peoples.” From the outset, then, it seems that the program of modern language study in Britain was enormously ambitious and overwhelmingly optimistic. It responded to the desire expressed by a student asked by Christophe Campos in the 1980s, “Why do you study French at university? ” “Because,” said the student, “I want to know what makes the French tick (108).” Secondly, it should be noted that the term “studies” in Britain, as in “French studies” or “seventeenth-century French studies,” is not a neutral, descriptive one but rather a prescriptive one, and what it prescribes is an extraordinarily broad, so broad as to be quite structurally weak, interdisciplinarity, taking in every aspect of the national life of modern peoples. Perhaps it was this breadth but lack of structure in the program that led to the fact that it was never followed as such in French departments. Within the wider language teaching community, Modern Studies seems to have been championed, and we find, for example, that the journal Modern Languages, in its eighteenth year in 1936, in that year changed its sub-title from “A Review of Modern Letters, Science and the Arts” to “A Journal of Modern Studies,” referring to Modern Studies as “the code of modern language teachers of every kind or grade in this country” (Sleight 3). But for French, there is little evidence that the discipline ever struck out along the broad path that Leathes described, and there are many indications that the young discipline, perhaps predictably, simply slotted itself into the ideological and methodological place in the curriculum left vacant by the waning of enthusiasm for the classics. There was indeed a sort of haunting going on, the beautiful but compromised ghost of antiquity sometimes implicit, as in the translation <?page no="89"?> 89 Storms of War, Storms in a Teacup method of language teaching which persists in British French studies to this day, and sometimes explicit, as in the title of the inaugural lecture given by the appointee to the chair of French at Edinburgh in 1933, “French the Third Classic”. According to John Orr, the aim of the study of French was, “while preserving the natural spontaneity of the British genius, to temper it, to enhance it with that sense of style and disciplined art which a contact with classicism bestows” (Orr 30-31). It will be seen that the study of the France of the seventeenth century, the century known since the energetic eighteenthcentury formulations of the abbé d’Olivet as the century of the great French classics, 9 was a particularly apt tool for this kind of conservative pedagogy. But that of course meant that seventeenth-century French studies would also be particularly vulnerable, among the various subject matters of French literature and culture, were pedagogical fashions to change. The third point to be appreciated in the paragraph from Modern Studies is that there is a field of enquiry which occupies an uncomfortable place on the borderline of its immensely inclusive vision, both inside and outside of its agenda, and that is philology. Philology is included in the list of the pursuits of modern languages that begins with “history, economics,” but is in the end specifically excluded because, for the philologist and only for the philologist in Leathes’s estimation, the study of languages is “an end in itself.” Here there arises, then, the second haunting of French, stalked by the ghost of philology. In 1946, the National Union of Students, many of whom were recently demobilized, issued a protest in the newly-founded Universities Quarterly against the teaching of philology (“Why Compulsory Philology” 57-69). What the students meant by “philology” was later recalled by Percy M. Jones to have been “a vast pedagogical aberration which queered the pitch for French studies from the start” (Jones 17). It referred to the teaching of medieval and renaissance texts exclusively, with emphasis on early forms of the language treated etymologically. The students invited professors of English, French, and German to respond, and H.M. Chadwick, Emeritus Professor of Anglo-Saxon at Cambridge, wrote that “the aim which should be kept in view is the transformation of the existing school of Modern Languages into schools for the study of Foreign Peoples.” For French, Denis Saurat, chair of French at King’s College, London, and director of the Institut Français de Londres, noted that “the basis of our university studies of French should be the concrete facts of France’s culture as they exist within the consciousness of living men” (“Why Compulsory Philology” 65). In spite of Saurat’s 9 See my Towards a Cultural Philology: Phèdre and the Construction of “Racine,” especially ch. 4, “The Wave.” <?page no="90"?> Amy Wygant 90 rhetoric of “concrete facts,” “consciousness,” and “men,” in a subsequent issue Alfred Ewert responded for philology broadly understood, and invoked the prestige of the exact sciences that had helped to establish the subject in the nineteenth century: Philology, he claimed, was the most precise way to understand language (qtd. in “Why Compulsory Philology” 154-58), and the literature of the recent past was too recent to be judged accurately. 10 This contentious climate formed one of the contexts in which French Studies, under the editorship of Alfred Ewert, began publication in 1947. It aimed, true to the agenda of “studies,” to cover a broad spectrum of topics related to the study of France, 11 and to reach both a public eager for reports of contemporary cultural developments in France, and a growing audience of professional academics. Yet, of twenty full-length articles published in the first year of French Studies, seven were on seventeenth-century topics; five were on the nineteenth century. 12 It must have appeared to many that there was a balance to be redressed; students who had been to France as soldiers had had contact with French-speaking civilians and were interested in their language; and the study of the classics of French civilization was vulnerable to being equated with the bad old days of dead languages and philology. “The consciousness of living men,” as Saurat had phrased it, was turned resolutely away from the nightmare of war, which was easily equated to the nightmare of history. Within a generation, by the mid-to-late 1970s, the threat of this equation was apparent to senior dix-septièmistes in Britain, and the Society for French Studies was still struggling to fulfill for French the vision of Modern Studies. The president of the Society spoke to Colin Evans in an interview published in 1988: French Studies feels itself slightly threatened since it sets out to be allembracing. It wasn’t the Society for French Literature, it was the society for French Studies but now there are other bodies. […] If French Studies was the all-embracing thing it is claimed to be, either there would be no need for such things or they would be sub-groups of French Studies. What is happening is that French Studies is trying to move in the direction of such things in order to be all-embracing again. (qtd. in Evans 178) 10 In the nineteenth century, this charge had been levelled against all teaching of contemporary literature at university level, which, it was alleged, would never be more than “mere chatter about Shelley” (Baldick 73). 11 French Studies became the journal of the British society for the study of French at university level, the Society for French Studies. See Bowie and O’Brien. 12 http: / / fs.oxfordjournals.org/ content/ vol1 (Consulted 18 May 2009). <?page no="91"?> 91 Storms of War, Storms in a Teacup There was, according to one who attended the early meetings of the seventeenth-century Society, no particular animosity against the Society for French Studies on the part of the dix-septièmistes, but there was nevertheless a feeling, voiced in quotation above, that the French Studies model was not addressing their professional interests. 13 Accordingly, the Society’s first Newsletter in 1979 took up again the hope of Modern Studies. While it published three papers from the 1978 conference, on Lafayette, it also included articles on history of the family, opera, and “style and politics in the age of Louis XIV.” The editor’s introduction to the volume expressed the hope that “it may be possible to extend the range still further … with articles on thought, religion and science, on education, economics and publishing in the seventeenth-century [sic]” (Smith 1). The US development offers a striking contrast. Henry Carrington Lancaster’s Johns Hopkins Ph.D. dissertation, The French Tragi-Comedy, was published in 1907 and at the time was rightly considered extraordinary. 14 Gustave Lanson reviewed it positively, and Lancaster never looked back. His students published a collection of his writings in 1942 entitled Adventures of a Literary Historian, and, in order to understand the radical claim of that title, it is necessary to understand that Lancaster was educated and his dissertation was directed in the department which founded the university study of the Romance languages in the US, and that that study had been almost single-handedly created and organized by an American dedicated to Germanic philology, A. Marshall Elliott. Like Lancaster born in Richmond, Elliott was a southerner, from North Carolina. He had been propelled out of the US following the Civil War, in which he did not fight, his Quaker parents having sent him to co-religionists in the north. Following his graduation from Harvard in 1868, he spent eight years in Europe studying languages. He returned in 1876 to take up a post in the first faculty at Johns Hopkins, founded the MLA in 1883, founded Modern Language Notes in 1886, and was promoted to Professor of the Romance Languages in 1892. 15 It is difficult to imagine the force and energy which must have been necessary to Elliott’s task, described by a colleague as “to gain and maintain for the study of the Romance languages in our American universities a co-ordination in acknowl- 13 By 1978, French Studies was publishing a more chronologically balanced selection of articles. Of fifteen articles published, the distribution of topics was: medieval - 1; sixteenth century - 2; seventeenth century - 2; eighteenth century - 4; nineteenth century - 5; twentieth century - 1. The dix-septiémistes were clearly occupying a reduced proportion of the journal’s space (French Studies, Archive of 1978 Issues). 14 See Guérard 51. 15 On Elliott, see Commemoration of A. Marshall Elliott 1844-1910 and Armstrong 93-94. <?page no="92"?> Amy Wygant 92 edged scientific dignity and importance with the most accredited branches of knowledge” (Commemoration of A. Marshall Elliott 1844-1910 13). And the “philological renaissance” which Elliott brought back from Europe must have been messianic in its intensity. “It was an international movement of supreme importance,” wrote the same colleague, “because it involved the education of each nation in the truth of its own history” (14-15). Elliott was by all accounts, and as the glittering careers and contributions achieved by his many students witness, a great teacher. Many attributed this to his personal qualities of patience, tolerance, humor and concern for others. Yet in this expression, “the education of each nation in the truth of its own history,” we can hear a kind of late romantic nationalism, which, on US soil and in the hands of a pacifist, 16 seems to have been immensely productive. Elliott and the philology which he embodied produced the first US dix-septièmiste, a kind of haunting micro-history in itself, one of our own ghosts. Works Cited All Quiet on the Western Front. Dir. Lewis Milestone. Perf. Louis Wolheim, Lew Ayres, John Wray, Arnold Lucy, Ben Alexander. Universal Pictures: 1930. DVD. Armstrong, E.C. “Elliott, Aaron Marshall.” Dictionary of American Biography. Ed. Allen Johnson and Dumas Malone. Vol. 6. New York: Scribner’s, 1931. Baldick, Chris. The Social Mission of English Criticism, 1842-1932. Oxford: Clarendon Press, 1983. Birkett, Jennifer and Michael Kelly, eds. French in the 90s: A Transbinary Conference, July 1991. Birmingham: Birmingham Modern Languages Publications, 1992. Bowie, Malcolm and John O’Brien. “French Studies After Fifty Years.” French Studies 51 (1997): 385-94. Brooks, William S. Letter to the author. 22 Sept. 2003. TS. Bruford, W.H. First Steps in German Fifty Years Ago. Leeds: MHRA, 1965. Burnet, John. 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Genette (1992), pour assouplir quelques-unes des distinctions jugées trop rigides pour rendre compte des pratiques effectives de l’imitation propre au pastiche. 2 Une approche élargie s’impose d’autant plus que, comme on le sait, le terme de pastiche dans son acception littéraire n’apparaît dans les dictionnaires français qu’au XIX e siècle. Et pourtant, non seulement la pratique en est attestée depuis fort longtemps, mais encore reconnue sur le plan théorique. Ainsi l’abbé Sallier lui fait-il place dans un discours académique, alléguant “les vers que Voiture et Sarasin ont faits à l’imitation de ceux du poète Neufgermain” (401, nos italiques); 3 mais il s’agit selon lui d’une “4 e espèce de Parodie”, qui consiste à “faire des vers dans le goût et dans le style de certains auteurs peu approuvés”. Faut-il considérer cette ancienne typologie comme abusivement extensive et sans rigueur au regard des efforts modernes de précision terminologique, qu’il s’agisse de distinguer la relation entre les textes (transformation vs imitation) ou le régime discursif (ludique vs satirique 4 ), classifications ici mises à mal? Ou 1 Voir notamment Hutcheon, Thomson et Pagès, Rose, Sangsue, et Beugnot. 2 On rappellera l’opposition établie par G. Genette entre les deux formes de relation hypertextuelle: d’une part, la transformation (dont relève la parodie), de l’autre l’imitation, spécifique au pastiche. 3 Nous avons modernisé l’orthographe de toutes les citations. 4 G. Genette oppose à ce titre le pastiche à la “charge”. <?page no="98"?> Delphine Denis 98 plutôt, autre option méthodologique à laquelle on souscrira, s’appuyer sur ces analyses afin de comprendre, de l’intérieur, les cadres théoriques où les auteurs ont pu inscrire pour un temps leur pratique? On retiendra alors les traits définitionnels suivants, volontairement réduits a minima: 1. le pastiche ne saurait se cantonner, pour la période qui nous intéresse, à un régime ludique de l’imitation: dans un champ littéraire alors en pleine (re)définition, toutes les formes de réécriture font acte, de même que chaque modèle retenu dessine des filiations, par affinités ou récusation; 2. il imite non pas un texte, mais un style, où se repère une origine identifiable, qu’elle soit individuelle (un auteur) ou collective (des parlures). On formulera l’hypothèse suivante: l’exhibition de l’hétérogénéité langagière qui est propre au pastiche contribue, moins paradoxalement qu’il n’y paraît, à l’élaboration d’une identité d’écriture. Le pastiche, à cet égard, procède soit par hygiène cathartique, pour écarter le péril d’une fascination stérilisante, soit comme “exercice de style,” entraînement virtuose aux formes de l’imitation adulte. Son exercice nous renvoie ainsi à l’altérité constitutive de toute écriture, dont il systématise le principe. Cette dialectique du même et de l’autre engage, on le verra, des représentations satiriques de discours établis en anti-modèles collectifs. Elle relève également d’un imaginaire linguistique partagé entre un “sentiment de la langue” désormais assuré et la volonté de s’approprier les traits formels d’un “vieil langage” à la force de séduction d’autant plus vive qu’il offre en réalité les conditions de possibilité d’une modernité littéraire. 1 Représenter l’extravagance de langage Imitation de traits stylistiques, le pastiche affiche la règle de son invention (Petitjean) en ce qu’il livre explicitement au lecteur la cible visée, ou à défaut - opération plus risquée 5 - en escompte la reconnaissance. Isoler une “manière,” un “tour,” un “air,” des “façons de parler” au cœur d’une énonciation singulière assumée par l’auteur du pastiche, c’est ainsi représenter une altérité de langage tout à la fois exhibée et accueillie comme nouvelle 5 Le prix à payer en cas de méprise est alors la requalification du pastiche en apocryphe, faux littéraire ou “supercherie d’auteur”: s’agissant de la fiction d’Ancien Régime, le cas le plus exemplaire est sans doute le roman de Martin Fumée, Du Vrai et parfait amour, donné pour l’œuvre d’Athénagoras. <?page no="99"?> 99 Pratiques du pastiche au XVII e siècle énonciation, rejouée et non pas citée. 6 Mais le statut conféré à cette altérité varie considérablement selon les cibles visées (un état de langue, un trait collectif parfois rapporté à la pression d’un genre, un auteur donné pour parangon d’une singularité stylistique) et les effets recherchés (satire à vocation corrective, hommage, expérimentations littéraires). Renonçant à opposer radicalement pastiche et charge, on retiendra comme l’une des modalités de l’imitation stylistique les représentations satiriques de langages marqués par une ostentation que récuse l’imaginaire de la langue commune. Ces parlures indues qu’il s’agit d’imiter pour mieux les dénoncer constituent, en elles-mêmes, une entreprise d’altérité concertée, forme d’irrédentisme à réduire au nom de la “naïveté” de la langue française. De fait, quelle qu’en soit l’origine, toutes se voient stigmatisées par des désignations péjoratives (jargon, galimatias) ou des expressions figées (parler phébus, parler Balzac, parler roman) (cf. Bombart; Esmein-Sarrazin). Dans leur mise en scène caricaturale se dessine donc en creux un idéal stylistique concevant de telles singularités comme autant d’aspérités à “polir.” Parmi ces modèles-repoussoirs, on s’accordera à reconnaître la figure honnie du Pédant (Royé 115-143), ainsi que celle des Précieuses - qui ne sont peut-être “ridicules” que par tautologie. Constitués en types, ils useraient d’un langage à part, répondant ainsi à la définition que Furetière donne du jargon: “langage vicieux et corrompu,” “est aussi une langue factice, dont les gens d’une même cabale conviennent, afin qu’on ne les entende pas, tandis qu’ils s’entendent bien entre eux”. Si l’imitation en est aisée, c’est que le modèle de fabrication se livre sans réticences. Le “langage pédantesque” répondrait ainsi aux caractéristiques suivantes: intrusion du latin dans le parler vernaculaire, et d’un latin tantôt figé dans des bribes de discours décontextualisés (recueils de lieux communs pour l’Hortensius du Francion de Sorel, extraits de la Grammaire de Despautère comme en abuse Granger dans Le Pédant joué de Cyrano de Bergerac [cf. Prévot 77-168]), tantôt défiguré jusqu’au “macaronique,” archaïsmes et néologismes ostentatoires, fausse éloquence marquée par l’abus des figures elles-mêmes les plus voyantes, logorrhée et psittacisme. Quant à la prétendue “langue” des Précieuses, censément compilée dans le Dictionnaire de Somaize, on y repérerait, entre autres traits langagiers, le recours aux périphrases par amplification (hyperboles ou euphémisations), la prédilection pour certains adverbes (“furieusement,” “terriblement”), de tours phraséologiques (“le moyen de,” “avoir bien la mine de”), de fré- 6 “Le pastiche, dont la fonction est d’imiter la lettre, met son point d’honneur à lui devoir littéralement le moins possible. La citation brute, ou l’emprunt, n’y a point sa place” (Genette 102). <?page no="100"?> Delphine Denis 100 quentes apostrophes (“Eh, ma chère”), des néologismes relevant de mots à la mode, 7 les pluriels métonymiques de substantifs abstraits (“tendresses,” “obligations,” “faveurs”) souvent assortis d’un complément du nom (“augmentations de plaisir et d’amour,” “absences de cœur”), la substantivation de diverses catégories grammaticales (“une affligée,” “le dormir”), la proscription de syllabes ou d’enchaînements “équivoques,” de mots “sales.” Autant de signes d’un “jargon” postulé qui définirait les contours d’une “cabale” précieuse. Charles Sorel, dès 1654, avait analysé cette mode langagière en relation avec la “Secte des Académiciens,” alliance qu’auraient contractée “trois ou quatre Dames à Paris, chez lesquelles l’on use de certains mots et termes particuliers,” où “l’on apprend le vrai langage de la Cour, et … l’on puise le bel usage,” et dont les vocables dénonceraient l’origine: “de sorte qu’à les ouïr, l’on peut dire avec assurance, Ces mots-là, sont de l’hôtel d’Amaranthe, et ceux-là de l’hôtel de Silvie” (Discours 120-121). Mais la cible de Sorel est en réalité beaucoup plus large, car elle vise “des façons de parler hardies et nouvelles,” “ces manieres de parler qu’on estime galantes” (“Traité” 372-373) en bref ces “lois pour le langage … dont il faut se servir dans la société” que Sorel prescrivait ironiquement à un apprenti galant inventé de toutes pièces. De même n’était-il pas dupe du degré de réalité à accorder à ces satires langagières, comme le montre son analyse du Dictionnaire de Somaize dans le traité De la connoissance des bons livres. 8 Car, de même que le “langage pédantesque,” le jargon des Précieuses se confond avec ses représentations satiriques. Fictions linguistiques (cf. Denis 1998), elles n’en ont pas moins une consistance historique à prendre au sérieux: c’est bien l’idéal du “naturel” propre à la langue française qu’elles contribuent à cerner, et ses déformations aberrantes qu’elles prennent pour cible. Peut-on dès lors encore parler de pastiches? Non, si l’on cherche un modèle empiriquement attesté à ces parlures; oui, si l’on considère qu’entre le pastiche et sa cible, intervient un “modèle de compétence” (Genette 102- 103), zone intermédiaire qui est celle de la représentation lectorale, et qui interdit toute référence directe entre deux textes. D’autant plus qu’il s’agit ici non de textes effectifs, mais de discours diffus, jamais vraiment repérables: 7 Je me permets de renvoyer à ma Muse galante 301-329; voir aussi Dufour-Maître 600-620. 8 “On a imprimé à part, Le Dictionnaire du Langage des Précieuses, où l’on trouve de semblables termes [Sorel vient d’évoquer les “façons de parler tout extraordinaires” du second Dictionnaire], qui sont fort pleins d’emphase et de périphrases qu’on peut estimer ridicules; aussi croit-on qu’on a enchéri sur la verité, et que s’il y a là quelques mots dont se servent de certaines personnes, les autres ont été inventés à leur imitation” (Sorel, “Traité” 370). <?page no="101"?> 101 Pratiques du pastiche au XVII e siècle discours du savant, des courtisans, galants et gens du “bel air,” des “cabales” féminines ainsi que de toutes leurs imitations dans l’espace social et littéraire. Qu’il soit des cas où une certaine forme de marginalité langagière se cristallise autour d’un nom d’auteur, aussitôt livré à la vindicte pastichante, on ne saurait en douter: l’exemple du “parler Balzac” en fournit une illustration exemplaire. Plus anecdotique dans la mesure où elle ne donna lieu à aucune querelle littéraire, celle de Neufgermain déjà cité mérite d’être rappelé. En écho à la volonté d’incarner l’“Unico Eloquente” qui valut à Guez de Balzac son surnom de Narcisse, le qualificatif d’hétéroclite dont se prévaut non sans humour le poète dit nettement la conscience d’une singularité d’écriture poussée à son extrême limite, “contre les règles communes”. 9 On en connaît le principe: il s’agit de décliner dans le poème le nom propre à louer, en découpant son signifiant par syllabes, chacune fournissant successivement à la rime avant que l’ensemble ainsi morcelé ne soit réuni au dernier vers de chaque strophe, retrouvant et faisant miroiter l’intégralité du nom propre à illustrer. Pareille marque de fabrique, explicitement affichée à une époque où la théorie cicéronienne de l’art caché règne en maître, ne pouvait qu’exciter la verve de poètes mieux doués, mais également sensibles aux vertus de la gageure. Dans une belle chaîne de filiations littéraires qui ne doit rien au hasard, Vincent Voiture (Poésies 180-184), puis Jean-François Sarasin dans la Pompe funèbre de Voiture (1649) composée en hommage ambigu à son prédécesseur, elle-même tissée de pastiches, enfin La Fontaine (678-679) se donneront le plaisir facile, mais jubilatoire, d’en imiter la manière, rivalisant entre eux de virtuosité pastichante. 2 Écrire en “vieil langage” Dernière modalité, mais non la moindre, du travail de l’altérité langagière au cœur de l’écriture, les pastiches “en vieil langage.” En, et non du: car s’ils empruntent à un état de langue antérieur, parfois rapporté à des auteurs précis (Marot, Montaigne) ou à des œuvres célèbres dont la traduction au siècle précédent avait assuré la fortune (les Amadis de Gaule), on serait bien en peine d’y lire une image fidèle de la réalité linguistique d’une période précise. Nouvelle preuve, s’il en fallait, que le pastiche opère par l’intermédiaire d’une représentation médiatisée, en l’occurrence celle que les auteurs se font de la 9 L’adjectif est d’origine grammaticale, et désigne toute exception aux règles de flexion (Dictionnaire de Furetière, s.v.). Le dictionnaire de Richelet (1680) en donne la définition suivante: “Sot, ridicule, qui ne vit pas et qui ne se conduit pas comme la plupart des autres”. Celui de l’Académie (1694) note qu’il se dit figurément “Des personnes, des choses où il y a quelque singularité, quelque bizarrerie”. <?page no="102"?> Delphine Denis 102 langue de leurs devanciers. Le paradoxe que l’on soulignera ici tient à ce que le recours à cet imaginaire du “vieil langage” ou du “vieux style” - comme certains le nomment aussi - soutient l’élaboration d’une poétique moderne, celle de l’esthétique galante. La place concédée à l’archaïsme (lexical, morphologique, syntaxique) n’est jamais neutre (cf. Himy et Macé): son statut a fait débat dès les années 1550, et traversé les grandes polémiques du siècle suivant (querelle du purisme, conceptions du burlesque et de la bonne raillerie). À l’heure où de surcroît, dans les années 1640, s’organise par le jeu des institutions littéraires une approche de la langue fondée sur la délimitation d’un espace commun, au prix de la réduction de marquages trop singularisants, sa présence ne saurait être que conservatoire (comme trésor patrimonial à transmettre, dans le discours des philologues et des lexicographes) ou détournée à des fins d’actualisation poétique - et parfois polémiques. 10 Pour le XVII e siècle, c’est autour de Vincent Voiture à l’Hôtel de Rambouillet que se rencontrent les premiers pastiches composés “en vieil langage”: 11 épîtres en vers et gloses rassemblent ainsi en bouquet les échanges du poète avec le comte de Saint-Aignan, alors embastillé et se figurant en “Guilan le Pensif, Sire de l’Île Invisible”, d’après le roman de Gomberville (La Jeune Alcidiane), le comte de Guiche (“très-haut, très-preux, et très-renommé chevalier de Guicheus”) et Arnauld de Corbeville (“dom Arnaldus”). Ces jeux d’imitation prirent également la forme d’une ébauche de fiction satirique: les Recueils Conrart ont conservé le manuscrit d’un texte inachevé, composé vers 1645, sous le titre héroï-comique de La Mijoréade, dont le sous-titre annonce clairement le sujet et la manière. 12 Cautionné par un nom d’auteur - celui de Clément Marot - l’engouement pour le “vieil langage” entraîne dans la même décennie l’imitation d’un certain nombre de traits stylistiques en apparence mieux circonscrits. Assez en tout cas pour que la notion même de “style marotique” soit repérée dans la décennie 1720, et aussitôt rapportée aux poètes du siècle précédent qui l’avaient mise en honneur: “Le style marotique fait parmi nous, comme une langue à part, dans laquelle notre oreille est faite à sentir des finesses et des agréments que l’on ne saurait lui remplacer dans un autre style” (Pellisson-Fontanier et d’Olivet 306). 13 10 Voir Wionet, “Archaïsme et langue commune au XVII e siècle” in Himy et Macé. 11 Voir Frappier, Baader, et Rollin 252-263. L’ensemble de ces échanges est rassemblé dans l’édition des Œuvres de Voiture procurée par Ubicini (2: 253-267 pour les lettres, 2: 415-420 pour la poésie). Voir aussi l’édition de Lafay (2: 282-293) pour les “vers en vieux langage.” 12 La Mijoreade, ou Histoire de l’hotel de Rambouillet en vieux stile, Recueil Conrart, Ms. 4115, f° 617-629. 13 Montesquieu évoque dès 1726 ce “style marotique,” à propos du duc de La Force. <?page no="103"?> 103 Pratiques du pastiche au XVII e siècle C’est autour de l’“élégant badinage”, de l’“air naïf” (Boileau) et de l’heureuse négligence dont Marot emblématise le style que se rassemble toute une génération poétique. 14 L’imitation de la veine marotique ainsi réinterprétée engage non seulement des traits de langue désormais sentis comme archaïsants, mais encore un jeu distancié avec des formes poétiques délaissées depuis les années 1550, précisément au nom d’une modernité littéraire alors conçue comme geste de rupture. Au cortège funéraire de Voiture, imaginé par Sarasin, interviennent successivement “nos vieux romanciers” et “nos vieux poètes”, “parce que Voiture avait pris un singulier plaisir à lire leurs ouvrages et à travailler en leur style” (Sarasin 448). Dans la ballade où Sarasin pastiche “Marot, qui surtout lui était le plus obligé” (453), le célèbre envoi (“Voiture est mort, adieu la Muse antique”) semble prendre acte non seulement de la dette contractée d’un poète envers l’autre, mais encore de la disparition, avec l’“âme du rond” de l’Hôtel de Rambouillet, d’une source d’invention littéraire. On sait qu’il n’en est rien: bien au contraire, le pastiche au second degré de Sarasin, imitant Voiture quand lui-même écrivait à la manière de Marot, confirme toute l’ambiguïté du rapport au modèle, pris ici dans une filiation objective, mais où il s’agit de trouver place. Dans leurs diverses réalisations, ces imitations “en vieil langage” ne démentent pas la dimension collective d’un rapport ambigu à la langue commune du XVII e siècle, paradoxalement confortée par les écarts qu’y creusent nos auteurs. Avec le jeu réglé du pastiche s’affirme également une forme de connivence littéraire, qu’elle soit de l’ordre de la sociabilité mondaine - jamais exempte d’enjeux stratégiques - ou de la revendication de patronages poétiques. La démarche de La Bruyère, lui aussi auteur de deux pastiches en ancien style, est sensiblement différente. En accueillant en effet dans ses Caractères un “vieil auteur” anonyme, prétendument cité à la lettre mais qui serait selon toute vraisemblance un ingénieux pastiche, La Bruyère capte au profit de son projet littéraire l’énergie prêtée à un langage que la politesse du siècle n’aurait pas encore “énervée”: Un vieil auteur, et dont j’ose rapporter ici les propres termes, de peur d’en affaiblir le sens par ma traduction, dit que s’élongner des petits, voire de ses pareils, & iceulx vilainer & dépriser; s’accointer de grands et puissans en tous biens & chevances, & en cette leur cointise & privauté estre de tous ébats, gabs, mommeries, & vilaines besoignes; estre eshonté, saffranier & sans point de vergogne; endurer brocards & gausseries de tous chacuns, sans pour ce feindre de cheminer en avant, & à tout son entregent, engendre heur & fortune. (La Bruyère 335-336; “De la cour” VIII, 54). 14 Voir Lerber, Beugnot et Génetiot 79-87. <?page no="104"?> Delphine Denis 104 La structure accumulative, l’alternance entre asyndète et polysyndète, la polyonymie au niveau syntagmatique, la cadence mineure de la phrase mise au service d’une ironie déceptive, le tour généralisant conféré au propos par l’infinitif en position de sujet, confèrent une remarquable force stylistique au passage. Mais cette puissance d’écriture recourt, par une improbable fiction de langue, à des traits de style propres à La Bruyère lui-même. Si l’on admet en effet l’hypothèse du pastiche, “un vertige saisit le lecteur face à ce discours qui en imite un autre, qui lui-même imite le premier” (Tourrette 307). Quant au célèbre pastiche de Montaigne, dans le chapitre “De la société et de la conversation,” affiché comme tel (“Montaigne dirait” 15 ), l’ambiguïté n’en est pas moindre. Le choix d’un auteur à la “franchise” de langue assez exceptionnelle pour avoir frappé des générations de lecteurs et constitué une ligne de clivage au siècle suivant, va également dans le sens tout à la fois d’une maximalisation des options stylistiques de La Bruyère, et d’un regard critique sur des formes d’écriture désormais impossibles: entre hommage et distance, donc, mais en adéquation avec le projet des Caractères. Car il ne s’agit pas, ici comme ailleurs, d’imiter un texte précis, mais de repérer à l’échelle d’une œuvre, celle des Essais, les traits pertinents à retenir pour une appropriation personnelle: le pastiche de Montaigne, exhibant l’altérité langagière, rappelle nettement que l’écriture la plus personnelle, en ces siècles habités par l’idéal d’une imitation adulte, en passe par la confrontation stylistique avec des modèles d’autant plus contestables (ou admirables? ) qu’ils revendiquent leur irréductible singularité. Quelle que soit la part de jeu propre au pastiche, on aura constaté que la dimension critique ne lui est nullement étrangère: c’est la première tension interne qu’il s’agissait de rappeler. D’autre part, en imitant un discours venu d’ailleurs, avec lequel la distance prise est fort variable, il vient conforter, voire construire, le sentiment d’une identité d’écriture. Qu’elle relève de la langue ou du style, qu’elle soit de portée collective ou inscrite dans une filiation littéraire précise, celle-ci se négocie en effet dans le rapport nécessaire avec son autre, envers ou modèle. On ajoutera enfin, mais sans pouvoir développer ce point, que le pastiche constitue un terrain d’observation passionnant pour qui cherche à entrer dans l’atelier de fabrication du texte: les expérimentations virtuoses de La Fontaine, avec Clymène notamment, en fournissent une remarquable illustration. 15 V, 30, éd. citée 255-256. À partir de la 7 e édition, La Bruyère ajoute en note: “Imité de Montaigne.” Voir Bilous. <?page no="105"?> 105 Pratiques du pastiche au XVII e siècle Bibliographie Aron, Paul. Histoire du pastiche. Paris: PUF, 2008. Baader, Renate. “Chevalier Voiturio: Die ‘Lettres’ und ‘Vers en vieux langage’ (1640-1641).” Mittelalter-Rezeption. Éd. Reinhold R. Grimm. Heidelberg: C. Winter, 1991. 61-73. Beugnot, Bernard. “L’inspiration à rênes courtes: Marot chez les Classiques.” Clément Marot: ‘Prince des poètes.’ Éd. Gérard Defaux. Paris: H. Champion, 1997. 783-797. -. “L’invention parodique au XVII e siècle.” La Mémoire du texte: Essais de poétique classique. Paris: H. Champion, 1994. 333-347. Bilous, Daniel. “Récrire l’intertexte: La Bruyère pasticheur de Montaigne.” Cahiers de Littérature du XVII e siècle 4 (1982): 101-120. Boileau, Nicolas. [Art poétique, I, V. 96; Réflexions critiques, VII.] In Œuvres complètes. Éd. F. Escal. Paris: Gallimard, 1966. 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Paris: Didier, 1971 (S.T.F.M.). <?page no="107"?> Biblio 17, 194 (2011) Paradoxes et métalepses aux pays des romans F RANÇOISE L AVOCAT Université Paris Diderot, Sorbonne Paris-cité Entre le seizième et le dix-septième siècle, les romans se débarrassent de la plupart des paradoxes qui ont marqué l’émergence de nouveaux univers fictionnels à la fin de la Renaissance. Plus de narrateurs morts, comme dans le Pérégrin de Caviceo ou dans les Angoisses douloureuses d’Helisenne de Crenne, plus de menteurs à la mode du Crétois, comme le Hythlodée de Thomas More ou le Cid Hamet de Cervantès. La fiction semble s’affranchir de la problématique lucianesque du mensonge-vérité comme des jeux logiques sur les impossibilia et le statut des objets non-existants, 1 hérités de la philosophie médiévale. Ce dépassement s’articule à la formulation d’une nouvelle poétique du vraisemblable, 2 dont Huet se fait parfaitement l’écho dans son traité des romans, quand il écarte les “fables,” qui traitent de ce qui n’a pas été et n’aurait pu être (Huet 50). Cependant, jusqu’à la fin du dix-septième siècle, et même au-delà, quelques œuvres recyclent ces questions en les modernisant, associant les paradoxes à une réflexion sur la nature et les frontières de la fiction. Cette période, où la parution du premier traité français sur les romans coïncide avec l’apogée et le déclin des grands romans baroques, est en effet celle où s’invente un mode fictionnel de représentation spatialisée du roman, sous la forme de “Romanie,” “Romantie” (ou “Romancie”), “Pays des romans.” C’est le cas dans la Nouvelle allégorique de Furetière (1658), La carte de la Cour de Guéret (1663), L’Ecole d’amour ou les héros docteurs d’Alluis (1665) et le célèbre Voyage merveilleux du prince Fan Feredin dans la Romancie du père Bougeant (1735). Ce corpus peut être complété par une “Romanzia” italienne, dans le sixième livre du roman allégorique monumental et extravagant d’Angelo Seravalli, 3 Lo Scoprimento del mondo umano di Lucio Agatone Prisco 1 Voir Demonet (“Les êtres”; “Objets fictifs”) et Lavocat (“Paradoxes et fictions”; “Transfictionnalité”; “Paradoxes, fiction, mimesis”). 2 Voir Duprat. 3 Les études manquent sur cet ouvrage complexe à la fantaisie débridée et à la forme circulaire (il s’achève par où il a commencé). Il bénéficia d’une réédition au début du dix-huitième siècle, mais il semble n’avoir eu aucune fortune critique. <?page no="108"?> Françoise Lavocat 108 (paru à Sienne en 1696). 4 Dans ces espaces circonscrits, hautement réflexifs et ludiques, sont posées à nouveaux frais des questions touchant la légitimité de la fiction et le statut des objets non-existants. Je traiterai successivement des paradoxes axiologiques (qui concernent l’évaluation morale de la fiction) et des paradoxes ontologiques (qui portent sur le statut du fictif). Ces œuvres relèvent en effet d’un paradoxe constitutif de la mise en abyme: figurer le propre de la fiction qui est de stipuler un monde où existent des objets non-existants: la capacité de la fiction à créer des mondes est ainsi à la fois affirmée et amoindrie. 5 C’est l’inscription dans les œuvres de cette contradiction, et la façon dont elle est, ou non, résolue, qui est l’objet de cet article. Dans toutes les œuvres dont il sera ici question, l’ambivalence du point de vue sur la fiction s’exprime au moyen de l’ironie et à travers une bipartition de l’espace ou des personnages allégoriques. Chez Furetière, si “la Romanie” triomphe sous la juridiction exclusive de Sapho-Madeleine de Scudéry, favorite de la reine Rhétorique, “Fiction” (en tant que personnage allégorique) est dans l’autre camp, celui de “Galimatias.” 6 Chez Guéret, “la plaine de Romant” est presque aussi chichement peuplée: c’est encore Sapho qui y règne presque seule, avec ses personnages. Il est bien question d’un petit peuple anonyme de rois, de bergers et d’Amazones, mais le pays des romans que l’apprenti courtisan traverse dans son parcours éducatif est un club plutôt fermé. Au début de son parcours, à la périphérie du “Monde Nouveau” civilisé (Guéret 10), il trouve la “Province de noble sang” où s’entassent dans de vieux châteaux, “ces Amadis, ces Agramants, ces Paladins, ces Rolands et ces Tancrèdes”, curieusement présentés comme des rustres (14). Le partage entre l’ancien et le nouveau change de sens chez Alluis et Bougeant. “Le pays des Romans,” tel que le décrit le premier, comporte bien un vieux quartier de paladins, mais aussi un canton mal famé et infréquentable, qui est celui des nouvelles. 7 Chez Bougeant, la “Haute-Romancie,” qui focalise la satire, est opposée à la “Basse-Romancie,” moderne et surpeuplée de gens de 4 Désigné dans cet article sous le titre “La Découverte du monde humain.” 5 Ces perspectives théoriques sont inspirées de Doležel. 6 On peut en inférer que la fictionnalité est ici conçue moins en termes logiques que stylistiques. 7 L’évaluation éthique et sociale de la nouvelle est changeante dans le roman d’Alluis. Tout d’abord, le Canton des nouvelles, fondé par Boccace, est évoqué de façon laudative: “il est fort habité et de personnes galantes” (Alluis 21). Mais quand Dorise et Alidor le visitent, ils sont scandalisés par les mœurs des habitants et le fuient (167). Cependant, dans une seconde édition (1666), Alluis corrige ce passage; il vante des étrangers nouveaux venus qui polissent les mœurs du canton (188-189). La nouvelle, genre moderne par excellence, est l’objet de réévaluations constantes. <?page no="109"?> 109 Paradoxes et métalepses aux pays des romans rien. Ces oppositions intéressent bien sûr l’histoire du roman en train de se faire, soucieuse d’ériger modèles et contre-modèles stylistiques, nationaux et sociaux. 8 Le rôle des Scudéry, seigneurs incontestés de toutes les “romanties” (y compris l’italienne) est à souligner. Ils incarnent un idéal du roman situé entre l’ancienne chevalerie, toujours mise au ban, et la littérature réaliste (au sens large) unanimement rejetée. Ces fourches caudines, responsables du peuplement malthusien des pays des romans, ressortissent à la morale et une certaine conception du langage (et) de la fiction. Chez Bougeant, le langage de la Haute-Romantie, répétitif et emphatique, est ridicule. On l’apprend facilement; il tient en un petit dictionnaire. La Basse-Romancie, au contraire, est non seulement mal famée, mais on n’y parle aucune langue spéciale: “la Basse-Romancie est assez semblable à tous les pays du monde. Car par exemple dans la Basse-Romancie, une prairie est une prairie, et un ruisseau n’est qu’un ruisseau” (Bougeant 69; ch. 6). La dénotation ne crée pas d’autre monde. Les mondes de fiction doivent être peuplés d’objets de roman, c’est-à-dire plus beaux que dans le monde actuel. La connotation, à travers l’ornement de la langue, participe d’une visée méliorative à la fois garante de la portée éducative de la fiction inséparable de son discrédit - à cause de son écart avec le monde réel. Le propre de la fiction est augmentation, agrandissement, amélioration. C’est pourquoi le roman, même tourné en dérision, reste une école du sentiment: Furetière établit à Cyrus, capitale de la Romanie, une université d’amour, qui a certainement inspiré à Alluis ses “héros docteurs”, personnages de roman qui instruisent Alidor et Dorise sur la manière de bien aimer. 9 Même Bougeant, tout en s’en moquant, fait correspondre aux aventures de ses héros en Haute-Romantie des amours véritables et un double mariage dans le monde-réel-dans-lafiction, celui où vivent De La Brosse (qui rêve toute l’aventure) et son ami et futur beau-frère Des Mottes. Cette conception de la fiction obstinément idéalisatrice est encore celle qu’exprime plaisamment et sérieusement The Purple Rose of Cairo de Woody Allen (1984). Le paradoxe axiologique (qui porte sur la dévaluation de la fiction que l’on ne peut cependant concevoir que sous l’angle d’une plus-value éthique) donne lieu à une narration élaborée dans La Découverte du monde humain de Seravalli. La “Romanzia” que visite Agathon est elle aussi très exclusive. Les vieux quartiers, sous la forme de châteaux en ruines suspendus dans les airs, 8 Sur ces aspects, voir Bombart (éd. Nouvelle allégorique d’Antoine Furetière), Denis, Esmein-Sarrazin, et Pioffet. 9 Curieusement, l’enseignement qu’ils reçoivent est très raisonnable, et plus bourgeois que romanesque. Les héros apprennent surtout comment être heureux après le mariage. On peut y voir un infléchissement critique par rapport aux valeurs traditionnelles du roman héroïque et pastoral. <?page no="110"?> Françoise Lavocat 110 sont abandonnés. Ceux d’Amadis de Gaule, de Lancelot, de Tristan, de Don Quichotte (curieusement assimilé à ses lectures), ne sont plus visités que par le peuple ignorant. La ville de Romanzia elle-même est ornée d’une statue d’Héliodore et d’une autre de Boccace, mais aucun personnage sorti du Décaméron ne fraye dans ces parages qui n’accueillent que des chevaliers issus des poèmes héroïques et des romans baroques italiens. Tous convergent pour un tournoi organisé par l’illustre Bassa, ce qui confirme encore la suprématie des Scudéry, même de l’autre côté des Alpes. Ce tournoi voit la victoire d’un chevalier masqué. Celui-ci regarde intensément Agathon qui se trouve dans l’assistance. Cette circonstance fait éprouver à Agathon la honte d’être vu “dans ce lieu de vanité et de fureurs juvéniles” (ma traduction). 10 Agathon suit le chevalier dans les bois, loin du pays des romans, jusqu’à ce qu’il reconnaisse en lui sa dame déguisée, explicitement identifiée comme son âme. C’est donc par un moyen éminemment romanesque (le tournoi et la victoire du chevalier inconnu) que la fiction représente son procès. Une circonstance allégorico-burlesque complique cette ambivalence. Avant de pénétrer dans la Romanzia, qui se situe en Espagne, pays de vaine gloire, Agathon a séjourné dans la ville de Titania, où vivent conjointement les titres de noblesse et les titres des livres; il y est devenu l’ami de l’excellent titre de son propre livre (La Découverte du monde humain). Ses intestins se sont alors emplis de vent - symptôme ironique de l’amour de soi qu’exprime cette mise en abyme. Ce désagrément s’aggrave pendant le séjour au pays des romans d’Agathon qui ne cesse d’enfler. Lors de sa course dans la forêt à la poursuite de sa dame, épuisé et ballonné, il s’endort. Ces vents lui montent alors au cerveau et se transforment en fureurs poétiques: il se réveille en chantant des vers - c’est alors qu’il reconnaît sa dame, ou son âme. La dérision de la vanité (celle de l’orgueil nobiliaire, de la frivolité des romans et de l’amour de l’auteur pour son œuvre) se retourne en éloge de la création poétique dans son rapport à la connaissance de soi. Le motif de la vanité rejoint celui du statut des objets non-existants, qui se décline dans les pays des romans sous deux formes: celle de la cohabitation dans le même espace des auteurs et de leurs personnages et celle du sort réservé dans ces contrées aux bêtes fantastiques, hybrides et chimères. Qui habite en Romantie? Furetière, qui a fait de Cyrus une ville, n’a pas multiplié les jeux métaleptiques, 11 parce que les auteurs y règnent en maître, qu’ils la dominent (comme Mlle de Scudéry, La Calprenède, Gomberville) 12 10 “in quel luogo di vanità, e di furori giovenili” (Seravalli 115; bk. 2). 11 La “métalepse” est ici définie comme la transgression d’un niveau narratif. Sur cette notion et ses enjeux théoriques contemporains, voir Pier et Schaeffer. 12 Honoré d’Urfé est également mentionné dans la seconde édition de 1659. <?page no="111"?> 111 Paradoxes et métalepses aux pays des romans ou qu’ils la ruinent (comme Nervèze et Des Escuteaux). Les habitants anonymes sont plus difficiles à identifier: tantôt il semble s’agir de personnages (“c’était un vray païs de Caucagne … il n’étoit peuplé que de Galans et d’Illustres, jamais on n’y vid de femme laide, ny d’homme mal fait” (Furetière 12) tantôt de lecteurs (“les bourgeois de cette place affectoient sur tout d’être fort civils et de fort bon entretien” (33)), à moins qu’il ne s’agisse, justement, de héros comme ceux du Roman Bourgeois. Guéret est le premier à représenter dans sa Plaine de Romant la relation auteur-personnage. De façon assez prévisible, elle apparaît sous la forme d’une relation de dépendance étroite, analogue à celle d’un directeur de troupe à ses acteurs, réduits à l’état de marionnettes (“ils ne disent pas un mot qu’elle [Mlle de Scudéry] ne leur suggère, ils ne font aucun pas sans son ordre … en un mot elle les mène comme par la main dans tous les endroits où on les rencontre” (Guéret 43)). Mais lorsque le pays des romans se développe et forme un monde fictionnel plus complet, les personnages gagnent en autonomie, ce qui met en valeur la contradiction inhérente à leur statut: comme personnages transfictionnels (issus d’une autre fiction) 13 et participant d’une allégorie de la fiction, ils ne se prêtent qu’à des développements narratifs limités; mais pour soutenir l’intérêt, il faut cependant qu’il arrive quelque chose à ces personnages au carré. Ce paradoxe produit, dans le roman d’Alluis, une certaine hétérogénéité ontologique et maintes contradictions, temporelles par exemple. Quand les personnages abordent au pays des romans après la fin de leurs aventures, ils ont l’âge qui s’est écoulé depuis la parution du livre dont ils proviennent; Astrée a donc la cinquantaine; mais Chariclée dépasse les mille cinq cents ans. Que peut-il bien se passer dans ce havre pour héros à la retraite? Pour certains personnages, s’ils ne sont pas mariés avant la fin de leur livre d’origine, ils ne peuvent plus l’être, faute d’“entremetteur”: c’est en effet le rôle restreint attribué, par métaphore, à l’auteur - ce qui souligne aussi le rôle structurel attribué au mariage dans le roman ainsi conçu. Mais d’autres héros, après leur arrivée au pays des romans, peuvent avoir des enfants, au destin étriqué, il est vrai, puisqu’ils portent les noms de leurs parents et reproduisent à peu près leur caractère et leurs aventures (comme “le jeune Hylas”). À la fin du roman, un retournement romanesque et métaleptique combine habilement les deux niveaux de la fiction: Alidor et Dorise, héros de premier degré visitant le pays des romans, y sont reconnus comme les enfants de personnages de Mlle de Scudéry et de La Calprenède. Ils deviennent donc des héros de second degré, anagnorisis plaisante qui, en gommant les frontières entre les mondes, prend finalement le parti du roman. 13 J’emprunte cette terminologie à Saint-Gelais (“La fiction à travers l’intertexte”, 2002). <?page no="112"?> Françoise Lavocat 112 Chez Bougeant, le pays des romans n’est d’abord habité que de personnages et de lecteurs-personnages qui deviennent par leurs aventures eux aussi des personnages de (ce) roman, Fan Feredin et Zazaraph. Selon un procédé traditionnel, ici parodié, le lien entre auteur et personnage est inversé (par rapport à celui qui prévaut dans la réalité), puisque les auteurs, appelés “annalistes,” sont dans la fiction présentés comme les chroniqueurs de personnages existants et d’événements factuels. 14 Cependant, à partir du livre 12, la relation entre auteur et personnage se complique. Un quartier d’artisans (brodeurs, souffleurs de verre, enlumineurs, enfileurs, ravaudeurs) représente une palette de métaphores satiriques du travail d’écriture, ce qui suppose une hypothèse textualiste de cette relation, mettant exclusivement l’accent que la fabrication artisanale des romans. Mais au chapitre suivant, c’est l’hypothèse opposée (postulant une certaine autonomie du personnage) qui est affirmée: cette fois, c’est le métier d’armateur qui sert de métaphore au travail de l’écrivain. Les personnages (en particulier Manon Lescaut et Cleveland) sont des passagers qui font un procès à leur armateur (auteur) si le voyage en bateau leur a déplu. La trouvaille plaisante suppose que le personnage soit pourvu de qualités indépendantes de celles stipulées par le texte, puisqu’il est capable de juger le récit dans lequel il a été, à son corps défendant, littéralement embarqué. 15 Comme le suggère la métaphore du souffleur de verre ou de l’enfileur de petits riens, ce genre de paradoxes touchant au statut du personnage relève d’une conception de la fiction comme une catégorie du vide et une espèce particulière de non-existant. Ainsi, l’air joue toujours un rôle particulier dans les pays des romans, que l’on s’en nourrisse ou que l’on y suspende des châteaux (on se souvient aussi du gonflement d’Agathon). Le non-existant se décline aussi sous la forme de bêtes fabuleuses et de chimères, alors que les romans du dix-septième siècle y ont depuis longtemps renoncé. Chez Furetière, “Fiction”, flanqué de géants (les hyperboles), est une espèce de matamore ou de héros picaresque “chimériquain de nation,” “homme fort adroit qui de rien savait faire quelque chose” et qui traîne après soi un grand “équipage de toutes choses animées et inanimées” (Furetière 9). Ce bric-à-brac indéterminé, irreprésentable, exprime mieux que la chimère le 14 C’est déjà le cas dans Don Quichotte, où le personnage, dans la deuxième partie, considère qu’un auteur fait la chronique de ses actions, en opposant, comme on sait, l’historien fidèle à celui qui travestit les faits - en l’occurrence Avellaneda. 15 J. Sgard et G. Shéridan, dans la préface de leur édition critique du roman, rapprochent cet épisode du Parnasse réformé de Guéret (1667) et du Dialogue des héros des romans de Boileau (1713). Le Parnasse, autant que les Enfers, sont des lieux topiques des discours sur les lettres; Bougeant, comme Alluis et Seravalli, renouvellent l’imaginaire topographique des fictions critiques et métanarratives. <?page no="113"?> 113 Paradoxes et métalepses aux pays des romans paradoxe des objets non-existants. Seravalli, quant à lui, imagine une chasse au bouc-cerf dans les jardins du palais de langue, 16 où se trouve le palais de la reine Eloquence (que lui a sans doute inspiré Furetière). Le bouc-cerf, qui représente l’impossible chez Aristote, est un animal “qui n’est rien, comme le mensonge, qui n’est rien non plus, parce qu’il n’est pas vrai”. 17 On le chasse donc avec des chiens “fictifs” ou “idéaux,” qui sont les arguments logiques permettant de discriminer le vrai du faux. On voit que le cadre conceptuel dans lequel Seravalli pense le non-existant reste celui de l’allégorie, seul dépassement possible de l’opposition entre la vérité et le mensonge, qui est le thème majeur de son roman, décliné de maintes façons, sérieuses et ironiques. 18 Agathon 19 ne dit pas autre chose à l’entrée du pays des romans quant on lui demande qui il est: “ma profession [est celle] d’écrivain, non pas d’histoire, mais de grandes choses, dont l’écorce paraît fabuleuse, mais dont le noyau contient des choses, malheureusement vraies” 20 (le roman traite en effet allégoriquement des malheurs de l’Italie). Les créatures impossibles abondent dans la Haute-Romancie de Bougeant. Son parti-pris, inverse de celui de Seravalli, consiste à feindre de prendre pour réels les objets fictionnels. Cela conduit à une naturalisation massive des créatures fabuleuses; licornes, phénix, sirènes, griffons, salamandres, chimères et bouc-cerfs sont élevés dans des cages et parqués dans des ménageries. Sauterelles géantes et hippogriffes servent de véhicules. Les chimères sont mortelles. À l’entrée du pays des romans, les corps monstrueux de ce bestiaire fabuleux forment un gigantesque charnier. Le passage est énigmatique. Faut-il y voir une conséquence provocatrice de la naturalisation du merveilleux? Une allusion à l’usure de ces créatures issues d’un autre âge de la fiction? La représentation d’une vanité, faite des débris de l’imaginaire? 16 C’est aussi le palais de la logique, les mots de “lingua” et “logica” étant rapprochés par une étymologie fantaisiste. 17 “un animale, che non è nulla, appunto il medesimo con la menzogna, che similmente non è niente, perché non è vera” (Seravalli XIII, 686): “un animal, qui n’est rien, comme le mensonge, qui n’est rien non plus, parce qu’il n’est pas vrai”(ma traduction). 18 Ainsi, par exemple, les habitants de la Romanzia (appelés les “romanzisti”) sont divisés en cavaliers de la prose et cavaliers des vers, qui ne se mélangent pas: les premiers se veulent historiens et accusent les autres (la poésie) de fausseté. Tout indique cependant que leur prétention est ridicule (ils habitent d’ailleurs tout le pays des romans). 19 Dans la Poétique d’Aristote (1451b), Agathon est un poète qui aurait écrit une tragédie à partir de personnages totalement fictifs, ce qui était inhabituel. 20 “la mia professione esser … di scrittore di cose grandi, anzi che di storie, le quali apparendo favolose nella scorza, nel di dentro poi il midollo contenevano cose pur troppo vere” (Seravalli 111). <?page no="114"?> Françoise Lavocat 114 Ou encore, à l’entrée du pays des romans, l’emblème d’une fiction qui vise à s’auto-détruire? Le caractère central du thème de la vanité suggère que paradoxes axiologiques et ontologiques ne sont pas séparables dans la perspective du dix-septième siècle. Conjugués dans les deux œuvres de Seravalli et de Bougeant, les plus tardives et les plus critiques, ils sont résolus de manière bien différente. L’harmonie des contraires (vérité et mensonge, valeur et discrédit des romans, vanité de l’écriture et initiation par la poésie), ne se conçoit pour l’Italien que par l’allégorie sério-comique, mode de résolution ancien. Bougeant adopte au contraire une conception “réaliste” de la fiction, non pas au sens de Furetière dans Le Roman Bourgeois, mais dans la mesure où ils choisit d’en naturaliser (et non d’en allégoriser) les impossibilités. L’ouvrage le plus polémique contre la fiction la représente ainsi sous la forme d’un monde fantaisiste non dépourvu d’une poétique étrangeté. 21 La conception de la fiction qu’il exprime est aussi la plus moderne, en ce qu’elle récapitule plusieurs conceptions de la relation entre texte, auteur et personnages, source de jeux métaleptiques auxquels notre époque, de Borgès à Woody Allen, trouve toujours des charmes. Bibliographie Alluis, Jacques. L’Ecole d’amour ou les héros docteurs. Grenoble: R. Philippes, 1665, 2 1666. Bougeant, Guillaume-Hyacinthe. Voyage merveilleux du prince Fan Feredin dans la Romancie, contenant plusieurs observations historiques, géographiques, physiques et morales [1735]. Éds. J. Sgard et G. Shéridan. Saint-Etienne: PU de Saint-Etienne, 1992. Duprat, Anne. Vraisemblances: Poétiques et théorie de la fiction, du Cinquecento à Jean Chapelain (1500-1670). Paris: H. Champion, 2009. Demonet, Marie-Luce. “Les êtres de raison, ou les modes d’être de la littérature.” Res et Verba in der Renaissance. Éds. E. Kessler et I. MacLean. Wiesbaden: Harrassowitz, 2002. 177-195. -. “Objets fictifs et êtres de raison; locataires de mondes à la Renaissance.” La théorie littéraire des mondes possibles. Éd. F. Lavocat. Paris: Editons du CNRS, 2010. 127-148. Denis, Delphine. “‘Sçavoir la carte’: voyage au Royaume de Galanterie.” Etudes littéraires 34 (2002): 179-190. Doležel, Lubomir. Heterocosmica: Fiction and Possible Worlds. Baltimore: The Johns Hopkins UP, 1998. 21 Nous avons quelque difficulté à souscrire à l’affirmation de J. Sgard et G. Shéridan, selon lesquels le roman, pour le mondain et spirituel Bougeant comme pour tous les Jésuites, serait “une malice du démon” (cit. in Bougeant 13). <?page no="115"?> 115 Paradoxes et métalepses aux pays des romans Esmein-Sarrazin, Camille. Poétiques du roman: Scudéry, Huet, Du Plaisir et autres textes théoriques et critiques du XVII e siècle sur le genre romanesque. Paris: H. Champion, 2005. Furetière, Antoine. Nouvelle allégorique ou Histoire des derniers troubles arrivés au Royaume d’Éloquence. 1658. Éds. M. Bombart et N. Schapira. Toulouse: Littératures classiques, 2004. Guéret, Gabriel. La carte de la Cour. Paris: J.-B. Loyson, 1663. Huet, Pierre-Daniel. Lettre-traité sur l’origine des romans. Éd. F. Gégou. Paris: Nizet, 1971. Lavocat, Françoise. “Paradoxes et fictions: Les nouveaux mondes possibles à la Renaissance.” Usages et théories de la fiction: Les théories contemporaines à l’épreuve des textes anciens. Éd. F. Lavocat. Rennes: PU de Rennes, 2004. 87-111. -. “Transfictionnalité, métafiction et métalepse au seizième et au dix-septième siècles.” La Fiction, suites et variations. Éds. R. Saint-Gelais et R. Audet. Québec: Nota bene, 2007. 157-178. -. “Paradoxes, fiction, mimesis.” Methodos, savoirs et textes 10 (2010). <http: / / methodos.revues.org/ 2443>. Pier, John et Jean-Marie Schaeffer, éds. Métalepses: Entorses au pacte de la représentation. Paris: Editions de l’EHESS, 2005. Pioffet, Marie-Christine. “Voyages au Royaume des lettres: vers la cartographie d’un lieu commun.” Seventeenth-Century French Studies 30.1 (juillet 2008): 106-121. Saint-Gelais, Richard et René Audet, éds. La Fiction, suites et variations. Québec: Nota bene, 2007. Saint-Gelais, Richard. “La fiction à travers l’intertexte: pour une théorie de la transfictionnalité.” Frontières de la fiction. Éds. R. Audet et A. Gefen. Bordeaux: PU de Bordeaux, 2002. 43-75. Seravalli, Angelo. Lo Scoprimento del mondo umano di Lucio Agatone Prisco. Sienne: Bonnetti, 1696. <?page no="117"?> Biblio 17, 194 (2011) Discordances du je dans les récits à la première personne J UDITH S RIBNAI Université de Montréal - Paris-Sorbonne L’Orphelin infortuné, récit dû à Oudin de Préfontaine et publié pour la première fois en 1660, s’ouvre sur cette dédicace adressée par l’auteur au Sieur de La Boissière: Les témoignages que vous m’avez donnés d’avoir agréable un amas des parcelles dont je vous ai entretenu de vive voix me fait prendre la liberté de vous présenter cet Orphelin, que j’ai tâché, malgré toutes ses afflictions, de rendre un peu gai pour vous aller visiter. Je l’ai même habillé à la romanesque et tellement déguisé qu’il n’y aura que vous seul de qui il puisse être reconnu, ce qu’il lui suffira puisque ce n’est que de vous, Monsieur, qu’il espère favorables œillades. (3) Cousues les unes aux autres, les “parcelles” des aventures de l’orphelin donnent corps à un petit “amas,” un peu fardé pour l’occasion puisqu’il faut bien paraître devant celui dont on espère attirer la bienveillance. De fait, dans Le Portrait du bon frère, un souvenir en appelle un autre, un oubli vient trouer le fil du temps et grève la diégèse de prolespes ou d’analepses au gré de la mémoire ou de la bonne volonté du narrateur. L’avertissement de Préfontaine insinue partout la discorde, c’est-à-dire la désunion, la fissure voire l’éparpillement, auspices sous lesquels naissent souvent les récits personnels: désunion des aventures, des fragments d’existence dont il faut retrouver le fil et la cohérence, désaccord entre une vie de malheurs et une tonalité enjouée et comique, différence entre l’être romanesque et fictionnel dont il est question et l’homme réel qui se cache sous le vêtement de l’illusion. Préfontaine, avant même les premiers mots du récit, et sous le couvert de la nécessité, fait du sujet un être discordant et dont la relation ne peut que prendre l’allure d’une composition mal accordée. Existe-t-il, pour conjoindre et faire tenir ensemble ces “parcelles” du sujet, ce que l’on pourrait appeler une concordia discors de l’identité du “je”: un principe qui unit ou harmonise toutes ces parties de soi <?page no="118"?> Judith Sribnai 118 (soi du roman et soi du monde; soi des aventures d’hier et soi des aventures d’aujourd’hui), à la manière dont Marsile Ficin pensait la “sympathie,” cette ligature des éléments divers et, à première vue disparates, de l’univers? Les fictions narratives en prose à la première personne qui nous occupent ici ne sont évidemment ni les seules formes de relation à la première personne au XVII e , ni les seuls discours personnels élevés sur des fondations de la discordance ou de la discorde. Nous ne donnons qu’un exemple mais qui permettra de distinguer le cas particulier de ce genre fictionnel. Les Mémoires sont des récits à la première personne dont l’énonciation s’enracine très nettement, elle aussi, dans le principe fondateur de la discordance: entre un “je” passé et acteur de la grande Histoire et un “je” présent et retiré des affaires; entre un être pris dans la tourmente politique et dans les activités mondaines et un être privé, particulier. L’exil même qui préside à ce genre scriptural scelle ces désaccords que les Mémoires chercheront à résorber: comment harmoniser le moi glorieux et public d’hier avec celui d’aujourd’hui; comment lier l’ici, lieu de l’exil, et le là-bas, lieu du faste de cour. 1 Mais ni ces disparités ni leurs tentatives de résolution ne se confondent avec celles des fictions personnelles qui, comme le laissait entendre Préfontaine déjà, ne relatent pas l’itinéraire d’un être historique et public. Par ailleurs, ce récit d’un orphelin sans nom, 2 sans véritable légitimité à publier sa vie conte, comme dans les autres exemples, une histoire dont on discerne mal le caractère autobiographique ou fictionnel. Ces quelques distinctions situent les fictions personnelles à part dans le champ des autographies. Si ces dernières constatent, explorent et réparent les discordances originelles d’un “je” à la fois source et objet de son récit, 3 les fictions personnelles en découvrent de nouvelles dont il reste à reconnaître les lieux, les éléments mis en regard et, peut-être, dépassés, unis ou, au contraire, définitivement dissociés. Sans préjuger par ailleurs de ce qu’ils sont, de leur aspect, ni même de l’harmonie ou de l’unité qui les accorderait les uns aux autres pour assurer une identité unique sinon homogène, il est possible de réfléchir à ce qu’est le “je” du récit personnel. La première difficulté que soulève une telle question réside dans la variété des significations du terme discors: désaccord, désunion, distinction? Ces sens ne se confondent ni n’entraînent la même représentation de l’identité du sujet. La seconde consiste à distinguer la nature et les relations des termes mis 1 Voir sur ces points Charbonneau et Briot. 2 La seconde édition du texte éponyme lui offrira, cependant, un baptême et un titre: Les aventures tragi-comiques du chevalier de La Gaillardise, où, dans le récit facecieux de sa vie et de ses infortunes, il divertit agréablement les esprits mélancoliques (Paris: Cardin Besongne, 1662). 3 Pour ces désaccords ou “régimes de dualités” liés à la forme autographique voir Mathieu-Castellani 7-23. <?page no="119"?> 119 Discordances du je dans les récits à la première personne en discorde et dont nous ne retenons que les suivants: ceux qui ressortissent d’un désaccord entre intérieur et extérieur (mon identité réelle et celle que l’on m’attribue; mon “naturel” et les règles sociales); celles qui ressortissent de désaccords intérieurs (mon corps et mon esprit; mes passions et ma volonté). Ces discordances, enfin, s’aggravent de l’inévitable et ambiguë plurivocité du “je” personnage, narrateur et auteur. Portraits en désaccord Sont discordants et provoquent la discorde les deux portraits du “je”: celui que font circuler ses adversaires, celui que dresse le récit. L’adresse au lecteur de la Première journée de Viau s’ouvre ainsi sur une double contestation, celle d’être un homme mort, celle d’être un auteur de vers licencieux: “Ceux qui veulent ma perte en font courir de si grands bruits que j’ai besoin de me montrer publiquement si je veux qu’on sache que je suis au monde” (5). Sur un mode burlesque qui n’enlève rien à l’importance du geste, Dassoucy lui aussi rappelle au Roi les “persécutions” dont il est la victime et contre lesquelles “les cinq gros volumes de ses aventures” font figure de déni: “Oui, Sire, l’iniquité des méchants, l’ignorance des simples, la malice des sots, la cruauté des Dragomans et la tyrannie des Astarotis feront les ombres qui jusqu’aux derniers siècles, serviront de relief à ma gloire, et de prix à ma vertu” (100). Le récit de soi, qui sera aussi une manière d’éclosion identitaire de la première personne, s’arrime originellement au besoin de reconnaissance. Je me raconte d’abord pour accorder ce que je suis réellement à l’image de moi qui circule. L’écriture se glisse devant un portrait truqué auquel elle substitue le visage véritable du “je.” Contre l’athée et le libertin, l’homme sage et maître de ses passions de la Première journée; contre le vieux pédéraste qui bat la campagne avec son petit page de musique, l’empereur du burlesque finalement parvenu jusqu’à un “heureux port” des Aventures de Dassoucy. Né de la discorde qui divise les anciens amis et de la discordance entre images chimériques et image authentique de soi, le récit est désir de rétablir une identité tronquée, de rétablir la concordance entre soi et l’image de soi véhiculée par la parole et l’écrit. Le récit personnel accuse le coup de cette scission mais se réclame concorde, se veut correspondance retrouvée entre le discours et son référent, gage de vérité. L’énonciation personnelle rend concors le “je” du discours et les discours épars sur le “je,” elle corrige les derniers et donne l’illusion de maîtriser les images et anecdotes qui forment et déforment le portrait du sujet. Ainsi, tout en étant affirmation d’existence, est-elle aussi désir de reconnaissance. A rebours, cependant, du parcours que propose Paul Ricœur, les auteurs de récit personnel réclament d’être reconnus avant de <?page no="120"?> Judith Sribnai 120 reconnaître. Ils ne cherchent pas à conquérir une reconnaissance mutuelle, mais exigent une reconnaissance unilatérale. Selon toutes apparences, le récit à la première personne se présente comme concordia discors: non par la concorde des cœurs adverses mais par l’harmonisation du sujet avec les représentations de lui-même. Cette union préside à une confrontation avec le monde extérieur, séparant deux espaces qui, cette fois, ne trouveront peut-être pas de frontières communes. Le “je” se retranche, se distingue, se différencie. Pratique préjudiciable et pratique déconcertante à deux titres: ce n’est pas un “je” uni, harmonieux, en bonne intelligence avec lui-même que les textes découvrent aux lecteurs et aux ennemis, mais un “je” trop souvent discordant en lui-même; au fantasme des persécuteurs, les auteurs opposent un narrateur et un personnage dont le tour semble fictionnel, qui sont “habillé[s] à la romanesque”, sans jamais rompre, pourtant, le lien qui les unit à ces figures d’un autre monde, créant ainsi un “je” au statut incertain. Le fantasme et le mensonge des adversaires ne sont pas réfutés par la fiction ou l’illusion mais ne le sont pas plus par le réel ou l’autobiographie. Ce que leur opposent les auteurs c’est un être au caractère composite, équivoque même et dont on interrogera, en dernier ressort, l’unité ou l’harmonie. Désunions intérieures À la morale et au jugement des “sots,” le personnage et narrateur du récit oppose parfois sa vie retirée, sage, plaisante sans contrainte, harmonie jalousement entretenue avec la nature dont il est une partie heureusement inhérente. Certes, le personnage de la Première journée réside loin de la cour, mais il vit, dit-il, selon la nature et son naturel. Dassoucy assure lui aussi que la satisfaction de ses désirs les plus simples, c’est-à-dire les plus naturels, l’occupe et le réjouit tout entier: “Quand je vais à pied, comme ce mouvement est naturel, et que l’autre est contre l’intention de la nature qui nous a donné des pieds pour nous en servir sans incommoder personne, j’éprouve toutes les douceurs que l’exercice communique à ceux qui comme moi en connaissent le profit et l’utilité” (143). Plus loin, un chapitre porte le titre évocateur: “Dassoucy, ennemi de la bonne chère, regrette son épaule de mouton, et décrit les incommodités que l’on reçoit à la table des grands” (153). L’identité de ces personnages se dessine par contraste, par la revendication d’une sagesse du bien vivre, antagoniste et incompatible avec les règles d’une société qui fait violence à ces hommes naturels, et crée, on l’a vu, la discorde. Pourtant, la nature ici invoquée n’est pas concordia et sa loi n’est pas affranchie de toute discordance. Le récit personnel, même lorsqu’il est l’assurance d’un <?page no="121"?> 121 Discordances du je dans les récits à la première personne mode de vie sage et réglé par la nature n’a pas pour origine un être uni ou harmonieux. Un premier exemple de cette désunion intérieure concerne l’articulation, particulièrement délicate au XVII e siècle, entre l’âme, l’être ou l’esprit et le corps. Qui est ce “je” qui se dit différent, en harmonie avec la nature, qui répète surtout ne pas contraindre son corps ni son âme autrement que dans les bornes imposées par cette même nature? Le “je” renferme-t-il également ce corps et cette âme? En quelle mesure ces deux parties, que l’on considère généralement distinctes au XVII e siècle, servent-elles son identité, s’y accordent-elles? Descartes conçoit le “moi” comme une chose qui pense, chose pensante non pas logée en son corps “ainsi qu’un pilote en son navire” (64) mais entretenant avec lui des liens si étroits que chacun disant “mon corps” désigne par là un corps, au-delà et à l’exception de tout autre. Cette formulation délicate cherche à régler une question affleurant déjà chez Viau qui, à cet égard, soutient deux propositions antinomiques. D’une part, “la disposition de l’air, dit-il, se communique à [s]on humeur” et “le tempérament du corps force les mouvements de l’âme” (Viau 13). Les deux sont si bien liés que les agréments de l’un sont les bienfaits de l’autre. Si je suis, je devrais être ce corps autant que cette âme sans que les prérogatives de l’un prévalent sur l’autre. D’autre part, le narrateur n’a de cesse de revendiquer une singularité exclusive: il ne se confond avec rien ni personne. Comment alors comprendre le rôle de ce corps qui obéit aux lois naturelles et qui, selon les mots même du narrateur, engendre des défauts qui ne sont pas de son “naturel,” ne lui appartiennent pas singulièrement? 4 Autrement dit, ce corps lui est particulier, le singularise et, dans le même, le rattache à un ensemble dont il ne constitue qu’un fragment parmi d’autres. La tentative d’accorder la vie de l’âme à celle du corps, les lois humaines à celles de la nature menace la singularité du sujet. Lorsque l’âme est dite matérielle, c’est-à-dire toute physique et toute corporéité, harmonie retrouvée avec la nature, l’identité propre du “je” se dissout, s’évapore dans les atomes du monde. Ce qu’envisage le narrateur des États et Empires, 5 celui de la Première journée ne peut s’y résoudre. Cette aporie engendre une discordance intérieure entre ce qui résonne de mon être et ce qui résonne des lois de la nature. Comment faire jouer ces deux musiques sans étouffer une identité qui se veut et se dit, au travers d’une énonciation à la première personne, singulière? Le jeune Ariston, personnage 4 “je connais qu’au changement du climat mes inclinations s’altèrent; si c’est un défaut, il est de la nature, et non pas de mon naturel” (Viau 13). 5 Telle est l’hypothèse présentée sur la Lune au personnage (Cyrano de Bergerac 150), et lors du procès des oiseaux (269 et sqq). <?page no="122"?> Judith Sribnai 122 et narrateur passionné du Page disgracié, s’achoppe à semblable écueil. Les passions traversent l’existence du petit page qui se présente ainsi au lecteur et à son ami Thirinte: “Je trace une histoire déplorable, où je ne parais que comme un objet de pitié, et comme un jouet des passions, des astres et de la Fortune” (L’Hermite 207). Tel est le balancier sur lequel oscille la vie tout entière du page dont le caractère est imprimé de la force des passions tandis que ces passions agissent à son insu quels que soient les efforts de sa volonté: “La jeunesse, encline aux licences, est si sujette à prendre de mauvaises habitudes qu’il ne faut rien pour la corrompre. C’est une table d’attente pour les bonnes ou pour les mauvaises impressions” (212-213). Puis, à propos de sa passion du jeu, insufflée par un autre “page malicieux”: “Il m’imprima de telle sorte cette passion qu’elle se rendit bientôt égale à celle que j’avais pour l’étude, et à quelques temps de là l’on ne me pouvait guère surprendre sans avoir des dés dans mon écritoire et des cartes parmi mes livres” (214). Toute la volonté du page n’y fera rien et, là encore, c’est un “je” qui ne connaît pas l’harmonie ni l’accord avec soi-même: la volonté, bien infini selon Descartes, ne vient pas à bout des passions et le “je” du Page se partage indéfiniment entre le plaisir réel du jeu et le repentir de ses fautes. Le Page disgracié est l’histoire déplorable d’un être traversé par des forces contraires et qui ne connaît ni l’unicité, ni la transparence ni, à proprement parler, la concordance, la bonne harmonie de ses parties. Écrire son histoire, la dépouiller de l’aspect aléatoire et interrompu de l’entretien mené de vive-voix reste une tentative du sujet pour réconcilier ces quelques “parcelles” d’identité. Les temps oubliés Les récits personnels reposent sur deux gageures remarquables: opposer au portrait fallacieux des ennemis le visage retrouvé et publié de soi, visage cachant néanmoins une identité disparate, discordante parfois; centrer l’énonciation sur ce “je” dont la personnalité est cousue de forces et de volontés contraires. Il reste difficile de savoir ce que recouvre ce “je,” ce qui le rend unique, à la fois un et singulier, et si, comme on ne peut que le supposer jusqu’à maintenant, il peut se regarder au miroir d’une identité qui en serait sinon le tissu cohérent du moins une sorte de liant. Le récit, l’histoire de soi peut-elle jouer ce rôle et élaborer, pour reprendre une expression de Ricœur, une “identité narrative”? Le récit à la première personne peut-il être le lieu de cette double reconnaissance: c’est moi que je vois, que je dis, que je lis dans ce récit; et ce moi que je vois et ce “je” qui raconte sont une seule et même personne? Nous proposons deux ébauches de réponse, l’une portant sur la diégèse et la mise en récit, l’autre sur l’énonciation. <?page no="123"?> 123 Discordances du je dans les récits à la première personne Sans doute la narration œuvre-t-elle comme un possible liant: en se racontant le narrateur inaugure un retour sur lui-même par la réflexion de deux images, celle d’une identité présente, celle d’une identité passée. Dans la narration rétrospective ces deux images concordent parfois de manière éclatante, aveu d’un état qui persiste dans la durée, malgré le temps, malgré les transformations, les dissimulations, les travestissements, comme un petit noyau dur d’être qui résiste au passage. Ce sont, par exemple, les interventions du présent qui rompent la traditionnelle alternance passé simple et imparfait du récit. Dassoucy remarque par exemple: “moi qui suis plus ami de ma liberté que des bons morceaux et que de la bonne chère, parmi ces continuels festins, n’ayant pas presque loisir de respirer, je m’ennuyais d’une si longue séquence de bons repas” (153). Concordance de temps qui fait se conjoindre deux états et crée ainsi une “identité,” une correspondance qui est en même temps l’émersion d’une identité au sens d’une caractéristique essentielle et définitoire de l’être. Pourtant, ces moments s’entrelacent d’effets, si l’on peut dire, de décollement. On peine parfois à reconnaître dans le personnage soudainement devenu fervent défenseur de la bonne morale religieuse le narrateur curieux et ironique des États et Empires de Cyrano. Béance cette fois des identités particulièrement déroutante pour le lecteur qui identifie instinctivement le “je” du personnage et le “je” du narrateur. De même, si l’orphelin amoncelle les chapitres selon un ordre chronologique, il prend soin, surtout, d’exposer une enfilade d’anecdotes et de saynètes. Là encore, se découvre une brèche temporelle: que s’est-il passé et comment le “je” d’hier est-il devenu celui d’aujourd’hui? Le lien des identités se délite dans ces séparations, dans ces silences qui pèsent sur les années. Même dans les textes qui, comme Le Page disgracié, ont un maillage très serré, un souci marqué de se retrouver dans le déroulement du récit, l’interruption finale laisse en suspens le moment attendu des retrouvailles entre celui qui était et celui qui est: Cher Thirinte, c’est où finit le dix-huit ou dix-neuvième an de ma vie. Excusez les puérilités d’une personne de cet âge, et me faites l’honneur de me préparer votre attention pour ce qui reste. […] Je vais vous rendre raison du dégoût que j’ai pour toutes les professions du monde, et ce qui m’a fait prendre en haine beaucoup de diverses sociétés. (L’Hermite 414) Mais Thirinte ne lira jamais les deux volumes promis et le lecteur ne saura jamais ce qui, dans la vie du jeune homme, a pu provoquer les aversions de l’adulte. La discordance temporelle contrarie la concordance voire la continuité des états du “je,” fracture qui, en dernier ressort, entame l’unicité même du “je.” <?page no="124"?> Judith Sribnai 124 Les discordances du “je” La concordance de la mise en intrigue n’œuvre donc pas tout à fait et n’harmonise pas véritablement l’hier et l’aujourd’hui. Le même constat est possible, quoique pour des raisons différentes, pour ce qui est de l’énonciation. D’une part, on l’a dit, l’identification du “je” narrateur et du “je” personnage porte à caution; d’autre part, l’auteur occupe souvent une place ambiguë dans la narration. Le récit personnel brouille visiblement les pistes. L’auteur est rarement absent du récit et, en cela, on serait tenté de voir dans la narration personnelle un genre discursif qui, justement, relie, rattache les personnes de l’auteur, du narrateur et du personnage, dernière harmonie possible des figures du “je.” Comme semble y inviter l’adresse “Au lecteur” qui la précède, la Première journée se lit comme une défense de Viau contre ses détracteurs, comme un portrait apologétique de l’auteur, confusion renforcée par le fait que le “je” du récit n’a pas de nom et qu’en toute ressemblance avec les “je” de l’avertissement ou des poèmes qui suivront, il leur fait écho. Les figures semblent se surimposer pour servir un portrait unique. Les liens, cependant, sont noués autant que défaits. On a reconnu dans Ariston et son ami Thirinte une parenté onomastique avec Tristan L’Hermite. 6 Décryptage qui, dans le même temps qu’il convoque la personne de l’auteur dans ce récit aux teintes autobiographiques, exclut toute confusion de ces instances. Sadeur, l’hermaphrodite de La Terre australe connue, présente bien des points communs avec Foigny comme l’a montré J.-M. Racault, mais on reste là dans le cadre d’une autobiographie symbolique. 7 Tout se passe comme si le récit à la première personne était à la fois la tentative d’une concordia discors et l’aveu pénible d’un impossible dépassement de cette discors. La tentative d’une écriture qui convoque des figures variées pour les conjoindre en un “je” unique et harmonisant; et l’aveu, dans un même mouvement, d’une hétérogénéité permanente de la personne. Peut-être, et de manière plus essentielle, cette disparité et cette équivocité sont-elles les signes d’une identité qui, à l’âge classique, ne se réalise ni sous le signe de la ressemblance, ni sous l’ordre de la durée. Une identité qui n’est possible que sous forme discordante, qui vit douloureusement l’absence d’un principe unifiant, mais qui consacre également, dans le récit personnel, l’existence d’un être qui ne peut se dire que par plusieurs voix de lui-même, dans un alliage de fiction et de réalité, dans un morcellement d’aventures, un petit amas d’expérience et de temps. Expérience qui a ceci de radical et de dramatique qu’elle se fait à la première personne et souvent sans Dieu. 6 Voir par exemple Garréta 96. 7 Voir Racault 69-78. <?page no="125"?> 125 Discordances du je dans les récits à la première personne Bibliographie Briot, Frédéric. Usage du monde, usage de soi: Enquête sur les mémorialistes d’Ancien Régime. Paris: Seuil, 1994. Charbonneau, Frédéric. Les Silences de l’histoire: Les mémoires français du XVII e siècle. Québec: PUL, 2001. Cyrano de Bergerac, Savinien de. Les États et Empires de la Lune et du Soleil. Éd. Madeleine Alcover. Paris: H. Champion, 2004. Dassoucy, Charles Coypeau. Les Aventures de Monsieur Dassoucy. In Les Aventures et les Prisons. Éd. Dominique Bertrand. Paris: H. Champion, 2008. Descartes, René. Méditations métaphysiques. In Œuvres de Descartes. Éd. C. Adam et P. Tannery. Vol. 9. Paris: Léopold Cerf, 1904. Garréta, Anne-Françoise. “Le Page disgracié: problèmes de l’autobiographie baroque.” Esthétique baroque et imagination créatrice: colloque de Cerisy-la-Salle, June 1991. Éds. M. Kronnerger et J.-C. Vuillemin. Tübingen: Gunter Narr, 1998. 80-98. L’Hermite, Tristan. Le Page disgracié. In Œuvres complètes. Éd. J. Serroy. Vol. 1. Paris: H. Champion, 1999. Mathieu-Castellani, Gisèle. “Un sujet en soi ‘oultrément divisé’: des acteurs et de leurs rôles dans l’auto(bio)graphie, d’Augustin à Montaigne, de Rousseau à Genet.” Le Statut du sujet dans le récit de mémoire. Éd. L. Omacini. Padova: Unipress, 1999. 7-23. Préfontaine, Oudin de. L’Orphelin infortuné ou le portrait du bon frère: Histoire comique & veritable de ce temps. Éd. F. Assaf. Toulouse: Société des littératures classiques, 1991. Racault, Jean-Michel. “Fiction utopique et autobiographique symbolique: la fictionalisation de soi dans le récit utopique au tournant de l’âge classique.” Vite di Utopia. Éds. V. Fortunati et P. Spinozzi, Ravenna: Longo, 2000. 69-78. Ricœur, Paul. Parcours de la reconnaissance: trois études. Paris: Stock, 2004. Viau, Théophile de. Première journée. In Œuvres complètes. Éd. G. Saba. Vol. 2. Paris: H. Champion, 1999. <?page no="127"?> Biblio 17, 194 (2011) The Carte de Tendre and Hesiod’s song: Problems of Publishing in Clélie K ATHLEEN W INE Dartmouth College Every scholar of seventeenth-century France has encountered multiple reproductions of the Carte de Tendre, which has become an indispensable icon of salon culture. Invariably, Madeleine de Scudéry’s map of sentimental terrain appears alone, detached from the volume of Clélie in which it was first published (1654). This isolation reflects the widespread claim that Scudéry’s most significant literary contributions lie in set-pieces like the portrait or conversation, which appear to best advantage, as Sévigné put it, when they are not “noyés dans son grand roman” (27). Indeed, the prominence in Clélie of such quasi-autonomous genres, conceived like the Carte de Tendre, within the conversational environment of Scudéry’s salon, is often held to have stretched the conventions of baroque romance to the breaking point. 1 The image of the solitary map seems more surprising in Roger Chartier and Henri-Jean Martin’s Histoire de l’édition française, which chronicles the evolution of the French book. But a perusal of the first volume reveals that the Carte’s isolation also exemplifies the growing independence of book illustrations vis-à-vis the text that ensued from the replacement of woodcuts by copperplate engravings. 2 In the Histoire’s next volume, moreover, Alain- Marie Bassy treats Scudéry’s map as encapsulating all possible developments recounted in her multiple love stories. His analysis accounts, not only for the Carte’s autonomy, but for its ability to stand in for the novel that contained it (“Le Texte” 151-52). 3 1 René Godenne’s claim that Clélie embodied “la mort du roman” (296) inspired Chantal Morlet-Cantalat’s study, subtitled De l’épopée à la gazette. See also Morlet- Cantalat’s introduction to her critical edition (1: 28-29). 2 The Carte is reproduced without comment in vol. I (pl. 45), which also contains Michel Pastoureau’s account of the growing independence of book illustration (508-09). 3 See also Bassy’s “Supplément au voyage de Tendre.” <?page no="128"?> Kathleen Wine 128 This ability, though, presupposes users’ grasp of the social and literary codes that governed Scudéry’s worldly milieu. When Sévigné praised the publication of Scudéry’s conversations, apart from her “grand roman,” she was referring to two volumes Scudéry herself had sent her. For Sévigné, the conversations needed no context beyond the environment she and their author shared. Likewise, Scudéry circulated her hand-drawn version of the Carte de Tendre, inspired by a conversation with Paul Pellisson, among acquaintances who would have required little explanation in order to appreciate her invention and join in its elaboration. 4 Delphine Denis likens the “espace commun” of gallant literature to a “conversation généralisée” that spread in expanding circles from the “compagnie choisie,” through a wider worldly public, to those who finally received the gallant production in printed form. She observes, nonetheless, that “une telle pratique littéraire ne sépare pas radicalement les lieux de réception des instances de production” (152). How far could print really expand the conversational circle? This question, according to Nathalie Grande, preoccupied women novelists, who took special care to convey the effects of gallant exchanges to their broader public (328). Scudéry’s earlier account of the salutary effect of her own alter ego Sapho, even on people who had never seen her, evinces a similar concern: Sapho “avoit inspiré un certain esprit de politesse à tous ceux qui la voyoient, qui se communiquoit mesme à une partie de ceux qui ne la voyoient point” (X: 310-311). However, Scudéry treats Sapho’s long-distance influence as a social phenomenon, conveyed by the contagious effect of her personality rather than by her writing, and confined to the capital. Encased as it is within the tenth volume of the widely disseminated Le Grand Cyrus, this passage betrays the contradictions inherent in the reproduction of materials dependent on oral and social mediation for a print readership. I shall argue that, in Clélie, Scudéry incorporates the Carte de Tendre, as well the less well-known musical score that appears in Part IV, in such a way as to address these contradictions. The stories that motivate these unusual enclosures explore the troubling loss of control entailed, as aristocratic and a fortiori women writers knew too well, by publication. 5 But Scudéry attempts nonetheless to control the reception of map and score by placing them, both within her narratives and, materially, within their respective volumes, in such a way as to recreate for her readers the sociable environment for which they were originally conceived. 4 Bassy suggests that these lost manuscript versions would have revealed a series of collective modifications (“Supplément” 16). 5 See Dewald (182-85) and Goldsmith and Goodman (“Going Public”). <?page no="129"?> 129 The Carte de Tendre and Hesiod’s song Although the map and score are engraved plates, they function quite differently from Clélie’s illustrations, designed from the outset as accompaniments to the printed book. Convention assigned the illustrations of baroque romance to the beginning of a volume or, in the case of more lavish productions like Le Grand Cyrus or Clélie, to the beginning of each of the livres that make up a part. In order to understand an illustration, one must usually read dozens, or hundreds, of pages beyond it. The map and score, by contrast, are more intimately connected to the narrative, since they appear at the very spot where the text describes them. Whereas illustrations belong to the predictable format of the book, the map and score stand out from their surroundings; they are documents, received by the characters, but made available to readers as well. We know little about Scudéry’s contacts with François Chauveau, the illustrator of Le Grand Cyrus and Clélie, and the Carte’s engraver, nor about the influence she and other writers exerted over the illustration and design of their books. Internal evidence demonstrates, however, that Scudéry wrote the map and score into her narrative in such a way as to necessitate their insertion at a particular spot, a placement that page numbers on each document suggest must then have been coordinated between the printer and the engraver. This strategic placement conditions readers’ reception of the Carte de Tendre. As the hero Aronce is attempting to rescue Clélie, who has been abducted by his rival, he encounters political difficulties. His friend Célère tries to enlist the aid of the powerful Princesse des Léontins by telling her and two companions the story of Aronce’s courtship of Clélie. As was typical in baroque romance, readers thus receive the story over the shoulder of a prestigious narratee, as part of an oral exchange. Due to the length of such stories and the unobtrusiveness of their narrators, though, it is easy to forget the narrative situation. Scudéry, however, introduces her map in such a way as to reinforce the reader’s identification with the princess. Thus, Célère recounts in some detail a conversation between Clélie and several friends during which Herminius asks how he can travel to “Tendre” (I: 178-79). 6 Clélie responds via a letter, which, to Herminius’s surprise, contains a literal map (I: 181). At this point in his narrative, Célère pauses to address the princess: “voyez je vous prie une copie de cette ingénieuse carte.” This pause is echoed by an intervention from the primary narrator: “A ces mots Célère donna effectivement la carte qui suit cette page à la Princesse 6 References to Clélie are to Morlet-Chantalat’s critical edition, which, however, does not reproduce the original manner of insertion of the map and score. My discussions of readers’ encounters with these documents are based on 17 th -century editions at Harvard and Dartmouth. The map itself is missing from Dartmouth’s copy. <?page no="130"?> Kathleen Wine 130 des Léontins” who “en fut agréablement surprise” (I: 181, emphasis added). The words qui suit cette page are a rare evocation of the material qualities of the volume the reader is perusing, its so-called “bookness.” 7 Scudéry thereby signals exactly where her map was to be inserted. She also alerts her readers to its presence, enabling them to join in the characters’ surprise at receiving not just a letter - commonplace in baroque romance - but a map. The narrator’s final words further encourage the reader’s participation. Explaining that, rather than read Clélie’s letter, Célère will summarize it for the princess, the narrator concludes: “Si bien qu’après que la Princesse des Léontins l’eut entre les mains, Célère lui parla ainsi” (I: 182, emphasis added). At this point on page 397, the text breaks off, allowing the reader to find and unfold the promised map, inserted after the page’s blank verso (see fig. 1). When the text resumes on page 399, the reader has thus assumed the position of the princess, taking the map “entre les mains,” the better to follow Célère’s elucidation of the land of Tendre. The unfolded map, which exceeds the boundaries of the book, connects the reader’s space to that of the fictive map-readers. 8 Célère’s explanation, punctuated with direct address and demonstrative adjectives - “cette première ville,” “cette carte,” “vous voyez tout contre sur cette carte” - echoes the primary narrator’s “cette page,” drawing the reader into the circle of fictive interlocutors. A group reading Clélie aloud, as was common in the seventeenth century, could have huddled around the map, much as Célère and his listeners must have been doing, while one of them read the former’s explanation. The importance of this readerly miming of the narrative situation is suggested by Clélie’s alarm when copies of her map begin to circulate. 9 She fears the broader public will see it as the result of laborious effort rather than as the “bagatelle” (I: 185) she dashed off on a whim. This danger would seem to be even greater in the case of readers of the printed book. For according to Clélie, her map can only be understood as an extension of the spontaneous give-and-take of conversation. Unlike the “sottes gens” who are unaware of “le commencement de la chose” (I: 185), her inner circle will appreciate the playful spirit in which it was drawn (I: 186). Indeed, the map’s optimal reception seems to require a social context as well. When Herminius receives it, he is with Aronce and Célère, who join him in scrutinizing Clélie’s creation 7 In Dartmouth’s copy of the 1656 edition, the words “qui suit cette page” are displaced, so that the map would have appeared after the following page. 8 For a different take on the effect of a fold-out, see Barchas 99. 9 If 17 th -century writers were sometimes published against their will, Clélie’s objections evoke many a fiction about writers’ inability to control their works’ publication. See Grande on women novelists (296-97) and Goldsmith on the Mancini sisters (“Publishing” 32, 36). <?page no="131"?> 131 The Carte de Tendre and Hesiod’s song (I: 181,185). Perhaps this is why, despite Clélie’s fears, her map is properly received by most of the “gens d’esprit” in her city: their shared conversational culture enables them to employ it to generate more clever trifles and diverting conversations (I: 185). Likewise, readers who have been integrated into the circle formed by Célère and the princess are primed to approach the map’s deciphering as part of a sociable group activity. However, while the first recipients of the map were men, the reader shares in the reception of the map by a predominantly female group. By identifying her readers with this group, Scudéry plays down troublesome connotations implicit in the map’s circulation. It is noteworthy that Clélie raises only aesthetic objections to her map’s popularity. She voices not the slightest concern that the uninitiated might misconstrue her instructions on how to win her tender friendship, and polite society cooperates, treating her map as a witty game rather than an occasion for gossip (I: 185). A few people do miss the point, like the man who “demanda grossièrement … de quelle utilité était cette carte” (I: 186). This assumption that the map must have a practical purpose, diametrically opposed to Scudéry’s concept of conversation (Goldsmith, “Conversations” 47-59), betrays the inquirer as a hopeless outsider, incapable of even a minimal grasp of Clélie’s invention. But while Célère deems the outsider harmless, the latter’s interest in the map’s utility could raise questions of propriety. A few pages later, Clélie’s noble suitor Horace incurs her fury by voicing the thought Scudéry denies the outsider: perhaps someone has approached the Terres inconnues (I: 187), realm of passionate love. In light of the map’s potential to encourage misreadings of Clélie herself, the boor’s encounter with it bears closer inspection. The man inquires as to the map’s utility “après avoir vu cette carte qu’il avait demandé à voir avec une opiniâtreté étrange” (I: 186, emphasis added). The copy’s owner makes a cutting reply, “après l’avoir repliée fort diligemment” (I: 186), as though to protect it from his importunate gaze. By emphasizing the verb voir, Scudéry precludes our imagining the stranger handling the map that is a metonymical extension of Clélie: unlike the Princesse des Léontins (I: 182), he does not grasp it “entre les mains”. This phrase’s potential double meaning had been consecrated by a pun in L’Astrée’s first preface, where d’Urfé figures his book as a daughter who risks falling “entre les mains” of strangers (I: 5). In his “Les Héros de roman,” Boileau would later deride the much-kidnapped heroine of Le Grand Cyrus: “Voilà une beauté qui a passé par bien des mains” (199). And, indeed, even as Célère relates the history of the Carte de Tendre, Clélie is herself “entre les mains” of Horace (I: 247). 10 Her map, on the other hand, is 10 Célère describes Clélie “entre les bras de ce rival,” then reiterates “il avait Clélie entre ses mains” (I: 247). The phrase occurs long after the discussion of Clélie’s map. <?page no="132"?> Kathleen Wine 132 in the hands of the sympathetic princess and of the reader, whose privileged position is bolstered by an anachronistic detail. Clélie’s friend protects his copy of her map by “folding it back up,” despite Scudéry’s claim that the map, like most writings in her ancient fictions, was drawn on rigid tablettes (I: 181). 11 She thus relates the experience of this knowing insider to that of readers, to whom she has confided a fold-out copy and everything they need to use it well. The “Histoire d’Hesiode,” which occupies much of Part IV’s second livre (1658), contains another unexpected enclosure. Unlike Clélie’s other intercalated stories, this one does not involve contemporaries of the protagonists, but purports to be a written life of the long-dead Greek poet Hesiod, translated and read aloud to Clélie’s circle by Amilcar. The reading sparks a discussion turning on an issue of interest here: can one become engaged in the adventures of persons far removed in time or space (IV: 285, 410-21)? Although the document in question does not figure explicitly in the conversation, it is another of Scudéry’s experiments in bridging the gap between her Parisian milieu and her distant print readership. At a turning point in Amilcar’s story, Hesiod, distressed by the interest his mistress Clymène has aroused in their prince, confides his jealousy to verse. He has his words set to music by Usclame, whose skill on the lyre gives him emotional mastery over his hearers and whose voice can make any lyric seem passionate (IV: 385). Hesiod sends Clymène an anonymous paquet, which includes the words to his song as well as a second copy “tout noté” (IV: 386). Like Herminius, Clymène is surprised to discover that an apparent letter contains unexpected material: “L’esclave ... présenta le paquet ... à Clymène, qui l’ouvrit à l’heure même, pensant que ce fût une lettre. Mais elle fut bien surprise d’y trouver la chanson qui suit, et de la voir après notée de la manière dont on se servait alors dans la musique” (IV: 386-87, emphasis added). Whereas it is the primary narrator who interrupts Célère’s account to explain that he handed the princess “la carte qui suit cette page,” this function is here performed either by the original Greek narrator or by Amilcar, who clearly adds the acknowledgment of changing styles of notation. But since this acknowledgement could apply to the French audience as well, readers are likely to interpret “la chanson qui suit” as referring to the volume in hand rather than to Amilcar’s manuscript. For the text breaks off at this point on page 1047. Its verso reveals the three stanzas of Hesiod’s lyric, followed by another surprise: a blank page, on perceptibly different paper, opens to reveal 11 These wax-coated wooden supports, bound in codex form, are usually described as being opened and closed rather than folded. Furetière dismissively defines them as a synonym for letters in novels. For a discussion, see Hogg. <?page no="133"?> 133 The Carte de Tendre and Hesiod’s song a two-page plate containing Usclame’s score (see fig. 2). 12 In the absence of overt byplay between Amilcar and his hearers, the passage places readers’ experience in parallel with Clymène’s. Since the score repeats all of Hesiod’s lyrics, the inclusion of both words alone and score serves only to insure that the reader finds exactly what Clymène did. On opening the packet, Clymène reads the lyrics, guesses that Hesiod is their author, and begs Usclame - present due to a prior arrangement with Hesiod - to sing them. His performance convinces her that the music “convenait parfaitement aux paroles, et qu’il eût été difficile de faire un air … qui eût plus de grâce, plus de mouvement, et plus de passion” (IV: 388). Whereas Scudéry’s fold-out map encouraged readers to mime the gestures and attitudes of the fictive audience, her score offers them the means to reproduce the very sounds of Usclame’s performance. It enables the musically inclined to judge for themselves if the tune is appropriate to the words. Myriam Maître has asked whether the score invites the reader to perform it or whether it figures the novel itself as “une ‘partition’ à apprendre et à jouer” (450). 13 In either case, the score’s inclusion dramatically underlines the importance of voice to the reception of gallant literature. However, it also raises questions. Given the emphasis on Usclame’s musicianship, we must ask whether the score, which reproduces only the bare words and intervals he sang, does not in fact emphasize the incommunicability of the artist’s individual stamp. Later events suggest other difficulties. During a recital before the prince, Clymène’s slave is asked to display her lovely but untrained voice. Unbeknownst to Clymène, the young woman had overheard Usclame’s performance. Since her mistress did not inform her of the song’s confidential character, she elects to sing it for the company. Rather than compare the young woman’s artless performance to Usclame’s practiced one, Scudéry focuses on reception. The amazement of Clymène, Hesiod, and Usclame at the slave’s unexpected choice arouses the prince’s suspicions. Interrogating her about the song’s provenance, he demands to see the lyrics and hear Usclame sing them. His power to unite the song with its original performers and audience enables the prince to guess the identities of author and composer and piece together the details of the love affair that Hesiod had so carefully concealed. The story thus implicitly questions 12 The song and music were published in a collection by Ch. de Sercy in 1661, which attributed the words to Mlle de Scudéry and the music to Sébastien le Camus (Goulet 211). The score resembles a fold-out score that Samuel Richardson would later include in Clarissa. Barchas’s illuminating discussion does not acknowledge Clélie as a possible influence (92-117.) 13 See also Goulet: “la romancière jugeait son lectorat suffisamment musicien pour en faire bon usage” (211). <?page no="134"?> Kathleen Wine 134 the informational value of a score, divorced from the original context of its performance. Although the prince does not make his resentment public, Hesiod’s song - and word of his love affair - spreads rapidly, a circumstance that recalls the fate of the Carte de Tendre. When Clélie’s map began to proliferate, “on ne voyait ... personne à qui l’on ne demandât s’il voulait aller à Tendre” (I: 185). Likewise, “[il] n’y avait personne … qui ne chantât” Hesiod’s refrain (IV: 395). Each episode emphasizes the rapidity of oral circulation and suggests the potential for pleasurable new performances. However, the ability of map and song to spread beyond their original contexts is not without danger. The map encodes information about Clélie that can be misconstrued. Hesiod, by contrast, discretely removes all signs of individuality from his song. But he thereby leaves Clymène’s slave so ignorant as to its purpose that she sings it “mal à propos” (IV: 395). The maneuvers of the jealous prince eventually lead to the deaths of the poet and his mistress. Unlike Hesiod and Clymène, so disastrously oblivious to the listening slave, Scudéry strives to insure that her readers are in the know. Yet her stories acknowledge that her efforts may miscarry. Ironically, the only way a compliant reader can conveniently consult the Carte de Tendre while reading or hearing read Célère’s entire explanation is to detach it from the book, thus preparing the way for it to circulate unchecked by its protective context. Many readers appear to have done just that, since the map is missing from many extant copies of Clélie (Tchemerzine 283). To detach the score from its bindings would have been less easy. But Scudéry’s story tells us nothing if not that a song will circulate without written support and despite its author’s best efforts to prevent it. Although Scudéry took considerable pains to shape her book’s reception, Clélie was ultimately an experiment in trusting her readers. Works Cited Barchas, Janine. 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Clélie: histoire romaine, Pt I, vol. 1, pt. IV, vol. 2. Paris: Courbé, 1654, 1658. Houghton Library, Harvard College, Houghton 75-193. Sévigné, Marie de Rabutin-Chantal, marquise de. Correspondance. Ed. R. Duchêne. Vol. 3. Paris: Gallimard, 1978. Tchemerzine, Avenir. Bibliographie d’Editions Originales et rares d’Auteurs Français des XV e , XVI e , XVII e et XVIII e siècles: contenant environ 6.000 fac-similés de titres et de gravures. Vol. 10. Paris: Marcel Plée, 1933. Urfé, Honoré d’. L’Astrée. Ed. H. Vaganay. Vol. 1. Lyon: Pierre Masson, 1925. <?page no="136"?> Kathleen Wine 136 Fig. 1: Clélie. Pt. I, vol. 1. Paris: Courbé, 1654. Courtesy of Houghton Library, Harvard University [75-193]. Fig. 2: Clélie. Pt. IV, vol. 2. Paris: Courbé, 1658. Courtesy of Dartmouth College Library. [Rauner Rare Book PQ1922. C5 1660]. <?page no="137"?> Biblio 17, 194 (2011) L’Ethos masculin dans les Mémoires de La Guette, ou comment (ne pas) être femme au XVII e siècle C ONSTANCE C ARTMILL University of Manitoba Les Mémoires de Madame de La Guette, née Catherine Meurdrac, semblent avoir été vite oubliés peu après leur publication à La Haye en 1681. Leur réédition au XIX e siècle, préparée par Célestin Moreau, fait sortir de l’ombre un auteur devenu inconnu et un témoignage spécifiquement - ou typiquement - féminin de la Fronde et de la guerre de Trente Ans. Dans son introduction, Moreau insiste de manière enthousiaste sur leur authenticité tout en louant la spontanéité, la naïveté voire la coquetterie du style de Madame de La Guette, qualités alors généralement associées à l’écriture féminine. À la fin du XX e siècle, c’est soit à la figure de l’amazone guerrière (Freudmann), soit à l’expression d’un féminisme spontané (Watson 144) que l’on associe l’héroïne/ mémorialiste. Avec les travaux de Carolyn Lougee, l’attention se porte non plus sur la question de l’écriture au féminin, mais plutôt sur la construction, au fil des Mémoires, de la persona de l’héroïne/ mémorialiste. Lougee souligne notamment la rupture de ton dans la dernière partie de l’œuvre. Alors que la plupart des événements racontés par la mémorialiste reçoivent la caution rassurante d’une explication providentialiste ponctuant le texte comme un refrain, les Mémoires, note-t-elle, se terminent sur un ton pessimiste dans l’attente de la mort. L’événement qui marque ce changement de ton est le décès du fils aîné de la mémorialiste, celui de ses enfants pour lequel elle semble avoir eu le plus d’affection: Je laissai ma fille entre leurs mains et gagnai ma chambre, où je m’enfermai pour chercher ma consolation du côté du ciel. Ce fut là, ô grand Dieu, que je vous parlai du plus profond de mon âme, et que je me résignai entièrement à votre sainte volonté… (189) La supplication que l’on trouve dans cette adresse directe à Dieu, seule apostrophe faisant irruption dans le texte, annonce et prépare la dernière phrase des Mémoires où Mme de la Guette se dit prête à attendre “[s]on dernier jour <?page no="138"?> Constance Cartmill 138 et la continuation des faveurs de Monseigneur le prince d’Orange pour [s]a famille” (191). Dans le prolongement des travaux de Lougee, nous nous proposons de commenter brièvement la dualité masculin/ féminin dans le texte de Mme de la Guette. Nous verrons comment cette dualité se manifeste dans la juxtaposition de la vulnérabilité et du courage d’une mémorialiste qui se démarque ainsi non seulement des autres femmes, mais aussi d’un bon nombre d’hommes. À la limite, la vertu - mot à entendre dans le sens classique du terme, c’est à dire du latin “vir” qui signifie “homme” par opposition à “femme” - de Mme de la Guette servirait de caution aux Mémoires. C’est d’ailleurs le mérite masculin de la mémorialiste qui rend son texte crédible, à en juger par l’avis du libraire de l’édition de 1681 vantant non seulement l’humeur de l’auteur “entièrement opposée à celle de son sexe” et son cœur “tout viril”, mais aussi sa “générosité qui n’est pas ordinaire aux femmes” (45) 1 . Une héroïne généreuse… Dans ses Mémoires, Mme de La Guette montre qu’elle a joué un rôle de toute première importance dans des événements percutants de la Fronde dont elle fournit un compte-rendu pour la postérité. Pour ce faire, en tant que femme mémorialiste, elle doit se forger une identité masculine indispensable pour se représenter en tant qu’actrice de la grande Histoire et donner à sa parole une légitimité historique. Ce n’est qu’à ce prix qu’elle peut, comme l’homme mémorialiste, accéder au rang de témoin crédible de l’histoire de son temps. Ainsi, présente-t-elle plusieurs épisodes propres à inspirer de la crainte et de la surprise chez ses lecteurs, mais surtout ses lectrices. Contrairement à elles, Mme de la Guette reste toujours imperturbable. Par exemple, dans le récit de ses fiançailles et de son mariage clandestin avec le sieur de La Guette, l’héroïne n’est pas du tout effrayée par la violence d’un prétendant éconduit et déconsidéré par son père: Ces fleurettes-là n’auraient pas été fort agréables à une personne qui aurait eu de la timidité; mais cela ne me servait qu’à le considérer davantage, puisque je jugeai par là qu’il m’aimait d’une façon tout extraordinaire, et que l’excès de son amour lui faisait dire toutes ces choses. Bien que ma 1 Les Mémoires de la Guette ne sont pas dépourvus d’exemples de vertus féminines telles que la virginité avant le mariage et la fidélité conjugale. Ainsi la mémorialiste, “ennemie mortelle de l’infamie et ne [faisant] cas que de la vertu” (61), fait-elle grand cas de ses amies “admirables pour leur belle et sage conduite” (76). <?page no="139"?> 139 L’Ethos masculin dans les Mémoires de La Guette mère fût saisie d’un grand tremblement, elle fit néanmoins tout ce qu’elle put pour l’adoucir (54). Au contraire, dans cet épisode important, elle met en scène la frayeur maternelle de manière à valoriser sa propre force de caractère. Sa réaction face à la brutalité de son futur mari ne doit donc pas étonner le lecteur, la future Mme de la Guette comprenant que le comportement “extraordinaire” du jeune homme est en fait motivé par son excès d’amour. Comme elle l’écrit, il était “absolument possédé par deux puissances: Mars et l’Amour” (52). Ce comportement révèle en fait la présence d’un cœur et compense, aux yeux de Mme de la Guette, sa naissance médiocre. Elle va même jusqu’à affirmer que “ces gens qui n’ont point de cœur sont indignes de vivre” (52). L’attirance entre les jeunes amants s’explique donc par une affinité d’“humeur”, celle de l’héroïne ayant toujours été “martiale” (48): “j’ai toujours été d’une humeur plus portée à la guerre qu’aux exercices tranquilles […], quoique l’on dise qu’une femme ne doit savoir que cela” (65). Le mariage lui-même, qui s’effectue avec le consentement maternel, mais contre la volonté paternelle, fournit une autre occasion à Mme de la Guette de se démarquer des autres. Il semble bien que tout le monde craint la colère paternelle, sauf la nouvelle mariée - “Pour moi, je m’en allai paisiblement me coucher sans aucune crainte” (61) - qui donne d’ailleurs raison à ceux et à celles qui craignent son père, “car l’on est fort rigoureux en France à l’endroit de ceux qui assistent à ces sortes de mariages qui se font contre la volonté des pères” (61). La peur des autres se traduit en gestes concrets. Du côté des hommes, les témoins prennent la fuite juste après la cérémonie; du côté des femmes, la jeune fille qui accompagne l’héroïne pleure sans arrêt. Quand le père se rend compte de ce grand acte de désobéissance, sa colère ne tarde pas à éclater. Là encore, la réaction de la future Mme de la Guette s’écarte de la norme: “Je devais avoir ma part de cette bourrasque, puisque j’avais trempé plus qu’aucun dans la faute; mais comme j’ai toujours été intrépide, tout ceci ne me causa point la moindre émotion” (66). Une lecture attentive des Mémoires fait ressortir à maintes reprises de tels contrastes entre l’impassibilité de l’héroïne et la peur ressentie par les autres. Ce sont toutefois les troubles de la Fronde qui illustrent cette “fermeté d’âme qui [lui] était si naturelle” (65). Lors d’un épisode qui voit les régiments de la cavalerie du Roi frapper à sa porte à Sucy, alors que “plus de deux cents femmes et filles” (89-90) étaient venues se mettre sous sa protection, elle explique avec un sourire complice: “Une autre que moi aurait eu frayeur, parce que je savais bien que l’on ne considérait personne en ce temps-là. Je m’y en allai pourtant gaiement, et je la fis ouvrir” (90). Dans tout cet épisode, elle se présente non seulement comme protectrice des faibles, mais aussi <?page no="140"?> Constance Cartmill 140 comme une fine négociatrice qui se révèle capable de trouver des accommodements entre partis opposés. L’événement le plus marquant de la vie de Mme de La Guette est la mission dont elle est chargée par Anne d’Autriche auprès des Frondeurs de Bordeaux dont fait partie son mari. 2 Le choix de la reine paraît tout naturel, car, comme l’explique la mémorialiste, “quoique je ne sois qu’une femme, un secret est fort bien entre mes mains” (120). Même si le voyage de retour de Bordeaux s’avère extrêmement dangereux, lorsque des voleurs tendent une embuscade au couple de La Guette, notre héroïne conserve son “sang-froid” (142). Il lui arrive une seule fois de révéler des sentiments plus tendres en versant des larmes lorsqu’elle quitte son mari, et à cette occasion, la mémorialiste déplore un moment de “mollesse” qui lui inspire de “l’aversion”, car c’est “faire la femme au préjudice de ces nobles inclinations” qui lui sont plus habituelles (65). Il est intéressant de noter que Mme de la Guette s’enorgueillit de la méprise de ceux qui la prennent pour un homme travesti en femme, fait dont la mémorialiste semble d’autant plus fière qu’elle n’aurait jamais eu l’idée de se déguiser en homme. Tout se passe comme si sa véritable nature virile transperçait sa tenue féminine: J’ai su depuis qu’il me prenait pour un très grand seigneur déguisé en femme qui s’en allait joindre au parti de M. le Prince. Il faut croire que j’avais la mine drôle, puisqu’on me prenait pour un homme. Il ne fut pas le seul qui fit ce jugement, comme l’on verra ailleurs … Je faisais mon possible pour démentir mon sexe… (126) Plus tard dans cette même mission, on la prend encore une fois pour un rebelle, le comte de Marsin déguisé en femme. Cette fois, la mémorialiste tire une plus grande satisfaction de la méprise puisqu’elle lui accorde une identité masculine plus précise: “il faut croire que je n’avais pas méchant air; puisqu’on me prenait pour un général d’armée” (149). … à imiter ou à admirer? La singularité de l’héroïne semble bien découler de sa prétendue nature masculine, virile ou “martiale”. Mais cette singularité fournit des exemples d’actions “que les filles bien nées ne doivent jamais faire” (53). Autrement dit, la nature virile de Madame de La Guette, qui sert de caution à la rédac- 2 Comme l’a écrit Frédéric Charbonneau, tout cet épisode constitue “un bel exemple de fidélité partagé et de conciliation entre deux exigences morales apparemment contradictoires” (147). <?page no="141"?> 141 L’Ethos masculin dans les Mémoires de La Guette tion de ces Mémoires en les rendant plus crédibles, enlève du même coup leur exemplarité, à la place de laquelle on trouve des contre-exemples du comportement à suivre: “je ne conseillerai jamais à aucune fille de faire ce que j’ai fait” (61). Aussi fière que paraisse l’héroïne de son courage en épousant un homme non approuvé par son père, le recul du temps apporte des commentaires portant un jugement moral très sévère sur cette même désobéissance, “un péché que j’avais commis contre Dieu et dont ma propre conscience me punissait tous les jours” (76). De tels échos d’un sentiment de culpabilité préparent le lecteur à la rupture de ton qui se produit à la fin du récit. Mme de la Guette n’est donc pas un modèle à imiter, ni du point de vue prescriptif (une fille ne doit jamais désobéir à son père), ni du point de vue descriptif (selon un certain stéréotype, une jeune femme éprouve normalement de la peur face au danger et surtout devant la mort). Elle se présente plutôt dans les Mémoires comme une héroïne plus grande que nature propre à susciter de la surprise et de l’admiration. L’exagération qui se traduit sur le plan rhétorique par la figure de l’hyperbole fait écho à la représentation idéalisée d’un corps invincible. Lorsqu’un homme de guerre conseille à Madame de La Guette de prendre la fuite, elle refuse catégoriquement: “‘s’il y a quelqu’un qui doive périr, il faut que ce soit moi; voilà à quoi je suis résolue.’… Je fus inébranlable; car j’étais résolue de faire une bonne action” (107). Ce caractère ferme et résolu s’exprime également dans des accès de passions 3 . Lorsque son futur mari la quitte pour retrouver l’armée, la mémorialiste décrit le changement radical que cette séparation a suscité en elle: “[…] moi qui avais été la plus gaie et la plus enjouée de toutes les filles, je devins la plus mélancolique du monde…” (52). Lorsque son père lui formule un projet de mariage avec un homme autre que La Guette, la description de sa réaction frise la terreur: “Tout me frémissait à ces paroles; et je ne savais que répondre” (59). Longtemps après son mariage avec de la Guette, l’amour-passion qu’elle continue à éprouver pour son mari la rend susceptible à de violentes et nombreuses crises de jalousie: “je remarquai qu’il rendait des visites fréquentes à une dame de qualité. Cela me mit martel en tête; je veux dire que j’en devins jalouse au dernier point” (81). Sa passion se manifeste aussi par des moments de “joie excessive” lors des retrouvailles, aussi brèves soient-elles: “J’eus un transport si grand de le voir, que je fus trois mois entiers sans dormir, quoique je fisse tout mon possible pour cela. La joie excessive fait des effets tout extraordinaires, et je ne l’aurais jamais cru si je ne l’avais expérimenté.” (82) Détail intéressant, Mme 3 Les actes de courage et de vaillance constituent d’ailleurs “les actes passionnels les plus publics” (Ranum 234). <?page no="142"?> Constance Cartmill 142 de la Guette ajoute alors une phrase qui montre bien que la singularité de ses expériences, plutôt que d’être imitée, constitue un appel à la modération: “Il est bon de se modérer en toutes choses et de ne s’abandonner pas toujours à ses passions” (82) 4 . Le corps jouit d’une fonction identique dans ces Mémoires. Les exemples en sont nombreux. Tantôt, le corps de la mémorialiste sert de “bouclier” contre les coups d’épée que son mari veut donner à son père, comme s’il n’y avait que la mémorialiste qui puisse ou doive faire face à son mari dans un tel combat meurtrier. Tantôt, le corps de l’héroïne est sujet aux vicissitudes d’une existence turbulente et mouvementée: nez cassé, bras disloqué, jambe mordue, voire recouverte de la bave d’un chien enragé. En outre, la mémorialiste fait preuve d’une fascination morbide pour le corps-mort de ses intimes. Elle décrit par exemple son désir de séparer la tête du corps de sa mère afin de la garder comme un objet-relique, application fascinante et sans doute bien exagérée des coutumes consistant à garder une mèche de cheveux du défunt comme souvenir et à faire de son visage un masque mortuaire: Quelque temps après, ma pauvre mère mourut… Je versai tant de larmes sur son visage et le lui touchai tant de fois, qu’il devint uni comme une glace, quoiqu’elle fût dans un âge avancé. Il me prit envie de séparer sa tête de son corps, pour la mettre dans mon cabinet et la voir à mon aise et à loisir; je n’en trouvai point l’occasion, parce que les gens d’Église qui la veillaient me dirent qu’ils n’y consentiraient jamais, … (74-5) La mort de son mari, et ensuite celle d’un de leurs fils, inspire chez elle le geste de transformer son lit en un tombeau: [Mon fils] mourut entre mes bras dans mon lit, car ce jour-là je ne pouvais me soutenir sur ma jambe, à cause de ma morsure de chien. Je me trouvai seule dans mon affliction, tous mes gens étant allés à droite et à gauche. J’avais assez de loisir pour contempler ce cher enfant et l’arroser de mes larmes, puisque je fus plus de deux heures sans qu’il revînt ni valet ni servante. (114) Sur le soir, quand tout le monde fut retiré, … je me levai doucement pour aller prendre le corps de mon cher mari, avec dessein de le cacher dans mon lit. Comme je le chargeais sur mes épaules, à quoi j’eus beaucoup de peine, parce qu’il était déjà droit, je fis un peu de bruit que ces 4 En décrivant une autre insomnie, occasionnée par la mauvaise nouvelle de la défaite de Sarlat où est stationné son fils, la mémorialiste renforce la figure de l’hyperbole en l’opposant à celle de la litote qui traduit l’état d’esprit de son époux: “Cela me mit dans des transes mortelles, par la crainte que j’avais pour mon fils, en sorte que je ne dormis point toute la nuit; et mon mari n’était pas fort à son aise non plus” (133). <?page no="143"?> 143 L’Ethos masculin dans les Mémoires de La Guette bons ecclésiastiques, qui soupaient au-dessous de sa chambre, entendirent, … Ce fut là que je perdis la raison et que je m’emportai avec violence, … J’étais tellement en sueur par mon agitation, que l’eau coulait sur moi de tous côtés. (173) On constate certaines récurrences dans ces trois épisodes: tout d’abord, une perte de contrôle signalée par les larmes qui “arrosent” le corps de l’être aimé, ou la transpiration de celle qui est transie de douleur. Dans les premier et troisième exemples, le cadavre est l’objet d’une tentative de mise en relique ou de transformation en objet quasiment sacré; seule la présence des “gens d’Église” ou de “ces bons ecclésiastiques” l’empêche de réaliser ses tentatives de possession totale de l’être mort. Les morts s’accumulent dans la toute dernière partie du récit, accélérant la clôture des Mémoires dont le dernier événement noté est l’expérience de sa propre mort imminente: “Tous les médecins m’avaient abandonnée, et mon confesseur aussi, disant que je n’avais plus qu’un quart d’heure de vie” (190). Ce fut évidemment une fausse alarme, car “la divine Providence en ordonna autrement” (101). Le quart de page qui suit ne permet à la mémorialiste que de dire son incertitude sur son sort (incertitude que partage le lecteur d’autant plus que la date de décès de l’auteur est inconnue, aussi bien que les circonstances de sa mort). Cette répétition de la mort, au sens théâtral du terme (car il s’agit d’une mise en scène dans laquelle l’héroïne joue le rôle principal) rappelle bien la formule de Georges Gusdorf, “la mort est quelque chose qui arrive aux autres. J’ai l’expérience de la mort d’autrui, événement que j’ai vécu et que je peux penser” (133). Or, l’inscription de cette mort imminente dans les dernières pages des Mémoires leur confère l’aspect d’un récit obituaire. La phrase “mourir en véritable chrétien et catholique”, répétée sans beaucoup de variation à différents moments du récit (96, 172, 188), soulignent la nécessité d’une belle mort chrétienne. Au bout d’une existence se caractérisant par l’énergie vitale, il s’agit bel et bien d’un apprentissage de la mort. Si par ailleurs Madame de La Guette se présente comme une figure emblématique de la conciliation de forces d’apparence opposée (le royaliste et le frondeur, l’arrogance naturelle et la culpabilité chrétienne, la vie et la mort, les Mémoires et l’oubli), c’est en fin de compte la dualité masculin/ féminin qui nous paraît fascinante, dans la mesure où il s’agit d’un texte qui ne porte aucune trace de la querelle des femmes, débat qui a fait couler beaucoup d’encre tout au long du XVII e siècle. La différence entre les sexes est certes maintenue - c’est la source même de la singularité de notre mémorialiste -, mais cette différence semble tout de même perturbée par l’assimilation du masculin dans le féminin, ou du féminin dans le masculin. Dans les Mémoires de Madame de La Guette, l’absence de toute discussion explicite sur l’égalité <?page no="144"?> Constance Cartmill 144 ou même sur la hiérarchisation des sexes pourrait bien expliquer l’oubli dans lequel ce texte est tombé. Bibliographie Charbonneau, Frédéric. Les Silences de l’histoire. Les Mémoires français du XVII e siècle. Québec: PUL, 2000. Freudmann, Felix Raymond. The Memoirs of Madame de La Guette: A Study. Genève: Droz 1958. Gusdorf, Georges. Les écritures du moi. Lignes de vie 1. Paris: Odile Jacob, 1991. La Guette, Madame de. Mémoires. Éd. M. Cuénin, Paris: Mercure de France, “Le Temps retrouvé”, 1982. Lougee, Carolyn Chapell. “‘Reason for the Public to Admire Her’: Why Madame de La Guette Published Her Memoirs.” Going Public: Women and Publishing in Early Modern France. Éds. E. Goldsmith et D. Goodman. Ithica: Cornell University, 1995. Moreau, M. Ed. Mémoires de Madame de La Guette. Paris: P. Jannet, 1856. Ranum, Orest. “Les refuges de l’intimité”, Histoire de la vie privée. 3. De la Renaissance aux Lumières. Éds. P. Ariès et G. Duby. Paris: Seuil, 1985, 1999. 209-259. Watson, Françoise. “Le moi et l’histoire dans les Mémoires de Mme de Motteville, Mme de la Guette et Mlle de Montpensier”. PFSCL XVIII, 34 (1991): 141- 156. <?page no="145"?> Vérité et fiction <?page no="147"?> Biblio 17, 194 (2011) Le conflit des loyautés dans les Sophonisbe C LOTILDE T HOURET Université de Paris-Sorbonne Dans le chapitre “De l’utile et de l’honnête,” qui ouvre le livre III des Essais, Montaigne fait de la trahison l’une des manifestations de la concordia discors: c’est un “office vicieux” parfois nécessaire à la préservation du corps politique, et qu’on peut employer “à la couture de notre liaison” (830). Si Montaigne refuse pour sa part toute perfidie, il explicite ce que le sociologue Sébastien Schehr appelle le “paradoxe de la trahison” (322): le reniement de la foi donnée est par essence un principe de division, mais il peut paradoxalement se révéler nécessaire à la concorde et à la paix. On perçoit d’emblée ce que la réflexion de Montaigne doit aux événements religieux, politiques et culturels qui ont secoué le XVI e siècle et qui ont ébranlé les fondements du lien de fidélité traditionnel. La philosophie de Machiavel et la pensée de la raison d’État ont contribué à le relativiser et à le fragiliser, parce qu’elles envisagent pour le souverain la possibilité de se dérober à ses promesses et de faire fi de ses liens de fidélité s’il le croit nécessaire à sa survie ou à celle de l’État. L’instabilité politique et les alliances éphémères - qui caractériseront aussi la première moitié du XVII e siècle - ont perturbé le système d’obligations dont la fidélité est le pivot. En outre, à l’occasion des guerres de religion, nombreux sont ceux qui se sont trouvés déchirés entre deux loyautés, entre la fidélité à leur foi religieuse et la fidélité à leur foi vassalique ou amicale. 1 Par ailleurs, l’affirmation de l’État absolu ajoute au lien féodal entre seigneur et vassal la nécessaire allégeance au roi. Enfin la promotion de l’intériorité et de la sphère privée a entraîné la valorisation de liens de confiance plus personnels, plus informels, et avec eux, des obligations nouvelles, fondées sur le sentiment. La fin de la Renaissance et l’âge baroque est donc une époque qui voit s’achever le temps de l’allégeance unique (Bideaux 38-9); que faire quand les loyautés se contredisent? comment les ordonner? 1 Les aristocrates ont eu le sentiment que l’ancienne conception de la fidélité se modifiait sous l’effet de la conscience individuelle et des situations politico-militaires (Constant 157-61). <?page no="148"?> Clotilde Thouret 148 Ces remarques suggèrent que cette crise de la fidélité est l’un des lieux où se joue la double émergence de l’État absolu et du sujet moderne, et leur articulation, ou, pour le dire autrement, que c’est, entre autres, autour de la question de la loyauté que vont se redistribuer les positions et les termes du débat, et que vont s’esquisser les solutions aux crises du premier XVII e siècle. Les tragédies qui prennent pour sujet l’histoire de Sophonisbe permettent de confirmer cette hypothèse. Celles de Montchrestien, de Montreux et de Corneille sont très nettement travaillées par cette question: cette histoire se prête en effet particulièrement bien à l’exploration des contradictions des loyautés et à l’observation des mutations du lien de fidélité. L’épisode se déroule à la fin du III e siècle avant J.-C., pendant la deuxième guerre punique. Sophonisbe, fille d’Hasdrubal et petite fille d’Hamilcar, a été mariée à Syphax, un roi de Numidie. L’objectif de cette union était de faire passer Syphax, longtemps allié des Romains, dans le camp carthaginois. Or, Sophonisbe avait d’abord été promise à un autre roi numide, Massinisse, qui se voit donc trahi. Après ses victoires en Espagne, Scipion décide de porter la guerre en Afrique; après plusieurs batailles, les armées romaines de Scipion et Lélius, aidées par celles de Massinisse, mettent en échec Syphax à Cirta (actuelle Constantine) et le font prisonnier. Alors que les soldats entrent dans la ville, Sophonisbe fait promettre à Massinisse de ne pas la livrer comme prisonnière aux Romains; il excède sa demande et l’épouse le jour même. Face à Scipion, Syphax rend responsable la belle Carthaginoise de sa trahison envers les Romains; le général reproche alors à Massinisse d’oublier leur alliance et réclame Sophonisbe, qui appartient à Rome comme le reste du butin. Pour honorer sa promesse à la reine, le Numide lui donne (ou lui fait envoyer) du poison, qu’elle boit sans hésiter. Une telle histoire met en jeu deux grands moments de trahisons, réelles ou virtuelles, deux moments où s’éprouvent la foi et la parole donnée. Le premier est celui de la préparation de la campagne africaine de Scipion, le second, celui de la captivité de Sophonisbe. Alors que le premier déploie tout un enchaînement de traîtrises, le deuxième moment met en scène le conflit des loyautés. C’est sur cette fin, proprement tragique, que se concentrent les réécritures dramatiques des XVI e et XVII e siècles. 2 Une fois acquise la victoire contre Syphax, les serments se multiplient au point de se contredire. Aussi les personnages sont-ils à la fois fidèles et parjures, loyaux et traîtres. Par exemple, la loyauté de Massinisse envers Sophonisbe entre en contradiction avec la fidélité qu’il doit aux Romains; Sophonisbe trahit le serment conjugal qui l’unit à Syphax mais reste fidèle 2 Sur les nombreuses versions de cette histoire écrites aux XVI e et XVII e siècles, voir Delmas et Louvat. <?page no="149"?> 149 Le conflit des loyautés dans les Sophonisbe à Carthage. Un tel sujet tragique ouvre donc un espace pour le débat sur la trahison et sa légitimité, et sur les manières de résoudre les conflits entre des loyautés qui sont en concurrence. La tragédie d’Antoine de Montchrestien et celle de Nicolas de Montreux doivent être lues en regard l’une de l’autre. De 1594 à 1604, Montchrestien fait publier par trois fois à Rouen sa Sophonisbe; dans le recueil de tragédies de 1604, elle porte un autre titre: La Carthaginoise, ou la Liberté. La tragédie de Montreux est elle aussi publiée chez un libraire rouennais, Raphaël du Petit Val, en 1601. Montchrestien est un gentihomme huguenot, qui restera fidèle à Henri IV et donnera au royaume de France le premier traité d’économie politique. Dès le début des années 1590, à Nantes, Montreux rejoint la Ligue et le duc de Mercœur, gouverneur de Bretagne et cousin des Guise, dont il devient le bibliothécaire. Les événements le mènent quelque temps en prison et ses biens sont confisqués. Il reste fidèle à Mercœur jusqu’au ralliement de ce dernier à Henri IV; son œuvre ultérieure témoigne d’une double fidélité, à Mercœur et au roi (Daele 45-78). Le lieu, les dates et la reprise du sujet laissent supposer que la Sophonisbe de Montreux répond à celle de Montchrestien; le détail des textes le confirme. Comme un reflet fidèle de sa vie, la tragédie de Montchrestien affirme la nécessité d’une fidélité pleine et entière au roi. Le dramaturge travaille le sujet dans le sens d’une propagande absolutiste: tous les engagements doivent s’effacer devant la loyauté du sujet envers son souverain légitime. Le texte insiste d’abord sur la fidélité du souverain lui-même. Syphax prend la double figure du tyran d’usurpation et du traître qui a renié la foi qu’il avait donnée aux Romains. Grâce aux Romains et à la victoire de Cirta, Massinisse reprend possession de son royaume et rappelle alors que les dieux protègent les “ames fidelles.” Comme Montchrestien ne mentionne pas la promesse d’une union antérieure au mariage avec Syphax, la question d’une fidélité première de Massinisse à Sophonisbe ou à Carthage se trouve évacuée. Plus loin, à l’acte IV, Scipion justifie par ces vers la destitution de Syphax: Car à nul n’appartient le sacré nom de Roy Qui d’une perfidie ait entaché sa foy. (143) Ensuite, le problème de la possible contradiction entre loyauté publique, politique, et fidélité privée, amoureuse, est éludé par la pièce. L’amour de Massinisse pour Sophonisbe n’est qu’un égarement passager: c’est une passion néfaste suscitée par Mégère, furie sortie tout droit des Enfers, qui cherche à jeter le poison de la discorde entre les alliés (134). Lorsque Scipion s’adresse au roi Numide pour le persuader de revenir sur son serment conjugal, il lui rappelle les principes néo-stoïciens qui doivent gouverner la conduite d’un <?page no="150"?> Clotilde Thouret 150 Prince (146), avant d’attribuer cette promesse à la perfidie féminine. 3 Massinisse reconnaît immédiatement son erreur et réaffirme sa fidélité sans faille au général romain: Empereur redoutable, en te donnant ma foy Je ne me réservay nulle chose de moy, Sinon le seul désir de te rendre service. (147) On voit combien ces vers referment brutalement l’essai de Montaigne, dont l’un des enjeux était justement de ménager l’espace d’un sujet qui pourrait rester fidèle à ses serments et à ses devoirs particuliers en dépit de ce que le souverain serait susceptible d’ordonner. Scipion autorise alors Massinisse à honorer son premier serment à Sophonisbe, celui de la protéger du triomphe: le Numide évite ainsi de devenir parjure. Aussi lui enverra-t-il le poison en lui faisant dire qu’il a “faussé sa foy pour [lui] garder la foy” (154). Dans la même scène, lorsque Massinisse lui propose de mentir au peuple en prétendant que la reine s’est tuée avec son propre poison, Scipion refuse. Surtout, cette faveur - qu’aucun autre Scipion n’accorde au roi numide - permet de faire du général romain un souverain généreux et clément, qui rassemble toutes les qualités d’un grand roi envers lequel l’obéissance est légitime. Sans doute soucieux d’assurer les fondements de la monarchie absolue, Montchrestien défend donc la primauté de la loyauté du sujet envers son souverain. Il n’y a pas ici de retour à une ancienne logique de l’honneur, dans un échange de services et de récompenses, mais une logique d’obéissance, légitimée par une souveraineté qui se construit visiblement avec l’aide de Dieu et qui met à distance les tentations machiavéliennes. La pièce de Montreux insiste au contraire sur les lignes de failles et ouvre les contradictions. 4 C’est ce que signale d’emblée la dédicace, assez étonnante. La tragédie est dédiée à Monsieur de Montgommery, “gouverneur pour sa Majesté en la Ville et Chasteau du Pontorson” et comte de Lorges: le dédicataire est donc l’un des grands chefs huguenots. La dédicace éclaire assez vite le mystère (35): “Ceci est une liberté pour une autre: feu Monsieur de Lorges vostre frere et vous me fistes libre de prison, et je vous offre la Sophonisbe libre de servitude.” La libération du ligueur par les deux frères protestants a nécessairement eu lieu avant janvier 1591, date à laquelle est mort ledit Monsieur de Lorges, lors d’une tentative pour prendre Dol à la Ligue. Montreux, on l’a dit, est resté fidèle aux Mercœur, mais en 1601, le duc 3 Sur le désir de concilier le Portique et la cour voir Doiron. 4 Buron propose une lecture extrêmement convaincante de cette tragédie à partir de l’actualité politique; la reddition récente de Mercœur et la politique de clémence d’Henri IV éclairent bien des aspects du texte. <?page no="151"?> 151 Le conflit des loyautés dans les Sophonisbe était parti combattre les Turcs en Hongrie: la situation peut expliquer le choix d’un dédicataire du camp opposé, surtout s’il est bien en cour. La dédicace témoigne néanmoins de l’expérience des épreuves de la fidélité en temps de guerres civiles et place la tragédie sous le signe du conflit des loyautés. La composition élimine du sujet toute dimension amoureuse (Delmas; Louvat). La pièce commence après l’union de Massinisse et de Sophonisbe, avec l’affrontement de Syphax et de Scipion, qui lui demande raison de sa trahison. Dans le conflit qui l’oppose aux Romains, jamais Massinisse n’invoque l’amour qu’il porte à la reine de Numidie et, surtout, jamais le texte ne met en présence les deux époux. C’est là une manière de répondre à Montchrestien: ce dernier a simplifié le problème en laissant entendre que seule une passion mal contrôlée pouvait pousser un sujet à contrevenir à la loyauté qu’il doit à son souverain. Montreux au contraire ne cesse de revenir à la multiplicité des fidélités et à l’épineuse question de leur hiérarchisation. Les réponses de Syphax aux accusations de Scipion exposent les différentes loyautés dans lesquelles il était pris; il explique que “pour changer de parti ce n’est être infidèle” (v. 413). Il invoque d’abord la fidélité conjugale, ce lien “tressaint” qui l’a obligé à choisir Carthage contre Rome. Ce choix est aussi justifié par un lien de fidélité naturel et culturel qui l’attachait aux Carthaginois plutôt qu’aux Romains. Ses vers formulent très clairement l’idée de loyauté envers une patrie africaine 5 : J’ay fait ce que j’ai deu en prenant la deffance De ceux de qui j’avois recherché l’alliance, Qui m’estoyent alliez d’air, de sang et de meurs Et dont j’avois receu mille sacrez honneurs. J’ay donc fait mon devoir et ce devoir louable Adoucist la rigueur de mon sort miserable. (v. 349-54) L’expérience des guerres civiles se lit aussi dans la réversibilité des positions. Pour les Romains, honorer l’alliance militaire s’identifie à la voie de la raison, quand les obligations envers les amis, la patrie ou l’épouse ne sont que travestissements d’attachements passionnels. De son côté en revanche, Syphax interprète les conquêtes romaines comme l’effet de passions ambitieuses et dominatrices. Par ailleurs, pour ce dernier, le hasard est responsable de sa défaite alors que les Romains voient dans sa chute un châtiment de sa trahison: 5 Montreux semble répondre ici à Brantôme qui ne voyait dans l’obligation à la patrie qu’une invention des rois, un subterfuge destiné à tronquer les relations d’homme à homme. Il défend cette position dans Monsieur de la Noue, œuvre qui porte le sous-titre suivant: A savoir à qui l’on est le plus tenu, ou à sa patrie, à son roi ou à son bienfaiteur. Sur la trahison chez Brantôme, voir Germa-Romann. <?page no="152"?> Clotilde Thouret 152 Siphax: L’amour avec le sort est cause de mon mal. Lelius: Ton mal juste t’est deu pour être déloyal. Siphax: Combatre pour les siens, est-ce sans foy paroistre? (v. 441-43) Sur ces deux points (le rôle de la passion, celui de la fortune), on voit de nouveau Montreux répondre à Montchrestien. Au troisième acte, le monologue de Massinisse reprend le motif de la réversibilité. Scipion lui réclame Sophonisbe en le rappelant à son serment d’allié; pour le roi Numide, c’est au contraire dans cette exigence qu’est la trahison. Obéir au Romain c’est d’abord se parjurer puisque Massinisse devra briser le serment conjugal, manquer à la foi anciennement donnée à Hasdrubal, et par là relancer les guerres intestines africaines. Surtout cette demande l’outrage puisqu’il vient d’aider les Romains à trouver le chemin de la victoire et de la gloire 6 : Apres tant de bienfaits, de services loyaux Apres tant de combats agitez de furie Où l’on a veu cent fois mettre en hazard ma vie… Après tous ces bienfaits, tu veux donc implacable, Pour loyer merité me rendre miserable… (v. 1164-66 et 1169-70) Massinisse est alors tenté par la révolte, mais il est arrêté en chemin par son fils Misipsa. Le débat oppose alors deux logiques: d’un côté, Gelosses, compagnon du roi numide, plaide en faveur de la prise d’armes pour chasser les Romains étrangers, de l’autre Misipsa conseille la prudence et le maintien de l’alliance avec Rome. À travers eux, l’ordre ancien s’oppose à un nouveau système de valeurs, le code féodal, à la doctrine de la raison d’État. Le premier invoque la liberté, l’honneur, la renommée, le second, la prudence, l’équité, le bien public. Massinisse, dont la situation est alors similaire à celle du duc de Montgommery, ne peut que constater l’impasse tragique: Abandonner ceux-là qui loyaux se sont mis En nos mains pour fuir le fer des ennemis, O quelle cruauté! (v. 1591-93) Il choisit finalement une troisième voie, entre la révolte et le froid calcul politique, et qui lui permet à la fois d’obéir à Scipion et d’honorer sa promesse envers la reine. Il est vrai qu’elle ouvre sur la mort de Sophonisbe, mais dans ses derniers vers, elle dit mourir heureuse et libre, et lie son sort à celui de Carthage, ce qui dédouane Massinisse. Un dernier discours de Scipion identifie ce choix du Numide à celui de la fidélité amicale - cette fidélité qui est effectuée et manifestée par la dédicace. 6 Sur l’ingratitude du seigneur ressentie comme une trahison par le vassal voir Kuperty-Tsur. <?page no="153"?> 153 Le conflit des loyautés dans les Sophonisbe Ainsi, le débat abstrait n’épuise ni ne résout le conflit des loyautés. De surcroît, chacun à leur tour, Syphax (v. 172-208), Massinisse et Sophonisbe (v. 873, v. 2419-52) articulent le problème de la fidélité à celui de l’équité, mise en danger par la guerre: l’arbitrage entre les fidélités n’est pas indifférent à la situation et au rapport de forces, autrement dit, il est nécessaire d’interroger les conditions de possibilité du respect d’un serment ou d’une obligation. Souligner ainsi le rôle des circonstances permet à Montreux non seulement de justifier implicitement le choix du genre dramatique mais aussi de plaider discrètement sa cause auprès du chef huguenot. Cette interrogation sur les conditions de possibilité de la fidélité se retrouve un demi-siècle plus tard dans la tragédie de Corneille. Tous les personnages masculins, Massinisse, les Romains, Syphax, trahissent; seules les deux reines, Sophonisbe et Eryxe, reine de Gétulie, demeurent fidèles, la reine carthaginoise devenant le véritable protagoniste de la pièce. La fidélité de Sophonisbe se fonde dans la fidélité à soi. Comme l’explique Corneille dans sa préface (OC III, 132), celle-ci prend deux formes, la fidélité à Carthage, ou à la patrie, et la fidélité à la dignité royale, autrement dit le respect de sa gloire, l’une et l’autre se conjuguant pour composer l’identité de l’héroïne. Ces deux loyautés gouvernent toutes ses actions, tout comme elles justifient à ses yeux la condamnation des deux Numides. Pour Carthage, Sophonisbe avait déjà renié la foi donnée à Massinisse; si elle envisage de l’épouser après la défaite de Cirta, et donc de rompre son serment conjugal, c’est pour le regagner à la cause punique (II, 5). À Massinisse qui l’enjoint d’accepter sa main, elle répond: Je sais ce que je suis, et ce que je dois faire, Et prends pour seul objet ma gloire à satisfaire. (III, 5, 993-94) Aussi considère-t-elle n’avoir plus aucune obligation envers Syphax: il n’a pas su se comporter en roi puisqu’il a refusé la mort dans la défaite et qu’il accepte l’infamie du triomphe (III, 6). Massinisse, qui se plie finalement à la volonté des Romains, devient à ses yeux “lâche, ingrat, empoisonneur” (1662). L’infidélité à Carthage ou à la dignité royale, dans laquelle elle serait engagée comme épouse, la délie donc de ses serments: Leur bassesse aujourd’hui de tous deux me dégage, Et n’étant plus qu’à moi je meurs toute à Carthage. (V, 7, 1791-92) La loyauté de Sophonisbe dépend de la possibilité de défendre Carthage et de conserver sa gloire, c’est-à-dire de la fidélité qu’elle se doit à elle-même. Le texte de Corneille articule aussi très explicitement la fidélité et la liberté: la liberté est la condition de possibilité du serment et ce qui assure la pérennité de la foi donnée. Trois moments explicitent cette articulation. So- <?page no="154"?> Clotilde Thouret 154 phonisbe explique d’abord à Syphax que ses “chaînes” de captif ont brisé les “chaînes de leur hymen” (III, 6). Ensuite, le roi Numide justifie par ces vers sa trahison de l’alliance avec Rome: Lorsque je vous aimai j’étais maître de moi, Et tant que je le fus je vous gardai ma foi (IV, 2, 1187-88) Enfin, Eryxe, avant même que les Romains ne réclament Sophonisbe, déclare à Massinisse que son serment conjugal ne vaut rien: il s’illusionne s’il croit pouvoir disposer de lui-même, Scipion ne le laissera pas faire (III, 2). Il n’est qu’un fantôme d’État, un roi sans réel pouvoir, et donc sans capacité de se lier. Cette conception de la fidélité présente un paradoxe et une difficulté. On peut en effet voir un paradoxe dans l’idée selon laquelle la fidélité se fonde dans la liberté (je dois être libre pour me lier). Mais il se résout dans la dualité du serment de fidélité (je jure fidélité à l’autre et à moi-même). La difficulté réside dans l’affirmation implicite que le seul moi qui s’appartient, un moi délié et absolu, et qui donc peut promettre, est le moi royal. Cette difficulté tombe cependant si l’on suit Hélène Merlin-Kajman lorsqu’elle explique que Corneille s’est concentré sur la sphère royale parce que “seuls les personnages royaux pouvaient figurer un moi souverain sans cesser d’être vraisemblables et sans se faire remarquer comme libertins” (226). Corneille fait donc de la fidélité un nœud de loyautés indissociables les unes des autres (loyauté à sa gloire, à sa patrie, à sa naissance, à son amour, etc.). Ce qui doit les ordonner en une seule, c’est une volonté, qui donne l’énergie nécessaire à ce que j’ai appelé la “fidélité à soi.” Cela apparaît de manière éclatante au moment où Sophonisbe accepte de s’unir à Massinisse: Vous avez lieu d’aimer toute leur Nation Aimez-là, j’y consens, mais laissez-moi ma haine, Tant que vous serez Roi, souffrez que je sois Reine, Avec la liberté d’aimer ou de haïr, Et sans nécessité de craindre ou d’obéir. Voilà quelle je suis, et quelle je veux être; J’accepte votre Hymen, mais pour vivre sans maître… (II, 5, 690-96) Mais, et là réside le tragique de la pièce, le seul personnage qui possède la volonté d’un sujet absolu est une reine et elle ne peut exister dans le temps qu’unie à un roi (Doubrovsky 355); aussi ne peut-elle finalement exercer cette volonté que par sa mort. Contrairement à ce qu’affirme une partie de la critique (Niderst 249-55; Prigent 409-19), on ne peut donc pas lire cette mort comme l’extinction de l’univers héroïque ou des grandeurs féodales face à l’avènement de la <?page no="155"?> 155 Le conflit des loyautés dans les Sophonisbe monarchie absolutiste. 7 Merlin-Kajman a montré comment Corneille reconfigurait le concept de dignité avec Sertorius, Nicomède et Rodogune (41-59). Ces analyses montrent que Sophonisbe opère quelque chose d’analogue pour la fidélité. De même que, dans Nicomède, le “moi” de Laodice se définit comme souverain réflexivement, en affirmant son attachement à la dignité royale qui la détache de l’existence mortelle, de même le “moi” de la reine carthaginoise s’affirme comme fidélité à soi, dans un mouvement réflexif puisqu’elle ne se doit qu’à elle-même. Avec sa Sophonisbe, Corneille travaille le concept de fidélité “dans le sens du nouveau” (Merlin 59): en lui adjoignant la liberté et la définissant comme un rapport de soi à soi. Les Sophonisbe du Grand Siècle représentent donc de manière exemplaire la crise de la fidélité provoquée par les événements de la Renaissance et de l’âge baroque. Si la pièce de Montchrestien propose d’en sortir par la seule loyauté au souverain légitime, celle de Montreux donne à voir la mutation profonde du lien de fidélité: les liens qui attachent l’individu aux autres et au monde sont désormais multiples, à la fois publics et privés, et dans certaines situations, contradictoires; par là, ils constituent une identité singulière et fondent une forme nouvelle de subjectivité parce qu’ils assujettissent l’individu à un choix et qu’ils creusent une intériorité. 8 Le rôle de l’évolution du sentiment de la fidélité dans la construction du sujet “moderne” apparaît plus nettement encore dans la tragédie de Corneille, où il prend un caractère évidemment réflexif et se fonde dans une liberté. Enfin, ces deux dernières pièces suggèrent que la reconfiguration de la fidélité est l’un des lieux de l’articulation entre l’avènement de l’État moderne et l’émergence du sujet moderne: comme chez Montaigne, c’est dans un même mouvement que se déploient la réflexion sur la fidélité au souverain et l’interrogation sur ce que le sujet se doit à lui-même; le problème de la raison d’État ou de la dignité royale ne s’y sépare pas de l’expérience propre du sujet. 7 D’ailleurs, l’opposition entre Carthage et Rome ne recouvre pas l’opposition entre l’ordre féodal et l’ordre absolutiste: en effet, les exigences de Scipion font de Massinisse un esclave, ce qui identifie leur pratique du pouvoir, dans les termes bodiniens, à une monarchie seigneuriale et non pas à une monarchie royale (Turchetti 453). En outre, ce sont les Romains qui invoquent la raison d’État pour exiger de Massinisse qu’il se parjure. 8 Sur le mouvement qui unit l’émergence d’un État centralisé, l’interdépendance entre les individus, l’accroissement des possibilités de choix et la conception d’un sujet “moderne,” intériorisé et conscient de lui-même, voir Elias (en particulier 234-235) et, dans une perspective psychanalytique, Greenberg. <?page no="156"?> Clotilde Thouret 156 Bibliographie Bideaux, Michel. “Sur la trahison: le connétable de Bourbon entre Judas et les renégats objectifs.” Cité des hommes, cité de Dieu. Éds. J. Céard, M.-C. Gomez- Géraud, M. Magnien, et F. Rouget. Genève: Droz, 2003. 31-40. Buron, Emmanuel. “Chronique d’une soumission. Lecture historique de Cleopatre et de Sophonisbe de Nicolas de Montreux.” Le duc de Mercœur: Les Armes et les Lettres (1558-1602). Éds. E. Buron et B. Méniel. Rennes: PUR, 2009. 237-57. Constant, Jean-Marie. Les Français pendant les guerres de religion. 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Du Cafre du Sud au Cafre du Nord S YLVIE R EQUEMORA -G ROS Université de Provence - Aix-Marseille 1 L’imaginaire de l’ailleurs français classique est éminemment binaire: la France, dans les représentations collectives comme dans les dénominations géographiques, est sise entre les Indes - Indes orientales à l’Est, Indes occidentales à l’Ouest - comme si tout ce qui était exotique était de facto forcément “indien.” Même si les extrêmes Nord et Sud sont moins bien connus, à cette vision binaire horizontale semble correspondre une bipartition verticale. A la fois extrêmement singulier et différent, l’Autre apparaît ainsi souvent comme l’avers et l’envers du moi. Les récits de voyage ont pour topos nécessaire la rencontre avec l’Autre, généralement considéré à la fois comme le Sauvage et comme le miroir inversé ou le prisme renvoyant le voyageur à sa propre culture. L’étude comparée des Autres radicaux que représentent dans la littérature viatique française au XVII e siècle le Lapon et le Cafre, aux antipodes l’un de l’autre, peut permettre de révéler une même représentation du Sauvage, à la fois même et autre, norme naturelle et culture anormale, animalisation de l’humain et humanisation du monstre, jalon dans une réflexion philosophique et enjeu libertin de séduction ironique, simultanément en concordance et en discordance… Les récits de voyage de Ruelle, Jean-Jacques Melet ou Guillaume Chenu de Laujardière, en Cafrerie et de Jean-François Regnard en Laponie permettent ce rapprochement chronologique, éthique et esthétique, mais paradoxal géographiquement, afin d’illustrer ce que peut signifier théoriquement une viatica concors, à la fois discours discordant et unifiant… En effet, le voyage devrait a priori être plutôt une forme de “viatica discors”: relation d’un lieu autre, découverte d’autres hommes, de singularités, etc. Pourtant, quels que soient les lieux découverts, le genre viatique, lui, reste à peu près fixe, entre journal de bord et récit structuré en chapitres, obéissant à toute une série de règles fixes et de rituels. S’il y a donc une cer- <?page no="158"?> Sylvie Requemora-Gros 158 taine concordance scripturaire dans l’écriture viatique, il s’agit d’explorer ici la possibilité d’une concordance dans les représentations et perceptions de l’Autre. Concordances de la discordance Comme le dénominateur commun pour désigner l’Orient et l’Occident réside dans l’appellation d’“Indes,” les extrêmes Nord et Sud pourraient être nommés “Cafreries,” dans la mesure où ce terme vient de l’arabe et désigne des peuples sans loi ni droits. La Cafrerie, en effet, est considérée comme une sorte de no man’s land peuplé par des “fils de Caïn” diaboliquement noirs, territoire sans limites précises regroupant toute l’Afrique australe, depuis le Cap Nègre jusqu’au Cap de Bonne Espérance. Pour Dos Santos: “rien de plus barbare que les Cafres,” pour Dominique Lanni, qui a réédité des récits de voyage en Afrique, il s’agit souvent d’un peuple “dévoreur de tripes,” femmes aux “amples tétasses,” hommes à la “couille unique pour mieux courir,” etc. (Lanni 224). Frank Lestringant et Paolo Carile, dans la préface de leur édition, ont montré que “le terme générique de Cafres ne désigne pas une ethnie particulière, encore moins un peuple ou une race, [il] est le produit du regard ethnocentrique des Arabes tout d’abord, des Portugais et des Hollandais ensuite, lesquels, abordant les contrées inhospitalières de l’Afrique méridionale, y étaient reçus le plus souvent à coups de pierres et de bâtons, quand ils n’étaient pas dévorés sur le champ” (Dugay 9). C’est ainsi que Le Grand Dictionnaire historique de Moréri rappelle que “ce mot de Cafre veut dire sans loi, et vient du mot cafir […], que les Arabes appliquent à tous ceux qui nient l’unité d’un Dieu, et qu’on a donné aux habitants de ce pays, parce qu’on a cru qu’ils n’avaient ni princes, ni religion” (entrée “Cafrerie” ou “Côte des Cafres”). Les Cafres semblent donc au départ être dans l’imaginaire du temps des “nieurs,” définis par leur négativité de principe, et diabolisés, à la manière de ce Méphistophélès dont Goethe fera “celui qui toujours nie.” Ruelle propose un concentré révélateur: Ce pays est habité par des sauvages appelés Hottentots qu’on peut dire avec raison être les plus sales hommes du monde et les plus abominables de la nature, puisqu’ils vivent sans loi et sans aucune discipline, et qu’ils mangent plus salement que les chiens, les loups, et les bêtes les plus immondes. (Lanni 18-19) Mais si les Hottentots sont ainsi présentés comme des cafres, les Lapons pourraient aussi prétendre à cette dénomination de “Cafres du Nord,” tant les interprétations qui sont faites de leurs mœurs et de leurs conduites par les <?page no="159"?> 159 Viatica concors ou viatica discors? relations de voyage vont également dans ce sens. Arriver à Torno, “dernière ville du monde du côté du Nord,” est une forme de but extrême, elle représente la porte vers un ailleurs radical, une barbarie septentrionale, en quelque sorte. La Laponie n’a pas d’unité géographique, elle est une terre de carrefour, avec seule spécificité d’être une région habitée par des lapons, décimés dès le IX e siècle par une traite systématique des trappeurs finois, puis rattachés à la couronne suédoise au XVI e siècle par Gustave Vasa. Les traités de Täyssina (1595) et de Knäred (1613) partagent politiquement la Laponie entre la Suède, la Russie et le Danemark. Unité d’un peuple dans une discordance politique, la Laponie est déjà une discordia concors, comme la Cafrerie peut, elle aussi, être considérée à la fois unie dans sa représentation de repoussoir et opposée selon ses différentes tribus hottentotes, cannibales ou non. Deux terres de la concordia discors, deux cafreries, méridionale et septentrionale… De curieux rapprochements entre les autochtones de l’extrême Nord et ceux de l’extrême Sud peuvent être en effet esquissés à partir des portraits relatés par les voyageurs. Leur apparence physique d’abord et avant tout: le Cafre comme le Lapon sont d’emblée animalisés. Melet introduit ainsi les Africains: “Mais comme les gens qui n’auraient peut-être jamais ouï faire mention seront bien aises d’apprendre quelle espèce d’animaux ce sont et la manière dont ils vivent, j’ai voulu en dire ce que j’avais pu en remarquer” (Lanni 27). Regnard, lui, fait de même “la description de ce petit animal qu’on appelle lapon” et esquisse une curieuse échelle des êtres prédarwinnienne: “l’on peut dire qu’il n’y en a point, après le singe, qui approche plus de l’homme” (Lambert 109). Ils ont dans les deux cas des nez épatés, des bouches larges. Regnard se met en route le 26 avril 1681 vers les Flandres, la Hollande puis le Danemark et la Suède, et à la sollicitation du roi de Suède, s’embarque à Stockholm le 23 juillet pour la Laponie avec les sieurs Corberon et de Fercourt, et reviendra en France le 4 décembre 1683 après deux ans d’absence: il a donc eu le temps de côtoyer les Lapons et il les décrits pourtant ainsi: “ces hommes sont faits tout autrement que les autres. La hauteur des plus grands n’excède pas trois coudées; et je ne vois pas de figure plus propre à faire rire. Ils ont la tête grosse, le visage large et plat, le nez écrasé, les yeux petits, la bouche large, et une barbe épaisse qui leur pend sur l’estomac” (Lambert 108). Les Africains, selon Melet, eux: “A proprement parler, (…) sont indignes de cette éminente qualité d’homme raisonnable puisqu’ils en ont à peine la figure” (Lanni 28). Leur nomadisme est aussi un point commun, qui accentue le parallèle avec des mœurs animales. Dans le récit de Ruelle, les cafres sont “des vagabonds qui ne demeurent jamais quinze jours en un même endroit” (Lanni 19); dans celui de Melet, “leur manière de vivre est tout à fait étrange, étant toujours dans les montagnes, à la façon des animaux, et n’ayant aucun lieu <?page no="160"?> Sylvie Requemora-Gros 160 arrêté où ils établissent leur demeures” (Lanni 28). Les lapons selon Regnard, eux, commençoient à descendre des montagnes qui sont vers la mer Glaciale, d’où le chaud et les mouches les avoient chassés, et se répandoient vers le lac Tornotracs, d’où le fleuve Torno prend sa source, pour y pêcher quelque temps, jusqu’à ce qu’ils pussent, vers la Saint-Barthélemi, se rapprocher tout-à-fait des montagnes de Swapavara, Kilavan, et les autres où le froid commençoit à se faire sentir, pour y passer le reste de l’hiver. (Lambert 109-110) Ce nomadisme ressemble ici à une transhumance qui contribue à accréditer l’animalisation du peuple. Leurs croyances, également, les rapprochent: dans les récits de ces deux contrées sont narrées des scènes de sorcellerie où le vaudou semble être le point commun du sorcier lapon comme du chaman cafre… Regnard présente ainsi “l’art magique” (Lambert 145) des Lapons et le pouvoir de leurs sorciers qui va à l’encontre des rois de Suède. Pour Regnard, il s’agit d’un “commerce avec le diable,” et le voyageur passe de la dénégation la plus radicale au scepticisme (“Pour moi qui crois difficilement aux sorciers” [Lambert 148]), puis au doute (“je ne sais que croire” [Lambert 149]). Dans cette description de la sorcellerie lapone, l’ironie du voyageur oscille entre description ethnologique et épisode romanesque comique, où l’occultisme lapon l’emporte sur le souci d’exactitude et de vérité, afin de dénoncer surtout toute forme de superstition religieuse. Les pouvoirs magiques des vents, des tambours et des boules enflammées sont passés en revue avant que soit décrite une burlesque scène de sorcellerie où le sorcier lapon s’avère inférieur à la résistance occulte émise par le voyageur libertin, révélé sorcier méconnu. La sortie de scène du sorcier décontenancé fait glisser le genre viatique vers celui de la comédie et du pamphlet burlesque libertin en même temps. Quand paraît le Voyage de Regnard, après sa mort en 1731, le voyage de Maupertuis a mis la Laponie à la mode et les remarques ironiques et sceptiques de Regnard sur la magie et la religion des Lapons font de son voyage un récit philosophique en vogue. Les liens avec le premier vaudou africain sont néanmoins nombreux: pratique dans un lieu clos, avec pilier central, toit ouvert, transes, dessins tracés, potions médicinales, zombi ou sorcier mort-vivant, semblant mort mais ressuscitant, etc. Mais si les liens sont nombreux, l’interprétation, elle, est très différente, la Laponie ayant attiré des curieux et des philosophes alors que l’Afrique a surtout attiré des missionnaires et des négriers. Les Lettres du Révérend Père Jean Mongin (1672), membre de la Compagnie de Jésus, constituent à Saint Christophe un des premiers témoignages de ces rituels africains développés ensuite en Amérique, mais le regard est loin d’être amusé, il est scandalisé et cherche à établir une typologie entre sorciers, guérisseurs et marabouts pour <?page no="161"?> 161 Viatica concors ou viatica discors? mieux décider de ce qui doit être réprimé ou toléré. Le Père Labat illustre lui aussi, dans les dernières années du siècle, les superstitions africaines, passées aux îles d’Amérique, par d’abondantes anecdotes, où, malgré sa foi profonde, il laisse percer son ignorance, mais reconnaît certains phénomènes qu’il ne comprend ni n’explique, accrédite la puissance des sortilèges et la rattache à l’action luciférienne. Pour le Père Labat, les Africains sont idolâtres et cette idolâtrie est d’origine diabolique, venue du cœur de la Négritie, à la fois sorcellerie avouée, magie, divination, poison mais aussi médecine. Regnard semble ainsi se moquer à la fois des superstitions vaudoues et des réactions missionnaires face à celles-ci, dans une boucle critique rendant équivalentes les deux formes de croyances païenne et chrétienne. Cafres et Lapons sont en effet - autre point commun - deux peuples livrés aux missionnaires évangélisateurs. Si l’édit de juillet 1682 préparé par Colbert et applicable dans les colonies met un terme à la chasse aux sorcières, les réglementations coloniales vont le vider de son contenu libéral pour n’en conserver que son acception répressive. Car dans les deux cas, les Cafres du Nord et du Sud sont réfractaires et conservent secrètement leurs propres croyances. Les Lapons selon Regnard “ne sont chrétiens que par politique et par force. L’idolâtrie, qui est beaucoup plus palpable, et qui frappe plus les sens que le culte du vrai Dieu, ne sauroit être arrachée de leur cœur. Les erreurs des lapons se peuvent réduire à deux chefs: on peut rapporter au premier tout ce qu’ils ont de superstitieux et de païen; et au second, leurs enchantements et leur magie” (Lambert 141-142). En Afrique, la direction des ordres, l’Église de France, Versailles enfin, ont abandonné les missionnaires à l’isolement puis au désordre, trahissant ainsi cette obligation d’évangélisation des Cafres, qui dans l’esprit de Louis XIII, justifiait la traite et la colonisation servile (Pluchon 46). Entre Cafre du Nord et Cafre du Sud, les concordances sont donc nombreuses: animalisation de l’Autre par les portraits physiques et par l’observation des mœurs nomades, diabolisation de l’Autre par le récit des rituels vaudous et le peu de succès de l’évangélisation. Quelle est alors la part de la discordance et de la spécificité africaine et lapone? Peut-on penser au XVII e siècle la fin de l’uniformisation de l’Autre comme avers de soi? Discordances des concordances? Bien sûr, les peuples du Nord, avec leur vêtements velus, leur rennes, leur ski, leur sauna, etc. que découvre le voyageur curieux de ces singularités, diffèrent des peuples du Sud, avec leurs pagnes et leur nudité, leurs lézards et éléphants, etc. Mais ces singularités spécifiques semblent perçues comme <?page no="162"?> Sylvie Requemora-Gros 162 des à côtés “exotiques,” au sens étymologique, extérieures à ce qui fait ou non leur humanité. Leur identité, elle, est représentée de façon concordante, comme ces modèles des peuples qui entourent par des vignettes les cartes de Blaeu, positionnés de la même manière, tels des mannequins posant dans des costumes différents. Ou de façon encore plus flagrante, comme ces représentations des Sauvages du Sud dans les vignettes de la carte Africa de Blaeu comparées à celle du Sauvage du Nord dans la carte du pôle arctique de Blaeu comprenant la Laponie: deux visions d’effroi de dévoration et d’ensauvagement. Les “Cafres,” encore plus que les “Indiens,” sont des prétextes à une réflexion sur la culture de référence, le lieu d’origine, plus que sur l’ailleurs qui n’est en fait pas découvert et encore moins interrogé. Ainsi, Regnard, lorsqu’il termine la description du “petit animal qu’on appelle lapon” vue plus haut, conclut-il que “cette petite machine semble remuer par ressorts” (Lambert 108-109), ce qui s’avère être bien plus une pique anticartésienne contre la théorie des animaux-machines qu’une observation anthropologique. Les relations de voyage ont en effet en commun de penser l’humanité ou l’inhumanité selon des canons culturels occidentaux. Dans le récit de Chenu de Laujardière, un passage caractéristique peut sembler intéressant pour étudier une originale “révolution sociologique,” “ce pivotement du regard par lequel l’observé prend tout à coup la place de l’observateur” (Dugay 13), et les implications idéologiques et esthétiques que ce pivotement implique. Il s’agit d’une anecdote galante comique où l’auteur narre sur un ton très ironique sa rencontre avec les filles du roi macosse qui l’hébergent. Comme les voyageurs travestissent l’Autre extrême en animal nomade, les Africaines semblent travestir le voyageur occidental en Dieu africain de la beauté, mais ce dieu est une référence mythologique burlesque que leur prête le voyageur: Elles ajoutèrent que, pour peu que mes cheveux fussent un peu plus crêpés, il n’y aurait pas un Macosse aussi joli que moi, que j’étais bien plus beau que ces autres Blancs avec leur couleur jaune et leurs cheveux blonds; en un mot, je me vis bientôt travesti en un nouvel Adonis par ces dames cafres. Mais elles n’étaient pas des Vénus pour moi. (Dugay 51-52) Cette formule souligne la concordance supposée entre le voyageur et les Africaines, mais également la discordance du voyageur qui refuse cette concordance. L’usage habile du style indirect, qui provoque ce comique de comparaison et de situation, permet un décalage burlesque quand le compliment des Macosses est traduit en termes mythologiques occidentaux par l’auteur. L’alliance entre les canons esthétiques africains et européens, référant à deux cultures fondamentalement différentes permettrait au lecteur de mettre à distance par le rire ses propres canons et d’envisager toute leur <?page no="163"?> 163 Viatica concors ou viatica discors? relativité. Au-delà de l’aspect comique de l’anecdote, le texte semble renverser des notions esthétiques, aussi bien que des topoi picturaux et littéraires, en développant une forme de théorie de la relativité appliquée à la notion esthétique du Beau, en parodiant des tableaux tels que Suzanne et les Vieillards ou Vénus au bain, et en réactivant le cliché de la curiosité féminine, ou du dit “péché d’Eve.” L’usage qui est fait ici de ce topos occidental permet une critique de la femme qui dépasse le seul espace exotique pour faire un écho caricatural à la femme occidentale, mais en l’appliquant à cet autre topos de la femme sauvage délurée si présent dans les récits de voyage. Le motif, devenu exotique, peut outrer les vices cachés des femmes en général et faire plus d’effet. De plus, le motif de la peau comme symbole sexuel, à la fois peau de bête symbolisant les instincts primitifs de l’homme et vêtement africain, signe de civilisation malgré tout, fait converger deux langages opposés de l’amour: trophée de l’amant dans le langage cafre, simple couverture de protection pour le narrateur qui provoque le rire par sa méconnaissance des signes cafres. Le motif de l’objet compromettant, qui, comme dans une comédie (voir plus tard le ruban dans Le Mariage de Figaro), passe de main en main, trouve son aboutissement dans la peau vierge masculine qui est rendue au narrateur par la femme du roi à la fin... Des “caresses” sensuelles des filles du roi aux “caresses” plus diplomatiques du roi, Laujardière semble avoir appris la relativité des coutumes et des normes esthétiques. Mais il est une exception rare dans l’ensemble de la production viatique africaine. Il s’agit là d’un témoignage tout à fait discordant dans la concordance globale de la représentation collective du Sauvage africain bestial et démoniaque. Mais en ce sens, il se rapproche de l’ironie libertine de Regnard en Laponie. La discordance est alors ramenée à une concordance de voyageurs déniaisés, que Chenu de Laujardière soit huguenot ou Regnard épicurien… La structure des textes en triptyque, qui reprend les traditionnelles trois étapes de tout récit de voyage (aller-séjour-retour), prend alors elle aussi un sens de démonstration convergente. Le texte, encadré, permet ainsi un parallèle plus ou moins implicite entre les prétendus vrais civilisés et les sauvages: la violence des combats en mer contre les pirates que subit le voyageur avant et après avoir été délivré des Cafres renvoie à la violence des tribus africaines. Après avoir joyeusement fendu la tête d’un jésuite venu le sauver, par réflexe vengeur après les persécutions jésuites, Chenu de Laujardière trébuche avec son pied dans le ventre ouvert d’un cadavre qui se révèle être le capitaine du vaisseau. Ainsi, d’une certaine façon, “la dignité conquise du sauvage” est encadrée par “l’ample démonstration de l’indignité du civilisé, dont la mort rencontre l’indifférence,” comme l’écrivent Lestringant et Carile (Dugay 14). <?page no="164"?> Sylvie Requemora-Gros 164 La division se mit entre nous, chacun accusait l’autre; des accusations on en vint aux coups de poings, aux coups de bouts de corde et, enfin, des bouts de corde aux couteaux. Ce n’était point parti contre parti, tout était divisé. Quand l’un était relâché des mains de son camarade, un autre le reprenait et recommençait un nouveau combat avec lui. Chacun frappait à tort et à travers sans considérer où les coups tombaient. Jamais on n’a vu une telle confusion ni un si grand bruit. (Dugay 57-58) Alcool, pillage, loi du plus fort, guerre civile entre camarades, c’est la zizanie qui l’emporte. La structure du texte démontre donc l’inversion en proposant une vision de civilisés “ensauvagés.” Finalement, les Protestants sont aussi sauvages que les Cafres, ils n’ont pas plus de lois lorsqu’ils sont à bord de ce microcosme confiné qu’est le vaisseau. Le cafre, étymologiquement sans loi ni religion, n’est alors plus celui qu’on croit… La nudité révèle en fait une mise à nu relativiste des préjugés et coutumes européennes, une mise à nu de la condition pécheresse de l’homme, quelle que soit sa couleur. L’ensauvagement, chez Regnard, est plus individuel: le voyageur et ses compagnons sont réduits à l’état de Robinson impuissants sur leur chemin du retour: Mais il n’y avoit rien de si plaisant que de nous voir dans cet équipage, tous extrêmement tristes et défaits, comme des gens qui n’avoient mangé depuis vingt-quatre heures, et qui baissoient languissamment la tête pour recevoir la pluie qu’il plaisoit au ciel faire tomber sur nous avec largesse. (Lambert 199) A tel point que le récit s’achève par une négation du voyage dans son ensemble: Nous terminâmes enfin notre pénible voyage, le plus curieux qui fut jamais, que je ne voudrois pas n’avoir fait pour bien de l’argent, et que je ne voudrois pas recommencer pour beaucoup davantage. (Lambert 206) Comment peut-on être “discors”? Cette question, qui résume à elle seule, en calquant la fameuse lettre 30 des Lettres persanes de Montesquieu, l’ébahissement face à la possibilité d’être autre et contraire, entraîne donc à sa suite une tentative de rendre concordantes les discordances, d’unifier les représentations de l’Autre, non pas en fonction de leur spécificité intrinsèque, mais en fonction de leur valeur d’inversion et de repoussoir par rapport aux valeurs européennes. L’architexte des ouvrages viatiques décrivant les Cafres méridionaux et septentrionaux invite le lecteur à s’envisager lui-même à partir de la représentation concordante d’un “archi-cafre,” “archi-autre” pourtant toujours le même. Au XVII e siècle, la littérature viatique est donc encore bien une viatica concors, aussi bien dans ses représentations que dans ses modes et fonctions d’écriture. <?page no="165"?> 165 Viatica concors ou viatica discors? Bibliographie Calame, Alexandre. Regnard: Sa vie et son œuvre. Paris: PUF, 1960. 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Clermont-Ferrand: PU Blaise Pascal, 2007. 149-66. <?page no="167"?> Biblio 17, 194 (2011) Historian’s Uncertainties: Investigation of Truth in Antoine Varillas’ Œuvre M ARIA N EKLYUDOVA Russian State University for the Humanities The case of Antoine Varillas seems a perfect illustration of the uneasy relationship between historical and non-historical elements in late seventeenthcentury historiography. An antiquarian whose professional career started under the auspices of the Dupuy brothers, he acquired considerable notoriety as one of the most unreliable history writers. According to various contemporary critics, his works were based on unverifiable sources, and his descriptions of hidden motifs and secret thoughts of major historical personae bordered on pure fiction (cf. Daniel xxv). As Gilbert Burnet put it in 1686, “I ever thought that his books had too much of the air of the Romance, and seemed too fine to be true” (10). This opinion was later echoed by Voltaire who in Le Siècle de Louis XIV characterized Varillas as a “historien plus agréable qu’exact” (1212). The consequent scholarly tradition has laid stress on the second part of this characteristic, although during Varillas’ lifetime the excellence of his writing was highly praised by connoisseurs. His books enjoyed a wide popularity, as attested to by the sheer number of editions. One Dutch publisher even claimed that the name of Varillas was the best advertisement for a new book (La minorité de Saint Louis 3 r ). While it is difficult to ascertain the limits and the structure of his audience, the numerous copies of his works preserved in British, German and Russian libraries suggest that they were read throughout Europe. In short, Varillas’ career involved both a publishing success and critical disrepute (another set of oppositions that doubles Voltaire’s ‘agréable/ exact’). This twofold reception was partially due to his Histoire des révolutions arrivées en Europe en matière de religion, which estranged such influential Protestant scholars as Bayle, Le Clerc, Burnet, and others. But more importantly, as I will try to show, it was a result of Varillas’ perception of professional obligations that the history writer had to assume vis-à-vis his reader. For him, different audiences required different modes of history writing and, consequently, different standards of truth. <?page no="168"?> Maria Neklyudova 168 It would not be an exaggeration to say that Varillas had an unusually strong sense of his professional standing. This was mostly expressed in the extensive preliminary pieces to his histories that became a kind of personal signature. At least they were perceived as such by his contemporaries: for instance, in 1685 Bayle reviewed Les Anecdotes de Florence and praised the historian’s prefaces for their unique and edifying qualities (277), while in 1684 the publisher of an unauthorized edition of Histoire de François Premier regretted that the manuscript which came into his possession did not have the usual foreword. In these introductory remarks Varillas followed different compositional tactics, sometimes presenting to his reader portraits of the main historical figures (Histoire de Charles IX), sometimes commenting on the selection of sources and his position vis-à-vis other historians (i.e. Histoire de Henri III). But their constant feature was the presence of information related to his professional career. Most often he mentioned two events. The first one was his affiliation with the Dupuy circle that in 1648 had earned him the position of sub-librarian at the Royal Library. The second occurred at the beginning of the 1660s when Varillas - already a royal historiographer - was banned from the Royal Library and assigned some extramural tasks (cf. Uomini 359-90). This banishment from the library put Varillas in a paradoxical situation. He had his notes and his knowledge but was unable to give the itinerary of his research because he did not know the location (and sometimes the provenance) of the manuscripts that he consulted. It could be said that he had lost the necessary physical connection with his professional space - the Royal Library - which (as he was painfully aware) continued to evolve without him: books and manuscripts were moved, new catalogues compiled, etc. This loss became a source of constant nostalgia and the core of his personal mythology. In the preliminary pieces he rarely failed to evoke the distance which separated his present state of professional exile from his initially privileged position in the sanctum sanctorum of the Royal Library. On one level these evocations served as a guarantee of his professional capacity and as an excuse for the factual shortcomings often decried by his critics. But on another level Varillas used the terms of physical displacement to describe the difference between two modes of history writing - the ‘secret history’ or anecdotes, and the public history. Varillas’ initial historiographical vision found its expression in the elaborate preface to Les Anecdotes de Florence, ou l’Histoire secrète de la Maison de Medicis. The idea to write a ‘secret history’ of the Medicis came to him in the mid-1660s. Most likely it was triggered by the new edition of Procopius’ Anekdota (in Latin translation) published by the Imprimerie royale in 1663. In the introductory remarks to Les Anecdotes de Florence Varillas sketched the difference between the historian and the ‘writer of anecdotes: ’ the former <?page no="169"?> 169 Historian’s Uncertainties presented his heroes in public, while the latter was interested in their private existence; the one concentrated on their actions, the other - on their inner life, and so on. This engagement with hidden subject-matter (what Steve Uomini has called “l’histoire cachée” (447) could have been perilous for the ‘writer of the anecdotes’ who had to refrain from publishing his work (otherwise it would not be ‘anecdotal’ in the proper sense): Il [l’écrivain d’anecdotes] n’oseroit pas même espérer de tirer son nom de l’oubli, en faisant revivre les autres, & j’ay lû dans la Bibliotéque du Roi plusieurs manuscrits, qui infailliblement ne seront jamais imprimés, parce qu’ils font le portrait, un peu trop au naturel, de quelques personnes illustres, en qui l’Histoire n’a pas trouvé de défauts jusques à présent, ou du moins n’y en a pas voulu trouver. (Varillas, “Anecdotes” 9 r ) As we can see this theoretic construction - the ‘writer of anecdotes’ - directly corresponds to Varillas’ experience of the Royal Library. Moreover, it hinges on the humanist ideal of arcane knowledge - the legacy of the Dupuys’ circle - turned into a professional pattern. But while the older generation of scholars was more concerned with the problem of who should be allowed to read “cette sorte d’histoires lesquelles par leur trop de liberté, pour ne pas dire d’audace, approchent de fort prés des libelles diffamatoires, lors qu’elles exposent comme une Diane toute nuë, aux yeux des profanes, les secrets des Princes, les fraudes et les malices des Ministres, et toutes les autres particularitez” (Naudé 155-6), Varillas wanted to institutionalize the position of the authors of such works. For that reason he refused to condemn Procopius, whose duplicity was censured by all modern thinkers, including La Mothe Le Vayer (460-1). He believed that the Byzantine historian was right to discriminate between the requirements of the history and of anecdotes, and, depending on the chosen mode of writing, to represent the Emperor Justinian as a wise ruler or as a tyrant. With the loss of his position at the Royal Library, the role of a ‘writer of anecdotes’ clearly became impractical in Varillas’ eyes. It is significant that even though Les Anecdotes de Florence enjoyed considerable critical success (and were reviewed in the Nouvelles de la République des lettres, as well as in the Journal des sçavants) and went through three subsequent editions, he never tried to return to this type of writing. Instead he assumed the character of a historian who (according to his own theory) must work in and for the public sphere. Varillas’ vision of history was more empirical and therefore more blurred than his idea of anecdotes. Now and then he casually referred to the ‘laws of history’ that presided over the selection of topics and materials. For example, in the Histoire de Louis Onze he felt the need to justify the omission of certain <?page no="170"?> Maria Neklyudova 170 facts: “Les Loix de l’Histoire ne m’ont pas permis de rapporter dans le sixiéme Livre, ce qui avoit précedé le supplice du Connétable de Saint Pol” (1 r ). These ‘laws of history’ came from the pseudo-classical ars historica (Uglow 4-6) and were intimately related to the notion of the dignity of history. Varillas associated them with the rules of enunciation: there are facts that do not belong to the realm of history per se but can be delegated to other types of historical writings (i.e. to the anecdotes). Each of those types has its own level of openness and sincerity, and consequently offers its own configuration of truth. As he explained in the preface to Les Anecdotes de Florence: Il faut se souvenir qu’encore qu’un écrivain d’Anecdotes soit plus souvent & plus étroitement obligé de dire la vérité qu’un Historien, il ne l’est pas neanmoins en toutes rencontres, à parler sans exception, au contraire il la doit suprimer par tout où il n’est pas possible de la révéler sans agir contre les bonnes mœurs. (7 r ) Thus, both the ‘writer of anecdotes’ and the historian are bound by the requirements of bienséance which ensure that the past is morally acceptable for the present. But the history writer is also put under the obligation to maintain the semblance of the truth, whereas “l’écrivain d’Anecdotes… a pour objet le vrai dans toute son étendüe, il le considére également soit qu’il soit vrai-semblable, soit qu’il ne le soit pas” (“Anecdotes” 8 r ). The notions of vraisemblance and bienséance help us to formulate another important distinction between the ‘writer of anecdotes’ and the historian that informs their relations with the audience. It seems that Varillas wanted the former to protect the reader’s sensibility (bienséance) but to refrain from adapting his subject to the general taste, whereas the latter’s work had to fulfill the expectations of the reading public already in possession of a certain vision of history. This distinction was actually maintained in Varillas’ writings. In Les Anecdotes de Florence he does not explicitly address his audience or sue for its support. But in his histories of the Valois the reader becomes an important figure whose interests influence the author’s decisions. To give just one example: in the preface to the Histoire de Henri Second (1692) Varillas dismisses in an off-hand manner the practice of all Greek, Roman, French, Italian, Spanish, German and English historians, and defends his own ‘manière d’écrire,’ i.e. his belief that descriptions of the main historical figures are better placed at the beginning of the narrative, when they are first mentioned, and not at the moment of their death, “afin que les Lecteurs ne soient pas surpris, lors qu’ils apprendront l’uniformité ou la bizarrie de leur conduite, & qu’ils n’ayent qu’à suivre les idées que je leur trace pour en porter un solide jugement” (A3 v -A4 r ). It is interesting that this compositional innovation is staged here as a sudden break with the historiographical tradi- <?page no="171"?> 171 Historian’s Uncertainties tion. In fact, nine years earlier in the opening pages of Histoire de Charles IX (1683) Varillas already presented a whole gallery of portraits but oddly designated them as “un éclaircissement sur les principaux Manuscrits” ( ĕ 1 r ). According to Steve Uomini, Histoire de Charles IX was composed around 1674 (391), and that puts it in proximity to Les Anecdotes de Florence with its preoccupation with unpublished materials. By contrast, the Histoire de Henri Second was written and published after the success of La Princesse de Clèves (1678), and that is probably one of the reasons why Varillas began to speak of ‘eulogies’ instead of ‘manuscripts’ and felt a need to justify their position in the text. He was addressing an audience whose tastes were shaped by the novel. The spectacular dismissal of “tous les Historiens Grecs, Romains, François, Italiens, Espagnols, Allemands & Anglois qui m’ont précédé” (“Henri Second” A3 v ) points to another aspect of Varillas’ position vis-à-vis his audience. As a history writer he seeks to ally himself not with the erudite but with the reader who belongs to polite society. Thus, when he deals with contradictory evidence he always gives preference to the testimony of a ‘honnête homme’ over the professional (and therefore interested or pedantic) point of view. For example, in the Histoire de François Premier the reader is presented with the following dilemma: Cette expedition fut la derniere de Maximilien Premier dans le Milanez. On l’a tirée des Memoires d’un Gentil-homme de Bourbonnois qui s’y trouva; & le Lecteur jugera s’il est plus digne de creance que les deux plus fameux Historiens d’Italie, Guichardin, & Paul Jove, qui en ont deguisé les principales circonstances, pour attribuer toute la gloire à des Italiens, Guichardin à André Gritti & à Marc Trevisan Provediteurs de l’armée de Venise & Paul Jove au Marechal Trivulce. (115) Strictly speaking, Varillas’ procedure corresponds to the basic historiographical rule: firsthand observations must have precedence over secondhand accounts. But it is highly significant that he casts it in the terms reminiscent of noblemen’s attitude towards professional circles. The audience - an imaginary community of honnêtes gens - becomes Varillas’ ally against the pedantic cabal. Even in those cases where the reader is not invited to participate in the historian’s decision-making, the latter’s tactics are defined by the standards of bon sens - and not by that of professional competence. A striking instance of this can be seen in the same Histoire de François Premier. After relating the events of the Marignan battle, Varillas pauses to consider why the king was knighted by Bayard and not by someone else. He enumerates different reasons usually advanced by other historians: Bayard was the most valiant of all French noblemen, the most experienced one, and his election was sup- <?page no="172"?> Maria Neklyudova 172 posed to calm down the ambitions of the grandees. Each of these statements Varillas carefully refutes and in the end comes up with his own: the king simply liked and respected Bayard: “Il ne consulta que son inclination & son estime, qui penchant toutes deux du côté de Bayard, le firent préferer aux autres” (“François Premier” 81). In other words, Varillas interprets the king’s choice not as a political action but as a natural reaction of an honnête homme. That is why the royal preference of Bayard remains obscure for professional historians and is immediately transparent to other honnêtes gens. Varillas’ methods of analysis point towards another possible explanation of his notoriously rough treatment of historical matters. In A Social History of Truth (1994) Steven Shapin offered a hypothesis that “the practice known as English experimental philosophy… emerged partly through the purposeful relocation of the conventions, codes, and values of gentlemanly conversation into the domain of natural philosophy” (xvii). He demonstrated that the rules of politeness prompted by the civility books had a close affinity with the principles of integrity and mutual trust that made possible the development of experimental science. Although some parts of this argument have been severely criticized (Shapiro 75-76), I think that in general it holds true and is relevant for the French situation. Indeed, Varillas’ negligence might have been an imitation of the nonchalance of an honnête homme, and his vagueness about the provenance of his materials - just a way to fend off the suspicion of pedantry. As he says in the Histoire de François Premier, “si mon Lecteur est raisonable, il se doit contenter de la peine que j’ay prise d’en faire des extraits, & de luy rapporter ce qu’elles [les pièces originales] contiennent de meilleur, sans m’obliger de plus à lui en garantir l’exactitude” (õ4 v - ũ 1 r ). This strange reluctance to discuss the authenticity of documents assumes another dimension if compared to the recommendation of Antoine de Courtin to refrain from correcting mistakes made by respectable people: “il n’est pas permis de redresser [une] personne, quand meme en parlant elle s’abuseroit, car c’est une espece de démenti” (62). No doubt Varillas’ position was only partially defined by the ideals of civility. As we have seen, he did not hesitate to give the lie to Italian historians when addressing a really sensitive topic (the Marignian battle). But then the situation resembled a contention among colleagues where he followed the conventions of scholarly debate and did not mince his words. More often he adopted the attitude of impartiality or polite indifference, thus simultaneously negotiating with both of his potential audiences. He would take a single event and present it in a variety of different accounts without declaring any of them true or false. For instance, in Histoire de Louis XII (1688) he listed three conflicting versions of Savonarola’s ordeal, thus creating a real epistemological impasse: <?page no="173"?> 173 Historian’s Uncertainties Jusqu’ici toutes les relations conviennent assez; mais elles sont si differentes & mêmes si contraires dans ce qui suit, qu’il n’est possible ni de les ajuster ni de découvrir la verité. Celles qui sont favorables à Savonarolle soûtiennent que ce Religieux souffrit dans sa prison des tourmens qui ne peuvent s’exprimer, & que ses adversaires assouvirent toute leur rage sur sa personne. Que sa constance n’en fut point alterée; & que comme les tortures les plus cruelles ne pûrent arracher de sa bouche l’aveu des crimes supposez qu’on luy pretendoit imputer, on s’ingera de faire de faux actes … Celles des ennemis secrets & declarez de ce Religieux, portent qu’il avoit vêcu dans son Monastere fort à son aise; & qu’il n’eut pas plûtôt ressenti les incommoditez de la prison, qu’il avoüa plus de faits qu’il n’en falloit pour le condamner à la mort … Enfin on trouve dans les relations de ceux qui ne veulent paroître ni amis ni ennemis de Savonarolle … que Savonarolle étoit veritablement homme de bien: mais que la nature luy avoit donné une si prodigeuse delicatesse de temperament, que la seule montre des instrumens de la question luy fit avoüer, quoy que contre la verité & contre sa conscience, qu’il avoit fait passer de pures imaginations pour autant de veritez que Dieu luy avoit revelées. (6-7) This accumulation of testimonies is reminiscent of the old practice of commentary when a scholar would “set out two alternative solutions of a given problem without choosing between them - a maddening habit which had characterized the classroom lecture since the Hellenistic period” (Grafton 54). It became obsolete by the second half of the fifteenth century even before Angelo Poliziano’s reform. As usual, Varillas does not cite his sources and the non-erudite public could not know whose points of view are recapitulated here. The pseudo-dialectical structure of argument (two opposing theses and the one that transcends the opposition) creates the impression of impartiality, while at the same time pushing the reader towards the third version of events (characteristically, only there Savonarola is designated as an homme de bien). At the same time, for the professional audience these recapitulations are interpretations pregnant with possibilities of fraud. In other words, Varillas’ procedures are double-edged: his mundane readers are entertained with a show of objectivity and good manners, and the professional squabble remains concealed beneath the surface. Varillas’ presentation of Savonarola’s case is also a good specimen of his approach to the much-discussed problem of the inherent uncertainty of history. Although he acknowledges that in some instances “il n’est possible … de découvrir la verité,” it does not lead him to the Pyrrhonism. In the absence of decisive evidence he turns to conjectures. Again, this is a normal historiographical practice but Varillas takes it to the limit. For example, in Histoire de Henri Second he discusses why Diane de Poitiers did not take <?page no="174"?> Maria Neklyudova 174 revenge on the Duchesse d’Estampes who persecuted her during the reign of François I, and arrives at the following conclusion: la vertu ou peut être un ressentiment d’ambition produisit l’effet que la pitié ne s’étoit point mise en devoir d’attirer. La Senéchale trouva dans elle-même des motifs suffisants pour pardonner à la Duchesse, soit qu’elle agît par une inspiration purement Chrêtienne, soit que sa haine eût dégéneré en mépris, aussi-tôt qu’elle avoit vû la Duchesse hors d’étât de lui nuire, & que ce mépris eût passé jusqu’à la juger indigne de sa colere; ou qu’enfin la crainte de tomber à son tour dans le même abandonnement, ou l’esperance d’être alors traitée de la même maniere qu’elle auroit traitté la Duchesse, lui fit sacrifier son inclination à un interêt prétendu, qui tout éloigné qu’il paroissoit, ne laissoit pas d’être possible. On peut ajoüter si l’on veut, que le pouvoir de maltraiter impunément & à son aise la Duchesse d’Estampes, en ôta l’envie à la Senéchale, & que celle-ci dedaigna de profiter d’un avantage où elle n’avoit rien contribuée. (33) All these psychological conjectures equally belong to the domain of vraisemblable and Varillas does not pretend to pass them off as solid facts. Instead of giving a single plausible explanation he comes up with half-a-dozen: their sheer number creates a semblance of objectivity and makes them more believable than a single hypothesis. His response to the problem of uncertainty involves generating the maximum of possibilities that would compensate for the deficiencies of the sources. Using Voltaire’s opposition ‘agréable/ exact’ we can say that Varillas is inexact on principle. In the final analysis, both models of history writing offered by Varillas were informed by his practical and professional concerns. Working in the Royal Library he fashioned himself as a ‘writer of anecdotes.’ After the banishment from the library he switched to the public history intended for the audience of honnêtes gens. It is highly significant that in both cases he felt the need to come up with a new kind of professional profile. This reaction can be considered as another aspect of the late seventeenth-century “crisis of historical consciousness” (Burke 4). Unlike some of his colleagues Varillas was ready to reconcile with the uncertainty of historical knowledge and even to make it into a structural element of his writing. But he could not completely identify himself with existing institutional forms (the royal historiographer, sub-librarian and so on) that did not reflect all the complexity of his position vis-à-vis the erudite circles and the growing audience of ‘sensible readers.’ Works Cited Bayle, Pierre. Œuvres diverses. Vol. 1. La Haye: Compagnie des libraires, 1737. Burke, Peter. “Two Crises of Historical Consciousness.” Storia della Storiografia 33 (1998): 3-16. <?page no="175"?> 175 Historian’s Uncertainties Burnet, Gilbert. Reflections on Mr. Varillas’s History of the Revolutions that have happen’d in Europe in matters of Religion. Amsterdam: P. Savouret, 1686. Courtin, Antoine de. Nouveau traité de la civilité qui se pratique en France parmi les honnestes gens. Paris: L. Josse et C. Robustel, 1728. Daniel, Gabriel. Histoire de France depuis l’etablissement de la monarchie françoise dans les Gaules. Vol. 1. Paris: D. Mariette, 1722. Grafton, Anthony. Defenders of the Text: The Traditions of Scholarships in an Age of Science, 1450-1800. Cambridge, MA: Harvard UP, 1991. La Mothe le Vayer, François de. Œuvres de François de La Mothe Le Vayer. Vol. 5.2. Dresde: M. Groell, 1757. Naudé, Gabriel. La bibliographie politique: contenant les livres et la methode necessaire à étudier la Politique. Paris: Vve de G. Pelé, 1642. Shapin, Steven. 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Voltaire. Œuvres historiques. Ed. René Pomeau. Paris: Gallimard, 1957. <?page no="177"?> Biblio 17, 194 (2011) Discordances narratives et vérité dans les Mémoires du cardinal de Retz et dans les Mémoires du duc de Saint-Simon M ARC H ERSANT Université de Bordeaux III Les Mémoires du Saint-Simon et, dans une moindre mesure, ceux du cardinal de Retz, se caractérisent par une frappante hétérogénéité de leur matière narrative et par une juxtaposition presque incohérente de styles narratifs différents. La proximité de certaines de ces formes avec les modèles fournis par la fiction narrative a pu paraître justifier des lectures critiques interprétant globalement les deux œuvres comme des quasi-romans. Dans le cas de Retz, cette tendance fictionnalisante affleure dans l’étude d’André Bertière, trouve son expression la plus classique dans un célèbre article de Gaëtan Picon parlant d’une œuvre “sur le chemin du roman” (26) et triomphe dans l’approche de Myriam Tsimbidy. Dans celui de Saint-Simon, l’assimilation des Mémoires à un roman, déjà présente dans le vieil ouvrage d’André Le Breton comparant systématiquement les Mémoires à la Comédie Humaine, souvent suggérée par Yves Coirault dans son Optique de Saint-Simon, devient un leitmotiv critique particulièrement envahissant chez Philippe Jousset tout en constituant à l’occasion l’arrière-plan plus discret de plusieurs massifs importants de la recherche récente. Mais l’idée que ces œuvres d’histoire obsédées de vérité, et qui ne cessent de proclamer fébrilement, leur véracité, seraient en réalité des fabrications littéraires, des espèces de romans, s’appuie forcément sur les parties de ces œuvres qui flattent la perspective adoptée et laisse au contraire dans l’ombre du commentaire les éléments de la mosaïque narrative les plus difficilement digestes dans une esthétique romanesque. Alors que le récit de la disgrâce de la princesse des Ursins chez Saint-Simon, particulièrement spectaculaire et truffé d’indices apparemment fictionnels comme la transparence intérieure, a été régulièrement choisi pour justifier et soutenir des lectures de ce type, les parties d’enquête généalogique ou de récits de cérémonies, beaucoup plus austères, ont été, dans les analyses critiques concernées, laissées dans l’ombre. De même, les critiques qui ont tiré <?page no="178"?> Marc Hersant 178 résolument Retz vers le roman n’ont pas insisté, dans leur démonstration, sur les pages parfois austères de quasi-copie du Journal du Parlement et plus généralement sur les passages où Retz éprouve moins le désir d’émerveiller son lecteur par ses prouesses verbales et son talent de conteur que celui de l’informer aussi sobrement que possible, et parfois, disons-le, de manière franchement plate. Or, l’interprétation globale de ces œuvres hybrides ne saurait se faire par une sélection arbitraire de ce qui flatte le plus tel a priori critique. C’est en ne sacrifiant aucune de leurs facettes qu’on peut être amené à remettre en question, non seulement le bien-fondé de la métaphore romanesque, mais aussi et plus radicalement leur appartenance à la “littérature.” Cela tient à ce que nos auteurs ne sont pas liés à leur lecteur par un pacte esthétique, mais par un pacte de vérité, le souci de vérité justifiant l’indifférence stylistique, le va et vient constant entre une prose séductrice et des moments presque rebutants. L’accomplissement artistique, du moins ce que nous envisageons comme tel, occasionnel et comme aléatoire, ne saurait rendre compte de ces œuvres dans leur globalité. On commencera par Retz, non parce que son œuvre est chronologiquement antérieure, mais parce que cette disparité, très importante, est toutefois nettement moins spectaculaire que chez Saint-Simon: cela tient évidemment à la place beaucoup plus forte du “Je” comme foyer essentiel de la configuration narrative. Alors que les Mémoires de Saint-Simon éclatent en des milliers de récits juxtaposés, ceux de Retz se rapprochent beaucoup plus du modèle d’un récit continu relativement cohérent, celui d’une autobiographie à dominante politique. Commençant par un récit de sa jeunesse dont des parties importantes ont été perdues et qui touche à l’occasion à des aspects de son existence privée, l’œuvre met donc beaucoup plus systématiquement le “personnage” de son auteur sur le devant de la scène. Le grand récit de la Journée des barricades, précédé d’un passage important centré sur la décision de l’auteur de s’engager dans la Fronde, montre que le récit historique est ici sous orbite de l’autobiographie, l’histoire générale étant présentée comme une expansion “monstrueuse” de l’histoire personnelle et l’explosion de colère du peuple parisien apparaissant comme l’extériorisation de la violence vengeresse du coadjuteur. Cependant, et malgré leur centration sur un “moi” prestigieux et encombrant, les Mémoires sont très loin d’avoir la belle unité formelle de nombreuses autobiographies modernes conçues comme des œuvres d’art. Certaines pages d’anthologie peuvent faire illusion, sans pour autant convaincre qu’elles sont des clés pour l’interprétation de l’œuvre dans sa totalité. On citera la célèbre galerie de portraits ou, à un niveau de jubilation rhétorique moins affirmé, le grand parallèle entre Richelieu et Mazarin. Dans ces pages, l’énonciateur semble penser son public comme celui d’un salon qu’il faudrait éblouir par une succession virtuose de “trouvailles” sty- <?page no="179"?> 179 Discordances narratives et vérité listiques, par un feu d’artifices d’effets. La volonté de séduire et de persuader par une spectaculaire machinerie rhétorique saute aux yeux. Sur le plan strictement narratif, on peut être frappé par le déséquilibre entre la virtuosité des petites unités, et plus particulièrement des anecdotes comme la célèbre histoire de capucins et des parties très longuement centrées sur Retz lui-même comme le récit de sa prison et de son évasion, et les disproportions, pour ne pas dire le franc déséquilibre, de la narration dans son ensemble. On se souvient que Retz s’excuse auprès de sa destinataire, au début de son œuvre, du “peu d’art … dans [sa] narration” (275), et si c’est à propos de l’œuvre dans sa globalité et non à propos de quelques-unes de ses parties particulièrement soignées de ce point de vue et qui semblent avoir une véritable autonomie narrative, que l’on examine ce jugement, on le trouvera parfaitement justifié. On peut même soupçonner, dans le cas des anecdotes les plus réussies, que c’est parce que Retz les avait rabâchées à l’oral dans ses brillantes conversations qu’elles atteignent spontanément à un tel degré de raffinement. D’une manière générale, la réussite “littéraire” des parties de portraits, d’anecdotes et de maximes porte sans doute en mémoire cette pratique de la conversation dont Marc Fumaroli 1 a certes justement montré qu’elle donne son impulsion à l’œuvre entière, mais dont on peut penser malgré tout qu’elle est très loin de pouvoir effectivement rendre compte stylistiquement de la totalité de l’œuvre. Mais à côté de toutes ces pages d’anthologie, elles-mêmes passablement hétéroclites, les pages recopiées ou “peu inspirées,” parce que la volonté informative prend purement et simplement le dessus sur tout souci de séduire, sont assez nombreuses, parfois proches formellement de la sécheresse d’une gazette ou d’un compte-rendu officiel, et il sera vraiment difficile de les récupérer en faisant de leur platitude un élément parmi d’autres d’une esthétique de la variété. Très souvent, une simple addition d’énoncés factuels semble même prendre le pas sur une véritable narration configurée en intrigue. Dans certains cas, Retz répète plusieurs fois de suite dans le même style rebutant des événements comparables parce qu’il est enlisé dans une documentation dont il ne tente même pas de faire la synthèse. On peut toujours prétendre que ces corvées de copiste que Retz s’est infligées et qu’il nous fait subir ne sont pas dignes de l’œuvre, mais il serait aberrant de soutenir qu’elles n’en font pas partie et qu’elles n’interrogent pas la représentation que nous en avons. La coexistence des pages d’anthologie et des déserts informatifs doit au contraire apparaître comme un signe majeur s’il est question du statut à attribuer à l’œuvre et d’une tentative d’évaluation - au demeurant très difficile - de ses enjeux. 1 “Retz, des Mémoires en forme de conversation galante,” 247-281. <?page no="180"?> Marc Hersant 180 Chez Saint-Simon, le potentiel de discordance formelle que nous avons vu contenu chez Retz par la dimension plus nettement autobiographique de l’œuvre se révèle totalement, et produit le patchwork stylistique le plus extravagant, sans doute, de ce que nous appelons la “littérature française.” Cela tient en premier lieu à la place infiniment moins soutenue du moi comme personnage dans la cohérence narrative de l’œuvre. Les Mémoires de Saint-Simon peuvent bien commencer par la date de naissance de l’auteur, ils n’en sont en aucun cas l’autobiographie. Ou plutôt, des fragments d’autobiographie politique coexistent avec d’innombrables récits où le personnage de Saint-Simon a totalement disparu et dont les centres unifiants sont des personnages à la troisième personne. Certaines parties très célèbres et très longues de l’œuvre comme le grand récit du Lit de Justice ou la très longue partie des Mémoires consacrée à l’ambassade d’Espagne peuvent faire un peu oublier cette disparité essentielle de l’œuvre, mais, travaillant de manière systématique dans ma thèse sur l’organisation de l’année 1703, j’ai identifié une grosse quarantaine d’unités narratives juxtaposées (759-62) et constaté qu’une seule d’entre elles, la fameuse affaire de la “quête,” a Saint-Simon pour principal personnage et apparaît donc comme un récit à la première personne. Cette année, relativement représentative des premiers volumes de la chronique, comporte donc en tout et pour tout une dizaine de pages “autobiographiques” au sens large sur les 130 pages de l’édition Coirault. Cette place éclatée de la première personne dans l’œuvre tient au fait que les Mémoires de Saint-Simon ne sont plus du tout, contrairement à ceux de Retz, un récit unitaire, mais une juxtaposition sérielle presque infinie de récits pluriels, revêtant les formats les plus divers (de quelques lignes aux proportions d’un petit roman), mais aussi les atours stylistiques les plus extraordinairement différents, du chatoiement festif des plus belles anecdotes au minimalisme informatif de certains récits de cérémonies, de l’extraordinaire densité concrète des grandes scènes, comme celle du Lit de Justice, à une platitude digne des pires gazettes ou de ce Journal de Dangeau officiellement si méprisé par Saint-Simon. L’œuvre, d’une certaine manière, fait la synthèse de tous les grands modèles narratifs ayant ailleurs une espèce d’unité, sans se préoccuper de cohérence stylistique: les aventures de la comtesse de Verue sont écrites dans un format et dans un style qui font irrésistiblement penser à ceux de la nouvelle historique à la mode du siècle précédent. Les anecdotes les plus significatives naviguent entre le style de la grande anecdote de cour et l’atmosphère plus “populaire” du fabliau ou du conte de fées. Quelques passages très souvent cités comme l’évocation des colères homériques du cardinal de Bouillon peuvent faire effectivement penser par certains traits à une prose romanesque qu’on situera quelque part entre le modèle de La princesse de Clèves et celui de Cleveland. Mais les grandes <?page no="181"?> 181 Discordances narratives et vérité scènes à la première personne comme le spectacle de Versailles à la mort du Grand Dauphin ou le Lit de Justice de 1718 ne me semblent avoir aucun modèle dans les littératures du temps et il faudrait plutôt chercher du côté de la peinture, et notamment de Rembrandt, une source d’inspiration, avant d’en trouver des équivalents - ou, pour mieux dire, des héritiers - littéraires chez Balzac, ou surtout chez Proust. A côté de ces pages qui figurent parmi les plus séduisantes de l’œuvre, d’autres moules narratifs ne doivent que très peu ou rien à des modèles littéraires: c’est le cas du grand récit de voyage de l’ambassade d’Espagne, qui doit à la fois à la mode des récits “pré-touristiques” de l’époque classique et au modèle des grandes synthèses diplomatiques, comme la Relation de la cour de France de Spanheim. Les récits militaires, très importants quantitativement dans l’œuvre doivent tout à une grande tradition historiographique et “mémoriale” jalonnée notamment par les noms de César, de Monluc ou de Feuquières. Les récits de cérémonie imitent le style très codifié des gazettes, que Saint-Simon copie d’ailleurs à l’occasion, et restent à la surface des événements, sauf lorsque l’auteur, choqué par un détail d’étiquette, rappelle brutalement que des passions brûlantes couvent sous la platitude apparente de ces espèces de comptes-rendus. Il est impossible de prétendre faire un relevé exhaustif des styles narratifs des Mémoires, les catégories n’étant d’ailleurs évidemment pas étanches, mais on signalera aussi l’austérité de certaines des digressions généalogiques de l’œuvre, qui mettent au supplice un horizon d’attente purement “littéraire.” Il n’est pas rare que le lecteur le plus passionné de Saint-Simon faiblisse dans sa confrontation à ces éprouvants déserts que l’auteur n’a pourtant pas écrits avec moins de passion et de conviction que les pages qui flattent le plus nos attentes esthétisantes et les interprétations fictionnalisantes de l’œuvre. Mais encore une fois, peut-on rendre compte d’une œuvre en éclairant certaines de ses parties et en laissant le reste dans l’ombre sous prétexte que ce reste ne flatte ni l’interprétation proposée ni le principe de plaisir? Le caractère formellement hétéroclite des Mémoires de Retz et surtout des Mémoires de Saint-Simon est d’autant plus remarquable qu’on ne le retrouve, à ce degré de netteté, ni dans la prose romanesque de l’époque classique, ni dans les écrits historiques les plus nettement dominés par une représentation rhétorique de l’histoire ni dans l’histoire “philosophique.” Si le roman est par essence “dialogique,” la fusion des éléments discursifs qu’il met en rapport est infiniment plus aboutie, aussi bien dans la nouvelle historique que dans les romans à la première personne du XVIII e siècle. Le roman, par ailleurs, ne peut pas se permettre de renoncer à plaire et ne saurait donc s’autoriser les déserts que nous avons observés chez Retz et Saint-Simon: si ces derniers sacrifient fréquemment le plaisir narratif à la clarté informative, ce sacrifice n’aurait strictement aucun sens pour un faiseur de romans. Dans <?page no="182"?> Marc Hersant 182 le modèle historiographique rhétorique, le double souci de plaire et de dispenser une instruction morale suscite pour des raisons en fait assez comparables des œuvres stylistiquement plus homogènes. En outre, la mosaïque narrative et stylistique des Mémoires de Retz et de Saint-Simon n’affecte que beaucoup plus modérément les mémorialistes les plus nettement orientés vers le modèle autobiographique comme Campion, ou vers le modèle du pur témoignage comme Madame de Caylus. Et l’autobiographie rousseauiste proposera une prose à l’unité encore plus prononcée qui s’affirmera dans son héritage romantique et dans l’invention d’une écriture du moi comme œuvre d’art dont le véritable initiateur est sans doute Chateaubriand. Ce sont les mémorialistes qui affirment le plus orgueilleusement l’ambition historique de leur œuvre et font du genre des Mémoires un rival aristocratique des différents courants historiographiques de l’Ancien Régime, Retz et plus encore Saint-Simon, qui présentent de la manière la plus remarquable les traits qui nous retiennent ici. Il semblerait qu’avant de se dissocier totalement des formes littéraires et de s’émanciper dans une écriture scientifique, l’histoire ait rencontré au XVII e et au XVIII e siècles un des ses possibles formels majeurs, la coprésence dans l’œuvre de tous les modèles narratifs sociaux, avant de se trouver, peut-être momentanément, un espace stylistique propre, celui de la prose scientifique et universitaire, ou de se dissoudre dans les clichés purement romanesques du roman historique et de l’histoire romancée. Dans cette optique, les éléments les plus proches de la prose romanesque, loin de justifier une lecture romanesque de Retz et de Saint-Simon, participeraient d’une diversité formelle caractéristique de ces projets historiographiques en tant que tels. Plutôt que de traiter cette diversité à travers une interrogation de type esthétique, il me semble donc nécessaire de la confronter à la vraie préoccupation de nos deux auteurs, proclamée avec une fougue extrême chez un Retz pourtant largement dépassé en ce genre par le ressassement proprement incantatoire de Saint-Simon: cette préoccupation n’est pas l’élaboration d’une œuvre d’art, mais d’une œuvre de vérité. Ce mot peut nous fait sourire, car nous ne partageons pas les conceptions de la vérité qui s’expriment dans ces illustres fleurons de la prose de la plus haute aristocratie française de l’Ancien Régime, et les historiens positivistes et néo positivistes ont si profondément démoli le travail d’historien de Retz et de Saint-Simon à partir d’autres conceptions de la vérité qu’il est difficile, mais pas impossible, de reprendre le dossier en envisageant les choses de l’intérieur, à partir des représentations de nos deux auteurs. Saint-Simon, si souvent accusé d’être un menteur, présente d’ailleurs Retz, objet de la même accusation, comme un modèle absolu de vérité (“Ecrits” 74), et insiste de manière si obsessionnelle sur sa propre vérité qu’il est difficile de mettre cela sur le compte d’une routine rhétorique <?page no="183"?> 183 Discordances narratives et vérité et de la constitution de pure forme d’un ethos d’historien crédible. La vérité n’est pas pour Retz et Saint-Simon avant tout une adéquation du discours au référent historique, mais en premier lieu une adéquation du discours au sang et à l’origine “noble” de l’énonciateur, une fidélité aux exigences d’une naissance. Il faut donc insister ici sur les rapports entretenus entre les formes narratives dont nous avons observé la coexistence dans nos deux œuvres et ce souci de vérité. L’œuvre de Retz permet une première approche de ce rapport que celle de Saint-Simon éclaircira pleinement. Nous avons déjà observé dans son œuvre des moments festifs où l’auteur sacrifie au désir de plaire et de faire valoir ses talents de conteur ou d’orateur, à côté de parties où la sobriété peut confiner à la sécheresse. L’auteur, par exemple, prétend écrire la célèbre galerie pour flatter le goût de sa mystérieuse destinataire pour les portraits (Retz 401). Et c’est dans une logique comparable qu’il déploie tous les sortilèges de la narration brève dans les anecdotes les plus brillantes. Nous sommes ici plus près d’une zone énonciative où la parole est détendue parce que la question de la vérité, qui n’est pas pour autant complètement éliminée, a cédé la place principale à la séduction. Le modèle social de référence de cette parole est celui de la conversation du grand monde, mais il n’apparaît pas comme le repère unique de la prose de Retz, qui va souvent chercher ses modèles dans des traditions historiographiques plus austères. Le séducteur des pages les plus représentatives de la veine conversationnelle laisse parfois la place un chroniqueur presque routinier quand ce n’est pas à un style parlementaire dont on a vu l’origine. Il est évident que si nous avons alors le sentiment d’avoir affaire à des parties de l’œuvre plus sérieuses d’un point de vue historiographique, c’est parce que le rapport à la vérité s’est modifié: loin d’être l’arrière-plan discret d’une parole essentiellement séductrice, elle est désormais la principale justification d’un récit qui peut pour cette raison même se permettre d’être moins séduisant. Ce sont donc moins des genres, au sens formel, que des pratiques sociales de la parole que l’œuvre fait coexister. La volonté de se rapprocher du ton d’une conversation de haut vol amène spontanément l’œuvre vers les “genres” de l’anecdote ou du portrait, alors que le désir inverse de se draper d’un sérieux d’historien la rapproche de modèles d’écriture savante ou institutionnelle. La place fluctuante mais jamais absente de la vérité dans le discours suscite des formes différentes, et l’œuvre déploie sa variété formelle dans cette dynamique fascinante qui fait que, selon les moments, la question de la vérité se présente de manière plus ou moins tendue. Au niveau narratif, plus la situation énonciative de référence se rapproche de celle du conteur archétypal, détendue parce que la question de la vérité est éliminée, plus le texte se rapproche des formes fictionnelles de référence, sans toutefois jamais se confondre avec elles. Je n’ai pas la possibilité de traiter ici dans le détail <?page no="184"?> Marc Hersant 184 ce dernier point particulièrement important mais il y a toujours des scories stylistiques dans l’écriture factuelle la plus séduisante qui empêchent de la penser totalement à travers les formes plus “rondes” de la fiction narrative. Chez Saint-Simon, le même phénomène suscite une des œuvres les plus étonnamment composites qui soient, chacune des principales formes narratives qui coexistent dans l’œuvre relevant d’un rapport spécifique à la vérité, sur une échelle de tension qui va de la légèreté la plus souriante à la crispation la plus extrême, en passant par des moments de repli dans la façade d’une pure objectivité. Création beaucoup plus solitaire et globalement beaucoup plus sombre que celle de Retz, l’œuvre de Saint-Simon semble avoir en permanence besoin du fantôme de situations d’énonciation sociales à partir desquelles elle peut dérouler son immensité textuelle sans destinataire effectif. Ainsi le Saint-Simon potinier si célèbre pour sa veine anecdotique et qui conclut par exemple la fameuse série d’anecdotes sur la princesse d’Harcourt par un emblématique “Reprenons le sérieux” (“Mémoires” 2: 275) semble-t-il momentanément se représenter son lecteur comme un courtisan savourant un mot d’esprit. Dans les parties “touristiques” de l’ambassade d’Espagne, le modèle implicite est le Français que le voyageur “épate” par sa connaissance d’univers étrangers inconnus de son destinataire. C’est en revanche au fantôme d’un destinataire savant et même franchement érudit que Saint-Simon s’adresse dans ses longues divagations généalogiques, souterrainement tendues jusqu’à l’explosion par leur caractère démonstratif. Les pics de violence sont sans doute atteints quand le modèle de référence de la parole saint-simonienne est celle d’un tribunal humain ou à l’occasion céleste, Saint-Simon, à l’instar d’un Dante, envoyant sans demander son avis à Dieu en enfer ou au paradis tel ou tel de ses contemporains. Dans les récits de cérémonie, la détente relative des textes s’explique souvent par la coïncidence entre le fait et la loi “sacrée” de référence, Saint-Simon explosant quand ce rapport est brisé, comme pour le sacre de Louis XV. Il est impossible de présenter de manière détaillée le rapport entretenu par chacune des formes narratives figurant dans les Mémoires à la question de la vérité, mais les ruptures de ton et de style stupéfiantes de l’œuvre semblent bien à mettre sur le compte d’un degré de tension en rapport avec chacun des modèles de parole sociale de référence. Ainsi les Mémoires, qui ont l’audace et l’appétit de vouloir rendre compte de la totalité d’un monde en termes de représentation, au point de faire surgir des milliers de personnages, semblent vouloir en faire également la synthèse sur le plan de l’énonciation, en croisant tous les types de parole sociale. La discordance stylistique résulte donc d’un projet de concorde historiographique et la cohabitation de formes très proches de la fiction narrative et de formes au contraire totalement étrangères aux modèles fictionnels ne permet en aucun cas le raccourci critique qui assimile l’œuvre à un roman. <?page no="185"?> 185 Discordances narratives et vérité Au XVII e et au XVIII e siècle, l’histoire, si l’on peut dire, se cherche un style, par l’effort qu’elle fait de plus en plus consciemment pour se démarquer des modèles rhétoriques. Chez un Voltaire, cela donne un travail d’épuration soutenu pendant quarante ans qui produit en fin de parcours une prose d’une remarquable dignité factuelle, même si la flamme argumentative tapie sous cette belle sobriété n’arrive jamais à se faire oublier. Cette perspective, soutenue par une tradition historiographique qui a, au moins depuis Lucien, demandé à l’historien de renoncer aux excès de fioriture, a un lien évident avec les choix décisifs qui seront faits au siècle suivant sur ce que doit être une écriture de l’histoire à prétention objective. Chez Retz et Saint-Simon au contraire, la recherche inquiète d’une “manière d’écrire l’histoire” suscite un éclatement formel qu’on peut dire, chez le duc et pair, sans précédent et sans postérité. C’est donc en les considérant non comme des œuvres littéraires mais comme de très grandes entreprises historiographiques aussi radicalement étrangères à la science qu’à la littérature qui se déchireront l’histoire au siècle suivant, qu’on peut interroger non pas le style unique, mais les styles si formidablement discordants de ces œuvres au pouvoir de fascination intact. Bibliographie Bertière, André. Le cardinal de Retz mémorialiste. Paris: Klincksieck, 1977. Coirault, Yves. L’optique de Saint-Simon: essai sur les formes de son imagination et de sa sensibilité d’après les “Mémoires.” Paris: Armand Colin, 1965. Fumaroli, Marc. “Retz, des Mémoires en forme de conversation galante,” La Diplomatie de l’esprit, Paris: Herman, 1944. Garidel, Delphine de. Poétique de Saint-Simon: cours et détours du récit historique dans Les Mémoires. Paris: H. Champion, 2005. Hersant, Marc. Le discours de vérité dans les Mémoires du duc de Saint-Simon. Paris: H. Champion, 2009. Jousset, Philippe. La passion selon Saint-Simon. Grenoble: ELLUG, 2002. Le Breton, André. La ‘Comédie Humaine’ du duc de Saint-Simon. Paris: Société française d’imprimerie et de librairie, 1914. Picon, Gaëtan. “Présentation de Retz.” Confluences 33 (Juillet 1944): 19-33. Retz, Jean-François Paul de Gondi. Mémoires, précédés de La Conjuration du Comte de Fiesque. Éd. S. Bertière. Paris: La Pochothèque-Classiques Garnier, 1998. Saint-Simon, Louis de Rouvroy, duc de. Ecrits inédits de Saint-Simon: publiés sur les manuscrits conservés au dépot des affaires étrangères. Éd. P. Faugère. Vol. 6. Paris: Hachette, 1880-1893. -. Mémoires. Éd. Y. Coirault. 8 vols. Paris: Gallimard, 1983-88. Tsimbidy, Myriam. Le cardinal de Retz polémiste. Saint-Etienne: Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2005. <?page no="187"?> Pratiques scéniques <?page no="189"?> Biblio 17, 194 (2011) “Cet accord des choses opposées qu’ils appellent harmonie”: conditions scénographiques d’un théâtre-emblème à l’âge baroque A NNE S URGERS Université Caen Basse Normandie Parce qu’en France le théâtre baroque a été jugé a posteriori comme irrégulier, on l’a longtemps considéré comme discordant et dissonant, rien de plus. 1 Or, suivant le motif du Theatrum mundi, que résument par exemple la sentence de Shakespeare - “All the world is a stage [le monde est un théâtre]” - et son corollaire en miroir - “Het [tooneel] bootst de weereld na [le théâtre imite le monde],” motto que les Rederijkers d’Amsterdam avaient fait peindre sur l’architrave couronnant les loges de leur théâtre, le Schouwburg, inauguré en 1638 2 - le théâtre, microcosme d’un monde harmonieux, serait donc lui aussi caractérisé par la concordia discors. Pour analyser les moyens mis en œuvre afin que la représentation manifeste le lien entre microcosme et macrocosme, nous prendrons les termes concordia et discors dans l’ordre inverse de celui que proposait le titre du colloque: nous partirons de discors, cet a priori qui prévaut encore à propos du théâtre baroque quand il est jugé à l’aune de son successeur “classique”. Nous étudierons, dans un premier temps, la juxtaposition bigarrée des éléments qui composent le décor et la scénographie baroques. Nous considérerons ensuite les buts et les effets de cette bigarrure: la construction d’images et de lieux communs de mémoire, qui tendent à faire de l’assemblée un corps 1 Malgré les écueils que le mot recèle, nous emploierons ici “baroque” pour désigner un courant de pensée, dont le spectacle a été l’une des expressions privilégiées, et qui s’est développé en Europe, dans la seconde partie du XVI e siècle et les deux premiers tiers du XVII e siècle environ. 2 Bien qu’aucun document concernant le programme iconographique des salles parisiennes ne nous soit parvenu, et jusqu’à preuve du contraire, nous posons l’hypothèse que des sentences comparables ornaient des architraves ou des linteaux, à l’Hôtel de Bourgogne ou au Théâtre du Marais. Voir Surgers “Figure.” <?page no="190"?> Anne Surgers 190 commun. Enfin on verra comment le jeu des discordances (composition) et concordances (lieux communs de mémoire, réception) conduisait le spectateur-auditeur de l’écorce au noyau, du sens premier au sens moelleux, de la salle de théâtre au théâtre du Monde. Les exemples que nous avons choisis ne sont que des cas particuliers d’un système général de composition de la représentation en Europe à l’âge baroque: ce système ordonne, avec des variantes, la représentation du théâtre en France, en Angleterre, en Espagne, en Flandre, en Hollande, comme l’ensemble des images allégoriques qui, circulant en Europe grâce à l’imprimé, constituaient autant d’imagines agentes - de lieux de mémoire. Pour lire le discours silencieux de la scénographie baroque en France, nous ferons donc appel à des sources issues de champs culturels différents. La bigarrure Les “décor à compartiments” ou “décor simultané” utilisés à l’Hôtel de Bourgogne dans les années 1630 associent sur la scène des éléments hétérogènes et, a priori, discordants par rapport à une représentation en perspective unifiée. L’image, pourtant composée en perspective, ne représente pas “les choses […] ainsi qu’elles doivent paroistre à l’œil selon leur assiette, et selon la portée de nostre veuë” (Binet 443), ce qui est la règle fondatrice du système perspectif des humanistes italiens. Au contraire, divers lieux y sont juxtaposés: une chambre, un superbe palais, des rochers et un bateau, dans le cas du décor de La Folie de Clidamant (fig. 1). De plus, la composition associe plusieurs points de vue: le dessinateur utilise et assemble dans une même image ce qu’en termes de cinéma on appelle un plan rapproché (la chambre), un plan moyen (le palais) et un plan éloigné (les rochers et falaises). Dans la technique de construction en perspective du dessin et du décor, il s’agit d’un assemblage composite de divers points de distance, qui donnent une perspective ralentie, à distance courte (plan rapproché) ou accélérée, à distance longue (plan éloigné). Enfin, la perspective est construite au moyen de plusieurs points de fuite: dans les dessins du Mémoire de Mahelot (Pasquier), le point de fuite est en effet décomposé en une série de points alignés sur l’axe médian vertical du dessin (fig. 2). C’est ce que Panofsky (76 seq.) a appelé une perspective “en arête de poisson.” La construction d’ensemble ne s’accorde pas avec les règles canoniques de la perspective humaniste italienne, qui supposent un observateur immobile en un temps et en un lieu, donc un seul point de fuite, projection géométrique de l’œil du spectateur sur le plan de la représentation. Il semble y avoir une discordance entre le système perspectif choisi (une perspective linéaire centrale) et son emploi pour construire une <?page no="191"?> 191 “Cet accord des choses opposées qu’ils appellent harmonie” image, puisque l’image du décor baroque est composite, au sens que le terme a en architecture, au lieu d’être unifiée. 3 On retrouve le principe d’assemblage bigarré d’éléments hétérogènes dans l’architecture du lieu de représentation et dans sa scénographie. On rappellera tout d’abord que, dans toutes les salles parisiennes du XVII e siècle, l’assistance est répartie sur les trois côtés d’un rectangle et sur trois ou quatre niveaux (parterre, loges ou galeries et paradis). Cette répartition rectangulaire impose une diversité de points de vue: c’est l’écho, ou l’équivalent, de la diversité des points de vue qui composent le dessin du décor. Pour notre conception actuelle de la représentation, cette répartition qui évite de placer le spectateur face à la scène est une incohérence. La conception moderne du théâtre sépare la scène de la salle, dans une ordonnance clairement marquée. Cette conception nous conduit à considérer comme un assemblage confus d’éléments incompatibles le fait qu’à la différence du théâtre à l’italienne, la scénographie baroque n’assigne pas à la fiction un lieu hermétiquement séparé du public par un cadre et un “quatrième mur.” Prenons l’exemple du théâtre du Marais, en 1644: grâce à des contrats notariés conservés aux Archives Nationales à Paris, on connaît avec précision les aménagements décidés par les comédiens du Marais pour transformer un jeu de paume en théâtre (Deierkauf-Holsboer; Howe). On remarque en effet qu’il n’y avait pas de cadre de scène, pas plus au Marais qu’à l’Hôtel de Bourgogne, ou que dans les corrales et les théâtres élisabéthains. De plus, une continuité de structure entre la scène et la salle était soulignée avec force par le garde-corps du troisième étage de loges (une tribune découverte appelée “paradis”), qui était prolongé par le garde-corps du théâtre supérieur (appelé “ciel”), situé au-dessus de la scène. Ce garde-corps formait comme un ruban horizontal et ceinturait l’ensemble de la scène et de la salle, avec une interruption passagère (quelques mètres) à l’avant du plateau, pour laisser place aux châssis des compartiments (fig. 3). L’absence de frontière étanche entre scène et salle permettait en outre que des spectateurs prennent place sur les côtés du plateau. Cette pratique aurait été officialisée par Montdory lors de la première du Cid: elle est parfois encore jugée absurde. Pourtant elle convenait, tant aux acteurs qu’aux spectateurs, puisqu’elle s’est rapidement imposée dans les autres théâtres, et qu’elle a perduré plus de cent ans. Nous rappellerons enfin, sans développer ces différents points, que la bigarrure et l’assemblage de fragments divers, voire dissonants pour notre conception actuelle de la représentation, sont également présents dans la composition du public, dans le déroulement de la séance, dans les rôles joués 3 Pour une analyse plus complète des effets de la perspective dans les décors à compartiments, voir Surgers “Décors.” <?page no="192"?> Anne Surgers 192 par un même comédien et dans les textes eux-mêmes, où tous les registres sont juxtaposés, du grivois au sublime (Biet; Biet-Triau). Le décor, la scénographie, la représentation, l’assistance assemblaient donc des éléments qui nous apparaissent comme incompatibles, qui sont en tout cas hétérogènes, mais qui produisaient paradoxalement un ensemble allégorique harmonieux. “om liefde onder de borgeren te doen groeyen”: “faire fleurir la concorde civile” La disposition du public sur les trois côtés d’un rectangle est trop systématique pour être le fruit du hasard ou l’effet d’une négligence. On notera en premier lieu que cette disposition de l’assistance n’est pas au service de la réception d’une image illusionniste et vraisemblable qui abuse le spectateur, mais de l’écoute et de l’imagination. On remarquera, en deuxième lieu, que ce type de salle de théâtre est un cas particulier d’un modèle qui se décline depuis l’Antiquité, pour toute réunion, assemblée, cérémonie, où doit être constitué un corps commun: dans les basiliques, dans les églises, dans les grandes salles palatiales pour les ballets et les banquets, dans les salles des prétoires, dans les salles de corporation, etc. L’architecture et la scénographie de ces salles d’assemblée permettent que s’établissent, entre les différents participants, des échanges de regard, de gestes, ou de parole. Elles permettent aussi les déplacements ou les rencontres: tous ces éléments font partie de ce qu’aujourd’hui on appelle la “convivialité.” Le bâtiment et la salle sont agencés pour tisser des entrelacs d’échanges, entre les spectateurs d’une part, avec entre eux et les comédiens d’autre part, enfin entre les comédiens et les spectateurs. La disposition scénographique étaient l’une des conditions pour que différentes personnes, d’âge, de sexe, de rang et de condition variés soient transformées en membres d’une assistance et réunies en un corps commun et que le théâtre puisse “liefde onder de borgeren te doen groeyen”/ “faire fleurir la concorde civile,” comme le disait la devise du Corenbloem [Bleuet], l’une des chambres de rhétorique bruxelloise. On donnera deux exemples, choisis parmi tant d’autres, de cette disposition du public sur les trois côtés d’un rectangle: la gravure de la page de titre de Gafurius (fig. 4) et un emblème d’Alciat pour le “Sénat du bon Prince” (fig. 5). Ce modèle scénographique rectangulaire est employé depuis l’Antiquité chaque fois qu’un protagoniste, qu’il soit prince, maître, orateur, prédicateur ou comédien incarnant un personnage, s’adresse à des auditeurs-spectateurs que la circonstance et la scénographie constituent en assemblée, en assistance. Outre la scénographie de la salle, ce que voyait l’assistance sur le théâtre contribuait à la réception du spectacle satisfaisante pour chacun - donc pour <?page no="193"?> 193 “Cet accord des choses opposées qu’ils appellent harmonie” l’ensemble de l’assistance - selon l’âge, la condition, ou le niveau d’érudition: l’image de théâtre était en effet conçue pour être polysémique et s’appuyait sur des images de mémoire, au sens rhétorique du terme. En effet, les principes de composition du décor analysés précédemment se retrouvent, tous, dans la composition d’autres images familières aux spectateurs du théâtre: les retables, les gravures des livres d’emblèmes et d’iconologie, ou celle des almanachs (Spica). Nous invitons le lecteur à regarder quelques exemples (fig. 6 à 8) de gravures extraites de livres d’emblèmes publiés au XVI e siècle (Alciat, Théodore de Bèze, Boissard), ainsi qu’une gravure sur bois, extraite de Picta Poesis de Barthélemy Aneau (1552), figurant une apparition céleste comparable aux effets de machines apparaissant sur le “petit théâtre supérieur.” La parenté entre la composition du décor, la disposition et les gestes des personnages dans les emblèmes et, au théâtre, dans les décors à compartiments, est telle qu’on pourrait être tenté de parler de “théâtralité” des emblèmes. Ce serait supposer que le théâtre baroque est un modèle qui préexiste à l’emblématique. Plutôt que de chercher à démontrer une hypothétique prééminence du modèle théâtral, il est sans doute plus juste de poser la question autrement: la parenté de composition n’est-elle pas, plutôt, le signe d’une identité de propos? Si les dessins obéissent aux mêmes règles de composition, les desseins sont comparables. Le théâtre, comme l’emblème, associait la parole à l’image, pour construire des allégories et conduire le lecteur-auditeur-spectateur d’un sens premier, l’écorce, vers le noyau, les sens figurés, abstraits ou spirituels. Pour permettre que l’image et le texte qui l’accompagne soient polysémiques, le théâtre comme l’emblème évitent la description exhaustive, et jouent de la variété des points de vue (au sens premier) pour guider vers des points de vue (au sens figuré) variés. Ces passages ne sont possibles que si l’image n’est pas dessinée en perspective mono-focale et qu’elle ne cherche pas à abuser le regard en faisant prendre le feint pour le réel. L’image allégorique se construit en ménageant des vides, que l’imagination du spectateur est invitée à combler. C’est pour cette raison que le principal outil de l’elocutio utilisé pour composer ces images est la synecdoque. Telle que la définit Quintilien, c’est une maniere heureusement trouvée pour toucher plus fermement les esprits, et pour mieux depeindre les choses, et les faire tomber sous le sens. Elle se donne la liberté de varier sa façon de parler, donnant tantost à entendre plusieurs choses par une seule, le tout par la partie, les suites pour les avances, ou au contraire. (118) Appliqué aux arts visuels, ce trope assigne à chaque lieu et à chaque point de vue représenté a minima une partie figurant un ensemble plus vaste: le visible de l’image allégorique travaille par allusion, “raccourcis” et “abrégé” dit l’au- <?page no="194"?> Anne Surgers 194 teur anonyme du Discours à Cliton 4 , non pas par description ou ressemblance entre l’image et la vision humaine. Et c’est parce qu’elle est bigarrée que cette image peut devenir polysémique. La bigarrure et la structure discontinue ménagent des vides, offrent des points de vue et des accents différents, qui ouvrent l’accès à différentes interprétations: non seulement elles permettent la polysémie, mais elles en sont la condition. On comprend mieux, alors, les raisons d’un emploi “irrégulier” de la perspective: dans les décors de théâtre ou dans les emblèmes, elle n’est pas une fin, mais un moyen. La multiplication des points de vue, de fuite et de distance produit une juxtaposition de raccourcis, aux contours inachevés. Comme la synecdoque, cette construction fragmentée joue du manque et de l’ellipse. Elle permet au spectateur de compléter par l’imagination les vides du dessin. Dans ce type de représentations, il n’y a pas de point de vue privilégié, pas de “place du Prince,” pas de lieu idéal pour la vraisemblance de la feinte. En outre, l’usage de la perspective permet de hiérarchiser les éléments assemblés dans l’image, par exemple avec un accent mis sur les personnages protagonistes (des “plans rapprochés”). Augmenter la taille d’un personnage dans un dessin est simple. Au théâtre, il est plus difficile de jouer de la taille apparente du comédien. Les dessins du Mémoire de Mahelot et les jeux optiques qu’indiquent les aménagements demandés par les comédiens au Marais en 1644 nous permettent de déduire que les comédiens, sur la scène, paraissaient plus grands qu’ils ne l’étaient en réalité, sans invraisemblance. La perspective ralentie permettait aux comédiens de jouer jusqu’au fond du plateau: les compartiments du dernier plan (souvent le “superbe Palais”) étaient utilisés pour le jeu. Mais comme ces compartiments étaient en perspective, la diminution des proportions qu’impose cette construction magnifiait le corps de l’acteur. Sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne ou au Marais, la présence du personnage était magnifiée. Les ruses de la perspective permettaient un jeu sur l’échelle des corps comparable à celui que l’on trouve dans les tableaux ou les gravures d’emblèmes. Les parentés de composition et de fonction que nous avons soulignées, de l’emblème au théâtre, permettent de mieux comprendre que le théâtre dans 4 “C’est à l’esprit du Poëte à disposer la Scene, en telle sorte qu’il y puisse representer plusieurs actions aussi bien comme une: Et qu’on y puisse voir et discerner autant de pays separez ou contigus, voisins ou éloignez que l’argument de la pièce en pourra toucher, parcourir, ou comprendre, et tout cela dans un temps raisonnable, que le jugement de l’Autheur sçaura prescrire, estendre ou raccourcir, non suivant la naturelle dimension, mais proportionnément à icelle, ayant regard à la continence et capacité du Theatre, et la considerant comme un racourcy des lieux et des choses qu’on y veut representer, et mesme si besoin est, comme un Abbregé de tout l’Univers” (Discours à Cliton 78-79). <?page no="195"?> 195 “Cet accord des choses opposées qu’ils appellent harmonie” les jeux de paume est bien un livre d’emblème animé dont le bâtiment en serait la reliure. La représentation - ou les pages - tissent des liens grâce à une mémoire commune au poète, aux comédiens et aux spectateurs-auditeurs. Comme l’emblème gravé, l’image de théâtre ne pouvait se construire que par raccourcis juxtaposés, elle guidait l’esprit de chacun et de tous d’un sens premier vers d’autres sens et, par le jeu de l’imagination, ménageait le passage du sensible (la représentation) vers l’intelligible (la connaissance). Ces images se nourrissaient de la mémoire commune. Après la lecture ou après la représentation, les images de mémoire qui avaient permis l’invention du poème et la réception de divers niveaux de sens par l’assistance, devenaient à leur tour des lieux communs de mémoire, des imagines agentes: elles nourrissaient alors la mémoire commune. Image du macrocosme et de l’harmonie La scène baroque étant conçue et perçue “comme un Abbregé de tout l’Univers” (Discours à Cliton 79), nous proposons maintenant de lire un exemple textuel, en prenant ces outils de composition de l’image et de la mémoire comme clefs de lecture. Nous aurions pu proposer une lecture de ce type avec des pièces baroques françaises, celles d’Alexandre Hardy par exemple, Pyrame et Thysbée de Théophile de Viau, Le Roland furieux de Mairet, etc. Mais peut-être n’est-il pas inutile de relier le théâtre baroque français à ses homologues européens, ce qui contribuerait à le sortir de l’ombre que lui ont fait ses successeurs reconnus comme “classiques”? Nous prendrons donc comme exemple Romeo and Juliet de Shakespeare. Aujourd’hui, les mises en scène de Romeo and Juliet choisissent entre deux opposés, incompatibles: soit un amour romantique, désincarné, idéal et éternel. Soit une passion incarnée, dévorante, sans autre issue que la mort. Qu’en était-il à l’âge baroque? Pour entendre les mots de la langue, je propose d’écouter le langage silencieux de l’image-lieu de mémoire, en partant du motif de la porte et de la fenêtre. Dans la mémoire commune des XVI e et XVII e siècles, la porte et la fenêtre sont allégorie de l’amour, dans des registres opposés, du plus grivois au sublime ou mystique: les libertins déclinent en s’amusant le motif de la porte fermée, de la serrure, des gonds, de la clef, etc. Mais la porte et la fenêtre peuvent aussi être allégorie du mystère de l’Incarnation, de la Vierge, fenêtre orientale du Temple de Jérusalem, que seule traverse la lumière de Dieu. 5 Écoutons le texte de Shakespeare avec ces clefs de lecture. Le thème de la Porte orientale du Temple est annoncé, en 5 Voir Ancien Testament, Ezechiel, XLIV, 1-2. <?page no="196"?> Anne Surgers 196 mode mineur, dès la première scène de l’acte I, quand Benvoglio s’adressant à Mountague, dit: “Madam, an houre before the worshipt Sun/ Peer’d forth the golden window of the East…” Le motif du Temple de Jérusalem est repris, plus explicitement, dans les premières répliques qu’échangent Roméo et Juliette, au bal (I, 4): dès le premier acte, Roméo est en pèlerinage, vers la Porte orientale du Temple et Juliette le reconnaît comme tel: If I profane with my unworthiest hand, This holy shrine, the gentel sin is this, My lips two blushing Pilgrims did ready stand, To smooth that rough touch, with a tender kisse. ce à quoi Juliet répond: “Good Pilgrime,/ You do wrong your hand too much…” (I, 4, 670-75). 6 À la scène 1 de l’acte II, Roméo escalade le mur du verger et voit une lumière à la fenêtre. Le thème de la Porte orientale du Temple et de la fenêtre image de la Vierge, à la fois lieu de passage et source de la Lumière est explicitement repris par Roméo. Le jeu des images de mémoire assimile alors Juliet à une vierge, chemin de Lumière. On peut poser l’hypothèse que les images des retables ou des livres d’heures représentant les Annonciations se superposaient à ce que voyaient les spectateurs dans le présent de la représentation et venaient enrichir l’image première de sens figurés, allégoriques, quand Romeo s’étonnait: “But soft, what light trough yonder window breaks? / It is the East, and Juliet is the Sunne…” (II, 1, 795-96). 7 Juliette est bien la Porte orientale du Temple, source de la Lumière. À la fin de la scène 1 de l’acte II, Juliette, de sa fenêtre, promet à Roméo de célébrer le rite du mariage, le lendemain. Elle développe alors une variation sur le thème du pèlerinage: “And all my Fortunes at thy foote Ile lay,/ And follow thee my Lord throughout the world” (II, 2, 1001-2). À l’acte III, le motif est repris dans le vers d’adieu qu’adresse Juliette à Roméo, quand il est obligé de fuir et qu’il s’échappe par la fenêtre (III, 5). Le pèlerinage terrestre (I, 4) de Roméo est accompli, il a reçu la lumière de la Porte de l’Orient et il l’a pénétrée. L’adieu de Juliette à celui qui est devenu son mari, comme le promettait la scène 1 de l’acte II, est un vers composé de monosyllabes, à l’exclusion du mot window: “Then window let day in, and let life out…” (944). Un vers haletant, brûlant et désespéré, qui fait contrepoint à la scène 2 de l’acte II. Ce vers des adieux prend un relief particulier si on l’écoute en pensant aux significations de la fenêtre comme lieu de mémoire: le vers les contient toutes. Il accorde les discordances de la variété des registres. Un vers aux résonances multiples, où se superposent 6 Nos italiques. 7 Nos italiques, et ci-dessous. <?page no="197"?> 197 “Cet accord des choses opposées qu’ils appellent harmonie” sensualité, érotisme, tragique et sublime. Grâce aux images de mémoire, Shakespeare dit, et le public élisabéthain ressentait, que l’union de Roméo et Juliette est à la fois charnelle et spirituelle, et qu’elle est éternelle: Harmonia est concordia discors. La représentation baroque tendait à construire, dans le temps de la séance, un corps commun, une assistance. Elle tendait à manifester l’harmonie du Monde. L’harmonie par accord des contraires perdurait, au-delà de l’ici et maintenant, parce qu’elle s’appuyait sur des lieux de mémoire communs à tous et permettait le passage vers “le sens moëlleux” d’une représentation allégorique. Les éléments du décor, du visible, la scénographie et le texte incarné par le comédien conjuguent la variété, pour faire entendre et percevoir l’harmonie, ou manifester l’invisible ou l’irreprésentable. Le théâtre baroque se construit par fragments bigarrés, raccourci et accord des discordances, parce qu’il imite le Monde, comme l’annonçait la devise de Van den Vondel pour le Schouwburg d’Amsterdam, met bien en jeu ce que Quintilien (64) désignait comme “cet accord des choses opposées qu’ils appellent harmonie.” Bibliographie Alciat, André. Toutes les Emblemes […] Ordonnez en lieux communs. Lyon: Guillaume Rouille,1558. Aneau, Barthélémy. Picta poesis. Lugduni: apud Mathiam Bonhomme, 1552. Bèze, Théodore de. Les vrais pourtraits des hommes illustres. Genève: Jean de Laon, 1581. Biet, Christian. Droit et littérature sous l’Ancien Régime. Paris: Champion, 2002. Biet, Christian and Christophe Triau. Qu’est-ce que le théâtre? Paris: Folio, 2006. Binet, P. Estienne. 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Tübingen: Gunter Narr, 2006. 73-86. -. “‘Une figure du decours et maintien de verité divine’: l’architecture et la scénographie du théâtre baroque en France.” Theatrum Mundi: Théâtre et philosophie, actes du colloque international, Paris III Sorbonne-Paris X Nanterre, 20-21 décembre 2007. À paraître. Vega, Lope de. L’art nouveau de faire les comédies. Trad. J.-J. Préau. Paris: Les Belles Lettres, 1992. Yates, Frances A. L’Art de la mémoire. Trad. D. Arasse. Paris: Gallimard, 1975. Annexe Fig. 1: Dessin représentant le décor pour La Folie de Clidamant, pièce perdue de Hardy, mine de plomb, encre noire et lavis (manuscrit, BNF, cote 24 330). Fig. 2: Schéma de construction d’une perspective centrale avec décomposition du point de fuite (perspective “en arête de poisson”). <?page no="199"?> 199 “Cet accord des choses opposées qu’ils appellent harmonie” Fig. 3: Théâtre du Marais, 1644, hypothèse de restitution, coupe. © A. Surgers Fig. 4: Franchinus Gafurius, De Harmonia Musicorum Instrumentorum Opus, Impressum Mediolani: per Gotardum Pontanum calcographum, 1518, page de titre. © CESR Tours. Fig 5: Anonyme? , “Sur le Senat d’ung bon Prince”, gravure sur bois, in André Alciat, Toutes les Emblemes […] Ordonnez en lieux communs, Lyon, chez Guillaume Rouille, 1558, p. 172. Avec l’aimable autorisation du Center for Emblem Studies, Glasgow. <?page no="200"?> Anne Surgers 200 Fig. 6: Théodore de Bèze, Emblème XV: “C’est abus d’estimer heureux le riche unique,/ Comme de iuger sain le bonheur hydropique”, gravure sur bois, in Emblemes Les vrais pourtraits des hommes illustres… (1580), Genève, Jean de Laon, 1581, p. 255. Avec l’aimable autorisation du Center for Emblem Studies, Glasgow. Fig. 7: Jean-Jacques Boissard, Emblème XL: “Ebrius insano et similis - Au furieux est semblable l’yvrongne”, gravure sur cuivre, in Pierre Joly, Emblemes mis de latin en françois (1588), Metz, Faber, 1595, p. 97. Avec l’aimable autorisation du Center for Emblem Studies, Glasgow. Fig. 8: Anonyme, “Juppiter in medio spectabilis aethere stans est”, gravure sur bois, in Barthélémy Aneau, Picta poesis, Lugduni, apud Mathiam Bonhomme, 1552, p. 16. Avec l’aimable autorisation du Center for Emblem Studies, Glasgow. <?page no="201"?> Biblio 17, 194 (2011) Les “farceurs tragédiens” de l’Hôtel de Bourgogne: Les origines du jeu baroque français? J ULIA G ROS DE G ASQUET Institut d’Études Théâtrales de l’Université Sorbonne Nouvelle La question de l’harmonie des contraires se pose de façon singulière sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne dans les années 1620, lorsqu’on sait que les comédiens, Gautier-Garguille, Turlupin et Gros-Guillaume réputés grands farceurs, n’étaient en réalité pas spécialisés dans ce répertoire et jouaient aussi bien la farce que la tragédie. Le trio de farceurs s’illustrait en effet dans le répertoire comique comme dans le répertoire sérieux, avec une nuance: lorsqu’ils jouaient le genre noble (comédies, tragi-comédies, pastorales, tragédies), les trois farceurs changeaient de nom et se faisaient appeler Fléchelle, Belleville, et La Fleur. C’est sur la signification de ce changement de nom que nous allons travailler ici. Nous essayerons de comprendre d’une part à quoi répond ce changement de nom dans la perspective historique et sociale du statut de l’acteur dans les années 1620-1630 et d’autre part, ce que ce changement de nom signifie du point de vue de l’élaboration du jeu de l’acteur. Cela revient à formuler l’hypothèse suivante: au-delà de l’apparente discordance des noms des comédiens et des genres qu’ils pratiquent, se font jour des dénominateurs communs qui sous-tendent la performance de ces farceurstragédiens. L’harmonie des contraires que réalisait dans sa pratique quotidienne le trio de l’Hôtel de Bourgogne préfigurerait alors un jeu baroque, “à la française” qui s’inventerait dans ces années de jeunesse du XVII e siècle, et qui engloberait aussi bien la farce que le répertoire sérieux. Pourquoi changer de nom? Ce changement de noms renvoie en premier lieu au clivage des genres. Les noms de scène du trio de l’Hôtel de Bourgogne sont en effet le reflet de l’opposition des genres qui trace une nette frontière “littéraire” entre le répertoire farcesque, bas et grotesque et le répertoire sérieux, anobli et élevé: <?page no="202"?> Julia Gros de Gasquet 202 Hugues Guéru est Gaultier-Garguille en farce et Fléchelles dans le répertoire sérieux. Robert Guérin est Gros-Guillaume pour jouer la farce et La Fleur dans le répertoire sérieux. Quant à Henri Legrand il est Turlupin dans la farce et Belleville en tragédie. Les sonorités et la sémantique qui sont attachées à chacun de ces noms de scène soulignent bien ce clivage des genres: Robert Guérin devient Gros-Guillaume, le farceur ventripotent qui joue par son costume de cette caractéristique physique; en tragédie, sa corpulence n’est pas tournée en dérision, mais a quelque chose d’heureux et de respectable que son surnom, La Fleur, véhicule. On est ici à l’origine de ces pseudonymes de comédiens du XVII e siècle qui font dans le bucolique, le champêtre, le pastoral: que l’on pense à Bellerose, Floridor, Montdory, Montfleury, ou plus tard à Champmeslé. Ce changement de nom s’explique sans doute par la volonté de bien souligner la variété des registres. En ce sens le trio de l’Hôtel de Bourgogne démontre qu’il est lettré, sensible à l’exigence de non-porosité des genres. Le trio répond aussi à l’exigence de bienséance qui accompagne dans les années 1620 le besoin de défendre le statut “social” de l’acteur. Sous la houlette de Bellerose à l’Hôtel de Bourgogne la farce se joue, mais elle est comme tempérée par le répertoire sérieux que servent les mêmes acteurs. A travers ce changement de nom, les comédiens montrent leur capacité à épouser les frontières du genre noble, et canalisent la farce. L’enjeu du changement de nom est sans doute de se démarquer des “histrions” et de gagner en respectabilité. Dans La Comédie des Comédiens de Gougenot, le comédien Bellerose rend d’ailleurs hommage à Turlupin: “Turlupin est bien des plus gentils garçons qui se peuvent rencontrer pour le théâtre” (Gougenot 25). Le changement de nom est alors un signe qui permet de modifier l’image du comédien qui se défait ainsi de la réputation de licence qui accompagne la farce et les farceurs. Cela dit il s’agit bien d’un subterfuge, car ils ne renoncent pas pour autant à l’aspect subversif et licencieux de la farce. Les chansons de Gautier-Garguille qui venaient achever les farces témoignent de cette librepensée: tour à tour scatologiques, absurdes, grivoises, Gaultier-Garguille dans la préface à l’édition de 1632 les recommande aux lecteurs pour le temps du Carnaval. Suivent deux exemples rapides de cette liberté de ton des chansons de Gaultier-Garguille dans des registres variés: “Une mariée,/ Dès l’aprèsdinée/ Monta sur un escabeau/ Et pondit un étourneau/ Son mari la renvoie/ Pour la refondre en fourneau/ Un jour en allant voir ma mie/ Un jour en allant voir ma mie,/ De chier me prit l’envie; / Je m’écorchai tout le trou/ Jamais en jour de ma vie/ Je ne chierai que debout” (Gaultier 3). Ce changement de nom, dans ses enjeux, n’a de sens que par rapport au public. Le spectateur voit-il Robert Guérin, La Fleur ou Gaultier-Garguille? Il est vrai que le costume, le masque, les cheveux gris, le bonnet plat, le <?page no="203"?> 203 Les “farceurs tragédiens” de l’Hôtel de Bourgogne pourpoint, la ceinture et les chausses qui s’arrêtent au-dessus du genou, les bas, les chaussures et le bâton forment un ensemble toujours identique lorsque Gaultier-Garguille paraît. De même sa posture, légèrement courbée sur le bâton est-elle récurrente dans les documents iconographiques. Est-il nécessaire que le nom change sur l’affiche ou dans la bouche de l’orateur en charge d’annoncer le spectacle pour que les spectateurs voient effectivement Robert Guérin jouer en tragédien? Ce sont d’autres signes, à commencer par le costume ou la tenue qui témoignent du passage d’un répertoire à l’autre. On peut alors s’interroger sur la manière dont fonctionne ce changement de nom. N’agit-il pas comme un effet d’annonce, une sorte de leurre qui cache mal le fait qu’il s’agit bien évidemment des mêmes comédiens et des mêmes corps qui se dédient à des répertoires très différents. Ici, l’autre est le même et c’est ce principe de fausse altérité que ne dissimule pas le changement de nom. Le clivage entre farceur et tragédien serait alors certes proclamé à travers le changement de nom mais de surface; la réalité du jeu serait différente: le farceur est tragédien, le tragédien est aussi farceur. Cette concordance des opposés, en tant qu’hypothèse que nous formulons ici, invite à penser, au-delà des clivages, quels pourraient être les dénominateurs communs dans l’art de représenter la farce et la tragédie. Au-delà du clivage des noms, quels dénominateurs communs dans le jeu? Le phénomène le plus étonnant en ce qui concerne la mise en œuvre pratique d’une représentation dès le début du XVIIe siècle et jusqu’au milieu du XVIII e siècle, c’est l’absence de quatrième mur. L’abbé d’Aubignac quand il le réclame dans La Pratique du théâtre, l’anticipe de façon visionnaire mais cela ne correspond pas encore à la réalité. Sur les tréteaux de la place Dauphine où travaillent Tabarin et Mondor, tous deux grands amis de Gaultier-Garguille - je songe ici à La rencontre de Gaultier-Garguille et Tabarin dans l’autre monde, pièce éditée en 1634 - comme à l’Hôtel de Bourgogne, comme au Marais, les acteurs jouent dans un rapport d’adresse au public. L’espace théâtral du début du XVII e siècle est un espace où les frontières sont mouvantes. Les spectateurs environnent l’acteur sur trois côtés au moins. L’installation des banquettes en 1637 renforce spatialement cette réalité d’un acteur entouré de spectateurs, dans un dispositif qui devient alors presque en quadri-frontal. Ce que j’appelle ici “l’adresse au public” appelle un approfondissement. On conçoit aisément de quoi il s’agit pour la farce avec les jeux d’apartés, et autres clins d’œil au public, mais cette absence de quatrième mur engage plus profondément l’acteur dans son rapport au <?page no="204"?> Julia Gros de Gasquet 204 public. En effet, dans une telle configuration spatiale, qu’il s’agisse de la farce ou de la tragédie, l’acteur est placé devant la nécessité de jouer pour le public certes, mais aussi “par” le public, le public devenant en quelque sorte le vecteur des émotions. Le corps de l’acteur en jeu sur la scène de l’Hôtel de Bourgogne, qu’il joue la farce ou la tragédie est donc tout entier mobilisé. De ce point de vue, l’acteur tel que le décrit Gaston Baty dans son célèbre texte “Sire le mot! ” (Baty 106) qui serait engoncé dans son costume, entravé dans ses mouvements, n’ayant que la voix pour s’affirmer, est un mythe tenace forgé a posteriori. La disposition spatiale, la nécessité de l’adresse au public en l’absence du quatrième mur invitent plutôt à envisager l’acteur qu’il soit farceur ou tragédien comme pleinement engagé. Ce qui est en jeu dans le temps de la représentation, c’est la notion de performance. Performance vocale et corporelle du farceur comme du tragédien. L’un comme l’autre sur les tréteaux de la foire ou à l’Hôtel de Bourgogne doivent parvenir à capter l’attention du public, à s’imposer devant lui. Que Montfleury soit mort après avoir joué la folie d’Oreste dans Andromaque est sans doute et avant tout une très belle histoire de théâtre. Au-delà de la légende, il n’en reste pas moins vrai que l’histoire a retenu que cette dépense vocale avait été “mortelle” pour cet acteur. Signe de l’engagement de l’acteur dans une performance spectaculaire. Or c’est bien cela qui est en jeu, cet engagement total et viscéral. De ce point de vue, jouer la farce ou la tragédie réclame la même disponibilité physique et vocale de l’acteur, la même ouverture et la même amplitude. Cela amène le dernier point que je souhaitais développer ici. Ne gagnerait-on pas à penser le jeu “sérieux” comme reflet inversé du jeu farcesque? Cela implique de repenser les fondements du jeu sérieux en France, non pas seulement comme création émanant de la seule tradition rhétorique et oratoire noble, venant du grand genre. Mais aussi comme le fruit d’une maturation au miroir du jeu farcesque avec notamment l’importance du langage corporel et du spectaculaire. Pour avancer dans cette hypothèse, il faut ici changer de point de vue. Je propose de passer d’un point de vue de réception qui était le nôtre jusqu’à présent et qui consistait à observer l’acteur depuis la place du spectateur à un point de vue interne, celui du plateau, de la fabrication en quelque sorte. Que signifie qu’un même corps serve deux genres opposés? Ou plus exactement le fait qu’un même corps d’acteur serve dans deux répertoires opposés doit avoir des conséquences du point de vue du jeu qui s’élabore. <?page no="205"?> 205 Les “farceurs tragédiens” de l’Hôtel de Bourgogne La naissance d’un jeu “baroque” Le premier point qui me semble d’importance est de réfléchir à la question du jeu frontal. L’une des caractéristiques majeure du jeu appelé “baroque,” tel qu’il est revivifié depuis plusieurs années en France, en Suisse et plus largement en Europe par des troupes d’acteurs/ musiciens formés par Eugène Green, Michel Verschaeve, ou Pierre-Alain Clerc, consiste à travailler sur la frontalité. L’acteur joue sans regarder son partenaire directement, il le regarde en face de lui, comme dans un miroir en posant son regard dans un endroit de l’espace sur lequel les deux partenaires s’accordent. Cette “règle” de la frontalité est suffisamment forte pour qu’elle ne soit pas remise en cause parmi les praticiens. Si l’on se demande d’où elle vient, un témoignage, celui du président de Brosses peut apporter une réponse. Dans une lettre datant de 1740, il salue le travail des acteurs italiens et compare leur jeu à celui des comédiens français: Les acteurs [italiens] vont et viennent, dialoguent et agissent comme chez eux. Cette action est tout autrement naturelle, a un tout autre air de vérité, que de voir comme au Français, quatre ou cinq acteurs rangés à la file sur une ligne, comme un bas-relief, au-devant du théâtre, débitant leur dialogue, chacun à leur tour. (Brosses 354) Or, si l’on considère en effet que les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne dans les années 1620-1630 jouent la farce dans un rapport au public qui est celui de la tri-frontalité, rapport qu’induisent les tréteaux de la foire, ils importent cet espace dans le jeu tragique, ou tragi-comique: ils ne jouent pas uniquement de face, ils travaillent aussi de face et de trois-quart, de profil, voire de dos. 1 La position des corps est dictée par le rapport au public qui reste le même pour une représentation de farce ou de tragédie. C’est dire que si tout se joue “par” le public comme je le disais plus haut, avec le public comme vecteur des émotions, cela n’implique pas forcément que les acteurs soient en ligne et face public, dans un rapport systématiquement et obligatoirement frontal. Ils peuvent se regarder directement. La gravure d’Abraham Bosse représentant une scène jouée à l’Hôtel de Bourgogne en atteste (voir fig. 1): Gaultier-Garguille et Gros-Guillaume, regardent Isabelle, qui regarde Gros-Guillaume. Elle est donc de profil. De même que Turlupin regarde le jeune premier sur le seuil à jardin. De la même manière, si l’on regarde la célèbre estampe attribuée à Abraham Bosse qui représente l’intérieur d’un théâtre dans les années 1630 (voir fig. 2), on 1 Notamment à partir du moment où des banquettes sont installées sur scène, en 1636, à l’Hôtel du Marais, à l’occasion des représentations du Cid. Mode qui se répand dans les salles parisiennes. <?page no="206"?> Julia Gros de Gasquet 206 remarque que les acteurs qui sont au centre jouent en étant placés de troisquart par rapport à la salle, ils ne respectent pas une véritable frontalité. Les personnages qui les accompagnent et jouent sur les côtés sont eux pratiquement de profil. L’occupation de l’espace montre que les acteurs débordent de ce que l’on appelle le cadre de scène, il n’y a pas de cadre de scène en réalité ici. On voit comment les espaces de représentation et de réception sont contigus, se jouxtent, se mêlent. En ce sens, cette image corrobore les propositions d’Anne Surgers et de Fabien Cavaillé dans la maquette du théâtre du Marais à laquelle ils ont travaillé ensemble. Cette maquette qui reproduit d’après des documents d’époque la scène et la salle du jeu de paume du Marais détruite par un incendie et reconstruite dans la saison 1644-45 montre comment l’espace théâtral est alors pensé en “ceinture.” Un lien véritable relie spectateurs et acteurs. Il n’y a pas de réelle partition. Ce qu’observait le président de Brosse au XVIII e siècle ne correspond donc pas à ce qui se pratiquait dans les années 1630 à l’Hôtel de Bourgogne. D’où vient donc ce jeu frontal qui semble être “la marque de fabrique” du jeu français dans les années 1740? Il s’agit peut-être d’une “invention” du XVIII e siècle, une proposition d’acteurs faite pour répondre à des contraintes devant lesquelles les acteurs se trouvaient et auxquelles ils ont apporté cette réponse: la frontalité. Deux éléments peuvent intervenir et expliquer ce recours à la frontalité: la pensée nouvelle de l’espace scénique doté du “quatrième mur” et la scène vidée de ses banquettes. La notion de quatrième mur est formulée de façon très claire dans les conseils que Diderot donne à une jeune comédienne Mademoiselle Jodin dans une lettre datée d’août 1765. Il la fait travailler avec l’idée d’un mur invisible qui séparerait la salle et la scène: Si, quand vous êtes sur le théâtre, vous ne croyez pas être seule, tout est perdu. Mademoiselle, il n’y a rien de bien dans ce monde que ce qui est vrai; soyez donc vraie sur la scène, vraie hors de la scène. Que le théâtre n’ait pour vous ni fond ni devant, que ce soit rigoureusement un lieu où et d’où personne ne vous voie. Il faut avoir le courage quelquefois de tourner le dos au spectateur, il ne faut jamais se souvenir de lui. Toute actrice qui s’adresse à lui mériterait qu’il s’élevât une voix du parterre qui lui dît: Mademoiselle, je n’y suis pas. (Diderot n.p.) Cette notion porte à conséquence sur la scène théâtrale du temps, elle rompt en effet avec la “ceinture” qui ceignait l’espace des spectateurs et celui des acteurs depuis le XVIIe siècle. Elle sépare en deux espaces distincts et qui se font face un espace qui était un. On peut dire que le lieu théâtral du XVII e siècle était une “hétérotopie” théâtrale, pour parler comme Michel Foucault, un même lieu portant diverses réalités. Banquettes, parterre, loges: lieux divers du regard et de l’écoute entourant le plateau, lieu de la représentation. <?page no="207"?> 207 Les “farceurs tragédiens” de l’Hôtel de Bourgogne Dès que le XVIII e siècle introduit, avec le principe de quatrième mur, une séparation nette, il fractionne le lieu théâtral en deux entités, la scène et la salle: il ne s’agit plus d’un même lieu, mais de deux lieux distincts. Ce principe du quatrième mur tel que Diderot le formule en 1765 est contemporain à peu de choses près de la décision du comte de Lauraguais datant de 1759 et visant à supprimer les banquettes sur la scène. Il y a bien là convergence des tendances de l’époque à établir une illusion théâtrale plus réaliste qu’elle ne l’était jusqu’alors. Dans ces conditions, il me semble que l’on peut concevoir le jeu frontal comme la résultante d’un “bricolage” d’acteurs du XVIII e siècle pris entre deux exigences contradictoires: jouer pour le public et par le public comme le réclamait la façon de jouer du XVII e siècle dont ils héritent les principes, et jouer de façon plus réaliste, comme si le public n’existait pas, injonction “ moderne.” Ils se rapprochent alors de l’avant-scène, se figent devant la rampe pour être certains d’être vus, dans le nouveau rapport scène/ salle (la ceinture de l’espace théâtral est remise en cause par la disparition des banquettes et la présence de ce mur invisible qui change le rapport au public). Se rapprochant de la rampe, ils veulent aussi se rapprocher du public dont ils ont perdu le contact direct sur la scène. Leur jeu s’appuie sur un hiératisme, un art du geste et de la pose, avec lequel ils rompent à certains endroits du rôle pour une interprétation plus dynamique, plus réaliste. Ménager le regard du public désireux d’un spectacle plus “vrai” et ne pas rompre absolument avec un “code” de jeu amènerait à cette solution, la frontalité, qui ne se pratiquait pas au XVII e siècle. La frontalité serait ainsi une proposition d’acteurs du XVIII e siècle destinée à ménager un espace de représentation, le rapport à la lumière et à la vue: une sorte de compromis en lien avec la tradition au moment où émergent des idées neuves sur l’art de l’acteur. 2 Le jeu baroque à la française des années 1630 ne peut donc pas se penser comme un jeu qui contraint l’acteur dans un jeu frontal et rigide. Ce qui est frappant au contraire, c’est la très grande liberté que prennent les acteurs “baroques.” Ils peuvent jouer de regards en miroir avec le public ou travailler en regards directs, leur corps est à la fois extrêmement codifié et en même 2 Je suis consciente que dans cette réflexion autour de la notion de frontalité, on peut m’opposer que la lettre que je cite du Président de Brosses date des années 1739-1740 alors que les textes de Diderot et la réforme du comte de Lauraguais datent des années 1759-1765. Il faut bien entendre d’une part, la charge polémique de la lettre du Président de Brosses qui critique le jeu français dans sa comparaison avec le jeu italien, d’autre part, les phénomènes liés à la disparition des banquettes et au quatrième mur ne sont pas nés en un jour mais se préparaient sans doute depuis plusieurs années, de même qu’ils n’ont pas révolutionné la scène du jour au lendemain. <?page no="208"?> Julia Gros de Gasquet 208 temps dans une aisance “naturelle.” C’est là un point qui me semble tout à fait essentiel pour comprendre cette notion de jeu baroque. Qu’il s’agisse de la farce ou de la tragédie, l’acteur dans le processus de création est tenu par un code, celui d’une gestuelle récurrente, fixée et réglée: en farce, on songe à Gros-Guillaume et ses bras derrière le dos, Gaultier-Garguille et son bâton. En tragédie, on sait que l’acteur s’approprie une gestuelle qu’il emprunte aux traités de rhétorique. Qu’il s’agisse de la farce ou de la tragédie, et dans des références chaque fois très différentes, l’acteur est tenu par un code. C’est ce code qui interdit au jeu farcesque ou tragique du XVII e siècle d’être “psychologique.” Les émotions sont médiatisées par ce code, l’acteur dans ce mode de jeu est comme à distance de son personnage. Et pourtant il incarne aussi pleinement le personnage. La preuve en est que Gaultier-Garguille pour ne citer que lui, personnage créé par Hugues Guéru ne survit pas à la disparition de son créateur, il meurt avec lui. Arlequin ou Brighella dans la Commedia dell’arte survivent à leurs interprètes. De même on sait comment les témoins du temps de Floridor rapportent que le public ne supportait pas de voir son comédien-héros incarner les méchants, notamment le rôle de Néron. Pour le coup, il s’agit bien là d’un véritable paradoxe du comédien français du XVII e siècle. Je parle ici du corps de l’acteur en jeu, mais il est impossible de ne pas parler de la question de l’engagement vocal qui va de pair avec celui du corps pour le comédien en farce comme en tragédie. A l’appui de cette performance qu’est la représentation, l’acteur travaille sa voix dans la profération emphatique, déclamation drôle ou sérieuse qui joue sur des hauteurs de voix et des rythmes variés. La musique proche parente de la déclamation tragique devient pour la farce une sorte d’aboutissement lorsque Gaultier-Garguille termine le spectacle par ses chansons. Je conclurai sur cette idée que dans les années 1630 à l’Hôtel de Bourgogne, le jeu qui se pratiquait avait pour caractéristique d’être non-psychologique, non systématiquement frontal, il fonctionnait par typisation des personnages, jouant d’une codification étroite du corps et de la voix. Emanant de nécessités propres à la représentation, ce jeu développé par des comédiens qui ne se spécialisaient pas dans un répertoire, manifestait la coexistence de réalités opposées, celles de la farce et celles de la tragédie. La question de l’harmonie des contraires, cette concordia discors ne s’est pas pensée dans mon travail en termes logiques: je n’ai pas fondé ma réflexion sur une réelle contradiction d’essence, une contradiction ontologique qui opposerait farce et tragédie. Car sans doute n’existe-t-elle pas. Si opposition il y a, nous l’avons vu, elle est à chercher du côté d’une opposition rhétorique de style et de genre. Mais elle est comme niée dans la réalité par la pratique de comédiens capables de tout jouer, farce ou tragédie. Ce dont il s’agit alors à travers <?page no="209"?> 209 Les “farceurs tragédiens” de l’Hôtel de Bourgogne cette question du changement de nom des farceurs de l’Hôtel de Bourgogne, c’est peut être d’un moment de bascule historique: le changement de nom est la concession que font ces hommes conscients d’un statut social à préserver à une vision aristotélicienne du théâtre, de sa pratique et plus généralement du monde. Que chacun soit à sa place, que l’ordre règne: un farceur n’est pas tragédien. Un tragédien n’est pas farceur. C’est ce que signifie sans doute le changement de nom, une concession à un ordre des choses dans un monde qui est en train de se donner tous les outils esthétiques et politiques pour se régler. Mais les farceurs plus attirés par le trouble que par l’ordre des choses maintenaient dans leur pratique quotidienne une ambiguïté. Contemporains d’une entrée dans la norme, ils manifestaient dans le même temps la nécessité de l’ambivalence. Cela me fait penser à une scène du film d’Eugène Green, Le Pont des Arts: - Les gens baroques qu’est-ce qu’ils avaient de particulier? - Ils disaient toujours en même temps deux choses contradictoires et toutes les deux étaient vraies. Bibliographie Baty, Gaston. “Sire le mot! ” In Rideau baissé. Paris: Bordas, 1948. Brosses, Charles, le Président de. Lettres familières écrites d’Italie à quelques amis, en 1739 et 1740. Paris: Levasseur, 1836. Diderot, Denis. Lettres à mademoiselle Jodin. In Œuvres complètes de Diderot revues sur les éditions originales. Éds. J. Assézat et M. Tourneux. Vol. 19. Paris: Garnier frères, 1876. Gaultier, Garguille. Les Chansons de Gaultier Garguille. Paris: F. Targa, 1632. Gougenot, Nicolas. La Comédie des comédiens: tragi-comedie. Paris: Pierre David, 1633. Le Pont des Arts. Dir. Eugène Green. Interpr. Adrien Michaux, Natacha Régnier, Alexis Loret. MACT Productions: 2004. DVD. <?page no="210"?> Julia Gros de Gasquet 210 Annexe Fig. 1: Abraham Bosse, A l’hôtel de Bourgogne, vers 1632-1634, eau-forte 250 x 330 mm, BNF. Fig. 2: Estampe attribuée à Abraham Bosse, Une salle de spectacle vers 1630. BNF. <?page no="211"?> Biblio 17, 194 (2011) Applaudissement universel et ricanements importuns: représentations de l’assemblée théâtrale de la Querelle du Cid à la Pratique du Théâtre F ABIEN C AVAILLÉ Institut d’Études Théâtrales de l’Université Sorbonne Nouvelle Au théâtre, il y a des moments où l’on se sent très seul, par exemple, lorsque des spectateurs rient et que l’on ne trouve pas cela drôle. Et il y a des moments où l’on fait exactement comme tout le monde: cela arrive quand on joue Molière ou Feydeau, toute une salle peut rire; cela arrive surtout quand on applaudit; les spectateurs manifestent ensemble le plaisir qu’ils ont pris au spectacle, en suivant parfois le même rythme d’applaudissements. Au théâtre, donc, la réunion des spectateurs compose une assemblée d’un genre particulier: elle oscille entre le morcellement d’individus dont l’expérience du spectacle est irréductible à celle de leurs voisins, et le rassemblement dans une émotion ou un état qui se manifeste par une certaine qualité de silence, des vagues de rires, des applaudissements plus ou moins nourris. La critique littéraire ou théâtrale reconduit cette tension quand elle veut parler des gens qui assistent au spectacle: elle décrit ce groupe tantôt comme l’unité homogène du public, tantôt comme la multiplicité floue, mouvante des spectateurs. 1 Entre unité et diversité, l’assemblée théâtrale résiste à l’abstraction. Les auteurs de poétique du XVII e siècle se confrontent à cette difficulté: comment parler des spectateurs? forment-ils un groupe ou seulement une addition d’individus? Ce problème d’observation et de description révèle, au fond, une difficulté à modéliser les groupes humains, à trouver le bon modèle pour penser la société. 1 Voir les recueils d’anecdotes dramatiques qui fleurissent au XVIII e et au XIX e siècle et qui rapportent à plaisir les saillies de tel ou tel spectateur. Voir Ravel. Sur les modèles de diffusion des émotions dans le public au XVII e siècle, voir Thouret et Guyot. Sur les rapports entre le public de théâtre et le public comme personne littéraire, voir Merlin-Kajman. <?page no="212"?> Fabien Cavaillé 212 On devine que le principe de la concordia discors a pu apparaître comme une représentation opérante pour rendre compte de la réalité mouvante, une et diverse, des spectateurs: l’harmonie des contraires, l’union dans la diversité, la résolution des oppositions ou des différences, se prête très bien à la tension homogénéité/ hétérogénéité que pose la description de l’assemblée théâtrale. Cependant, tout n’est pas si simple car ce modèle pose deux problèmes. Tout d’abord, s’il est relativement aisé de repérer la discordance entre les spectateurs, il est beaucoup plus difficile de parler de cette expérience partagée, de cette communauté que les spectateurs sont amenés à vivre en entrant dans un théâtre: où se situe la concordance? est-elle un état de fait lié au rassemblement dans un lieu? ou bien quelque chose de plus fugitif et de plus immatériel comme le rituel des applaudissements ou le partage d’une émotion? Pour certains théoriciens, la concordia discors répond à ces questions et fonctionne comme un modèle heuristique qui nomme une expérience commune. D’autres, au contraire, refusent l’idée d’une concorde du discordant, mais ils sentent malgré tout la nécessité d’élaborer une autre figure pour parler des spectateurs. Ainsi l’harmonie des contraires se trouve concurrencée par d’autres représentations. C’est la concurrence et l’abandon de ce modèle premier qu’il s’agit de retracer. La concordia discors pose un second problème à la réflexion théorique des années 1630-1660. Ces termes ne sont pas neutres pour un homme du XVII e siècle et relèvent tout autant du vocabulaire politique que de la physique ou de la réflexion artistique. Concordia et discordia parlent aussi de la vie en commun. De la première, Cicéron fait l’idéal de la vie politique (Skinner 26); l’autre est le mal le plus craint par les sujets d’un royaume; pour les néoplatoniciens, le couple désigne les mouvements de dissension et d’union à l’œuvre dans une société (Mersenne 6: 49). Activité hautement sociale, le théâtre concentre ces forces de dissension, il les fait jouer entre elles et, par moments, les accorde. Envisager le public comme une concordia discors, ce serait donc imaginer que la représentation puisse pacifier la société. Montaigne ne rêve pas d’autre chose lorsqu’il évoque brièvement son amour du théâtre: Car j’ai toujours accusé d’impertinence ceux qui condamnent ces esbatements: et d’injustice, ceux qui refusent l’entrée de nos bonnes villes aux comediens qui le valent, et envient au peuple ces plaisirs publiques. Les bonnes polices prennent soing d’assembler les citoyens, et les r’allier, comme aux offices serieux de la devotion, aussi aux exercices et aux jeux: la société et amitié s’en augmente. (184) Or le rêve de Montaigne se perd peu à peu dans la première moitié du XVII e siècle, ou du moins, le théâtre s’affranchit de cette utilité politique <?page no="213"?> 213 Applaudissement universel et ricanements importuns pour en gagner d’autres, et oublie, en chemin, la possibilité ou l’utopie d’une concorde entre les individus. Entre 1630 et 1660, la conception du public est un des nombreux sujets d’opposition entre les partisans des règles et leurs adversaires. Ils ne s’accordent pas sur trois points: a) la place que la théorie accorde au destinataire; b) la figure de ce destinataire: le spectateur individuel/ l’assemblée des spectateurs; c) l’extension du public théâtral: toute la communauté littéraire/ ceux qui assistent au spectacle. La question du public rejoint deux problèmes essentiels des débats à cette période. Les deux partis ne s’entendent pas sur la finalité du théâtre: pour les Réguliers, on le sait, celui-ci a pour but la purgation des passions et l’amélioration morale du spectateur; pour les Irréguliers, prime le plaisir de l’art. Ils ne s’entendent pas, non plus, sur la nature de l’objet théâtral: en suivant la perspective poétique, les Réguliers l’envisagent d’abord en tant que texte et en tant que drame; nourris par la critique anti-aristotélicienne de la fin du XVI e siècle, les Irréguliers prennent le parti inverse et considèrent que la représentation - et donc l’expérience du spectacle - est la véritable réalisation de l’œuvre. Entre les uns et les autres, il y a, bien sûr, des accords individuels, des ralliements, des incertitudes, mais de manière générale, la conception du public est un désaccord majeur entre les partisans et les opposants des règles. Latentes dans les années 1620, ces divergences s’expriment dans les grandes préfaces d’Ogier et de Mareschal en 1631, de la Lettre sur la règle des vingt-quatre heures de Chapelain et s’exacerbent lors de la Querelle du Cid en 1637. En effet, une part de la querelle repose sur la légitimité des avis du public: l’approbation unanime des spectateurs équivaut-elle à l’expertise des Académiciens? Pour comprendre le phénomène du succès, certains Irréguliers voient dans la concordia discors un concept efficace. Le meilleur exemple se trouve dans le Discours à Cliton sur les Observations du Cid: l’auteur anonyme reprend explicitement le modèle de l’union du divers, grâce à une métaphore musicale. Quand une pièce paroist au jour, et qu’elle excite un si merveilleux applaudissement: Il est sans doute que ce grand bruit n’est qu’une seule voix qui se forme de plusieurs reduites à deux. La première est un doux murmure, et comme un juste concert des personnes de condition. L’autre qui s’appelle proprement Rumeur populaire, est plutost une impetuosité de langues et de mains, et un consentement indiscret qu’une approbation judicieuse; Comment qu’il arrive que ces deux voix s’accordent, et ne produisent qu’un mesme effect qui est l’estime présente que l’on donne aux bons Autheurs, et à leurs ouvrages: Il est certain qu’elles proviennent de deux causes bien differentes, qui sont pourtant les maistresses roues de l’Eloquence; j’entends l’Art de persuader les Esprits et la façon d’émouvoir les sens… (9-10) <?page no="214"?> Fabien Cavaillé 214 L’apparition de la concordia discors dans ce contexte appelle deux remarques. Tout d’abord, la concordance, telle que l’auteur l’envisage, ne signifie pas que les différences entre les spectateurs s’annulent dans une unanimité fusionnelle. Il y a des divergences profondes dans le public, tant sur la façon d’exprimer le contentement que sur la façon dont on peut se laisser toucher par le spectacle. Mais ces différences irréductibles s’accordent, c’est-à-dire qu’elles se complètent mutuellement. La concordance du divers est donc conçue comme une relation de complémentarité qui se met en place lorsque la pièce est bonne, quand tournent les “maîtresses roues de l’Éloquence.” Ceci rejoint ma seconde remarque qui porte sur l’idée de chef-d’œuvre et de perfection artistique. Dans l’éloquence évoquée par le Discours, il faut entendre tous les moyens du théâtre: l’incarnation et la mise en action par les comédiens, d’une parole, d’une fable, d’une fiction. La pièce éloquente, ce n’est pas la pièce bien écrite et bien construite, mais celle qui exerce son emprise sur l’ensemble de spectateurs au moment même où elle est représentée, celle qui accorde les esprits et les cœurs dans le temps du spectacle. Le pouvoir de l’œuvre se réalise au plus haut point lorsque les spectateurs disent leur plaisir et se rencontrent dans le rituel final des applaudissements, image parfaite de la complémentarité du différent selon l’auteur du Discours. Cette conception du public se retrouve dans d’autres textes des opposants aux règles. L’idée que le pouvoir de la représentation consiste à faire concorder les spectateurs, apparaît chez Corneille mais celui-ci interprète différemment l’opération et la nature de la concordance du divers. On retrouve la concordia discors dans l’Excusatio présentée en 1633 à l’archevêque de Rouen (463-464), 2 dans l’Épître dédicatoire de la Suivante écrite en septembre 1637 (387-388), 3 enfin, dans l’“Examen du Cid” de 1660 dans lequel Corneille évoque l’extraordinaire efficacité de la rencontre entre Rodrigue et 2 “Sur le théâtre ondoyant règne la Muse joyeuse,/ Et elle empêche que le peuple hilare connaisse l’ennui,/ Les savants et les ignares, le courtisan raffiné et même/ Zoïle, détracteur adouci aux griffes coupées, la regarde avec étonnement.” “Regnat in undanti non tristis Musa theatro,/ Atque hilarem populum taedia nosse vetat/ Hanc doctique, rudesque, hanc mollis et aulicus, et jam/ Exeso mitis Zoïlus ungue stupet.” 3 “Puisque nous faisons des Poèmes pour être représentés, notre premier but doit être de plaire à la Cour et au Peuple, et d’attirer un grand monde à leurs représentations. Il faut, s’il se peut, y ajouter les règles, afin de ne pas déplaire aux Savants, et recevoir un applaudissement universel, mais surtout gagnons la voix publique: autrement notre pièce aura beau être régulière, si elle est sifflée au Théâtre, les Savants n’oseront se déclarer en notre faveur, et aimeront mieux dire que nous aurons mal entendu les règles, que de nous donner des louanges quand nous serons décriés, par le consentement général de ceux qui ne voient la Comédie que pour se divertir.” <?page no="215"?> 215 Applaudissement universel et ricanements importuns Chimène: “j’ai remarqué aux premières représentations, qu’alors que ce malheureux Amant se présentait devant elle, il s’élevait un certain frémissement dans l’Assemblée qui marquait une curiosité merveilleuse et un redoublement d’attention pour ce qu’ils avaient à se dire dans un état si pitoyable” (702). Dans ces trois exemples, la concordia discors suppose que les différences entre les spectateurs disparaissent et que tous partagent une même émotion d’admiration, de curiosité ou de pitié. Il n’y a plus complémentarité entre eux mais fusion: ils forment une communauté fondée sur l’émotion partagée. Définie comme une communauté d’émotions, la concorde retrouve son étymologie: comme le rappelle l’historien Jean Nagle, con-cordia, c’est la communauté des cœurs (169). L’idée d’une unité par complémentarité ou fusion se retrouve chez certains partisans des règles: ainsi La Mesnardière ou d’Aubignac évoquent parfois la recherche de l’“applaudissement universel” (d’Aubignac 14). Mais tous ne reconnaissent pas l’existence d’une concorde possible entre des spectateurs divers. La majorité des théoriciens réguliers préfèrent s’attacher à la discorde qui règne dans la salle et à l’impossibilité d’une entente entre les individus. Georges de Scudéry déconstruit le modèle d’un public concordant/ discordant d’une manière exemplaire. Alors que l’Apologie du Théâtre évoque la perfection et la beauté de cet art, la moralité et la gloire des auteurs et des acteurs, le ton change brusquement quand Scudéry évoque les spectateurs: Je pense qu’on les peut separer en trois ordres; Sçavans, preocupez, et ignorans: et subdiviser encor ces derniers, en ignorans des Galleries, et en ignorans du Parterre. Quand aux premiers qui sont les doctes, c’est pour eux que les Ecrivains du Theatre, doivent imiter ce Peintre de l’Antiquité, c’est-à-dire, avoir toujours le Pinceau à la main, prest d’effacer toutes les choses qu’ils ne trouveront pas raisonnables… (89-90) Scudéry est probablement le premier à introduire de telles subdivisions à l’intérieur du public, subdivisions qui reposent d’abord sur des critères d’éducation et de goût. Ce faisant, le dramaturge introduit des différences de nature entre les spectateurs qui ne peuvent pas avoir la même expérience du théâtre parce qu’ils n’ont pas les mêmes capacités de jugement artistique. Avec un tel public, jouer une pièce ne peut donner lieu qu’au four: aucune concorde n’advient parce que les spectateurs ont des vues trop différentes du spectacle. L’attention des critiques se cristallise donc sur les responsables de l’échec, sur les voix discordantes de l’assemblée dont les réactions sont toujours intempestives. D’où l’apparition d’un type d’individus au théâtre: le mauvais spectateur, celui qui ricane à tout propos et à contre-temps. Il a plusieurs visages et plusieurs noms: il est tantôt l’“ignorant des galeries et […] du parterre,” l’ auditeur brutal dont parle La Mesnardière (376), les “jeunes <?page no="216"?> Fabien Cavaillé 216 débauchés” pour d’Aubignac (508), puis le libertin pour bon nombre de théoriciens après 1650. Le ricaneur intempestif discrédite toute l’assemblée et la représentation en elle-même; celle-ci apparaît comme le moment du trouble, des malentendus et des malveillances. Cependant, l’insistance sur l’hétérogénéité cacophonique du théâtre ne permet pas de rendre compte des phénomènes de succès et d’unanimité. Il faut donc inventer un nouveau modèle pour désigner une réalité existante, comme le Cid le prouve. Pour Scudéry, l’accord des spectateurs ne ressort plus de la concorde mais de la contagion car “l’applaudissement universel” masque la propagation d’une erreur dans l’assemblée. Il n’est plus question d’accord, d’entente positive entre des individus, mais de diffusion irrationnelle et involontaire de pensées et d’émotions illusoires. Perçue par le biais de la métaphore pathologique, la concorde des spectateurs devient “une jaunisse d’esprit” qui se répand dans toute la salle et menace l’ordre public: Mais cette jaunisse d’esprit (si l’on peut bien parler en la nommant de cette sorte) est plus dangereuse que celle du corps, d’autant qu’elle se communique: et qu’apres avoir gasté le jugement de celuy qu’elle possède, elle fait passer ses erreurs en autruy. La fauce opinion est un feu qui va bien vite; et qui commençant à bruller par des Cabanes, peut achever par des Palais […] De mesme ces opinions preocupées, qui souvent naissent dans le Peuple, infectent jusques aux gents de qualité: et c’est à quoy doivent prendre garde, ceux qui se mêlent de juger. (92-93) L’expérience théâtrale devient donc le contraire de la concordia; même lorsque le débat entre spectateurs laisse place à l’accord, le spectacle sème le désordre dans la société. En associant les phénomènes de groupe à une pathologie terrifiante, Scudéry réactive paradoxalement la condamnation du théâtre par saint Augustin: le rapport au spectacle est pensé comme une contagion dangereuse pour l’âme et pour la société parce que le théâtre peut diffuser de séduisantes erreurs. Le discrédit jeté sur l’assemblée théâtrale accompagne un mouvement de fond de la théorie régulière: l’élection du Savant comme seul spectateur digne de ce nom. L’atomisation du public en petits groupes socio-culturels se double d’une hiérarchisation qui place au sommet de la pyramide l’homme versé dans les règles de la poétique théâtrale. Double inverse du ricaneur intempestif, ce spectateur supérieur reçoit des noms divers dans les traités des Réguliers: il apparaît comme “l’Auditeur honnête homme” ou “l’Auditeur judicieux” chez La Mesnardière (395, 74), il est le Sage chez Jean-François Sarasin (241), le Savant chez Scudéry ou d’Aubignac (Scudéry 89; d’Aubignac 122-23). Ces noms sont évidemment ceux que le critique se donne à lui- <?page no="217"?> 217 Applaudissement universel et ricanements importuns même; le théoricien est le seul spectateur valable au théâtre. 4 L’individualisation du destinataire règle le problème de l’hétérogénéité irréconciliable et dangereuse de l’assemblée. Le spectateur idéal devient la figure à laquelle tout le monde devrait s’efforcer de ressembler; le public serait fait alors de l’addition de ces spectateurs idéaux, mais il ne serait plus un groupe. La promotion du spectateur autorise les théoriciens à ne plus penser l’assemblée concordante et discordante des spectateurs réunis dans l’enceinte du théâtre. Pourquoi la théorie renonce-t-elle à la concorde des spectateurs divers? Cela a sans doute à voir avec le sens politique de la concordia discors et du rôle que le théâtre peut jouer dans la production et le maintien de cet accord. La position des Irréguliers rejoint le petit éloge du théâtre par Montaigne. Le théâtre a une vertu politique et c’est à ce titre que les magistrats et les princes doivent le protéger. En effet, comme “plaisirs publiques,” comme passe-temps collectif, le théâtre rassemble les habitants d’une ville et leur propose une expérience qui les délasse tous. Il offre un espace de fréquentation, de rencontres et d’échanges qui n’est pas celui des affaires ordinaires, ni celui des “offices sérieux de dévotion.” Le théâtre relève d’une sociabilité différente, fondée sur le partage du plaisir, et non sur la foi ou sur le profit. En augmentant la “société et amitié” entre les citoyens à l’écart des “offices sérieux,” le théâtre œuvre pour le bien-être de la république. L’éloge de Montaigne qui associe le théâtre à la paix civile s’enracine dans un rêve largement partagé par les hommes de la Renaissance. Certains commentateurs de Vitruve distinguent les jeux du cirque des jeux du théâtre en ce que les premiers sont réservés aux temps de guerre parce qu’ils habituent les spectateurs au combat, tandis que les seconds sont faits pour les temps de paix (Alberti 173; Barbaro 223). Là encore, la vertu politique du théâtre est de lier les hommes entre eux, d’accroître l’amitié et, par conséquent, de pacifier la société. Mais Alberti ou Barbaro n’expliquent pas pourquoi le théâtre y réussit mieux que le cirque, car l’un et l’autre rassemblent les citoyens. Est-ce en les confrontant à une fiction incarnée que le théâtre parvient à les apaiser? Toujours est-il que chez Montaigne ou Barbaro le modèle de la concordia discors projette un idéal politique sur la représentation: le théâtre devient une utopie irénique. Il n’est pas anodin qu’à la fin du XVI e et au début du XVII e siècle, on rêve l’assemblée sur le mode de la concordia discors: l’expérience des guerres de religion, l’éclatement de la chrétienté occidentale 4 Par exemple, d’Aubignac se présente quelquefois comme un spectateur plus avisé que les avisés “Quant aux Savants, ils en sont pleinement persuadés [de la règle d’unité du lieu], parce qu’ils voient clairement que la Vraisemblance ne se peut conserver autrement; mais j’ose avancer que jusqu’à présent je n’ai trouvé personne qui l’ait expliqué, je ne veux pas dire entendue…” (122). <?page no="218"?> Fabien Cavaillé 218 en deux groupes inconciliables, produit, semble-t-il, le désir d’une activité qui unifie les hommes et compense la réalité de la discordance. Comme si le théâtre pouvait être le seul lieu où les individus s’accordent, à l’écart des violences du monde. Une série d’images diffusées à la fin du XVI e siècle permet de mieux comprendre comment la concordia discors s’incarne dans le public et pourquoi à la différence du cirque, le théâtre peut être dit art de la paix. On peut retenir quatre allégories (la Paix, la France, l’Éloquence, la planète Mercure) dessinées par Martin de Vos et Jan Aachen, dans les années 1590. Un réseau de signes unit ces figures et en font un discours muet sur les pouvoirs de la représentation. Dans chacune de ces quatre images, reviennent des tréteaux, des comédiens, une foule de spectateurs, montrée de dos, à la fois une et multiple. La première image (Pax) et la deuxième (Francia) (fig. 1 et 2) s’apparentent aux propos de Montaigne: le théâtre est l’art de la Paix, auquel s’adonne une société apaisée, diverse et unie. Mais ces allégories disent aussi le moyen de réaliser la concorde du discordant en faisant revenir par trois fois le caducée de Mercure. Dans la troisième image (Rhetorica) (fig. 3), le pouvoir du théâtre passe par les charmes, les “couleurs” de l’Éloquence: incarnée par un comédien, la fiction parvient à unifier les spectateurs en un corps concordant, modèle idéal pour une ville dont on aperçoit les murs derrière le théâtre. La quatrième allégorie consacrée aux influences de Mercure (fig. 4) prolonge cette idée et dit combien le théâtre est lié au bon fonctionnement des républiques: face aux échanges marchands, au temps et à l’espace des affaires, se tient le théâtre, art du loisir urbain, art du rassemblement et de l’expérience commune des spectateurs. Ces quatre allégories montrent que l’assemblée théâtrale est étroitement liée à l’image de la concorde civile, ellemême déclinaison de la concordia discors de l’univers. Le moteur de cette harmonie, c’est la représentation dont ces allégories disent la puissance d’émotion qui peut rassembler les spectateurs en une communauté des cœurs. À la fin de la Renaissance, le théâtre est pensé comme une puissance pacifiante. L’invention du spectateur par les Réguliers détruit l’association entre la concorde et l’assemblée théâtrale. Sans doute que les troubles permanents de la première moitié du XVII e siècle rendent difficilement crédibles le retour de l’Âge d’or et de l’harmonie parmi les hommes; sans doute que l’inspiration néo-platonicienne de la concorde rend la notion étrangère au siècle de Descartes; sans doute enfin que ce modèle ait paru trop républicain à une nation où le roi désire être le seul centre organisateur de la société. La concorde théâtrale meurt de trop d’idéalisme et laisse progressivement place à l’idée que le théâtre accueille la discorde des opinions. La concordia discors du public serait, pour reprendre un titre de Denis Crouzet, un rêve perdu de la Renaissance. <?page no="219"?> 219 Applaudissement universel et ricanements importuns Bibliographie Alberti, Leone-Battista. L’Architecture et Art de bien bâtir du Seigneur Léon Baptiste Albert, traduits de Latin en François, par défunt Jan Martin, parisien. Paris: Jacques Kerver, 1553. Barbaro, Daniele. I Dieci libri delle Architettura di M. Vitruvio: Tradotti et commentati da Mons. Daniele Barbaro. Venice: Francesco de’ Franceschi e Giovanni Chrieger, 1567. Corneille, Pierre. Œuvres complètes. Vol. 1. Éd. G. Couton. Paris: Gallimard, 1980. Crouzet, Denis. La Nuit de la saint-Barthélémy: Un rêve perdu de la Renaissance. Paris: Fayard, 1994. Discours à Cliton sur les Observations du Cid: Avec un traité de la disposition du Poème Dramatique et de la prétendue Règle des vingt-quatre heures. Paris: imprimé aux dépens de l’auteur, s.d. La Mesnardière, Jules-Hippolyte de. La Poétique de Jules de La Mesnardière. Paris: Antoine de Sommaville, 1640. Merlin-Kajman, Hélène. Public et littérature au XVII e siècle. Paris: Les Belles Lettres, 1994 Mersenne, Marin. 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Merlin-Kajman Paris: Honoré Champion, 2009. pp. 225-242. <?page no="220"?> Fabien Cavaillé 220 Annexe (figures 1-4) Fig. 1: Martin de Vos, Pax, gravure sur cuivre de Theodore Galle, fin XVI e s., 21,4 x 27,8 cm. BM Lyon. Fig. 2: Hans von Aachen, Francia, gravure sur cuivre de Raphaël Sadler, 22,1 x 26 cm, fin XVI e s., BM Lyon. <?page no="221"?> 221 Applaudissement universel et ricanements importuns Fig. 3: Martin de Vos, Rhetorica, gravure sur cuivre de Jan Sadler, fin XVI e s., 13,2 x 10,5 cm. Fig. 4: Martin de Vos, Mercurius, gravure sur cuivre de Jan Sadler, fin XVI e s., 23,8 x 24,4 cm, 1585. BNF. <?page no="223"?> Biblio 17, 194 (2011) Écritures du geste et cartographie du sensible A DRIANA B ONTEA University of Sussex On sait ce que le renouvellement des arts du spectacle au début du siècle passé doit à la dramaturgie de Molière. Les notes de travail de Copeau rédigées pour la préparation de ses mises en scène, ont révélé le côté expérimental des textes imprimés. Aux deux options du moment opposant tradition et modernisation, Copeau proposait une troisième alternative. Elle voulait dépasser à la fois les usages conservés sur les scènes officielles et les inventions toutes récentes introduites au music-hall de Bobino par une pratique dérivée et soumise aux textes à qui l’on supposait des possibilités expressives prisonnières d’une transcription dont on ne connaissait pas ou l’on ne connaissait plus la clé. Plus particulièrement, il s’agissait de déceler dans ces textes si connus, des indications précieuses portant sur une manière de faire et de noter la comédie dont on ignorait presque tout: la généalogie, la technique et l’usage. Le fil conducteur guidant la recherche et la pratique théâtrale qui devait en découler, correspondait à une notion de style dont l’originalité tenait à ses disparates, “au mélange de réalité crue et de folle fantaisie” (Copeau 62), rassemblant diction, geste, musique et danse. Convaincu que le théâtre de Molière contient en lui-même l’ébauche de sa mise en scène et les indications les plus sûres pour le jouer, Copeau eut le mérite d’être un des premiers, après Louis Moland, à regarder les textes des comédies en tant qu’écriture de théâtre codifiant une dramaturgie dont la comédie tire ses pouvoirs les plus puissants. “Un bon ouvrage n’a pas à s’adapter à la scène,” écrivait-il en 1932. “Il y est né pour ainsi dire. Il l’occupe naturellement. L’action se tient en suspens dans le texte comme un danseur immobile est inspiré déjà par le rythme qui va le délivrer” (60). Dans ce qui suit, je voudrais reprendre le sens de cette analogie et de ses implications pour mettre en évidence d’un côté le rôle du corps opérant et actuel dans la comédie et de l’autre la mise au point d’une écriture qui en conserve des discordances expressives fondant le genre même de la comédie créée par Molière. Le but en serait de reconnaître aux textes l’aptitude de codifier l’action corporelle et de proposer une description de la comédie en prenant contact avec ses racines organiques. <?page no="224"?> Adriana Bontea 224 Notation dramatique et écriture musicale Plusieurs témoignages des XVII e et XVIII e siècles s’accordent sur l’intérêt particulier que Molière prêtait à la précision de la diction. Grimarest mentionne le travail minutieux qu’il faisait faire à ses comédiens pour les mettre dans le naturel. Et l’Abbé Dubos rappelle que des contemporains, qui l’ont entendu, ont assuré que Molière, “guidé par la force de son génie, faisait quelque chose d’approchant de ce que faisaient les anciens, et qu’il avait imaginé des notes pour marquer les tons qu’il devait prendre en déclamant les rôles qu’il récitait toujours de la même manière” (321). La forme de cette notation dramatique, si elle a jamais existé, reste inconnue, ayant, suppose-t-on, disparu avec tous les manuscrits et tous les papiers de Molière. Dans la Vie de M. de Molière rédigée trente ans après sa mort, Grimarest note que les interprétations des pièces étaient déjà tellement transformées par rapport à ce qu’elles avaient été du temps de Molière que, “s’il revenait aujourd’hui - écrit le biographe - il ne reconnaîtrait plus ses ouvrages dans la bouche de ceux qui les représentent” (99). Cette remarque indique que, au-delà de la composition des actes, de l’organisation des scènes et des dialogues, ce théâtre doit beaucoup aux accents et tonalités adhérents à la prose et aux vers. La diffusion des registres sensibles dans la comédie, appelée par Copeau “mouvement” (64), imprime à la comédie sa forme et déploie son sens. L’observation de Grimarest témoigne aussi que pour les contemporains, la forme de la comédie de Molière coïncidait avec son jeu. Il voulait garder, peut-être transmettre aussi, ce qu’il y avait d’éphémère dans la parole dite, un état fugitif qui est entré dans le relief du personnage créé. Sans doute voulait-il objectiver une manière d’articuler, particulière à sa respiration et à la résonance de ses cordes vocales, que son oreille avait trouvée juste lors des répétitions, et qu’il importait de tisser dans l’étoffe des personnages. La mise au point d’une notation devait garder la trace du corps qui avait prêté ses organes à la création d’un rôle. En confiant à une écriture la tâche de transcrire les modulations de voix et les cadences de pas, l’acteur révélait certaines habitudes de son propre corps qui avaient participé à la création d’un personnage. Ce sont ces habitudes que Copeau essayait d’apprendre et d’enseigner sur scène et dans ses exercices dramatiques au Vieux Colombier. Cette pédagogie du faire, il l’a transmise à son élève Louis Jouvet. Dans ses cours de déclamation au Conservatoire, il allait s’attarder sur la variété des registres sensibles que révélaient les rôles créés par Molière et sur l’accentuation qui leur convenait. Des Ah! d’Alceste, il avait dit qu’on les comprendrait, “même si c’était du grec” (Jouvet, Molière et la comédie classique 20). Quelques contemporains ont reproché à Molière de ne pas savoir nouer les péripéties et de ne pas trouver de dénouements convenables. Sans doute <?page no="225"?> 225 Écritures du geste et cartographie du sensible s’agit-il d’une régression de l’intrigue au profit d’une autre dramaturgie, où l’action adhère à la parole et au geste, tout comme la lettre qui doit sauver Agnès d’un mariage redouté adhère à la pierre qu’elle jette pour chasser son amant. À défaut d’une codification propre comme celle de la musique, où les différentes qualités sensibles des sons sont enregistrées par des signes particuliers, le théâtre n’a d’autres moyens à sa disposition que la parole opérante. Regardons de plus près comment le texte imprimé saisit une manière de jouer, peut-être empruntée aux comédiens italiens, mais qu’eux-mêmes n’ont pas transcrite de la même façon. Avec le Mascarille des Précieuses ridicules, personnage masqué, ainsi que l’indique son nom, Molière établit d’un premier coup le répertoire des mouvements que les pièces à venir allaient isoler, développer, nuancer, et combiner différemment. La farce imprimée ne révèle pas toute sa portée si, comme le proposait Georges Couton, on l’insérait dans l’ensemble des œuvres sur la préciosité (Molière, Œuvres 1: 249). Il faut encore y voir une refonte et une redistribution des qualités “précieuses,” reparties dans une écriture dramatique issue d’une combinatoire originale des principes de la notation musicale et de la chorégraphie. La scène de l’impromptu en vers, insérée dans la prose de la farce (9.273-280), en résume les directions essentielles, en ouvrant à la fois vers les “grandes comédies” et les comédies-ballets. Leur continuité tient à l’invention d’une notation capable d’associer certains jeux dramatiques individuels à certains motifs traditionnels de la comédie italienne ou latine et d’assurer un “droit de suite” permettant reprise et révision. Il y a d’abord la tonalité d’auteur pédant, sûr de son savoir (-vivre) et de son vers, d’où sortira Oronte récitant son sonnet à Alceste, mais aussi M. Jourdain essayant de bien tourner un billet doux pour une belle marquise. Vient ensuite la leçon sur la manière de délivrer ce quatrain “à l’air cavalier,” vers par vers. Chaque intonation (Oh! Oh! ) est commentée et traduite comme une indication dramatique: “la surprise,” bien qu’insérée dans le texte de la pièce récitée (9.276). Elle sera reprise par les précieuses, répétant de travers, parce qu’elles trouvent le vers “admirable” et “mieux qu’un poème épique” (9.276). Tout comme M. Jourdain accompagne les voyelles qu’il prononce par des transports d’enthousiasme pour la beauté et la science, alors que la répétition des I et des O imite le braiment de l’âne. Le dernier vers, explique Mascarille, après avoir répété quatre fois “au voleur! ,” “c’est un homme qui court et crie après un voleur pour le faire arrêter” (9.277). Il contient déjà l’ouverture de la scène où Harpagon, dépossédé de son argent, “crie au voleur dès le jardin et entre sans chapeau” (L’Avare, in Molière, Œuvres vol. 2: 4.7.569). Il est perdu, assassiné, de la même façon que Mascarille court le péril de voir son cœur enlever dans le salon des précieuses. La modification des répliques selon une variété d’accents et des tons, dits et commentés, <?page no="226"?> Adriana Bontea 226 faisant valoir leur registre, anticipe l’air de musique sur lequel Mascarille proposera encore une fois son impromptu. La protestation finale, dont le maîtrevalet explique la portée “comme si l’on criait bien fort” et le changement de registre, “comme une personne essoufflée” (Précieuses ridicules, in Molière, Œuvres vol. 1: 9.277), transcrit dans le texte dramatique même une manière d’accentuer, dont chaque mouvement est signalé. Selon la pratique courante de l’écriture musicale, où des mots italiens, allegro ou adagio, indiquent la modalité de jouer le morceau, l’impromptu de Mascarille d’abord récité, ensuite chanté, puis dansé, contient la leçon exacte d’une manière de déclamer, allant de la surprise au naturel (à l’aise) dans la parole, et du bien fort à l’essoufflement dans la musique. Ces indications précises, inscrites au revers des répliques, mesurent le mouvement et le degré de force avec lesquels les mots sont articulés et modulés, en conférant au personnage son caractère au moment même où ils l’exposent. En suivant les altérations de la voix, on décèle dans sa qualité matérielle ce qu’elles contiennent de pensée. Et la courbe sonore vigoureusement marquée par les changements brusques de rythme, dévoile derrière le masque de marquis le caractère de valet. 1 Ce que les paroles disent, elles ne le disent qu’à travers ces variations dans l’accentuation et la tonalité. “Ne trouvez-vous pas la pensée bien exprimée dans le chant? ” (9.277). Son sens est véhiculé à travers une modalité purement dramatique, faisant surgir dans la prose la plus commune, “façon de parler naturelle” (9. 277), une poésie du théâtre, codifiée sur l’exemple de la musique, mais en dehors de ses notations convenues. Dramaturgie et danse Si la musique des comédies de Molière, comme toute musique écrite sur portatif, ne retrouve son caractère grave ou aigu qu’au cours de l’interprétation, quand un corps se prête au personnage et crée son expression, la danse s’intègre d’elle-même dans la scène de bal, donné “à la hâte,” avec une courante dont Mascarille, “ayant pris Magdelon” (12.284), n’arrive pas à suivre la cadence, sans doute parce qu’il court trop vite, ainsi qu’après un voleur. 1 Le costume de Mascarille correspond dans l’ordre du visible à la même précision dans le délinéament du caractère, tracé pour être vu de l’extérieur, à la manière d’un masque ou d’une marionnette: “sa perruque était si grande qu’elle balayait la place à chaque fois qu’il faisait la révérence, et son chapeau si petit qu’il était aisé de juger que le marquis le portait bien plus souvent dans la main que sur la tête; son rabat se pouvait appeler un honnête peignoir, et ses canons semblaient n’être faits que pour servir aux enfants qui jouent à clin musette” (Mlle Desjardins in Molière, Œuvres, vol. 1: 1218). <?page no="227"?> 227 Écritures du geste et cartographie du sensible La transcription de la danse est issue des besoins d’une dramaturgie dont les mouvements corporels sollicitent la parole et le chant. Parole, musique, danse, s’emboîtent l’une dans l’autre en faisant valoir le rapport direct entre l’usage du corps et la signification de la pièce. Chaque moyen d’expression porte à faux de manière différente, éclaircissant non seulement la qualité du marquis et ses talents pour les arts, mais aussi le salon où il se trouve. Articulation de la parole, respiration dans le chant, cadence du pas, sont des dimensions sensibles que le personnage reçoit d’un usage du corps. Installée dans des manières de dire et de faire dont Mascarille est l’éponyme, la comédie déploie son lieu scénique sur la figure d’un mouvement corporel. Ses rythmes variés et rigoureux, transcrits dans la scène de l’Impromptu, distribuent les degrés d’intensité et les remises de la parole, sous lesquels prend forme un personnage tout fait de tons et gestes. Il correspond à ce qu’on désigne en musique par le terme tempo giusto et en danse par cadence. C’est de cette dramaturgie musicale que sont nés les personnages du théâtre de Molière. À part ceux qu’on vient juste de mentionner, d’autres s’y rangent: les deux docteurs de L’Amour médecin, l’un allant vite, l’autre lentement, Scapin, prompt à fournir des récits, Arnolphe, grave et pathétique. Que cette notation dramatique, qui est d’abord celle d’une manière de jouer, permette de surprendre la configuration même des comédies, est encore confirmé par Le Mariage forcé. Les trois transcriptions qui nous sont parvenues, à savoir le livret du ballet distribué aux participants le 29 janvier 1664, le texte imprimé par Molière, lors de la reprise de la comédie en 1668 sans les entrées de ballet, et la partition musicale, recueillie par Philidor permettent de suivre l’organisation du spectacle selon une combinatoire variable entre danse, musique et parole. Sans pouvoir entrer ici dans les détails de ces transcriptions, je rappellerai seulement que le chiffrement différent des actes et des scènes témoigne d’une organisation des spectacles obéissant aux circonstances de la représentation et non pas à une intrigue conçue pour édifier le public. 2 On se souvient de l’incertitude de Sganarelle à s’engager dans un mariage dont les signes malheureux envahissent la scène avec les danseurs: entrées des allégories de la passion, ballet des bohémiens, diseurs de bonne aventure, mouvements des démons, qui font le signe des cornes. Ces figures effrayantes le décident à se dégager d’un mariage dont les présages sont de mauvais augure. Mais les épées que le frère de sa belle lui présente, par “petit compliment” (Le Mariage forcé, in Molière, Œuvres vol. 1: 2.711), le ramènent à sa première décision, sur laquelle s’ouvrait la comédie, et il épouse Dorimène. 2 Pour les détails de ce chiffrement et de ses variations, nous nous permettons de renvoyer à notre étude sur Les Origines de la comédie française classique (70). <?page no="228"?> Adriana Bontea 228 Sganarelle est forcé de tenir parole: c’est le thème, qui imprime la tonalité aux morceaux composant le divertissement dans son ensemble. En plus du motif comique du vieillard, forçant la nature en décidant d’épouser une jeune femme, il y a aussi celui du docteur Pancrace poussant la raison, pour faire condamner une expression du langage commun, au nom des catégories d’Aristote. La scène se clôt par un jeu dramatique où Sganarelle parle en même temps que le docteur, chacun essayant de couvrir la parole de l’autre (IV.726). Les discours parallèles et concomitants, tournent la discordance du sujet en discordance de ton, laissant entendre seulement le bruit des voix se couvrant l’une l’autre. Ne parvenant pas à se faire écouter, Sganarelle l’oblige à quitter la scène en l’enfermant de force dans sa maison. S’y ajoute la bastonnade du dernier acte qui décidera du mariage du protagoniste. Tous ces développements de l’action sont des confrontations qui mesurent la force physique et morale des combattants. Accents, rythmes des pas et des gestes, relient le sujet emprunté aux géants de Rabelais, à l’intérieur d’une dramaturgie à la mesure de l’homme qui se croit plus jeune, plus beau, plus fort qu’il ne l’est. Le mariage est célébré par plusieurs danses avec des personnages masqués, dont l’une est un charivari grotesque. A cette époque, cette forme de concert bruyant et tumultueux, dont les instruments habituels étaient les poêles, les chaudrons, les sifflets et les huées, venait habituellement honorer les noces des femmes et hommes âgés. L’avant-dernière entrée de ballet, introduira ce bruit discordant par une musique aiguë 3 et des pas de danse sautés. Lully en était un des interprètes. Le titre du ballet, Le Mariage forcé, annonçait à la fois le sujet de la comédie, que Molière dit être le mariage, et le mouvement d’ensemble du spectacle. Le terme forcé prenait en charge de noter l’intensité des accents et des gestes correspondant aux rôles de Sganarelle, Pancrace, Alcidas et de donner une cohésion tonale à cet ensemble disparate de discours, chants, et danses. C’est encore la cohésion tonale qui est responsable du mouvement d’ensemble qui traverse L’École des femmes, avec Arnolphe s’armant contre le sort des malheureux, voués à être cocus, pour les joindre au dernier acte. L’action de la comédie correspond à l’alternance du ton grave sur lequel débute la pièce et du registre pathétique sur lequel elle s’achève. Les contemporains de Molière lui ont reproché ce jeu exagéré. 4 Or ce jeu extrême, discordant, forcé, qui a tant fait rire, fait partie du tissu des comédies. Ses personnages portent en eux la respiration de celui qui leur a donné souffle, comme les estampes de Callot gardent le tracé vif de la 3 No. 1, Rondeau pour le charivari et No. 2, Air pour les mêmes (Molière, Le Mariage forcé 138- 144). 4 Voir la description que donne Lysidas du jeu de Molière, dans La Critique de l’École des femmes (Œuvres, vol. 1: 6.665). <?page no="229"?> 229 Écritures du geste et cartographie du sensible pointe qui les a gravées. Au moment où la tradition de ce jeu a commencé de se perdre, la comédie aussi s’est affadie. Grimarest donne une date exacte de la désaffectation du comique, au début du XVIII e siècle (99). Il l’attribue au jeu des comédiens. Ce moment coïncidait avec le grand prestige de l’opéra, qui apportait à la tragédie des agréments nouveaux. Dans les œuvres de Lully déjà, l’alliance de la parole et de la musique se relâchait et la mélodie de la langue, encore présente dans les comédies et les comédies-ballets sous l’égide du personnage comique. Le théâtre de Molière n’est pas le seul cas où les secrets d’une interprétation qui avait su gagner le public, se sont perdus petit à petit. Les opéras de Lully ont subi le même sort. S’ils ont pu paraître froids et monotones à ceux qui ne les ont pas entendus à leur heure de gloire, c’est que cette heure avait dépendu d’une règle d’exécution déjà disparue dès le premier quart du XVIII e siècle. On attribue à Lully l’invention des danses rapides, s’opposant au rythme des ballets de cour. Elles s’appelaient “airs de vitesse.” Les contemporains, habitués aux pas lents, composés par Beauchamps, “dirent qu’on corrompait le bon goût de la danse, et qu’on allait en faire un baladinage” (Dubos 170). Sans doute avait-il accéléré les mouvements de la musique, de sorte qu’elle demandait des “danses par le haut” dans lesquelles on sautait plus ou moins, par oppositions aux “danses par le bas” ou danses nobles, tels le menuet ou la courante, où le danseur ne quittait pas le parquet. Sur le fond de ce développement, on peut mieux comprendre maintenant l’alternance, dans Le Mariage forcé, du menuet, danse grave où évoluait le roi, et du charivari, danse accélérée et grotesque qu’interprétait Lully. Elle transcrit le passage de l’insouciance sur laquelle s’ouvre la pièce, avec Sganarelle apaisé, content de lui et du mariage qui l’attend, au tourment où le plonge son nouvel état. Par les chants et les danses, la joie se voile sans quitter d’un pas la gaieté du divertissement. Au contraire, ils l’accentuent. “Ce mariage doit être heureux car il donne de la joie à tout le monde et je fais rire tous ceux à qui j’en parle” (Le Mariage forcé, in Molière, Œuvres vol. 1: 2.719). Il en est de même de l’embarras de M. Jourdain à suivre la cadence des danses que le Maître de musique lui fait répéter. Toutes sont des danses nobles qu’il n’arrive pas à prendre par le bas, et que Molière interprétait par de grands sauts. Ce geste ne se trouve pas dans le texte sous la forme d’une indication scénique. Il y est pourtant inscrit sur son vêtement, sur lequel le Maître tailleur avait “mis les fleurs en en bas” alors que le bourgeois attendait qu’elles soient “en enhaut” (Le Bourgeois gentilhomme, in Molière, Œuvres vol. 2: 2.5.732). La première notation de la danse a été publiée tout au début du XVIII e siècle, 5 mais elle était déjà connue des gens du métier. Son but était 5 Voir Feuillet. <?page no="230"?> Adriana Bontea 230 de trouver une équivalence écrite entre les mouvements d’une courante ou d’une gavotte et une séquence de pas ordonnés. Feuillet avait reparti son système de signes sur deux dimensions (voir fig. 1). Sur la ligne droite, horizontale ou verticale, sont marqués les pas. Leur position respective, indiquée par un rond, correspond à la pointe du pied; un tracé droit donne la position du talon. Des signes supplémentaires, marqués en lignes pointillées, s’ajoutent pour le plié, le glissé, l’élevé et ainsi de suite. Alors que la ligne courbe transcrit la succession des pas, en avant ou en arrière, de côté ou en rond. Elle dessine la figure de la danse. Entre le pas et la figure, un équilibre harmonieux s’établit. Le pas met en valeur la figure et inversement. L’harmonie de “la belle danse” naît, sur les transcriptions de Feuillet, de l’irrégularité, de ruptures de rythmes et de parcours, de changements d’orientation, de symétries et de dissymétries. En tête des diagrammes se trouve la transcription sur portatif, du nombre des mesures caractérisant chaque danse. Fig. 1: La Contredance, figure tirée de L’Art de décrire la danse par caractères, figures et signes démonstratifs (1701) de Raoul Auger Feuillet. Cette écriture spécialisée, à deux dimensions et à plusieurs directions, peut servir de terme de comparaison pour la dramaturgie de Molière. Son caractère à la fois figuratif et musical, réunit le geste à une expression écrite faisant valoir en même temps son image sur papier et le rythme qui lui correspond. Pour ce qui est du texte dramatique, la transcription se fait au moyen des mots, des signes de ponctuations et des silences. Ici aussi, il s’agit d’une écriture à plusieurs directions, ainsi que le montrent les trois écritures diffé- <?page no="231"?> 231 Écritures du geste et cartographie du sensible rentes du Mariage forcé, que l’interprétation rend simultanées. On la retrouve encore dans le récit d’Agnès, récitant et jouant en même temps sa première rencontre avec Horace (L’École des femmes, in Molière, Œuvres vol. 1: 2.5.560). Mais puisqu’on reconnaît dans les mots un sens préexistant, c’est à eux qu’on a donné la tâche de véhiculer le sens des comédies. Pourtant, pour les contemporains, il apparaissait à travers une dramaturgie dont il ne se peut dissocier. Donneau de Visé avait retenu cet art dramatique à propos de la pièce citée: “Jamais comédie ne fut si bien représentée, ni avec tant d’art, chaque acteur sait combien il y doit faire de pas, et toutes les œillades sont comptées” (in Molière, Œuvres vol. 1: 1021). Tout comme l’écriture de la danse, qui n’a pas d’objet préalable devant elle, mais qui porte son propre sens en enseignant les mouvements, l’écriture de théâtre est une codification particulière, transcrivant une modulation existentielle selon des rythmes rompus à l’expérience de l’individu. Déposée dans son énonciation, elle jaillit dans la récitation et la gesticulation, en déformant et reformant des usages et des tours de langage communs. En soumettant à des déformations ce qui a été formé par les coutumes et les savoirs, les pièces de Molière donnent à la comédie une forme nouvelle, en la portant depuis les aspects disparates de la structure formelle au contenu. Et ainsi une dramaturgie met en forme son propre contenu. Son individualité repose sur l’aptitude de transformer la parole en geste. L’exemple le plus révélateur de cette transformation significative se trouve dans L’Ecole des femmes: en suivant le conseil d’Arnolphe de jeter des pierres à Horace pour le chasser, Agnès lui envoie un grès enveloppé dans une lettre qui l’avertit de son amour et du péril qui le menace (L’École des femmes, in Molière, Œuvres vol. 1: 2.4.588). La pierre jetée, qui devait faire fuir l’amant, lui apprend ce qu’il doit faire pour l’enlever à son tuteur. Parole inventive, si jamais il en fût, non pas dans sa lettre, qui n’est qu’un éclaircissement conventionnel dans le style des amoureux de théâtre, mais par son poids. Lourde de conséquences, puisqu’elle précipite l’action, elle porte aussi en elle le signe de la rapidité avec laquelle se dénouent les actions comiques. En ramenant la parole au geste, le théâtre de Molière capte une possibilité du corps, et la rend expressive, comme le disent les docteurs extravagants, “par raisons démonstratives” (Le Mariage forcé, in Molière, “Œuvres” 4.230). L’écriture dramatique qui s’ensuit relève d’une équivalence entre une façon de jouer et le sens des pièces préservant des manières de dire et de faire conçues à partir d’une certaine organisation du monde sensible selon des termes qui ne se détachent pas du sensible. Cette notation du grave et de l’aigu, du pathétique et du léger, du forcé ou de l’à l’aise enregistre des discordances de ton, de facture, de disposition, par ailleurs intrinsèques à l’esthétique et sensibilité baroques, et marque un registre comique prélevé <?page no="232"?> Adriana Bontea 232 sur les libertés et les entraves du corps. Alors que le sens comique franchit les oppositions pour triompher dans le rire. Bibliographie Bontea, Adriana. Les Origines de la comédie française classique. 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Cependant, la pratique théâtrale de l’Ancien Régime se caractérise par une multiplicité de voix, sinon contradictoires, sûrement polémiques (Biet; Ravel). De même, lorsqu’à partir du XVIII e siècle, les œuvres de Molière, Corneille et surtout Racine acquièrent, petit à petit, un statut de classique (Shin; Viala), et qu’ils se développent donc en élément fondamental et fondateur du patrimoine français, il ne semble régner aucun consensus quant au mode adéquat de représentation. De plus, ces réinterprétations s’inscrivent de manière directe et concrète dans leur contexte politique et historique, et cela malgré les diverses tentatives d’historicisation. Dans cet article, nous regarderons de plus près deux événements historiques concrets, qui, chacun à sa manière, donnent forme aux contradictions qui opèrent nécessairement à l’intérieur du système de représentation théâtrale: l’interprétation de Britannicus de Jean Racine par Henri-Louis Lekain, sous Louis XV, et celle de François-Joseph Talma, pendant la période révolutionnaire. Ce choix est fondé sur un double constat: ces deux interprétations s’inscrivent clairement dans le contexte plus large de la conjoncture théâtrale de l’époque et, en même temps, elles n’hésitent pas à l’irriter, à la réévaluer. Chacun à sa manière, le travail de Lekain et de Talma donne lieu à une nouvelle interprétation de l’idée de l’authenticité qui détermine la ré-interprétation du corpus racinien (Vanhaesebrouck Mythe). Par l’intermédiaire de leur travail et des innovations qu’ils tentent progressivement d’introduire, le <?page no="234"?> Karel Vanhaesebrouck 234 mythe de l’authenticité ne sera plus évalué d’après son degré de conformité à la poétique normative du classicisme, mais à l’exactitude historique et au naturel. Cette réorientation mettra définitivement fin à la porosité entre scène et salle qui caractérise la séance au XVII e et même au XVIII e siècle. Cependant, Lekain et Talma opèrent dans deux contextes sociopolitiques fondamentalement différents. Puisque la carrière de Lekain appartient encore à la tradition d’Ancien Régime, alors que celle de Talma s’inscrit dans le contexte postrévolutionnaire du Directoire et de l’Empire, la question est de savoir quelles sont les conséquences de cette différence contextuelle. Henri-Louis Lekain: Un Néron machiavélique Henri-Louis Cain (1729-1778) doit en premier lieu sa notoriété à Voltaire et à ses tragédies, et non à son interprétation des tragédies classiques en général et du rôle de Néron en particulier, qu’il joue pour la première fois en 1757. On retrouve une réception critique et mixte de son interprétation de Néron d’une manière claire et explicite dans les chroniques de Geoffroy, qui s’exprime (a posteriori) très négativement à son égard. Selon le feuilletonniste de L’Année littéraire (1776-1792) et du Journal des débats (1800-1814), il y “manquait de jeunesse” et s’y montrait “un peu lourd”; il donnait au personnage de Racine “trop de profondeur et trop de politique” (Geoffroy 1825: 2321). Geoffroy reproche donc à l’interprétation de Lekain de trop s’appuyer sur la logique politique en tant que moteur dramaturgique de la pièce, et d’oublier l’intention primaire de Racine, qui était de montrer la naissance d’un monstre. Lekain ne montre pas le fameux “monstre naissant” de la préface de Racine, ni un jeune homme qui découvre graduellement sa propre dépravation. Au contraire, il présente aux spectateurs un Néron qui est très conscient de sa propre malignité et qui désire s’en servir d’une façon calculée et froide. L’empereur romain fonctionne dès lors comme un exemplum négatif d’un certain absolutisme monarchique; Lekain y montre ce qui pourrait arriver lorsque le monarque n’arrive plus à faire la part des choses entre ses tâches politiques et ses désirs privés. Même si le manque de sources matérielles nous oblige à formuler cette idée à titre d’hypothèse, le rapport entre l’interprétation de Lekain et le contexte politique contemporain est au moins intéressant. L’acteur favori de Voltaire présente son Néron pour la première fois en 1757, lorsque la popularité de Louis XV est au plus bas. Au cours des décennies précédentes, les guerres violentes et apparemment inutiles se sont succédées. En 1756 se déclenche la guerre de Sept Ans, qui est déjà précédée de la guerre de la Succession d’Autriche. Au ressentiment que le peuple éprouve vis-à-vis de <?page no="235"?> 235 L’authenticité historique au XVIII e siècle ces guerres dont il ne voit pas nécessairement l’importance, s’ajoute l’impopularité de la Marquise de Pompadour que le peuple considère plutôt comme une manipulatrice semblable à Agrippine. Cette image négative arrive à son comble juste après la tentative de régicide qu’entreprend Robert François Damiens le 5 janvier 1757. Après maintes tensions entre la cour et le parlement et sur la proposition de ce dernier, qui voulait peut-être se réconcilier avec le roi, Damiens est exécuté avec une violence qui choque le public et qui est - ici injustement - associée au roi et non au parlement. Cet événement renforce l’impopularité du roi et sa réputation de cruauté. Le lien avec le Néron que représente Lekain est bien évident. Et bien qu’il n’y ait pas de preuve historique que telle a été son intention véritable (il est quand même un comédien du roi), il est bien possible que ces données contextuelles et extra-systémiques aient influencé la réception du public. Une telle hypothèse expliquerait en tout cas la réaction critique de Geoffroy qui a un autre parti pris stylistique et politique. De conviction royaliste pendant et après la Révolution, il est évident qu’il juge l’interprétation de Lekain, qui associe de manière univoque la royauté à l’horreur, trop unidimensionnelle. Lekain, quant à lui, se référait pour son choix à la vraisemblance: “Avec mon âge, mon caractère de tête et mes moyens, il m’a déjà été, il me serait encore impossible de descendre, jusqu’à l’âge de Néron; je n’ai donc pas eu tort de faire monter Néron jusqu’à mon âge” (Le Vacher de Charnois 1790: 16). Ce qui constitue une lecture dramaturgique erronée aux yeux d’un nombre important de critiques - souvent a posteriori, sans qu’ils aient été témoin de la performance - et de spectateurs contemporains, est pour Lekain une nécessité dictée par son souci de véracité, par son désir d’authenticité. Entre “vérité” historique, cérémonie et commentaire sur l’actualité politique L’interprétation de Britannicus par Lekain s’inscrit non seulement dans le contexte politique de son temps, elle est aussi explicitement à la recherche d’une cohérence scénique, tant au niveau de l’espace que du costume. Lekain organise son interprétation selon une topographie dramaturgique à la fois cohérente et cérémonielle et il entreprend une première tentative d’historiciser le costume de théâtre, et donc de l’intégrer de manière conséquente dans la fiction théâtrale. On constate ainsi que l’historicisation offre à Lekain un détour stratégique, qui lui permet de parler de son siècle sans y référer explicitement. Via cette séance cérémoniale les connotations politiques se trouvent neutralisées par un double jeu de référence qui réfère à la fois à une réalité bien précise - telle est en effet son intention artistique - et au monde <?page no="236"?> Karel Vanhaesebrouck 236 contemporain du spectateur. La discordance est donc, pour ainsi dire, montrée, jouée, problématisée à travers un univers historique qui est présenté comme neutre. Le manuscrit intitulé “Rôles joués par Lekain et copiés de sa main” conservé à la bibliothèque-musée de la Comédie-Française (Ms 20015; 1.37) nous donne une bonne idée de la performance intentionnelle. Ce document contient des indications spécifiques pour le premier garçon de théâtre (“placez dès le premier acte deux fauteuils, l’un à droite et l’autre à gauche de la scène”), pour le perruquier (“préparer pour les six chevaliers romain six coiffures, comme elles sont indiquées à l’article de Bérénice”) et pour le machiniste décorateur: Le théâtre doit représenter une galerie d’une architecture noble et riche. Le fonds qui conduit à l’appartement de l’empereur est fermé par des portes ordinaires. La droite conduit aux appartements d’Agrippine, de Junie et de Britannicus, la gauche à celui d’Octavie. (s.p.) Le plateau étant encombré d’un nombre important de figurants, Lekain note les déplacements de “six chevaliers romains de la cour de Néron, un chef de licteurs et douze licteurs servant de garde de l’empereur” en les faisant correspondre à une réplique, la sortie ou l’entrée d’un personnage. Par exemple, pour la huitième scène du troisième acte, on peut lire: “les douze licteurs se rangent vers le fond du théâtre sur une seule file. Le chef est au milieu et un peu avancé.” De même, Lekain reproduit les vers “dans son appartement, gardes, qu’on la retienne; gardez Britannicus dans celui de sa sœur” donnant le signal aux figurants d’exécuter les mouvements suivants: “deux licteurs formant la pointe de la ligne droite suivent Junie. Deux autres, formant à gauche la pointe de la même ligne suivent Britannicus.” Il est bien probable que le résultat de cette mise en place très précise était très cérémonieux: le tout aboutit à une chorégraphie du pouvoir, métaphore parfaite pour le caractère cérémoniel et rituel de la vie de cour et de la façade qui couvre les vrais motifs. Lekain crée une véritable dramaturgie de l’espace (voir aussi Bret-Vitoz), et cela à l’intérieur d’un univers historique qui se veut précis et cohérent. La deuxième innovation introduite par Lekain - l’espace nous manque pour la développer ici - est la plus connue et concerne le costume. Tirant partie de l’impact des découvertes d’Herculanum (1709) et de Pompéi (1754) sur l’imagination populaire, Lekain cherche pour la première fois - ne fût-ce que d’une manière modeste et isolée - à adapter son costume à l’époque et au milieu représentés par la fiction dramatique. Lekain recherche ainsi, via une dramaturgie cohérente de l’espace et du costume, systématiquement un accord logique, et cohérent, entre acte et parole, entre action théâtrale et récit narratif. <?page no="237"?> 237 L’authenticité historique au XVIII e siècle Talma, lien nécessaire entre les XVIII e et XIX e siècles En tant que praticien et penseur du théâtre, Talma attache beaucoup d’importance à la conscience historique, tout comme son prédécesseur Lekain. C’est ainsi que l’exactitude historique joue un rôle important dans les interprétations de Britannicus, puisque, pour lui, une interprétation d’une tragédie devrait d’abord procurer une vision respectueuse de la réalité historique dans laquelle se déroule telle ou telle tragédie. De cette préoccupation pour l’exactitude émane un goût prononcé du costume et du détail historique. Ce goût du détail se manifeste, entre autres, dans son interprétation de Britannicus, pièce à laquelle il consacre quelques passages éclairants dans ses Réflexions sur Lekain. Talma interprète au moins 95 fois le rôle de Néron dans Britannicus entre 1799 à 1826. C’est un nombre impressionnant si on se rappelle que la pièce, considérée comme “contraire à l’esprit de la révolution,” fut interdite avec Andromaque, Phèdre et Macbeth par la loi du 4 mai 1794. Ce ne serait qu’à partir du début du XIX e siècle que la tragédie classique en général, et celle de Racine en particulier, regagneront leur popularité. Talma assure ainsi la transition entre les premières tentatives de renouvellement amorcées par Lekain et les acquis romantiques du XIX e siècle. Comme nombre de ses contemporains, Talma tente de naturaliser, de “déconventionnaliser” la tragédie racinienne, tant au niveau de la diction que du geste. En utilisant un débit de prose, et en s’écartant de la scansion traditionnelle du vers, il tente de rapprocher les vers raciniens du naturel - tentative qui n’est d’ailleurs pas unanimement reçue de manière positive. Le jeu de Talma rompt aussi avec la tradition. Nodier, critique au Journal des débats, décrit par exemple comment l’acteur mettait en valeur l’impatience et l’indifférence du jeune Néron: “il jouait avec son manteau, comme s’il en examinait la richesse, affectant une grande indifférence aux paroles de sa mère” ou on le voyait “tantôt joignant et frottant les mains, tantôt relevant le pan de sa robe, comme pour en considérer la riche broderie” (31 janvier 1811). En se fondant sur le naturel, catégorie qui est à ce moment-là déjà au cœur des débats théoriques, Talma s’oppose à la tradition néoclassique du jeu. Il substitue donc cette logique à la conventionalité, à la nécessité de se conformer au modèle classique. Il construit ainsi un nouveau modèle idéal dont l’exactitude et le naturel sont les critères de base. Talma réorganise donc le mythe de l’authenticité en le greffant sur des critères d’historicité et non de conventionalité. A l’intérieur de ce nouveau dispositif de “déconventionnalisation,” on retrouve une figuration politique du personnage de Néron semblable à celle de Lekain, et cela malgré le contexte politique fondamentalement différent. Tant Lekain que Talma dépeignent l’empereur romain comme un manipulateur, <?page no="238"?> Karel Vanhaesebrouck 238 comme un tyran accompli, bien que le contexte dans lequel ils travaillent, et auquel le système artistique fait nécessairement référence, soit fondamentalement différent. Lekain qui travaille en plein Ancien Régime, présente son interprétation de Néron à un moment où la popularité de Louis XV est au plus bas. Avec son interprétation, Lekain montre les excès du pouvoir, il montre ce qui se passe lorsqu’un souverain fait passer ses propres désirs avant les enjeux étatiques. Le Néron de Lekain présente donc au public un exemple négatif, sans que l’idée même de la monarchie absolue soit fondamentalement critiquée. Talma par contre vit et travaille à une époque postrévolutionnaire. Lors de la révolution - comme en témoigne l’affaire autour de Charles IX (Boncompain) - il s’oppose à la monarchie. Son Néron montre alors non seulement un exemple négatif de la souveraineté absolue, il est le symptôme même d’un vieux système politique qui a perdu sa pertinence. Cependant, il est probable que ce mécanisme se transforme à nouveau lors de l’Empire. Talma continue à jouer Néron, même devant Napoléon, à un moment où l’association de Néron à l’empereur devient de plus en plus évidente et donc potentiellement dangereuse. À ce moment, Talma a recours à la stratégie de Lekain: montrer les excès du pouvoir absolu, plutôt que d’en montrer l’impossibilité. Le Britannicus de Talma se caractérise par une position tout à fait paradoxale, oscillant entre connotation politique contemporaine d’une part et historicisation d’autre part. Tout au long de sa carrière et de ses écrits il a toujours plaidé en faveur d’une approche exacte et historique du costume de théâtre. Son innovation, qu’il présente pour la première fois lors de la représentation de Brutus en 1790, est non seulement une révolution esthétique et une transgression calculée des bienséances (les bras nus, les cheveux sans poudre) mais pourrait aussi être considérée comme une prise de position politique: avec Talma le costume n’est plus un moyen de distinction sociale. Cependant, il ne faudrait jamais oublier qu’il reste relativement isolé, y compris dans son jeu, et qu’il y a donc une très curieuse disparité qui oblige le spectateur à juger de manière différente les deux types de figuration - conventionnel et naturel - coexistant sur la même scène. De plus, le désir de véracité historique dans la représentation de l’Antiquité romaine est aussi contextuellement déterminé. L’Antiquité joue un rôle crucial pour les Lumières et pour l’imagination populaire de l’époque, elle constitue le socle d’une nouvelle imagination bourgeoise. Ceci est certainement vrai pour l’interprétation de Talma, dans laquelle la romanité fonctionne comme une sorte d’antidote à l’Ancien Régime et à son iconographie. En même temps, cette même romanité rend possible un retour à l’iconographie de l’Ancien Régime lorsque la Restauration se met en place. L’Antiquité romaine fonctionne donc comme une espèce de boîte vide dont les significations multiples peuvent être réactivées selon le contexte de la représentation. <?page no="239"?> 239 L’authenticité historique au XVIII e siècle Avec Talma s’installe donc une nouvelle harmonie à l’intérieur de la séance théâtrale, une harmonie qui tente de combiner la nécessité politique d’un détour historique d’une part et le désir de plus en plus prononcé d’une illusion théâtrale cohérente de l’autre. Exactement ce désir d’harmonie, de concordance - qui est en premier lieu d’ordre théorique, la pratique fonctionnant là aussi à travers une logique et un plaisir de discordance, à travers la coexistence, sur scène, d’esthétiques conflictuels - se trouve au cœur de cette séance nouveau genre qui se met en place au XVIII e siècle. Les différences avec la pratique théâtrale au XVII e siècle sont évidentes. Dans une séance commune, le public et les acteurs de cette époque participent en costume contemporain au même événement social. Malgré l’intérêt indéniable que représente l’histoire galante de Britannicus pour le public du XVII e siècle, la pièce livre également un commentaire sur la situation politique contemporaine. Elle propose et représente un certain nombre de problèmes politiques concernant, entre autres, la souveraineté. Néron, Britannicus, Burrhus et les autres ne sont pas seulement des Romains, mais d’abord des personnages contemporains qui présentent au public un problème et lui demandent de porter un jugement sur une problématique qui touche au présent et non au passé - le tout en faisant un détour à travers le monde des empereurs romains. Par contre, le théâtre du XVIII e siècle - ou, plus précisément: le théâtre d’après 1759 (l’année où les banquettes sont enlevées), tel que l’envisagent Talma et Lekain - présente à ses spectateurs une entité fictionnelle close, qui met en évidence la distance entre le temps réel et le temps fictif - telle est, du moins, son ambition. Ainsi l’impact sur le public est d’une certaine manière réduit, la tragédie devient un artefact historique, un récit qui se déroule dans le passé avec des personnages du passé, au lieu de livrer un commentaire sur l’époque contemporaine. On pourrait donc supposer que, conjointement à l’autonomisation du récit (qui se déroule donc dans un monde clos) et à la canonisation graduelle de l’œuvre racinienne, la tragédie semble perdre sa prise sur le monde des spectateurs, puisque l’historicisation neutralise son potentiel contemporain. Autrement dit, au cours de ce siècle, le mythe racinien historique, qui dépend de manière directe d’une certaine mise en scène idéalisée, prend forme, il est donc construit. Néanmoins ce désir de créer l’illusion parfaite sur scène est constamment accompagné, et donc en partie brouillé, par le goût du spectaculaire et du merveilleux et par le starrisme, phénomène auquel Talma, grand avocat de l’illusion théâtrale, n’échappe ironiquement pas. La construction mythologique de Britannicus qui ne s’est développée qu’au cours du XVIII e siècle, est d’abord une conception théorique qui se voit constamment contestée par la pratique même, qui ne tient pas compte de ces modèles théoriques, et par son intrication dans le contexte <?page no="240"?> Karel Vanhaesebrouck 240 politique de l’époque qui est, comme nous venons de l’expliquer, fondamentalement différent pour Lekain et Talma. Conclusions Lekain et Talma diffèrent l’un de l’autre parce qu’ils agissent dans un contexte politique différent. Lekain vit et travaille dans l’Ancien Régime, le public décode donc son Néron en ayant Louis XV en tête. Talma par contre se transforme progressivement de serviteur du roi en militant révolutionnaire et puis en vedette de la nouvelle économie culturelle de l’Empire, chaque transformation allant de pair avec une réorientation de son interprétation du rôle de Britannicus. En outre, le contexte sociologique dans lequel les deux acteurs fonctionnent est différent: Lekain, qu’il le veuille ou non, se met au service de la machinerie aristocratique autour de la monarchie, le travail de Talma est inséparablement connecté à l’embourgeoisement graduel du théâtre. Deux contextes sociologiques différents, donc deux implications dramaturgiques différentes. Alors que Lekain prend encore comme point de départ la poétique classique et les idées de noblesse et de grandeur qui sont indissociablement liées à cet héritage du XVIII e siècle, Talma s’approprie Racine et Britannicus, en greffant cette tragédie sur le désir bourgeois du naturel et sur un certain goût bourgeois de l’antique (d’où vient bien évidemment la résistance des critiques néoclassiques et royalistes qui considèrent ce parti pris comme une caricature de la grandeur qu’ils associent au classicisme). Talma montre donc comment l’attitude de la bourgeoisie envers le répertoire classique change: elle s’approprie elle-même un modèle culturel, jusqu’alors considéré comme nécessairement aristocratique, et l’utilise à son tour comme un outil de distinction sociale. Avec la généralisation graduelle du critère de l’authenticité historique, la porosité entre la salle et le monde semble graduellement disparaître de concert avec cet autre mythe, celui de l’intemporalité. Néron devient de nouveau un Romain au lieu d’être un souverain français. De plus, la distance ainsi créée entre le présent et le passé deviendra de plus en plus nécessaire, vu les circonstances politiques: l’historicisation fonctionne dès lors comme une forme d’autocensure politique, dans le but de pouvoir représenter une tragédie qui parle de la politique, elle fonctionne donc comme une stratégie qui permet donc à dissimuler la discordance à l’intérieur de la séance, discordance entre réalité historique et contexte politique, discordance entre illusion théâtrale et la connivence entre acteurs et spectateurs. Avec l’historicisation s’installe la fracture définitive entre le passé et le présent, entre le corpus classique et la pratique théâtrale. La transposition non-médiée du texte à <?page no="241"?> 241 L’authenticité historique au XVIII e siècle la scène est maintenant impossible et l’historicisation fonctionne dès lors comme une médiation nécessaire, si on veut encore représenter Britannicus. Bibliographie Biet, Christian. “L’unité de la séance du théâtre: point de vue historique, point de vue méthodologique: Pour un autre regard sur le théâtre ‘classique.’ De l’unité du livre à celle de la séance: texte, performance, spectacle.” PFSCL 63 (2005): 487-504. Boncompain, Jacques. “Théâtre et formation des consciences: L’exemple de Charles X.” Revue d’histoire de théâtre 41 (1989): 44-48. Geoffroy, Julien-Louis. Cours de littérature dramatique. Paris: Blanchard, 1825. Le Vacher de Charnois, Jean Charles. Recherches sur les costumes et sur les theaters de toutes les nations tant anciennces que modernes. Vol. 2. Paris: Drouhon, 1790. Lekain, Henri-Louis Kain. Registre de Lekain. Bibliothèque de la Comédie française. Ms 25035. -. 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Viala, Alain. “Qu’est-ce qu’un classique? ” Littératures classiques 19 (1993): 13-30. <?page no="243"?> Armide de Lully et Quinault: Tensions au cœur de “l’opéra des femmes” (XVII e -XXI e siècles) J UDITH LE B LANC Fondation Thiers/ Université Paris Ouest Nanterrre La Défense De nombreuses mises en scène récentes d’opéras baroques suscitent des réactions de colère. 1 Telle est le cas d’Armide, dernière production de Robert Carsen et William Christie. 2 Il existe de fait plusieurs contradictions entre les significations potentielles de cette œuvre au moment de sa création et celles qui ont été suggérées par Carsen. En quoi les diverses tensions à l’œuvre dans Armide - “l’opéra des dames” (Léris 63), également surnommé “l’opéra des femmes” (Lecerf I, 3, 102) - comme dans sa mise en scène actuelle permettent d’éclairer d’une part le surnom de l’opéra au XVII e siècle, d’autre part le sens inédit assigné à l’œuvre dans un certain type de logique spectaculaire? Armide voit le jour au Palais-Royal, le 15 février 1686, dans une atmosphère tendue. Ironie du sort, elle connaît le même sort que le Malade Imaginaire: commandée pour les divertissements du Carnaval, elle est boudée par son commanditaire. En témoigne la dédicace: “C’est de tous les ouvrages que j’ai faits, celui que j’estime le moins heureux, puisqu’il n’a point eu encore l’avantage de paraître devant Votre Majesté… J’avouerai que les louanges de tout Paris ne me suffiraient pas; ce n’est qu’à vous, Sire, que je veux consacrer toutes les productions de mon génie” (cité in Couvreur 401). Cette dédicace résonne dans le vide causé par la désaffection du Roi, et comme en écho au prologue de la dernière comédie de Molière. 3 Pourtant le Roi en choisissant le sujet d’Armide, renouait d’une part avec l’époque du ballet de Cour, (dans 1 “Ce livre est un livre de colère” (Beaussant, La Malscène, p. 7). Voir aussi Merlin. 2 Christie (direction musicale), Carsen (mise en scène) et Jean-Claude Gallotta (chorégraphie) au Théâtre des Champs-Élysées (octobre 2008). Carsen et Christie ont monté ensemble de nombreux opéras baroques, dont Sémélé (1996), Orlando (1993, 1994) et Alcina (1999). “Une bordée de huées a accueilli le metteur en scène Carsen à l’issue de la première représentation d’Armide […]” (Machart 25). 3 “Ce qu’on fait pour Louis, on ne le perd jamais… Heureux qui peut lui consacrer sa vie! ” (Molière 1097). <?page no="244"?> Judith le Blanc 244 Les Amours déguisées de Benserade et Lully [1664], Louis XIV incarnait Renaud et l’on voyait déjà la destruction du palais d’Armide); et choisissait d’autre part un sujet chrétien susceptible d’être en accord avec l’esprit de dévotion grandissante que tentait d’imposer Madame de Maintenon. Tout porte à croire que Lully et Quinault composent donc une œuvre en accord avec les attentes de l’époque. Les causes du désaveu royal Les raisons de ce désamour sont d’ordre moral: Louis XIV, de plus en plus sous l’emprise des sermons du Père Bourdaloue, est sous le choc d’un scandale récent. Le castrat Atto Melani, devenu abbé, rapporte que Lully est le premier à en faire les frais lorsqu’on apprend à Louis XIV qu’il dort tous les soirs avec le page Brunet “au scandale de sa femme et de ses enfants” (La Gorce 309). Ce scandale fait la joie des chansonniers du temps, qui raillent explicitement l’homosexualité de Lully: Baptiste est fils d’une meunière, Il ne saurait nous le nier. Il ne chevauche qu’en meunier, Toujours sur le derrière. (Cité in La Gorce 311) 4 Sous la menace, Brunet dénonce d’autres seigneurs de la cour et Louis XIV aurait dit “qu’il ferait punir ce désordre désormais aussi sévèrement que le poison” (La Gorce 310). En juillet 1685, un courrier dont les auteurs jurent de renoncer “à toutes les femmes” (La Gorce 324) est intercepté. Or malgré les bruits qui courent sur ses mœurs et ses ennuis de santé, Lully compose l’opéra qui sera reconnu comme son chef-d’œuvre. Un chef-d’œuvre féminin qui touche particulièrement les femmes? “Cet opéra fut également le triomphe de Quinault, de Lully, et de Mlle Rochois” (Parfaict 1: 192). Une première hypothèse dans l’explication du surnom d’”opéra des femmes” serait que le rôle-titre est donnée à l’héroïne 4 Paris, BNF, Ms fr 12669, 62. Voir aussi celle-ci sur un air du prologue de Roland: “C’est le Roi qui te menace,/ Ah! Lully songe à changer/ Quelques vœux que tu lui fasses/ Il ne veut point y songer/ Tu reviens quand il te chasse/ Tu ne peux plus l’engager.” Ms fr 12689, Recueil de chansons ou vaudevilles satiriques et historiques avec remarques curieuses, du 1 er de l’an 1685 jusqu’à la fin de l’an 1689, vol. 7, 51. Cet air servait déjà à railler les amours de la Reine et de Mazarin en 1652. Voir Rollin. <?page no="245"?> 245 Armide de Lully et Quinault qui chante pas moins de quatre monologues, alors que dans les deux tragédies précédentes, également d’inspiration romanesque (Amadis, 1684, Roland, 1685), la préférence revenait au héros masculin. La présence de Mlle Rochois dans le rôle-titre, actrice admirée par le public, mais aussi de la Desmatins et de Fanchon Moreau, appelées à paraître sous les traits des deux confidentes de la magicienne, Phénice et Sidonie, a pu en outre contribuer à forger la réputation de l’opéra des Femmes (La Gorce 664). Lecerf rapporte que l’opéra a fait une impression particulièrement forte sur les spectatrices: “Qu’un savant eut prétendu que la musique ne répondait point aux paroles, je l’aurais assuré que si la musique n’eut pas été aussi gracieuse que les paroles, ce trait aurait fait une impression moins générale et moins vive sur les dames” (139). Gros la surnomme “la Phèdre de Quinault” (637). Comme Phèdre, Armide aime sans être aimée, mais Armide est une magicienne, et comme Médée, elle apparaît “sur son char volant” et ne se suicide pas. Elle sort même d’une certaine manière victorieuse de son combat par son geste de destruction final: Le spectacle finit par le fracas du palais enchanté que les démons viennent détruire en un instant. Dans l’émotion que cause cette machine unique amenée et placée avec art, la toile tombe et le spectateur plein de sa passion qu’on a augmentée jusqu’au dernier moment l’emporte tout entière. Il s’en retourne pénétré malgré qu’il en ait, rêveur et chagrin du mécontentement d’Armide. Il semble que l’esprit humain ne peut rien imaginer de supérieur au cinquième acte d’Armide.” (Lecerf 195). Son fameux monologue “Enfin il est en ma puissance” est paradigmatique à plus d’un titre. 5 McIntyre lui prête un caractère “féminin” et affirme qu’Armide est “la plus érotique” (McIntyre 158) des œuvres de Quinault. En effet, et ce n’est pas le moindre des paradoxes de l’œuvre, tout en délivrant la morale du renoncement aux plaisirs terrestres, les moments que l’on retient sont ceux qui invitent aux plaisirs de la vie, comme la passacaille: “Si l’amour ne causait que des peines/ Les oiseaux amoureux ne chanteraient pas tant… Dans l’hiver de nos ans, l’Amour ne règne plus./ Les beaux jours que l’on perd sont pour jamais perdus” (V, 2); et le magnifique chœur de démons sous la figure de nymphes, de bergers et de bergères qui “enchantent Renaud et l’enchaînent durant son sommeil avec des guirlandes de fleurs”: “Ah! quelle erreur, quelle folie/ De ne pas jouir de la vie/ C’est aux jeux, c’est aux amours,/ Qu’il faut donner les beaux jours” (II, 4). La volupté qui se dégage de ces petits bijoux d’épicurisme concurrence ainsi la morale chevaleresque, chrétienne, de sagesse et de gloire. En tant que clou du spectacle, le monologue d’Armide est notamment la pièce la plus parodiée de l’œuvre dès sa création. 5 Il est l’objet de multiples commentaires, admiré par Rameau (voir Schneider 289ff), et critiqué par Rousseau dans sa Lettre sur la musique française (308-09). <?page no="246"?> Judith le Blanc 246 Indices précieux de la réception et du succès de l’œuvre, les parodies éclairent son caractère féminin. Elle est parodiée dans des comédies qui exploitent la passion irraisonnée, à la limite de l’hystérie, de femmes mûres pour l’opéra, et l’identification de celles-ci avec l’héroïne de Quinault. 6 L’intrigue de L’Opéra de Campagne de Dufresny (Comédie-Italienne, 4 juin 1692) rappelle celle de Renaud et Armide de Dancourt (Comédie-Française, 31 juillet 1686). Madame Prenelle, rêve de passer son temps à l’Opéra: “J’ai résolu d’aller voir l’opéra tout mon saoul. J’y serai jour et nuit; j’y boirai; j’y mangerai; j’y coucherai; j’y… Ah! l’opéra c’est la source de tous les plaisirs (scène 8)” (Théâtre Italien 23). Le travestissement de Madame Prenelle, interprétée par Mezzetin “contrefaisant” La Rochois, ajoute au comique. Le célèbre monologue devient une charge satirique teintée de misogynie: Enfin il est en ma puissance Ce mépriseur d’appas, ce glacé jouvenceau Il me vit sans m’aimer; j’enrage quand j’y pense Cruel, j’aurais moins pitié de ta peau Que notre chat à jeun n’en aurait d’un fromage… Frappons. Ciel! Qui peut m’arrêter? Achevons. Je frémis. Vengeons-nous. Je soupire. La vengeance pour moi n’a plus rien de charmant. Suis-je donc femme, ô ciel! Oui, je la suis vraiment. Je passe en un moment de l’excès de la haine À celui de l’amour. (Théâtre Italien IV, 56-57). Tralage cite un curieux sonnet de Boyer sur La Rochois, qui atteste l’enthousiasme du public pour la chanteuse, la part féminine de celui-ci, allant jusqu’à souhaiter être un homme: Lorsque pour son amour La Rochois inquiète Attise d’un coup d’œil les feux de son amant… Le sincère Parterre à grand bruit lui fait fête: Il est, plus que Renaud, dedans l’enchantement; Aux loges il n’est point de femme assez coquette Pour ne pas souhaiter d’être homme en ce moment… Armide ne fut pas aussi touchante qu’elle. Sans secours des enfers Renaud aurait aimé, Et le Ciel n’aurait pu l’arracher à la belle. (Tralage 102-03) Ce sonnet nous intéresse à plus d’un titre. D’abord parce qu’il brouille la frontière entre la fiction et la réalité, entre le rôle et l’interprète, évoque 6 Cette folie d’identification était déjà celle que l’on trouve dans les Opera de Saint- Évremond (1676). <?page no="247"?> 247 Armide de Lully et Quinault la possibilité d’évacuer le merveilleux ce que fera Carsen, ensuite par le brouillage des identités sexuelles, car ce brouillage existe dans l’œuvre de Quinault. Brouillage des repères sexuels Le rapport des sexes est bel et bien inversé dans le livret de Quinault. Pour le dire rapidement, Renaud manque de virilité, et Armide présente des qualités d’énergie proches de celles d’un héros masculin: les deux monologues phares de la pièce sont, à ce titre, représentatifs. L’enchantement d’Armide (II) prive Renaud de sa virilité, des valeurs de la gloire et de la guerre, le détourne de la quête de la Jérusalem céleste, il est amolli par les charmes d’Armide et cède au Sommeil sur une musique douce, qui imite la sensualité de la nature, le bruit de l’eau, le “fleuve coule lentement,” l’air est embaumé des “plus aimables fleurs” et du “plus doux zéphire.” 7 Il n’est d’ailleurs pas anodin que Boileau dans sa Satire X contre les femmes, qualifie Renaud de “doucereux”: Par toi-même bientôt conduite à l’Opéra, De quel air penses-tu que ta Sainte verra D’un spectacle enchanteur la pompe harmonieuse, Ces danses, ces héros à voix luxurieuse; Entendra ces discours sur l’amour seul roulants, Ces doucereux Renauds, ces insensés Rolands… Et tous ces lieux communs de morale lubrique, Que Lully réchauffa des sons de sa musique? (Boileau 66). Et Beaussant de remarquer que le héros reste “un peu pâle” (692) par rapport à l’héroïne. Couveur rappelle en outre que “plusieurs critiques des XVII e et XVIII e siècles ont reproché à Quinault de ne pas avoir donné à son héros une vigueur cornélienne. La magnifique scène d’adieu finale leur semblait trop tendre pour être digne d’un chevalier chrétien” (Couvreur 388). Les Anecdotes dramatiques résument cette opinion: “Quinault semble trop donner aux charmes puissants des yeux d’Armide, et trop peu à la valeur que Renaud a dû faire paraître en la quittant” (Clément I 13). 7 Cette féminisation du héros pris par les charmes de la magicienne est récurrente dans la tradition iconographique. Dans le tableau intitulé Renaud et Armide peint par Poussin vers 1625, conservé à la Dulwish Picture de Londres, Armide se penche amoureusement sur Renaud, maniant un poignard bien davantage phallique que meurtrier alors que Renaud est dans une pose suggestive. <?page no="248"?> Judith le Blanc 248 De l’opéra des femmes à l’opéra contre les femmes? Carsen inverse délibérément cette dimension pour donner le beau rôle au héros masculin et priver Armide de sa sortie triomphale en modifiant le dénouement et en introduisant le suicide de l’héroïne. Outre le fait qu’il ne soit pas vraisemblable que la magicienne se suicide (selon la théorie de la vraisemblance merveilleuse mise en lumière notamment par C. Kintzler), le suicide final modifie le sens de l’œuvre de Quinault, mais aussi du Tasse puisque dans La Jérusalem délivrée, Renaud et Armide finissent par s’unir. Mais revenons à l’œuvre elle-même et au XXI e siècle, où arrachée à son mutisme, à son musée imaginaire, elle est “ouverte à la compréhension de notre temps présent” (Jauss 122). Le prologue de la mise en scène de Carsen montre un powerpoint sur Louis XIV, une galerie de portraits du roi et une visite guidée de Versailles par la Sagesse et la Gloire en tailleur gris oscillant entre des conférencières pédantes et des femmes en talons à pratiques sadomasochistes. Sur l’écran, on voit une bande de touristes-danseurs qui se promène dans Versailles. C’est une façon de mettre à distance la convention du prologue, lieu de la propagande, de l’hommage au commanditaire, portait en acte du roi. Paul Agnew (Renaud), fait partie de ces touristes et lors de la visite de la chambre du roi, s’endort sur le lit de Louis XIV, annonce de la scène de sommeil à venir dans l’acte II. À la fin du spectacle, Renaud se réveille sur le plateau dans le lit d’Armide qui se confond à présent avec celui de Louis XIV, 8 lorsque, sur la musique prévue pour l’envol d’Armide, la troupe de touristes, potache et badine, débarque sur scène et découvre le bel endormi, qui, gêné se réveille et se rhabille. Est-ce à dire que tout cela n’était qu’un rêve, ou plutôt un cauchemar pour le pauvre Renaud, celui d’avoir été séduit par une femme fatale? Carsen gomme la dimension du merveilleux chrétien hérité de La Jérusalem délivrée - jugé peut-être démodé au sens propre du terme - au profit de la mise à mort de la femme fatale. Ce thème de la femme fatale est présent dans l’œuvre, notamment à travers le leitmotiv des yeux et du regard d’Armide. 9 Chez Quinault, Renaud contemplait avec dégoût l’instrument de plaisir qu’il était devenu entre les mains de la magicienne dans le bouclier- 8 Le lit est un motif récurrent dans les mises en scène de Carsen. Déjà à propos de A Midsummer Night’s Dream de Britten en 1991, Deshoulières écrit: “En déployant un lit immense sur tout le plateau, en exhibant James Bowman en pyjama toute la soirée, Carsen ne peut être plus explicite: c’est Obéron qui rêve tout le spectacle…” (393). 9 “Renaud. - Est-il plus malaisé d’éviter sa vengeance/ Que d’échapper au pouvoir de ses yeux? ” II, 1. “Renaud. - Tout l’éclat dont brille la Gloire/ Vaut-il un regard de vos yeux? ” (V, 1). <?page no="249"?> 249 Armide de Lully et Quinault miroir, qui d’instrument de la vanité, devenait instrument de la vertu. Chez Carsen, la scène du bouclier de la gloire (V, 3) est supprimée: on ne comprend plus pourquoi Renaud décide de quitter Armide, ou plutôt, pour la quitter, nul besoin d’artifice, on la quitte à la seule vue de ses compagnons. La scène de la Haine (II), la plus originale et la plus forte de cette mise en scène, illustre de manière paradigmatique la tendance misogyne du spectacle. Armide invoque la Haine pour combattre l’amour qu’elle ressent pour Renaud. “Armide est une méchante tentatrice, elle est donc en déshabillé rouge” (Machart 25). Or les suivants de la Haine sont représentés par des hommes travestis, vêtus en nuisette rouge, qui se mettent du rouge à lèvres et violent Armide, lui passant sur le corps et l’embrassant l’un après l’autre. Si l’allégorie, vêtue comme l’héroïne, extériorise la passion, elle devient ici non seulement le théâtre intérieur d’Armide, mais aussi son double et son fantasme… Dans une interview, Carsen parle d’Armide comme d’une “femme érotique et castratrice,” d’une “femme sexuellement agissante,” il la compare à Carmen, “toutes deux sont des menaces pour les hommes. C’est pour cela que l’on punit les femmes qui prennent leur plaisir sans limites. Armide est punie pour ses crimes” (“Le Grand Siècle” 35-36). Ce témoignage explique en partie le projet: Carsen “interprète” Armide à l’aune de la tradition opératique européenne, du répertoire que le public d’opéra d’aujourd’hui connaît. S’il fait des contresens par rapport aux conditions de signification spécifique de la tragédie en musique, il n’en fait pas du point de vue anhistorique ou transhistorique qui est le sien. Il y a bien tension, tension fertile et créatrice entre effets de sens liés au contexte de création d’une œuvre et les effets de sens possible à chaque reprise de l’œuvre. De son côté, Christie ajoute: “On appelle Armide l’opéra des dames, comme on a surnommé Atys l’opéra du Roi. Ce sont des appellations contemporaines des œuvres, anecdotiques, mais parlantes tout de même. Le roi n’a pas vu Armide. Lully était en disgrâce pour ses frasques, il était malade, usé par sa vie dissolue. Le roi avait beau être ‘gay friendly,’ quand la noblesse était impliquée, rien n’allait plus” (“Le Grand Siècle” 36). Tout se passe comme si ce spectacle était une revanche des gays sur le désavœu royal mais au prix d’un dévoiement misogyne de l’œuvre. La question qui se pose est alors la suivante: l’“opéra des femmes” serait-il devenu, dans cette mise en scène, l’opéra des gays? Carsen s’explique sur son choix: “sa chute, telle que la juge le regard des hommes (pour qui le plaisir sexuel féminin débridé ne peut rester impuni), peut certes être déchirante et cathartique, mais doit apparaître toujours comme le juste châtiment répondant à ses “crimes”… Renaud, le héros qui est asservi par le statut féminisant, castrateur et corrupteur du charme érotique, trouve son double opposé dans le héros du prologue, qui n’est autre <?page no="250"?> Judith le Blanc 250 que Louis XIV en personne. Il nous y est dit en des termes péremptoires, qu’“Il” ne pourrait jamais être sujet à une telle faiblesse, et que c’est à cette grandeur morale que Renaud devrait aspirer” (Carsen 93). Il ajoute que “c’est le personnage éponyme de l’opéra qui devrait le moins nous inspirer de sympathie,” mais c’est pourtant l’inverse qui se produisait à l’époque, puisque Armide emportait tous les suffrages. Tout se passe comme si Carsen se défendait de céder au charme d’Armide, mais que, du même coup, il s’empêchait aussi de céder à celui de l’opéra: “avec un art consommé, Lully parvient simultanément à nous tenter et à nous mettre en garde contre les dangers représentés par sa déesse du sexe” (94). Comme s’il anticipait la réaction de la part féminine du public, pour justifier historiquement sa lecture misogyne de l’œuvre, Carsen s’appuie sur l’idée que “la Renaissance était obsédée par l’idée que l’amour était un état d’âme dangereusement féminisant et castrateur”. Il cite deux ouvrages à l’appui de cette théorie: Usurpations d’identité: la représentation du genre dans l’Angleterre shakespearienne (Stephen Orgel): “Les femmes sont dangereuses pour les hommes parce que la passion sexuelle féminise les hommes: c’est une époque où la sexualité elle-même est misogyne, dans la mesure où l’amour des femmes menace l’intégrité si périlleusement conquise de l’identité masculine”; et The Anatomy of Melancholy (Robert Burton, 1660): “L’amour est tout entier peur, angoisse, doute, souci, irritation, suspicion. Il fait d’un homme une femme” (Carsen 94). Certes cette dimension est réelle et présente dans l’œuvre elle-même, mais le problème de la mise en scène de Carsen, c’est qu’elle se place dans une esthétique bourgeoise hyper stylisée, aux antipodes des références de la Renaissance et du locus amoenus enchanté qui met en péril les valeurs chevaleresques. “Spécialiste du drame bourgeois, Robert Carsen prend aussi plaisir à tendre son miroir au public: spectacle bourgeois offert au public bourgeois ” (Alexandre 36). Carsen “s’est tenu dans les limites paresseuses d’un bon chic bon genre visuel (entre le gris perlé des vitrines Dior, en face, avenue Montaigne, et la jonchée de roses rouges du film American Beauty) et a tout organisé autour d’un seul concept fétiche (le lit du roi), décliné ad nauseam…” (Machart 25). Le châtiment de la femme castratrice va jusqu’à sa mise à mort et déplace la morale chevaleresque du côté d’un puritanisme misogyne. Si Armide se suicide, quel sens peut avoir sa réplique finale: “L’espoir de la vengeance est le seul qui me reste”? Renaudtouriste vole la vedette à Armide, son réveil sur le lit du roi sous les yeux des touristes se substitue à la catastrophe de l’œuvre, dénaturant le sens et empêchant toute possibilité d’émotion. Alors comment expliquer la colère du public? Ce ne sont pas tant les coupes et les libertés prises par rapport à l’œuvre, car comme le disait Christie sur France-Culture, “on ne fait pas violence en ajoutant ou en supprimant.” La violence est plutôt dans le détournement, l’appropriation de ce répertoire <?page no="251"?> 251 Armide de Lully et Quinault qui donne le beau rôle aux femmes fortes par des hommes qui, comme prenant leur revanche sur elles, vont jusqu’au contresens. En effet, habituellement et selon la vraisemblance merveilleuse propre à ce type d’opéras, les héroïnes fortes le restent jusqu’au bout et même quand elles se suicident, les auteurs magnifient musicalement ce moment dramatique, comme le fait par exemple Purcell pour la mort de Didon. En ôtant le merveilleux chrétien, en banalisant le destin de cette “infortunée Armide” (V, 5 et dernière), Carsen substitue à la morale chrétienne une autre morale: il faut châtier la femme fatale et rester entre hommes. C’est d’ailleurs ce qu’il disait en substance sur France-Culture: “il faut punir la femme nymphomane.” Finalement, tout se passe comme si Carsen avait substitué au principe de concordia discors présent dans l’opéra (l’harmonie étant le résultat de forces opposées mises en tension) une fausse harmonie fondée sur une simplification et une résolution des tensions. Que reste-t-il dès lors de “l’opéra des femmes”? Sa musique. Cette musique qui est elle-même volupté et tentation, dangereuse et féminine, semeuse de discorde et promesse de concorde. Bibliographie Alexandre, Ivan A. Opéra et mise en scène. Paris: Avant-Scène Opéra, 241, 2007. Beaussant, Philippe. La Malscène. Paris: Fayard, 2005. -. Lully ou le musicien du Soleil. Paris: Gallimard, 1992. Boileau, Nicolas. Œuvres complètes. Paris: Gallimard, 1966. Carsen, Robert. “L’enchanteresse amoureuse.” Programme du Théâtre des Champs-Elysées. - “Le Grand Siècle, si près, si loin.” Le Monde de la Musique, 335 (oct. 2008). Castil-Blaze. L’Académie Impériale de Musique. Paris: Castil-Blaze, 1855. Clément, Jean-Marie-Bernard et Joseph de la Porte. Anecdotes dramatiques. Paris: Duchesne, 1775. Couvreur, Manuel. Jean-Baptiste Lully: musique et dramaturgie au service du Prince. Brussels: Vokar, 1992. Deshoulières, Christophe, L’Opéra baroque et la scène moderne: Essai de synthèse dramaturgique. Paris: Fayard, 2000. Foucault, Michel. 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