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Un Roi à Luxembourg

Édition commentée du Journal du Voyage de sa Majesté à Luxembourg, Mercure Galant, Juin 1687, II (Seconde partie)

0422
2015
978-3-8233-7874-7
978-3-8233-6874-8
Gunter Narr Verlag 
Raymond Baustert

Du 10 mai au 7 juin 1687, Louis XIV entreprend ce long voyage qui le conduit de Versailles à Luxembourg et vice-versa pour inspecter la ville conquise en 1684 par le maréchal de Créquy. La seconde partie du Mercure galant de juin 1687 développe sur 337 pages in-12° ce déplacement royal aux multiples facettes. Ses origines, ses participants, ses étapes, surtout, qui donnent lieu à de nombreuses approches : les spécificités des lieux rencontrés, des institutions mentionnées, des événements relatés, constituent une véritable encyclopédie du XVIIe siècle vécu à travers tant de péripéties du Voyage et détaillé dans plus de mille notes fondées sur les sources les plus prestigieuses du temps. De nombreuses annexes présentent, à côté d'autres relations contemporaines de l'événement, un riche choix de documents d'archives en rapport avec les faits de mai-juin 1687. L'édition est précédée d'une introduction explicite, éclairant, à l'issue d'un regard sur la presse du XVIIe siècle, à la fois les mobiles, officiels et secrets, de l'entreprise et tant d'aspects, connus ou moins connus, de l'acteur royal. Des index et une bibliographie bien fournie complètent utilement cette étude volumineuse.

<?page no="0"?> BIBLIO 17 Un Roi à Luxembourg Édition commentée du JOURNAL DU VOYAGE DE SA MAJESTÉ A LUXEMBOURG, Mercure Galant, JUIN 1687, II (SECONDE PARTIE) Introduction, notes, bibliographie et index par Raymond Baustert <?page no="1"?> Un Roi à Luxembourg <?page no="2"?> BIBLIO 17 Volume 207 · 2015 Suppléments aux Papers on French Seventeenth Century Literature Collection fondée par Wolfgang Leiner Directeur: Rainer Zaiser Biblio 17 est une série évaluée par un comité de lecture. Biblio 17 is a peer-reviewed series. <?page no="3"?> 10 mai - 7 juin 1687: voyage luxembourgeois de Louis XIV Un Roi à Luxembourg Édition commentée du JOURNAL DU VOYAGE DE SA MAJESTÉ A LUXEMBOURG, Mercure Galant, JUIN 1687, II (SECONDE PARTIE 1 ). Avec en annexe les relations de la Gazette de Renaudot, du Journal de Dangeau, des Mémoires de Sourches, du Journal de Raveneau, du Mercure historique et politique de Courtilz de Sandras, de la lettre luxembourgeoise de Racine. Introduction, notes, bibliographie et index par Raymond Baustert 1 Voir ci-dessous n. 228. <?page no="4"?> © 2015 · Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG P. O. Box 2567 · D-72015 Tübingen Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Gedruckt auf säurefreiem und alterungsbeständigem Werkdruckpapier. Internet: www.narr.de · E-Mail: info@narr.de Satz: Informationsdesign D. Fratzke, Kirchentellinsfurt Printed in Germany ISSN 1434-6397 ISBN 978-3-8233-6874-8 Image de couverture: Itinéraire de Louis XIV. Cliché : Ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, Mémoires et documents France, vol. 991 fol° 171. Information bibliographique de la Deutsche Nationalbibliothek La Deutsche Nationalbibliothek a répertorié cette publication dans la Deutsche Nationalbibliografie ; les données bibliographiques détaillées peuvent être consultées sur Internet à l’adresse http: / / dnb.dnb.de. <?page no="5"?> Louis XIV à l’heure du Voyage luxembourgeois École française du XVII e siècle. Huile sur toile montrant le roi vers la cinquantaine. Musée des Beaux-Arts de Valenciennes. © Bridgeman Giraudon <?page no="7"?> Itinéraire Cliché : Ministère des Affaires étrangères, La Courneuve, Mémoires et documents France, vol. 991 fol° 171 <?page no="9"?> Remerciements À l’heure de la publication de cette étude, nous tenons à remercier les institutions et les personnes qui nous ont apporté, de multiples manières, leurs précieux concours. Nous songeons d’abord à la Faculté des Lettres, des Sciences humaines, des Arts et des Sciences de l’Éducation de l’Université du Luxembourg avec ses anciens Doyens, les Professeurs Lucien Kerger et Michel Margue, et son Doyen actuel, le Professeur Georg Mein, ainsi qu’au Conseil de Gouvernance de l’Université, pour les soutiens accordés au niveau du financement de l’assistance sur projet de recherche. Sur ce point du financement, il nous importe de signaler aussi l’apport généreux du Fonds National de la Recherche qui a bien voulu intégrer notre travail à ses projets subventionnés. Notre pensée va ensuite aux responsables et aux collaborateurs des si nombreuses institutions scientifiques qui ont répondu, au cours des années, à nos fréquents appels, l’Administration générale du Mobilier national, à Paris, les Archives départementales de la Marne, à Châlons-en- Champagne, les Archives départementales de la Meuse, à Bar-le-Duc, les Archives départementales de la Moselle, à Metz, les Archives départementales du Haut-Rhin, à Colmar, les Archives diplomatiques du Ministère des Affaires étrangères et européennes, les Archives du Généralat de la Congrégation Notre-Dame de Fontenay-sous-Bois, les Archives municipales de Belfort, les Archives municipales de Châlons-en-Champagne, les Archives municipales d’Étain, les Archives municipales de Haguenau, les Archives municipales de Longwy, les Archives municipales de Luxembourg, les Archives municipales de Sarreguemines, les Archives municipales de Sélestat, les Archives municipales de Strasbourg, les Archives municipales de Thionville, les Archives municipales de Verdun, les Archives Nationales de France, les Archives Nationales de Luxembourg, l’Archivio Segreto Vaticano, l’Association des Amis du vieux Longwy et du Pays-Haut, l’Association pour la Conservation et la Reproduction de la Presse française, la Bibliothèque André Chénier de Longwy, la Bibliothèque de l’Académie Nationale de Metz, la Bibliothèque de l’Association « Étain d’Hier à Aujourd’hui », la Bibliothèque d’étude de l’Évêché de Verdun, la Bibliothèque de l’Institut grand-ducal, la Bibliothèque des Jésuites de Luxembourg (Maison du Christ Roi), la Bibliothèque humaniste de Sélestat, la Bibliothèque/ Médiathèque de Haguenau, la Bibiliothèque municipale de Nancy, la Bibliothèque Nationale de France, la Bibliothèque <?page no="10"?> 10 Remerciements Nationale de Luxembourg, le Centre de Documentation sur la Forteresse de Luxembourg/ Musée Dräi Eechelen, la Congrégation Notre-Dame de Luxembourg, les Éditions Bartillat, les Éditions Paleo, le Fonds de Rénovation de la Vieille Ville de Luxembourg, le Mittelmosel-Museum de Traben-Trarbach, le Musée National d’Histoire et d’Art de Luxembourg, le Musée de Sainte- Ménehould, le Musée Vauban de Neuf-Brisach, le Service d’Information des Bibliothécaires à distance [Sindbad] de la Bibliothèque Nationale de France, le Städtisches Museum de Sarrelouis. Notre gratitude est aussi pour les particuliers en exercice lors des consultations et qui, d’une manière plus particulière, nous ont épaulé et permis d’aboutir. Ici nous tenons à saluer en premier lieu Son Excellence Monsieur Henri de Bancalis de Maurel d’Aragon, ancien ambassadeur de France au Grand-Duché de Luxembourg, qui a bien voulu s’intéresser à notre projet et qui nous a signalé la précieuse piste de la Carte de l’Itinéraire, document d’époque retraçant les étapes du Voyage. Nos remerciements très spéciaux vont ensuite à Madame Sabine Pedrazzini, Docteur de l’Université de Strasbourg et ancienne assistante sur projet de l’Université du Luxembourg. Son engagement exemplaire, sa disponibilité sans failles qui l’ont conduite à de si nombreux sites fréquentés par le royal voyageur, lui ont permis de nous transmettre cette très riche documentation sans laquelle bien des éclairages n’auraient pas été possibles. Qu’elle trouve ici l’expression de notre sincère reconnaissance. Puis, notre pensée doit être pour Monsieur André Bruns, Assistant au Centre de Documentation sur la Forteresse de Luxembourg, qui nous a initié, avec une admirable patience, aux arcanes de la science des fortifications ; sans lui, tant de détails fournis par le Mercure seraient demeurés impénétrables. De très nombreux autres appuis, pointus, ont été consentis sur des questions de détail par Madame Cécile Arnould, du Musée National d’Histoire et d’Art de Luxembourg, Madame Eva Maria Bange, des Archives municipales de Luxembourg, Madame Ben Lakdhar-Kreuwen, de la Bibliothèque d’étude de l’Évêché de Verdun, le Père Joseph Birsens SJ, de la Maison du Christ Roi de Luxembourg, Madame Colette Cordebar, de l’Association « Étain d’Hier à Aujourd’hui », Monsieur Mathieu Da Vinha, du Centre de Recherches du Château de Versailles, Monsieur Éric de Bussac, des Éditions Paleo, Monsieur Luc Deitz, de la Réserve précieuse de la Bibliothèque Nationale de Luxembourg, Monsieur Devaux, des Archives départementales de Châlons-en-Champagne, Monsieur Vincent Fay, des Archives municipales de Châlons-en-Champagne, Monsieur Grugler, de la Mairie d’Étain, Madame Monique Kieffer, de la Bibliothèque Nationale de Luxembourg, Madame Josée Kirps, des Archives Nationales de Luxembourg, Révérende Sœur Marie-Paule Klein, de la Congrégation Notre-Dame de Luxembourg, Monsieur Christof Krieger, du Mittelmosel-Museum de Traben-Trarbach, Monsieur Gérard <?page no="11"?> 11 Remerciements Manfé, historien de l’architecture militaire, Monsieur André Michel, de la Bibliothèque de l’Académie Nationale de Metz, Monsieur Thierry Minarie, de l’Association « Étain d’Hier à Aujourd’hui », Monsieur Jean-Claude Muller, du Ministère d’État, Luxembourg, Madame Navel, des Archives municipales de Verdun, Monsieur Yves Pagnot, des Archives municipales de Belfort, Madame Marcelle Rideau, historienne du vieux Longwy, Madame Brigitte Schmauch, des Archives Nationales de France, Madame Corinne Schroeder, des Archives Nationales de Luxembourg, Révérende Sœur Marie-Paule Sieffert, des Archives du Généralat de la Congrégation Notre-Dame de Fontenay-sous-Bois, Monsieur Christophe Villecroix, des Archives diplomatiques du Ministère des Affaires étrangères et européennes, Monsieur Pierre-Édouard Wagner, de la Bibliothèque/ Médiathèque de Metz, Madame Michèle Wallenborn, de la Bibliothèque Nationale de Luxembourg, Madame Isabelle Yegles-Becker, du Fonds de Rénovation de la Vieille Ville, Luxembourg, Madame Nadine Zeyen, des Archives Nationales de Luxembourg, Monsieur Hendrik Ziegler, de l’Université de Hambourg. Nous n’oublions pas la grande efficacité de Madame Marie-Josée Kodisch-Bausch pour toutes les questions typographiques et son prompt accueil des modifications qui se sont imposées en cours de route. Il nous reste l’agréable obligation de remercier le Professeur Rainer Zaiser, directeur de la collection Biblio 17, de sa confiance répétée qui lui fait ouvrir les pages de sa savante série à nos ouvrages successifs. Raymond Baustert Professeur émérite de l’Université du Luxembourg <?page no="13"?> Table des matières Louis XIV à l’heure du Voyage luxembourgeois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Itinéraire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Remerciements. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 I Aperçu de la presse française au XVII e siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 II Mercure galant vs Gazette : une stratégie de rupture . . . . . . . . . . . 19 III Les circonstances du Voyage de 1687 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 IV Le portrait du Roi : Louis XIV dans le Journal du Voyage de Sa Majesté à Luxembourg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 Journal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78 Annexe 1 Lettre de Ranuzzi au cardinal Cibo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311 Annexe 2 Lettre de Croissy à Ranuzzi datée de Marly, le 4 avril 1687 . . . . . . . . 312 Annexe 3 Extrait de la lettre personnelle du Roi à Louis de Verjus, comte de Crécy, mentionnant les assurances données au nonce Ranuzzi pour manifester ses intentions pacifiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 314 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315 Annexe 4 Extrait de la lettre de Verjus-Crécy au Roi pour l’entretenir des réserves des Allemands concernant le voyage luxembourgeois . . . . . 316 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317 Annexe 5 Pièces concernant l’agape et le vin fournis après l’action de grâces le 16 janvier 1687 pour le rétablissement du roi après son opération de la fistule. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 318 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 321 <?page no="14"?> 14 Table des matières Annexe 6 Ordonnance de payement relative aux dépenses pour le vin offert à l’occasion de la visite à Luxembourg du maréchal de La Feuillade, au mois d’août 1686. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 322 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323 Annexe 7 Archives municipales de Verdun CC180, 42 - Pièce du Registre Comptes de la ville relative aux dragées offertes à Louis XIV . . . . . . . 324 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 324 Annexe 8 Extraits du Blanc-Livre d’Étain. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 325 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 329 Annexe 9 Pièce du Magistrat de Luxembourg datée du 8 mai 1687 concernant l’organisation du feu de joie tiré en l’honneur du roi . . . . . . . . . . . . . 331 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 332 Annexe 10 Pièce datée du 20 juin 1687 concernant le remplacement des matériaux employés pour l’éclairage des rues pour la durée du séjour du roi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 334 Annexe 11 Pièces concernant l’illumination de l’Hôtel de Ville . . . . . . . . . . . . . . 335 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 336 Annexe 12 Reçu pour les dépenses de l’illumination des fenêtres de l’Hôtel de Ville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 337 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 338 Annexe 13 Pièces concernant l’illumination de l’Hôtel de Ville et du clocher de Saint-Nicolas. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 339 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 340 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 342 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 344 Annexe 14 Pièces concernant les ornements de la façade de l’Hôtel de Ville datées du 3 juin 1687 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 345 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 346 <?page no="15"?> 15 Table des matières Annexe 15 Pièces concernant les frais pour l’aménagement et l’alimentation de la fontaine de vin établie à l’occasion de la visite royale . . . . . . . . . . 348 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 350 Annexe 16 Pièces concernant les manteaux des sergents de l’Hôtel de Ville procurés à l’occasion de la visite royale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 352 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 353 Annexe 17 Pièce concernant les hallebardes des sergents de l’Hôtel de Ville procurées à l’occasion de la visite royale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 354 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 355 Annexe 18 Pièce des Archives de la Congrégation Notre-Dame à Fontenay-sous- Bois relative aux dons faits par Madame de Maintenon à l’église des sœurs de la Congrégation Notre-Dame de Luxembourg lors de son séjour dans la ville en 1687.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 356 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 356 Annexe 19 Ceremonial de la Cathedrale de Verdun, t. IV, article 11, chap. I. Reception du Roy et de la Reine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 357 Annexe 20 Manuscrit de l’échéancier du voyage conservé aux Archives Nationales de France, cote Marine G 176 [« Voyages du Roi (1660- 1690). Relations des plans de bataille. Voyages des troupes du Roi en Hongrie (1664). Gazette, nouvelles militaires, nouvelles de la Cour (1694-1695)]. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 358 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 359 Organigrammes comparés du Voyage Tableau comparatif des échéanciers selon le Mercure, la Gazette, Dangeau et Sourches. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 360 Cinq comptes rendus du voyage luxembourgeois de Louis XIV : la Gazette de Renaudot, le Journal de Dangeau, les Mémoires de Sourches, le Journal de Jean-Baptiste Raveneau, le Mercure historique et politique de Courtilz de Sandras. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 365 Gazette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 366 Journal de Dangeau, Année 1687 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 370 Mémoires du Marquis de Sourches sur le règne de Louis XIV. . . . 379 <?page no="16"?> 16 Table des matières Journal (1676-1688) de Jean-Baptiste Raveneau. . . . . . . . . . . . . . 398 Gatien Courtilz de Sandras. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 402 Lettre de Racine à Boileau écrite à Luxembourg le 24 mai 1687. . . . . . . . 409 Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 413 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 420 Index des noms . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 458 Index des lieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 489 Index des fonctions et des institutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 511 Index des événements artistiques, familiaux, militaires, politiques et spirituels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 514 <?page no="17"?> Introduction I Aperçu de la presse française au XVII e siècle L’émergence de la presse française au XVII e siècle a fait l’objet d’études approfondies dont celle, au XIX e siècle, d’Eugène Hatin, fresque monumentale présentant en huit tomes tous les aspects de la question depuis les origines jusqu’à la Restauration 2 . D’autres, plus récentes, viennent compléter cette vaste investigation : on songe plus particulièrement au panorama de la presse du XVII e que Monique Vincent déroule dans la première partie de sa belle thèse sur Donneau de Visé et le Mercure galant 3 . Parmi les lectures indispensables, et sans aucune prétention à l’exclusivité, on citera encore le Théophraste Renaudot de Gérard Jubert 4 , la Presse et le Pouvoir de Louis XIII à Napoléon I er de Jean-Paul Bertaud 5 , et non moins l’ample ouvrage réédité en 1999 de Henri-Jean Martin Livre, Pouvoir et Société à Paris au XVII e siècle 6 . Le renom de Théophraste Renaudot en tant que fondateur de la presse française au sens moderne du terme n’est plus à établir. Essayant de dépasser le stade des Nouvelles à la main, feuilles volantes manuscrites répandues dans la ville à la criée 7 , et dont il avait d’abord adopté la stratégie 8 , il imagina de passer à des textes imprimés, origine de cette Gazette qui l’a rendu célèbre. Aussi est-ce à celle-ci que l’on compare souvent le Mercure galant, pour en relever les différences et donc l’originalité : on ne manquera pas, dans la 2 E. Hatin, Histoire politique et littéraire de la Presse en France […], Paris, Poulet-Malassis et De Broise, 1859-1861, 7 vol. 3 Thèse d’État, Atelier National de Reproduction des Thèses, Université de Lille III, 1986, 2 vol. Voir aussi du même auteur : Le Mercure galant. Présentation de la première revue féminine d’information et de culture 1672-1710, Paris, Honoré Champion, 2005. 4 Théophraste Renaudot (1586-1653). Corpus de textes établi, présenté et annoté par G. Jubert. Documents inédits des Archives Nationales, Paris, C.H.N.A., Champion, 2005. 5 Perrin, 2000. 6 Droz, Genève, 1999, 2 vol. 7 Bien que clandestines, leur commerce s’en était en quelque sorte régularisé, avec des ébauches de bureau de rédaction et de copie et des correspondants en province (voir Hatin, op. cit., t. I, p. 49). 8 Voir Hatin, op. cit., t. I, p. 70. <?page no="18"?> 18 Introduction suite, de refaire l’exercice. Il n’en demeure pas moins que d’autres antécesseurs doivent être alignés, et Monique Vincent a écrit, en l’occurrence, un chapitre documenté 9 . Avant même les feuilles volantes, nées, pour l’essentiel, de la Fronde, des productions comme les chronologies 10 de Palma Cayet, avec leur parti pris d’objectivité et, dans leur suite, celle de Jean Richer, ce Mercure françois ou la suitte de l’histoire de la paix, premier périodique et dont l’intitulé annonce déjà celui retenu par Donneau de Visé, semblent faire figure de prédécesseurs. Loret et sa Muze historique ne doivent pas être oubliés dans cette mise en place des inspirateurs. On dira ailleurs 11 que la duchesse de Nemours, destinataire des épîtres versifiées de la Muze, fait figure de modèle de celle, fictive, du Mercure. Il faut préciser ici que le goût des nouvelles, grandes comme petites, « les faits et gestes des personnes connues, les nominations récentes, les morts, les mariages, les naissances, les prises de voile 12 » font apparaître les intérêts qui seront ceux du Mercure, même si à l’interlocutrice unique de Loret doit succéder le public multiple de Visé. Dans le même ordre d’idées, on citera encore cette gazette imprimée parue vers 1666 à Villefranche de Rouergue par les soins de Louis Fouquet, évêque d’Agde et frère de Nicolas Fouquet tristement célèbre 13 . Belle panoplie de modèles, sans doute, mais vite évanouie. Pour s’inscrire dans la durée, pour trouver non seulement un prédécesseur, mais encore un compagnon de route, il faut attendre la Gazette tout court, celle de Renaudot, vrai père du journalisme français. Ce n’est pas l’histoire de la Gazette ni celle de son fondateur qu’il s’agit de retracer ici ; d’autres l’ont fait dans des études impressionnantes 14 . Pourtant la mise en parallèle de la philosophie éditoriale de ce premier grand journal du XVII e siècle et de celle de Donneau de Visé permet de mieux saisir l’originalité du Mercure et le souci de son auteur de faire œuvre nouvelle. Et il a semblé utile de commencer par la différence des volumes consentis de part et d’autre à l’évocation de l’événement qui fait l’objet de la présente publication. Cette simple approche statistique, pour paraître prosaïque, n’en est pas moins hautement significative. 9 Voir Donneau de Visé et le Mercure galant, op. cit., p. 6 et s. 10 Chronologie novénaire contenant l’histoire de la guerre sous le règne du très-chrétien Roi de France et de Navarre, Henri III (1589-1598) ; Chronologie septenaire de l’histoire de la paix entre les rois de France et d’Espagne (1598-1604). 11 Voir ci-dessous n. 238. 12 M. Vincent, Donneau de Visé et le Mercure galant, op. cit., p. 9. 13 Ibid., p. 10. 14 Voir ci-dessus, n. 4, l’ouvrage cité de G. Jubert. <?page no="19"?> 19 Introduction II Mercure galant vs Gazette : une stratégie de rupture Les origines du Mercure galant, la biographie de son créateur 15 , les données de l’évolution éditoriale 16 , l’analyse des contenus, l’identification des collaborateurs, autant de renseignements que fournit la vaste et savante enquête de Monique Vincent signalée ci-dessus. Ici il paraît avant tout utile de préciser l’originalité d’une entreprise éditoriale qui n’a pas toujours su convaincre. Le verdict dirimant de La Bruyère, plaçant le « HG […] immédiatement audessous de rien » a traversé les siècles 17 . Une première approche, malgré sa 15 Jean Donneau de Visé est né à Paris au début du mois de décembre 1638 dans une famille bien placée dans la hiérarchie sociale : son père, Antoine, n’était rien moins que maréchal des logis de Monsieur, frère unique du Roi, Gaston d’Orléans, cadet de Louis XIII. Aussi son frère, sa sœur, avaient-ils réussi à se placer avantageusement : Jacques, l’aîné, évoluait dans l’entourage d’Anne d’Autriche en tant que premier valet de chambre de la Reine, alors qu’Henriette, en tant que femme de chambre du duc d’Anjou - le futur Gaston d’Orléans - vivait dans l’entourage de ce frère de Louis XIII. Pour Jean, le dernier-né, il ne restait guère que la soutane, qui ne lui convenait point. Il chercha donc la gloire dans les lettres. Il le fit d’abord par une production imprimée en 1663 : les Nouvelles nouvelles développent, dans le premier de trois volumes, ce genre de thèmes précieux que la campagne de Molière, en 1659, - l’année des Précieuses ridicules - n’avait pas réussi à écarter des faveurs du public. Les deux autres traitent de ces nouvellistes qu’on a entrevus cidessus (voir ci-dessus p. 17), et qui complétaient à leur manière ce que la Gazette, avec le dépouillement qui lui était propre, présentait trop sommairement. Y sont aussi abordées ces questions littéraires, touchant les œuvres comme les auteurs, si importantes dans les écrits ultérieurs. Et d’abord celui, produit l’année même des Nouvelles, et conçu en réponse à la très anticornélienne Dissertation concernant le Poème dramatique de l’abbé d’Aubignac : alors qu’il n’avait pas ménagé l’auteur du Cid dans les pages littéraires des Nouvelles, il en assume ici la défense contre les pointes de l’irritable abbé. Pour la vie de Donneau de Visé, consulter P. Mélèse, Un homme de lettres au temps du Grand Roi : Donneau de Visé, fondateur du Mercure galant, Paris, Droz, 1936. 16 On trouvera tous les détails dans l’ouvrage de M. Vincent, op. cit., p. 121 et s. L’histoire éditoriale du Mercure galant comporte, pour l’essentiel, deux périodes, une première, d’essai, qui s’étend du mois de mai 1672 au mois de décembre 1677 avec une longue interruption de décembre 1673 à avril 1677, année au cours de laquelle le titre est modifié en Nouveau Mercure galant. Une seconde, de confirmation, et avec reprise du titre original, va de l’année 1678 à l’année 1710. 17 La Bruyère, Les Caractères, Des Ouvrages de l’Esprit, N° 46, dans Œuvres Complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1951, p. 79 : « Le H** G** est immédiatement au-dessous de rien. Il y a bien d’autres ouvrages qui lui ressemblent. Il y a autant d’invention à s’enrichir par un sot livre qu’il y a de sottise à l’acheter : c’est ignorer le goût du peuple que de ne pas hasarder quelquefois de grandes fadaises. » Les initiales HG pour désigner le Mercure galant pourraient étonner. Pourtant la procédure était courante, comme Jean Joseph François Dussault l’explique dans <?page no="20"?> 20 Introduction sécheresse de pièce comptable, est prometteuse : la différence des volumes réservés à l’événement luxembourgeois par le Mercure d’une part et de l’autre par la Gazette, porte un témoignage éloquent de la diversité des conceptions. La Gazette aborde huit fois la relation du Voyage, indirectement le 22 mars, directement les 10, 17, 18, 24 et 31 mai, les 7 et 14 juin : on trouvera dans les annexes 18 les pages correspondantes. Mais il est certain que, du point de vue adopté, il ne suffit nullement d’aligner le nombre des occurrences : pour aboutir à une comparaison valable des volumes, il convient de tenir compte des formats adoptés, et plus spécialement du nombre de mots par son édition des Caractères parue en 1836 à Paris, chez Abel Ledoux (p. 28, n. 2) : « Dans toutes les éditions des CARACTÈRES faites sous les yeux de l’auteur, on s’est servi de ces deux initiales pour désigner le MERCURE GALANT par de Visé. La première ne paroît pas devoir s’appliquer au mot dont elle tient la place, mais La Bruyère nous a dit lui-même dans la préface de son Discours à l’Académie françoise, qu’il avoit souvent employé des lettres initiales qui n’ont qu’une signification vaine et incertaine pour dépayser ceux qui le lisent, et les dégoûter des applications. » L’allusion au Discours à l’Académie française est, en fait, à la Préface précédant le Discours dans la 8 e édition des Caractères. L’auteur s’y défend d’avoir visé des contemporains, son propos étant de montrer l’homme en général, d’où son souci de puiser des noms dans l’histoire ancienne et de recourir à des initiales à « signification vaine et incertaine »: « Si j’avais voulu mettre des noms véritables aux peintures moins obligeantes, je me serais épargné le travail d’emprunter des noms de l’ancienne histoire, d’employer des lettres initiales qui n’ont qu’une signification vaine et incertaine, de trouver enfin mille tours et mille faux-fuyants pour dépayser ceux qui me lisent, et les dégoûter des applications. » (Œuvres complètes, op. cit., p. 489). En fait, la lettre H est moins vaine qu’on pourrait le penser : le correspondant de Mercure n’est-il pas, dans la mythologie grecque, Hermès ? D’où la conclusion de Pierre Mélèse : « Personne ne se trompa aux fallacieuses initiales : le « H *** G *** », c’était l’Hermès galant, transparent pseudonyme du Mercure galant. » (Un homme de lettres au temps du Grand Roi, op. cit., p. 190-191). Par ailleurs on sait que dans les 6 e et 7 e éditions des Caractères, La Bruyère, dépité par les incessantes attaques du Mercure, quitta tous les égards et remplaça H *** G *** par le très clair M *** G *** (voir ibid., p. 195). En effet, il ne faut pas s’étonner de l’animosité de La Bruyère contre le Mercure : il associe la gazette de Visé à la campagne que certains, ne lui pardonnant pas d’avoir pris le parti des Modernes contre les Anciens, avaient menée contre son Discours ; Fontenelle, appelé Théobald, l’avait présenté comme « une grande vilainie, harangue qui m’a fait bâiller vingt fois, et qui m’a ennuyé à la mort. » Cet académicien, et d’autres, « violant les lois de l’Académie française, qui défend aux académiciens d’écrire ou de faire écrire contre leurs confrères […] lâchèrent sur moi deux auteurs [Fontenelle et Thomas Corneille] associés à une même gazette ; » (ibid., 483-484), qui n’est autre que le Mercure qui donne, dans son numéro de juin de l’année 1693, p. 259-284 le « Détail de ce qui s’est passé à l’Académie française le jour de la réception de M. l’abbé Bignon et M. de La Bruyère ». 18 Voir ci-dessous p. 366-369. <?page no="21"?> 21 Introduction ligne 19 . À titre d’exemple, on donnera, suite à ces pages, une reproduction du texte concernant le 17 mai. Il y paraît qu’il s’agit de lignes totalisant en moyenne entre dix et douze mots, espaces non compris. Sachant d’autre part que les sept articles directement concernés de la Gazette présentent un total de cent trente lignes, le volume - approximatif - en mots se situe dans une fourchette allant de 1300 à 1560 unités. Côté Mercure, les lignes sont moins fournies avec, généralement, cinq mots par ligne, alors que la page, qui ne dépasse guère quinze lignes, en totalise approximativement 75. Mais le numéro II de Juin 1687 ne comptant pas moins de 337 pages, la somme, en termes de mots, s’élève à quelque 25 275 unités, soit de seize à vingt fois plus que le volume consenti par la Gazette. Différence considérable donc. Elle s’explique par des philosophies éditoriales différentes au possible, se traduisant, l’une, par la recherche du dépouillement là où l’autre vise l’amplification. C’est bien, en effet, la sobriété du récit objectif que réclame l’auteur de la Gazette, quand il s’adresse, au mois de janvier 1633, à ses correspondants pour les instruire des qualités qu’il entend trouver à leurs envois : Ma prière [est] qu’ils cessent de m’envoyer des mémoires partiaux et passionnés, vu que nos Gazettes sont épurées de toute autre passion que celle de la vérité 20 . Autant dire qu’aucune place n’est faite aux fioritures, souvent jeux d’une imagination débordante. Ce n’est pas encore réclamer la suppression des détails qui peuvent avoir leur vérité, au même titre que l’essence de l’information. Mais on sent déjà que ce qui est visé ici, c’est le fait ciblé, le communiqué réduit aux données de base, la dépêche, pour tout dire. Il doit en résulter une présentation sommaire, réservant à l’événement relaté l’espace tout juste nécessaire à son annonce, sans plus. Ce caractère dépouillé de la Gazette a frappé tous ceux qui ont eu à apprécier l’œuvre de Renaudot 21 , à commencer par… Donneau de Visé. Soucieux, en effet, de se délimiter de cette concurrence, d’échapper au reproche de faire œuvre double, c’est 19 Monique Vincent a été amenée à se prêter à des opérations semblables dans son Donneau de Visé et le Mercure galant, op. cit., p. 76, n. 2. Elle conclut qu’une page de la Gazette correspond à 3,4 pages du Mercure pour les relations et à 5 pour les dépêches. Partant des 38 lignes par page que compte, approximativement, la Gazette et d’une moyenne de 11 mots par ligne, on arrive à une somme de 418 mots contre les 75 de la page du Mercure, soit à 5,4 pages du Mercure pour une page de la Gazette, proportion sensiblement égale à celle établie par Monique Vincent entre une page de dépêches de la Gazette et une page du Mercure (5). 20 Gazette de janvier 1633 cit. par E. Hatin, dans Histoire […] de la Presse […], op. cit., t. I, p. 82. 21 Voir, p. ex., M. Vincent, Donneau de Visé et le Mercure galant, op. cit., p. 11. <?page no="22"?> 22 Introduction justement sur le traitement du détail qu’il insiste dans le Dessein de l’ouvrage qui ouvre le premier volume du Mercure : ce détail, négligé dans la Gazette, il l’accueille largement, donnant à sa présentation un volume généreux. C’est la marque même de son entreprise journalistique : …je vous feray un long & curieux détail de tout ce que j’auray appris pendant la Semaine. Je vous manderay les choses que les Gazettes ne vous apprendront point, ou du moins qu’elles ne vous feraient pas sçavoir avec tant de particularitez. Les moindres choses qui se passeront icy n’échapperont point à ma plume 22 . Sans doute, ce ne sont pas d’abord les affaires d’État qui profiteront de cette prise en charge des particularités. Le Mercure galant entend traiter de la vie intime, les mariages, les décès avec toutes les circonstances qui les entourent, seront ses sujets de choix, voire les questions de mode et de galanterie ; fidèle à son nom, cette nouvelle gazette réservera une place large à la littérature galante, mais non moins à la littérature tout court : Je vous enverrai toutes les pièces galantes qui auront de la réputation. Comme sonnets, madrigaux et autres ouvrages semblables. Je vous manderai le jugement qu’on fera de toutes les comédies nouvelles et de tous les livres de galanterie qui s’imprimeront 23 . Il n’en demeure pas moins que les affaires d’État seront à l’ordre du jour, chaque fois que leur importance les y appelle : Je ne vous en manderai pas beaucoup d’étrangères ni d’état, et je vous parlerai seulement de ces grandes nouvelles publiques dont s’entretiennent ceux même qui ne font pas profession d’en savoir 24 . Et dans ce cas, la direction du Mercure ne ménage pas ses peines… ni ses pages. On l’a vu pour le voyage luxembourgeois, si généreusement développé. On le constate à d’autres occasions, celle, notamment, du siège de Luxembourg, crédité, en 1684, de 315 pages in-12° dans l’édition parisienne 25 , alors que la Gazette lui réserve un espace réduit de 3,4 fois moins 26 . D’autres cas se proposeraient, celui, par exemple, de l’évocation de la ville d’Ypres 27 , mais 22 Mercure Galant, Paris, Théodore Girard, 1672, p. A II. 23 Ibid., p. 7. Pour le traitement des grands auteurs dans le Mercure, voir M. Vincent, Donneau de Visé et le Mercure galant, op. cit. p. 23-45. 24 Ibid., p. 11. 25 Histoire du siège de Luxembourg. Par l’Autheur du Mercure Galant, Paris, G. de Luyne, 1684, 428 p. in-12°. L’édition de Lyon, due aux soins de Thomas Amaulry, que nous citerons dans la suite, compte 315 p. in-16°. 26 Voir M. Vincent, op. cit., p. 78, n. 1. 27 Ibid., p. 70. <?page no="23"?> 23 Introduction on s’arrêtera sur une occurrence particulièrement frappante et incluse dans la description même du voyage à Luxembourg. La suite permettra de le constater : dans le cadre du déplacement royal, le Mercure rend compte de celui, effectué parallèlement, par Louvois qui quitte Versailles dès le 30 avril pour une inspection des places de l’Est et qui est à Luxembourg, où il arrive le 20 mai 28 , pour y accueillir le roi le lendemain, mercredi 21 29 . Certes la présence du Ministre sur Luxembourg n’est mentionnée que par une principale de neuf mots, mais celle-ci est suivie d’une longue explication consacrée à la tournée d’inspection qu’il vient d’accomplir et dont, surtout, l’auteur promet le récit détaillé dans ce numéro même consacré au voyage royal : M r de Louvois estoit arrivé le jour precedent, après avoir fait un Voyage de deux cens cinquante lieues* depuis que Sa Majesté estoit partie de Versailles pour aller à Luxembourg. Cette diligence ne paroistroit pas croyable, si ce n’estoit une de ces choses de fait dont on ne sçauroit douter. Ce Ministre rendit compte au Roy de son Voyage pendant que Sa Majesté demeura à Luxembourg, & je vous en feray le détail, avec celuy de ce qui s’est passé dans le temps de ce sejour,… 30 Promesse tenue : la relation du voyage de Louvois occupe les pages 264 à 298 du Mercure II de juin 1687 31 , véritable pièce à part intégrée à la relation du voyage royal, et enrichie, au même titre que ce dernier, de toutes sortes de considérations politiques et militaires dont on trouvera le commentaire dans la suite. La Gazette, en revanche, ne gratifie la présence du ministre à Luxembourg de la moindre mention. Confirmation de plus de cette rupture de stratégie éditoriale entre les deux organes de presse majeurs du XVII e siècle. Cette rupture se manifeste-t-elle aussi à d’autres niveaux, celui du style, par exemple, de la « littérarité », selon le discours à la mode ? Après tout, le 28 Mercure Juin II, p. 297. 29 D’après toutes les sources, Mercure inclus, c’est bien le 21 que Louis XIV arrive à Luxembourg. On doit donc relever une inadvertance, quand il place, p. 297-298, l’arrivée de Louvois le même jour que celle du roi : « M r de Louvois dîna [= déjeuna] le 20. à Luxembourg, où Sa Majesté arriva l’aprésdinée. » Or, p. 187, l’entrée du roi dans le pays et dans la ville, est bien située le 21, de même que dans la Gazette (voir ci-dessous p. 368) chez Dangeau (ci-dessous p. 374), Sourches (ci-dessous p. 386), Courtilz de Sandras (ci-dessous p. 402). Ce dernier confirme non seulement la date du 21 pour le roi, mais encore celle du 20 pour Louvois : « Je viens d’apprendre tout presentement que le Roi tres-Chrétien est à Luxembourg, qu’il y est arrivé le vingtun, & le Marquis de Louvois un jour auparavant ; » (Mercure historique et politique […], La Haye, Henry van Bulderen, mai 1687, p. 752-753 ; voir ci-dessous p. 402). 30 Mercure, [196-197]. * Une lieue de Paris équivalant de 1674 à 1793 à 3, 898 km, le voyage de Louvois a été de 3,898 x 250 = 974,5 km. 31 Voir ci-dessous p. 261-286. <?page no="24"?> 24 Introduction Mercure se dit galant, épithète qui laisse pressentir une certaine recherche de la figuration, un sens certain de l’expression. C’est que, contrairement à la Gazette, simple enfilade de faits et d’événements sèchement rapportés, le Mercure affiche des ambitions de « composition » : une fois collectée la matière brute de l’information, et selon toutes les règles d’une documentation déjà scientifique 32 , il faut la disposer « pour en composer un tout 33 », somme toute pratiquer cet art de la dispositio, de l’arrangement des données permettant de parvenir à un ensemble harmonieusement structuré. Et parfois, comme on a pu le noter à l’endroit de la présentation des Cérémonies du mariage de M. le Prince de Conti avec Mlle de Blois 34 , on découvre avec émerveillement une véritable mise en scène romanesque avec des personnages semblant sortir tout droit de l’idylle, comme cette princesse, fille du roi et de La Vallière, parée de tous les avantages du corps et de l’esprit et qui aurait fait le bonheur des amateurs du genre lyrique. Le Journal du Voyage peut-il donner lieu à des remarques semblables ? À n’en pas douter, la richesse des détails qui le caractérisent, et leur variété, le mettent à mille lieues à la fois de la sécheresse du rapport comme de la pompe du panégyrique. Si on voit le roi dans ses fonctions officielles, on ne le découvre pas moins homme soucieux des malheurs, petits ou grands, de ceux qui l’entourent ou qu’il rencontre au bord de son chemin, touriste, aussi, puisque ce volume du Mercure a tout du guide de voyage, vrai « Michelin » du temps qui s’arrête longuement aux curiosités des lieux et des paysages parcourus, « petite Histoire » qui souvent se superpose à la grande donnant ainsi au récit ce côté « dilettante » que relève Monique Vincent 35 sans que le terme n’ait rien, ici, de condescendant. La majesté tempérée par l’humanité, Louis, roi certes, mais homme aussi, voilà la recette qui fait la réussite du Mercure, en son temps comme au nôtre, car n’est-il pas vrai que cette petite histoire, souvent, passionne bien plus que la grande ? À cela s’ajoute la reproduction de l’ambiance « politique », si particulière à ce voyage. L’affolement des chancelleries, l’apaisement venu de Versailles, tout cela recrée in vivo l’atmosphère d’un événement qui nous associe - encore - lecteurs d’aujourd’hui, à plus de trois siècles de distance, aux turbulences du temps passé, le faisant revivre dans son tissu existentiel, dépoussiéré, 32 À l’occasion de la relation des Cérémonies du mariage de Monseigneur le Dauphin, Donneau de Visé se présente au travail, véritable chercheur au sens moderne du mot : « […] il a falu ramasser près de cent morceaux de Relation, pour en composer un tout. […] Il faloit lire & relire cent fois les mesmes Memoires, les examiner, s’informer, s’éclaircir, confronter les dattes… » (Mercure galant, mars 1680, Seconde Partie, Au Lecteur, sans page). 33 Voir note précédente. 34 Mercure galant, janvier 1680, Seconde Partie, p. 1-205. 35 Donneau de Visé et le Mercure galant, op. cit., p. 90-91. <?page no="25"?> 25 Introduction en quelque sorte, par ce souffle de vie qui anime, après tant d’années, les pages de ce journal si différentes des livres d’histoire et des rapports d’administration 36 ? C’est le moment d’aborder la question du pourquoi d’un déplacement postérieur de trois années à la conquête de Luxembourg par la 36 A cet endroit, il est sans doute légitime de poser la question de la paternité de la Relation du Voyage. Revient-elle à Donneau de Visé lui-même, ou d’autres y ont-ils au moins contribué ? On sait en effet que si le fondateur du Mercure assume la direction de son périodique, il n’en est pas l’auteur unique. Comment pourrait-il rassembler le flot de nouvelles qu’il promet à ses lecteurs s’il n’avait le moyen de s’appuyer sur tant de collaborateurs essaimés dans la capitale comme dans les provinces ? Aussi s’en explique-t-il dans le premier numéro de l’année 1677, où il met en scène une Conversation éloquente à ce sujet : « Mais dites moy, je vous prie […] comment faudra-t-il faire pour instruire l’Autheur de certaines choses qu’il ne pourra sçavoir, à moins de quelques Avis particuliers ? Il ne faudra […] qu’envoyer des Memoires qu’on voudra luy faire tenir, dans la Salle neuve du Palais, à l’Image de S. Loüis. » (Le Nouveau Mercure Galant Contenant tout ce qui s’est passé de curieux depuis le premier de Janvier, jusques au dernier Mars 1677, Paris, chez Claude Barbin, au Palais, sur le Second Perron de la S. Chapelle, MDCLXXVII, p. 207). Voilà établi le principe d’un réseau de sources faisant tout converger vers le maître d’œuvre qui en assurera la juste distribution. Et en fait la liste des fournisseurs est vaste, associant les élites intellectuelles et sociétales. Monique Vincent a recensé et classifié ces noms qui forment une belle palette de la société d’alors (voir Donneau de Visé et le Mercure galant, op. cit., p. 254 et s.). Elle a rappelé aussi qu’il n’est pas aisé d’identifier les apports personnels de Donneau dont la « présence en tant qu’auteur [ne] peut être décelée [qu’] en usant de quelques rapprochements avec des œuvres antérieures » (ibid., p. 254). Et quand il parle à la première personne, qui garantit qu’il ne le fait pas en lieu et place d’un de ses contributeurs? Il convient donc de se réserver, lorsqu’un témoignage, tel le suivant, semble l’impliquer personnellement. Le voici qui raisonne sur l’importance comparée des villes de Luxembourg et de Saint-Germain-en-Laye : « On m’a asseuré que la Ville [de Luxembourg] est grande deux fois comme Saint Germain en Laye, & j’ay vû deux Relations qui le marquent. Je ne vous garantis pas que cette grandeur soit juste. On peut s’abuser dans les choses qu’on écrit sur le rapport de sa veuë ; cependant on peut concevoir par là une idée rapprochante de la grandeur d’un lieu dont on souhaite avoir connoissance. » (Mercure galant, Juin II 1687, p. 198-199). « On m’a asseuré », « j’ay vû deux Relations », expressions du discours rapporté. Mais qu’en est-il de cette autre, qui figure dans la suite : « On peut s’abuser sur les choses qu’on écrit sur le rapport de sa veuë » ? Constatation générale ou résultant d’une inspection directe opérée par cet « on » ? Dans ce dernier cas, le témoin, Donneau peut-être, parlerait de la Place de visu. Les options restent ouvertes. D’autres passages sont moins éloquents encore, ainsi ce développement sur la difficulté de présenter le détail d’une place fortifiée, surtout quand vous fait défaut la science indispensable : <?page no="26"?> 26 Introduction France : ce faisant, les passions et les appréhensions de toute une génération renaîtront telles qu’en elles-mêmes. Une page de la Gazette Une page du Mercure © ACRPP (Association pour la Conservation et la Reproduction photographique de la Presse française) « Joignez à cela [la difficulté de la matière] que je puis expliquer mal les choses, dont je n’ay pas toutes les lumières necessaires, pour estre asseuré que je ne me trompe point. » (Ibid., p. 217). Sans doute, mais rien ne prouve que les erreurs viennent, directement, d’une appréhension erronée du site ou d’une interprétation défaillante de documents le décrivant. Et quand l’auteur fait erreur sur des points de détail - comme la couleur de la sépulture de Mansfeld (voir ci-dessous n. 657) -, on n’apprend rien sur son identité : présent, il a pu pécher par inadvertance en couchant, après la visite du lieu, ses observations sur la page, absent, sa source aura pu le mal renseigner. Pour clore, voici un passage de la première Lettre du Mercure de juin 1687, annonçant la seconde, le Journal du Voyage, précisément ; tout semble y laisser entendre qu’il s’agit d’un travail de documentation et non d’un reportage fait sur place : « Je suis venu à bout de mon dessein [la relation du voyage luxembourgeois], & après beaucoup de recherches curieuses, j’ay trouvé de quoy faire sur ce sujet une Lettre entière qui sert de seconde Partie à celle cy. » (Voir ci-dessous n. 228). On ajoutera plus loin (n. 237) quelques réflexions supplémentaires dans le contexte des considérations sur la qualité d’ « historiographe » revendiquée par l’intéressé. <?page no="27"?> 27 Introduction III Les circonstances du Voyage de 1687 Le Mercure galant consacre donc un volume important à ce voyage luxembourgeois de 1687. Aussi convient-il d’éclairer les circonstances d’un déplacement qui a retenu l’attention non seulement des auteurs du Mercure, mais encore de bien d’autres : le voyage de Louis XIV à Luxembourg est suivi avec des attentions diverses tant par la presse que par les mémorialistes : la Gazette en rend compte dans la manière sobre qu’on lui connaît, mais aussi les mémorialistes ; le voyage luxembourgeois occupe une place non négligeable dans le Journal de Dangeau, dans les Mémoires de Sourches ; il est présent, quoiqu’avec moins d’ampleur, dans le Mercure historique et politique de Courtilz de Sandras 37 ; le curé Raveneau, dans son Journal, lui réserve quelques pages. On signalera en lieu opportun 38 d’éventuelles divergences avec le Journal du Mercure. Une première attention, toutefois, doit être pour l’interrogation autour des motifs du voyage, interrogation à laquelle le Mercure fait une large part, et que les autres témoins n’ont pas complètement ignorée. En effet, tous, beaucoup s’en faut, n’étaient pas de l’avis de Madame de Sévigné qui semble ne reconnaître à ce long déplacement qu’un but purement de visite, touristique, presque. La nouvelle du départ pour Luxembourg qu’elle donne à Bussy-Rabutin dans sa lettre du 5 avril 1687 paraît limiter l’ambition du royal voyageur à la simple curiosité de « voir cette belle conquête ». Le reste de l’information relève du carnet mondain, alignant avec complaisance la liste de la société dorée admise à accompagner Louis ; ce Bottin avant la lettre occupe la moitié de la communication de la marquise : Le Roi s’en va le 20 e à Maintenon, et peu de jours après à Luxembourg voir cette belle conquête. Il ira en onze jours, il y séjournera trois jours et mettra onze jours à revenir. Cela pourra aller jusqu’au 20 e de mai. Monsieur le Dauphin, Madame la Duchesse, Mme la princesse de Conti, Mme de Maintenon et plusieurs autres dames feront le voyage. Madame la Dauphine ne partira point de Versailles 39 . On passerait outre, sans plus : l’épistolière n’a pas la réputation d’approfondir les choses. Or, la voici qui ajoute un complément, protocolaire peut-être sous cette plume, mais non moins significatif, on va le voir, pour qui considère le contexte général sur l’arrière-fond duquel se déroule l’entreprise. Avant de 37 Les cinq documents seront reproduits à la fin de ce volume. Voir ci-dessous p. 365- 419 : cinq comptes rendus du voyage luxembourgeois de Louis XIV : la Gazette de Renaudot, le Journal de Dangeau, les Mémoires de Sourches, le Journal de Raveneau, le Mercure historique et politique de Courtilz de Sandras. 38 Dans les notes de l’apparat critique, chaque fois qu’il y a lieu. 39 Madame de Sévigné, Lettre 959, À Bussy Rabutin, À Paris, ce [samedi] 5 e avril 1687, dans Correspondance. Texte établi, présenté et annoté par R. Duchêne […], Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1978, t. III, p. 287. <?page no="28"?> 28 Introduction dire son adieu à son « cher cousin » et de l’assurer d’être toujours toute à lui, Madame de Sévigné ajoute une petite phrase : « Le Roi mène peu de troupes, et la moitié de sa garde. 40 » Le Mercure apporte la même précision, mais avec mille détails et en prodiguant les explications : la marche du roi sur Luxembourg avec un appareil militaire réduit à la portion congrue, prouve les intentions pacifiques de ce prince. C’est bien d’un voyage qu’il s’agit, d’une promenade même 41 , non d’une expédition guerrière. Dans un premier temps, le Mercure fait part du déploiement des effectifs … modique : Il fut aussi arresté que le Regiment des Gardes ne marcheroit point, & que suivant ce qui s’est souvent pratiqué, le Roy seroit gardé par l’Infanterie qui se trouveroit dans les Places, où Sa Majesté passeroit, & que dans les lieux où il n’y auroit point d’Infanterie en garnison, les Mousquetaires mettroient pied à terre, & feroient garde autour du logis du Roy. Comme les Gendarmes & les Chevaux-Legers ne servent que par quartier, de mesme que les Officiers de sa Maison, du nombre desquels ils sont, & que ces Corps ne marchent entiers qu’en temps de Guerre, & lors que Sa Majesté fait quelque Camp, Elle ne voulut estre accompagnée dans ce Voyage, que de ceux de ces Corps qui estoient alors en quartier. A l’égard des Gardes du Corps, le Roy resolut de mener seulement le Guet 42 . On aura noté la précision : si l’accompagnement militaire se présente réduit de la sorte, c’est que « ces Corps ne marchent entiers qu’en temps de Guerre, & lorsque Sa Majesté fait quelque Camp ». Ce qui n’est pas le cas « dans ce Voyage ». Autant dire qu’en l’occurrence toute intention martiale est absente : simple tournée en province, le voyage luxembourgeois n’a d’autres fins que d’inspection voire de curiosité ! L’insistance peut étonner, intriguer même ; on se doute qu’elle n’est pas gratuite. Et en effet, le Mercure s’explique et ne cache rien des inquiétudes provoquées partout en Europe à l’annonce de la nouvelle que le roi bougerait de Versailles 43 . N’a-t-il pas réputation suffisamment batailleuse ? Et ce transport vers les marches de l’Est ne préfigure-t-il pas de nouveaux et dangereux engagements ? Le chroniqueur en prend note et rassure : 40 Ibid. 41 Le terme est avancé expressément par le Mercure, p. 27 : « Le Roy ne voulant pas fatiguer la Cour pour un Voyage qui ne devoit passer que pour une promenade, resolut d’aller à petites journées, […]. » Et dès l’Épître au Roy qui ouvre la relation du voyage, il le qualifie de « simple promenade ». Voir ci-dessous p. 80 : « Un autre que Vous, SIRE, n’en [sujet de louange] auroit fourny aucun dans le cours borné d’une simple promenade. » 42 Mercure, [30-32]. Des explications concernant les différentes formations militaires seront fournies dans l’apparat critique : Régiment des Gardes n. 271 ; Mousquetaires n. 392 ; Gendarmes n. 273 ; Chevau-Légers n. 274 ; Guet n. 276. 43 L’importance de l’affaire lui paraît telle qu’il la mentionne, on l’a vu, dès l’annonce du Journal dans la première partie du numéro de juin 1687 (voir ci-dessous n. 228). <?page no="29"?> 29 Introduction Tout le monde sçait que le Roy ne peut faire un pas hors le lieu de sa résidence ordinaire, que toute l’Europe ne soit aussi-tost en mouvement. Le bruit de ce Voyage n’eut pas plûtost commencé à se répandre, qu’elle fit paroistre de grandes alarmes. Mais que pouvoit-elle avoir à craindre ? Elle devoit estre persuadée, que le Monarque qui luy a donné la Paix, n’avoit aucun dessein de la rompre. C’est son ouvrage, & loin de songer à le détruire, Sa Majesté sera toûjours preste à faire repentir ceux qui travailleront à troubler le calme qu’il a étably 44 . Tous les soupçons, par suite, ne peuvent être suscités que par la jalousie des ennemis de la France, insupportés par la gloire du roi et impatients de semer des rumeurs de guerre là où il n’y a qu’intentions de paix : Un pareil dessein ne sçauroit estre conceu que par des Ambitions opiniâtres, & trop constamment jaloux de la grandeur de ce Prince ; mais c’est à eux seuls à craindre, dans le temps qu’ils veulent rendre suspectes toutes ses démarches, & jetter dans les esprits des frayeurs seditieuses, afin d’exciter dans la plus grande partie des Etats voisins le desordre & la confusion, sans quoy ils demeurent dans une fâcheuse obscurité, qui leur est beaucoup moins supportable que la douleur que les Victoires du Roy ont dû leur causer, pour ne pas dire leurs continuelles défaites. Comme il y a peu de Regnes qui ne plaisent, à quelques chagrins que l’on puisse estre exposé en regnant, ils voudroient toûjours joüir de la triste satisfaction qu’ils ont de commander aux dépens de la tranquillité de l’Europe ; mais le Roy qui en est le Bienfaicteur, & le Père, voulant luy conserver le repos qu’il luy a si genereusement procuré, & dont il la fait joüir, malgré les continuels obstacles qu’on oppose inutilement à sa bonté, renverse tous leurs desseins par sa prudente conduite & par sa perseverance 45 . Certains conservent-ils des doutes, taxant le Mercure de partialité, de parti pris favorable à l’égard de tous les gestes du roi quelque soupçon qu’ils puissent susciter chez des esprits non prévenus ? Voici un argument imparable, entouré de toutes les garanties. Imagine-t-on le Roi de France, premier prince de la chrétienté, s’expliquant, pour les justifier, sur ses allées et venues ? Tel est pourtant son amour de la paix - sa bonté dira le Mercure dès l’Épître préliminaire 46 - que Louis consent à cet exercice et s’y prête au moyen d’une lettre rédigée par Colbert de Croissy - le frère du grand Colbert 47 - et prévue pour être transmise par les soins d’Angelo Ranuzzi, Nonce apostolique en France, au cardinal Cibo, secrétaire d’État, et par là au Pape lui-même, alors Innocent XI, aux autres nonces 44 Mercure, [2-3]. 45 Ibid., [3-6]. 46 Voir ci-dessous p. 80 : « Votre Majesté fit paroistre sa bonté avant son départ, lors qu’il luy plut de rasseurer l’Europe inquiette, à laquelle on vouloit persuader que Vous ne pourriez sortir de Versailles sans porter atteinte à son repos. » 47 Voir n. 240. <?page no="30"?> 30 Introduction ensuite, à toutes les Cours, enfin. Les traces de l’opération sont conservées dans les archives romaines de la Nonciature de France, d’abord sous forme d’une missive de Ranuzzi, datée du 7 avril 1687 48 , donc un mois et trois jours avant le départ pour Luxembourg, et qui informe le prélat romain de l’intention du roi d’aller voir la place de Luxembourg tout en l’assurant de l’absence complète d’arrière-pensée militaire. Cette lettre, signalée dans la correspondance de Ranuzzi éditée à Rome en 1973 49 , a été reproduite intégralement par Max Immich dans son receuil de documents de nonciature relatifs aux préludes de la Guerre d’Orléans, déclenchée en 1688 autour de la succession palatine, et menée par la France pour faire respecter les droits d’héritage de la Princesse Palatine, seconde épouse de Philippe d’Orléans, frère unique du roi. On donnera ce texte en note 50 ; il suffit de retenir ici qu’il fait allusion au procès d’intention que certains voulurent intenter à Louis à l’heure de son voyage luxembourgeois 51 . En revanche, la lettre même de Croissy, écrite sur ordre exprès du roi au nonce, 48 Nunz. di Francia, vol. 176, fol. 214r. 49 Correspondance du Nonce en France Angelo Ranuzzi. Éditée par B. Neveu, Rome, École Française de Rome/ Université Pontificale Grégorienne, 1973, t. II, p. 68, N° 2563. 50 Lettre de Ranuzzi à Cybo du 7 avril 1687, dans M. Immich, Zur Vorgeschichte des Orleans’schen Krieges. Nuntiaturberichte aus Wien und Paris 1685-1688 […], Heidelberg, Carl Winter’s Universitätsbuchhandlung, 1898, p. 255-256, N° 207 : Essendosi il re risoluto d’andar nel prossimo mese di maggio a vedere la piazza di Luxemburgo, ha ordinato al s r di Croissy di darmene aviso, come V. E za si compiacerà di vedere nelle di lui lettera, di cui le mando qui annessa copia. Io però oltre alla notizia che ne porto a V. E za , ho rappresentato il tutto a i s ri cardinale nuncii et altri miei colleghi et anco al s r elettore Palatino, acciò sia nota in tutte le corti l’intenzione di S. M tà , lontana dal dar sospetti ad alcuno e interrompimenti e disturbi alla guerra contro il Turco. [Le roi ayant décidé de se rendre au mois de mai prochain à Luxembourg pour y visiter la Place, a ordonné au sieur de Croissy de m’en donner avis, comme Votre Excellence voudra bien le voir dans cette lettre de sa plume dont je vous envoie ci-joint la copie. Cependant, outre l’avis que j’en donne à Votre Excellence, j’ai soumis l’affaire aux sieurs cardinaux nonces et à mes autres collègues et encore au sieur Électeur Palatin, pour que soit connue de toutes les cours l’intention de Sa Majesté qui est loin de vouloir inspirer des soupçons à qui que ce soit et qui n’entend nullement interrompre la guerre contre les Turcs ou y apporter des dérangements.] Nous traduisons librement. On trouvera le texte manuscrit, conservé dans les collections de l’Archivio Segreto Vaticano, en annexe 1 (voir ci-dessous p. 311). 51 On notera que ces « intentions » ne se limitent nullement à celles évoquées à cet endroit. Quelque temps avant le voyage, le départ de la Cour de Louvois, évoqué ci-dessus (p. 23), fait l’objet de conjectures rapportées par Courtilz de Sandras dans sa relation du mois de mai 1687 (Mercure historique et politique, op. cit., p. 708 et p. 717). L’idée court alors que le ministre - engagé en fait dans sa tournée d’inspection des places de l’Est et qui devait le mener à Luxembourg, pour y rejoindre le roi - est parti secrètement de Versailles, pour aller faire le siège de Genève et réduire à obéissance cette capitale de la Réforme. Pour le détail voir ci-dessous p. 402. <?page no="31"?> 31 Introduction et que le royal expéditeur estimait si essentielle qu’il la signale expressément dans une lettre personnelle adressée à Louis de Verjus-Crécy, ministre plénipotentaire à la Diète de Ratisbonne 52 , appelle cette pleine lumière due aux documents fondateurs d’une politique concernant l’Europe entière. Le nonce l’avait ajoutée en annexe à sa missive du 7 avril, annessa copia. En voici le texte : Marly, 4 avril 1687 Le roi m’ordonne d’informer V. E ce de la résolution que Sa M té a prise d’aller dans le mois de mai à Luxembourg, et quoiqu’elle n’ait pas accoutumé de rendre raison de ses actions à personne, néanmoins comme elle ne veut rien faire qui puisse renouveler l’alarme qu’on avait pris sans fondement de l’ouverture qu’on avait faite du convertissement de la tréve en un traité de paix*, elle m’a commandé de vous assurer de sa part qu’elle ne faisait ce voyage que pour satisfaire la curiosité qu’elle a de voir elle-même, en quel état est à présent cette place, d’où elle sera de retour ici trois semaines ou au plus tard un mois après qu’elle en sera partie. Ainsi elle se promet que V. E ce empêchera par ses lettres tant à S. S té que partout ailleurs où vous l’estimerez à propos, que ce voyage ne donne de l’inquiétude aux États voisins et qu’aucun prince ne puisse prendre le prétexte de la marche de S. M té pour refuser à l’empereur les secours auxquels ils se seront engagés, S. M té n’ayant pas d’autre dessein que celui dont je vous écris par son ordre 53 . 52 Cette lettre figure à la suite d’une série de missives adressées par Verjus de Crécy au roi pour l’entretenir des dispositions allemandes à son égard, et conservées aux archives diplomatiques du Ministère des Affaires étrangères et européennes sous la cote Ms f. 352-369. La lettre royale qui s’étend du folio 368 r. au folio 369 v. est datée de Versailles, le 8 mai 1687. Elle sera reproduite intégralement dans les Annexes (voir ci-dessous p. 314-315, Annexe 3). À cet endroit, on se contentera du bref extrait relatif à l’annonce, par Louis, de son départ imminent, de son prompt retour et de ses intentions pacifiques que doivent en dégager les chancelleries européennes : « Je pars [? difficile à lire] pour mon voyage du Luxembourg et mon prompt retour fera bientost cesser toute linquietude [sic] qu’en auront pû avoir ceux qui n’auront pu [ ? difficile à lire] adjouster une certaine [ ? difficile à lire] croiance aux asseurances que j’ay fait donner au Nonce du Pape. » En fait, elle figure en réponse à une missive antérieure, conservée au même endroit, mais cette fois de Verjus-Crécy au roi, et dans laquelle il signifie au souverain avoir entretenu ses interlocuteurs allemands des assurances données par Louis au nonce Ranuzzi et de l’accueil hésitant réservé à ses propos. On lira un extrait de cette missive en annexe, suite au texte royal (Annexe 4). 53 Lettre reproduite dans Immich, op. cit., p. 256. Nous reproduirons l’original de cette lettre, conservée aux Archives des Affaires Étrangères, en annexe, à la suite de celui de Ranuzzi à Cibo. Voir ci-dessous p. 312-313, Annexe 2. * Il s’agit de la trêve de Ratisbonne passée le 15 aôut 1684 entre la France et l’Empire et que Louis XIV aspirait à transformer en traîté définitif. Pour les détails, voir Dictionnaire du Grand Siècle, Paris, Fayard, 1990, p. 1302-1303. <?page no="32"?> 32 Introduction On aura noté la réserve apportée par le roi à son message, et tout à l’heure annoncée : « quoiqu’elle [Sa Majesté] n’ait pas accoutumé de rendre raison de ses actions à personne. » La suite montre l’importance de l’enjeu amenant le roi à consentir de si étonnants égards : son voyage à Luxembourg, de pure curiosité, ne doit détourner les princes de fournir à l’empereur « les secours auxquels ils se seront engagés ». Autrement dit, la France demeurant pacifique, et en donnant des gages par la voix même de son Maître, les souverains sont libres de se tourner, sous l’égide de l’empereur - romain germanique, alors Léopold I er , de la Maison de Habsbourg - vers ce vrai ennemi qu’il y a lieu de combattre. La lettre de Croissy se dispense d’une précision que tous les contemporains auront jugée inutile, mais que le nonce n’avait pas manqué d’ajouter à sa missive à Cibo : lontar dal dar sospetti ad alcuno e interrompimenti e disturbi alla guerra contro il Turco. La guerre contre le Turc, voilà bien alors la hantise de toutes les cours et de toutes les chancelleries. Il ne faut pas oublier, en effet, que l’année 1687, celle du voyage luxembourgeois, est aussi celle d’un des points culminants de la deuxième guerre austro-turque, avec, le 12 août, la défaite des troupes de Mehmed IV à la bataille de Mohács. Les Français, par le passé si présents sur cette scène - on songe à leur belle conduite dans la bataille de Saint-Gothard, sur le Raab, péripétie glorieuse de la campagne de Hongrie, où les Ottomans durent céder, entre autres, aux troupes commandées par Jean de Coligny-Saligny 54 - ne sont pas partie prenante dans cet autre baroud. Au contraire, dès avant ce nouveau pas d’armes austro-turc, engagé à partir de 1683, le roi de France s’empresse d’assurer La Porte de sa bienveillante neutralité 55 : occupé à l’Est, l’empereur ne pourra intervenir à l’Ouest, où la France mène sa très active politique d’expansion territoriale aux dépens des princes allemands. Il n’est pas étonnant, dès lors, de voir ceux-ci, l’empereur compris, s’alerter quand Louis approche. Il a beau protester de ses intentions pacifiques, les proclamer à qui veut les entendre, s’humilier même en s’expliquant sur son agenda, comme on vient de le voir, rien n’y fait : le voyage luxembourgeois est, pour toutes les chancelleries, un 54 Une source du XVIII e siècle, émanant d’un descendant de Thyard de Bissy, donne les détails de l’engagement français : Gaspard Pontus de Thyard, Histoire de Pontus de Thyard de Bissy, suivie de la Généalogie de cette Maison, et de la Relation de la Campagne de 1664 en Hongrie, Neuchâtel, Imprimerie de la Société Typographique, 1784. On y trouve aussi la mention de La Feuillade, nom si présent dans le présent volume, et qui, avec deux mille Français, réussit à repousser dix mille adversaires : aussi ceux-ci, impressionnés par la conduite inflexible de l’opération, avaient-ils transformé son nom en Fuladi, homme de fer (voir É. de Langsdorff, « Récits de l’histoire de Hongrie », dans Revue des Deux Mondes, XXXV e année, t. 57, 1865, p. 606). 55 Voir L. Bély, Les relations internationales en Europe XVII e -XVIII e siècles, Paris, PUF, 1992, p. 270. <?page no="33"?> 33 Introduction objet de suspicion et le demeure jusqu’au retour de Louis à Versailles. Veut-on la preuve du peu de foi que rencontrent ses déclarations ? Le Mercure même la fournit. On verra plus loin 56 que le départ de Luxembourg, initialement prévu pour le samedi 24 mai, a été retardé de deux jours, soit au lundi 26, suite à la maladie du comte de Toulouse 57 atteint de la rougeole le vendredi 23 : le roi, soucieux de connaître l’évolution du mal de ce jeune prince qu’il chérissait particulièrement, consentit à modifier son échéancier dans le sens que l’on vient de voir 58 . Or, écrit le Mercure, Le bruit s’estant répandu que le retour de la Cour estoit reculé, quelques Etrangers en parurent inquiets, mais ils furent rassurez si-tost qu’ils firent reflexion que le Roy avoit toûjours gardé inviolablement sa parole ; qu’il aimoit Monsieur le Comte de Toulouse avec tendresse ; que ce jeune Prince estoit chery de toute la Cour, & qu’ainsi l’incertitude du mal qui luy pouvoit arriver, estoit la vraye cause qui portoit le Roy à retarder son depart 59 . L’auteur du Mercure cherche à minimiser l’émotion causée par ces dispositions nouvelles : cette fidélité à la parole donnée, déjà notée plus haut, a vite fait de dissiper l’alarme. Il demeure que le détail, si menu fût-il, avait suffi pour émouvoir les esprits, tant l’Europe tremblait alors quand le roi de France remuait d’un pas 60 . En la circonstance, cependant, Louis a confimé sa 56 Voir ci-dessous p. 248. 57 Pour ce personnage, voir ci-dessous n. 264. 58 Il n’est pas inutile, à cet endroit, de signaler que la modification de la date du départ de Versailles a suscité des interrogations semblables dont nous entretiennent Dangeau et Courtilz de Sandras (voir ci-dessous p. 374 et p. 404). Initialement prévu pour le 27 avril, il fut reculé au 10 mai, officiellement pour permettre à Louise Françoise de Bourbon, fille du roi et de Madame de Montespan (voir ci-dessous n. 265), de guérir de la rougeole, en fait, pour suivre l’évolution de la maladie de Charles II d’Espagne, déclaré en danger de mort avec, le cas échéant, toutes les conséquences relatives à la successsion au trône d’Espagne. Du reste, il convient d’observer que si le calendrier du voyage, au départ comme au retour, a causé problème, l’idée même d’un déplacement royal à grande distance, était dans l’air au moins depuis la mi-février, comme le prouve ce passage de la lettre de Ranuzzi à Cybo, datée du 17 février 1687 : Si parla tuttavia che il re sia per fare un viaggio nella prossima primavera ; chi dice à Luxemburgo, e chi a Strasburg … [Tout le monde parle sans cesse d’un voyage que le roi songe à faire au printemps à Luxembourg selon les uns, selon d’autres à Strasbourg… (Nous traduisons)] (cit. par Immich, op. cit., N° 177, p. 206.). L’idée du voyage alsacien est encore dans l’air au mois d’avril, où Courtilz de Sandras (op. cit., avril 1687, p. 639) note qu’ « on croit toujours qu’il [le roi] fera un voiage dans peu de temps, du moins il ne paroit rien qui puisse faire croire le contraire. Bien loin de là, l’on travaille aux chemins par toute l’Alsace. » 59 Mercure, [244-245]. 60 Courtilz de Sandras précise les inquiétudes causées par ce départ différé : certains estimaient que ce n’était pas tant la maladie de Toulouse que le projet de s’emparer <?page no="34"?> 34 Introduction réputation d’homme d’honneur ; son voyage, avait-il fait savoir, durerait trois semaines ou au plus un mois 61 : parti le 10 mai de Versailles, il retrouve le château le 7 juin suivant, après une absence, donc, d’exactement vingt-neuf jours, celui du départ et celui du retour inclus. Promesse tenue ! Il n’empêche que l’Europe n’était pas au bout de ses peines. On l’a déjà vu : dès l’année suivante, 1688, le roi entre en campagne pour l’héritage palatin, et les armes ne seront déposées que neuf ans plus tard, à l’occasion de la Paix de Ryswick qui, du reste, restituera Luxembourg à l’Espagne. Mais il s’agit là d’un autre chapitre, sans rapport avec celui qui nous occupe ici 62 , et dont la réputation du roi sort indemne, comme le Mercure n’a eu cesse de le souligner. Aussi bien est-il vrai qu’il dessine de son héros cette image sans ombre qui le présente en Prince idéal, exemple et prototype proposé à l’imitation de ses pairs comme à l’adoration de ses peuples. IV Le portrait du Roi : Louis XIV dans le Journal du Voyage de Sa Majesté à Luxembourg Le roi figure à toutes les pages, ou presque, du Journal, véritable astre, pour rester dans cette symbolique qui lui était chère, autour duquel gravitent tous ces courtisans qui l’accompagnent, tous ces sujets qui l’accueillent. La plupart de ceux-ci revivront à travers tant de notes qui leur seront consacrées dans la suite et qui souvent dépasseront les simples données d’état civil pour replacer le personnage dans le tissu même de son existence, avec ses ambitions et ses déceptions, ses servitudes et ses grandeurs 63 . Le roi doit être traité autrement. de Cologne ou de s’assurer de la collaboration de l’Électeur de Cologne pour la fortification de Bonn et du Rhin qui retenaient le roi à Luxembourg au-delà du délai prévu (voir ci-dessous p. 404 texte de Courtilz). 61 Voir ci-dessus p. 31. 62 On dira cependant que la Ligue d’Augsbourg formée dès 1686 dans cette ville de Bavière entre l’Angleterre, l’Empire, l’Espagne, la Suède, la Bavière et la Saxe est mentionnée indirectement par le Mercure, en vue, sans doute, de son activation qui se produira effectivement en 1688 à l’occasion de la question palatine : « Comme le Roy n’a jamais manqué à sa parole, & que tout le monde en est fortement persuadé, les esprits qu’on avoit voulu inquieter en leur faisant entendre que le Voyage de Sa Majesté couvroit des desseins, qui devoient troubler la tranquilité de l’Europe, furent rassurez, & les ambitieux qui ne cherchoient qu’à renouveller la guerre en proposant de faire une Ligue pour l’éviter, demeurerent dans une extrême confusion par l’impossibilité qu’il y avoit de venir à bout de leurs desseins. » (Mercure, p. 16-17). 63 On signalera à cet endroit l’absence, tant dans le Mercure que dans les autres relations, du nom de celui des compagnons de voyage du roi promis à la plus grande célébrité : Racine, associé au déplacement en sa qualité d’historiographe du roi, n’est jugé digne d’aucune mention. Il a pourtant laissé une lettre adressée à Boileau à partir de Luxembourg en date du 24 mai 1687. Nous la publions ci-dessous en annexe (voir p. 409 et s.). <?page no="35"?> 35 Introduction Présent en permanence, sans cesse mis en scène, il ne peut raisonnablement faire l’objet d’un défilé de notices se succédant au bas des pages pour éclairer telle ou telle autre de ses nombreuses vertus manifestées au fil du récit : aux membra disjecta, il faut préférer le tableau d’ensemble qui permet d’apprécier la facture du héros. Certes, on attendra en vain la prestance de la Statue du Commandeur « avec son habit d’empereur romain » comme s’exprime, chez Molière, Dom Juan 64 , laissant deviner une apparition impressionnante. Dans le Journal, et contrairement à ce qui se constate dans d’autres volumes du Mercure 65 , le roi ne paraît physiquement 66 , et abstraction faite d’une insigni- 64 Acte III, scène V, dans Œuvres complètes. Textes établis, présentés et annotés par Georges Couton, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1971, t. II, p. 66. 65 Ainsi Monique Vincent relève la présentation impressionnante de Louis dans le Mercure d’octobre II de l’année 1679, à l’occasion de la relation du mariage de Marie-Louise d’Orléans - dite Mademoiselle -, fille de Monsieur, avec Charles II d’Espagne (Donneau de Visé et le Mercure galant, op. cit., p. 108-109). Il est vrai que dans ce portrait somptueux, les parures royales sont pour bien plus que les avantages physiques proprements dits. 66 Et ceci alors que Louis, dans ses meilleures années du moins, n’avait rien à se reprocher en la circonstance : abstraction faite de ses jambes défiant toute concurrence et qui impressionnaient même l’acariâtre Saint-Simon (Mémoires. Édition établie par Yves Coirault, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1985, t. IV, p. 414), il possédait toutes les prestances physiques, au témoignage, précisément, de ce mémorialiste peu porté à l’indulgence : « On peut dire […] qu’au milieu de tous les autres hommes, sa taille, son port, les grâces, la beauté, et la grand-mine qui succéda à la beauté, jusqu’au son de sa voix et à l’adresse et la grâce naturelle et majestueuse de toute sa personne, le faisaient distinguer jusqu’à sa mort… (ibid., t. V, p. 470). Un portrait physique très complet du roi est encore fourni par François Hébert, curé de Versailles à partir de 1686, en un temps donc où Louis XIV devait se présenter tel que le voyaient les témoins du voyage luxembourgeois, et que, pour cette raison, il semble utile de reproduire : « Il est d’une taille fort haute et très bien proportionnée, il a six pieds de hauteur ou peu s’en faut [~1,80 m], gros à proportion de sa grandeur, les épaules larges, la jambe bien faite, le visage très majestueux, le nez aquilin, les yeux assez vifs, le poil châtain, les lèvres de dessous un peu avancées depuis qu’il n’a plus de dents, la mine et le regard sérieux qui imposent et impriment du respect à ceux qui le voient et qui ont l’honneur de l’approcher, la voix un peu faible mais agréable ; sa démarche ferme et assurée qui, dans les occasions, représente mieux par son air grave et modeste que tous les souverains qui règnent aujourd’hui ; toute sa personne paraît si respectable et on y remarque je ne sais quoi de si grand que ceux qui ne l’ont jamais vu, lorsqu’il se trouve au milieu de ses courtisans, le distinguent facilement de tous les autres. » (Mémoires du Curé de Versailles François Hébert, 1686-1704, […], Paris, Les Éditions de France, 1927, p. 40). Le fait que l’auteur n’hésite pas à aligner quelques détails négatifs, comme la dentition déficiente - confirmée, en 1685, dans le Journal de la santé du Roi Louis XIV […] écrit par Vallot, d’Aquin et Fagon, tous trois ses premiers Médecins, <?page no="36"?> 36 Introduction fiante allusion à son costume de cérémonie 67 , que par quelques brèves observations relatives à sa santé ; encore sont-elles appelées par les circonstances. On aura l’occasion, plus loin, de lire des détails sur la célèbre opération de la fistule anale de Louis XIV 68 . Il suffit de retenir à cet endroit que sous la plume du chroniqueur, sa réussite s’intègre à cette encomiastique royale, à cette légende dorée de Louis dont il se veut le chantre et le propagateur. Cette issue si favorable d’une passe dangereuse, fatale à plus d’un, ce rétablissement Paris, Auguste Durand, 1862, p. 162-163 - ou la voix frêle donne sans doute à son témoignage un air d’objectivité. Faut-il y ajouter cette « grosseur », même si elle est mise en rapport avec la taille élancée, et donc présentée comme coopérant à l’impression d’harmonie que ressentent ceux qui observent le personnage ? Certains, ici, sont moins indulgents que le curé, comme Courtilz de Sandras, qui lui trouve franchement de l’embonpoint (voir ci-dessous n. 69). Il convient enfin d’ajouter le témoignage, passablement négatif, mais qui a été pris sur le vif par un observateur direct, puisque telle était bien la situation d’Angelo Ranuzzi, le Nonce apostolique, qui transmet à son correspondant romain Casoni une image d’un roi en bonne santé, certes, mais vieillissant, sinon vieux, et faisant plus que cet âge de cinquante ans qu’il avait au moment de la rédaction de la missive, datée du 20 septembre 1688, soit une année après le voyage luxembourgeois. À travers les lignes du Nonce, nous voyons donc à peu près Louis tel qu’ont pu l’observer les Luxembourgeois, alors qu’il séjournait dans leurs murs, sauf qu’il possédait encore la seule dent qui lui restait à la gencive supérieure et qu’il ne perdrait que l’année d’après…! Egli e risanato e nell’esteriore non si gli conosce altro che il volto e l’apparenza di un’ huomo consumato di anni e più vecchio di quelle che egli è, e nella settimana passata gli cadde un solo dente che gli rimaneva nella gengiva superiore. [… extérieurement, son visage et son apparence sont celles d’un homme usé par les ans et qui fait plus vieux que son âge ; la semaine passée, il a perdu l’unique dent qu’il conservait à la gencive supérieure. (Nous traduisons)]. (Lettre de Ranuzzi à Casoni du 20 septembre 1688, dans Correspondance du Nonce en France Angelo Ranuzzi, op. cit., t. II, p. 408). Dès 1685, les problèmes de sa dentition avaient fait du roi un personnage peu appétissant, comme en porte preuve l’ahurissant rapport médical de cette année : « la mauvaise disposition de sa mâchoire supérieure du côté gauche, dont toutes les dents avaient été arrachées, [l’a] obligé de remédier à un trou de cette mâchoire, qui, toutes les fois qu’il buvait ou se gargarisait, portait l’eau de sa bouche dans le nez, d’où elle coulait comme d’une fontaine. Ce trou s’était fait par l’éclatement de la mâchoire arrachée avec les dents, qui s’était enfin cariée, et causait quelquefois quelqu’écoulement de sanie de mauvaise odeur… ». L’application de cautères, toutefois, apporta cette amélioration qui aura épargné aux Luxembourgeois ce spectacle pénible (Journal de Santé du Roi Louis XIV, op. cit., p. 162-163). 67 Voir ci-dessous n. 500. 68 Voir ci-dessous n. 308. On notera ici que des actions de grâces, suivies de réjouissances, ont eu lieu à Luxembourg pour célébrer l’événement. Le document comptable est reproduit ci-dessous (p. 318 et s., Annexe 5). <?page no="37"?> 37 Introduction si complet 69 , rendu manifeste par les peines souverainement assumées d’un long déplacement, sont autant de signes d’un naturel heureux, héroïque même, tout fait pour présider au plus puissant des royaumes. On a beau savoir, et de la meilleure source, en l’occurrence celle des médecins attachés à la personne du monarque 70 , que la santé de celui-ci est, comme l’écrit Michelet, une « fable trop répandue », cachant « la faiblesse réelle du roi sous sa belle apparence 71 », on a beau suivre, avec Saint-Simon, le cortège frileux des infirmités royales 72 , l’idée se maintient d’une nature au-dessus de la nature, seule capable de guider sans défaillances le vaisseau de l’État dans sa course périlleuse. Napoléon dira plus tard que « l’Empereur ne connoit autre maladie 69 Rétablissement que confirme un autre auteur qui atteste au roi un exploit… sportif. Relatant son inspection des fortifications de Luxembourg, Courtilz de Sandras, montre Louis - alors âgé tout de même de quarante-neuf ans - sautant par-dessus des obstacles tel un éphèbe, exploits que les officiers de la suite ont peine à imiter : « […] ce Prince étant encore allé le lendemain visiter les travaux, il voltigea pardessus un parapet*, sans vouloir atendre un siege qu’on lui aportoit pour passer par-dessus plus commodément. Quelques Seigneurs de la Cour voulurent faire la même chose, mais ils ne purent, ou du moins en firent semblant. » (Mercure historique & politique, avril 1687, Parme, Juan Batanar, 1687, p. 833). Cette dernière phrase, sans dévaluer la prestation de ce presque quinquagénaire, fait pourtant la part de l’esprit courtisan. Il faut lire dans ce contexte le commentaire très explicite de l’épisode procuré par l’auteur dans ses Reflexions sur les nouvelles de France de juin 1687 (op. cit., p. 842-843) : Courtilz ne laisse pas subsister le moindre doute que l’apparente incapacité des membres de la suite, « gens de l’âge de vingt-cinq ans, & encore au-dessous, d’une taille aisée » à imiter le geste d’un homme « qui est sur la quarante-neuviéme année, qui a de l’embonpoint » est « politique de la part de courtisans, [qui] sçavent qu’un Prince quelque sage qu’il soit est toujours bien aise de paroître surpasser tous les autres ». Pour le passage intégral, voir ci-dessous p. 405. *Des doutes pourraient être avancés sur la possibilité même de sauter, d’enjamber en quelque sorte un parapet, si l’on accepte ce mot dans sa signification militaire, acception que pourrait suggérer ce contexte d’inspection des fortifications. Le parapet serait alors, selon le Dictionnaire de l’Académie de 1694, une« [é]lévation de terre ou de pierre au-dessus d’un rempart », ouvrage trop volumineux pour un exercice de la nature de celui évoqué ci-dessus. Mais une deuxième définition du même Dictionnaire, « civile » celle-ci, présente le parapet en simple « muraille à hauteur d’appui eslevée au dessus d’une terrasse, d’un pont &c. », obstacle surmontable à qui jouit d’une bonne condition physique. 70 On aura à revenir au Journal de la santé du Roi Louis XIV […] écrit par Vallot, d’Aquin et Fagon, tous trois ses Premiers Médecins. 71 J. Michelet, Histoire de France, Sainte-Marguerite, Éditions des Équateurs, 2008, t. XIII, p. 168. 72 Voir, entre autres, op. cit., t. I, p. 26 (goutte), p. 306 (anthrax) ; t. V, p. 605 (sueurs nocturnes). <?page no="38"?> 38 Introduction que la mort 73 », façon de confirmer la vieille conviction que celui qui veille au salut commun est placé au-dessus des vicissitudes du commun. Ainsi Louis tel que le présente le Mercure. Dans l’esprit du journaliste, l’opération qu’il a subie, paradoxalement, devient signe de santé et d’une santé triomphant de toutes les atteintes. Encore faut-il savoir que cette intervention chirurgicale qui alors a défrayé les chroniques et fait la une de toutes les chancelleries d’Europe, n’est mentionnée, dans le Journal, qu’incidemment, à l’occasion de l’évocation du monument royal de la Place des Victoires 74 et, puis, à la toute fin du récit, indirectement, par la mise en valeur, comme il vient d’être dit, d’une santé à toutes épreuves et en particulier celle d’un éprouvant voyage. Faisant le bilan de l’état du roi à l’issue de sa si longue randonnée, le journaliste ne trouve que quelques mots pour le déclarer excellent et en profite pour aborder, par ce biais, l’essentiel, cette bonté foncière du Père des Français bravant tous les dangers pour aller à la rencontre de ses enfants : Jamais ce Prince ne s’étoit mieux porté, & n’avoit paru de meilleure mine, quoy que pendant le cours du Voyage, il se fust toûjours exposé à la poussiere, dont il auroit pû se garantir, si sa bonté ne l’eust porté à vouloir satisfaire l’empressement que les Peuples de la Campagne avoient de le voir sur tout après une maladie qui avoit fait paroistre l’excès de leur amour pour ce Prince 75 . La maladie se mue en cette santé florissante qui permet au Prince de se manifester dans sa fonction la plus spécifique, celle de Père aimant qui le distingue, on le verra, des autres potentats d’Europe ou d’ailleurs. Dès le début de la relation, du reste, le lecteur avait eu droit à une approche similaire, quoique d’un niveau plus banal. L’affection, cette fois anodine, - il s’agit 73 Propos de l’Empereur rapporté par Goethe, alors que, dans une lettre adressée le 3 mai 1816 à Carl Friedrich Zelter, le poète se cherchait des arguments l’encourageant, malgré une crise aiguë de rhumatisme, à assister à la réunion des États de Weimar, où devait avoir lieu la proclamation de la nouvelle Constitution du Grand- Duché (voir G. Seibt, Goethe und Napoleon. Eine historische Begegnung, München, Verlag C.H. Beck, 2008, p. 199). 74 Voir ci-dessous n. 308. On notera par ailleurs que l’opération proprement dite n’est mentionnée dans les tirages précédents qu’à travers les actions de grâces subséquentes à la guérison (décembre 1686, 1 re partie p. 36, p. 322, p. 329, p. 333, p. 335 ; février 1687, p. 73-107, 107-114, mars 1687 1 re partie, p. 96-108). On chercherait en vain le moindre détail ni même la date de l’intervention, alors même qu’à une autre occasion - celle d’un remède contre les « descentes » c’est-à-dire les hernies, mais où le roi n’était pas spécialement concerné, l’auteur avait clamé l’importance de tout ce qui touche à la santé : « Les choses qui concernent la santé, sont à préferer aux nouvelles les plus agreables & les plus curieuses ; & c’est ce qui m’a engagé à mettre icy cet Article. » (Février 1686, 1 re partie, p. 71). 75 Mercure, [332-333]. <?page no="39"?> 39 Introduction d’un vulgaire rhume - produit une belle qualité de Louis : toujours soucieux des affaires de la France, ce travailleur acharné ne déroge pas à ses louables habitudes pour si peu : Le temps du Voyage s’avançoit, & l’on estoit presque sur le point de partir, lors que le Roy fut attaqué d’un grand Rhume. Mais loin que cet accident fist prendre aucune résolution contraire à ce qui avoit esté arresté, Sa Majesté ne retrancha pas mesme un quart-d’heure des Conseils qu’elle avoit accoûtumé de tenir 76 . L’incessant travail, l’ininterrompu service de France, voilà bien une vertu de Louis que le Mercure ne cesse de célébrer tout au long des centaines de pages relatant le Voyage luxembourgeois, et sans risque d’être contredit : même les esprits les plus critiques, pour ne pas dire les plus malveillants, on le verra, reconnaissent au roi cet engagement de toutes les heures. Ce thème consensuel, le Mercure l’aborde dès les premières pages de sa relation en prenant soin de dissiper toute idée de villégiature : ce voyage auquel Louis s’astreint n’a rien d’une partie de plaisir. La besogne est au rendez-vous de chaque étape, et l’éloignement n’empêche en rien la concertation : les sujets restent attelés à la tâche, comme le maître : Je vous diray […] qu’en s’éloignant de Sa Majesté, ils [Louvois et Seignelay, ministres de la Guerre et de la Marine] avoient toûjours la mesme part aux affaires. Rien n’est aujourd’huy épargné en France pour le bien de l’Etat & le Roy, par le moyen des Courriers, peut conferer tous les jours avec ceux qui sont éloignez de luy 77 . Encore faut-il savoir que celui-ci se suffit à soi-même. N’est-ce pas la marque de Louis XIV, hautement proclamée dès le début de son gouvernement personnel, d’être un roi sans Premier Ministre 78 ? Le Mercure insistant une 76 Mercure, [23]. 77 Ibid., [24-25]. Pour la poste, voir ci-dessous n. 255. 78 Le roi lui-même s’explique sur ce point dans ses Mémoires pour l’année 1661 destinés à l’instruction du Dauphin : « Quant aux personnes qui devaient seconder mon travail, je résolus sur toutes choses de ne point prendre de premier ministre ; et si vous m’en croyez mon fils, et tous vos successeurs après vous, le nom en sera pour jamais aboli en France, rien n’étant plus indigne que de voir d’un côté toutes les fonctions, et de l’autre le seul titre de Roi. » (Louis XIV. Mémoires. Présentés et annotés par J. Longnon. Nouvelle édition revue et corrigée, Paris, Jules Tallandier, 1978, p. 48). On relira à ce sujet le témoignage admiratif de Saint-Simon, op. cit., t. V, p. 469 : « C’est […] un des plus beaux endroits de sa vie, […] de prendre cette maxime que rien n’a pu ébranler depuis, d’abhorrer tout premier ministre, […]. » Il est vrai que le mémorialiste, selon sa coutume, relativise cette décision, prise sous l’effet du souvenir de la présence envahissante des cardinaux-premiers ministres des règne et régence précédents. <?page no="40"?> 40 Introduction nouvelle fois, et avec plus de détails, sur sa capacité de travail, n’omet pas de signaler ce signe distinctif du règne : Je ne vous marque point les lieux & les heures où le Roy a tenu Conseil. Ce Prince ne manque jamais de temps pour ce qui regarde les affaires de l’Etat. Il leur sacrifie son repos & ses plaisirs ; il tient Conseil en tous lieux, & à toute heure, quand il le juge important pour le bien de son Royaume, & il a travaillé dans le Voyage de Luxembourg, avec la mesme application qu’il fait à Versailles. Il est vray que ce n’a pas esté avec tous ses Ministres, Mr de Croissy estant le seul qui soit party de Paris avec ce Monarque, mais comme il est luy-mesme son premier Ministre, on peut dire qu’il travaille souvent seul autant que dans le Conseil 79 . Et ce n’est pas au terme de son voyage que ce pourfendeur des « rois fainéants 80 » démentira sa réputation : Luxembourg le voit à l’œuvre, comme Versailles, toujours, sans arrêt, l’esprit tendu comme le corps : Le 24. [mai] le Roy […] tint Conseil le matin & l’apres-dînée, ayant pendant tout le temps qu’il a demeuré à Luxembourg, donné cinq à six heures par jour, pour tous les Conseils qu’il y a tenus, de sorte que le temps qu’il employoit à voir des Fortifications & faire des Revuës estoit celuy qu’il prenoit pour donner relâche à son esprit. Ainsi l’on peut dire que l’esprit ne commençoit à se reposer que pour donner lieu au corps d’agir 81 . On pourrait multiplier les occurrences 82 : le thème de l’application constitue un premier leitmotiv de ce portrait du voyageur royal. Il peut paraître prosaïque, bourgeois même, peu apte à faire sentir cette élévation qui, toujours, doit s’associer aux princes et à celui-ci plus qu’à d’autres. On verra que l’auteur du Journal a su viser plus haut. Toujours est-il que Louis a dû accueillir favorablement une qualité qu’il n’aura pas jugée indigne de figurer dans son palmarès. Dès les premières pages de ses Mémoires, il la réclame, il la recommande au Dauphin comme la base et le soutien de tout projet politique : 79 Mercure, [89-91]. 80 Louis XIV écrit dans ses Mémoires pour l’année 1661 : « Dès l’enfance même, le seul nom des rois fainéants […] me faisait peine quand on le prononçait en ma présence. » (Op. cit., p. 34-35). 81 Mercure, [249-250]. 82 Voir, p. ex., ibid., [100], où l’auteur signale que l’Intendant de la Généralité de Paris reste aux côtés du roi tant que celui-ci demeure sur le territoire de cette Généralité : « Cela fait que Sa Majesté s’applique sans cesse, puis que mesme dans le temps de ses plaisirs, Elle s’entretient plûtost de ce qui se passe dans son Royaume, que de ce qui peut avoir rapport à son divertissement. » De même [111] : à Montmirail, « [l]e Roy tint deux fois Conseil avec M r de Croissy : c’est ce que Sa Majesté a fait chaque soir, après estre arrivée dans tous les lieux où Elle a esté coucher. » <?page no="41"?> 41 Introduction Quant au travail, il se pourra faire, mon fils, que vous commenciez à lire ces Mémoires en un âge où l’on a bien plus accoutumé de le craindre que de l’aimer ; trop content d’être échappé à la sujétion des précepteurs et des maîtres, et de n’avoir plus d’heure réglée ni d’application longue et certaine. Je ne vous avertirai pas seulement là-dessus que c’est toutefois par là qu’on règne, et que ces conditions de la royauté qui pourront quelquefois vous sembler rudes et fâcheuses en une aussi grande place, vous paraîtraient douces et aisées s’il était question d’y parvenir. 83 Et au principe il associe le détail de l’exécution : Je m’imposai pour loi de travailler régulièrement deux fois par jour, et deux ou trois heures chaque fois avec diverses personnes, sans compter les heures que je passerais seul en particulier, ni le temps que je pourrais donner extraordinairement aux affaires extraordinaires s’il en survenait […] 84 . Pour ce premier trait de son portrait royal, le Mercure a donc puisé à la source : Louis se reconnaît, et veut se reconnaître, dans ce voyageur laborieux en route vers Luxembourg. On l’a suggéré : l’auto-louange n’a pas lieu ici, de même que la courtisanerie 85 . Les témoignages abondent qui confirment cette puissance de travail exceptionnelle. Colbert, lui-même infatigable, rapporte qu’un même jour le jeune roi présida le Conseil des Finances de dix heures du matin à une heure et demie, dîna, présida un autre conseil, s’enferma deux heures pour apprendre le latin afin de se mettre en état de lire les actes de la chancellerie pontificale et le soir tint un troisième conseil jusqu’à dix heures 86 . Plus lapidairement un contemporain, Antoine Aubery, avocat au Parlement et aux Conseils du Roi, rappelle dans l’Épître précédant, en 1667, son traité Des justes prétentions du Roi sur l’empire, le Laboremus, ce mot de Septime Sévère accédé au rang de paradigme du zèle et de l’application, et qu’il complète ensuite par la mise en œuvre du traditionnel motif solaire : Sire, à qui convient mieux qu’à Votre Majesté ce mot de guerre si célèbre de l’empereur Sévère : travaillons ? Votre Majesté, Sire, imite heureusement le soleil en ce qu’il est ennemi irréconciliable de l’oisiveté et du repos 87 . 83 Mémoires, op. cit., p. 43. 84 Ibid., p. 44. 85 Encore que même ce mérite puisse être terni par certaines interprétations. Voir cidessous n. 108, les observations de Spanheim. 86 D’après E. Lavisse (Histoire de France, t. VI, p. 123) cit. par N. Ferrier-Caverivière, L’image de Louis XIV dans la littérature française de 1660 à 1715, Paris, PUF, 1981, p. 54 n. 15. 87 Cité par N. Ferrier-Caverivière, op. cit., p. 54. On trouvera au même endroit d’autres témoignages, similaires. <?page no="42"?> 42 Introduction Pour être vrai, le propos, cependant, sent le langage de cour ; afin de dissiper toute ambiguïté, on s’arrêtera sur cet autre, émanant d’une plume peu portée à la louange : « il comprenait l’oisiveté, écrit Saint-Simon, comme l’ennemie de la gloire 88 . » Impossible d’être plus bref et en même temps plus explicite. Ce roi de gloire installe celle-ci dans chacune de ses actions ; les temps inoccupés sont comme autant de démissions, petites morts incompatibles avec cette vie toute d’ambition. « Le Roy qui donc toujours travaille 89 » le fait, on l’a lu, tant par l’esprit que par le corps : il « joint », écrit Visé, dans son Histoire de Louis le Grand, si superbement illustrée et faite pour associer les vertus de Louis à celles des mille aspects de la flore, « les fatigues du corps aux continuelles applications de l’esprit 90 ». Ce dernier, l’esprit, il l’a, d’après le Mercure, aussi excellent que l’autre : sa pénétration immédiate des affaires les plus complexes lui donne cette connaissance intuitive des hommes et des choses qui caractérise le chef : Ce Prince ayant l’esprit extremement penetrant, un mot luy fait aprofondir bien des choses, de sorte que ce qu’il aprend lors qu’il semble ne s’informer que par conversation de ce qui se passe, luy donne lieu de remedier à quantité de desordres, & fait que souvent il en previent d’autres 91 . Cette nouvelle qualité fait-elle encore l’unanimité ? Sans doute, à lire des témoignages intéressés comme le fut celui de Primi Visconti 92 dans ses Mé- 88 Op. cit., t. V, p. 469. 89 Loret, Lettre 40 du 13 octobre 1663, dans La Muze historique […], Paris, Daffis, 1857, t. IV, p. 111, col. 2. 90 Histoire de Louis le Grand Contenuë Dans les rapports qui se trouvent entre ses actions, & les qualités, & vertus des Fleurs, & des Plantes, s.l.n.n., 1688, chapitre consacré à la gentiane. Il faut dire que cet ouvrage de si belle facture matérielle a été loin de n’attirer à son auteur que des commentaires élogieux. Excessivement flatteur, il a provoqué le mépris et presque la colère de Pierre Mélèse, le biographe moderne de Donneau de Visé, dégoûté par ce qui lui paraît par trop rampant : « Un luxueux manuscrit conservé à la Bibliothèque Nationale donne […] la mesure de cette exagération vraiment scandaleuse, et telle qu’on a peine à croire qu’un homme intelligent comme l’était Louis XIV ait pu l’accepter sans dédain. […] Il serait difficile de trouver rien de plus stupide que cet ouvrage. Est-il possible que […] le fougueux polémiste, le journaliste avisé, ait pu s’abaisser ainsi à cette flatterie ridicule ? » (Un homme de lettres au temps du Grand Roi, op. cit., p. 184-186, passim). 91 Mercure, [100]. 92 Certes, cet Italien arrivé en France en 1673, et où il se tailla d’abord des succès douteux avec les sciences occultes et plus particulièrement la prédiction de l’avenir, avait avec Louis XIV des relations ambiguës. Auteur d’une histoire de la guerre de Hollande, projet d’abord soutenu par le roi, il la remplit, à l’avis du concerné, de « plusieurs faussetés », qui finirent par lui valoir un séjour à la Bastille. Mais une fois libéré, il jouit de nouveau de la faveur royale : réception à la Cour, inscription sur <?page no="43"?> 43 Introduction moires sur la Cour de Louis XIV : le roi, dans les épineuses questions débattues au Conseil, y est présenté trouvant « tout seul ce qu’il fallait faire et qui était l’unique expédient possible 93 ». Mais on le dirait moins, après lecture de Saint-Simon qui, cette fois, se montre plus circonspect, pour ne pas dire franchement irrespectueux. Louis, un esprit supérieur ? Mais il est « [n]é avec un esprit au-dessous de la médiocrité 94 », mais « [i]l faut encore le dire. L’esprit du Roi était au-dessous du médiocre 95 ». Quel désaveu du Mercure tout d’admiration devant cette intelligence « pénétrante » ! Sans doute, le mémorialiste atténue son propos en reconnaissant à ce médiocre l’habileté de se savoir tel et de s’entourer, en conséquence, d’êtres en possession de ces lumières qui lui manquaient et sur lesquels il pouvait s’appuyer : [c’était] « un esprit capable de se former, de se limer, de se raffiner, d’emprunter d’autrui sans limitation et sans gêne, [et profitant] infiniment d’avoir toute sa vie vécu avec les personnes du monde qui […] avaient le plus [d’esprit] 96 . Aptitude excellente, s’il en est, et, pour tout dire, autre forme d’intelligence, rare autant que souhaitable. Il n’en demeure pas moins que ce Soleil devient satellite ne brillant que du feu d’autrui, l’inverse, en somme, de ce qu’avait cru observer Visconti. Ce personnage que Saint-Simon présente à son lecteur tient du bon élève, solide, travailleur, mais sans invention ni vision, bref, sans génie. Et on n’oublie pas cette localisation « au-dessous de la médiocrité » qui ruine l’homme. D’autres ont-ils pensé de même ? Dans la suite, sans doute, tel Michelet qui, à plus d’un siècle de distance, le juge « médiocre » 97 , souvenir peut-être de sa lecture de Saint-Simon, tel encore, et surtout, Victor Hugo, qui enrobe en une de ces formules percutantes dont il a le secret le constat de l’auteur des Mémoires : Louis XIV, écrit-il dans Le Rhin, ce n’est pas le génie dans le maître ; mais c’est le génie autour du maître, ce qui fait le roi moindre peut-être, mais le règne plus grand 98 . la liste des pensions. Aussi ses Mémoires, de même que son Portrait de Louis le Grand, tracent-ils du roi l’image la plus favorable (voir Mémoires sur la Cour de Louis XIV. Traduits de l’italien par J. Lemoine, Paris, Calmann-Lévy, 1908, Introduction). 93 Mémoires, op. cit., p. 32. 94 Op. cit., t. V, p. 469. 95 Ibid., p. 478. 96 Ibid. 97 Histoire de France, t. XIII (Louis XIV et la Révocation de l’Édit de Nantes), op. cit., p. 171. 98 Le Rhin. Lettre Onzième [Voyages], dans Œuvres complètes/ Voyages, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1987 p. 88. <?page no="44"?> 44 Introduction Parmi les contemporains cependant, les témoins directs, somme toute, rares sont ceux qui acquiesceraient, du moins par écrit. Certes, Victor Hugo allègue le mot de Madame de Montchevreuil 99 , peu rassurant sur les lumières de Louis, inexistantes et, de ce fait, obligeant, en ce temps de courtisanerie, de déclarer inexistantes celles des autres, quel que soit leur éclat 100 . Il ne serait pas inutile, en l’occurrence, de consulter des témoignages étrangers, non pas, certes, ceux des ennemis de la France au jugement aveuglé par la partialité 101 . Mais on aimerait entendre des voix neutres, éloignées à la fois des bassesses courtisanes et de l’animosité ennemie, s’exprimant, en plus, en connaissance de cause, parce que voyant, de par leurs fonctions, les choses de près. Une telle voix sera sans doute celle d’Ézéchiel Spanheim, cet ancien professeur de philosophie et d’éloquence entré au service du Grand Électeur qui le nomma en 1680 envoyé extraordinaire à la cour de Versailles. Observateur placé aux premières loges, il a laissé cette Relation de la Cour de France faite au commencement de l’année 1690 102 qui confirme, pour ce qui concerne le roi, le constat de Saint-Simon. Traitant d’abord des qualités du roi, il profite de l’évocation « d’un naturel grave, sérieux et réservé » pour l’établir en contre-poids à un génie défaillant : C’est par là que son génie, qui, naturellement, n’a rien de fort brillant ni de fort élevé, dont les connoissances étaient fort bornées, […] prit de nouvelles forces et parut assez grand dans la suite pour soutenir lui-même le poids des affaires et du gouvernement, […] 103 Le blâme perce sous l’éloge : un génie ni brillant ni élevé… Louis descendu de son piédestal. Et l’observateur signe et persiste : 99 Le témoignage de Marguerite Boucher d’Orsay, marquise de Montchevreuil, est-il fiable ? Saint-Simon qui dessine du personnage le plus déplorable portrait, lui reproche à elle-même niaiserie et manque d’esprit : « [elle] riait niais, [elle était] « [s]ans aucun esprit. » (Op. cit., t. I, p. 48). Et Madame de Caylus répète à son intention le compliment du mémorialiste au roi : « C’était une femme […] d’un esprit audessous du médiocre… » ! (Souvenirs sur Madame de Maintenon, Clermont-Ferrand, Éditions Paleo, 2003, p. 67). 100 « La Montchevreuil dit en parlant du même Louis XIV : ’comme le roi est ignorant, on est forcé de tourner les savants en ridicule’ ». (Proses philosophiques, 1860-1865) [Critique], dans Œuvres/ Proses philosophiques/ [Critique], Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1985, p. 617. 101 Voir les nombreux ouvrages d’époque relevés dans l’étude d’ H. Gillot, Le règne de Louis XIV et l’opinion politique en Allemagne, Nancy A. Crepin-Leblond, 1914. 102 É. Spanheim, Relation de la Cour de France en 1690. Nouvelle édition établie sur les manuscrits originaux […] et suivie de la Relation de la Cour d’Angleterre en 1704 par le même Auteur. Publiée avec un Index analytique par Émile Bourgeois […], Paris, A. Picard et Fils, Lyon, A. Rey, 1900. 103 Op. cit., p. 66-67. <?page no="45"?> 45 Introduction Sa Majesté, écrit-il quelques lignes plus loin, sans avoir rien de brillant, ni de vaste, ni de fort éclairé dans l’esprit, en a cependant assez pour remplir les devoirs d’un grand roi ; 104 « d’un grand roi », l’adjectif seul empêche de reléguer Louis parmi les tâcherons, dépourvus de moyens supérieurs, aptes, tout juste, à l’accomplissement laborieux de la tâche que la vie leur a imposée. Encore faut-il savoir que tous ces compliments spécieux figurent dans la rubrique des bonnes qualités. Mais comme pour effacer les derniers doutes, l’auteur revient à la charge, et dans celle, cette fois, des « Mauvaises qualités du Roi » dissipant, de par son entête même, toute obligation d’embellir : On peut mettre en premier lieu celle d’un génie naturellement borné, peu cultivé […] 105 Et pour conclure, le coup de grâce : le roi, contrairement aux dires des panégyristes qui l’entourent, est à l’opposé de ces meneurs d’hommes à l’esprit supérieur, prévoyant tout, anticipant tout, exécutant tout, de ces héros, pour tout dire - et malgré Voltaire - appelés à donner leur nom à leur Siècle : […] on peut dire sans offenser le Roi, malgré les éloges outrés de ses panégyristes, que ce n’est pas un de ces génies de premier ordre qui voit, qui pénètre, qui résout, qui entreprend tout par lui-même, qui en forme le plan et en exécute le projet, et ce qui fait le véritable caractère des héros donnés pour la gloire de leur siècle et pour la félicité publique 106 . 104 Ibid., p. 67. 105 Ibid., p. 70. Ce « peu cultivé » fait écho aux « connaissances bornées » dont le même Spanheim accable le roi. Mais ne peut-on pas inverser la donne, comme le fait, une fois de plus, Primi Visconti ? Ces connaissances bornées, cette culture indigente, sous sa plume, deviennent culture générale, plus nécessaire souvent à un prince qu’une science approfondie et de ce fait limitée à quelques créneaux. « Lorsqu’il était enfant, écrit-il sans mesurer ses propos, les Français le regardaient comme un idiot », mais la suite leur a donné tort ; Louis XIV est devenu cet honnête homme qui s’initiait à tout parce qu’il ne s’attardait à rien : « … il comprend l’italien aussi bien que nous […]. Il sait aussi l’espagnol, il comprend un peu le latin, quoiqu’il ne l’ait pas étudié […] ; il a des connaissances universelles sur toutes choses, ce qui est supérieur à toutes les sciences ; il parle de tout, aussi bien d’affaires que de guerre, de bâtiments, de dessins et de musique, mieux encore qu’un ministre, un architecte, un mathématicien et que Lulli lui-même, qui est florentin et le premier compositeur de notre époque. » (Mémoires, op. cit., p. 191-192). Et dans son Portrait de Louis le Grand, publié à la suite des Mémoires, il précise que « [l]a lecture de l’Histoire et les bons Livres sont de son goust », tout en ajoutant « qu’il n’a pas toujours le temps de s’y appliquer » (op. cit., p. 383). 106 Ibid., p. 71. <?page no="46"?> 46 Introduction Finalement, le verdict est le même que celui des Saint-Simon, des Michelet, des Hugo : Louis XIV, si jaloux de son autonomie, n’est rien s’il ne l’est par les autres, ses lumières sont d’emprunt, sans plus, ses succès, effets de circonstances et non fruits de réflexions : C’est qu’en effet il juge moins des affaires et des intérêts publics par ses propres lumières que par celles qu’on lui en donne, que l’idée qu’il a de sa grandeur le prévient aisément et l’occupe, et qu’il réfléchit bien plus sur les succès passés de son règne que sur les prétextes et les voies dont on s’y est servi, ou bien sur les favorables conjonctures qui, d’ailleurs, y ont eu plus de part 107 . Et dans cette optique, même sa première qualité, celle du zèle, de l’incessante application aux affaires, si unanimement reconnue, perd particulièrement en éclat. Appliqué, oui, toujours attelé à la tâche, sans doute, mais ceci uniquement pour la déléguer à d’autres : Après tout, s’il a assez de talent pour comprendre les grandes affaires, on peut dire qu’il ne s’en occupe pas assez pour les digérer et pour les envisager par tous les biais qu’elles peuvent avoir : en sorte que son assiduité qu’on lui voit aux Conseils est bornée le plus souvent à donner lieu au rapport intéressé ou altéré qu’on lui fait, aux délibérations conformes qui s’en prennent en sa présence, et au choix qui s’y résout des moyens ou des personnes pour les faire réussir 108 . La présentation du Mercure, rien d’étonnant à cela, ne dépasse pas les poncifs habituels de la littérature courtisane : dans cette première approche, il dessine du roi cette image idéale dont les esprits avertis ne pouvaient guère être dupes. S’attendra-t-on à plus de circonspection dans la suite, et notamment dans l’appréciation de cette intelligence à l’œuvre, s’exerçant dans des champs concrets, ceux de la paix comme ceux de la guerre ? Non, certes, bien qu’à l’occasion, on le verra, il puisse se montrer étonnamment discret, restant bien en-deça de l’habituel flot d’éloges. Ce n’est pas encore le cas pour la célébration de ce talent royal qui paraissait alors devoir être le premier, laissant loin derrière lui tous les autres quelque éclatants qu’ils soient. Selon le Mercure, le génie militaire de Louis, son intelligence de toutes les stratégies, fait du roi ce capitaine appelé à tous les triomphes. Et la plupart du temps, quand il évoque, dans le Journal du Voyage, les gestes militaires du roi, il en fait expressément la manifestation de son intelligence, de sa pénétration des choses de la guerre. Ainsi dès avant l’arrivée à Luxembourg, à l’occasion de l’inspection de la place de Longwy : 107 Ibid., p. 72. 108 Ibid. <?page no="47"?> 47 Introduction Le Roy visita à cheval les dehors de la Place, & fit le tour à pied des Remparts. Ce Prince marqua luy-même ce qui en pouvoit encore embellir les Travaux, & ce qu’ils avoient de plus beau & de plus seur. Cela fait voir la parfaite intelligence qu’il a de l’Art de la Guerre 109 . Celle de Luxembourg donne lieu au même constat : en matière de fortification, les lumières du roi ne sont en rien inférieures à celles des techniciens les plus avertis : Sa Majesté qui voit avec des lumieres qui ne cedent en rien à celles de ses Ingenieurs, a ordonné deux Redoutes au dessous de la Rivière 110 . Et au-delà même de ce qui se voit, Louis guidé par une intelligence qui relève de l’intuition, prévoit, en quelque sorte, si on ose dire, l’imprévisible : [le] Roy ne cherchant que l’entiere perfection dans tout ce qu’il fait faire, il y a encore de nouveaux fonds destinez pour travailler à cette Place, quoy qu’il paroisse qu’on ne puisse rien ajoûter à ces Fortifications ; mais le Roy a des yeux & des lumieres dont on ne sçauroit trop admirer la penetration 111 . Est-ce l’avis commun ? Sans doute, à lire ceux qui avaient charge de célébrer le règne, à commencer par ces laudateurs officiels qu’étaient les historiographes. Personne ne contestera à Pellisson son courageux attachement à la Religion réformée ni son héroïque amitié pour Fouquet disgracié. Mais les perspectives de carrière viennent à bout des résistances les plus tenaces, et une fois investi du titre convoité, le plus vaillant cède aux nécessités du genre. Dans les premières pages de son Histoire de Louis XIV publiées seulement en 1749, à titre posthume, celui qui détenait la fonction depuis 1668 a beau clamer son parti pris d’objectivité 112 , il n’en arrive pas moins à présenter son commanditaire 109 Mercure, [178-179]. 110 Ibid., [225]. 111 Ibid., [230]. 112 Se montrant d’abord compréhensif pour ceux qui se défient « avec quelque justice de l’inclination d’un bon sujet [tel que lui-même] pour son Roi », il proteste cependant de sa volonté de ne rien embellir : « Mais s’il [l’historien] ne manque pas tout-à-fait de lumieres & de jugement, le propre soin de se satisfaire avec quelque effet, & pour le présent & pour l’avenir, l’oblige assez à se donner de justes bornes. Car la flatterie & l’imposture ne font que passer, & détruisent avec elles-mêmes ce peu qu’elles ont de vérité. » (Histoire de Louis XIV, Paris, Rollin fils, 1749, t, I, p. 7). Rien de plus juste ni de mieux dit… si ne suivait cet ajout sentant horriblement la flagornerie : « D’ailleurs nous avons cet avantage, moi & tous ceux qui me devancent, ou qui me suivent dans cette carriére, que nul autre Prince n’a jamais mieux compris que le nôtre, combien il est d’un petit esprit d’aimer les fausses loüanges, <?page no="48"?> 48 Introduction sous les couleurs exclusivement favorables. Ainsi de son génie militaire. Le comportement du roi au siège de Lille, en 1667, prouve à la fois, écrit-il, l’excellence de ce prince dans les deux volets qui composent l’art de la guerre, celui de la conception d’abord, celui de l’exécution ensuite 113 . Or dans l’une comme dans l’autre, le roi s’est alors distingué de manière telle que la voix la plus autorisée en la circonstance, celle de Turenne, l’avait proclamé capitaine accompli : Le Roi ayant déjà tout fait ce qui dépendoit de sa générosité & de ses lumiéres, fut bien aise de voir, que non-seulement le Maréchal de Turenne l’approuvoit, mais qu’il admiroit son génie pour la guerre, qui en trois mois l’avoit rendu capable d’entreprendre les plus grandes choses, & lui faisoit apercevoir en un instant les moyens de les faire réussir 114 . Rien n’est plus incertain, au moins à lire Saint-Simon. Si l’auteur des Mémoires ne laisse subsister le moindre doute quant aux prétentions royales dans ce domaine, on devine derrière chaque mot le scepticisme, et même l’ironie. Oui, Louis « se piquait d’ […] être maître » dans les « projets de guerre 115 », oui, il était facile « de lui persuader qu’il était plus grand capitaine qu’aucun de ses généraux, et pour les projets et pour les exécutions » 116 , mais, justement, ne faisait-il pas que « s’en piquer », « s’en faire persuader » ? Et tous ces propos ne ou de dissimuler toujours ses fautes, n’espérant pouvoir ni les réparer, ni les excuser par de bonnes actions. » (Ibid., p. 7-8). Louis XIV aurait donc été allergique à la flatterie ? Saint-Simon a opiné très différemment, affirmant que « [l]es louanges, disons mieux la flatterie lui plaisait à tel point, que les plus grossières étaient bien reçues, les plus basses encore mieux savourées ». (Op. cit., t. V, p. 479) . 113 Histoire de Louis XIV, op. cit., t. II, p. 215 : « Dans les plus grandes actions de la guerre il y a deux choses qui donnent de la réputation, & qui font connoître un grand cœur & un grand Capitaine. La premiére est de la concevoir & de la bien disposer. Celle-là dépend uniquement du courage & de l’esprit de celui qui commande, & personne n’en partage la gloire avec lui. Il n’en est pas absolument de même de l’autre, qui consiste dans l’exécution, puisqu’il faut que ceux qu’on y emploie, y contribuent presque autant que le Général… » 114 Ibid. Plus sommaire que Pellisson, Primi Visconti, reconnaît lui aussi le talent militaire du roi, tout en l’associant à sa connaissance du Droit et des langues : « Il est aussi habile Soldat, que sçavant Magistrat : Il répond avec autant de justesse à un Capitaine qu’à un Homme de Robe. Il a poussé les Arts et les Sciences, la Discipline militaire, et la connoissance des Langues étrangères si loin qu’il est impossible d’en expliquer les heureux effets. » (Portrait de Louis le Grand, intégré à Mémoires, op. cit., p. 384). 115 Op. cit., t. II, p. 344. 116 Ibid., t. V, p. 480. <?page no="49"?> 49 Introduction sont-ils pas simples discours de courtisans aptes à promouvoir des carrières plutôt qu’à cerner des vérités ? La suite du propos le laisse entendre : en quoi, écrit toujours Saint-Simon, les généraux l’aidaient eux-mêmes pour [lui] plaire ; je dis les Condé, les Turenne, et à plus forte raison tous ceux qui leur ont succédé. Il s’appropriait tout avec une facilité et une complaisance admirable en lui-même, et se croyait tel qu’ils le dépeignaient en lui parlant 117 . Et le mémorialiste de faire état d’un bon mot venu de l’étranger qu’il répercute d’autant plus volontiers qu’il le croit amplement justifié par ce qu’il n’est pas loin de traiter de fanfaronnade de miles gloriosus : De là ce goût de revues, ce goût de sièges, qu’il poussa si loin que ses ennemis l’appelaient le roi des Revues… 118 117 Ibid. 118 Ibid. Il n’est pas inutile, pour une appréciation objective, de relire ici cette page de Primi Visconti traitant du sobriquet que Saint-Simon présente sur le ton ironique qu’on vient d’entendre : oui, on se moquait de ce goût quelque peu ostentatoire des parades, mais les ennemis de la France ont bientôt appris à leurs propres frais qu’il s’agissait de tout autre chose que d’une mise en scène de fanfaron : « Dans les premiers temps, le comte de Guiche* traitait de façon toute cavalière ces parades continuelles : on prétend même que c’est lui qui avait nommé le Roi marquis de la Parade à cause de ses revues, et marquis de Filigrane à cause de ses costumes. Mais tout le monde put bientôt constater que c’étaient les Espagnols et les Hollandais qui faisaient les frais de ces parades et de la discipline que le Roi avait imposée aux troupes. » (Op. cit., p. 36). *Armand de Gramont, comte de Guiche (1638-1673), était certes un personnage scintillant de par sa beauté et de par son audace manifestée à tous les niveaux, celui de la galanterie - son orientation sexuelle le portait tant vers les mignons de Monsieur que vers sa femme, Henriette d’Angleterre - , mais son goût de la raillerie irrévérencieuse ne lui permettait pas de résister aux bons mots, fût-ce comme ici aux frais du roi. On notera par ailleurs que bien des contemporains se sont plu au faste de ces revues qu’ils évoquent sur le ton de la plus grande admiration et sans l’ombre d’une nuance ironique. Ainsi Loret dans la Lettre vingt-trois du 16 juin 1663 (Muze historique, op. cit., t. IV, p. 65) : « Nôtre Monarque sans-pareil, L’autre-jour, en noble appareil, Dans un lieu de grande étenduë, Fit la générale Revuë De ses Troupes de Mousquetons, Tant à cheval que Piétons, […] Lesquels il fit, vaille-que-vaille, Ranger dans la Plaine, en bataille, Sçachant mieux que les feus Cézars, Le glorieux métier de Mars. » <?page no="50"?> 50 Introduction Aussi donc « ce goût des sièges » permettant au roi d’ « y montrer sa bravoure à bon marché 119 », c’est-à-dire facilement, de toute façon sans tous les dangers que se plaisent à aligner, en la circonstance, les laudateurs officiels 120 . L’intelligence des choses de la guerre a donc laissé sceptiques plus d’un. Celle des choses de la paix donne-t-elle lieu à d’autres conclusions ? Une circonstance du Voyage permet d’aborder la question du discernement artistique du roi. Qu’il fût mécène, qu’il protégeât les lettres et les arts, nul ne le contestera. Mais avait-il le goût affiné, jugeait-il avec intelligence les productions de l’esprit, était-ce grâce à ses lumières que le Grand Siècle le fut aussi, et surtout, grâce aux œuvres de l’esprit ? On détaillera dans la suite 121 l’épisode de l’inspection de la Place des Victoires qui occupait la première étape - celle de Paris - du voyage luxembourgeois. Il suffit de retenir ici que Louis fut alors impliqué dans une querelle artistique, celle de savoir si la dorure de sa statue, voulue par le maître d’œuvre de la Place, le maréchal de La Feuillade, correspondait ou non aux règles du bon goût. Or le roi, justement, évita de se prononcer : Le Roy, écrit le Mercure, qui ne parle point sans se distinguer, dit beaucoup en ne disant rien. Il ne voulut chagriner personne, & dit obligeamment pour M r de la Feüillade, qu’il ne falloit pas s’es-tonner qu’il eust fait dorer sa Figure, puisque si l’on avoit pu la faire d’une matiere plus precieuse, & qu’il eust esté en estat d’en soûtenir la dépense, il estoit persuadé qu’il n’auroit rien épargné pour cela 122 . Ce passage, en somme, comporte deux affirmations. D’abord celle du refus royal d’opiner : le roi « dit beaucoup en ne disant rien. » Ensuite celle donnée en italiques et donc censée reproduire les termes mêmes de la réaction de 119 Saint-Simon, op. cit., t. V, p. 480. 120 Ainsi Pellisson, dans son évocation du courage royal devant Tournai, en 1667. Louis s’approche si près de l’ennemi qu’ « il eut deux de ses chevaux de main tués à ses côtés. Un de ses Pages […] eut même le talon de sa botte emporté d’un coup de canon, sans que ce Prince y parût nullement émû ni tournât seulement la tête ». Une teinte de réalisme, pourtant, est appelée à authentifier tant de bravoure. Oui, le roi se reconnaît des réactions naturelles quand les balles sifflent autour de lui, mais il maîtrise ces premiers mouvements et persiste à braver tous les dangers : « Il disoit qu’il s’étonnoit, qu’on fût surpris que des gens baissassent la tête, lorsque des balles les approchoient ; que cela étoit arrivé à tant de personnes de mérite & de valeur, qu’il n’auroit pas voulu répondre de ne pas faire de même dans les commencemens […]. Cependant & ce jour-là, & le suivant, qu’il voulut aller visiter la tranchée, malgré les instances que lui firent ses principaux Officiers, pour l’engager à attendre qu’elle fût assurée, il témoigna d’un sang froid, qui faisoit trembler tous ceux qui avoient l’honneur de l’approcher. » (Histoire de Louis XIV, op. cit., t. II, p. 166-167). 121 Voir ci-dessous p. 111-113. 122 Mercure, [49] ; voir ci-dessous p. 112-113. <?page no="51"?> 51 Introduction Louis : dans cette démarche de La Feuillade, le roi voit moins une option artistique qu’une allégeance à sa personne. C’est pour l’honorer, pour servir sa gloire, que le maréchal a consenti cette dépense exceptionnelle. Il faudra commenter dans la suite cette seconde approche. Dans l’immédiat, il convient de reconnaître que la première demeure au moins ambiguë. Comment interpréter ce silence éloquent ? Notons en premier lieu que le chroniqueur pourrait faire allusion ici au laconisme légendaire de Louis XIV. Saint-Simon ne relève-t-il pas « la rareté et la brèveté de ses paroles », moyen, d’après lui, de rendre tout ce qui le concernait « précieux par le choix et la majesté 123 » ? C’est, dans la bouche royale, l’exquise contrainte de l’esprit classique, le « Rien de trop » de La Fontaine. Sans être aussi explicites, d’autres confirment le trait, ainsi Spanheim notant que le roi « parle […] peu, mais à propos 124 », ou encore Madame de Caylus qui lui certifie, dans ses Souvenirs, que « ses réponses les moins préparées renfermaient en peu de mots tout ce qu’il y avait de mieux à dire selon les temps, les choses & les personnes 125 ». Enfin, voici le curé Hébert qui n’est pas loin de rappeler, dans ses Mémoires, le mot du Mercure « disant beaucoup en ne disant rien » : Il parle fort peu en public et, lorsqu’il le fait, c’est en des termes précis, pleins de sagesse et de prudence, personne n’ayant mieux que ce prince employé le style laconique qui dit beaucoup de choses en peu de mots 126 . Voilà donc une explication possible du silence royal, Place des Victoires, face à l’icône étincelante. Mais encore ! Que recèle, au niveau du discernement artistique, ce mutisme signifiant : le roi « dit beaucoup en ne disant rien » ? Approbation ou désaveu ? On verra plus loin 127 que l’entreprise du maréchal était loin de faire l’unanimité, certains n’y voyant qu’une manifestation de goût douteux, du tape-à-l’œil, du kitsch, pour ne rien cacher. Le roi « disant beaucoup en ne disant rien » se serait-il rallié in pectore à cet avis, la politesse seule l’empêchant de l’exprimer, car sachant « combien les paroles des rois sont pesées, il renfermait souvent en lui-même ce que sa pénétration lui avait fait découvrir 128 » ? Il aurait fallu, pour cela, qu’il disposât de lumières en la matière, qu’il eût ce coup d’œil affiné distinguant l’art de ses avatars. Certains l’en gratifient, comme Spanheim, qui lui certifie d’aimer les beaux-arts, de 123 Op. cit., t. V, p. 527. 124 Relation, op. cit., p. 68. On peut ajouter ici le témoignage de Visconti qui affirme à son tour que « jamais le Roi ne parle trop ». (Mémoires, op. cit., p. 35). 125 Comtesse de Caylus, Souvenirs sur Madame de Maintenon, op. cit., p. 56 126 Mémoires du Curé de Versailles, op. cit., p. 41. 127 Voir ci-dessous n. 301. 128 C’est encore Madame de Caylus qui parle ainsi dans ses Souvenirs, op. cit., p. 57. <?page no="52"?> 52 Introduction s’y connaître « particulièrement en musique, en peinture et en bâtiments 129 ». D’autres opposent un démenti formel : Louis est dépourvu de tout sens artistique, il est incapable du moindre jugement sensé, avec lui le mauvais goût fête des triomphes. On se doute que Saint-Simon est à l’avant-garde des détracteurs. À l’en croire, ce prince rivalisait d’incompétence artistique avec le principal metteur en scène de ses projets architecturaux : Mansart, lui-même dépouillé d’esprit de finesse, cultivait ce défaut chez son maître, le flattant pour ses entreprises les plus contestables. On verra le détail en lieu opportun 130 . Retenons ici quelques-unes de ces formules imparables dont le mémorialiste a le secret : Comme il n’avait point de goût, écrit-il au sujet de Mansart, et le Roi non plus, jamais il ne s’est exécuté rien de beau ni même de commode, avec des dépenses énormes 131 . Plus loin, il enfonce le clou. Le roi, alors, paraît non seulement en Béotien, fruste et inculte, mais encore en niais, donnant dans les pièges les plus grossiers de la flatterie. Quant à Mansart, il se voit, certes, crédité d’un goût supérieur à celui de Louis, mais de peu seulement, sa première habileté étant celle des flagorneries intéressées et des filouteries payantes : Mansart, qui en était le surintendant peu capable, mais pourtant avec un peu plus de goût que son maître, l’obsédait avec des projets, qui de l’un à l’autre le conduisaient aux plus fortes dépenses. […] Il avait l’art d’apporter au Roi des plans informes, mais qui lui mettaient le doigt sur la lettre, à quoi ce délié maçon aidait imperceptiblement. Le Roi voyait ainsi, ou le défaut à corriger ou le mieux à faire. Mansart, toujours étonné de la justesse du Roi, se pâmait d’admiration, et lui faisait accroire qu’il n’était lui-même qu’un écolier auprès de lui, et qu’il possédait les délicatesses de l’architecture […] aussi excellemment que l’art de gouverner. Le Roi l’en croyait volontiers sur sa parole et si, comme il arrivait souvent, il s’opiniâtrait sur quelque chose de mauvais goût, Mansart admirait et exécutait également, jusqu’à ce que le goût du changement donnât ouverture pour y en faire 132 . Après ceci, on s’interroge plus que jamais sur le silence éloquent de Louis sur la Place des Victoires. Tout ce rutilement doré était fait, peut-être, pour plaire à un goût fruste. Mais il se peut aussi que ce soit mal poser la question. Et si l’art, pour le roi, n’avait pas sa fin en lui-même ? Et s’il n’était qu’un moyen au service de la gloire, ses qualités - ses défauts - intrinsèques ne comptant 129 Relation, op. cit., p. 68. 130 Voir ci-dessous n. 296. 131 Op. cit., t. III, p. 136. 132 Ibid., t. V, p. 586. <?page no="53"?> 53 Introduction pour rien du moment que l’objectif était atteint ? Certes, Philippe Beaussant réfléchissant sur Louis XIV artiste 133 n’est pas de ceux qui dénient au roi goût et compétence dans ce délicat domaine, lui reconnaissant, au contraire, un authentique « mouvement vers les arts ». Il n’en est pas moins vrai qu’il met en évidence le rôle de l’art en tant qu’adjuvant de l’idéologie politique : Ce pont jeté entre le plaisir [de Louis] et sa couronne, il peut souhaiter que ce soit une avancée vers un autre édifice, plus monumental et plus grandiose encore, édifié à la gloire de son règne. Son mouvement vers les arts se retournerait alors vers lui-même. Musique, théâtre, architecture, peinture, poésie, deviendraient […] les signes tangibles de sa majesté. Ils seraient, parmi d’autres, les moyens de l’ostentation de sa personne royale 134 . Interprétation qui pourrait s’inspirer des propos d’un témoin de l’époque, impliqué lui-même dans un des projets artistiques majeurs du règne. Charles Perrault, l’auteur des Contes, était membre du Conseil d’Architecture pour la colonnade du Louvre, ouvrage auquel son nom reste attaché de même que celui de son frère Claude, membre du même Conseil. Au nom de Colbert, Charles adresse à Nicolas Poussin, alors à Rome, cette lettre sollicitant l’avis du maître sur les ornementations à prévoir. Si Louis, écrit-il, songe à « achever son palais du Louvre », […] « il est aisé de remarquer dans ce dessein l’amour que Sa Majesté a pour tous les beaux arts », mais plus particulièrement pour la peinture et la sculpture « qu’elle regarde comme deux arts qui doivent particulièrement travailler à sa gloire, & transmettre son nom à la postérité 135 ». Voilà bien le discours louis-quatorzien sur l’art, et qui confirme les priorités énoncées plus haut. Pour glorifier son roi, de toutes les matières qui lui étaient économiquement accessibles, le maréchal de La Feuillade a choisi la plus précieuse, l’or. Si le roi - ce qu’on n’apprend pas - a pu avoir des réserves au niveau de l’esthétique, celui-ci n’a dû lui paraître qu’accessoire. Ne compte prioritairement que l’intention, ad majorem Regis gloriam. C’était bien celle du maréchal, en conformité avec la pensée monarchique conçue en haut lieu. Comment aurait-on pu lui faire des observations critiques ? Le roi, ici, juge autrement que bien de ses sujets, parce que sa perspective est autre. Ne nous étonnons donc pas qu’il opinât « qu’il ne fallut point s’estonner »… 133 P. Beaussant, Louis XIV artiste, Paris, Éditions Payot & Rivages, 1999 (éd. de poche 2005). 134 Op. cit., p. 9. 135 Ch. Perrault, Mémoires de ma vie 1628-1687, Clermont-Ferrand, Éditions Paleo, coll. « Sources de l’Histoire de France », 2009, p. 48-49. <?page no="54"?> 54 Introduction Mais aussi le Mercure avance-t-il une autre explication du propos royal, ou, si on préfère, de l’absence de ce propos, de ce refus de se prononcer. « Il ne voulut, y lit-on, chagriner personne », c’est-à-dire ne froisser aucune susceptibilité, contenter les uns comme les autres, en un mot, paraître aimable. On sent qu’il faut quitter ici le registre des qualités intellectuelles du roi pour celui des sentiments, du désir de plaire, d’aimer même, et d’être aimé. Ici encore l’idéologie de la monarchie française n’est pas pour rien, on le verra bientôt. Il convient de montrer d’abord que l’auteur du Journal cultive plus particulièrement cet aspect de son portrait de Louis XIV, ne manquant aucune occasion d’y apporter des touches toujours nouvelles. Tous les Français et, plus tard, tous les Luxembourgeois à qui il est donné de rencontrer le souverain, cèdent au charme de cet entregent auquel ils ont dû s’attendre peu chez cet Olympien. Dès l’étape de Claye, le seigneur du lieu, Enjorant 136 « eut l’honneur de salüer le Roy, qui le receut avec cet air engageant qui est si naturel à ce grand Monarque 137 », à celle de Châlons, « [l]es Chanoines se recrierent […] sur la douceur, & sur l’affabilité de ce Monarque, dont ils ne cessent point de parler 138 ». À Livry, pendant le voyage de retour, « Madame Sanguin, Mere de M r le Marquis de Livry, M r l’Evesque de Senlis, Madame de Livry & quelques autres personnes de la Famille, receurent Sa Majesté à la porte du Jardin. Elle les salüa, & leur parla avec cet air doux et majestueux qui luy gagne tous les cœurs 139 ». Et le roi ne les quitta qu’« après avoir fait de grandes honnestetez à Madame Sanguin, & M r de Senlis & à Madame de Livry, & leur avoir dit, qu’Elle n’avoit point esté si bien traitée dans tout le Voyage 140 ». Enfin, son attention pour ceux qui l’accompagnent est telle qu’ils en oublient volontiers les embarras d’un voyage qui leur procure le moyen de l’aborder plus aisément, sans l’habituelle cohue de Versailles : […] mais quand il y auroit eu des peines à essuyer pour ce qui s’appelle la Cour, le plaisir de voir quelquefois le Roy sans estre accompagné de la foule qui l’environne toûjours à Versailles, & d’avoir le bonheur de luy parler si facilement, sont des choses qu’on ne pourroit trop payer. Jamais Prince n’ayant paru si charmant que ce Monarque, lors qu’il veut bien avoir la bonté de se dépoüiller de sa grandeur, il ne se montre point dans 136 Voir ci-dessous n. 353. 137 Mercure, [83] ; voir ci-dessous p. 137. 138 Ibid., [122]. On aura l’occasion de voir que ceux de Meaux firent une tout autre expérience… (voir ci-dessous n. 158). 139 Ibid., [324-325] ; voir ci-dessous p. 300-312. On trouvera des détails de tous les personnages mentionnés dans les notices qui leur sont consacrées. 140 Ibid., [328] ; voir ci-dessous p. 304. <?page no="55"?> 55 Introduction ces momens, qu’il ne gagne autant de cœurs qu’il s’atire [sic] d’admirateurs par ses grandes actions 141 . Il a eu pourtant conscience d’avoir entraîné tout ce beau monde sur des routes peu accueillantes. Les dames, surtout, n’ont-elles pas eu à souffrir d’une expédition qui les éloignait si extraordinairement de leur délicat quotidien ? Louis, exquisement courtois, s’en rend compte et ne lésine pas sur les frais pour les en dédommager : Le Roy après son retour donna un magnifique repas à toutes les Dames qui avoient esté du Voyage, pendant lequel les soins de Sa Majesté leur ont épargné beaucoup de fatigue, les divertissemens s’estant mesme trouvez par tout ainsi qu’à Versailles 142 ; Il avait donc tout prévu : Versailles hors de Versailles, aux champs ces dames retrouvent tous les menus plaisirs du château. Mais ce n’est pas assez, il faut encore qu’il s’inquiète de leur commodité, qu’il soit aux petits soins avec elles pour leur éviter tout désagrément, préférant souffrir lui-même plutôt que de les voir souffrir. Ainsi à l’étape de Vertus : Le Roy y fut logé fort étroitement, & comme c’estoit sur la ruë, il fut exposé au bruit du passage des équipages de la Cour. Ce Prince auroit pû estre moins mal ; mais ne pouvant renoncer à ses manieres honnestes, qu’il conserve mesme aux dépens de son repos, il aima mieux que celuy des Princesses ne fust point troublé, & voulut qu’elles fussent logées plus commodement que luy 143 . Les Luxembourgeois, on l’a laissé entendre, n’ont pas été traités autrement. Quand sonne l’heure de la séparation, ils s’en désolent, voyant s’éloigner non un maître, mais un ami, et un Père : Sa douceur & sa bonté s’[y] estoient fait connoître. Il s’[y] estoit montré familier sans descendre de son rang ; ou avoit eu un libre accés auprés de luy, [et] ceux qui luy avoient presenté des Requestes avoient esté écoutez & la pluspart avoient obtenu les graces qu’ils avoient demandées 144 . Bref, « [ce] Prince avoit paru à Luxembourg plûstost en Père qu’en Roy 145 ». On imagine facilement que cette qualité de « Père » doit aller bien au-delà de l’amabilité et de l’entregent entrevus jusqu’ici : ces vertus, pour belles qu’elles soient, doivent s’approfondir, se transcender en affection profonde, 141 Ibid., [335-337] ; voir ci-dessous p. 309. 142 Ibid., [335] ; voir ci-dessous p. 309. 143 Ibid., [117-118] ; voir ci-dessous p. 161. 144 Ibid., [261] ; voir ci-dessous p. 261. 145 Ibid., [260-261] ; voir ci-dessous p. 261. <?page no="56"?> 56 Introduction voire en amour. Le Mercure, fidèle à l’image consacrée des Rois de France, abonde en effet en ce sens. Dépassement vers une sphère supérieure, où rien n’est plus en surface, où les gestes et les conventions deviennent sentiments vécus, passion vécue du père et des enfants. Avant d’explorer cette nouvelle facette du personnage royal, on aimerait sonder l’autre, celle des courtoisies, des amabilités, quant à son authenticité historique. Deux comportements se dégagent de ce qui précède : l’amabilité de Louis à l’égard de ceux qu’il rencontre, sa familiarité, mais toujours associée à sa majesté, puis, ses attentions particulières pour les dames. Pour ce qui est du premier point, Spanheim le confirme, qui atteste au roi « qu’il sait heureusement garder le mélange de grandeur et de familiarité 146 », témoignage que ne désavoue en rien Saint-Simon, quand il relève à plusieurs reprises cette majesté toujours présente, même dans les propos galants et donnant lieu à plus de familiarité 147 . Mais peut-être faut-il, dès cet endroit, anticiper sur un constat que la suite permettra d’établir plus définitivement. Au-delà du naturel, du comportement individuel d’un roi de France précis, Louis XIV en l’occurrence, nous sommes en présence, ici déjà, d’une donnée plus fondamentale, inhérente à l’image des Rois de France, telle que la véhiculaient les siècles, et se délimitant avec netteté de celle communément admise des Princes étrangers. Ce mélange étonnant de majesté et de familiarité avait frappé dès le XVI e siècle un auteur comme Guazzo qui oppose, dans sa Civile Conversation, la sévère distance des Rois catholiques à la gracieuse facilité des Rois très-Chrétiens : Représentez-vous le gracieux […] aspect du très-Chrétien Roy de France, la facilité [de l’approcher] incrédible d’iceluy […] & vous direz que par cette humilité, il exalte sa couronne royale, si elle peut estre davantage exaltée 148 . Au XVII e , rien n’a changé. John Evelyn, sujet britannique fidèle à Charles I er , refuse de prêter le serment du Convenant qui ligue, en 1638, contre le roi, les Écossais opposés à la liturgie anglicane que Charles voulait leur imposer. Conscient des difficultés que lui vaudra son loyalisme, et soucieux de rester 146 Relation, op. cit., p. 68. 147 Voir, p. ex., op. cit., t. V, p. 470 : « cet air de politesse et de galanterie qu’il a toujours su conserver toute sa vie, qu’il a si bien su allier avec la décence et la majesté » et p. 530 : « Mais toujours majestueux, quoique quelquefois avec de la gaieté, et jamais devant le monde rien de déplacé ni d’hasardé. » 148 La Civile Conversation, Divisee en Quatre Livres, […] Traduite de l’Italien du S. Estienne Guazzo […] par Gabriel Chappuys Tourangeau, Lyon, Jean Bernaud, 1579, p. 228. La première édition date de 1574. <?page no="57"?> 57 Introduction en-dehors du guêpier insulaire, il demande à son souverain la permission de se retirer sur le continent ; le 12 novembre 1643, il débarque à Calais, le 28, il est à Paris. De ce séjour en France, entrecoupé par un autre, en Italie, il rentre en 1647 et en laisse, dans son Journal, une impressionnante somme de souvenirs et d’observations, dont celle-ci concernant les rapports des Français avec Louis XIV tout à fait conforme à celle consignée un siècle plus tôt par Guazzo à l’endroit des rois Valois : Les François sont la seule nation d’Europe qui idolâtre son souverain ; ils ont sans grande cérémonie plus d’accès auprès de lui qu’on ne le voit dans aucune autre cour. Cette affabilité & cette liberté lui gagnent leurs cœurs. C’est habile au prince & une grande vertu chez les sujets 149 . Et comment ne pas citer cette appréciation d’un autre témoin de qualité, très au courant des choses de France de par ses fonctions. En date du 11 avril 1689, Angelo Ranuzzi, le Nonce, remontre à Lorenzo Casoni, Secrétaire du Chiffre pontifical, la patience avec laquelle les Français supportent les pires des privations que leur impose la politique de Louis. C’est cet attachement au souverain, cette relation spéciale entre le roi et son peuple, unique en France, qui leur fait « engager corps et biens - impiegar la vita e la robba » pour soutenir ses entreprises 150 . 149 Extraits des ouvrages d’Évelyn relatifs à ses voyages en France de 1643-1651, dans Voyage de Lister à Paris en MDCXCVIII […], Paris, pour la Société des Bibliophiles, 1873, p. 309. Il n’est pas dépourvu d’intérêt de lire la suite du passage, moins idyllique, mais annonciatrice d’orages futurs : « Mais, en revanche, une fois leur colère émue, il se trouve toujours un Ravaillac ou un autre coupe-gorge pour accomplir leur scélératesse, tant il est peu sûr de se fier au peuple. » Le voyageur de 1643 ne croyait pas si bien dire… 150 […] al Re riesce quello che non riuscirebbe ad alcun’altro principe, cioè di trovare nel suo popolo una somma facilità di consentire a qualsivoglia peso et gravezza e d’impiegar la vita e la robba per esso ; (Lettre de Ranuzzi à Casoni, Nunziatura di Francia 179A. fol. 289-290, cit. dans Bruno Neveu, Correspondance du Nonce en France Angelo Ranuzzi, Rome, École Française de Rome, 1973, t. II, p. 548). On ne peut s’empêcher de faire entendre à cet endroit une voix discordante, celle de la propre belle-sœur de Louis, qui transfère aux Allemands l’amour du Prince, ne laissant aux Français que la médisance… Mais il est vrai aussi que Madame Palatine, notoirement anti-française, a de la peine à leur concéder une seule qualité, fût-elle reconnue par tous les autres. Voici ce qu’elle écrit en date du 27 avril 1710 à l’Électrice Sophie de Hanovre, sa tante : Ich glaube nicht, dass ein land in der welt ist, wo man so oft und leicht revoltiert, als in England. Die Teutschen lieben ihre herrn mehr, als die anderen nationen ; Die Franzosen sagen und singen gern allerhand medisance von ihren Königen, aber sie lassen diese doch gewehren wie sie wollen. (Briefe der Liselotte von der Pfalz, Frankfurt am Main, Insel Verlag, 1981, p. 175). [« Je ne crois pas qu’il y ait un pays au monde où l’on se révolte si souvent et si <?page no="58"?> 58 Introduction Des Valois aux Bourbons, même ligne et même conduite : le roi de France ni les Français ne peuvent être autres. C’est d’un programme qu’il s’agit, d’un stéréotype, indépendant des comportements - ou des déportements - de l’individu royal. Le Mercure rejoint ici la « doctrine » officielle. Mais peut-être l’autre facette de l’entregent de Louis, celle qui concerne les dames, est-elle moins « programmatique », plus liée à l’occupant concret du trône que la première. La galanterie de ce prince fait partie de son palmarès personnel et elle n’est nullement réservée aux reines et aux princesses. Le roi est homme d’abord, et galant homme, qui s’en voudrait de manquer d’égards à toute femme, quelle que soit sa condition sociale. « Le Roy, écrit le Mercure dès son compte rendu de l’étape parisienne, qui s’est toûjours moins attiré les cœurs par la grandeur de son rang que par ses manieres toutes engageantes, salüa presque toutes les Dames qu’il vit aux fenestres 151 ». Simples gestes de surface ou authentique considération ? Dans un premier temps, Saint-Simon semble confirmer ce côté chevaleresque du roi. S’il abordait les dames, écrit-il, il ne se couvrait qu’après les avoir quittées 152 . Et il précise bien que les bénéficiaires de tant de courtoisie se recrutaient jusque chez les domestiques et les femmes de chambre : Jamais il n’a passé devant la moindre coiffe sans soulever son chapeau, je dis aux femmes de chambre et qu’il connaissait comme telles, comme cela arrivait souvent à Marly 153 , geste confirmé par la meilleure des sources, puisque Madame de Maintenon elle-même note que c’était facilement qu’en Angleterre. Les Allemands aiment leurs princes mieux que les autres nations ; les Français disent, ou chantent, de leurs rois toutes sortes de médisances, mais les laissent agir à leur gré » (Nous traduisons)]. Il n’est pas impossible non plus que des Français mêmes aient conçu des doutes ; on lira à ce sujet l’observation de Courtilz de Sandras relative à l’ « amour » qu’éprouverait pour le roi la noblesse luxembourgeoise - française depuis 1684. Il est vrai qu’en l’occurrence il ne s’agit que de Français de fraîche date (voir ci-dessous p. 404). 151 Mercure, [45] ; voir ci-dessous p. 107. 152 Op. cit., t. V, p. 528. 153 Ibid. On notera cependant que les dames de qualité, en l’occurrence les dames « assises » - princesses et duchesses qui avaient droit au siège en présence du roi - jouissaient d’égards spéciaux : « Ses révérences, plus ou moins marquées, mais toujours légères, avaient une grâce et une majesté incomparables, jusqu’à sa manière de se soulever à demi à son souper pour chaque dame assise qui arrivait, non pour aucune autre, ni pour les princes du sang. Mais sur la fin cela le fatiguait, quoiqu’il ne l’ait jamais cessé, et les dames assises évitaient d’entrer à son souper quand il était commencé. » (Ibid.). <?page no="59"?> 59 Introduction l’homme du monde le plus civil : il salua les plus petites gens jusqu’à une femme de chambre 154 . Image accomplie du chevalier servant. Mais il y a l’autre versant, déjà entrevu à plusieurs reprises, cette légende noire, si on veut, de Louis XIV qui dissipe tous les charmes. De même que sa médiocrité intellectuelle, dénoncée par plus d’un, a fait ombrage à la célébration de ses lumières, ses attitudes cavalières - et non plus chevaleresques - face aux représentantes du beau sexe, et dans bien des situations, ne le tiennent pas trop éloigné de la goujaterie. Finies les délicatesses de Vertus, où il s’incommodait pour ne pas incommoder ces dames. Le voici qui paraît en vrai tyran, leur imposant mille sacrifices, et des plus cruels, sans tenir compte ni des maladies, ni des grossesses, ni des accouchements, ni de rien… et tout cela par simple souci, par souci mesquin, de faire tourner sa cour comme il l’entend : C’était un homme uniquement personnel, et qui ne comptait tous les autres, quels qu’ils fussent, que par rapport à soi. Sa dureté là-dessus était extrême. Dans les temps les plus vifs de sa vie pour ses maîtresses, leurs incommodités les plus opposées aux voyages et au grand habit de cour […] rien, dis-je, ne les en pouvait dispenser. Grosses, malades, moins de six semaines après leurs couches, dans d’autres temps fâcheux, il fallait être en grand habit, parées et serrées dans leurs corps, aller en Flandres et plus loin encore, danser, veiller, être des fêtes, manger, être gaies et de bonne compagnie, changer de lieu, et ne paraître craindre ni être incommodées du chaud, du froid, de l’air, de la poussière, et tout cela précisément aux heures et aux jours marquées, sans déranger rien d’une minute 155 . Pour soutenir son propos, le mémorialiste aligne des exemples, celui de Madame de Chevreuse qu’un jour l’intransigeance du roi acculait à la plus grotesque des situations 156 , celui de Madame de Maintenon, malade, fiévreuse, mais exposée à tous les vents, parce que Louis se plaisait aux fenêtres grandes ouvertes… 157 . L’explication de tant d’inconvenance ? Saint-Simon qui croit la tenir, l’a consignée dans une formule qui en dit long : « C’était un homme uniquement personnel », c’est-à-dire entièrement tourné vers son Moi, égoïste, pour lâcher le mot, et d’un égoïsme monstrueux 158 . On aurait 154 Entretiens sur l’Éducation des filles par Madame de Maintenon. Recueillis et publiés […] par M.Th. Lavallée, Paris, Charpentier, 1854, p. 108. 155 Saint-Simon, op. cit., t. V, p. 570. 156 Voir ibid. p. 572. 157 Voir ibid., p. 573. 158 C’est l’endroit d’ajouter que sa courtoisie à l’égard de tous ses administrés, hommes comme femmes, n’était pas à toute épreuve. On a vu plus haut le charme qu’il exerçait, selon le Mercure, sur les chanoines de Châlons (voir ci-dessus p. 54). Voici comment il traita, d’après le curé Raveneau, ceux de Meaux, après avoir, peut-être, <?page no="60"?> 60 Introduction aimé placer sous d’autres augures l’étude de ce second aspect du portrait royal annoncé plus haut : la bonté de Louis, son amour même pour ses sujets, amour partagé, affection réciproque allant bien au-delà des mots aimables et des gestes courtois. Car que le roi soit bon, qu’il aime son peuple d’une tendre passion 159 et qu’il en soit aimé, voilà ce qui, pour le Mercure, ne fait l’objet d’aucun doute. Tout au long du récit, l’évocation de la bonté de Louis est récurrente, véritable leitmotiv de ce panégyrique du meilleur des Princes. Dès l’Épître préliminaire, c’est par sa « bonté » que l’auteur du Mercure explique sa condescendance à consentir, pour rassurer les Européens, des explications qu’il aurait pu juger peu conformes à sa dignité de premier prince de la chrétienté 160 . À l’étape initiale de son voyage, celle de Paris, il a considéré, on l’a vu, les changements opérés sur la Place des Victoires avec une attention « digne de sa bonté 161 », à Luxembourg « sa douceur et sa bonté 162 » font l’émerveillement de tous. On demande qu’elle se concrétise dans des actes ? Le siège de la ville, trois ans plus tôt, en avait fourni un, révélateur parmi tous. Ce conquérant avait hâte, sans doute, d’enrichir son palmarès de ce nouveau trophée, mais non pas à n’importe quel prix. Celui qui avait gratifié les invalides de ses armées de soins éconduit Guillaume Léger, le curé de Trilport : « J’oubliois de dire que Monsieur le Curé de Trilport fit présenter au Roy du pain bény […] à l’occasion du dimanche. Mais on n’a pas bien sceu le succez de cette cérémonie. Peut-être ne fut-il pas plus heureux que celuy du compliment de Messieurs les Chanoines de Meaux, qui attendoient aussi le Roy […] et qui luy furent présentez par Monseigneur de Meaux [Bossuet] pour luy faire leur compliment, car le Roy couppa court, en disant à Monseigneur : ‘Pouvez-vous pas me dire vous-mesme ce qu’ils ont à me dire ? ’ » Et Lazare de Tussé, curé de Villemareuil « […] présenta des fleurs d’orange aussi au Roy, […] mais on ne sçait même si son présent fut regardé. » (Journal 1676-1688 de Jean-Baptiste Raveneau. Présenté et annoté par M. Bardon et M. Veissière, Étrépilly, Les Presses du Village, p. 255). 159 De la même passion, en somme, dont il aime ses proches qu’il entoure de tous les soins. Le Mercure le vérifie sur le cas du comte de Toulouse, dont la maladie, éclatée à Luxembourg, lui fait retarder le voyage de retour : « …il aimoit Monsieur le Comte de Toulouse avec tendresse […] l’incertitude du mal qui luy pouvoit arriver, estoit la vraye cause qui portoit le Roy à retarder son depart. » (Mercure, [244-245]). Une fois de plus, cependant, il faut réserver notre jugement : d’après Dangeau, le vrai motif du séjour prolongé n’était nullement la sollicitude pour Toulouse malade, mais le désir d’explorer les détails de la forteresse (ibid., [243]). De son côté, Courtilz de Sandras, allègue des motifs politiques en rapport, principalement, avec les visées françaises sur Cologne (voir ci-dessus n. 60. Mercure historique et politique, [832-837]). 160 Voir ci-dessus n. 46. 161 Voir ci-dessous p. 125. 162 Voir ci-dessous p. 261 [261]. <?page no="61"?> 61 Introduction prodigués dans le plus somptueux des Hôtels 163 , était encore économe de leurs vies - et malgré eux, en quelque sorte - face à l’ennemi, comme le prouve cet épisode du siège de 1684 : […] le Roy sçachant l’humeur boüillante des François, & leur zele pour son service, avoit expressément ordonné à feu le M r le Maréchal de Créqui, & M r de Vauban, d’épargner les Troupes, & de prolonger la durée du Siege, plûtost que de hazarder le sang des Soldats. Ce Prince avoit pris ses mesures pour cela. Il estoit à la teste d’une Armée pour empêcher le secours, & prest à donner bataille à ceux qui auroient voulu le tenter 164 . On lira le détail de l’épisode plus loin 165 ; à cet endroit il a suffi de l’évoquer pour manifester ce souci touchant des siens qui recommande le roi de France, bon, paternel, parmi tous les souverains de son temps. Encore faut-il savoir qu’il ne limite nullement l’expression de ses sentiments aux soldats, coupables d’un seul excès de zèle ; il l’étend encore aux vrais fautifs, aux locataires des prisons, objets, alors, de sa clémence, mais d’une clémence raisonnable ô combien, et intelligente, et prudente, si éloignée de toute sensiblerie bon marché, indigne d’une grande âme. À Luxembourg, Louis, dominus noster clementissimus 166 , s’exerce à cette haute vertu de la clementia au sens sénéquéen du terme : Comme l’argent n’est pas toûjours ce qui touche davantage, quelques [sic] Charmes qu’il ait pour tout le monde, par l’indispensable necessité où chacun est d’en avoir, le Roy fit ouvrir les Prisons à soixante et deux Malheureux, qui aimerent encore mieux la liberté que toute sorte de biens ; mais ce Prince ne leur accorda des graces que selon le genre des crimes, ne voulant pas que sa clemence servist à en faire commettre de nouveaux, à ceux qui en avoient fait d’enormes, & que l’on jugeoit capables d’y retomber, ce que M r l’Evesque d’Orleans*, M r l’Abbé de Brou**, nommé à l’Evesché d’Amiens, M rs les Abbez de la Salle***, & Fleury****, & Mr de Noyon***** Lieutenant de M r le Grand Prevost ont examiné par l’ordre du Roy 167 . 163 Pour l’Hôtel des Invalides, voir ci-dessous n. 315. 164 Mercure, [259-260] ; voir ci-dessous p. 260. Pour l’attitude et le souci paternel du roi dans le cas du siège de Luxembourg, voir ci-dessous n. 781. 165 Il convient de noter que certains ont vu dans ce trait de la nation française une source de malheurs, et le roi n’aura pas été loin de partager leur avis. Ainsi Pellisson qui déplore « que notre nation suiv[e] son génie & son caprice, qui est de s’exposer souvent par bravoure sans nulle nécessité ». (Lettres Historiques […], Paris. Jean-Luc Nyon, 1729, t. I, p. 142). 166 C’est ainsi que l’apostrophe l’abbé Feller, curé, à Luxembourg, de Saint-Nicolas, et auteur d’une célébre Chronique manuscrite, conservée aux archives municipales (Chronique paroissiale/ Registre paroissial N° 13 <Chronique Feller>, f. 369, col. 1). 167 Mercure, [256-258] ; voir ci-dessous p. 256-259. * Pierre du Cambout de Coislin, voir ci-dessous n. 393. ** Feydeau de Brou, voir ci-dessous n. 520 *** François de Caillebot de La Salle, <?page no="62"?> 62 Introduction En somme, il s’agit d’une décision mûrie, prise après consultation d’un aréopage de sages. Justement ce n’est pas à la pitié qu’il convient de céder, à cette pitié que Sénèque assimile à la commisération - misericordia - « état morbide des âmes qu’épouvante à l’excès la misère 168 ». La clémence, en revanche, s’exerce sur un fond de raison, ses effets peuvent être les mêmes que ceux de la pitié, mais alors que la première brûle toutes les étapes et pardonne pour le plaisir de pardonner, celle-ci s’inscrit dans le contexte d’une juste appréciation du faisable, elle garde la mesure que l’autre dépasse - extra modum 169 -, elle compasse sa démarche là où la pitié précipite la sienne. La bonté de Louis ne doit pas s’inscrire en faux contre cette intelligence que le Mercure, on s’en souvient, n’a cessé d’exalter 170 . Par ailleurs, on reconnaîtra ici encore un hommage à la typologie traditionnelle des rois de France : la clémence qui figure dans la formule de sacre 171 ne manque chez aucun des théoriciens de la monarchie française, Budé 172 , Coëffeteau 173 , Caussin 174 , les voir ci-dessous n. 776 **** Claude Fleury, voir ci-dessous n. 498 ***** Jacques Cornu, sieur de Noyon, voir ci-dessous n. 777. 168 De la Clémence, 2 e Partie I, 1, Paris, Belles lettres, 1967, p. 9 : Misericordia vicina est miseriae ; habet enim aliquid trahitque ex ea […] misericordia vitium est animorum nimis miseria paventium. 169 Voir Juste Lipse, Manuductionis ad Stoicam Philosophiam libri tres, III, Diss. XIX, dans Opera, Anvers, 1637, p. 807. 170 On notera que Primi Visconti (Portrait de Louis le Grand, publié par J. Lemoine à la suite des Mémoires, op. cit., p. 383) donne de la clémence de Louis XIV une définition point pour point identique à celle du Mercure : « Il a un penchant naturel à la Clémence, qu’il envisage comme une sorte de Vertu royale, et il se laisse fléchir à la miséricorde, mais sans foiblesse. »* Pas d’italiques dans le texte. 171 É. Regnault, Promesse & Serment du Roi dans Recueil du Formulaire le plus moderne qui s’observe au Sacre et Couronnement des Rois de France annexé à Regnault, Histoire des Sacres et Couronnemens de nos Rois […], Reims, Regnault Florentin, 1722, p. 33 : [Je promets] « de faire observer la justice & miséricorde dans tous les Jugemens afin que Dieu, qui est le Père de la clémence nous fasse participans des éfets de sa bonté & de sa miséricorde. » 172 G. Budé, Le Livre de l’Institution du Prince […], Paris, Jehan Foucher, 1547, f. 104, col. 1 : clémence et humanité y figurent parmi les qualités de l’homme en général, mais qui sont « vertus tresconvenantes a monarche ». 173 N. Coëffeteau, Tableau des Passions humaines […], Paris, Martin Collet, 1631, p. 629 : les princes « qui ont sceu adoucir leur authorité par la Clemence, ont tousiours remporté un heureux succez dans leur gouvernement : Et pour le dire en un mot, la Clemence est comme le souverain ornement des autres Vertus Royales … ». 174 N. Caussin, La Cour Sainte, t. I, III, XXXII, Paris, Denis Bechet, 1653, p. 598 : la « clemence & la misericorde » figurent au nombre des vertus indispensables à ceux qui occupent les rangs supérieurs de la Cour, et donc le roi en premier. <?page no="63"?> 63 Introduction auteurs des oraisons funèbres appliqués à intégrer à cette tradition le prince qu’ils ont charge de célébrer au moment de sa disparition 175 , les nouvellistes, à leurs heures philosophiques, - Loret produit à ce sujet des vers d’une rare élévation 176 - tous y voient le fleuron des vertus royales. On n’imagine pas le roi de France autrement que porté sur un pardon apte à ramener dans la bonne voie ceux de ses enfants qui l’avaient quittée. Si la rigueur s’impose, il assume ; il accueille avec joie les occasions de l’éviter. C’est que le roi de France est ce bon père de famille qui se plaît à faire du bien, à soulager les misères, à pallier les malheurs. Observons-le qui se déplace dans son royaume sur cette longue route de Luxembourg, qui se préoccupe des besoins des 175 Souvent aussi ils lui donnent un fondement scripturaire, ainsi Charles de La Saussaye, dans son oraison funèbre pour Henri IV : « Clementes erant reges Israel, dit l’Escriture * […] Clements sont aussi les Rois de France » (G. Du Peyrat, Oraisons et discours funebres […] sur le Trespas de Henry le Grand […], Paris, Robert Estienne, 1611, p. 416)* L’allusion est à I Rois 20, 31 : Ecce audivimus quod reges domus Israel clementes sint. 176 Au sujet de la clémence de Louis XIV à l’égard des Huguenots des Vallées de Lucerne : « Mon Dieu, que la Clémence est belle ! Cette vertu surnaturelle Qui nous fait pancher [sic] au pardon, Est plutôt un céleste Don En une âme noble et hautaine, Qu’une perfection Humaine. Être juste, adroit et vaillant, Actif, prudent et vigilant Sont d’illustres et dignes marques Qu’on voit en d’autres qu’aux Monarques : Mais quand la débonnaireté Rézide en une Majesté, Cette qualité sans égale Rend son Ame encore plus Royale : Tels Roys en sont bien mieux aimez, Les sages cœurs en sont charmez ; Aux Héros les plus mémorables Ils deviennent, lors, comparables, Leur auguste et glorieux nom S’aquiert [sic] un immortel renom : Mais je passe plus outre, encore, D’un culte humain on les adore, On voit en cette qualité Un rayon de Divinité ; Bref, l’instinc [sic] prézent qui m’inspire, M’a fait (ce croy-je) autrefois dire, Que rien n’aproche tant des Dieux Qu’un Roy mizéricordieux. » (Lettre Dixième du samedi huitième Mars 1664, dans La Muze Historique, XV, XI, v. 155-182, col. 2, t. IV, op. cit., p. 174). <?page no="64"?> 64 Introduction plus humbles, qui s’expose à tous les embarras pour apporter de l’aide, pour consoler, pour réconforter : Je vous diray que pendant toute la route, Sa Majesté a presque toûjours dîné dans des Villages. Vous allez sans doute vous imaginer (& vostre sentiment sera generalement suivy) que les Villages les plus forts & les plus riches ne l’estoient pas trop pour avoir l’honneur de recevoir un si grand Monarque. C’estoit cependant tout le contraire, le plus pauvre avoit l’avantage d’estre préferé, & l’on a veu cela observé dans toute la route avec une exactitude que je ne sçaurois assez marquer. Vous n’en pourrez douter, lors que je vous auray dit que Sa Majesté, qui ne fait point de Voyages sans avoir la carte des Païs où elle va, examinoit tous les jours sur celle qu’on luy avoit fournie, les lieux par lesquels il falloit qu’elle passast. Elle y voyoit tous les Villages, Elle s’informa de leur estat, & nommoit ensuite le moins accomodé [sic] parce que la Cour ne s’arreste en aucun lieu sans y répandre beaucoup d’Argent. C’est ce qui s’est fait dans tous les Villages où l’on estoit obligé de s’arrester pendant ce dernier Voyage 177 . Et comme si cette touchante - cette trop touchante - attention de la part d’un héros que, malgré tout, on imagine plus marmoréen pourrait laisser sceptique plus d’un lecteur, le journaliste du Mercure insiste, en disciple, presque, « qui témoigne de ces faits et qui les a écrits » et dont « nous savons que son témoignage est véridique 178 » : […] non seulement il ne laisse jamais échapper aucune occasion de faire du bien, mais [il] cherche mesme de nouveaux moyens d’en faire, & [il] est ingenieux à les trouver. Ne croyez pas que ceci soit avancé comme une loüange vague. Je ne le dis que parce que j’ay à parler d’un fait sur ce sujet, qui découvre le caractere de bonté du Roy autant que ses actions d’éclat font connoistre sa puissance, & la grandeur de son ame 179 . Suit alors l’épisode du choix des villages les plus pauvres lui-même couronné par une attachante scène rustique : le roi installé sous une feuillée aménagée par les soins de ces bons villageois tout à leur bonheur de mettre à l’aise ce paternel ami qui associe la grâce de sa présence aux fruits de ses bienfaits : Le Roy dînoit sous une Feüillée, & l’on en dressoit aussi pour les principales Tables de la Cour. Ainsi tous les Païsans estoient payez pour couper des branches de verdure, & pour travailler à la construction de 177 Mercure, [72-75] ; voir ci-dessous p. 127. 178 On connaît les versets de l’Évangile de Jean 21, 24. Ne parle-t-on pas des « quatre évangélistes » - Bertrand, Gourgaud, Las Cases, Montholon - témoins de la captivité de l’Empereur à Sainte-Hélène ? La formule est encore juste pour Louis XIV et l’auteur du Mercure. 179 Mercure, [71-72] ; voir ci-dessous p. 127. <?page no="65"?> 65 Introduction ces Feüillées. Ils tiroient aussi de l’argent de tout ce qu’il y avoit dans leur Village qui pouvoit servir aux Tables, & tout ce qu’ils avoient d’utile aux équipages de la Cour, ainsi que de leur foin & de leur avoine ; & le Roy ne laissoit pas outre cela de leur faire encore sentir ses liberalitez ; en sorte que ces heureux Villages se souviendront longtemps d’avoir veu un Prince qu’on vient tous les jours admirer du fond des Climats les plus reculez 180 . Ne dirait-on pas un de ces Bergers d’Arcadie nés sous le pinceau lyrique de Poussin ? Ou encore ce roi-berger que La Bruyère, traitant du souverain idéal, met en scène dans une des pages les plus inspirées des Caractères ? Quand vous voyez quelquefois un nombreux troupeau, qui répandu sur une colline vers le déclin d’un beau jour, paît tranquillement le thym et le serpolet, ou qui broute dans une prairie une herbe menue et tendre […], le berger, soigneux et attentif, et debout auprès de ses brebis ; il ne les perd pas de vue, et les suit, il les conduit, il les change de pâturage ; si elles se dispersent, il les rassemble ; si un loup avide paraît, il lâche son chien, qui le met en fuite ; il les nourrit, il les défend ; l’aurore le trouve déjà en pleine campagne, d’où il ne se retire qu’avec le soleil : quels soins ! quelle vigilance ! quelle servitude ! Quelle condition vous paraît la plus délicieuse et la plus libre, ou du berger, ou des brebis ? le troupeau est-il fait pour le berger, ou le berger pour le troupeau ? Image naïve des peuples et du prince qui les gouverne, s’il est bon prince 181 . On aimerait quitter le portrait de Louis XIV sur une si belle impression, paysage baigné d’une douce lumière vespérale, harmonie universelle sur arrière-fond johannique avec ce Bon Pasteur qui aime ses brebis comme il en est aimé 182 . Aussi bien est-il vrai que les témoignages ne manquent pas 180 Ibid., [75-76] ; voir ci-dessous p. 127. 181 La Bruyère, Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle/ Du Souverain ou de la République, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1951, p. 284- 285. Moins poétique, mais très significative aussi pour la conception française de la monarchie, cette assimilation des notions de « Roi » et de « Père du Peuple » que La Bruyère opère au N° 27 de ce même chapitre des Caractères : « Nommer un roi PÈRE DU PEUPLE est moins faire son éloge que l’appeler par son nom, ou faire sa définition. » 182 Pour montrer ce que l’idylle a de relatif, aussi du côté des « brebis », faut-il citer - encore - le témoignage du curé Raveneau ? Les Français, enfants attachés au Père Royal, n’étaient pas toujours aussi pacifiques que veut le faire entendre le Mercure. Voici « un nommé Charles Chesneau, de Monceaux, terrassier de son mestier, lequel s’étant présenté avec les autres travailleurs à la portière du Roy, receut en effet quelque demy-louis d’or. Il disoit qu’il n’y en avoit qu’un, les autres luy soutenoient qu’il y en avoit plusieurs. Des paroles on en vint aux coups, un de la bande luy porta un coup de pierre dans la tempe, dont il mourut deux heures après. C’est un garçon aussi de la paroisse, nommé Charles Poulain. Il y eut ordre exprès […] de <?page no="66"?> 66 Introduction qui confirment l’idylle, même s’ils le font en termes plus sobres. Ainsi Bussy- Rabutin, entretenant Madame de Sévigné des dépenses consenties par La Feuillade pour glorifier le roi, assure à sa destinataire que l’investissement est payant, car le roi « aime d’être aimé 183 ». On trouvera le ton suspect avec ce calcul d’arrière-boutique : je donne, on me donne. Mais au moins apprenonsnous que le roi veut être aimé, qu’il ne veut pas être craint à l’instar de cet archétype du tyran romain à la sinistre devise : Oderint dum metuant 184 . Vraiment ? Lisons encore Saint-Simon qui analyse cette âme, selon lui, médiocre et capable de toutes les bassesses : [le Roi aimait] à se voir craint, et, lorsque des gens timides qui avaient à lui parler se déconcertaient devant lui et s’embarrassaient dans leurs discours, rien ne faisait mieux leur cour et n’aidait plus leurs affaires 185 . Une cour tremblante, rampante, un faible n’accueillant que des faibles qui n’ont rien à lui reprocher. Des mondes séparent cette vision décadente de celle du Bon Berger, du Père attentif. On aurait tort, cependant, de l’attribuer au seul esprit torve de Saint-Simon. Spanheim parle de même dans ce passage où rien ne subsiste de la belle image des rois de France, image d’Épinal plutôt que reflet de la réalité : […] comme il [Louis XIV] est plus porté à se faire considérer de ses peuples en maître qu’en père, il se paye plutôt de leur soumission et de leur dépendance que de leur inclination, et qu’il n’est touché du véritable désir de les soulager : […] 186 . Il se peut, il est même certain, que ses observations désillusionnantes tiennent du vrai, que le mémorialiste, dégagé de tout souci de plaire, puisqu’assuré que le roi ne prendrait pas connaissance de ses écrits 187 , que l’étranger luy faire son procez. » (Journal de Jean-Baptiste Raveneau, op. cit., p. 254 et p. 271-273 pour la suite du procès). Si, finalement, on se montra compréhensif, l’épisode ternit cependant les images par trop lyriques que veut accréditer le Mercure. 183 Bussy-Rabutin, Lettre à Madame de Sévigné du 2 août 1679, dans Madame de Sévigné, Correspondance, op. cit., [1974], t. II, p. 662 : « Au reste, La Feuillade ne perdra pas l’avance qu’il fait de sa statue de marbre ; le Roi, qui aime d’être aimé, la lui rendra avec usure. » 184 Le mot est prêté à Caligula (voir Suétone, Vie des Douze Césars, Caligula, XXX). 185 Op. cit., t. I, p. 729. 186 Relation de la Cour de France, op. cit., p. 73. 187 Bien que commencée en 1694, l’œuvre de Saint-Simon ne connaîtra sa première version imprimée qu’en 1788, voire, selon d’autres critiques, qu’en …1829, alors que tous les personnages impliqués sont morts depuis longtemps, le roi ayant disparu en 1715 et le mémorialiste lui-même en 1755. Aussi n’avait-il pas manqué de faire savoir, dans sa réflexion préliminaire, qu’un texte de la nature du sien n’est jamais destiné à être lu par les concernés : « Celui, écrit-il dans ses observations pré- <?page no="67"?> 67 Introduction non asservi aux contraintes de la Cour, soient, sont plus proches de la vérité que le Mercure dépendant, quant à sa subsistance, du bon vouloir royal et donc obligé de perpétuer l’immuable archétype d’une monarchie chrétienne au sens profond du mot. Celui qui aborde le Journal du Voyage de Sa Majesté à Luxembourg avec les attentes d’un lecteur du XXI e siècle, trouvera sans doute à redire et rangera ce gros volume parmi tant d’autres échantillons de platitudes serviles qui encombrent la production littéraire du temps. Mais ne peut-on consentir une autre approche, plus philosophique qu’historique, plus orientée à l’idéal à atteindre qu’au fait à enregistrer ? Dès lors faut-il renoncer à exalter un idéal, parce que la faiblesse humaine empêche d’y parvenir, alors même que l’imagination humaine ne se lasse de l’embellir, que la raison humaine ne cesse d’en reconnaître la droiture ? Il est acquis, pour le moins, que Louis XIV aimait à paraître en Père du Peuple, qu’il aurait détesté laisser aux siècles le souvenir d’un prince-tyran fait sur le modèle qui était venu d’outre-Alpes, et auquel les Français ont toujours opposé avec fierté leur propre idée du Prince 188 . S’il a souvent trébuché dans cette voie, il a eu liminaires consacrées à la question de Savoir s’il est permis d’écrire et de lire l’histoire singulièrement celle de son temps, qui écrit l’histoire de son temps, qui ne s’attache qu’au vrai, qui ne ménage personne, se garde bien de la montrer. Que n’aurait-on point à craindre de tant de gens puissants, offensés en personne ou dans leurs proches par les vérités les plus certaines et en même temps les plus cruelles ? […] Il faudrait donc qu’un écrivain ait perdu le sens pour laisser soupçonner seulement ce qu’il écrit. Son ouvrage doit mûrir sous la clef et les plus sûres serrures, pour passer ainsi à des héritiers, qui feront sagement de laisser couler plus d’une génération ou deux, et de ne laisser paraître l’ouvrage que lorsque le temps l’aura mis à l’abri des ressentiments. » (Op. cit., t. I, p. 16-17). 188 Il faut songer ici à l’anti-machiavélisme de tous les théoriciens de la monarchie française. Cependant le souci d’objectivité oblige de rapporter un propos du roi même, dans ses Mémoires et Instructions pour le Dauphin : le refus de la tyrannie y paraît moins motivé par l’amour des peuples que par le souci du maintien de l’ordre établi et donc de l’intérêt personnel ; il entre dans cette réflexion un calcul nuisible à la pureté du sentiment : « Et c’est une chose remarquable, mon fils, que les politiques les plus intéressés, les moins touchés de l’équité, de la bonté et de l’honneur, semblent avoir prédit l’éternité à cet État, autant que les choses humaines se la peuvent promettre. Car ils prétendent que ces autres empires où la terreur domine et où le caprice du prince est la seule loi, sont peut-être plus difficiles à entamer, mais que la première blessure leur est mortelle, n’y ayant point de sujet qui ne souhaite le changement […] ; au lieu qu’en France, disent-ils, s’il est facile de broncher, il y est encore plus facile de revenir à l’état naturel des choses, n’y en ayant aucun autre sans exception où les particuliers […] aussitôt qu’ils l’ont un peu éprouvé, puissent trouver leur intérêt et leur compte, comme ils le trouvaient à celui-là. » (Mémoires et Instructions, Clermont-Ferrand, éd. Paleo, coll. « Sources de l’Histoire de France », 2010, vol. I, p. 176). <?page no="68"?> 68 Introduction le mérite, au moins, de ne pas l’avoir refusée d’emblée, de s’être complu à cet idéal élevé qui bannit toute idée de brutalité, tant il est fait d’humanité et de charité. Belle leçon pour les modernes que nous sommes, à l’issue d’un siècle où triomphaient les idéologies méprisantes de l’homme et affichant sans vergogne tous les partis pris de violence homicide et génocide. Tels sont donc les rapports Prince avec son Peuple ; il faut, avant de clore, évoquer ceux qu’il entretient avec Dieu. La composante religieuse, en effet, est partout présente dans ce portrait que dessine de Louis XIV l’auteur du Mercure. On pourra dire, certes, que son inspiration, sur ce point, est assez défaillante, non pas pour le nombre des occurrences, considérable, mais pour l’élévation du sujet : le lyrisme est entièrement absent de cette enfilade de gestes cultuels ponctuant le Voyage, et la piété du roi, régulièrement acclamée, semble relever de l’inventaire sinon du pensum. On dira qu’il ne faut pas confondre les genres, qu’un journal de voyage n’est pas un traité d’oraison, que le style sobre de la relation n’admet pas une approche différente. Toujours est-il que si, ici encore, et à première vue, il s’agit d’un parcours sans faute, il n’est pas interdit de s’interroger sur cette piété si systématiquement relevée. N’aurait-elle pas gagné à s’intérioriser, à dépasser le formalisme des gestes liturgiques pour s’asseoir sur l’étude et la méditation de la spiritualité qu’ils expriment et manifestent 189 ? Voici le roi qui arrive à l’étape de Clayes 190 , investie de prêtres. C’est que Louis, ne laissant rien au hasard, a pris soin de les mobiliser en grand nombre. Son voyage ne débute-t-il pas un samedi, et, par conséquent, ne faut-il pas entendre la messe dès le lendemain, dimanche, et la faire entendre à la si nombreuse cour qui le suit ? Ordre est donc donné de veiller au nécessaire, et cet ordre est signe de la piété de celui dont il émane : Sa Majesté devant partir un Samedi pour aller coucher à Clayes, où la Cour estoit obligée d’entendre la Messe le lendemain parce qu’il estoit Dimanche, Elle [Sa Majesté] eut la precaution de recommander quelques 189 À d’autres occasions, d’ailleurs, la piété du roi évoquée par le Mercure, se présente plus élevée « subtile et teinte de mysticisme », comme le note M. Vincent (Le Mercure galant. Présentation de la première revue féminine d’information et de culture, 1672-1710, op. cit., p. 174). En effet, la mort de la reine suscite chez Louis cette douleur salvatrice que Dieu emploie pour transformer notre être intérieur et l’exalter au-delà des futilités du monde : « Il nous restoit à voir le Roy par un costé qui ne dépendoit pas de luy. Il ne pouvoit paroistre grand dans la douleur & estre luy-même l’Ouvrier de sa douleur ; il étoit necessaire que Dieu s’en meslât pour achever de nous le faire paroistre ce que nous le voyons, par les choses qui peuvent le plus agiter le cœur de l’homme, mais ce qu’il a fait en l’éprouvant, n’a esté que pour l’élever davantage. » (Mercure galant, Dedié à Monseigneur le Dauphin, Aoust 1683, A Paris, Au Palais, p. 48). 190 Mercure, [83] ; voir ci-dessous p. 137. <?page no="69"?> 69 Introduction jours avant qu’Elle partist qu’il s’y rencontrast beaucoup de Prestres pour en celebrer un assez grand nombre, & fit paroistre sa pieté par cet ordre 191 . Cette piété se révèle encore quelques jours plus tard, lorsque le cortège royal arrive à Verdun. Ce 18 mai est de même un dimanche, celui de la Pentecôte, en plus. Malgré les fatigues du voyage, le roi et tout son entourage ne manquent à aucune des dévotions d’usage, et le Mercure y voit un nouveau signe de l’importance particulière que Louis XIV accorde aux choses de la religion : Le jour de la Pentecoste, presque toute la Cour fit ses devotions, à l’exemple du Roy. C’est une chose assez extraordinaire pendant le cours d’une marche, mais que ne voit-on point de nouveau sous le Regne de Loüis XIV. sur tout pour les choses qui regardent la Religion et la pieté 192 ! Scénario identique lors du voyage de retour ; si le roi, à l’aller, à l’étape de Vertus, s’est dérangé dans ses commodités pour ces dames, acceptant un logement sur rue avec, comme coulisse sonore, l’incessant défilé des équipages de la cour, il le fait, en revenant, à celle de Montmirail, pour Dieu, ne refusant pas, cette fois, un appartement envahi par tous les carillons d’une île sonnante et ceci après s’être soumis aux fatigues des liturgies d’un jour de fête : Le jour de l’Octave du S. Sacrement, le Roy ayant sceu à quatre heures l’estat de la maladie de Madame la Princesse de Conty, ordonna à M r de Louvois de faire partir les Officiers, & cependant ce Prince, qui ne songe pas moins à remplir les devoirs de Chrestien, que ceux de Roy, demanda au Père de la Chaise, s’il estoit Feste dans le Diocese de Soissons, & s’il y avoit obligation pour ses Officiers d’entendre la Messe, & pour luy d’assister à la Procession. Le Père de la Chaise luy répondit, qu’il estoit obligé d’entendre la Messe, & non d’aller à la Procession ; mais que cependant il seroit mieux que Sa Majesté rendist ce devoir aux ordres de l’Eglise, qui a étably la Procession de l’Octave. Il n’en fallut pas davantage pour faire ordonner qu’on dist continuellement des Messes, & quoy que les Cloches qui sont fort grosses, fussent prés de la Chambre du Roy, ce Prince voulut qu’on les sonnast toutes 193 . Ce n’est pas encore assez. Deux jours plus tard, à La Ferté-sous-Jouarre, le roi tient à achever cette octave si pieusement commencée à Montmirail, et le 191 Mercure, [41-42] ; voir ci-dessous p. 105. En fait, le saint contingent avait été procuré par l’évêque de Meaux qui n’était autre, en 1687, que Bossuet. Le détail est donné dans la suite du Journal, p. 102 : « M r l’Evesque de Meaux s’est trouvé par tout où le Roy a passé dans son Diocese, & que sçachant le principal soin de ce Prince estoit que toute sa Suite entendist la Messe, & particulierement les Dimanches, ce Prelat envoya plusieurs Religieux à Claye… ». 192 Mercure, [136-137] ; voir ci-dessous p. 174. 193 Ibid., [318-320] ; voir ci-dessous p. 298. Pour la Princesse de Conty, voir n. 266, pour sa maladie [313] (p. 295), pour Louvois n. 249. <?page no="70"?> 70 Introduction Mercure ne se prive pas de relever encore la presque héroïcité d’une dévotion sans faille au milieu des embarras d’une « marche continuelle » : On coucha ce jour-là à La Ferté sous Joüare dans le Diocese de Meaux. M. l’Evesque de Meaux s’y trouva avec quelques Abbez, & ses Aumôniers. On chante le Salut en plain Chant à la Paroisse, & la benediction y fut donnée par ce Prelat. Sa Majesté qu’une marche continuelle n’a détournée d’aucune des fonctions de pieté, dont Elle s’acquite [sic] avec un zele si édifiant, termina de cette sorte l’Octave du S. Sacrement 194 . Mais la foi ne doit-elle pas se manifester dans les « œuvres », sans lesquelles, selon saint Jacques, « elle est tout à fait morte 195 » ? Louis XIV dont on connaît le refus de la mystique quiétiste, passive, indifférente aux œuvres 196 , a eu cette foi active qui ne se conçoit pas en-dehors des gestes concrets. Ainsi, à Luxembourg, « la pieté du Roy » a fait rétablir « dans une plus grande perfection » les édifices ruinés par les bombardements de 1684 197 , en même temps qu’elle lui a fait faire aussi des « Presens dans toutes les Eglises où il a esté 198 ». Au-delà, « [i]l donnoit une somme pour les Ornemens. Cette somme estoit suivie d’une autre pour les Pauvres, & ces deux d’une troisiéme, ou de quelques graces dont il devoit revenir de l’argent pour l’embellissement des 194 Ibid., [321-322] ; voir ci-dessous p. 299. On notera à cet endroit que le roi était particulièrement regardant pour tout ce qui concernait le culte du Saint-Sacrement ; un épisode du voyage luxembourgeois, qui eut pour scène la cathédrale de Verdun, en porte témoignage. Voir ci-desssous n. 909. 195 Épître de saint Jacques 2, 17, Bible de Jérusalem, Paris, Cerf, 1988, p. 1751. 196 On sait que le roi, de même que Madame de Maintenon, étaient « fort prévenus » (Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 369) contre la spiritualité quiétiste et sa principale représentante, Madame Guyon. Aussi bien est-il vrai qu’un prince, placé au sommet des affaires, ne pouvait accéder que difficilement à cette théologie du « repos », faisant fi des immanences. Placé devant le choix de Marthe et de Madeleine, de l’active et de la passive (Luc 10, 41-42), il aurait certainement opté pour la première, alors que les quiétistes se reconnaissaient en Madeleine, comme en témoigne Madame Guyon au chapitre 21 de son Moyen court & très-facile de faire oraison (2 nde éd. revuë & corrigée), Lyon, A. Briasson, 1686, p. 90-91 : « Jesus-Christ nous fait voir dans l’Evangile cette conduite. Marthe faisoit de bonnes choses, mais parce qu’elle les faisoit par son propre esprit, Jésus-Christ l’en reprit […] : Marthe, vous vous inquiétés & vous tourmentés de beaucoup de choses, mais une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part qui ne lui sera point ostée (Luc 10, 41-42). Qu’a-t-elle choisi Madeleine ? la paix, la tranquilité & le repos : elle cesse d’agir en aparence, pour se laisser mouvoir par l’esprit de Jesus-Christ ; elle cesse de vivre, afin que Jesus-Christ vive en elle ; c’est pourquoy il est si necessaire de renoncer à soi-même & à ses operations propres, pour suivre Jesus-Christ… ». 197 Mercure, [198] ; voir ci-dessous p. 211. 198 Ibid., [255] ; voir ci-dessous p. 255. <?page no="71"?> 71 Introduction lieux 199 ». Or s’il est honorable d’anoblir la pierre matérielle du lieu saint, il l’est plus encore de veiller sur cette autre, « pierre vivante », destinée « à l’édification d’un édifice spirituel, pour un sacerdoce saint 200 » et représentée d’abord par les prêtres qu’il convient de choisir avec ce soin suprême qu’exige leur suprême fonction. Selon le Mercure, Louis XIV en est conscient, qui n’use de ce redoutable privilège qu’avec une tremblante circonspection : Je ne sçaurois m’empecher de vous marquer icy qu’un homme qui possede une des premieres Charges de la Cour, ayant prié le Roy de luy donner un Benefice pour un de ses fils qui est tres-jeune, Sa Majesté luy demanda quel âge il avoit, & l’ayant sceu, Elle luy dit qu’Elle estoit bien fâchée qu’il eust encore tant de temps à attendre. Celuy qui demandoit cette grace voulut donner des raisons, & rapporta mesme quelques endroits de l’Ecriture ; mais le Roy fit connoistre qu’il la sçavoit beaucoup mieux que luy, & dit qu’il ne donneroit jamais de Benefices qu’à des personnes capables de sçavoir à quoy elles s’engagoient, en prenant le party d’entrer dans l’Eglise. Ce Prince ajoûta qu’on croyoit peut-estre qu’on emportoit quelquefois des Benefices par faveur, mais que si ceux qui avoient cette pensée pouvoient estre témoins de ce qui se passe dans le Conseil, lors qu’il s’agit de la distribution des Benefices, ils verroient par toutes les précautions qu’on y prend pour ne les donner qu’à des personnes dignes de les posseder, la peine où il se trouve souvent avant que d’oser fixer son choix. Sa Majesté fit enfin connoistre, que ny faveur, ny brigue, ny recommandation, ny naissance, ny services, ne pouvoient rien obtenir, à moins qu’Elle ne fust persuadée que ceux qu’il luy plaisoit d’en gratifier, n’eussent toutes les qualitez necessaires pour en remplir les devoirs 201 . Roi très-chrétien donc, au sens le plus exigeant du terme. Mais l’image, édifiante, résiste-t-elle à l’enquête, la question est encore justifiée. Sans doute, pour le dernier point, si amplement développé dans le Mercure, une source peut être alléguée, la plus prestigieuse de toutes, mais de ce fait même bien subjective : dans ses Mémoires, Louis XIV a fait une part spéciale à la collation des bénéfices et à sa manière de la gérer : Peut-être, écrit-il à son fils, n’y a-t-il rien de plus épineux en toute la royauté, s’il est vrai, comme on peut s’en douter, que notre conscience demeure engagée pour peu que nous donnions trop ou à notre propre penchant, ou au souvenir des services rendus, ou même à quelque utilité présente de l’État, en faveur de personnes d’ailleurs incapables, ou beaucoup moins capables que d’autres sur qui nous pourrions jeter les yeux 202 . 199 Ce geste se répète d’ailleurs, pendant le voyage de retour, à Châlons, où il est encore motivé par la piété du roi (voir ibid., [307]) ; voir ci-dessous p. 290. 200 Saint Pierre, Première Épître, 2, 5, Bible de Jérusalem, op. cit., p. 1756. 201 Mercure, [151-154] ; voir ci-dessous p. 184-185. 202 Mémoires, op. cit., p. 154. <?page no="72"?> 72 Introduction « Ny services » avait écrit le Mercure se faisant l’écho du propos royal, et il avait ajouté que rien n’est possible, dans ce domaine, si le roi ne trouve « toutes les qualitez necessaires pour […] remplir les devoirs » d’une charge spirituelle 203 . Dans ses Mémoires, Louis XIV précise que ces qualités doivent s’articuler en trois volets, ceux du savoir, de la piété et de la conduite, le premier demeurant, selon lui, le plus délicat à évaluer « car il arrive très rarement que les rois soient consommés dans ces sortes de choses 204 », la théologie n’étant guère de leur ressort. D’où, en l’occurrence, sa préférence pour les docteurs de Sorbonne 205 , ce grade associant à la science cette maturité qui exclut d’office les candidats « tres-jeunes ». Du reste, toujours selon le propos royal rapporté par le Mercure, Louis n’était pas aussi ignorant en matière de science religieuse que cette page des Mémoires pourrait le suggérer. Ne réplique-t-il pas à l’importun solliciteur, faisant étalage, pour décrocher sa prébende, de références scripturaires, « qu’il […] sçavoit [l’ Écriture] beaucoup mieux que luy » et que, il faut le sous-entendre, ce fait même le conforte dans son refus ? Le propos n’est pas dépourvu de fondement, et le roi a pu songer à la première épître à Timothée 3, versets 1-7, où Paul, justement, établit les difficiles conditions d’accès à l’épiscopat : Aussi faut-il que l’épiscope soit irréprochable, mari d’une seule femme, qu’il soit sobre, pondéré, courtois, hospitalier, apte à l’enseignement, ennemi des chicanes, détaché de l’argent… 206 203 On notera d’ailleurs que dans son Histoire de Louis le Grand Contenuë dans les rapports qui se trouvent entre ses actions, & les qualités, & vertus des Fleurs & des Plantes déjà citée, Donneau de Visé, au chapitre consacré au pavot, opposant la vertu somnifère de ce papavéracée, qui apporte le repos aux humains ordinaires, à l’incessante activité de Louis XIV, précise que le roi a trouvé moyen de s’activer même pendant les jours de fête, normalement chômés : c’est alors qu’il s’emploie au pieux devoir de conférer les bénéfices à ceux qui les méritent : « Il n’y a personne qui ne se repose quelques jours pendant chaque mois ; à peine vous donez vous quelques heures de relache. Il est quatre jours solemnels dans l’année, ou l’on doit etre plus exactement oisif, et par adresse ingénieuse a vous imposer du travail, vous remettez à ces quatre jours des conseils propres à leur sainteté. Vous examinez ceux qui sont les plus dignes d’étre élevés aux dignités de l’Eglise et vous en faites un choix judicieux. » Un de ces quatre jours a été la Pentecôte - en 1687, le dimanche 18 mai - puisque, comme on le verra ci-dessous p. 177-178, c’est à l’occasion de cette fête que le roi, alors en voyage vers Luxembourg, a procédé à Verdun à de nombreuses nominations ecclésiastiques. (Mercure, [143 et s.]). 204 Mémoires, op. cit., p. 155. 205 Ibid. : « Contre cette difficulté, j’ai observé, autant que je l’ai pu, de ne donner les bénéfices importants qu’à des docteurs de Sorbonne… » 206 Trad. Bible de Jérusalem, op. cit., p. 1716. <?page no="73"?> 73 Introduction Le roi donc, si la circonstance l’exige, peut se produire en docteur de la Loi 207 , même s’il ne prétend pas, on l’a vu, à la même qualité au regard des épineuses subtilités de la théologie. Mais encore ! Les observateurs externes jugent-ils de même ? N’ont été entendus jusqu’ici que le concerné lui-même et le Mercure, « voix de son maître ». On ne s’étonnera pas de voir Saint-Simon introduire quelques notes discordantes dans ce bel ensemble, à commencer par la question des bénéfices. Le roi religieusement scrupuleux dans leur collation ? Mais il se fait diriger sur ce chef par un intrigant, soucieux de ses seuls intérêts personnels ! Le Père Tellier, dernier confesseur de Louis XIV, s’est fait une spécialité de ne faire nommer que ceux « qui se dévouaient sans réserve [à ses] volontés […] gens du reste à n’oser broncher après 208 », autant dire des créatures choisies en fonction de leur seule servilité. Nous voilà loin des saintes intentions de Louis. On dira peut-être qu’il s’agit d’une situation de fin de règne - le P. Le Tellier n’accède à ses fonctions qu’en 1709, après la mort du P. de La Chaize - que l’atmosphère crépusculaire explique les défaillances d’un roi approchant de sa fin, mais n’en a-t-il pas usé de même dès 1701, année de la nomination au prestigieux titre de conseiller d’État d’Église de cet abbé Bignon, qui certes « avait prêché avec beaucoup d’applaudissements 209 », mais dont la vie « avait si peu répondu à sa doctrine qu’il n’osait plus se montrer en chaire 210 » ? Il est vrai que le mémorialiste ajoute que « le Roi se repentait des bénéfices qu’il lui avait donnés 211 », ce qui ne l’a empêché de le nommer à cette place destinée « aux évêques les plus distingués, et qu’il était bien baroque de faire succéder l’abbé Bignon à M. de Tonnerre, évêque-comte de Noyon, pour le mettre en troisième avec Monsieur de Reims et Monsieur de Meaux 212 ». Bilan plus que négatif donc chez l’irritable duc, mais aussi bien se peut-il que tant d’aigreur s’explique par le dépit de ce grand vexé de l’élévation de tous ces « va-nu-pieds et […] valets pour tout faire 213 » aux dépens de « tout homme connu et de nom 214 ». Encore faut-il ajouter que dès les temps du P. de La Chaize, dans les années soixante-dix, Innocent XI, hostile 207 Il est vrai que certains, dont la Princesse Palatine, lui reprochent non seulement une ignorance complète de la théologie, mais encore de l’Écriture. Voir ci-dessous p. 76 et n. 223. 208 Op. cit., t. III, p. 986. 209 Ibid., t. I, p. 817. 210 Ibid. 211 Ibid. En 1701, le siège de Noyon était occupé par François de Clermont-Tonnerre, celui de Reims par Charles-Maurice Le Tellier, fils du chancelier Michel Le Tellier et frère de Louvois, celui de Meaux, par Bossuet. 212 Ibid. 213 Ibid., t. III, p. 986. 214 Ibid. <?page no="74"?> 74 Introduction à tout favoritisme, avait instruit les nonces successifs à la Cour de France, de surveiller de près les nominations aux bénéfices opérées par le roi et qui, dans plus d’un cas, lui paraissaient suspectes, confirmant ainsi les propos ultérieurs de Saint-Simon 215 . Aussi est-il vrai que, plus généralement, le mémorialiste n’a qu’une piètre idée de la religiosité de Louis. Si on a pu voir à quel point il le taxait d’ignorance dans toutes les questions concernant la foi, il faut ajouter qu’il lui reprochait, surtout sur le tard, une dévotion à la fois intéressée et superstitieuse : « Le Roi, écrit-il, était devenu dévot et dévot de la dernière ignorance 216 », pour expliquer ensuite les mesures prises contre les Réformés : On toucha un dévot de la douceur de faire aux dépens d’autrui une pénitence facile qu’on lui persuada sûre pour l’autre monde 217 , autant dire qu’il compta éviter la damnation par une rigueur dont d’autres avaient à faire les frais 218 . La peur du diable qui tenaillait Louis depuis toujours a d’ailleurs inspiré un commentaire acerbe à ce juge impitoyable qu’était l’auteur des Mémoires. N’insinue-t-il pas avec une indignation à peine cachée que seule la pensée du Malin l’avait empêché de se faire apothéoser Place des Victoires 219 ? Encore s’agit-il, en l’occurrence, de craintes nourries à cette pastorale de la peur, alors d’usage. Il y a pis. Voici que, quittant les choses de la foi, le roi est présenté en proie aux superstitions les plus ridicules, non plus croyant, mais accueillant les croyances. Ou peut-on voir autrement cette phobie des vendredis qu’il partage avec toutes les âmes simples de son royaume, au point de ne jamais consentir à prendre la route ce jour de la semaine : « Le Roi […] avait la faiblesse de ne jamais partir un vendredi… 220 », 215 Voir à ce sujet les correspondances du nonce Varese et de l’auditeur de la nonciature Lauri signalées par le P. Guitton dans son ouvrage sur le P. de La Chaize, Confesseur de Louis XIV, Paris, Beauchesne et Fils, 1959, t. I, p. 184-185. 216 Ibid., t. V, p. 552. 217 Ibid. 218 Le reproche se retrouve dans cette lettre du 9 juillet 1719 de la Princesse Palatine : « La vieille ordure [Madame de Maintenon ! ] et les jésuites lui [à Louis XIV] ont fait accroire qu’en persécutant les réformés, il réparerait aux yeux de Dieu et des hommes le scandale qu’il a donné en pratiquant le double adultère [avec Madame de Montespan]. » (Cit. dans Mémoires de Saint-Simon, op. cit., t. V, p. 1418 n. 11 ad p. 552). 219 La célèbre inscription Viro Immortali appliquée sous la statue du roi à la Place des Victoires, et que Saint-Simon commente ainsi : « sans la crainte du Diable que Dieu lui laissa jusque dans ses plus grands désordres, il se serait fait adorer et aurait trouvé des adorateurs ; témoin entre autres […] sa statue sur la place des Victoires et sa païenne dédicace… » (op. cit., t. V, p. 486). 220 Ibid., t. III, p. 169. Mais Saint-Simon lui-même était-il à l’abri de ce genre d’appréhensions, lui qui ajoute : « Il semblerait néanmoins qu’à qui observerait les jours, celui de l’assassinat de Henri IV et de la mort de Louis XIII devrait être réputé un <?page no="75"?> 75 Introduction une faiblesse de plus le descendant de son socle. C’est bien là, dira-t-on, du Saint-Simon, manie de tout salir sans excepter les sentiments les plus élevés. Réduire la foi du roi à son expression la plus simple, la présenter en salmigondis de puérilités croissant sur un terroir d’ignorance, l’auteur des Mémoires doit être à son aise. Hélas, des témoins proches du roi et sans animosité particulière à son égard, s’expriment à peine autrement. La Princesse Palatine ne cache pas l’estime qu’elle porte à Louis, le grand homme qu’elle « respecte et aime 221 », mais quand elle en vient à parler de sa religion, quelle déchéance : c’est un niais dépourvu de lumières théologiques aussi bien que scripturaires - et peu soucieux d’en acquérir - à la traîne, toujours, de son confesseur, si ce n’est de sa maîtresse. Le coup de griffe est pour Madame de Maintenon dont on sait les relations peu amènes avec la belle-soeur du roi, mais l’idée est bien là, et Madame semble croire ce qu’elle dit : C’est quelque chose d’inconcevable comme le grand homme est simple en fait de religion, car, pour le reste, il ne l’est pas. Cela vient de ce qu’il n’a jamais rien appris des choses de la religion, n’a jamais lu la Bible, et croit tout bonnement ce qu’on lui débite à ce sujet. D’ailleurs, quand il avait une maîtresse qui n’était pas dévote, il ne l’était pas non plus. Maintenant qu’il est devenu amoureux d’une femme qui ne parle que de pénitence, il croit tout ce qu’elle lui dit, à tel point que le confesseur et la dame sont souvent en désaccord, car il croit plutôt la dame que le confesseur. Mais il ne veut pas se donner la peine de rechercher par lui-même ce que c’est, à proprement parler, que la religion 222 . jour malheureux pour la France… » …si, effectivement, il s’agissait du même jour de la semaine, le vendredi, dans la pensée du mémorialiste. Or, s’il est vrai que Louis XIII, à une distance de trente-trois années, est mort à la même date, celle du 14 mai, que son père, il n’en demeure pas moins que le 14 mai 1610 était bien un vendredi, alors que le 14 mai 1643 tombait sur un jeudi. La réflexion de Saint- Simon sur l’aspect fatidique des vendredis n’est donc pas recevable. 221 Lettre du 17 mars 1712 à la duchesse de Hanovre, dans Lettres de la Princesse Palatine (1672-1722), Paris, Mercure de France, coll. « Le Temps retrouvé », N° XXXII, 1985, p. 319. 222 Lettre du 16 mai 1696 à la duchesse de Hanovre, dans Lettres de la Princesse Palatine (1672-1722), op. cit., p. 131. La destinataire aura été facile à convaincre : dès son voyage en France de 1679, Sophie de Hanovre avait eu l’occasion de prendre la mesure de la foi de Louis, peu résistante aux tentations de la chair. Voici qu’elle l’observe dans la chapelle de Versailles, à l’occasion du mariage par procuration de Marie-Louise d’Orléans avec Charles II, roi d’Espagne : alors que, sur l’autel, sont célébrés les saints mystères, « le roy […] regarda Mad lle de Fontanges avec plus de dévotion que l’autel, elle estoit dans une tribune en haut de son costé, ce qui luy fit souvent hausser la teste… » (Memoiren der Herzogin Sophie nachmals Kurfürstin von Hannover. Herausgegeben von D r . Adolf Köcher. Neudruck der Ausgabe 1879, Osnabrück, Otto Zeller, 1969, p. 119). <?page no="76"?> 76 Introduction Et si en 1711, dans une lettre à la Raugrave Louise, elle témoigne de la piété de Louis, elle n’en récidive pas moins pour ce qui est du reproche d’ignorance complète, même de l’Écriture : Notre Roi […] est très pieux, mais il est fort ignorant des choses qui ont trait à la religion : jamais de sa vie il n’a lu la Bible ; il croit tout ce que lui disent les prêtres et les faux dévots 223 . « Simple en fait de religion », « très pieux, mais fort ignorant des choses qui ont trait à la religion », bilan pitoyable pour le premier Prince de la chrétienté affligé de cette sancta simplicitas qui est le propre de la foi du charbonnier. Plume amie et plume critique se rejoignent dans une même et sévère appréciation. Pour ne rien omettre, on en ajoutera une troisième, neutre, et déjà consultée avec fruit en d’autres endroits. Dans sa Relation de la Cour de France en 1690, Ézéchiel Spanheim commence par relever l’attachement du roi aux devoirs de la religion et, en conséquence, son souci d’éviter et de faire éviter tout ce qui s’y opposerait : […] il est attaché aux devoirs de la religion et fort régulier à les pratiquer, aussi a-t-il une cour réglée […] et il a su en éloigner […] l’impiété, le libertinage et l’irrévérence en matière de culte divin 224 . Ce qui n’empêche pas, et en dépit d’une confirmation expresse de cette première impression 225 , de pointer du doigt sur le versant négatif de ces belles dispositions : en somme, Spanheim, de même que Saint-Simon, diagnostique dans cette piété royale un fonds trouble de croyances et d’attachements irréfléchis qui doit rendre suspecte aux esprits éclairés cette « dévotion, ou, pour mieux dire, [une] superstition aveugle 226 », dépourvue des lumières qui devraient guider tout fidèle averti. 223 Lettres de la Princesse Palatine, op. cit., p. 305 : lettre du 7 mai 1711 à la Raugrave Louise. Quatre années après la mort du Roi, elle revient encore à la charge dans cette lettre du 3 août 1719 à la même destinataire : « …Feu le Roi ne savait rien du tout des Saintes Écritures, il me tenait pour savante moi qui en sais quelques petites choses ; cela m’a toujours paru fort plaisant. S’il avait voulu lire, il aurait pu les connaître, mais il avait la lecture en horreur. Il ne savait pas le premier mot des différences entre les religions. » (Ibid., p. 393). 224 Relation, op. cit., p. 69. 225 Ibid., p. 95 : « Ce n’est pas qu’on ne puisse croire que la dévotion du Roi ne soit sincère, fondée sur les principes de la religion autant qu’on la lui a fait connoître, et ainsi qu’il ne soit attaché de bonne foi aux objets de son culte et de sa créance ; aussi lui voit-on une grande régularité et beaucoup de soumission dans toutes les fonctions ou exercices qui y ont du rapport. » Mais on aura encore noté la réserve autant qu’on la lui a fait connoître… 226 Ibid., p. 74. <?page no="77"?> 77 Introduction En somme, ces témoins venus d’horizons différents ne démentent pas l’image du paroissien appliqué que dessine de Louis le chroniqueur du Mercure. Mais voilà justement : le roi, à les suivre, n’a jamais été autre chose. Sincèrement attaché à la foi, il en accomplit tous les rites, et, la plupart du temps, il s’en satisfait. On ne demandera certes pas à cet homme d’action de s’introduire ne fût-ce que timidement dans le mystère, de pratiquer ne fût-ce qu’un début de méditation, mais, tout simplement, s’instruire par des lectures spirituelles, et donner ainsi à sa religion des assises solides, aurait-ce été trop 227 ? Il est utile, à la fin de ce portrait du roi, d’en apporter la précision. Ici comme ailleurs, le Mercure, de par sa vocation encomiastique, ne révèle qu’une facette de la réalité. Elle est honorable et montre un chrétien engagé. Mais elle est aussi incomplète et cache ce que cet engagement pouvait avoir d’insuffisant. Le constat désabusé en rejoint d’autres, faits précédemment. 227 Une partie généralement non reprise dans les éditions des Mémoires pour l’instruction du dauphin, mais publiée par A. Maral, dans son étude sur Le Roi-Soleil et Dieu, Paris, Perrin, 2012, p. 227 et s., confirme, certes, et par la bouche de l’intéressé, la modestie de la théologie de Louis XIV, mais n’en prouve pas moins que les réflexions afférentes ne lui étaient pas totalement étrangères : « Ce n’est pas à moy, écrit-il à l’attention de son fils, de faire le théologien avec vous. […] Si toutesfois, par une curiosité assez naturelle, vous vouliez sçavoir ce qui m’a le plus touché de ce que j’ay jamais veu ou entendu sur de semblables matières, je vous le diray fort simplement, suivant que le bon sens me le pourra suggérer, sans affecter une profondeur de connoissances qui ne m’appartient pas. » Suit alors un développement conduisant de la raison de l’homme vers celle de Dieu : « Nous ne voyons […] dans le monde rien de ce qui a quelque rapport, quelque ressemblance avec le monde mesme - comme sont par exemple les machines, les bastiments et autres choses semblables - qui ne soit l’ouvrage de quelque raison et de quelque esprit qui en a fait le dessein. Cela estant, pourquoy ne croirions-nous pas - quand mesme l’instinct naturel et la voix de tous les peuples ne nous l’auroient point appris - que le monde luy-mesme, qui passe si fort toutes les autres choses en grandeur, en ordre, en beauté, est aussi l’ouvrage d’une raison, sans comparaison plus eslevée que la nostre […]. » Au fond, cette « théologie » royale est bien proche de celle de Voltaire qui, on le sait, ne conçoit guère « l’horloge » qu’est l’univers sans « horloger » (voir Les cabales, dans Voltaire. Poésies, Paris, Les Belles Lettres, 2003, p. 370). <?page no="78"?> 78 Journal VOYAGE DU ROY A LUXEMBOURG JOURNAL DU VOYAGE DE SA MAJESTÉ A LUXEMBOURG JUIN 1687 SECONDE PARTIE 228 A P A R I S, Chez G. De LUINES 229 , au Palais dans la Salle des Merciers, à la Ju ſ tice. 228 Comme d’habitude, le numéro de juin 1687 se présente en lettre, conçue, cette fois, en deux parties. La première partie, consacrée à toutes sortes de nouvelles, est sans rapport avec le voyage luxembourgeois, sauf qu’elle se termine par l’annonce de l’événement détaillé dans la seconde partie. Cette annonce constitue un canevas complet de tout ce qui sera développé dans cette seconde partie : voyage du roi, voyage de Louvois, description de Luxembourg, description des lieux visités par le ministre, évocation des craintes provoquées par le venue du roi à Luxembourg : « Je ne vous ay encore rien dit du voyage du Roy à Luxembourg. Vous pouvez connoistre par là que j’ay voulu faire quelque chose de considerable sur ce Voyage ; je suis venu à bout de mon dessein, & après beaucoup de recherches curieuses, j’ay trouvé de quoy faire sur ce sujet une Lettre entiere qui sert de seconde Partie à celle cy. Peut estre n’auriez vous pas cru qu’un si court Voyage eust fourny tant de matiere ; mais quand il s’agit d’un Journal de ce que fait le Roy, on en a toûjours de reste, quoy que ce Journal soit de peu de Jours. Celuy de M. de Louvois, qui a esté de deux cens cinquante lieuës, entre aussi dans cette Lettre, outre une description de la Ville de Luxembourg, telle qu’elle est aujourd’huy, & les choses que je rapporte des Places que ce Ministre a visitées, font connoistre en quel Estat le Roy a mis l’Alsace & la Province de la Sarre depuis quinze ans. Vous verrez dans la mesme Lettre avec quelle manière honneste le Roy a eu la bonté de dissiper les alarmes, que d’ambitieux interressez, jaloux de la gloire de ce Monarque, vouloient donner à toute l’Europe, dans l’esperance de se prevaloir des troubles qu’ils pretendoient exciter. Toutes ces choses estant plus que suffisantes pour remplir la seconde Partie de cette Lettre, j’ay plûtost esté obligé de les resserrer que de les étendre. Elle finit par quelques articles de ce qui s’est fait à Versailles, mais ce que j’en dis s’estant passé incontinent après le retour du Roy, semble estre encore du Voyage. » (Mercure Galant Dedie A Monseigneur le Dauphin. Divisé en deux Parties. JUIN 1687. A Paris, chez G. DE LUYNE, au Palais, dans la Salle des Merciers, à la Justice. T. Girard, au Palais, dans la Grande Salle, à l’Envie. Et Michel Gueroult, Court-neuve du Palais, au Dauphin. M. DC. LXXXVII, p. 332-334). 229 Guillaume de Luynes, libraire-juré (1627 ? -171. ? ). Ce gendre de Toussaint Quinet, s’était spécialisé, avec le fils de ce dernier, Gabriel Quinet, dans la vente des pièces <?page no="79"?> 79 Journal T. GIRARD 230 , au Palais, dans la Grande Salle, à l’Envie. Et MICHEL GUEROULT 231 , Court-neuve du Palais, au Dauphin. M. DC. LXXXVII. Avec Privilege du Roy. L’orthographe originale est maintenue ; les divergences par rapport au Dictionnaire de l’Académie sont signalées par [sic]. de théâtre. Ils étaient aussi les éditeurs attitrés de Scarron dont ils firent paraître le Roman comique et le Virgile travesti. Dans la suite, Guillaume de Luynes exploita les privilèges des œuvres de Corneille dont il fut l’un des héritiers (voir H.-J. Martin, Livre, Pouvoirs et Société à Paris au XVII e siècle, op. cit., t. 1, p. 352-353 ; t. 2 p. 709). 230 Thomas Girard, éditeur de pièces de Racine et du Traité du Monde de Descartes (H.-J. Martin, op. cit., t. 2, p. 710 et 876). 231 Michel Guéroult (Guérout) est en charge du Mercure de 1687 à 1692 (voir M. Vincent, Donneau de Visé et le Mercure galant, op. cit., p. 195). <?page no="80"?> 80 Journal [EPITRE] AU ROY 232 . Sire, Quoy que l’u ſ age de renfermer toutes les plus belles [aiii] actions de ceux à qui l’on adre ſſ e des Epitres de la nature de celles que j’o ſ e aujourd’huy pre ſ enter à Votre Maje ſ té, paroi ſſ e etably presque de tout temps, il e ſ t neanmoins ab ſ olument impo ſſ ible de le ſ uivre dans celles que Vous avez la bonté de vouloir bien recevoir. Le détail de la moindre de Vos actions pourroit remplir des Volumes, quand toute la vie des autres ne ſ çauroit fournir qu’à peine le ſ ujet d’une ſ eule Epitre. Mon zele m’en a fait comprendre plu ſ ieurs, mais toutes en ſ emble ne forment qu’une tres-imparfaite ébauche de quelques-unes des actions de Vo ſ tre Maje ſ té, & comme en de pareilles occa ſ ions on a toûjours lieu de craindre de ſ e trouver accablé par l’abondance de la matiere, je ne parleray en celle-cy, que des ſ ujets de louange que vous avez donnez dans votre dernier [aiii] Voyage. Un autre que Vous, SIRE, n’en auroit fourny aucun dans le cours borné d’une ſ imple promenade. Cependant ce que j’ay à dire me paroi ſ t ſ i va ſ te, que je ne finirois point, ſ i je cherchois à l’étendre. Votre Maje ſ té fit paroi ſ tre ſ a bonté avant ſ on départ, lors qu’il luy plut de ra ſſ eurer l’Europe inquiette, à laquelle on vouloit per ſ uader que Vous ne pourriez ſ ortir de Ver ſ ailles ſ ans porter atteinte à ſ on repos. C’e ſ t une marque, SIRE, que Vous avez mis la France dans un haut degré de gloire, que Vous l’avez rendue bien redoutable, & que Vous ne jettez pas moins de crainte dans les cœurs des jaloux de votre pui ſſ ance, que Vous cau ſ ez d’amour & d’admiration dans tous les autres. Vo ſ tre Voyage n’a point allumé la guerre qu’ils feignoient de craindre, & qu’ils vouloient exciter pour leurs intere ſ ts particuliers. Vous n’e ſ tes point party avec la terreur. Vous n’avez point paru comme un Mars foudroyant, qui lai ſſ e la de ſ olation par tout où il pa ſſ e ; mais comme un Soleil bienfai ſ ant qui cau ſ e la fecondite dans tous les lieux où il jette ſ es regards. Il ſ emble que Vous n’ayez quitté le delicieux ſ ejour de Ver ſ ailles que pour aller porter l’abondance dans ces heureu ſ es Provinces que Vous avez traver ſ ées. Vous avez donné par tout de quoy orner les Autels, & embellir les Egli ſ es. Vos bienfaits ſ e ſ ont largement répandus sur tous les Pauvres, & ce qui iu ſ ques icy n’avoit point eu d’exemple, on peut dire que vous avez renchery ſ ur ceux du Soleil. Il ne rend nos terres fécondes qu’une fois l’année, & vos Sujets ont éprouvé à vo ſ tre retour les me ſ mes liberalitez dont ils avoient ſ enty les effets peu auparavant, de maniere qu’ils en ont e ſ té comblez. Si les Egli ſ es, & les Pauvres ont eu pendant vo ſ tre Voyage de ſ i grandes marques de vos bontez, la Noble ſſ e de tous les lieux où Vo ſ tre Maje ſ té a pa ſſ é, en a receu de ſ en ſ ibles & d’éclatantes qui ſ eront éternellement gravées dans tous les cœurs de leurs De ſ cendans, & ils les e ſ timeront infiniment plus que tous les titres de leur Mai ſ on, parmy les quels la po ſ terité les con ſ ervera. Dans quelle con ſ ideration ne ſ eront-ils point, quand on ſ çaura qu’ils ſ eront formez du ſ ang de ceux qui auront eu 232 L’Épître présente une annonce de la plupart des thèmes qui seront développés dans la suite. On ne fera, à cet endroit, que des renvois à quelques données plus particulières. <?page no="81"?> 81 Journal l’honneur de ſ e voir à la table de leur Roy 233 , mais quel Roy, le Monarque qui aura e ſ té la terreur, l’amour & l’admiration de toute la terre, enfin LOUIS LE GRAND. Voilà, SIRE, ce que Vo ſ tre Maje ſ té a produit, en fai ſ ant manger à ſ a table plu ſ ieurs per ſ onnes de di ſ tinction qui ont eu l’honneur de l’avoir pour Ho ſ te. Si le ſ ouvenir en e ſ t eternellement gardé dans les Familles sur le ſ quelles cette in ſ igne faveur e ſ t tombée, avec quelle veneration ne con ſ ervera-t-on point la memoire des Ordonnances que vous avez fait rendre par un celebre Chapitre, pour l’augmentation du culte de Dieu 234 , & de quelle utilité ne ſ eront point les exemples de pieté que Vous avez donnez aux peuples qui en ont e ſ té temoins. Vous avez eu ſ oin, SIRE, que Dieu fu ſ t tous les jours ſ ervy & honoré par toute la Cour, & par toute vo ſ tre Mai ſ on, & pendant la ſ emaine de l’année qui demande le plus d’exercices de devotion, & la ſ eule où l’Egli ſ e e ſ t occupée tous les ſ oirs à chanter les louanges du Seigneur 235 , non ſ eulement Vo ſ tre Maje ſ té n’a pas manqué d’y a ſſ i ſ ter, & de ſ e pro ſ terner aux pieds des Autels en de ſ cendant de Caro ſſ e au lieu d’aller chercher du repos ; mais Elle a voulu que le Service fu ſ t celebré avec beaucoup plus d’éclat, que ne permettoit l’e ſ tat des lieux & le peu de temps qu’on avoit pour s’y preparer. Je pa ſſ e par de ſſ us tout ce qui Vous a fait admirer dans Luxembourg, ma Relation en e ſ t remplie, mais je ne puis m’empe ſ cher de dire que la France ne Vous e ſ t pas ſ eule obligée des nouvelles Fortifications que Vous y avez fait faire, & de la nouvelle Fortere ſſ e que Vous faites élever 236 , pour couvrir vos frontieres ; toute l’Europe Vous e ſ t autant redevable que la FRANCE, pui ſ que ces nouveaux Ramparts o ſ tant aux jaloux de vo ſ tre gloire, la pen ſ ée qu’ils pourroient avoir de Vous attaquer, mettent vos Sujets à couvert de toute in ſ ulte, & empe ſ chent que la tranquillité de l’Europe ne ſ oit troublée. En effet, SIRE, Vous ne pourrez e ſ tre attaqué ſ ans qu’elle fu ſ t au ſſ i-to ſ t toute en Armes. Qui auroit cru, SIRE, que vo ſ tre Maje ſ té eu ſ t pû ſ e faire admirer par tant d’endroits pendant un ſ i court voyage, ou plûto ſ t qui auroit pû en douter, pui ſ qu’Elle ne fait aucun pas qui ne ſ erve à l’accroi ſſ ement de ſ a gloire ? Per ſ onne ne le ſ çait mieux que moy qui me ſ uis impo ſ é le glorieux employ de recueillir toutes les actions de Votre Maje ſ té pour les apprendre à tout l’Univers. Je ne pouvois choi ſ ir un travail qui pu ſ t me donner plus de plai ſ ir, & qui me procura ſ t plus d’honneur, pui ſ qu’il me donne lieu quelquefois d’approcher de Vo ſ tre Sacrée Per ſ onne 237 . Je ſ uis avec le plus profond re ſ pect, 233 À ce sujet, voir ci-dessous n. 922. 234 L’auteur songera ici à l’intervention du roi en date du 30 mai 1687, à l’occasion de son passage retour à Verdun, obligeant les chanoines de Verdun de s’agenouiller pendant l’Élévation, dont un ancien privilège les avait dispensés, privilège supprimé alors par une ordonnance du chapitre. Voir ci-dessous [305]/ p. 289 et n. 909. 235 Semaine de la Pentecôte qui tombe, en 1687, au dimanche 18 mai. On verra dans la suite comment se manifesta alors la dévotion du roi. 236 Pour les fortifications de Luxembourg ordonnées par le roi, voir ci-dessous [225]/ p. 236 et n. 716. 237 Dans le Mercure de février 1699, Donneau se dit « Historiographe de France », titre qu’il prétend appuyer sur des certificats émanant de l’autorité royale et que peut- <?page no="82"?> 82 Journal SIRE, DE VOSTRE MAJESTE, Le tres-humble & tres-obei ſſ ant Serviteur & Sujet, DEVIZE. être il détenait effectivement, récompense du roi pour son impénitent panégyriste, de même que le logement au Louvre qu’on lui avait accordé (Mélèse, Un homme de lettres au temps du Grand Roi, op. cit., p. 225). La plupart des biographes lui reconnaissent, d’ailleurs, ce titre, ainsi Hatin, dans son Histoire de la Presse, op. cit., t. I, p. 402 et, plus récemment, Raymond Picard, dans sa Carrière de Jean Racine, nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Gallimard, 1979, p. 477. Depuis quand pouvait-il se prévaloir, si ces dires sont exacts, de cette qualité ? Il l’énonce donc dans le numéro de février 1699, alors que Racine, titulaire lui aussi, à partir du mois d’octobre 1677 et jusqu’à sa mort, le 21 avril 1699, a droit au même titre - qu’il partage alors avec Boileau - et a participé en cette qualité au voyage luxembourgeois, sans que le Mercure en fasse mention, mais dont une lettre, écrite à Luxembourg, à l’intention de Boileau, malade et demeuré en France, porte témoignage. Nous la publions ci-dessous, en annexe. Donneau, auteur des monumentaux Mémoires pour servir à l’histoire de Louis le Grand, s.l., 10 volumes, parus de 1697 à 1703, mais s’arrêtant à l’année 1683, se présentait-il dès le Journal du Voyage, 1687, voire dès 1684, avec l’Histoire du Siege de Luxembourg, à Lyon, chez Thomas Amaulry, en charge d’écrire l’histoire du roi en 1699, ce qui pourrait faire supposer, sa présence, pendant le voyage, dans l’entourage du prince ? Le fait est que ses prétentions, certaines celles-ci, ont suscité des réactions telles celles de François Gacon, poète satirique (1667-1725), auteur du Poète sans Fard, ou discours satiriques en vers, qui contient la satire suivante intitulée Racine et l’Importun reproduite, d’après l’édition de 1701, par Raymond Picard dans son Nouveau Corpus Racinianum, Paris, CNRS, 1976, p. 462 avec, comme date probable, l’année 1699 : « On dit que De Visé prétend vous [Racine] supplanter Mais je doute qu’alors il osât le tenter. Pour louer un Achille, il faut être un Homère, De quel front prétend-il à votre ministère ? » (v. 9-12). Ces vers ne permettent donc pas de conclure que Visé ait pu aller au-delà de ses prétentions. Il en va de même de cette Epigramme XL « Sur la mort de Monsieur Racine dont De Visé prétendait remplir la place pour l’histoire », citée au même endroit : « Nous perdons en Racine un bon historien Et le meilleur de nos poètes ; A moins que De Visé ne laisse quelques dettes A sa mort on ne perdra rien. » Que Donneau ait été en fonction ou aspiré à l’être, hypothèses qui justifieraient sa participation au voyage, certifiée nulle part expressément. On a vu sa façon de travailler : s’il assume la présidence du comité de rédaction, il ne signe jamais ses propres contributions, et engage pour les autres de nombreux collaborateurs aux noms souvent prestigieux : on lira le détail dans la thèse de Monique Vincent (Donneau de Visé et le Mercure galant, op. cit., p. 254 et s.). <?page no="83"?> 83 Journal JOURNAL DU VOYAGE DE SA MAJESTE A LUXEMBOURG. [1]Je vous l’ay promis, Madame 238 . Il faut vous ſ atisfaire ſ ur le grand Article du Voyage[2] de Sa Maje ſ té à Luxembourg & comme vous m’avez ordonné de n’en oublier aucune des circon ſ tances, elles feront le ſ ujet d’une Lettre entiere. Un pareil Journal doit e ſ tre agreable aux Curieux. Tout le monde ſ çait que le Roy ne peut faire un pas hors le lieu de ſ a ré ſ idence ordinaire, que toute l’Europe ne ſ oit au ſſ i-to ſ t en mouvement 239 . Le bruit de ce Voyage n’eut pas plûto ſ t commencé à ſ e répandre[3] qu’elle fit paroi ſ tre de grandes alarmes. Mais que pouvoit-elle avoir à craindre ? Elle devoit e ſ tre per ſ uadée, que le Monarque qui luy a donné la Paix, n’avoit aucun de ſſ ein de la rompre. C’e ſ t ſ on ouvrage, & loin de ſ onger à le détruire, Sa Maje ſ té ſ era toûjours pre ſ te à faire repentir ceux qui travailleront à troubler le calme qu’il a étably. Un pareil de ſſ ein ne ſ çauroit e ſ tre [4] conceu que par des Ambitieux opiniâtres, & trop con ſ tamment jaloux de la grandeur de ce Prince ; mais c’e ſ t à eux ſ euls à craindre, dans le temps qu’ils veulent rendre ſ u ſ pectes toutes ſ es démarches, & jetter dans les e ſ prits des frayeurs ſ editieu ſ es, afin d’exciter dans la plus grande partie des Etats voi ſ ins le de ſ ordre & la confu ſ ion, ſ ans quoy ils demeurent dans une fâcheu ſ e ob ſ curité, qui leur e ſ t beaucoup [5]moins ſ upportable que la douleur que les Victoires du Roy ont dû leur cau ſ er, pour ne pas dire, leurs continuelles défaites. Comme il y a peu de Regnes qui ne plai ſ ent, à quelques chagrins que l’on pui ſſ e e ſ tre expo ſ é en regnant, ils voudroient toûjours joüir de la tri ſ te ſ atisfaction qu’ils ont de commander aux dépens de la tranquillité de l’Europe ; mais le Roy qui en e ſ t le Bienfai ſ teur, & le Pere, voulant [6]lui con ſ erver le repos qu’il luy a ſ i genereu ſ ement procuré, & dont il la fait joüir, malgré les continuels ob ſ tacles qu’on oppo ſ e inutilement à ſ a bonté, renver ſ e tous leurs de ſſ eins par ſ a prudente conduite & par 238 On sait que le Mercure galant se présente, très largement, en correspondance fictive. C’est le cas, en particulier, de l’Ordinaire, alors que l’Extraordinaire, du moins aux débuts, se composait de lettres réelles, celles-ci disparaissant à partir d’octobre 1678. L’Ordinaire de Juin 1687, s’adresse donc à la destinataire fictive, désignée comme Madame. Il convient cependant de noter que cette destinataire fictive s’inspire de cette autre, réelle, à qui Loret, adresse sa Muze historique ou recueil de lettres écrites à S.A., Mademoiselle de Longueville, Marie d’Orléans, princesse de Longueville, duchesse de Nemours (1625-1707) (voir M. Vincent, Donneau de Visé et le Mercure Galant, op. cit., p. 220-221 et p. 8-9). 239 Pour les alarmes causées par le voyage luxembourgeois développées tout au long de ces pages, voir Introduction, p. 27 et s. : « Les circonstances du Voyage de 1687 ». <?page no="84"?> 84 Journal ſ a per ſ everance. Les défiances que l’on a voulu donner de ſ on Voyage, dont on pretendoit que de ſ ecrets de ſſ eins e ſ toient les motifs, ont e ſ té une occa ſ ion au Roy de confondre les Ennemis de ſ a[7] gloire, Il n’a pû ſ offrir [sic] qu’on cru ſ t qu’il dégui ſ a ſ t ſ es intentions, & pour empe ſ cher que leur ſ incerité ne fu ſ t ſ oupçonnée, il a bien voulu donner un éclairci ſſ ement, qui en fai ſ ant voir la bonté qu’il a de ne point chercher à troubler l’Europe qu’il a pris ſ oin de pacifier, a ſ ervy encore, par des a ſſ urances publiques, & dont aucun Prince ne pouvoit douter, à di ſſ iper les frayeurs que les mal intentionnez avoient[8] jettées dans les cœurs timides, afin de parvenir à leur but. Non ſ eulement ils n’y ſ ont point parvenus, mais tout ce qu’ils ont pû dire, n’a fait que faire mieux voir combien le pouvoir du Roy e ſ t redoutable, pui ſ qu’ils ont été obligez de faire connoi ſ tre eux-mêmes par toutes les choses qu’ils ont avancées, qu’il ſ uffit que ce Monarque fa ſſ e une entrepri ſ e pour y réü ſſ ir, & que s’il veut vaincre, il n’a qu’à combattre. On a ſ ujet de les[9] croire. Ils n’ont pas eu de ſſ ein de flater, & ſ ur ce qui ſ e publie de cette nature, les Ennemis ſ ont plus croyables que d’autres, puis que leur ſ incerité ne peut e ſ tre ſ oupçonnée. Mais comme vous pourriez douter de la mienne lors que je vous parle ain ſ i, & croire que je me ſ uis formé exprés des mon ſ tres pour les combattre, en fai ſ ant pa ſſ er mes conjectures pour des veritez, à l’égard de tout ce que je viens de vous dire de[10] l’inquietude que l’on a voulu donner à la plus grande partie de l’Europe, pour luy faire prendre de l’ombrage des de ſſ eins du Roy, voicy une piece ju ſ tificative. Sa Maje ſ té, à qui rien n’e ſ t inconnu, tant à cau ſ e de ſ a vive penetration, que des ſ oins qu’elle prend ſ ans ce ſſ e pour bien s’acquiter de ce que ſ on rang demande, ſ çachant ce qui ſ e di ſ oit du de ſſ ein qu’Elle avoit pris de faire un Voyage à Luxembourg, vou[11]lut faire voir la mauvai ſ e intention de ceux qui en répandant des bruits contraires au repos public, pretendoient venir à bout de leurs entrepri ſ es. Dans cette pen ſ ée, Elle ordonna à M r le Marquis de Croi ſſ y Colbert, Mini ſ tre & Secretaire d’E ſ tat, ayant le département des affaires étrangeres 240 , 240 Charles Colbert, marquis de Croissy (1625-1696), est le frère puîné de Colbert qui prit soin de sa carrière et le fit parvenir aux plus éminents emplois. Conseiller, en 1655, au Parlement de Metz, il obtient bientôt la commission d’intendant en Alsace, où il fait ses premiers pas dans l’administration, secondé, entre autres, par sa maîtrise de l’allemand. La guerre de Dévolution lui permet de manifester ses talents diplomatiques, car le roi le nomme plénipotentiaire au Congrès d’Aix-la-Chapelle qui règle ce conflit franco-espagnol et donne la Flandre à la France. En 1678, on le retrouve dans la délégation française qui négocie à Nimègue la paix avec la Hollande, une année plus tard, en 1679, le roi lui confie la mission de régler, avec l’Électeur de Bavière, le mariage de la future Dauphine, Marie-Anne-Christine-Victoire de Wittelsbach, sœur de Maximilien-Émmanuel. La même année le voit accéder au secrétariat d’État aux affaires étrangères qu’il occupera jusquà sa mort, en 1696. <?page no="85"?> 85 Journal d’écrire une Lettre à M r le Cardinal Ranuzzi 241 , Nonce de Sa Sainteté 242 en France. Voicy à peu prés le ſ ujet de cette Lettre 243 . M r de Croi ſ [12] ſ y marquoit à ce Cardinal, que le Roy luy avoit commandé d’informer ſ on Eminence de la Il y gère avec efficacité cette politique des « réunions » voulue par le roi à la suite de la paix de Nimègue et reposant sur une interprétation très extensive, et partant contestable, du traité : c’est sur base de cette politique que la France revendiquait Luxembourg. En récompense de ses efforts, Croissy se voit admettre au Conseil d’enhaut et devenir ministre d’État. Premier vrai ministre français des affaires étrangères, il passe pour avoir été un brillant technicien-promoteur, d’ailleurs, de l’archivage des papiers d’État initié par Louvois et continué par son fils, Jean-Baptiste Colbert, marquis de Torcy (voir Saint-Simon, op. cit., t. III, p. 931) - mais sans trop de visions politiques. Le portrait que laisse de lui Saint-Simon (op. cit., t. I, p. 303), souligne ces deux aspects du personnage en ajoutant un trait de caractère propre à la famille, peu plaisant, mais aidant, à l’occasion, à expédier les affaires : « C’était un homme d’un esprit sage, mais médiocre, qu’il réparait par beaucoup d’application et de sens, et qu’il gâtait par l’humeur et la brutalité naturelle de sa famille. » Pour plus de détails, voir, entre autres, le Dictionnaire du Grand Siècle, op. cit., p. 434-436. 241 Angelo Maria Ranuzzi (1626-1689) est né à Bologne, dans une famille d’ancienne noblesse. Il occupe d’abord des postes dans l’administration des États pontificaux avant d’accéder, en 1668, par sa nomination au siège de Damiette, à l’épiscopat. En 1678, il est évêque de Fano. Toutefois, c’est dans la carrière diplomatique qu’il doit se signaler et dans laquelle il fait ses premiers pas, dès 1668, avec sa nomination à la nonciature de Savoie, suivie, en 1671, par celle de Pologne et, en 1683, celle de France, la plus éclatante de toutes. Si ses débuts en France ne manquent pas d’impressionner par leur pompe - le 22 août, il fait son entrée solennelle à Fontainebleau pour présenter au roi les langes bénits que le Pape, selon la tradition, offre au petit duc de Bourgogne, fils du Grand Dauphin et petit-fils de Louis XIV, en tant qu’héritier d’une couronne catholique - sa nonciature est d’abord accueillie dans l’indifférence : le choix, par Innocent XI, d’un candidat que lui-même jugeait médiocre, laissait mal présager des moyens de celui-ci pour régler les litiges entre Rome et le roi. Encore ne s’attendait-on pas à ce que ceux-ci fissent tourner la fin de cette nonciature en catastrophe. Au mois de septembre 1688, le roi ordonna à Pidou de Saint- Olon, un de ses gentilshommes ordinaires, de rejoindre le nonce, de « demeurer auprès de lui et de lui rendre compte de sa conduite ». Cette véritable séquestration, que n’avait pas empêchée la pourpre cardinalice dont Ranuzzi pouvait s’enorgueillir depuis le 2 septembre 1686, s’explique par la campagne menée par Louis XIV contre le représentant du Pape, suite à l’affaire dite des franchises. Le droit d’asile - franchise - dont jouissaient les ambassades ayant été abusivement étendu par celles-ci à l’ensemble des quartiers environnants, le Pape s’avisa à le supprimer purement et simplement, ce que le roi ne put admettre. Pour régler le différend dans le sens qu’il entendait, il envoya à Rome le marquis de Lavardin qui, optant pour les moyens forts, investit le quartier français à la tête d’une troupe armée. Innocent XI, depuis, ne voulut plus jamais le recevoir en audience et même l’excommunia. La séquestration de Ranuzzi, à Paris, fut la réponse de Louis XIV qui alla plus loin encore en différant, après le retour de Lavardin en France, en 1689, le départ du cardinal, décision <?page no="86"?> 86 Journal 242 re ſ olution qu’il avoit pri ſ e d’aller dans le mois de May à Luxembourg, & qu’encore que Sa Maje ſ té n’eu ſ t pas accoûtumé de rendre raison de ſ es actions, comme Elle ne vouloit pas neanmois renouveller l’alarme qu’on avoit pri ſ e ſ ans fondement de que ce dernier avait toutes raisons de trouver préjudiciables au suprême degré. En effet, Innocent XI étant mort le 21 août, la présence de Ranuzzi au conclave aurait été d’autant plus impérative qu’il comptait parmi les candidats les plus en vue à la tiare. Relâché enfin, il se hâta de gagner l’Italie, mais le sort lui fut encore contraire : au passage des Alpes, il dut essuyer une attaque des Barbets, brigands et révoltés huguenots mêlés, qui lui causa un choc dont il ne se remit plus : le 27 septembre 1689, il mourut dans son évêché de Fano. Son gardien, Pidou de Saint-Olon, a dressé de lui un portrait nuancé, mais où les touches sombres de celui qui passait pour un ennemi de la France et un partisan de l’Empire, l’emportent : « on peut dire en peu de mots que Mons. Le cardinal Ranuzzi est dans le fonds homme de bien, qu’il a de la relligion, de l’expérience, de la politesse et du sçavoir-faire, qu’il est sage, accort, sobre, discret et affable, qu’il est doux et pacifique en apparence, mais prompt et colérique en effect. Que d’ailleurs il est réservé, mystérieux, meffiant, présomptueux, opiniastre, avare, ambitieux, artificieux et vindicatif, et qu’il est si caché en toutes choses, à l’exception de ce qui blesse particulièrement ses opinions ou ses intéretz, qu’on ne peut guierres veoir deux choses plus entièrement opposées l’une à l’autre que le sont en tout le reste son intérieur et son extérieur. Et pour exprimer encore en moins de mots le caractère de son génie, il n’y a qu’à dire qu’il est effectivement magnus in parvis, minimus in magnis » (cit. par Bruno Neveu, dans Correspondance du Nonce en France Angelo Ranuzzi (1683-1689), Rome, École Française de Rome/ Université Pontificale Grégorienne, 1973, t. I, p. 42. Pour tous les détails sur le personnage, voir ibid., p. 20-43). 242 Innocent XI, Benoît Odescalchi (1611-1689), Pape en 1676. Son pontificat est marqué par des tensions avec la France, à divers titres. On a vu (note précédente) le litige qui l’opposa à Louis XIV dans l’affaire des franchises. Celui qui avait pour objet la Régale fut autrement important. La tradition voulait que, pendant la vacance d’un siège épiscopal, le roi pût percevoir les revenus qui découlaient des bénéfices ecclésiastiques du ressort et nommer les candidats de son choix à ces mêmes bénéfices. Louis XIV consentant à renoncer à cette dernière prérogative - spirituelle - entendit, en revanche, maintenir la première, temporelle, et l’imposer dans l’ensemble des diocèses de France. Innocent XI manifesta une opposition au-delà de toute tentative de compromis, et il fallut attendre l’arrivée d’un nouveau Pape pour calmer les esprits. Les rapports n’étaient pas plus faciles au niveau doctrinal, où l’appréciation divergente du quiétisme sépara encore le roi et le Pape. Bien que ce dernier finît par condamner cette spiritualité mystique, inspirée du théologien espagnol Miguel de Molinos, et qui visait une perfection purement intérieure, accessible seulement au prix d’une passivité complète faisant abstraction de toute initiative spirituelle ou temporelle, il avait longtemps protégé Molinos contre les attaques, en particulier des Jésuites. Louis XIV, au contraire, avait mené contre les tenants de cette spiritualité du « repos/ quies » une lutte sans faille, concrétisée par l’action entreprise, sous l’impulsion, surtout, de Bossuet, contre la représentante française de cette mystique, Madame Guyon, et les déconvenues arrivées à Fénelon, qui la soutenait. <?page no="87"?> 87 Journal 243 l’ouverture qui a e ſ té faite du converti ſſ ement de la Tréve en un Traité de Paix 244 ; Elle luy avoit ordonné de l’a ſſ urer de ſ a part,[13] qu’Elle ne fai ſ oit ce Voyage que pour ſ atisfaire la curio ſ ité qu’Elle avoit de voir Elle-me ſ me en quel e ſ tat e ſ toit alors cette Place, d’où elle ſ eroit de retour, trois ſ emaines ou tout au plus tard un mois aprés qu’Elle ſ eroit partie de Ver ſ ailles ; qu’Elle ſ e promettoit que ſ on Eminence empe ſ cheroit par ses Lettres tant à Sa Sainteté que par tout ailleurs où elle l’e ſ timeroit à propos, que ce Voyage ne donna ſ t de l’inquietude aux Etats Voisins, & qu’aucun[14] Prince ne pust prendre le pretexte de la marche de Sa Maje ſ té, pour refu ſ er à l’Empereur 245 les ſ ecours au ſ quels ils ſ e ſ eroient engagez. Sa Maje ſ té n’ayant pas d’autre de ſſ ein que celuy dont Elle l’avoit chargé de l’in ſ truire. Cette Lettre qui fut écrite à Marly, e ſ toit dattée [sic] du quatriéme d’Avril. M r le Nonce qui s’applique avec tout le ſ oin imaginable à tout ce qui peut maintenir la paix, la reçut avec une extrême joye. Il en envoya des copies dans tous[15] les lieux, où il le crut nece ſſ aire pour remettre les e ſ prits, & n’en refu ſ a point aux Mini ſ tres Etrangers qui ſ ont à Paris, ny me ſ me à tous ceux qui prirent la liberté de luy en demander ; de ſ orte que ces Copies s’e ſ tant multipliées en fort peu de temps, cette Lettre devint au ſſ i-to ſ t commune. Chacun l’envoya à ſ es Amis, & elle courut incontinent, non ſ eulement dans les Provinces de France, mais encore dans les Pays Etrangers.[16] Comme le Roy n’a jamais manqué à ſ a parole, & que tout le monde en e ſ t fortement per ſ uadé, les e ſ prits qu’on avoit voulu inquieter en leur fai ſ ant entendre que le Voyage de Sa Maje ſ té couvroit des de ſſ eins, qui devoient troubler la tranqnilité [sic] de l’Europe, furent ra ſſ urez, & les ambitieux qui ne cherchoient qu’ä renouveller [sic] la guerre en propo ſ ant de faire une Ligue pour l’éviter, demeurerent dans une[17] extrême confu ſ ion par l’impo ſſ ibilité qu’il y avoit de venir à bout de leurs de ſſ eins. On ne parla plus que du Voyage, mais on en parla d’une autre maniere qu’on n’avoit fait ju ſ que-là, & ceux qui avoient veritablement apprehendé de voir le Roy à la te ſ te d’une Armée par les ſ oupçons qu’on avoit tâché de jetter dans leurs e ſ prits, ſ e propo ſ erent de le venir admirer lors qu’il ſ eroit ſ ur leurs frontieres, & ce fut pour eux[18] un fort grand ſ ujet de joye d’e ſ perer de voir de prés, & de con ſ iderer avec toute l’attention Par ailleurs, on notera cependant qu’Innocent XI, dont le style de vie, sobre et modeste, tranchait avec les habitudes de la Rome pontificale, passe pour un grand pape au niveau des œuvres missionnaires, des fondations universitaires, de la défense intrépide de la foi manifestée, entre autres, par son souci de limiter l’influence turque et d’empêcher l’invasion des terres chrétiennes. Mort en odeur de sainteté, il fut béatifié par Pie XII. 243 Voir ci-dessus p. 31. 244 Voir ci-dessus n. 53. 245 Léopold I er , empereur romain germanique de 1658 à 1705. Voir ci-dessus p. 32. <?page no="88"?> 88 Journal que demandoit leur curio ſ ité, un Prince qui remplit tout l’Univers du bruit de ſ on nom, & de ſ es vertus. Pendant que la Noble ſſ e des Pays voisins de Luxembourg goûtoit par avance le plai ſ ir qu’elle attendoit en voyant le Roy, & qu’elle en avoit l’idée remplie, comme on l’a ordinairement de toutes les cho ſ es que l’on ſ ouhaite avec[19] pa ſſ ion, ceux qui estoient du Voyage s’y preparoient ; d’autres en parloient & d’autres écrivoient ſ ur ce ſ ujet. Voicy une Devi ſ e de M r Magnin de l’Academie Royale d’Arles 246 , ſ ur ce Voyage. Le Soleil e ſ toit alors au ſ igne du Belier. Cette Devi ſ e a pour mot 246 Antoine Magnin, né à Bourg-en-Bresse en 1636, mort à Mâcon en 1708. Ce conseiller au présidial de Mâcon et subdélégué de l’intendant de Bourgogne, avait été reçu membre de l’Académie royale d’Arles en 1685, grâce à ses relations avec Vertron et le duc de Saint-Aignan. Le Dictionnaire de Grente cite de lui les œuvres suivantes : Discours à Messieurs de l’Académie royale d’Arles (Mercure galant, février 1685, p. 93-112) ; Ode sur le chancelier Le Tellier (Mercure galant, novembre 1685, p. 108-127) ; Le triomphe de Vénus (Mercure galant, avril 1685, p. 111-122) ; Cantique pour le Roy (Mercure galant, février 1686, 2 e partie, p. 161-172) ; Le parallèle de Louis le Grand, Le Havre, 1686 ; Pièces de poésie et d’éloquence, Mâcon, 1687 ; Églogue À Fontenelle (Mercure galant, mai 1689, p. 39-59) ; À Madame de Maintenon, Ode, Mâcon, 1690 ; Clovis à Louis le Grand (Mercure galant, janvier 1690, p. 9-30) ; Devises pour Madame de Maintenon, Mâcon, 1690. Cioranescu (XVII e siècle, t. II, p. 1320) ajoute un Éloge de M. Colbert, ministre d’État. Le Mercure de juin 1683, p. 4-16, cite aussi ses deux longues odes A la gloire immortelle de Louis le Grand ; d’autres livraisons présentent des poèmes épars sur le même sujet (voir M. Vincent, Le Mercure galant. Présentation de la première revue féminine, op. cit., p. 538-543). L’idée de la fondation de l’Académie d’Arles remonte au séjour que Louis XIV fit dans cette ville en 1660 et est due à François de Beauvillier, comte et futur duc de Saint-Aignan. Se liant d’amitié avec les intellectuels de l’endroit, ce gentilhomme de la chambre du roi demande au souverain des lettres patentes devant réunir en une seule académie les différentes sociétés savantes de la ville, dessein manifesté depuis le 20 avril 1666. Les lettres patentes qui furent établies au mois de septembre 1668 fixent le nombre des académiciens à vingt « à choisir parmi les gentilshommes et autres personnes de savoir et de vertu ». Ce nombre fut bientôt porté à trente, et l’exigence nobiliaire fut interprétée dans un sens large. Les lettres patentes autorisent le nom d’Académie royale d’Arles, repris par le Mercure, et assignent à la compagnie la tâche de « faire fleurir les sciences et les arts, et d’introduire la pureté de la langue françoise dans une Province maritime où le mélange des nations apporte ordinairement la corruption et le changement de langage ». L’Académie d’Arles a fait l’objet d’une mention importante dans le Mercure de janvier 1678 en rapport avec l’obélisque romain déterré dans la ville et réinstallé Place Royale (actuelle Place de la République) en l’honneur de Louis XIV. Un membre de l’Académie, Gilles Roubin, fut alors délégué pour aller présenter au roi l’estampe qu’on avait fait graver de l’obélisque, ce qu’il fit dans l’audience du 23 juillet 1677 (voir Mercure galant, janvier 1678, p. 37-53 ; p. 173-200). Pour les détails on consultera le vaste <?page no="89"?> 89 Journal CURSUM INCHOAT OMINE MITI. Il renouvelle ſ on cours Sous de fortunez pre ſ ages ; Loin d’icy, ſ ombres nuages, [20]Nous n’aurons que de beaux jours. Ces vers convenoient a ſſ ez à ce qu’on venoit de publier touchant les de ſſ eins cachez ſ ous le Voyage du Roy. Voici une autre Devi ſ e de M r Rault de Roüen 247 , ſ ur ce me ſ me Voyage da Sa Maje ſ té, allant vi ſ iter ſ es Conque ſ tes, & voir ſ es nouveaux Sujets. Cette Devi ſ e a pour corps le Soleil en ſ on midy ſ ans nuages, & ſ ans ombre [21]& jettant de benignes influences ſ ur les Regions par où il pa ſſ e. Ces mots en ſ ont l’ame. FELICI BEAT ASPECTU Tel que paroi ſ t le Dieu du jour Porté dans ſ on char de lumiere, Quand par chaque Climat il fait ſ on va ſ te tour Pour vi ſ iter la terre entiere, Et que par ſ es brillans rayons [22]Il produit en tous lieux les biens que nous voyons ; Tel l’Augu ſ te LOUIS vi ſ itant Ses Conque ſ tes, Quelque part qu’il porte les yeux, Sur ſ es Sujets nouveaux qui s’offrent en ces lieux, Répand ſ es faveurs toutes pre ſ tes, ouvrage consacré à l’Académie à la fin du XIX e siècle par l’abbé A.-J. Rance : L’Académie d’Arles au XVII e siècle d’après les documents originaux. Étude historique et critique, Paris, Librairie de la Société bibliographique, 1886-1890, 3 volumes. 247 Rault, François, de Rouen, est avant tout connu pour avoir procuré une traduction du De Humana physiognomia de Giambattista Della Porta (1586) [La physionomie humaine de Jean Baptiste Porta, […] divisée en quatre livres. Nouvellement traduite du latin en français, par le sieur Rault, Rouen, J. et D. Berthelin, 1655]. D’une manière générale, il était spécialisé dans la traduction d’œuvres médicales, tels, en 1673, le Discours fait en une célèbre assemblée par le chevalier Digby […] touchant la guérison des playes par la poudre de sympathie, de plus, une dissertation sur le mesme sujet par le D r Papin, […] nouvellement traduite par le S r Rault, Rouen, D. Berthelin, 1673, Les Éléments de chymie […] reveus, augmentez et illustrez de nouvelles lumières, Rouen, s.n., 1660, le commentaire, dans le Mercure galant de décembre 1682, p. 367 et s., du livre de médecine de M. de Saint-Martin. Par ailleurs, on relève des travaux touchant à l’hagiographie, comme Les Fleurs des vies des saints des fêtes de toute l’année […] recueillies par le R.P. Ribedeneira, […] auxquelles ont été ajoutées les vies de plusieurs saints de France par M. André Du Val, […] comme aussi les vies des saints de la compagnie de Jésus […] le tout à présent remis dans la pureté de notre langue française par le sieur Rault, Rouen, Paris, J. Villette, 1678. <?page no="90"?> 90 Journal Et quoy qu’il fa ſſ e voir la fierté du Dieu Mars, Ses yeux n’ont que de doux regards. [23]Le temps du Voyage s’avançoit, & l’on e ſ toit pre ſ que ſ ur le point de partir, lors que le Roy fut attaqué d’un grand Rhume 248 . Mais loin que cet accident fi ſ t prendre aucune ré ſ olution contraire à ce qui avoit e ſ té arre ſ té, Sa Maje ſ té ne retrancha pas me ſ me un quart d’heure des Con ſ eils qu’Elle avoit accoûtumé de tenir. M r de Louvois 249 partit quelques jours auparavant, pour un Voyage de prés de trois [24]cens lieuës 250 , & M r de Seignelay 251 partit de ſ on 248 Ce rhume n’est mentionné ni par Dangeau, ni par Sourches, ni dans le Journal de la santé du Roi, op. cit. 249 François Michel Le Tellier, marquis de Louvois (1641-1691). Quarante-six ans au moment du Voyage. Ce fils de Michel Le Tellier Louvois, secrétaire d’État à la Guerre, nommé dès la première année du règne, en 1643, obtient la survivance de la charge à la gestion de laquelle il est associé par son père. En 1668, il est surintendant des Postes qu’il réforme substantiellement (voir ci-dessous n. 255), en 1672, Louis XIV le nomme ministre d’État et l’admet au Conseil, où il se pose en adversaire de Colbert. En 1683, à la mort de ce dernier, il devient surintendant des Bâtiments, des Arts et des Manufactures. De l’action de Louvois, manifestée en de nombreux domaines, on retient, outre celle des Postes, surtout la réorganisation et la modernisation de l’armée avec l’amélioration de l’armement, la mise en place des casernes, le paiement régulier de la solde. L’institution des compagnies de cadets est un des éléments de la réforme militaire présent dans le Journal Du Voyage (voir ci-dessous n. 585). L’image de Louvois a été ternie par les responsabilités qu’on lui a attribuées dans le ravage du Palatinat et dans les dragonnades consécutives à la Révocation de l’Édit de Nantes. Le roi, écrit Saint-Simon, avait, à la nouvelle de la mort du ministre « je ne sais quoi de leste et de délivré » (op. cit., t. V, p. 495). On verra dans la suite des observations en rapport avec le Voyage du roi et le sien propre, qui le conduisit à travers l’Alsace vers Luxembourg, où il rejoignit le souverain. Pour plus de détails, voir A. Corvisier, Louvois, Paris, Fayard, 1983, 558 p.-[8] p. de pl. 250 Le voyage de Louvois sera décrit en détail dans la suite du Journal de Voyage. Voir [263-298]/ p. 261-286. La lieue de Paris équivalant à 3,898 km, le trajet de Louvois peut être estimé à 1169,4 km. Ce voyage est aussi annoncé par Dangeau qui renseigne en date du 1 er mai 1687 que « M. de Louvois est parti pour aller visiter les places d’Alsace, & joindra le roi à Luxembourg. » (Journal de Dangeau, s.l., éditions paleo, coll. Sources de l’Histoire de France, 2002, t. 2, p. 201). 251 Jean-Baptiste Colbert, marquis de Seignelay (1651-1690), fils de Colbert qui, à partir de 1676, l’associe à son action politique et prépare sa carrière. En 1683, à la mort de son père, il recueille la succession au secrétariat d’État à la marine, il devient ministre en 1689. Si son rôle dans l’affaire de la révocation de l’Édit de Nantes demeure ambigu - certains le voient partager avec Le Tellier la responsabilité de cet acte néfaste - ses mérites, au niveau de tout ce qui touche à la marine, sont certains. C’est son action, en particulier, qui a permis à Tourville de remporter, en 1690, dans le cadre de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, la victoire navale de Bézeviers <?page no="91"?> 91 Journal co ſ té pour aller voir les Fortifications de Dunkerque 252 . Comme il faut donner quelque ordre à cette Relation, je ne parleray de leur Voyage que quand je vous marqueray leur retour auprés du Roy. Je vous diray cependant qu’en s’éloignant de Sa Maje ſ té, ils avoient toûjours la me ſ me part aux affaires. Rien n’e ſ t aujourd’huy épargné en FRANCE pour le bien de l’Etat, [25]& le Roy, par le moyen des Courriers, peut conferer tous les jours avec ceux qui ſ ont eloignez de luy. M r de Croi ſſ y 253 fut le ſ eul Mini ſ tre qui devoit accompagner Sa Maje ſ té. Le Controleur General 254 , dont la pre ſ ence & les ſ oins ſ ont sur la flotte anglo-hollandaise. Démesuré dans le travail comme dans les plaisirs, Seignelay, qui était l’ami de Racine (Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 137), a fait l’objet d’appréciations diverses. Saint-Simon parle de son « étrange hauteur » (op. cit., t. I, p. 683) et voit en lui un « ministre audacieux qui savait nuire et servir mieux que personne » (op. cit., t. II, p. 295). Au t. V des Mémoires (op. cit., p. 656), il évoque ses mérites autour de la fortification des places maritimes auxquelles le Mercure fait allusion. 252 Depuis 1668, le traité d’Aix-la-Chapelle ayant donné la Flandre à la France, Louvois et Vauban s’appliquaient à la mise au point de la fortification de Dunkerque. L’année 1687, en particulier, vit plusieurs réalisations importantes, telle l’édification d’un cavalier général entre l’ouvrage à corne de Nieuport et la mer. Cette construction, masse élevée au milieu d’un bastion pour mieux découvrir le terrain en avant de la place, était une innovation capitale dans le réaménagement des fortifications de Dunkerque. Était prévu, également pour la fin de l’année 1687, l’achèvement des travaux concernant le bassin de l’écluse et les quais, adjugés dès 1684 (voir J. Peter, Vauban et Dunkerque. La fortification, le port et l’arsenal, Paris, Economica, 2000, p. 31-32 et 159-161). Les objets ne manquaient donc pas à l’inspection de Seignelay. 253 Voir n. 240. 254 La fonction importante de contrôleur général était alors aux mains de Claude Le Pel[l]etier de Morfontaine (1630-1711) qui l’occupait, à la suite de Colbert, de 1683-1689. L’office de contrôleur général, créé par Henri II en 1547, était d’abord modeste et se réduisait à une simple besogne de vérification et de surveillance. Mais en 1661, l’habileté de Colbert, qui s’en chargea à cette date, en fit la charge la plus importante du royaume. Le contrôleur général, alors, n’eut plus seulement dans ses attributions l’ensemble de l’administration financière, mais encore l’agriculture, l’industrie, les ponts et chaussées, le commerce, l’Intérieur. Du fait qu’il établit les dépenses et les recettes de l’État - le budget, somme toute -, il exerce un droit de contrôle sur tous les autres ministres du roi. Depuis la suppression de la surintendance des finances, qui intervient en 1661 avec l’arrestation de Fouquet, le contrôleur général est pratiquement le premier des ministres sans, bien sûr, porter ce titre prohibé par Louis XIV. Après de solides études au Collège des Grassins, Claude Le Peletier évolue dans l’intimité des Grands, de Gaston d’Orléans, du prince de Condé, ce qui le promet à toutes les carrières. D’abord conseiller, puis président de chambre au Parlement, il devient, en 1668, prévôt des marchands de Paris, et la ville lui doit tant son assainissement que certaines de ses plus belles constructions, dont le quai de la Seine. <?page no="92"?> 92 Journal toûjours nece ſſ aires icy, ne fait jamais aucun Voyage avec Elle. Mais comme je viens de vous le marquer, ceux qui ont affaire au Roy, parlent, pour ain ſ i dire, tous les jours à Sa Ma[26]je ſ té, quelque longue di ſ tance qui les en ſ epare, rien n’e ſ tant épargné pour cela, & les Po ſ tes du Royaume n’ayant jamais e ſ té en ſ i bon e ſ tat qu’elles ſ ont pre ſ entement 255 . Des rai ſ ons avantageu ſ es à la FRANCE empe ſ cherent Madame la Dauphine 256 de ſ e preparer à e ſ tre de En 1673, il se trouve promu conseiller d’État avant de succéder, dix années plus tard, à Colbert, en tant que Contrôleur général. Esprit honnête mais sans audace, sa gestion manqua d’éclat, et la situation financière délicate créée par les guerres du roi, le trouva sans trop de ressources. Aussi Louis XIV l’écarta-t-il du Contrôle au profit de Pontchartrain, tout en lui accordant, en 1691, à la mort de Louvois, la surintendance des postes. Il se retira définitivement des affaires en 1697 pour passer le reste de sa vie dans l’étude et la méditation. Sur le tard, il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont un Manuel de la Vieillesse (Comes Senectutis), un ouvrage de Droit (Comes juridicus), un Corpus du Droit canon, un ouvrage d’Agriculture (Comes rusticus), un ouvrage de théologie (Comes theologus). Voir Dictionnaire du Grand Siècle, op. cit., p. 859-860 ; M. Marion, Dictionnaire des Institutions de la France aux XVII e et XVIII e siècles, Paris, A. Picard, 1923, p. 143-144. 255 Si la poste commence à se structurer dès le XVI e siècle et le règne de Henri IV, c’est au XVII e , sous l’impulsion de Colbert, mais surtout de Louvois, qu’elle évolue vers un service de grande performance. Titré Surintendant général des Postes à partir de 1668, Louvois prend sous sa coupe les messageries particulières, urbaines, provinciales, universitaires, créant une véritable poste centralisée (confiée, pour la gestion, à un fermier général) et dont le maître d’œuvre, Lazare Patin (1675-1742), mit en place le dispositif de la circulation des lettres assurée, du bureau d’origine au bureau de destination, par des malles équipées deux fois par semaine en chevaux par les maîtres des postes. Un des points faibles du système était l’impossibilité d’atteindre tous les points du territoire par des routes montées en poste : il fallait alors, pour desservir certaines destinations, et vu l’absence fréquente de routes transversales, consentir ces « mille détours » dont parle Madame de Sévigné dans sa lettre du 18 août 1677 à Madame de Grignan (Correspondance, op. cit., t. II, p. 327), et les inévitables retards qui en découlent. Pour ce qui est de la correspondance de la famille royale, et partant du roi, elle jouissait de priorités diligentantes, comme l’explique E. Vaillé dans sa monumentale Histoire générale des Postes françaises, Paris, PUF, 1950, t. IV, p. 125-126. 256 Marie-Anne-Christine-Victoire de Bavière (1660-1690) depuis son mariage avec Louis de France - le Grand Dauphin, seul fils légitime de Louis XIV -, Madame la Dauphine. Elle était la fille de l’Électeur Ferdinand-Marie et d’Adélaïde de Savoie, sœur de Louis XIII. Dépourvue d’attraits, elle se signala par une dévotion peu commune à la cour, alors brillante, de Versailles. Si on admira sa vertu, sa santé frileuse, exigeant des égards en permanence, ainsi que son extrême attachement aux questions de préséance, lui valurent des impatiences. Quant à son empêchement de participer au voyage de Luxembourg, le Mercure semble l’expliquer par une nouvelle grossesse, puisqu’il avance des « raisons avantageuses à la France ». En <?page no="93"?> 93 Journal ce Voyage. Monsieur 257 , qui relevoit de maladie 258 , re ſ olut de prendre l’air à fait, elle avait donné naissance, le 31 août de l’année précédente, à son troisième fils, le duc de Berry (1686-1714), mais obligée, comme l’écrit Madame Palatine, de « passer sa vie entre l’ennui et la grossesse » (Lettre du 11 août 1686, dans Lettres de la Princesse Palatine, op. cit., p. 72), elle fit une fausse couche dès le début de l’année 1687, suivie d’une autre au mois de mai (voir É. Collas, La belle-fille de Louis XIV, Paris, Émile-Paul Frères, s.d., p. 174). Dans sa lettre du 5 avril 1687 à Bussy-Rabutin, Madame de Sévigné signale bien l’absence, parmi la suite royale, de la Dauphine (« Madame la Dauphine ne partira point de Versailles », Correspondance, op. cit., t. III, p. 287), mais sans aucune indication de motif. En revanche, le marquis de Sourches confirme : « La dernière nouvelle avant le départ du Roi fut que Mme la Dauphine était grosse, mais elle n’étoit pas assez bien confirmée pour qu’on pût la regarder comme une chose certaine. » (Op. cit., p. 45). 257 Philippe de France (1640-1701), duc d’Anjou à sa naissance, duc d’Orléans depuis l’accès au trône de Louis XIV, son frère aîné. Bien que brave - il avait gagné en 1677 avec l’aide, il est vrai, du maréchal de Luxembourg (voir ci-dessous [35]/ p. 403 et n. 284), contre Guillaume d’Orange, la bataille de Cassel - il se signalait par des travers de caractère qui l’empêchaient d’avoir de grands desseins politiques. Monsieur, en effet, avait des goûts étranges qui se manifestaient dans son extérieur : « C’était un petit homme ventru monté sur des échasses tant ses souliers étaient hauts, toujours paré comme une femme, plein de bagues, de bracelets, de pierreries partout, avec une longue perruque toute étalée en devant, noire et poudrée, des rubans partout où il en pouvait mettre, plein de toutes sortes de parfums, […]. On l’accusait de mettre imperceptiblement du rouge. » (Saint-Simon, op. cit., t. II, p. 16). Il n’est pas étonnant qu’avec de telles dispositions, les deux mariages de Monsieur, et bien qu’ayant donné lieu à progéniture, aient été des échecs : sa première épouse - la première Madame - Henriette d’Angleterre, n’apprécia pas « le goût opposé » (Saint- Simon, op. cit., t. II, p. 22-23) de son mari, ni, en conséquence, son attachement à certains « beaux », tel le chevalier de Lorraine, (voir ci-dessous [94]/ p. 142 et n. 373) dont l’exil, voulu par le roi, plongea Monsieur dans un désespoir mal reçu (ibid., p. 23). On connaît d’ailleurs la triste fin de Henriette (1670), victime d’un mal étrange dans lequel certains voyaient l’effet d’un poison administré par Lorraine, alors que Philippe lui-même échappait à peine aux soupçons (ibid. p. 24-25). Le second mariage, imposé par le roi, et qui unissait son frère à Élisabeth-Charlotte de Bavière, Madame Palatine - la seconde Madame - (1671), et en dépit de la naissance de Philippe, le futur Régent, n’est pas plus heureux, tant les tempéraments des deux époux étaient incompatibles. Souvent en difficulté avec son frère dont il désapprouvait les déportements, Louis XIV conçut cependant pour lui une grande tendresse qui se manifesta au moment de sa mort, par apoplexie, le 9 juin 1701, à Saint-Cloud (Saint-Simon, op. cit., t. II, p. 7-10). 258 Dans sa lettre écrite de Saint-Cloud, le 13 mai 1687, à sa sœur cadette, la duchesse de Hanovre, la Princesse Palatine, l’épouse de Monsieur (voir n. 260), fait allusion à cette maladie sans toutefois en préciser la nature, se contentant d’en prendre prétexte pour souligner la mésentente avec son mari (voir note précédente) : « Vous êtes bien dans l’erreur si vous vous figurez que mes alarmes et la peine que j’ai prise <?page no="94"?> 94 Journal Saint Cloud 259 pendant l’ab ſ ence du Roy, & Madame 260 voulut tenir compagnie [27] à ce Prince, malgré le plai ſ ir qu’elle prend aux Voyages 261 & à la, durant la maladie de Monsieur ont pu l’attendrir. Il n’en est nullement ainsi, car à peine était-il remis que j’ai ressenti sa haine… » (Lettres de la Princesse Palatine, op. cit., p. 75). 259 En 1658, le frère de Louis XIV, alors âgé de dix-huit ans, avait acquis de château et le domaine de Saint-Cloud pour la somme de 240 000 livres. Désormais on identifiera Saint-Cloud avec Monsieur qui y apportera des modifications importantes confiées principalement, pour les bâtiments, à Antoine Le Pautre et, plus tard, à Jules Hardouin-Mansart, pour la décoration intérieure, à Mignard, pour les jardins, à Le Nôtre. C’est encore lui qui commandera à Le Pautre la célèbre Grande Cascade, toujours visible. Du temps de Monsieur, Saint-Cloud fut le théâtre de plusieurs événements importants, dont la mort de la première épouse de Philippe, Henriette d’Angleterre, survenue le 29 juin 1670, et qui donna lieu à la plus célèbre des oraisons funèbres de Bossuet (« Madame se meurt, Madame est morte »), enfin la mort du prince, le 9 juin 1701. Pour plus de détails, voir F. Austin-Montenay, Saint-Cloud, une vie de château, Genève, Vögele, 2005, p. 20-70. 260 Élisabeth-Charlotte de Bavière, duchesse d’Orléans, seconde épouse de Monsieur, dite Madame Palatine (1652-1722). Née fille de Charles Louis, comte palatin du Rhin, la politique lui imposa le mariage avec le frère de Louis XIV que ses dispositions particulières (voir ci-dessus n. 257) empêchaient d’être un époux passionné ; du moins traitait-il Madame « honnêtement » : il « vivait, écrit Saint-Simon, honnêtement avec elle sans se soucier de sa personne, avec qui il n’était presque point en particulier ». (Op. cit., t. II, p. 14). Aussi bien est-il vrai que le caractère de Madame ne rendait pas toujours sa fréquentation aisée. Très attachée à son rang, elle avait ce tic nobiliaire propre, alors, aux princes allemands, et qui la rendait « inexorable sur les préséances » (ibid., t. V, p. 264). À cela s’ajoutait une façon d’être rude voire grossière qui détonnait avec les mœurs raffinées de la cour de France : « Madame tenait en tout beaucoup plus de l’homme que de la femme » (ibid., t. VIII, p. 553), elle était « grossière, dangereuse à faire des sorties publiques » (ibid., t. V, p. 264). Aux élégances du palais, elle préférait l’univers de la chasse et des animaux : « elle aimait les chiens et les chevaux, passionnément la chasse » (ibid., t. V, p. 265). Par ailleurs, cependant, elle se signalait par des qualités de franchise et de bonté, rares dans le monde sophistiqué de Versailles : « Elle était forte, courageuse […], franche, droite, bonne et bienfaisante, noble et grande en toutes ses manières » (ibid., t. VIII, p. 553), et elle vouait à son fils Philippe, le futur Régent, une tendre affection (ibid., t. V, p. 265). De cette cour, dans laquelle elle n’a jamais pu jouer un rôle majeur en dépit de l’admiration qu’elle avait pour le roi, elle a laissé des souvenirs précieux, consignés dans tant de lettres qui forment cette correspondance, garante de sa place dans l’histoire littéraire. 261 Mais peut-être aussi la présence, auprès du royal voyageur, de Madame de Maintenon, ennemie irréductible de Madame, et qui avait réussi à l’écarter de l’entourage direct du roi, explique-t-il cette absence autant que le souci de la santé de Monsieur. <?page no="95"?> 95 Journal Cha ſſ e 262 cette Prince ſſ e e ſ tant infatigable dans des exercices qui la ſſ ent quelquefois les hommes les plus robu ſ tes. Le Roy ne voulant pas fatiguer ſ a Cour pour un Voyage qui ne devoit pa ſſ er que pour une promenade, re ſ olut d’aller à petites journées, & de mener Mon ſ ieur le Duc du Maine 263 , & Mon ſ ieur le Comte de Toulouse 264 . On ne [28] 262 Voir n. 260 : évocation de ces goûts par Saint-Simon. Les lettres de Madame apportent confirmation, ainsi celle écrite de Saint-Cloud le 10 octobre 1673 à sa tante Sophie, duchesse de Hanovre : « J’espère, la semaine prochaine, suivre à cheval la chasse du roi ; il m’a fait écrire par Monsieur qu’il prétendait* que j’allasse chasser avec lui deux fois par semaine. Cela sera tout à fait dans mes goûts,… » (Lettres de la Princesse Palatine, op. cit., p. 32). Dans celle du 14 décembre à la même destinataire, elle raconte encore une chevauchée, mais qui aurait pu lui être fatale ; en fait, la chute qu’elle effectua n’eut de suites autres que de lui prouver la sollicitude qu’avait pour elle le roi, « pâle comme la mort » (op. cit., p. 36). Sans doute insista-t-elle sur l’épisode pour se prouver à elle-même, et aux autres, qu’elle n’était pas indifférente à ce prince. * en italiques dans le texte 263 Louis Auguste de Bourbon, duc du Maine (1670-1736). Ce second fils de Louis XIV et de Madame de Montespan est élevé, dans la semi-clandestinité, par la veuve Scarron, la future Madame de Maintenon. Après sa légitimation, en 1673, il est installé à Saint-Germain, où il peut vivre en contact étroit avec son père qui se prend d’affection pour cet enfant physiquement fragile - il est affligé d’un pied-bot - mais intelligent. Aussi veille-t-il à sa carrière : le duc du Maine fut gouverneur du Languedoc (Saint-Simon, op. cit., t. IV, p. 807), colonel général des Carabiniers (ibid. t. I, p. 106), grand maître de l’artillerie (ibid. t. II, p. 347). Par un édit de juillet 1714, le roi viola dans l’intérêt du duc du Maine et de son frère, le comte de Toulouse (voir note suivante), les lois fondamentales du royaume et les déclara aptes à la succession de la Couronne (ibid., V, p. 210) ; c’était les reconnaître princes du sang, privilèges qui leur furent retirés après la mort de leur père. De même, le roi avait confié à Maine l’éducation du futur Louis XV, (ibid., V, p. 631), autre honneur qu’il perdit sous la Régence. Le duc du Maine avait épousé, en 1692, Anne-Louise de Bourbon, la petite-fille du grand Condé. Parti brillant, mais dont le duc n’eut pas toujours à se féliciter, vu l’humeur difficile de sa femme ; Saint-Simon, partial, il est vrai, le présente en « pauvre mari pleurant journellement comme un veau des reproches sanglants et des injures étranges qu’il avait sans cesse à essuyer de ses emportements contre lui » (op. cit., t. VII, p. 288). C’était encore la duchesse, outrée, comme son mari, des humiliations subies après la mort du roi, qui l’entraîna dans la conspiration de Cellamare, ce diplomate espagnol qui intriguait contre le Régent pour mettre sur le trône de France Philippe V, roi d’Espagne, anciennement duc d’Anjou. L’échec du complot valut au duc Du Maine une incarcération de deux ans à Doullens (Saint- Simon, op. cit., VII, p. 332-334 et p. 362-363). Élargi en 1720, il passa le reste de ses jours en exercices de dévotion. 264 Louis Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse (1678-1737). Cet autre fils de Louis XIV et de Madame de Montespan fut, de même que son frère, le duc du Maine, légitimé (Saint-Simon, op. cit., t. IV, p. 807) et, comme lui, habilité à suc- <?page no="96"?> 96 Journal peut trop to ſ t leur faire voir des Fortifications ; des Troupes, & des Revuës, & l’on peut dire que leur en faire voir de cette maniere, c’e ſ t commencer à leur apprendre en les diverti ſſ ant, tout ce qu’ils doivent ſ çavoir, ce qui e ſ t cau ſ e ſ ouvent qu’ils y prennent plus de plai ſ ir, & qu’ils s’y attachent davantage dans la ſ uite. Ces jeunes Princes e ſ tant du Voyage, il fut arre ſ té que les Dames en seroient au ſſ i ; celles [29] qui furent nommées ſ ont Madame la Duche ſſ e 265 , 266 céder à la Couronne (ibid., p. 801). Dès l’âge le plus tendre, il accéda aux honneurs suprêmes : en 1683, alors qu’il n’avait que cinq ans, on l’éleva à la dignité d’amiral de France (ibid., p. 807). Le caractère du titulaire empêchait la fonction de n’être que protocolaire ; il était, écrit Saint-Simon, « fort appliqué […] à savoir sa marine de guerre et de commerce, et l’entendant très bien » (op. cit., t. II, p. 940). Aussi bien est-ce sur la mer qu’il accomplit l’acte majeur de sa vie. Le 24 août 1704, il livre contre l’amiral anglais Rooke le combat naval de Malaga, où, grâce à sa « valeur tranquille », sa « vivacité à tout voir », son « jugement à commander à propos » (ibid., p. 497), il met tous les avantages de son côté si bien qu’il eût poussé l’adversaire dans ses derniers retranchements, n’eût été l’hésitation timorée du duc d’O, mentor que son père lui avait imposé et « contre l’avis duquel le Roi avait très précisément défendu au Comte de faire aucune chose » (ibid., p. 498). Peu s’en fallut que ce jour Gibraltar ne fût devenu français ! Et d’une manière générale, Saint-Simon - bien que le traitant, à l’occasion, d’ « esprit court » (op. cit., II, 939) - n’a cesse de célébrer un « homme adoré et adorable pour son équité, sa vertu, son amour de l’État, son éloignement des folles vues de son frère » (op. cit., t. VII, p. 141-142), allusion, sans doute, au rôle de celui-ci dans la conspiration de Cellamare (voir note précédente) dans laquelle Toulouse s’était bien gardé de se compromettre. Sur le tard, il se maria à la marquise d’Antin de Gondrin, de la maison de Noailles. 265 Louise Françoise de Bourbon, dite d’abord M lle de Nantes, puis, après son mariage avec Louis III, duc de Bourbon-Condé, Madame la Duchesse. Fille de Louis XIV et de Madame de Montespan (1673-1743). Comme enfant naturel, elle avait mené une première existence cachée à Paris, sous la direction de sa gouvernante, Madame Scarron, la future Madame de Maintenon (Saint-Simon, op. cit., t. V, p. 543). Bien faite de corps et d’esprit - « Elle était charmante, et son esprit autant que sa figure » (ibid., t. I, p. 388) - elle s’attirait les sympathies par une « humeur égale et gaie » (ibid., t. II, p. 934), favorable, sans doute à sa belle santé - « la santé toujours parfaite la rendait toujours la reine des plaisirs » (ibid.) -. C’était pourtant sa maladie qui retardait le voyage du roi (voir ci-dessous n. 289 et 290). 266 Marie Anne de Bourbon, d’abord M lle de Blois puis, après son mariage avec Louis Armand I er de Bourbon, princesse de Conti, fille de Louis XIV et de M lle de La Vallière (1666-1739). Légitimée par le roi, malgré l’opposition de sa mère retirée aux Carmélites sous le nom de Louise de la Miséricorde, qui ne voulut point qu’une telle reconnaissance perpétuât le souvenir de sa faiblesse (Saint-Simon, op. cit., t. III, p. 941), elle épouse, en 1680, Louis Armand de Bourbon, prince de Conti (Saint- Simon, op. cit., t. I, p. 1173 n. 3 ad p. 32). Sa « propreté » - Saint-Simon, op. cit., t. II, p. 694, la dit « la plus propre personne du monde, et la plus recherchée dans sa propreté » - semble avoir été, pour le mémorialiste, sa seule vertu, car, par ailleurs, il la <?page no="97"?> 97 Journal Madame la Prince ſſ e de Conty 266 , Madame la Prince ſſ e d’Harcour 267 , Madit maussade, sans esprit, « peu considérable » (ibid, t. III, p. 70). S’ajoute à cela son goût de l’intrigue et des voies torves pour arriver à ses fins. Souhaitant confirmer son influence sur le Grand Dauphin, elle n’hésita pas, d’après Saint-Simon, de s’approcher « excessivement parfumée » de la Dauphine, qui venait d’accoucher du duc de Berry, et d’augmenter ainsi ces indispositions qui la conduisaient à une mort prématurée. Madame de Sévigné, en revanche, dessine de la princesse de Conti un portrait bien plus sympathique : si elle ne lui épargne pas le reproche de naïveté - « elle est enfant au delà de ce qu’on peut imaginer » (Lettre du 12 avril 1680 à Madame de Grignan, dans Correspondance, op. cit., t. II, p. 901), elle insiste pourtant sur sa grande capacité d’amour et parle de son mariage avec Conti sur le ton d’un lyrisme accompli (Lettre à la même du 20 décembre 1679, ibid., p. 775). Et elle profite du contexte pour vanter une beauté exceptionnelle - « Cette bonne petite princesse est si tendre et si jolie que l’on voudrait la manger » (ibid.) - qu’elle ne perd pas une occasion de célébrer en toutes circonstances (voir encore lettres 12 janvier et du 19 janvier à Madame de Grignan, op. cit., p. 665 et p. 675). 267 Marie Françoise de Brancas d’Oise, princesse d’Harcourt par son mariage, en 1667, avec Alphonse Henri Charles de Lorraine, comte et prince d’Harcourt (1648-1719). De ce personnage, Saint-Simon a dessiné un de ses plus cruels portraits, tout d’une facture, sans nuances dans la noirceur : « Cette princesse d’Harcourt […] avait été fort belle et galante ; quoiqu’elle ne fût pas vieille, les grâces et la beauté s’étaient tournées en gratte-cul. C’était alors une grande et grosse créature […] couleur de soupe au lait, avec de grosses et vilaines lippes et des cheveux de filasse toujours sortants et traînants comme tout son habillement sale, malpropre ; toujours intriguant, prétendant, entreprenant ; toujours querellant et toujours basse comme de l’herbe, ou sur l’arc-en-ciel, selon ceux à qui elle avait affaire. C’était une furie blonde, et de plus une harpie : elle en avait l’effronterie, la méchanceté, la fourbe, et la violence ; elle en avait l’avarice et l’avidité ; … » (op. cit., t. II, p. 271). Et il ajoute d’autres « charmes » : tricheuse au jeu (ibid., p. 272), payant et traitant mal ses domestiques (p. 272-273), mais surtout coupable de cette dévotion qui associe les comportements les plus indécents à une pratique religieuse de tous les instants : « C’est qu’elle était grande dévote de profession et comptait ainsi de mettre sa conscience en sûreté […]. Elle allait à toutes les dévotions et communiait incessamment, fort ordinairement après avoir joué jusqu’à quatre heures du matin. » (p. 272). Madame de Sévigné, cette fois, rectifie à peine le tir. Selon l’épistolière, la dévotion de la princesse, en effet, est toute de surface. « La princesse d’Harcourt, écrit-elle le 19 janvier 1674 à Madame de Grignan, danse au bal, et même toutes les petites danses. Vous pouvez penser combien on trouve qu’elle a jeté le froc aux orties, et qu’elle a fait la dévote pour être dame du palais. » (Correspondance, op. cit., t. I, p. 674). Ailleurs (lettre du 12 janvier 1674 à la même, ibid., p. 668), faisant allusion au choix de la princesse de renoncer à se farder de rouge, elle la décrit « pâle comme le commandeur de la comédie », allusion, probablement, au Dom Juan de Molière ou de Thomas Corneille ; le trait, peut-être, ne manque pas d’ironie. D’autres, cependant, semblent impressionnés plus favorablement, ainsi Madame de Villars, qui croit la princesse « véritablement touchée » (lettre du 25 août 1673 à <?page no="98"?> 98 Journal dame la Duche ſſ e de Chevreu ſ e 268 , Madame de Maintenon 269 , & Madame de Croi ſſ y 270 , avec les Dames, & Filles d’honneur des Prince ſſ es. Elles devoient toutes aller, ou dans le Caro ſſ e du Corps du Roy, ou dans d’autres Caro ſſ es 269 Madame de Sévigné, ibid., p. 591). De même, Madame de Coulanges semble croire authentiquement mortifiant le sacrifice du rouge (lettre du 26 septembre 1672 à Madame de Sévigné, ibid., p. 570). 268 Jeanne Marie Colbert, duchesse de Chevreuse, la fille aînée de Colbert (1650-1731). Elle épouse en 1674 Charles Honoré d’Albert, duc de Chevreuse à qui elle apporte une fortune immense (Saint-Simon, op. cit., t. IV, p. 553). Le mémorialiste la dit « brune, grande et très bien faite » (ibid.), avantages physiques assortis à un caractère admirable ; si on la trouve « sans beaucoup d’esprit », on lui reconnaît « une franchise et une droiture singulière, et une vertu admirable qui ne se démentit en aucun temps » (ibid., p. 554). De même que son époux, elle était liée à Fénelon et à Madame Guyon dans le contexte de l’affaire du quiétisme. Le roi, hostile à cette dévotion mystique, aurait pu lui retirer sa faveur, mais sa foi, pure, au-delà de tout soupçon, l’impressionna, de même que Madame de Maintenon, et l’empêcha d’agir contre elle. Saint-Simon écrivit pour elle ce beau panégyrique : [il n’y eut] « Jamais femme si justement adorée des siens, ni si respectée du monde jusqu’à la fin de sa vie. […] Elle mourut dans l’été de 1732, dans la vénération publique […] parmi les larmes les plus amères de tous les siens. » (Op. cit., t. IV, p. 560). 269 La vie de Madame de Maintenon est connue par une si abondante bibliographie qu’il est inutile d’entrer dans les détails ; on ne retiendra que quelques lignes émergentes. Françoise d’Aubigné (1635-1719), petite-fille d’Agrippa d’Aubigné, avait épousé en 1652 le poète burlesque Scarron ; veuve dès 1660, elle fréquente la société du maréchal d’Albret, cousin de Madame de Montespan dont elle fait alors la connaissance et qui lui confie le soin des enfants issus de sa relation avec le roi : dès 1673, la cour lui est ouverte. Ses rapports personnels avec Louis peuvent être datés de 1674 ; c’est d’alors aussi que date ce titre de Madame de Maintenon que son royal protecteur lui accorde, s’inspirant du château du même nom - dans l’actuel Département d’Eure-et-Loir - qu’elle avait acquis au mois de décembre de cette même année. Sa position à Versailles se confirme suite à l’éloignement de Madame de Montespan, victime de l’Affaire des Poisons, en 1680 ; on fixe généralement au mois d’octobre 1683 son mariage secret avec le roi. Si certains, dont Saint-Simon, l’ont impliquée dans la Révocation de l’Édit de Nantes (voir, plus particulièrement, op. cit., t. V, p. 553), des recherches récentes tendent à la disculper de ce chef d’accusation. En revanche, son engagement dans l’affaire du quiétisme où, après des sympathies initiales, elle finit par s’éloigner de Fénelon et de Madame Guyon, son animosité, aussi, contre les jansénistes, sont des traits majeurs de sa biographie, à côté de ses ambitions pédagogiques, concrétisées dans la fondation de la maison d’éducation pour jeunes filles de la noblesse appauvrie à Saint-Cyr qui l’a fait passer comme première institutrice de France. Elle s’y retire après la disparition de Louis XIV pour y mourir et y être inhumée en 1719. Saint-Simon qui la voit en « femme de beaucoup d’esprit » (ibid., p. 548) est, certes, plus indulgent que tels autres contemporains, et notamment la Princesse Palatine sans mesure dans ses sorties <?page no="99"?> 99 Journal 270 271 de Sa Maje ſ té, & avoir l’avantage de manger avec ce Prince. C’e ſ t [30] un honneur qu’elles ont eu pendant tout le Voyage. Il fut au ſſ i arre ſ té que le Regiment des Gardes 271 ne marcheroit point, & que ſ uivant ce qui s’e ſ t ſ ouvent pratiqué, le Roy ſ eroit gardé par l’Infanterie qui ſ e trouveroit dans les Places, où Sa Maje ſ té pa ſſ eroit, & que dans les lieux où il n’y auroit point d’Infanterie en garni ſ on, les Mou ſ quetaires 272 mettroient pied à terre, & feroient garde autour du logis du Roy. [31]Comme les Gendarmes 273 contre « le faux et méchant diable [qu’est] la vieille ordure » (lettre du 10 octobre 1693, dans Lettres, op. cit., p. 108), mais il ne lui reproche pas moins un avilissement du cœur et des sentiments, conséquences de « l’abjection et [de] la détresse où elle avait si longtemps vécu » (Mémoires, op. cit., p. 549). Le défaut principal de celle qui, selon le mémorialiste, se croyait « abbesse universelle » et « Mère de l’Église » (ibid., p. 550), était cet indéracinable goût de la direction qui la poussait à se mêler de tout, surtout en matière de religion, avec, comme conséquence « de déplorables méprises en décisions, en événements d’affaires et en choix » (ibid.). 270 Françoise Béraud, marquise de Croissy (1642-1719). Cette fille de Joachim Béraud, ancien médecin devenu grand audiencier de la chancellerie, est l’épouse de Charles François Colbert, marquis de Croissy, frère de Colbert (voir n. 240) et mère de Jean-Baptiste Colbert, marquis de Torcy, un des diplomates les plus célèbres de la monarchie. Personnage brillant, mais de caractère peu accommodant, elle fut aux prises, pour une question de jeu, avec la femme de l’ambassadeur de Suède, Olivencrantz, nuisant ainsi considérablement à l’action diplomatique de la France (Saint-Simon, op. cit., t. VII, p. 494-495). 271 Les deux principaux corps d’infanterie de la Maison du Roi étaient le régiment des Gardes françaises et celui des Gardes suisses. En temps de paix, ces unités étaient casernées dans les faubourgs de Paris, avec quatre compagnies détachées à Versailles pour le service au château (voir Général Susane, Histoire de l’Infanterie française, Paris, J. Dumaine, 1876, t. 2, p. 2-3). Les Gardes françaises, commandées souvent par un maréchal de France - en 1687, c’était le duc de La Feuillade (voir Susane, Histoire de l’Infanterie, op. cit., t. 2, p. 3 et p. 5) - servaient à la fois à l’intérieur - à titre d’exemple, le 26 août 1648, elles arrêtent le président Broussel, mesure de police qui déclenche la Fronde - et à l’extérieur : on trouvera, dans Susane, le détail de leur très long palmarès ; il suffit de retenir ici qu’elles participent aussi au siège de Luxembourg, en 1684 (ibid., p. 72). Il arrive aussi aux Gardes françaises d’accompagner le roi dans ses voyages, ainsi dans celui d’Alsace et de Lorraine, en 1672 (ibid., p. 65), honneur auquel, justement, elles n’accèdent pas à l’occasion du déplacement à Luxembourg, en 1687. Pour les Gardes suisses, voir Susane, op. cit., t. 2, p. 123-164 et ci-dessous n. 499. 272 Mousquetaires : voir ci-dessous n. 392. 273 Les Gendarmes de la Garde, qui font partie de la Maison du Roi, au titre de garde en dehors du Louvre, tirent leur origine d’une unité formée par Henri IV, le 14 décembre 1602, à l’occasion de la naissance du Dauphin, futur Louis XIII, le 27 septembre 1601, pour assurer la protection de ce prince. Parvenu à la couronne, celui-ci intègre, le 29 avril 1611, les gendarmes à la garde royale et leur donne le pas sur les chevau-légers, troupe cependant de création plus ancienne (voir note <?page no="100"?> 100 Journal & les Chevaux-Legers 274 ne ſ ervent que par quartier, de me ſ me que les Officiers de Sa Mai ſ on 275 , du nombre de ſ quels ils ſ ont, & que ces Corps ne marchent suivante). Pour être admis aux gendarmes de la garde, il fallait être de famille honorable, faire preuve d’un comportement irréprochable, disposer d’une fortune suffisante pour vivre honnêtement, sans le secours d’une solde réduite à la portion congrue. Les gendarmes de la garde sont casernés dans l’hôtel de la compagnie, à Versailles. Licenciés le 30 septembre 1787, ils sont brièvement rétablis à la première Restauration. Les gendarmes sont aux ordres d’un capitaine-lieutenant, charge détenue, en 1687, au moment du Voyage luxembourgeois, par François de Rohan, prince de Soubise (voir Général Susane, Histoire de la Cavalerie française, Paris, J. Hetzel, 1874, t. I, p. 222-225). 274 La compagnie des Chevau-Légers [le Mercure donne « Chevaux » au pluriel, graphie courante au XVII e siècle] fait partie, elle aussi, de la « garde du dehors du Louvre ». Créée dès la fin du XV e siècle, la compagnie des chevau-légers, en tant qu’unité de la garde royale, semble avoir ses origines dans un corps de cavalerie légère établi en 1570 en Navarre, et qui, plus tard, accompagne partout Henri IV. Sous Louis XIII, les chevau-légers ont quelque peine à se défendre d’une assimilation avec les gendarmes, mais finissent par maintenir leur autonomie et à se faire traiter sur un pied d’égalité avec les gendarmes, en principe de rang supérieur. Le corps est supprimé en 1787, rétabli, sous diverses formes, par l’Empereur, reconstitué comme garde royale à la première Restauration, et dissous en 1816. En 1687, au moment du Voyage luxembourgeois, les Chevau-Légers sont aux ordres du duc de Chevreuse (voir surtout Susane, Histoire de la Cavalerie française, op. cit., t. I, p. 225-228 et L’État de la France […], Paris, Thomas Guillain, 1687*, t. I, p. 389). * Dans la suite, l’occasion se présentera très souvent de recourir aux données de ce célèbre répertoire que le Mercure galant du mois de juin 1687, Première Partie, p. 263-264, présente de la façon suivante : « […] pour sçavoir en quoy consiste la Maison du Roy, il faut avoir l’Estat de la France en deux Volumes, fait par les soins de M r Besogne, Clerc de la Chapelle de Sa Majesté, qui donne au Public tous les deux ans ces deux Volumes, augmentez de nouvelles particularitez, avec les noms des Officiers qui ont achepté des Charges pendant les deux dernieres années, soit par la mort de ceux qui les possedoient, ou par la vente qu’en ont faite ceux à qui le Roy a permis de s’en défaire. On ne connoist pas seulement par ce Livre, le nombre des Officiers de Sa Majesté, mais encore leurs fonctions particulieres, ce qui est tres-curieux. Vos voisins de la Campagne qui auront besoin de ce Livre, le trouveront chez le sieur de Luynes, Libraire au Palais, à l’Enseigne de la Justice. » L’édition consultée n’est pas commercialisée par Luynes, mais, comme il a été dit ci-dessus, par Thomas Guillain « sur le Quay des Augustins à la descente du Pont-Neuf, à l’Image de Saint Loüis ». 275 La Maison militaire du Roi se compose de la garde du dedans du Louvre et de la garde du dehors du Louvre. La première, qui assume le service dans les appartements royaux, se compose des Cent-Suisses (voir ci-dessous n. 499), des gardes de la porte ordinaires, des gardes de la prévôté de l’Hôtel, encore appelés hocquetons ordinaires de Sa Majesté, la seconde, fournissant le service extérieur, des gendarmes, des chevau-légers, des mousquetaires, des grenadiers à cheval, des gardes françaises <?page no="101"?> 101 Journal entiers qu’en temps de Guerre, & lors que Sa Maje ſ té fait quelque Camp, Elle ne voulut e ſ tre accompagnée dans ce Voyage, que de ceux de ces Corps qui e ſ toient alors en quartier. A l’égard des Gardes du Corps, le Roy re ſ olut de mener ſ eu [32] lement le Guet 276 . Comme vous pourriez ne pas ſ çavoir ce que c’e ſ t que ce Guet, il ſ era bon de vous l’expliquer. Les Gardes du Corps ſ ont toûjours dans le ſ ervice, ſ ans e ſ tre neanmoins toûjours auprés du Roy. Ils ne ſ ervent point par quartier comme les Gendarmes & les Chevaux-Legers [sic] ; mais comme ils ſ ont en fort grand nombre, on les fait loger en plu ſ ieurs Villes, ce qui pourtant ne s’appelle pas e ſ tre en gar [33] ni ſ on, puis qu’ils y ſ ont moins pour garder ces Places, que pour y attendre qu’ils ſ ervent auprés du Roy, ce qu’ils font alternativement. On dit en parlant de ceux qui ne ſ ont pas auprés de Sa Maje ſ té, qu’ils ſ ont dans leurs quartiers, & l’on appelle relever le Guet, lors qu’il ſ ort un nombre de Gardes de ces quartiers, pour venir prendre la place de ceux qui ſ ont auprés du Roy, & que ces derniers retour [34] nent dans les quartiers où ils e ſ toient auparavant. Il y a prés de dixſ ept cens Gardes du Corps, qui ſ ont divisez en quatre Compagnies 277 , & ces Compagnies en ſ ix Brigades chacune, qui ſ ont commandées par ſ ix Officiers ; ſ çavoir trois Lieutenants 278 & trois En ſ eignes 279 . Chaque Compagnie e ſ t reconnuë par les Bandoulieres des Gardes, qui ſ ont de couleurs differentes. On et des gardes suisses (Susane, Histoire de la Cavalerie française, op. cit., t. I, p. 208- 209). 276 En fait, l’auteur du Mercure prend le mot de Guet dans une acception large qui l’identifie aux Gardes du Corps. D’une façon plus particulière, cependant, on désignait par le terme de « Guet » ceux des Gardes qui étaient de service la nuit, comme le montrent plusieurs définitions contemporaines. Ainsi le Dictionnaire de l’Académie présente, en 1694, l’entrée suivante : « On appelle Le guet, chez le Roy, Ceux d’entre les Gardes du Corps qui demeurent prés de sa personne pour le garder pendant la nuict. » Et L’État de la France, op. cit., t. I, p. 323, s’exprime pareillement : « …le Guet (c’est-à-dire, les Officiers et les Gardes qui doivent coucher et faire sentinelle la nuit au Corps de Garde de la Porte). 277 Il s’agit ici des quatre compagnies des gardes du Corps, Écossais et Français, qui forment avec les Cent-Suisses, les Gardes de la Porte et la compagnie des Gardes de la Prévôté de l’Hôtel, les « Gardes du dedans du Louvre » (voir ci-dessus n. 275). L’État de la France de 1687, qui donne cette subdivision, fournit, outre les noms et les biographies des quatre Capitaines, Noailles, Duras, Luxembourg et Lorges, les noms des douze Lieutenants et des douze Enseignes (op. cit., t. I, p. 306-308), puis ceux des Exempts, des Brigadiers et des Sous-Brigadiers de chacune des six Brigades que comporte chaque Compagnie (ibid., p. 309-316). 278 « Lieutenant, Officier qui est immédiatement sous un autre Officier en chef, & qui tient lieu en son absence ». (Dictionnaire de l’Académie, 1694). 279 « Enseigne, charge de celuy qui porte l’enseigne [le drapeau] ». (Dictionnaire de l’Académie, 1694). <?page no="102"?> 102 Journal reconnoi ſ t les Gardes de la premiere Compagnie au[35]trement, la Colonelle, commandée par M r le Duc de Noailles 280 , aux Bandoulieres 281 blanches, & aux Hou ſſ es 282 rouges ; les Gardes de la Compagnie de M r le Maréchal Duc de Duras 283 , aux Bandoulieres & aux Hou ſſ es bleuës ; les Gardes de la Compagnie 280 Anne Jules, duc de Noailles, le deuxième duc de Noailles (1650-1708). Promis à une brillante carrière, Anne Jules de Noailles, se signale dans toutes les guerres de Louis XIV, mais particulièrement en Hollande et en Espagne ; bigadier des gardes du corps en 1665, maréchal de France en 1693, il est nommé vice-roi de Catalogne une année plus tard. En tant que gouverneur du Roussillon (1698), il se signale par l’atrocité des dragonnades dont il accabla les huguenots. Aussi le portrait que laisse de lui Saint-Simon est-il tout entier en touches sombres. « Homme d’une grosseur prodigieuse » (op. cit., t. III, 282), la disgrâce physique qui le frappe à la fin de sa vie semble le reflet d’un caractère peu élevé : « point d’homme si bas pour tous les gens en place, point d’homme si haut dès qu’il le pouvait, et avec cela fort brutal » (ibid.). Il avait pour le roi, « Idole à qui il offrait tout son encens » (ibid.), une admiration qui tenait du culte ; aussi Louis XIV goûtait-il cette « extrême servitude » (ibid.) qu’il cherchait en vain chez son épouse, Marie-Françoise de Bournonville, dont il appréciait peu, de même que Madame de Maintenon, la répartie prompte et hardie (ibid., p. 283). 281 Bandouliere, Large bande de cuir, servant à l’infanterie pour y attacher plusieurs charges de poudre ; & à la Cavalerie pour porter un mousqueton. (Dictionnaire de l’Académie, 1694). Les couleurs des bandoulières sont confirmées par L’État de la France de 1687, op. cit., t. I, p. 317. 282 Housse, Couverture de cheval qu’on met sous la selle, & qui couvre une partie de la crouppe. (Dictionnaire de l’Académie, 1694). 283 Jacques-Henri de Durfort, maréchal-duc de Duras (1626-1704). Ce fils de la sœur de Turenne commence sa carrière en Italie au régiment de cavalerie de son oncle, se rallie plus tard, lors de la Fronde, à Condé et combat les armées du Roi. Réintégré, il accède au grade de lieutenant général et participe, entre autres, à la guerre de Hollande. En 1674, il est nommé gouverneur de la Franche-Comté qu’il a aidé à conquérir. Fait maréchal de France en 1675, il commande encore sur le Rhin et en Allemagne, mais finit par se retirer du service en première ligne. Saint-Simon a laissé du maréchal de Duras une de ses rares évocations favorables, associant les avantages physiques - visage majestueux, taille parfaite (op. cit., t. II, p. 524) - à ceux de l’esprit : galant, libre, poli « avec considération, choix et dignité…; beaucoup de hauteur sans aucune bassesse » (ibid.). Cette élévation d’esprit se remarqua jusque dans ses rapports avec le Roi à qui il fut un des rares à oser parler librement (ibid., p. 525). Aussi condamna-t-il, sans autres détours, l’incendie du Palatinat, cette honteuse expédition voulue par Louvois et qui tacha durablement la gloire du Grand Siècle. Pour épouser M lle de Ventadour, Duras, élevé dans la religion réformée, s’était converti au catholicisme auquel l’avaient initié des religieux proches de Port-Royal (ibid.) ; on a expliqué sa liberté d’esprit par ces antécédents. <?page no="103"?> 103 Journal de M r le Duc de Luxembourg 284 , aux Bandoulieres & aux Hou ſſ es vertes, & les Gardes de la Compagnie de M r le Maréchal de Lorges 285 , aux Bandoulieres et 284 François Henri de Montmorency-Bouteville, duc de Piney-Luxembourg (1628- 1695). Ce grand capitaine, d’abord connu sous le nom de comte de Boutteville, a fait ses premières armes en 1643 à Rocroi, sous les ordres du futur Grand Condé qu’il suit dans la Fronde et dans sa retraite espagnole. Au traité des Pyrénées, il rentre en France et y épouse, en 1661, Madeleine de Clermont, héritière du duché de Piney-Luxembourg ; depuis lors il prend le titre de duc de Luxembourg. À partir de 1668, il sert sous Turenne, participe à la conquête de la Franche-Comté, commande l’armée de Hollande et bat le prince d’Orange, en 1674, à Seneffe ; l’année d’après il est fait maréchal de France et commandant en chef de l’armée de Flandre. Son palmarès de victoires, est impressionnant : Valenciennes, Cassel, puis, dans la guerre de la Ligue d’Augsbourg, Leuze (1691), Steinkerque (1692), Neerwinden (1693), où le nombre de drapeaux, pris à l’ennemi, lui vaut le surnom de « tapissier de Notre-Dame ». Saint-Simon donne ce puissant raccourci de son génie militaire : « Rien de plus juste que le coup d’œil de M. de Luxembourg, rien de plus brillant, de plus avisé, de plus prévoyant que lui devant les ennemis ou un jour de bataille, avec une audace, une flatterie, et en même temps un sang-froid qui lui laissait tout voir et tout prévoir au milieu du plus grand feu […] ; et c’était là où il était grand. » (Op. cit., t. I, p. 207). La dernière phrase laisse deviner qu’il ne l’était pas partout. En effet, ce chef irréprochable avait des faiblesses dans son privé : hors du champ de bataille, il cédait à un irrémédiable penchant de paresse (ibid., p. 207-208) et à un goût prononcé pour le déduit que les années n’étaient pas arrivées à calmer : « la bruyante jeunesse le regardait comme son père et le protecteur de leur débauche et de leur conduite, dont la sienne, à son âge ne s’éloignait pas » (ibid., p. 132), et ceci nonobstant son physique peu attachant. Du reste, ses fréquentations, peu choisies, l’avaient impliqué dans l’affaire des Poisons et lui avaient valu un séjour à la Bastille (ibid., p. 131). 285 Guy de Durfort, duc de Lorges (1630-1702). Ce frère du maréchal de Duras (voir ci-dessus n. 283) sert sous Turenne et fait les campagnes de Flandre et d’Allemagne. C’est lui qui, en 1673, à la mort de Turenne, atteint par un boulet ennemi à Niedersasbach, organisa, à partir d’Altenheim, la retraite de l’armée et évita ainsi la débâcle. Élevé en 1676 à la dignité de maréchal de France, il participe, en 1684, au siège de Luxembourg ; dans la suite, on le retrouve encore à la tête de plusieurs armées, dont celle de la dernière campagne d’Allemagne, où il termine sa carrière. Dès 1676, le roi lui avait accordé une des quatre places de capitaine des gardes du corps, honneur qui comptait alors parmi les plus convoités. Le duc de Lorges a exercé de multiples fonctions politiques : gouvernement de fait de Guyenne pendant la minorité du comte de Toulouse, gouvernement de la Lorraine, ambassade de Londres. Saint-Simon, qui avait épousé sa fille, Marie Gabrielle de Lorges, fait de son beau-père le plus attachant portrait. L’ample « éloge » qu’il lui consacre dans sa relation de l’année 1702 (op. cit., t. II, p. 258-268), fait apparaître un caractère achevé à tous les égards : sincère dans sa conversion - réformé, comme son frère Duras, il passe au catholicisme sous la houlette de Bossuet, et « regarda, tout le reste de sa vie, sa conversion comme son plus précieux bonheur » (p. 260) -, simple dans <?page no="104"?> 104 Journal aux[36] Hou ſſ es jaunes. Cette derniere Compagnie portoit orangé dans son in ſ titution, mais depuis, elle a changé l’orangé en jaune. La Colonelle 286 seule a des Hou ſſ es d’une couleur differente de celle des Bandoulieres, & cela vient de ce que le blanc n’e ſ t pas une couleur à e ſ tre employée en Hou ſſ es. Il e ſ t à remarquer que le Guet des Gardes du Corps qui ſ ert auprés de Sa Maje ſ té, à pied, & à cheval, e ſ t toûjours de deux cens [37]Gardes, dont une partie e ſ t de Salle, & l’autre ſ e repose tour à tour. Ce Guet n’e ſ t jamais d’une ſ eule Compagnie, mais de plusieurs ensemble ainsi que les Officiers qui les commandent ; de ſ orte que le Capitaine des Gardes qui e ſ t de quartier, n’a jamais ſ ous luy aucun Officier de ſ a Compagnie quand il e ſ t de ſ ervice auprés du Roy, à moins qu’il[38] n’y ait quelque forte rai ſ on pour le faire ſ ervir plus longtemps, comme dans l’occa ſ ion de quelque Voyage tel que celuy que l’on vient de faire. Ce n’e ſ t pas que dans un Voyage plus long le Guet ne changea ſ t de la me ſ me ſ orte qu’à Versailles, parce qu’alors on feroit ſ uivre tous les Gardes. Rien ne marque tant la grandeur du Roy que ce changement de deux cens Gardes tous les mois. J’ay crû vous devoir apprendre tou[39]tes ces choses ; & que ce ne ſ eroit pas ſ ortir de la matiere que je me ſ uis propo ſ ée dans cette Lettre, parce qu’autrement vous n’auriez pas bien compris ce que c’e ſ t que le Guet, dont j’ay e ſ té obligé de vous parler, pour vous faire une Relation du Voyage du Roy au ſſ i exacte que celle que j’ay entrepris de vous envoyer. Toutes cho ſ es e ſ tant ain ſ i arre ſ tées, per ſ onne ne douta du Voyage, parce qu’on tient[40] toûjours pour certain tout ce que le Roy re ſ out, & le jour de ſ on départ aprochant, ceux qui ne devoient pas l’accompagner redoublerent leurs empre ſſ emens auprés de ce Prince. Jamais on ne vit de Cour ſ i gro ſſ e. Les Mini ſ tres Etrangers allerenr [sic] prendre congé de Sa Maje ſ té, ain ſ i que les Chefs des Compagnies ſ uperieures 287 , & plusieurs autres per ſ onnes sa façon d’être (p. 268), il allie à ses qualités d’âme, le plus beau talent militaire : « J’ai ouï dire merveilles, à ceux qui l’ont vu dans les actions, du flegme sans lenteur de ses dispositions, de la justesse de son coup d’œil, et de sa diligence à se porter et à remédier à tout, et à profiter de ce qui aurait échappé à d’autres généraux » (p. 267). D’où la conclusion de son beau-fils, au moment de sa mort, intervenue à la suite d’une opération de la pierre pratiquée par une espèce de rebouteux, dit frère Jacques, selon une méthode nouvelle, non approuvée par la Faculté : « Le spectacle [du deuil] de cette maison fut terrible. Jamais homme si tendrement ni si universellement regretté, ni si véritablement regrettable. » (p. 258). 286 La Colonelle était « la première compagnie d’un régiment, celle qui portait le drapeau » (M. Marion, Dictionnaire des Institutions, op. cit., p. 111). 287 « Il [le mot Compagnie] signifie […] un Corps, une Assemblée de personnes establies pour de certains emplois, & principalement un Corps de Magistrats. [Ex.] Les compagnies supérieures ». (Dictionnaire de l’Académie française de 1694). L’Encyclopédie de Diderot, au tome III de l’édition de 1753, p. 739, col. 2, est plus explicite : « Compagnies souveraines ou Cours Supérieures, sont celles qui sous le nom et l’autorité <?page no="105"?> 105 Journal di ſ tinguées dans la Robe par leurs emplois, & leur merite. Plu[41] ſ ieurs Etrangers ſ e rendirent au ſſ i à Ver ſ ailles pendant les derniers jours que le Roy y devoit demeurer, & quantité de Peuple de Paris y courut pour avoir le plai ſ ir de joüir ſ eulement quelques momens de la veüe de ce Monarque, lors qu’il iroit à la Me ſſ e, ou à la promenade, ou pendant qu’il di ſ neroit. Sa Maje ſ té devant partir un Samedy 288 pour aller coucher à Clayes, où la Cour e ſ toit obligée d’entendre la Me ſſ e le lendemain, [42] parce qu’il e ſ toit Dimanche. Elle eut la precaution de recommander quelques jours avant qu’Elle parti ſ t qu’il s’y rencontrast beaucoup de Pre ſ tres pour en celebrer un a ſſ ez grand nombre, & fit paroi ſ tre ſ a pieté par cet ordre. Le Voyage avoit e ſ té arre ſ té d’abord pour le deuxieme de May, mais la rougeole qui ſ urvint à Madame la Duche ſſ e 289 , fut cau ſ e que le Roy le remit au dixieme du[43] me ſ me mois 290 . Ce jour e ſ tant arrivé, Sa Maje ſ té, aprés avoir entendu la Me ſſ e dans le Cha ſ teau de Ver ſ ailles, en partit avec toutes les per ſ onnes de di ſ tinction, & les Troupes que je viens de vous nommer. Le nombre de celles qui devoient faire le Voyage e ſ toit grand ; cependant, cela ne fai ſ oit qu’une tres-petite partie des Troupes de ſ a Mai ſ on, pui ſ que le Regiment des Gardes ne marchoit pas 291 , & qu’il n’y avoit qu’un quart des [44] Gendarmes, & des Chevaux Legers, avec la neuf ou dixieme partie des Gardes du Corps environ. Il y avoit outre cela, tous les Officiers de ſ a Mai ſ on en quartier dont je ne vous diray rien, tout ce qui regarde cette Mai ſ on n’e ſ tant inconnu à per ſ onne. du Roi, jugent souverainement et sans appel dans tous les cas, de manière qu’elles ne reconnoissent point de juges supérieurs auxquels elles ressortissent, tels sont les parlemens, le grand-conseil, les chambres des comptes, cours des aides, cours des monnoies, les conseils supérieurs, &c. ». 288 Le roi, parti de Versailles le samedi 10 mai, dîne à Bondy et prend ses quartiers de nuit à Clayes, à quelque trente-cinq kilomètres de Paris. Dangeau qui confirme lieu et date, ne dit rien des dispositions cultuelles prises par Louis XIV pour la célébration du lendemain, dimanche, 11 mai que Sourches ne mentionne pas non plus (voir op. cit., t. 2, p. 205). 289 Malgré la santé que lui atteste Saint-Simon (voir ci-dessus n. 265). En fait, s’il n’a pas été possible de trouver un témoignage de cette affection de rougeole, on sait bien que l’année précédente, en 1686, elle avait été atteinte de la petite vérole (Saint-Simon, op. cit., t. III, p. 378). 290 Sourches donne la même raison pour la remise du voyage au « 10 mai » (op. cit., p. 41), mais son éditeur du XIX e siècle, le comte de Cosnac, l’explique par la maladie du roi d’Espagne dont le roi voulut attendre l’issue, vu les conséquences relatives à l’héritage du trône espagnol. On a vu que d’autres - Courtilz de Sandras, en l’occurrence - ont allégué le même motif pour la prolongation du séjour à Luxembourg, et donc le retard apporté au voyage de retour (voir ci-dessus n. 58). 291 Pour la question des effectifs réduits, voir ci-dessus p. 28 et s. et [30-31]/ p. 99. <?page no="106"?> 106 Journal Place des Victoires - Almanach pour l’année MDCLXXXVII © BNF <?page no="107"?> 107 Journal Comme le Roy devoit pa ſſ er à Paris 292 , le Peuple impatient de le voir occupa dés le matin tous les lieux de ſ on pa ſſ age, aimant mieux l’attendre pendant plu ſ ieurs heu[45]res, que de manquer à luy ſ ouhaiter par ſ es acclamations une longue vie, & un heureux Voyage. Les Religieux ſ ortirent au ſſ i de leurs Convents, & la plu ſ part des Fene ſ tres furent remplies de per ſ onnes di ſ tinguées. Le Roy qui s’e ſ t toûjours moins attiré les cœurs par la grandeur de ſ on rang que par ſ es manieres toutes engageantes, salüa pre ſ que toutes les Dames qu’il vit aux fene ſ tres. Sa Maje ſ té pa ſſ a par la Place[46] des Victoires, où M r le Duc de la Feüillade 293 292 Contrairement au Mercure et à Dangeau, le marquis de Sourches relève le caractère exceptionnel de l’étape parisienne. En date du 10 mai, ses Mémoires signalent que « le Roi, partant de Versailles pour aller à Luxembourg passa au travers de Paris, contre son ordinaire… », l’éditeur du XIX e siècle, le comte de Cosnac, ajoute en bas de page : « Le Roi affectoit ordinairement de prendre le détour d’une lieue pour ne pas passer dans Paris ; mais, cette fois-là, il voulut bien donner à cette ville la satisfaction de la lui voir traverser d’un bout à l’autre. » (Op. cit., t. II, p. 45 et n. 7 ; voir ci-dessous n. 1040). Le mémorialiste, tout en signalant le détour habituel, modeste, certes, d’une lieue, c’est-à-dire de quelque quatre kilomètres, reste muet sur ce choix tout de même insolite. Peut-être ne voulut-il pas s’étendre indécemment sur les sentiments peu tendres du roi pour sa capitale, et dont Saint-Simon s’est fait un plaisir de donner le détail. Il aligne plus particulièrement l’aversion de Louis pour les cabales de Paris, surtout en souvenir des troubles de la Fronde qui avaient marqué son enfance ; le fait que la ville a vu ses larmes à l’occasion de la première retraite de Madame de La Vallière ; le souci, ensuite, d’occulter ses maîtresses et d’éviter « de grands scandales au milieu d’une capitale si peuplée » ; le dégoût que lui cause la foule ; son attachement aux promenades et à la chasse, peu praticables dans Paris ; son idée, enfin, « de se rendre plus vénérable en se dérobant aux yeux de la multitude, et à l’habitude d’en être vu tous les jours ». (Op. cit., t. V, p. 521-522). Courtilz de Sandras développe le même thème, mais beaucoup plus discrètement. Commentant la visite royale à Paris du mois de février 1687, celle de la première inspection de la Place des Victoires, il écrit après avoir constaté l’accueil chaleureux des Parisiens : « L’on croit que cela le [le roi] pourra le faire revenir dans cette grande ville, parce qu’il n’a jamais aimée [sic], parce qu’il étoit persuadé qu’elle ne l’aimoit pas. » (Mercure historique, op. cit., février 1687, p. 355-356). Voltaire semble aller dans le même sens en reprochant au roi d’avoir investi dans ses autres projets architecturaux des fonds qui auraient pu servir à faire de Paris « la plus magnifique ville de l’univers » (voir Siècle de Louis XIV, chap. XXVII de l’éd. de 1753, Paris, Livre de poche, coll. « Bibliothèque classique », 2005, p. 696-697). Le Mercure, confit en dévotion royale, s’interdit, bien sûr, la moindre allusion à cet état d’esprit de Louis. Pour les relations du roi avec Paris, on consultera utilement l’ouvrage d’Arthur-Michel de Boislisle sur La Place des Victoires et la Place Vendôme, […], Extrait des Mémoires de la Société de l’Histoire de Paris et de l’Île de France, t. XV, 1888, Paris, 1889, p. 1-2. On y trouvera la statistique des visites royales dans la capitale. 293 François III d’Aubusson, duc de La Feuillade (1631-1691) naît en 1625 dans une des familles les plus prestigieuses de l’aristocratie française. Un de ses ancêtres du <?page no="108"?> 108 Journal & M r le Prevo ſ t des Marchands 294 l’attendoient avec un grand nombre de per ſ onnes de la premiere qualité. Vous ſ çavez ſ ans doute qu’on n’a fait encore XV e siècle, Pierre d’Aubusson, avait été grand-maître de Rhodes et s’était signalé dans la lutte contre les Turcs, d’autres avaient occupé les positions les plus remarquées, le maréchalat, les ambassades, le cardinalat. L’éclat de cette lignée sera à l’origine d’une des caractéristiques les plus signalées du personnage : son indomptable orgueil - « Pourvu, aurait dit Louis XIV, que La Feuillade m’accorde d’être son cadet » - lui a valu une fâcheuse réputation de fat. On estime qu’il a servi de modèle à plusieurs personnages ridicules de Molière - ses avatars peupleraient Les Précieuses ridicules, L’Impromptu de Versailles, L’École des femmes, La critique de l’École des femmes (voir B.B. Cenerelli, Le courtisan et le roi. (François, duc de La Feuillade dans Place des Victoires. Étude collective, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2003, p. 37). Et la chronique scandaleuse veut que le duc se soit vengé en écrasant, dans une pièce du Louvre, la tête du poète contre les boutons métalliques de son habit jusqu’à faire jaillir le sang (Chroniques de l’Oeil de Bœuf par Madame la Comtesse douairière de B. [pseudonyme de G. Touchard-Lafosse, auteur né à la fin du XVIII e siècle], réédition de la première éd. de 1830, s.l., Stanké, vol. I, p. 142). En fait, à cet orgueil répondait, et ce n’est pas pour réhabiliter l’homme, une égale adulation du roi. Il y aura à parler plus loin de la Place des Victoires et de la statue de Louis XIV installée par les soins du duc en son centre. L’inscription VIRO IMMORTALI, placée aux pieds de la statue, cette « païenne dédicace » (Saint-Simon, op. cit., t. V, p. 486) a paru à d’aucuns, dont Saint-Simon, comme l’expression même d’une adulation indigne d’un honnête homme. Toutefois le portrait qu’esquissent les Mémoires est nuancé : flatteur, certes, La Feuillade, cependant, n’en sort pas entièrement noirci : « De l’esprit, une grande valeur, une plus grande audace, une pointe de folie gouvernée toutefois par l’ambition, et la probité et son contraire fort à la main, avec une flatterie et une bassesse insignes pour le roi. » (Cit. par B.B. Cenerelli, op. cit., p. 39). Du point de vue militaire, de même, les avis sont partagés. En 1655, blessé devant La Capelle, il subit une trépanation, en 1664, à la bataille de Saint-Gotthard, il met en fuite les Turcs, exploit cependant contesté par le comte de Coligny-Saligny, qui commandait en chef, et qui le traitait de « plus grand poltron de France » (voir Mémoires du Comte de Coligny, dans Mémoires du Comte de Coligny- Saligny. Publiés […] par M. Monmerqué, Paris, Jules Renouard, 1841, p. 120). On notera cependant aussi que La Feuillade a monté, en 1668, l’expédition de Candie, destinée à soutenir les Vénitiens établis dans l’île contre les Ottomans et que, par ailleurs, il a été présent sur la plupart des champs de bataille du temps, en Flandre, en Franche-Comté, en Allemagne. Le roi l’a comblé d’honneurs civils et militaires : il a été vice-roi de Sicile, gouverneur de Grenoble et du Dauphiné, colonel du régiment des gardes-françaises. En 1675, il reçoit le bâton de maréchal de France. À retenir enfin que le maréchal de La Feuillade a visité Luxembourg au mois d’août 1686, visite consignée par Dangeau (op. cit., t. II, p. 103) et objet d’une ordonnance de payement conservée aux archives de la Ville de Luxembourg. Voir p. 322-323, Annexe 6. 294 Il s’agit de Henri de Fourcy (1626-1708), prévôt des marchands depuis 1684. Le Mercure galant d’avril 1686, p. 239, rapporte, dans le contexte de la cérémonie <?page no="109"?> 109 Journal qu’une partie du Ba ſ timent qui doit embellir cette Place 295 . Cela fut cau ſ e qu’on pria le Roy d’avoir la bonté de dire de quelle maniere il souhaitoit qu’on l’acheva ſ t, & ſ i on continueroit ce qu’on avoit commencé, ſ ur les[47] de ſſ eins d’inauguration de la Place des Victoires, que la Ville de Paris a contribué aux frais en fournissant « plus de quatre cens mille francs […] sous les ordres de M r le President de Fourcy, Prevost des Marchands ». Il se signala comme ami des Jésuites en faisant abattre le monument érigé sur l’emplacement de la demeure de Jean Chastel, auteur, en 1594, d’un attentat contre Henri IV (Saint-Simon, op. cit., t. III, p. 342). L’État de la France de 1687, dans sa rubrique « De la Maison de Ville », signale qu’il exerce alors son deuxième mandat : « Henry de Fourcy, Président à la troisième des Enquêtes, & Conseiller d’honeur [sic] au Parlement, continué Prevôt des Marchands pour la seconde fois. » (Op. cit., t. II, p. 576-577). Le prévôt des marchands, généralement un magistrat ou un conseiller d’État, était élu par le Conseil de ville et nommé par le roi pour une durée de deux ans, mais renouvelable (voir ci-dessus). Avec quatre échevins, un procureur du roi et un greffier, il avait ses attributions de justice, principalement dans les causes concernant l’approvisionnement de Paris par la Seine, la Marne, l’Yonne et l’Oise ; il statue aussi « sur tous les differends qui naissent entre les Bourgeois & Officiers de Ville, à cause de la Police, ou pour les gages & droits des Officiers ». (Voir État de la France, loc. cit., et M. Marion, Dictionnaire des Institutions de la France aux XVII e et XVIII e siècles, op. cit., p. 322). 295 Parmi les projets de construction, il convient de mentionner celui de la nouvelle demeure de La Feuillade prévue à la place de l’hôtel de Senneterre, propriété du duc depuis 1683, partiellement démoli. Le projet en était confié à Hardouin-Mansart avec une façade droite, non incurvée, élevée en ligne parallèle aux rues Vide- Gousset et du Petit-Reposoir. En fait, le maréchal à court de liquide, dut retarder l’exécution jusqu’en 1689 et encore ne fut-elle que partielle. En revanche, l’entrepreneur Jean-Baptiste Prédot, ayant reçu un double des plans d’Hardouin-Mansart, commença, sur commande de la Ville de Paris, à élever quatre maisons adossées à l’arrière de celles de la rue des Vieux-Augustins et développant quinze arcades sur la Place ; aux mois de mai et de juin 1686, il passa commande pour les travaux de charpenterie, de menuiserie, de plomberie et de serrurerie, indice de l’achèvement des constructions. Ce sera cette « partie du Bastiment » que le roi a pu voir, alors que le reste - dont l’hôtel La Feuillade - inachevé, était voilé par des toiles, et ce dès l’inspection royale du 30 janvier 1687 (voir ci-dessous n. 298). On lit ceci dans le Mercure de février 1687, p. 75 (paginée par erreur 51) : « Le Roy vit aussi les Bastimens que la Ville a fait construire par son ordre à l’un des costez de la Place. Le reste de cette Place estoit tapissé de grandes toiles peintes, qui representant les Bastimens qui y manquent, faisoient voir la manière dont elle doit estre quand elle sera achevée. » Quelques mois plus tard, lors de la seconde visite de mai 1687, les choses n’auront évolué que peu, de façon que Louis n’a toujours pu voir « qu’une partie du Bastiment qui doit embellir cette Place ». Pour les détails, voir A. Gady, « Le lotissement de la place (1685-1694) ou les infortunes de Mars architecte », dans Place des Victoires, op. cit., p. 77 et s.). <?page no="110"?> 110 Journal de M r Mansard 296 ſ on premier Architecte, c’e ſ t à dire à l’égard de la figure de la Place, car les Ba ſ timents ont toûjours e ſ té trouvez fort beaux. Sa Maje ſ té en 296 Jules Hardouin, dit Hardouin-Mansart (1646-1708). Ce petit-neveu de François Mansart, architecte ordinaire du roi, auteur entre autres de l’église du Val de Grâce, du château de Maisons, du château de Blois reconstruit, et dont la réputation le fit passer pour « le plus renommé de tous les architectes François » (G. Brice, Description de la Ville de Paris, Paris, Libraires associés, éd. de 1752, t. III, p. 126/ Reprint Genêve-Paris, Droz-Minard, 1971, p. 341). D’après Saint-Simon, « quelque temps après sa mort, arrivée en 1666, [Jules Hardouin] prit son nom pour se faire connaître et se donner du relief, qui lui réussit » (op. cit., t. III, p. 135). Le reste du portrait n’est pas plus indulgent : le mémorialiste voit en Hardouin-Mansart un habile courtisan, faisant du roi ce qu’il voulait, alors que ni l’un ni l’autre ne se seraient signalés par un début de bon goût artistique, d’où l’échec complet d’une œuvre financée à grands frais : « Comme il n’avait point de goût, ni le Roi non plus, jamais il ne s’est rien exécuté de beau ni même de commode, avec des dépenses immenses » (ibid. p. 136). Et il lui reproche en particulier la chapelle du château de Versailles « si mal proportionnée » (ibid., p. 137). Pis encore, il l’associe à son beau-frère, Robert de Cotte, pour reprocher à l’un et à l’autre de s’être servi du talent d’autrui : « Ils tiraient leurs plans, leurs desseins, leurs lumières, d’un dessinateur des Bâtiments nommé L’Assurance. » (Ibid., p. 135). Seul l’aveuglement du prince aurait donc lancé une carrière couronnée, en 1699, par la nomination aux fonctions de Surintendant des Bâtiments du Roi. En fait, le jugement des contemporains, sans être toujours aussi décidé que celui de Saint-Simon, demeure ambigu : malgré le qualificatif élogieux noté ci-dessus, Brice, estime que « ce que l’on doit dire de cet Architecte, c’est qu’il s’étoit fait une manière qui plaisoit à ceux qui ne connoissent pas l’exactitude des régles de l’art », avant d’ajouter qu’il « étoit fort prévenu de sa capacité, [et] prétendoit avec hauteur que ses caprices fussent admirez, & l’emportassent sur les regles ordinaires de la bonne architecture » (G. Brice, La Description de la Ville de Paris, op. cit., t. I, p. 401, Reprint cit., p. 249). La critique moderne a dénoncé cet excès de sévérité pour reconnaître à Hardouin-Mansart « un rôle décisif dans l’évolution de l’architecture proprement dite entre François Mansart et Ange-Jacques Gabriel, et la paternité de quelques-uns des plus originaux chefs-d’œuvre de l’architecture française comme Marly, Trianon, le dôme des Invalides et, au fond, l’ensemble même de Versailles » (Bertrand Jestaz, dans Dictionnaire du Grand Siècle, op. cit., p. 959). Cela n’empêche qu’elle accueille, au moins partiellement, certains reproches, tel celui concernant la Chapelle de Versailles (voir B. Jestaz, Jules Hardouin-Mansart, Paris, Picart, 2008, 2 vol., t. I, p. 354-355). Dans cette même biographie monumentale, les pages consacrées à la Place des Victoires relèvent les rapports ambigus entre le maître d’œuvre et l’architecte, La Feuillade n’ayant eu pour Mansart que la considération que tout courtisan devait avoir pour celui qui jouissait de la faveur du roi, mais sans que ce parti pris soit partagé ; l’auteur montre en effet que certaines dispositions voulues par le maréchal et concernant son hôtel donnant sur la Place se firent au détriment de l’harmonie de celle-ci et furent modifiées dans la suite (voir ibid., t. I, p. 304). <?page no="111"?> 111 Journal parut fort ſ atisfaite, & jugea à propos que l’on ſ uivit le de ſſ ein qui avoit e ſ té commencé. M r de la Feüillade ayant fait entierement dorer la Figure du Roy 297 297 La statue du roi dont le Mercure n’évoque ici que la récente dorure - en fait, on travaillait à cette dorure dès la fin du mois d’octobre 1686, comme le rapporte le P. Léonard, cité par Boislisle, op. cit., p. 71, n. 4 - avait fait l’objet d’une description détaillée dans le tirage du mois d’avril 1686 relatant l’inauguration de la Place qui se fit en l’absence du roi, que ni Dangeau ni le Mercure expliquent, mais qui aura été motivée par la fistule anale dont Louis souffrait depuis le 15 janvier et dont il sera finalement opéré le 18 novembre de cette année 1686 (voir Vallot, D’Aquin, Fagon, Journal de la santé du Roi Louis XIV […], op. cit., p. 166 et s.). Mais il ne se peut pas moins, comme le note Hendrik Ziegler, que l’absence du roi, constatée aussi en d’autres occasions similaires, ait eu des raisons de philosophie politique : les hommages rendus à la statue en dehors de la présence personnelle, devaient souligner le caractère de « lieutenance » de l’œuvre (« On ne parlait que de ces quatre esclaves. Zu den Debatten der französischen Historiographie im 18. und 19. Jahrhundert um das Standbild Ludwigs XIV. auf der Pariser Place des Victoires », dans Francia 31/ 2, 2004, p. 163, n. 11). Quoi qu’il en soit, pour la cérémonie, le roi s’était fait représenter par une brillante cour conduite par le Dauphin (Mercure avril 1686, p. 251 et s.). Quant à la statue, œuvre de Desjardins, elle était en pied et montrait le roi revêtu de ses habits royaux : « …une Statue en Bronze de treize pieds de hauteur, où le Roy est représenté debout avec ses habits Royaux » (Mercure avril 1686, p. 224). Il faut entendre que le roi n’était pas vêtu à la romaine, en imperator, mais à la française avec son manteau du sacre doublé d’hermine ; il arbore les colliers du Saint-Esprit et de Saint-Michel, le côté gauche est ceint de l’épée. Pour le symbolisme chrétien de ces différents attributs, on lira l’étude de Thomas W. Gaethgens, « La statue de Louis XIV et son programme iconographique », dans Place des Victoires, op. cit., p. 9 et s. Cette statue, détruite à la Révolution, fut remplacée sous Louis XVIII par celle, équestre, avec le roi, cette fois costumé à la romaine, de François-Joseph Bosio toujours en place (voir S. Fastert, « L’art et l’histoire au service de la Restauration. La statue équestre de Louis XIV », dans Place des Victoires, op. cit., p. 125 et s.). En fait, cette nouvelle statue aurait comblé à posteriori certains contemporains de Louis XIV qui, dès les débuts, auraient préféré voir le roi à cheval et en César romain, ne comprenant pas, comme l’indique François-Séraphin Régnier-Desmarais, secrétaire perpétuel de l’Académie française depuis 1683, et chargé de la rédaction des inscriptions de la Place, que la statue en pied et vêtue à la française, non seulement met en avant le symbolisme de la royauté chrétienne, mais permet encore de valoriser …la taille bien prise de celui qu’elle représente : « Au reste, comme plusieurs personnes semblent estre prévenuës, qu’il n’y a rien de plus convenable pour un Monument public qu’une Statuë Equestre, avec un habillement à la Romaine ; il est bon de les éclaircir en peu de mots, pourquoy dans un Monument si superbe & si magnifique que celuy-ci, on a choisi une autre sorte de figure & d’habillement. On a donc représenté le Roy en pied, pour pouvoir mieux exprimer la noblesse de sa taille & de sa bonne mine, & cét air de grandeur & de majesté qui le distingue si fort des autres hommes ; & on l’a revestu de ses habits Royaux, parce que cette sorte d’habillement est si particulier à nos Rois, que mesme <?page no="112"?> 112 Journal depuis que Sa Maje ſ té ne l’a veüe 298 , Elle s’attacha à la con ſ iderer attentivement. Quelques-uns dirent qu’ils [48] l’auroient mieux aimée de bronze & d’autres furent d’un ſ entiment contraire, & alleguerent que la Statuë de Marc Aurele que l’Antiquité a tant vantée, & qui a e ſ té ſ i e ſ timée des Romains, avoit e ſ té dorée 299 . On répondit que ce n’e ſ toit pas ce qui l’avoit fait admirer, & que l’Empereur Neron avoit fait dédorer une Figure d’Alexandre 300 . Ceux qui font profe ſſ ion d’e ſ tre curieux ne prirent pas le party de l’or, parce qu’il y a plus [49]de bronze que d’or dans leurs Cabinets 301 . Le Roy qui ne parle point ſ ans par là ils sont distinguez de tous les Rois de la terre. » (Description du Monument érigé à la Gloire du Roy par M. le Mareschal Duc de La Feuillade avec les Inscriptions de tout l’ouvrage, Paris, Sebastien Marbre-Cramoisy, 1686, p. 14). 298 Cette visite date du jeudi 30 janvier 1687 ; le roi en avait fait le projet pour aller remercier Dieu, à Notre-Dame, dans la chapelle de la Vierge, de l’opération réussie de sa fistule anale (voir ci-dessous n. 308). Elle est évoquée en détail dans le Mercure de février 1687, p. 41 et s. Elle est mentionnée aussi à cette date par Dangeau, dans le cadre de sa relation de la journée parisienne du roi : « Au sortir de la maison de ville, le roi a passé à la place des Victoires, il y a mis pied à terre, il a fort examiné la statue de M. de la Feuillade, ensuite il est rentré chez lui » (op. cit., t. 2, p. 185). Le rétablissement du roi donna lieu à d’innombrables actions de grâce dont celle de Luxembourg suivie d’une agape offerte aux autorités et passée à la postérité par une ordonnance de payement toujours consultable dans les collections des Archives de la Ville (voir ci-dessous p. 318 et s., Annexe 5). 299 Il s’agit de la statue équestre de Marc-Aurèle, créée vers 175, actuellement au Musée du Capitole avec réplique sur la place du Capitole. À l’origine, le bronze était entièrement doré. 300 Il est question ici de la statue d’Alexandre enfant, bronze de Lysippe que Néron avait fait dorer, mais qui fut dédoré ensuite, parce qu’on estima la dorure préjudiciable à la valeur artistique de l’œuvre. Pline l’Ancien signale le fait au livre XXXIV de l’Histoire naturelle : [Lysippe] « a fait aussi beaucoup de statues d’Alexandre le Grand, à commencer par Alexandre enfant, statue que l’empereur Néron fit recouvrir d’or, car il l’aimait beaucoup ; puis, comme cet ornement avait fait perdre à l’œuvre beaucoup de son charme, on enleva l’or - detractum est aurum - et, telle quelle, cette statue était jugée plus précieuse, même avec les cicatrices laissées par les entailles qui avaient servi à fixer l’or. » (Histoire naturelle, XXXIV, 19, 63, Paris, Belles Lettres, 1953, p. 129). 301 Un écho de cette querelle artistique se trouve dans la Description de la Ville de Paris de G. Brice, op. cit., t. I, p. 401, Reprint p. 117 : « Et ce qui rend encore ce monument [la statue du roi] d’une apparence très magnifique, quoique bien des gens de bon goût ne l’aïent pas approuvé, c’est qu’on l’a doré entierement, pour le faire briller et paroître de plus loin. » Un document contemporain permet de préciser les arguments des adversaires de la dorure. En 1688, le fermier général François Lemée, auteur d’un Traité des Statuës, dédié, précisément, à La Feuillade en tant que maître d’œuvre de la Place des Victoires, retrace l’histoire du procédé, cite l’exemple de la méprise de Néron mentionné ci-dessus (n. 300), mais réfute ensuite le reproche d’une <?page no="113"?> 113 Journal ſ e di ſ tinguer, dit beaucoup en ne di ſ ant rien. Il ne voulut chagriner per ſ onne, & dit obligeamment pour M r de la Feüillade, qu’il ne falloit pas s’e ſ tonner qu’il eu ſ t fait dorer ſ a Figure, pui ſ que ſ i l’on avoit pû la faire d’une matiere plus precieuse, & qu’il eu ſ t e ſ té en e ſ tat d’en ſ oûtenir la dépen ſ e, il e ſ toit per ſ uadé qu’il n’auroit rien épargné pour cela 302 . Je n’interprete point ces [50] paroles qui font voir tout le bon sens & toute la delicate ſſ e d’e ſ prit imaginable, & dont la fine ſſ e con ſ i ſ te plus en ce qu’elles font entendre qu’en ce qu’elles expliquent à l’égard de la dorure. Rien n’e ſ tant égal au zele de M r le Duc de la Feüillade, qui tâche ſ ans ce ſſ e de le faire paroi ſ tre, par des augmentations qu’il a fait à tout ce qui regarde la Figure de la Place des Victoires, & qui ſ ont autant d’embelli ſſ emens nou[51] veaux, & de témoins éclatans de la vive ardeur qu’il a pour Sa Maje ſ té, on trouva huit in ſ criptions nouvelles 303 écrites en lettres dorées au feu, & dans huit Cartouches de bronze doré, attachez autour du Piede ſ tal, qui porte cette Figure couronnée par la Victoire 304 . Cette augmentation de beautez, aprés effémination de l’art qu’obtiendrait la recherche de trop de délicatesse dorée soulevé par le jésuite contemporain Daniello Bartoli, et qui aura pu être repris dans le débat autour de la statue de la Place des Victoires : selon Pline, Histoire naturelle, XXXIV, 19, 63, op. cit., p. 129 « La mode [de la dorure] […] devint fort commune, & l’on doroit jusqu’à celles [des statues] qui étoient d’argent & de bronze. Il est vray que Neron en gâta une d’Alexandre faite par Lisippe en croyant l’embelir [sic] par-là. Mais on n’en doit pas conclure si absolument que fait Daniel Bartoli, que la fierté des Guerriers s’exprimoit mieux sur la rudesse du bronze, que sur la delicatesse de l’or qu’il appelle effeminée & lascive. Autrement les Anciens auroient souvent péché en faisant dorer les figures de leurs Heros & de leurs grands Hommes, ou en l’ordonnant par leurs testamens, comme en font foy plusieurs passages & une infinité de vieilles inscriptions. » (Traité des Statuës, Paris, Arnould Seneuze, 1688, p. 100-101). Un autre témoignage allant dans le même sens est fourni par le voyageur anglais Martin Lister qui vit la statue en 1698, soit une douzaine d’années plus tard, et qui reproche à la dorure son brillant « qui […] semble gâter les traits & y mettre de la confusion ». Et il ajoute qu’il « eût bien mieux valu que l’or en fût mat, ce qui eût permis aux lumières & aux ombres de se faire au naturel, & à l’œil de juger des proportions ». (Voyage de Lister à Paris en MDCXCVIII, op. cit., p. 39). En effet, l’or employé en feuille devait être à vingt-quatre carats et un tiers de carat de remède (A.-M. de Boislisle, La Place des Victoires et la Place Vendôme, op. cit. p. 71, n. 4). 302 Pour l’appréciation de la réaction du roi, voir ci-dessus p. 51 et s. 303 La relation de la visite du 30 janvier 1687, (Mercure de février 1687, p. 70-77) ne donne aucun détail sur les inscriptions que le roi a pu voir alors et par rapport auxquelles celles rapportées ici ont été « nouvelles ». 304 Le Mercure d’avril 1686, p. 234-235, donne plus de détails sur cette Victoire prenant pied sur le globe terrestre disposé derrière le roi et s’élançant au-dessus de sa tête - nue - pour y tenir une couronne de laurier : « La Victoire a un pied sur le Globe, d’où elle s’éleve, l’autre pied en l’air. Elle a les aisles ouvertes pour prendre son essor, & en passant elle couronne le Roy. » Cette disposition n’a pas trop plu <?page no="114"?> 114 Journal l’e ſ tat où M r de la Feüillade a mis la Figure, fait voir que lors qu’il s’agit de faire quelque cho ſ e qui regarde la gloire du Roy[52] il n’y a rien d’a ſſ ez grand pour le pouvoir ſ atisfaire. Voicy ce qui remplit les huit Cartouches. Les deux qui ſ ont au de ſſ ous du Roy & entre les deux E ſ claves 305 qui regardent l’Ho ſ tel de la Feüillade 306 , contiennent les paroles ſ uivantes. à Lemée qui s’exprime critiquement sur la tête nue de l’effigie royale : « Mais ce qui m’étonne est que nous voyons icy des Statuës roiales & particulieres, qui […] ont la tête nuë ; […] il est plus à propos de leur mettre un casque, une couronne, un diademe, ou quelque autre ornement. » Le jugement de Lister est encore plus dirimant : « […] ce qui me déplaît surtout, c’est cette grande femme toujours sur les épaules du roi ; véritable embarras qui, au lieu de lui apporter la victoire, semble le persécuter de sa compagnie. Chez les Romains, la Victoire étoit une petite statuette que l’empereur tenoit dans sa main, & dont il étoit censé pouvoir se débarrasser à volonté ; mais cette grande femme-ci est capable de donner une indigestion. » (Voyage, op. cit., p. 39). 305 On sait que le piédestal de la statue du roi était flanqué de quatre figures d’esclaves déjà mentionnées, mais sommairement et sans aucun début d’interprétation, par le Mercure du mois d’avril 1686 (p. 227) relatant l’inauguration de la Place, et celui du mois de février 1687 (p. 73) rendant compte de la visite royale du 30 janvier de la même année. Cette discrétion est partagée par les autres descriptions de la Place, ainsi celle du Traité des Statuës de Lemée, op. cit., p. 160. En revanche, celle de la Description de la Ville de Paris de G. Brice, op. cit., t. I, p. 401 (Reprint p. 117), s’attarde sur le symbolisme des quatre enchaînés . Ils représentent les ennemis de la France vaincus par le roi : « autour d’eux on a disposé des armes de diverses especes, & d’autres choses symboliques, qui marquent les avantages que la France a remportez sur plusieurs nations, contre lesquelles elle a entrepris la guerre, & remporté des victoires. » De quels ennemis s’agit-il au juste ? Dans son étude sur « La Statue de Louis XIV et son programme iconographique », dans Place des Victoires, op. cit., p. 24-26, Thomas W. Gaethgens cite les vaincus de la Guerre de Hollande, l’Empire, l’Espagne, le Brandebourg et la Hollande tout en précisant que les attributs qui les accompagnent ne permettent pas une identification sans faille et que, par ailleurs, on aurait pu songer aussi aux quatre tempéraments ou aux quatre âges de la vie. Ambiguïté peut-être voulue pour éviter les protestations de ces nations montrées en posture si désavantageuse. Ces protestations, en fait, n’ont pas manqué de se produire, comme celles du comte Lobkowitz, ambassadeur de l’empereur et celle d’Ézéchiel Spanheim pour le Brandebourg (voir H. Ziegler « Le demi-dieu des païens. La critique contemporaine de la statue pédestre de Louis XIV », dans Place des Victoires, op. cit., p. 55-57). Les deux statues auxquelles fait allusion le Mercure, « les deux Esclaves qui regardent l’Hostel de La Feüillade », hôtel situé en face de la statue, seront à l’avant, sur la gauche du spectateur, celle du vieillard accroupi, tête tournée sur lui-même et accompagné d’un étendard brisé agrémenté de l’aigle impériale, censé représenter l’Empire, à droite, celle du jeune homme au torse nu, passant pour symboliser l’Espagne. Nous remercions Hendrik Ziegler de nous avoir confirmé l’identification de ces deux statues. 306 Voir ci-dessus n. 295. <?page no="115"?> 115 Journal I. CARTOUCHE Il avoit ſ ur pied deux cens quarante mille hommes d’Infanterie, & ſ oixante mille chevaux ſ ans les Troupes de ſ es Armées[53] Navales, lors qu’il donna la Paix à l’Europe en 1678 307 . II. CARTOUCHE Sa fermeté dans les douleurs ra ſſ ura les Peuples de ſ olez au mois de Novembre 1686 308 . 307 Pour les effectifs au moment de la Paix de Nimègue, en 1678, le relevé des Troupes que le Roy avoit mis sur pied le premier janvier 1678, Archives de la Guerre, Bibliothèque du Ministère de la Guerre, Tiroirs de Louis XIV, p. 110, cit. par J.A. Lynn, Giant of the Grand Siècle. The French Army, 1610-1715, Cambridge University Press, 1997, p. 46, n. 77, donne le chiffre de 219 250 pour l’infanterie et de 60 360 pour la cavalerie. Dans son Histoire de Louvois, Paris, Didier et Cie, 1879, t. 2, p. 477-478, C. Rousset retient, pour la date du 1 er janvier 1678, le même chiffre de 219 250 unités pour l’infanterie ; pour la cavalerie, il indique le nombre de 47 100 unités pour la cavalerie légère auxquelles s’ajoutent 9840 dragons, soit un total de 56 940 unités. 308 C’est le 18 novembre 1686 que Louis XIV se fit faire l’opération de la fistule anale qui l’incommodait depuis le 15 janvier de la même année. L’intervention proprement dite fut pratiquée par le chirurgien Félix (voir ci-dessous n. 960), et la relation qu’en donne le Journal de la Santé du Roi Louis XIV […] écrit par Vallot, d’Aquin et Fagon, tous trois ses Premiers Médecins, op. cit., p. 174 est impressionnante : « […] M. Félix […] introduisit une sonde au bout d’un bistouri fait exprès, tout le long de la fistule jusque dans le boyau, qu’il joignit avec le doigt de la main droite, et, la retirant en bas, ouvrit la fistule avec assez de facilité, et ayant ensuite introduit les ciseaux dans le fondement de la plaie, il coupa l’intestin un peu au-dessus de l’ouverture, et coupa toutes les brides qui se trouvèrent dans l’intestin ; ce que le roi soutint avec toute la constance possible. » Avec « toute la constance possible », l’expression, sans être dithyrambique, confirme la « fermeté » de l’inscription. Les mémorialistes ont été plus admiratifs, ainsi Dangeau, en date du 18 novembre 1686 (op. cit., t. II, p. 150) : « Il a souffert toute l’opération avec une patience admirable ; on lui a donné deux coups de bistouri & huit coups de ciseaux sans qu’il lui soit échappé le moindre mot. » Et le Mercure, dévot comme d’habitude, rapporte dans son édition de décembre 1686 (1 re partie), de nombreux témoignages d’actions de grâces, mais plus particulièrement cette neuvaine qui eut lieu au séminaire de l’Union chrétienne, installé à l’Hôtel de S. Chaumond. Un religieux, le Père Louis, Pénitent du Couvent de Nazareth, y prononça un sermon reproduit intégralement, et qui put édifier les lecteurs du Mercure par l’évocation, p. 26-27, de l’héroïcité du roi-patient : « Sans s’effrayer, sans pâlir, sans murmurer, remettant entre les mains de [l]a divine bonté, & sa santé & le salut de ses Peuples, il a souffert en Heros, encore plus en Chrêtien, tout ce qui luy a esté conseillé de souffrir. » <?page no="116"?> 116 Journal Voicy ce qu’on lit dans les deux Cartouches de la face droite du Piede ſ tal, qui e ſ t du co ſ té de la ruë des Petits-Champs 309 . [54] III. CARTOUCHE Aprés avoir fait d’utiles Reglemens pour le Commerce, & reformé les abus de la Ju ſ tice, il donna un grand exemple d’équité en jugeant contre ſ es propres intere ſ ts en faveur des Habitans de Paris dans une affaire de plu ſ ieurs millions 310 . 309 « Cette ruë est une des plus considerables de tout ce grand quartier, parce qu’elle donne de la communication en differens endroits très-frequentez. Elle commence à la ruë saint Honoré, & dès son entrée on découvre le plus riche & le plus beau monument de la Ville La Place des Victoires » (G. Brice, Description de la Ville de Paris, op. cit., t. I, p. 397-398/ Reprint p. 117). La rue des Petits-Champs de l’époque correspond à l’actuelle rue de la Croix-des Petits-Champs (voir F. de Saint-Simon, La Place des Victoires. Trois siècles d’Histoire de France, Paris, Éditions Albatros, 1984, p. 63). 310 Cette inscription ne figure ni dans la Description de Régnier-Desmarais ni dans la Description de la Ville de Paris de Brice. En revanche, on trouve dans ces deux ouvrages un texte placé, non sur le piédestal du monument, mais sur les colonnes soutenant les fanaux, et qui pourrait faire allusion au même épisode : INSCRIPTIONS Pour les Bas-reliefs des Colomnes. […] JURA EMENDATA Legibus hunc unum decuit, normamque modumque Ponere, qui leges supra, se lege coërcet. LA REFORMATION de la Justice. 1667 LOUIS dans ses Estats fait refleurir Themis, Rend aux Loix leur vigueur & leur pouvoir supresme, Et montre, en voulant bien s’y soumettre luy-mesme, Qu’il mérite de voir à ses Loix tout soumis. (Régnier-Desmarais, op. cit., p. 24 ; G. Brice, op. cit., p. 418 / Reprint, p. 122). La date de 1667 renvoie à l’ « ordonnance civile sur la réformation de la justice », le Code Louis articulé en trente-cinq titres, promulgué et enregistré au mois d’avril 1687. Il fut suivi au mois d’août 1670 de l’ordonnance criminelle. En ce qui concerne les « utiles Reglemens pour le Commerce », il s’agira de l’ordonnance sur le commerce, encore appelée Code marchand ou Code Savary d’après le commerçant parisien à qui Colbert avait confié la rédaction du projet de loi. Ce code date du mois de mars 1673 (voir L. Bély, Dictionnaire de l’Ancien Régime, Paris, Quadrige/ PUF, 1996, p. 934). Pour ce qui est de l’affaire de « plusieurs millions », dans laquelle le roi jugea en faveur des Parisiens contre ses propres intérêts, il pourra s’agir de celle, en 1680, des maisons construites sur les anciens fossés de Paris que rappelle une médaille datée de cette année et qui porte la légende latine Fiscus Causa Cadens ; le P. Ménestrier qui la reproduit dans son Histoire de Louis le Grand par les Medailles, Emblêmes, Devises […], Paris, I.B. Nolin, 1689, p. 18, l’accompagne de l’explication suivante : <?page no="117"?> 117 Journal [55] IV. CARTOUCHE Six mille jeunes Gentilshommes ſ eparez par Compagnies, gardent Ses Citadelles, & en remplacent des Officiers de ſ es Troupes, & leur éducation e ſ t digne de leur nai ſſ ance 311 . Les deux Cartouches qui ſ ont du co ſ té de l’Egli ſ e des Religieux appellez les Petits-Peres 312 , font voir ce qui ſ uit. [56] V. CARTOUCHE Deux cens dix Places, Forts, Citadelles, Ports, & Havres fortifiez & reve ſ tus depuis 1661 ju ſ ques à 1686 ; cent quarante mille hommes de pied, & trente-mille Chevaux payez par mois, a ſſ urent les Frontieres. VI. CARTOUCHE Il a ba ſ ti plus de cinq cens Egli ſ es qu’il a dotées de revenus [57] con ſ iderables, & il a e ſ tably l’entretien de quatre cens jeunes Demoiselles dans la magnifique Mai ſ on de S. Cir 313 . « l’Affaire des Maisons basties sur les anciens fossez de la Ville ayant esté portée au conseil, les voix furent partagées, & et Roy pouvant decider en sa faveur, donna sa voix en faveur des particuliers, ET PERDIT AINSI SA CAUSE par son seul suffrage » 311 Pour l’institution des Compagnies des jeunes Gentilshommes, voir ci-dessous n. 585. 312 Il s’agit de l’église des Augustins déchaussés encore appelés les Petits-Pères. Introduits en France par Marguerite de Valois dès 1608, puis, après une brève absence, définitivement installés par Louis XIII, ce roi leur avait accordé un terrain important, et leur couvent, accueillant de nombreux dons que lui valut la faveur royale, s’étendit dans le quadrilatère sis actuellement entre la Bourse, les rues de la Banque, de Notre-Dame-des-Victoires et des Petits-Pères (F. de Saint-Simon, La Place des Victoires, op. cit., p. 42). Le sanctuaire, d’abord chapelle du couvent, devint église du quartier sous le vocable de Notre-Dame-des-Victoires, en souvenir non des victoires de Louis XIV célébrées par la Place, mais de celles de Louis XIII - en particulier le siège de La Rochelle de 1627-1628 - bienfaiteur du couvent. Brice qui rappelle ces faits au t. I de sa Description (op. cit., p. 457 et s. / Reprint p. 131 et s.) indique que le monument, œuvre commencée en 1656 par Libéral Bruand, continuée en 1663 par Gabriel Le Duc était toujours en état d’inachèvement, mais que ce qu’on pouvait en voir n’était pas « pour produi[re] jamais un grand effet ». On notera que cette église abrite la tombe de Lully, décédé en 1687, l’année même du Voyage. 313 La Maison royale de Saint-Louis destinée à l’éducation des jeunes filles de la noblesse appauvrie au service du roi fut prévue au Grand Conseil en 1684 à l’instigation de Madame de Maintenon, issue elle-même d’une famille noble mais peu dotée. Le contingent des « Demoiselles de Sain-Cyr » était limité au nombre de deux cent cinquante et non de « quatre cens » comme l’écrit le Mercure. Elles étaient choisies par le roi en personne, sur preuves de noblesse fournies par Charles <?page no="118"?> 118 Journal Voicy ce que renferment les Cartouches du derriere du piede ſ tal qui regarde la ruë. VII. CARTOUCHE Il a ba ſ ty un ſ uperbe, & vaste édifice 314 pour les Officiers & Soldats que l’âge & les ble ſſ ures rendent incapables de ſ ervir, [58] & il y a attaché cinq cens mille livres de rente 315 . d’Hozier, juge des généalogies de France, parmi les « filles des gentilshommes tués ou ayant ruiné leur santé et leur fortune pour le service de l’État ». Leur « entretien » était assuré par une dotation de cinquante mille livres de rentes sur fonds de terres prises provisoirement sur le Trésor avec la perspective de l’achat ultérieur de ces terres, en second lieu par la terre et la seigneurie de Saint-Cyr, par les revenus de la manse abbatiale de Saint-Denis, forts de cent quatorze mille livres en fiefs et droits féodaux (J. Prévot, La première institutrice de France, Madame de Maintenon, Paris, Editions Belin, 1981, p. 44). Pour l’implantation des bâtiments conçus par Jules Hardouin-Mansart, on avait retenu le site du village de Saint-Cyr, aujourd’hui Saint-Cyr-l’École, au bord du Parc de Versailles, dans l’actuel Département des Yvelines. Mais la Maison de Saint-Cyr était-elle aussi « magnifique » que l’annonce le Mercure ? Le choix même du site donnait lieu à contestation. Si on s’était soucié d’y avoir de l’eau, on avait, comme l’écrit Bertrand Jestaz, sous-estimé le « danger qu’elle pouvait constituer » (Jules Hardouin-Mansart, op. cit., t. I, p. 288). Placés dans un vallon marécageux, les bâtiments demeuraient humides et les caves inondées en permanence. Madame de Maintenon en rendait injustement responsable l’architecte qui avait dû construire à la hâte sur un terrain imposé par l’autorité : « J’aurais voulu donner à mes filles, écrit-elle, une complexion forte et une santé vigoureuse, et le mauvais choix de Mansart m’était un obstacle insurmontable. Je ne puis voir la méchante mine d’une de ces pauvres enfants sans maudire cet homme. » (Ibid., note 22 ; il est vrai qu’il s’agit d’une lettre non authentifiée). Il s’y ajoute le manque d’allure de l’ouvrage : inspiré par les Invalides, il n’en avait ni l’élévation ni la majesté, la chapelle n’étant qu’une « modeste salle à abside placée au bout de la traverse » (ibid.). Et l’historien de conclure : « Pour un architecte, Saint-Cyr ne pouvait pas être un objet de satisfaction, mais seulement de souci. » 314 Le premier responsable de la mise en place de l’Hôtel des Invalides était, à partir de 1671, Libéral Bruant, architecte des Bâtiments du roi, et déjà célèbre pour avoir conçu les plans et construit la chapelle de La Salpêtrière. On lui doit l’essentiel des bâtiments des Invalides et en particulier leur disposition quadrillée. À partir du printemps de l’année 1676, Louvois lui associe Jules Hardouin-Mansart qui œuvre principalement pour l’église du Dôme, pièce la plus prestigieuse de l’ensemble, et dont il remet au roi les clefs le 28 août 1706 (F. Lagrange, J.-P. Reverseau, Les Invalides. L’État, la guerre, la mémoire, Paris, Gallimard, coll. Découvertes Gallimard : histoire, N° 508, p. 14 ; p. 22-23). 315 L’Hôtel des Invalides a été fondé par l’Edit du roi pour l’établissement de l’Hôtel royal des Invalides donné au mois d’avril 1674. Les finalités y définies sont exactement celles décrites par le Mercure : « [n]ous avons estimé qu’il n’était pas moins digne <?page no="119"?> 119 Journal VIII. CARTOUCHE Le nombre de ſ oixante mille Matelots enrolez, dont vingt mille ſ ont employez à ſ on ſ ervice 316 , & les quarante mille autres au commerce de ſ es Sujets, marque la grandeur, & le bon ordre de la Marine. de notre piété et de notre justice, de tirer hors de la misère et de la mendicité les pauvres officiers et soldats de nos troupes, qui ayant vieilli dans le service, ou qui, dans les guerres passées, ayant été estropiés, étaient non-seulement hors d’état de continuer à nous en rendre, mais aussi de rien faire pour vivre et subsister ; » (texte de l’édit reproduit dans G. Chamberet, De l’institution de l’Hôtel des Invalides, leur origine, leur histoire […], Paris, Librairie militaire Hannequin fils, 1854, p. 25). D’autres passages de l’édit précisent les rentes attachées à la fondation pour en garantir le fonctionnement : « Et afin que ledit hôtel royal soit doté d’un revenu suffisant […] nous y avons affecté et affectons à perpétuité par ce présent édit, tous les deniers provenant des pensions des places des religieux-laïcs, des abbayes et prieurés de notre royaume, qui en peuvent et doivent porter, selon et ainsi qu’il a été par nous réglé, tant par notre déclaration du mois de janvier 1670, que par les arrêts de notre conseil d’État des 24 janvier audit an 1670, et 27 avril 1672. » (Ibid., p. 27). Le roi fait allusion ici à la déclaration royale de 1670 portant que les pensions des invalides au titre d’oblats ou religieux-lais avec lesquels on avait tenté de les intégrer dans les communautés religieuses et de les soustraire ainsi à la misère, soient affectées à la nouvelle institution ; il ajoute d’autres moyens provenant des trésoriers généraux de l’ordinaire et extraordinaire des guerres et de la cavalerie légère, ainsi que de l’artillerie, (ibid.) de sorte que l’établissement, bien renté, puisse vivre des seuls fonds publics, en parfaite indépendance de toute subvention privée : « nous voulons qu’il ne puisse être reçu ni accepté pour ledit hôtel aucunes fondations, dons et gratifications qui pourraient lui être faites par quelques personnes, et pour quelque cause, et sous quelque prétexte que ce soit. » (Ibid.). 316 D’après L’Histoire de la Marine française de Ch. de La Roncière et de G. Clerc-Rampal, Paris, Larousse, 1934, p. 86, les effectifs militaires de la Marine se sont élevés en 1683, à la mort de Colbert, fondateur de la Flotte moderne, à 53 200 matelots encadrés par 1200 officiers. Il pourrait s’agir ici d’une référence à l’Inscription maritime, instituée par ordonnance du 22 septembre 1668 : on comptait soixante mille inscrits. Dans sa Relation de la Cour de France en 1690, É. Spanheim signale qu’ « il y a quelques années qu’on […] avoit enrôlé quarante mille [matelots] depuis Bayonne jusques à Dunquerken, c’est-à-dire dans toute l’étendue des côtes de France sur l’Océan, et douze mille sur les côtes de la Méditerranée, de Languedoc et de Provence ». (É. Spanheim, Relation de la Cour de France en 1690, op. cit., p. 486 et n. 3). D’autres chiffres qui approchent ceux du Mercure, et qui correspondent à une année près à la date à laquelle il les fournit (1687), sont ceux du Mémoire sur l’employ des officiers mariniers et matelots dans les costes maritimes du royaume de 1686, conservé aux Archives de la Marine et cités par Jules-Étienne de Crisenoy dans son étude sur le Personnel de la Marine militaire et les Classes maritimes sous Colbert et Seignelay d’après des documents inédits, Paris, Librairie de Challamel aîné, 1864, p. 46, n. 1 : on y fait état de 14 467 unités pour la classe de service militaire et de <?page no="120"?> 120 Journal Vous voyez, Madame, que ce qui e ſ t contenu dans ces huit Cartouches donne une [59]haute idée de la vie du Roy, & qu’on ne peut dire plus de cho ſ es en moins de paroles, ny en faire concevoir davantage. Chacun s’attacha à lire ces Eloges, & l’on y prit beaucoup de plai ſ ir. Le Roy eut en ſ uite la bonté d’aller voir un des Fanaux qui ſ ont aux quatre coins de la Place. Celuy où Sa Maje ſ té alla, e ſ t le seul qui ſ oit achevé 317 . Le nom de Fanaux a e ſ té donné à ces ouvrages à cause des Fanaux qui ſ ont au de ſſ us 318 . A chaque [60] endroit où ils ont e ſ té placez, il y a un groupe de trois colomnes de Marbre ſ ur un piede ſ tal de me ſ me matiere. Au de ſſ us de chaque groupe e ſ t un Fanal 46 950 - en réalité 47 919 - pour la marine marchande, effectifs auxquels il convient d’ajouter les capitaines, maîtres, patrons, novices et mousses. 317 L’inachèvement des fanaux, et donc des médailles suspendues entre les colonnes qui les portent, explique l’absence de la mention de la prise de Luxembourg qui donna lieu, précisément, au Voyage. Toutefois, le projet de cette médaille et de la légende explicative pour le socle, figure déjà, en 1686, dans les propositions soumises par Régnier-Desmarais dans sa Description du Monument erigé à la Gloire du Roy, section « Inscriptions pour les Basreliefs des Colomnes », op. cit., p. 31, où on lit le texte suivant : LUCEMBURGIUM CAPTUM Viribus haud ullis quondam expugnabile Saxum, Nunc domitum, Gallos, qua terruit, Arce tuetur. LA PRISE DE Luxembourg. 1684. Aux armes de LOUIS, la nature, ni l’art Ne peuvent opposer que de foibles barrieres : Luxembourg tombe enfin ; & des mesmes frontieres Dont il fut la terreur, il devient le rempart. Mais Lemée, qui écrit en 1688, mentionne toujours le projet de cette médaille et de sa légende, en signalant qu’il attend, encore toujours, d’être exécuté : « Quant aux reliefs des trois autres Groupes [de colonnes], ils ne sont pas encore posez : mais on a résolu d’y marquer […] la prise de Mastrick, & celles de Cambray, de Luxembourg, & de Gand… » (Traité des Statuës, op. cit., p. 245-246). La Description de la Ville de Paris de Germain Brice, consultée dans l’édition de 1752 cite l’inscription dans son évocation de la Place sous la rubrique Inscriptions pour les Bas reliefs des Colonnes (p. 429/ Reprint p. 124). 318 La Feuillade, ne pouvant obtenir pour la construction des fanaux et de leurs supports le concours de la Marine, en avait confié l’exécution à l’architecte Jean Bérain, au sculpteur Jean Arnoux et au fondeur Pierre Lenègre. Le support se composait d’un piédestal triangulaire sur lequel s’élevaient, à plus de six mètres, trois colonnes de marbre jaspé elles-mêmes soutenant un chapiteau sur lequel reposait le fanal, espèce de calotte de bronze complété par six tuyaux de métal pour l’échappement de la fumée. Au sommet, une couronne royale surmontée d’une grande fleur de lys dorée. La conception de l’ensemble était due à Jérôme Derbais, marbrier et sculpteur (voir F. de Saint-Simon, La Place des Victoires. Trois siècles d’histoire de France, op. cit., p. 58). <?page no="121"?> 121 Journal composé de plusieurs lampes, qui brulent pendant toutes les nuits, & pour l’entretien desquelles, M r le Duc de la Feüillade a e ſ tably un fond 319 . Entre les colomnes de chaque Fanal, pendent ſ ix Médailles de bronze, dans chacune de ſ quelles ſ ont repre ſ entées [61]quelques actions du Roy, ce qui fait vingt quatre Médailles pour les quatre Fanaux. Il y a dans le pied ſ tal de chaque groupe de colomnes, ſ ix Vers Latins ; de maniere que le ſ ujet de chaque Medaille, e ſ t expliqué par deux de ces Vers. Les lettres en ſ ont de bronze doré au feu, ain ſ i que les bordures & les autres ornemens des Médailles. Voicy les actions de Sa Maje ſ té qui ſ ont représentées dans chacune des ſ ix Médailles fonduës en bronze. [62] La premiere Médaille marque la paix que le Roy a donné [sic] à l’Europe en 1677. Elle e ſ t expliquée par les Vers ſ uivans. 319 Dans son contrat testamentaire que Lemée publie à la suite de son Traité des Statuës, La Feuillade détaille dans plusieurs articles les obligations que ses héritiers auront à assumer pour l’entretien des monuments de la Place des Victoires. L’article VII déclare la volonté dudit « Seigneur donateur [de] pourvoir à ce que la Statuë qu’il a erigée au Roy dans la Place des Victoires de cette Ville de Paris, soit conservée à perpetuité en son entier, & dans toute sa beauté avec tous ses ornemens ; Et que les lumieres établies pour éclairer ladite Place soient entretenuës ; Il veut & ordonne que […] Loüis de la Feüillade son fils & tous ceux qui […] joüiront après luy [de l’héritage] soient tenus de faire redorer à leurs frais tous les vingt-cinq ans ladite Statuë, Fanaux & ornemens qui sont à present dorez, si Messieurs les Prevosts des Marchands & Echevins de cette Ville le jugent à propos » ; la suite de l’article donne d’autres détails de ces charges. L’article VIII, bref, concerne exclusivement les obligations relatives à l’éclairage : « Seront [les héritiers] pareillement tenus d’entretenir à leurs frais dans lesdits quatre Fanaux des lumieres suffisantes pour éclairer ladite Place des Victoires pendant la nuit & dans toutes les saisons de l’année. » L’article IX donne les dispositions en rapport avec le service et l’entretien des fanaux : « Seront encore tenus [les héritiers] de payer les gages d’une personne qui sera par eux préposée pour faire allumer lesdites lumieres, faire nettoier les Fanaux, tenir les escaliers qui servent à y monter en état & fermez, & veiller à la conservation de tous lesdits ouvrages. » L’article XI prévoit une inspection régulière, tous les cinq ans, de l’ensemble des ouvrages par le Prévôt des marchands et les échevins de Paris, alors que les articles XIII à XIX alignent d’autres dispositions concernant les monuments de la Place. On notera que toutes ces précautions servaient peu. Dès la mort du maréchal, en 1691, le roi permit à son fils de renoncer à l’éclairage, trop onéreux, de la Place et lui restitua même le fond créé à cet effet par son père. Et en 1717, sous la Régence donc, le Conseil de Paris, chargé, comme on l’a vu, de l’inspection quinquennale des monuments, déclara la caducité des fanaux et autorisa leur démolition à laquelle on procéda l’année suivante, en 1718 (voir F. de Saint-Simon, La Place des Victoires, op. cit., p. 71-72 et G. Brice, Description de la Ville de Paris, op. cit., t. I, p. 433-434/ Reprint p. 125-126). <?page no="122"?> 122 Journal Te duce, te Domino, LODOIX, Prona omnia Gallo, Urbes vi capere & docili quoque parcere captis 320 . La ſ econde repre ſ ente le pa ſſ age du Raab, où les François qui ſ auverent l’Allemagne acquirent une gloire im[63]mortelle, & M r de la Feüillade une réputation, qui fera vivre eternellement ſ on nom dans l’Histoire, Les Vers qui font connoi ſ tre cette grande action, ſ ont, Et Traces ſ en ſ ere queat quid Gallica virtus, Arrabo caede tumens, & ſ ervata Au ſ tria te ſ tis 321 . 320 Dans la Description du Monument de Régnier-Desmarais, section « Inscriptions pour les Bas-reliefs des Colomnes », op. cit., p. 28, le texte est précédé du libellé suivant VALENTIANAE VI CAPTAE ET ILLAESAE et suivi de la paraphrase française VALENCIENNES prise d’assaut, & sauvée du pillage. 1677. Quels effets surprenants ne doit-on point attendre Du soldat que LOUIS a pris soin d’enseigner ? En guerrier intrepide, il sçait tout entreprendre ; Et modeste vainqueur, il sçait tout épargner. Il s’agit en fait de la commémoration du siège de Valenciennes, en 1677, un des derniers épisodes de la Guerre de Hollande. L’allusion au « soldat vainqueur » à qui Louis apprit à « tout entreprendre », mais aussi à « tout épargner », renvoie à la sauvegarde de la ville prise, mais non livrée au pillage, selon la recommandation expresse faite par le roi à ses troupes. Le Nouveau Mercure Galant contenant tout ce qui s’est passé de curieux depuis le premier de Janvier, jusques au dernier Mars 1677, Paris, Théodore Girard, 1677, p. 192-193, relate ce comportement exemplaire des vainqueurs assagis par la pédagogie de la seule présence royale : « Le Roy n’eut pas si tost appris que les Troupes commençoient à entrer, qu’il ordonna qu’on empeschast le pillage, & l’on ne trouva point de meilleur moyen pour arrester les Soldats, que de crier, voila le Roy. Ces paroles leur inspirerent d’abord une crainte respectueuse qui les retint ; & si sa présence avoit fait prendre si promptement une Place importante, il n’a esté besoin que de prononcer son nom pour la garantir du pillage. » 321 Cette inscription figure à la p. 23 de la Description de Régnier-Desmarais, section « Inscriptions pour les Bas-reliefs des Colomnes », sous le titre PUGNA AD ARRABONEM IN PANNONIA. Elle y est suivie de la paraphrase française libellée LE COMBAT DE SAINT GOTARD En Hongrie. 1665. L’Ottoman qui marchoit fier & victorieux, N’a-t-il pas du François la valeur éprouvée ? Le Rab grossi de sang, & l’Autriche sauvée En seront à jamais des tesmoins glorieux. Elle est faite pour commémorer l’apport français à la bataille de Saint-Gothard sur la rivière hongroise du Raab, qui opposa aux Turcs l’armée chrétienne dont fit <?page no="123"?> 123 Journal On voit dans la troi ſ iéme Medaille la grandeur, & la magnificence des Ba ſ timens du Roy, ce qui ſ e reconnoi ſ t [64]par les Vers ſ uivans. Quanta operum moles, & quanto ſ urgit ad auras Vertice ! ſ ic po ſ itis LODOIX Agit otia bellis 322 . Ces trois Medailles ſ ont du co ſ té de la Ruë des Petits-Champs, & font une chute les unes ſ ur les autres. Les trois autres ſ ont plus en dedans de la Place, & en regardent le Ba ſ timent. Elles ſ ont placées de la me ſ me maniere que celles dont je[65] viens de vous parler, c’e ſ t à dire, qu’elles ſ ont entre deux colomnes, & forment un rang les unes ſ ur les autres. La plus élevée repre ſ ente le Roy qui ordonne qu’on rende les Places qui ont e ſ té pri ſ es à ſ es Alliez. On n’a qu’à lire les deux Vers ſ uivans pour connoi ſ tre ce qu’elle contient. Reddere Germanos LODOIX regnata Sueco Arva jubet, Dano ſ que, Iader ſ tupet, & ſ tupet Albis 323 . partie le contingent français aux ordres de Jean de Coligny-Saligny, épisode évoqué ci-dessus dans l’Introduction (voir p. 32). On se contentera à cet endroit de relever la part de La Feuillade qui aura tenu à ce que ce fait d’armes majeur de sa carrière soit dûment commémoré sur la Place qu’il finançait. En fait, si certains ont pu critiquer le rôle surfait du duc par rapport à celui de Coligny - le roi, sensible à la courtisanerie de La Feuillade, n’y a pas été étranger - on convient cependant de son indéniable bravoure qui lui avait valu de la part des Turcs ce nom de Fuladi, homme de fer, forgé à partir de son patronyme (voir É. de Langsdorff, « Récits de l’Histoire de Hongrie. Une armée française en Hongrie. Bataille de Saint-Gothard », op. cit., p. 606). 322 Cette inscription ne figure dans aucun des textes consultés. Nous traduisons librement : « Quelle masse d’ouvrages et qui s’élève à quels sommets, proches des nues ! Voilà comment LOUIS meuble ses loisirs en temps de paix. » 323 L’inscription figure à la p. 30 de la Description de Régnier-Desmarais, section « Inscriptions pour les Bas-reliefs des Colomnes », sous ce libellé : RESTITUTUS IN AGROS GERMANICOS SUECUS. Elle y est suivie de cette paraphrase française : LES SUEDOIS RESTABLIS en Allemagne. 1679. Du vaillant Suédois LOUIS prend la défense : Les Germains, les Danois disputent vainement. Par crainte, ou par respect, tout cede à sa puissance : On voit l’Elbe & l’Oder saisis d’étonnement. L’allusion est aux territoires que la Suède a pu conserver grâce à l’appui de la France. À la suite de la Guerre de Trente Ans, la Suède s’était engagée dans la Guerre du Nord ouvrant en particulier les hostilités contre le Danemark. La paix d’Oliva, en 1660, lui assura la possession de la Scanie, à l’extrémité sud, auparavant possession <?page no="124"?> 124 Journal [66]La Medaille qui ſ uit fait voir la jonction des deux Mers, ce que ces deux Vers expliquent tres-bien. Mi ſ ceri tentata prius, semper que negata Aequora, perpetuo LODOIX dat foedere jungi 324 . danoise. Au moment de la Guerre de Hollande, la Suède resta fidèle à l’alliance française, mais sa flotte battue par les Danois, son armée tenue en échec par les Brandebourgeois, semblèrent annoncer la fin de la présence suédoise en terre germanique. Toutefois, les traités de Saint-Germain et de Fontainebleau, signés en 1679 à la suite de la Paix de Nimègue, lui conservèrent ses possessions allemandes que Louis XIV obligea les Brandebourgeois et les Danois - « les Germains et les Danois » - de lui restituer dans la mesure où ils s’en étaient emparés. D’où l’inscription de la Place. Elle fut loin de plaire à ceux dont elle prétendait célébrer l’attachement à la France. Une action diplomatique fut initiée au mois d’octobre 1685, qui aboutit au mois de mars 1686 au rappel de l’ambassadeur de Suède à Paris, Nils Lillieroot, et aux protestations de Daniel Cronström, cet architecte suédois qui officiait en France comme une espèce d’ambassadeur culturel avec mission de faire connaître dans son pays l’évolution de la scène artistique française (pour plus de détails, voir H. Ziegler, « Le demi-dieu des païens. La critique contemporaine de la statue pédestre de Louis IV », dans Place des Victoires, op. cit., p. 55). 324 L’inscription figure à la page 32 de la Description de Régnier-Desmarais, section « Inscriptions pour les Bas-reliefs des Colomnes », sous le libellé : IUNCTA MARIA Elle est suivie de cette paraphrase française : LA JONCTION DES MERS Pour joindre les deux Mers, on a veû d’âge en âge Les plus grands Potentats faire de vains efforts : Mais LOUIS, plus heureux, plus puissant, & plus sage, De l’une & l’autre Mer joint pour jamais les bords. Par édit du mois d’octobre 1666, Louis XIV avait lancé les travaux « pour la construction d’un canal de communication des deux mers, Océane et Méditerranée », ceci « dans le dessein de rendre le commerce florissant dans notre royaume par de si considérables avantages ». L’entreprise, soutenue par Colbert, est confiée à Pierre-Paul Riquet, de son état directeur de la ferme, et qui avait longuement médité le projet. L’ouvrage prévu pour relier le Seuil de Naurouze à Sète s’étendait sur deux cent cinquante kilomètres et comportait, outre soixante-deux écluses, des bassins, des étangs, des aqueducs, des plans d’eau artificiels. La construction achevée au mois de mai 1681 avait pris non moins de quinze années. Le prix total s’élevait à 17 161 028 livres, soit 162 171 714,60 euros. Comme une des plus grandes réalisations du règne, elle avait des incidences littéraires comme ces vers que Corneille lui consacra et que Chateaubriand rapporte au second tome des Mémoires d’Outre- Tombe : « À Narbonne, je rencontrai le canal des Deux-Mers, Corneille, chantant cet ouvrage, ajoute sa grandeur à celle de Louis XIV : <?page no="125"?> 125 Journal On n’a qu’à jetter la veuë ſ ur la derniere de ces ſ ix Medailles, pour y reconnoi ſ tre d’abord l’Audience donnée par le Roy aux Amba ſſ adeurs[67] de Siam 325 , & l’on n’a qu’à lire les Vers suivans pour apprendre que la renommée ayant publié dans les Païs les plus reculez, tout ce qui rend le Roy l’admiration de l’Univers, les Souverains de toutes les Parties du monde, ont envoyé des Amba ſſ adeurs pour e ſ tre témoins de ſ a grandeur. Ingentem Lodoicum armis, famaque [sic], fidemque [68]Egre ſſ am, Scithia & Libie venerentur & Indi 326 . Le Roy aprés avoir con ſ ideré avec une attention digne de ſ a bonté, les changemens qu’on avoit faits à la Place des Victoires depuis le jour que Sa La Garonne et le Tarn, en leurs grottes profondes Soupiraient dès longtemps pour marier leurs ondes, Et faire ainsi couler par un heureux penchant Les trésors de l’aurore aux rives du couchant Mais à des vœux si doux, à des flammes si belles La nature, attachée à des lois éternelles, Pour obstacle invincible opposait fièrement Des monts et des rochers l’affreux enchaînement. France, ton grand roi parle, et ces rochers se fendent, La terre ouvre son sein, les plus hauts monts descendent. Tout cède… Mémoires d’Outre-Tombe, Livre XIV, 2, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1951, t. I, p. 485. Pour d’autres détails on lira l’ouvrage d’André Maistre, Le Canal des Deux Mers. Canal royal du Languedoc, 1666-1810, Toulouse, Éditions Privat, 1998. 325 Il ne s’agit pas ici de la célèbre ambassade de l’année 1686 à laquelle le Mercure a consacré tant de pages de ses numéros de décembre 1686, mais de celle, plus modeste, de 1684, composée de deux mandarins escortés de deux ecclésiastiques français dont le P. Vachet (voir note suivante). Selon L. Bély, L’art de la paix en Europe, Paris, PUF, 2007, p. 354 « ces voyageurs, vite désignés comme des « ambassadeurs du roi de Siam » […] attendent le passage de Louis XIV, devant lequel Vachet - l’ecclésiastique français qui les accompagne depuis le Siam - les fait se prosterner comme ils l’auraient fait devant le roi de Siam. » 326 L’inscription figure à la page 33 de la Description de Régnier-Desmarais, section « Inscriptions pour les Bas-reliefs des Colomnes », sous le libellé : EX SCITHIA, LIBYA, ET EXTREMA INDIA LEGATI On notera les lapsus famaque pour famamque, egressam pour egressum, venerentur pour venerantur, inadvertances du Mercure, alors que la Description, donne la forme correcte, de même que Brice dans sa Description de la Ville de Paris, op. cit., p. 431 / Reprint, t. I, p. 125. Elle est suivie de la paraphrase française : LES AMBASSADES des Nations éloignées. Attirez par le bruit du grand nom de LOUIS, Le Scithe belliqueux, l’Indien, & le More, Abandonnent le Nort, le Couchant, & l’Aurore ; Et tous, à son aspect, demeurent éblouis. <?page no="126"?> 126 Journal Maje ſ té y estoit venuë 327 , & avoir fait à M r de la Feuillade, & M r le Prevo ſ t des Marchands tout l’accueil qu’ils en pouvoient e ſ perer, partit aux cris de Vive le Roy, mille & mille[69] fois réiterez, car quoy que la Place fu ſ t déja fort remplie de Peuple lors que Sa Maje ſ té y arriva, la foule augmenta de telle ſ orte ſ ito ſ t qu’Elle y fut entrée, qu’on auroit dit que tout Paris y e ſ toit, ſ i ſ a grandeur & le nombre prodigieux de ſ es Habitans e ſ toient moins connus. En marge du texte, Régnier-Desmarais explique : « Les Ambassadeurs de Moscovie. 1668. 1681. & 1685. Ceux de Guinée en 1670. Ceux de Maroc & de Fez en 1682. Ceux de Siam en 1684. Ceux d’Alger en 1685 [en fait 1684]. » Ambassadeurs de Moscovie, 1668 voir M. Seydoux, « Les ambassades Russes à la Cour de Louis XIV », dans Cahiers du monde russe et soviétique, Année 1968, vol. 9, N° 9-2, p. 236-237. Id., 1681 Mercure de mai 1681, p. 228-242. Id., 1685 Mercure de juin 1685, p. 277-322. Ambassadeurs de Guinée, 1670 : ambassade envoyée par le roi d’Arda, un des plus puissants monarques de Guinée, pour proposer à Louis XIV un traité de commerce avec les Français établis dans la Martinique (voir H. Ph. de Limiers, Histoire du Règne de Louis XIV […], Amsterdam, aux Dépens de la Compagnie, 1718, vol. 3, L. VI, p. 265). Ambassadeurs de Fez et du Maroc, 1682 : réception à Saint-Germain, le 4 janvier 1682, de Mohamed Temim, ambassadeur de Fez,de Moulay Ismaïl, sultan du Maroc. Mercure janvier 1682 p. 291-341 et février 1682 p. 295-332. Voir aussi L. Bély, L’art de la paix en Europe […], Paris, PUF, 2007, p. 346 et s. Ambassadeurs de Siam, 1684 : ambassade siamoise à Versailles : deux mandarins accompagnés du P. Vachet : Phra Narai, Roi de Siam, et son conseiller grec Constantin Phaulkon sollicitent une alliance avec la France. (voir Bély, L’art de la paix, op. cit., p. 354). Ambassadeurs d’Alger, 1685 : Mercure août 1685 [en fait 1684] p. 106 et s. arrivée de l’ambassadeur d’Alger en France, à la suite du traité conclu entre le Dey et la France. Voir G. de Raxis de Flassan, Histoire générale et raisonnée de la diplomatie française […], Paris, Giguet et Michaud, 1809, t. IV, p. 81 et s. 327 Visite du 30 janvier 1687. Voir ci-dessus n. 295. <?page no="127"?> 127 Journal La plupart des Officiers qui ont accoûtumé d’aller à cheval, s’e ſ tant joints en ſ emble pour prendre des Caro ſſ es[70] afin d’éviter la poudre qui incommode beaucoup en cette ſ ai ſ on, & pour e ſ tre plus en e ſ tat de ſ ervir le Roy, il y en avoit un nombre infiny à la ſ uite de la Cour, la dépen ſ e ne leur coutant rien lors qu’il s’agit du ſ ervice d’un Monarque au ſſ i agreable à ceux qui ont l’honneur de l’approcher ſ ouvent, qu’il e ſ t redoutable à ſ es Ennemis, & admiré de toute la Terre. Je puis en parler ain ſ i ſ ans flaterie, & il merite tous les[71] jours de nouvelles loüanges par des endroits qui n’en ont jamais attiré à aucun Prince. Au ſſ i peut-on dire que non ſ eulement il ne lai ſſ e jamais échapper aucune occa ſ ion de faire du bien, mais qu’il cherche me ſ me de nouveaux moyens d’en faire, & qu’il e ſ t ingenieux à les trouver. Ne croyez pas que cecy ſ oit avancé comme une loüange vague. Je ne le dis que parce que j’ay à parler d’un fait ſ ur ce ſ ujet, qui découvre le [72]caractere de bonté du Roy, autant que ſ es actions d’éclat font connoi ſ tre ſ a pui ſſ ance, & la grandeur de ſ on ame. C’e ſ t icy le lieu de mettre en ſ on jour le fait qu’il faut que je vous explique, puis qu’il regarde la ſ uite de son Voyage. Je vous diray donc que pendant toute la route, Sa Maje ſ té a pre ſ que toûjours dîné dans des Villages. Vous allez ſ ans doute vous imaginer (& vo ſ tre sentiment ſ era generalement suivy) que les [73]Villages les plus forts & les plus riches ne l’e ſ toient pas trop, pour avoir l’honneur de recevoir un ſ i grand Monarque. C’e ſ toit cependant tout le contraire ; le plus pauvre avoit l’avantage d’e ſ tre préferé, & l’on a veu cela ob ſ ervé dans toute la route avec une exactitude que je ne ſ çaurois a ſſ ez marquer. Vous n’en pourrez douter, lors que je vous auray dit que Sa Maje ſ té, qui ne fait point de Voyages ſ ans avoir [74]la Carte des Païs où Elle va, examinoit tous les jours ſ ur celle qu’on luy avoit fournie, les lieux par le ſ quels il falloit qu’Elle pa ſſ a ſ t. Elle y voyoit tous les Villages, Elle s’informoit de leur e ſ tat, & nommoit en ſ uite le moins accommodé, parce que la Cour ne s’arre ſ te en aucun lieu ſ ans y répandre beaucoup d’argent. C’e ſ t ce qui s’e ſ t fait dans tous les Villages où l’on a esté obligé de s’arre ſ ter pendant ce der[75]nier Voyage. Le Roy dînoit ſ ous une Feüillée, & l’on en dre ſſ oit au ſſ i pour les principales Tables de la Cour. Ain ſ i tous les Païsans e ſ toient payez pour couper des branches de verdure, & pour travailler à la con ſ truction de ces Feüillées. Ils tiroient au ſſ i de l’argent de tout ce qu’il y avoit dans leur Village qui pouvoit ſ ervir aux tables, & de tout ce qu’ils avoient d’utile aux équipages de la Cour, ain ſ i [76]que de leur foin & de leur avoine ; & le Roy ne lai ſſ oit pas outre cela de leur faire encore ſ entir ſ es liberalitez ; en ſ orte que ces heureux Villages ſ e ſ ouviendront long-temps d’avoir veu un Prince qu’on vient tous les jours admirer du fond des Climats les plus reculez. Le Roy e ſ tant ſ orty de la Place des Victoires, trouva encore une infinité de peuple dans les autres ruës de Paris qu’il avoit à traver ſ er. Les de [77] <?page no="128"?> 128 Journal mon ſ trations d’allegre ſſ e ne ce ſſ erent point, non plus que les cris de Vive le Roy, de maniere que tous les Peuples étant animez du me ſ me zele, on eu ſ t dit que ces cris de joye n’e ſ toient qu’un concert des me ſ mes per ſ onnes, quoy qu’à me ſ ure que Sa Maje ſ té avançoit, il fu ſ t formé par diver ſ es voix. Le Roy dîna ce jour-là au Village de Bondy, & rencontra ſ ur le chemin M r le Baron de Beauvais 328 avec tous les Gardes & les Officiers des [78] Cha ſſ es de la Capitainerie 329 , dans toute l’étenduë de laquelle ce Prince luy permit de l’entretenir à la portiere de ſ on Caro ſſ e. Les Plaines de S. Denis dépendent de cette Capitainerie 330 . M r le Prevo ſ t des Bandes 331 parut ſ ur la même route, & po ſ ta 328 Louis de Beauvais (†1697), baron de Gentilly, capitaine des chasses royales, et à ce titre chargé de vendre le gibier du roi. Selon certaines « clefs », il serait l’original de l’Ergaste de La Bruyère (Des biens de fortune, 28), personnage imbu de soi-même, écouté par le prince et d’une avidité légendaire. Saint-Simon l’évoque comme suit : [Le fils de Madame de Beauvais] qui s’était fait appeler le baron de Beauvais, avait la capitainerie des plaines autour de Paris. Il avait été élevé, au subalterne près, avec le Roi. Il avait été de ses ballets et de ses parties, et, galant, hardi, bien fait, soutenu par sa mère et par un goût personnel du Roi, il avait tenu son coin mêlé avec l’élite de la cour, et depuis traité du Roi toute sa vie avec une distinction qui le faisait craindre et rechercher […] ; d’ailleurs honnête homme, et toutefois respectueux avec les seigneurs. » (Op. cit., t. I, p. 109-110). Il est mort d’apoplexie en 1697 (ibid., p. 419). 329 Par capitainerie on entend une étendue de terre déterminée soumise à une même juridiction pour la chasse. Les capitaines des capitaineries royales, de loin les plus importantes, ont juridiction entière, en matière de chasse, au civil comme au criminel. Dans ces capitaineries, les seigneurs ne pouvaient chasser, même dans leurs propres fiefs, dans leurs parcs, clos et jardins sans permission du roi ou du capitaine. Il leur était de même défendu d’établir des parcs ou des clôtures sans permission ou encore d’aménager dans ces parcs et clôtures des trous par lesquels le gibier pût passer. Une déclaration du mois d’octobre 1699 supprima environ quatre cinquièmes de ces capitaineries parce que trop limitatives pour la chasse qui est « un des plus honnêtes plaisirs que la noblesse puisse avoir » (voir M. Marion, Dictionnaire des Institutions de la France aux XVII e et XVIII e siècles, op. cit., p. 69). D’après L’État de la France de 1687, op. cit, t. I, p. 551, le baron de Beauvais était capitaine des chasses du Bois de Boulogne et du château de Madrid. 330 La Plaine Saint-Denis au Nord-Est de la capitale, de même que Bondy. Une carte de la capitainerie du Bois de Boulogne au XVIII e siècle produite dans l’étude d’Alexis Hluszko sur les Capitaineries royales en Île-de France, montre celle du Bois de Boulogne étirée de l’Ouest à l’Est de la ville et s’arrêtant tout juste devant Bondy. Mais les limites, signalées comme approximatives, ont pu inclure le lieu au moment du Voyage (voir A. Hluszko, Le terrain de chasse du Roi. Les Capitaineries royales en Île-de- France, Paris, Éditions de Montbel, 2009, p. 223). 331 D’une manière générale, le prévôt de l’armée est un officier chargé de connaître des délits commis par les soldats ; plus particulièrement, le prévôt des bandes assume cette fonction dans le régiment des Gardes. Voir Dictionnaire de l’Académie de 1694 : <?page no="129"?> 129 Journal diver ſ es Brigades 332 aux environs des Bois. Les Dames que je vous ay marqué qui e ſ toient du Voyage, avoient l’honneur de dîner avec Sa Maje ſ té, ain ſ i que Madame la Com [79] te ſſ e de Gramont 333 , & Madame de Mornay 334 , que je ne « Prevost des bandes. L’Officier qui a pareille jurisdiction dans le Regiment des Gardes. » L’Encyclopédie, 2 e éd. Genève, Pellet, 1778, vol. 27, p. 371, précise que le « Prévost des Bandes françoises est un prévost d’armée attaché au régiment des gardes françoises, il y a aussi un prévost des gardes suisses ; ces sortes de prévosts sont pour ce corps en particulier, ce que les prévosts de la connétablie & maréchaussée de France sont pour le reste de l’armée ». En 1687, le « prévot des Bandes Françoises & du rêgiment des Gardes » s’appelait Mulot (État de la France, op. cit., t. I, p. 402). 332 D’après le Dictionnaire de l’Académie de 1694, la brigade est soit « une troupe de gens de guerre d’une mesme Compagnie, sous un Officier que l’on nomme Brigadier », soit un ensemble « de plusieurs bataillons ou escadrons d’une armée, commandez par un Officier general qu’on appelle Brigadier ». Il est évident que c’est la première définition qui doit s’appliquer ici. 333 Élisabeth Hamilton, fille de Georges Hamilton et de Marie Butler, épouse de Philibert, comte de Gramont (1621-1708). D’origine écossaise et catholiques, les parents d’Élisabeth avaient fait avec leurs enfants un séjour prolongé en France, pendant lequel ils installèrent leur fille, toute jeune, à Port-Royal-des-Champs. La future comtesse - elle épousera le comte de Gramont en 1663 (Saint-Simon, op. cit., t. II, p. 1586, n. 7 ad p. 856) - restera sa vie durant attachée à la sainte Maison, osant fronder le roi par l’étalage, dans sa chambre, des portraits des icônes du jansénisme : Jansen, Arnauld, Saci y saluaient des murs. Louis XIV ne s’en formalisa pas autrement, de même qu’il ne lui tint pas rigueur d’aller passer l’octave du Saint-Sacrement à Port-Royal, car il « avait personnellement pour elle une vraie considération, et une amitié qui déplaisait fort à Madame de Maintenon, mais qu’elle n’avait jamais pu rompre, et qu’elle souffrait parce qu’elle ne pouvait pas faire autrement » (Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 620-621). Aussi la comtesse de Gramont garda-t-elle sa liberté envers tous, y compris les ministres (ibid., t. II, p. 329)… et son mari. On lui a prêté certaines galanteries (voir R. Duchêne, Correspondance de Madame de Sévigné, op. cit., t. I, p. 1126, n. 4 ad p. 299). De belle prestance jusque dans ses vieilles années (Saint-Simon, op. cit., t. II, p. 329), elle ajoutait aux avantages du corps ceux de l’esprit. « On ne pouvait, écrit Saint- Simon, avoir plus d’esprit, et, malgré sa hauteur, plus d’agrément, plus de politesse, plus de choix » (ibid. ; voir aussi t. III, p. 146). Se sentant décliner, elle se retira de la cour pour consacrer ses dernières années « uniquement à Dieu » (id., t. III, p. 147). 334 Françoise Renée de Coëtquen (1670-1743), comtesse de Mornay par son mariage, en 1685, avec Henri-Charles de Mornay-Monchevreuil, mort noyé dans l’Escaut en 1688, alors qu’il voulait rejoindre l’armée (Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 32). Au moment du voyage royal de Luxembourg, Madame de Mornay était donc une jeune épouse de dix-huit ans ; elle sera veuve une année plus tard. Dans sa lettre du 22 novembre 1692 à Madame de Guitaut, Madame de Sévigné évoque la carrière <?page no="130"?> 130 Journal vous ay pas nommées. Madame de Moreüil 335 , & Madame de Bury 336 , Dames d’honneur de Madame la Duchesse de Madame la Prince ſſ e de Conty, eurent le me ſ me avantage. Les Filles d’honneur ne dînerent point avec Sa Maje ſ té, mais elles y ſ ouperent 337 . Il fut reglé ce jour-là qu’il n’y auroit à l’avenir que spirituelle de la comtesse qui se retira, cette année, à l’abbaye cistercienne des Clérets, dans l’Orne, avec l’intention d’y être à Dieu, pour toujours. En fait, sa mère, Madame de La Marselière, devait bientôt la ramener à Paris, (voir Correspondance de Madame de Sévigné, op. cit., t. III, p. 1615, n. 1 ad p. 996), mais l’épisode, pour Madame de Sévigné, est occasion de clamer sa foi janséniste : « Voilà des coups de cette grâce si victorieuse, que j’aime et honore si parfaitement. » (Ibid., t. III, p. 996). L’éditeur des Mémoires de Sourches précise qu’en tant que belle-fille de Henri de Mornay, marquis de Montchevreuil, père de son mari, Madame de Mornay jouissait de la faveur de Madame de Maintenon (voir ci-dessous n. 1042). Celle-ci, en effet, tenait le personnage qu’elle qualifiait d’« homme d’une antique probité » en haute consideration. 335 Hélène Fourrier de Dampierre, épouse d’Alphonse, comte de Moreuil. Dans sa relation de 1697, Saint-Simon décrit ainsi le couple, avant d’annoncer la cause de la mort de Madame de Moreuil, qui devait intervenir en 1700, suite à un mal incurable : « Mme de Moreuil, qui était une personne d’esprit et de mérite, femme d’un original de beaucoup d’esprit aussi, des bâtards de cette ancienne maison de Moreuil éteinte depuis longtemps et qui était à Monsieur le Duc [le Grand Condé] demanda tout d’un coup à se retirer, sans qu’on pût savoir pourquoi […]. On vit depuis de quoi il était question : la pauvre femme cachait un cancer dont elle mourut quelque temps après. » (Op. cit., t. I, p. 361 et p. 1350, n. 6 ad p. 361). Le mémorialiste confirme à trois reprises sa qualité de dame d’honneur de Madame la Duchesse (t. I, p. 45 et p. 361 ; t. III, p. 606). 336 Anne Marie d’Urre d’Aiguebonne, veuve de François de Rostaing, comte de Bury, mort en 1666 (1633-1724). Saint-Simon qui confirme qu’elle était choisie comme dame d’honneur pour le mariage de la princesse de Conti, la décrit comme « femme d’une grande vertu, d’une grande douceur et d’une grande politesse, avec de l’esprit et de la conduite » (op. cit., t. I, p. 189). Dans sa lettre du 17 janvier 1680 à Madame de Grignan, Madame de Sévigné explique les circonstances - pour ne pas dire les intrigues - qui avaient valu à Madame de Bury cet honneur. On mobilise son confesseur, le célèbre Bourdaloue, pour lui attester son éloignement du jansénisme, alors que sa concurrente, Madame de Vibraye, suspecte sur ce point, en fut pour sa nomination (Correspondance, op. cit., t. II, p. 798). D’autres textes confirment le manque de sympathie de l’épistolière pour la comtesse (voir, p. ex., op. cit., t. III, p. 655 : lettre à Madame de Grignan du 30 juillet 1689 ou encore, p. 963, lettre à Coulanges du 15 mai 1691, où il est question de « la pimbêche fureur de Madame de Bury »). 337 On sait qu’au XVII e siècle, le dîner correspond au repas de midi, le souper, au repas du soir. Le Dictionnaire de l’Académie de 1694 fournit les définitions suivantes : « Disner, prendre le repas qu’on fait ordinairement à midy. » « Souper, prendre le repas ordinaire du soir. » <?page no="131"?> 131 Journal deux Filles d’honneur des deux Prince ſſ es qui auroient [80] ce privilege. Le nombre des Prince ſſ es auroit e ſ té encore plus grand dans ce Voyage, ſ i lors que le Roy partit, Mademoi ſ elle d’Orleans 338 ne s’e ſ toit point trouvée à Eu 339 , 338 Anne Marie Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, dite la Grande Mademoiselle (1627-1693). Cette riche héritière, fille de Gaston d’Orléans, frère unique de Louis XIII et de Marie de Bourbon-Montpensier dont elle tenait ces biens immenses qui avaient fait d’elle le parti le plus avantageux de France, s’était proposé de ne point se marier au-dessous de sa condition : seul Louis XIV, son cousin, plus jeune qu’elle de onze années, lui paraissait digne de son alliance. Mazarin s’opposa à ce projet ; le dépit engagea Mademoiselle dans les rangs de la Fronde, où elle combattit avec Condé les troupes royales aux ordres de Turenne. Le 2 juillet 1652, elle commit cet acte, le plus marquant de sa vie, et qui lui valut disgrâce et exil : alors que Condé, dans le faubourg Saint-Antoine, est assailli par Turenne, Mademoiselle fait tirer du haut de la Bastille sur les troupes de ce dernier, celles du roi donc. Dès le retour de Louis dans la capitale, les sanctions tombent, dont, pour Mademoiselle, l’exil dans son château de Saint-Fargeau, et le fait qu’elle refuse la main d’Alphonse VI, roi du Portugal, personnage diminué, mais dont l’alliance aurait servi la politique de la cour de France, n’est pas pour arranger sa situation. Elle rentre pourtant en grâce - et à la cour - pour assister, en 1660, au mariage du roi avec l’infante Marie-Thérèse. Est-elle apaisée, prête pour une vie toute de sérénité - et d’ennui ? Les suprêmes émotions l’attendent encore. « Jamais il ne s’est vu de si grands changements en si peu de temps ; jamais vous n’avez vu une émotion si générale ; jamais vous n’avez ouï une si extraordinaire nouvelle ». Ces propos exaltés que Madame de Sévigné tient, le 24 décembre 1670, à Coulanges (Correspondance, op. cit., t. I, p. 143) concernent « l’histoire romanesque de Mademoiselle et de M. de Lauzun » (ibid.). En effet, Anne-Louise, qui a refusé les plus beaux partis, est tombée follement amoureuse d’Antoine Nompar de Caumont, duc de Lauzun, grand charmeur, mais que Saint-Simon dit aussi « méchant et malin par nature, encore plus par jalousie et par ambition » (op. cit., t. VIII, p. 620). Elle demande au roi de consentir au mariage et obtient, dans un premier temps, gain de cause. Mais bientôt Louis, travaillé par toute une coalition d’intérêts - son frère, Philippe d’Orléans, Condé, Louvois, Madame de Montespan - se rétracte et fait arrêter le prétendant, aussitôt conduit sous bonne garde à Pignerol (1671), où il restera pendant dix années (ibid., t. I, p. 53). Mademoiselle s’employant à obtenir son élargissement, consent, pour y parvenir, à céder une partie importante de ses biens au duc du Maine, fils légitimé du roi. Elle obtient satisfaction en 1681 et épouse probablement le prisonnier libéré que, cependant, elle quitte trois ans plus tard. Elle se retire alors du monde et passe ses dernières années dans la prière. Dans ses Mémoires, Mademoiselle mentionne une seule fois Luxembourg, pour dire que Lauzun y a été pour participer au siège de 1684 (Mémoires de la Grande Mademoiselle, Mercure de France, coll. « Mercure de France. Le Temps retrouvé », s.l., 2005, p. 373). 339 La Grande Mademoiselle s’était portée acquéreur du château d’Eu comme l’avaient souhaité, en 1657, les propriétaires précédents, obérés, les Guise, plus particulièrement Mademoiselle de Guise, tutrice après le décès de François-Joseph de Lorraine, <?page no="132"?> 132 Journal & Madame la Duche ſſ e de Gui ſ e 340 , aux Eaux de Bourbon 341 . Madame duc de Guise, du jeune Louis-Joseph, futur duc de Guise. Elle raconte ces tractations dans ses Mémoires (voir Mémoires de la Grande Mademoiselle, op. cit., p. 422-423). En 1661 celle qui ajoute à ses nombreux titres celui de Comtesse d’Eu, fit une entrée remarquée dans son nouveau domaine dont le Livre Rouge de la Mairie d’Eu détaille tous les fastes que Jean Vatout a reproduits dans son Histoire et description du Château d’Eu, Woignarue, Éditions La Vague verte, 2002 (1 re éd. 1839), p. 324 et s. À ce moment, la princesse ignorait encore à quel point son nouveau château constituerait une péripétie de son amour malencontreux pour Lauzun. En effet, après l’incarcération, à Pignerol, de son amant, simple gentilhomme jugé indigne d’un tel parti, elle se laissa convaincre par Madame de Montespan d’instituer le duc du Maine, fils du roi et de la favorite, héritier d’Eu en contrepartie d’un élargissement du prisonnier (Mémoires, op. cit., p. 547-549). Lauzun fut effectivement libéré, et la princesse l’accueillit à Eu qu’elle avait fait embellir pour lui en rendre le séjour agréable. On sait sa désillusion, Lauzun ne répondant en rien à ses attentes. Après la mort de la châtelaine, le 5 avril 1693, le duc du Maine recueillit, comme convenu, le château et augmenta ses titres de celui de comte d’Eu. 340 Élisabeth d’Orléans, demoiselle d’Alençon, seconde fille de Gaston d’Orléans (Monsieur), frère de Louis XIII et de Marguerite de Lorraine, sa deuxième épouse, à laquelle il s’était marié secrètement en 1632, alors qu’il était veuf de Marie de Bourbon-Montpensier, la mère de la Grande Mademoiselle. Élisabeth était duchesse de Guise depuis son mariage, en mai 1667, avec Louis Joseph de Lorraine, duc de Guise (1646-1696). Elle a quarante-et-un ans au moment du Voyage. D’après Saint- Simon, c’est son physique désavantageux (« Bossue et contrefaite à l’excès », op. cit., t. I, p. 278) qui lui avait fait accepter le mariage avec ce dernier duc de Guise, parti peu considérable pour la fille du frère du roi. Le mémorialiste relève avant tout sa piété et son engagement dans les bonnes œuvres (ibid., p. 279). Madame Palatine témoigne qu’on la regarde « comme zéro » (Lettres, op. cit., p. 73). 341 Bourbon-l’Archambault, dans l’Allier. L’histoire de cette célèbre station thermale remonte jusqu’à l’antiquité, les Romains ayant déjà capté et exploité la source thermale - la source chaude : sa température est de cinquante-trois degrés centigrades. Le réservoir romain recouvert au XVII e siècle d’une voûte commandée par Gaston d’Orléans, servait toujours au XX e siècle. L’eau de Bourbon, riche en chlorure de sodium, est indiquée dans toutes sortes de pathologies, les rhumatismes, les phlébites, les affections du système nerveux - la sciatique, les paralysies d’origine cérébrale -, la scrofule. Sa fréquentation par Gaston « lança » Bourbon au XVII e siècle et amena des curistes de prestige, dont Boileau envoyé sur le site par Fagon (voir ci-dessous n. 958), l’année même du Voyage, pour traiter sa célèbre aphonie de laquelle l’entretient Racine dans une lettre du 24 mai 1687 datée de Luxembourg, où le poète avait accompagné le roi dans sa qualité d’historiographe (voir Œuvres complètes, Gallimard, coll. de la Pléiade, 1966, t. 2, p. 475-477), Madame de Sévigné, le Grand Condé, Madame de Montespan enfin. On n’a pas trouvé de témoignage du séjour de la marquise en 1687, qui expliquerait, selon le Mercure, sa non-participation au voyage, mais ne serait-il pas plus logique d’en trouver la cause dans la disgrâce encourue par la favorite dès l’affaire des Poisons, en 1680, et qui ne lui permit de <?page no="133"?> 133 Journal de Monte ſ pan 342 auroit au ſſ i e ſ té du Voyage, mais le ſ oin de ſ a ſ anté l’avoit obligée d’aller prendre de ces mesmes Eaux. Mon ſ ieur le Prince 343 , demeurer à la Cour jusqu’en 1691, date de sa retraite, que pour éviter le scandale ? Dans le même ordre d’idées, on pourra songer au voyage aux eaux de Barèges, où le roi avait prévu de se rendre au mois de mai 1686 pour soigner sa santé, et où tout laissait prévoir que la marquise, de même, serait exclue. Si finalement ce projet fut annulé, il avait provoqué chez Madame de Montespan cette belle colère dont l’abbé de Choisy a témoigné en termes savoureux (Mémoires pour l’Histoire de Louis XIV par feu M. l’abbé de Choisy, Mercure de France, coll. « Mercure de France. Le Temps retrouvé », s.l., 1966, p. 134-136). Pour ce qui est de ses séjours antérieurs à Bourbon, ils sont copieusement documentés, en particulier dans la correspondance de Madame de Sévigné, qui en relève le faste digne d’une reine (voir, entre autres, lettre du 8 juin 1676 à Madame de Grignan, dans Correspondance, op. cit., t. 2, p. 314, qui relate un départ de cure fastueux de Madame de Montespan). On notera enfin que Madame de Montespan est morte le 27 mai 1707 à Bourbon-l’Archambault, où elle s’était rendue pour une ultime cure. Aussi la station thermale fut-elle la scène des improbables indélicatesses du destin post mortem de ce corps, aux dires de Saint-Simon « autrefois si parfait », indignités dont le principal responsable fut le duc d’Antin, fils de la défunte et du marquis de Montespan qui avait rejoint sa mère moribonde pour s’assurer des avantages matériels, mais qui laissa le soin de la dépouille aux médecins et aux valets. On relira ces épisodes hallucinants au tome II des Mémoires, op. cit., p. 974-975. Pour d’autres détails sur Bourbon-l’Archambault, voir L. Lamapet, Bourbon-l’Archambault depuis ses origines jusqu’à nos jours, Moulins, Crépin-Leblond, 1934. 342 Françoise-Athénaïs de Rochechouart, fille d’honneur de la reine Marie-Thérèse, devint marquise de Montespan par son mariage, en 1663, avec Louis de Pardailhan de Gondrin, marquis de Montespan. C’est au moment de la rupture du roi avec Louise de La Vallière, en 1667, qu’elle put s’introduire dans l’intimité de Louis à qui elle donna sept enfants dont le duc du Maine et le comte de Toulouse. En 1679, l’affaire des Poisons la perdit. Madame de Montespan, loin d’avoir été une Messaline - bien que, selon Saint-Simon, « impérieuse, altière, dominante, moqueuse » - se signala par de nombreuses qualités tant de l’esprit que de l’âme. « Il n’était pas possible, écrit le même Saint-Simon, d’avoir plus d’esprit, de fine politesse » que cette nouvelle favorite et qui se reprochait de l’être, puisqu’elle cherchait dans la religion l’apaisement de son âme tourmentée : « Son péché n’avait jamais été accompagné de l’oubli : elle quittait souvent le Roi pour aller prier Dieu dans un cabinet ; » et si, au fil des années, sa dévotion, prenant des formes parfois excessives, impliqua de douloureuses mortifications, elle l’amena aussi au plus louable soin des pauvres, à qui elle finit par « donner presque tout ce qu’elle avait » (voir Saint-Simon, op. cit., t. II, p. 969-979) ; voir aussi M. De Decker, Madame de Montespan. La favorite du Roi- Soleil à son zénith, Paris, Pygmalion, 2000. 343 Henri Jules de Bourbon, prince de Condé, dit Monsieur le Prince (1643-1709), fils du Grand Condé, mort en 1686. Quarante-quatre ans au moment du Voyage. Ce personnage, à la fois et servi et desservi par son apparence - « C’était un petit homme, très mince et très maigre, dont le visage, d’assez petite mine, ne laissait pas <?page no="134"?> 134 Journal Mon ſ ieur le Duc 344 , & Mon ſ ieur le Prince de [81] Conty 345 n’ont point quitté le Roy. d’imposer par le feu et l’audace de ses yeux » (Saint-Simon, op. cit., t. III, p. 411), était un des caractères les plus contradictoires de son siècle. Intelligent, savant - « Personne n’eut plus d’esprit […] ni tant de savoir en presque tous les genres, jusqu’aux arts et aux mécaniques » (ibid.) - il savait user des plus grands charmes quand il le voulait ; il n’y avait pas d’hôte plus attentionné que ce propriétaire de Chantilly. Mais ces traits positifs ne pouvaient faire oublier l’âme la plus noire et, souvent, la plus basse. « Jamais tant d’épines et de dangers dans le commerce, tant et de si sordide avarice, et de ménages bas et honteux, d’injustices, de rapines, de violences ; […]. Fils dénaturé, cruel père, mari terrible, maître détestable, pernicieux voisin ; sans amitié, sans amis, incapable d’en avoir ; ». Et avec tout cela de la dernière bassesse, là où la flatterie pouvait être payante ; cet homme qui faisait « une cour rampante » aux gens de loi et de finances et jusqu’aux commis et valets principaux, témoignait aux ministres cette « attention servile […] raffinement abject de courtisan auprès du roi » (ibid.). Dès lors, on ne s’étonnera pas de le voir traiter avec la dernière indignité sa femme, la malheureuse Anne de Bavière, qui était sa « continuelle victime » (ibid., p. 414). 344 Louis III de Bourbon-Condé, duc de Bourbon, dit Monsieur le Duc (1668-1710), fils du précédent et d’Anne de Bavière. Dix-neuf ans au moment du Voyage. Il épousa en 1685 M lle de Nantes, la fille aînée de Louis XIV et de Madame de Montespan. Ce personnage au physique disgracieux et que sa taille surtout, petite à l’excès, contribuait à rendre peu attrayant, fait l’objet d’un des crayons les plus vengeurs de Saint- Simon. S’il veut bien lui reconnaître quelques avantages, tels un certain esprit, de la politesse, de la grâce même (op. cit., t. III, p. 754), il le présente, pour l’essentiel, en être plus proche du fauve que de l’homme : « Sa férocité était extrême […]. C’était une meule toujours en l’air, qui faisait fuir devant elle, et dont ses amis n’étaient jamais en sûreté […]. [Il était] terrible comme ces animaux qui ne semblent nés que pour dévorer et pour faire la guerre au genre humain. » (Ibid., p. 754-755). La victime la plus célèbre de cette âme monstrueuse était sans doute le poète Santeul, alors très lu, et qui mourut à la suite d’une cruelle lubie de ce prince (ibid., t. I, p. 418-419). Et la notation de Madame Palatine est à peine plus indulgente, malgré un exorde prometteur : « M. le Duc a du cœur et des sentiments élevés ; il n’est pas aussi plein de bassesses que monsieur son père ; mais il s’enivre tous les jours, et c’est une vraie bête pour la brutalité. » (Lettres, op. cit., p. 200). Sa mort précoce, suite à une brève maladie, mit « le monde à son aise » (Saint-Simon, op. cit., t. III, p. 751). Dans la suite de la relation du Mercure on le retrouve dans ses fonctions de grand maître de France auxquelles il avait accédé en 1685 (voir ci-dessous n. 950). 345 François Louis de Bourbon, comte de La Marche, prince de La Roche-sur-Yon, (1664-1709) en 1685, à la mort de son frère, Louis Armand 1 er de Bourbon, prince de Conty. Vingt-trois ans au moment du Voyage. Ce prince dont Saint-Simon estime que « la fermeté de l’esprit cédait […] à celle du cœur » (op. cit., t. III, p. 375) et dont il met en cause les qualités de chef, puisqu’il hésite à le voir à la tête de l’armée ou au Conseil du Roi (ibid.), avait pourtant fait preuve de son talent guerrier. En 1684, il commande un régiment de cavalerie au siège de Luxembourg (voir Histoire <?page no="135"?> 135 Journal Mon ſ eigneur le Dauphin 346 qui aprés avoir oüy la Me ſſ e, e ſ toit party de du Siege de Luxembourg Par l’Autheur du Mercure Galant, op. cit., p. 301), en 1685, il participe, en Hongrie, à la guerre contre les Turcs. Plus tard, on le voit, entre autres, au siège de Namur (1692), à Steinkerque et à Neerwinden (1693). L’événement majeur de sa vie fut certainement, en 1696, son appel au trône de Pologne, où il se rendit avec une flotille commandée par le célèbre Jean Bart ; Louis XIV, certes, ne vit pas d’un œil trop mauvais (Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 347 et p. 402) cette élévation d’un homme dont il n’appréciait guère le franc parler, et qu’il croyait, de ce fait, éloigné pour toujours. L’affaire pourtant tourna mal, et un autre candidat, l’Électeur de Saxe, remporta la mise. En 1688, le prince de Conty avait épousé Marie-Thérèse de Bourbon-Condé qui n’est donc princesse de Conty qu’à partir de cette date et qu’il conviendra de ne pas confondre avec la princesse de Conty du Voyage de 1687, veuve de son frère (voir ci-dessus n. 266). Le prince de Conty est mort le 21 février 1709 « après une longue maladie qui finit par l’hydropisie » (Saint-Simon, op. cit., t. III, p. 368). Madame Palatine a laissé de lui le portrait le plus défavorable, le présentant à la fois en ivrogne (Lettres, op. cit., p. 145-146), en joueur (ibid., p. 158-159), en adultère et en pédéraste (ibid., p. 200). 346 Louis, dauphin de France (1661-1711). Vingt-six ans au moment du Voyage. Ce fils de Louis XIV et de Marie-Thérèse d’Espagne, qu’on appelait le Grand Dauphin, et dans lequel le roi avait mis ses plus grands espoirs, n’allait jamais régner : il est mort, dans son château de Meudon, quatre années avant son père, en 1711, victime d’une petite vérole particulièrement cruelle : Saint-Simon a fait le récit de cette poignante agonie (op. cit., t. IV, p. 76 et s.). Ce prince qu’on avait pris soin de confier aux plus distingués précepteurs, à Bossuet notamment, donnait lieu à des appréciations diverses. Saint-Simon qui commence par un portrait physique assez commun - « Plutôt grand que petit, fort gros mais sans être trop entassé » (ibid., p. 78), Monseigneur, car c’était le titre que le roi avait imposé, avait « l’air fort haut et fort noble », et il aurait même eu le visage « fort agréable » si, enfant, il ne s’était fait casser le nez par son camarade de jeu - enchaîne ensuite par un tableau moral particulièrement sournois : des qualités, des défauts, sont annoncés pour être tournés, incontinent, en leur contraire : « Doux par paresse et par une sorte de stupidité, dur au fond, avec un extérieur de bonté » (ibid.). Et la pédagogie de ses maîtres, loin d’éveiller « son peu de lumières, s’il en eut jamais », l’éteignit au contraire. Aussi cet héritier du trône, n’aurait-il eu, en matière de curiosité intellectuelle, que des goûts de midinette, ne s’intéressant qu’aux avis de mariage et mortuaires de la Gazette de France. À cela s’ajoutait, toujours selon Saint-Simon, une crainte servile du roi qui y répondit en faisant tout pour prolonger « cette terreur toute sa vie » (ibid., p. 81). C’était faire prévoir la nullité politique du personnage que le mémorialiste ne montre actif qu’en une seule circonstance : en 1700, au mémorable Conseil devant décider de l’acceptation ou du refus du testament de Charles II, roi d’Espagne, instituant comme héritier Philippe d’Anjou, le second fils du concerné, il se manifesta pour opiner favorablement. Philippe V monta sur le trône, et la France eut à soutenir, de 1701 à 1713, la désastreuse Guerre de Succession d’Espagne. En 1680, le Grand Dauphin avait épousé Marie-Anne-Christine-Victoire de Wittelsbach, sœur de Maximilien-Émmanuel, Électeur de Bavière. De cette union na- <?page no="136"?> 136 Journal Ver ſ ailles dés le grand matin 347 pour aller cha ſſ er dans la Fore ſ t de Livry, y prit un loup des plus vieux 348 & congedia M r le Chevalier d’Eudicour 349 , Frere du Grand Louvetier de France 350 , & tout l’équipage de la Louveterie, à la te ſ te duquirent trois fils Louis, duc de Bourgogne, père du futur Louis XV, Philippe d’Anjou, déjà mentionné et Charles, duc de Berry. 347 « dès le grand matin », c’est-à-dire dès les premières heures du jour. Voir Dictionnaire de l’Académie, 1694, à l’entrée Matin : « La première heure du jour, les premières heures du jour. Il se lève de bon matin, de grand matin. » De même Sourches, op. cit., t. II, p. 46, qui précise que le Dauphin prit un loup (voir ci-dessous p. 381). 348 Voir aussi Dangeau, op. cit., t. 2, p. 205 : « Samedi 10 mai, à Claye. - Monseigneur est parti ce matin pour aller courre le loup dans la forêt de Livry, & est venu joindre le roi icy » (voir ci-dessous p. 370). Les goûts cynégétiques du Grand Dauphin, et en particulier sa prédilection pour la chasse au loup, donnent lieu à de nombreuses mentions chez Saint-Simon (voir, p. ex., op. cit., t. I, p. 464, 747, 772). Il n’en est pas moins vrai que le mémorialiste voit d’un œil ironique cette passion du prince, puisqu’il estime devoir écrire qu’il dépensait une fortune « à l’équipage du loup, dont il s’était laissé accroire (sans italiques dans le texte) qu’il aimait la chasse » (op. cit., t. IV, p. 79). Il n’en est pas moins vrai que Monseigneur, dont la louveterie comptait une trentaine de personnes, cinquante chevaux et cent chiens, avait débarrassé du fauve dangereux l’entourage des palais royaux (ibid., p. 1095, n. 8 ad p. 79). 349 On n’a pas trouvé de trace de ce personnage, mais l’État de la France de 1687 mentionne un « second Lieutenant de la Louveterie, M. le Chevalier de Ninville, Michel Sublet » (op. cit., t. I, p. 574). Portant le même nom que le Grand Louvetier (voir note suivante), il pourrait s’agir de son frère. 350 Michel III Sublet, marquis d’Heudicourt (†1718). Son mariage avec Anne de Pons, cousine du maréchal d’Albret, en excellents termes avec Madame de Maintenon, lui vaut, en 1684, la charge de grand louvetier de France (Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 321-322). Saint-Simon a laissé de lui et de sa femme l’image d’un vrai couple infernal. Si Madame d’Heudicourt paraît au mémorialiste une « créature sans âme », « mauvaise fée qui ne savait que nuire et jamais servir », Monsieur d’Heudicourt n’est qu’ « un vieux vilain, fort débauché et horrible… gros joueur, le plus fâcheux et le plus emporté, et toujours piqué et furieux » (op. cit., t. III, p. 347). Et la notice dont il accompagne sa mort, en 1718, n’est pas faite pour racheter le personnage : « Le vieux Heudicourt, qui avait été grand louvetier […] mourut chez lui à sa campagne. C’était un vieux débauché, gros et vilain joueur dont personne ne fit jamais le moindre cas. » (Op. cit., t. VIII, p. 353). Voir aussi État de la France, op. cit., t. I, p. 573. La fonction de Grand Louvetier de France créée sous Charles VII donnait à son titulaire autorité sur les lieutenants de louveterie installés dans les provinces. Tout au long de l’Ancien Régime, elle était de grande utilité, les campagnes étant infestées de fauves dangereux pour l’homme et le bétail et nocifs pour l’agriculture. Aussi Charles VII avait-il institué une prime de vingt sous par tête d’animal abattu (voir E. Jullien, La Chasse, son histoire et sa législation, Paris, Didier & Cie, 1868, p. 121-122, p. 241 ; M. Marion, Dictionnaire des Institutions, op. cit., p. 343-344). <?page no="137"?> 137 Journal quel il e ſ toit. Le me ſ me jour, le Roy aprés avoir dîné, alla cha ſſ er [82] dans les Plaines & ſ ur les côteaux. Sa Maje ſ té, a pris le me ſ me diverti ſſ ement pendant toute la route, comme je vous le diray dans la ſ uite de cette Relation. Mon ſ eigneur le Dauphin arriva à Claye avant ſ ix heures du ſ oir, parce qu’il ſ çavoit que c’e ſ toit à peu prés l’heure où le Roy devoit s’y rendre 351 . Il changea d’habit, & alla au devant de Sa Maje ſ té. On connoi ſ t par là combien ce Prince e ſ t infatigable, qu’il[83] e ſ t galant, & qu’il a beaucoup de tendre ſſ e pour le Roy 352 . Sa Maje ſ té arriva à Claye à l’heure que je viens de vous marquer, & fut commodement logée dans la mai ſ on de M [sic] Enjorant 353 , Avocat general du Grand Con ſ eil 354 , & Seigneur en partie 355 de ce Village. Il eut l’honneur de ſ alüer le Roy, qui le receut avec cet air engageant qui e ſ t ſ i naturel à ce grand Monarque. Comme toute ſ a mai ſ on e ſ toit marquée pour [84]le Roy, les Maréchaux des Logis en marquerent une pour luy dans le Village, lors qu’ils 351 Dangeau, op. cit., t. 2, p. 205 : « Samedi 10 mai, à Claye. - Monseigneur […] est venu joindre le roi ici. » La Gazette (op. cit. p. 280) confirme l’heure : [Sa Majesté] « arriva à Claye sur les six heures du soir. » (Voir ci-dessous p. 367). 352 D’après Saint-Simon (voir ci-dessus n. 346), le dauphin éprouvait pour le roi de la crainte plutôt que de la tendresse. Madame Palatine, cependant, rapporte la sincère et profonde affliction du roi à l’annonce de la nouvelle de la mort de son fils (Lettres, op. cit, p. 303). 353 Dès 1521, on trouve un Anjorrant - Louis Anjorrant - seigneur à Claye. Au XVII e siècle, on mentionne Claude Enjorrant, seigneur de Claye, époux en premières noces de Catherine Feydeau de Brou, en secondes, de Jeanne-Catherine Coustard. S’agit-il du personnage du Mercure ? (Voir J.-A. Le Paire, La Baronnie de Montjay-la- Tour et l’ancien doyenné de Claye, coll. Monographies des Villes & Villages de France, Paris, Res universis, 1993, p. 73 et s.). 354 Le Grand Conseil est une institution judiciaire issue du Conseil d’État dont il a été séparé en 1497 pour alléger le volume du contentieux que celui-ci avait en charge. Son rôle principal était de juger les affaires pour lesquelles les Parlements auraient manqué d’impartialité. Cette disposition et aussi le fait que sa juridiction s’étendait sur l’ensemble du territoire, alors que celle des Parlements se limitait à leurs ressorts respectifs, était à l’origine d’une hostilité ouverte des seconds envers le premier. Lors de la réforme Maupeou, en 1771, le Grand Conseil disparut et ses membres furent affectés aux nouveaux parlements du chancelier. Il fut réinstallé en 1774, au moment de la réinstallation de l’ancien ordre judiciaire. Parmi les personnels du Grand Conseil se trouvait, à côté du Premier président, des présidents, des conseillers, du procureur général, aussi l’avocat général, charge occupée en 1687 par Enjorant (voir M. Marion, Dictionnaire des Institutions, op. cit., p. 205-206). 355 D’après le Dictionnaire de Trévoux, le seigneur en partie est « celui qui n’a qu’une partie de cette Seigneurie, qui la partage avec un Coseigneur ». (Dictionnaire Universel […] vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux, Paris, Libraires associés, 1771, t. VII, p. 623). <?page no="138"?> 138 Journal mirent la craye 356 pour le logement des Officiers qui e ſ toient du Voyage ; de ſ orte qu’il fut regardé ce jour-là comme e ſ tant de la Mai ſ on de Sa Maje ſ té. La qualité d’Ho ſ te du Roy fut celle que les Maréchaux des Logis 357 écrivirent en mettant la craye ſ ur le logis qu’ils luy destinerent. Mon ſ eigneur 358 , & Madame la Duche ſſ e eurent des [85]Appartemens dans le Château où le Roy logea. Madame la Prince ſſ e de Conty, & Mon ſ ieur le Duc du Maine logerent dans la Ferme de M r d’Herouville 359 , Mai ſ tre d’Ho ſ tel 360 de Sa Maje ſ té. Me ſſ ieurs 356 Voir ci-dessous la note consacrée aux Princes du Sang (n. 361). 357 Le maréchal des logis, dans l’armée, est un bas officier des troupes de cavalerie, spécialement chargé du service des écuries (M. Marion, Dictionnaire des Institutions, op. cit., p. 362). Dans le présent contexte de la cour, le maréchal des logis « est celuy qui fait le departement des logis de ceux qui suivent la Cour » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). Les maréchaux des logis touchent huit cents livres de gages, quatre cents livres de récompense, neuf cents livres d’extraordinaire auxquelles s’ajoutent, en voyage, cent sols par jour pour leurs frais de table (L’État de la France, op. cit., t. I, p. 492). Dans la maison du roi, ils portent un bâton garni d’argent dont le pommeau est orné des armoiries royales et du nom du titulaire (ibid., p. 493). Ils étaient au nombre de douze dont trois pour chaque quartier de service. En 1687, le quartier d’avril - celui du Voyage de Luxembourg - était assuré par Messieurs de La Coupilière, le Large et Claude Joseph, son fils à survivance, Bénard, sieur de Beaulieu (voir L’État de la France, op. cit., t. I, p. 492-493). On notera cependant que L’État de la France précise que les maréchaux des logis se déchargeaient de cette mission sur les fourriers qu’ils avaient à leur service, se contentant d’assister à l’opération : ainsi le fourrier le plus ancien, « fait le Corps ou le Gros, c’est-à-dire qu’en prêsence du Marêchal des Logis, il marque en craïe les apartements du Roy, ou de leurs Majestés » ; un second fourrier « a soin de marquer en craïe tous les Rangs [Princes, Grands Officiers, Ducs, Pairs, Maréchaux de France, Secrétaires et Ministres d’État et autres personnes de qualité] & les Préférés [le Grand Chambellan, le Premier Gentilhomme de la Chambre, le Grand Maître de la Garderobe, le Maître de la Garderobe, le Capitaine des Gardes] » (voir ibid., p. 499 et p. 500-501). 358 Le Dauphin. Voir ci-dessus n. 346. 359 L’État de la France de 1687, op. cit., t. I, p. 46-47, cite le personnage, ainsi que son fils, pour le dernier quartier de l’année 1687 : « En Octobre. M. d’Erouville & Antoine Ricoüard d’Erouville son fils en survivance. » Les Ricouart d’Érouville étaient possesseurs de plusieurs terres dans le baillage de Meaux dont le fief d’Érouville érigé en comté en 1654, puis en marquisat. Ils restent liés à Claye au XVIII e siècle avec Jacques Antoine Ricouart d’Hérouville, seigneur de la mairie royale et haut-justicier de Claye (voir J.-A. Le Paire, La Baronnie de Montjaye-la-Tour et l’ancien doyenné de Claye, op. cit., p. 86-88). 360 La Maison du Roi comptait en 1687, sous l’autorité du Grand Maître de France, M. le Prince, Henri-Jules de Bourbon, Prince de Condé, le fils du Grand Condé, un Premier Maître d’Hôtel qui était, en 1687, Louis Sanguin, marquis de Livry, (L’État de la France, op. cit., t. I, p. 43 ; pour le marquis de Livry, voir ci-dessous n. 940, un Maître d’Hôtel Ordinaire, en 1687 M. de Rieu (ibid, p. 45), et douze Maîtres d’Hôtel servant à trois par quartier, dont donc, pour le dernier quartier de l’année 1687 <?page no="139"?> 139 Journal les Princes du Sang 361 eurent en ſ uite les logis les plus commodes, & ceux qui voulurent e ſ tre plus au large, allerent à Meaux. (octobre à décembre), Érouville. Les Maîtres d’Hôtel commandent les sept offices de la Bouche - gobelet, cuisine-bouche, paneterie, échansonnerie, cuisine-commun, fruiterie, fourrière - ; ils jouissent d’un certain nombre de privilèges honorifiques, entre autres celui de conduire la viande du roi armés d’un bâton d’argent vermeil doré, celui d’accompagner le bouillon matinal du roi, celui de lui présenter, en l’absence de dignitaires supérieurs, la première serviette mouillée dont il se lave les mains avant de manger, celui d’accompagner à l’église, bâton en main, les Pains-Bénits, si le roi veut en distribuer à quelque paroisse ou confrérie. Le soir, ils prennent les ordres du roi pour le lendemain, en particulier concernant l’heure où il souhaite manger. En voyage, ils demandent au roi lieu et temps de ses repas qu’ils passent ensuite à leurs officiers. Ils peuvent aussi recevoir les serments de fidélité des officiers des sept offices. Les Maîtres d’Hôtel sont rémunérés à raison de 450 livres payables par les Trésoriers de la Maison et de 300 livres à la fin de leur quartier, payables par la Chambre aux deniers (État, op. cit., t. I, p. 46-49). 361 « On appelle en France Princes du Sang ceux qui sont sortis de la Maison Royale par les masles ». Cette définition du Dictionnaire de l’Académie de 1694, assez sommaire, ne tient pas compte de quelques nuances importantes. Si en principe le titre s’applique à tous les descendants mâles de Hugues Capet et les rend aptes à succéder à la couronne, les rois, en fait, n’ont reconnu ce droit qu’aux seuls descendants de Saint Louis. D’autre part, au cours du XVII e siècle, une espèce de hiérarchie s’établit entre les princes du sang, articulée en trois ordres, celui, d’abord, du dauphin, de ses frères et sœurs, les « filles et fils de France », ou « enfants de France », et des enfants de ceux-ci, les « petits-enfants de France », ensuite celui des frères, sœurs, neveux et nièces du roi, enfin, en troisième position, les princes du sang stricto sensu, c’est-à-dire les princes de la lignée royale qui se situent après les enfants et petitsenfants de France. Dans ce troisième ordre, le premier prince du sang est le chef de la Maison de Condé, appelé « Monsieur le Prince ». Les princes du sang des deux premiers ordres portent le titre d’Altesse royale, ceux du troisième, celui d’Altesse sérénissime. À l’occasion des voyages royaux, les princes du sang ont le privilège du « Pour » qu’ils partagent avec les cardinaux et les princes étrangers. Saint-Simon explique - et déconsidère - comme suit cette distinction : « Le Pour est une distinction dont j’ignore l’origine, mais qui en effet n’est qu’une sottise ; elle consiste à écrire en craie sur les logis : ‘Pour M. un tel’, ou simplement écrire ‘M. un tel’. Les maréchaux des logis qui marquent ainsi tous les logements dans les voyages, mettent ce Pour aux princes du sang, aux cardinaux et aux princes étrangers ; […]. Ce qui me fait appeler cette distinction une sottise, c’est qu’elle n’emporte ni primauté, ni préférence de logement : les cardinaux, les princes étrangers et les ducs sont logés également entre eux sans distinction quelconque, qui est toute renfermée dans ce mot Pour et n’opère d’ailleurs quoi que ce soit. » (Op. cit., t. I, p. 538). On constate que si le Mercure signale bien l’habitude de marquer les logis à la craie - sans préciser qu’elle est blanche pour le logis du roi et visible sur la porte de la rue, mais jaune pour les autres, et seulement sur les portes intérieures (État de la France, op. cit., t. I, p. 506-507) - que si, d’autre part, il relève que toute la maison Enjorant, <?page no="140"?> 140 Journal M r de la Sourdiere 362 , Ecuyer de Madame la Dauphine qui e ſ t le me ſ me qu’elle envoya [86]en Baviere, pour porter à M r l’Electeur 363 de ce nom, la nouvelle de la nai ſſ ance de Mon ſ eigneur le Duc de Berry 364 , vint à Claye de la part de cette Prince ſſ e, pour ſ çavoir ſ i Sa Maje ſ té y e ſ toit arrivée en bonne ſ anté. Il y a icy à remarquer une cho ſ e que per ſ onne n’a peut-e ſ tre jamais ob ſ ervée. C’e ſ t que lors que les Princes de la Mai ſ on Royale ſ ont ſ eparez, ſ ans e ſ tre éloignez les uns des autres que d’une jour[87]née, ils s’envoyent tous les jours un Gentilhomme pour s’informer de l’e ſ tat de leur ſ anté 365 , mais au ſſ ito ſ t qu’ils commencent à s’éloigner davantage, ils ne ſ e donnent plus de leurs nouvelles que par des Courriers, qui leur en apportent tous les jours. Dés qu’ils reviennent à une journée de di ſ tance, ils recommencent à ſ e dépe ſ cher « estoit marquée pour le Roy », il omet de préciser le caractère spécial du Pour ne l’employant que dans l’acception commune. De même il n’en fait pas un privilège des princes du sang dont il se contente de présenter les logements comme « les plus commodes » après ceux du roi et de sa proche famille. On notera donc que, contrairement à ce qu’avance Saint-Simon, les princes du sang jouissaient quand même, comme il fallait s’y attendre, d’une « préférence de logement », que donc le « Pour » n’est pas aussi vain que la jalousie du mémorialiste veut le faire croire. Pour la notion des « Princes du sang », voir Dictionnaire de l’Ancien Régime, op. cit., p. 1018-1019 et Dictionnaire du Grand Siècle, op. cit., p. 1256-1257. 362 François Guyet de la Sourdière, Mousquetaire du Roi, l’un des quatre Écuyers de la Dauphine servant par quartier (L’État de la France, op. cit., t. I, p. 645). 363 Ferdinand-Marie, Électeur de Bavière, père de Madame la Dauphine. Voir ci-dessus note consacrée à Madame la Dauphine (n. 256). 364 Charles de France, duc de Berry (1686-1714), troisième fils du Grand Dauphin et de Marie-Anne-Christine de Bavière. Ce prince que Saint-Simon déclare d’intelligence médiocre, « sans aucune vue et sans imagination » (op. cit., t. IV, p. 768), mais cependant doué de bon sens et d’esprit de discernement - « un très bon sens […] capable d’écouter, d’entendre et de prendre toujours le bon parti entre plusieurs spécieux » (ibid.) -, souffrait plus que d’autres de ce complexe d’infériorité que Louis XIV inspirait à bien des membres de son entourage. Timide à l’excès, se persuadant à soi-même « qu’il n’était qu’un sot » (ibid.), il « craignait [le roi] à un tel point qu’il n’en osait presque approcher » (p. 769). Aussi sa femme - Marie-Louise-Élisabeth d’Orléans - « haute, altière » (ibid.) méprisait-elle un mari qui, selon Madame Palatine qui pourtant l’aimait et le préférait à son frère Anjou (Lettres, op. cit., p. 192) « ne se soucie de rien et pourvu qu’il se divertisse, n’importe comment, [estime que] tout est bien pour lui » (ibid., p. 269). Après une brève maladie qu’on attribuait communément à un accident de chasse, le duc de Berry s’éteint le 4 mai 1714, dans sa vingt-huitième année, après une atroce agonie dont Madame Palatine a laissé l’émouvant récit (Lettres, op. cit., p. 339-341). 365 Faut-il voir dans l’observation de Dangeau en date du vendredi 13 septembre 1686 relative à un « petit voyage », une allusion à cette habitude : « Durant le petit voyage, Madame la Dauphine a tous les jours envoyé à Monseigneur, & Monseigneur tous les jours envoyé à madame la Dauphine » ? (Op. cit., t. II, p. 119). <?page no="141"?> 141 Journal un Gentilhomme, & c’e ſ t par cette rai ſ on que Madame la Dauphine n’en renvoya à luy [88]qu’aprés que le Roy commença d’approcher de Ver ſ ailles. Ce Prince e ſ tant arrivé à Claye entre ſ ix & ſ ept heures du ſ oir, y receut un Gentilhomme de Madame, & dépe ſ cha aus ſ i-to ſ t à leurs Alte ſſ es Royales M r du Boulay 366 , Gentilhomme ordinaire de ſ a Mai ſ on, pour apprendre des nouvelles de la ſ anté de Mon ſ ieur, qui s’e ſ toit trouvé mal le matin à la Me ſſ e de Sa Maje ſ té à Ver ſ ailles 367 . [89] La Cour fut tres-bien logée à Claye, parce qu’on étendit les logements ju ſ ques à un lieu voi ſ in, qui e ſ t un Hameau contigu à ce Village, dont il n’e ſ t ſ eparé que par un petit rui ſſ eau 368 , qui fait trouver aux portes des mai ſ ons des Paï ſ ans, des Prairies tres agreables, plantées avec soin & avec compartiment. Je ne vous marque point les lieux & les heures où le Roy a tenu Con ſ eil. Ce Prince ne manque jamais de repos [90] pour ce qui regarde les affaires de l’Etat. Il leur ſ acrifie ſ on repos & ſ es plai ſ irs ; il tient Con ſ eil en tous lieux, & à toute heure, quand il le juge important pour le bien de ſ on Royaume, & il a travaillé dans le Voyage de Luxembourg, avec la me ſ me application qu’il fait à Ver ſ ailles 369 . Il e ſ t vray que ce n’a pas e ſ té avec tous ſ es Mini ſ tres, M r de Crois ſ y e ſ tant le ſ eul qui ſ oit party de Paris avec ce Monarque, mais [91] comme il e ſ t luy-me ſ me ſ on premier Mini ſ tre on peut dire qu’il travaille ſ ouvent ſ eul autant que dans le Con ſ eil. Sa Maje ſ té donnant aux affaires pendant ce Voyage autant d’application qu’à l’ordinaire, voulut que ſ a Cour trouva ſ t par tout les mesmes plai ſ irs, pendant qu’Elle ne vouloit ſ e retrancher ny les peines, ny les ſ oins qu’on luy a toûjours veu prendre depuis qu’Elle gouverne par Elle-me ſ me ; &[92] pour cet 366 Dans l’État de la France de 1687 (op. cit., t. I, p. 178) Yves de Chevays, Sieur du Boulay figure parmi les gentilshommes ordinaires de la Maison du Roi, ensemble avec son fils, « à survivance », pour exercer ses fonctions au semestre de janvier. L’État précise en effet que les gentilshommes ordinaires « sont disposés par Semestre […] & sont païés au Thrésor Roïal par un Etat particulier aux gages de 2000 livres ». Créés par Henri III, les Gentilshommes ordinaires se trouvent en permanence auprès de la personne du roi pour lui rendre de multiples services. C’est par leur intermédiaire qu’il négocie ses affaires à l’étranger, qu’il veille à la conduite des troupes et à leur établissement dans les quartiers d’hiver. 367 Voir ci-dessus p. 105 [43] : le Mercure, contrairement à Dangeau et à Sourches, mentionne la dernière messe à Versailles, mais sans faire allusion au malaise de Monsieur. 368 S’agirait-il de Fresnes, actuellement Fresnes-sur-Marne/ Seine-et-Marne, près de Claye, où le curé Raveneau place la première nuitée du voyage : « Ce fut un samedy après l’Ascension, 10 e May, que le Roy se mit en marche en effet, et vint coucher à Fresnes, en deça de Claye, […] » (Journal/ 1676-1688/ de Jean-Baptiste Raveneau, op. cit., p. 252-253). 369 Voir ci-dessus p. 40 et s. <?page no="142"?> 142 Journal effet Elle re ſ olut de tenir par tout Appartement 370 . Ain ſ i dés la premiere couchée, qui e ſ toit à Claye, on trouva plu ſ ieurs chambres préparées pour divers Jeux & chacun joüa avec la me ſ me tranquillité, & au ſſ i peu d’embaras [sic] que ſ i l’on eu ſ t e ſ té encore à Ver ſ ailles, tant les ordres avoient e ſ té bien donnez pour les logemens, & pour tout ce qui pouvoit contribuer à la commodité des Per ſ onnes de qualité qui [93] ſ uivoient la Cour. Les Appartemens ont pre ſ que continué tous les jours pendant tout le re ſ te du Voyage. Mon ſ eigneur le Dauphin partit de Claye le lendemain onziéme à ſ ept heures du matin. Ce Prince cha ſſ a tout le jour dans la Fore ſ t de Monceaux 371 ; & comme Sa Maje ſ té devoit coucher ce jour-là à la Ferté ſ ur Joüare, il prit le party d’y arriver en cha ſſ ant, & de courre le Cerf 372 dans les buissons ; ce qu’il fit avec les[94] chiens de M r le chevalier de Lorraine 373 . Il prit plusieurs Cerfs ; entre le ſ quels il y en avoit un qui ſ e fit courre long-temps, & qui pa ſſ a dixhuit étangs à la nâge [sic]. 370 « tenir appartement » : le Dictionnaire de l’Académie de 1694 explique ainsi cette expression : « On appelle […] Appartement un divertissement accompagné de musique que le Roy donne en de certains jours dans ses appartements à toute la Cour ». Voir aussi Dictionnaire de Trévoux, op. cit., t. I, p. 424 : « On a […] donné le nom d’appartement aux fêtes ou divertissemens accompagnés de musique, danse, jeu que le Roi donne quelquefois à toute sa cour dans les appartemens de Versailles. » 371 La forêt de Monceaux a déjà accueilli les chasses royales de Henri IV, au moment où il offrit le château de Monceaux à Gabrielle d’Estrées. Louis XIII y fit ensuite des séjours cynégétiques prolongés (E. Jullien, La Chasse, op. cit., p. 210) et en 1691, sous Louis XIV, l’importance de la capitainerie de chasse de Monceaux fut accrue par l’adjonction de la varenne de Meaux « et plaines adjacentes » (Édit royal de 1691). 372 Expression de chasse pour courir le cerf. D’où aussi l’expression « laisser-courre pour dire decoupler les chiens apres la beste » (Dictionnaire de l’Académie de 1694). 373 Philippe de Lorraine-Armagnac, dit le chevalier de Lorraine (1643-1702). « Le chevalier de Lorraine, écrit Saint-Simon, dans le fort de sa jeunesse et de ses agréments […] possédait Monsieur avec empire, et le faisait sentir à Madame comme à toute la maison » (op. cit., t. II, p. 23). Autant dire qu’il profitait des goûts étranges de Philippe d’Orléans, ce qui ne pouvait qu’indisposer contre lui la femme de ce dernier. Aussi Saint-Simon n’hésite-t-il pas à le rendre responsable de la mort inattendue de Henriette d’Angleterre : il aurait procuré le poison mêlé par des complices à l’eau de chicorée qui aurait été fatale à Madame (ibid., p. 23-24). Par ailleurs, le mémorialiste atteste cependant au personnage des qualités appréciables, telles la dignité, le maintien, l’esprit de chevalerie (op. cit., t. III, p. 287-288). En revanche, l’image que dessine de lui Madame Palatine, la seconde épouse de Monsieur, est entièrement négative et débouche sur ce vœu peu charitable qu’elle partage avec la duchesse de Hanovre : « Plût à Dieu, lui écrit-elle en date du 12 septembre 1682, que votre souhait soit exaucé et que Lucifer l’emportât bientôt dans son royaume ! » (Lettres, op. cit., p. 51-52). <?page no="143"?> 143 Journal Le Roy, aprés avoir entendu la Me ſſ e à Claye, alla à Monceaux 374 . Toute la Cour pa ſſ a dans Meaux, pour ſ e rendre à cette Mai ſ on Royale, & lors que Sa Maje ſ té l’eut traver ſ ée au bruit des acclamations du Peuple, Elle trouva le regiment de Vi[95]vans 375 qui l’attendoit en bataille 376 . C’e ſ t un Regiment de Cavalerie, auquel on ne peut rien ajoûter, tant pour la bonté des Cavaliers, que pour la beauté des chevaux. Ce Regiment alloit au Camp de la Saone, & avoit un ſ ejour à Meaux, ce qui fut cau ſ e qu’il eut l’honneur d’e ſ tre veu du Roy. Sa Maje ſ té en fut tres-contente, & le trouva beau. Elle eut me ſ me la bonté de vouloir bien recevoir un Chien couchant 377 de M r Li [96] grades 378 qui le commande. Le Roy dîna à Monceaux. C’e ſ t un vieux Cha ſ teau qui a 374 Dangeau précise que le roi « vint dîner [déjeuner] à Monceaux », puis « monta à cheval […] & alla voler (chasser avec des oiseaux de proie) ». (Op. cit., t. 2, p. 205 ; voir ci-dessous p. 370 [205]). 375 Le régiment de Vivans est un régiment de cavalerie formé le 9 août 1671 à partir du régiment de Valavoire, créé en 1667 pour la Lorraine et confié au commandement de François-Auguste, marquis de Valavoire. Ce régiment d’origine est licencié en 1668. L’unité rétablie en 1671 est donnée en 1672 à Henri de Noaillac, marquis de Vivans. Parmi ses opérations les plus célèbres, on retiendra sa participation, aux Pays-Bas, au siège de Maastricht (1673), à la bataille de Séneff (1674). Sur le Rhin, elle intervient, entre autres, au combat d’Altenheim (1675), le jour après la mort de Turenne. Elle est présente à de nombreux sièges, dont celui, en 1684, de Luxembourg. En 1689, le régiment passe au fils du marquis de Vivans, Jean de Noaillac, comte de Vivans. C’est sous son commandement qu’il est au siège de Namur (1692) et à la bataille de Steinkerque (1692). Le titulaire suivant est, en 1703, Pons-Auguste Sublet, marquis d’Heudicourt, fils de Michel Sublet d’Heudicourt dont il a été question ci-dessus (n. 350). D’autres chefs prennent la relève, dont, en 1744, N. d’Egmont, qui engage sa troupe à la bataille de Fontenoy (1745). En 1761, le régiment est incorporé à Royalétranger (voir Susane, Histoire de la Cavalerie française, op. cit., t. III, p. 231-232). 376 Dictionnaire de l’Académie de 1694 : « On appelle Ordre de Bataille, l’estat de toutes les troupes d’une armée suivant qu’elles doivent estre rangées un jour de bataille. » 377 Terme de cynégétique dont le Dictionnaire de l’Académie de 1694 donne la définition suivante : « CHIEN COUCHANT. Espece de chien de chasse qui se couche sur le ventre pour arrester les perdrix, les cailles, les liévres & autre gibier. » La prédilection de Louis XIV pour les chiens couchants est attestée à plusieurs reprises par Saint- Simon : « Il voulait des chiennes couchantes excellentes ; il en avait toujours sept ou huit dans ses cabinets, et se plaisait à leur donner lui-même à manger pour s’en faire connaître. » (Op. cit., t. V, p. 530. Voir aussi ibid., p. 609). Aussi les courtisans lui en faisaient-ils souvent cadeau, comme le marquis d’Effiat, dont le mémorialiste rapporte le geste (ibid., p. 293) ou encore Contades (ibid., t. II, p. 741). Le roi, chasseur passionné, avait accrédité la chasse au fusil avec l’aide de chiens couchants, égale désormais en noblesse à la vénerie et à la fauconnerie (voir E. Jullien, La chasse, son histoire et sa législation, op. cit., p. 232). 378 Aucune trace de ce personnage n’a pu être trouvée. <?page no="144"?> 144 Journal fait le plai ſ ir de plu ſ ieurs rois, & qui appartient à Sa Maje ſ té 379 . Ce lieu qui e ſ t fort riant, a une tres-belle veuë, & le ba ſ timent en e ſ t magnifique. Le Roy voulant honorer l’ouvrage de ſ es Ayeux, le fait reparer, & bien-to ſ t on ne verra plus rien en France qui ne porte des marques de ſ a magnificence & de ſ a bonté. Toutes les Mai ſ ons Royales [97] ayant pour Capitaine une per ſ onne d’une qualité di ſ tinguée, M r le Duc de Ge ſ vres 380 , premier Gentilhomme de la Chambre 381 , & Gouverneur de Paris, joüit de la Capitainerie 382 379 Il s’agit du célèbre « château des reines » dont les origines remontent, en 1547, à Catherine de Médicis et à la construction duquel collabora probablement Philibert Delorme. Henri IV en fit cadeau à Gabrielle d’Estrées qui chargea J.A. Du Cerceau de compléter l’édifice ; à la mort de Gabrielle, qui avait pris le titre de marquise de Montceaux, le roi le transmit à Marie de Médicis qui confia de nouveaux travaux à Salomon de Brosse. Il n’en subsiste aujourd’hui que des ruines (voir, entre autres, F. Pascal, Département de la Seine-et-Marne, t. I, Paris, Res Universis, coll. « Monographies des Villes et Villages de de France », 1992, t. I, p. 280-281). Les Mémoires de Sourches précisent que Colbert, en sa qualité de surintendant des bâtiments, « avoit laissé ruiner cette maison royale, et que M. de Louvois la faisoit raccommoder peu à peu, et avec raison, car elle en valoit bien la peine ». (Op. cit., t. II, p. 46, n. 3 ; voir ci-dessous p. 381). 380 Léon Potier, en 1669 duc de Gesvres (1620-1704). Soixante-sept ans au moment du Voyage. Marquis, et à partir de 1669, duc-pair de Gesvres, il devient la même année premier gentilhomme de la chambre (voir note suivante) ; en 1687, l’année du Voyage, L’État de la France (op. cit., t. II, p. 400) le signale comme Bailly du Valois et comme gouverneur de Paris (ibid., t. I, p. 100). Le personnage avait la réputation lamentable de mauvais mari et de plus mauvais père. Sa première épouse, Marie Françoise Angélique Du Val de Fontenay-Mareuil, « femme de beaucoup d’esprit, de vertu et de biens, […] se sépara de lui » (Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 677), ses enfants le voyaient « comme le père le plus dénaturé » (ibid.). Ainsi il fit tout pour empêcher l’abbé de Gesvres, son fils, d’obtenir l’archevêché de Bourges dont le roi l’avait investi en récompense de sa fidélité dans les différends qui l’opposaient alors au Pape (voir ibid.) On pense que La Bruyère a songé au duc de Gesvres en rédigeant les quelques lignes du paragraphe 17 de son chapitre De l’Homme : « Il y a d’étranges pères, et dont toute la vie ne semble occupée qu’à préparer à leurs enfants des raisons de se consoler de leur mort. » (Caractères, op. cit., p. 299-300). Voir aussi L’État de la France 1687, t. I., p. 100-101. 381 Les premiers gentilhommes de la chambre, créés par François II, font partie des officiers laïcs de la Maison civile du roi. Au nombre de quatre, et assistés chacun par six pages de la chambre, ils exercent, par quartier, sous l’autorité du Grand Chambellan de France. En l’absence de celui-ci, ils jouissent de certaines de ses prérogatives, en particulier celle de présenter la chemise royale au lever, chaque fois qu’aucun prince n’est présent pour assumer cet honneur, et de servir le souverain lorsqu’il mange dans sa chambre (voir L’État de la France, op. cit., t. I, p. 193-195 et Dictionnaire des Institutions, op. cit., p. 348). 382 Comme le montre la suite, il s’agira de la capitainerie des chasses. Pour cette institution, voir ci-dessus n. 329. Le duc de Gesvres était « Gouverneur & Capitaine des <?page no="145"?> 145 Journal de Monceaux, que po ſſ edoit M r le Duc de Trêmes 383 ſ on Pere. Il vint recevoir Sa Maje ſ té, accompagné du Lieutenant, & de tous les Officiers & Gardes des Cha ſſ es qui dépendent de luy, à l’endroit où la Capitainerie commence. Le Roy fut con [98] duit ju ſ qu’au mesme endroit par M r le Marquis de Livry 384 , au ſſ i Capitaine des Cha ſſ es 385 de Livry 386 . & qui avoit e ſ té recevoir ce Prince ju ſ ques à Bondy avec tous ſ es Officiers. Le Roy, qui avoit dépe ſ ché le ſ oir précedent M r du Boulay, pour ſ çavoir l’e ſ tat de la ſ anté de Mon ſ ieur, en apprit des nouvelles à Monceaux par ce me ſ me Gentilhomme, qui arriva pendant que Sa Maje ſ té e ſ toit à table [99]& luy rapporta que Son Alte ſſ e Royale avoit pris du Quinquina 387 , & dormy a ſſ ez Chasses du Château Roïal de Monceaux, & de la Varenne de Meaux, & Plaines en dépendantes, » L’État de la France, op. cit., t. I, p. 100. 383 René Potier I er , marquis, puis duc de Gesvres, en 1663, duc et pair de Tresmes-Gesvres (1579-1670). Père de Léon Potier (voir n. 380). Saint-Simon évoque son ascension sociale de simple bailli et gouverneur de Valois à la pairie et au duché (op. cit., t. I, p. 125-126). 384 Louis Sanguin, marquis de Livry en 1688, titre que le Mercure lui donne dès 1687. Pour ce personnage voir ci-dessous n. 940. S’agirait-il de son père ? 385 La capitainerie des chasses de Livry revenait aux Sanguin du fait de leur possession du château de Livry (voir A.-E. Genty, Histoire de Livry-Gargan et de son abbaye, Paris, Res Universis, 1990, p. 110). 386 Livry, dans l’actuel Département de Seine-Saint-Denis, si souvent fréquenté par Madame de Sévigné et qu’elle évoque sur le ton le plus lyrique, ainsi dans sa lettre du 30 mai 1672 à Madame de Grignan : « La beauté de Livry est au-dessus de tout ce que vous avez vu ; les arbres sont d’un vert admirable ; tout est plein de chèvrefeuilles. » (Correspondance, op. cit., t. I, p. 522). 387 On connaît la popularité de ce remède très en vogue au Grand Siècle, et auquel La Fontaine a consacré en 1682 le long Poème du Quinquina, dédié à la duchesse de Bouillon (Œuvres Complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1958, t. II, p. 62-77). Provenant de la décoction de l’écorce d’un arbre et utilisé à l’origine par les indigènes d’Amérique latine, ce fébrifuge accéda à la célébrité par la guérison, en 1638, au Pérou, d’un Jésuite souffrant d’une fièvre intermittente, d’où son premier nom de « poudre des Jésuites », devenue « poudre du cardinal de Lugo » depuis que ce prélat en avait acheté le secret aux Pères. En 1640 enfin, suite à la guérison de la comtesse El Cinchon, épouse du vice-roi du Pérou, qui fit beaucoup pour sa propagation, le remède fut désigné de « poudre de la comtesse » ou encore de « quinquina », dérivé du mot indigène Kina, écorce. En France, le quinquina dut sa première fortune à l’empirique anglais Robert Talbot (ou Tabor) qui le présente en 1680 au roi, à l’occasion de la maladie du Dauphin : dans sa lettre du 8 novembre 1680 à Madame de Grignan, Madame de Sévigné a fait de la circonstance un rapport sinon détaillé du moins amusé, regrettant que Molière soit mort, qui aurait pu imaginer une scène délicieuse à partir de la colère des médecins établis, de Daquin (voir ci-dessous n. 957) surtout, enrageant de voir cet empirique, non diplômé de la Faculté, cueillir des lauriers dont ils ne le croyaient pas dignes (voir Correspondance, op. cit., t. III, p. 56-57). <?page no="146"?> 146 Journal tranquillement depuis quatre heures du matin ju ſ ques à dix. Ce Prince monta à cheval à l’i ſſ uë de ſ on dîné [sic], avec Madame la Prince ſſ e de Conty, & deux des Filles d’honneur de cette Prince ſſ e, & alla à la Cha ſſ e de l’Oi ſ eau 388 . Tant que l’on a demeuré dans l’étenduë de la generalité de Paris 389 , M r de Menars 390 [100] qui en a l’Intendance, n’a point quité [sic] le Roy afin d’être C’est dire déjà que la nouvelle thérapie se heurtait à l’opposition d’une partie au moins du corps médical : dès la première moitié du siècle, Guy Patin avait manifesté son scepticisme à l’égard de cette médication due au loyoliticum pecus, trop onéreuse et par suite susceptible d’encourager les falsifications ; dans la suite, la Faculté émit des opinions aussi diverses que divergentes. On en trouvera l’écho dans la monumentale Histoire de la médecine française depuis son origine jusqu’au XIX e siècle de Kurt Sprengel, Paris, Deterville, 1815, t. V, p. 418 et s. Les Mémoires de Saint-Simon présentent un exemple-type du scepticisme que pouvait inspirer aux contemporains un remède devenu une mode, ou presque. Ayant vérifié sur lui-même les effets incertains du simple (op. cit., t. III, p. 23), il présente une scène digne - encore - de Molière : il s’y montre attrapant M. de Chevreuse la main dans le pot pour en tirer ce quinquina que le beau-fils de Colbert croit indispensable à son rétablissement ; comme un larron surpris en flagrant délit, il supplie le mémorialiste de ne rien en dire à personne (op. cit., t. IV, p. 558). C’était décidément une faiblesse des maris des filles de Colbert, puisque, auparavant déjà (t. I, p. 790), le même observateur avait montré M. de Beauvillier « qui se crevait de quinquina pour arrêter une fièvre opiniâtre ». Il n’en signale pas moins qu’en 1715 rien n’avait changé, et que Fagon (voir ci-dessous n. 958) traite le roi au quinquina dans sa dernière maladie (voir op. cit., t. V, p. 419). Un autre témoignage piquant est celui de Racine qui, après avoir annoncé la guérison presque miraculeuse de M. Hessein grâce au quinquina (lettre à Boileau du 17 août 1687, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1966, t. II, p. 488), s’en donne, une lettre plus loin (24 août 1687, op. cit., p. 489) à cœur-joie pour se gausser de ses contemporains entichés du quinquina : « la chose vient à la mode, et on commencera bientôt, à la fin des repas, à le servir comme le café et le chocolat. » Pour l’abondante bibliographie relative à la question, consulter, outre l’ouvrage de Sprengel, cité ci-dessus, J. Lévy-Valensi, La Médecine et les Médecins français au XVII e siècle, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1933, p. 114-115, S. Perez, « Louis XIV et le quinquina », dans Vesalius, IX, 2, 2003, p. 25-30. Voir aussi ci-dessous n. 957 consacrée à Antoine Daquin. 388 Voir ci-dessous n. 396. 389 Définition du Dictionnaire de l’Académie de 1694 : « Generalité, Estenduë de la Jurisdiction d’un Bureau de Thresorier de France. » Le nom venait des généraux des finances institués par les États généraux sous Jean le Bon, au XIV e siècle. Au XVII e siècle, le terme était synonyme d’intendance, avec la réserve qu’il ne s’appliquait qu’aux pays munis d’élections, tribunaux qui intervenaient dans la répartition des sommes fiscales à établir en considération des forces contributives des paroisses (voir M. Marion, Dictionnaire des Institutions, op. cit., p. 198-201). 390 Jean-Jacques Charron, marquis de Ménars (1643-1718). Quarante-quatre ans au moment du Voyage. Ce beau-frère de Colbert qui avait épousé sa sœur Marie, était <?page no="147"?> 147 Journal toûjours en e ſ tat de recevoir ſ es ordres, & luy a rendu un compte exact de toutes les cho ſ es qui regardent ſ on Employ. Cela fait voir que Sa Maje ſ té s’applique ſ ans ce ſſ e, puis que me ſ me dans le temps de ſ es plai ſ irs, Elle s’entretient plûto ſ t de ce qui ſ e pa ſſ e dans ſ on Royaume, que de ce qui peut avoir rapport à ſ on diverti ſſ ement. Ce Prince ayant l’e ſ prit ex[101]tremement penetrant, un mot luy fait aprofondir [sic] bien des cho ſ es, de ſ orte que ce qu’il ſ emble ne s’informer que par conver ſ ation de ce qui ſ e pa ſſ e, luy donne lieu de remedier à quantité de desordres, & fait que ſ ouvent il en previent d’autres. Pendant toute la marche il a toûjours e ſ té pre ſ t à écouter, & à ſ atisfaire par ſ es répon ſ es, ceux à qui ſ a bonté a permis de luy parler ; & quelquefois lors qu’il [102 ]avoit commencé à joüer, afin que la Cour ſ e diverti ſ t, il quittoit le jeu, & travailloit, ou s’occupoit à faire du bien. M r l’Eve ſ que de Meaux 391 s’e ſ t trouvé par tout où le Roy a pa ſſ é dans ſ on Dioce ſ e, & ſ çachant que le principal ſ oin de ce Prince e ſ toit que toute ſ a intendant de Paris, puis président à mortier (Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 660). Saint- Simon lui écrit ce panégyrique où ne manque pas la condescendance : « C’était une très belle figure d’homme et un fort bon homme aussi, peu capable, mais plein d’honneur, de probité, d’équité, et modeste, prodige dans un président à mortier. » (Op. cit., t. VI, p. 636). 391 En 1687, l’Évêque de Meaux est Bossuet, nommé à ce siège le 2 mai 1681, après avoir transité par Condom, dans le Gers, où il fut intrônisé le 21 septembre 1670, mais où il ne put intervenir suite à sa nomination, dès le 5 septembre de la même année, aux fonctions de précepteur du Grand Dauphin, celui-là même si souvent mentionné dans ces pages pour la part très active qu’il prit au voyage luxembourgeois. Si la fonction ne pouvait satisfaire ni l’enseignant ni l’enseigné (voir Saint- Simon, op. cit., t. IV, p. 81), elle donna lieu, cependant, au Discours sur l’Histoire universelle (1681), élaboré à partir des leçons du préceptorat et éclairant le parcours de l’Humanité à la lumière de l’action de la Providence. Bossuet gardera son siège de Meaux jusqu’à sa mort en 1704. Ce n’était pas son premier contact avec l’Est ; né à Dijon, en 1627, dans une famille de parlementaires, et formé au collège jésuite des Godrans, il se voit destiné très tôt à une carrière dans l’Église qui débute par un canonicat que son père, devenu conseiller au Parlement de Metz, lui obtient dans le chapitre de la cathédrale de cette ville, en 1640. Après des compléments de formation au collège parisien de Navarre, où il approfondit sa philosophie et sa théologie, il est fait diacre à Metz et accède au sacerdoce au mois de mars 1652. Reçu Docteur quelques semaines après son ordination, il refuse l’offre d’une carrière universitaire et préfère s’attacher à ses charges messines. C’est pendant ces années qu’il confirme à la fois ses qualités intellectuelles et caractérielles. Engagé dans le débat avec les Réformés, suite à la publication du Catéchisme du pasteur messin Paul Ferry, il fait preuve, dans sa Réfutation, d’une argumentation raisonnée et d’un esprit de conciliation peu commun en ces jours. Il n’est pas étonnant, dès lors, qu’il ait œuvré avec un succès particulier dans les œuvres de la conversion ; celle de Turenne, mais aussi celle de Dangeau, le mémorialiste rencontré ici même tant de fois, comptent parmi ses plus beaux trophées, sans que pour autant son action pas- <?page no="148"?> 148 Journal Suite entendi ſ t la Me ſſ e, & particulierement les Dimanches, ce Prelat envoya plu ſ ieurs Religieux à Claye, & en envoya au ſſ i dans les[103] quartiers des Gardes du Corps & dans ceux des Mou ſ quetaires 392 , des Gendarmes, & des Chevaux-Legers. La Cour ne manquoit pas d’Eccle ſ ia ſ tiques pour la Mai ſ on torale se soit limitée au prosélytisme. Scandalisé par la liaison adultère du roi avec Madame de Montespan, il s’est employé à en obtenir la rupture (voir Saint-Simon, op. cit., t. V, p. 558-559), et l’absence de la favorite dans le cortège royal en route vers Luxembourg n’aura pas dû lui déplaire. Il est actif, aussi, dans des soucis du siècle, telle la querelle de la Régale, où le roi lui confie ses intérêts, contre ceux du Pape, et où il intervient, en 1682, avec un succès mitigé. Il va sans dire, cependant, que sa survie littéraire et spirituelle est tributaire, surtout, de son action en chaire, oraisons et panégyriques ; il serait oiseux de faire, à cet endroit, un inventaire complet, corpus étoffé dont l’élévation du style comme celle de la pensée a créé un des plus beaux monuments de la rhétorique sacrée. Quoiqu’à leur manière, les textes polémiques coopèrent à cette célébrité : ne citons que la Défense de la tradition des saints Pères qui condamne l’exégèse critique de la Réforme pour s’ancrer dans les interprétations convenues. Ici perce une intransigeance nouvelle qui se retrouve dans les approches morales : en 1694, les Maximes et réflexions sur la comédie avec leur condamnation sans appel de Molière, ne sont pas faites pour rallier tous les suffrages, tant la vision augustinienne d’une nature humaine corrompue qu’elle dégage peut heurter. Trois années plus tard, en 1697, l’Instruction sur les états d’oraison, en 1697, puis, en 1698, la Relation sur le Quiétisme, s’inscrivent dans le contexte de cette querelle spirituelle, où l’évêque de Meaux croise les fers avec celui de Cambrai, sans qu’il se souvienne toujours des exigences de la charité. D’une façon générale, on constate un aigrissement que les débuts n’avaient pas laissé prévoir, dû peutêtre aussi à l’âge et à la dégradation physique. Malade, Bossuet se fait transporter à Paris où il s’éteint le 12 avril 1704. Saint-Simon, alors, rendit ce bel hommage à son génie : Bossuet « toujours à regretter, et qui le fut universellement, et dont les grands travaux faisaient encore honte, dans cette vieillesse si avancée, à l’âge moyen et robuste des évêques, des docteurs et des savants les plus instruits et les plus laborieux » (Mémoires, op. cit., t. II, p. 437). Pour une étude exhaustive, lire, entre autres, G. Minois, Bossuet. Entre Dieu et le Soleil, Paris, Éditions du Cerf, 2003. 392 Les mousquetaires, troupe à la fois à pied et montée de la Maison militaire du Roi. Lors des déplacements du souverain, quatre mousquetaires ouvrent le cortège royal. Les mousquetaires se répartissent en deux compagnies, la première, des mousquetaires gris, la seconde, des mousquetaires noirs. Les mousquetaires gris, créés en 1657, sont stationnés à Paris, au faubourg Saint-Germain. Ils sont aux ordres d’un capitaine-lieutenant qui est en 1687 Louis de Melun de Maupertuis. Du point de vue uniforme, ils se signalent par la célèbre subreveste, surtout sans manches ouvert sur les côtés, marqué d’une croix blanche accompagnée de flammes rouges, sur les pièces de poitrine et de dos et dont Louis XIV les avait dotés en remplacement de leur casaque de cavalier qui les gênait quand ils servaient à pied. Le deuxième capitaine-lieutenant des mousquetaires gris, accédé au commandement en 1667, et tué en 1673 au siège de Maastricht, était le légendaire d’Artagnan rendu populaire par les romans d’Alexandre Dumas. <?page no="149"?> 149 Journal du Roy ; & M r l’Eve ſ que d’Orleans 393 avoit ſ oin de regler les temps au ſ quels chacun d’eux devoit celebrer la Me ſſ e. Toute la Cour arriva de bonne heure à la Ferté ſ ur Joüare. C’e ſ t un lieu ſ itué dans une gorge enchantée, au fond d’une plaine. La Ri [104]viere de Marne contribue beaucoup à la beauté du païsage, & à la fertilité du Les mousquetaires noirs semblent avoir leur origine dans la compagnie de mousquetaires à pied que Mazarin s’était adjointe comme garde personnelle en 1651, à son retour d’exil. Louis XIV en hérite en 1661 et bientôt les transforme en troupe de cavalerie pour les besoins du siège de Marsal, en 1663. Il les licencie après cette opération, mais les regroupe ensuite, selon toutes les apparences, dans la compagnie des mousquetaires noirs, établis par ordonnance du 9 janvier 1665. Cette compagnie est organisée selon les mêmes dispositions que celle des mousquetaires gris. Entre autres différences vestimentaires, les flammes des croix de la subreveste sont jaunes au lieu d’être rouges. Leurs chevaux sont de robe noire. Leur caserne est au faubourg Saint-Antoine. En 1687, le capitaine-lieutenant des mousquetaires noirs est Henri de Haut(e)faye, marquis de Jauvelle, gouverneur de Ham, maréchal ès Camps & Armées du Roi. Lorsque les deux compagnies de mousquetaires se trouvent ensemble, c’est lui qui les commande (voir État de la France, t. I, p. 413-419 et Susane, Histoire de la Cavalerie française, op. cit., t. I, p. 228-235). 393 Pierre du Cambout de Coislin, évêque d’Orléans depuis 1666 (1630-1706). Cinquante-sept ans au moment du Voyage. Ce personnage qui sera cardinal en 1697 (Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 418) et grand aumônier de France en 1700 (ibid., p. 740), compte parmi les figures les plus attachantes du règne. Peu soucieux de son extérieur, puisque « cet petit homme fort gros […] ressemblait assez à un curé de village » (ibid., t. II, p. 679), il se signalait par une « pureté de mœurs et de vertu » (ibid.) telle que le roi eut « pour lui jusqu’à sa mort une estime déclarée qui allait […] jusqu’à la vénération » (ibid., t. III, p. 790). Fait d’autant plus remarquable qu’il avait osé fronder le souverain à l’époque où celui-ci, suite à la Révocation de l’Édit de Nantes, voulut contraindre les réformés au moyen des dragonnades. L’on sait que l’une des vexations consistait à loger la troupe chez l’habitant huguenot et à lui en faire assumer les frais. Coislin y para en logeant les officiers chez lui et en subvenant de ses propres moyens à l’entretien des soldats tout en insistant qu’aucun mal ne fût fait aux réformés de sa ville. C’est ainsi qu’il « gagna presque autant de huguenots [à la foi catholique] que la barbarie qu’ils souffraient ailleurs » (ibid., t. II, p. 680). Dans une autre circonstance, il en usa avec un voleur qui lui avait dérobé « deux fortes pièces d’argenterie » d’une manière qui n’est pas sans préfigurer celle que Victor Hugo imaginera à Monseigneur Myriel, le saint évêque des Misérables (voir ibid., p. 680-681). À sa mort, le roi lui accorda des honneurs exceptionnels (ibid., p. 680), bel hommage que gâta cependant sa sévérité à l’égard du personnel mis en place par le défunt à Orléans, une fois qu’on lui avait persuadé que le cardinal avait eu des sympathies jansénistes et avait recruté en ce sens (ibid., t. III, p. 790). Le portrait exceptionnellement positif de Saint-Simon est confirmé sans réserve par Madame Palatine dans sa lettre du 7 février 1706 à la duchesse de Hanovre (voir Lettres, op. cit., p. 247). <?page no="150"?> 150 Journal Terroir. Le petit Morin vient la gro ſſ ir auprés & au de ſſ us de l’Abbaye 394 , & y forme mille Prairies abondantes en pâturages. Ce Bourg e ſ t dans la Brie Champenoi ſ e, entre Cha ſ teau-Thierry & Meaux. Les Pretendus Reformez le prirent vers l’an 1562. pendant les Guerres Civiles du dernier Siecle 395 . La Cha ſſ e y fut tres-diverti ſſ ante. Le Roy y [105]vola des Corneilles 396 . M r de 394 L’abbaye féminine de Jouarre, fondée au VII e siècle ; elle adopte la règle bénédictine. À partir du XI e siècle, un bourg fortifié se constitue autour de l’abbaye, l’actuelle ville de Jouarre, à quelque quatre kilomètres de La Ferté-sous-Jouarre. Réformée dans le sens de la plus grande austérité par Jeanne de Lorraine, la fille du Balafré, abbesse de 1624 à 1638, l’abbaye est dirigée, en 1687, par Henriette de Lorraine, abbesse de 1655 à 1692, fille de Claude de Lorraine, duc de Chevreuse, célèbre, quelques années plus tard, pour son bras de fer avec Bossuet, « ce petit maître d’école du dauphin », dont cette descendante de la Maison de Lorraine refusa de reconnaître l’autorité, arguant du privilège des abbayes royales de ne dépendre que de la juridiction du Pape (voir Dom Y. Chaussy, « Jouarre et Bossuet », dans L’abbaye royale Notre-Dame de Jouarre, Paris, Bibliothèque d’Histoire et d’Archéologie chrétiennes, 1961, t. 1, p. 247 et s.). Jouarre est située dans le méandre formé par le Petit Morin avant de se jeter dans la Marne (ibid., p. 1). 395 À la suite du massacre de Vassy, perpétré dans cette ville de Champagne par les hommes du duc de Guise contre les Réformés, se déchaînèrent de violentes réactions dans toute la région : « Le vendredy - 26 juin 1562 - toutes les églises et monastères de la ville de Meaux furent pillés et saccagés, et les catholiques chassés et mis hors de ladite ville par ceux de la nouvelle religion. » (Mémoires du prince de Condé, dans Nouvelle collection des Mémoires pour servir à l’Histoire de France, Paris, chez l’éditeur du commentaire analytique du Code civil, 1839, t. VI, p. cit. par 684, col. 2). Les événements s’étendirent à toute la région, et La Ferté en fut particulièrement touchée : en 1567, les huguenots du lieu avaient trempé, avec ceux de Meaux, dans un projet d’enlèvement de Charles IX, alors présent à Montceaux ; en 1589, la ville fut livrée au pillage par Étienne Cousinet, capitaine qui s’y était introduit sous prétexte de s’être rallié à la Réforme, mais qui ensuite laissa ses hommes s’y livrer aux pires exactions (voir G. Darney, La Ferté-sous-Jouarre, Paris, Culture et Patrimoine, coll. « Monographies des Villes et Villages de France », 1995, p. 117 et 120-121). La Réforme avait toujours été très présente à la Ferté-sous-Jouarre où s’était tenu, au mois d’avril 1563, un synode provincial de toutes les églises de la région. Lorsque, en 1563, l’édit d’Orléans prévit, dans chaque baillage, une ville au faubourg de laquelle les protestants pouvaient avoir un temple, La Ferté fut désignée à cet effet, attirant ainsi, pour leurs assemblées, tous les réformés de Meaux et des environs (voir F. Pascal, Département de Seine-et-Marne. Arrondissements de Melun et Meaux, op. cit., p. 488-489). 396 Le Dictionnaire de l’Académie de 1694 définit cette chasse comme suit : « Voler, est […] chasser le gibier avec des oiseaux de proye. Il se dit des oiseaux, comme faucons, laniers, autours, &tc. & des hommes qui les font voler. » Suivent des exemples, entre autres, celui-ci : « Le Seigneur se plaist à voler la Corneille. » Voir <?page no="151"?> 151 Journal Terrameni 397 , Capitaine du Vol des Oi ſ eaux du Cabinet du Roy, a eu beaucoup d’honneur dans ce Voyage. Les Equipages y ont fort paru, & il s’e ſ t attiré beaucoup de loüanges pour tout ce qui regarde ſ a Charge. On admira à Joüare un Pont qui joint le Cha ſ teau 398 au Fauxbourg 399 . Ce pont à cou ſ té beaucoup. Il e ſ t fait de bois ſ ans appuy, tout ſ u ſ pendu, & ſ outenu ſ eulement [106] par l’épai ſſ eur des pieces qui le compo ſ ent. Il e ſ t de ſ oixante & quatre pieds de long, & depuis qu’il e ſ t con ſ truit, il n’a rien perdu ny de ſ a beauté, ny de ſ a force. On coucha dans le Cha ſ teau, qui appartient à M r le Comte de Roye 400 . Il e ſ t ſ itué dans une petite I ſ le fort agreable. aussi note suivante. En fait, le « vol » se fit de plus en plus rare au fil du règne : Louis XIV préférait la chasse à tir ou à courre. À partir de 1700, il abandonna pour ainsi dire complètement la fauconnerie (voir Jullien, La Chasse, op. cit., p. 245-246). 397 Jacques du Boulet, seigneur de Terraminy est mentionné dans l’État de la France de 1687 d’abord comme « Capitaine & Chef du Vol pour Pie » avec des gages de cinq cents livres, puis comme titulaire du « commandement d’un nouvel êquipage d’Oiseaux, crêé en 1676 sous le tître de Fauconerie ordinaire, pour toute sorte d’Oiseaux & pour voler toute l’année, même à l’Armée ». Sa rémunération est de « sêze mille francs » (État de la France, op. cit., t. I, p. 170-171). Dangeau mentionne la mort du personnage en date du 14 février 1689, en même temps que la nomination de son fils à la fonction ; il ajoute un bilan financier - légèrement différent de celui de l’État - et confirme la participation du personnage aux déplacements royaux : « Tarameni, chef de vol du cabinet, est mort. Le roi a donné la charge à son fils, avec 2,000 francs de pension. Tarameni avait, outre les 5,000 francs que vaut sa charge, une pension de 12,000 francs pour entretenir toutes sortes d’oiseaux, surtout pour la pie & la corneille, & suivait le roi avec ses vols dans tous les voyages & même à l’armée. » (Op. cit., t. III, p. 207). 398 Il s’agit d’une ancienne forteresse du XVI e siècle, construite dans l’île de la Marne (voir F. Pascal, Département de Seine-et-Marne, Arrondissements de Melun et Meaux, op. cit., p. 486). 399 Ce sera le « grand pont » sur la Marne qui débouchait sur la rue du faubourg. Il était « d’une seule arche, qui était de bois, cintrée de la façon [du] sieur Bruand ». Ce n’est qu’en 1699 qu’il a été construit en pierre (voir Mémoires des Intendants de la Généralité cit. par G. Darney, La Ferté-sous-Jouarre, op. cit., p. 177). Ce texte figure dans les Mémoires sur l’État des Généralités dressés pour l’instruction du duc de Bourgogne, t. I, Mémoire sur la Généralité de Paris. Publié par A.-M. de Boislisle, Paris, Imprimerie Nationale, 1881, p. 362. À la page précédente (361), est évoqué le pont de Pont-sur-Yonne « lequel est composé de six arches, dont quatre de pierre, d’ancienne construction, et deux de bois en cintre, d’une nouvelle invention par le sieur Bruand », passage accompagné d’une note sur « Libéral Bruand, ingénieur, architecte du roi, constructeur de la Salpètrière et de l’hôtel des Invalides, l’un des huit fondateurs de l’Académie d’architecture, mort en 1697, à plus de soixante-dix ans ». 400 Frédéric Charles de la Rochefoucauld, comte de Roye (1633-1690). Ce personnage qui avait fait campagne sous Turenne, resta fidèle à la Réforme et passa au Danemark, puis en Angleterre, après la Révocation de l’Édit de Nantes. Bien accueilli <?page no="152"?> 152 Journal Mon ſ eigneur prit place dans le Caro ſſ e [sic] du Roy 401 . Une des Dames luy ceda la ſ ienne, & ſ e mit dans le ſ econd Caro ſſ e, ce que quelques-unes [107] ont fait alternativement. Mon ſ eigneur n’y e ſ toit que pendant une partie du jour, parce que la Cha ſſ e, dont on trouve l’exercice utile à ſ a ſ anté, l’occupoit ſ ouvent. Madame la Prince ſſ e d’Harcour eut ce jour-là un accés de Fiévre qui l’obligea de partir plus tard. Il fut ſ uivy d’un ſ econd accés de Fiévre doubletierce 402 . Elle prit du Quinquina 403 , & la Fiévre ne luy revint pas. Toute la Cour en marqua beaucoup de joye. [108]On dîna le 12. à l’I ſ le 404 éloignée de quelques Villages qui ſ ont aux environs & qui appartiennent aux Cele ſ tins. On alla ſ ouper 405 à Monmirel, qui appartient à M r de Louvois 406 . Toutes les Dames, & plusieurs Seigneurs de la Cour eurent l’honneur de souper ce ſ oir-là avec le Roy. La Table e ſ toit de ſ eize couverts. On apprit en ce lieu-là la mort de Mademoi ſ elle de Simiane 407 , dans ses deux pays d’asyle, il fut fait grand maréchal dans le premier (Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 364) et comte de Lifford, ainsi que pair d’Irlande, dans le second (p. 366). En 1687, il n’a donc pas été présent dans son château de La Ferté-sous- Jouarre pour y accueillir le roi. Dans l’ouvrage de G. Darney, La Ferté-sous-Jouarre, op. cit., p. 52 et s., on trouve les documents prouvant qu’à partir de 1674, La Ferté, possession, auparavant, d’Armand Nompar de Caumont, maréchal de La Force, est passée à François de Roye de La Rochefoucauld, aïeul de Frédéric Charles. 401 Voir ci-dessous (p. 381) la relation de Sourches qui, sans prodiguer les détails trouvés ici, place l’installation du Dauphin dans le carrosse royal au troisième jour du voyage, soit au lundi 12 mai. Le texte du Mercure inciterait à dater le fait dès l’étape de La Ferté-sous-Jouarre, c’est-à-dire dès le dimanche 11 mai, deuxième jour du voyage. 402 À la différence de la fièvre tierce caractérisée par le retour de l’accès le troisième jour, la fièvre double tierce est une variété de fièvre intermittente dont les accès se présentent tous les jours. On estimait que ces fièvres étaient provoquées par une bile excrémenteuse croupissant et pourrissant dans les veines du mésentère (voir J. Lévy-Valensi, La Médecine et les Médecins au XVII e siècle, op. cit., p. 93). 403 Voir ci-dessus n. 387. 404 D’après Dangeau, qui confirme le dîner, il s’agit d’une ferme : « Lundi 12 mai,… - Le roi dîna à une ferme qu’on appelle l’Isle… . » (Op. cit., t. II, p. 205 ; voir ci-dessous p. 372). Sourches qui donne la même confirmation, précise en note qu’il s’agit « [d]’une grosse ferme qui appartient aux religieux Célestins ». (Op. cit., t. II, p. 46 n. 5. Voir ci-dessous n. 1048). 405 Voir ci-dessus n. 337. 406 Louvois est le trente-sixième seigneur de Montmirail dont la fondation remonte jusqu’au XI e siècle (voir A.-C. Boitel, Histoire de Montmirail-en-Brie, Paris, Res universis, coll. « Monographies des Villes et Villages de France », 1989, p. 122.) 407 L’État de la France de 1687 énumère, parmi les Dames de la Chambre de Madame, Mademoiselle Françoise de Simianes de Gordes avec des gages de 150 l. (op. cit., t. I, p. 734). <?page no="153"?> 153 Journal dont je vous ay déja parlé dans ma [109] Lettre precedente 408 . On y apporta au ſſ i la nouvelle de la mort ſ ubite 409 de M r l’Eve ſ que d’Amiens 410 , qui ſ urprit Dangeau, op. cit., t. II, p. 47-48, donne les détails suivants : « Jeudi 28 mars à Versailles. - Mademoiselle de Simiane, fille du premier président de Grenoble, de même maison que MM. de Gordes, fut reçue fille d’honneur de Madame, en la place de mademoiselle de Loubes qui s’est retirée dans un couvent depuis un mois. » Ce n’est pas à Montmirel (13 mai) que Dangeau place l’annonce de la mort de Mademoiselle de Simiane, mais à Vertus, un jour plus tard (14 mai) ; il y ajoute un commentaire désobligeant du roi à l’adresse de la défunte. « Mercredi 14 mai à Vertus. - Le roi vint […] coucher à Vertus ; il apprit là que mademoiselle de Simiane, fille d’honneur de Madame, était morte à Paris, & ne put s’empêcher de dire, quand il sut bien qu’elle était morte, que c’était la plus laide fille qu’il eût jamais vue. » (Op. cit., t. II, p. 206 ; voir ci-dessous p. 372). Les Mémoires de Sourches (op. cit., t. II, p. 61) précisent que la mère de Mademoiselle de Simiane était la présidente de la Coste, qui « avoit […] épousé le jeune Langallerie, mestre de camp de cavalerie, dont l’âge étoit assez peu proportionné au sien ». 408 Voir Mercure du mois de mai 1687, p. 338-339 : « Mademoiselle de Simiane est morte dans le mesme temps [que Mademoiselle de Jarnac, mai 1687], je vous en parlay lors qu’elle fit receuë Fille d’honneur de Madame. » 409 Le Mercure galant du mois de mai 1687 (p. 338) attribue cette mort à une attaque d’apoplexie. 410 François Faure (1612-11 mai 1687). Ce personnage, formé par les jésuites et les dominicains, passe pour une des gloires de la chaire du XVII e siècle : il prêche devant Richelieu, il est ensuite prédicateur attitré d’Anne d’Autriche et sous-prédicateur du jeune Louis XIV. Son talent lui fait aussi obtenir plusieurs conversions célèbres dont celles du futur Jacques II d’Angleterre et du duc de Montausier. En récompense de son rôle conciliateur pendant la Fronde, il est nommé évêque de Glandèves (près de Digne, dans l’actuel département des Basses-Alpes), puis, en 1653, d’Amiens. Très attaché au rétablissement de la discipline ecclésiastique dans son diocèse, il y fait figure de prélat modèle et de saint prêtre : alors que la peste ravage Amiens - de 1666- 1670, le Nord connut une grande épidémie -, il se dépense sans compter au service de ses ouailles (Mercure galant, Mai 1687, loc. cit.). Bien qu’en désaccord de principe avec les jansénistes, il prend cependant la défense des évêques port-royalistes, ainsi que celle de Pascal dont il traite avantageusement les Pensées, alors même qu’il avait censuré les Provinciales (Dictionnaire de Port-Royal, Élaboré sous la direction de Jean Lesaulnier et Antony McKenna, Paris, Honoré Champion, 2004, p. 398, col. 1). Sourches confirme la nouvelle à la même date, Dangeau la place dès le 11 mai. On notera aussi que l’éditeur de Sourches donne sur le talent oratoire du personnage, et sur le personnage lui-même, un jugement fort nuancé (voir ci-dessous n. 1049), inspiré peut-être par celui, plus que critique, de Courtilz de Sandras qui le présente comme opportuniste offrant ses services à tout venant, à condition qu’il puisse le faire avancer dans sa carrière (voir ci-dessous p. 404. Mercure historique et politique, avril 1687, p. 848). Dans sa Muse historique, Loret avait, dès 1651 - l’année de la <?page no="154"?> 154 Journal d’autant plus, que M r de Breteuïl 411 a ſſ ura que depuis deux jours il avoit ſ oupé avec ce Prelat. Ces deux morts firent parler de celle d’un des cent Sui ſſ es 412 de la Garde de Sa Maje ſ té, qui e ſ toit mort le matin en s’habillant 413 . Il y a une tres grande quantité de Lievres, & de Perdrix à Monmirel. Le Roy y prit le diverti ſſ e [110] ment de la Cha ſſ e, & alla voler 414 . On y ſ ejourna le 13. & toute la Cour y demeura avec joye, parce que le vent e ſ toit violent à la campagne, & qu’il y avoit beaucoup de pou ſſ iere. On ſ e promena dans les Jardins, & le Roy au retour de la Cha ſſ e prit le diverti ſſ ement de la promenade avec les Dames ſ ur les Terra ſſ es, qu’il trouva fort belles 415 . Monmirel e ſ t dans un territoire tres fertile. nomination à Glandèves - fait des suggestions allant dans le même sens : Faure est, certes, un talent de la chaire, mais un talent intéressé… « Le Pére Faure a tant presché Qu’il s’est acquis un évesché Dans le beau païs de Provence, A cause de son éloquence, Qui, sans mentir, meritoit bien Que la Reine luy fit du bien. C’est où tendoient ses doctes veilles. Ce Pére preschoit à merveilles ; Mais, se voyant episcopus, On a peur qu’il ne prêche plus. » (La Muse historique […]. Mars 1651, Livre II, Lettre Onzième du [dimanche] 12 Mars. Nouvelle Édition […] par MM. J. Ravenel et Ed. V. de la Pelouze, Paris, P. Jannet, 1857, t. I, p. 99) 411 Pour l’identification de « M r de Breteuil », trois personnages mentionnés par Saint- Simon entrent en considération : François Le Tonnelier de Breteuil (1638-1705), intendant et conseiller d’État Claude Le Tonnelier de Breteuil (1623-1698), conseiller à la Grand-chambre Louis Nicolas Le Tonnelier de Breteuil (1648-1728). Vu les nombreuses relations de ce dernier avec la cour - ancien lecteur du roi, il avait ses entrées au petit lever, en 1682 il exerça en tant qu’envoyé extraordinaire auprès du duc de Mantoue pour évaluer les chances de la France dans le Mantouan et le Montferrat, en 1698, enfin, il revêtit les fonctions d’introducteur des ambassadeurs - on pourra penser qu’il était du voyage de 1687, mais sans qu’une preuve formelle puisse être apportée. 412 Pour l’institution des Cent-Suisses, voir ci-dessous n. 499. 413 On n’a pas trouvé de trace de ce fait divers. 414 Voir ci-dessus n. 396. 415 À partir de 1682, Louvois fait exécuter des travaux importants au château, prenant un soin particulier de la somptueuse façade, qui donne sur l’avenue, ainsi que du fronton. C’est aussi de cette époque que date le perron, alors que le parc est dessiné en partie par Le Nôtre. C’est cet ensemble splendide que trouve Louis XIV, quand il arrive sur les lieux, le 13 mai 1687. Satisfait des installations, et surtout aussi, comme le relève le Mercure, des jardins - pour jouir des points de vue, il s’assied alors sur cette pierre qu’on a longtemps conservée comme une relique - il fait <?page no="155"?> 155 Journal [111]M r de Louvois qui ne s’applique pas moins à tout ce qui peut faire fleurir les beaux Arts dans le Royaume, qu’à ce qui e ſ t de la Guerre, va faire e ſ tablir une Verrerie à Montmirel, & la Cour en vit tous les apprets 416 . Le Roy y tint deux fois Con ſ eil avec M r de Croi ſſ y ; c’e ſ t ce que Sa Maje ſ té a fait chaque ſ oir, aprés e ſ tre arrivée dans tous les lieux où Elle a e ſ té coucher. Elle prit au ſſ i à Montmirel le diverti ſ [112] ſ ement du vol du Milan 417 . Le ſ ejour que l’on y fit, & qui n’avoit pas e ſ té marqué dans la route, fut cau ſ e que l’on retrancha celuy qu’on devoit faire à Châlons, afin que le Roy qui ne manque jamais à executer les de ſſ eins qu’il prend, pu ſ t ſ e rendre à Luxembourg le jour qu’il y e ſ toit attendu 418 . cependant observer au propriétaire l’absence d’eau, c’est-à-dire de fontaines, sans lesquelles on ne conçoit pas, alors, de parc parfait. Louvois se promet de parer à ce défaut ; de retour de Luxembourg, le roi peut admirer l’effort consenti : « les eaux coulent dans un vaste bassin, s’élancent dans les airs en jets brillants, renouvellent le même phénomène dans deux autres bassins sur le penchant de la côte et remplissent d’immenses coquilles. » (A.-C. Boitel, Histoire de Montmirail-en-Brie, op. cit., p. 129-131). Le Mercure, qui rapporte aussi le séjour à Montmirail pendant le voyage de retour (voir ci-dessous p. 296-297), ne fait aucune allusion à cet exploit technique. 416 Dans son Histoire de Montmirail-en-Brie, l’abbé Boitel précise que Louvois obtint de Louis XIV des lettres patentes, enregistrées le 18 décembre 1687, et autorisant la création d’une verrerie dans les environs de Montmirail. Ces lettres, reproduites par M.-R. Mathieu dans son ouvrage sur Montmirail-en Brie. Sa Seigneurie et son canton, Paris, Le Livre d’Histoire - Lorisse, coll. « Monographies des Villes et Villages de France », 2001, p. 182, précisent que le roi accorda « à son Ministre et à ses hoirs d’établir et faire construire une verrerie dans l’étendue de la beronnie de Montmirel, au lieu qu’il jugera à propos, pour y fabriquer et mettre en œuvre, par telles personnes que bon lui semblera, toutes sortes de gros et petits verres, même des verres de cristal, vitres, émaux, et toutes autres sortes d’ouvrages qui se fabriquent aux autres verreries de notre royaume, pour en jouir […] paisiblement et perpétuellement ». « Cette verrerie, écrit Boitel, obtint une telle renommée, et on y fabriquait de si beaux cristaux, qu’un poëte, qui est le premier de nos poëtes comiques après Molière, l’a célébrée dans une petite pièce… » (op. cit., p. 129). Il s’agit, en la circonstance, de quelques vers de Jean-François Regnard, reproduits par M.-R. Mathieu dans son Montmirail-en-Brie […], op. cit., p. 184 : « A Montmirail il faut boire/ Car on y fait/ Ce vase qui fait la gloire/ De maint buffet/ Et qui rubis forme en son sein. » Pour la question de l’emplacement exact de l’établissement, ainsi que celle de son histoire après Louvois, voir op. cit., p. 182-184. 417 Voir ci-dessus n. 396. 418 Ce détail ne figure pas dans les autres relations qui rapportent l’étape et le séjour à Montmirail. Toutefois l’organigramme manuscrit du Voyage publié ci-dessous en annexe 20 ajoute, après la mention de l’étape, le mot « séjourne », comme pour insister sur le caractère imprévu du fait. <?page no="156"?> 156 Journal Toute la Cour partit de Montmirel le 14. & alla dîner à Fromentieres 419 . A cinq heures on avoit pa ſſ é le defilé[113] d’Etoges 420 . Sa Maje ſ té prit congé des Dames, & monta à cheval pour aller cha ſſ er dans les belles plaines de Champagne. On alla coucher à Vertus 421 . Ce lieu a e ſ té autrefois con ſ iderable 422 , & étoit l’apanage des Cadets des Comtes qui portoient le nom de la Province 423 . Du temps de Sigebert Roy de Mets 424 , qui vivoit en 570. il y avoit un Duc de Champagne nommé Loup 425 , qui témoigna beau- 419 Dans l’actuelle Département de la Mayenne. Dangeau, op. cit., t. 2, p. 206 : « Mercredi 14 mai à Vertus. - Le roi vint dîner à Fromentières,… » (voir ci-dessous p. 372 [206] Sourches, idem, op. cit., t. II, p. 47 voir ci-dessous p. 382). 420 Étoges est situé « dans la pente d’une montagne circulaire ». (A. Guérard, Statistique historique du département de la Marne, Paris, Res Universis, coll. « Monographies des Villes et Villages de France », 1993, p. 254/ 1 e éd. 1862). 421 Dans l’actuel Département de la Marne. 422 Vertus est une petite localité située à une trentaine de kilomètres de Châlons-en- Champagne. D’abord propriété de l’Église de Reims, la maîtrise du lieu, en fait, passe dès le XI e siècle aux comtes de Champagne sous forme de fief du chapitre de Reims, vasselage purement théorique cependant. C’est de cette époque champenoise que date l’essor du lieu dont témoigne le nombre des fondations religieuses. Voir ci-dessous, n. 443. Vers le milieu du XVII e siècle, en 1654, Vertus comptait 463 feux correspondant à une population de 1633 habitants. Voir C. Prieur, Histoire de Vertus, Reims, Imprimerie du Nord-Est, 1938, p. 191-192, n. 96. Ce même ouvrage fournit le détail de l’histoire du lieu. 423 L’Église de Reims était en contestation permanente avec les comtes de Champagne au sujet des droits sur Vertus. Finalement le lieu resta aux comtes qui le firent entrer dans la composition des douaires de leurs femmes, et Vertus fit encore partie de celui de Blanche d’Artois, l’épouse du dernier comte de Champagne, Henri (C. Prieur, op. cit., p. 17). On n’a rien trouvé pour les cadets. 424 Sigebert, roi d’Austrasie de 561 à 575. Metz était la capitale de l’Austrasie. 425 Loup (Lupus) est le premier duc de Champagne dont le souvenir s’est conservé. Il occupa de 575-590 cette fonction ducale héritée des ducs, espèce de généraux du Bas-Empire, chargés de défendre les frontières contre les Barbares qui, à leur tour, adoptèrent l’institution et l’adaptèrent à leurs besoins. Les ducs des rois francs étaient des officiers préposés non seulement à la protection des frontières, mais encore à l’administration de plusieurs cités, regroupées sous l’autorité d’un duc. Loup, un des seigneurs les plus importants d’Austrasie, avait d’abord été au service de Sigebert, puis à celui de sa veuve, la reine Brunehild (Brunehaut). Les grands du royaume, en charge de l’État pendant la minorité de Childebert, le fils du couple royal, prirent ombrage de cette position privilégiée et formèrent contre Loup une ligue inspirée par l’évêque de Reims, Égidius. Seule l’intervention courageuse de la reine permit au duc d’avoir la vie sauve. Il se retira alors à la cour de Gontran, roi de Bourgogne, mais dut redouter de nouvelles entreprises de ses ennemis. Ceux-ci sont finalement neutralisés par Childebert, et le fils de Loup, Romulphus, accède au siège <?page no="157"?> 157 Journal coup de fidelité, à con ſ erver[114] les Etats du jeune Roy Childebert 426 , contre ceux qui les vouloient envahir. Il y eut en ſ uite plu ſ ieurs Ducs de Champagne, mais ce titre de Duc qui n’e ſ toit pas alors une dignité perpetuelle, ne fai ſ oit que marquer une ſ orte de gouvernement. Le premier Comte hereditaire de Champagne, fut Robert de Vermandois 427 , Fils d’Herbert II 428 & d’Hildeépiscopal de Reims dont Égidius a été dépossédé. Loup, qui passe pour avoir été un sage et un protecteur des lettres, a fait l’objet de beaux vers élogieux de Fortunat : « […] Õ heureux esprit qui, par tes conseils, décides du sort de la patrie ! Ô âme généreuse qui vis pour tous les hommes ! […] Ton discours est une lance ; quand tu parles, ta voix est armée ; […]. Quand tu juges, la justice fleurit, les lois sont respectées ; […] tu es le refuge de tous ceux dont les droits sont violés […]. » (Voir M. Poinsignon, Histoire générale de la Champagne et de la Brie […], 3 e édition, Paris, Librairie Guénégaud, 1974, t. I, p. 41-43). 426 Childebert II, roi d’Austrasie (570-596). Avec Wintrion, le successeur de Loup à la fonction ducale, il entreprit une guerre malheureuse pour s’adjoindre la Bourgogne et, au-delà, la Neustrie dont le trône était occupé par Clotaire II, un enfant. Mais l’ambitieuse et terrible Frédégonde, mère de l’enfant-roi, réussit à retourner la situation militaire à son avantage et à envahir la Champagne, réduisant ainsi à néant les projets de Childebert (M. Poinsignon, op. cit., p. 43). 427 Robert de Vermandois, comte de Troyes, se signale par sa lutte contre Anségise, évêque de Troyes, et qui s’était aussi emparé du pouvoir temporel. Robert, une fois maître de la ville et du comté (959), Anségise se transporte en Saxe, où il obtient l’appui de l’empereur Othon ; il est rétabli dans son siège épiscopal de Troyes, mais le pouvoir temporel reste désormais aux comtes, aux dépens des évêques : Troyes n’aura plus de chefs temporels ecclésiastiques. Robert meurt en 968, sans descendance ; il a pour successeur son frère Héribert (voir Th. Boutiot, Histoire de la Ville de Troyes, Dufey-Robert/ Aug. Aubry, Troyes-Paris, 1870, Marseille, Laffitte Reprints, 1977, t. I, p. 136-146). 428 Herbert II de Vermandois, premier du nom comme comte de Champagne, (923- 943). C’est à ce personnage, son gendre, que Robert (voir note précédente) transmet le comté de Troyes, installant ainsi la maison de Vermandois-Champagne. Herbert (ou Héribert), fils de Herbert I er , comte de Vermandois, remonte en ligne directe à Charlemagne par le fils aîné de l’empereur, Pépin, roi d’Italie, dont un des descendants fut investi par Louis I er le Débonnaire du comté de Vermandois. Herbert épousa Hildebrante, fille de Robert » et, faute de pouvoir accéder au trône de France qu’il manœuvra pour donner à Raoul, fils de Richard le Justicier, duc de Bourgogne, conçut le projet de la création d’un grand fief, semblable à ceux de Flandre, de Normandie, de Bourgogne ou de France. Pour se rendre docile Raoul, et l’empêcher de contrecarrer ses projets, il attira auprès de lui, puis tint sous bonne garde et jusquà sa mort, le 7 octobre 729 dans la citadelle de Péronne, Charles le Simple, écarté du trône après sa défaite contre les grands qui lui reprochaient son incapacité, traduite par la cession de la Normandie aux Vikings et son favoritisme. Herbert mourut d’apoplexie et, selon certains, dévoré de remords suite à ses nombreuses intrigues. <?page no="158"?> 158 Journal brante 429 , qui ſ e rendit mai ſ tre de la Ville de Troyes en 953 430 . Je ne vous dis[115] rien de ſ es Succe ſſ eurs. Ils continuerent la po ſ terité ju ſ qu’à Thibaud IV. ſ urnommé le Po ſ thume ou le Fai ſ eur de Chan ſ ons 431 qui ſ ucceda à ſ on Oncle maternel, Sanche le Fort 432 , au Royaume de Navarre. Il mourut à Troye en 1254. e ſ tant de retour du Voyage d’Outremer 433 . Thibaut V 434 , ſ on Fils qui avoit Malgré ses ressources politiques évidentes, il laisse, dans l’histoire, l’image d’un fourbe (voir, entre autres, M. Poinsignon, op. cit., t. I, p. 81-88). 429 Hildebrante (~890-931). Princesse de France, fille de Robert I er , roi de France, et d’Aélis. 430 Boutiot, Histoire de la Ville de Troyes, op. cit., t. I, p. 134, place l’événement en 958. 431 Thibaud IV, le Posthume, le Juste, le Grand, le Chansonnier (1201-1253). Ce plus célèbre comte de Champagne est né de Thibaud III, comte de Champagne, et de Blanche, fille de Sanche le Sage, roi de Navarre. Pendant sa minorité, il réside auprès de son cousin, Philippe-Auguste, alors que sa mère exerce la régence du comté et multiplie les efforts pour préserver son héritage. Majeur en 1222, il participe, en 1226, à la croisade contre les Albigeois, dirigée par Louis VIII, le fils de Philippe- Auguste, mais se retire au bout de ses quarante jours de service réglementaires. Le roi, qui avait juré de le châtier, mourant bientôt après, Thibaud fut suspecté d’empoisonnement ; déjà poète, il composa une satire vengeresse dénonçant les guerres de religion et les clercs qui y incitaient. Il y mentionna aussi sa « dame » que l’on soupçonna n’être personne de moins que Blanche de Castille, l’épouse du défunt et la mère du nouveau roi Louis IX, le futur Saint Louis. Malgré cet attachement, Thibaud profite de la minorité du roi pour former une ligue de seigneurs destinée à contrecarrer l’autorité centrale, mais que l’énergie de la Régente condamnait vite à l’échec. Ses partenaires estimant que l’amour de Blanche n’y était pas pour rien, se croyaient trahis par leur chef, et envahirent la Champagne à titre de représailles. Seule l’aide de la Régente permit de rétablir la situation. En 1234, à la mort de Sanche VII, son oncle, Thibaud accède au trône royal de Navarre. Il profite de cette dignité nouvelle pour s’opposer encore au pouvoir central, représenté désormais par Louis IX, devenu majeur, et c’est toujours la reine-mère qui le conduit à composer. Après un passage en Terre Sainte, en 1239, Thibaud, revenu en France, partage son temps entre Navarre et la Champagne ; il meurt en 1253. 432 Sanche le Fort, roi de Navarre (1194-1234). Premier prince de Navarre à porter le titre royal, il se distingue par sa lutte victorieuse menée contre la dynastie arabe des Almohades. En fait, Sanche s’est méfié du caractère turbulent de Thibaud, fils de sa sœur Blanche et héritier présomptif de sa couronne ; il envisageait de le remplacer par son voisin géographique, le roi d’Aragon, Jacques I er le Conquérant. Toutefois à sa mort, en 1234, la noblesse navarraise s’oppose à la réunion des deux royaumes et investit Thibaud, qui fait sa joyeuse entrée à Pampelune le 5 mai 1234 et est proclamé roi trois jours plus tard (voir, entre autres, M. Poinsignon, op. cit., t. I, p. 211). 433 Vers la mi-août de l’année 1239, Thibaud s’embarque à Marseille pour une croisade peu notée par l’histoire, et que certains qualifient de « sixième croisade bis » à la <?page no="159"?> 159 Journal 434 435 épou ſ é I ſ abelle 435 , Fille du Roy Saint Loüis, e ſ tant mort ſ ans Enfans aprés avoir fait le me ſ me Voyage, lai ſſ a ſ es E ſ tats à Henry III 436 , [116] ſ on Frere. Ce dernier n’avoit qu’une Fille 437 nommée Jeanne 438 , qui en 1284. épou ſ a suite de celle de Frédéric II. Thibaud, négociant avec le sultan du Caire, obtient quelques beaux succès diplomatiques, telle l’évacuation, par les musulmans, de Jérusalem, portée souvent au crédit de Richard de Cornouailles, mais dont le Français fut le véritable maître d’œuvre. Il regagna la France au mois de septembre de l’année 1240 (voir C. Taittinger, Thibaud le Chansonnier, comte de Champagne, Paris, Perrin, 1987, p. 252 et p. 265). 434 Thibaut V, seizième comte de Champagne, fils de Thibaud IV et de Marguerite de Bourbon-Dampierre, la troisième épouse de son père (1253-1270). Époux, en 1258, d’Isabelle de France (voir note suivante), Thibaut V gouvernait ses États de Champagne et de Navarre avec une sagesse semblable à celle de son beau-père Saint Louis dont il partageait aussi la piété. Lorsque celui-ci partit pour sa deuxième croisade, en 1270, il se joignit à lui et se signala, en particulier, devant Tunis. Après la mort de Louis, victime de la dysenterie, Thibault se réembarque pour la France à la suite de Philippe le Hardi, le fils et le successeur de Louis, mais succombe à la maladie à l’étape de Sicile (voir M. Poinsignon, op. cit., p. 222-225). 435 Isabelle de France (1241-1271). Cette fille de Saint Louis avait épousé en 1258 Thibaut V, non sans difficultés. En effet, Jean le Roux, duc de Bretagne, qui avait épousé Blanche, la sœur d’Isabelle, s’était vu promettre la succession de celle-ci au trône de Navarre ou, en compensation, une partie de la Champagne. Thibaut V manifestant des réticences à s’exécuter, Saint Louis, appelé en juge, lui refusa la main de sa fille, jusqu’à ce qu’un arrangement fût trouvé. Blanche ayant finalement été dédommagée par une rente de trois mille livres, Louis, aux dires du célèbre Joinville, mêlé à la négociation, « donna sa fille [à] […] Thibault, et les noces furent faites à Melun, grandes et plénières » (voir M. Poinsignon, op. cit., t. I, p. 221). 436 Henri III le Gros, XVII e comte de Champagne, roi de Navarre sous le nom de Henri I er , frère de Thibaud V (1244-1274). Ce prince pacifique qui avait succédé à son frère en 1270, ne régna guère. Victime de son embonpoint, il mourut, suffoqué par la graisse, quatre années après son avènement. Il avait épousé, en 1269, Blanche, fille de Robert I er , comte d’Artois, et nièce de Saint Louis (voir M. Poinsignon, op. cit., t. I, p. 228). 437 En fait, Henri III était aussi père d’un fils, Thibault, mais qui mourut enfant, victime de l’imprudence de sa nourrice : le faisant sauter, en guise de jeu, sur ses bras, audessus d’un précipice, il lui échappa et se tua, entraînant dans sa chute sa gardienne qui voulut le retenir (voir M. Poinsignon, op. cit., t. I, p. 228). 438 Jeanne, comtesse de Champagne (1274-1304). Fille de Henri III le Gros et de Blanche d’Artois, elle est héritière légitime du comté de Champagne et du royaume de Navarre, mais sa mère doit manœuvrer pour lui conserver ces trônes convoités par d’autres, en Aragon, surtout. Plus particulièrement, elle s’assure l’appui de la France en abandonnant à Philippe le Hardi, le gouvernement de Navarre jusqu’à <?page no="160"?> 160 Journal Philippes le Bel 439 , pendant la vie de Philippes le Hardy ſ on Pere, & depuis ce temps, la Champagne a e ſ té in ſ eparablement unie à la Couronne de France 440 . Les Comtes de Champagne fai ſ oient tenir les Etats 441 de leur Pays par ſ ept Comtes, leurs Va ſſ aux, qu’ils appelloient Pairs de Champagne. C’e ſ toient les Comtes de Joigny, de Retel, de Brien[117]ne, de Roucy, de Braine, de Grand- Pré, & de Barſ ur-Seine 442 . la majorité de Jeanne qu’elle promet au fils aîné du roi, Philippe le Bel. Le mariage a lieu en 1284, une année plus tard, le 6 octobre 1685, Philippe succède à son père sur le trône, et Jeanne est reine de France ; Philippe reçoit en don de son épouse la Champagne et la Navarre. Ils sont sacrés ensemble à Reims, en 1286, à Pampelune, en 1288. Le couple aura six enfants, dont trois fils, tous rois de France : Louis X le Hutin, Philippe V le Long et Charles IV le Bel. À l’avènement de Louis X, la Champagne, distraite de la couronne au profit de ce prince, alors qu’il n’était pas encore roi, fut défintivement réunie à la France. Jeanne, presque toujours associée par son mari à la gestion des affaires de Champagne et de Navarre, se signala aussi par son goût des arts et des lettres. En 1304, l’année de sa mort, elle fonda par testament dans l’Université de Paris le collège de Champagne, mieux connu sous le nom de collège de Navarre, institution destinée à recueillir les étudiants champenois nécessiteux, mais au-delà, toute la jeunesse universitaire française. 439 Philippe le Bel, roi de France (1268-1314). Il gouverne la Champagne au nom de son fils aîné Louis le Hutin (voir note précédente) qui l’avait reçue en héritage de sa mère, mais que sa jeunesse empêchait d’exercer ses fonctions. Certaines mesures financières de Philippe aboutirent, en 1306, à l’insurrection des Champenois qui se refusaient au payement des impôts. Toutefois, dans sa lutte contre les Templiers, le roi, ayant demandé, en 1308, aux états généraux de Tours l’appui qu’il avait en vain sollicité auprès du pape, put compter, entre autres, avec le soutien de trente-cinq villes champenoises. Les dissensions avec les Champenois n’en sont pas finies pour autant : un nouvel impôt, censé financer, en 1314, la guerre de Flandre, provoque la formation d’une ligue contestataire de la noblesse de Champagne. C’est dans cette situation critique que Philippe, angoissé, meurt le 29 novembre 1314 (voir M. Poinsignon, op. cit., t. I, p. 267-289). 440 En fait, la réunion devient définitive à l’avènement de Louis X le Hutin au trône de France (voir ci-dessus n. 438). 441 Les comtes de Champagne « tenaient état » lors des « Grands Jours », où ils recevaient, entre autres, l’hommage des seigneurs qui dépendaient d’eux. C’est à cette occasion qu’ils s’entourent des sept Pairs de Champagne énumérés par le Mercure. Joigny, Rethel, Brienne, Roucy et Grand-Pré sont comptés au nombre des pairs par tous les historiens ; la plupart s’accordent sur les deux derniers Braine et Bar-sur- Seine. Le comte de Joigny faisait figure de doyen des pairs ; il avait le droit de s’asseoir près du comte, même si celui-ci a accédé à la royauté de France ou de Navarre (voir M. Poinsignon, op. cit., t. I, p. 243-244). 442 Voir note précédente. <?page no="161"?> 161 Journal Il y a trois Egli ſ es 443 à Vertus avec deux Abbayes hors les portes 444 . Les Guerres y ont lai ſſ é des marques de leur fureur 445 , qui ne peuvent e ſ tre effacées que par le regne de LOÜIS LE GRAND. Le Roy y fut logé fort étroitement, & comme c’e ſ toit ſ ur la ruë, il fut expo ſ é au bruit du pa ſſ age des équipages de la Cour 446 . Ce Prince auroit pû e ſ tre moins [118] mal ; mais ne pouvant renoncer à ſ es manieres honne ſ tes, qu’il con ſ erve me ſ me aux dépens de ſ on repos, il aima mieux que celuy des Prince ſſ es ne fu ſ t point troublé, & voulut qu’elles fu ſſ ent logées plus commodement que luy 447 . 443 Au XIV e siècle, Eustache Deschamps, le poète originaire du lieu, fait le relevé des établissements religieux de Vertus : Au piet du mont est fructueuse, Fondée très dévotement De mainte église précieuse : […] Nostre-Dame premièrement, Saint-Sauveur, et sur le domaine Saint-Jehan ; l’autre église prochaine Est Saint-Martin de doulz acueil Parroche du lieu souveraine : Chacun le peut veoir à l’ueil. (Ballade, Vertus en Champagne, dans Œuvres inédites d’Eustache Deschamps, Reims, chez tous les Libraires, Paris, Techener, 1849, t. I. p. 40). Deux de ces églises seront les abbatiales de Notre-Dame et de Saint-Sauveur (voir note suivante). Quant à l’église Saint-Martin, elle tire son origine d’un monastère des Augustins, placé sous ce vocable. Cette maison détruite par un incendie en 1167, fut remplacée par une nouvelle abbaye, appartenant au même ordre, mais placée cette fois sous la tutelle de Notre- Dame (voir note suivante). Le nom de Saint-Martin passa alors à l’église paroissiale de Vertus (C. Prieur, Histoire de Vertus, op. cit., p. 22). 444 Notre-Dame de Vertus, abbaye construite hors les murs, près du château des comtes, par les Augustins, propriétaires d’une première abbaye détruite par un incendie en 1167 (voir C. Prieur, op. cit., p. 22) ; Saint-Sauveur, abbaye bénédictine, fondée dans les premières années du XII e siècle et située hors de l’enceinte de la ville dans le faubourg de Moncheny. En fait, à la fin du XII e siècle, un troisième établissement, Saint-Jean, fut créé par les chapelains du château autorisés par le comte Henri II à se constituer en chapitre (ibid., p. 22-23). 445 Vertus connut de nombreux désastres, notamment à l’époque de l’occupation de la Champagne par les Anglais, dans le contexte de la Guerre de Cent Ans, et, plus tard, dans celui des guerres de Religion. C’est à ceux-ci que songera l’auteur du Mercure, plus particulièrement à l’occupation de la ville par les protestants, sous les ordres du prince de Condé ; les abbayes furent alors ruinées (voir A. Guérard, Statistique historique du Département de la Marne, op. cit., p. 126). 446 Ni Dangeau ni Sourches ne commentent le logement du roi à Vertus. 447 On sait la courtoisie choisie de Louis XIV à l’égard des femmes. Voir ci-dessus p. 55. <?page no="162"?> 162 Journal Le 15. toute la Cour di ſ na à Bierge 448 , & alla coucher à Châlons. Cette Ville e ſ t en Champagne, & ſ on Eve ſ ché e ſ t Suffragant de l’Archeve ſ ché de Rheims. Elle e ſ t an[119]cienne, & dés le temps de Julien l’Apo ſ tat 449 , elle tenoit rang entre les premieres Villes de la Gaule Belgique 450 . Il y a de belles ruës avec des Mai ſ ons a ſſ ez bien ba ſ ties. La Place où l’on voit la Mai ſ on de Ville, & celle où e ſ t l’Egli ſ e Collegiale de No ſ tre-Dame 451 , ſ ont les plus con ſ iderables. La Cathedrale de Saint E ſ tienne 452 e ſ t dans une I ſ le 453 que forme la Riviere de Marne, 448 Date et lieu du repas royal sont confirmés par Dangeau, op. cit., t. 2, p. 206 (voir ci-dessous p. 372). Aujourd’hui Chaintrix-Bierges, en vertu d’un décret du 17 mars 1858 réunissant ces deux localités de la Marne (voir A. Guérard, op. cit., p. 128). 449 Empereur romain de 331-363, célèbre pour sa tentative de restaurer dans l’empire le paganisme au détriment du christianisme progressant. 450 La province romaine de Gaule Belgique, établie dès le début de la période impériale, se scinda, suite à la réforme territoriale de Dioclétien, en deux provinces, la Belgique Première et la Belgique Seconde dont fit partie Châlons (Catalaunum). Selon Ammien Marcellin, qui suivit l’empereur Julien dans la guerre des Gaules, et auquel aura pensé l’auteur du Mercure, c’est une des plus belles villes de la Seconde Belgique : il la place tout de suite après Amiens, mais au même niveau que Reims : huic [primae Belgicae] adnexa secunda est Belgica, qua Ambiani sunt, urbs inter alias eminens, et Catelauni et Remi - « Est jointe à celle-ci [la première Belgique] la Belgique seconde, où sont Amiens, ville éminente entre toutes, Châlons et Reims. » (Ammien Marcellin, Histoires, XV, XI, 10, Paris, Belles Lettres, 2002, t. I, p. 141). 451 Construites sur le site d’une ancienne chapelle dédiée à la Vierge Parturiente, puis d’une église en bois, les premières parties de l’édifice en pierre remontent au XII e siècle (1158) ; elles ont été augmentées ultérieurement. La consécration n’eut lieu qu’en 1322. Le chapitre était concurrent de celui de Saint-Étienne, la cathédrale de Châlons (voir L. Barbat, Histoire de la ville de Châlons-sur-Marne, Paris, Le Livre d’histoire, coll. « Monographies des Villes et Villages de France », 2003, p. 30 et s.). La Place Notre-Dame « s’appellait de temps immémorial place du Grail. On y grillait les porcs, et chaque année, pendant l’hiver, à partir de la fête de Noël, on allumait à cet endroit un grand feu où les pauvres et les mendiants venaient se chauffer et faire cuire leurs aliments. » (Ibid., p. 182). 452 La cathédrale de Châlons est au vocable de saint Étienne depuis le règne de Charles le Chauve (823-877) ; d’autres documents avancent l’événement à 625, date à laquelle Félix I er aurait fait la dédicace (L. Barbat, op. cit., p. 78 et n. 3). Au XVII e siècle, l’édifice connut des agrandissements et notamment l’ajout de deux travées et du grand portail (ibid., p. 79). Incendiée par la foudre le 18 janvier 1668, elle est gravement endommagée, et l’évêque du moment, Vialard de Herse, s’emploie à réparer les dégâts avec, en particulier, l’aide financière consentie par Louis XIV. De cette époque datent, entre autres, les deux flèches à jour, en pierre, le jubé, détruit à la Révolution, l’extension vers le chevet, la prolongation des nefs latérales. Après ses « embellissements » achevés en 1672, la cathédrale est le théâtre de plusieurs grandes cérémonies au XVII e siècle, dont le mariage, le 8 mars 1680, du Grand Dauphin <?page no="163"?> 163 Journal 453 dont une partie entre dans la Ville, & y sert beaucoup pour [120]la commodité des Habitans. Elle a de ce co ſ té-là d’a ſſ ez bonnes Fortifications que le Roy François I. y a fait faire 454 , & elle e ſ t entourée de murailles avec des Fo ſſ ez pre ſ que toûjours remplis d’eau. Il y a encore douze Paroi ſſ es 455 , entre le ſ quelles plu ſ ieurs ſ ont Collegiales. Les avenuës de Châlons ſ ont tres-agreables, & il y a autour de la Ville plu ſ ieurs lieux de promenade, entre le ſ quels celuy du Jare 456 e ſ t fort renommé. La Riviere [121]de Marne qu’on pa ſſ e ſ ur divers Ponts 457 , la rend une Ville de negoce. Elle a eu des Comtes qui ont cedé leur droit aux Eve ſ ques 458 . C’e ſ t par là qu’ils ſ ont Comtes Pairs de France. Le Roy entra à cheval à Châlons, & fut receu par le Maire 459 & les Echevins 460 . On ne luy fit aucune harangue, parce qu’il avoit fait donner ordre avec Marie-Anne-Christine-Victoire de Bavière, en présence de Louis XIV qui contribue, une année plus tard, par un don de cent un louis d’or, à l’érection du maître-autel, opérée principalement par Louis-Antoine de Noailles encore titulaire du siège de Châlons au moment du passage royal de 1687. 453 La cathédrale se place dans le quartier compris entre la Marne et le Nau. 454 Dans le contexte de sa lutte contre Charles-Quint, qui avait envahi la Champagne, François I er avait ordonné au duc de Nevers, commandant de la place de Châlons, de détruire les églises de Toussaints, Saint-Sulpice, Saint-Mange et des Mathurins et d’en employer les pierres à la construction du château Saint-Antoine, des arches du pont du château du Marché et de Mauvilain. En même temps, des travaux importants furent engagés aux fortifications, et les faubourgs qui auraient pu servir de retranchements à l’ennemi furent rasés (voir L. Barbat, Histoire de la ville de Châlonssur-Marne, op. cit., p. 356). 455 Outre Saint-Étienne et Notre-Dame cités en premier lieu par le Mercure, on peut aligner au moins douze paroisses comme Saint-André / Saint-Alpin, Saint-Antoine, Saint-Germain, Saint-Jacques / Saint-Loup, Saint-Jean, Saint-Nicaise, Saint-Nicolas, Sainte-Catherine, Sainte-Croix / Saint Éloi, Sainte-Madeleine / La Trinité, Sainte Marguerite, Saints-Innocents dont certaines collégiales comme Notre-Dame et Sainte-Madeleine / La Trinité (voir L. Barbat, op. cit., principalement p. 24 et s.). 456 Voir ci-dessous [124] n. 465. 457 On trouvera une impressionnante étude sur les ponts de Châlons dans le livre de L. Barbat, op. cit., p. 150 et s. 458 Pour la lente dépossession, à partir du XII e siècle, des comtes au profit des évêques, on relira avec profit l’étude de G. Clause et de J.-P. Ravaux, Histoire de Châlons-sur- Marne, Roanne-le-Coteau, Éditions Horvath, 1983, p. 42 et s. 459 Dès 1684, le roi nomme pour Châlons un maire perpétuel entouré de six assesseurs, mais ces charges sont rachetées par la ville. En 1693, le roi crée définitivement la fonction de maire royal perpétuel et de lieutenant de roi. Le maire installé en 1693 était le sieur Gayet, seigneur de Plagny, Cramant et Fagnières, maire perpétuel et lieutenant de roi (voir L. Barbat, op. cit., p. 296 et 685). Il semble bien que, pour l’année 1687, le titre de « Maire » avancé par le Mercure soit abusif. Le personnage désigné sous ce vocable pourrait être le sieur Depinteville de La Motte (ou de La Mothe), sieur de Nuisement et d’Écury, Lieutenant de la Ville et présidant, en 1687, <?page no="164"?> 164 Journal 460 dans tous les lieux par où il devoit pa ſſ er, qu’on ne le harangua ſ t point 461 ; mais il [122]eut la bonté de vouloir bien recevoir les Pre ſ ens de Ville [sic]. Le Chapitre de la Cathedrale eut au ſſ i l’honneur de le ſ alüer, ayant à ſ a te ſ te M r l’Evêque de Châlons 462 . Les Chanoines ſ e recrierent en ſ uite ſ ur la douceur, & le Conseil de Ville (Registre du Conseil de Ville pour l’année 1687, Archives Municipales de Châlons-en-Champagne, cote BB27). 460 Les Archives Municipales de Châlons-en-Champagne conservent sous la cote CC144 le relevé des frais occasionnés par le passage et le repassage du roi, dans le contexte du voyage luxembourgeois : il s’agit d’une somme de 1170 livres 3 sols et six deniers : « Faict despense le comptable de la somme de mil cent soixante dix livres treize solz six deniers par luy payée et desboursée a l’occasion du passage et repassage de Sa Majesté et de toutte sa Cour en cette ville souveraine. Le memoire de ladite despense arresté pour M. le Gouverneur le cinq juin mil six cent quatre vingt sept cy rapporté. » La somme est confirmée au f°185 du document CC 247 relatif aux Comptes des deniers de la Ville pour l’année 1687. La cote BB 27 signale, à la date du 14 mai, les travaux de voirie entrepris en vue de l’accueil du souverain : « Au conseil a été représenté que Messieurs les officiers ayant eu advis du voyage que le Roy vouloit faire à Luxembourg lequel debvoit passer et repasser en cette ville, ils ont donné les ordres necessaires pour la reparation des chemins et advenues des portes Marne et St. Jacques […]. […] lesdits chemins et advenues sont presentement en bon estat […]. 461 Ce point est confirmé par le document BB27 des Archives Municipales : « Le quinziesme de may 1687 le Roy est arrivé en cette ville avec sa cour allan [sic] à Luxembourg, le corps de ville ayant esté adverti par Mons. le Marquis de Blainville, grand maistre des ceremonies, de la part de Sa Majesté quelle ne voulut autre ceremonie a la porte pour l’y recevoir sans aucune harangue ny compliment. » La fonction de Grand Maître des Cérémonies fut créée par Henri III en 1585. Assisté du Maître et de l’Aide des Cérémonies, le Grand Maître gère toutes les solennités royales « aian[s] en main le bâton de Cérémonie couvert de velours noir, le bout et le pomeau d’ivoire » (État de la France, op. cit., t. I, p. 521). 462 Louis Antoine de Noailles (1651-1729). Trente-six ans au moment du Voyage. Ce descendant d’une des plus grandes familles de France - son frère est Anne, deuxième duc de Noailles (voir ci-dessus n. 280) - est d’abord nommé au siège de Cahors (1680), puis, six mois plus tard, à celui, important, de Châlons avant de succéder, en 1695, à Harlay de Champvallon comme archevêque de Paris. Il est créé cardinal en 1700. Modeste, malgré sa lignée, il avait même voulu refuser le transfert à Châlons qu’il n’accepta que sur ordre exprès d’Innocent XI (Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 259). La capitale de la Champagne, conserve de lui le souvenir d’un pasteur modèle, visitant son diocèse et s’appliquant aux bonnes œuvres (ibid.). L’appel à Paris le laissa désœuvré au point qu’il fit tout pour l’empêcher : son approbation des Réflexions morales du Père Quesnel, janséniste, lui parut le plus sûr moyen d’échapper à cet honneur redoutable. Il dut cependant à Madame de Maintenon d’être investi du siège prestigieux, et ceci en dépit de l’opposition violente des Jésuites qui, dès lors, lui vouèrent une haine définitive, nourrie encore par son refus de s’engager sans réserves dans la campagne contre les jansénistes : s’il condamna <?page no="165"?> 165 Journal sur l’affabilité de ce Monarque, dont ils ne ce ſſ ent point de parler. Madame la Duche ſſ e de Noailles la Doüairiere 463 , qui a e ſ té Dame d’Atour 464 de la feüe Reyne Mere du Roy, & dont la vertu exemplaire a toûjours e ſ té [123] applaudie, car il en e ſ t de fau ſſ es qui n’impo ſ ent pas à tout le monde, eut le me ſ me honneur. Sa Maje ſ té luy fit d’autant plus d’honne ſ tetez, qu’il y a long-temps que ſ on merite luy e ſ t particulierement connu. Le Roy ſ e retira en ſ uite pour tenir Con ſ eil. M r le Duc de Noailles, & M r l’Eve ſ que de Châlons ſ on Frere, firent ſ ervir plu ſ ieurs Tables magnifiques, pour toutes les per ſ onnes de la Cour qui voulurent y man [124]ger, le Jare leur ſ ervit de promenade pendant quelques heures. Je ne m’étens point icy ſ ur la beauté de ce lieu, parce que j’en ay fait une de ſ cription dans le Volume que j’ay donné, qui ne contient que ce qui s’e ſ t pa ſſ é au Mariage de Mon ſ eigneur le Dauphin 465 . Il les Cinq Propositions de Jansen, il se montra cependant réservé sur la bulle, antijanséniste, Vineam Domini que Louis XIV avait obtenue de Clément XI contre le parti détesté, de même que plus tard, en 1713, il refusera la constitution Unigenitus qui scella le destin du jansénisme. La destruction de Port Royal des Champs, véritable exécution militaire ordonnée par le roi en 1711, le plongea dans un désarroi dont seule la mort put le délivrer (voir Saint-Simon, op. cit., t. III, p. 638). 463 Louise Boyer, duchesse de Noailles (1631-1697). Cinquante-six ans au moment du Voyage. Elle épouse en 1646 Anne, comte de Noailles et d’Ayen, qui accède en 1663 aux titres de duc (le premier duc de Noailles) et de pair (voir Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 1252, n. 3 ad p. 179). De ce mariage naît le cardinal de Noailles (voir note précédente). D’après Saint-Simon, elle égala son fils en vertu et en sainteté : « C’était une sainte fort aimable, qui avait été longtemps dame d’atours de la Reine mère, […] toujours vertueuse à la Cour et depuis longtemps retirée à Châlons-sur- Marne, dans une grande solitude, et se confessant tous les soirs à l’évêque son fils. » (Ibid., p. 179). Madame de Sévigné confirme, qui traite la mère et le fils de « saintes personnes » (Correspondance, op. cit., t. III, p. 454), et elle va même jusqu’à présenter la duchesse de Noailles en véritable mater dolorosa : lorsqu’on croyait, en 1689, l’évêque de Châlons à l’article de la mort, « sa sainte mère, écrit l’épistolière à Madame de Grignan, était abîmée de douleur aux pieds du crucifix. » (Ibid., t. III, p. 759). 464 Dame d’atour, « Dame dont la charge est de coiffer & habiller la Reine » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). 465 Voir Mercure Galant Mars 1680, Seconde Partie, p. 213-214, relation du séjour de la Cour à Châlons-sur-Marne, à l’occasion du voyage organisé pour l’accueil en France de la Dauphine Marie Anne Christine Victoire de Wittelsbach. L’épisode en question, la promenade au Jard, eut lieu le samedi 9 mars 1680 ; la « description » à laquelle l’auteur fait allusion ci-dessus paraîtra quelque peu sommaire : « Le lendemain 9. toute la Cour prit le divertissement de la Promenade à une Maison de plaisance de M r l’Evesque de Châlons, & passa par le Jar en y allant. Le Jar est une manière de Cours d’une tres-grande beauté. Peu de Lieux publics en France sont plus agreables. » Le Jard - mot d’origine germanique, gart ou gardo signifiant clôture - d’abord domaine épiscopal, le lieu est propriété de la Ville depuis le XV e siècle. Le <?page no="166"?> 166 Journal y eut au Jare une prodigieu ſ e quantité de per ſ onnes de toutes conditions, que l’impatient de ſ ir de voir le Roy avoit fait venir de toute la Champagne. Les [125]principaux Officiers de la Ville de Troyes ſ e rendirent à Châlons, & firent vingt lieuës pour avoir l’honneur de ſ aluer ce Monarque. Les Dames de la Province eurent beaucoup de chagrin de l’ordre qui fut donné, de n’en lai ſſ er entrer aucune au ſ ouper, qui n’eu ſ t e ſ té nommée par Sa Maje ſ té. Celles qui crurent n’e ſ tre pas a ſſ ez connuës pour pouvoir e ſ tre du nombre, ne ſ e pre ſ enterent point, dans la crainte d’e ſ tre [126] refu ſ ées, ce qu’on ne trouva pas ordinaire, & qui fut fort remarqué. Le Roy eut la bonté de permettre qu’on les lai ſ sa ſ t toutes entrer le lendemain dans le Chœur de l’Egli ſ e, où elles eurent le temps de con ſ iderer Sa Maje ſ té & toute la Cour pendant que l’on dit la Me ſſ e. La Mu ſ ique de cette Cathedrale chanta un Motet, dont il parut que l’on fut a ſſ ez content. M r l’Eve ſ que Comte de Châlons, M r le Duc de Noailles ac[127]compagnerent toûjours le Roy tant qu’il demeura dans cette Ville. On auroit bien voulu ſ ejourner dans un lieu au ſſ i beau & au ſſ i spacieux que celuy là, où les logements e ſ toient fort commodes ; mais les me ſ ures e ſ tant pri ſ es pour ſ e rendre à Luxembourg au jour marqué, on partit le 16. 466 à dix heures préci ſ es du matin, pour aller coucher à Sainte-Menehout. M r de Châlons accompagna le Roy ju ſ ques aux confins de ſ on Eve ſ ché,[128] & M r l’Eve ſ que de Verdun 467 le reçût à l’entrée du ſ ien. texte du Mercure montre qu’au XVII e , il faisait fonction de jardin public. Les travaux importants consentis au XVIII e siècle, en font un objet d’admiration générale : on relira à ce sujet la description enthousiaste de Joseph La Vallée, journaliste de l’époque révolutionnaire pour qui « le Jard est une promenade, la plus belle peutêtre que possède aucune ville de la République » (cit. par G. Clause, Le Jard ou la nature au cœur de Châlons-en-Champagne, Châlons-en-Champagne, Édition Ville Châlons-en-Champagne, 2004, p. 33-34). Pour les autres détails donnés ci-dessus, voir ibid., p. 6 et p. 14. On trouvera des détails sur le Jard dans l’ouvrage de L. Barbat, Histoire de la ville de Châlons-sur-Marne et de ses monuments, op. cit., p. 185-188 et celui de L. Grignon, Topographie historique de la Ville de Châlons-sur-Marne, Nouvelle édition complétée par J.-M. Arnoult et J.-P. Ravaux, Châlons-sur-Marne, Association des Amis de la Bibliothèque Enfantine, 1976, p. 100-106. 466 Dangeau (op. cit., t. 2, p. 206) et Sourches confirment que le cortège royal arrive le vendredi 16 mai à Sainte-Ménehould. Voir ci-dessous p. 373 et p. 383. 467 Hippolyte de Béthune (1647-1720). Évêque de Verdun en 1680. Quarante ans au moment du Voyage. Ce descendant d’une grande famille - Sully était le frère de son grand-père - avait d’abord été aumônier de Marie-Thérèse d’Espagne, l’épouse de Louis XIV. En tant qu’évêque de Verdun, il se signale par son zèle à améliorer la formation du clergé moyennant la fondation du Séminaire - dont il confie la direction à Louis Habert, attaché à la doctrine de Port-Royal - mais aussi par ses écrits spirituels : grand et petit Catéchismes diocésains, Rituel de Verdun, Méthode pour administrer utilement le sacrement de la Pénitence. Cette sollicitude s’accompagne d’un souci permanent de discipliner les éléments rétifs : ses démêlés avec les <?page no="167"?> 167 Journal La journée de Chalons à Sainte-Menehout ſ e trouva fort longue pour les Equipages. On dîna à Bellay, qui n’e ſ t qu’une Ferme ſ ans aucune autre mai ſ on au milieu de la campagne 468 , & on rendit le lieu agreable pour y recevoir le Roy. Sa Maje ſ té y cha ſſ a pendant une partie de l’aprésdînée, & alla coucher à Sainte-Menehout. Cette Place qui avoit e ſ té pri ſ e ſ ur [129] nous pendant les temps difficiles, fut repri ſ e en 1653. 469 par M r le Maréchal du Ple ſſ is-Pralin 470 ; chapitres des différentes églises de son siège et, en particulier, celui de la cathédrale, sont nombreux : à ce dernier, il impose sa juridiction épiscopale mettant fin aux privilèges et exceptions. Hippolyte de Béthune est aussi le bienfaiteur des pauvres pour qui il fait construire l’Hôpital de Verdun qu’il dote richement dans son testament. Dans la querelle du jansénisme, il s’inscrit en faux contre la bulle Unigenitus dans laquelle Clément XI condamne cent et une propositions des Réflexions morales de Quesnel et qui marque la fin du mouvement. Cependant, ses réticences à l’endroit de la bulle sont plutôt de nature ecclésiologique : partisan rigoureux de l’épiscopalisme gallican, il ne peut admettre la soumission inconditionnelle des évêques aux décrets romains. Son choix de Louis Habert, évoqué ci-dessus, témoigne aussi de ses sympathies spirituelles (voir Histoire ecclésiastique et civile de la Ville de Verdun par un Chanoine de la même Ville, Paris, Pierre-Guillaume Simon, 1745, p. 533-539 et Dictionnaire de Port-Royal, op. cit., p. 173-174). 468 Dangeau, op. cit., t. II, p. 206 ; voir ci-dessous p. 373 : « Vendredi 16 mai … - le roi dîna dans une grange qu’on appelle Bellay. » Les éditeurs des Mémoires de Sourches ajoutent la précision suivante (op. cit., t. II, p., 48, note 2) : « Ferme toute seule au milieu des plaines de Champagne, laquelle appartient à M. de Thuisy, maître des requêtes. » Il s’agit de Jérôme Ignace Goujon de Thuisy, ancien Conseiller au Grand Conseil, reçu maître des requêtes en 1667 (voir L’État de la France, 1687, op. cit., t. II, p. 273). 469 Après la journée du faubourg Saint-Antoine, où, le 2 juillet 1652, il s’était battu contre l’armée royale pour empêcher le jeune Louis XIV d’entrer dans sa capitale, Condé avait rejoint les troupes espagnoles, opérant dans l’Est. C’est dans ce contexte que, le 30 octobre 1652, ses délégués se sont présentés devant Sainte-Ménehould, fidèle au roi, pour sommer les autorités d’ouvrir au prince les portes de la cité. Le siège qui fit suite au refus, et pendant lequel se signala le jeune Vauban, alors engagé dans l’armée du prince, se termina par la capitulation de la ville le 13 novembre. Condé entre dans la place le 14. Le cabinet de Paris décide de réagir, et le 22 octobre de l’année suivante, l’armée royale investit Sainte-Ménehould. Commandées d’abord par trois capitaines, Castelnau, Uxelles et Navailles » les opérations piétinent jusqu’à la nomination, le 3 novembre, d’un chef unique, en la personne du maréchal du Plessis-Praslin (voir note suivante). Après différentes péripéties, qui voient encore l’intervention du jeune Vauban, rallié entretemps à la cause royale, la ville capitule le 24 novembre 1653 (voir C. Buirette, Histoire de la Ville de Sainte-Ménehould et de ses environs, Sainte-Ménehould, Poignée-Darnauld, 1837, p. 294 et s. Pour le rôle de Vauban, voir aussi R. Tilloy, « C’est à l’Argonne que Vauban doit son titre d’ingénieur du roi », Horizons d’Argonne, N° 3, 1964, p. 9-11). 470 César Du Plessis-Praslin, duc de Choiseul, maréchal de France en 1645 (1598-1675). Après avoir servi en Italie, en Espagne et en France, Du Plessis-Praslin est fait gou- <?page no="168"?> 168 Journal & ce Siege que le Roy voulut pre ſſ er en per ſ onne, obligea Sa Maje ſ té d’aller en Champagne en ce temps-là 471 . Le Roy ne trouvant pas la Cour a ſſ ez commodement logée dans Sainte-Menehout 472 , re ſ olut de n’y pa ſſ er pas la fe ſ te du S. Sacrement à ſ on retour, & nomma Chalons pour y faire la ceremonie de cette Fe ſ te 473 . [130]Cela obligea de retrancher un des jours du ſ ejour de Luxembourg 474 . Le Roy continua de donner par là des marques de ſ a bonté à toute la Cour, & M r l’Eve ſ que de Châlons montra tant de joye de ce qu’il auroit l’honneur de recevoir encore ce Monarque, que plu ſ ieurs luy en firent compliment. Le 17. le Roy entendit la Me ſſ e aux Capucins 475 , & fit de grandes liberalitez à leur Convent. On alla en ſ uite dî[131]ner à Vricourt 476 , prés de Clerverneur de Monsieur, Philippe d’Orléans (Saint-Simon, op. cit., t. IV, p. 632 et t. V, p. 239). Pendant la Fronde, il demeure fidèle au roi et reprend, en 1650, Rethel à Turenne, rallié aux Espagnols. En 1652, il devient ministre d’État, en 1665, il accède à la dignité de duc et de pair de France sous le nom de Choiseul (Dictionnaire des Maréchaux de France, Paris, Perrin, op. cit., p. 166-167). 471 À partir de Châlons, Louis XIV s’est présenté à plusieurs reprises au siège de Sainte- Ménehould, pour encourager la troupe (Buirette, op. cit., p. 327-328). 472 Dangeau confirme : « Vendredi 16 mai, à Sainte-Menehould. - Le roi […] vint coucher à Sainte-Menehould, où il se trouva fort mal logé. » (Op. cit., t. II, p. 206). 473 On notera que Sourches donne une explication moins prosaïque de cette décision : le roi aurait choisi de célébrer la Fête-Dieu à Châlons, parce qu’il aurait voulu donner l’exemple aux nombreux convertis de celle ville. Voir ci-dessous p. 383 (Sourches). 474 Le voyage aller de Châlons à Luxembourg étant de six jours (départ le 16 mai au matin, arrivée le 21 au soir), il faudrait donc être de retour à Châlons le matin du jour de la Fête-Dieu que le roi souhaite célébrer dans cette ville, soit le matin du 29 mai. Comme le voyage sur tout le parcours ne se fait jamais de nuit, l’arrivée devrait être au 28 au soir en sorte que le départ de Luxembourg devrait être le 23 au matin. Le roi arrivant à Luxembourg le 21 au soir n’aurait donc, pour son séjour, que ce jour d’arrivée - et qu’il met déjà à profit pour l’inspection des dehors de la forteresse (voir ci-dessous p. 241) et le jour suivant, jeudi 22 mai. En fait, on verra que la maladie du comte de Toulouse et, peut-être, des causes politiques, bouleverseront cet échéancier, et que Louis XIV ne quitta la ville que le 26 au matin. Aussi ne célébrera-t-il pas la Fête-Dieu à Châlons, mais à Verdun. 475 En 1618, on conçut le projet de l’installation d’un couvent à Sainte-Ménehould, et les préférences, dans un premier temps, semblaient aller aux Jésuites, ceci pour assurer la qualité de l’instruction des jeunes. On finit cependant par opter pour un renforcement de la pastorale dans l’intérêt, surtout, des paroisses de la campagne environnante ; le soin en fut confié aux Capucins, religieux de l’ordre de saint François, introduits en France en 1573. Les lettres patentes du roi accordant leur établissement à Sainte-Ménehould, datent du mois d’octobre 1618. Dès 1619, on put accueillir le Père André de Fribourg, religieux de la province de Lorraine. La ville mit à sa disposition des terrains le long des remparts, où l’on construisit le <?page no="169"?> 169 Journal 476 mont en Argonne 477 . Les chemins ſ e trouverent fort rudes, dans des bois, dans des montagnes, & dans des vallées d’un terroir remply de pierres. On arriva d’a ſſ ez bonne heure à Verdun, où l’on fut ſ i bien logé, que ce fut avec plai ſ ir que l’on y pa ſſ a la Fe ſ te de la Penteco ſ te 478 . Verdun e ſ t une Ville forte ſ ur la Meuse, & il en e ſ t peu de mieux ſ ituées dans la Lorraine. L’Eve ſ ché e ſ t[132] Suffragant de l’Archeve ſ ché de Reims. Cette Egli ſ e a eu d’illu ſ tres Prelats. Ils ſ e di ſ ent Comtes de Verdun, & Princes du Saint Empire 479 . La Riviere de Meu ſ e rend cette Ville agreable par diver ſ es I ſ les qu’elle y forme. Le Roy Henry II. la prit en 1552 480 . Le Chapitre de l’Egli ſ e Cathedrale de couvent et une petite église que le curé-doyen Collin, considéré comme le véritable fondateur des Capucins de Sainte-Ménehould, consacra bientôt sous le vocable de Saint-Louis. Les Capucins de Sainte-Ménehould, plaisant par la simplicité de leur vie et leur piété exemplaire, obtinrent toutes sortes d’avantages matériels de la municipalité et recrutèrent parmi la jeunesse, y compris nobiliaire. Le couvent, intégré à la province de Champagne, continua de prospérer au XVIII e siècle ; en 1722, un de ses représentants, le Père Claude, participa à la mission de Louisiane, confiée aux religieux de cette province (voir C. Buirette, op. cit., p. 267-269). 476 Cette graphie est aussi celle de Dangeau (op. cit., t. II, p. 207 ; voir ci-dessous p. 373) et celle de Sourches (op. cit., t. II, p. 48 ; voir ci-dessous p. 383). Dans sa Notice historique sur Verdun, l’abbé Gabriel précise qu’il s’agit de l’actuel Vraincourt (voir Abbé Gabriel, Verdun. Notice historique, Paris, Res Universis, coll. « Monographies des Villes et Villages de France », 1993, p. 218). Cette petite localité de la Haute-Marne est située à quelque 132 km de Clermont-en-Argonne, et à quelque 138 km de Verdun, toutes deux dans la Meuse. 477 Dans l’actuel Département de la Meuse. 478 Le dimanche 28 mai 1687. 479 Lorsque le Royaume de Lorraine, constitué en 855 au profit de Lothaire II, arrièrepetit-fils de Charlemagne, fut divisé en deux duchés de Basse et de Haute Lotharingie, les villes de Metz, Toul et Verdun n’y furent pas intégrées, mais soumises à l’autorité des empereurs germaniques qui accordèrent aux comtes de Verdun les mêmes droits qu’aux autres Princes de l’Empire. (Histoire Ecclésiastique et Civile de Verdun […], op. cit., p. 167). 480 Bien que relevant du Saint-Empire depuis 925 et proclamée Ville libre impériale en 1374, Verdun a appelé, en 1315 notamment, la protection du roi de France. Par les traités de Friedwald et de Chambord, du 15 janvier 1552, les Princes allemands avaient jugé bon « que le dict Seigneur Roy s’impatronisast le plus tost qu’il pourrait des villes qui appartiennent d’ancienneté à l’Empire et qui ne sont pas de langue germanique, sçavoir Cambray, Toul, Metz et Verdun et aultres semblables et qu’il les gardast comme Vicaire du Sainct Empire ». C’est ainsi que le dimanche 12 juin 1552 Henri II, partant du camp de Damvilliers, se présente aux portes de la ville qui lui sont ouvertes ; devant le clergé et les magistrats réunis, il déclare qu’il prendra soin désormais de Verdun en tant que Vicaire du Saint-Empire (J. Simon, Histoire de Verdun. I. Des origines à la Révolution, Verdun, Éditions lorraines, s.d., p. 19-33). <?page no="170"?> 170 Journal No ſ tre-Dame e ſ t fort con ſ iderable 481 . M [sic] l’Eve ſ que de Verdun receut le Roy dans ſ on Palais Epi ſ copal. Il e ſ t tres-beau 482 , & l’on [133]y voit ju ſ ques 481 En fait, c’est justement au XVII e siècle que le Chapitre perdit beaucoup de son prestige. Disposant depuis de XI e siècle du droit d’attribution des charges tant civiles que spirituelles, ainsi que de l’exercice de la justice, même en « matieres criminelles, qui meritoient la peine de la mort », il a été dépouillé de ces droits régaliens et ne conservait plus que dans les terres qui lui appartenaient directement certains d’entre eux, les autres ayant passé au « Parlement de Metz & [au] Bailliage Royal de Verdun ». (Histoire Ecclésiastique et Civile de Verdun […], op. cit., Livre Second, Préface, p. VII-VIII). De même, les prébendes qu’il pouvait accorder, et qui étaient encore au nombre de soixante au XV e siècle, avaient été considérablement réduites et réservées, pour six d’entre elles, au Pape qui les avait cédées « par un Indult au Roy Louis XIV & à ses successeurs » (ibid., p. IX). 482 En 1687, le Palais épiscopal de Verdun était celui aménagé au XVI e siècle par Nicolas Psaume, évêque de Verdun de 1548 à 1575. D’après Charles Buvignier, auteur, en 1857, d’une description de l’évêché de Nicolas Psaume, entièrement rénové en 1578 par le successeur de celui-ci, Nicolas Bousmard, l’édifice comportait « quatre faces, deux plus grandes, l’une sur la cour, l’autre sur le jardin en terrasse, du côté de Rupt - et deux petites, l’une sur le jardin vis-à-vis de la citadelle, l’autre sur le petit jardin de la chapelle. C’est là qu’étaient les appartements de l’évêque. On y arrivait par un perron en pierre de quinze marches de chaque côté. […] Le jardin de la terrasse était orné de plates-bandes plantées d’ifs et de deux pièces de broderies entre lesquelles était un bassin revêtu de plomb, de 12 pièces de diamètre. […] le grand jardin avait aussi ses pièces de broderie, ses plates-bandes plantées d’ifs. Du côté de la terrasse une charmille à hauteur d’appui se terminait par un cabinet de tilleuls. » (Voir C. Buvignier, « Le Palais épiscopal de Verdun », dans Journal de la Société d’Archéologie Lorraine et du Musée Historique Lorrain, 185, N° 7, 6 e année, p. 148-154 et M. Souplet, Le Palais épiscopal de Verdun, Verdun, Imprimerie Huguet, 1970, p. 16 et p. 18). Dans une étude plus récente, Laurent Brunner précise qu’on accédait à l’ensemble par un « intéressant portail à pilastres cannelés dans le style de la Renaissance italo-française. […] le corps de logis principal donnant sur la vallée de la Meuse [était un] édifice massif, et d’une architecture relativement hétérogène. Composé de deux niveaux et d’un étage à combles, il se présente du côté des terrasses comme une longue façade où se succèdent des fenêtres Renaissance de trois types différents (avec ou sans meneaux, avec ou sans frontons), sans rythme précis, coiffé d’un haut toit pour la partie la plus importante et d’un appentis à son extrémité ». L’auteur relève des incohérences semblables pour la façade qui donne sur la cour pour conclure qu’on « est loin d’un « Palais » et [que] l’apparence est plutôt […] celle d’un bel hôtel particulier […]. » (L. Brunner, « Le Palais épiscopal de Verdun », dans Connaissance de la Meuse, N° 29, juin 1993, p. 13-14). Il convient donc de relativiser l’épithète - « très beau » - du Mercure, justifié seulement à partir de 1725, sous le successeur d’Hippolyte de Béthune, Charles-François d’Hallencourt », le « maçon mitré », qui chargea le célèbre Robert de Cotte, architecte de Louis XV, d’une nouvelle construction, célébrée par Saint-Simon comme « le plus vaste et le plus superbe palais épiscopal qu’il y ait en France ». (Op. cit., t. III, p. 989). <?page no="171"?> 171 Journal à dix pieces de plain-pied 483 . L’air y e ſ t admirable. Ce Palais e ſ t élevé ſ ur un roc 484 d’où toute la ba ſſ e-Ville ſ e decouvre. Des Prairies arro ſ ées par la Meu ſ e, & des vallons a ſſ ez éloignez, & tres-fertiles en tout ce qui e ſ t nece ſſ aire pour la vie, en rendent l’a ſ pect des plus riants. Les ameublements de ce Palais ſ ont fort ſ omptueux 485 , & servent beaucoup à faire voir la magnificence de M r de Bethune 486 , qui joüit [134]en ſ a retraite de quarante mille livres de 483 Selon C. Buvignier, la disposition des appartements était la suivante : la « grande salle », longue de six toises et demie (11,7 m, la toise correspondant à 1,8m), large de cinq (9 m), éclairée par trois croisées donnant sur le jardin, ornée de statues, et remarquable par son plafond de menuiserie dans lequel était encadré un tableau de maîtres représentant trois anges qui supportaient les attributs épiscopaux ; la salle à manger, la chambre à coucher qui communiquait avec le cabinet des archives et neuf autres pièces à feu. » (« Le Palais épiscopal », op. cit., 151). On notera qu’il s’agit ici de quatorze pièces, et non de dix, comme l’indique le Mercure. L. Brunner (« Le Palais épiscopal […] », op. cit., p. 14) reprend d’assez près la même disposition, mais n’arrive qu’à douze pièces. 484 Il s’agit du promontoire qui prolonge la colline de l’actuelle Citadelle (voir M. Souplet, Le Palais épiscopal de Verdun, op. cit., p. 4). 485 Le testament d’Hippolyte de Béthune, conservé aux Archives Municipales de Verdun, permet, sinon de reconstituer l’ameublement des appartements, du moins d’entrevoir une partie de leur décoration picturale. Ainsi, outre le tableau de maître de la grande salle « représentant trois anges qui supportaient les attributs épiscopaux » mentionné ci-dessus, on trouvait, dans la même pièce, « le grand portrait du Roy de la main de M r Mignard* », et que l’évêque « donne et legue » aux « doyen et chanoine et chapitre de [son] Eglise Cathedrale » « pour estre placé dans le chapitre dans l’endroit que je leurs [sic] ay marqué ». De même, il « donne et legue » « mon portrait de M r Croix* qui est dans ma grande chambre à l’Hospital de St. Hippolite que nous avons fondé pour estre placé dans la sale hautte des malades ». En outre, il « donne et legue aux peres benedictins de St Vanne [ ? illisible] abbaye, le portrait du Roy en profil de la main de M r Miniard [sic] qui est dans ma grande Sale pour estre placé dans leurs [sic] Bibliotheque ». Enfin, il « donne et legue aux Religieuses de l’abbaye de St Paul le portrait du Roy de M r Rigaut* qui est dans la chambre ou [sic] je couche ». *Il s’agit de Pierre Mignard (1612-1695) et d’Hyacinthe Rigaud (1659-1743) tous les deux auteurs de plusieurs portraits de Louis XIV. Croix n’a pas pu être identifié. 486 Faut-il sentir comme une critique dans l’insistance sur cette « magnificence » de M. de Béthune ? On connaît les attaches jansénistes du personnage (voir ci-dessus n. 467) qui sembleraient appeler un goût pour l’austérité. En fait, il a été impossible d’apprendre des détails sur le style de vie de l’évêque de Verdun, abstraction faite de la somptuosité d’un habitat qu’il a hérité, en grande partie, de ses prédécesseurs. Mais quelle a été son existence, au quotidien ? Adaptée au cadre dans lequel elle évoluait, ou, au contraire, à l’image de ces dispositions testamentaires concernant la conduite à suivre après sa mort, et qui visent le dépouillement le plus complet ? « Je deffend [sic] absolument que l’on fasse une oraison funebre ; je me crois indigne d’estre loué dans la chair [sic] ou on ne doit exposer que la verite. <?page no="172"?> 172 Journal rente 487 , que luy rapporte ſ on ſ eul Eve ſ ché. Les Anis qu’on appelle de Verdun, autrement Dragées de toutes manieres, ſ e trouvant meilleurs en cette Ville-là qu’en aucune autre du monde, elle ne ſ uit aucun exemple des autres Villes, dans les Pre ſ ens qu’elle fait aux Souverains, & au lieu d’offrir du Vin, elle donne de ſ es Anis. Ainsi elle en fit pre ſ ent de cent boëtes au [135]Roy 488 . M r l’Eve ſ que de Verdun e ſ t Fils d’Hippolite de Bethune, Comte de Selles, Marquis de Chabris, dit le Comte de Bethune, mort en 1665 489 . aprés avoir e ſ té honoré du Collier des Ordres du Roy 490 en 1661. & fait Chevalier d’honneur de la Reyne 491 Marie-There ſ e d’Au ſ triche 492 . Il avoit épou ſ é en 1629. Anne Je deffen pareillement toutes [sic] les ceremonies [et] frais funeraires à l’exception de ceux qui sont d’une absoluë necessité. Les autres estant contraires à l’esprit du christianisme et les despences de tel [sic] nature estant superflu [sic] […] » (Testament d’Hippolyte de Béthune, Archives municipales de Verdun, GG 238, f. 1-2). L’« esprit du christianisme » est en effet opposé au triomphalisme de certains prélats du XVII e siècle au nombre desquels Hippolyte de Béthune, apparemment, ne souhaite pas être compté. La présentation du Mercure aurait dû lui être peu agréable ; pourrait-il s’agir d’une petite méchanceté intentionnelle, d’un coup de griffe, en quelque sorte, contre un homme suspecté de jansénisme, et ceci longtemps avant son opposition à Unigenitus ? On notera seulement que dès le début de son épiscopat (1681) il avait maintenu à la direction du Séminaire de Verdun Louis Habert, installé déjà par son prédécesseur Armand de Monchy d’Hocquincourt, et qui était connu pour ses sentiments jansénistes, au point que le Père de La Chaize, confesseur de Louis XIV et donc vox magistri, s’en était plaint à l’Archevêché de Reims, dont dépendait le siège de Verdun (voir Dictionnaire de Port-Royal, entrées « Béthune » et « Habert », op. cit., p. 173-174 et p. 499). 487 La livre française du XVII e siècle correspondant à 9,45 € , la rente (annuelle, au sens du XVII e siècle) de l’Évêque s’élevait à 378 000 € . 488 Le registre des Comptes de la Ville, consulté aux Archives municipales (CC 180), produit une trace manuscrite relative à ce cadeau : « de la somme de douze [illisible] payée à Dominicque Baudin pour la dragée par luy fournie au passage du Roy… . » Voir ci-dessous p. 324, Annexe 7. 489 Il s’agit d’Hippolyte de Béthune, fils du frère de Sully. Voir aussi Histoire ecclésiastique et civile de Verdun, op. cit., p. 534. 490 C’est-à-dire de l’Ordre du Saint-Esprit, les chevaliers de cet Ordre étant appelés des Ordres du Roi, puisque la nomination au Saint-Esprit entraînait d’office celle à Saint-Michel, alors que les chevaliers de l’Ordre de Saint-Michel étaient seulement de l’Ordre du Roi. Hippolyte de Béthune, comte de Selles, faisait en effet partie de la promotion du Saint-Esprit du 31 décembre 1661, la troisième du règne de Louis XIV. 491 Chevalier d’honneur : « On appelle chez la Reine et chez Madame, Chevalier d’honneur, le principal Officier d’entre ceux qui leur donnent la main en marchant. » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). 492 On connaît cette princesse, Infante d’Espagne, fille de Philippe IV et d’Élisabeth de France, sœur de Louis XIII, qui épousa le 9 juin 1660, à Saint-Jean-de-Luz, le jeune <?page no="173"?> 173 Journal Marie de Beauvilliers 493 , Sœur de M r le Duc de S. Aignan 494 , qui tant que la feuë Reyne 495 a ve ſ cu, a eu l’honneur de [136] la ſ ervir en qualité de Dame d’Atour. Ce Prelat avoit avec luy Madame de Rouville 496 ſ a Sœur, Veuve de M r Louis XIV, alors âgé, comme elle, de 22 ans. L’union conçue dans le cadre de la politique des alliances de Mazarin et prévue par l’article 33 du traité des Pyrénées, signé quelques mois auparavant, le 7 novembre 1611, se révéla d’abord heureuse, le roi trouvant l’infante physiquement à son goût. Cependant les dispositions intellectuelles de la jeune souveraine, peu avenantes, l’orientèrent bientôt vers d’autres horizons, autant dire que le règne des maîtresses se perpétua. De l’aveu commun, en effet, Marie-Thérèse était une bonne âme, avec tout ce que l’expression peut signaler de médiocre : « soumise au Roi », écrit Saint-Simon, « soigneuse de lui plaire », mais d’un « génie incapable, doux et […] borné » (op. cit., t. II, p. 422), elle ne put retenir longtemps le jeune premier. Ne sachant lui demeurer fidèle, il lui conserva cependant toute son estime et il lui arriva de l’installer Régente, au moins formellement, lors de ses absences prolongées aux armées. Et on n’oublie pas ce mot de tendresse qu’il eut au moment de sa mort et qui est demeuré dans les annales : « Voilà le premier chagrin qu’elle m’ait donné. » Marie-Thérèse, épuisée au retour du voyage où elle avait accompagné le roi en Alsace et en Bourgogne, meurt le 30 juillet 1683 d’un abcès à l’aisselle. 493 Anne Marie de Beauvill[i]ers, comtesse de Béthune (1610-1688). L’épouse d’Hippolyte, comte de Béthune, était dame d’atours de la reine (Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 608 et t. II, p. 390, 992). 494 François de Beauvilliers, premier duc de Saint-Aignan (1610-1687). Ce personnage haut en couleurs est une des figures les plus chatoyantes du règne. Il manifeste sa valeur militaire dans la Guerre de Trente ans et sa loyauté au temps de la Fronde : l’attachement qu’il témoigne alors à la cause du roi, lui vaut tous les honneurs ; en 1649, il est premier gentilhomme de la Chambre (Saint-Simon, op. cit., t. III, p. 390), en 1664, gouverneur du Havre (ibid., t. I, p. 693-694). Mais ce sont avant tout ses qualités intellectuelles qui ont fait sa réputation : membre de l’Académie française (1663), il s’occupe de littérature et conseille Louis XIV dans ses premiers essais poétiques (voir Madame de Sévigné, Correspondance, op. cit., t. I, p. 67). Racine, qu’il protège, célèbre dans la Préface de la Thébaïde (1664), sa « parfaite connaissance des belles choses » à laquelle s’ajoute « un courage non moins élevé » dans l’entreprise des grandes, « deux excellentes qualités qui font séparément tant de grands hommes. » Par ailleurs, il était d’une ouverture d’esprit rare à l’époque : en 1633, il a épousé Antoinette Servien, fille d’un simple négociant. Dans sa lettre du 17 juin 1687 à Bussy-Rabutin, Madame de Sévigné, rapportant les détails de sa dernière maladie, lui fait la plus belle oraison funèbre : « […] tout a été prodige en lui. Dieu veuille le récompenser de ce qu’il a fait pour l’honneur et pour la gloire du monde ! » (Correspondance, op. cit., t. III, p. 299-300). 495 Marie-Thérèse d’Espagne est morte en 1683. 496 Madame de Rouville ; il s’agira, non de l’épouse du marquis de Rouville, gouverneur d’Ardres, mais de celle de son fils aîné, François, marquis de Rouville (voir E. Ranson, Histoire d’Ardres depuis son origine jusqu’en 1891, Lille, Douriez-Bataille, 1988, p. 685). Dans son testament, déjà évoqué, l’évêque de Béthune mentionne sa <?page no="174"?> 174 Journal le Marquis de Rouville 497 , Gouverneur d’Ardres. Elle eut l’honneur de manger avec le Roy dans les trois Repas que Sa Maje ſ té fit à Verdun. Le jour de la Penteco ſ te, presque toute la Cour fit ſ es devotions, à l’exemple du Roy. C’e ſ t une cho ſ e a ſſ ez extraordinaire pendant le cours d’une marche, mais que ne voit-[137]on point de nouveau ſ ous le Regne de Loüis XIV. ſ ur tout pour les cho ſ es qui regardent la Religion & la piete ! Mon ſ eigneur le Dauphin ſ e rendit dans l’Egli ſ e Cathedrale dés ſ ept heures du matin, & aprés avoir entendu la Me ſſ e de M. l’Abbé Fleury 498 , Aumônier du Roy, ce Prince communia par les mains de cet Abbé. Sur les dix heures, le Roy pa ſſ a à travers ſ es Mou ſ quetaires rangez en haye des [138] deux co ſ tez de la court de l’Eve ſ ché, & au milieu des cent Sui ſſ es 499 sœur parmi ses légataires : « Je donne à Madame la Comtesse de Rouville ma sœur une pension viagere de la somme de mil Livres qui luy seront payé [sic] du jour de mon decez et demeurera [sic] esteinte par sa mort. ie luy donne tous les meubles qui m’appartiennent dans la maison de Bagneux et dans ma maison de paris [sic]… » 497 Hercule Louis, marquis de Rouville, était gouverneur d’Ardres (Pas-de-Calais) à partir de 1646 ; il mourut en 1677. Pendant son gouvernement, il sauva deux fois la ville commise à ses soins : en 1653, lors de la conjuration des Rambures - la ville, alors, devait être investie par le régiment de Rambure, et les portes ouvertes aux Espagnols - en 1657, à l’occasion du siège entrepris par les Espagnols sous la conduite de Condé. Avec sa femme, Marie-Jeanne Du Bosc, Rouville avait une nombreuse descendance ; son aîné, François de Rouville, sous-lieutenant dans les gendarmes de la Reine, épousa au mois d’octobre 1677, Marie de Béthune, fille d’Hippolyte de Béthune et de Marie de Beauvilliers, et par suite, sœur d’Hippolyte de Béthune, évêque de Verdun (voir E. Ranson, op. cit., p. 685-688). 498 Claude Fleury, abbé (1640-1723). Quarante-sept ans au moment du Voyage. Ce prêtre avait été précepteur du comte de Vermandois, fils de Louis XIV et de M lle de La Vallière, puis, sous la direction de Fénelon, sous-précepteur des fils du Grand Dauphin, les ducs de Bourgogne, d’Anjou et de Berry (Saint-Simon, op. cit., t. VI, p. 89). Homme de prière et d’étude, dépourvu d’ambitions épiscopales, il se tient à l’écart des grandes querelles, et en particulier celle de l’Unigenitus (ibid.). En 1716, certains voulant écarter de ce poste influent les Jésuites, on le fit accéder aux fonctions de confesseur de Louis XV, charge qu’il ne se détermina à accepter « que par l’âge du Roi - six ans - où il n’y avait rien à craindre, et par le sien, qui lui donnerait bientôt prétexte de se retirer » (ibid.). L’abbé Fleury est l’auteur, entre autres, d’un Catéchisme historique (1683), d’un Discours sur l’histoire ecclésiastique (1708) et surtout d’une monumentale Histoire ecclésiastique en vingt volumes (1691-1720), que la mort l’empêcha d’achever (Saint-Simon, op. cit., t. VIII, p. 590). 499 Les Cent-Suisses tirent leur origine du contingent suisse recruté par Louis XI pour le camp de Pont-de-l’Arche (actuel Département de l’Eure) établi en 1466 dans le but d’appuyer la lutte du roi contre la Ligue du Bien public, révolte féodale des grands contre l’autorité centrale. Lorsqu’en 1680 le contingent est licencié, le roi en garde cependant une compagnie pour sa protection personnelle. En 1495, Charles VIII établit cette troupe de façon définitive sous l’appellation de Cent hommes de <?page no="175"?> 175 Journal de ſ a Garde, po ſ tez dans la me ſ me Egli ſ e. Sa Maje ſ té e ſ toit environnée de ſ es Gardes du Corps & de toute la Cour. Elle ſ e rendit dans le Chœur, où Elle fut ſ uivie de M r l’Eve ſ que de Verdun, & de tous les Chanoines de cette cathedrale. Le Roy e ſ toit en Habit de ceremonie, c’e ſ t à dire, en Manteau, reve ſ tu de ſ on Collier de l’Ordre 500 . Il entendit[139] la Me ſſ e de M r l’Eve ſ que d’Orleans, ſ on premier Aumônier 501 , dont il receut la Communion. La ſ econde Me ſſ e que Sa Maje ſ té entendit, fut dite par l’un de ſ es Chapelains. Au ſ ortir de l’Egli ſ e, guerre suisses de la Garde, bientôt assimilés aux Gardes du corps avec le nom de Cent-Suisses qui leur demeurera jusqu’à la Révolution. Les Cent-Suisses, recrutés parmi les hommes d’élite des Gardes suisses, sont une unité de parade plutôt que de combat, mais lorsqu’ils partent en campagne, ils marchent en tête du régiment des Gardes suisses, privilège que leur a accordé une ordonnance royale de 1655. Leur rôle protocolaire se voit à la fois à la somptuosité de leur uniforme de cérémonie et aux privilèges attachés à la charge de leur commandant. Pour le service du roi, ils portent pourpoint et haut de chausses à l’antique, tailladés de taffetas incarnat, bleu et blanc, fraise au col, toque de velours noir garnie de plumets blancs. Leur commandant précède le roi dans les cérémonies, en l’absence de la reine, monte avec lui en carrosse, sert la viande à sa table, le jour où l’on fait des chevaliers du Saint-Esprit. Les Cent-Suisses sont aux ordres d’un capitaine-colonel ; au moment du voyage luxembourgeois, c’est Jean-Baptiste de Cassagnet, marquis de Tilladet, nommé en 1678. La moitié des officiers et sous-officiers doivent être Français, tous doivent être catholiques. Supprimés en 1792 par l’Assemblée, les Cent-Suisses sont rétablis à la Restauration et disparaissent définitivement en 1830 (voir L’État de la France de 1687, op. cit., t. I, p. 341-360 ; Susane, Histoire de l’Infanterie, op. cit., t. 2, p. 127-128 ; M. Marion, Dictionnaire des Institutions, op. cit.., p. 365-366). 500 D’après la terminologie concernant les chevaliers de l’Ordre et des Ordres, exposée ci-dessus (n. 490), on songerait ici au Collier de l’Ordre de Saint-Michel. Il faut dire cependant que l’expression de l’Ordre s’appliquait aussi au Saint-Esprit, comme en témoignent tant de passages de Saint-Simon et dont on ne signalera que celui relatif à la promotion du 1 er janvier 1696 (op. cit., t. I, p. 264). Du reste, sur certaines des représentations, dont celle, célèbre, de Rigaud, c’est bien le collier de l’Ordre du Saint-Esprit que Louis XIV arbore ; en plus les bas de soie argentés et les pourpoints sont encore ceux des chevaliers du Saint-Esprit (voir K. Ahrens, Hyacinthe Rigauds Staatsporträt Ludwigs XIV. […], Worms, Wernersche Verlagsgesellschaft, 1990, p. 68). Ailleurs, entre autres, P. Grégoire, Vue de la statue de Louis XIV place des Victoires, Juillet 1786, N. Langlois, Vue de la Place de la Victoire, fin XVII e siècle, N. Arnauld, La statue du Roy de France Louis XIIII Érigée à la Place des Victoires, estampe fin XVII e siècle, on distingue les deux colliers (voir Place des Victoires. Histoire, architecture, société, op. cit., t. VIII, p. 11 et 48). Enfin, la consultation du Cérémonial de France » dans l’édition publiée par N.-L. Pissot en 1821, apporte sous la rubrique Des Chevaliers, des Bannerets, des Bacheliers, et des Écuyers, un éclaicissement définitif : « Quand on dit tout court, chevalier de l’ordre, chevaliers des ordres du roi, cela ne s’entend que des chevaliers du Saint-Esprit. » (P. 199). 501 Le titre de premier aumônier que l’évêque d’Orléans eut antérieurement à celui de grand aumônier de France (1700) (voir n. 393), est confirmé, dans une lettre de <?page no="176"?> 176 Journal Sa Maje ſ té toucha prés de cent Malades, dont M r le Duc de Noailles avoit fait amener une partie de Chalons. Ils e ſ toient rangez ſ ous les arbres de la premiere court de l’Eve ſ ché 502 . Ce Prince quitta en ſ uite ſ on Habit de [140] ceremonie, & revint avec Mon ſ eigneur le Dauphin, & toute la Cour, entendre la grand’Me ſſ e, qui fut pontificalement celebrée par M r l’Eve ſ que de Verdun, & chantée par la Mu ſ ique de la Cathedrale. Cette Mu ſ ique plut a ſſ ez à toute la Cour 503 & on trouva la voix d’un des Enfans de Chœur tres-agreable. Plusieurs me ſ me la jugerent digne de la Chapelle du Roy 504 . Il y a quatre de ces Enfans de Chœur qui joüent [141] du Violon, qui ſ ont, une Taille, une Haute-contre & deux Ba ſſ es 505 . 1697, par Madame Palatine, qui se rend alors à « une messe basse dite par le cardinal de Coalin [sic], comme premier aumoinier [sic] ». (Lettres, op. cit., p. 148). 502 Il s’agira de l’avant-cour dans laquelle on pénétrait par un portail à pilastres cannelés dans le style de la Renaissance italo-française, et qui est conservé jusqu’à nos jours. Cette cour, en bordure de la cathédrale, abritait les remises à carrosses et les écuries. Elle donnait accès au palais proprement dit dont les quatre ailes fermaient la seconde cour (voir L. Brunner, « Le Palais épiscopal de Verdun », op. cit., p. 13). 503 Malgré les précisions élogieuses qui suivent, et qui, malheureusement, n’ont pu être retracées dans les documents d’archives, l’expression « plut assez* à toute la Cour » ne convainc pas trop de la qualité de la prestation. Elle est reprise par Sourches dont le texte paraît plus critique encore : [le Roi] « revint à la même église entre la grand’messe qui y fut célébrée pontificalement par M. l’évêque et chantée par la musique, qui étoit assez bonne pour celle d’une cathédrale*. » (Op. cit., t. II, p. 49 ; voir ci-dessous p. 384). * Non souligné dans le texte. 504 La Chapelle du Roi est le « Département de la musique royale réunissant les chanteurs et les instrumentalistes affectés au service des offices religieux du roi et de sa Cour. […] Appartenant à la Maison du roi, la Chapelle est de caractère itinérant : elle suit le souverain dans tous ses déplacements […] la Chapelle comprend des chapelains, qui participent à l’exécution du plain-chant lors des grand-messes et cérémonies solennelles […] À partir du règne de François I er , la direction de la Chapelle fut confiée à un maître de la musique de la Chapelle, haut dignitaire de l’Église aux fonctions administratives et honorifiques, la direction musicale étant assurée par plusieurs sous-maîtres se partageant l’année. […] [L’effectif] devait augmenter sensiblement sous le règne de Louis XIV, alors qu’apparaissent les castrats venus d’Italie et des chanteuses solistes « invitées », tandis que s’y adjoignait un nombre croissant d’instrumentistes, nécessaires à l’exécution des grands et des petits motets qui illustraient tous les jours la messe basse du roi. » (M. Benoît, Dictionnaire de la musique en France aux XVII e et XVIII e siècles, Paris, Fayard, 1992, p. 128). En 1687, la fonction de Maître de la Chapelle du Roi était occupée par Charles-Maurice Le Tellier, Archevêque de Reims (État de la France, op. cit., t. I, p. 33). Dans le Voyage de Luxembourg, c’est le caractère itinérant de la Chapelle relevé ci-dessus, qui fait problème. Voir ci-dessous n. 771. 505 « Taille en terme de Musique, se dit de celle des quatre parties de Musique, qui est entre la basse et la haute-corne. » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). La taille, au <?page no="177"?> 177 Journal Le Roy eut la bonté de toucher encore ſ oixante & dix Malades en ſ ortant de la grand’Me ſſ e. C’e ſ toit beaucoup aprés en avoir entendu trois, & touché d’autres Malades. Sa Maje ſ té vint l’apré ſ dînée entendre Ve ſ pres dans la me ſ me Egli ſ e, & M r de Verdun officia encore en Habits pontificaux. Le Roy e ſ toit dans les hautes Chai ſ es 506 à [142]droite. & aprés luy, Mon ſ eigneur, Madame la Duche ſſ e, & Madame la Prince ſſ e de Conty. Aprés ces Prince ſſ es e ſ toient Mon ſ ieur le Prince, Mon ſ ieur le Duc, Mon ſ ieur le Duc du Maine, & Mon ſ ieur le Comte de Toulou ſ e. Les Dames occuperent le re ſ te des places. Jamais les peuples de Verdun n’avoient vû ny tant de magnificence, ny une ſ i augu ſ te A ſſ emblée ; & l’on peut me ſ me dire qu’ils n’avoient jamais vû dans leur[143] Egli ſ e de ſ i grands ny de ſ i édifians exemples de pieté. Le Roy s’enferma aprés Ve ſ pres avec le Pere de la Chai ſ e 507 pour travailler à remplir les Benefices qui vacquoient depuis le jour de Pa ſ ques, qu’il avoit fait une niveau vocal, est la troisième partie qui fait le milieu, entre les voix des hommes. Au niveau instrumental, elle correspond au second registre de chaque famille instrumentale, comme ici la taille de violon (voir M. Benoît, op. cit., p. 659). « Haute-Contre. Celle des quatre parties de la Musique qui est entre le dessus & la taille. » La haute-contre, dans le registre vocal, est la seconde partie, moins haute que le dessus et par extension, au niveau instrumental, le second registre de chaque famille instrumentale, comme ici la haute-corne de violon (voir ibid, p. 339). « Basse-contre signifie aussi la mesme chose que Basse, & se prend pour la partie de la Musique, & pour la personne qui la chante. » (Dictionnaire de l’Académie de 1694). La Basse est la partie la plus grave d’une pièce de musique et, par extension, la partie la plus grave de chaque famille instrumentale, comme ici la basse de violon (voir M. Benoît, op. cit., p. 55). 506 Il s’agira des hautes stalles, c’est-à-dire de la rangée supérieure des deux rangées de stalles, réservées d’habitude aux chanoines et autres membres du haut clergé, alors que la rangée inférieure était pour le bas clergé. Les basses stalles sont au niveau du sol du chœur ou élevées d’une seule marche, les hautes stalles, à deux ou trois marches, si bien que les personnes installées dans les hautes stalles dépassent de loin celles assises dans les basses stalles et ont une vue sur tout le sanctuaire (voir E.-É. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XI e au XVI e siècle, t. 8, Paris, A. Morel, 1869, p. 463-464). 507 François de la Chaize d’Aix, Père de La Chaize, dit le P. La Chaize (autre orthographe La Chaise). Ce célèbre confesseur de Louis XIV est né en 1624 au château d’Aix, en Forez, dans une famille paternelle établie longtemps dans le Forez, mais de noblesse douteuse. Petit-neveu du P. Coton, confesseur non moins célèbre de Henri IV, il entre comme celui-ci dans la Compagnie de Jésus, où il se voit confier des tâches à responsabilité comme le rectorat du petit et du grand collège de Lyon avant d’y devenir provincial, en 1674. Dès l’année suivante, suite à la mort du P. Ferrier, titulaire précédent, il accède aux fonctions de confesseur de Louis XIV. Vu les incartades dont celui-ci se rendit coupable au niveau de sa vie amoureuse, le poste n’était pas de repos, et La Chaize dut manœuvrer pour ne pas indisposer un souverain peu enclin à écouter des remontrances. Aussi Saint-Simon peut-il rapporter que « [l]a fête <?page no="178"?> 178 Journal nomination [sic]. On fut quelque temps ſ ans ſ çavoir cette derniere, parce que le Pere de la Chai ſ e n’en dit rien aprés qu’il fut ſ orty du Con ſ eil. Enfin on apprit que M r l’Abbé de Saint Georges, Comte [144] de Saint Jean de Lion 508 , nommé depuis quelque temps à l’Eve ſ ché de Clermont, avoit e ſ té fait Archeve ſ que de Tours, & que l’Eve ſ ché de Clermont avoit e ſ té donné à M r l’Abbé de Chamde Pâques lui causa plus d’une fois des maladies de politique pendant l’attachement du roi pour Madame de Montespan » (op. cit., t. III, p. 338), affections prétextées qui lui permirent de se décharger sur un confrère d’une confession difficile à gérer. Attitude peu glorieuse, mais commode, qui lui valut, de la part de la concernée, ce titre qui se voulut spirituel de « Chaise de commodité ». Par ailleurs, cependant, le P. La Chaize, impressionna ses contemporains par tant de qualités avantageuses, et Saint-Simon, qui le dit esprit médiocre, ajoute que c’était « un bon caractère, juste, droit, sensé, sage, doux et modéré, fort ennemi de la délation, de la violence et des éclats ». (Op. cit., t. III, p. 339). Ce jugement paraît confirmé par son attitude dans les différentes querelles de spiritualité qui agitaient le règne. Jésuite, il usa de modération à l’égard des jansénistes, ne voulant « jamais pousser le Port-Royal jusqu’à la destruction » (ibid.) et ayant toujours sur sa table le Nouveau Testament du très janséniste P. Quesnel, parce qu’il « aimait le bon et le bien partout où il le rencontrait » (ibid.). Dans l’affaire du quiétisme, il approuva les Maximes des Saints de Fénelon, malgré l’hostilité notoire du roi. Pour ce qui est des conseils utiles donnés à ce dernier pour la collation des bénéfices, et dont semble faire état ici le Mercure, le mémorialiste lui certifie encore le « bon choix » (ibid.), surtout pour les évêchés et cela jusqu’au jour où les intrigues de Madame de Maintenon, qui ne l’aimait pas, parce qu’il s’était opposé à la publication de son mariage avec le roi, alors même qu’il avait béni cette union (op. cit., t. I, p. 808-809), lui avaient arraché le monopole des décisions en la matière (op. cit., t. III, p. 339-340). Le roi, en revanche, lui garda sa confiance « et jusqu’à la fin se fit apporter le cadavre, et dépêcha avec lui les affaires accoutumées ». (Ibid., p. 340). 508 Claude de Saint-Georges (1634-1714). Cinquante-trois ans au moment du Voyage. Ce prélat a été successivement évêque de Mâcon (1682), de Clermont (1684), archevêque de Tours (1687), enfin archevêque de Lyon (1693). Au moment de sa mort, le 9 juin 1714, Saint-Simon le présente en « prélat pieux, décent, réglé, savant, imposant, résident, et de grand-mine avec sa haute taille et ses cheveux blancs ». (Op. cit., t. IV, p. 779). Et il ajoute : « Il y avait longtemps que cette grande église [celle de Lyon] […] n’avait vu d’évêques, et, depuis lui, elle n’en a pas vu. J’entends des évêques qui prissent la peine de l’être ». Le titre de Comte de Saint Jean de Lyon, mentionné par le Mercure, vient sans doute du fait que Saint-Georges avait été antérieurement chanoine de la primatiale Saint-Jean de Lyon, dignitaires auxquels on donnait le titre de comte (ibid.). En fait, la nomination au siège de Tours, annoncée ici par le Mercure, ne s’était pas produite sans difficultés : depuis son rôle actif à l’Assemblée du clergé de 1682, assemblée qui avait soutenu les « Quatre Articles », expression d’un gallicanisme offensif, Saint-Georges était mal vu à Rome au point qu’Innocent XI n’avait pas agréé sa nomination à Tours (voir Saint-Simon, op. cit., t. IV, p. 1432-1433, note 8 ad p. 779 et Ranuzzi, Correspondance, op. cit., t. I, p. 102). <?page no="179"?> 179 Journal pigny Sarron 509 , Chanoine de l’Egli ſ e de Paris. Je vous parlay amplement de M r l’Abbé de S. Georges, lors que le Roy le pourveut de l’Eve ſ ché de Clermont 510 . M r l’Abbé de Champigny qui vient d’y e ſ tre nommé, e ſ t Fils de Fran[145]çois Bochart de Champigny, Seigneur de Saron, qui aprés avoir e ſ té Mai ſ tre des Reque ſ tes, Con ſ eiller d’Etat, & Intendant pendant trente années, tant dans la Generalité de Lyon qu’en Provence & en Dauphiné, ſ e noya malheureu ſ ement en 1665. C’étoit un homme d’un rare merite, dont le nom ſ e trouve ſ ouvent dans les Ecrits des Grands hommes de ce Siecle 511 . Il avoit épousé Madeleine Luillier 512 , Sœur de Madame la [146]Chanceliere d’Aligre 513 , & e ſ toit Fils de Jean 509 François Bochart de Sarron (1631-1715). Cinquante-et-un ans au moment du Voyage. Nommé à Clermont en 1687, il ne recevra ses bulles qu’en 1692 (voir Saint- Simon, op. cit., t. IV, p. 1212, note 9 ad p. 374). Son successeur au siège de Clermont a été le célèbre Massillon. 510 Il n’a pas été possible de localiser cette référence. 511 Moréri, Le grand Dictionnaire historique […] par M e Louis Moréri […], Paris, chez les Libraires associés, 1759, t. II, p. 5, col. 2, confirme toutes ces données et précise que le personnage doit sa célébrité à sa présence dans les « Ecrits de Gassendi ». 512 Madeleine L[h]uillier, baptisée le 5 janvier 1610, est la sœur de ce François Luillier auquel Tallemant Des Réaux a consacré une historiette (voir Historiettes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1961, t. II, p. 87-90 et p. 991 note 1 ad p. 87). Elle appartient à une des meilleures familles d’Orléans, le père ayant été « conseiller au Grand-Conseil, maître des requêtes, procureur général de la Chambre et maître des Comptes » (ibid, p. 87). Elle dut avoir, de même que sa sœur Isabelle, qui épousa en secondes noces Estienne d’Aligre - d’où l’indication du Mercure « sœur de Madame la Chanceliere d’Aligre » -, mauvaise réputation, puisque leur parent, le frivole Claude-Émmanuel Chapelle, fils adultérin de François Luillier, leur a dédié ce tercet vengeur : Pour voir sa patience entière, Il falloit que Job eust affaire Aux deux sœurs de Monsieur Luillier. » (Contre ses parents. Sonnet Irrégulier. À Monsieur Moreau, v. 12-14 cit. dans Historiettes, op. cit., t. II, p. 992 note 7 ad p. 87). 513 Jeanne L[h]uillier, épouse d’Étienne III d’Aligre, chancelier en 1674, après son père, chancelier en 1624, le deuxième chancelier d’Aligre. Le personnage gérant, depuis 1672, les sceaux de France entre deux têtes fortes, Séguier et Michel Letellier, passe assez pour le modèle du brave homme médiocre. On en jugera d’après le propos de Madame de Sévigné en date du 27 avril 1672 : « M. d’Aligre a les sceaux ; il a quatrevingts ans : c’est un dépôt ; c’est un pape. » (Correspondance, op. cit., t. I, p. 493). On lira aussi chez Madame de Sévigné l’étonnement que causa la nomination à cette fonction éminente d’un homme aussi âgé qu’effacé (voir Lettre du 12 janvier 1674 à Madame de Grignan, dans Correspondance, op. cit., t. I, p. 665). Le chancelier meurt en 1677 ; Madame la Chancelière d’Aligre est donc veuve au moment du Voyage. <?page no="180"?> 180 Journal Bochart 514 , Seigneur de Champigny, Noroy & Saron, Controlleur General, Sur-Intendant des Finances 515 , & premier Pre ſ ident au Parlement de Paris, mort en 1630. Cet illu ſ tre Magi ſ trat de ſ cendoit de Jean Bochart 516 Seigneur de Noroy, Con ſ eiller au Parlement, qui fut éleu les Chambres a ſſ emblées, pour remplir la Charge de premier Pre ſ ident en 1447. Celuy-cy eut pour Fils Jean [147] Bochart II 517 du Nom, auquel Jean Simon 518 , Eve ſ que de Paris donna ſ a Terre de Champigny en luy fai ſ ant épou ſ er ſ a Niece 519 . On ſ ceut au ſſ i que l’Eve ſ ché d’Amiens avoit e ſ té donné à M r l’Abbé Feydeau de Brou 520 , l’un des Aumôniers du Roy, & que M r l’Abbé d’Hante- 514 Jean Bochart, V e du nom, premier président au Parlement de Paris, avait épousé en premières noces Magdelaine de Neufville et en secondes noces Lia de Vigny (Moréri, op. cit., t. II, section 2, p. 4, col. 2). 515 Chef suprême de l’administration des finances ayant autorité sur tous les officiers des finances. Sully porta le titre de 1601 à 1611. Le titulaire le plus célèbre était Fouquet dont la disgrâce entraîna la suppression de la fonction (voir M. Marion, Dictionnaire des Institutions, op. cit., p. 522-523). 516 Il s’agira de Jean Bochart, premier du nom, Seigneur de Noroy qui, selon Moréri (op. cit., t. II, section 2, p. 4, col. 2), était Conseiller au Parlement de Paris en 1490 - la date de 1447 avancée par le Mercure pour la première Présidence est donc sujette à caution - et proposé pour être premier Président. Le Dictionnaire historique ajoute qu’il avait épousé Jacqueline de Hacqueville et fut un « sage magistrat ». 517 Jean Bochart II, était Avocat au Parlement de Paris, où il se signala par un discours courageux prononcé en présence de François I er concernant la Pragmatique Sanction, ordonnance de 1438 inspirée par l’esprit gallican et qui limitait les pouvoirs de Rome au profit de ceux du roi, contre le Concordat de Bologne signé en 1516 par Léon X et François I er . Cette contestation de la politique royale lui valut un séjour de deux ans de prison, d’où il ne sortit que grâce à l’intervention du maréchal d’Annebaut, très apprécié par le roi. Il épousa Jeanne Simon, nièce de Jean Simon, évêque de Paris qui lui donna, comme le précise le Mercure, sa terre de Champigny (voir Moréri, op. cit., t. II, section 2, p. 4, col. 2). 518 Jean Simon de Champigny, évêque de Paris en 1492, siège auquel il avait été nommé après avoir été chanoine de Paris, conseiller de Charles VIII et archidiacre de Soissons. Il fut sacré à Sens en 1494 et fit son entrée solennelle à Paris en 1495. Il mourut de la fièvre typhoïde et de la peste le 23 décembre 1502. 519 Cette nièce s’appelait Jeanne Simon (Moréri, op. cit., t. II, section 2, p. 4, col. 2). 520 Henri de Feydeau de Brou (1633-1706). Évêque d’Amiens en 1687 ; cette nomination est aussi mentionnée par Dangeau, op. cit., t. II, p. 207 (voir ci-dessous p. 373). Ce théologien, docteur de Sorbonne et orateur distingué - il a prêché l’Avent à Versailles en 1685 et prononcé, en 1689, l’oraison funèbre de Marie-Louise d’Orléans, reine d’Espagne - était le frère de Denys de Feydeau, Président du Grand Conseil en 1689, et l’oncle de Paul-Esprit de Feydeau de Brou, Garde des sceaux de France en 1762. Sa nomination au siège d’Amiens, décidée donc par le roi le dimanche de la Pentecôte, 18 mai 1687, à Verdun, ne fut pas suivie d’un effet immédiat. En raison des tensions entre la Cour de Versailles et Rome suite à l’affaire de la Régale, Fey- <?page no="181"?> 181 Journal cour 521 , Aumo ſ nier de la feuë Reyne 522 , avoit eu l’Abbaye de Longuay, deau ne reçut les bulles que cinq années plus tard, au mois de mars 1692 ; il fut sacré à Paris le 31 août de la même année. « Recommandable […] par sa grande piété, par son entière régularité et par sa science » (Moréri, op. cit., t. V, p. 145), il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont une lettre à Innocent XII contre le Nodus Praedestinationis » ouvrage anti-janséniste dans lequel le cardinal Sfondrati expose une interprétation moliniste de la Grâce, d’une Ordonnance sur la Juridiction des Evêques et des Curés contre un jésuite, le P. des Timbrieux (ou, selon Moréri, des Imbrieux), d’une Lettre à un curieux sur d’anciens tombeaux découverts en 1697 dans l’abbaye de St. Acheul, au diocèse d’Amiens. À sa mort, survenue le 14 juin 1706, on lui accorde l’honneur exceptionnel d’être enterré devant le grand autel de sa cathédrale dans laquelle on peut toujours lire son épitaphe, qui le célèbre ob excellentiam ingenii, altitudinem sapientiae, vim eloquentiae, profusam in pauperis benignitatem, integritatem vitae, suavitatem morum (voir M. et H. de Feydeau de Saint-Christophe, Histoire des Feydeau, Corlet, Condé-sur-Noireau, 1995, p. 187-189). 521 Louis-Hyacinthe d’Hantecour ou d’Antecourt, aumônier de la reine Marie-Thérèse jusqu’à la mort de celle-ci en 1683, est entré dans l’Histoire par ses démêlés ultérieurs avec la Justice et dont le souvenir est conservé par une supplique qu’il a adressée en 1700 à Louis XIV. Se prévalant d’abord des marques antérieures de la considération royale - en l’occurrence, sa fonction d’aumônier de la reine et l’attribution de l’abbaye dont parle le Mercure : « L’honneur que j’ay eu de servir la Reine jusqu’à sa mort en qualité d’Aumosnier, & la grace que Votre Majesté m’a faite de me gratifier d’une Abbaye » - il soumet au roi les difficultés que lui causent « le sieur Fevrier de la Bellonniere Gouverneur de Chinon, & le sieur Chappellier cy-devant Promoteur de Paris » qui, arguant « d’un prétendu accouchement de ma servante supposé arrivé en 1690 », ont réussi à obtenir une sentence le déclarant « atteint & convaincu de concubinage & de scandale public » et lui enjoignant de « renvoyer dans vingt-quatre heures la servante qui estoit actuellement à mon service âgée de cinquante ans & de figure hideuse, […] à me retirer dans un Seminaire pendant l’espace de dix-huit mois, & en outre en deux cens livres d’aumosne applicable à l’Hospital des Enfans trouvez… ». Il a appelé la sentence « inique & criante », a porté l’affaire à la Primatie de Lyon et jusqu’à Rome, mais sans arriver, malgré quelques succès, à débouter définitivement la partie adverse qui a fait occuper sa maison et y a mis main sur ses effets. Son dernier recours est donc le Prince, « vive image du Tres-Haut » et dont il sait que la « Justice [est] distribuée sans acception de personne ». Ses arguments, toutefois, ne semblent pas avoir été retenus, puisque, le 12 janvier 1706, il adresse une nouvelle supplique, au Grand Dauphin cette fois, et écrite « En la Prison de Saint Lazare », où il se trouve aux arrêts « depuis trois ans & demy ». Dans ce document, il n’est plus question des reproches concernant l’intégrité morale du personnage, mais, pour l’essentiel, des difficultés qu’on fait à l’« Abbé de Longué » pour se retirer en son abbaye « conformement aux intentions de sa Majesté ». Telle était la triste destinée d’un « Prestre opprimé », promis à une si belle carrière au moment du voyage de Luxembourg. (Pour le texte intégral des deux suppliques, voir Au Roy, Paris, 1700, BNF, fol. 175-177V, Clairambault 1196, A Monseigneur, Paris, 1706, BNF, fol. LN27-9533). 522 Voir note précédente. <?page no="182"?> 182 Journal Ordre de Premontré, Dioce ſ e de Reims 523 , vacante par le deceds de M r [148] l’Abbé du Four 524 . M r l’Abbé d’Hantecourt e ſ t Frere du Pere d’Hantecourt 525 , religieux de Sainte Geneviéve, & Chancelier de l’Univer ſ ité. Cet Abbé e ſ tant de quartier lor ſ que la reyne mourut, eut le tri ſ te honneur de remplir plu ſ ieurs fonctions qui regardoient ſ a Charge. Il a e ſ té employé depuis la mort de cette Prince ſſ e aux conver ſ ions des Prote ſ tans dans plu ſ ieurs Villes de France 526 . L’Abbaye de Balerme 527 [149] fut donnée le me ſ me jour au 523 Il s’agit de l’abbaye de Sainte-Marie-Madeleine de Longwé, de l’ordre des Prémontrés, qui a disparu à la Révolution, en 1789 ; cette abbaye était à Longwé depuis 1330. Longwé a été rattaché à Montgon, dans l’actuel Département des Ardennes (voir J. Hubert, Département des Ardennes, Paris, Res Universis, coll. « Monographies des Villes et Villages de France », 1993, p. 459, n. 1). Il convient de ne pas confondre cette abbaye avec Notre-Dame de Longuay, de l’ordre cistercien, située dans le diocèse de Langres. En 1687, l’abbé était François Dauvet des Marets, qui occupa la charge pendant soixante-dix-sept ans, de 1618 à 1695 (voir E. Collot, Chronique de l’Abbaye de Notre-Dame de Longuay (Diocèse de Langres), Paris-Langres, E. Maillet-J. Dallet, 1868). 524 Il n’a pas été possible d’identifier ce personnage. 525 Le Père Jean-Baptiste d’Hantecourt (ou Dantecourt/ Dantécourt) (1643-1718). Religieux de Sainte-Geneviève, Congrégation de France, il a été régent de philosophie, puis de théologie d’abord à Saint-Pierre d’Évreux, puis de théologie à Saint-Martin de Nevers, enfin de philosophie, et encore de théologie, à Sainte-Geneviève, depuis 1675 ; il exerçait encore en 1686. De 1680 à 1707, il était Chancelier de l’Université (voir I. Brian, Messieurs de Sainte-Geneviève. Religieux et curés, de la Contre-Réforme à la Révolution, Paris, Cerf, 2008, p. 238 et p. 266 et N. Petit, Prosopographie Génovéfaine, coll. Matériaux pour l’Histoire publiés par l’École Nationale des Chartes, N° 6, Paris, Champion/ Droz, 2008, p. 118, N° 1385). De ce prêtre soupçonné de jansénisme et engagé dans les prisons à la conversion des calvinistes, on possède des ouvrages polémiques contre les Réformés - Remarques sur le livre d’un protestant, intitulé ‘Considérations sur les lettres circulaires du clergé de France, de l’année 1682’. Avec un examen de trois endroits importants du livre de M. Burnet, protestant anglois, sur le même sujet, Paris, A. Dezallier, 1683 ; La Défense de l’Église contre le livre de M r Claude intitulé ‘La défense de la réformation’, Cologne, P. Marteau, 1689 - un traité sur l’Usage de quelques langues non vulgaires au service public de l’Eglise, s.l.n.d., une Exposition sommaire du droit des chanoines réguliers de la province de Bourgogne contre les religieux bénédictins de la même province […], s.l.n.d., une oraison funèbre pour François de Harlay, archevêque de Paris, Paris, Lecointe, 1684, et surtout cette Requête du P. Jean- Baptiste Dantécourt au Dauphin datée du 12 janvier 1706. Ce texte, dont on peut se demander s’il est en rapport avec l’affaire du frère du concerné, évoquée ci-dessus, était conservé à l’origine dans les collections de la BNF ; sa disparition ayant été constatée lors d’une opération de récolement, il n’a pu être consulté. 526 Voir note précédente. 527 Abbaye cistercienne de Saint-Pierre de Balerne, dans le Jura, fondée au début du XII e siècle, cistercienne à partir du 31 mai 1136, date à laquelle elle devenait la 21 e fille de Clairvaux (voir B. Chauvin « La fondation de l’abbaye de Balerne », dans Travaux <?page no="183"?> 183 Journal Frere 528 de M r de la Chetardie 529 , Commandant de Bri ſ ac, & l’Abbaye de Noyers 530 au Fils de M Pinçon 531 , Avocat au Parlement, qui entend parfaiprésentés par les membres de la Société d’Émulation du Jura de 1965 à 1969, Lons-le- Saulnier, M. Declume, 1970, p. 306). 528 Jacques de La Chétardie succède à Balerne à J.-J. Fauche de Nancray, nommé le 20 juillet 1676, mort le 7 avril 1687 à Balerne, où il fut enterré. La nomination de Jacques de La Chétardie, par le roi, à Verdun, date donc du 24 mai 1687 ; l’envoi en possession, par le Parlement de Besançon, suit le 27 octobre de la même année. L’abbatiat de Jacques, qui avait d’abord été, de 1668-1682, curé de Saint-André d’Exideuil, dans la Charente, dura sans discontinuité jusqu’à l’année 1721 incluse. Il donne alors sa démission et demande au roi de lui accorder une pension de quatre mille livres « …annuelle et viagère exzampte de toutes charges peyable par quartier de trois mois en trois mois par avance », le tout « attendu son haut âge » (extrait de la lettre au roi datée du 7 septembre 1721, au château de l’Age, citée par Benoît Chauvin, « À propos de Jacques de la Chétardie, Abbé commendataire de Balerne (1686-1721) », dans Bulletins et Mémoires, Société Archéologique et Historique de la Charente, Angoulême, 1989, p. 272, et dont l’original est conservé aux Archives Départementales de la Charente. Jacques de La Chétardie, né vers 1640, passe le reste de ses jours au château de l’Age, paroisse de Chirat en Angoumois. 529 Joachim Trotti de La Chétardie (†1705). Ce personnage a été commandant de Brisach, gouverneur de Belfort (Saint-Simon, op. cit., t. III, p. 103) et de Thionville (ibid., t. IV, p. 629). Son épouse, Marie Colette de Bérard de Villebreuil, se mariera après sa mort avec Ferdinand Solaro, comte de Monasterol. Sourches signale l’origine poitevine du personnage et ses états de service dans l’armée de « feu M. le Prince » [le Grand Condé]. Il ajoute qu’ « il étoit borgne, mais homme d’esprit » et que « par là [il] avoit trouvé le moyen de se mettre bien dans l’esprit de M. de Louvois ». (Op. cit., t. II, p. 49. n. 4). Un de ses frères était Joachim Trotti, abbé de La Chétardie, curé de Saint-Sulpice et directeur de conscience de Madame de Maintenon (ibid., III, p. 103), l’autre Jacques de La Chétardie, abbé de Balerne (cf. note précédente). 530 La fondation de l’abbaye bénédictine de Noyers date du XI e siècle ; l’abbaye subsistera jusqu’à la Révolution. Elle se trouvait sur le territoire de l’actuelle commune de Nouâtre, en Indre-et-Loire. Dans Eugénie Grandet, le père Grandet, outré par les sentiments de sa fille pour son cousin Charles, fils d’un banqueroutier suicidé, menace de l’envoyer « à l’abbaye de Noyers […] voir si j’y suis ». Le lieu, ainsi, grâce à Balzac, est entré dans la littérature. 531 François Pinson Des Riolles est l’auteur de plusieurs ouvrages concernant des matières ecclésiastiques dont le Antonii Bengei […] et Fr. Pinssonii Tractatus de beneficiis ecclesiasticis ex definitione desumptus, ad usum Fori Gallici et libertatum ecclesiae Gallicanae accomodatus, Paris, Antoine De Sommaville, 1654. C’est à ce titre qu’aura songé l’auteur du Mercure. Par ailleurs, Pinson Des Riolles a aussi produit, entre autres, un Mémoire sommaire et instructif du droit du Roy en collation des bénéfices dépendant des abbayes dont le titre est supprimé, Paris, A. Sellier, s.d., une Dissertation historique de la Régale […], Paris, C. de Sercy, 1676 et un Traité singulier des régales ou des droits du Roi sur les bénéfices ecclésiastiques […], Paris, J. Guignard et <?page no="184"?> 184 Journal tement les matieres Beneficiales & Eccle ſ ia ſ tiques, & qui a écrit là-de ſſ us touchant les droits de Sa Maje ſ té. Il y eut au ſſ i ce jour-là plu ſ ieurs Benefices de moindre con ſ ideration donnez à des Officiers d’Armée & de la Mai ſ on du Roy, pour leurs enfans ou [150] pour leurs parens ; mais le Roy ne les accorda qu’aprés que le pere de la Chai ſ e l’eut a ſſ euré que leurs vies & mœurs luy e ſ toient connuës. Les cho ſ es qui ne demandent pas de ſ ecret e ſ tant bien-to ſ t répanduës, on ne fut pas long-temps ſ ans apprendre les noms de ceux à qui les Benefices avoient e ſ té di ſ tribuez, & toute la Cour fit paroi ſ tre tant de joye de la nomination de M r l’Abbé de Brou à l’Eve ſ ché d’Amiens, [151] qu’il m’e ſ t impo ſſ ible de vous la bien exprimer. Je ne ſ çaurois m’empe ſ cher de vous marquer icy qu’un homme qui po ſſ ede une des premieres Charges de la Cour, ayant prié le Roy de luy donner un Benefice pour un de ſ es Fils qui e ſ t tres-jeune 532 , Sa Maje ſ té luy demanda quel âge il avoit, & l’ayant ſ ceu, Elle luy dit, qu’Elle e ſ toit bien fâchée qu’il eu ſ t encore tant de temps à attendre. Celuy qui demandoit [152]cette grace voulut donner des rai ſ ons, & rapporta me ſ me quelques endroits de l’Ecri- A. Dezallier, 1688, qui lui valut plusieurs mentions, dont certaines négatives, dans la correspondance du nonce Ranuzzi. Voir Correspondance du nonce en France Angelo Ranuzzi, op. cit., t. II, surtout p. 584 N° 3514 et p. 585 N° 3516, lettres datées de 1689. 532 Il n’a pas été possible d’identifier ce personnage, mais on notera qu’à la fin des années 70, personne de moindre que Louvois avait sollicité pour un de ses fils, Camille Le Tellier de Louvois (1675-1718), le futur académicien, âgé de huit ans seulement, la grâce de « recevoir non seulement un bénéfice simple, mais encore toutes les abbayes et prieurés pour lesquels on exigeait vingt-trois ans ; et aussi à conserver, même quand il aurait fait profession dans l’ordre de Malte, les abbayes et prieurés qu’il posséderait déjà ». (Cit. par G. Guitton, Le Père de La Chaize, op. cit., t. I, p. 185). Ce n’est pas la date qui empêcherait d’y retrouver l’épisode relaté ci-dessus par le Mercure, puisque le gazetier ne précise d’aucune manière à quelle époque il s’est produit. On sait cependant qu’elle n’était que de trois années antérieure au Voyage, puisque la lettre du Cardinal Cibo, Secrétaire d’État, recommandant de donner une suite favorable, et conservée aux Archives Secrètes du Vatican sous la cote Nunziatura di Francia 381, fol. 117 v., registre, est datée du 25 avril 1684 ; Camille, en effet, était alors dans sa neuvième année. En revanche, l’historien du confesseur du roi, ne signale aucune opposition de la part de Louis XIV, alors que le Pape - Innocent XI -, après des réticences initiales, aurait cédé en souvenir des services rendus au Saint-Siège par la famille Louvois (ibid., p. 185-186). Plutôt que de confirmer les scrupules du roi en matière de collation des bénéfices, intention manifeste du Mercure, ce cas précis tendrait à démontrer le contraire, encore qu’il soit vrai que la lettre de Cibo ne donne aucune indication sur les sentiments du roi. <?page no="185"?> 185 Journal ture 533 ; mais le Roy fit connoi ſ tre qu’il la ſ çavoit beaucoup mieux que luy 534 , & dit qu’il ne donneroit jamais de Benefices qu’à des per ſ onnes capables de ſ çavoir à quoy elles s’engageoient, en prenant le party d’entrer dans l’Egli ſ e. Ce Prince ajoûta qu’on croyoit peut-e ſ tre qu’on emportoit quelquefois des Benefices par faveur mais que ſ i ceux qui avoient cette pensée, pouvoient e ſ tre té[153]moins de ce qui ſ e pa ſſ e dans le Con ſ eil, lors qu’il s’agit de la di ſ tribution des Benefices, ils verroient par toutes les précautions qu’on prend pour ne les donner qu’à des per ſ onnes dignes de les po ſſ eder, la peine où il ſ e trouve ſ ouvent avant que d’o ſ er fixer ſ on choix. Sa Maje ſ té fit enfin connoi ſ tre, que ny faveur, ny brigue, ny recommandation, ny nai ſſ ance, ny ſ ervices, ne pouvoient rien obtenir, à moins qu’Elle ne fu ſ t per ſ uadée que ceux qu’il [154] luy plai ſ oit d’en gratifier, n’eu ſſ ent toutes les qualitez nece ſſ aires pour en remplir les devoirs 535 . Ce n’e ſ t pas à dire pour cela que tous ceux qui en po ſſ edent, s’en acquittent dignement. La po ſſ e ſſ ion du bien, & le peu d’occupation corrompent ſ ouvent les mœurs, on s’aveugle quelquefois dans le temps où l’on devroit avoir le plus de ſ age ſſ e, & on ne con ſ erve pas toûjours les bonnes inclinations qu’on a fait paroi ſ tre [155] dans les premieres années. Le Roy peut donner un Benefice à l’homme du monde qui le merite le mieux dans le temps qu’il l’en pourvoit, & qui dans la ſ uite en deviendra tres-indigne. Je pourrois ajoûter icy beaucoup de cho ſ es ſ ur ce que le Roy voulut bien dire en public touchant la nomination des Benefices ; mais ayant accoûtumé de vous rapporter les faits ſ ans aucun rai ſ onnement, je vous lai ſſ e faire là- [156]de ſſ us toutes les reflexions que le Roy merite qu’on fa ſſ e à ſ a gloire. Ce Prince aprés avoir employé la plus grande partie du jour de la Penteco ſ te à des actions de devotion & de pieté, & tenu un long Con ſ eil pour la di ſ tribution des Benefices qui vaquoient alors, ne crut pas avoir encore a ſſ ez fait ; il alla faire le tour de la Place pour en vi ſ iter les Fortifications, & vit un Bataillon du Regi [157] ment Soi ſſ onnois 536 , qui e ſ toit en bataille 533 On pourrait songer à 2 Timothée 3, 15, où Paul certifie à son destinataire de connaître « depuis [s]on plus jeune âge » les Saintes Lettres qui ont été « à même de [lui] procurer la sagesse qui conduit au salut par la foi dans le Christ Jésus ». 534 Pour la religion du roi, voir aussi Introduction n. 227. 535 Pour la rigueur du roi sur le point de l’attribution des bénéfices, voir ci-dessus p. 71. 536 Il ne s’agit pas, ici, du célèbre régiment créé par ordonnance du 3 février 1630, pendant la guerre de Savoie, en faveur du comte de Grancey, et qui fut de toutes les grandes batailles du XVII e siècle - Dunes, Saint-Gotthard, en Hongrie, contre les Turcs, Candie… -, puis du XVIII e - entre autres en Amérique, avec Rochambeau. Cette unité, en effet, eut avant celui de Soissonnais, beaucoup d’autres noms - Touraine, Perche, Grancey, pour n’en donner que quelques-uns. Il ne prit celui de Soissonnais qu’en 1762, après la dissolution du corps qui l’avait porté antérieurement. Ce sera ce corps supprimé dont parle le Mercure, en 1687. <?page no="186"?> 186 Journal ſ ur le Glacis. Ce Bataillon luy parut fort le ſ te, & il fut tres-content. Il e ſ toit commandé par M le Duc de Valentinois 537 , Fils de M r le Prince de Monaco 538 . Il fut créé le 19 septembre 1684 - d’où l’appellation « nouveau régiment » que lui donne Dangeau, voir ci-dessous p. 373 - et donné à N. de Goyon-Grimaldi, duc de Valentinois*. Il fut dissous le 25 novembre 1762. Ce premier Soissonnais était présent, au XVII e siècle, entre autres, à Fleurus en 1690, à Mons en 1691, à Namur et Steenkerque en 1692, à Neerwinden et Charleroi en 1693 (voir Susane, Histoire de l’Infanterie française, op. cit., t. IV, p. 1-17 et t. V, p. 316, N° 1119).* Le nom « N. de Goyon-Grimaldi » pourrait poser problème, vu qu’il s’agit d’Antoine de Grimaldi, duc de Valentinois (voir note suivante). Les éditeurs des Mémoires de Sourches de 1883 confirment cependant cette identité en présentant le personnage comme le fils aîné du prince de Monaco et de la fille aînée du maréchal de Gramont, qui n’était autre que Catherine Charlotte de Gramont, épouse, en 1660, de Louis I er de Monaco. 537 Antoine Grimaldi, duc de Valentinois, en 1701, prince de Monaco (1661-1724). Vingt-six ans au moment du Voyage. Fils de Louis I er , prince de Monaco (voir note suivante), ce soldat courageux, blessé plusieurs fois sur les champs de bataille, épousa en 1668 Marie de Lorraine, fille du grand écuyer Louis d’Armagnac, (Saint- Simon, op. cit., t. I, p. 1295, n. 4 ad p. 360), et eut à souffrir des déportements de sa femme. Dotée de ce pouvoir de séduction qui mettait à ses pieds toute la cour, elle méprisait un mari à qui sa taille disproportionnée avait valu le surnom de Goliath (Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 360). Aussi décida-t-il, en accord avec son père, de l’éloigner de Paris et de la conduire à Monaco. Ayant obtenu son retour dans la capitale, elle imagina, pour se garantir contre un nouvel exil, d’accuser son beau-père d’avoir porté atteinte à son honneur. Il s’ensuivit une séparation d’avec Antoine qu’il fallut toute l’autorité du roi pour porter à terme. Mais aussi bien ce mari n’était-il pas du genre accommodant : pour se venger des infidélités de Marie, il fit pendre en effigie ses amants successifs dans la cour du château, obligeant l’adultère à passer au-dessous des macabres mannequins. Ce couple infernal passa ses dernières années sur le Rocher, dans un apaisement relatif (pour les détails, voir, entre autres, A. Edwards, Les Grimaldi. Histoire d’une dynastie 1297-1993, Paris, Belfond, 1993, p. 30-46). 538 Louis I er , prince de Monaco (1642-1701). Le roi, qui lui avait donné le duché de Valentinois à l’occasion de son mariage, l’avait préposé à l’ambassade de Rome, où il ne se signala guère : alors que ses relations italiennes l’avaient fait choisir pour intervenir, auprès de la Curie, dans la délicate affaire de la succession d’Espagne, c’est-à-dire de la royauté espagnole revendiquée par Louis XIV pour Philippe d’Anjou, son petit-fils, il se dépensait tout entier à la satisfaction de sa vanité, menant un train de souverain. Il mourut à Rome, aveugle et perclus de goutte, sans avoir rempli sa mission. Cet homme que Saint-Simon traite « d’Italien glorieux, fantasque, avare » (op. cit., t. I, p. 808), et que son physique replet au point « qu’il ne voyait pas jusqu’à la pointe de son ventre » (ibid.) n’avantageait guère, connut les mêmes infortunes conjugales que son fils (voir note précédente) : sa femme, Catherine de Gramont, avait été l’amante, entre autres, de Lauzun et de Louis XIV (voir Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 1557, note 7 ad p. 808 et A. Edwards, op. cit., p. 30-46). <?page no="187"?> 187 Journal Sa Maje ſ té vit au ſſ i le Regiment des Vai ſſ eaux 539 dans la Citadelle, commandé par M r le Marquis de Gandelus 540 , Fils de M r le Duc de Gefvres, qui en e ſ t 539 Cette unité créée sous le nom de régiment des Vaisseaux et destinée au service de mer, est levée, en 1638 par Henri d’Escoubleau de Sourdis, archevêque de Bordeaux et lieutenant général des armées navales. Le régiment fait ses premières passes d’armes sur différents sites espagnols, lorsque Richelieu le retire, en 1640, à son fondateur pour se l’attribuer à soi-même et l’employer encore en Espagne. Réduit en compagnie franche à la mort du cardinal, il est rétabli une année plus tard, en 1644, par le nouveau Premier ministre sous le nom de Vaisseaux-Mazarin et caserné à Perpignan. Lorsque la Fronde oblige Mazarin de s’éclipser provisoirement, le régiment passe sous l’autorité du duc de Candale et participe, sous le nom de Vaisseaux- Candale, à diverses opérations dans le Midi et en Espagne, avant de reprendre, au retour de Mazarin, son nom antérieur, pour devenir enfin, à la mort du cardinal, Vaisseaux-Provence. C’est sous cette désignation qu’il rejoint, en 1667, l’armée de Flandre, prend part aux sièges de Tournai, de Douai et de Lille et se distingue si bien à l’occasion de l’escorte d’un convoi maritime que le roi lui-même voulut être son colonel : il sera désormais le Royal-Vaisseaux. On le trouve sur tous les théâtres de la guerre en Hollande, en Allemagne, son nom est associé aux engagements les plus célèbres, Séneff, Ensheim, Cassel, prise, en 1678, des forts de Strasbourg. En 1684, il intervient dans le siège de Luxembourg en tant que corps d’observation et prend garnison, après la prise de la ville, à Verdun, où Louis XIV l’inspecte le 18 mai 1687, alors qu’il est en route vers Luxembourg. Dans la suite, et entre autres, il sert au siège de Namur, en 1692, et, la même année, à Steinkerque. Il retourne ensuite en Allemagne pour y rester jusqu’à la paix de Ryswick, en 1697. En 1702, il se transporte en Italie et s’y couvre d’une gloire durable en empêchant par une conduite remarquable le prince Eugène de se rendre maître de Crémone. Plus tard il opère dans le cadre de la guerre de Succession d’Espagne, entre autres au siège de Lérida, en 1707, puis, en 1712, à Denain, où il contribue à cet engagement décisif qui permet à la France de sortir victorieuse de la lutte. Dans la suite du XVIII e siècle, Royal-Vaisseaux est présent sur tant de champs de bataille dont la plus célèbre fut celle, en 1742, de Fontenoy. À la Révolution, le régiment semble s’être acquis une réputation de fidélité : en 1791, Bouillé, chargé de la protection militaire de Louis XVI en fuite, le place à Sedan, pour toute éventualité, semble-t-il. Mais, intégré à d’autres unités, et ne portant plus son nom d’origine, il fait aussi toutes les guerres de la Révolution et de l’Empire : un de ses bataillons est à Jemappes, d’autres unités sont à Waterloo. Dans la suite, il est fusionné avec le 52 e de ligne (voir Susane, Histoire de l’Infanterie française, op. cit., t. IV, p. 49-67). 540 Louis Potier de Gesvres, marquis de Gandelus, reçoit le commandement du Royal des Vaisseaux le 29 mars 1679 (Susane, Histoire de l’Infanterie, op. cit., t. IV, p. 49). Dangeau mentionne le personnage en date du 2 avril 1689 pour la blessure qu’il a reçue lors de l’opération menée par Chamilly (voir n. 853) contre le château d’Oberhirch, près d’Offenbourg (op. cit., t. IV, p. 6). En date du 16 avril, il rapporte la détérioration de l’état du blessé et les dispositions prises par son père, le duc de Gesvres, pour faire donner le régiment des vaisseaux à son cadet, le chevalier de Gesvres (ibid., p. 16). Le 19 avril, il annonce la mort de Gandelus (ibid., p. 19). L’État <?page no="188"?> 188 Journal Colonel, & elle en fut fort ſ atisfaite. M r le Marquis de Vaubecour 541 , Gouverneur [158] de Châlons, & Lieutenant de Roy 542 du Verdunois, & du Pays Me ſſ in, accompagna toûjours le Roy, & tint à Verdun, tant que Sa Maje ſ té y demeura, deux Tables fort magnifiques, ain ſ i qu’il avoit fait à Châlons, pour toutes les per ſ onnes de la Cour qui voulurent y aller manger. Le Roy fut fort content de ce Marquis, & luy donna me ſ me des marques de la ſ atisfaction qu’il avoit de ſ a conduite. En arrivant à Verdun, on a [159] voit appris la mort de Mademoi ſ elle de Jarnac 543 , Fille d’honneur de Madame la Dauphine, dont je vous ay déja parlé 544 . Elle fut fort regretée à cause de ſ on humeur douce, & complai ſ ante. de la France de 1687 le mentionne encore comme Lieutenant de Roi dans deux bailliages de Haute Normandie : « il y a encore en chacun des sept Bailliages de Normandie un Lieutenant de Roy, dans la haute Normandie. Au Bailliage de Rouën, M. le Marquis de Gandelu, fils de M. le Duc de Gesvres. Au Bailliage de Laux. Le même M. de Gandelu. » (Voir op. cit., t. II, p. 406). 541 Louis Claude de Nettancourt-Haussonville, comte de Vaubecourt (†1705). Ce titulaire du « petit gouvernement de Châlons » (Saint-Simon, op. cit., t. II, p. 601) devenu lieutenant général en 1696, est tué au combat, en Italie, près de Lodi. « C’était, écrit Saint-Simon, un homme fort court, mais brave, fort appliqué et honnête homme. » (Ibid.). L’État de la France de 1687 l’enregistre une première fois avec le titre de comte de Vaubecourt dans la rubrique des « Gouverneurs des principales Villes & Places Frontiéres » de Champagne et de Brie : « Chaalons, M. le Comte de Vaubecourt, Colonel d’un petit vieux Regiment d’Infanterie. » (Voir op. cit., t. II, p. 415). Il doit s’agir du régiment de Guyenne, donné le 18 février 1677 à Louis Claude de Nettancourt-Haussonville, comte de Vaubécourt, et dont l’ancêtre, Henri de Nettancourt, comte de Vaubécourt, l’avait fondé en 1589 (voir Susane, Histoire de l’Infanterie, op. cit., t. 3, p. 177 et p. 185). Une seconde mention dans L’État de la France, et toujours dans la rubrique « Gouverneurs des Provinces », sousrubrique « Les Trois Évêchés, Mets, Toul, Verdun », le présente en Lieutenant général « [a]ux Païs & Evéché de Mets » en ajoutant qu’il est aussi « Lieutenant Général du Verdunois, & Colonel d’un Régiment d’Infanterie », mention répétée quelques lignes plus loin, dans le paragraphe réservé au Verdunois (op. cit., t. II, p. 443-444). 542 « Les lieutenants de roi étaient des officiers commandant dans une place de guerre en l’absence du gouverneur » (M. Marion, Dictionnaire des Institutions, op. cit., p. 336). 543 Dangeau place l’annonce de ce décès à Montmirel, le 13 mai : « Mardi 13 mai, à Montmirel. - Mademoiselle de Jarnac, fille d’honneur de Madame la Dauphine, mourut à Versailles après une longue maladie. » (Op. cit., t. II, p. 206 ; voir ci-dessous p. 372), Sourches, à Sainte-Ménehould (op. cit., t. II, p. 48 ; voir ci-dessous p. 383). Madame de Caylus lui consacre ces quelques lignes peu réconfortantes et presque cruelles : « Mademoiselle de Jarnac, laide & malsaine, ne tiendra pas beaucoup de place dans mes Souvenirs. Elle vécut peu, & tristement ; elle avait, disait-on, un beau teint pour éclairer sa laideur. » (Souvenirs, op. cit., p. 71). 544 La mort de Mademoiselle de Jarnac est déjà annoncée dans la Première Partie du Mercure de mai 1687, p. 338 : « Mademoiselle de Jarnac, fille d’honneur de <?page no="189"?> 189 Journal Quoy que la Ville de Verdun ſ oit couverte par Longwy, Luxembourg, Sar- Loüis, Strasbourg & autres, on ne lai ſſ e pas de travailler tous les jours aux fortifications de cette Place. Le Roy ordonna qu’on y prepara ſ t les Eclu ſ es 545 , [160] afin qu’il pu ſ t voir à ſ on retour l’e ſ pace du terrain qu’elles pourroient occuper. Lors que Sa Maje ſ té vi ſ ita la Citadelle qui e ſ t de cinq Ba ſ tions fort reguliers, on luy fit remarquer le Ba ſ tion nommé le Marillac, qui donna lieu au Procés qui fut fait au Mare ſ chal de ce meme nom 546 , pour le crime de Peculat, Madame la Dauphine, est morte à Versailles. Elle estoit du Carrousel, & je vous ai entretenu d’elle dans la description que je vous en ay envoyée. » D’autres allusions à ce Carrousel et à la Relation dont il a fait l’objet sont relevées dans le Mercure de mai 1686, p. 341 - « […] j’ay accompagné la Relation de cette Feste des Portraits en Vers de tous les Chevaliers, & des Dames qui en ont ésté », numéro qui donne aussi les exploits « des Princes & Seigneurs qui estoient du Carrousel (p. 335 et s.) et d’avril 1686 qui annonce, en sa page 328, l’événement pour le mois de mai tout en avouant ne pas connaître l’échéance au jour près - « Je ne puis vous dire en quel jour du mois prochain se fera la magnifique & galante Feste, où les trente Dames, dont je vous envoyay les noms la derniere fois, doivent paroistre à cheval. » En effet, les trente noms figurent dès le numéro de mars avec, en bonne place, celui de Mademoiselle de Jarnac prévue pour figurer dans la Quadrille du Dauphin au bras du duc de la Trémouille. La relation détaillée toutefois n’a pu être repérée. 545 Voir ci-dessous n. 907. 546 Louis de Marillac, comte de Beaumont-le-Roger (1573-1632), entre dans la carrière des armes sous Henri IV qui lui confie bientôt des missions diplomatiques : il est ambassadeur dans divers États italiens, puis en Allemagne. Il négocie la paix de Loudun, signée en 1616 par Marie de Médicis et les chefs protestants. Louis XIII le nomme commissaire général des camps et des armées ; il prend part à toutes les expéditions contre les Huguenots du Midi et est blessé au siège de Montauban, en 1621. En 1625, il est fait gouverneur de Verdun et lieutenant général des Trois-Évêchés. Il se distingue ensuite au siège de La Rochelle et à la prise de l’île de Ré (1627-1628). Appelé à la tête de l’armée de Champagne en 1629, le roi l’élève la même année à la dignité de maréchal de France, en reconnaissance de ses services. Sa carrière finit brusquement avec la Journée des Dupes à la suite de laquelle son demi-frère, Michel de Marillac, accusé d’avoir comploté contre le Cardinal, est démis de ses fonctions de garde des Sceaux, alors que le maréchal lui-même, alors en Italie, est atteint d’une lettre de cachet inspirée par Richelieu, le mettant en état d’arrestation (22 novembre 1630). Suit alors un long et humiliant procès qui aboutit au supplice de Marillac qui a la tête tranchée le 10 mai 1632. Parmi les chefs d’accusation, se trouvent les « abus et excès » commis, pendant la période verdunoise du maréchal, alors en charge de la construction de la citadelle de la forteresse meusienne. Entre autres, on lui reprochait d’avoir détourné des fonds consentis pour les travaux de fortification à des fins personnelles, d’avoir aussi majoré frauduleusement les prix d’un des bastions, comptant au roi vingt-quatre livres la toise alors qu’il n’avait payé que dix-sept (voir P. de Vaissière, L’Affaire du Maréchal de Marillac […], Paris, Librairie académique Perrin, 1924, p. 209). <?page no="190"?> 190 Journal dont il avoit e ſ té accu ſ é. L’hi ſ toire rapporte que le Mini ſ tre qui nomma les Commi ſſ aires qui le condam[161]nerent, leur dit aprés avoir appris ſ a condamnation, qu’il falloit que les Juges eu ſſ ent des lumieres que le re ſ te des hommes n’avoit pas, & que plus il avoit fait de reflexion ſ ur l’affaire du Maréchal de Marillac, & sur toutes les cho ſ es dont on l’accu ſ oit, moins il l’avoit jugé digne de mort ; mais qu’enfin il falloit croire qu’il e ſ toit coupable, puis qu’ils l’avoient condamné 547 . Il n’eut dans la ſ uite que de la froideur & de l’indifference pour eux. [162] Le 19. on ne fit que quatre lieües & l’on alla dîner & coucher à E ſ tain ; la journée auroit e ſ té trop longue ſ i on avoit e ſ té ju ſ ques à Longvvy. M r Mathieu de Ca ſ telus 548 qui y commande, vint à E ſ tain ſ aluer le Roy, & recevoir les ordres de Sa Maje ſ té. E ſ tain e ſ t un gros Bourg muré, du Dioce ſ e de Verdun. C’e ſ t le dernier de ſ a Jurisdiction du co ſ té de Luxembourg. Quoy que ce Dioce ſ e ſ oit fort petit & borné de [163] toutes parts, ſ on peu d’étenduë ne diminuë pas neanmoins ſ on revenu. M r de Verdun accompagna le Roy ju ſ ques à E ſ tain. La Cour eut un tres-beau temps pour traver ſ er des rui ſſ eaux, & des Plaines gra ſſ es, & fertiles. Les pluyes l’auroient fort incommodée, mais le Roy qui fait les beaux jours de tous ceux qu’il regarde favorablement, devoit e ſ tre 547 Voici quelques autres propos de ce « Ministre », entendons de Richelieu, d’une teneur bien différente. Recevant les juges de Marillac, il leur dit : « Messieurs, le Roy vous est obligé de la justice que vous lui avez rendue. Vous avez tous jugé selon vos consciences. Pour moi, je vous en remercie, et vous servirai à l’occasion. » (Propos cit. par P. de Vaissière, op. cit., p. 217). On est loin de la réserve signalée par le Mercure. 548 À la rubrique Longwy, L’État de la France de 1687 indique comme Gouverneur de la place « M. Mathieu de Castelas [sic], cy-devant Colonel du Rêgiment de la Marine » (op. cit., t. II, p. 447). En effet, sa valeur exceptionnelle prouvée en 1675 en Alsace, dans le cadre des opérations de la guerre de Hollande, avait valu, fait rare, à cet officier dubiae nobilitatis le commandement du Régiment La Marine, anciennement Cardinal-Duc, corps d’infanterie créé par Richelieu en sa qualité de grand-maître et surintendant général de la navigation, et passé ensuite à Mazarin. Les Impériaux ayant réduit les Français à se retirer dans les places fortes d’Alsace, Matthieu de Castelas s’était retranché dans Haguenau, où il fut aussitôt assiégé par Montecuculli auquel il opposa la plus farouche des résistances, d’où le mot de Condé : « La Marine y est, j’ai temps d’arriver, et puis je connais Matthieu : s’il manque de boulets, il se fera mettre dans un canon », et le brave de répondre : « Tant que Matthieu sera Matthieu, Haguenau sera au roi. » Le régiment La Marine a participé au siège de Luxembourg de 1684, mais le commandement avait passé, dès le mois de décembre 1683, à Henri-Roger de La Rochefoucauld, marquis de Liancourt. En 1687, on retrouve donc Castelas au gouvernement de Longwy. Pour les détails sur le régiment La Marine et sur le personnage de Matthieu de Castelas, voir Susane, Histoire de l’ Infanterie française, op. cit., t. 3, p. 1 et s.). <?page no="191"?> 191 Journal a ſſ ez heureux pour n’en pas manquer luy-me ſ me. Sa Maje ſ té prit l’apres [164] dinée le diverti ſſ ement de la Cha ſſ e 549 . E ſ tain e ſ t un Païs de Bois accompagné de belles Plaines, & de Vallons bien cultivez ; les Mai ſ ons y ſ ont grandes, & logeables, pre ſ que toutes ba ſ ties à l’Allemande 550 , & il n’y en a pas une qui n’ait quatre Chambres hautes 551 où l’on peut loger. Le Roy, Mon ſ eigneur, & les Prince ſſ es eurent leurs Appartemens dans la plus grande 552 , & Chaque Corps d’Officiers logea dans d’autres. Le lieu [165] paroi ſ t avoir e ſ té autrefois con ſ iderable ; les Guerres l’ont ruiné, parce qu’il n’e ſ toit pas a ſſ ez fort pour ſ e deffendre des cour ſ es. La Paroi ſſ e e ſ t un a ſſ ez beau Vai ſſ eau, ſ urtout dans l’étenduë du Chœur, qui e ſ t tres-beau & fort élevé 553 . Cette Paroi ſſ e a 549 La chasse du roi à l’étape d’Étain est précisée par Dangeau (op. cit., t. II, p. 207 ; voir ci-dessous n. 1010) : le roi et le Dauphin y tirent des cailles, « lui et Monseigneur allèrent tirer des cailles ». Ce témoignage est confirmé par le Blanc-Livre, chronique locale dont l’original est porté manquant, mais dont subsiste une copie textuelle manuscrite reproduite en annexe 8 (voir ci-dessous p. 330) qui réserve la chasse aux cailles au roi, alors que le Dauphin part pour tuer du gibier : « il [le roi] alla à la chasse dans les bois et il tua plusieurs cailles. Monseigneur le Dauphin alla aussi à la chasse d’un autre côté à l’entour du haut bois et tua quelques gibiers. » 550 Peut-être : maisons à encorbellement. Si la notion est présente dans les textes de l’époque, on n’y trouve pas l’explication. 551 « Pièce aménagée sur un toit en terrasse » (Le Grand Robert de la Langue française, Paris, Dictionnaires Robert, 2001). 552 Le Blanc-Livre donne des précisions sur le logement du roi qui descend (avec le dauphin et les princesses, comme l’écrit le Mercure) chez le maire, Gallot, et le S r de Rancé « à cause que leurs maisons étaient contigues et qu’il y avait communication ». Le document évoque ensuite l’audience accordée au maire et à ses « gens de Justice » qui « eurent l’honneur de faire la révérence par une profonde génuflexion au Roi dans son appartement, et lui témoignèrent par [un ? ] profond respect l’honneur, la joye et le plaisir que toute la ville [recevoit ? ] par la presence de S.M. A quoy aussi le Roy témoigna être satisfait par un signe et abaissement de la tête qu’il leur fit et un regard tout a fait agréable… ». Voir ci-dessous p. 325 et s., Annexe 8. 553 Ce chœur, élevé en 1437 par les soins du cardinal Huin (voir note suivante), passa pour un modèle en son genre. Couvert de lames de plomb sur lesquelles étaient gravés des portraits de saints, il était couronné d’un élégant clocheton, garni de plomb également. Les visiteurs royaux de 1687 pouvaient encore l’admirer dans toute sa splendeur, car ce ne fut qu’à la Révolution qu’on le dépouilla de sa belle toiture dont la matière devait servir à la fabrication d’armes. Plus tard, on le couvrit d’une toiture simple et d’un clocher en bois. Une nouvelle restauration fut nécessaire après les ravages de la Grande Guerre (voir Petit de Baroncourt, Histoire de la ville d’Étain, Verdun/ Étain, Henriot/ Nicolas, 1833, p. 33 ; T. Minarie, L’Église d’Étain. Monument historique, Association « Étain d’Hier à Aujourd’hui », 1994 ; M. Maigret, « Guillaume Huin, le Cardinal d’Étain », dans Bulletin des Sociétés d’Histoire de la Meuse, N° 9, 1972, p. 81 et s.). <?page no="192"?> 192 Journal e ſ té ba ſ tie par les ſ oins de Guillaume de Huyen 554 , lequel ayant e ſ té instruit à Verdun 555 , pa ſſ a en Italie, où la beauté de ſ on genie luy acquit la bienveillance de la Cour de Rome. Il fut [166] d’abord Chanoine de Verdun, & par degrez elevé à la pourpre, ayant e ſ té fait Cardinal au titre de Sainte Sabine 556 . Il employa ſ es biens à l’embelli ſſ ement de ſ a Patrie ; mais la mort qui le ſ urprit dans l’execution de ſ es de ſſ eins, en rompit le cours. Les Entrepreneurs volerent l’argent, & lai ſſ erent l’Egli ſ e imparfaite. Il avoit re ſ olu de fonder douze Prebandes, un College, & un Hôpital ; mais on ne voit qu’un Chœur de [167] licatement con ſ truit, & la Barete de ce cardinal ſ u ſ penduë à la voûte, pour monument de ſ a pieté, & de ſ a dignité 557 . Il vivoit en 1406. Un Curé, & un Vicaire ont ſ oin de cette Egli ſ e, & du Peuple. Les Capucins 558 ont en ce lieu une Mai ſ on habitée par huit ou neuf Religieux. Ils ont quelque peine à ſ ub ſ ister ; mais ils en auroient encore davantage s’ils n’e ſ toient prés de Verdun, où on leur fait de grandes charitez. Ces bons [168] Peres ſ e ſ ont e ſ tablis en ce lieu pour aider le Curé, à cau ſ e qu’il n’a qu’un ſ eul Vicaire avec luy. Le lendemain 20. la Cour partit d’E ſ tain, & alla dîner à Pierre-Pont 559 qui n’en e ſ t éloigné que de trois lieuës 560 . La plu ſ part des officiers mangerent 554 Guillaume Huin fait de solides études qui le mènent au doctorat en droit civil et en droit canon ; il gravit les premiers échelons de la hiérarchie à Verdun et à Metz, où il officie comme archidiacre. Un désaccord l’oppose bientôt à Louis de Haraucourt, évêque de Verdun, sur un sujet de galanterie : l’évêque le croyait en bonne grâces auprès d’une dame sur laquelle il avait jeté lui-même son dévolu. Il s’ensuivit une guerre à péripéties entre le prélat et les chanoines, prenant la défense de leur confrère, mais sans que l’ascension de ce dernier eût à en souffrir. Nommé promoteur général du concile de Bâle (1431-1449), il est impliqué dans l’opposition contre Eugène IV et s’attache à l’antipape Félix V qui le crée cardinal en 1440, élévation confirmée par Nicolas V auquel Félix finit par céder ; nommé par le nouveau pape au titre de Sainte-Sabine, on l’appelle désormais le cardinal d’Étain et il se voit confier successivement les évêchés de Sion et de Fréjus. Il meurt à Rome le 28 octobre 1455 (voir Petit de Baroncourt, op. cit., p. 30-35). 555 Voir n. 554. 556 Ibid. 557 Voir Petit de Baroncourt, op. cit., p. 33-34. D’après cet auteur, le chapeau, détaché par les révolutionnaires en 1795, tomba en poussière dans leurs mains. 558 Le Blanc-Livre précise que le roi assista « le lendemain », c’est-à-dire le lundi 20 mai, avant son départ d’Étain, « à la messe aux Capucins aux quels il donna trente trois louis d’or ». (Voir ci-dessous p. 330). 559 L’étape de Pierre-Pont (dans l’actuel Département de Meurthe-et-Moselle), n’est mentionnée ni par Dangeau, ni par Sourches, qui placent l’un et l’autre ce repas de midi du 20 mai à Spincourt, dans l’actuel Département de la Meuse (voir Journal, op. cit., t. II, p. 207, Mémoires, op. cit., t. II, p. 50 ; voir ci-dessous p. 374 et p. 385). La Carte du voyage, cependant signale Pierrepont, alors que Spincourt en est absent. Spincourt se situe à quelque 14 km d’Étain, Pierrepont, à quelque 28. Voir aussi note suivante. <?page no="193"?> 193 Journal 560 ſ ur une verdure, arro ſ ée d’un rui ſſ eau fort agreable 561 . on traver ſ a en ſ uite plu ſ ieurs petits torrens ; on parcourut des Valées [sic] : on monta des hauteurs, & on gagna en [169] fin la cime d’une Montagne où [sic] le nouveau Longvvy, entierement con ſ truit par le Roy, pour faciliter la pri ſ e de Luxembourg. Le Vallon e ſ t arro ſ é d’une tres belle eau vive, qui roule toûjours, & qui rend la Plaine fort fertile 562 ; la veuë ſ e promene agreablement ſ ans e ſ tre bornée que des deux costez par deux Montagnes, mais elles n’offrent rien qui ne doive plaire. L’une e ſ t remplie d’arbres ; l’autre e ſ t occupée par la [170] vieille, & par la nouvelle Ville. On découvre dans le milieu de la Prairie deux mai ſ ons de Religieux, l’une de Recolets, & l’autre de Carmes, qui y ſ ont établis, & qui ont ſ oin des anciens Habitans de ce Pays-là 563 . Ils ne ſ ont logez que dans des hutes ſ ur la Colline, & ils avoient au de ſſ us un Château antique qui les mettoit à 560 C’est-à-dire de quelque 12 kilomètres, la lieue de Paris (1674-1793) étant l’équivalent de 3,898 kilomètres. À tenir compte du kilométrage actuel, cette précision plaiderait pour Spincourt, à 14,63 km d’Étain, plutôt que pour Pierrepont, à 28,12 km. On notera que les divergences de données au niveau des mesures qui se constatent chez les auteurs du XVII e siècle ne changent rien à cette conclusion. Ainsi le Dictionnaire universel de Furetière (La Haye/ Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690, t. II, p. 633) porte la lieue de France à 15 750 pieds, c’est-à-dire à 4,6683 km, le pied tenant pour 296,4 mm. Ici les trois lieues de Pierrepont correspondraient donc à ~14 km. 561 La Crusne, affluent de la Chiers. 562 La Chiers. 563 Mussey (Histoire de Longwy, Paris, Res Universis, coll. « Monographies des Villes et Villages de France », 1989 p. 6) situe ces établissements dans le « troisième corps [qui] estoit le Fauxbourg » de l’ancienne Ville ; il y ajoute une troisième maison, celle des Religieuses de la Congrégation Notre Dame, fondée en 1628 par Pierre de Mouillie, seigneur de la Madeleine, Obange et Rodange, Receveur Gruyer* de Longwy (voir ibid. p. 7, n. 2 et p. 68). * Le receveur gruyer était en charge de la gruerie ou grurie, droit royal de percevoir une partie du prix des coupes de bois et une portion des amendes prononcées pour abus dans les bois sujets aux droits de la gruerie (voir Marion, Dictionnaire des Institutions, op. cit., p. 270). Les Récollets, religieux de l’étroite observance de saint François, et qui font donc partie de l’Ordre des Frères Mineurs, sont issus d’une réforme de l’Ordre initiée en Espagne, au XV e siècle. Installés ensuite en Italie, ils sont introduits à la fin du XVI e siècle en France, où ils s’organisent en sept provinces comprenant une cinquantaine de couvents. La province lorraine de Saint-Nicolas en comptait neuf, dont celle de Longwy, où ils s’établissent en 1638 avec lettres patentes de Charles IV de Lorraine, datées du 11 mai de cette année (voir J. Mussey, op. cit., p. 72). Les Récollets sont principalement attachés au service des pauvres et aux missions. Les Carmes, très présents dans la France du XVII e siècle avec soixante couvents adhérant à la réforme thérésienne en plus des soixante-quatorze carmels féminins, également réformés, et six couvents non réformés, sont à Longwy à partir de l’année 1662. Soutenus par le maire Martin Béguinet, ils s’attachent à la construction d’un petit hospice sur l’emplacement de l’ancien hôpital de la ville. <?page no="194"?> 194 Journal couvert des Coureurs 564 ; mais pre ſ entement il e ſ t ruiné, & l’on n’y trouve que des ca [171] banes & des ma ſ ures 565 . Longvvy e ſ t ſ itué ſ ur une hauteur 566 En 1683, la municipalité leur céda un fond pour la construction de leur nouvelle église et de leur couvent sur le pâturage communal (voir J. Mussey, op. cit., p. 74). Les Carmes de Longwy n’ont pas dû être inconnus à Louis XIV, lorsqu’il séjourna, à l’occasion de son voyage luxembourgeois, dans leur ville. C’est que dès le mois de novembre 1674, il avait fait établir en leur faveur un rescrit royal leur confirmant leurs droits sur une chapelle que leur avait fait construire en 1675 Martin Béguinet, ainsi que sur le logement attenant, droits que le Procureur général du Parlement de Metz avait contesté « sur un faux advis qui luy avoit esté donné », arguant en particulier qu’ils « estoient espagnols ». Ce document, ainsi que son enregistrement par le Parlement de Metz en date du 16 janvier 1675, est conservé, en copie, au fonds Hubert de la Bibliothèque André Chénier de Longwy ; une transcription en figure également au F° 17 du registre des procès verbaux des délibérations de la communauté de Longwy, années 1761-1771, Archives communales B.B. 9. 564 Au XVII e siècle, on désignait par ce mot les cavaliers partant en éclaireurs pour des missions de reconnaissance (voir Dictionnaire du français classique, Paris, Larousse, 1971, p. 130). 565 Jean Mussey, curé de Longwy à partir du 6 novembre 1679 (voir Essai sur l’Histoire de Longwy. Par M. C.****** …, Metz, J S. Zalc, 1979, p. 181), et auteur d’une Histoire de Longwy, déjà citée, donne une description précise de ce château : « Il étoit spacieux et fort, sur un long côteau en forme de peninsule, qui se détachoit des montagnes parmi les vallées, dont est venu son nom de Longovicum, […]. Il contenoit outre une grande Eglise Paroissiale & une grande Place d’armes, munie d’un beau Puits, 36. Maisons bâties assez somptueusement […]. Ce Château étoit renforcé du côté du Nord, d’un magnifique Palais dit le Donjon, revêtu de ses défenses particulières, qui fut anciennement la demeure des Princes ou de leurs Lieutenans, quand ils résidoient ailleurs, ou qu’ils suivoient la Cour des Rois. » En 1687, le château dont on situe l’origine vers le milieu du 10 e siècle, était, en effet, ruiné, Louis XIV, en possession définitive de Longwy, suite au traité de Nimègue, ayant ordonné, dès 1679, sa démolition. En revanche, le curé Mussey, né en 1644 et installé canoniquement à Longwy le 13 octobre 1679, (Histoire de Longwy, op. cit., p. 144-145) a encore pu voir le château « dans mon jeune âge », comme il s’exprime dans sa Lorraine ancienne et moderne (p. 25 cit. dans Histoire de Longwy, op. cit., p. 5, n. 2), et il y a même établi sa première résidence, « comme Curé du lieu » (ibid.), alors même que les travaux de la ville neuve, ordonnés par le roi, débutaient dès l’année 1680 avec pose de la première pierre le 17 avril de cette année (Histoire de Longwy, op. cit., p. 146) ; celle de la nouvelle église paroissiale dut attendre jusqu’au 22 mars de l’année 1683 (ibid., p. 147). Apparemment le curé put rester dans son presbytère du vieux Château jusqu’en l’année 1685, puisque c’est seulement à cette date que « sur ordres de M r de Louvois et de Monseigneur l’Evêque, il transporta son domicile en la Ville neuve de l’ancien Château, & le service paroissial de l’ancienne Eglise en la neuve » (ibid., p. 149). 566 Le plateau occupé par la forteresse est à une altitude de 380 mètres (voir M. Rideau, Le Pays haut d’antan, t. IV : Le Vieux Château/ Longwy Vauban, Longwy, Éditions Impact, 1986, p. 38). <?page no="195"?> 195 Journal bordée d’un precipice à l’E ſ t, & au Sud, s’e ſ tendant vers le Nord, & l’oue ſ t, dans une Plaine fort fertile. La Place n’e ſ t commandée 567 d’aucun endroit. On y voit une grande ruë 568 , à l’extremité de laquelle ſ ont deux portes 569 accompagnées d’un double fo ſſ é, & défenduës de bons Ba ſ tions 570 . Dans cette ruë principale, ſ ont les mai ſ ons des Bourgeois qui font environ [172] deux à trois cens feux. La Place d’Armes e ſ t au milieu. On y voit un beau puits 571 , & à 567 Au sens qu’on ne peut tirer dans la Place d’aucun endroit. Pour cette acception du verbe « commander », voir Dictionnaire de l’Académie de 1694 : « On dit aussi qu’Une eminence, une montagne commande une place, pour dire qu’Elle est eslevée au dessus & à portée de tirer dedans de haut en bas. » 568 La nouvelle ville de Longwy était construite en damier, selon un plan géométrique. Les rues se coupaient à angle droit, et la route royale Sud-Nord, reliant les deux Portes de France, au Nord, et celle de Bourgogne, au Sud, traversait la Place d’Armes. La distance entre les deux portes était de 182 toises ou 327,6 mètres (voir J. Boucon, Longwy. Sentier-découverte de la place forte de Vauban, Longwy, Éditions Association Patrimoine du Pays de Longwy, coll. Découverte, 2000, p. 42-43 et Essai sur l’Histoire de Longwy par M. C****** [Clauteaux]…, op. cit., p. 111). Pour la Porte de France, le premier fossé est celui qui, à l’avancée de la Porte, précède la demi-lune N° 7 et qui mesure 4,25 m de profondeur et 18 m de largeur, le second précède la Porte de France principale, sous un pont dormant qui le traverse sur un parcours de quarante-trois mètres (voir M. Rideau, Le Pays haut d’antan, op. cit., p. 27 et p. 29). Pour accéder dans l’avancée de la Porte de Bourgogne, on passait sur un pont dormant couvrant un premier fossé, pour accéder à la Porte de Bourgogne principale, on passait sur un autre pont dormant suivi d’un pont-levis, le tout au-dessus du second fossé (voir ibid., p. 33). Pour le descriptif des deux portes, dont seule subsiste la première, de France, la seconde, de Bourgogne, ayant été détruite lors des bombardements du mois d’août 1914 (voir ibid., p. 27-38). 569 Voir note précédente. 570 La place, hexagonale, comptait six bastions. Voir ci-desous n. 589. 571 Il fut creusé dès les débuts des travaux, en 1679-80, car Longwy situé sur un plateau, n’avait pas d’eau potable. Vauban avait prévu de l’alimenter de deux sources, au-dessus de Gouraincourt (actuellement à quelque trente-trois kilomètres de Longwy) et du Coulmy « par des moyens d’une galerie souterraine, si bien cachés que l’ennemi ne saurait où les prendre ». Creusé par des mineurs de Philippeville à coups de pic et d’explosions dans les rochers, il atteignit une profondeur de soixante mètres. Doté de murs de 2,55 mètres d’épaisseur, il était surmonté d’une coupole au-dessous de laquelle l’eau était remontée à l’aide d’une cage à écureuil et versé ensuite dans sept cuveaux intégrés à la maçonnerie. Les citadins pouvaient aussi s’approvisionner en eau à l’extérieur de l’ouvrage, dans deux bassins et des robinets communiquant avec les caveaux. Le puits de siège abrite actuellement l’office de tourisme du pays de Longwy (voir J. Boucon, op. cit., p. 48-49). <?page no="196"?> 196 Journal gauche une Egli ſ e 572 une fois au ſſ i grande que les Recolets de Ver ſ ailles 573 , mais il y a moins de Chapelles 574 . Cette Egli ſ e e ſ t accompagnée d’une Tour, de la hauteur de celle de Saint Jacques du Hautpas à Paris, qui ſ ert de Beffroy, & de laquelle on découvre ju ſ ques à ſ ix lieuës dans le Pays 575 . La Mai ſ on du Gouverneur e ſ t à droite 576 , & [173] fait face à l’Egli ſ e. Le re ſ te des Mai ſ ons e ſ t ba ſ ty 572 L’église Saint-Dagobert, construite à partir de 1683, compte parmi les premiers bâtiments de la nouvelle place forte. Lieu du culte, elle avait aussi une fonction militaire : son clocher, doté d’abord de trois étages échelonnés sur quarante-trois mètres et flanqué de deux tourelles pour les escaliers, servait de vigie ; on y voyait jusqu’à Luxembourg. Suite au bombardement prussien de janvier 1871, le troisième étage disparaît. Presque entièrement détruite en 1914, l’église est reconstruite dans les années 20 (voir J. Boucon, op. cit., p. 50-51). Dans les premiers temps, l’intérieur de l’église comportait une nef unique. Pour l’église des Récollets de Versailles, voir note suivante. 573 Il s’agit de la nouvelle église des Récollets, premiers moines à être venus s’installer à Versailles, d’abord dans un établissement de taille modeste, puis dans un ensemble plus vaste, construit par Jules Hardouin-Mansart sur un terrain proche du château et situé derrière le Grand Commun. L’église, assez grande, ne possédait cependant des chapelles, au nombre de trois, que du côté gauche, une galerie du cloître du couvent bordant la droite. Toutefois l’absence de chapelles à droite causant de graves problèmes d’équilibre, on finit par remplacer la galerie du cloître par une série de chapelles faisant fonction d’arc-boutants et assurant ainsi le maintien en place de la voûte de l’édifice. L’ensemble fut démoli dans la suite, et il ne subsiste aujourd’hui que le portail de l’église (voir A. et J. Marie, Mansart à Versailles, Éditions Jacques Fréal, Paris, 1972, volume 1, p. 151-152). 574 Le monument était à vaisseau unique, avec seulement deux petites chapelles latérales situées au niveau du transept actuel (voir M. Rideau, Le Pays haut d’antan, op. cit., p. 43). 575 Voir ci-dessus n. 572. Saint-Jacques-du-Haut-Pas, dans l’actuel V e arrondissement, non loin de Port-Royal de Paris et, de ce fait, très lié au jansénisme - Saint-Cyran y est enterré - doit sa forme actuelle à Daniel Gittard (1625-1686) qui développe à partir de 1675 les travaux d’agrandissement entrepris dès 1630 par Gaston d’Orléans. Toutefois les projets de l’architecte ne sont exécutés que partiellement, en particulier au niveau des tours prévues au nombre de deux, dont une seule sera finalement construite, mais de hauteur double par rapport à celle initialement projetée. Dans sa Description de la Ville de Paris, op. cit., t. III, p. 95, G. Brice évoque le projet des deux tours qu’il juge avantageux pour l’harmonie de l’ensemble : « l’on doit élever […] deux grosses tours quarrées qui termineront l’édifice & serviront de clochers, mais il y en a encore eu qu’une seule de bâtie jusques à présent ; elles seront un très-bon effet, si jamais le premier projet a son execution. » 576 L’Hôtel du Gouveneur est situé à l’est de la Place d’Armes, face à Saint-Dagobert, à l’ouest. Ce bâtiment, auquel on accédait par une terrasse, comportait dix-sept chambres, sept cabinets, deux caves et une citerne. La cour, à l’arrière, était entourée de hangars et suivie d’un « jardin de goût », d’un puits et d’un hangar aux fagots à la disposition des soldats de la garnison (voir J. Boucon, op. cit., p. 46). <?page no="197"?> 197 Journal par ſ imetrie. Le long des Ramparts, ſ ont des Cazernes pour les Troupes 577 , & l’on voit d’e ſ pace en e ſ pace des Magazins de differentes grandeurs 578 . Tous ces Maga ſ ins ſ ont ſ oigneusement gardez. Le Roy logea dans la Mai ſ on du Gouverneur 579 . M [sic] le Marquis de Bouflers 580 , qui a le Gouvernement de 577 Les casernes, dont Longwy était une des premières places à être dotée, et qui empêchaient la pratique traditionelle, mais onéreuse, de loger la troupe chez l’habitant, se situaient près des remparts et étaient divisées en deux quartiers, au sud-ouest et à l’est. Elles étaient, au début, au nombre de neuf et pouvaient accueillir 1250 soldats et 888 chevaux (voir J. Boucon, op. cit., p. 40). 578 On comptait deux magasins à fourrages et un magasin dit « aux palissades », situés tous à l’est contre la courtine des bastions 1 et 2. En plus, les souterrains des bastions 3 et 4 faisaient fonction de magasins à poudre (voir M. Rideau, op. cit., p. 38). 579 En 1687, le gouverneur de Longwy était Mathieu de Castelas, antérieurement colonel du Régiment de Marine (État de la France, t. II, p. 447 et Susane, Histoire de l’Infanterie, op. cit., t. III, p. 13). Dangeau (op. cit., t. II, p. 208, ci-dessous p. 374) précise que le roi fit à l’épouse du gouverneur l’honneur de la saluer, geste galant non signalé par le Mercure. 580 Louis François, marquis de Boufflers (1644-1711) qui naît le 10 janvier 1644 comme dernier fils de François, comte de Boufflers, maréchal des camps et armées du roi, est promis à une carrière hors pair dans les armes qu’il commence, à l’âge de dix-huit ans, comme cadet au régiment des gardes. Après plusieurs emplois dans différentes charges, en Lorraine principalement, où il participe en 1663, au siège de Marsal, il est blessé, en 1672, en Hollande, devant Woerden. Il sert encore en Hollande, puis, sous Turenne, en Allemagne, montant rapidement les échelons de la hiérarchie : maréchal de camp en 1677, colonel-général du Royal-Dragons en 1678, lieutenant général des armées en 1681. Dans les années 80, il exerce plusieurs commandements en Sarre, en Flandre, en Guyenne ; le 4 août 1686, Louis XIV lui donne le gouvernement de Luxembourg (Dangeau, op. cit., t. II, p. 101), puis celui de Lorraine, de la Sarre, enfin le commandement en chef dans les Trois-Évêchés et la principauté de Sedan. Le 27 mars 1693, suite à sa victoire à Furnes, en Flandre, sur le duc de Bavière, il est élevé à la dignité de maréchal de France (Saint-Simon, op. cit., t. III, p. 50). Nommé gouverneur général de Flandre et de Hainaut en 1694, il se signale une année plus tard par la défense héroïque de Namur assiégé par le prince d’Orange : bien que l’opération, finalement, se soldât par un échec et que la ville dût capituler le 4 août 1695, la conduite de Boufflers, en cette circonstance, longuement rapportée par Saint-Simon (op. cit., t. I, p. 241 et s.), fonda la renommée militaire du personnage. Celle-ci est confirmée définitivement par ses exploits, en 1708, à l’occasion du siège de Lille par le prince Eugène, dans le contexte de la guerre de Succession d’Espagne, mais qui n’empêchent pas que la capitulation ne soit signée le 22 octobre. Saint-Simon, alors, le présente en modèle accompli du chef qui, aux vertus militaires, ajoute toutes les qualités civiles : « L’ordre, l’exactitude, la vigilance, c’était où il excellait. Sa valeur était nette, modeste, naturelle, franche, froide. Il voyait tout, et donnait ordre à tout sous le plus grand feu comme s’il eût été dans sa chambre ; […]. Sa bonté et sa politesse […] lui gagnait [sic] tout le monde ; son équité, sa droiture […] lui dévouèrent tous les cœurs. » (Op. cit., t. III, <?page no="198"?> 198 Journal Luxembourg 581 , vint au devant de Sa Maje ſ té à Longvyy. Il e ſ toit accompagné de [174] quelques-uns de ſ es Gardes qui ne parurent point avec leurs Carabines. Le Regiment d’Angoumois 582 commandé par M r de Thouy 583 , e ſ toit dans la Place. Le Roy en fit la Reveuë, & il le trouva tres-bon, tous les hommes p. 270). Aussi sa conduite, en la circonstance, lui vaut-elle d’être nommé à la pairie. Une année plus tard, en 1709, alors que Villars est assiégé dans Tournai, Boufflers augmente encore sa réputation en s’offrant pour aller seconder son cadet à la guerre et qui était parvenu au maréchalat dix ans après lui, dans la seule pensée de servir l’État, alors même qu’il aurait pu jouir tranquillement de sa gloire : « grandeur digne, écrit Saint-Simon (t. III, p. 589) de ces Romains les plus illustres des temps de la plus pure vertu de leur république. » Enfin, dernier exploit de cette véritable geste héroïque, l’organisation de la retraite de l’armée après la bataille de Malplaquet, remportée, en 1709, par Marlborough et le prince Eugène, et où il lui revient de la « tirer des précipices où Villars l’avait engagée » (ibid., p. 602). Rarement homme a été plus célébré que Boufflers à qui Saint-Simon dresse un nouveau panégyrique au moment de sa mort, en 1711, le présentant alors comme « le plus exactement honnête homme » (ibid., p. 317) qui fût jamais. Pourtant, le mémorialiste ne donne pas dans l’angélisme, et l’évocation même de Malplaquet lui donne l’occasion de modérer ce que ses propos antérieurs auraient pu avoir d’excessif. Cette retraite, écrit-il « avait tourné la tête » à celui qui l’avait réussie, et il s’aventura alors à exiger des honneurs d’un autre temps, l’épée de connétable, notamment, (ibid., p. 318), faisant tant et si bien que « [l]e Roi se dégoûta de lui comme d’un ambitieux qui était insatiable » et, finalement, accueillit l’annonce de sa mort, subséquente à une brève maladie, avec un « extrême soulagement ». (Ibid., p. 319). Mais peut-être aussi cette imprudence finale doit-elle s’expliquer par le « peu d’étendue de ses lumières », formule assassine du goût de Saint-Simon, faite pour annuler tous les éloges précédents. Le maréchal de Boufflers avait épousé en 1694 Catherine Charlotte de Gramont, la petite-fille du maréchal de Gramont. 581 Voir note précédente. 582 Le régiment d’Angoumois est un régiment d’infanterie créé sous ce nom le 6 septembre 1684 avec un bataillon de Champagne. Il tient d’abord garnison à Calais, puis, en 1693, dans le contexte de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, est dirigé sur Huy dont il défend, en 1694, le château contre le duc de Holstein-Ploen. Au début du XVIII e siècle, au moment de la guerre de la Succession d’Espagne, l’unité opère d’abord en Italie et participe, entre autres, au siège de Luzzara, puis en Allemagne : elle est présente au désastre de Hochstedt (1704) (voir Susane, Histoire de l’Infanterie, op. cit., t. 5, p. 8-14). 583 Alexandre Balthazar de Longecombe, marquis de Thouy (1649-1726). Nommé le 2 octobre 1685 à la tête du régiment Angoumois (Susane, Histoire de l’Infanterie, op. cit., t. 5, p. 8). En 1704, il accède au grade de lieutenant général, en 1710, alors que, dans le cadre de la guerre de Succession, il fait campagne en Espagne, Philippe V le fait capitaine général, dignité la plus élevée dans l’armée espagnole. La même année, il se distingue, et est blessé à l’attaque de Brihuega, puis se signale encore à la bataille de Villaviciosa, où il est fait prisonnier (Saint-Simon, op. cit., t. III, p. 1010). En 1722, il est nommé gouverneur de Belle-Isle (ibid., t. VIII, p. 1763). <?page no="199"?> 199 Journal e ſ tant bien faits, & au de ſſ us de trente ans 584 . Ce Regiment eut l’honneur de garder le Roy. Il faut remarquer que ce Prince ne fut pas plûto ſ t arrivé, qu’il donna des marques de ſ on activité ordinaire. Pendant que cha [175]cun alla, ou ſ e repo ſ er, ou ſ e divertir dans ſ es Appartemens, où il avoit donné ordre qu’il y eu ſ t toûjours toutes ſ ortes de Jeux preparez, ce Prince courut, s’il m’e ſ t permis de m’expliquer ain ſ i pour mieux marquer ſ on ardeur, il courut, dis-je, où la pa ſſ ion digne d’un grand Capitaine, & le devoir d’un grand Roy l’appelloient, & ſ e donna tout entier le re ſ te de la journée à voir des Troupes, & des Fortifications. Il y a dans Long [176] vvy quatre cens cinquante Cadets 585 . 584 La prestance et l’âge des militaires font alors souvent l’objet d’observations de ce genre. Dans sa lettre au roi du 27 août 1680, Louvois, commentant des unités nouvellement constituées, écrit pareillement : « Ce sont les plus beaux hommes du monde, dont le plus vieux n’a que trente ans, et je ne crois pas que le plus jeune en ait moins de vingt-cinq. » (Cit. par C. Rousset, Histoire de Louvois, op. cit., t. 3, p. 333). D’après les statistiques établies par André Corvisier à partir des registres de l’Hôtel-Dieu de Chartres pour les années 1685 à 1688, l’âge des soldats de provenance urbaine était de vingt-huit ans, de ceux de provenance rurale, de vingt-huit ans et neuf mois. John A. Lynn s’appuie sur ces données pour estimer qu’à cette époque Louvois préférait des soldats âgés d’à peu près trente ans - late twenties -. (Giant of the Grand Siècle. The French Army, 1610-1715, op. cit., p. 322-323). Ceux du Régiment d’Angoumois, « au-dessus de trente ans », ne le seront donc pas de beaucoup pour répondre à ces critères. 585 Suite à la politique des « réunions », certains États et villes d’Allemagne s’étant fédérés pour faire face à l’hégémonisme français, le roi, désireux d’augmenter la force de frappe des armées par l’amélioration du recrutement des chefs, avait créé, d’abord à Metz et à Tournai, puis dans sept villes du Nord et de l’Est, dont Longwy, des instituts de cadets du volume d’une compagnie de 475 membres chacune. (Le Mercure n’en compte que 450, soit par erreur, soit que les effectifs, en 1687, aient été réduits). Le projet, initié par Louvois, était pour parer aux défauts de la formation traditionnelle des officiers arrivés au grade sans apprentissage préalable de l’obéissance, sans vraie formation caractérielle non plus, toutes qualités indispensables à de futurs chefs. L’entreprise ne fut pas sans difficultés à ses débuts : on voulut des cadets, c’est-à-dire des jeunes gentilshommes de quatorze à vingt-cinq ans ; on ne fut pas regardant, cependant, ni sur l’âge ni sur la provenance, acceptant des postulants de plus de trente voire de quarante ans, et de noblesse douteuse. Aussi les effectifs étaient-ils bientôt pléthoriques, jusqu’à 4275 recrues pour les neuf compagnies, l’ensemble suscitant un financement peu commun de quatre-vingt mille livres par an. Malgré tous ces inconvénients les objectifs étaient atteints, pour l’essentiel, et dès 1683 ces pépinières fournirent à l’armée d’excellents officiers, désireux de faire leurs preuves. Ainsi trois cents cadets tirés des compagnies de Longwy, justement, et de Metz, participèrent au siège de Luxembourg de 1684, et se proposèrent pour l’action majeure, l’attaque de la grande corne ; ce ne fut pas de leur faute si on leur préféra un contingent différent, mais ils purent se distinguer à d’autres épisodes du siège (voir Histoire du Siège de Luxembourg par l’Autheur du <?page no="200"?> 200 Journal Sa Maje ſ té leur vit faire l’exercice, & dit hautement, qu’il n’y avoit point de Troupes qui s’en acquita ſſ ent mieux. Elle re ſ olut me ſ me d’en prendre ſ oixante ou quatre-vingt, pour en faire des Sous-Lieutenans dans ſ on Corps, excepté dans ſ on Regiment, où l’on ne reçoit point d’Officier qui n’ait e ſ té Mou ſ quetaire 586 . Toutes les places qui y vacquent e ſ tant re ſ ervées à la Noble ſſ e qui [177] sort de ce Corps, ils ſ e perfectionnent encore dans ce Regiment en ce qui regarde le métier de la Guerre, avant que d’e ſ tre élevez à de plus hauts Emplois. L’exercice que firent les Cadets, fut à la voix & au commandement Mercure Galant, op. cit., p. 164). L’institution ne survécut pas, malgré tout, à son initiateur. Après la mort de Louvois, on cessa, à partir de 1692, d’admettre de nouveaux candidats et en 1694 on intégra ceux qui restaient à d’autres formations (voir C. Rousset, op. cit., t. III, p. 301-314). Il n’en reste pas moins qu’on y vit un des hauts faits du règne, comme en témoigne sa mention au cartouche IV de la Place des Victoires (voir ci-dessus p. 117 [55]). 586 La politique de domestication de la noblesse avait incité Louis XIV à créer les grandes charges de la cour pour garder auprès de lui les principaux représentants de l’aristocratie ; de même, il avait imaginé l’établissement d’un régiment d’infanterie spécial destiné à réunir auprès de lui la jeunesse titrée. Le régiment du Roi, institué par une ordonnance du 2 janvier 1663, avait pour mission de faire débuter dans la carrière militaire, en leur faisant porter la pique et le mousquet, les fils des plus illustres maisons de France, et le roi lui-même avait tenu à présider cette unité spéciale en tant que colonel. En fait, le commandement effectif était exercé par un lieutenant-colonel, dans un premier temps Jean de Martinet, officier de naissance obscure, mais d’excellentes compétences militaires. Son successeur n’était personne d’autre que le célèbre Dangeau, le mémorialiste du règne et l’inspirateur de Saint- Simon. Dangeau avait de grandes ambitions pour son unité qu’il aspirait à intégrer à la Maison du Roi au même titre que les Gardes françaises et les Gardes suisses ; l’échec du projet suite à l’opposition de Louvois lui fit quitter son commandement pour un brevet de capitaine des Cent-Suisses. Toutefois le roi, désireux d’accroître le prestige de la formation, la fit fusionner avec le régiment de Lorraine, 14 e de rang parmi les régiments d’infanterie, décimé à son retour de l’expédition de Candie, et dont le colonel lui vendait le brevet. La nouvelle unité issue de la fusion gardait le titre de régiment du Roi. Le régiment du Roi qui ne compta d’abord que vingt compagnies, fut augmenté de vingt autres du temps de Dangeau pour être porté ensuite à cinquante. Les officiers, comme le signale le Mercure, étaient, en principe, recrutés parmi les Mousquetaires. À l’époque de Louis XIV, le drapeau du régiment du Roi portait deux quartiers de rouge de feu, couleur du soleil, et deux de vert pâle, couleur de la Lorraine. Dès l’année de sa création, en 1663, le régiment du Roi se signalait par sa participation à la prise de Marsal, en 1667 il se joignait à l’armée de Flandre et se distingua aux sièges de Tournai, de Douai et de Lille. C’est dans son sein que Louis XIV créa en 1668 les premiers grenadiers (voir Susane, Histoire de l’Infanterie, op. cit., t. 3, p. 204 et s.). <?page no="201"?> 201 Journal de leur Capitaine, en ſ uite au coup de Tambour, & aprés dans le ſ ilence, par une habitude qui e ſ t en tous également naturelle ; ce qui ſ e fait avec tant de ju ſ te ſſ e, qu’il ſ emble que ce ſ oit un ſ eul [178] homme qui remuë également toutes les parties de ſ on corps. Ceux qui prirent ce diverti ſſ ement avec le Roy, eurent un tres-grand plai ſ ir de voir un mouvement uniforme dans quatre Cens cinquante per ſ onnes de differentes grandeurs. Le Roy vi ſ ita à cheval les dehors de la Place, & fit à pied le tour des Remparts. Ce Prince marqua luy-même ce qui en pouvoit encore embellir les Travaux, & ce [179] qu’ils avoient de plus beau & de plus ſ eur. Cela fait voir la parfaite intelligence qu’il a de l’Art de la Guerre 587 . Il ne faut que voir Longvvy pour concevoir une haute idée de la pui ſſ ance du Roy, & l’on ne pourra qu’à peine ſ e per ſ uader qu’il ait entierement fait bâtir une Ville, élevée ſ ur une cime inacce ſſ ible 588 , & dont les remparts ſ ont d’une prodigieu ſ e hauteur. Il e ſ t impo ſſ ible de s’imaginer la dépen ſ e qu’on [180] a faite à couper le Roc, à rendre le terrain uny, & à bâtir tant de beaux logemens. Cette Place e ſ t de figure éxagone 589 , ayant un Ba ſ tion coupé du 587 Ici s’arrête l’évocation des activités du roi à Longwy, l’auteur du Mercure n’ayant pas jugé nécessaire d’en retenir d’autres - ou n’en ayant pas eu connaissance - celles, en particulier, du bienfaiteur qui se répand en libéralités au profit, surtout, de l’église du lieu, et dont on trouve le souvenir dans l’Histoire de Longwy de l’abbé Mussey : « En 1687, le Roi fut voir Luxembourg, & Sa Majesté coucha en allant & revenant à Longwy, y fit plusieurs liberalitez, notamment de 300. Liv. pour un ciboire d’argent à la nouvelle Eglise. » (Op. cit., p. 82-83). Plus loin dans le même ouvrage (p. 148), le fait est confirmé avec quelques précisions supplémentaires : « En 1687. En May le Roi passant par Longwy pour aller à Luxembourg, il [Mussey] obtient de sa Majesté 300. livres pour faire un ciboire d’argent à son Eglise, qui fut fait à Metz, & qui a coûté 205. Livres. Le reste employé au profit de l’Eglise par les Synodaux. » N’est pas mentionnée non plus l’audience procurée par le P. de La Chaise au P. Philippe Georges, Général des Chanoines réguliers de la Congrégation de Notre Sauveur, en charge de rétablir la religion romaine à Strasbourg réuni à la France, ainsi qu’au P. Massu qui l’accompagnait, audience que la maladie du général obligea ce dernier à assumer seul, et qui tourna court : « à peine eut-il [le roi] ouvert la bouche pour me répondre qu’une dame accompagnée de ses filles se vint jeter à ses genoux pour lui présenter un placet ; ce qui l’obligea de poursuivre son chemin et de suprimer [sic] ce qu’il avait commencé à me dire. » (Cit. par Mussey, op. cit., p. 83 n. 1 d’après La Vie du Bienheureux Pierre Fourier du P. d’Hangest, manuscrit de la Bibliothèque de la ville de Nancy). 588 Voir ci-dessus n. 566. 589 À chaque angle du polygone se trouvait un bastion : le numéro 1, à droite de la Porte de France, « Bastion du Bourg », le numéro 2, au-dessus de la vallée, « Bastion Notre-Dame » (voir note suivante), le numéro 3, en direction de Mont-Saint-Martin, « Bastion Saint-Martin », le numéro 4, tourné vers le Coulmys, « Bastion de la Colombe », le numéro 5, vers Soxey et Romain, « Bastion de Luxembourg », le nu- <?page no="202"?> 202 Journal co ſ té des précipices ſ eulement 590 . Il e ſ t ſ oûtenu par deux Demy-lunes 591 , & deux Ravelins 592 . On a mis trois Cavaliers 593 aux endroits foibles, qui découvrent fort loin, & qui ſ eront montez de vingt pieces de Canon. Toutes les Fortifications de cette Place ſ ont d’une tres-grande regu [181] larité ; & ce qu’il y a de ſ urprenant, c’e ſ t que le Roy en ait fait entierement con ſ truire un grand nombre d’autres qui ne ſ ont pas moins fortes, qu’il y fa ſſ e encore travailler tous les jours, & qu’il commence à en faire élever de nouvelles. Il n’e ſ t pas moins étonnant que Sa Maje ſ té voulant mettre ſ es Sujets à couvert des cour ſ es de la Garni ſ on de Luxembourg, en la mettant au rang de ſ es Conque ſ tes, Elle ait fait bâtir [182]Longvvy pour faciliter Ses de ſſ eins, cette Place ayant servy de Maga ſ in pour toutes les provi ſ ions nece ſſ aires à un Siege au ſſ i important qu’a e ſ té celuy de Luxembourg. Comme rien n’altere davantage la ſ anté qu’une forte & continuelle application au travail, M r de Croi ſſ y, qui par une longue ſ uite d’Emplois 594 & par l’occupation que luy donne celuy qui l’attache entierement aujourd’huy 595 , [183] s’e ſ t attiré des douleurs de goute [sic] depuis quelques années, en re ſſ entit de violentes à Longvvy. Cependant elles ne l’empe ſ cherent point de ſ ervir le Roy, en quoy il fut parfaitement bien ſ econdé par M [sic] le Marquis de Torcy 596 méro 6, à gauche de la Porte de France, « Bastion du Château » (voir M. Rideau, Le Pays haut d’antan, op. cit., p. 25). 590 Un bastion coupé est un bastion séparé de la Place par un fossé. S’agit-il du bastion 2, dit « Bastion Notre-Dame », situé au-dessus de la vallée ? 591 Demie-Lune, ouvrage de Fortification fait en triangle dans les dehors d’une place de guerre, ou au devant de la courtine* de la place, & servant à en couvrir la contrescarpe** et le fossé. S’agit-il ici de la demi-lune N° 8, dite « du précipice », qui était au bord de la pente à pic de la vallée ? *Courtine signifie aussi en termes de fortification, le mur qui est entre les deux bastions. ** Contrescarpe : le talus ou la pente qui regarde la place qui luy est opposée. (Dictionnaire de l’Académie, 1694). 592 Ravelin, ouvrage de fortification qui se met ordinairement au devant des portes & de la contrescarpe d’une Place, & qui est composé de deux faces qui font un angle saillant. (Dictionnaire de l’Académie, 1694). 593 Cavalier, sorte de fortification de terre fort eslevée & où l’on met des pieces de canon, soit pour l’attaque, soit pour la défense d’une place. (Dictionnaire de l’Académie, 1694). 594 Voir ci-dessus n. 240. 595 Il s’agit, ici, de la charge de secrétaire d’État aux affaires étrangères que Croissy occupe de 1679, date de la disgrâce de Pomponne (voir note suivante et n. 240), jusqu’à sa mort, en 1696. 596 Jean-Baptiste Colbert, marquis de Torcy (1665-1746). Ce fils de Charles Colbert de Croissy, frère de Colbert et de Françoise Béraud (voir n. 240), neveu, donc, de Colbert, fit toute sa carrière dans les grands emplois de l’État auxquels le portaient <?page no="203"?> 203 Journal ſ on Fils, qui dans un âge fort peu avancé, a déja veu toutes les Cours de l’Europe 597 , en a étudié les manieres, & n’ignore rien de ce qui regarde la Charge dont Sa Maje ſ té luy a accordé la ſ urvivance. ses dispositions naturelles et que lui ouvraient ses parentés. Alors qu’il n’a que vingtquatre ans, il obtient, à la mort de son père, la survivance de la secrétairerie d’État, distinction rare à cet âge (Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 303), mais due sans doute à l’excellente préparation aux grandes fonctions que son père avait eu soin de lui procurer. Toutefois, c’est en 1696 que le roi en personne pose, définitivement, les jalons de ce parcours exemplaire. Louis XIV imagine, en effet, de marier cet homme réfléchi et courtois, si différent en ceci, à la fois de son père et de son oncle, redoutés l’un et l’autre pour la violence de leurs caractères, à Catherine-Félicité de Pomponne, fille de Simon Arnauld, marquis de Pomponne, le célèbre secrétaire d’État aux Affaires étrangères, négociateur de la paix de Nimègue (Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 303). Ce beau-père et ce beau-fils se complétaient d’une manière particulièrement heureuse : « Pomponne et son gendre, écrit Saint-Simon, vécurent ensemble en vrai père et en véritable fils ; il y trouva tout ce qu’il pouvait désirer pour devenir un bon et sage ministre ; il y ajoute du sien toutes les lumières et toute l’instruction qu’il put, dont Torcy sut bien profiter. » (Ibid., p. 658). Aussi, pour cet homme « sage, instruit, extrêmement mesuré » (Saint-Simon, ibid., p. 601), les résultats ne se firent-ils pas attendre : Torcy qui avait fait, dès 1684, dans les deux royaumes de la Péninsule ibérique, puis à Londres, ses premiers pas dans la diplomatie, accède de fait, en 1699, aux charges ministérielles (ibid.) auxquelles s’ajoute, héritage, quasi, de Pomponne, la surintendance des Postes (ibid., p. 658). Une partie importante de ses activités concerne les affaires étrangères : en 1696, il lui revient de diriger les négociations pour la paix de Ryswick, il influe sur les décisions en rapport avec la succession d’Espagne et se prononce, en 1700, pour l’acceptation du testament de Charles II, appelant Philippe d’Anjou au trône de ce pays, cause de la guerre de Succession. La paix d’Utrecht qui met fin, en 1713, aux hostilités et qui laisse à Philippe V le trône, enjeu du conflit, est partiellement son œuvre : c’est lui qui introduit auprès du roi le chevalier de Beringhen « chargé […] d’apporter la nouvelle tant désirée de la signature de la paix ». (Saint-Simon t. IV, p. 628). Son étoile pâlit avec la disparition de son maître : si, dans un premier temps, il fait encore partie du Conseil de Régence constitué par le duc d’Orléans (Saint-Simon, op. cit., t. V, p. 662), l’hostilité du cardinal Dubois, ministre du Régent, l’écarte bientôt de ses charges. Torcy a attaché son nom à la mise en place d’un dépôt permanent d’archives (voir aussi ci-dessus n. 240), d’une académie politique créée en vue de la formation du personnel diplomatique, d’un bureau de presse pour la diffusion des informations et, de ce fait, l’orientation de l’opinion publique. Au niveau spirituel, on a prêté à ce protégé de Pomponne, neveu du Grand Arnauld, des affinités jansénistes (voir, entre autres, Saint-Simon, op. cit., t. IV, p. 643), mais son choix aura, avant tout, été gallican, d’où, à son égard, l’hostilité impénitente des jésuites (voir, entre autres, Saint-Simon, op. cit., t. III, p. 519). 597 « Il avait voyagé, et fort utilement, écrit Saint-Simon, (op. cit., t. I, p. 601) dans toutes les cours de l’Europe. » En fait, Torcy entreprend, de 1685 à 1686, à l’ « âge peu avancé » de 20 à 21 ans, et en compagnie de son précepteur Dupré, un itinéraire <?page no="204"?> 204 Journal [184] La Mai ſ on du Roy e ſ tant ſ i grande, qu’à peine il ſ e pa ſſ e une ſ emaine, ſ ans qu’on apprenne la mort de quelque Officier, on ſ ceut à Longvvy celle de M r Villacienne 598 , Gentilhomme ſ ervant du Roy 599 , & celle de M r de la Planche 600 , européen qui le conduit à La Haye, au Brunswick, à Hambourg, à Copenhague, à Stockholm, à Berlin, à Ratisbonne, à Vienne, à Munich, à Venise, à Rome, à Florence, à Gênes, à Venise, à Turin. Il y acquiert cette connaissance de l’étranger qui fait qu’il « n’ignore rien de ce qui regarde la charge dont Sa Majesté luy a accordé la survivance ». Le cas échéant, en fait de charge, il s’agit de celle de secrétaire d’État que Pomponne, tombé en disgrâce suite aux agissements de Louvois et de Colbert qui lui reprochaient ses sympathies à la fois pour les jansénistes et pour Fouquet, ainsi que sa politique étrangère jugée trop molle, avait dû céder, en 1679-1680, à Croissy (voir ci-dessus n. 240) qui, en plus, « avait obtenu la survivance de cette place pour M. de Torcy, son fils […] ». (Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 303). 598 Aucun personnage de ce nom n’est mentionné dans L’État de la France de 1687 au chapitre des Chevaliers servants. Il pourrait s’agir d’une corruption de nom, Villacienne tenant pour Ville-Russien, titre de M. Baudinot, Sieur de la Salle, qui figure au nombre des Chevaliers Servants du quartier de juillet (L’État de la France, op. cit., t. I, p. 58). 599 Les Gentilshommes servants exercent alternativement les fonctions de Panetier, d’Échanson et d’Écuyer tranchant. Ils ne servent que les têtes couronnées, les Princes du sang et les souverains invités par le roi. Le jour de la Cène, ils sont associés aux princes du Sang et aux seigneurs de la Cour pour apporter au roi les plats qu’il sert aux treize enfants de la Cène*. Depuis la Déclaration du roi du 17 octobre 1656, ils ont droit aux qualités de Chevalier et d’Écuyer et en portent les armoiries timbrées ; ils sont exemptés de certaines impositions comme les tailles et ont droit à sept cents livres de gages dont, toutefois, ils ne touchent que la moitié. Ils ont bouche à la Cour, à la Table du Serdeau, c’est-à-dire à la table où l’on portait la desserte de la table du roi. Ils ont rang à toutes les grandes cérémonies de la monarchie comme le sacre du roi, son entrée dans Paris, le baptême de l’héritier du trône. Dans la hiérarchie des offices, ils se placent immédiatement après les Maîtres d’Hôtel. La Déclaration du mois d’avril 1654 fixe leur nombre à trente-six qui prêtent serment de fidélité au roi entre les mains du Grand Maître (L’État de la France, op. cit., t. I, p. 55-57). *Treize Enfants de la Cène : Le Jeudi saint, le roi servait des plats à treize enfants pauvres ; ces plats lui étaient présentés par les Fils de France, les princes du sang, les principaux seigneurs de la Cour et par les gentilshommes servants (voir Cérémonial de France, op. cit., p. 135). 600 Dans L’État de la France, op. cit., t. I, Partie I, p. 128, le sieur Bonaventure de La Planche, sieur de Cressy, figure au quartier de juillet des Valets de Chambre. Un document des Archives Nationales [O1 31, fol. 217 v°] permet de fixer la date de sa mort au 14 mai 1687 : « Ordonnance de décharge de 660tt pour gages de Louis Bonaventure de la Planche, dont Sa Majesté a fait don à Margueritte de Cousnau, encore que led. La Planche n’ayt servy que le quartier estant décédé le 14 may 1687. » (Renseignement fourni par M. Mathieu Da Vinha, auteur de l’ouvrage Les valets de chambre de Louis XIV, coll. « tempus », Paris, Perrin, 2004). Les Valets de Chambre, qui dépendent du Grand Chambellan, étaient au nombre de trente-deux et servaient donc à huit par quartier ; ils touchaient six cents livres de gages. La qualité d’écuyer leur était accordée et confirmée par plusieurs arrêts ; ils <?page no="205"?> 205 Journal Valet de Chambre de Sa Maje ſ té, la premiere dépendant de Monfieur le Prince, comme Grand Mai ſ tre de la Mai ſ on du Roy 601 , & l’autre de sa Maje ſ té, parce que le défunt n’e ſ tant point [185] marié, n’avoit point d’enfans à qui ce Prince en euft pû donner la ſ urvivance. M [sic] de Seignelay, qui avoit fait le Voyage de Dunkerque avec une diligence ſ urprenante, depuis que le Roy e ſ toit party pour Luxembourg, joignit Sa Maje ſ té à Longvvy, & luy fit le rapport de l’e ſ tat des Fortifications de cette premiere Place. Je vous en ferois icy le détail, ſ i je n’e ſ tois obligé de le remettre à un autre temps [186] à cau ſ e de la quantité de cho ſ es curieu ſ es que j’ay encore à vous apprendre touchant le voyage de Sa Maje ſ té. Je vous diray cependant que le Risban 602 , les Jettées 603 , les avaient bouche à la Cour, à la table dite des Valets de Chambre. Ils étaient de service lors de l’habillement et du déshabillement du roi : ils lui avançaient son fauteuil, lui tendaient sa robe de chambre qu’ils déposaient sur ses épaules, lui présentaient le miroir : c’étaient aussi les valets de chambre qui faisaient le lit du roi que l’un d’eux était chargé de garder toute la journée, placé sur l’estrade, à l’intérieur des balustres de l’alcôve. D’autre part, il leur revenait de veiller à ce que l’officier du Goblet fît l’essai du pain, du vin et de l’eau destinés au roi (voir État de la France, op. cit., t. I, Partie I, p. 129-131). 601 Le Grand Maître de la Maison du Roi, ou Grand Maître de France était le chef et le surintendant de la Maison royale dont il gérait le budget ; il présidait aux sept offices de la Bouche, le plus considérable des départements de la Cour. Comme signe de son autorité, le Grand Maître portait la verge de commandement et avait de nombreux privilèges protocolaires, notamment à l’occasion des funérailles du souverain (voir État de la France, op. cit., t. I, p. 38-43 et M. Marion, Dictionnaire des Institutions, op. cit., p. 266 et p. 408). On trouve chez Saint-Simon une description explicite de la charge de Grand Maître de France comparée à celle de major-dome de la Cour de Castille (op. cit., t. I, p. 841 et s.). 602 Le risban, du néerlandais risbank, banc de branchages, est un terre-plein garni de canons. Dès le mois d’août 1679, Colbert avait fait part à Vauban de la décision du roi de faire construire, à partir de 1680, un risban sur le grand canal de Dunkerque, pour défendre l’entrée du canal et le côté de la citadelle. Le 5 novembre de la même année, Vauban, qui avait fait la prospection des lieux, adressait à Seignelay un volumineux Mémoire, en 59 articles, sur « les propriétés particulières du risban de Dunkerque », ouvrage « qui aura le plus de réputation dans les pays étrangers ». Le 28 décembre 1682, alors que les travaux étaient pratiquement achevés, il déclare : « Le risban est le plus bel ouvrage fait en Europe. La maçonnerie est bien faite et la charpente très belle. Je n’aurai jamais été aussi content d’un ouvrage que celui-là [sic] », et, quelques années plus tard, il en donne cette description impressionnante : « Il y a dans ce fort une belle cour de 30 toises entourée de bâtiments magnifiques. Il y a de beaux et grands magasins pour l’artillerie et les munitions et de grandes citernes. Ce fort a des embrasures sur sa plate-forme pour 45 pièces de gros canon. » (Voir J. Peter, Vauban et Dunkerque, Paris, Economica, 2000, p. 39-52). 603 Pour mieux défendre la place, Vauban avait proposé de couper le banc de sable qui bouchait l’entrée du chenal (le banc Schurken), d’aménager des jetées des deux côtés de la coupure et de nettoyer le nouveau chenal ainsi aménagé par des chasses <?page no="206"?> 206 Journal Eclu ſ es 604 & le Ba ſſ in pour les Vai ſſ eaux 605 , ſ ont des choses ſ i extraordinaires à Dunkerque qu’à moins de vous en faire de ſ cription, quelques paroles dont je pusse me ſ ervir pour vous marquer la beauté de ces Ouvages, il me ſ eroit impo ſſ ible de vous rien [187] faire concevoir qui en approcha ſ t, & vous auriez me ſ me encore beaucoup de peine à vous les repre ſ enter tels qu’ils font, ſ i vous ne les aviez vûs. Le Roy e ſ tant party de Longvvy le 21. entra dans le Luxembourg, & dîna à Chera ſſ e 606 , premier village de la Province du co ſ té de France. Le Païs par où l’on entra, n’a pas tant de Bois ny de Montagnes que les autres Cantons de cette Province. Ce ſ ont des Plaines gra ſſ es & fertiles, [188] remplies de tresd’eau. Ces travaux furent entrepris à partir du mois de juin de l’année 1678, et le chenal fut protégé par deux jetées de six cents toises (1200 mètres) séparées par un intervalle de cinquante toises (M. Millon, Les fortifications de Dunkerque à travers les âges, Saint-Omer, Imprimerie L’Indépendant, 1967, p. 97. Voir aussi, J. Peter, Vauban et Dunkerque, op. cit., p. 95-110). 604 Dans son étude sur l’œuvre de Vauban, N. Faucherre précise « [q]u’un système très complexe d’écluses fut conçu par Vauban permettant à marée basse de déclencher un fort courant provenant de quatre canaux remplis pendant la phase de montée des eaux ». (N. Faucherre, « L’œuvre de Vauban et des ingénieurs militaires », dans Cahiers du Patrimoine, 1995, cit. par J. Peter, Vauban et Dunkerque, op. cit., p. 111). Vauban lui-même fournit des détails sur les écluses et les quatre canaux dans son Mémoire sur l’entrée du port de Dunkerque, adressé à Louvois en date du 16 janvier 1677 : « Présentement, il y a quatre grandes écluses, l’écluse Bleue, celle de Bergues, de la Moëre et de Furnes, et les fondements pour en bâtir une cinquième dont partie de la fondation et des matériaux se trouvent sur les lieux provenant de l’ancienne écluse de Bourbourg, qui toutes ensemble auront une ouverture de 76 pieds de large, et également un bassin de stockage et quatre grands canaux […]. De ces canaux, trois peuvent recevoir les marées, et le quatrième, celui de la Moëre, fournira assez d’eau grâce à l’abondance de son lac. » (Cit. par J. Peter, op. cit., p. 117). 605 La mise en valeur du bassin du port de Dunkerque était, surtout depuis 1670, une préoccupation constante des autorités. Au mois de juin de cette année, Gravier entretenait à ce sujet une correspondance avec Colbert suivie, à partir de 1678, de celle avec Vauban. Celui-ci, partant d’une capacité de vingt à vingt-cinq navires, en envisagea, en 1684, une amplification portant le nombre des navires à quarante, puis revint à des dimensions de nouveau plus modestes. Le 30 décembre de l’année 1686, il annonça à Seignelay la fin prochaine des travaux qui, en effet, arrivaient à leur terme provisoire en 1688 (voir J. Peter, op. cit., p. 157-163). 606 Le texte de Dangeau permet d’identifier cette localité. Pour la date du mercredi 21 mai, le Journal note ceci : « Le roi dîna à Niederkersin & vint coucher à Luxembourg,… » (op. cit., t. II, p. 208. Voir ci-dessous p. 374). Il s’agit de l’actuel Niederkerschen ou Bascharage. Cherasse pour Charage, comme le prouve la relation de la journée du 21 mai dans les Mémoires de Sourches : « Le 21, le Roi vint dîner à Niederkerschen, autrement Basse-Charache, … » (op. cit., t. II, p. 51 ; voir ci-dessous p. 386). <?page no="207"?> 207 Journal bons grains. Les Villages y ſ ont en a ſſ ez grand nombre, mais les mai ſ ons n’en ſ ont pas entierement rétablies. En approchant de la Ville de Luxembourg, on voit de toutes parts des trous, de ſ quels on a tiré de la brique, & de la chaux & d’autres materiaux 607 , pour les nouvelles Fortifications d’un Ouvrage qui va au delà de tout ce que l’on en peut concevoir. L’a ſ pect de la Ville e ſ t beau du co ſ té de Fran [189] ce. Le plan paroi ſ t égal par tout, & les édifices ſ ont grands & magnifiques. On découvre plu ſ ieurs Egli ſ es couvertes d’ardoi ſ es 608 , des cazernes, des Maga ſ ins, des mai ſ ons con ſ idérables. Celles des particuliers ſ emblent e ſ tre bâties de ſ imetrie ; mais lors qu’on e ſ t dans la Ville ; on e ſ t ſ urpris de ce qu’on n’a découvert qu’une partie des Fortifications. Elles ſ ont toutes irregulieres, & continuées ſ uivant l’étenduë du terrain, dont [190] la ſ ituation peut étonner des A ſſ iegeans qui o ſ eroient l’attaquer. Je devrois vous parler icy de l’origine de cette Place, vous entretenir des Ducs qui en ont porté le nom, & vous en faire comme un abregé d’Hi ſ toire ; mais j’ay amplement parlé de toutes ces cho ſ es dans le Volume que je vous ay envoyé du ſ eul Journal du Siege 609 que le Roy fit lors qu’il joignit la Ville de Luxembourg à ſ es premieres [191] Conque ſ tes. Ain ſ i je me contenteray de vous envoyer le revers de la Medaille qui fut faite en ce temps-là, & que j’ay pris ſ oin de faire graver. Le portrait du Roy ſ e voit ſ ur la face droite. Je ne vous dis rien du revers, vous le pouvez voir 610 . 607 Dans sa lettre à Louvois datée de Luxembourg le 29 juin 1684, Vauban fait allusion à ces travaux de mise à disposition des matériaux nécessaires aux modifications des fortifications ordonnées par le roi à l’issue du siège : « Il y a quelques [sic] 350 hommes à l’ouvrage présentement, sans compter ceux qui travaillent à la chaux, au bois et aux carrières, ni les charretiers. » (Cit. par J. Dollar, Vauban à Luxembourg, Luxembourg, RTL Édition, 1983, p. 73). 608 À Luxembourg, la tradition de la toiture en ardoise remonte à l’incendie du 11 juin 1554, suite auquel Charles-Quint, par une ordonnance du 22 octobre 1555, avait prévu que les propiétaires consentant à remplacer la paille par l’ardoise se verraient restituer sur les fonds du receveur principal la moitié des frais consentis. La volonté de l’empereur - qui avait abdiqué le 25 octobre, trois jours après l’ordonnance - n’étant que médiocrement exécutée, Philippe II, son successeur, revint à la charge en enjoignant par une patente du 21 octobre 1567 au receveur principal Michel Breisgen de dédommager à raison de 50% des frais de l’ardoise, tous ceux qui avaient déjà procédé ou qui procéderaient encore à l’opération. Dans le même ordre d’idées, le Conseil provincial imposait aux propriétaires, sous peine d’amende, de remplacer dans un délai raisonnable la paille par l’ardoise (Eustache de Wiltheim, Chronique, cit. par J.-P. Koltz, Baugeschichte der Stadt und der Festung Luxemburg, Luxembourg, V. Bück, 1944, t. I, p. 87-88. 609 Histoire du Siege de Luxembourg Par l’Autheur du Mercure Galant, op. cit. 610 Nous reproduirons l’avers et le revers de cette médaille à la suite du texte du Mercure (voir ci-dessous p. 310. Dans l’original, qui ne retient pas l’avers, le revers figure en face de la page [191]. <?page no="208"?> 208 Journal Ce Prince fut receu à la Porte 611 par le Major de la Place 612 , & traver ſ a la Ville au milieu de ſ ix rangs de ceux de la Garni ſ on qui e ſ toient sous les armes, & en haye, jusques [192] au lieu où Sa Maje ſ té alla de ſ cendre. Ils firent trois ſ alves, mais on ne tira le Canon qu’aprés l’arrivée du Roy 613 , parce que cela auroit marqué une Entrée, & qu’il avoit déclaré qu’il ne ſ ouhaitoit point qu’on luy en fi ſ t 614 . Les Bourgeois vinrent luy offrir leurs hommages. Les ruës étoient 611 Le roi entra dans la ville par la Porte Neuve. Voir F. Lascombes, Chronik der Stadt Luxemburg, 1684-1795, Luxemburg, Eigenverlag des Autors, Imprimerie Centrale, 1988, p. 49. D’après l’abbé Feller, l’événement se produisit entre 13 et 15 heures : Hodie intra 1 mam [primam] et 3 iam [tertiam] vesperi hic appulit Ludovicus decimus quartus Christianissimus Rex… (Chronique, op. cit., f. 369, col. 1, notice du 21 mai). 612 Le « Major de la Place » est « l’officier qui y commande après le Gouverneur, & le Lieutenant de Roi. Il a soin de la garde, de la patrouille, des fortifications de la place ». (Dictionnaire universel […] par feu messire Antoine Furetière […] 2 e édition revue, corrigée et augmentée par M. Basnage de Beauval, La Haye et Rotterdam, Arnoud et Reinier Leers, 1702 t. II, p. 180). L’État de la France de 1687, op. cit., t. II, p. 447, signale comme « Major » M. de la Para. S’il s’agit bien de l’officier qui a accueilli le roi à l’entrée de Luxembourg, il aura été en fin de mandat, puisque le recensement de début janvier 1688, soit à peine une demi-année plus tard, signale comme « Sr. Maior de la Place », habitant dans la partie nord de l’actuelle avenue Monterey une maison appartenant au « Sr. Lalloir », un certain Pierre-Joseph Darques (voir Table de dénombrement de la Ville [début janvier 1688], Archives de la Ville de Luxembourg Registre 39, Pièces, lettres et ordonnances diverses. 1597- 1780. Paroisse de St Nicolas située en la Ville haute, dans F. Lascombes, La Ville de Luxembourg pendant la seconde moitié du 17 e siècle, Publications de la Section historique de l’Institut grand-ducal, vol. IC, Imprimerie J. Beffort, 1984, p. 272). D’après la Chronique de François-Sébastien de Blanchart (*1674), le roi fut accueilli par le maréchal de Bouflers, gouverneur, qui le conduisit à l’hôtel du gouvernement « à la porte duquel il luy présenta feu M. Wolf-Henry, baron de Metternich, chevalier, justicier des nobles et mareschal héréditaire de cette province à la teste d’un gros corps de noblesse d’icelle… ». (J. Peters, Sebastian Franz de Blanchart und seine Luxemburger Chronik, Luxembourg, Victor Bück/ Léon Bück, 1897, p. 55). Il ne faut pas oublier cependant que le maréchal de Bouflers est allé au-devant du roi à Longwy (voir cidessus p. 197-198). Dans sa Chronographie d’un règne, établie à partir de la Gazette, C. Levantal signale que les magistrats de la ville qui saluent le roi sont le justicier, François Boud[é]ry, et les six échevins (voir Louis XIV. Histoire d’un règne, Gollion (CH), Infolio éditions, 2009, t. II, p. 500 et n. 4286). Mais s’agit-il de l’accueil à la Porte ? La Gazette ne fournit aucun détail à ce sujet. 613 En cas d’entrée royale, le canon tonne au début de la cérémonie (voir Le Roi dans la ville. Anthologie des entrées royales dans les villes françaises de province (1615-1660). Textes introduits et annotés par M.-F. Wagner et D. Vaillancourt, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 15 ; p. 195). 614 Ce refus de l’« entrée », qui s’inscrit dans le refus des harangues, imposé à toutes les étapes du voyage (voir ci-dessus n. 461), peut s’expliquer par l’idéologie même des entrées royales, désuètes à l’époque d’une monarchie absolue et de moins en <?page no="209"?> 209 Journal toutes tapi ſſ ées de branches d’arbres ſ uivant la coûtume du Païs. Pendant le Soupé du Roy qui dura deux heures 615 , ils allumerent un feu de joye 616 dans [193] le Pâté qui e ſ t entre le Paffendal & le Grompt vis-à-vis les fene ſ tres du Palais du Gouverneur 617 , prés de la Riviere. Toutes les ruës furent illuminées, moins itinérante. Si la ville de la Renaissance et du baroque, autant que le souverain qu’elle recevait, se fêtait elle-même à travers les pompes qu’elle déployait pour son accueil, et mettait en évidence ses propres droits et privilèges, celle du XVII e siècle, de plus en plus tributaire du pouvoir central, n’avait plus à se confirmer dans un cérémonial qui pouvait paraître suspect au Prince, désormais seul maître. Aussi bien est-il vrai que la dernière entrée royale était celle de 1660, pour l’accueil de la reine Marie-Thérèse, magnifique, certes, et comme un ultime feu d’artifice d’un genre voué à la disparition. (Pour toute cette problématique, voir Le Roi dans la ville. […], op. cit., p. 9-22). Dans le cas de Luxembourg, dans l’optique du peu de marge laissé aux États provinciaux, l’absence de l’« entrée » peut paraître particulièrement significative. Pour l’effacement de facto des États provinciaux opéré par l’autorité française, voir P. Margue, « Assujettis ou sujets ? Les Luxembourgeois sous Louis XIV », dans Les relations Franco-luxembourgeoises de Louis XIV à Robert Schuman. Actes du Colloque de Luxembourg, 17-19 novembre 1977. Publiés sous la direction de R. Poidevin et de G. Trausch, Centre de Recherches Relations Internationales de l’Université de Metz, Metz, 1978, p. 27. L’auteur relève plus particulièrement que « les États ne parurent pas comme tels lors de la visite du roi en 1687 ». (Ibid., n. 38). On notera cependant que la Gazette de France, dans son article du 31 mai 1687 relatif à l’arrivée du roi à Luxembourg, ne confirme pas expressément cette donnée du Mercure, suggérant au contraire que le canon a tonné au moment de l’entrée : « Le 21 [Sa Majesté] partit de Longwy & arriva de bonne heure à Luxembourg, au bruit du canon & de trois salves generales de mousqueterie. » (Voir ci-dessous p. 368). Il est vrai que rien ne défend d’imaginer que cet accueil tonnant se fit immédiatement après l’entrée proprement dite. 615 Était-ce à l’occasion de ce souper que l’on avait présenté au roi ce fameux plat de lentilles, spécialité du pays, qui défraye depuis la chronique ? De toute façon, Sébastian Franz de Blanchart évoque l’épisode dans le cadre de sa relation de la première journée luxembourgeoise de Louis XIV : « Et comme le roy estoit accoutumé d’être servis [sic] dans les lieux où il entroit la première fois d’un met [sic] dont il n’avoit pas encore goûté, on luy présenta à Luxembourg un plat de lentilles, qu’il n’avoit encore jamais mangé. » (Luxemburger Chronik, dans J. Peters, Sebastian Franz de Blanchart und seine Luxemburger Chronik, op. cit., p. 55). Dans son étude sur Louis XIV à Luxembourg, Luxembourg, Bourg-Bourger, 1917, p. 4, n. 8. T. Wenger, citant Blanchart, lui laisse « toute la responsabilité de ce détail dont nous n’avons trouvé la confirmation nulle part ». On considérera cependant que l’auteur, né en 1674 et donc âgé de treize ans au moment de la visite royale, élève, pendant trois années du Collège des Jésuites de Luxembourg, a pu avoir, par transmission orale, des renseignements assez fiables. 616 Voir annexe 9, p. 331-332. 617 Voir ci-dessous n. 662. <?page no="210"?> 210 Journal & ces illuminations continuerent pendant tout le temps que Sa Maje ſ té demeura à Luxembourg 618 . La façade de l’Ho ſ tel de Ville parut éclairée par plus de deux cens Lanternes, remplies de Devi ſ es à la gloire de ce Prince 619 . Les Clochers e ſ toient en feu 620 , & quantité de flambeaux [194] de cire blanche brûlerent toute la nuit devant la mai ſ on du Maire 621 . Toutes ces illuminations furent accompagnées de cris de Vive le Roy 622 . Sa Maje ſ té fut gardée par un Bataillon de Champagne, commandé par M r le Baron de la Co ſ te 623 . La Ville e ſ toit plus remplie d’Etrangers que de gens de la ſ uite de la Cour, ſ ans compter les Gouverneurs, les Lieutenans de Roy, les Officiers des Garni ſ ons d’Al ſ ace, de Lorraine, [195] & de Flandre, qui avoient eu permi ſſ ion de venir. M r l’Eve ſ que 624 , & M r le premier Pre ſ ident du Parlement de 618 Voir annexe 10 (p. 333-334) : Ordonnance du Magistrat de la Ville datée du 20 juin 1687 et concernant le remplacement des matériaux employés à l’éclairage des rues pour la durée du séjour du roi. 619 On verra dans l’annexe 11 (p. 335-336) que les pièces de comptabilité relatives à l’illumination de l’Hôtel de Ville ne parlent pas de lanternes, mais d’une livraison de cierges pesant cent-trente-cinq livres (de poids) et coûtant trente-sept livres dix sols. En revanche, une autre pièce, toujours relative à l’illumination de l’Hôtel de Ville, et que nous reproduisons dans l’annexe 13 (p. 339-340), sans mentionner des lanternes, donne cependant la description de ce qui pourrait être un réceptacle fait en papier huilé et orné des emblèmes de la monarchie, fleurs de lis, soleil, couronne, destiné peut-être à accueillir les cierges. On trouvera en annexe 14 (p. 345-347) une autre pièce relative à la décoration de la façade de l’Hôtel de Ville. 620 Voir annexe 13 (p. 339 et s). 621 Jean-Nicolas Grosjean ? (Voir Lascombes, Chronik der Stadt Luxemburg, op. cit., p. 50). 622 On notera ici que le Mercure n’aligne qu’une partie des ornements consentis pour la célébration de la présence royale. Les pièces des Archives en mentionnent d’autres, ainsi la fontaine de vin spécialement aménagée pour l’occasion (voir annexe 15, p. 348) et les dépenses somptuaires pour l’habillement et l’armement des sergents de ville (voir annexes 16 et 17, p. 352-355). 623 Il n’a pas été possible de trouver des détails concernant ce personnage. 624 En 1687, l’évêque de Metz était Georges d’Aubusson de La Feuillade (1609-1697). Ce frère du maréchal de La Feuillade a d’abord été, en 1648, archevêque d’Embrun avant d’être nommé, en 1668, au siège épiscopal de Metz « avec, tout, écrit Saint-Simon, ce qui lui fallut de Rome pour conserver le rang et les honneurs d’archevêque » (op. cit., t. I, p. 378). Le prélat, « homme de beaucoup d’esprit, avec du savoir » et qui se signala, dans les assemblées du clergé, « par sa capacité et son éloquence » (ibid., p. 377) fit aussi une belle carrière diplomatique : il fut ambassadeur à Venise, en 1659, puis en Espagne, en 1661, où il manœuvra habilement, et avec succès, dans l’affaire de la préséance des ambassadeurs de France sur ceux d’Espagne (ibid., p. 377-378). Ce politique n’en fut pas moins pasteur, « bon évêque résident et fort appliqué à ses devoirs » (ibid., p. 378). <?page no="211"?> 211 Journal Mets 625 , y e ſ toient au ſſ i venus, avec tout ce qu’il y a de plus di ſ tingué dans la me ſ me Ville, ſ uivy d’un grand peuple, que la curio ſ ité de voir le Roy y avoit attiré. Il y e ſ toit pa ſſ é plus de dix mille hommes de Treves, de Cologne, de Mayence, de Juliers, de Hollande, & de la Flandre E ſ pagnole ; & l’on eu ſ t dit [196] que toute la Champagne s’y e ſ toit renduë pour remercier le Roy d’avoir pris cette Place, afin de la delivrer des cour ſ es de ſ a Garni ſ on. M r de Louvois y e ſ toit arrivé le jour precedent, aprés avoir fait un Voyage de deux cens cinquante lieuës 626 depuis que Sa Maje ſ té e ſ toit partie de Ver ſ ailles pour aller à Luxembourg. Cette diligence ne paroi ſ troit pas croyable, ſ i ce n’e ſ toit une de ces cho ſ es de fait dont on ne ſ çau [197] roit douter. Ce Mini ſ tre rendit compte au Roy de ſ on Voyage pendant que Sa Maje ſ té demeura à Luxembourg, & je vous en feray le détail, avec celuy de ce qui s’e ſ t pa ſſ é dans le temps de ce ſ ejour, mais il faut auparavant vous faire la de ſ cription de cette Place. Tous ceux qui l’ont veuë avant le Siege, la regardent avec un étonnement qu’il ſ eroit difficile d’exprimer, & ſ ont fort ſ urpris d’avoir à [198] chercher Luxembourg dans Luxembourg me ſ me. On ne reconnoi ſ t plus cette Place que par quelques Edifices publics, pre ſ que tous ruinez dans la Journée des Carca ſſ es 627 , & dans la ſ uite du Siege, & rétablis dans une plus grande perfection, par les ſ oins & par la pieté du Roy. On m’a a ſſ uré que la Ville e ſ t grande 625 Depuis 1681 et jusqu’en 1693, date de sa mort, le premier président du Parlement de Metz était Guillaume de Sève, seigneur de Châtillon, un des représentants les plus brillants de l’histoire de la magistrature messine. À partir de 1691, il exerça en outre les fonctions d’intendant de Metz, du duché de Luxembourg et du comté de Chiny. Dans son Histoire du Parlement de Metz, Paris, J. Techener, 1845, p. 237-240, É. Michel évoque, témoignages à l’appui, la figure prestigieuse de ce magistrat et administrateur. 626 974,5 km. 627 Le Dictionnaire de l’Académie de 1694 définit la carcasse comme « une sorte de bombe qui se tire avec le mortier dans les places assiégées, & jette du feu & des flammes de tous costez ». Il ajoute l’exemple suivant : On brusle tout un quartier de la ville avec des carcasses. L’épisode de la « Journée des Carcasses » se place dans le contexte du blocus de la Ville par les Français (1 er septembre 1683 - 28 avril 1684) : il s’agit du bombardement violent ordonné par Louvois pendant les trois jours précédant Noël de l’année 1683. Les pionniers français ayant mis en place deux batteries à onze, respectivement à quatre mortiers au Kéibierg [Fetschenhof/ Cents], 2827 bombes et 447 carcasses s’abattaient sur la ville pendant la période du 22 au 25 décembre, causant d’importants dégâts : tous les toits, plus particulièrement, avaient brûlé et ne permettaient plus l’approvisionnement des citernes, détruites également, pour la plupart, en eau de pluie. D’autre part, le grand nombre de maisons devenues inhabitables, avait obligé la population de s’établir dans les caves (voir A. Bruns, « Le siège de Luxembourg 28 avril - 4 juin 1684 », dans Cahiers d’études et de recherches du musée de l’Armée, hors série n° 3, « Vauban, la Guerre, la Gloire (1707-2007) », p. 118 et p. 120). La Chronique de l’abbé Feller donne, de ces jours atroces, une relation <?page no="212"?> 212 Journal deux fois comme Saint Germain en Laye, & j’ay vû deux Relations qui le marquent 628 . Je ne vous garantis pas [199] que cette grandeur ſ oit ju ſ te. On peut s’abu ſ er dans les cho ſ es qu’on écrit ſ ur le rapport de ſ a veuë ; cependant on peut concevoir par là une idée approchante de la grandeur d’un lieu dont on ſ ouhaite avoir connoi ſſ ance 629 . La Place d’armes de Luxembourg peut contenir environ deux mille hommes rangez en bataille. Les ruës ſ ont larges, & il y en a douze ou quinze con ſ iderables. Les [200] Bâtiments y ſ ont de deux étages au moins. Ils ſ ont a ſſ ez étroits, mais presque tous d’une me ſ me simetrie. La Cour y e ſ toit a ſſ ez bien logée. Le Commerce n’y e ſ t pas grand, mais la Garni ſ on y fait rouler beaucoup d’argent par ſ es dépen ſ es. On a e ſ té obligé de prendre des Domaines, & des Jardins à quelques Bourgeois, & à quelques Païsans, mais ils en ont e ſ té largement indemnisez. L’Ho ſ tel de Ville e ſ t petit, & [201] ſ a façade n’e ſ t pas large 630 . poignante dans sa brièveté : […] nam hodie circa decimam Mat ex improviso coeperunt explodere […] Globos igneos vulgo Bombas au Carcasse dictos et continuarunt per tres dies tanto furore ut terribilius nil unquam visum aut auditum fuerit, post tres primos dies continuarunt adhuc per duos sed non ita terribiliter (op. cit., f. 287, col. 2). Une relation plus détaillée figure dans la Chronique luxembourgeoise (op. cit., p. 48) de Sébastien François de Blanchart qui évoque plus particulièrement les endommagements subis par les églises et abbayes de Munster, de Saint-Michel, de la Congrégation Notre-Dame. 628 Faute de précisions, il n’a pas été possible d’identifier ces deux Relations. 629 D’après la liste établie pour le recensement de janvier 1688, soit une demi-année après la visite du roi, la ville (ville haute et ville basse) devait compter six cent trente-quatre maisons, la population étant à évaluer à plus de quatre mille cinq cents têtes (voir F. Lacombes, La Ville de Luxembourg pendant la seconde moitié du 17 e siècle. Habitations et habitants, op. cit., p. 249-250, listes X et Xa). La formulation <dont on souhaite avoir connoissance>, suggère-t-elle que Donneau de Visé n’a pas eu cette connaissance et que donc il n’a pas été à Luxembourg, s’en remettant de tout aux relations qui lui sont fournies ? 630 L’actuel Palais grand-ducal. Un premier hôtel, détruit en 1554 par une explosion de poudre, fut remplacé en 1572 par une nouvelle construction, conçue probablement à Madrid ou à Bruxelles, et surveillée, ainsi que partiellement financée, par Adam Roberti, alors beaumaître de la Ville. En fait, la façade de 1572 - et qu’a vue le rédacteur du Mercure - se réduit à l’espace contenu entre les deux tourelles, encore visibles aujourd’hui ; le reste de l’imposant édifice tel qu’il se présente de nos jours date d’adjonctions exécutées ultérieurement au voyage de Louis XIV, plus particulièrement en 1741 et en 1780. Si l’hôtel a pu paraître « petit » à un observateur habitué aux volumes parisiens ou versaillais, on notera cependant qu’il a omis de préciser que la qualité, ici, est bien supérieure à la quantité. La façade, en effet, en style Renaissance, et où certains voient l’influence de Pierre-Ernest de Mansfeld, alors Gouverneur, compensait par ses somptuosités ce qui pouvait manquer aux <?page no="213"?> 213 Journal La Paroi ſſ e e ſ t étroite 631 , & il n’y a qu’un doyen 632 , & dix Eccle ſ ia ſ tiques ; un plus grand nombre n’e ſ t pas nece ſſ aire, puis que les Religieux qui ſ ont dans le me ſ me lieu, les déchargent pre ſ que de tous les ſ oins qui regardent les dimensions (pour plus de détails, voir, dans l’ordre chronologique, les publications suivantes : N. Van Werveke, Das grossherzogliche Palais zu Luxemburg : Festschrift zur Feier des achtzigjährigen Geburtstages S.K.H. des Grossherzogs Adolph von Luxemburg, Luxemburg, s.n., 1897, M.-P. Jungblut, « L’hôtel de ville au ‘Novum forum’ : les fonctions du palais de Luxembourg dans l’histoire », dans 100 Joer Lëtzebuerger Dynastie : collections et souvenirs de la Maison grand-ducale. Catalogue de l’exposition au Musée national d’histoire et d’art, Luxembourg, 30 novembre 1990 au 6 janvier 1991, Luxembourg, Ministère d’État, 1990, p. 31-34). Il est opportun, aussi, de renvoyer à l’évocation de l’immeuble dans les Voyages curieux et utiles de Pierre Alexandre Cyprien Merjai (1760-1822) dont une copie manuscrite est conservée à la Bibliothèque Nationale de Luxembourg, Ms 240, et qui tient compte à la fois des agrandissements intervenus postérieurement au voyage du roi et des splendeurs de l’équipement intérieur, celui, en particulier, de la grande salle équipée de « glaces comme il y en a dans la grande Galerie de Versailles… » (vol. 25, f. 2072 r°). 631 Il s’agit de l’église paroissiale Saint-Nicolas sise devant l’actuelle Chambre des Députés et la partie Sud de l’actuel Palais grand-ducal. Les origines du sanctuaire remontent à 1120. Les Notices supplémentaires figurant en annexes du Luciliburgum sacrum, (Origines Basilicarum, Ecclesiarum, Templorum etc. Luxemburgensis urbis et suburbiorum […], Luxembourg, Imprimerie Centrale Gustave Soupert, 1928, p. 342) inspirées des Voyages curieux et utiles de P.-A.-C. Merjai et de l’Essai sur l’Histoire de Luxembourg de J.-F. Pierret, indiquent que « ce temple […] ne consistait que dans une seule nef haute de 35 pieds, longue de 89 et large de 29 », dimensions qui correspondent à 11,38 respectivement 28,9 et 9,4 mètres. Dans son étude détaillée sur L’Ancienne Eglise Saint Nicolas de Luxembourg, parue dans Ons Hémecht, 1937, année 43, cahiers 1 et 2, p. 28, P. Wurth-Majerus reprend ces données en précisant qu’elles « cadrent fort bien avec le plan qui se trouve à Paris au musée des Invalides, dressé le 8 octobre 1691 ». L’édifice fut démoli en 1779, après que le siège de la paroisse avait été transféré à partir du 10 mai 1778, et avec l’autorisation de l’impératrice Marie-Thérèse, à l’église des Jésuites - actuelle cathédrale - devenue disponible suite à la la dissolution de la Société en 1773 (voir aussi Luciliburgum sacrum, op. cit., p. 341-343). 632 En 1687, c’est Antoine Feller, l’auteur de la chronique citée à plusieurs reprises ; il était en charge de Saint-Nicolas de 1674 à 1716. Né en 1636 à Septfontaines, où son père était officier de la seigneurie du lieu, il fit ses humanités au collège de Luxembourg avant de pousuivre des études de philosophie et de théologie chez les Jésuites de Trèves. Ordonné prêtre en 1661, il obtient la même année sa première cure à Waldbredimus, où il institue la confrérie de la doctrine chrétienne. Lorsque, le 17 novembre 1673, le curé de Saint-Nicolas, Jacob Deisinck, s’éteignit, le prince-gouverneur Philippe de Chimay lui proposa le poste vacant ; il fut installé le 1 er janvier 1674. Le 28 février 1679, Antoine Feller fut élu doyen de la chrétienté de Luxembourg, à l’unanimité du chapitre. Il disparut le 8 décembre 1717. Le doyen Feller était à la fois un homme d’études et d’action. L’inventaire de sa bibliothèque <?page no="214"?> 214 Journal Pa ſ teurs 633 . Il y a quarante-cinq Religieux dans le Convent des Recolets, dont la moitié ſ ont François, & les autres Allemands 634 . Ils vivent des que ſ tes de la Ville, & de [202] la Province, & pre ſ chent dans l’une & dans l’autre Langue. Ils ſ ont commis pour admini ſ trer les Sacrements à la Garni ſ on. Les Bourgeois qui ſ ont fort devots, & Flamans en ce point-là, vont ſ ouvent faire leurs devoriche de 437 volumes dont une centaine consacrés à des sujets non théologiques, prouve son goût de la lecture et sa curiosité intellectuelle. Son projet de mise en place d’un séminaire au service de l’ensemble du clergé de la paroisse et la création d’une maison pour l’accueillir montre son engagement pastoral, même si la communauté de prêtres envisagée ne se réalisa que sous son successeur, l’abbé Weylandt. Pour ce qui est de l’attitude du doyen Feller face aux Français, il convient de noter un sens des réalités proche de l’opportunisme. Très hostile pendant le siège de 1684, il change de monture pour acclamer, en 1687, le roi arrivant à Luxembourg de dominus noster clementissimus (voir ci-dessus p. 61). 633 Les Jésuites, en particulier, officiaient à Saint-Nicolas à partir de 1594, c’est-à-dire dès le début de leur présence sur Luxembourg. Depuis 1597, le curé avait mis à leur disposition la chapelle latérale Saint-Firmin avec le jubé adjacent, et ils y demeurèrent jusqu’en 1613. Même après leur départ vers leur nouvelle église (voir ci-dessous n. 637), ils s’étaient proposés pour continuer le service des sermons, mais comme en témoignent différentes notices de la chronique du curé Feller, leur assiduité laissait à désirer : le 25 novembre 1681, ils négligent de venir faire leur sermon, le 12 octobre 1683, ils restreignent leur service de la chaire aux dimanches et en exceptent des jours fériés, le 5 mars 1684, ils annoncent leur absence pour le Vendredi Saint, le 26 mai 1686, ils se dispensent complètement de leur obligation (voir P. Wurth-Majerus, op. cit., p. 23 ; A. Bauler-Margue, « La bibliothèque d’Antoine Feller, curé de St-Nicolas, 1673-1717 », dans Mélanges Paul Margue, Luxembourg, Éditions Saint-Paul, 1993, p. 33-42). 634 L’Addition à l’Histoire chronologique de la Province des Récollets de Paris […], Paris, Denys Thierry, 1677, p. XIV, renseigne sur les changements que la conquête française de Luxembourg avait opérés au niveau tant de l’administration que des personnels : détachement du couvent de Luxembourg de la Province de Flandre et rattachement à celle de Paris, évacuation des religieux non français et leur remplacement par d’autres en provenance de la Province de Paris : « Le Roy ayant conquis par ses armes toûjours victorieuses la Ville de Luxembourg, dans laquelle il y a un Convent de l’Ordre de la Province de Flandre, il commanda par sa Lettre de cachet du 14. Juin 1684, au R.P. Provincial d’en retirer tous les Religieux de sa Province, & par une autre Lettre de cachet dudit jour & an donnée à Versailles, Il commanda au R.P. Hyacinthe le Febvre Provincial de prendre possession dudit Convent, & d’y mettre des Religieux Recollets de la Province de Paris, il y envoya pour Superieur le R.P. Mansuet Durand avec nombre competant de Religieux, & à la Congregation celebrée le 22. Juillet en suivant, selon les intentions de Sa Majesté & le consentement du Reverend Pere General, ledit Convent a esté incorporé pour y tenir le troisiéme rang* entre les Couvents de la Province selon son antiquité. »* Après Metz et Verdun (ibid., p. XIV-XV). <?page no="215"?> 215 Journal tions chez ces Peres, qui ſ ont en tres-grande reputation en cette Ville-là, & fort estimez & aimez de tout le Peuple. Ils ne le ſ ont pas moins de la Garni ſ on, qui les re ſ pecte beaucoup. Je pourrois ajoûter [203] qu’ils s’en attirent la crainte au ſſ i-bien que le re ſ pect, puis que ces Peres font toutes les fonctions Curiales en ce qui touche cette Garni ſ on. Le Pere Olivier Javernay 635 : aprés avoir e ſ té Gardien, & s’e ſ tre acquis une grande reputation par ſ es Sermons, a e ſ té eleu Cu ſ tode de douze Mai ſ ons dependantes de celle-là, dont celle de Luxembourg e ſ t la principale. Les Je ſ uites 636 y ont une 635 En fait, Juvernay. De ce religieux, on possède encore l’Oraison funèbre d’ […] Isaac de Pas, marquis de Feuquière, lieutenant général des armées du roi […] gouverneur de la citadelle de Verdun, prononcée en l’Église Cathédrale de Verdun, […] le dixième jour de may mil six cent quatre-vingt-huit, Metz, Jean et Brice Antoine, 1688. Une année avant l’arrivée du roi, dans le Mercure du mois d’août 1686, il a eu droit à une autre mention en rapport avec Luxembourg. Il est organisateur, alors, d’une cérémonie en l’honneur de Pierre de Luxembourg, fils de Guy, comte de Luxembourg, évêque de Metz à l’âge de quinze ans, en 1384, créé cardinal la même année par Clément VII, pape d’Avignon. La commémoration de 1686, longuement détaillée par le Mercure, et dont le but était de souligner les liens entre le Luxembourg et la France - en fait de justifier l’annexion du premier par la seconde - était rehaussée par un panégyrique prononcé par le P. Juvernay à la fin de la messe festive, discours qui allait bien dans le sens politique de la manifestation : « De plusieurs endroits qui luy attirerent un applaudissement, il n’y en eut point qui satisfit davantage l’Assemblée, que celuy où il dévelopa [sic] l’étroite alliance qui se trouve entre la Province de Luxembourg, & le Bien-heureux dont il avoit entrepris l’Eloge… » (Mercure galant, août 1686, p. 180). Or, ce Bienheureux avait vécu, et agi, en France, un Luxembourgeois donc, dont la vie est un témoignage irréfutable de la proximité de son pays d’origine et du grand royaume voisin : « Ainsi - écrit toujours le Mercure, non sans condescendance - il falloit des François dont les Ayeux l’avoient veu Chanoine de Nostre-Dame de Paris, à l’âge de douze ans, Evesque de Mets à quinze, & Cardinal à dix-sept pour faire connoistre à tout ce Peuple, heureusement revenu sous la domination de cette Couronne, l’obligation qu’il a de le reverer » (ibid., p. 176) et en même temps de se féliciter de sa nouvelle qualité de français ! Le P. Juvernay fait l’objet de mentions répétées dans l’Histoire chronologique de la Province des Recollets de Paris du P. Hyacinthe Le Febvre consultée dans l’édition parue en 1677 à Paris, chez Denys Thierry. Il y est cité comme titulaire de cours de philosophie et de théologie dans les couvents de la Province autorisés à dispenser ces enseignements (p. 107), comme prédicateur d’une Octave à Saint Jacques de la Boucherie et d’un Carême à Saint Laurent (p. 110), puis, hors de Paris, d’un Avent et d’un Carême dans la Cathédrale de Metz (p. 111). L’Addition à l’Histoire chronologique le présente comme Supérieur du Couvent de Paris en 1677, 1678 et 1679 (p. XVI), puis de celui de Luxembourg en 1685 (p. XV). 636 Les premiers Jésuites, en provenance de Trèves, s’installent en 1583 à Luxembourg à l’instigation d’Antoine Houst, comte palatin et membre du Conseil de Luxembourg, qui entendait engager ces renommés pédagogues dans la lutte contre la Réforme. Aussi les États, encouragés par le gouverneur Pierre-Ernest de Mansfeld, <?page no="216"?> 216 Journal tres-grande Egli ſ e 637 , fort propre 638 , & fort riche. Elle e ſ t [204] plus grande que celle des Carmes de la Place-Maubert 639 , & a deux ailes, & trois beaux avaient-ils voté, dès 1577, l’érection d’un collège. Suite à des différends avec le gouverneur, les Pères repartirent au bout de trois ans, en 1586. Huit années plus tard, en 1594, l’expérience fut renouvelée avec des acteurs nouveaux, venant cette fois des Pays-Bas. Le collège est opérationnel à partir de 1603 (voir A. Poncelet, Histoire de la Compagnie de Jésus dans les anciens Pays-Bas […], Maurice Lamertin, 1927-1928, t. I, p. 403 et s.). 637 Le Devisé de la Massonnerie, reproduit par A. Steffen, Baugeschichte der Luxemburger Jesuitenkirche, Luxembourg, Hofdruckerei Joseph Beffort, 1935, p. 19-22, donne des indications précises sur les dimensions prévues pour le sanctuaire : Longueur de la grande nef avec chœur 159 pieds [47,7m, le pied équivalant à peu près à 30 cm] Largeur : 30 pieds [9 m] Largeur des trois nefs : 69 pieds [20,7 m] Largeur et hauteur de la grande porte : 9 pieds [2,7 m] Hauteur du pignon : 98 pieds [29,4 m] Hauteur de la tour : 100 pieds auxquels s’ajoutent les 70 pieds de la flèche [51 m]. En 1625 et 1626 un agrandissement eut lieu au profit du déambulatoire (Steffen, op. cit., p. 117). La construction du sanctuaire, actuelle cathédrale de Luxembourg, a été initiée dès le mois de février 1611 par les archiducs Albert et Isabelle, gouverneurs généraux pour le roi d’Espagne dans les Pays-Bas espagnols et résidant à Bruxelles. Ce sont eux qui aident à l’acquisition des terrains - à l’est du collège, du côté de l’actuelle rue Notre-Dame, la maison Schwartzenberg-Enschering et une parcelle du jardin de la maison Berburg (Archives Gouv. Luxemborg, A, III,9 fol. 14a, cit. par Steffen, op. cit., p. 14) - qui incitent les autorités à soutenir le projet, qui le financent largement. Au sein du Conseil provincial, c’est avant tout son secrétaire Jean Wiltheim qui se fait promoteur de l’entreprise. La vraie cheville ouvrière, cependant, était le Recteur du Collège des Jésuites, et qui présidait aux destinées de cette maison pendant douze ans, de 1609 à 1621, le Père François Aldenardus, de son vrai nom Witspaen, originaire d’Audenarde, dans l’actuelle province belge de Flandre orientale, d’où son nom d’adoption (Steffen, op. cit., p. 28-29). Le plan du monument est conçu depuis le mois de décembre 1612 jusqu’au mois d’avril 1613 par l’architecte jésuite Jean du Blocq (ibid., p. 31), alors que la supervision des travaux est assumée par son confrère Othon Herloy ou d’Herloy (ibid., p. 34-35). L’entrepreneur qui a réalisé, à de rares exceptions près, l’ensemble des travaux de maçonnerie est le Suisse Ulrich Job de Lucerne (ibid., p. 35-36). On trouvera dans l’ouvrage de Steffen, p. 36 et s., l’énumération détaillée des artisans et artistes ayant concouru à l’érection et à la décoration de cet ouvrage de style gothique relevé par des éléments renaissants et baroques. La pose de la première pierre a lieu le 7 mai 1613, le sanctuaire est consacré le 17 octobre 1621 par Gregor Helffenstein, évêque coadjuteur de Trèves. 638 Au sens de « bien arrangée ». 639 Les Carmes de Paris, installés par Saint Louis qui les avait amenés de Palestine, et établis d’abord près de la Seine, dans le quartier Saint Paul, échangèrent cet empla- <?page no="217"?> 217 Journal Autels 640 . Ils tiennent le College, & ces Peres ſ ont ordinairement au nombre de vingt-cinq 641 dans cette Mai ſ on. Encore qu’ils ſ oient tous François, il y en a quecement avec les Célestins dont ils occupèrent en 1319 le premier couvent, Place Maubert, dans le Quartier Latin. Concernant leur église, moins grande, d’après le Mercure que celle des Jésuites de Luxembourg, elle fut construite avec les trésors testamentairement consentis, en 1349, aux Carmes par Jeanne de Bourgogne, épouse de Philippe V le Long. Argent mal placé, selon G. Brice, qui ne ménage pas les critiques : « La valeur de toutes [ces] choses fut emploiée au bâtiment de leur Eglise & de leur Couvent, qui n’ont rien de beau ni de remarquable. » Quant au grand autel qu’ils ont fait aménager « depuis quelques années », ce n’est rien d’autre qu’ « une grande et pitoyable machine de pierre ». (Description de la Ville de Paris, op. cit., t. II, p. 456 et J. de Breul, Les Antiquitez et Choses plus remarquables de Paris, Recueillies par M. Pierre Bonfons […] Aug-Mentees par frere Jacques de Breul, […], Paris, Nicolas Bonfons, 1608, f. 267, col. 1). 640 Les soubassements des trois autels ont été procurés dès les premières années par Ulrich Job (voir ci-dessus n. 637), mais le maître-autel ne faisait figure que de meuble provisoire qui devait être remplacé dès l’année 1642 par une œuvre plus riche due au talent des Jésuites Brouart et Jacques Nicolai et agrémentée d’un tableau financé par Jean de Brandebourg et d’un tabernacle en bois d’ébène, don de la comtesse de Hohenzollern et d’ Anne-Émilie de Hatstein. En 1643, s’ajoutaient deux autels latéraux, l’un dédié à la Sainte Croix, l’autre à saint Ignace, fondateur de la Compagnie. Les autels étaient rehaussés par des candélabres en argent, des pyramides argentées en provenance de Bruxelles et de Lille, des reliquaires richement décorés, un ostensoir de valeur. 641 Le catalogue annuel du collège jésuite de Luxembourg, conservé au Centre de documentation et de recherche religieuses de Namur (CDRR Mss. VIII, 2), donne en effet, pour les années 1687-1688, la liste suivante de vingt-cinq noms, liste qui, cependant, n’aligne que quatorze Pères, suivis de quatre « Magisters » et de sept personnages sans titres. En fait, les quatre « Magistri » ont été des enseignants non encore ordonnés prêtres, et les sept personnages non titrés, des frères coadjuteurs (précisions aimablement fournies par le P. Birsens, SJ). L’information du Mercure paraît donc incomplète quant au statut des personnels : 1 P. Rob. D’Assignies, rector a 1685, praef. [ectus] casuum, confess.[or] 2 P. Nic. Mayer, min. sacell. [minister sacelli] B.V., proc. [urator] secundar.[ius], confess.[or] 3 P. Hubertus Nidercorne, soc.[ius] egredentium 4 P. Adamus Pinel, concion.[ator] in parochia, confess.[or] nostr.[orum] et extern. [orum], catech.[ista] 5 P. Philippus Schouville, mission.[arius] 6 P. Joes Lugdeling, praef.[ectus] templi, sanit.[arius] dir.[ector] sod.[alitatis] civium, confess.[or] nostr.[orum] et exter.[orum] 7 P. Joes Paschasius, procur.[ator], dir.[ector] seminar.[ii], confess.[or], consult.[or] ab oct.86 8 P. Joan du Tiers, praef.[ectus] scholar.[um] et biblioth.[ecae], visit.[at ? ] carceres, catech.[ista], confess.[or] <?page no="218"?> 218 Journal ques-uns qui ſ çavent fort bien l’Allemand, & qui ont e ſ té élevez en Allemagne. Leur Jardin e ſ t beau & spacieux & leur mai ſ on toute neuve & bien ordonnée 642 . 9 P. Arnoldus Rodembacq 10 P. Adamus Fisch, gram.[maticus] 11 P. Carolus Le Dannoy, concion.[ator] in templo nostr.[o] 12 P. Michael Calmes, dir.[ector] sod.[alitatis] juven.[um], dicit ad milites [prédicateur pour les soldats], consultor ab oct. 86 13 P. Leonard. [us] Destecq, prof.[essor] physicae, consult.[or] ab oct. 86. Selon Sébastien de Blanchart, ce Père a été aussi le premier à enseigner, en 1687, la philosophie nouvellement introduite. 14 P. Franciscus Herts, prof.[essor] logicae 15 M.[agister] Augustinus Burlaeus, rhetor 16 M. Francis.[cus] Veidert, poeta 17 M. Servatius Cuvelier, syntax.[ista] 18 M. [sans indication] d’après Ms I : 186 Joan.[nes] Himbert e provincia Rheni Inferioris 19 Th.[eophilus] Hirner 20 Ign.[atius] Cuvelieu. Aedituus [gardien de l’église] 21 Matt.[haeus] Godart, soc. Mission.[arii] 22 Nic-[olaus] Husson, janitor [concierge] 23 Matth.[aeus] Dylli, cur. hospit.[um] [hôtelier] 24 Bruno Coupé 25 Fran.[ciscus ? ] Albus 642 Le « jardin spacieux », la construction « toute neuve et bien ordonnée » sont certainement des produits de la générosité de Louis XIV à l’égard des Pères de la Compagnie. Blanchart, Chronique, fol. 113, dans Peters, Sebastian Franz de Blanchart und seine Luxemburger Chronik, op. cit., p. 54, sans mentionner le montant, situe le don en faveur du collège en 1686 et ajoute des précisions sur l’investissement : « En ceste année 1686, les R.P. Jésuites, avec le secours du roy de France, firent construire à l’occident de leur collège à Luxembourg une aile de bâtiment qui va joindre au midy le vieux bâtiment de leurs écoles qui y fait avec iceluy un angle, lequel nouveau bâtiment devoit servir, comme il a fait jusqu’à présent, à sçavoir les étages supérieurs pour y enseigner la philosophie, et les places inférieures et qui se trouvent au dessous dudit nouveau bâtiment pour y estre enseignées par lesdits pères la rhétorique et la poésie. » À partir de plusieurs plans, ceux, notamment, conservés à la Bibliothèque Royale de Belgique et aux archives romaines de la Compagnie de Jésus, on a pu établir que les agrandissements réalisés en 1686 grâce à une donation royale de 12 461 livres, concernent l’aile centrale (logeant, aujourd’hui, la direction et les salles de références de la Bibliothèque Nationale), destinée alors aux enseignements de la philosophie. Le plan romain, donnant en rouge les constructions achevées et en jaune celles, projetées, qui demeurent en souffrance, permet de préciser que cette nouvelle aile ne recouvre que les deux tiers du bâtiment visible à l’heure actuelle, effet, probablement de l’insuffisance de l’enveloppe budgétaire royale. Les travaux n’ont été achevés qu’au siècle suivant (voir J.-Cl. Müller, « Les Jésuites de Luxembourg au XVII e siècle : trois études », dans Châteaux forts, ville et forteresse : <?page no="219"?> 219 Journal Ils ont une [205] Musique Allemande 643 , que la Cour alla entendre le jour de la Trinité 644 . Les Capucins y ont au ſſ i un Convent 645 , dans lequel on ne trouve que des Religieux François 646 , dont le nombre peut égaler celuy des Je ſ uites. contributions à l’histoire luxembourgeoise en hommage à Jean-Pierre Koltz, Luxembourg, Les amis de l’histoire : Jeunes et patrimoine, 1986, coll. Les amis de l’histoire, fasc. 14, p. 119-122). Pour le financement, il convient d’ajouter les chiffres avancés par A. Sprunck dans ses « Pages d’histoire du Collège des Jésuites de Luxembourg », Hémecht, Jg. 15, (1963), H. 3, p. 299 : les Pères ont versé 11 962 livres 2 sols 2 deniers aux entrepreneurs François Couturier et Perpète Simonet pour l’agrandissement des bâtiments, ainsi que 500 livres à Simon Baichemont et à Laurent Müller pour la livraison de nouveaux bancs. Un fonds spécial, d’ailleurs, avait été consenti, en juin 1686, pour la mise en place des cours de philosophie et de théologie : 3800 livres, faisant suite à un premier crédit de 6400 livres sur le trésor royal (31 juillet 1685) et suivi, le 3 décembre 1686, d’un nouveau versement de 2262 livres sur l’extraordinaire de la guerre (ibid.). 643 Cette « Musique allemande » n’a pas laissé de traces dans les archives qui ont pu être consultées. 644 C’est-à-dire le dimanche 25 mai, dernier jour du séjour luxembourgeois, la fête de la Trinité se célébrant le dimanche suivant celui de la Pentecôte. 645 La première manifestation des Capucins à Luxembourg remonte au 6 octobre 1621, date de l’installation de la croix de l’Ordre par le P. Colomban de Valenciennes et expression de l’intention des Pères de la Province wallonne de prendre pied dans la ville. Dès l’année suivante, le 3 février 1622, et en dépit de l’opposition des Franciscains, Philippe IV accorda l’autorisation de construire église et couvent donnant sur l’actuelle Place du Théâtre, en Centre-Ville. Le comte de Berlaymont, gouverneur du duché pour le roi d’Espagne, posa les premières pierres le 6 mai 1623. Le 6 octobre 1630, l’église fut consacrée par Gregor von Helfenstein, évêque coadjuteur de Trèves. L’arrivée des Français, sous Louis XIV, entraîna une modification administrative en ce sens que les Capucins de Luxembourg furent séparés de la Province wallonne et rattachés à celle, nouvellement créée, de Lille. Le XVIII e siècle marqua la fin de la présence capucine dans la ville ; les dispositions antimonacales de Joseph II tarissent le recrutement, la Révolution française sonne la fin définitive : le monastère devient dépôt de l’armée. Dans la seconde moitié du XIX e siècle, la municipalité acquiert les lieux et y installe le théâtre de la ville, transporté depuis au Grand Théâtre du Glacis. En 1985, le site accueille le nouveau théâtre des Capucins, destiné essentiellement aux productions dans les trois langues du pays (voir J. Maertz, « Die Kapuziner in Luxemburg : ihre Klosterkirche, das heutige Theater », dans Hémecht, 15, N° 3, 1963, p. 309-324). 646 De même que pour les Récollets, Louis XIV installa des moines de Champagne dans le couvent des Capucins de Luxembourg, comme en témoigne le Registre manuscrit de l’Archive du couvent des Capucins de la Ville de Luxembourg, conservé aux Archives nationales sous la cote Abt. 15, 140, SHL. On y trouve en même temps, des détails sur les travaux exécutés par les Français et les changements intervenus au moment de leur départ, à la Paix de Ryswick, en 1694 : « Les Peres de Champagne, apres leur chap[itre] general celebré à Rome en 1685, vinrent avec une lettre de <?page no="220"?> 220 Journal Il y a deux Refuges 647 dans la Ville, & une Egli ſ e, appellée le Saint E ſ prit, dans un Ba ſ tion 648 . Celle des Dominicains 649 , qui a e ſ té fort endommagée par le Cachet prendre possession [du Couvent] ou ils sont restés iusqu’a la paix de Risvick. il y eu [sic] quelqu’uns [sic] de nos Religieux qui demeurent avec eux, mais pas tant qu’ils auroient souhaité, car ils n’avoient presque pas de Religieux pour les [leurs couvents ? ] remplir. Pendant qu’ils occuperent ce Couvent ils firent mettre les 4 Confessionaux qui sont encore a l’Eglise, car auparavant il n’y en avoit pas. Ils [sic] mettre des vitres aux fenetres du Refectoire, et plancher le dessus des allées du Dortoir, mais a la paix de Risvick lors que la ville et province furent rendues au Roi d’Espagne nos Peres […] firent oter les vitres du Refectoire et le planché qui etoient resté au dessus des allées du Dortoir. (Archives, op. cit., p. 33). 647 Il sera question du Refuge de l’abbaye de Munster, rue de la Congrégation, et de celui de l’abbaye de Saint-Maximin de Trèves, rue Notre-Dame. Pour ce dernier, on notera toutefois qu’en 1687 il ne pouvait s’agir de la construction palatiale qui se voit aujourd’hui à l’endroit et qui ne date que de 1751 (actuel Ministère des Affaires Étrangères) mais du refuge antérieur, plus modeste et bâti déjà en 1663, sensiblement au même lieu (voir J. Harpes, Vieilles demeures nobiliaires et bourgeoises de la Ville de Luxembourg […], Éditions du Centre J.-P. Krippler, 1959, p. 209 et N. Ries, « Le refuge de 1751 », dans Les Cahiers luxembourgeois, 14, 1937, p. 65-66). 648 Il s’agit de l’église du couvent du Saint-Esprit sur le plateau du même nom. Elle appartenait aux religieuses de sainte Claire qui avaient embrassé cette règle en 1264 en échange de celle des pénitentes de sainte Marie-Madeleine, d’abord suivie, et qui avaient tiré leur nom de l’Ospedale di Santo Spirito, à Rome, point de départ des missionnaires de la Colombe essaimant de là dans toute l’Europe pour prêcher la charité envers les femmes et les enfants délaissés. Le couvent proprement dit, conçu en 1234 sous le patronage de la comtesse Ermesinde et construit en 1240 par Gisèle, veuve du comte Conrad II de Luxembourg, était situé dans le réduit du Saint-Esprit ; Louis XIV, décidé à l’exploiter à des fins militaires, transporta moyennant une donation de 15 000 écus (~ 425 250 € ) les habitantes dans une nouvelle construction au Pfaffenthal, actuel hospice civil du Rham. Le transfert eut lieu le 18 mars 1690, et la même année l’église du Saint-Esprit disparut sous les pioches des démolisseurs (voir Luciliburgum sacrum, op. cit., p. 369-372 et G. Thill, « Le Saint-Esprit, monastère éponyme d’un quartier de la vieille Ville, dans Ons Stad, Luxembourg, N° 40, juillet 1992, p. 16-17). 649 L’origine de la présence des Dominicains à Luxembourg remonte au XIII e siècle, quand Béatrice, comtesse de Luxembourg, et son fils Henri VII, futur empereur romain-germanique, requièrent l’installation de l’Ordre dans la ville ; le terrain proposé est alors au pied du rocher du Bock, où les premiers Frères emménagent en 1299. L’église de ce premier couvent dominicain est consacrée le 30 octobre 1345. Le site, isolé, et donc de fréquentation malaisée, amène la communauté à prendre en charge, en 1594, la chapelle de la Trinité sise sur le plateau du Saint-Esprit - actuel Temple protestant, rue de la Congrégation - et à y construire un nouveau couvent que cependant elle cède, en 1628, avec le lieu du culte, aux chanoinesses de Saint-Augustin de la Congrégation de Notre-Dame. C’est la date à laquelle les Pères prennent possession de la paroisse de Saint-Michel, qu’ils agrandissent en 1639, <?page no="221"?> 221 Journal Canon, n’e ſ t pas encore retablie. Ils donnerent leur [206] Tour pendant le Siege, pour placer une Batterie qui incommoda fort no ſ tre Camp. On fut obligé de s’en défendre, & cela pen ſ a cau ſ er la ruine entiere de leur Egli ſ e 650 . J’oubliois à 651 vous dire que les Recolets ont le Cimetiere de la Garni ſ on. Leur Egli ſ e e ſ t au ſſ i grande 652 que celle des Cordeliers du Grand Convent de Paris 653 . Ils ont d’a ſſ ez beaux Ornemens, & tout e ſ t chez eux d’une grande propreté. dont ils achèvent le clocher en 1648, et où ils subissent en 1683 les effets de l’artillerie française (voir note suivante). Relevant d’abord de la Province germanique, les Dominicains de Luxembourg se soumettent à partir de 1684 à la juridiction française qu’ils quittent de nouveau, pour l’allemande, au moment du départ des Français, suite à la Paix de Ryswick, en 1698. 650 Ces dommages ont été causés par les bombardements de la Journée des Carcasses (voir ci-dessus n. 627), intervenus dans les trois jours précédant la fête de Noël de l’année 1683 (triduana ante Natalem Domini, P. Dominicus Ranckendall OP, Fasti Fratrum Luxemburgensium ordinis Praedicatorum, 1292-1676 ; Fortsetzung von unbekannter Hand 1677-1698, Ms, Bibl. de l’Instit. G.D. Sect. Hist., N° 47). En 1687 fut posée la première pierre de la nouvelle église que Louis XIV avait financée par un don de 4000 livres (Luciliburgum sacrum, op. cit., p. 378) ou thaler (J. Reuter, Die Dominikaner in Luxemburg, tirés-à-part Hémecht, N° 1, 1968, p. 34 et J.-N. Breisdorff, Die Geschichte der St. Michaelskirche in Luxemburg, Luxembourg, V. Bück, 1857, p. 29, qui cite une pièce d’archive provenant des Dominicains et certifiant la restauration de l’église hac pecunia regia). Si on part de la valeur de la livre française au XVII e siècle, tenant pour 9,45 € actuels, on arrive à la somme de 37 800 € dépensés par le roi en faveur de la restauration de Saint-Michel. 651 Au XVII e siècle, le verbe « oublier » se construit indifféremment avec les prépositions « à » et « de ». 652 Selon J.-W. Grob, cité par J. Reuter, « Die Kirche in der tausendjährigen Geschichte der Stadt Luxemburg : die Franziskaner in Luxemburg (1250-1796) », dans Hémecht, Jg. 18 (1966), H. 4, p. 410 et n. 1, l’église des Récollets mesurait, depuis les transformations du XV e siècle, 48,50 m de longueur ; elle aura donc été considérablement plus petite que celle du Grand Couvent de Paris avec ses 105 m (voir note suivante). 653 Dans l’actuel VI e arrondissement. Le premier plan de l’église du Grand Couvent des Cordeliers de Paris fut conçu vers 1250 par un architecte dont le nom a donné lieu à des conjectures, mais probablement anonyme. Le 19 novembre 1580, le monument fut fortement endommagé par un incendie qui a laissé de nombreuses traces chez les historiens de l’époque. Les travaux de reconstruction, démarrés sans retard, avec l’aide financière de Christophe de Thou, premier président au Parlement, furent interrompus dans la suite par les troubles de la Ligue et les guerres et ne reprirent qu’au début du XVII e siècle pour être achevés en 1606. L’édifice impressionnait surtout par ses dimensions : près de cent cinq mètres pour la longueur, quelque trente mètres pour la largeur. Il comprenait dix-sept travées, huit pour la nef, huit pour le chœur, une pour le jubé qui séparait les deux (voir L. Beaumont-Maillet, Le Grand Couvent des Cordeliers de Paris. Étude historique et archéologique du XIII e siècle à nos jours, Paris, Honoré Champion, 1975, p. 250 et s.). <?page no="222"?> 222 Journal Leur jardin e ſ t a ſſ ez [207] beau pour une Ville de Guerre. Il tomba pendant le Siege cinq cens Bombes dans leur enclos, dont trois tomberent dans une Chapelle, qui ſ ert de Mau ſ olée au Comte de Mansfeld 654 , l’un des plus grands Capitaines de ſ on temps, & fameux par ſ es Exploits ſ ous Charles IX 655 . 654 La première pierre de ce mausolée, situé dans la partie orientale du cimetière des Récollets, sur l’actuelle Place Guillaume, fut posée en 1586, la consécration par Ottavio Mirto Frangipani, nonce apostolique pour la Germanie inférieure et les Pays- Bas espagnols, eut lieu le 17 septembre 1595. Placée derrière l’église du couvent, la chapelle en était d’abord séparée, mais au moment de la reconstruction de celle-ci, en 1667, une communication entre le chœur de l’église et le jubé de la chapelle fut établie. Elle possédait un clocher et mesurait quelque quinze mètres de long et huit de large. D’architecture dorique, pavé de marbre brun et bleu, l’édifice était éclairé par sept vitrages cintrés dont deux masqués, près de l’entrée. Le fond, terminé en demi-cercle, tirait lumière d’un septième vitrage. L’autel était orné d’un tableau de Martin de Vos, peintre anversois, représentant le Christ ressuscité entouré de Pierre et de Paul ; sur l’aile droite figurait Mansfeld avec ses deux fils, sur l’aile gauche, les deux épouses. L’entrée au caveau était aménagée sous l’autel, en bois, et orné des statues de saints Pierre et Paul (voir J. Massarette, La Vie martiale et fastueuse de Pierre-Ernest de Mansfeld (1517-1604), Paris, Éditions Duchartre, 1930, t. II, p. 181 et s. et Luciliburgum sacrum, op. cit., p. 366). 655 L’épisode est commémoré dans l’épitaphe du comte inscrite en lettres d’or sur une plaque de marbre noir disposée dans le mausolée par les soins de Charles de Mansfeld : Condaeo profligato titulum servatae Galliae a Carolo IX accepit. (J. Massarette, op. cit., t. II, p. 206). L’allusion est à l’aide que Mansfeld avait apportée aux troupes royales contre les huguenots lors de la bataille de Moncontour, en 1569, au cours de laquelle il fut blessé au bras, blessure qui le laissa invalide malgré les soins prodigués par Ambroise Paré (voir J. Massarette, op. cit., t. 1, p. 197). L’inscription, pourtant, pose problème : à Moncontour, le 3 octobre 1569, le vaincu était Coligny et non Condé (Louis I er de Bourbon, prince de Condé), tué une année plus tôt, le 26 octobre 1568, à Jarnac. Un détail du monument funéraire de Mansfeld que le Mercure ne mentionne pas, a fait l’objet d’une discussion lors du séjour luxembourgeois de Louis XIV, et les services rendus à la France sous Charles IX y ont joué un rôle. Aux quatre coins de l’ouvrage étaient disposés des piédestaux de marbre noir portant chacun une figure de Pleureuse en marbre blanc. « La première pleureuse, écrit Massarette, avec son voile ou mouchoir pleure la mort de la belle et tendre Bréderode, la seconde la chère Marie de Montmorency, la troisième le brave Charles et la quatrième le vaillant et bon Octavien, ainsi que toutes les quatre ensemble le père et l’époux » (op. cit., t. II, p. 184). Les annexes du Luciliburgum qui complètent l’édition de la Section historique et qui s’appuient sur les données de Pierret et Merjai, signalent que Louis XIV « emporta [les Pleureuses] après le siège de 1684… » (op. cit., p. 367). Le fait est confirmé par François-Xavier de Feller qui écrit dans ses Voyages (Paris, A. Delalain, Liège, Fr Lemarié, 1820, t. I, 178-179) que « Louis XIV fit enlever quatre pleureuses qui faisaient partie [du mausolée] et peu s’en fallut qu’il ne fît enlever le monument tout entier ». Dans sa Chronique, Sébastien Blanchart précise les raisons <?page no="223"?> 223 Journal Il mourut Gouverneur de Luxembourg âgé de quatre-vingtſ ix ans 656 . Son tombeau e ſ t de Marbre blanc 657 ; ſ a figure, & celles de ſ es deux Fem [208] qui amenèrent le roi à ménager le mausolée : [il] visita […] la chapelle de Mansfeld où, s’étant fait expliquer par le maréchal de Créqui, le vainqueur du siège de 1684, l’épitaphe du prince de Mansfeld et notamment les termes servatae Galliae (voir début de la n. 655), ordonna une somme de 400 écus pour l’entretien de ladite chapelle qu’il défendit d’abattre comme il avait été projeté ». (Ibid. et J. Massarette, op. cit., t. II, p. 230 ; S.-F. de Blanchart, Chronique, dans J. Peters, Sebastian Franz de Blanchart und seine Luxemburger Chronik, op. cit., p. 55). 656 Pierre-Ernest de Mansfeld (1517-1604) est né probablement dans le comté de Mansfeld en Saxe. Après un premier emploi de page à la cour impériale, il participe, en 1535, à l’expédition de Charles-Quint contre les pirates musulmans de Tunis. Nommé écuyer tranchant à la cour, il abandonne aussitôt cette fonction pour assumer un commandement dans la cavalerie. En 1545, Charles-Quint, qui vient de reprendre Luxembourg à François I er , maître du lieu depuis 1542, le nomme gouverneur et capitaine général du duché de Luxembourg lui conférant, de ce fait, tous les pouvoirs civils et militaires qu’il gardera jusqu’à sa mort en 1604. Se battant contre les Français pour défendre sa frontière méridionale, il est fait prisonnier en 1552 et interné au château de Vincennes. À peine élargi, il reprend les armes et est blessé à la bataille de Saint-Quentin, victoire espagnole sur les Français. Cependant les luttes religieuses amènent ce catholique fervent à se ranger du côté du roi de France dans ses entreprises contre les huguenots (voir note précédente). De 1592 à 1594, il assume, à titre intérimaire, les fonctions de gouverneur général des Pays-Bas et combat la politique extrémiste du duc d’Albe chargé par Philippe II de la répression de la sédition protestante autour du prince d’Orange. Mansfeld s’est marié deux fois, en 1542 avec Marguerite de Bréderode, sortant d’une des familles les plus prestigieuses de la noblesse belge, puis, devenu veuf, avec Marie de Montmorency (1562). Ce catholique convaincu a cependant désapprouvé la politique de répression du pouvoir espagnol dans les Pays-Bas, surtout pendant le régime de terreur du duc d’Albe. Il est mort le 25 mai 1604, composita ad pietatem morte dans son château de Clausen (voir G. Trausch, « Le comte Pierre-Ernest de Mansfeld (1517-1604) : gouverneur du roi d’Espagne et homme de la Renaissance à Luxembourg », dans Voilà Luxembourg : le Grand-Duché se présente, N° 4, Luxembourg, avril 1992, p. 112-121 ; M. Jeck, « Pompa funebris mansfeldiana : les funérailles du gouverneur du duché de Luxembourg », dans Die Warte, Luxembourg, année 56, N° 18, p. 1-2 ; J. Massarette, La vie martiale et fastueuse, op. cit.). 657 Contrairement à l’auteur du Mercure, tous les autres témoins présentent le tombeau en marbre noir. Luciliburgum sacrum, op. cit., p. 318 : mausoleum marmore nigro ; W. Wiltheim, Historiae Luxemburgensis antiquariarum Dispositionum, II, 4, 172, cit. Dans Luciliburgum sacrum, p. 319 : monumentum ipsum politissimo nigro marmore luget ; Massarette, op. cit., p. 183 : « un coffre de marbre noir ». La couleur blanche du Mercure ne s’explique pas non plus par celle des statues disposées sur le bloc de marbre, celles-ci étant en bronze (voir note suivante : description de Massarette confirmée par Bertels - ex aere - et Wiltheim - ex aere - cit. dans Luciliburgum, op. cit., p. 319). S’agit-il donc d’un simple lapsus <?page no="224"?> 224 Journal mes, ſ ont en bronze au de ſſ us de ce Tombeau, chacune de ſ ix pieds de haut 658 . L’une des trois Bombes qui tomberent dans cette Chapelle, perça une gro ſſ e voute, fit un trou fort large à l’extremité du Tombeau du Comte, tourna à demy une piece de marbre qui le couvre, & qui a huit pieds en quarré, & la rompit environ de la largeur d’un pied. Les Je ſ uites & les Recolets ne ſ ont ſ eparez que par une ruë 659 , & [209] les Capucins ſ ont dans un autre quartier de la Ville 660 , proche la Porte-neuve. Il y a au ſſ i trois Convents de Filles 661 . de l’auteur du Mercure ? On pourrait avancer l’hypothèse suivante : le roi a fait enlever les quatre Pleureuses installées aux angles du monument, sur des piédestaux de marbre noir, mais elles-mêmes en marbre blanc (voir ci-dessus n. 655). Peut-être le gazetier, ne se donnant pas la peine d’une inspection personnelle du mausolée dont il ne signale que les grands traits qui auront pu lui être rapportés, n’a-t-il vu, à Luxembourg même, que ces statues déjà sorties du sanctuaire, ou, peut-être, les a-t-il vues plus tard en France, où elles ont été transportées. De leur couleur, il aurait conclu erronément à celle du tombeau entier « en marbre blanc ». 658 Les statues installées sur le tombeau sont évoquées dans le Luciliburgum, op. cit., p. 318, la description la plus détaillée figure dans J. Massarette, op. cit., p. 183-184 : « Sur [le] coffre se trouvait notre illustre capitaine avec ses immortels lauriers, qui dort au milieu de ses deux épouses. Ces trois figures sont presque de grandeur de nature, […] ; elles sont travaillées en bronze de canon avec tant d’art qu’elles surpassent même l’imagination. […] Quant au costume dont notre héros est revêtu, c’est celui de capitaine de son siècle ou mieux, des capitaines espagnols. Il a les cheveux courts et la barbe à cette mode, ayant le chef couronné de la couronne de prince, portant une fraise au cou et étant vêtu de tous ses harnais que portaient les guerriers de son temps. Sur la cuirasse se voit la Toison d’or. Il porte sa main droite à sa tête pour dormir en paix, […] en portant sa gauche à un poignard qu’il soutient. A ses pieds se trouve un lion qui est l’emblème de la force, qui supporte dans une de ses pattes les armes blasonnées de sa noble et illustre maison. A ses pieds se trouvent aussi son casque et ses gantelets. Quant à ses deux épouses, elles sont ici figurées sous la même attitude d’un doux et paisible sommeil ; elles semblent même être vivantes sous ce bronze froid et inanimé. […] Les deux épouses avaient sur leurs têtes des couronnes de princesses comme leur époux ; elles avaient aussi des fraises au cou et avaient des robes magnifiques avec des manches longues et étroites qui allaient jusqu’aux poignets. A leurs pieds se trouvaient des chiens, qui sont le symbole de la fidélité de l’union conjugale. » 659 L’actuelle rue Notre-Dame. 660 Entre les actuelles Place du Théâtre, longée par la Côte d’Eich, et la rue des Capucins. 661 Dans ses Institutions Religieuses sous l’Ancien Régime, Namur, Fondation Meuse-Moselle, 1980, p. 58, 60, 63, C.-J. Joset, relève la présence, en 1687, de trois couvents féminins sur le site de Luxembourg : <?page no="225"?> 225 Journal Le Comte de Mansfeld dont je viens de vous parler, a fait bastir le Palais des Gouverneurs 662 . Il a e ſ té tout ruiné par nos attaques, & ſ i bien Clarisses - Urbanistes : Luxembourg Saint-Esprit 1238-1783 Congrégation Notre-Dame, chanoinesses de St. Augustin 1627-1797 Élisabéthaines : Saint Jean, Luxembourg 1672-1797 . les religieuses de Sainte Claire, délogées par Louis XIV de leur ancien couvent sis dans le réduit du Saint-Esprit et transférées vers une nouvelle construction au Pfaffenthal (pour plus de détails, voir ci-dessus n. 648). . les sœurs de la Congrégation de Notre-Dame, installées d’abord, en 1627, dans l’hôpital de Clausen que le comte de Mansfeld avait fait construire dans ce faubourg à l’intention des bourgeois pauvres. En 1628 déjà, elles se transportèrent vers la Ville haute, où elles avaient acheté des Dominicains, dans l’actuelle rue de la Congrégation, l’église de la Trinité et le couvent adjacent. C’est là qu’elles eurent, selon une tradition orale, le privilège de loger Madame de Maintenon pendant le séjour luxembourgeois. Si on n’a pu trouver aucun document confirmant l’hébergement de l’épouse du roi, il subsiste cependant une trace écrite de sa générosité à l’égard des sœurs de la Congrégation sous forme d’un cahier manuscrit libellé « Dons faits à la Congr.de N. Dame pour l’église. 1616-1730 environ », et conservé aux archives de la Congrégation à Fontenay-sous-Bois. La page six présente trois inscriptions pour l’année 1687 dont celle-ci en rapport avec les dons de Madame de Maintenon : « 1687 Madame de Maintenont [sic] a fait present à notre église, en considération de notre Sr. Marie Anne Haën, un devant d’autel, une chasuble, un voile de calice et une custode de damas blanc, garni d’un passement d’or de Boulogne, on y a joint 9 1/ 2 écus, son offrande pour ? (point d’interrogation dans le texte) les Manchettes la dentelle, et le surplus de l’accomodement du dit ornement, notre dite sœur a encore donné une jupe de brocard que nous avons teindre [sic] en violet pour un devant d’autel. » (Voir p. 356, Annexe 18). . La Congrégation qui avait pour but l’instruction des jeunes filles, devait être du goût de l’épouse du roi, fondatrice de la maison royale de Saint-Cyr destinée aux jeunes filles de la noblesse appauvrie, et titrée communément de « première institutrice de France ». . les Élisabéthaines, sous l’Ancien Régime, présentes à Luxembourg de 1672-1797. En 1667, Marie Zorn, une dame pieuse de Luxembourg, reçut l’aval des autorités pour la fondation d’une maison servant à offrir des soins aux malades dépourvus de moyens, service qu’elle établit dans sa propre maison, proche de la porte du château. Pour l’assurer, elle fit venir des religieuses hospitalières sous le titre de Sainte Élisabeth qui s’installèrent dans les lieux auxquels elles ajoutaient une église et des logements ; en 1674, l’hôpital fonctionna sous le vocable de Saint-Jean. En 1684, il brûla avec l’ensemble du faubourg, peu de temps avant le siège de la ville par les Français. Il fut rebâti par la suite, la première pierre de la nouvelle structure ayant été posée en 1688. Louis XIV avait débloqué une somme de deux mille écus (56 700 € ) pour l’exécution des travaux (voir Luciliburgum sacrum, op. cit., p. 390). 662 Pendant son séjour luxembourgeois, Louis XIV logea à l’Hôtel du Gouvernement, érigé à partir de 1565, au-dessus de la Porte du Pfaffenthal, dites Les Trois Tours, <?page no="226"?> 226 Journal reparé par les ſ oins de M r le Marquis de Bouflers, que le Roy y logea avec Mon ſ eigneur, & les Prince ſſ es. Il e ſ t ſ ur un Ba ſ tion 663 qui donne ſ ur un [210] Fauxbourg 664 arro ſ é par la Riviere 665 , dont la Prairie dans laquelle elle ſ e répand e ſ t un objet agreable pour la veuë, & dans une gorge entre deux Montagnes. Il a pour point de veuë un re ſ te de petit bois de haute Futaye. Pour pouvoir in ſ ulter ce Ba ſ tion 666 , il faut s’e ſ tre rendu mai ſ tre de ſ es deffenses. Le Roy y avoit une grande Salle, une grande Chambre pour les Jeux, ſ a Chambre, & trois Cabinets. Les Gouverneurs de [211] Luxembourg avoient autrefois une Mai ſ on de plai ſ ance ſ ituée ſ ur la Riviere 667 qui ſ ert de point de sur ordre du comte de Mansfeld, gouverneur de 1540 à 1604. En 1566, Philippe II accorda à l’échevin Nicolas Greisch, propriétaire d’une maison sise à l’endroit, une rente annuelle de trois cents livres, rachetable par six mille livres, pour y développer l’Hôtel du Gouvernement. C’est dans cet Hôtel que résidèrent les archiducs Albert et Isabelle, lors de leur séjour à Luxembourg au mois d’août 1599. Isabelle décrit le Palais comme « très vieux et habitable », avec, cependant, « d’assez belles salles ». Toutefois, l’état de l’immeuble changea bientôt et prit plus d’allures grâce aux transformations engagées par le successeur de Mansfeld, Florent de Berlaymont, gouverneur depuis 1604. Des documents de l’époque attestent une activité de construction à partir de l’année 1609 : c’est dans cette demeure, agrandie depuis le temps d’Isabelle, « fort spacieuse » (voir ci-dessous p. 246) que logea Louis XIV, en compagnie de son fils. Elle garda sa fonction de Palais des Gouverneurs jusqu’à la Révolution qui en fit, en 1795, le Palais de Justice, nouvelle fonction qui se perpétua jusqu’en 2008, année du délogement de la Justice dans la nouvelle Cité judiciaire, construite sur le Plateau du Saint-Esprit (pour la plupart des détails, voir P. Wurth-Majerus, « Hôtel du Gouvernement, Palais de Justice », dans Ons Hémecht, Luxembourg, Jg. 45 (1939), H. 1+2, p. 3-21). 663 Bastion du Gouvernement. Pour la définition « Bastion » voir ci-dessous n. 691. 664 Pfaffenthal et Clausen. 665 L’Alzette. 666 Voir ci-dessus n. 663. 667 Il s’agit ici du célèbre château de Mansfeld à Clausen, près de l’Alzette, entre les faubourgs du Grund et du Pfaffenthal. Vrai esprit de la Renaissance, Mansfeld, inspiré par les constructions somptueuses des seigneurs des Pays-Bas, plus particulièrement de la villa « La Fontaine » que le cardinal de Granvelle, s’était fait aménager près de Bruxelles, avait conçu le projet de cette superbe demeure à laquelle il donna le même nom s’inspirant d’une fontaine aux vertus thérapeutiques qui agrémentait le lieu. Les travaux commencèrent en 1560 et aboutirent à un chef-d’œuvre architectural unique abritant, entre autres, la plus riche collection d’antiques. Des nombreuses sources qui conservent le souvenir de l’ouvrage, la plus aisée d’accès est celle de Jean-Guillaume Wiltheim, récemment éditée et traduite par Othon Scholer : Johannes Wilhelmus Wiltheim S.J. (1594-1634) ‘Mansfeldici apud Luxemburgenses Palatii Epitoma’. Édition du texte latin et traduction française par Othon Scholer […] / Études sur le comte Pierre-Ernest de Mansfeld […], Partie I, <?page no="227"?> 227 Journal veuë à leur Palais 668 ; mais les guerres les ont privez de ce lieu de diverti ſſ ement 669 . Luxembourg, Les Amis de l’Histoire, 2006. La rivière mentionnée par le Mercure est l’Alzette, à Clausen. 668 Il s’agira de l’Hôtel du Gouvernement (voir ci-dessus n. 662) à partir duquel on voit Clausen, site du château de Mansfeld, la « Maison de plaisance » évoquée à la note précédente. 669 En fait, lorsque le journaliste du Mercure évoque les lieux en 1687, il ne subsiste du château de Mansfeld, depuis longtemps, que des masures, comme en témoigne cette relation d’Eustache Wiltheim, rédigée une quarantaine d’années plus tôt, vers 1650, manuscrit conservé à la bibliothèque municipale (Stadtbibliothek) de Trèves et publiée sous forme imprimée par Othon Scholer dans son édition de l’ouvrage de Jean Guillaume Wiltheim, cit. ci-dessus n. 667. L’auteur dont le but est une description détaillée du monument, justifie son entreprise par le souci de conserver pour la postérité le souvenir d’un ensemble architectural exceptionnel. En effet, l’abandon dans lequel on laisse les constructions, par insouciance ou par crainte des dépenses, risque de les faire disparaître à court terme : durch Unachttsamkeitt, oder zu Vermeÿttungh des schwahren Und Kostbahren Underhalts, Undd Reparationen, das gebeuw sehr bauwfelligh, Und wie zuvermutten gantz Unndt gahr In einen hauffen fahlen wirdt, Undt dass die posteritett davon so wenigh, als Von dem Zerstoerten Fürstlichem schloss kein nachrichtungh haben werden, deswegen wirdt alhir […] erhellet (del : erzehltt), wie derselb Pallast Unndt Zubehoer erbauwett worden, Unnd In was gestallt Undt Wesen er Anno 1609 sich befunden ; [.] (Kurzer […] Bericht und Beschreibungh des Hauses, Schloss und Landts Lutzemburgh […] Der Pallast des Fürsten Undt Graffen zu Mansfeldt […], dans O. Scholer, op. cit., p. 142). [par inadvertance ou pour éviter les lourds et coûteux frais d’entretien et de réparations, l’édifice est devenu très caduc, et il est à prévoir qu’il s’écroulera complètement, en sorte que la postérité apprendra peu, pour ne pas dire rien, de ce château princier détruit. C’est pour cette raison que nous exposons ici comment le palais et ce qui en fait partie a été construit et comment il s’est présenté en l’année 1609. (Nous traduisons)]. C’est ce déplorable état des lieux qui expliquera que le Mercure expédie en quelques mots la « Maison de plaisance située sur la Riviere ». Toutefois la triste destinée du monument ne résulte pas, ou du moins pas seulement, comme le fait entendre le même Mercure, « des guerres », mais des dispositions testamentaires de Mansfeld et de l’incurie du bénéficiaire, Philippe III en l’occurrence, à qui le comte, faute d’héritier mâle, avait légué dès 1602 les installations et collections. Le roi, après avoir assumé pendant quelques années son devoir d’entretien, ordonna en 1609 le transfert, par voie fluviale puis maritime, de l’ensemble des chefs-d’œuvre qui meublaient le château vers l’Espagne. Le bâtiment lui-même laissé à l’abandon, fut privé de ses tuyauteries à des fins militaires, alors que les matériaux de la maçonnerie furent vendus aux enchères, si les habitants de Clausen ne s’en servaient pas pour leurs propres besoins. Ceci étant, on notera cependant que ce qui restait du palais avait subi les effets des incendies provoqués par le bombardement français de la ville en 1683 - voir ci-dessus n. 627 « Journée des Carcasses » - d’où, peut-être, l’observation du Mercure sur les guerres responsables de la ruine de l’installation (voir É. Probst « Noël 1683 : Bombardement de Luxembourg », dans Academia, Luxembourg, Jg. 1938, p. 181). <?page no="228"?> 228 Journal Nouvelle façade du Palais de Justice après les transformations du XIX e siècle État ancien des façades © Fonds de Rénovation de la Vieille Ville Photo de la façade actuelle <?page no="229"?> 229 Journal Stucs aux plafonds du rez-de-chaussée © Fonds de Rénovation de la Vieille Ville Esquisse du Palais des Gouverneurs par Adam-Frans van der Meulen - façade arrière - © Mobilier national <?page no="230"?> 230 Journal Plan du logement du roi (Source : Fonds de Rénovation de la Vieille Ville/ Rapport d’activité et bilan 1995, p. 35). <?page no="231"?> 231 Journal Luxembourg e ſ t ſ itué ſ ur une hauteur à l’extremité d’un grand terrain du co ſ té de l’Oue ſ t & du Sud fondé ſ ur un roc qui a e ſ té coupé plus de quatre pieds en terre dans les endroits où l’E ſ planade 670 du Glacis 671 n’e ſ t pas ſ elon les Regles 672 , & comman [212] dé par le chemin couvert 673 . A ſ on E ſ t, & à ſ on Nord, ce ſ ont des Vallées prodigieu ſ es qui ſ emblent inacce ſſ ibles à toutes les Nations ; & cependant c’e ſ t par ces abîmes qu’on a pris la Place 674 . L’une de ces Vallées entre le Nord & l’E ſ t, e ſ t arro ſ ée par l’E ſſ e 675 , petite Riviere ſ ans commerce qui vient du co ſ té du Sud d’Er ſ che Bourgade 676 , & qui va ſ e rendre dans la Mo ſ elle aprés s’e ſ tre jointe au Sours 677 , & à Selbourg 678 vers Vasbiling 679 . [213] L’autre e ſ t remplie vers le Sud-e ſ t de quelque petits Rui ſſ eaux de Ravines. Il ſ e trouve pourtant entre l’E ſſ e une langue de terre où e ſ t la Porte 670 « Espace dégagé approximativement modelé compris, à l’intérieur de l’enceinte d’une ville, entre les fortifications et les maisons, ou régnant à l’extérieur d’une place en avant du glacis » (Fort Thüngen. Plate-forme, sousterrains et partie extérieure du réduit. L’enveloppe et les autres éléments du fort. Dossier établi par André Bruns, 2011, p. 69). AB Il s’agira de cette deuxième acception qui est aussi celle du Dictionnaire de l’Académie de 1694 : « Espace uni & découvert devant un lieu basti ou devant une place fortifiée. » 671 « Talud, pente douce & unie » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). « Dans l’architecture classique et moderne, le mot désigne plus particulièrement le plan faiblement incliné qui raccorde la crête du chemin couvert avec le niveau naturel du terrain qui s’étend devant la place » (Fort Thüngen, op. cit., p. 70). 672 « Place irrégulière est celle dont les costez & les angles sont inegaux ». (Dictionnaire de Trévoux, op. cit., t. VI, p. 805, col. 2). 673 « Corridor [ou] Chemin couvert, Le corridor regne autour de la place & des demilunes, & a son parapet » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). « Chemin aménagé sur la contrescarpe et protégé par le relief du glacis » (Fort Thüngen, op. cit., p. 68). 674 L’attaque principale (nuit du 8 au 9 mai) se fit par la plaine, sur le front de la Porte Neuve, entre les bastions Marie et Berlaimont. 675 L’Alzette. Autres graphies au XVII e siècle : Else, Als, Alsits. Voir Histoire du Siège de Luxembourg. Par l’Autheur du Mercure Galant, op. cit., p. 21 : « Quant à la Ville qui porte le nom de Luxembourg […] la Riviere d’Else, que quelques-uns apellent Als ou Alsits, l’environne presque entiere. » 676 Esch-sur-Alzette. 677 La Sûre. L’Alzette se jette dans la Sûre près d’Ettelbruck ; les deux cours d’eau rejoignent la Moselle à Wasserbillig. Le nom de Selbourg fait problème. D’après la construction de la phrase « aprés s’estre jointe au Sours, & à Selbourg vers Vasbiling », il s’agirait d’un cours d’eau plutôt que d’une localité. Avancera-t-on le nom de l’Our qui rejoint la Sûre, non, certes, à Wasserbillig, mais bien en amont, à Wallendorf, près de Diekirch ? S’il est vrai que la Sûre augmentée de l’Alzette et de l’Our se jette dans la Moselle à Wasserbillig, la formulation du Mercure pêcherait cependant par une inexactitude prononcée. 678 Voir note précédente. 679 Voir n. 677. <?page no="232"?> 232 Journal de Trêves, & une autre langue plus ſ pacieu ſ e occupée par un Fort nommé du Saint E ſ prit, que l’on a fortifié depuis que le Roy a conquis la Place 680 . Elle e ſ t divi ſ ée en haute, & en ba ſſ e Ville. La haute e ſ t l’ancien Luxembourg, réparé, & fortifié de nouveau. On a fait une Porte [214] neuve qu’on appelle de FRANCE, vers No ſ tre-Dame de Con ſ olation 681 , l’on a pou ſſ é le Ba ſ tion de Chimay 682 , ju ſ ques au delà de l’In ſ ulte. La ba ſſ e-Ville e ſ t compo ſ ée de deux Fauxbourgs, rendus celebres par le dernier Siege. L’un e ſ t nommé le Paffendal, arro ſ é par le principal Canal de l’E ſſ e. L’autre e ſ t le Min ſ ter 683 ou le Grompt moüillé au ſſ i par un bras de l’E ſſ e. Entre ces deux Fauxbourgs, e ſ t la Porte de Treves 684 , & une [215] Plate-forme au de ſſ ous qu’on appelloit le Pa ſ té 685 . A l’extremité du Min ſ ter vers la droite e ſ t le nouveau fort du Saint E ſ prit 686 . M r de Montaigu 687 a levé avec du carton le Plan de cette formidable 680 Voir ci-dessus n. 648. 681 La Porte Neuve est à localiser dans le tronçon de l’actuelle avenue de la Porte Neuve placé entre la rue des Bains et le Boulevard Royal. 682 Le bastion Chimay, connu aussi sous le nom de bastion Berlaimont, se situait sur le coin côte d’Eich/ Boulevard Royal. 683 Neumunster, siège de l’abbaye du même nom, actuellement Centre Culturel de Rencontre Abbaye de Neumunster dans le Grund. 684 Dans l’actuelle rue de Trèves. 685 Le « Pâté/ Pastetchen » aménagé par les Espagnols à la droite du bastion Beck, sis sur l’actuel boulevard Roosevelt (voir J.-P. Koltz, Baugeschichte, op. cit., p. 121). « Pasté est […] un terme d’Architecture militaire & il se dit d’une sorte de fortification de figure ronde, attachée au corps d’une place, ou d’un ouvrage avancé ». « Le Pasté est une espece de tour ronde, basse, plate & terrassée » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). 686 Voir ci-dessus n. 648. 687 W. Bonacker, Kartenmacher aller Länder und Zeiten, Stuttgart, Hiersemann, 1966, p. 163, se contente de signaler l’initiale du prénom et de le situer dans la deuxième moitié du XVII e siècle, sans plus. La Bibliothèque Nationale de France, de même que le Catalogue collectif de France, placent sa mort au début du XVIII e siècle. La Bibliothèque Nationale de France possède de lui un « Plan du port de Cette [Sète] qui contient la sonde qui en a esté faitte au commencement du mois d’aoust 1693 ». Des renseignements plus complets sont fournis par A. Blanchard, Dictionnaire des Ingénieurs militaires 1691-1791, Montpellier, Centre National de la Recherche scientifique et Université Paul Valéry, 1981, p. 546 : David de Montaigu est né à Metz en 1645, de Pierre de Montaigu, maître orfèvre, et de Sara de Marsal, elle-même fille de Pierre de Marsal, orfèvre lui aussi, et adhérent de l’Église réformée de Metz. Le 15 juin 1686, il se marie à Pinet, dans le Languedoc, avec Anne de Gregoire de la Peyrille. De ce mariage naît Antoine de Montaigu, ingénieur ordinaire, comme son père. Celui-ci, en tant qu’ingénieur ordinaire affecté en 1675 au département de Colbert, est en poste à Guise, Péronne et Toulon. En 1684, il travaille au Canal des Deux Mers ; il est nommé ingénieur en chef à Sète, où il meurt en activité le 2 septembre 1720, à l’âge de soixante-dix ans. <?page no="233"?> 233 Journal Place, où l’on en remarque ai ſ ément toutes les beautez, avec toutes les augmentations que le Roy y a faites 688 . Toute l’Allemagne a e ſ té ſ urpri ſ e de voir avec quelle promptitude on en a reparé les bréches, & avec quelle facilité ſ ans avoir [216] égard à la dépen ſ e, on a augmenté cette Ville de plus de deux tiers, afin d’occuper tout le terrain qui ſ embloit e ſ tre favorable pour en approcher. Aprés vous avoir fait voir la ſ ituation de la Place, il faut que je vous trace icy le Plan des Fortifications. L’entrepri ſ e e ſ t hardie, & un terme mis au lieu d’un autre, peut répandre de l’ob ſ curité dans ce que je vous diray, les de ſ criptions de cette nature, quel [217] ques 689 claires qu’elles ſ oient, n’e ſ tant qu’à peine intelligibles pour ceux qui ne ſ ont pas du me ſ tier. Joignez à cela que je puis expliquer mal des cho ſ es, dont je n’ay pas toutes les lumieres nece ſſ aires, pour e ſ tre a ſſ euré que je ne me trompe point. Cependant je ſ uis per ſ uadé que quelques fautes que je pui ſſ e faire, & que j’aye peut-e ſ tre me ſ me déja faites depuis que j’ay commencé à vous parler de Fortifications dans cette Lettre, ce que je vous en ay dit, [218] & ce qui me re ſ te à vous expliquer, ne lai ſſ era pas de donner de hautes idées de la pui ſſ ance du Roy, & de la force de Luxembourg. L’ancienne Ville qui e ſ t toute ſ ur un terrain élevé, e ſ t un Heptagone 690 ayant un Ba ſ tion coupé 691 par le deffaut du terrain de Paffendal. Elle a trois portes ; l’une vers le Couchant, c’e ſ t celle de FRANCE 692 ; l’autre au Nord, c’e ſ t celle de Paffendal 693 ; la troi ſ iéme [219] vers l’Orient 694 , c’e ſ t celle de Tréves, & une quatriéme pour les ſ orties regardant le Midy 695 . La premiere & la derniere ſ ont dans la haute Ville bien flanquées de bons ba ſ tions, & de dix 688 Pour ce plan, voir ci-dessous n. 744. 689 L’accord au pluriel de « quelque » suivi d’un adjectif était courant au XVII e siècle. Voir, à titre d’exemple, Corneille, Pulchérie, II, 1 : […] ses feux/ Quelques ardents qu’ils soient […], dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, t. II, p. 1134. 690 Pointé par sept bastions, selon l’interprétation la plus probable, Jost, Marie, Berlaimont, du Château, du Grund, du Saint-Esprit, Beck. Il est formé par cinq angles sortants et deux angles rentrants. À noter que les bastions du Gouvernement et du Grund ne méritent pas la désignation de « Bastion ». 691 « Demi-Bastion, Ouvrage de fortification qui n’a qu’une face & qu’un flanc, & qui a les parties de la moitié d’un bastion […] » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). Le « bastion coupé par le deffaut du terrain de Paffendal » est le bastion Berlaimont. « Bastion, Sorte de fortification un peu avancée hors du corps d’une place, tenant des deux côtés à la courtine » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). 692 La Porte Neuve. 693 Dans la Montée de Pfaffenthal. 694 La Porte de Trèves, dans l’actuelle Rue de Trèves. 695 La Porte de Thionville, dans l’actuelle rue Saint-Ulric. <?page no="234"?> 234 Journal Redoutes 696 , ſ outenuës de bons Cavaliers 697 , où l’on mettra quarante pieces de Canon. On peut voir dans la premiere porte quelle ſ upercherie peuvent faire ceux qui ſ e deffendent dans leurs mai ſ ons. La premiere entrée pri ſ e, il ne faut aller [220] que pied à pied à la ſ econde & la troi ſ iéme e ſ t encore mieux gardée que les premieres. Les Redoutes ſ ont po ſ tées aux endroits les plus foibles des Courtines 698 pour deffendre le chemin couvert, & pour commander ſ ur toute l’E ſ planade ; elles ſ ont élevées ju ſ ques au cordon 699 pour répondre au rez de chau ſſ ée, & pour ra ſ er l’E ſ planade. Au de ſſ us e ſ t une Plate-forme avec un Parapet 700 dont on ſ e ſ ert ju ſ qu’a ce que le Canon [221] l’ait renver ſ é ; on ſ e retire au de ſſ ous où ſ ont des Sarbacanes 701 pour tirer ſ ur le chemin couvert & dans le glacis. De-là on a encore un étage en terre d’où l’on ſ e peut deffendre long-temps, & quand on e ſ t pour ſ uivy par les Galeries 702 , on a des portes avec du Canon de Campagne 703 . Si les Ennemis vouloient e ſ tablir un logement 704 autour de ces redoutes, il y a des 696 « Pièce de fortification construite en forme de petite tour quarrée » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). « Ouvrage extérieur et détaché de faible capacité ; peut devenir le réduit d’un fort. La redoute peut faire partie d’une ligne, de groupes d’ouvrages » (A. Bruns, Fort Thüngen, op. cit., p. 74). On comptait sept redoutes sur le front de la plaine : Peter, Lambert, Louvigny, Vauban, Marie, Royal, Berlaimont ; une redoute sur le front de Trêves : du Gronde (de Beaumont, du Rham) ; deux redoutes sur le front de Thionville : de Piedmont (Piémont, plus tard, Wallis), Bourmont. 697 « Sorte de fortification de terre fort eslevée & où l’on met des pieces de canon, soit pour l’attaque, soit pour la défense d’une place » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). 698 « Murs qui sont entre deux bastions » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). 699 « Cordon de muraille : Un rang de pierres qui est en saillie, régnant autour de la muraille au dessous du parapet » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). 700 Il s’agit ici de l’acception militaire du terme « parapet » telle que définie ci-dessus. Voir ci-dessus n. 69. 701 Embrasures pour les canons, meurtrières pour les fusils. 702 « On appelle […] Galerie, en termes de fortification, Le travail que l’on fait dans le fossé d’une place qu’on attaque pour aller à couvert de la mousqueterie au pied de la muraille » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). 703 « On appelle, Pieces de campagne, Les petites pieces d’artillerie que l’on mene aisément en campagne » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). 704 « On dit en termes de guerre Faire un logement sur la contrescarpe*, sur la demi-lune etc. pour dire, S’y retrancher & s’y mettre à couvert contre les ennemis » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). Voir aussi n. 591. * « Contrescarpe […] Le talus ou la pente qui regarde la place qui luy est opposée » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). « Mur extérieur d’un fossé, en-dessous du chemin couvert et du glacis » (Fort Thüngen, op. cit., p. 68). <?page no="235"?> 235 Journal Mines 705 & des contre-mines 706 toutes di ſ po ſ ées pour empe ſ cher les [222] Travailleurs d’avancer leurs ouvrages. Les Fourneaux 707 ſ ont ſ i bien menagez qu’ils ne peuvent manquer leur coup. On a fait deux demy-Lunes 708 dans cette ancienne enceinte. Le Ba ſ tion de Chimay 709 , qui e ſ t à l’extremité du Roc, & qui commande ſ ur la Porte de Paffendal, e ſ t ſ oûtenu par deux autres Ba ſ tions 710 avancez le long de cette cime, qu’on peut appeler une Demy-lune, & une autre Contre-garde 711 , ce qui ſ emble e ſ tre hors [223] d’in ſ ulte, parce qu’on a fait la dépen ſ e de tailler dans le roc, & qu’on s’e ſ t attaché à le rendre inacce ſſ ible ; & comme la Riviere 712 qui pa ſſ e au de ſſ ous de la Porte 713 , a une hauteur dans ſ on bord oppo ſ é qui commande la Ville 714 , car ce fut là qu’on mit une Batterie pendant le dernier Siege, pour ruiner le Palais du Gouverneur, ſ on Ba ſ tion, & la Porte, le Roy a fait faire ſ ur la cime de cette hauteur deux Ouvrages à corne 715 , [224]qui renferment tout l’e ſ pace par où l’on avoit à craindre. 705 « Mine, Travail souterrain qui se fait sous un bastion, sous un rempart, sous un roc &c. pour le faire sauter par le moyen de la poudre a canon » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). « Contremine, Mine que l’on fait pour empescher l’effet d’une autre mine » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). On se reportera à l’ouvrage d’A. Bruns, Fort Thüngen, op. cit., p. 71-72 pour un bref historique de la technique. 706 Voir note précédente. 707 « Fourneau, se dit […] d’Un creux fait en terre, & chargé de poudre, pour faire sauter une muraille ou quelque autre ouvrage qui sert de fortification à une place » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). A. Bruns, Fort Thüngen, op. cit., précise que le « fourneau de mine » désigne la chambre de mine contenant la charge de poudre, alors que le terme de « chambre » s’applique à la mine vide. 708 « Demie-Lune, Ouvrage de Fortification fait en triangle dans les dehors d’une place de guerre, au devant de la courtine de la place, & servant d’en couvrir la contrescarpe & le fossé » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). 709 Voir ci-dessus n. 682. 710 Éventuellement Petit et Grand Bastion du Gouvernement. 711 « Contre-Garde, Terme de fortification, & signifie une espece de demi-lune » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). « Contre-garde. Ouvrage construit en forme de redan autour d’un bastion ou d’une demi-lune » (J. Dollar, Glossaire militaire, dans Vauban à Luxembourg, op. cit., p. 123). On ajoutera la définition du redan : « Piece de fortification en forme d’angle saillant hors de la ligne de quelque ouvrage de fortification que ce soit » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). 712 L’Alzette. 713 Porte du Pfaffenthal. 714 Hauteur du Pfaffenthal. 715 « On appelle en termes de fortification, Ouvrages à cornes, de certains travaux avancez dans les dehors d’une place qui consistent en une courtine & deux demibastions » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). <?page no="236"?> 236 Journal Une Ligne de communication prend de l’extremité de la Contre-garde du Ba ſ [225]tion de Chimay, de ſ cend par la Porte de Paffendal dans la riviere, & va joindre ces Ouvrages, qui ſ ont faits avec toute l’indu ſ trie de l’art, pour battre la Plaine d’au-delà, pour commander ſ ur le vallon où coule l’E ſſ e, & pour défendre le Chemin couvert de la Contre-garde du Ba ſ tion de Chimay ; & afin qu’on ne prenne pas ces Ouvrages par le vallon, Sa Maje ſ té qui voit tout avec des lumieres qui ne cedent en rien à celles de ses Ingenieurs, a ordonné deux redoutes au de ſſ ous prés de la Riviere 716 . Ain ſ i le Fauxbourg du Paffendal qui e ſ t ſ ur l’eau, ſ era défendu & couvert de toutes parts. On y fait un Hôpital 717 , & il y aura des Cazernes, & des Maga ſ ins comme dans la Ville. Il e ſ t fermé à la droite par [226] une autre Ligne de communication ſ emblable à la premiere, qui joint le ſ econd Ouvrage à la Porte de Treves, qui ſ e trouve a l’extremité d’une languete pri ſ e dans le roc qu’on a percé en deux endroits, pour faire pa ſſ er des chariots, & les Troupes du Paffendal au Min ſ ter, ſ ans monter dans la Ville 718 . Le Min ſ ter e ſ t au ſſ i défendu par cette Porte, & par le Fort du Saint E ſ prit 719 , qui a quatre Ba ſ tions 720 con [227] ſ truits ſ ur une petite éminence qui commandoit dans le Fauxbourg. Ces quatre 716 Les redoutes du Pfaffenthal, à gauche du futur Fort Olizy (voir l’actuelle rue Fort Olizy dans le Grund) et du Parc, noyau du futur Fort Thungen, dont subsistent les trois tours dites « Trois Glands », au Kirchberg. 717 Il s’agit de l’Hôpital Royal prévu par Vauban au Pfaffenthal sur la rive droite de l’Alzette entre la redoute Berlaimont et l’Ouvrage couronné du Paffendal, le futur fort Niedergrünewald. Les travaux d’entrepreneur furent confiés à un certain Barbe qui régla au mois de décembre 1687 les frais des taille de pierre aux dénommés Mommen et Lesperouse. La première description détaillée de l’édifice due à Nicolas de Jamez, colonel-ingénieur et directeur du Génie, est postérieure à 1755. On trouvera les détails dans l’étude d’André Bruns citée ci-dessous. On notera seulement que l’édifice comportait quarante-huit chambres réparties sur deux étages dont onze réservées pour l’officier d’inspection, les garde-malades, le pharmacien, l’apothicaire, la cuisine et la chapelle, et trente-sept pour les lits pouvant aller jusqu’à 490 unités. Les contemporains signalent certains défauts majeurs telles les latrines peu hygiéniques et le poêle desservant trois salles qu’il enfumait plus qu’il ne les chauffait. Le bâtiment qui, au cours des siècles, a connu diverses affections, a été démoli en 1954 (voir A. Bruns « De Vaubang », dans 135 Joër Sang a Klang Pafendall, Pfaffenthal, Sang a Klang 1992, p. 104-126). 718 Il s’agit du Rocher du Bock et de l’actuelle rue Sosthène-Weis, anciennement Neie Wee. 719 Voir ci-dessus n. 648. 720 Bastions du Grund, plus tard Écluse du Grund, du Saint-Esprit complétés par deux demi-bastions sans nom (voir Vauban, « Plan de Luxembourg avec le Projet des Fortifications qu’on y doit adiouter du 5 juillet 1684 ». L’original de ce document a disparu dans les troubles de la Seconde Guerre Mondiale. On consultera aussi J.-P. Koltz, Baugeschichte, op. cit., t. II, p. 132 : Plan der HL. Geist-Zitadelle). <?page no="237"?> 237 Journal Ba ſ tions ſ ont ſ outenus de Demy-lunes, de Contre-gardes, & de Redoutes, qui battent toute une campagne qui regne là. Voilà les Ouvrages qui ſ e trouvent dans les Dehors de Luxembourg, & qui font environ onze Ba ſ tions, quinze Redoutes, deux Ouvrages à corne, un troisiéme 721 qu’on y ajoûte prés de la Porte des Sorties, quatre [228] Demy-lunes, trois Contre-gardes, & cinq ou ſ ix Cavaliers. Tous ces Travaux n’ont pas moins ſ urpris la Cour, qu’ils ont étonné tous les Etrangers qui les ont vûs, car cette Place qui tiroit de la France deux millions de contributions, pourroit en temps de Guerre en tirer bien davantage, & faire contribuer ju ſ ques à Mayence, à Cologne, à Rez 722 , au Fort de Skin 723 , à Namur, & à beaucoup d’autres endroits, ce qui ne [229] ſ eroit pas difficile à une Garni ſ on de ſ ept ou huit mille hommes. Je ne vous diray point à combien de millions a monté la dépen ſ e des Fortifications de cette Place, chacun en parle diver ſ ement, & met le prix aux Ouvrages de cette nature, ſ uivant l’étonnement qu’ils luy cau ſ ent. Ain ſ i il n’e ſ t pas facile de parler d’une dépen ſ e, quand elle ſ e monte à plu ſ ieurs millions 724 . Tout ce que je puis vous dire, c’e ſ t que le [230] Roy ne cherchant que l’entiere perfection dans tout ce qu’il fait faire, il y a encore de nouveaux fonds de ſ tinez pour travailler à cette Place, quoy qu’il paroi ſſ e qu’on ne pui ſſ e rien ajoûter à ces Fortifications ; mais le Roy a des yeux & des lumieres dont on ne ſ çauroit trop admirer la penetration. Je ne dois pas oublier que la petite Chapelle de No ſ tre-Dame de Con ſ olation dont je vous ay déja parlé dans ma Relation [231] du Siege, e ſ t re ſ tée en son entier, les A ſſ iegez, & les A ſſ iegeans l’ayant épargnée 725 . 721 Le projet de Vauban comprenait en fait deux ouvrages à corne : le cornichon de Verlorenkost, connu aujourd’hui sous le nom de fort Verlorenkost, et l’ouvrage à corne à la hauteur du Parc (fort Obergrünewald). Deux ouvrages à corne supplémentaires étaient prévus devant la redoute Royale et devant la redoute Louvigny, mais ils ne furent jamais exécutés. 722 Rhens, en Rhénanie-Palatinat, à 12 km de Coblence et à 94 km de Mayence. Cologne, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, est à 118 km. Un document cartographique conservé à la Bibliothèque Nationale de France et établi au XVIII e siècle, donne la graphie « Rees » (« Plan de la ville et du fort de Rees », cote GE DD - 1335 (79)). 723 Dans la province de Gueldre : « le fort de Skin … qui ouvre l’entrée dans le coeur de la Hollande » (P. Bayle, Dictionnaire historique et critique, t. II, 3 e éd. Revue et corrigée, Rotterdam, Michel Bohm, 1720, p. 1783 n. col. 2). 724 On se référera ici au devis établi par Vauban en date du 10 juillet 1684 et conservé à Paris, aux Archives de l’Inspection du Génie, document reproduit partiellement par J. Dollar, Vauban à Luxembourg, Place forte de l’Europe (1684-1697), op. cit., p. 74-88 : la somme avancée est de 1 580 000 livres soit 14 931 000 € . 725 La chapelle installée sur le glacis de la forteresse (actuel boulevard de la Foire) était le premier lieu du culte de Notre-Dame de Luxembourg, Consolatrice des Affligés. C’est à ce culte que fait allusion l’auteur du Mercure, quand il écrit que « [t] oute la Province y court avec la mesme devotion qu’on va à Notre-Dame de Liesse <?page no="238"?> 238 Journal en France ». Prenant son origine mythique dans la découverte d’une statue de la Vierge trouvée par les élèves du collège des Jésuites dans les espaces boisés devant les portes de la ville, il fut orchestré par Jacques Broquart SJ qui, dans un premier temps, en 1624, désigna l’emplacement du futur sanctuaire par l’implantation d’une croix, avant de passer à la construction proprement dite, achevée en 1627. Le culte prend ainsi son essor ponctué par deux points forts, celui, d’abord, en 1666, de l’élection de la Vierge au titre de Patronne de la Ville, auquel s’ajoute, en 1678, celui de Patronne du pays entier. S’installe aussi, alors, la tradition du transfert annuel, pour une période déterminée, de la Statue intra muros, procession qui l’amène de la chapelle du Glacis vers l’église des Jésuites, à présent cathédrale de Luxembourg ; à la fin du temps des dévotions - l’actuelle « Octave » - elle regagnait à l’époque son sanctuaire hors la ville. Pendant la présence française, qui donnait lieu, justement, au Voyage de Louis XIV, cette Procession avait fait l’objet d’une violente altercation entre les Jésuites de la ville et Antoine Arnauld, le chef de file des jansénistes français dont on trouvera les détails dans notre étude sur La Querelle janséniste extra muros ou la polémique autour de la Procession des Jésuites de Luxembourg du 20 mai 1685, Tübingen, Gunter Narr, coll. « Biblio 17 », N° 162, 2005. Quant au destin de la chapelle pendant le siège de 1684 dont, selon le Mercure, elle serait sortie indemne, parce qu’ épargnée « par les Assieges & les Assiegeans », il est peutêtre moins rassurant que le veut le chroniqueur. D’une part, l’Histoire du Siège de Luxembourg Par l’Autheur du Mercure Galant, op. cit., ouvrage, donc, de la même provenance que le Journal du Voyage, donne de nombreux détails qui prouvent que les Français avaient ouvert, dans la nuit du 8 mai 1684, leur tranchée aux alentours de la chapelle (op. cit., p. 95-96), d’où, par ailleurs, prennent leur départ de nombreuses opérations (p. 123-124 ; 135-136 ; 139 ; 144 ; 255-256). De même l’Histoire mentionne plusieurs attaques du site par les Espagnols que l’on voit sous le feu ennemi (p. 178), sans que, il est vrai, des dommages causés au sanctuaire proprement dit soient signalés. Une conclusion différente, toutefois, pourrait se dégager d’un texte conçu par les Jésuites de Luxembourg pour présenter leur procession de 1685. Dans le Dessein de la Procession qui se fera par les Ecoliers du Collége de la Compagnie de JESUS à Luxembourg le 20. May mil six cent quatre-vingts-cinq, paru à Metz chez Pierre Collignon, le lecteur se voit présenter différents « théâtres », sortes de stations qui marquent les haltes du pieux cortège. Le second de ces « théâtres », évoqué à la p. 9 du Dessein, est décrit comme suit : « THEATRE II » Mars commande à ses guerriers et à Vulcain, Bronte, Sterope, Pyracmon & autres anciens Bombardiers, de prendre garde de ne plus faire aucune insulte à la Chapelle de Nôtre-Dame de Consolation », façon de suggérer que les Espagnols, représentés ici sous forme de divinités mythologiques, ont « insulté », c’est-à-dire bombardé et endommagé le sanctuaire. Hypothèse confirmée, justement, par le Théâtre I (ibid.) qui met en scène les frais engagés par Louis XIV pour la réparation de la chapelle : « Theatre I » Le Roi par un effet de son zèle et de sa libéralité donne un fond pour réparer la Chapelle de Notre Dame de Consolation ». Nouvel indice de dommages subis et que, d’ailleurs, le Mercure même a reproduit dans la relation de la Procession qu’il <?page no="239"?> 239 Journal Toute la Province y court avec la me ſ me devotion qu’on va à No ſ tre-Dame de Lie ſſ e en France 726 . Il faudroit pour ſ e bien repre ſ enter l’a ſ pect de cette Place, avoir vû les deux Tableaux que M r de Vandermeulen 727 en a faits pour le Roy. Ils sont à avait offerte à ses lecteurs dans son numéro de juin 1685, p. 89-99 : « le Roy avoit donné ordre que l’on reparast la Chapelle de Nôtre-Dame de Consolation. » Il est donc difficile de maintenir que l’édifice, épargné de part et d’autre, serait resté « en son entier ». De fait, des témoignages subsistent dont celui de l’explosion, en date du 12 mai 1684, d’un fourgon à munitions, garé près du sanctuaire et atteint par le feu espagnol arrosant les Français ; l’ouvrage en fut plus qu’égratigné avec sa façade trouée à plusieurs endroits (voir F. Lascombes, « Die Glaciskapelle gestern (1624-1796) und heute (1885-1985) », dans Letzeburger Sonndesblad, 2 e partie, N° 38, 1985, p. 5). 726 Sanctuaire marial à Liesse, près de Laon, dans l’Aisne. Le culte initié au début du XII e siècle par les Chevaliers d’Eppes, croisés faits prisonniers, mais miraculeusement sauvés par la Vierge de leur cachot égyptien, s’est maintenu depuis. Le pèlerinage a connu un temps fort au XVII e siècle tant par le nombre des dévots que par les fréquentes visites royales dont celle de Louis XIII et d’Anne d’Autriche venus implorer la naissance d’un dauphin et celles, précisément, de Louis XIV, venu non moins de six fois, et pour la dernière en 1680. Pour les détails, voir B. Maes, Notre- Dame de Liesse. Une Vierge noire en Picardie, Langres, Éditions Dominique Guéniot, 2009. 727 Adam-Frans van der Meulen (1632-1690) est né à Bruxelles dans une famille bourgeoise : son père aura été notaire. En 1646, il commence son apprentissage dans l’atelier de Pieter Snayers, peintre de batailles au service des gouverneurs des Pays- Bas espagnols, mais dont il raffina l’art au point de se créer une réputation allant au-delà de celle du maître. Aussi Colbert l’intégra-t-il, en 1664, à la manufacture des Gobelins dirigée par Charles Le Brun, premier peintre du Roi. Occupé d’une part à la réalisation des modèles pour les tentures de Le Brun - dont des esquisses pour les célèbres tapisseries de l’Histoire du Roy, ensemble d’œuvres destinées à immortaliser la geste de Louis XIV - il avait aussi pour tâche de relever sur place les vues des villes récemment conquises par le roi pour servir aux représentations tissées ou peintes. Son talent et la protection de Le Brun lui valent toutes sortes de faveurs dont celle d’être agréé à l’Académie de peinture avec dispense du traditionnel morceau de réception. Toutefois, lorsqu’à la mort de Colbert Louvois soutient Mignard contre Le Brun, il s’éloigne de son mentor pour ne pas prendre préjudice d’un attachement devenu compromettant. Dès 1670, Van der Meulen a eu mission de décorer le Pavillon royal de Marly. Les esquisses réalisées au cours de ses déplacements sur les sites des combats sont à la base des grands tableaux militaires disposés à Marly, dont ceux concernant Luxembourg (voir note suivante). Pour plus de détails, voir Dictionnaire du XVII e Siècle, op. cit., p. 1562-1563, À la gloire du Roi. Van der Meulen, peintre des conquêtes de Louis XIV, Musée des Beaux-Arts de Dijon/ Musée d’Histoire de la Ville de Luxembourg, Paris, Imprimerie Nationale des Éditions, 1998 et I. Richefort, Adam-François van der Meulen (1632-1690) : peintre flamand au service de Louis XIV, Bruxelles, Dexia, Fonds Mercator, 2004. <?page no="240"?> 240 Journal Marly, & ont chacun onze pieds de longueur 728 . Ils repre ſ entent deux faces de [232] la Place, de ſ es Fortifications, & de ſ es avenuës ; mais avec une telle regularité, que ceux qui ont veu ces Tableaux ne ſ çauroient ſ e ſ ouvenir de la moindre cho ſ e, qu’ils ne la reconnoi ſſ ent au ſſ i-to ſ t dans l’un ou dans l’autre. Ces Tableaux ſ ont gravez avec les E ſ tampes de M r de Vandermeulen dont je vous ay déja parlé, qui repre ſ entent toutes les Conque ſ tes du Roy de la me ſ me maniere. Ain ſ i ſ i la de ſ cription que je viens de [233] faire de cette Place, excite en vous ou en vos Amis, la curio ſ ité de la voir d’un coup d’œil, vous pouvez 728 Il s’agit des deux tableaux repésentant l’un la « Prise de Luxembourg par le maréchal de Créquy, 3 juin 1684 » et l’autre la « Vue de la ville de Luxembourg du côté des bains de Mansfeld, le 3 juin 1684 ». Ces tableaux disposés à l’origine dans le château de Marly, d’abord, de 1693 à 1713, pour la « Vue de la ville », dans le cabinet d’angle de l’Appartement 4 (Sud-Est), pour la « Prise de Luxembourg », dans la chambre occupée dans le même Appartement par intervalles par Monsieur, la Princesse Palatine, les ducs de Bourgogne, le duc de Berry, furent transférés dans la suite vers le vestibule Est, où Piganiol de La Force en constata la présence en 1707 (voir S. Castelluccio, « Le décor peint des vestibules, du salon et de l’appartement du roi à Marly, 1686-1738 », dans De Chasse et d’Épée. Le décor de l’Appartement du Roi à Marly, Paris, Editions l’Inventaire, 1999, p. 50 ; Id. ; « Les ‘Conquestes du Roy’ du château de Marly », dans À la Gloire du Roi. Van der Meulen, peintre des conquêtes de Louis XIV, op. cit., p. 220-231). Ils se trouvent actuellement au Château de Versailles (Prise de Luxembourg) MV 2225 et au Musée du Louvre (Vue de la ville de Luxembourg) INV 1507. Pour Piganiol, voir Nouvelle description des Chateaux et Parcs de Versailles et de Marly […], Paris, Veuve Delaulne, 1730, t. II, p. 246-247. Onze pieds correspondent à ~3,27 m (pied français entre 1668 et 1799 = 29,76 cm). En fait, dans l’état actuel, les deux œuvres mesurent 4 m de longueur, mais dans la suite des temps, elles ont été agrandies l’une et l’autre dans le sens de la longueur. On notera aussi que si Nicolas Bailly, dans son Inventaire, retient la largeur (au sens de longueur) de onze pieds pour la « Prise de Luxembourg », il ne mesure pour la « Vue de la Ville » que 10 pieds, 10 pouces soit, le pied comptant douze pouces, deux pouces de moins que les onze pieds du Mercure (voir N. Bailly, Inventaire des Tableaux du Roy […]. Publié pour la première fois par F. Engerand, Paris, E. Leroux, 1899, p. 418-419). On relira avec intérêt la belle étude de Guy Thewes et son rapport original établi entre les postulats artistiques de Van der Meulen et les célèbres « règles » du théâtre classique (« Peinture, théâtre et propagande : Le siège de Luxembourg et sa représentation par Van der Meulen », dans A la gloire du Roi. Van der Meulen, peintre des conquêtes de Louis XIV, op. cit., p. 264 et s.). L’exigence de la « vraisemblance », codifiée par Racine (Préface de Bérénice) et par Boileau (Art Poétique, Chant III) se répercute aussi, selon l’auteur, dans ce parti pris de réalisme qui signale les œuvres du peintre, et auquel le Mercure galant, dès mois de mai 1685, a rendu un bel hommage : « M r Van der Meulen n’a aucun besoin de fiction pour ses Ouvrages. Ce qui part de son Pinceau, ne represente jamais que la verité, & l’on reconnoit au premier coup d’œil ce qu’il a dessein de faire voir. C’est par là qu’on l’a choisy pour peindre les glorieuses conquestes de Sa Majesté. » (Mercure galant, mai 1685, p. 15-16). <?page no="241"?> 241 Journal avoir recours à ces E ſ tampes, qui ſ ont recherchées dans toutes les parties du monde 729 . Le Roy ayant re ſ olu de ne demeurer que deux jours à Luxembourg, monta à cheval au ſſ i-to ſ t qu’il y fut arrivé, & en alla vi ſ iter les Dehors. M r de Louvois qui e ſ toit de retour depuis un jour de ſ on Voyage d’Al ſ ace, & M r de Vau [234] ban 730 , qui ſ ont les deux per ſ onnes qui pouvoient rendre un compte 729 Pour le soin de Van der Meulen de faire exécuter des estampes de ses tableaux, on relira encore le Mercure galant au numéro du mois de mai 1685, p. 16-17 : « il a encore pris le soin de faire graver ses desseins par de tres habiles Graveurs, afin que les Etrangers puissent avoir l’avantage d’en joüir comme ils ont fait dans les années précédentes. » Suit l’énumération des tableaux exécutés entre 1667 et 1685. Quant aux estampes des tableaux luxembourgeois, il faut noter que le Mercure galant du mois de mai 1694 annonce la mise en vente d’une gravure de Luxembourg commandée en date du 20 septembre 1692 par Marie de By, veuve du peintre, à Robert Bonnart (voir Mercure galant, mai 1694, p. 61-62). Pour les détails de l’histoire de l’œuvre gravé de Van der Meulen, voir I. Richefort, « L’œuvre gravé de Van der Meulen », dans À la gloire du Roi, op. cit., p. 322-327. 730 Vauban fait l’objet de plusieurs notes concernant des aspects particuliers de sa vie et de son action ; il suffit ici de donner un aperçu plus général de ce personnage qui figure au premier plan de l’histoire du siège de Luxembourg, puis de celui du Voyage luxembourgeois. Né, dans le Nivernais, dans une famille de petite noblesse - « Rien de si court, […], de si plat de si mince » Saint-Simon, op. cit., t. II, p. 548 - Sébastien Le Prestre de Vauban fait, sous la Fronde, un faux départ dans l’armée de Condé, sans que cela lui aliène durablement les bons sentiments du roi. Aussi quitte-t-il rapidement la clientèle de Monsieur le Prince pour rejoindre, en qualité d’ingénieur militaire, celle de Mazarin. Œuvrant comme capitaine aux côtés du roi pendant la guerre de Dévolution, qui oppose, de 1667 à 1668, la France à l’Espagne et ses alliés au sujet de la dot de Marie-Thérèse, il se signale dans la direction des sièges de Tournai, de Douai et de Lille dont il devient gouverneur et qu’il fortifie selon ses propres vues. Le roi, impressionné par sa science, le charge alors du commissariat des fortifications dont il devient titulaire effectif à partir de 1678. C’est le début du grand œuvre de Vauban qui construit ou perfectionne dans les années à venir quelque cent vingt places dont celle de Luxembourg, cette dernière devenue française dans le contexte de la politique des « réunions » et de l’extension, à cette frontière, du système défensif du « pré carré ». En tant que théoricien, Vauban a laissé des écrits substantiels dont le Traité de l’attaque et de la défense des places, l’Essai sur les fortifications, le Traité des sièges. De nombreux mémoires à sujet militaire - troupes, galères, invalides - mais aussi plus généraux, importance de Paris, navigation fluviale, dénombrement des peuples, etc. font partie d’un palmarès exceptionnellement riche et varié. On réserve souvent une attention plus particulière à un ouvrage d’ordre économique, le traité de La Dîme royale (1707), vaste proposition d’une refonte complète du système fiscal inspirée par le désir sincère d’alléger les charges des démunis : « Patriote comme il l’était, écrit Saint-Simon, il avait toute sa vie été touché de la misère du peuple, et de toutes les vexations qu’il souffrait. » (Op. cit., t. II, p. 880). On se doute du peu de succès de l’entreprise qui « ruinait une <?page no="242"?> 242 Journal exact à Sa Maje ſ té des Fortifications de cette Place, & ſ ur tout de celles qui ont e ſ té faites nouvellement par ſ on ordre, l’accompagnerent par tout. Elle vit les attaques de ſ es Troupes pendant le siege, & trouva de nouveau ſ ujets de loüanges, pour tous ceux qui avoient contribué à cette conque ſ te. M r le Comte de Blanchefort 731 s’e ſ tant trouvé au [235] prés du Roy, ce Prince toûjours plein de reconnoi ſſ ance & de bonté pour toutes les per ſ onnes qui ont du merite, témoigna le regret qu’il avoit de la mort de M r le Maréchal de Crequi son pere 732 , qui avoit fait le siege de Luxembourg ; ce qui parut touarmée de financiers, de commis, d’employés de toute espèce » (ibid.), coterie assez puissante pour prévenir le roi qui retira ses bonnes grâces au réformateur qui en « mourut peu de mois après » (Ibid., p. 884), à l’issue d’un cursus ponctué d’honneurs : Grand-croix de Saint-Louis (1693), maréchal de France (1703) Chevalier du Saint-Esprit (1705). (Pour les détails, on consultera l’ouvrage récent de Luc Mary, Vauban, le maître des forteresses, paru à Paris, en 2007, aux éditions de l’Archipel. 731 Il s’agira de Nicolas-Charles, marquis - et non comte - de Blanchefort (1669-1696), fils cadet du maréchal de Créquy. Engagé dans l’armée de Charles V de Lorraine, il était revenu malade du siège de Bude prise aux Turcs le 2 septembre 1686. Rétabli quelques semaines après la mort de son père (4 février 1687), il se présente à la cour, où le roi l’assure de sa protection. La même année, il achète au marquis de Villars le régiment d’Anjou-cavalerie et participe aux campagnes d’Allemagne et d’Italie ; on le voit au siège de Namur (1692) et à la bataille de Steinkerque (1692). En mémoire des services de son père, il est nommé brigadier à l’âge de vingt-quatre ans, puis maréchal de camp. Victime d’une fluxion de poitrine, il meurt à Tournai le 16 mars 1696. Saint-Simon brosse du personnage un portrait rapide mais flatteur - « beau, bien fait, galant, avancé et fort appliqué à la guerre » (op. cit., t. I, p. 280), que complète cette lettre adressée le 25 avril 1687 par Madame de Sévigné à Bussy-Rabutin : « […] il y a un petit Blanchefort […] revenu glorieux de Hongrie, beau, bien fait, sage et honnête, poli, et affligé, sans être abattu, des malheurs de sa maison » (Correspondance, op. cit., t. III, p. 291). Et, à l’occasion de la mort précoce du personnage, elle renchérit dans celle du 29 mars 1696, la toute dernière conservée, à Coulanges : « Toutes choses cessantes, je pleure et je jette les hauts cris de la mort de Blanchefort, cet aimable garçon tout parfait, qu’on donnait pour exemple à tous nos jeunes gens. » La suite est un vrai panégyrique d’un miroir de toutes les vertus, confirmation, en somme, des propos élogieux du Mercure (op. cit., t. III, p. 1152-1153). Voir aussi E. de Lanouvelle, Le Maréchal de Créquy, Marquis de Marines, Jules Tallandier, Paris, 1932, p. 303-304. 732 François de Bonne de Blanchefort, marquis de Créquy (1624-1687). Dès l’âge de seize ans, il participe, de 1640 à 1659, aux opérations en Flandre. En 1661, on le retrouve général des galères et commandant de l’armée du Rhin, après avoir occupé précédemment les postes de gouverneur de Béthune et de lieutenant général des armées. Fait maréchal de France en 1668, il commande encore en Lorraine, mais tombe en disgrâce pour avoir refusé de se subordonner à Turenne. Rappelé cependant au service, il commande, en 1684, devant Luxembourg et remet, le 4 juin 1684, les conditions de la capitulation au prince de Chimay, gouverneur <?page no="243"?> 243 Journal cher fort sen ſ iblement M r le Comte de Blanchefort, & renouveller dans ſ on cœur le de ſ ir qu’il a de ſ uivre ſ es traces, & d’imiter ſ ur tout ſ a prudence, & ſ a fide [236] lité pour le Roy. Le 22. Sa Maje ſ té donna audience à M r le Baron d’Ingelheim 733 , Envoyé extraordinaire de M r l’Electeur de Mayence 734 ; à M r le Baron d’Elts 735 , espagnol de la ville. Cet ami de Fouquet et de Saint-Évremond (Saint-Simon, op. cit., t. II, p. 378) que Saint-Simon qualifie de caractère brutal (op. cit., t. II, p. 240), ne redoutait personne, sauf sa femme, Catherine de Rougé, « créature altière, méchante, qui menait son mari, tout fier et tout fâcheux qu’il était, et qui n’osait la contredire » (ibid., p. 996). 733 S’agit-il de Franz Adolf Dieter von Ingelheim, neveu de l’Électeur de Mayence, Anselm Franz von Ingelheim (voir note suivante) ? Ce personnage, qui vécut de 1659 à 1742, se chargea de la rédaction des épitaphes du monument funéraire de son oncle et y fit figurer la volumineuse liste de ses propres titres : Franz Adolf Diether von Ingelheim, des Hl. röm[ischen] Reiches Ritter und Herr in Schönberg und Holzhausen, seiner kaiserl.[ichen] Majestät Geheimer Rat, des Reichskammergerichtes, das jetzt zu Wetlar ist, Präsident und der Hl.Röm[ischen] Königl.[ichen]Majestät Kämmerer. Voir N. Beyer, « Künstlerischer Ausdruck der Ansprüche und Stellung der Mainzer Erzbischöfe in der frühen Neuzeit : Das Beispiel von Grabdenkmälern », dans P.C. Hartmann (HG.), Kurmainz, das Reichskanzleramt und das Reich am Ende des Mittelalters und im 16. und 17. Jahrhundert, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 1998, p. 191 et p. 194. Dans l’index (p. 260), l’auteur précise ce cursus : Jurist, kurmainzischer Rat, Reichshofrat, 1698- 1703, Präsident des Reichskammergerichts, depuis 1711 Reichskammerrichterverweser, depuis 1730, Reichskammerrichter. Elle indique qu’il porte le titre de comte [Graf] à partir de 1737. Ceci expliquerait le titre, inférieur, de baron que lui donne, en 1687, l’auteur du Mercure. Le parcours est confirmé par H. Kohtz, « Von Ingelheim, Ritter- Freiherren, Grafen », dans Geschichte des Landes Rheinland-Pfalz.Territorien-Ploetz, Freiburg-Würzburg, 1981, p. 299. 734 Anselm Franz von Ingelheim (1634-1695), Archevêque-Électeur de Mayence de 1679 à 1695. Ce prélat qui avait fait ses études en France, doit probablement son élection au siège archiépiscopal de Mayence à l’appui des autorités françaises. Dès le début de la guerre de Succession palatine (1688-1697) entreprise par Louis XIV pour faire valoir les droits de Madame Palatine, sa belle-sœur, sur les terres allodiales de la rive gauche du Rhin, il livre Mayence aux Français avec lesquels il a conclu un traité de neutralité. La ville échappe ainsi au sort du reste du Palatinat, atrocement ravagé. 735 Le Répertoire des représentants diplomatiques depuis la Paix de Westphalie de L. Bittner et L. Gross (Repertorium der diplomatischen Vertreter aller Länder seit dem Westfälischen Frieden (1648). Herausgegeben von L. Bittner und L. Gross […], Oldenburg I.O./ Berlin, Gerhard Stalling Verlag, 1936, Bd. I (1648-1715), p. 541) signale dans sa rubrique des représentants de l’Électeur de Trèves auprès des autorités françaises une délégation de Hugo Emmerich von Eltz partant du 20 mai 1687 et s’achevant le 26 mai de la même année, c’est-à-dire correspondant presque jour pour jour au séjour de Louis XIV à Luxembourg (21-26 mai 1687). Ce sera donc de <?page no="244"?> 244 Journal Envoyé extraordinaire de M r l’Electeur de Tréves 736 , & à M r le Comte de ce représentant de la célèbre famille Eltz que traite le Mercure. Le personnage, né en 1639, était membre du chapitre de Trèves, archidiacre de Saint-Maurice de Tholey et de Saint-Pierre de Trèves. Ses bonnes relations avec la France faisaient de lui un successeur possible de Johann Hugo von Orsbeck (voir note suivante), sans que toutefois la chose pût aboutir. En 1689, l’Électeur s’étant retiré à Ehrenbreitstein, il s’employa encore à protéger Trèves d’éventuels sévices français. Il est mort le 11 mars 1698 (voir aussi F. Schorn, Johann Hugo von Orsbeck : ein rheinischer Kurfürst der Barockzeit, Köln, Wienand, 1976, p. 47). 736 Johann Hugo von Orsbeck (1634-1711), Archevêque-Électeur de Trèves de 1676 à 1711. Né dans une des premières familles de la noblesse rhénane, il fait ses études à Rome, à Paris et à Pont-à-Mousson avant d’être ordonné prêtre en 1660. Sa carrière se poursuit dans l’Église, lorsque, en 1672, il est élu coadjuteur avec droit de succession de Karl-Kaspar von der Leyen, Archevêque-Électeur de Trèves, ceci dans le contexte difficile des préparatifs de la guerre de Hollande et des efforts de la France de faire nommer outre-Rhin des responsables acquis à sa cause. Jean Hugo ne compte pas parmi les favoris de Louvois, présent à Trèves au moment de l’élection, mais on sut le convaincre de ses bonnes dispositions. Aussi, lorsque Charles Caspar meurt en 1676, le coadjuteur accède-t-il à la dignité archiépiscopale et électorale. En 1678, il opère pour être associé à la paix de Nimègue que la France conclut alors avec la Hollande, tâchant de mettre fin ainsi à la politique antifrançaise de son prédécesseur et de rétablir avec le grand voisin occidental des rapports de bonne entente. La détente, cependant, ne réussit que médiocrement. Si dans le cadre de la politique des « réunions », la France prive Trèves de certains de ses territoires, tout en essayant d’amadouer l’Électeur par des compensations territoriales et financières, Jean Hugo est revenu de ses illusions : il refuse de s’employer pour la candidature de Louis XIV au trône impérial. La prise, en 1684, de Luxembourg, forteresse que les Espagnols doivent alors céder à la France, augmente encore ses appréhensions et le pousse à se rapprocher des ennemis du roi. Les relations s’enveniment, lorsque Louis, à la mort de l’Électeur Palatin Charles II, frère de Madame Palatine, épouse de Philippe d’Orléans, prétend récupérer l’héritage de sa belle-soeur et déclenche la guerre de succession du Palatinat. Il somme Jean Hugo d’accorder libre passage à ses troupes ; le trouvant peu disposé à céder, il investit Trèves et oblige l’Électeur de quitter la ville pour se soustraire à la captivité. Pourtant, lorsque le Palatinat est mis à feu et à sang, Trèves, promise au même destin, est épargnée par ordre spécial de Louis XIV. Jean Hugo n’en poursuit pas moins sa politique de prudente réserve. En 1701, quand la guerre de Succession d’Espagne met aux prises l’empereur - Léopold I er - et le roi, désireux l’un d’établir à Madrid son fils Charles, l’autre, son neveu Philippe d’Anjou, Jean Hugo refuse encore, dans un premier temps, de prendre parti pour pencher ensuite du côté de l’empereur tout en cherchant à ménager la France. En 1710, le chapitre de Trèves lui donne comme coadjuteur le neveu de l’empereur Charles Joseph de Lorraine ; l’Électeur meurt le 6 janvier 1711, laissant le souvenir d’un prince malheureux, tiraillé entre les puissances, mais d’un homme foncièrement humble et bon, tout dévoué au bien de ses administrés (voir F. Schorn, Johann Hugo von Orsbeck, op. cit.). <?page no="245"?> 245 Journal Chellart 737 , Envoyé extraordinaire de M r le Prince Electoral Palatin, Duc de Juliers 738 . Ils e ſ toient venus faire compliment à Sa Maje ſ té de la part des Princes leurs Mai [237] ſ tres, ſ ur ſ on heureu ſ e arrivée à Luxembourg. Ces Envoyez eurent au ſſ i audience de Mon ſ eigneur, où ils furent conduits par M r de Bonneüil 739 , Introducteur des Amba ſſ adeurs, qui les avoit menez chez le Roy, & les avoit e ſ té prendre dans les Caro ſſ es de Sa Maje ſ té. Ils firent pre ſ ent au Roy de la part des Princes leurs Mai ſ tres, de plu ſ ieurs tonneaux de vin du Rhin, & de vin de Mo ſ elle, que Sa Maje ſ té receut a [238] vec les manieres honne ſ tes qui luy ſ ont ſ i ordinaires, & pour marquer que ces Pre ſ ents luy e ſ toient agreables de la 737 Schellard, François Adrien Gaspard (1628-1702). Le Repertorium, op. cit., p. 401, rubrique des agents diplomatiques de l’Électeur palatin Philippe-Guillaume (voir note suivante), ne le cite qu’investi, pour l’année 1687, d’une mission fixée au 4 avril, soit un peu moins d’un mois avant le début du voyage luxembourgeois du 10 mai. Le personnage qui gravira tous les échelons de la hiérarchie et finira général-feldmaréchal lieutenant. Plusieurs liens le rattachent au Luxembourg, dont, dès 1666, la charge de haut-amman (magistrat) de Vianden et, en 1648, son mariage avec Marie Sidonie de Beck, fille de Jean de Beck, gouverneur du duché de Luxembourg pour le roi d’Espagne, blessé mortellement à la bataille de Lens, en 1648. 738 En 1687, l’Électeur Palatin était Philippe Guillaume (Philipp Wilhelm) de la famille de Pfalz-Neubourg (Wittelsbach). En tant qu’Électeur, il exerçait de 1685 à 1690 ; auparavant déjà, il était comte palatin et duc de Pfalz-Neubourg, ainsi que duc de Juliers et de Berg. À ses débuts favorable à la France, il avait adhéré à la Ligue du Rhin inspirée par la France et dirigée contre les Habsbourg d’Autriche, attitude qui, aux yeux de Mazarin, faisait de lui un candidat intéressant à l’Empire. Mais bientôt il changeait de parti, s’associant à la maison impériale par le mariage de sa fille Éléonore Madeleine Thèrèse avec l’empereur Léopold (1678). La question de l’héritage de Madame Palatine, que Louis XIV revendiquait au nom de sa belle-sœur, finit par brouiller définitivement les deux personnages, et lorsque, en 1688, l’armée française envahit le Palatinat, Philippe Guillaume, amer, se mit à l’écart ; deux années plus tard, il mourut à Vienne, où il s’était rendu pour assister à l’élévation de son neveu Joseph à la dignité de Roi des Romains. L’ambassade luxembourgeoise de 1687 était donc déjà placée sous le signe d’une méfiance sinon d’une hostilité évidente. Il est vrai que, dès 1697, Philippe Guillaume avait confié l’administration des terres électorales à son fils Jean Guillaume tout en conservant la dignité électorale. Peut-être l’ambassade luxembourgeoise a-t-elle été dépêchée par ce dernier. Pour le personnage de Philippe Guillaume, voir M. Schaab, Geschichte der Kurpfalz, B. 2 : Neuzeit, Verlag. W. Kohlhammer, Stuttgart, Berlin, Köln, p. 145 et s. 739 Michel Chabenat de Bonneuil (1648-1698). Il avait hérité de la charge d’Introducteur des Ambassadeurs de son père Étienne Chabenat de Bonneuil et s’en exécuta honnêtement (voir Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 569). Michel de Bonneuil avait vaqué à sa charge au moment de la célèbre ambassade du Siam (1686), et le Mercure galant de septembre 1686, 2 e partie, le cite alors très fréquemment (voir, p. ex., p. 134, 138, 171, 185, 233). L’État de la France de 1687 donne des précisions sur ses rémunérations et sur ses armoiries (voir op. cit., t. I, p. 525). <?page no="246"?> 246 Journal part dont ils venoient, Sa Maje ſ té voulut qu’ils fu ſſ ent conduits à Ver ſ ailles par les me ſ mes Voituriers qui les avoient amenez ; & les Envoyez, ſ uivant les ordres qu’il luy avoit pleu d’en donner, furent regalez ſ plendidement, avec toute leur ſ uite, par les ſ oins de M r Delrieu 740 , Contrôleur ordinaire de la Mai [239] ſ on du Roy 741 , qui n’oublia rien en cette rencontre de tout ce qu’il crut devoir faire pour leur satisfaction, & qui entra parfaitement bien dans leurs manieres. Quoy que le Palais où logeait le Roy fu ſ t fort ſ pacieux 742 , il e ſ toit neanmoins impo ſſ ible que tous ceux qui e ſ toient pre ſſ ez de l’impatience de le voir, y pu ſſ ent entrer ; ain ſ i ce Prince eut la bonté de ſ ortir plu ſ ieurs fois à cheval, & d’aller me ſ me [240] doucement, afin de ſ atisfaire ceux qui ne re ſ piroient 740 Ce personnage et sa qualité sont encore mentionnés dans le Mercure de septembre 1686, 2 e partie, à l’occasion de la relation du repas offert à Versailles aux ambassadeurs du Siam au sortir de l’audience royale, et auquel il assista, non, cependant, en Contrôleur ordinaire, mais en « Maistre d’Hostel ordinaire de la Maison du Roy » (voir op. cit., p. 207). D’autre part, en date du 13 août 1688, Dangeau le mentionne avec ce même titre de maître d’hôtel ordinaire du roi et précise qu’il avait vendu pour la somme de cent mille écus à Daillé la charge de maître de la chambre (op. cit., t. III, p. 76). Ce titre de maître d’hôtel ordinaire est confirmé par L’État de la France, mais avec un nom légèrement modifié : Delrieu devient ici de Rieu (voir op. cit., t. I, p. 45). L’État de la France, op. cit., t. I, p. 45, donne de la charge la description suivante : « En l’absence du Premier Maître d’Hôtel, il a les mêmes fonctions que luy au Bureau & dans la Maison du Roy. Lors qu’au Bal, Comédie, Balet, Opera, &c. le Roy fait collation sans être à table, il a été rêglé en 1669 que le Maître d’Hôtel Ordinaire servira sa Majesté. Il fait les honneurs de la table du Grand-Maître en l’absence du Capitaine des Gardes. » Suit le relevé des revenus du Maître d’Hôtel Ordinaire qui, addition faite des gages ordinaires, des livres des jetons, des livres de pension et des gages de Conseil s’élèvent à 8680 livres, (ibid.) soit une somme considérablement plus élevée que celle touchée par le contrôleur ordinaire (voir note suivante). 741 Le titre complet tel que l’énonce L’État de la France, op. cit., t. I, p. 73, est celui de « Contrôleur ordinaire du Goblet et de la Bouche » défini comme suit : « [Le Contrôleur ordinaire ] doit être prêsent à la recette de toute la viande & du poisson pour la bouche du Roy & avant qu’on les serve sur table, il êxamine si toutes les piêces contenuës sur le menu sont emploïées. Il est chargé de la garde du vin & de l’eau pour la personne de sa Majesté. De plus il tient registre de toutes les nouveautés de viandes pour le Roy, fruits, confitures, vins de liqueurs, &c. qui luy doivent être mises dans les mains. Il a l’œil & l’inspection sur toutes les dêpenses du Goblet & de la Bouche, & d’autres dêpenses de la Maison. Quand il arrive que le Roy mange en public, sans que le bâton soit porté, le Contrôleur ordinaire met les viandes sur la table de sa Majesté ; & quand il faut être plusieurs à servir, les Contrôleurs Clercs d’Offices les y mettent aussi ; mais le Contrôleur ordinaire sert le côté du Roy. Il a son ordinaire à la table des Maîtres d’Hôtel chés le Roy, ou au Ser-d’eau de Monseigneur. » Ses émoluments, gages, livrées chez le roi et chez le dauphin se chiffrent à 6000 livres. (Ibid., p. 71-72). 742 Voir ci-dessus n. 662. <?page no="247"?> 247 Journal qu’aprés sa veuë. Il alla à la Me ſſ e aux Je ſ uites 743 ; & plu ſ ieurs per ſ onnes qui ju ſ ques alors ne l’avoient admiré que par la quantité ſ urprenante des grandes cho ſ es qu’il a faites, & qui n’avoient jamais eu le plai ſ ir de le voir, l’admirerent ce jour-là par ſ a bonne mine, & par un air qui per ſ uaderoit à ceux qui ne ſ çauroient pas tout ce qu’il a fait de grand, que tout ce qu’on leur en diroit ſ eroit [241] veritable. Le Roy e ſ tant ſ orty de la Me ſſ e, vit le plan de Luxembourg, qui e ſ toit dans une mai ſ on proche de l’Egli ſ e des Je ſ uites 744 . Il monta à cheval l’apré ſ dînée, & de ſ cendit dans les Mines ; il voulut voir au ſſ i les Contre-mines. Il vi ſ ita les Fo ſſ ez, & ſ e promena ſ ur les Ramparts [sic]. Pendant tout ce temps il s’entretint des beautez de cette Place avec Monsieur le Prince, qui fit voir la parfaite connoi ſſ ance qu’il a de tout [242] ce qui regarde la Guerre, & qu’elle e ſ t telle qu’on la doit attendre du Fils d’un Prince 745 qui auroit pû apprendre ce grand Art à toute la terre, ſ i on l’avoit ignoré. Mon ſ ieur le Duc, Mon ſ ieur le Prince de Conty, & Mon ſ ieur le Duc du Maine 743 Cette messe est mentionnée par l’abbé Feller en date du 22 mai 1687 : Hodie Rex audivit sacrum apud Jesuitas, quia P. de la Chaise est eius confessarius. [Aujourd’hui le Roi écouta la messe chez les Jésuites, parce que le P. de la Chaise est son confesseur. (Nous traduisons)]. (Chronique, op. cit., f. 369, col. 1). 744 Ce plan de la ville, dont le roi prend connaissance le 22 mai, est encore mentionné par Sourches qui donne quelques détails supplémentaires : après la messe des Jésuites, « il vint voir un plan de la ville de Luxembourg en relief, qui étoit une chose très curieuse, et où l’on voyoit tout d’une vue cette place, la plus belle, la plus grande et la plus extraordinaire qui fût jamais » (voir ci-dessous p. 387). La mention du plan se termine donc sur un bel hommage à Luxembourg, et une note de l’éditeur associée au texte renchérit : « On ne peut point se l’imaginer à moins de l’avoir vue, et elle mérite que l’on parte de bien loin pour l’aller voir, principalement depuis que le Roi y eut fait la dépense qu’il fit pour la fortifier. » (Op. cit., t. II, p. 51 et n. 2, voir ci-dessous n. 1083). Ce plan, qui était un plan-relief levé par David de Montaigu (voir ci-dessus p. 232-233, a disparu entre 1762 et 1777 (voir N. Faucherre, G. Monsaingeon, A. de Roux, Les plans en relief des places du Roy, s.l., Centre des Monuments Nationaux, Biro éditeur, 2007, p. 156, col. 3). Dans la correspondance de Vauban et de Louvois, il est question dès 1684 d’un plan-relief de Luxembourg levé par les soins de Montaigu. Lettre de Vauban à Louvois datée de Luxembourg le 29 juin 1684 : « Montaigu partit avant-hier, Monseigneur, pour vous porter un relief de cette place qui, quoique fait à vue du pays et sur un simple plan, sans avoir pris hauteurs, ni profondeurs ne laisse pas d’être assez bien pour le peu de temps qu’on a mis… » et Lettre de Louvois à Vauban datée de Versailles le 5 juillet 1684 : « J’ai vu le relief de Luxembourg que le Sieur de Montaigu a apporté. Je compte qu’il me servira beaucoup à entendre le projet [de travaux aux fortifications] que j’attends de vous à tous moments,… » (Cit. par J. Dollar, Vauban à Luxembourg, op. cit., p. 72-73). 745 On se rappellera que Monsieur le Prince, c’est-à-dire Henri Jules de Bourbon, prince de Condé, est le fils de Louis II de Bourbon, le Grand Condé, avec Turenne le plus éminent capitaine du siècle. Pour ce qui est des qualités militaires de Henri <?page no="248"?> 248 Journal furent au ſſ i de la conver ſ ation, & firent voir qu’il e ſ t des ſ ciences pour le ſ quelles les Princes ne ſ ont jamais jeunes, & qu’ils ſ emblent avoir appri ſ es en nai ſſ ant. [243] Le mal de M r le Comte de Toulou ſ e, qui avoit e ſ té attaqué le jour precedent d’un mal de te ſ te, & d’un mal de gorge, continua, & la Rougeole s’e ſ tant declarée 746 , le Roy re ſ olut de ſ ejourner deux jours 747 de plus à Luxem- Jules, excellentes d’après le Mercure, il faut reconnaître que d’autres témoignages, dont celui de Saint-Simon, sonnent moins positifs, sinon dévastateurs. Le Grand Condé aurait désespéré de lui inculquer les rudiments de l’art militaire, malgré le talent de l’enseignant, malgré la bonne volonté de l’enseigné : « Ce qui ne se peut comprendre, c’est qu’avec tant […] d’envie […] d’être un aussi grand maître à la guerre que l’était monsieur son père, [celui-ci] n’ait jamais pu lui faire comprendre les premiers éléments de ce grand art. Il en fit longtemps son étude et son application principale ; le fils y répondit par la sienne, sans que jamais il ait pu acquérir la moindre aptitude à aucune des parties de la guerre, sur laquelle monsieur son père ne lui cachait rien, et lui expliquait tout à la tête des armées. » (Saint-Simon, op. cit., t. III, p. 416). On y verra, parmi tant d’autres, une preuve de l’absence de sens critique qui est partout la marque de cette gazette. 746 La maladie du comte de Toulouse est aussi mentionnée par Dangeau aux dates des 23, 25 et 26 mai, op. cit., t. II, p. 208-209 : Vendredi 23 mai : « M. le comte de Toulouse a la rougeole, & le roi ne partira que lundi. Il est bien aise de voir la place à loisir. » Dimanche 25 mai : « M. le comte de Toulouse se porte considérablement mieux. » Lundi 26 mai : « Le roi partit de Luxembourg […]. M. le comte de Toulouse est demeuré à Luxembourg, & il est encore malade. » (Voir ci-dessous p. 375). Dans sa Lettre à Boileau du 24 mai 1687, écrite à Luxembourg, Racine, à son tour, évoque la maladie du comte de Toulouse, mais en suggérant, plus encore que Dangeau, qu’elle n’est pas la vraie cause de la prolongation du séjour royal : si Louis reste plus longtemps, c’est qu’il veut se donner le temps d’inspecter à fond sa conquête : « Le voyage est prolongé de trois jours, et on demeurera ici jusqu’à lundi prochain. Le prétexte est la rougeole de M. le comte de Toulouse ; mais le vrai est apparemment que le Roi a pris goût à sa conquête et qu’il n’est pas fâché de l’examiner tout à loisir. » (Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, t. II, 1966, p. 476). Voir aussi ci-dessous p. 416. 747 D’après Racine (voir note précédente), le « voyage est prolongé de trois jours ». En fait de dates, on retiendra le calendrier suivant : . arrivée dans le pays et dans la Ville : mercredi 21 mai (Mercure p. 187 ; Dangeau, op. cit., t. II, p. 208). . durée prévue du séjour : deux jours (Mercure [233] ; ci-dessus p. 241). Si on ne compte pas le jour de l’arrivée, il s’agit des jeudi 22 mai et vendredi 23 mai. . jour du départ prévu : samedi 24 mai. . jour du départ effectif, suite à la maladie du comte de Toulouse : lundi 26 mai. Cette date est confirmée par Dangeau, op. cit., p. 209. La décision de la prolongation a été prise le jour où la maladie de Toulouse s’est déclarée, c’est-à-dire le vendredi 23 mai (Dangeau, op. cit., p. 208), et Racine l’annonce dans sa lettre à Boileau datée du même jour (voir note précédente). Le délai de la prolongation donné par <?page no="249"?> 249 Journal bourg, non pas pour y attendre la parfaite gueri ſ on de ce Prince, laquelle ne pouvoit arriver ſ i-to ſ t, mais afin de voir quel pourroit e ſ tre le cours de ſ on mal 748 . On mit auprés de luy M r du Che ſ ne, [244] Medecin 749 , M r du le Mercure - deux jours - est donc correct, et Racine se sera trompé ou aura été mal renseigné. Voir aussi note suivante. 748 Le choix de la prolongation de deux jours « afin de voir quel pourroit estre le cours de son mal » correspond très exactement à la symptomatologie de la rougeole. En effet, d’après le Nouveau Traitté du Pourpre, de la Rougeole et Petite Verole […], Paris, Maurice Villery, 1688, p. 25, d’A. Porchon, les « taches ou […] petites tubercules rouges qui s’élevent sur la peau » et qui sont caractéristiques de cette pathologie, « se peuvent faire non seulement au 3. ou 4. jour, mais même le 1. & 2.jour » ; la décision du roi d’attendre deux jours après les premiers maux de gorge et de tête, introducteurs habituels du mal (voir Porchon, op. cit., p. 70 : « Les malades sont travaillez d’une grande pesanteur & douleur de teste, des yeux & de la gorge »), peut parfaitement être inspirée par l’évolution de cette maladie telle que la décrivait alors la Faculté. L’inquiétude que la prolongation du séjour avait provoquée chez certains « Etrangers » et dont le Mercure fait état dans la suite, n’avait pas lieu d’être. On rappellera cependant que le motif médical et familial de la prolongation ne fait aucunément l’unanimité. Voir ci-dessus Introduction p. 28 et s. et Courtilz de Sandras, ci-dessous p. 404. 749 En l’absence de toute précision de la part de l’auteur du Mercure, on avancera le nom de Pierre Du Chesne (Duchesne, du Chesnay) (1616-1707), qui sera médecin des fils de France, lorsque Fagon, son prédécesseur dans cette fonction, accédera à celle de premier médecin du roi. Il a aussi été médecin en chef de l’hôtel des Invalides (voir Madame de Sévigné, Lettre du 8 novembre 1679 à Madame de Grignan, dans Correspondance, op. cit., t. II, p. 730 et ibid., p. 1439 n. 1 ad p. 730). Saint-Simon, qui retrace cette carrière (op. cit., t. II, p. 879), le présente en « homme de bien et d’honneur » qui « mourut à Versailles à quatre-vingt-onze ans, sans avoir été marié, ni avoir amassé grand bien. » (Ibid.). Si le mémorialiste s’est trompé sur le premier point - Pierre du Chesne, marié depuis 1641, était père de seize enfants (op. cit., p. 1595 note 2 ad p. 879) - il complète le second par un trait s’appliquant alors à l’homme de l’Art : « il n’avait pas la forfanterie de la plupart des médecins. » (Ibid). En même temps, il fournit quelques prescriptions du sainement vivre que ce nonagénaire avait appliquées lui-même : « …il conserva jusqu’au bout une santé parfaite et sa tête entière en soupant tous les soirs avec une salade et ne buvant que du vin de Champagne. » (Ibid.). On trouvera la procédure simpliste. Madame de Sévigné, qui consacre de nombreuses observations au personnage, donne des ordonnances autrement sophistiquées et destinées à soulager des pathologies comme les rhumatismes (Correspondance, op. cit., t. II, p. 729) ou le torticolis (lettre à Madame de Grignan du 5 janvier 1676, op. cit., t. II, p. 214). En revanche, une des grandes maladies de l’époque, la petite vérole, semble l’avoir laissé sans ressources, puisque, consulté par La Roche-Guyon, atteint, il se crut obligé de ne demander rien moins qu’ « une assemblée de tous les médecins du monde » (lettre à la même du 22 septembre 1679, ibid., p. 683). Aussi Madame de Sévigné retient-elle surtout des antiprescriptions : Duchesne déconseillait fortement la consommation du café <?page no="250"?> 250 Journal Tertre 750 , Chirurgien de Mon ſ ieur le Prince, avec un Apoticaire [sic] de Sa Maje ſ té. Le bruit s’e ſ tant répandu que le retour de la Cour e ſ toit reculé, quelques Etrangers en parurent inquiets 751 , mais ils furent ra ſſ urez ſ i-to ſ t qu’ils firent reflexion que le Roy avoit toûjours gardé inviolablement ſ a parole, qu’il aimoit Mon ſ ieur le Comte de Toulou ſ e avec tendre ſſ e, que ce jeune Prince e ſ toit chery de toute la Cour 752 , & qu’ain ſ i [245] l’incertitude du mal qui luy pouvoit arriver, e ſ toit la vraye cau ſ e qui portoit le Roy à retarder ſ on départ. La Rougeole de Mon ſ ieur le Comte de Toulou ſ e, ne fut pas la premiere qui parut à la Cour. Une des Filles d’honneur de Madame la Prince ſſ e de Conty 753 en avoit déja e ſ té attaquée. Il y avoit eu au ſſ i d’autres Malades ; & la Gouvernante des Filles d’honneur de Madame la Duche ſſ e avoit eu la Fiévre 754 . - « Duchesne […] n’approuve aucune façon d’être au café ; c’est une haine. » (Lettre à Madame de Grignan du 12 janvier 1680, dans Correspondance, op. cit., t. II, p. 793. Voir aussi lettres à la même du 8 novembre 1679, ibid., p. 729 et du 16 février 1680, ibid., p. 839) - qu’il entend remplacer par le thé (lettre à la même du 17 mars 1680, ibid., p. 879). Assez innovateur, il condamne aussi, ensemble avec Fagon, le recours à la saignée qui, alors, pour d’autres, passait pour une panacée (voir lettre à la même du 2 février 1680, ibid., p. 825). Peut-on, par ailleurs, voir en lui un adversaire de l’acharnement thérapeutique ? Lorsque, en 1688, l’oncle de l’épistolière, Charles de Coulanges de Saint-Aubin, est à la dernière extrémité, Duchesne, appelé à son chevet, refuse toute médication, se contentant de recommander au patient de « s’humecter » - [se] « dit des personnes seches qui ont besoin de boire ou de prendre des boüillons » (Dictionnaire de l’Académie, 1694). - Une autre de ses idées était d’interdire à ses patients « cette chienne d’écriture » (lettre à la même du 29 décembre 1679, op. cit., t. II, p. 778), prétendant que lui-même « ne vivait que par l’éloignement des écritoires » (ibid.) ! 750 François Du Tertre succéda à Félix dans la fonction de Premier chirurgien après que celui-ci, ayant perdu sa dextérité, avait failli, en 1689, tuer un courtisan en lui appliquant la saignée et qu’il avait, de même, manqué le roi. Du Tertre garda ce poste de confiance jusqu’en 1701 (voir J.-J. Peumery, Les mandarins du Grand Siècle, Paris, Institut d’édition Sanofi-Synthélabo, coll. « Les Empêcheurs de penser en rond », 1999, op. cit., p. 16). 751 Voir ci-dessus p. 28 et s. 752 L’attachement que tous, et d’abord le roi, avaient pour Toulouse est confirmé à plusieurs reprises par Saint-Simon (pour le roi, lire, p. ex., op. cit., t. III, p. 432 et t. VIII, p. 940, pour d’autres, II, p. 537 : dans la marine - dès l’âge de cinq ans il était amiral, voir ci-dessus n. 264. - il « était adoré par son accès facile, sa douceur, sa libéralité, son application, sa singulière équité. ») 753 Depuis 1685, les filles d’honneur de la princesse de Conti étaient Marie-Anne de Sanzay, fille de Louis Turpin de Crissé, comte de Sanzay, et M lle Boursault, fille du comte de Viantais (Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 1582, n. 5 ad p. 867). L’identité de la gouvernante des filles d’honneur en 1687 n’a pu être établie avec certitude. 754 S’agit-il de Madame de Moreuil, rencontrée plus haut, et la phrase suivante traitant de « l’indisposition d’une Dame d’un tres-grand merite », concerne-t-elle la même <?page no="251"?> 251 Journal [246] La maladie de ce Prince contribua à l’indi ſ po ſ ition d’une Dame d’un tres-grand merite. Elle fut ſ aignée, & ſ on mal ſ e pa ſſ a 755 . Le 23. M r le Comte Ferdinand Fur ſ temberg 756 , & M r Ducker 757 , Envoyez extraordinaires de Cologne, eurent au ſſ i Audience du Roy, & de Mon ſ eigneur personne ? Sourches, en effet, signale en date du 22 mai que « Madame de Moreuil tomba aussi malade le même jour avec tous les accidents non seulement de la rougeole, mais de la petite vérole ; cependant son mal n’eut pas de fâcheuses suites ». (Voir ci-dessous p. 388 (Sourches). Il faut dire cependant que si la qualité de dame d’honneur de Madame la Duchesse est bien documentée, il n’a pas été possible de trouver un témoignage de sa fonction de « gouvernante des filles d’honneur » de la même princesse. 755 Dans l’impossibilité d’identifier cette « Dame d’un tres-grand merite » - on apprend chez Dangeau, op. cit., t. II, p. 209 (voir ci-dessous p. 375) que Madame de Maintenon s’était « trouvée un peu incommodée », mais c’est en date du 27 mai, et il signale que, de ce fait, elle quitta Longwy avant le roi, et accompagnée d’un écuyer et de quatre gardes du corps - on se demandera si Toulouse lui a passé la rougeole ou si, tout simplement, le chagrin que lui cause l’état de ce prince chéri de tous était à l’origine de son indisposition. D’autre part, Sourches traite lui aussi, mais encore en date du 27 mai, de l’indisposition de Madame de Maintenon et en insistant sur l’escorte militaire que lui accorda le roi (op. cit., p. 55). On lira ci-dessous (n. 1111) le commentaire intéressant dont l’éditeur de Sourches accompagne le fait. Est-ce elle qui se fit appliquer la saignée ? Toujours est-il que la thérapie employée, à Madame de Maintenon ou à une autre, la saignée, fait bien partie des moyens mis en œuvre par la Faculté pour combattre la rougeole, comme Porchon (op. cit., p. 123 et s.) s’en explique longuement. Mais on sait aussi que la saignée passait alors pour une espèce de panacée mobilisée à tous les coups. 756 Ferdinand Maximilien Cajétan, comte (prince) de Fürstenberg, neveu du cardinal (1661-1696). Ce fils de Herman Égon de Fürstenberg et de Marie-Françoise de Fürstenberg-Stuhlingen est chanoine de Cologne et de Strasbourg avant de quitter la soutane pour l’uniforme sous lequel on le retrouve dès la fin de l’année 1682 en tant qu’enseigne de la compagnie colonelle du régiment de Fürstenberg, puis en 1682 avec le grade de colonel, avant d’être fait brigadier par Louis XIV en 1688. Il participe alors à de nombreux sièges dont celui de Philippsbourg, la même année. En 1691, mestre-de-camp d’un régiment de cavalerie à son nom, au siège de Mons (1691), à celui de Namur (1692), à la bataille de Steinkerque (1692). Il meurt le 5 mars 1696 (voir J.-B. P. de Courcelles, Histoire généalogique et héraldique […], Paris, chez l’auteur, A. Bertrand, Treuttel et Wurtz, 1833, vol. 12, p. 29). 757 Wilhelm Lothar Bernhard Ducker était conseiller de l’Électeur de Cologne, Maximilien Henri de Bavière, et chargé de mission de Franz Egon von Fürstenberg, évêque de Strasbourg. Plénipotentiaire de ce dernier en sa qualité de prince-abbé de Stavelot-Malmédy, terre d’Empire, il le représenta, en 1678-1679, au congrès élaborant les traités de paix de Nimègue (voir P. Wiedeburg, Der junge Leibniz, das Reich und Europa, Fritz Steiner Verlag, Wiesbaden, 1970, t. IV, p. 516). Lié aussi au frère de celui-ci, Wilhelm Egon von Fürstenberg, qui lui succéda, en 1682, au siège épiscopal de Strasbourg, il s’employa à Vienne pour l’élargissement de ce dernier à <?page no="252"?> 252 Journal le Dauphin. Ils y furent conduits par M r de Boneüil avec les me ſ mes ceremonies que l’avoient e ſ té les autres Envoyez, & trai [247] tez de me ſ me. M r le Cardinal langrave de Fur ſ temberg 758 ſ alüa au ſſ i le Roy avec deux de ſ es Neveux. M r le Comte d’Avaux 759 , Amba ſſ adeur de France auprés des Etats qui ses sympathies pour la France avaient valu la prison à Bonn (voir J.T. O’Connor, Negotiator out of Season. The career of Wilhelm Egon von Fürstenberg, Athens, The University of Georgia Press, 1978, p. 62 et p. 76). 758 Guillaume Égon (Wilhelm Egon), comte de Fürstenberg (1629-1704). Successeur de son frère au siège épiscopal de Strasbourg en 1682 (voir note précédente), il est proposé pour la pourpre en 1686 qu’il reçoit en 1689 (Saint-Simon, op. cit., t. III, p. 38) ; il doit l’une et l’autre élévation à Louis XIV qui récompensait ainsi son engagement pour les intérêts de la France qu’il avait manifesté très tôt, à l’occasion des débats autour de la succession d’Espagne ; il en avait résulté, en 1674, une arrestation par les troupes de l’Empereur et un emprisonnement à Bonn, puis à Vienne, pendant lequel il risqua la peine capitale. Influent aussi à la cour de l’Électeur de Cologne, Maximilien Henri, il œuvre, en 1688, pour en devenir le successeur et réussit, dans un premier temps, à se faire élire (ibid., p. 363). Innocent XI, cependant, lui refuse l’investiture qu’il accorde à Joseph Clément de Bavière. La guerre qui s’ensuivit causa la ruine, entre autres, de la ville de Bonn, et le cardinal se retira en France, où il mourut en 1704. Saint-Simon qui évoque cette disparition ensemble avec celle de Bossuet, survenue la même année, fait à cet ami impénitent de la France une oraison funèbre bien ingrate : « après avoir si longtemps agité et intéressé toute l’Europe, [il] était devenu depuis longtemps un poids inutile à la terre. » (Op. cit., t. II, p. 437). Pour les détails, voir J.T. O’Connor, Negotiator out of season, op. cit. 759 Jean-Antoine II de Mesmes, comte d’Avaux (1640-1709). Membre d’une famille de grands commis de l’État, Jean-Antoine de Mesmes, comte d’Avaux, se signale avant tout par son action diplomatique : on le retrouve, entre autres, plénipotentiaire à Nimègue, négociateur de la trêve de Ratisbonne avec les Hollandais (1684), impliqué dans la paix de Ryswick (1697). Son amitié avec Croissy, le frère de Colbert, lui avait valu d’être nommé secrétaire d’État aux affaires étrangères à la disgrâce de Pomponne. Avaux rend ses services les plus distingués en Hollande, où sa perspicacité lui donne de prévoir la révolution anglaise fomentée par Guillaume d’Orange contre Jacques II et d’en avertir, mais sans effet, le cabinet de Versailles. Saint-Simon le présente en « fort bel homme, bien fait, galant aussi, et qui avait de l’honneur, fort l’esprit du grand monde, de la grâce, de la noblesse, et beaucoup de politesse » (op. cit., t. III, p. 360). Pourtant la vanité ne lui était pas étrangère, et « par goût, par opinion de soi […] [il] voulait être, se mêler, et surtout être compté » (ibid., p. 364). D’où une « misère [qui] le rendit ridicule » (ibid.), celle de souffrir immodérément de n’être que de « robe » et non d’ « épée ». Plusieurs lettres de Madame de Sévigné le montrent très préoccupé de questions protocolaires, notamment au niveau des décorations (voir, p. ex., lettres des 19 et 21 janvier 1689 à Madame de Grignan, dans Correspondance, op. cit., t. III, p. 478 et 480). Le comte d’Avaux, qui n’était pas marié, mourut des suites d’une opération de la taille (Saint-Simon, loc.cit., p. 365). Son neveu était le célèbre Président de Mesmes, chargé de veiller sur le testament de Louis XIV. <?page no="253"?> 253 Journal Generaux des Provinces unies, s’e ſ tant rendu de la Haye à Luxembourg, y salüa Sa Maje ſ té, & receut d’Elle de nouvelles in ſ tructions touchant les negociations ordinaires de ſ on Amba ſſ ade. Lors qu’il prit congé du Roy, ce Prince luy dit qu’il continua ſ t à le ſ ervir [248] de la me ſ me sorte, & qu’il seroit content. Cela fit a ſſ ez connoistre que Sa Majesté estoit ſ atisfaite de ſ es ſ ervices pa ſſ ez. M r Foucher 760 , Envoyé extraordinaire des Etats Generaux auprés de l’Electeur de Mayence 761 , eut au ſſ i l’honneur de ſ alüer ce Monarque. Le Roy entendit ce jour là la Me ſſ e aux Recolets 762 , & vit en ſ uite dans une Chambre du Convent le Plan de Trarback levé par M r de Montaigu 763 . Je vous parleray de ce Plan dans [249] la ſ uite de ma Lettre 764 . Sa Maje ſ té alla l’apré ſ dinée à la te ſ te des Tranchées, & des Lignes, & en examinant la Place, elle previt tout L’État de la France de 1687 l’enregistre dans la rubrique des « Gouverneurs & principales Villes & Places Frontiéres » de Champagne et de Brie comme gouverneur de Fîmes : « Fîmes, M. le Comte d’Avaux, Ambassadeur Extraordinaire en Hollande, Prévôt & Grand-Maistre des Cérémonies des Ordres du Roy en surviv. » (op. cit., t. II, p. 417). 760 L’État de la France de 1687 mentionne le personnage et sa fonction dans la rubrique « Dignités hors le Royaume / Envoiés, Residens & autres » : « Vers l’Electeur de Mayence. L’Envoïé Extraordinaire, M. Foucher. » (Op. cit., t. II, p. 622). Il s’agit du diplomate Foucher, envoyé du roi à Mayence, que Croissy chargea de sonder la question des droits d’héritage de Madame Palatine, contentieux qui fut à l’origine de l’invasion et du ravage du Palatinat (voir T. O’Connor, Negotiator out of Season, op. cit., p. 120 et C. Boutant, L’Europe au grand tournant des années 1680. La Succession palatine, Centre de Recherche sur les civilisations de l’Europe moderne, Société d’édition d’Enseignement Supérieur, Paris, 1985, p. 279. Il atteste au personnage, ainsi qu’à son homologue, ministre de France à Ratisbonne, Verjus, une excellente connnaissance des affaires d’Allemagne). 761 En 1687 Anselm Franz von Ingelheim, Électeur de Mayence de 1679 à 1695. 762 L’abbé Feller confirme cette messe royale : 23 Hodie Rex audivit sac r [um] apud Recoll[ectos]. [Aujourd’hui le Roi a écouté la messe chez les Récollets. (Nous traduisons)] (Chronique, op. cit., f. 369, col. 1). 763 Ce plan est aussi mentionné par Sourches qui ajoute des détails : « 23 mai. - […] Sa Majesté alla […] à la messe de l’église des Récollets, après laquelle elle alla voir un plan en relief du lieu où elle vouloit faire construire tout à neuf une place à vingt lieues de Luxembourg entre Trèves et Cologne dans un lieu nouvellement réuni à sa couronne. C’étoit une hauteur environnée de trois côtés de la rivière de Meuse [sic ; il faut lire « de Moselle »] et dont le quatrième côté étoit un rocher inaccessible. Au pied de cette hauteur étoit le village de Traben, vis-à-vis duquel - la Meuse [sic] entre deux - étoit le château de Trarback, situé sur une grande roche. Après avoir vu ce plan, le Roi résolut absolument de faire fortifier ce poste, qui devoit faire trembler toute l’Allemagne… . » (Op. cit., t. II, p. 52). Voir ci-dessous p. 388. 764 En fait, il sera question dans la suite non tant du plan de Montaigu que des travaux français à Mont-Royal, place construite dans la presqu’île de Traben. Voir ci-dessous p. 280. <?page no="254"?> 254 Journal ce qui pourroit arriver, ſ i on o ſ oit un jour entreprendre de l’a ſſ ieger. Elle fit le me ſ me jour la Reveuë des Troupes de la Garni ſ on, qui con ſ i ſ toient en cinq gros bataillons, & en plu ſ ieurs E ſ cadrons. Le 24. le Roy entendit la Me ſſ e à la Paroi ſſ e 765 , & tint Con ſ eil le matin & l’apre ſ - [250] dînée, ayant pendant tout le temps qu’il a demeuré à Luxembourg, donné cinq à ſ ix heures par jour, pour tous les Con ſ eils qu’il y a tenus ; de ſ orte, que le temps qu’il employoit à voir des Fortifications & à faire des Reveuës, e ſ toit celuy qu’il prenoit pour donner relâche à ſ on e ſ prit. Ain ſ i l’on peut dire que l’e ſ prit ne commençoit à ſ e repo ſ er que pour donner lieu au corps d’agir. Pendant que le Roy n’e ſ toit oc [251] cupé que des ſ oins de ſ on Etat ſ ans ſ e donner un ſ eul moment de relache, la Cour ſ e partageoit, pour ſ e divertir ſ elon ſ on gou ſ t. Les uns ſ e promenoient, les autres joüoient, & quelques autres ſ e rafraîchi ſſ oient chez M r de Bouflers. Je ne vous diray point que durant tout le ſ ejour que Sa Maje ſ té a fait dans cette Place, ce Marquis a tenu plu ſ ieurs Tables chaque jour, tant le ſ oir que le matin à un fort grand nom [252] bre de couverts ; ce ſ eroit dire trop peu, pui ſ que non ſ eulement, tous ceux qui ont voulu manger chez luy y ont trouvé à toute heure tout ce qu’ils ont ſ ouhaité, mais qu’on n’a mesme rien refu ſ é à aucun de ceux qui en ont envoyé chercher. Comme jamais homme ne fut plus genereux, jamais dépen ſ e n’a e ſ té faite de meilleure grace. M r de Bouflers apprehendoit ſ i fort de n’e ſ tre pas à Luxembourg pour la faire, qu’il ſ ol [253] licita pour n’aller au Camp qu’il devoit commander, qu’aprés que Sa Maje ſ té ſ eroit partie. Le Roy qui ſ çait di ſ tinguer la dépen ſ e qui n’e ſ t pas intere ſſ ée, luy a fait un Pre ſ ent de trois mille Loüis 766 . 765 L’abbé Feller mentionne cette messe royale du 24 mai dans les termes suivants : Hodie Rex audivit sacrum in nostra Parochia S. Nicolai, suscepi ego eum [mot illisible] cum Clero in porta templi praesentando aquam benedictam. Post Communionem [mots illisibles] de Cheriseÿ cum bursa, Rex et alii Principes dederunt oblata qui ascenderunt [ ? ] ad triginta pistollas [mots illisibles] pro ornamentis templi. (Chronique, op. cit., f. 368). [Aujourd’hui le Roi écouta la messe dans notre paroisse S t Nicolas ; je l’ai accueilli avec le clergé à la porte de l’église en présentant l’eau bénite. Après la Communion, [M. ? ] de Chérisay [arriva ? ] avec une bourse ; le Roi et les autres princes firent des offrandes s’élevant à trente pistoles destinées à l’ornement de l’église. (Nous traduisons)]. 0,1 pistole équivalent à 9,45 € (Correspondance entre les monnaies du XVII e siècle et les euros publiée sur le site Col171-louisaragon.ac-dijon.fr doc_argent_au_XVII-2.doc-). Quant au porteur de la bourse, M. de Chérisey, il pourrait s’agir de Louis de Chérisey (1667-1750), âgé de vingt ans au moment du voyage et appartenant à une célèbre famille de Champagne-Lorraine. Il sera Lieutenantgénéral des Armées sous Louis XV. 766 Pour établir les correspondances entre la devise actuelle (euro) et les monnaies du XVII e siècle, on se rapportera au tableau de la Correspondance entre les monnaies du XVII e siècle et les euros, doc. cit. D’après ce tableau, 1 livre correspond à 20 sols ou 9,45 € <?page no="255"?> 255 Journal Le 25. Sa Maje ſ té entendit encore la Me ſſ e aux Jesuites 767 . Elle ſ e promena de nouveau à cheval dans les Fo ſſ ez, & à pied ſ ur les Ramparts [sic]. Plus Elle a regardé la place avec application, & en a examiné les nouvelles Fortifications, [254] plus Elle en a e ſ té ſ atisfaite, & comme on ne luy rend point de grands ſ ervices ſ ans recevoir des marques de ſ a liberalité, par de ſſ us les recompen ſ es ordinaires, Elle donna douze mille écus 768 à M r de Vauban. Toutes les Relations conviennent qu’Elle luy fit ce Pre ſ ent d’une maniere ſ i obligeante, que plu ſ ieurs ſ ouhaiteroient en avoir acheté un ſ emblable de beaucoup plus, & l’avoir receu avec le me ſ me agrément. [255] Le Roy a fait au ſſ i des Pre ſ ens dans toutes les Egli ſ es où il a e ſ té. Il donnoit une ſ omme pour les Ornemens 769 . Cette ſ omme e ſ toit ſ uivie d’une autre pour les Pauvres, & ces deux d’une troi ſ iéme, 1 sol correspond à 9,45 : 20 = 0,4725 € 1 écu correspond à 3 livres ou 60 sols et donc à 28,35 € 1 louis correspond à 20 livres = 189 € Boufflers ayant été gratifié de 3000 louis a donc touché une somme de 567 000 € . 767 Cette messe royale du 25 mai est encore confirmée par l’abbé Feller : 25 Hodie audivit Rex sac[rum] apud Jesuitas. [Aujour’hui le Roi a entendu la messe chez les Jésuites. (Nous traduisons)] (Chronique, op. cit., f. 369, col. 1). 768 Voir tableau ci-dessus : Vauban ayant reçu du roi la somme de 12 000 écus, le présent royal s’élève à 12 000 x 28,35 = 340 200 € . 769 Le Mercure ne mentionne que les dons du roi, mais Madame de Maintenon n’était pas en reste. D’après une tradition orale, appuyée, comme l’a rappelé Tony Bourg, (« Madame de Maintenon à Luxembourg », dans d’Letzeburger Land, année 6, 1959, N° 46) « par un document de donation », l’épouse du roi aurait habité rue de la Congrégation chez les Sœurs de la Congrégation Notre-Dame, fondée en 1627 pour « instruire les jeunes filles à lire, écrire, et en tous autres exercices requis et bienséants au sexe féminin », programme qui ne devait pas déplaire à la fondatrice de Saint-Cyr. L’amabilité de Sr Marie-Paule Sieffert, archiviste au généralat de la Congrégation à Fontenay-sous-Bois, où une partie des documents luxembourgeois est conservée, nous a permis de retrouver une pièce relative aux dons dont la marquise a gratifié l’église des sœurs luxembourgeoises : cette pièce est reproduite ci-dessous en annexe 18, p. 356 et ci-dessus n. 661. Il subsiste plusieurs lettres de Madame de Maintenon rédigées pendant le voyage dont une à Verdun, deux à Longwy et trois à Luxembourg : aucune, malheureusement, ne renseigne sur les impressions luxembourgeoises de l’expéditrice, sauf pour une allusion à une crise de rhumatisme qui, bien que bénigne, n’aura pas été faite pour lui laisser le souvenir d’un séjour agréable. Voici ce qu’elle communique, à partir de Luxembourg, à Madame de Brinon en date du 25 mai 1687 : « Vous allez bien entendre que je suis malade, car en effet je le suis, mais c’est fort peu de chose. J’ai un rhumatisme sur l’épaule qui, grâce à Dieu, jusqu’à cette heure est très supportable. » (Lettres de Madame de Maintenon, vol. I. Édition par H. Bots et E. Bots- Estourgie, Paris, Champion, 2009, p. 707). <?page no="256"?> 256 Journal ou de quelques graces dont il devoit revenir de l’argent pour l’embelli ſſ ement des lieux 770 . Sa Maje ſ té n’ayant point mené de Mu ſ ique au Voyage 771 , l’un de ſ es Mu ſ iciens nommé M r de Ville 772 , qui e ſ t Chanoine de Mets, y prit quelques In [256] ſ trumens, & quelques voix, & fit chanter dans les Egli ſ es où le Roy entendit la Me ſſ e à Luxembourg, les Motets de M rs du Mont 773 , 770 Voir ci-dessus n. 642 le don consenti aux Jésuites. 771 Par « Musique du Roi » on entendait « [l’] ensemble des institutions qui, à l’intérieur de la Maison du roi, réserve aux musiciens des titres et des fonctions. Elle se répartit globalement dans les départements de la Chapelle, de la Chambre, de l’Écurie, et, dans une moindre mesure, dans le Cabinet et dans la Maison militaire. Elle se produit à la Cour. » (M. Benoît, Dictionnaire de la musique…, op. cit., p. 489 : article M. Benoît). Dans le contexte religieux évoqué ici par le Mercure, la « Musique du roi » désigne évidemment celle de la Chapelle mentionnée ci-dessus (voir n. 504). Or on y a lu que la Chapelle est itinérante et « suit le souverain dans tous ses déplacements », donnée confirmée par G. Du Peyrat dans son monumental ouvrage sur L’Histoire Ecclesiastique de la Cour, Paris, Henri Sara, 1645, p. 130 : « […] la Chapelle du Roy est ambulatoire, & par tout où sa Majesté oyt le service divin, celebré par les Ecclésiastiques de sa maison, de mesme que la Cour du Roy est partout où le Roy loge. » Le Voyage de Luxembourg fait-il donc exception, puisque le roi n’y « a point mené de Musique » ? On le croirait d’autant plus volontiers que les différentes prestations de musique religieuse données au cours du trajet, le sont toujours par le personnel du lieu. Tel est le cas, par exemple, de la Musique de la Cathédrale de Châlons [126], de celle de la Cathédrale de Verdun [140], de celle, allemande, des Jésuites de Luxembourg [205], de celle de plusieurs églises du même lieu où officient des artistes venus de Metz [255], pour ne citer que les cas les plus apparents. Une seule occurrence, pourtant, semble aller dans le sens contraire. Au voyage de retour, le roi entendit, à Montmirail, une messe matinale dite par un chapelain qui était de quartier, lors que « le Prieur accompagné d’un Diacre, d’un Sous-Diacre, de trois Enfans de Chœur, de huit Choristes, & de huit Chapiers tirez de la Chapelle du Roy se preparoit dans la Sacristie (pour la Procession) ». [320] Or, le « choriste » d’après le Dictionnaire de l’Académie de 1694, étant un chantre de la Chapelle du roi et le « chapier » pouvant en être un, il s’agit bien, ici, du moins pour les premiers, de membres de la Musique de la Chapelle. Convient-il donc de ne pas interpréter dans un sens trop rigoureux cette absence de « Musique » avancée par le Mercure ? Peutêtre que quelques membres isolés de la Musique de la Chapelle faisaient bien partie du Voyage, destinés à renforcer, en cas de besoin, les équipes locales, mais sans être en nombre suffisant pour des prestations complètes. 772 Dans les listes chronologiques des chanoines de la cathédrale de Metz, éditées par J.-N. Dorvaux dans les anciens pouillés du diocèse de Metz figure, pour les années 1687 à 1694, le nom de Joseph de Ville (voir J.-N. Dorvaux, Les anciens pouillés du diocèse de Metz. Publiés et annotés par N. Dorvaux, Nancy, A. Crépin-Leblond, 1902, p. 256). 773 Henry Du Mont (1610-1684). D’origine liégoise, ce futur maître du motet commence sa formation musicale à Maastricht et la complète à Liège. Les perspectives de carrière limitées offertes par ces deux cités, le conduisent à monter à Paris, où <?page no="257"?> 257 Journal il arrive en 1638, âgé de vingt-huit ans. Il a trente-trois ans, quand on le trouve organiste d’une des églises les plus importantes de la capitale, Saint-Paul, à l’est du Marais (114). Naturalisé Français, il obtient, dès 1648, le bénéfice de la cure de Saint-Germain-d’Alisay, dans le diocèse de Rouen, ceci sans être prêtre : il engagera un ecclésiastique pour officier à sa place (149) ! En 1652, alors qu’il donne sa première publication, les Cantica sacra, recueil fort de quarante pièces, la plupart des motets, on le voit dans sa première charge à la cour, celle de claveciniste de Philippe d’Anjou. Sa notoriété, dès lors, est telle que Loret, dont la Muze historique enregistre les faits et gestes du Tout-Paris, le cite à plusieurs reprises, ainsi dans sa relation de la fête de saint Pierre de Nolasque dans l’église de la Merci, le 1 er février 1659 (« La Muzique presque celeste, / De Dumont, dont on fait grand cas, / Y charma les plus délicats ». La Muze historique […], Livre X, Lettre V, v. 88-90. Nouvelle édition par Ch.-L. Livet, Paris, P. Daffis, 1878, t. III, p. 15) et quelques mois plus tard, le 22 novembre de la même année, à l’occasion de la Sainte-Cécile, célébrée dans l’église des Célestins, rapportée dans la Lettre XLVII du 29 novembre, où sont relevés « divers Motets Angéliques / Dignes d’être préconisez ; Que Dumont avoit composez » (ibid., p. 133, v. 118-120). Aussi d’autres promotions royales ne se font-elles pas attendre. Lorsque, après le mariage du roi avec Marie-Thérèse d’Espagne, le 9 juin 1660 à Saint-Jean-de-Luz, la Maison de la nouvelle reine est constituée, Du Mont y est encore intégré comme claveciniste (184). Enfin, au mois de juillet 1663, il accède aux fonctions de sous-maître de la Chapelle du roi, ensemble avec Pierre Robert, également mentionné ci-dessus (voir aussi note suivante). « Le Roy, écrit la Muze, […] / Par un vray jugement d’Expert, / A choisi Dumont et Robert, / Tous-deux rares, tous-deux sublimes, / Et tous-deux excellentissimes » (op. cit., t. IV, p. 73, Livre XIV, Lettre XXVI (7 juillet), v. 91-96, passim). Cette renommée lui vaut bientôt une nouvelle faveur : en 1667, le roi lui donne l’abbaye de Notre-Dame de Silly, dans le diocèse de Sées (223), et en 1674 il est nommé maître de la musique de la reine (249). En 1676, on lui permet de rentrer à Maastricht, où il rejoint, comme chanoine prébendé, le chapitre de l’église Saint-Servais (256), sans qu’il soit astreint à résidence ; il séjourne souvent en France - il reste sous-maître de la Chapelle jusqu’en 1683 (312) - où il meurt le 8 mai 1684 (330). Après ses prémisses, les Cantica sacra, Henry Du Mont, donne, en 1668, une autre œuvre majeure, les Motets à deux voix avec la Basse continüe dans lesquels il pousse l’expression dramatique à un point jusqu’alors inconnu en France. La production des motets se poursuit dans les années 1670, avec, annuellement, deux à trois pièces pour la Chapelle du Roi. En 1677 paraît une œuvre d’un genre quelque peu différent, oratorio, en quelque sorte, ajouté à la suite des Motets et élévations de M. Du Mont, le Dialogus de anima. (242). Il est aussi le premier en France à concevoir des motets à voix seule. Il enchaîne avec les Cinq Messes en plain-chant, composées et dédiées aux Révérends Pères de la Mercy, du couvent de Paris qui sont toujours chantées dans les églises (244). En 1681 paraissent les Motets à II, III et IV parties, pour voix et instruments, avec la Basse-continue. On trouvera une analyse de l’œuvre de Du Mont dans le livre très documenté de L. Decobert, source de cette notice et aux pages duquel renvoient les chiffres donnés entre parenthèses (Henry Du Mont, 1610-1684, sous-maître de la Chapelle de Louis XIV. Contribution à l’histoire de la musique au Grand Siècle, Thèse dactylographiée, Paris-Sorbonne, 1989, 1075 p.). <?page no="258"?> 258 Journal Robert 774 , & Minoret 775 . Sa Maje ſ té le recompen ſ a de ſ es ſ oins, de ſ on zele, & de ſ a dépen ſ e. Comme l’argent n’e ſ t pas toûjours ce qui touche davantage, 774 Pierre Robert. Ce clerc tonsuré du diocèse de Paris appartient à une famille de hauts magistrats. Maître de Musique de Notre-Dame, il accède en 1663, à l’âge de cinquante ans environ, aux fonctions de sous-maître de musique de la Chapelle Royale, où il exerce pour les quartiers d’avril et d’octobre. En 1672, il reçoit les mêmes quartiers au titre de Compositeur de la Musique de la Chambre, alors que ceux de janvier et de juillet vont à Du Mont. Il démissione de la Chapelle Royale vers le milieu de l’année 1683, mais garde sa charge de Compositeur de la Chambre jusqu’à sa mort, en 1699. L’œuvre majeure de Pierre Robert sont ses vingt-quatre Grands Motets, publiés en 1684 sous le titre suivant : Motets pour la Chapelle du Roy, mis en musique par Monsieur l’Abbé Robert, Maistre de la Musique de ladite Chapelle, A Paris, par Christophe Ballard […], 1684. Imprimez par exprés Commandement de Sa Majesté. L’œuvre est articulée en dix-neuf psaumes, trois antiennes du Cantique des Cantiques, un hymne et le Cantique d’Anne. Vu que l’auteur était en exercice au quartier d’avril, ses motets se réfèrent, pour l’essentiel, aux thèmes du temps pascal ; quelques-uns sont destinés aux fêtes du Saint-Sacrement, de la Pentecôte et de l’Ascension. Comme il est aussi nommé pour le quartier d’octobre, on trouve quelques motets consacrés à l’Office des Morts et à la Nativité (voir H. Charnasse, « Un aspect du Grand Motet à la fin du XVII e siècle : Pierre Robert », dans Le Grand Motet Français. Actes du colloque de musicologie éd. par G. Mongrédien, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1986, p. 39-65). 775 Guillaume Minoret, futur sous-maître de la Chapelle du Roi, fut élevé dans l’Église de Paris et appelé, dans la suite, à diriger les maîtrises des cathédrales de Rodez et d’Orléans, avant d’accéder, en 1679, à l’office de maître de musique de Saint- Germain l’Auxerrois, la paroisse du Louvre. Sa notoriété est confirmée en 1682, puisque le Mercure lui certifie à cette date, et à l’occasion du Te Deum chanté alors pour la naissance du duc de Bourgogne, fils du Grand Dauphin, un « mérite […] connu de tous ceux qui ont le goust fin pour la musique » (Mercure galant, août 1682, p. 162-163). Cette réputation lui vaut l’attention de Charles Maurice Le Tellier, archevêque de Reims et grand maître de la Chapelle du roi ; en 1683, il est admis à se présenter au concours de recrutement des sous-maîtres. Des trente-cinq concurrents qui sont invités à faire chanter un motet de leur composition, quinze sont retenus pour composer, dans un deuxième temps, un motet sur un sujet imposé, probablement le psaume 119, Beati quorum (Mercure galant, mai 1683, p. 168-169). Guillaume Minoret figure parmi les quatre gagnants : il est désormais sous-maître de la Chapelle avec charge de faire chanter à toutes les messes solennelles et d’assurer, pendant six mois de l’année, l’instruction et l’entretien des pages de la musique. Il reste à ce poste jusqu’en 1714, quand les infirmités de l’âge l’obligent à la retraite que Louis XIV, content de ses services, honore de trois mille cinq cents livres de pension (Dangeau, samedi 29 septembre 1714, dans op. cit., t. XXVII, p. 248). Quand il meurt à Paris, en 1717, Titon du Tillet le gratifie, dans son Parnasse françois, de cette belle notice : « Guillaume Minoret a fait exécuter pendant plus de trente-cinq ans, à la chapelle du roi, des motets qui ont été fort goûtés et dont les maîtres de l’art et les plus habiles connaisseurs ont fait beaucoup <?page no="259"?> 259 Journal quelques charmes qu’il ait pour tout le monde, par l’indi ſ pen ſ able nece ſſ ité où chacun e ſ t d’en avoir, le Roy fit ouvrir les Pri ſ ons à ſ oixante [257] & dix Malheureux, qui aimerent encore mieux la liberté que toute ſ orte de biens, mais ce Prince ne leur accorda des graces que ſ elon le genre des crimes, ne voulant pas que la clemence ſ ervi ſ t à en faire commettre de nouveaux, à ceux qui en avoient fait d’enormes, & que l’on jugeoit capables d’y retomber, ce que M r l’Eve ſ que d’Orleans, M r l’Abbé de Brou, nommé à l’Eve ſ ché d’Amiens, M rs les Abbez de la Salle 776 & [258] Fleury, & M r de Noyon 777 Lieutenant de M r le Grand Prevo ſ t 778 , ont examiné par l’ordre du Roy 779 . d’estime. » (Voir A. Rouxel, Guillaume Minoret, sous-maître de la Chapelle de Musique de Louis XIV […], Paris, D. Jouaust, 1879). 776 François de Caillebot de La Salle (1656-1736), en 1690 évêque de Tournai, en 1705, abbé de La Couture du Mans (Saint-Simon, op. cit., t. VIII, 1718). Dangeau, qui rapporte, en date du 24 mai 1690, sa nomination au siège de Tournai, précise qu’il était un des aumôniers du roi (op. cit., t. IV, p. 255). 777 Jacques Cornu, sieur de Noyon. L’État de la France, op. cit., t. I, p. 516 le cite comme un des deux lieutenants du Grand Prévôt de France, prévus « pour faire rendre la Justice aux Officiers de la Maison du Roy & suite de Sa Majesté » et précise ensuite l’historique de la fonction : « Il y avoit cy-devant un Lieutenant Général, & un Lieutenant particulier : mais par Edit du mois de Septembre 1682 registré au Grand Conseil le 7. Novembre ensuivant, le Roy a égalé ces deux Charges. Il y a donc presentement deux Lieutenans Généraux pour le Civil & le Criminel, qui ont chacun 400. livres de gages, & 600. livres de récompense » (ibid., p. 515). Sont donnés ensuite les noms des deux titulaires, Philippe Barbier et « M. Jâque Cornu, Sieur de Noyon. Il a six mois de service auprés du Roy, qui sont Avril, May, Juin, Octobre, Novembre, Decembre : Les six autres mois il tient le Siége de la Prevôté à Paris, pour les causes des Officiers des Maisons Roïales, Privilégiés & autres ». 778 Depuis l’année 1664, où il l’hérita de son père, et jusqu’en 1714, date à laquelle il la cède à Monsoreau, son fils aîné (Saint-Simon, op. cit., t. IV, p. 827), la charge de Grand Prévôt est détenue par Louis François de Bouschet, marquis de Sourches, le célèbre auteur des Mémoires sur la cour de Louis XIV. Saint-Simon n’apprécie guère ce confrère qu’il démolit d’un coup de plume en 1714, alors qu’il passe sa fonction à son fils. « Sourches était fort vieux, fort menaçant ruine, et grand dévot, qui n’avait jamais pu se faire admettre nulle part à la cour. » (Op. cit., t. IV, p. 827). Saint-Simon conteste d’ailleurs un titre indûment majoré : « […] le Roi permit à Sourches, prévôt de son hôtel, dit par abus grand prévôt, de céder sa charge à Monsoreau… » (ibid.). C’est qu’en effet, les deux fonctions de « prévôt de l’hôtel du roi et de grand prévôt de France étaient en réalité deux charges distinctes, l’une ne concernant que le palais, l’autre ayant une sphère plus étendue : mais dès François du Plessis, père de Richelieu, elles avaient été confondues en la même personne. Sous Louis XIV le marquis de Sourches les réunissait » (M. Marion, Dictionnaire des Institutions de la France aux XVII e et XVIII e siècles, op. cit., p. 453). L’Estat de la France pour l’année 1648 (réédition l’Arche du Livre, Paris, 1970, p. 103) - quand le titulaire était le père de Sourches, - « Cette charge est à present possedée par le <?page no="260"?> 260 Journal 779 Le 26. les uns ne ſ ongerent qu’à partir, & les autres s’affligerent du depart. La Cour en voyant les Fortifications de la Place, avoit pris grand plai ſ ir à ſ e mettre devant les yeux tout ce qui s’e ſ toit pa ſſ é pendant le Siege. elle avoit examiné les Attaques & les Tranchées, admiré la conduite du General, l’in [259]trepidité des Soldats, le genie & l’adre ſſ e de M r de Vauban à con ſ erver les A ſſ iegeans ; car le Roy ſ çachant l’humeur boüillante des François, & leur zele pour ſ on ſ ervice, avoit expre ſſ ément ordonné à feu M r le Maréchal de Crequi, & à M r de Vauban, d’épargner les troupes, & de prolonger la durée du Siege, plûto ſ t que de hazarder le ſ ang des Soldats 780 . Ce Prince avoit pris ſ es me ſ ures pour cela, Il e ſ toit à la [260] te ſ te d’une Armée pour empêcher le ſ ecours, & pre ſ t à donner bataille à ceux qui auroient voulu le tenter 781 . Marquis de Seuches [sic] » - (Jean de Bouschet, marquis de Sourches) se limite au titre de Grand Prevost de l’Hostel et ne prévoit qu’une juridiction limitée à la cour et à ses abords immédiats : « Sa Juridiction est sur tous les Marchans & Cabaretiers, suivans la Cour, qui doivent tous prendre lettre de luy & faire marquer leurs poids & mesures par un de ses Lieutenans. » En fait, il s’agit de part et d’autre de fonctions juridiques et de police relatives au « bon ordre, à la sûreté et de la subsistance de la cour et des endroits où le roi résidait » (M. Marion, op. cit.) distinguées principalement par l’étendue plus ou moins large du territoire, à partir de la Cour, où elles s’exerçaient ; d’où, finalement, leur fusion. 779 Pour cette clémence « raisonnée », voir ci-dessus p. 61 et s. 780 L’« humeur bouillante » des Français, leur ardeur à se battre et leur mépris du danger est un thème récurrent du Mercure, très présent dès l’Histoire du Siege de Luxembourg de 1684. Et on y retrouve cet ordre intimé par le roi à Créquy et à Vauban de prendre des mesures pour épargner les vies humaines, ce souci du Père prévoyant pour ses enfants qu’il sait irréfléchis dès qu’il s’agit de la « gloire » : « Monsieur le Maréchal de Créquy, & Monsieur de Vauban à qui le Roy avoit donné ordre d’épargner les Troupes, & de se servir pour cela, de tous les moyens possibles & permis, s’apliquerent entierement à chercher ceux qui pourroient empécher la Noblesse Françoise de s’exposer, parce qu’elle n’a aucun ménagement lors qu’elle est une fois dans le péril, & qu’elle n’écoute qu’un impatient desir de gloire qui l’engage à suivre tous les mouvemens de son ardeur. » (Histoire du Siege, op. cit., p. 62-63). Plus loin (p. 68-70), le thème est repris avec, cette fois, une mesure coërcitive destinée à prévenir toute désobéissance : le Père se fait pédagogue. Le texte en italique sera censé reproduire les mots mêmes du roi : « leur impatience estoit fort grande d’en venir aux mains […], & elle parut tellement, que le Roy à qui rien n’est caché, envoya ordre à Monsieur le Maréchal de Créquy de ne point exposer ses Troupes, […] & de déclarer de sa part, […] Que les Officiers & Volontaires qui iroient à la Tranchée sans estre de jour, seroient mis en arrest tant que dureroit ce Siege, & qu’ainsi ceux qui seroient Braves à contre-temps, montreroient bien, qu’ils n’auroient pas envie de servir dans cette importante occasion. » 781 L’Histoire du Siege revient à plusieurs reprises à cette stratégie de diversion qui maintient le roi à l’écart du terrain d’opération proprement dit et avec une insistance <?page no="261"?> 261 Journal Lors que la Cour partoit ſ atisfaite, & toute pleine de ce qu’elle avoit veu, elle partoit avec Son Prince, & le devoit toûjours voir ; mais ceux à qui il ne s’e ſ toit montré que pour gagner leur amour, & en ſ uite les priver de ſ a pre ſ ence, avoient beaucoup de chagrin de ſ on départ 782 . Ce prince avoit paru [261] à Luxembourg plûto ſ t en Pere qu’en Roy. Sa douceur & ſ a bonté s’e ſ toient fait connoître. Il s’e ſ toit montré familier ſ ans de ſ cendre de ſ on rang ; on avoit eu un libre accés auprés de luy ; ceux qui luy avoient pre ſ enté des Reque ſ tes avoient e ſ té écoutez, & la plupart avoient obtenu les graces qu’ils avoient demandées ; les Pri ſ ons avoient e ſ té ouvertes ; la Noble ſſ e avoit eu un libre accés ju ſ que dans ſ a Chambre ; il avoit permis [262]plusieurs fois au Peuple de le voir dîner, ce qu’il avoit refu ſ é dans les autres Villes, à cau ſ e de la chaleur ; ils avoient admiré la devotion de Sa Maje ſ té, & la pieté que ſ on exemple in ſ pire à toute ſ a Cour ; il avoit fait des grands dons dans la Ville ; les dépen ſ es ordinaires de la Cpur [sic] y avoient répandu beaucoup d’argent, ain ſ i que le [sic] Etrangers que l’envie de voir ce Prince avoit fait venir en fort grrnd [sic] nombre ; la [263]Noble ſſ e avoit e ſ té receuë aux Tables de la Mai ſ on du Roy, & les Etrangers de di ſ tinction qui n’e ſ toient pas venus avec les Envoyez des Princes Souverains des environs, y avoient au ſſ i mangé ; enfin tout concouroit à faire aimer, & regreter ce Grand Prince. Il partit le 26. aprés avoir entendu la Me ſſ e aux Capucins 783 , & alla dîner à un lieu nommé Chera ſſ e. J’aurois pû vous parler plûto ſ t du Voyage dont M r de [264] Louvois rendit compte au Roy à Luxembourg, mais je n’ay pas voulu interrompre telle qu’on y sent comme un besoin de justification, presque une gêne, tant le chroniqueur multiplie les raisons de l’absence royale : le roi commande des troupes « à plus de quarante lieuës de Luxembourg » pour empêcher l’arrivée de secours ennemis : « […] sa présence étoit bien plus necessaire dans les lieux où il étoit, puis qu’en tenant toutes les Places de Flandre en jalousie, il empêchoit ses Ennemis d’en tirer des troupes, & de faire aucun mouvement pour le secours de celle qu’on assiégeoit. Ainsi ce Prince étoit utile à beaucoup de grandes choses, & il n’étoit pas besoin que les Assiégeans le vissent pour affronter les périls. » (Op. cit., p. 55-56). Il est vrai que dans ce contexte particulier, l’argument « humanitaire » - empêcher l’arrivée de secours et se donner ainsi le moyen de prolonger le siège plutôt que d’en précipiter la fin par une attaque meurtrière - n’est plus annoncé. En revanche, l’auteur en présente un autre, économique, justifiant l’absence de Louis devant Luxembourg : la présence d’une nombreuse cour « auroit sans necessité fait rencherir les vivres au Camp devant Luxembourg » (ibid., p. 57). 782 On retrouve ici l’exaltation de la « relation spéciale » entre les rois de France et leurs sujets, aspect obligatoire de l’encomiastique royale relevée dans l’Introduction p. 57 et s. 783 Cette messe royale, de même que les précédentes, est consignée dans la Chronique de l’abbé Feller. 26 : Hodie Rex audivit sac[rum] apud Capuc[inos]. [Aujourdhui le Roi a entendu la messe chez les Capucins. (Nous traduisons)] (Chronique, op. cit., f. 369, col. 2). <?page no="262"?> 262 Journal la ſ uite de la relation que j’avois à vous faire de ce qui s’y e ſ t pa ſſ é. Ce zelé Mini ſ tre partit de Ver ſ ailles le 30. d’Avril, pa ſſ a à Tonnerre 784 & Ancy-le-franc [sic] 785 , & aprés avoir vû les Fortifications 786 de Be ſ ançon, les troupes, & les Cadets 787 , il ſ e rendit le 5. de May aprés midy à Befort 788 . C’e ſ t la Capitale du Comté de Ferrette 789 , ſ ituée dans le [265] Sunggovv, écheuë au Roy avec l’Al ſ ace par le Traité de Mun ſ ter 790 . M r le Marquis de la Suze 791 en a e ſ té long- 784 En Bourgogne, dans l’actuel Département de l’Yonne. Louvois avait acquis le comté de Tonnerre en 1684 moyennant une somme de 300 000 livres (voir J. Fromageot, Tonnerre et son comté […], Paris, Le Livre d’Histoire/ Lorisse, coll. « Monographies des Villes et Villages de France » 2007, p. 345). 785 En Bourgogne, dans le Département de l’Yonne. En 1684, Louvois avait aussi fait l’acquisition de la baronnie d’Ancy-le-Franc et du château construit au milieu du siècle précédent par Antoine III de Clermont-Tonnerre, selon les dessins du Primatice. L’endroit est entré dans la littérature grâce aux lettres échangées entre Madame de Sévigné et Coulanges qui y a joui de la généreuse hospitalité d’Anne de Souvré, la veuve de Louvois (voir lettre de Madame de Sévigné à Coulanges du 9 septembre 1694 et lettre de Coulanges à Madame de Sévigné du 3 octobre 1694) dans Correspondance, op. cit., t. III, p. 1059 et p. 1060 et s.). Pour l’acquisition par Louvois, voir J. Veuillot, Ancy-le Franc et Cusy, Paris, Res Universis, « coll. « Monographies des Villes et Villages de France », 1993, p. 161. 786 Dès le mois d’octobre 1677, Vauban avait manifesté à Louvois son intention de faire de Besançon « une des meilleures places de l’Europe, et sur laquelle le roi peut se reposer plus que sur une autre qui soit dans son royaume ». (Lettre à Louvois du 21 octobre 1677, cit. dans Histoire de Besançon […], Besançon, Cêtre, 1964, p. 55). En fait, les travaux s’articulaient en trois phases, citadelle, casernes, fortifications dont les deux premières, se plaçant entre 1674 et 1688 pour la citadelle, et à partir de 1680 pour les casernes, auront pu susciter l’intérêt du ministre lors de son passage de 1687. Les fortifications furent développées de 1689 à 1695 (voir ibid., p. 56). 787 Besançon faisait partie des villes de l’Est dans lesquelles Louvois avait décidé d’établir des compagnies de cadets (voir C. Rousset, Histoire de Louvois […], op. cit., t. 3, p. 303). Pour l’histoire de cette institution, voir ci-dessous n. 585. 788 Dans sa lettre du 6 mai 1687, Louvois rend compte au roi de l’état des fortifications de Belfort (voir Lettres de Louvois à Louis XIV. Publiées par Nicole Salat et Thierry Sarmant, Paris, Société de l’Histoire de France et Service historique de la Défense, 2007, p. 178-180). 789 Pour le Comté de Ferrette consulter livre C. Goutzwiller, Le Comté de Ferrette. Esquisses historiques, 2 e édition, Altkirch, J. Boehrer, 1868. 790 L’article 73 du Traité de Westphalie prévoit la cession du Sundgau à la France. Voir Der Westfälische Frieden. Das Münstersche Exemplar des Vertrags zwischen Kaiser/ Reich und Frankreich vom 24. Oktober 1648. Faksimile Teil II, Hrsg. von Heinz Durchhardt und Franz-Josef Jakobi, Wiesbaden, Dr. Ludwig Reichert Verlag, 1996, p. 74. 791 Gaspard de Champagne, comte de La Suze a obtenu les seigneuries de Belfort et de Delle par brevet royal du mois de juillet 1636 (voir G. Livet, L’Intendance d’Alsace ; de la guerre de Trente Ans à la mort de Louis IV (1634-1715), Strasbourg, Presses uni <?page no="263"?> 263 Journal temps po ſſ e ſſ eur, par engagement, ou autrement. M r le Cardinal Mazarin 792 po ſſ eda en ſ uite le Comté, & M r le Duc Mazarin 793 , qui luy a ſ uccedé, en joüit pre ſ entement. La Ville e ſ t a ſſ ez belle 794 . Il y a un Cha ſ teau, où l’on a versitaires de Strasbourg, 1991, p. 37). Sa gestion des affaires était onéreuse pour les populations soumises à son autorité, comme le prouve, en juillet 1654, une lettre de Philippe de Baussan, intendant d’Alsace, à Le Tellier : « J’ay trouvé ce pays en fort mauvais estat et tout ruiné, le gouverneur [de La Suze] a travaillé plustost à surcharger le pays qu’à le soulager […]. » (Ibid., p. 150). 792 En 1659, Louis XIV « possessionne » le Cardinal en Alsace et lui donne les seigneuries d’Altkirch, de Thann, de Belfort et de Ferrette. Dans son Intendance d’Alsace, Georges Livet reproduit la page par laquelle Colbert, alors intendant du Cardinal, clôt les cahiers des receveurs de ces quatre lieux : « Clos et arrêté le présent compte par nous, Intendant susdit, comme ayant la direction générale des terres et seigneuries d’Alsace, données par le Roy à S.E. le cardinal Mazarin, le 17 février 1659… » (op. cit., p. 194). 793 Armand Charles de La Porte de La Meilleraye, duc Mazarin (1631-1713). Ce fils du maréchal de La Meilleraye prit le nom de Mazarin par son mariage avec Hortense Mancini, la nièce du cardinal (Saint-Simon, op. cit., t. IV, p. 561). Gouverneur de Bretagne, de Nantes, de Brest, de Port-Louis, de Saint-Malo, grand maître de l’artillerie, toutes charges qu’il hérita de son père, il eut encore le gouvernement d’Alsace avec Brisach, Belfort et Haguenau (ibid., p. 560-561). La confiance qu’il inspirait au roi le promit aux plus hautes dignités : on le vit déjà maréchal de France. Or, si, fidèle à sa méthode, le mémorialiste commence par l’orner de tant de belles qualités - esprit agréable, commerce affable, solide instruction - il le perd ensuite complètement de réputation en faisant le procès impitoyable d’une piété aux effets les plus extravagants. Il détruisit les œuvres d’art qui lui appartenaient pour n’être pas conformes à l’esprit évangélique, il fit décider le sort - qu’il croyait guidé par Dieu - des plus hautes fonctions, prenant son cuisinier pour intendant et son frotteur pour secrétaire. Pis encore, il fit casser la belle dentition de ses propres filles, pour les priver d’un charme peu profitable à leur vertu. Le feu s’étant déclaré au château de Mazarin [château de la Cassine, près de Rethel dans les Ardennes, Saint-Simon, op. cit., p. 1311, n. 12 ad p. 561], il empêcha les pompiers d’œuvrer, arguant que le sinistre était voulu par Dieu. Quand il mourut, âgé de quatre-vingts ans, « ce ne fut une perte pour personne, tant le travers d’esprit, porté à un certain point, pervertit les plus excellentes choses » (Saint-Simon, op. cit., p. 560-561). 794 Jusqu’aux transformations opérées par Vauban, Belfort passait pour une ville de très médiocre qualité, un « trou avec des rues étroites, sales, mal pavées, des maisons mal bâties et obscures, en un mot la ville la plus triste et désagréable du monde » et dont le château n’était qu’un « nid de rats » d’après le témoignage de l’Hermine, un commis des contributions indirectes cité dans le Bulletin de la Société belfortaine d’Émulation, Montbéliard, N° 66, chap. XVI, op. cit., p. 202. Vauban lui-même est à peine moins sévère, qui parle dédaigneusement d’ « une petite villotte de cent vingt-deux maisons » et d’un « château très mal flanqué de mauvaises tours ». (Estat de Belfort, cit. dans Catalogue de l’Exposition itinérante 1980-81 « Vauban et ses successeurs en Franche-Comté. Trois siècles d’architecture militaire », p. 153). Son <?page no="264"?> 264 Journal fait quatre Ba ſ tions 795 . M r de Saint Ju ſ t 796 e ſ t Gouverneur de cette Ville, où M r de Dampierre 797 , [266] Lieutenant de Roy, commande en ſ on ab ſ ence. M r de Louvois vi ſ ita la Place, les Troupes, & les nouveaux travaux, qu’il trouva en bon e ſ tat. Ce Mini ſ tre coucha le 6. à Dammarie, Village d’Al ſ ace 798 . Il ſ e rendit le 7. à Huningue. C’e ſ t une Place qui e ſ t fort proche de Ba ſ le & qu’on a nouvellement fortifiée de ſ ix Ba ſ tions ſ ur le Rhin ; on y a au ſſ i fait des Dehors, & un Pont de bois ſ ur le Rhin, avec [267] quelques Ouvrages au bout pour en fortifier la te ſ te. 799 Cette Place rend la France fort pui ſſ ante ſ ur de cloche différent chez Choisy qui écrit en 1677, donc aussi avant les transformations de Vauban que « le chasteau est une très jolie place par sa fortification et plus encore par ses fossez… » (Lettre du 21 décembre 1677 cit. par C. Godard, « Quelques lettres concernant la fortification de Belfort sous Louis XIV », dans Bulletin de la Société belfortaine d’Émulation, op. cit., N° 66 1967, p. 101). Toujours est-il que, pour ce qui est de la ville, ce n’est que l’action de Vauban qui apporte des améliorations considérables voire une innovation radicale. Si dans ses mémoires de 1687, il ne mentionne pas encore le nouveau quartier qu’il s’apprête à construire, il y joint cependant les plans : ce qu’on appellera la « ville neuve » sera un ensemble architectural de belle allure, une ville en damiers avec des rues symétriques et des bâtiments prestigieux (voir entre autres Y. Baradel, « Belfort au XVII e siècle », dans Bulletin de la Société belfortaine d’Émulation, op. cit., numéré hors-série, 1983, p. 27). Toutefois, en 1687 on n’aura pu que deviner ces futurs développements, d’où l’expression mitigée « d’assez belle ville » du Mercure. 795 Dans sa lettre au roi du 6 mai 1687, Louvois, traitant du château de Belfort à qui il ne trouve pas fière allure, parle de trois redoutes à construire sur son glacis « pareilles à celles qui sont sur le glacis de Luxembourg », et dont la première est en travail « depuis deux ou trois jours », travail cependant auquel il a donné ordre de surseoir jusqu’à une nouvelle concertation avec Louis XIV, qui pourra donner ses ordres définitifs « à Luxembourg aprez avoir entendu M. de Vauban ». (Lettres de Louvois à Louis XIV, op. cit., p. 180). 796 Maurice de Saint-Just est mentionné en tant que gouverneur de Belfort dans l’acte de baptême de sa fille Marie-Thérèse, le 20 mai 1683. L’enfant porte le nom de sa marraine, la reine Marie-Thèrèse qui a accompagné le roi et le dauphin, parrains eux aussi, dans leur voyage alsacien de 1683. Maurice de Saint-Just était l’époux de Charlotte de Flavigny (voir A. Monnier, Belfort et son territoire. 20 siècles et 103 jours d’histoire, Belfort, Éditions H.P.C., 1971, p. 43). L’État de la France de 1687, t. II, p. 443 confirme sa fonction de Gouverneur de Belfort. 797 Fonction confirmée par l’État de la France de 1687, t. II, p. 443. 798 Dannemarie, dans l’actuel Département du Haut-Rhin, à quelque vingt-quatre km de Belfort et quelque quarante-et-un km de Huningue. 799 Dès l’année 1679, Louvois envisage de faire de Huningue une place forte, purement défensive, empêchant l’ennemi de pénétrer en Alsace (voir sa lettre à Vauban du 26 juin 1679 cit. par L. Kiechel, Histoire d’une ancienne forteresse de Vauban. Huningue, Montluçon, impr. Typocentre, 1975, p. 57). Le roi, qui accède au projet, exprime en date du 30 juillet le souhait de voir la construction non de six, mais de cinq <?page no="265"?> 265 Journal le Rhin. Elle e ſ t dans l’Al ſ ace 800 . M r le Marquis de Pui ſ ieux 801 en e ſ t Gouverneur, & M r de la Sabliere 802 , Lieutenant de Roy. M r de Louvois en examina les Fortifications, & fit faire reveuë aux Troupes qui y e ſ toient en Garni ſ on. Le 8. il coucha à Fribourg, Capitale du Bri ſ gavv, ſ ituée ſ ur la petite Riviere de Trei ſ eim 803 , au [268] bout d’une Plaine fertile, & ſ ous une hauteur qui bastions, chiffre qui figure aussi dans la légende de la médaille commémorative frappée pour la circonstance (voir ibid., p. 58), et Vauban confie la direction des travaux à l’ingénieur Launoy. La première pierre est posée le 17 mars 1680, l’inauguration de la nouvelle forteresse fêtée le 26 août 1681 (ibid., p. 61). En 1683, les nouvelles menaces de guerre suscitèrent un développement des ouvrages avec notamment l’idée de l’aménagement d’une tête de pont sur l’île des Cordonniers, dans le Rhin, juste en face de la forteresse et sur la rive droite du fleuve. Ces nouveaux travaux demarrèrent en 1684, le pont fut achevé dans son intégralité en 1686, Louvois put donc le voir lors de son voyage de 1687. Dans la lettre qu’il adresse le 7 mai au roi, il le décrit « d’une largeur et d’une solidité qui surprend ». (Voir Lettres de Louvois à Louis XIV. Publiées par N. Salat et T. Sarmant, op. cit., p. 181). Dès sa visite de 1684, Vauban avait envisagé aussi la mise en place d’ouvrages à corne au sud et au nord de la place ; en 1687, il propose la construction d’un ouvrage à corne dans l’île des Cordonniers. En 1697, la paix de Ryswick entraîne la démolition du pont et des ouvrages de l’île et de la rive droite (L. Kiechel, op. cit., p. 65-66). 800 Dans l’actuel Département du Haut-Rhin. 801 Roger Brûlart, marquis de Puisieux (Puysieulx) (1640-1719). Saint-Simon le montre gouverneur de Huningue en 1696, fonction qu’il occupa de 1679 à 1697 (op. cit., t. I, p. 329 et t. II, p. 1430, n. 10 ad p. 535) et ambassadeur en Suisse (ibid., p. 426), poste où « il servit à merveilles » (ibid., p. 536). Ce « petit homme fort gros et entassé, plein d’esprit, de traits et d’agrément, tout à fait joyeux, doux, poli et respectueux » (ibid., p. 535) avait eu le malheur de ne pas plaire à Louvois qui l’empêcha d’aller plus loin dans sa carrière. Ce n’est qu’après la mort du ministre qu’il est fait lieutenant général et ambassadeur (ibid.). Son goût de la bonne chère le perdit : il mourut d’une indigestion contractée à la suite d’un de ces repas légendaires dont les chartreux avaient le secret (op. cit., t. VII, p. 392-393). La mère de Puisieux était Marie-Catherine de La Rochefoucauld, marquise de Sillery, la sœur de La Rochefoucauld. 802 Ce personnage est mentionné dans plusieurs documents conservés aux archives de Colmar sous la cote 1 E 52, en particulier dans un procès-verbal daté du 9 décembre 1687 et actant l’adjudication des nouveaux ouvrages de Huningue pour l’année 1688 ; c’est dans sa maison que l’opération eut lieu - « en la maison de Monsr de La Sablière, Lieutenant du Roy au gouvernement d’Huningue » - et c’est son avis, finalement, qui décide de l’adjudicataire. Un procès-verbal antérieur (23 juin 1687) mentionne sa présence et son intervention lors de l’adjudication des travaux des deux magasins à fourrage dont Louis XIV avait ordonné de doter la place de Huningue, un autre, encore antérieur (19 septembre 1686), fait de même pour l’adjudication des travaux relatifs à « la construction de l’ouvrage à corne que Sa Majesté a ordonné [et] qui doit être fait au-delà du Rhin pour couvrir le pont d’Huningue… ». 803 Fribourg est situé sur la Dreisam. <?page no="266"?> 266 Journal e ſ t le commencement de la Fore ſ t noire. Elle e ſ t grande, bien peuplée, & a diver ſ es Egli ſ es, & plu ſ ieurs Mai ſ ons Religieu ſ es. Le Chapitre de Ba ſ le y fait ſ a re ſ idence, quoy que l’Eve ſ que ne l’y fa ſſ e pas 804 . Il la fait à Potentru 805 , depuis que les Prote ſ tans ont e ſ té Mai ſ tres de Ba ſ le 806 . Il y a une Chambre Souveraine à Fribourg, & une celebre Univer ſ ité qu’Albert VI dit le Debon [269] naire 807 , y fonda en 1450. Les Ducs de Zeringuen ont po ſſ edé autrefois cette Ville 808 , qui pa ſſ a dans la Mai ſ on de Fur ſ temberg 809 , par le mariage d’Agnés [sic] avec le Comte Hugue ou Egon 810 , dont les De ſ cendans l’ont gardée ju ſ que vers l’an 1386. aprés quoy les Bourgeois s’e ſ tant mutinez, ſ e donnerent aux Ducs d’Au ſ triche 811 . Elle fut pri ſ e trois fois en ſ ix ans par les Suedois ; ſ çavoir en 804 Voir ci-dessous n. 806. 805 Porrentruy, Canton du Jura. 806 Bâle a adopté la Réforme alors que Philippe de Gundelsheim était évêque (1527-1533). Celui-ci s’établit à Porrentruy, qui relevait à l’époque de l’archevêché de Besançon. En 1687, l’évêque de Bâle à Porrentruy était Jean-Conrad de Roggenbach, titulaire du siège de 1653-1693 (voir P. Suchart, « Philipp von Gundelsheim », dans Neue Deutsche Biographie, Berlin, Duncker & Humblot, 2001, vol. 20, p. 373 et s.). Quant au Chapitre cathédral, il se retira de Bâle pour se replier à Fribourgen-Brisgau ; en 1678, toutefois, il se transporta à Arlesheim (Canton de Bâle-Campagne), sur le territoire du diocèse de Bâle. Le Mercure n’a pas tenu compte de ce retour. 807 Albrecht VI, duc d’Autriche (1418-1463). 808 En 1218, à la mort de Bertold V, dernier duc issu de la maison de Zähringen, les bourgeois, soucieux de garder leurs libertés, établissent un document attribuant la fondation de Fribourg en tant que ville libre à une initiative prise par Bertold III, en 1120. En fait, on a pu démontrer que cette création politique est due au frère de Bertold, Konrad I er de Zähringen (voir H. Haumann, H. Schadek, Geschichte der Stadt Freiburg, Stuttgart, Konrad Theiss Verlag, 2001, Bd. 1, p. 57-59). 809 Voir note suivante. 810 Agnès, sœur de Bertold V, épouse Egino IV, Comte d’Urach. À la mort de Bertold, le 18 février 1218, et en l’absence de descendance directe de celui-ci, le couple recueille, entre autres, comme héritage Fribourg. Leur descendant devient comte de Fribourg sous le nom d’Egino I er (de Fribourg). À sa mort, en 1236, l’héritage est partagé : son fils aîné, Konrad, reçoit Fribourg et le Brisgau, le frère de celui-ci, Henri, fondateur de la maison de Furstemberg, les possessions de la Forêt Noire et de la Baar (voir Haumann, Schadek, op. cit., Band 1, p. 147-148). En attribuant Fribourg à la maison de Furstemberg, le Mercure aura été victime d’une confusion. 811 À la mort du comte Konrad II, en 1350, le comté passe à Friedrich, issu de son premier mariage avec Catherine de Lorraine ; lorsque celui-ci meurt six ans plus tard, en 1356, sans héritiers mâles, Fribourg revient à sa fille Klara, mais cette succession est contestée par Egino III, le demi-frère de Friedrich, issu du second mariage de Konrad avec Anne de Signau. L’empereur - Charles IV de Luxembourg - se ralliant à la cause d’Egino, une lutte de longue durée et à multiples péripéties éclate entre les Fribourgeois et le comte ; elle trouve son paroxysme dans la bataille du 18 octobre <?page no="267"?> 267 Journal 1632. 812 en 1634. 813 & en 1638 814 . Son nom s’e ſ t rendu [270] fameux dans toute l’Europe, par la celebre Victoire que feu Mon ſ ieur le Prince, qui n’e ſ toit alors que Duc d’Anguien 815 , remporta en 1644. ſ ur les Troupes Bavaroifes, aprés un Combat ſ anglant & opïnia ſ tré qui dura trois jours, pour les po ſ tes di ſ putez de la Montagne-noire 816 , à une lieuë de Fribourg. Ces trois jours furent le 3. le 4. & le 5. du mois d’Aou ſ t 817 . Feu M r le Maréchal de Crequi, qui 1367 qui se termine au désavantage de la ville, sans que le comte arrive à s’en emparer. Après diverses tractations, Egino renonce à ses droits sur Fribourg qu’il consent à faire passer à la maison Habsbourg - le « Duc d’Autriche » du Mercure. On remarquera l’erreur de datation du Mercure, s’expliquant par l’inversion des deux derniers chiffres du millésime : 1386 pour 1368 (voir Haumann-Schadek, Geschichte der Stadt Freiburg, op. cit., t. I, p. 169-172). 812 En 1631, Gustave Adolphe de Suède intervient dans les opérations de la guerre de Trente Ans et dès 1632 il pénètre en Bavière. Sa mort, à la bataille de Lützen, n’interrompt en rien la série des succès suédois, si bien que l’armée, commandée par le comte Horn, se présente quelques jours avant la fête de Noël de l’année 1632 devant Fribourg avec sommation de capituler. L’attaque de la nuit du 28 décembre contraint les défenseurs de la ville à déposer les armes. Les Suédois restèrent dans la ville jusqu’au 20 octobre 1633, date à laquelle l’arrivée, devant Fribourg des troupes espagnoles du duc de Feria les obligea à s’en retirer (Haumann-Schadek, op. cit., t. II, p. 125-129). 813 Les Suédois, sous les ordres du rhingrave Othon Louis, se représentaient une seconde fois devant Fribourg le 9 avril 1634. Le 10 avril, à l’issue d’un bref siège, ils entraient dans la ville. Cette deuxième occupation suédoise, particulièrement riche en exactions de toutes sortes, s’acheva le 8 septembre 1638 après la défaite de l’armée protestante dans la première bataille de Nördlingen, les 5 et 6 septembre 1634 (Haumann-Schadek, op. cit., t. II, p. 132-135). 814 En fait, c’est le duc Bernard de Weimar, d’abord au service de la couronne suédoise, mais en 1638 à celui de la France, entrée dans la guerre de Trente Ans du côté protestant, qui se rend maître de Fribourg le 11 avril 1638. Il en nomme gouverneur un officier, Kanoffski, qui avait déjà exercé ces fonctions lors de l’occupation suédoise de 1632 (Haumann-Schadek, op. cit., t. II, p. 126 et p. 139-140). 815 Le Grand Condé. Duc d’Enghien, il ne prend le titre de Monsieur le Prince qu’à la mort de son père, Henri II de Bourbon, prince de Condé, en 1646. 816 L’endroit est mentionné par Moréri : « Fribourg, ville d’Allemagne, aujourd’hui capitale du Brisgaw, est située […] sous une hauteur qui est le commencement de la montagne Noire, à trois ou quatre lieuës de Brisac, à sept ou huit de Strasbourg […]. Elle est encore celebre par le combat sanglant & opiniâtre de trois journées, que Loüis de Bourbon, II. du nom, Prince de Condé, alors Duc d’Anguien, y gagna sur les troupes Bavaroises, dans les postes disputez de la Montagne Noire, à une lieue de Fribourg. Ce fut le 3. Le 4. & le 5. du mois d’Aoust 1644 (Le Grand Dictionnaire historique […], Paris, Chez les Libraires associés, 1759, t. V, Partie I, p. 377, col. 1-2). 817 Après que Fribourg fut pris, en 1638, aux Autrichiens par Bernard de Saxe-Weimar, et donné aux Français, les Bavarois le reprirent en 1644. C’est alors qu’Enghien, le futur grand Condé, livre cette bataille du 3 au 5 août, où, avec le secours de Tu- <?page no="268"?> 268 Journal commandoit une des Armées du [271]Roy, prit cette Ville le 17. Novembre 1677. aprés un Siege de ſ ept ou huit jours 818 . Il y avoit alors deux murailles, une Citadelle à quatre Ba ſ tions 819 , de bons Fo ſſ ez, & quelques autres Ouvrages. Depuis ce temps-là les François l’ont fortifiée plus regulierement. La Riviere du Trei ſ eim, qui n’e ſ t jamais glacée, nettoye toutes les ruës. On a ajoûté quelques Ba ſ tions aux anciennes murailles de la Ville 820 , & les For[272] tifications du Cha ſ teau ont e ſ té augmentées. On les a étenduës ſ ur toute la hauteur 821 . C’e ſ t un chef-d’œuvre de M r de Vauban 822 . On y a au ſſ i bâty renne, il parvient, non sans mal, à tenir en échec François de Mercy, général lorrain au service de la Bavière, non sans l’empêcher de sauver son armée par une retraite habile. 818 Le siège durait du 9 au 17 novembre 1677. Dès le 14 novembre, les Français obligeaient les défenseurs à la retraite dans l’enceinte de la vieille ville ; ne voyant pas arriver de secours, le gouverneur Jean Georges, Freiherr Schütz von Pürschütz und Geislingen, soucieux d’éviter un carnage inutile, capitula. Les Français lui accordèrent les honneurs de la guerre, mais on lui intenta un procès à Innsbruck, et son âge seul lui évita la condamnation (voir Geschichte der Stadt Freiburg, op. cit., t. 2, p. 170). En 1679, Fribourg est cédé à la France par le traité de Nimègue ; la ville revient à l’Autriche en 1697 par le traité de Ryswick. 819 Dans les années 70 du XVII e siècle, l’ingénieur et architecte Elias Gumpp, chargé de revoir le système défensif de Fribourg, avait doté de bastions et de casemates le château « Leopoldsburg », sis sur la montagne dominant la ville, ainsi que le bastion du « Carlseck » qui surplombait l’ensemble (U. Ecker, H. Haumann, „Viel zu viele Beamte“ und „Freiheitsapostel“. Festungsleben […] dans Haumann-Schadek, op. cit., t. II, p. 167-169). 820 Voir ci-dessous n. 822. 821 Voir note suivante. 822 Après la cession de Fribourg à la France (voir ci-dessus n. 818), un premier projet de reconstruction des fortifications fut confié à Thomas de Choisy auquel, cependant, on substitua bientôt Vauban. Celui-ci entreprit d’abord un travail important sur les bastions dont les dix existants, de facture très hétéroclite, furent remplacés pour huit autres, nouveaux, puissants et uniformisés : Saint Pierre, du Roi, de la Reine, du Dauphin, Saint Louis, Sainte Thérèse, de la Porte Saint Christophe et du Château. Trois de ces bastions étaient munis de « cavaliers », surélévations pour accroître la vue et le champ de tir des batteries qu’on y installait. Dans le fossé même, Vauban avait placé, entre les bastions, sept « ravelins » ou « demi-lunes », ouvrages extérieurs triangulaires, ainsi que trois « tenailles », petits ouvrages bas, situés en avant des fronts bastionnés et appelés, comme les demi-lunes, à protéger le « chemin couvert », espace couvert servant de parapet et qu’il avait fait aménager sur la « contrescarpe », talus bordant le côté extérieur du fossé (ibid., p. 171-173). Quant aux fortifications du château, Vauban s’était décidé à fortifier l’élévation du château dans toute sa hauteur. Au sommet, il avait fait construire le château supérieur, composé du Fort Saint-Pierre et du Fort de l’Étoile. Il était relié au château inférieur par la « Grande Communication », un puissant ouvrage de défense muni aux endroits <?page no="269"?> 269 Journal d’autres Forts qui commandent à deux vallées 823 . Les Archiducs d’Autriche y avoient étably une Chancellerie. Il y a quatorze Mona ſ teres à Fribourg 824 , & des Mai ſ ons de trois Ordres de Chevalerie 825 . M r du Fay 826 en e ſ t Gouverneur, M r Barrege, 827 Lieutenant de Roy, & M r [273] Roais 828 commande dans le sensibles de bastions dont, au centre, le bastion de l’Aigle. Sur les pentes de l’élévation, des redoutes protégeaient l’ensemble de l’ouvrage. On notera que tous ces travaux, conçus par Vauban, étaient supervisés, pour l’essentiel, par Tarade, Vauban ne passant que sporadiquement pour se rendre compte de l’avancement de l’entreprise (ibid., p. 173-174). Dans sa lettre au roi datée de Fribourg le 8 mai, Louvois s’étend sur ces travaux : « Le fort Saint-Pierre est entièrement parachevé aussi bien que l’église et les batiments. Il y a une très bonne citerne, et une autre dans le fort de l’Estolle. Il sera difficile que V.M. se dispense de faire construire un fort à la place de la redoute que l’on nomme le fort de Laigle, aprez quoy je ne voys plus rien à faire de considérable au château […]. » (Lettres de Louvois à Louis XIV, op. cit., p. 1893). 823 Ainsi le saillant conçu pour protéger le château supérieur contre le Immental („Viel zu viele Beamte […]“, op. cit., t. II, p. 173). 824 Ordres religieux présents à Fribourg : Franciscains, Dominicains, Ermites de Saint Augustin, chanoines de Saint Augustin, Jésuites (à partir de 1620), Capucins, Antonins, Dominicaines, Clarisses, Pénitentes, Wilhelmites, Chartreux (voir P. Rohde, „Die Freiburger Klöster zwischen Reformation und Auflösung“, dans Haumann- Schadek, op. cit., p. 418). 825 P. Rohde (op. cit., p. 418) cite les Ordres de Chevaliers des Johannites et des Deutschherren. 826 Ce personnage paraît encore dans la correspondance de Louvois qui le prévoit, en 1675, comme commissaire militaire à Saverne et en 1680 comme commissaire aux élections pour la désignation aux dignités abbatiales en Alsace (voir G. Livet, L’Intendance d’Alsace […], op. cit., p. 426 et 751). L’État de la France de 1687 confirme sa fonction à Fribourg et ajoute, comme étape antérieure de sa carrière, celle de commandant à Brisac : « Fribourg, Capitale du Brisgau, le Gouverneur de la Ville & Château, M. du Fay, Lieutenant Général des Armées du Roy, cy-devant Commandant à Brisac. » (Op. cit., t. II, p. 443). Le personnage meurt le 9 juin 1693 à Fribourg, âgé de soixante-quatorze ans. Il y est enterré dans le choeur de la cathédrale. Pour des détails de la carrière militaire de du Fay, voir H. Kopf, « Unter der Krone Frankreichs. Freiburg im Breisgau 1677-1697 », dans Schau-ins-Land, 88, 1970, p. 75-78. 827 L’État de la France de 1687 confirme nom et fonction : « Fribourg. Le Lieutenant de Roy dans la Ville, M. de Barége. » (Op. cit., t. II, p. 443). Le personnage est présent, en 1684, lors de l’adjudication, dirigée par La Grange, des travaux à effectuer au château supérieur (voir H. Kopf, « Unter der Krone Frankreichs », op. cit., p. 47). 828 La nomination de Roais au poste de commandant du château date du 24 décembre 1677 (voir H. Kopf, « Unter der Krone Frankreichs », op. cit., p. 36). L’État de la France de 1687 cite le nom parmi le personnel militaire de la Citadelle de Strasbourg : « M. de Roais, Lieutenant. » (Op. cit., t. II, p. 442). En revanche, il n’est pas mentionné pour Fribourg dont le château, d’après L’État, a pour commandant M. de la Triballe (op. cit., t. II, p. 443). <?page no="270"?> 270 Journal Cha ſ teau, M r de Louvois dîna le 9. à Bri ſſ ac, & vit la Place & les Troupes. C’e ſ t une Ville d’Al ſ ace dans le Bri ſ gavv qui donne un pa ſſ age ſ ur le Rhin. Elle fut pri ſ e en 1638 829 par Bernard de Saxe, Duc de Vveimar, General de l’Armée de Suede 830 , avec le ſ ecours des Troupes Françoifes que condui ſ oit le Maréchal de Guebriant 831 . On y trouva plus de deux cens pieces de Canon avec de grandes riche ſſ es 832 , & [274]l’année ſ uivante le Duc de Vveimar 833 e ſ tant malade à Ne- 829 La ville aux mains des Impériaux sous les ordres de Reinach avait soutenu un siège très dur et connu une terrible famine. Bernard de Saxe-Weimar, au service de la France (voir note suivante) y était entré le 19 décembre. Pour les détails de ce siège, l’un des plus mémorables de l’époque, voir A. de Noailles, Bernard de Saxe-Weimar (1604-1639) et la réunion de l’Alsace à la France, Paris, Perrin, 1908, p. 347-387). 830 Bernard de Saxe-Weimar (1604-1639) fils de Jean, duc de Saxe-Weimar, compte parmi les capitaines les plus prestigieux de la Guerre de Trente Ans. Rallié au camp protestant, il sert, entre autres, sous Christian IV, roi de Danemark, et Gustave II Adolphe, roi de Suède, après la mort duquel, à la bataille de Lützen, (1632), il prend le commandement de l’armée et la mène à la victoire. Défait par les Impériaux à Nördlingen (1634), il quitte le service suédois pour celui de la France qui vient de rejoindre la ligue protestante ; il bat les Impériaux à Rheinfeld (1637) et s’empare, en 1638, de Fribourg et de Brisach. Après d’autres succès, en Bourgogne notamment, il meurt le 18 juillet 1639 à Neubourg, emporté probablement par une crise particulièrement violente de la fièvre intermitttente dont il souffrait ; la rumeur d’un empoisonnement, cependant, courait (voir Amblard de Noailles, Bernard de Saxe-Weimar, op. cit., p. 443-444). 831 Jean-Baptiste Budes, comte de Guébriant (1602-1643). Ce Breton, originaire de la région de Saint-Brieuc, se bat d’abord en Hollande et contre les protestants du Languedoc. Capitaine en 1630, il devient capitaine des gardes-françaises en 1631. On le trouve ensuite en Allemagne, puis, en 1636, à Guise que sa fermeté préserve d’une attaque espagnole, un des épisodes remarquables de la guerre de Trente ans. Dans le même contexte, et promu entretemps au grade de maréchal de camp, il ramène l’armée royale de la Valteline en Franche-Comté, puis rejoint, en 1638, Bernard de Saxe-Weimar et coopère à la victoire de Rheinfeld et à la prise de Brisach sur les Impériaux. D’autres succès confirment sa réputation : Wolfenbüttel, en 1641, Kempen, en 1642. C’est à la suite de cette dernière victoire que Louis XIII le fait maréchal de France. Il est mortellement blessé, en 1643, au siège de Rottweil, dans le Bade-Wurtemberg (voir Dictionnaire du Grand Siècle, op. cit., p. 683 et Dictionnaire des Maréchaux de France, op. cit., p. 211-212. Voir aussi Tallemant des Réaux, Historiettes, op. cit., t. II, p. 61-63). 832 En entrant dans la ville, les troupes du duc de Saxe-Weimar purent récupérer cent cinquante arquebuses et cent trente-cinq gros canons, parmi lesquels des spécimens célèbres, « Ketterlein von Ensisheim » et « Niemands Freund ». En outre, elles y trouvèrent un riche trésor en or et en argent (voir G. Haselier, Geschichte der Stadt Breisach am Rhein. 1. Halbband. Von den Anfängen bis zum Jahr 1700, Breisach am Rhein, Selbstverlag der Stadt Breisach am Rhein, 1969, p. 361. Données fournies par Theatrum Europaeum, III, p. 930). 833 Voir ci-dessus n. 814. <?page no="271"?> 271 Journal vvembourg 834 prés de Bri ſ ac, le me ſ me Maréchal de Guebriant s’a ſſ ura au mois de Juillet de cette importante Place ; & des autres qui furent remi ſ es au Roy par Traité du 9. Octobre de la me ſ me année 835 . Elles furent cedées à Sa Maje ſ té en 1648. par le Traité de Vve ſ tphalie 836 , ce qui fut confirmé en 1659. par celuy des Pyrenées 837 . Brifac, que quelques uns nomment la [275] Citadelle de l’Al ſ ace, & d’autres, la Clef de l’Allemagne 838 , pa ſſ e aujourd’huy pour une des plus fortes Places de l’Europe, ſ oit qu’on regarde ſ a ſ ituation ſ ur un Mont 839 , ſ oit qu’on examine ce que l’art a contribué à la rendre reguliere 840 . Elle e ſ t ſ ur 834 Neubourg, dans l’actuel Département du Bas-Rhin. 835 Comme en fait foi son testament, Bernard de Saxe-Weimar avait eu l’intention de maintenir Brisach dans l’Empire et donc de le soutirer à la France. Cependant, après sa mort, au mois de juillet 1639, Guébriant, soutenu par le baron d’Oysonville, plénipotentiaire de Louis XIV, signa, en date du 9 octobre, avec les officiers de Bernard, en particulier le major-général Erlach, un traité mettant la place à la disposition du roi de France. Dès le 22 octobre, Erlach fut assermenté comme gourverneur de Brisach par Guébriant, représentant le roi (voir G. Haselier, op. cit., t. I, p. 371-379). 836 Le paragraphe 73 du traité de Westphalie (1648) prévoit la cession, à la France, par l’empire, l’empereur et la Maison d’Autriche, et entre autres villes alsaciennes, de Brisach et de toutes ses dépendances : Imperator pro se totaque serenissima Domo Austriaca itemque Imperium cedunt omnibus iuribus, proprietatibus, dominiis, possessionibus, iuridictionibus, quae hactenus sibi, Imperio et Familiae Austriacae competebant in oppidum Brisacum […] et […] in Regem Christianissimum Regnumque Galliarum transferunt, ita ut dictum oppidum Brisacum cum villis Hochstatt, Niederrimbsing, Harten et Acheren ad communitatem civitatis Brisacensis pertinentibus […]. (Der Westfälische Frieden, Das Münstersche Exemplar des Vertrags, op. cit., t. II, p. 71-72). 837 L’article 61 du traité des Pyrénées confirme la possession des villes alsaciennes cédées par le traité de Westphalie ou de Munster : « Sa Mté Catholique renonce par ce Traité à tous ses droits et prétentions […] sur la Haute et Basse Alsace, le Zuntgau, le comté de Ferrette, Brisac et ses dépendances … » (H. Vast, Les grands traités du règne de Louis XIV, Paris, Alphonse Picard et fils, 1893, p. 130). 838 Voir Mémoires de deux voyages et séjours en Alsace 1674-1676 et 1681, Marseille, Laffitte Reprints, 1979, ouvrage attribué à H. de L’Hermine, un des quatre Receveurs généraux de l’Alsace, p. 55 : « [Brisac], ville d’importance, à qui les uns ont donné le nom de Citadelle d’Alsace, d’autres de clef d’Allemagne. » Cet auteur révèle un troisième nom de Brisach, celui « d’oreiller de la maison d’Autriche », parce que, avant l’entrée des Français, l’empereur la « consideroit comme l’oreiller sur lequel reposoit la sûreté de ses Etats » (ibid.). 839 Le Münsterberg, l’antique mons Brisiacus. 840 Le détail des impressionnantes fortifications de Brisach, celles, surtout, de l’époque française, est donnée par G. Haselier, Geschichte der Stadt Breisach am Rhein, op. cit., 1. Halbband, p. 429 et s. La relation de L’Hermine (Mémoires de deux voyages et séjours en Alsace, op. cit., p. 50) donne une idée de l’importance des travaux : « ce n’étoit que barrières, corps de garde, Ravelins, demi-lunes et autres ouvrages de fortification, […]. Je considérois avec étonnement des milliers d’ouvriers qui four <?page no="272"?> 272 Journal le bord du Rhin qu’elle commande. C’e ſ toit autrefois la Capitale du Bri ſ gavv, qui a receu ſ on nom d’elle, mais Fribourg l’a emporté depuis quelque temps. Il y a aujourd’huy [276] double Ville, car outre celle qui e ſ toit audelà du Rhin, on a fortifié une I ſ le, qui e ſ t pre ſ entement habitée avec grand nombre de Ba ſ tions 841 . Il y a au ſſ i des Fortifications en deçà du Rhin, & toutes en ſ emble elles peuvent faire environ trente Ba ſ tions. On travaïlle ince ſſ amment à cette Place, que l’on peut dire imprenable. Il y a dans Bri ſ ac une Compagnie de jeunes Gentilshommes 842 . M r le Duc Mazarin en e ſ t Gouverneur. [277] milloient de quelque côté que je jetasse la vüe, […].Tous ces mouvemens là me donnèrent une idée de cette multitude de peuple qui bâtirent autrefois les piramides d’Egipte. » 841 Il s’agit de Ville Neuve de Brisach encore appelée Ville Neuve Saint-Louis, construite sur la Grande Île du Rhin, sise entre l’île de Sable et la rive gauche du Rhin. Dès 1674, des populations privées de leur habitat par les opérations militaires, celle, en particulier, de Biesheim, incendié par les Impériaux à l’occasion du siège de Brisach, en 1674, s’étaient réfugiées dans l’île, où elles vivaient misérablement dans des cabanes de paille ; s’y ajoutaient les ouvriers employés aux travaux de fortification de Brisach. L’agglomération fut alors désignée de « Strohstadt », Ville de Paille. Dans la suite, à partir de 1680, des améliorations importantes transformèrent le lieu en un véritable quartier de Brisach avec des maisons en pierre, des rues bien aménagées, une belle église, le tout entouré d’un mur d’enceinte garni de bastions (voir G. Haselier, op. cit, p. 436-440 et surtout le témoignage attribué à H. de L’Hermine, dans Mémoires de deux voyages et séjours en Alsace, op. cit., p. 51). Dans sa lettre au roi écrite à Haguenau en date du 12 mai, Louvois insiste avant tout sur les améliorations apportées à cette ville de paille depuis la dernière inspection royale : « J’ay trouvé les fortiffications de Brisack dans le bon estat que V.M. les a veues, hors ce que l’on apelle la ville de paille est entièrement revestu à une courtine et un bastion près. » Il exprime aussi sa satisfaction concernant l’effet des écluses du côté du bastion du Rhin : « […] ayant fait ouvrir les escluses du costé du bastion du Rhin, j’ay eu le plaisir de voir en moins d’un quart d’heure de temps un courant excité dans le fossé qui avoit au moins tant de mouvement que la rivière de Seine à Paris. » (Lettres de Louvois à Louis XIV, op. cit., p. 184). Il convient de ne pas confondre Ville Neuve de Brisach avec Neuf-Brisach, dans l’actuel Département du Haut-Rhin, ville conçue par Vauban à partir du moment où le traité de Ryswick rendant Brisach à la Maison d’Autriche, le Rhin devint frontière entre l’Alsace française et le Brisgau autrichien (voir A. Halter, Le Chef-d’œuvre inachevé de Vauban, Neuf-Brisach, Strasbourg, La Nuée Bleue, 1992). 842 Il s’agit de la compagnie de cadets, établie à Brisac et commandée par de La Chétardie (État de la France, op. cit., t. II, p. 442). Pour l’institution des cadets, voir ci-dessus p. 199, n. 585. Pour ce qui est plus particulièrement des cadets de Brisach, ils devaient avoir bonne réputation, puisque, lors du voyage royal de 1683, on les avait fait venir à Colmar pour faire l’exercice devant le roi (voir C. Pfister, Le troisième voyage de Louis XIV en Alsace, Séances et Travaux de l’Académie des Sciences morales et politiques, 2 e semestre 1922, p. 360). En 1627, alors que le <?page no="273"?> 273 Journal M r de la Chetardie y commande en ſ a place, & M r de Farges 843 y e ſ t Lieutenant de Roy. M r de Louvois vit le me ſ me jour 9. d’Avril, les Fortifications de Schle ſ tadt 844 . & les Troupes qui y ſ ont en Garni ſ on. C’e ſ t une Place ſ ituée dans l’Al ſ ace ſ ur la Riviere d’Ill qui porte Bateaux. Elle e ſ toit autrefois fortifiée de bonnes murailles & de fortes Tours, avec un Rempart, & des Fo ſſ ez tres larges [278] & fort profonds 845 . On y a fait des Ba ſ tions depuis ce temps-là 846 . C’e ſ t une Place fort con ſ iderable, où l’on fait un grand trafic. Cette Ville s’e ſ t toûjours maintenuë Catholique au milieu de l’Herefie 847 , & il y a un duc de Mazarin était gouverneur de la Place, ils étaient sous les ordres de « M. de la Chétardie, Inspecteur d’Infanterie, & Commandant de la Compagnie des jeunes Gentilshommes, Commandant à Brisac ». (État de la France, op. cit.). L’institut de Brisac était logé au bastion Saint-Jacques, à l’extrémité ouest du pont sur le Rhin. Il a été démantelé au moment du traité de Ryswick (voir G. Haselier, Geschichte des Stadt Breisach am Rhein, op. cit., t. I, p. 443). 843 L’État de la France de 1687 mentionne le personnage parmi le personnel militaire de Brisach : « Le Lieutenant de Roy, M. des Farges, cy-devant Lieutenant-Colonel du Régiment de la Reine. » (Op. cit., t. II, p. 442). 844 Sélestat, dans le Bas-Rhin. 845 Au début du XVII e siècle, Sélestat s’était doté de fossés d’une largeur extraordinaire, allant de 40 à 100 mètres, ceci en contradiction avec les recommandations données quelques années auparavant par Jean Errard de Bar-le-Duc, le célèbre ingénieur des fortifications de Henri IV, qui avait préconisé une largeur maximale de treize toises ou 24,44 m. Les Sélestadiens, au contraire, misaient sur ces plans aquatiques pour tenir l’ennemi à l’écart de leurs murailles ; le développement de l’artillerie et de la portée des canons devaient rendre cette stratégie bien illusoire (voir A. Dorlan, Histoire architecturale et anecdotique de Sélestat, Paris, Le livre d’histoire, coll. « Monographies des Villes et Villages de France », 2003, t. II, p. 32-33). Louvois, dans le rapport qu’il fait au roi le 12 mai, à partir de Haguenau, sur l’état de défense de la ville, après avoir brièvement signalé les travaux sur les fortifications, n’en insiste pas moins sur les effets de l’eau : « La demy-lune de la porte de Brizak que l’on a revestue y fait très bon effet et lorsque le demy-bastion et la courtine que l’on fait cette année derrière ledit ouvrage seront parachevez, il n’y aura plus rien à faire à cette place que l’escluse qui doit en former l’innondation et la redoute necessaire pour la conserver. » (Lettres de Louvois à Louis XIV, op. cit., p. 184-185). 846 Sans autre précision de la part de l’auteur du Mercure, on pourra songer aux cinq bastions prévus par Jacques Tarade, ingénieur des fortifications, et placés sur le corps de la place en 1675-1676, auxquels s’ajoutent, aux points où l’enceinte atteint l’Ill, deux demi-bastions : ces ouvrages s’appellaient bastions du Capucin, de Saint-Hippolyte, de Chatenois, de Saint-Jean, de Strasbourg, de l’Hôpital, de la Rivière. Dans les années suivantes, les bastions firent l’objet d’améliorations et de réparations incessantes (voir A. Dorlan, op. cit., t. II, p. 141 et p. 158-181). 847 Cette fidélité de Sélestat à la foi ancienne n’était aucunément assurée dès les débuts de la Réforme. Des représentants éminents de l’École de Schlestadt, ce célèbre foyer <?page no="274"?> 274 Journal College de Je ſ uites 848 . M r de Gondreville 849 en e ſ t Gouverneur, & M r de la d’humanisme italo-flamand et de latinité assurant à la ville un rayonnement intellectuel peu commun, tels Jean Sapidus ou Phrygio (Paul Constantin Seidensticker), avaient accueilli avec bienveillance, sinon avec enthousiasme, les idées nouvelles, et si le Magistrat, officiellement, se défendait de toute sympathie pour la pensée de Luther, il ne se signalait pas, cependant, par un zèle excessif pour l’ancienne foi. Le peuple, au contraire, et sans doute par esprit de fronde, pendait au gibet les effigies des novateurs. Dans un deuxième temps, toutefois, les alliances se renversèrent. Inspirés par le nouveau prévôt, Melchior Eggersheim, les notables s’attachèrent avec vigueur à la défense de la tradition, tandis que le populaire, excité par des agents venus du dehors, change de parti : Sélestat connaît alors les ravages iconoclastes qui accompagnent partout la Réforme. Les religieuses du couvent de Sylo sont délogées par la foule débridée qui envahit aussi les autres monastères de la ville. Les Franciscains prennent l’initiative de partir, pour ne pas subir le même sort. Dans la campagne environnant la ville, le mouvement se double d’une véritable jacquerie, résultant du désespoir des paysans taillables et corvéables à merci. Le 25 mai 1525, les troupes populaires se livrent avec celles du duc de Lorraine et du margrave de Bade, accourus pour endiguer un flot qui aurait pu menacer leurs propres terres, une bataille sanglante qui se termine par la victoire de ces derniers. À Sélestat, le Magistrat profite de cette issue pour écarter tous ceux qu’il soupçonne de favoriser les idées nouvelles, dont Sapidus et Phrygio. En 1533, il prend un décret menaçant de la peine capitale non seulement ceux qui gardaient commerce avec ce qui restait de l’armée des paysans, mais encore tous ceux qui maintenaient des liens avec la Réforme. Beaucoup d’esprits éclairés quittent alors la ville dont la vie intellectuelle connaît un véritable déclin (voir A. Dorlan, op. cit., t. I, p. 462-474). 848 C’est l’archiduc Léopold I er d’Autriche, évêque de Strasbourg de 1607 à 1625, qui a l’idée d’établir les Jésuites à Sélestat, un des fiefs du catholicisme alsacien. La première escouade de trois Pères se présente en 1615 et reçoit de l’évêque les bâtiments de l’ancien prieuré bénédictin, abandonné par ses propriétaires au début du XV e siècle. Il faut cependant attendre l’année 1623 pour voir l’ouverture du collège, établi entre le Marché aux Poissons et le Marché aux Choux, vaste bâtiment destiné à accueillir les trois premières classes de grammaire. La fortune de l’institution se mesure aux différentes constructions qui jalonnent son histoire en 1688, en 1742, en 1753. Les Pères, brouillés pour toutes sortes de raisons tant avec leurs confrères des autres ordres qu’avec les autorités et la population, doivent quitter Sélestat au moment de la dissolution de l’Ordre sous le ministère Choiseul, en 1764 (voir A. Dorlan, op. cit., t. II, p. 1-11 et p. 240-257). 849 Ce personnage est cité par Livet pour une commission de prolongation de son mandat à Sélestat (L’Intendance, op. cit., p. 649, n. 2) et pour avoir été désigné comme commissaire à l’occasion de la nomination de l’abbé d’une abbaye alsacienne (ibid., p. 752, n. 1). Son prédécesseur, à Sélestat, était Monclar (voir ci-dessous n. 855), appelé ensuite au gouvernement de la Haute-Alsace (voir A. Dorlan, op. cit., t. II, p. 163). Dans sa rubrique « Gouverneurs des Provinces », L’État de la France de 1687 confirme la fonction : « Sellestad, M. de Gondreville, Gouverneur… » (op. cit., t. II, p. 443). <?page no="275"?> 275 Journal Provenchere 850 , Lieutenant de Roy. Le 10. M r de Louvois alla coucher à Benfeld, petite Ville de la ba ſſ e Al ſ ace, a ſſ ez forte 851 , & des mieux entenduës 852 . [279] Elle dépend de Strasbourg, dont elle n’e ſ t éloignée que de trois lieuës. Elle e ſ t ſ ur la Riviere d’Ill. M r de Louvois dîna le 10. à Strasbourg, & y ſ ejourna le 11. vit la Ville, la Citadelle, les Forts, & les Troupes. M r de Chamilly 853 , 850 François Roze de la Provenchère est surtout entré dans la chronique de Sélestat par le souvenir d’une fécondité exceptionnelle : de 1674 à 1692 son épouse, Marguerite de Maulin, lui a donné non moins de dix-huit garçons et trois filles (voir A. Dorlan »Histoire militaire de Sélestat. Trois siècles de garnison française (1681-1688) », dans Annuaire des Amis de la Bibliothèque Humaniste de Sélestat, 1965, p. 147). La fonction est confirmée par L’État de la France : « Sellestad, Le Lieutenant de Roy M. de la Provenchére. » (Op. cit., t. II, p. 443). 851 Au début de la guerre de Trente Ans, la forteresse de Benfeld/ Benfelda avait été modernisée par un ingénieur militaire d’origine italienne, Ascagne Albertini, considéré comme un précurseur de Vauban : il fut le premier à mettre en place le système des avant-postes bastionnés en forme d’étoile à multiraies (voir P. Andlauer, Benfeld à travers l’histoire, Sélestat, Imprimerie Alsatia, 1968, p. 19). En 1648, l’article 81 du traité de Westphalie prévoit la destruction complète (aequabuntur solo eiusdem oppidi [Bensfeldae] munitiones, op. cit., t. II, p. 74) des fortifications de Benfeld, mais l’exécution est moins radicale qu’il n’y paraît : subsistent alors le château, les portes, les murailles intérieures et le fossé réduit à un dixième de sa largeur (Andlauer, op. cit., p. 35-36). D’où, peut-être, l’expression « assez forte » du Mercure. 852 « Entendu […] se dit aussi, De certaines choses, & en ce sens il se prend pour, Pratiqué, assorti, parfait en son genre. Un bastiment bien entendu, un meuble bien entendu ». (Dictionnaire de l’Académie, 1694). Il convient donc d’entendre ici que Benfeld est une petite place forte parfaite en son genre. 853 Noël Bouton, marquis de Chamilly (1636-1715). Issu de la noblesse bourguignonne, Chamilly fait toute sa carrière dans l’armée. Âgé à peine de vingt ans, il participe, en 1656, sous les ordres de La Ferté, au siège malheureux de Valenciennes, où il est fait prisonnier avec son général, il sert ensuite sous La Feuillade en Flandre et se signale, en 1638, à la bataille des Dunes qui consacre la gloire de Turenne. On le voit dans la suite sur tous les théâtres de la guerre, au Portugal, dans l’armée du maréchal de Schomberg (1663), dans l’expédition de Candie entreprise, en 1669, par La Feuillade pour défendre l’île contre les Turcs. Mis à la disposition, par Louis XIV, de certains princes allemands pour des fonctions d’organisation et de commandement militaires, il rejoint l’armée royale engagée dans la guerre de Hollande. C’est dans ce contexte qu’il accomplit son exploit majeur et qui fonde définitivement sa renommée : en tant que gouverneur de Graves, sur la Meuse, dans le Brabant septentrional, il soutient, en 1673-1674, un long siège contre les troupes de Guillaume d’Orange, et ne capitule que sur ordre exprès du roi. Louvois, jaloux, ne peut alors empêcher sa promotion. En 1685, le roi, désormais maître de Strasbourg, lui en confie le commandement, et s’il doit attendre jusqu’en 1703 pour être fait maréchal de France, cette élévation tardive est « généralement applaudie » (Saint-Simon, op. cit., t. II, p. 294). Il n’empêche que le mémorialiste, fidèle à ses procédés, finit par démolir un personnage dont il vient de célébrer les qualités : <?page no="276"?> 276 Journal ſ i celebre par la défen ſ e de Grave 854 en e ſ t Gouverneur. M r de Louvois logea chez M r de Monclar 855 , qui commande en Al ſ ace. Je ne vous dis rien de Strasbourg, comme je ne vous ay rien dit de Be ſ ançon, [280] parce que ces Places ſ ont entierement connuës. Ain ſ i je ne vous ay parlé que de celles dont j’ay cru pouvoir vous apprendre quelques particularitez qui ne ſ e trouvent dans aucun Ouvrage imprimé. Le 12. M r de Louvois dîna au Fort Loüis du Rhin. C’e ſ t un Fort qui a e ſ té construit dans une I ſ le du haut Rhin 856 , huit lieuës au de ſſ ous de Strasbourg, & autant au de ſſ us de Philisbourg 857 . Ce po ſ te e ſ toit pre ſ que inconnu. [281] Toute l’I ſ le qui e ſ t au Roy e ſ tant dans l’Al ſ ace qui appartient à Sa Maje ſ té, doit e ſ tre fortifiée. Il doit y avoir plu ſ ieurs Ba ſ tions, & des Ponts avec des Fortifications à la te ſ te 858 . M r de « C’était un grand et gros homme, le meilleur homme du monde, le plus brave et le plus plein d’honneur, mais si bête et si lourd qu’on ne comprenait pas qu’il pût avoir quelque talent pour la guerre. L’âge et le chagrin l’avaient fort approché de l’imbécile. » (Ibid.). Il n’est pas dépourvu d’intérêt de noter que Chamilly, qui formait avec son épouse, Élisabeth Du Bouchet de Villefix, un couple idéal (ibid.), passe pour avoir inspiré, dans sa jeunesse, « un amour aussi démesuré que celui qui est l’âme de ces fameuses Lettres portugaises, ni qu’il eût écrit les réponses qu’on y voit à cette religieuse » (ibid., p. 293). Guilleragues, dans ses célèbres Lettres, se serait donc inspiré d’une relation passionnelle entre une religieuse portugaise et Chamilly, au moment de son service portugais (voir ci-dessus). 854 Voir note précédente. 855 Le baron de Monclar accède en 1675 au commandement des troupes stationnées en Alsace et il y exerce sous l’autorité des généraux en chef des armées manœuvrant en Allemagne, Turenne, Condé, Luxembourg ou Créquy. De 1679 à 1682 il joue un rôle déterminant dans les réunions. Le Traité de Nimègue confirmant, en 1679, celui de Munster ou de Westphalie (1648), stipule l’annexion pure et simple à la France des dix villes alsaciennes jusqu’alors impériales. Face aux résistances, c’est Monclar qui est chargé d’imposer le serment de reconnaissance inconditionnelle de l’autorité royale et donc de l’appartenance définitive et sans partage à la France. En 1681, il commande devant Strasbourg qui, suite toujours à la paix de Nimègue, s’apprête à la « capitulation », c’est-à-dire à l’accueil de la souveraineté royale, en 1688, il fait, comme lieutenant général et sous les ordres du duc de Bourgogne, la campagne de cette année. Il meurt le 11 avril 1690 (voir G. Livet, L’Intendance […], op. cit., p. 392-393 et p. 429). 856 L’île de Gies(s)heim, dans l’actuel Département du Bas-Rhin. 857 Il s’agira de Philippsbourg, dans la Moselle, distant de Fort-Louis, comme Strasbourg, d’une quarantaine de km et non du célèbre Philippsburg, place forte de la rive droite du Rhin, dans l’actuel Bade-Wurtemberg, objet de tant de combats au XVII e siècle, situé sensiblement plus loin, à quelque 80 km. 858 C’est à la suite de la Ligue d’Augsbourg, alliant, en 1686, l’Empereur, les princes allemands, la Suède, l’Autriche et l’Espagne contre la France que s’impose l’idée « d’examiner s’il y aurait quelqu’une des îles du Rhin sur laquelle on p[ourrait] placer un fort qui p[ourrait] empêcher les Allemands d’être maîtres en Basse Alsace » <?page no="277"?> 277 Journal Bregy 859 e ſ t Gouverneur de cette Place. M r de Louvois aprés avoir examiné l’e ſ tat de ce Fort alla le même jour coucher à Haguenau 860 . C’e ſ t une Ville fort marchande en Al ſ ace, ſ ituée entre les rivieres de Meter & de Sorn 861 . On gardoit au [282] trefois dans cette Ville-là la Couronne, le Sceptre, la Pomme d’Or & l’Epée de Charlemagne avec les autres ornemens Imperiaux 862 . C’e ſ t le Siege du Bailly du Langraviat d’Al ſ ace 863 . M r de Louvois coucha (Lettre de Louvois à Vauban du 16 octobre 1686, cit. par J.-P. Haettel, Vauban aux frontières de l’Est, Obernai, Le Verger 1997, s.p.). Dès le mois de novembre, Vauban, escorté de Tarade, visite l’île de Giesenheim, sise dans le fleuve, mais le site lui paraît moins apte que celui de Seltz. Il s’en ouvre à Louvois sans pouvoir le convaincre, et au mois de janvier 1687 les travaux commencent sur le premier site retenu. La place comportant à côté d’un fort bastionné en forme de quadrilatère, deux têtes de pont en ouvrage à corne, ainsi que logements et équipements pour 1600 hommes, connaît diverses fortunes avant de cesser de servir en 1819 (voir Haettel, op. cit.). 859 En date du 14 juin 1689, soit deux années après la mention du Mercure, Dangeau rapporte l’incident fatal arrivé à ce personnage : « M. de Brégis gouverneur du Fort- Louis du Rhin, voyant paraître quelques troupes des ennemis de l’autre côté de la rivière, a fait tirer le canon sur eux, & un éclat d’un canon qui a crevé lui a fracassé la cuisse ; on a été obligé de la lui couper à l’instant ; on ne croit pas qu’il en réchappe. » (Op. cit., t. IV, p. 54). Une semaine plus tard, le 21 juin, c’est l’annonce de la mort : « On a eu nouvelles que Brégis, gouverneur du Fort-Louis, était mort de sa blessure ; le roi a donné le gouvernement à Rouville, lieutenant colonel des dragons de la Lande. » (Ibid., p. 58). 860 Dans l’actuel Département du Bas-Rhin. 861 La Moder et la Zorn. 862 À la mort de son père, Frédéric le Borgne, Frédéric Barberousse lui succède, en 1147, comme duc de Souabe et d’Alsace. Devenu empereur, il agrandit son château de Haguenau et le dote d’une superbe chapelle octogonale, construite sur le modèle de l’église élevée par Charlemagne à Aix-la-Chapelle, pour y déposer les insignes impériaux, l’épée de Charlemagne, le sceptre surmonté de la croix, le manteau impérial, les éperons d’or, le diadème, ainsi que de précieuses reliques, un clou de la Croix, un fragment de la Couronne d’épines, la sainte lance. Ces trésors sont confiés à la garde des Burgmänner, recrutés parmi les vassaux les plus fidèles de l’empereur. Les insignes impériaux resteront à Haguenau jusqu’en 1205 (voir A.M. Burg, Haguenau, Haguenau, éd. Du Musée de Haguenau, 1950, p. 23-24). 863 En fait, et traditionnellement, on distinguait entre deux landgraviats alsaciens : le landgraviat de Haute-Alsace et le landgraviat de Basse-Alsace, avec Haguenau. De part et d’autre, la situation juridique se présentait différeremment. Si, en effet, le landgraviat de Haute-Alsace relevait historiquement, avant l’annexion à la France, des Habsbourg, celui de Basse-Alsace ne leur revenait que du fait d’un hasard qui avait placé un membre de cette famille sur le siège épiscopal de Strasbourg. Or, la chancellerie française ne mentionne que le « Landgraviat d’Alsace », sans différencier entre Haute et Basse Alsace, comme le prouvent, entre autres, les correspon- <?page no="278"?> 278 Journal le 13. à Britche 864 , où il vi ſ ita les troupes & la Place. Cette Ville qui a un Château a ſſ ez con ſ iderable 865 , e ſ t dans la nouvelle province de la Sarre 866 . M r de dances de l’époque. Pour ce fait et les détails, voir G. Livet, L’Intendance […], op. cit., p. 119-119. 864 Bitche. Voir note suivante. L’État de la France de 1687, op. cit., t. II, p. 446 donne la graphie Bich. 865 Bitche, dans l’actuel Département de la Moselle, a plusieurs fois changé de maître. De nouveau à la France depuis sa prise, en 1674, par le maréchal d’Humières, ses fortifications sont remaniées en 1681 selon le plan établi par Vauban l’année précédente. Plus particulièrement, les tours de l’ancien château sont démolies et remplacées par des bastions ; à l’entour de la ville, on crée un mur crénelé, muni de bastions. Toutes ces activités nécessitant la présence d’un contingent important d’ouvriers, la ville se développe et change de physionomie. En 1697, le traité de Ryswick donne de nouveau la place au duc de Lorraine, et les Français, avant de partir, procèdent au démantèlement des constructions de Vauban (voir J.-P. Haettel, Vauban aux frontières de l’Est, op. cit., et F. Rittgen, Bitche et son canton : des origines à 1945, s.l., éd. Pierron, 1988, p. 105 et s.). 866 La Province de la Sarre, conçue à la suite de la politique des « réunions » et dans une perspective de sécurisation des frontières, resta en place de 1684 à 1697. Projetée depuis 1680, sa réalisation fut retardée, pour l’essentiel, par la présence espagnole dans la forteresse de Luxembourg, présence qui empêcha l’adjonction des parties septentrionales, notamment les sites de Veldenz et d’Oberstein (actuellement Rhénanie-Palatinat), aux méridionales, fortement intégrées au « pré carré », cet ensemble de villes fortifiées créé par Vauban pour la protection des nouvelles frontières françaises avec les Pays-Bas espagnols. Après la prise de Luxembourg par le maréchal de Créquy en 1684, la frontière glisse vers le Nord, et les forteresses de la ceinture initiale, Sarrelouis, Hombourg, Bitche, Phalsbourg, sont complétées, à partir de 1685, par une ligne septentrionale comprenant Kirn, Ebernbourg et Traben-Trarbach ; c’est là que le roi commande de construire la nouvelle place de Mont-Royal qui fait de la Province de la Sarre un des espaces militaires les mieux équipés de France. Lorsque, en 1688, Kaiserslautern, puis Mayence tombent aux mains des Français, ces territoires sont encore annexés à la Province, de même que Frankenthal, dont la conquête termine la campagne de cette année. Le projet de la nouvelle Province semble en voie d’achèvement, quand surgissent des difficultés qui en montrent la fragilité : la jacquerie des paysans autochtones, provoquée en partie par les exigences fiscales des nouveaux maîtres, par l’implantation, aussi, de paysans venus de France, appelle une réaction sévère, orchestrée par La Bretesche (voir ci-dessous n. 870), mais qui n’aboutit pas à la pacification escomptée, pas plus que l’action d’Antoine Bergeron de La Coupilière, essayant de concilier les intérêts du roi avec ceux de la population. D’autre part, le maraudage auquel se livrent les troupes régulières, suite, surtout, à la disette de 1694-95, déstabilise dangereusement la nouvelle entité territoriale menacée de plus en plus par les incursions des Impériaux, fréquentes et massives. Finalement Louis XIV renonça à cette création politique qu’il avait voulue, mais que tant de facteurs défavorables le décidèrent à abandonner au bout de dix-sept années (voir D. Hemmert, « La Province de la Sarre <?page no="279"?> 279 Journal Morton 867 en e ſ t Gouverneur & M r de la Guierle 868 , Lieutenant de Roy. [283] M r de Louvois, apres avoir vi ſ ité les Fortifications & les Troupes, alla dîner le 14. à Hombourg 869 , où il fit la même cho ſ e avec une pareille activité. Hombourg e ſ t a ſſ ez con ſ iderable, & e ſ t au ſſ i dans la Province de la Sarre. M r le Marquis de la Bretefche 870 qui commande dans cette Province, en e ſ t Gouverneur, & M r de la Gardette 871 y commande en ſ on ab ſ ence. … une province en suspens », dans Zeitschrift für die Geschichte der Saargegend, 48, 2000, p. 95-131). 867 Le nom et la fonction sont confirmés par L’État de la France de 1687, dans la rubrique des « Gouverneurs des Provinces » : « Ville & Château de Bich, M. de Morton, Gouverneur », Lieutenant de Roy, M. de la Guierle, le Major, M. de Paquelon. » (Op. cit., t. II, p. 446). On retrouve un personnage de ce nom - Camus de Morton - gouverneur de Belfort, où il est auteur, le 1 er juin 1692, d’une ordonnance défendant de « faire pâturer nuitamment les chevaux, bœufs et autres bestiaux dans les prairies et dans les champs ensemencés… » (Livet, L’Intendance, op. cit., p. 556 notes). Il figure encore dans la liste des principaux officiers du roi à Belfort, au N° 66 du Bulletin de la Société Belfortaine d’Émulation, 1966-67, chap. XV, p. 197 : « M. de Morthon, brigadier des armées du roi et gouverneur de Belfort, où il réside avec son état-major. » 868 Voir note précédente. 869 Dans l’actuel Land fédéral de la Sarre. 870 Le personnage et sa fonction de gouverneur de Hombourg sont encore mentionnés, en date du 6 août 1689, par Dangeau dans le contexte de la campagne allemande de cette année : « Avant de partir de Marly, le roi apprit par les lettres de la Bretèche, gouverneur de Hombourg, que la tranchée avait été ouverte à Mayence dans trois endroits. » (Op. cit., t. IV, p. 86). Une seconde mention est du 10 août : « Les nouvelles qu’on a de Mayence […] par la Brétèche [sic] sont que, le 5, le canon des ennemis n’était pas encore en batterie. » (Ibid., p. 89). Par ailleurs, le Journal inédit d’un fidèle de l’ancienne église réformée de Metz (1685-1710) le cite comme particulièrement engagé dans la persécution des réformés messins. L’État de la France de 1687 enregistre le personnage dans la rubrique des Gouverneurs de l’Orléanais comme exerçant cette fonction à Poitiers : « Poitiers, le Gouverneur & Lieutenant Général à Poitiers, M. le Marquis de la Bretêche, Gouverneur de Hombourg, Colonel d’un Regiment de Dragons, Brigadier des Armées du Roy. » (Op. cit., t. II, p. 436). Le régiment sera le La Bretesche-dragons, levé le 5 février 1675 et devenu ensuite Artois-dragons (voir Susane, Histoire de la Cavalerie française, op. cit., t. 3, p. 265). On se rappellera enfin son action dans la Province de la Sarre, évoquée ci-dessus n. 866. 871 L’État de la France de 1687, rubrique « Gouverneurs des Provinces », confirme nom et fonction : « Loraine [sic] Allemande. Hombourg, Ville & Château […]. Un Commandant, M. de la Gardette […]. » (Op. cit., t. II, p. 445-446). Ce personnage, sur lequel on n’a rien pu savoir de plus, est encore mentionné dans une correspondance du 28 septembre 1688, dans laquelle l’intendant de la Sarre entretient le contrôleur général des Finances des premières opérations de la campagne de 1688 : « M. de la Gardette, commandant de Kirn (actuellement Rhénanie-Palatinat), s’est rendu <?page no="280"?> 280 Journal M r de Louvois alla ce jour-là coucher à un petit Village de la Province [284] de la Sare qui ſ e nomme Cucelle 872 , & le 15. il pa ſſ a à Kirn 873 où il di ſ na, & en vi ſ ita le Cha ſ teau. Il coucha le me ſ me jour à Traben proche Trarback, & vi ſ ita la Pre ſ que-I ſ le 874 de Traben, où l’on va ba ſ tir une Place qui s’appellera Mont-Royal 875 . Cette Place dont on n’a oüy parler qu’en apprenant qu’on y travailloit 876 , fait aujourd’huy l’entretien de toute l’Europe, le Roy n’entreprenant rien qui ne ſ oit a ſſ ez grand [285] pour ſ ervir de conver ſ ation au monde entier. Quoy qu’on parle beaucoup d’une cho ſ e ce n’e ſ t pas à dire qu’on en parle toûjours ju ſ te, & il e ſ t me ſ me pre ſ que impo ſſ ible qu’on pui ſſ e ſ çavoir m[aître] du château de Naumbourg dans son voisinage, dans lequel il y avoit seize hommes commandés par un sergent des trouppes de M r l’Electeur Palatin. » (Archives Nationales - G7-293 cit. par D. Hemmert, « La Province de la Sarre … une province en ‘suspens’ », op. cit., p. 112). 872 Kusel, actuellement en Rhénanie-Palatinat, à une cinquantaine de kilomètres de Kirn. 873 En Rhénanie-Palatinat. 874 Formée par la boucle de la Moselle. 875 Ce nom est officialisé par la Déclaration royale « verifiée en Parlement le dixneuvième Juillet 1687 » et ordonnant que « la Place que Nous faisons presentement construire & bâtir en ladite presque Isle de Traben, porte desormais le nom & soit apellée de celuy de Mont-Royal, & ce en tous Actes & endroits, en Jugement & dehors, tant par les Habitans qui y resideront & viendront s’y habituer cy-après, & dans les Lieux du Gouvernement de ladite Place, que par ceux de nos Troupes qui y sont & seront en Garnison, ainsi que par tous nos autres Sujets, sans que sous quelque pretexte que ce soit, ils luy puissent donner autre nom que celuy de Mont- Royal, à peine de desobeïssance. » (Document Kaiserliche Universitäts & Landesbibliothek Strassburg, D 157006). 876 Après le rattachement du comté de Sponheim (Rhénanie-Palatinat) à la France, dans le contexte de la politique des « réunions », Louis XIV ordonna la construction d’une forteresse aux fins de couvrir militairement la région. Dès le 20 avril 1687, Vauban, accompagné d’un contingent d’ingénieurs et de géomètres, part de Sarrelouis pour une inspection des lieux, à Traben ; il envoie son plan au roi le 21 juillet suivant ; la première pierre de la forteresse de Mont Royal est posée le 25 juillet. La mise en place des différents éléments de l’enceinte fortifiée, casernes, arsenal, magasin, bâtiments administratifs et d’intendance, s’échelonne ensuite jusqu’à l’année 1698, faisant de la place un modèle du genre. Pourtant ce fut en pure perte : le traité de Ryswick, dans sa partie réglant la paix entre la France et l’empereur - alors Léopold I er - prévoit la démolition pure et simple des ouvrages : « Art. XXV Demolienda praeterea a Rege Christianissimo munimenta post pacem neomagensem [Traité de Nimègue] Castro Trarbacensi addito, necnon fortalicium Montroyal ad Mosellam, a nullo posthac reaedificanda… . » (Les Grands Traités du Règne de Louis XIV, vol. II. Publ. par H. Vast, op. cit., p. 242). Pour des détails sur Mont Royal, voir T. Zelter, Mont Royal, die unvollendete Festungsstadt, Facharbeit Peter-Wust-Gymnasium Wittlich s.l., 2007, 40 p.). <?page no="281"?> 281 Journal au vray toutes les particularitez d’une entrepri ſ e, dont à peine a-t-on appris qu’on a formé le de ſſ ein. Tout ce que je puis vous dire de celle-cy, c’e ſ t que j’ay rama ſſ é avec grand ſ oin, beaucoup de circon ſ tances qui la regardent, [286] & que quand il y en auroit quelques-unes qui ne ſ eroient pas tout à fait vrayes, je ne lai ſſ eray pas de vous apprendre plu ſ ieurs cho ſ es qu’on ne peut encore vous avoir dites. Le Roy voulant couvrir Luxembourg, en a cherché les moyens, & les a trouvez dans ſ es terres en découvrant un lieu propre à faire ba ſ tir une Ville. Ce lieu ſ e nomme Traben, & pour parler à la maniere du Païs, il e ſ t à trente heures de Lu [287] xembourg, à douze de Tréves, & à ſ ix de Coblens. Je ne me puis tromper de beaucoup ſ ur le plus ou ſ ur le moins, & l’e ſ pace que je vous marque, vous doit donner à peu prés l’idée de l’éloignement où ces Places peuvent e ſ tre les unes des autres. Traben e ſ t à la te ſ te de Luxembourg. On dit que Cesar y a autrefois campé, & qu’il y a des ve ſ tiges d’une e ſ pece de Fo ſſ e que l’on pretend avoir autrefois fermé ſ on Camp 877 . [288] La Nature ſ emble avoir lai ſſ é ce lieu-là afin que le Roy le fi ſ t ſ ervir à ſ a gloire. Il n’a que huit toi ſ es 878 de largeur à ſ on entrée, que l’on dit e ſ tre une e ſ carpe 879 & un rocher inacce ſſ ible. La Mo ſ elle, qui n’e ſ t point guéable en ces quartiers-là, envelope le re ſ te de ſ on enceinte. L’entrée du terrein 880 e ſ t occupée par un plan de Sapins qu’on fait jetter à bas pour ſ ervir à cette entrepri ſ e. La terre qui re ſ te contient un des meilleurs [289] plans de vignes de tout le Païs, & quelques champs qui rapportent de tres-beaux grains, & l’on trouve outre cela a ſſ ez de vin & de grain dans l’étenduë de cette pre ſ qu’I ſ le pour nourrir une Garni ſ on de trois ou quatre mille hommes. Les co ſ tes qui regnent vis-à-vis le long de la Riviere, ne commanderont 881 point la Place, & comme on ne pourra l’attaquer que par le terrain que je viens de vous marquer, il e ſ t ai ſ é de la rendre imprenable. [290] Il y a quatre Villages ſ ur les cre ſ tes de ces co ſ tes dont on pourra tirer de grands ſ ecours pour les premiers Travaux. L’extremité du plan de ſ apins e ſ t une gro ſſ e ſ ource, qui ſ e trouvera dans les Fo ſſ ez de la Place, & qui fournira de l’eau à la Ville. Elle aura plu ſ ieurs Ba ſ tions, & ſ era toute irreguliere, & tracée ſ ur la longueur, & la largeur du terrain. Il y aura autour de la pre ſ qu’I ſ le des Redoutes d’e ſ pace en e ſ pace, pour défendre le pa ſſ age de la Riviere. Ce qu’il y a de ſ urprenant, [291] c’e ſ t qu’on peut dire 877 Les lectures et consultations concernant ce camp de César à Traben sont demeurées sans résultat. 878 À peu près 14,4 mètres, la toise correspondant à une longueur approximative de 1,80 mètres. 879 « Fortification du bord intérieur du fossé » (Dictionnaire de l’Académie de 1694). 880 C’est la graphie du Dictionnaire de l’Académie de 1694. Dans la suite on trouvera plusieurs occurrences de la graphie actuelle : « terrain ». 881 Voir ci-dessus n. 567. <?page no="282"?> 282 Journal que ce que le Roy re ſ out, e ſ t à demy fait pre ſ qu’au moment qu’il e ſ t re ſ olu, au lieu que pour l’ordinaire les grands de ſſ eins demeurent au ſ eul projet. A peine eut-on planté les piquets 882 , que les Baraques pour les logemens des Soldats ſ e trouverent faites. Sept Bataillons travaillerent. Ils furent biento ſ t fortifiez d’autres Troupes, & l’on regarda cette entrepri ſ e avec un étonnement dont on n’e ſ t pas encore revenu, ſ ur tout pendant que le Roy fait travail [292] ler dans le me ſ me temps à un fort grand nombre de Places. Quelque Souverain qui ait jamais entrepris d’en faire, elles ont e ſ té l’ouvrage du temps plûto ſ t que de ceux dont elle a pris le nom ; puis que la plu ſ part n’ont pre ſ que rien fait de plus, que d’en avoir mis la premiere pierre. Voilà la France à couvert des in ſ ultes de l’Allemagne, & le Roy fait plus à ſ on égard, que les Chinois n’ont jamais fait pour leur muraille de cinq cents lieuës de long 883 à l’égard des Tartares. Le Royaume de [293] Chine n’e ſ t à couvert que par une ſ eule muraille, & la France l’e ſ t aujourd’huy par deux rangs de Places fortes 884 , 882 « On dit figur[ativement] Planter le piquet en quelque lieu, […] pour dire s’y establir […] » (Dictionnaire de l’Académie de 1694). 883 La Grande Muraille faisait l’admiration des Français du XVII e siècle dont une des sources ont pu être les relations des Jésuites telle La Chine illustrée de plusieurs Monuments tant sacrés que profanes du P. Athanase Kircher, Jésuite allemand, parue à Amsterdam en 1667, et dont la traduction française est procurée dès 1670 par François Savinien d’Alquié, toujours à Amsterdam, chez J. Jansson et les héritiers d’Élizée Weyerstraet. S’appuyant sur l’Atlas Chinois [Novus atlas sinensis, Amsterdam, J. Blaeu, 1655] de son confrère Martino Martini, il consacre plusieurs pages à la Grande Muraille qui témoignent de l’admiration non partagée que les contemporains vouaient à ce chef-d’œuvre d’architecture : « […] je n’ay à vous dire, si ce n’est que c’est l’ouvrage le plus beau, le plus grand, le plus magnifique, & le plus admirable que l’on puisse voir : que jamais il n’a souffert la moindre ruine ny la moindre bresche, & qu’il s’est tousjours conservé dans le mesme estat malgré la longueur du temps & les injures de l’air. » (Op. cit., p. 293, col. 1-2). Reste la question de la longueur de l’ouvrage, cinq cents lieues, d’après le Mercure, ce qui correspondrait à 1949 kilomètres, si on prend pour référence la nouvelle lieue de Paris valable de 1674 à 1793 et équivalant à 3,898 kilomètres. Ce chiffre n’est pas près d’atteindre celui avancé aujourd’hui de 6700 kilomètres (1990) voire de 8851,8 kilomètres, obtenu, en 2009, par les technologies les plus récentes, mais comportant outre la Muraille proprement dite, évaluée à plus de 6000 kilomètres, les tranchées et les barrières naturelles. On imagine facilement qu’au XVII e siècle les problèmes d’évaluation n’ont pas été moindres. Kircher en rend compte, arrivant tantôt à la distance qui sépare Danzig (Gdansk) de Calais, aujourd’hui quelque 1440 kilomètres, tantôt à celle qui va de Danzig à Messine, en Sicile, soit un peu plus de 2782 kilomètres (voir ibid., p. 293, col.2 à 294, col. 1). 884 Par endroits, le « pré carré », terme employé par Vauban pour désigner le royaume fortifié, disposait en effet de deux rangées parallèles d’ouvrages. À la frontière du Nord, face aux Pays-Bas espagnols, une première ligne débutait à Dunkerque et aboutissait à Givet-Charlemont, passant par Lille, Condé, Valenciennes, Le <?page no="283"?> 283 Journal qui doivent au Roy tout ce qui les rend redoutables. M r de Louvois, aprés avoir ſ ejourné le 16. à Traben, & avoir, pour ain ſ i dire, donné le mouvement à tous les bras qui devoient agir pour la gloire du Roy, & pour la tranquillité de l’Europe, alla coucher le 17. à Sare-Loüis, où il fit la reveuë des Troupes, & vi ſ ita les Fortifications de la Place. Elle e ſ t capitale de la Pro [294] vince de la Sare. Ce n’e ſ toit qu’un Village 885 , dont le Roy a fait une Place tres-reguliere. On luy a donné le nom de Sare-Loüis 886 , qui e ſ t un compo ſ é de celuy du Roy, & de celuy de la Province. Cette Ville a ſ ix Ba ſ tions Royaux avec quelques Demy-lunes & d’autres Ouvrages, M r de Choi ſ y 887 en e ſ t gouverneur, & M r le Comte de Perin 888 Lieutenant de Roy. M r de Louvois y ſ ejourna le 18. & le lendemain il alla à Thionville où il ſ e donna les me ſ mes ſ oins, & prit les me ſ mes fati [295] gues que dans les autres Villes où il avoit pa ſſ é. Thionville n’appar- Quesnoy, Maubeuge et Philippeville, une seconde allant de Gravelines à Mézières, passait par Saint-Omer, Saint-Venant, Aire-sur-la-Lys, Béthune, Arras, Douai, Bouchain, Cambrai, Landrecies, Avesnes, Marienbourg et Rocroi (voir C. Dufresne, « Le bonheur est dans le pré carré », dans Vauban, l’homme de l’année, Historia, N° 106, mars-avril 2007, p. 40-41). Pour le « Pré carré » dans la pensée de Vauban, on relira avec profit les chapitres afférents de D. Bitterling, L’invention du pré carré, Paris, Albin Michel, 2009, p. 116 et s. 885 La nouvelle ville de Sarrelouis est construite près de l’abbaye de dames de Fraloutre/ Fraulautern (voir L.K. Balzer, Das königliche Sechseck, Heinz Klein Druckerei und Medien, 2007, p. 78-79). Le « village » serait-il Wallerfangen/ Vaudevrange dont relevait l’abbaye et dont la presque totalité de la population fut transférée dans la nouvelle ville de Sarrelouis ? 886 Il appert d’une lettre de Louvois à Boisot que ce nom est avancé à la cour le 12 février 1680 (voir L.K. Balzer, op. cit., p. 78). 887 Thomas de Choisy, marquis de Moigneville (1632-1710). Cet ingénieur militaire, qui a parcouru tous les grades de la hiérarchie jusqu’à celui, en 1704, de lieutenantgénéral et assisté à de nombreux sièges dont, en 1684, celui de Luxembourg, est gouverneur de Thionville en 1679, avant d’être envoyé sur la Sarre pour examiner l’état des fortifications et en proposer de nouvelles. C’est ainsi qu’il soumet l’idée, accompagnée du plan, de la construction de la forteresse de Sarrelouis et obtient, pour l’essentiel, l’aval de Vauban. Nommé gouverneur du lieu, il le reste jusqu’à sa mort en 1710 (Saint-Simon, op. cit., t. III, p. 945). Selon sa volonté, son cœur a été conservé dans la ville qu’il a construite. Vauban a laissé ce beau témoignage de ses talents : « Quand on peut parvenir à se rendre bien intelligent dans les ouvrages et dans les sièges et à être bon officier d’infanterie, cela fait la perfection du métier. […] Choisy possèd[e] assez bien ces trois parties… . » (Vauban, Oisivetés, cit. par A. Blanchard, Dictionnaire des Ingénieurs militaires 1691-1791, op. cit., p. 166-167). 888 Dans la rubrique « Gouverneurs des Provinces », L’État de la France de 1687 confirme affectation, nom et fonction en modifiant toutefois le titre nobiliaire et en supprimant la particule : le Comte de Perin devient le Chevalier Perrin. « Saar-Loüis, M. de Choisy, Gouverneur, Le Lieutenant de Roy, M. le Chevalier Perrin, le Major, M. de Lamont ». (Op. cit., t. II, p. 446). <?page no="284"?> 284 Journal tient à la France que du regne du feu Roy 889 . C’e ſ t une Ville du Luxembourg a ſſ i ſ e fur la Mo ſ elle. C’e ſ toit une des clefs du Royaume avant les nouvelles Conque ſ tes de Sa Maje ſ té. On a razé Domvilliers 890 , & quelques autres petites Places voi ſ ines, afin de rendre celle-là plus con ſ iderable. M r d’E ſ pagne 891 en e ſ t Gouverneur ; M r d’Ar- 889 Peut-on dire que Thionville a rejoint la France sous le règne de Louis XIII, le « feu Roy » ? En fait, c’est la victoire de Condé sur les Espagnols à Rocroi qui a permis l’annexion de la ville, jusqu’alors propriété du roi d’Espagne. Or, Rocroi date du 19 mai 1643 : Louis XIII, alors, est mort depuis 5 jours, son décès remontant au 14 mai 1643. Rocroi n’est pas un dernier éclat d’un règne finissant, mais bien une première gloire du règne débutant de Louis XIV. Il faut aussi noter que le retour de Thionville à la France n’est officialisé que par le traité des Pyrénées, signé le 7 novembre 1659. 890 Damvillers, dans l’actuel Département de la Meuse. Possession espagnole fortifiée au début du XVI e siècle par Charles-Quint soucieux de défendre le duché de Luxembourg qui lui appartenait, Damvillers est donné à la France par le traité des Pyrénées, en 1659. Louis XIV fait raser les fortifications en 1678. 891 Charles Thériat d’Espagne (1626-1711). Les origines et la carrière de ce personnage sont retracées dans La Clef du Cabinet des Princes, journal procuré à Luxembourg par les soins d’André Chevallier, éditeur français établi dans cette ville. Dans la livraison de septembre 1711, à l’article VIII,III, le lecteur apprend que Henry de Thiriat, le trisaïeul de Charles, a été envoyé en mission par François I er auprès Charles I er , roi d’Espagne, puis Empereur sous le nom de Charles-Quint, qu’il sauva de l’attaque armée d’un Maure. Ce prince, alors, l’autorisa à porter désormais le nom de Thiriat d’Espagne. Son descendant s’était signalé dans les charges militaires les plus prestigieuses : il avait été commandant du régiment de La Ferté Infanterie, Inspecteur Général de l’infanterie, il s’était distingué dans toutes sortes d’engagements : bataille de Saint-Gothard en Hongrie, contre les Turcs, commandement de l’île de Bommel reprise aux Hollandais. D’autres commandements étaient venus s’ajouter, en Franche Comté notamment. Enfin, en 1680, il succéda au maréchal de Grancey à la tête de la garnison de Thionville. De son mariage avec Madame Poyart, il avait eu un fils, mort à la bataille de Fleurus (voir La Clef du Cabinet des Princes de l’Europe ou Recuëil historique & politique sur les matieres du temps, s.l., Jacques Le Sincère [André Chevallier], t. XV, septembre 1711, VIII,III, p. 228-230). On notera cependant que dans sa lettre du 24 mai 1687 adressée à Boileau à partir de Luxembourg, Racine, qui avait accompagné le roi dans son voyage en qualité d’historiographe, tout en rappelant les exploits hongrois du personnage et en le présentant sous un air favorable, laisse planer le doute sur la réalité de son comportement à Saint-Gothard. Du fait, il fait preuve de cet esprit critique, indispensable à l’histoire scientifique, mais qui, alors, manquait si souvent : [M. de Vauban] « m’a aussi abouché avec M. d’Espagne, gouverneur de Thionville, qui se signala tant à Saint-Gothard, […]. Sérieusement ce M. d’Espagne est un fort galant homme, et il m’a paru un grand air de vérité dans tout ce qu’il m’a dit de ce combat de Saint-Gothard. Mais, mon cher Monsieur, cela ne s’accorde ni avec M. de Montecuculli, ni avec M. de Bissy, ni avec M. de La Feuillade, et je vois bien que la vérité qu’on nous demande tant est <?page no="285"?> 285 Journal gelé 892 , Lieutenant de Roy, & M r de Bouflers, Gouverneur de Luxembourg, & [296] Lieutenant general de la Province. M r de Louvois a trouvé dans toutes les places qu’il a vi ſ itées, les Troupes & les Fortifications fort belles. Le Canton de Ba ſ le luy envoya faire compliment à Huningue, & M l’Electeur de Treves fit la me ſ me cho ſ e pendant que ce Mini ſ tre e ſ toit à Trarbach, Les Magi ſ trats de tous les lieux qu’il a vi ſ itez, l’ont au ſſ i complimenté, & les Gouverneurs des Provinces & des Places que je viens de vous nommer, & M r les Intendans la Grange 893 & la [297] Coupiliere 894 ont fait tout ce qu’ils ont pu pour le bien bien plus difficile à trouver qu’à écrire. » (Racine, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1966, t. II, p. 476-477 ; voir ci-dessous p. 416-417). 892 Nom et fonction du personnage sont confirmés par L’État de la France de 1687, rubrique « Gouverneurs des Provinces », Dans le Luxembourg : « Thionville, le Gouverneur est M. Despagne [sic], le Lieutenant de Roy, M. d’Argelés,… » (op. cit., t. II, p. 447). 893 Jacques de La Grange, noble de par son père, est élevé par sa mère dans un milieu bourgeois du pays de la Loire moyenne. Il sert d’abord dans les bureaux du secrétariat d’État de la guerre, puis part, en 1671, sur la frontière du Nord en qualité de commissaire des guerres ; il travaille alors sous la direction de Vauban et s’initie aux exigences de la gestion des places fortes. Quand commence la guerre de Hollande, ce protégé de Louvois assume l’intendance au service des troupes de passage ; en 1673, il passe en Alsace où, toujours commissaire, il fait fonction d’intendant, titre qu’il ne reçoit qu’en 1679. Sa connaissance approfondie des affaires de sa province se manifeste dans le Mémoire sur la province d’Alsace qu’il compose pour l’instruction du duc de Bourgogne. Il jouit à la cour d’une influence telle que ses conseils l’emportent, en 1694, sur ceux du maréchal de Lorges qui commande sur le Rhin : la conséquence en est une incursion de l’ennemi qui laisse « La Grange fort embarassé de sa contenance et la tête fort basse » (Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 183). Dangeau annonce sa révocation à la date du 17 janvier 1698 (op. cit., t. XI, p. 14). Il se retire alors à Paris et y mène une retraite effacée (voir G. Livet, L’Intendance […], op. cit., p. 415-417). Voir aussi J. Benoist d’Anthenay, Le premier administrateur de l’Alsace française : Jacques de la Grange, intendant d’Alsace, Strasbourg, L’Imprimerie strasbourgeoise, 1931. 894 Antoine Bergeron de la Goupillière (1643-1720). Né dans une famille bourgeoise à Amboise, où son grand-père avait exercé la médecine, et où son père, maréchal des logis du roi, avait accédé aux fonctions de maire. Il est anobli avant 1669. Antoine luimême se fait avocat, puis achète une charge de commissaire des guerres qui l’amène, dans un premier temps, à assumer la logistique de l’armée en territoire traversé ou occupé. En 1674, dans le contexte de la guerre de Hollande, il pénètre en terre allemande, où il participe à la première dévastation du Palatinat. Ses mesures à l’encontre des populations ennemies lui valent d’abord une réputation de rigueur qu’il sait, cependant, atténuer dans la suite en se faisant le médiateur entre les administrés et l’autorité militaire. Gouverneur de la Province de la Sarre, il s’établit à Hombourg pour gérer les affaires. En 1684, il est promu au rang d’intendant (voir D. Hemmert, « La Province de la Sarre…une province ‘en suspens’ », op. cit., p. 128-129). <?page no="286"?> 286 Journal regaler, mais ce Mini ſ tre toûjours agi ſſ ant n’avoit qu’à peine le temps de voir les Repas qu’on luy preparoit par tout. Jamais on n’a fait tant de chemin, ny vû tant de Villes, de Remparts, & de Troupes, en ſ i peu de temps. Lors qu’on ſ ert ain ſ i ſ on Prince, on le fait ſ ervir de me ſ me ; & quand les de ſſ eins du Souverain ſ ont grands, on ne voit rien qui ne ſ ente le prodige. M r de Louvois dîna le 20. à Luxembourg, où Sa [298] Maje ſ té arriva l’apré ſ dinée. Je vous ay fait un détail de tout ce qui s’y e ſ t pa ſſ é, & vous ay dit que le Roy alla le 26. dîner à Chera ſſ e 895 . Ce Prince coucha à Longvvy, où aprés avoir vû faire l’exercice aux Cadets 896 dans la Place d’armes, il en choi ſ it quatre-vingt, pour les mettre en divers Corps en qualité de Sous Lieutenans, comme je vous l’ay déja marqué 897 . La Cour alla dîner le 27. à Pierre-Pont 898 . Sa Maje ſ té monta à cheval l’apre ſ dînée, & arriva le ſ oir à Etain en prenant le diver [299] ti ſſ ement de la Cha ſſ e 899 . Sa Maje ſ té y fut receuë par M r de Verdun. Elle entendit la Me ſſ e le 28. à la Paroi ſſ e, & fit de grandes liberalitez au Curé, & aux Capucins qui ſ ont établis en ce lieu-là 900 , quoy qu’Elle leur en eu ſ t déja fait en y pa ſſ ant la premiere fois. Elle dîna le me ſ me jour à Verdun chez M l’Eve ſ que, à qui Elle avoit donné ordre le jour précedent pour le Salut qui fut chanté en Mu ſ ique ſ ur les ſ ix heures du ſ oir. Toute la Cour y a ſſ i ſ ta avec une devotion qui [300] repondoit à la pieté du Roy. Le lendemain 29. jour du S. Sacrement, la plu ſ part des Dames qui avoient accompagné ce Prince, 895 Dangeau, qui confirme le coucher à Longwy pour la nuit du 26 au 27 mai, place cependant ce premier repas du voyage retour, non à Bascharage (Cherasse), mais à Schouweiler (Chauveiller, en luxembourgeois Schuller, section de l’actuelle commune de Dippach) (op. cit., t. II, p. 209 ; voir ci-dessous p. 375), de même que Sourches (Schouwiller, op. cit., p. 55 ; voir ci-dessous p. 391). Si ni la Gazette, ni Courtilz ne signalent ce premier « dîner » du voyage retour, il convient de noter que le cartographe, auteur de l’Itinéraire royal, reproduit en p. 7, rejoint le Mercure en retenant, pour l’aller comme pour le retour, la seule étape de « Charoisses ». 896 Longwy est une des neuf villes du Nord et de l’Est destinées à accueillir une compagnie de Cadets (voir Rousset, Histoire de Louvois, op. cit., t. 3, p. 303). Pour l’institution des Cadets, voir ci-dessus, n. 585). 897 Voir ci-dessus p. 200 [176]. 898 Dangeau : « Mardi 27 mai. - S.M. est venue dîner à Pierre-Pont & coucher à Estain. » (Op. cit., t. II, p. 209) ; voir ci-dessous p. 375 ; Sourches confirme : op. cit., t. II, p. 55 ; voir ci-dessous p. 391). 899 Dangeau ne mentionne pas la chasse royale à Étain, mais précise que « Madame de Maintenon [y] a fait de grandes charités à beaucoup de pauvre noblesse » (op. cit., t. II, p. 209 ; voir ci-dessous p. 375), détail qui n’apparaît pas dans le Mercure, mais est confirmé par le Blanc-Livre d’Étain, chronique locale reproduite ci-dessous en annexe 8. La chasse, de même, est mentionnée dans le Blanc-Livre. Sourches, de son côté, confirme l’activité cynégétique et l’arrivée à Étain (op. cit., t. II, p. 55). 900 Le Blanc-Livre ne mentionne pour le retour que l’assistance à la messe de la paroisse et les libéralités y faites - « quelques louis d’or » - sans allusion aux Capucins. <?page no="287"?> 287 Journal firent leurs devotions, ce qui parut fort édifiant. Le temps e ſ tant extremement pluvieux, on ordonna que la Proce ſſ ion 901 ſ e feroit ſ eulement ju ſ ques à l’Egli ſ e des Je ſ uites 902 , & qu’elle reviendroit au ſſ i-to ſ t dans la Cathedrale. La Proce ſſ ion commença par les Paroi ſſ es de la Ville, ſ uivies des Mandians [sic], & autres Religieux. Le Clergé e ſ toit en fort grand [301] nombre, accompagné des Gardes de la Prevo ſ té 903 , des Cent-Sui ſſ es de la Garde, & des Gardes du 901 Dangeau : « Jeudi 29 mai, jour de la Fête-Dieu. - Le roi assista à tout le service, où l’évêque de Verdun officia. » (Op. cit., t. II, p. 210 ; voir ci-dessous p. 376). La procession n’est pas spécialement mentionnée. Elle l’est, en revanche, dans les Mémoires de Sourches, mais sans aucun des détails consentis par le Mercure : « le 29, qui étoit le jour de la Fête-Dieu, le Roi assista à la procession du Saint-Sacrement, que M. l’évêque de Verdun porta en personne, et après cela le Roi entendit la grand’messe, qu’il célébra pontificalement, et l’après-dînée, il entendit aussi les vêpres, où ce prélat officia de même. » (Op. cit., t. II, p. 56-57 ; voir ci-dessous p. 392). On voit donc que Sourches mentionne l’ensemble des manifestations religieuses du 29 mai rapportées par le Mercure (procession, messe, vêpres), là où Dangeau se contente d’une mention très générale : « tout le service ». On notera enfin que le registre CG3/ 1687 des Archives municipales de Verdun, composé de notes de l’abbé Vigneron, curé de Saint-Amant, conserve le souvenir de la procession du 29 mai et donne au moins quelques détails sur l’assistance si amplement décrite par l’auteur du Mercure : « …le Roy et sa Cour […] apres avoir assisté a la procession du St Sacrement qui fust porté par Mgr de Béthune à l’Eglise des PP Jesuites Mgr le Dauphin tous les Princes et les Seigneurs suivans… » 902 Après une première présence des Jésuites à Verdun, où ils enseignèrent les Humanités de 1565 à 1568, les Pères, qui avaient momentanément quitté la ville, parce qu’ils ne voyaient pas assurés les fonds pour la fondation définitive d’un Collège, revinrent en 1570 pour y prendre possession de l’établissement fondé par les soins de Nicolas Psaume, évêque de 1548 à 1575. L’évêque avait choisi d’installer l’école dans les locaux de l’hôpital de Saint Nicolas de Gravière, auprès duquel il fit aussi l’acquisition de quelques maisons pour y loger une communauté religieuse ; les Jésuites en prirent possession en 1570, et la Chapelle de l’hôpital, transformée, devint leur église. Elle se trouva près de la Porte de la Chaussée, mais séparée d’elle par la Meuse ; à cet endroit, les deux rives étaient reliées par le Pont de la Chaussée (voir Histoire ecclésiastique et civile de Verdun, op. cit., Livre Second, p. XXXIX-XL et Plan de la Ville de Verdun intégré au début du Livre Second). 903 S’agit-il, en l’occurrence, des Gardes de la Prévôté de l’Hôtel, gouvernés par le Grand Prévôt de France qui, en 1687, n’est autre, on l’a vu (n. 778), que Louis François du Bouchet, marquis de Sourches, l’auteur des Mémoires sollicités souvent dans ces pages et reproduits intégralement ci-dessous (p. 379 et s.) pour la partie qui concerne le Voyage de Luxembourg. Le fait est que cette formation n’est pas mentionnée expressément parmi les unités accompagnant le roi, énumérées dès les premières pages du Mercure (p. 99-104 [30-39]), mais un détail au moins permet de conclure ici à sa présence, même si son chef suprême, le Grand Prévôt de France, Sourches donc, ne figure pas parmi les grands personnages de la suite énumérés par le Mercure, qui n’évoque que son Lieutenant, Jacques Cornu de Noyon. Ainsi l’ordre pro- <?page no="288"?> 288 Journal Corps, qui marchoient ſ ur deux lignes à côté de la Proce ſſ ion. Me ſſ ieurs les Princes du Sang e ſ toient immediatement aprés le Dais. Mon ſ eigneur le Dauphin paroi ſſ oit en ſ uite ; deux Hui ſſ iers portant des Ma ſſ es precedoient le Roy, qui avoit auprés de luy le Pere de la Chai ſ e, & ſ es Aumôniers. Les Prince ſſ es marchoient aprés, ſ uivies des Dames les plus di ſ tinguées, & ces Dames l’e ſ toient [302] d’un grande [sic] nombre de Seigneurs, & d’Officiers de la Mai ſ on du Roy. Le Pres ſ idial 904 de Verdun marchoit en Corps, & M rs de Ville [sic] ſ uivoient le Pre ſ idial. Aprés cette longue file qui étoit en fort bon ordre, venoit une foule de peuple innombrable, ſ ans compter ce qui ſ e trouvoit encore dans la Ville. Pre ſ que toute la Lorraine s’y e ſ toit renduë, & on en voyoit ju ſ que ſ ur les toits. On s’arre ſ ta à deux Repo ſ oirs, & la grande Me ſſ e fut celebrée par M r l’Eve ſ que de Verdun. Le Roy, & toute la [303] Cour occupoient la droite des hautes Chai ſ es 905 . Les Chanoines e ſ toient à la gauche, & la Mu ſ ique au milieu du Chœur ; elle s’acquita a ſſ ez bien de tout ce qu’elle chanta. Sa Maje ſ té alla à l’Offrande, & aprés la Me ſſ e Elle eut à peine le temps de dîner, pour retourner au me ſ me lieu, où la Cour entendit Ve ſ pres 906 . M r de Verdun officia encore. Au ſ ortir de cette Egli ſ e, le Roy ſ e promena autour de la Citadelle, & alla voir les Eclu ſ es, qui ſ ont pre ſ entement achevées, & dont [304] on ſ e doit ſ ervir pour empêcher qu’on n’approche de la Ville du co ſ té où elles ſ ont 907 . M r de cessionnel indiqué par le Mercure est bien celui de l’étiquette officielle, les Gardes de la Prévôté marchant devant les Cent-Suisses : l’État de la France, op. cit., t. I, p. 380 précise, en effet, que quand « le Roy sort de son logis […], les Gardes de la Prevôté de l’Hôtel […] marchent à pié devant sa Majesté, commençans la marche avant les Cent Suisses […] ». 904 Les Présidiaux étaient une juridiction instituée en 1551 pour décharger les Parlements des affaires mineures leur permettant ainsi de « vaquer aux grandes matières ». En matières financières, ils ne pouvaient porter jugement que jusqu’à une somme maximale fixée par l’autorité, en matière criminelle, ils ne « jugeaient en dernier ressort que jusqu’au carcan, fouet, bannissement, galères à temps ; leurs condamnations à mort ou aux galères perpétuelles étaient portées en appel devant les Parlements » (Marion, Dictionnaire des Institutions, op. cit., p. 449). Cette juridiction perdit de plus en plus de prestige et finit entièrement discréditée à l’approche de la Révolution. 905 Voir ci-dessus n. 506. 906 L’assistance aux vêpres n’est pas mentionnée par Dangeau, mais par Sourches (voir ci-dessous p. 392). 907 Dès 1675, Vauban avait apporté des améliorations aux écluses de Verdun, mais c’est surtout à partir de 1680 qu’il projette d’améliorer la défense de l’île Saint-Nicolas en aménageant sur les trois cours de la Meuse des écluses qui devaient permettre, en cas de besoin de défense, d’inonder complétement le Pré-l’Évêque au Sud-Ouest de la ville. Trois écluses formaient le système, l’écluse Saint-Amand, sur le canal de Saint- Vanne - construite dès 1680 par Peirault, ingénieur du Roi -, l’écluse Saint-Nicolas, <?page no="289"?> 289 Journal Louvois alla ju ſ qu’au lieu où les eaux remontent. Plu ſ ieurs Particuliers ayant eu leurs beritages [heritages ? ] endommagez, ont e ſ té rembour ſ ez par la bonté de Sa Maje ſ té, quoy que cet ouvrage ſ oit pour la défen ſ e de leur Patrie 908 . Le 30. le Roy entendit encore la Me ſſ e dans la Cathedrale, & M r de Verdun luy pre ſ enta de l’Eau-benite. Ce prince eut la bonté de faire une remontrance au Chapi [305] tre, pour l’exhorter de bien vivre avec ſ on Eve ſ que, & comme il ſ çavoit que les Chanoines e ſ toient en po ſſ e ſſ ion depuis un fort grand nombre d’années, d’e ſ tre debout pendant l’Elevation, il leur demanda qu’en ſ a con ſ ideration ils fi ſſ ent une ordonnance pour abolir cet u ſ age, à quoy ils ne s’oppo ſ erent pas 909 . La Mu ſ ique chanta un Motet ſ ur le rétabli ſſ ement de prévue pour barrer la Haute-Meuse à la hauteur du rempart et du bastion Saint- Nicolas, l’écluse Saint-Airy, sur le canal des Grandes-Grilles. En temps de paix, ces écluses fonctionnaient comme portes d’eau dont les arches étaient munies de grilles en bois (voir J.-C. Groussard, « Vauban et l’Eau dans la défense de Verdun », dans Archéologia, Paris, 1974, p. 34-45). Les travaux furent terminés en 1687, et le roi put en faire l’inspection, comme en témoigne le Mercure. Ce qui peut étonner, c’est que le Mercure, qui avait rapporté l’ordre du roi donné lors du voyage aller de « préparer les écluses » (voir ci-dessus p. 189), soit si discret sur l’exécution de cet ordre que la Cour put constater à l’occasion du voyage retour. En revanche, dans leur relation du 28 mai, Dangeau et Sourches n’ont pas manqué de mentionner, l’un et l’autre, cette inondation artificielle (op. cit., t. II, p. 209 ; Mémoires, op. cit., t. II, p. 56). 908 Si on n’a pu trouver des traces de cette générosité royale, il subsiste cependant, au registre CG3/ année 1687 des Archives municipales, des notices de l’abbé Vigneron, curé de Saint-Amant (voir ci-dessus n. 901), qui témoignent des dégâts causés par l’inondation : [le pavé du chœur de l’église Saint Amant] « fust remis en estat parce qu’il avoit esté entierement soulevé et bouleversé par l’inondation qui fust faite en epreuve des Ecluses lors du passage du Roy en cette Ville et de toute sa cour qui sejourna a Verdun le jour de la pentecoste de ladite annee 1687 et au retour de la Ville de Luxembourg […] la force de l’inondation ayant été reconnue qui faisoit monter l’eau jusqua dix pieds de hauteur sur la prairie et jusqua la [mot illisible : falonse ? ] en longeur et qui la fit venir jusqu’au niveau du marchepied du grand autel [dont ? ] tout le pavé fust soulevé. » 909 Dangeau, op. cit., t. II, p. 209-210 : « Mercredi 28 mai, à Verdun. - […] S.M. changea un ancien usage que les chanoines avaient à Verdun, qui ne se mettaient point à genoux durant l’élévation & qui se couvraient aux processions. » Voir ci-dessous p. 375. Dans la bibliothèque de l’Évêché de Verdun, le document manuscrit (MS 87) du Cérémonial de la Cathédrale de Verdun par Guesdon (ou Guédon), conserve une trace de ce débat protocolaire : « Ce fut dans ce voyage qu’il [le roi] fut surpris de voir les chanoines debout pendant l’Élevation et couverts à la procession du St. Sacrement. Il en dit son sentiment a M r l’Evesque. C’est pourquoy par une conclusion du 2 e Juin de ladite annee 1687 l’ancien usage de se tenir debout pendant l’Élevation des fetes et Dimanches et pendant tout le temps pascal fut reformé… » (t. 4, septième partie, Art. II, Chap. I - Réception du Roy et de la Reine -, f°25). Voir ci-dessous p. 357, Annexe 19. Le détail se répercute encore dans une note du Registre paroissial, <?page no="290"?> 290 Journal la ſ anté de ce Prince, & receut en me ſ me temps des marques le ſ a liberalité, Toute la Cour alla ce me ſ me jour dîner à [306] Brabant 910 , & arriva un peu tard à Sainte-Menehout. M r l’Eve ſ que de Châlons s’y trouva avec quelques Eccle ſ ia ſ tiques qu’il y avoit amenez. M r le Duc de Noailles ayant de ſ on co ſ té amené de Luxembourg M r de Ville, & pris à Verdun des Mu ſ iciens qui ſ e joignirent à d’autres qu’il avoit fait venir de Châlons, le Salut fut chanté en Mu ſ ique aux Capucins ſ ur les ſ ept heures du ſ oir. M r de Châlons y donna la benedition du S. Sacrement. Les Capucins furent extreme [307] ment édifiez de voir que la Cour, à l’exemple de ſ on Souverain fai ſ oit paroi ſ tre une grande pieté. Ils connurent encore celle de ce Prince, par les pre ſ ens qu’il leur fit le lendemain en partant, quoy qu’ils en eu ſſ ent déja receu lorsqu’il e ſ toit pa ſſ é à Sainte-Menehout pour ſ e rendre à Luxembourg. conservé sous la cote CG3 aux Archives municipales de Verdun, et due à l’abbé C. Vigneron, secrétaire de l’évêque de Verdun : « Ce fust en ce voyage que le Roy ordonna aux chapitres des deux Eglises Cathedrale et Collegiale de flechir les genoux lors de l’Elevation a la messe ayant jusque hier esté debout. » La réédition, en 1864, de L’Histoire ecclésiastique et civile de Verdun publiée, en 1745, par le chanoine N. Roussel, ajoute au chapitre IX de la Quatrième Partie, consacré à Hippolyte de Béthune, une explication de cet aspect, somme toute étrange, du cérémonial : l’usage de ne point s’agenouiller pendant l’élévation, viendrait de l’Orient et d’une tradition apostolique. Ni la tradition liturgique de J. Chrysostome, ni celle des autres Églises orientales, ne prévoyaient la génuflexion et se contentaient d’une simple inclination. Dans l’Église latine, une réminiscence de cet usage subsistait au matin du Vendredi Saint, où, à la messe des présanctifiés, l’officiant ne consacrait pas, mais consommait une hostie consacrée lors d’une messe antérieure : à cette occasion, l’élévation de l’hostie était accompagnée d’une inclination, uniquement. Cette coutume, qui existait donc dans le diocèse de Verdun, s’observait aussi dans celui de Lyon, où elle aura été introduite, d’après le modèle oriental, par saint Irénée. Elle a fait l’objet de critiques, surtout depuis le débat sur la Présence réelle, l’apparente indévotion qu’elle manifeste pouvant être rapprochée de celle que l’on prêtait à ceux des Réformés qui niaient la transsubstantiation. (Voir Histoire Ecclésiastique et Civile de Verdun, Bar-le-Duc, Constant Laguerre, libraire-éditeur, 1864, t. II, p. 71 n. C). 910 L’étape de Brabant est aussi mentionnée par Dangeau (op. cit., t. II, p. 210) et par Sourches (op. cit., t. II, p. 57), mais sans plus de détails que dans le Mercure. Des trois villages de la Meuse portant ce nom, Brabant-en-Argonne, Brabant-le-Roi et Brabantsur-Meuse, c’est le premier qui aura accueilli le cortège royal : Brabant-en-Argonne, actuellement à quelque 21 kilomètres de Sainte-Ménehould, où le roi passe la nuit, se trouve non loin de Vraincourt, mentionné comme une des étapes du voyage aller (voir ci-dessus p. 168 [131]). Pour les trois villages, voir H. Lemoine, Département de la Meuse. Dictionnaire des Communes, coll. Monographies des Villes et Villages de France, Paris, Comédit, 1999, p. 148, 558, 700. On consultera aussi la carte de l’Itinéraire reproduite ci-dessus pour y constater que Brabant et Vraincourt sont bien situés à la même hauteur, sur la route du cortège royal. Or tel est le cas du seul Brabant-en Argonne, Brabant-le-Roi et Brabant-sur-Meuse se plaçant plus au Sud. <?page no="291"?> 291 Journal Le 31. le [sic] Cour dîna à Cen ſ e 911 de Bellay, & alla à Châlons 912 , où elle trouva un nombre infiny de peuple qui s’y e ſ toit a ſſ emblé croyant qu’elle y pa ſſ eroit la Fe ſ te de Dieu ce [308] qui ſ eroit arrivé, ſ i la maladie 913 de Mon ſ ieur le Comte de Toulou ſ e n’eu ſ t point rompu les me ſ ures que l’on avoit pri ſ es. Le Salut fut chanté par la Mu ſ ique avec beaucoup de ſ olemnité, M r de Châlons e ſ tant à la te ſ te de ſ on Chapitre. L’Egli ſ e, & les ruës e ſ toient ſ i remplies, qu’on croyoit e ſ tre au milieu du peuple de Paris. Un nombre infiny de toutes ſ ortes de gens qui cherchoient à voir le Roy, occupoit le Jare, & l’on a ſſ ure qu’il n’y en avoit jamais tant eu. [309]Le premier Juin, le Roy dîna à Bierge, & coucha à Vertus 914 . Il y entendit le Salut à la Paroi ſſ e, où il y eut une Mu ſ ique tres-agreable, ſ outenuë des Hautbois des Mou ſ quetaires. M r de Châlons y officia, a ſſ i ſ té de M rs de Luzan ſ y & de Lerry 915 , qui ont des Abbayes en ce lieu. Le 2. on partit de Vertus à dix heures du matin, aprés avoir entendu la Me ſſ e, pendant laquelle la Mu ſ ique continua de chanter des Motets de M r du Mont. On ne ſ çauroit trop admirer le zele & [310] l’activité de M r de Noailles pour le ſ ervice de Dieu & du Roy. M r de Châlons a officié pendant l’Octave du S. Sacrement 916 , par tout où Sa Maje ſ té a e ſ té dans ſ on Dioce ſ e & il s’e ſ t par tout trouvé de la Mu ſ ique, par les ſ oins de M r le Duc de Noailles ſ on frere 917 . La Cour alla de Vertus dîner à Etoge. C’e ſ t un lieu tout remply d’agrémet [sic]. Le bâtiment en e ſ t beau, les Jardins en ſ ont 911 « Cense : petite métairie, ferme séparée du village » (Dictionnaire de l’Académie de 1694). C’est d’assez près la description du lieu donnée à l’occasion du voyage aller : « Bellay qui n’est qu’une Ferme sans aucune autre maison au milieu de la campagne. » (Voir ci-dessus p. 167 [128]. Dangeau confirme la date et l’étape : « Samedi 31 mai, à Châlons. - Le roi vient dîner à la ferme de Bellay, & coucher à Châlons. » (Op. cit., t. II, p. 210 ; voir ci-dessous p. 376). 912 Archives de Châlons-en-Champagne cote BB 27 : « […] le dernier dudict moy, le Roy avec sa cour est repassé en cette ville à son retour du Luxembourg. La mesme ceremonye a esté representée a son arrivée à la porte St Jacques […]. » 913 Voir ci-dessus n. 752. 914 Dangeau, op. cit., p. 210 : « Dimanche 1 er juin à Vertus. - Le roi dîna à Bierge, & vint coucher à Vertus. » (Voir ci-dessous p. 376). 915 Luzancy, non loin de la Ferté-sous-Jarre. Le curé Raveneau mentionne un sieur de Lusancy, archidiacre qui lui rendit visie le 26 mai 1687 et qui avait été son condisciple de Rhétorique au Collège du Plessis, à Paris. Il précise que ce personnage, bien que Licencié en théologie et prêt à coiffer le bonnet de Docteur, n’avait pas reçu l’ordination sacerdotale et de ce fait ne pouvait porter l’étole qu’en écharpe (voir Journal de Jean-Baptiste Raveneau, op. cit., p. 257). Mais s’agit-il du personnage du Mercure ? On n’a pas pu identifier M. de Lerry. Pour les abbayes de Vertus, voir cidessus n. 444. 916 La huitaine qui suit la Fête-Dieu (en 1687, le jeudi 29 mai). 917 Sourches, qui confirme ce souci du duc de Noailles pour la musique, précise cependant qu’il fournit « la moins mauvaise qu’il lui fut possible » (voir ci-dessous <?page no="292"?> 292 Journal charmants, & l’abondance des eaux y donne tous les plai ſ irs que l’on en peut recevoir 918 . Ce lieu appartient [311] à M r le Marquis d’Anglure 919 , p. 393). Son éditeur ajoute en note qu’il « se piquoit de se connoître en musique et donnoit très souvent des musiciens au Roi » (voir ci-dessous n. 1124). 918 Cette évocation du château d’Étoges, sommaire, a une suite, riche de toutes sortes de détails, dans la première partie de l’édition de septembre 1687, dans laquelle le gazetier prétend répondre à un supplément d’enquête exigé par sa destinataire : « Comme ce que je vous dis alors des beautez du Chasteau d’Etoges, vous fit souhaiter d’en apprendre davantage, Je m’en suis informé, & voicy ce que j’ay sceu » (op. cit., p. 107). Suit alors une longue description de la galerie d’Étoges, évoquée ci-dessous n. 928. Mais on y trouve aussi un guide presque complet des autres lieux, à commencer par la Chapelle (p. 112-114), puis des « cinq grands Apartemens » (p. 114 et s.). Comme le Mercure de juin 1687 insiste avant tout sur la qualité des eaux d’Étoges, il sera utile de produire les détails qu’il prodigue à ce sujet dans le tirage du mois de septembre. Ainsi M. le Prince et le prince de Conti se restaurèrent dans une antichambre équipée d’ « une fontaine d’eau vive, qui ne paroist que quand on en a besoin pour le repas, ce qui contribuë beaucoup à la propreté & à boire frais » (ibid., p. 118). Même confort et même hygiène pour les offices et les jardins : « Il ne faut pas oublier à vous dire que les Cuisines, Offices & Communs de cette Maison sont fort belles, & que par tout il y a des Fontaines, de sorte qu’étant commodes comme elles le sont, les Officiers du Roy avoüerent qu’ils ne s’estoient point trouvez si bien sur toute leur route ; & en effet il n’y a guere de Maisons plus commode [sic], les jardins & les Parterres y sont la pluspart en terrasses, & tous remplis de Jets d’eau. Cette eau est fort vive. Il y en a mesme trois dans les Fossez […], & d’autres dans la court & la basse court, & mesme dans une Voliere qui est sous la Galerie basse. Il y a deux quarrez d’eau où l’on pretend faire venir deux Fontaines. Lors qu’elles seront faites, il y en aura vingt-quatre jaillissantes tant dans la Maison que dans la basse-court, court & anti-court, Fossez, Jardins, Parterres & Bosquets » (ibid., p. 121-122). Si le château lui-même a subi bien des détériorations, le prestige de ses eaux a survécu aux vicissitudes de l’histoire (voir R. Neuville « Quelques notes sur la Seigneurie d’Étoges », dans Mémoires de la Société d’Agriculture, Commerce, Science et Arts du Département de la Marne, Année 1954, p. 374). 919 Marc-Antoine-Saladin d’Anglure du Bellai de Savigny, marquis d’Anglure et du Bellai, Comte d’Étoges depuis le mois de septembre 1682, date à laquelle des lettres royales érigent en comté le vicomté d’Étoges. En 1673, il épouse Marie-Jeanne de Rouville, fille de Hercule-Louis, marquis de Rouville, gouverneur d’Ardres, rencontré plus haut (n. 497). Il disparaît en 1688 (voir La Galerie d’Étoges peinte par J. Hélart de Reims […], Paris, Au Bureau du Cabinet historique, 1871, p. IV-V.) On notera que l’auteur de cet ouvrage est le peintre rémois Jean Hélart que certains reconnaissent dans le personnage du conte Les Rémois de La Fontaine, sans que, toutefois, cette identification soit certaine. Lire à ce sujet la notice relative à ce conte dans Œuvres complètes de La Fontaine, éd. établie, présentée et annotée par J.-P. Collinet, Paris, Gallimard, Bib. de la Pléiade, 1991, t. I, p. 1417, n. ad p. 714. En fait, l’auteur du Mercure songe plutôt au frère de Marc-Antoine, Charles- Nicolas d’Anglure de Braux de Savigny, marquis et baron d’Anglure - mais non <?page no="293"?> 293 Journal & ſ ert de retraite à deux freres, & à une ſ œur 920 , qui par leur mérite ſ e ſ ont fait une reputation qui s’e ſ t repandüe bien avant dans le Monde. La vertu e ſ t leur pa ſſ ion, charité fait leur employ, & leur pieté e ſ t exemplaire 921 . Le Roy leur avoit fait dire qu’il di ſ neroit chez eux ſ ans les embara ſſ er, & quoy qu’il n’eu ſſ ent pas l’avantage de donner à manger à Sa Maje ſ té, ny par con ſ equent l’honneur de la ſ ervir 922 , leur magnificence ne lai ſſ a pas de paroi ſ tre à la ma comte d’Étoges - comme il appert d’un correctif qu’il apporte à sa relation du séjour royal à Étoges, dans la première partie du tirage de septembre 1687, où il écrit à sa destinataire : « Dans la Relation separée que je vous ay envoyée du Voyage du Roy à Luxembourg, je vous ay parlé du Chasteau d’Etoge […], mais comme j’estois mal informé lors que je vous écrivis, qu’il appartenoit à M r le Marquis d’Anglure, je me crois presentement obligé de me dédire, en vous apprenant qu’il est à M r le Comte d’Etoge, Frere aisné de M r le Marquis d’Anglure,… . » (Mercure galant, septembre 1687, 2 me partie, p. 102-103). Et dans la suite, il identifie bien le vrai propriétaire en évoquant son mariage avec Mademoiselle de Rouville. 920 Les deux frères sont mentionnés dans la note précédente : Marc-Antoine-Saladin d’Anglure, marquis d’Anglure et comte d’Étoges et son cadet Charles-Nicolas d’Anglure, marquis et baron d’Anglure. Ce dernier, anciennement capitaine des gardes, s’était distingué à la bataille de Sarbrich (Consarbrück, août 1675 : les Français, sous Créquy, y sont battus par les Impériaux), où il s’était cassé le bras. Il abandonna ensuite la carrière des armes pour se donner entier à la dévotion. Il s’était retiré chez le comte d’Étoges, son frère, « à qui, du consentement de mademoiselle de Savigny, leur sœur, il a [vait] fait donation de sa terre, dont il ne s’ [était] réservé que l’usufruit pendant sa vie, parce qu’il a[vait] renoncé à se marier » (voir La Galerie d’Étoges, op. cit., p. VIII). D’où la « pieté exemplaire » dont parle le Mercure. La sœur est donc mademoiselle de Savigny. 921 En 1685, Marc-Antoine a fondé, à Étoges, une maison de religieuses de saint Vincent de Paul qui a duré jusqu’à la Révolution (voir R. Neuville, « Quelques notes sur la seigneurie d’Étoges », op. cit., Année 1954, p. 371). Si Dangeau passe sous silence la vertu des habitants du château d’Étoges, (op. cit., t. II, p. 210), Sourches y insiste longuement : « Le 2 de juin, le Roi vint dîner à Etoges, grosse maison de noblesse, dont le seigneur étoit retiré chez lui depuis longtemps et l’avoit extrêmement bien accommodée. Il y vivoit dans tous les exercices d’une piété régulière avec sa femme, qui étoit de la maison de Rouville ; son frère, nommé M r d’Anglure, un des plus braves hommes de son temps, qui avoit été longtemps capitaine au régiment des gardes ; et M lle d’Etoges, leur sœur, n’y en ayant aucun qui ne dégénérât de la vertu de ses proches. » (Op. cit., t. II, p. 58 ; voir ci-dessous p. 394). 922 Il est difficile d’interpréter cette disposition du roi à dîner au château, mais sans obliger les châtelains à « s’embarrasser » pour le servir, alors que l’on sait, depuis l’ EPITRE AU ROY qui ouvre le volume, à quel point un tel « embarras » faisait honneur à ceux qu’il concernait : « […] la Noblesse de tous les lieux où Votre Majesté a passé, […] a receu de sensibles & d’éclatantes [marques de vos bontez] qui seront éternellement gravées dans tous les cœurs de leurs Descendans, & ils les estimeront infiniment plus que tous les titres de leur Maison, parmy lesquels la posterité les conservera. Dans quelle consideration ne seront-ils point, quand on sçaura qu’ils <?page no="294"?> 294 Journal [312] niere dont ils traiterent toute la Cour. L’abondance fut ſ i grande aux tables qu’ils firent ſ ervir que celle du Chambellan 923 ne tint point 924 , Monsieur le Prince qui mange ordinairement à cette table, ayant fait l’honneur à ces illu ſ tres Solitaires de manger à celle qu’ils luy avoient fait preparer. Le Roy in ſ truit de leur vertu voulut ſ çavoir le détail de leur vie dans une ſ olitude ſ i peu commune à des per ſ onnes de cette qualité. Ce Prince apprit que les Freres fai ſ oient le plaisir [313] de la Sœur, & la Sœur, celuy des Freres, que leurs heures ſ ont reglées pour leurs exercices ordinaires qui e ſ toient toûjours égaux, ſ ur tout la Me ſſ e, les prieres frequentes, & la vi ſ ite des Pauvres. Un fils de l’ai ſ né 925 seront formez du sang de ceux qui auront eu l’honneur de se voir à la table de leur Roy […]. » Voir ci-dessus p. 81. Mais aussi bien se peut-il que le roi ait accordé cette « dispense » au vu de la grossesse de Madame d’Étoges « & de quelques autres accidens survenus qui l’obligerent à garder le lit » (Mercure, septembre 1687, Première Partie, p. 104). Comme on l’a montré (Introduction p. 59), quoique galant, il n’avait pas toujours les mêmes prévenances à l’égard des indispositions de ces dames… 923 Il s’agira du Grand Chambellan qui était en 1687 Godefroy Maurice de La Tour d’Auvergne, investi de cette charge de 1658 jusqu’à sa mort en 1715. De ce dignitaire important qui accompagnait le roi dans toutes les grandes circonstances (sacre, lits de justice, obsèques), on retiendra seulement qu’il avait « une table entretenuë chés le Roy », mais que « feu M. le Duc de Chévreuse Claude de Lorraine, Grand Chambellan, s’en est accomodé avec les Premiers Maîtres d’Hôtel, qui tiennent à prêsent cette table, qui est toûjours apelée la table du Grand Chambellan. » (État de la France, op. cit., t. I, p. 97). 924 Dictionnaire de l’Académie, 1694 : « Tenir table […] on dit de celuy qui a soin de faire les honneurs d’une table, & qui commande à ceux qui la servent, que c’est luy qui tient la table. » Faut-il entendre ici que la table du Chambellan n’est pas servie, parce que la richesse des tables des châtelains d’Étoges la rend superflue ? Il demeure étonnant que M. le Prince, premier prince du sang, puisse dîner « ordinairement » à la table du chambellan, alors que cette table n’est que la seconde des tables d’honneur de la Cour, à laquelle, en principe « seul le premier gentilhomme de la Chambre en année avait son ordinaire » et qu’y mangeaient aussi ‘les personnes de qualité qui se trouvaient auprès du Roi’, surtout les ambassadeurs qui visitaient la Cour le mardi » (W.R. Newton, La petite cour, Paris, Fayard, 2006, p. 161). En revanche, la première table d’honneur de la Cour est celle du Grand Maître qui accueille les grands seigneurs et même les princes du sang, sans leur suite (ibid., p. 159). 925 Charles-Nicolas-Auguste d’Anglure, fils aîné de Marc-Antoine d’Anglure et de Marie-Jeanne de Rouville. Il va épouser en 1704 une voisine de campagne, Marie- Charlotte de Louviers ; le mariage restera sans enfants. Charles-Nicolas, qui mourra âgé de trente-quatre ans, le 22 janvier 1717, a exercé de multiples emplois : maréchal de camp dans l’armée britannique, gouverneur de ville en Irlande, gouverneur de Saint-Valéry-en Caux. Son administration du domaine d’Étoges fut déficitaire au point qu’il dut le vendre aux enchères (voir R. Neuville, « Quelques notes sur la seigneurie d’Étoges », op. cit., p. 371). <?page no="295"?> 295 Journal qui n’a pas encore cinq ans, eut l’honneur de manger avec le Roy 926 . Pendant que Sa Maje ſ té fai ſ oit ſ on plaisir de s’entretenir de la pieté de ſ es ho ſ tes, on luy apprit que Madame la Prince ſſ e de Conty avoit un mal de te ſ te & une douleur de gorge qui fai ſ oient craindre que cette [314] Prince ſſ e ne fût biento ſ t attaquée du me ſ me mal que M r le Comte de Thoulouze avoit e ſſ uyé à Luxembourg. Le Roy ordonna qu’on la fi ſ t au ſſ ito ſ t partir pour Montmirel 927 , & ſ e prepara à quitter Etoge pour la ſ uivre. Il ne faut pas que j’oublie à dire qu’il y a une galerie dans ce Cha ſ teau qui plut beaucoup à Sa Maje ſ té, & qui auroit fait plus long-temps le plai ſ ir de toute la Cour, ſ i elle n’avoit point e ſ té pre ſſ ée de partir. Elle contient les Portraits de tous les grands hommes qui ont paru en Europe depuis en [315] viron un Siecle, & les Portraits de ceux qui ont ve ſ cu dans le me ſ me temps, ſ ont oppo ſ ez les uns aux autres, comme pour en faire des paralelles ; leurs principales actions & leurs alliances ſ ont marquées au bas. Cette Galerie e ſ t plus curieu ſ e que magnifique, & l’on y voit regner une ſ implicité de bon gou ſ t, qui attira plus de loüanges à ceux à qui appartient cette mai ſ on, qu’une magnificence mal entendüe 928 . Le Roy ayant 926 Ce détail est confirmé dans le tirage de la Première Partie du mois de septembre 1687 : « L’Aisné qui n’a pas encore quatre ans, est celuy qu’il plut à Sa Majesté de faire disner à sa Table. » (Mercure, septembre 1687, Première Partie, p. 104). 927 Dangeau rapporte la maladie de la princesse de Conty en date du lundi 2 et du mardi 3 juin 1687. À la premiere date, il confirme que le début du mal s’est déclaré à Étoges : « Le roi dîna à Estoges dans le château […]. - Madame la princesse de Conty se trouva mal, & ne se mit point à table. » (Op. cit., t. II, p. 210 ; voir ci-dessous p. 376). Il indique ensuite que le roi part le jour même pour Montmirel, sans préciser toutefois, comme le fait le Mercure, que ce départ est postérieur à celui de la malade. Le 3 juin, il rapporte le diagnostic : il s’agit bien de la rougeole, comme le signale aussi le Mercure : « Le mal de madame la princesse de Conty s’est déclaré ; elle a la rougeole, » (ibid.), sans plus. Ici le gazetier qui se répand en détails sur la thérapie, est bien plus explicite. 928 Une description très explicite de la galerie d’Étoges est donnée dans la première partie du tirage de septembre 1687, déjà sollicitée : « M le Comte d’Etoge a fait mettre dans sa galerie, qui est aussi sçavante que curieuse, les Genealogies des Maisons d’Alsace & de Savigny, dont il descend directement, celle de la Maison de Rouville, dont est Madame sa Femme, & celle des Maisons de Babou-la Bourdaisiere, du Bellay, d’Anglure, de Chastillon & de Conflans, desquelles il vient par Femmes. Aux deux costez de cette Genealogie sont mises par Alphabet toutes les Armes des Maisons qui la composent, ce qui fait qu’on n’a pas de peine à trouver les Armes que l’on veut chercher. Au dessous de toutes ces Genealogies sont rangez les Portraits des Hommes François les plus illustres au nombre de soixante & onze, depuis Clovis jusques au Roy, comparez avec autant d’Etrangers ayant rapport à leur vie & à leurs actions ; & comme le Roy en a un si grand nombre d’extraordinaires, il n’y a pas eu moyen de le comparer avec personne. C’est ce que M le Comte d’Etoge ne manqua pas de luy faire remarquer. Au coin de chaque Portrait <?page no="296"?> 296 Journal quitté un lieu delicieux, arriva de bonne-[316] heure à Montmirel. M r de Louvois, comme Seigneur du lieu, receut Sa Maje ſ té à la la de ſ cente de ſ on caro ſſ e. Ce qu’on avoit ſ oupçonné du mal de Madame la Prince ſſ e de Conty, arriva. Les rougeurs parurent, & elle fut ſ aignée le lendemain au matin. Sa rougeolle [sic] e ſ toit tres forte, mais les Medecins dirent qu’elle n’e ſ toit pas dangereu ſ e. On lai ſſ a aupres de cette Prince ſſ e M r Petit 929 , Premier Medecin de sont les Armes de celuy qu’il represente, & comme il y en a autant d’Etrangers que de François, il a fallu une grande recherche pour les pouvoir trouver. Toutes les Devises de ces Hommes Illustres sont mises au dessus de leurs Tableaux dans des Cartouches, accompagnées chacune de trois Medailles qui ont quelque rapport au sujet, mais non pas si justes qu’aux deux principaux Personnages. Neuf Medailles accompagnent chaque paralelle, parce qu’il y a trois Cartouches l’un sur l’autre. Les trois Medailles du Cartouche du milieu, sont prises de l’antiquité, & les deux autres Medailles des Cartouches d’en haut & d’en bas sont modernes, & il y a toûjours un François comparé à un Etranger. Dans les Medailles du milieu qui se trouvent dans chaque Cartouche, sont des Femmes illustres, & comme il y en a trois, celle du Cartouche du milieu a esté prise de l’Antiquité de mesme que les deux Hommes ; & celles des deux autres Cartouches sont modernes. Il y a encore dans l’embrasure de sept grandes croisées qui éclairent cette Galerie, vingt-huit Devises à chacune, & sur les volets de chaque fenestre, douze Sentances Latines, Italiennes, & Espagnoles, tirées des meilleurs Autheurs, ce que je dois dire à l’avantage de M r de Flavigny, Gentilhomme voisin de M le Comte d’Etoge, tres-scavant dans l’Histoire & dans le Blazon, qui a eu l’honneur d’estre nourry Page du Roy, dans la petite Ecurie sous M r de Beringuen, puis que c’est luy qui a donné tout le dessein de cette Galerie. » (Op. cit., p. 107-113). 929 Guillaume Petit, originaire de Normandie, mort en 1702. Saint-Simon, qui confirme sa fonction de Premier Médecin du Grand Dauphin, lui consacre une nécrologie élogieuse, mais qui ne manque pas de piquant. D’une part, on y sent le mépris du mémorialiste titré pour tout ce qui n’est pas noblesse : seules des particularités valent aux roturiers l’honneur de la mention ; d’autre part, il laisse paraître les réticences de certains membres du corps médical à admettre les nouvelles vues de la science : « Une […] mort serait ridicule à mettre ici sans des raisons qui y engagent ; c’est celle de Petit, qui était fort vieux, et depuis grand nombre d’années médecin de Monseigneur. Il avait de l’esprit, du savoir, de la pratique et de la probité, et cependant il est mort sans avoir jamais voulu admettre la circulation du sang. Cela m’a paru assez singulier pour ne le pas omettre. » (Op. cit., t. II, p. 246). On saura, en effet, que l’Exercitatio Anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in animalibus de Harvey, qui établit le processus de la circulation sanguine, date de 1628. Du reste, Guillaume Petit, fervent de la saignée, la pratiqua si bien, et à l’exclusion de toute autre médication, sur le cardinal de Retz, que celui-ci ne s’en releva pas (voir Madame de Sévigné, lettre du 25 août à Guitaut, dans Correspondance, op. cit., t. II, p. 669-670). L’État de la France de 1687 qui le cite dans la rubrique consacrée à la Maison du Dauphin, donne un relevé particulièrement explicite de ses revenus, en espèces et en nature (op. cit., t. I, p. 601-603). <?page no="297"?> 297 Journal Mon ſ eigneur, & M r Dodart 930 ſ on Medecin avec M r Poi ſſ on, Apo [317] tiquaire du Roy 931 . Comme ce voyage approchoit de ſ a fin, la Cour commença à défiler, & M r le Prince de Conty partit pour Paris. On dit ce jour-là des Me ſſ es tout le matin, & à ſ ept heures du ſ oir il y eut Salut. Le Prieur Curé 932 , qui e ſ t un Religieux de S. Jean de Soi ſſ ons, fit la cérémonie. Le 4. Mon ſ eigneur le Dauphin ayant beaucoup d’impatience de revoir Madame la Dauphine, receut de Sa Maje ſ té la liberté de partir 933 . Ce Prince arriva le ſ oir me ſ me [318] à 930 Denis Dodart (1634-1707) compte parmi les gloires médicales du XVII e siècle. Guy Patin a vu en lui « un des hommes les plus sages et les plus savants de ce siècle », (cit. par J. Lévy-Valensi, La Médecine et les Médecins français…, op. cit., p. 618), et il n’est pas étonnant qu’il se soit assuré bientôt une patientèle choisie : la duchesse de Longueville, les princes de la maison Conti se sont confiés à ses soins. Et lorsque Racine, accompagnant le roi dans son voyage luxembourgeois en sa qualité d’historiographe, écrit, de Luxembourg, à Boileau, victime d’une aphasie, il lui recommande encore les thérapies préconisées par Dodart à l’endroit de son propre mal de gorge, mais non sine grano salis ! Suivre les conseils de ce coryphée, c’est s’exposer à se réduire à la taille qui est la sienne, peu imposante… (Voir ci-dessous p. 416). Pour Dodart, lire la notice de Lévi-Valensi, op. cit., p. 618 et s. 931 Jean Poisson naît à Paris en 1661 dans une famille d’apothicaires. C’est en 1683 que son père démissionne en sa faveur d’une de ses charges d’apothicaire du corps du roi qu’il exerce désormais tout en continuant ses études à la Faculté de Paris, où il est reçu docteur en médecine. Il cumule alors les métiers d’apothicaire et de médecin. Au mois d’octobre 1687, ses parents lui cèdent, contre une rente viagère, la fonction de premier apothicaire du corps du Roi et de valet de chambre du Dauphin et des Enfants de France. Il se marie en 1695 avec Jeanne Benoist, fille de Georges Benoist, contrôleur ordinaire de la Bouche ; en 1697, il achète de Louis Dedimondières la charge de Médecin du Roi. En 1707, il est nommé Premier Médecin du Duc de Berry et du Duc de Bourgogne. Il meurt à Versailles le 29 janvier 1708, victime, probablement, d’une maladie contagieuse contractée auprès d’un de ses malades. L’État de la France de 1687 mentionne le père et le fils avec indication précise des appointements (op. cit., t. I, p. 188-189). 932 Depuis 1675 et jusqu’en 1707, date de sa mort, le prieur de Montmirail était François Marchand, originaire de Neuilly-Saint-Front et entré à Saint-Jean de Soissons en 1660 (voir liste des prieurs de Montmirail, dans M.-R. Mathieu, Montmirail-en- Brie. […], op. cit., p. 365). 933 Sourches (voir ci-dessous p. 394) donne de ce départ anticipé du Dauphin une interprétation toute différente. Selon lui, ce n’est pas l’impatience de revoir son épouse qui fait solliciter au Dauphin la permission de partir à l’avance, mais le souci du roi qui s’inquiétait de le voir constamment au chevet de la princesse de Conti, sa sœur, et du danger de contagion qui s’ensuivait, l’héritier de la couronne n’ayant pas encore été atteint de la rougeole et par conséquent n’étant pas immunisé contre cette maladie. Quant à Dangeau, il signale bien, en date du 3 juin, le départ du Dauphin, sur ordre du roi, mais sans en indiquer le motif : « […] le roi a ordonné à Monseigneur de partir demain. » (Voir ci-dessous p. 376). <?page no="298"?> 298 Journal Ver ſ ailles. Plu ſ ieurs per ſ onnes quitterent la Cour ce jour-là. Les Prieres ſ e firent comme le jour precedent, on fut fort en doute ſ i on partiroit, on receut des ordres pour le depart, & ces ordres furent revoquez. Le jour le l’Octave du S. Sacrement 934 , le Roy ayant ſ ceu à quatre heures & demie du matin 935 l’e ſ tat de la maladie de Madame la Prince ſſ e de Conty, ordonna à M r de Louvois de faire partir les Officiers, & cependant ce Prince, qui ne ſ onge pas moins à remplir les de [319] voirs de Chre ſ tien, que ceux de Roy, demanda au Pere de la Chai ſ e, s’il e ſ toit Fe ſ te dans le Dioce ſ e de Soi ſſ ons & s’il y avoit obligation pour ſ es Officiers d’entendre la Me ſſ e, & pour luy, d’a ſſ i ſ ter à la Proce ſſ ion. Le Pere de la Chai ſ e luy répondit, qu’il e ſ toit obligé d’entendre la Me ſſ e, & non d’aller à la Proce ſſ ion ; mais que cependant il ſ eroit mieux que Sa Maje ſ té rendi ſ t ce devoir aux ordres de l’Egli ſ e, qui a étably la Proce ſſ ion de l’Octave. Il n’en falut pas davantage pour faire [320] ordonner qu’on di ſ t continuellement des Me ſſ es, & quoy que les Cloches qui ſ ont fort gro ſſ es, fu ſſ ent prés de la Chambre du Roy parce que l’Egli ſ e e ſ t dans le Cha ſ teau, ce Prince voulut qu’on les ſ onna ſ t toutes. Il entendit à huit heures & demie une Me ſſ e, dite par un Chapelain de quartier. Cependant le Prieur accompagné d’un Diacre, d’un Sous Diacre, de trois Enfans de Chœur, de huit Chori ſ tes, & de huit Chapiers 936 tirez de la Chapelle du Roy, ſ e preparoit dans la Sacri ſ tie. La Pro [321] ce ſſ ion commença ſ ur les neuf heures, on dit ensuite la grande Me ſſ e, & le Roy partit pour aller dîner à Vieu-Mai ſ on 937 , qui appartient à M r Jacquier 938 . 934 Le 4 juin. 935 Sourches place l’éveil du roi à quatre heures. Voir ci-dessous p. 394. 936 Chapier : porte-chape. Qui porte ordinairement chape à l’Eglise (Dictionnaire de l’Académie de 1694). 937 Actuellement Saint Mars Vieux Maisons, dans la Seine-et-Marne, à 26 km de Montmirail. 938 Il s’agira de Jean-François Jacquier, fils aîné de François Jacquier, commissaire général des vivres responsable de l’approvisionnement des armées (voir Saint-Simon, op. cit., t. I, p. 652) et parvenu à la célébrité par le rôle qu’il avait joué en 1675, après la mort de Turenne. Conscient du danger de voir l’ennemi, à la faveur du désarroi causé par la mort du chef, s’emparer de la place de Wilstet, qui servait de magasin à l’armée, il détermina les généraux qui remplaçaient le défunt à voler au secours de la petite garnison, évitant ainsi un désastre plus grand encore. Sourches, parlant de sa fonction de commissaire aux vivres de l’armée, lui rend un bel hommage en certifiant qu’il l’a exercée « sans s’y être enrichi ». (Op. cit., t. II, p. 59 n. 2). Son fils aîné, Jean-François Jacquier, était depuis 1680 conseiller au Parlement et commissaire au Palais. À la mort de son père, il devint vidame de Vieumaison et seigneur de Bobigny. Son mariage avec Nicole de Rochereau de Hauteville étant resté sans enfants, il laissa à sa mort, en 1727, la seigneurie de Bobigny et la vidamie de Vieumaison à <?page no="299"?> 299 Journal Mon ſ ieur le Prince quitta la Cour, pour ſ e rendre à Paris. On coucha ce jour-là à la Ferté Sur Joüare dans le Dioce ſ e de Meaux. M r l’Eve ſ que de Meaux s’y trouva avec quelques Abbez, & ſ es Aumôniers. On chanta le Salut en plein Chant à la Paroi ſſ e, & la benediction y fut donnée par ce Prelat. Sa Maje ſ té, qu’une marche conti [322] nuelle n’a détournée d’aucune des fonctions de pieté, dont Elle s’acquite avec un zele ſ i édifiant, termina de cette ſ orte l’Octave du S. Sacrement. On dîna à Monceaux. M r de Ge ſ vres, comme Gouverneur du lieu, avoit fait au Roy pendant le dîner un pre ſ ent de fruits, de fleurs, & de Gibier, d’une maniere tout-à-fait galante. On traver ſ a Meaux l’apré ſ dînée, & on alla coucher à Claye. Le lendemain, Mon ſ eigneur entendit la Me ſſ e à Versailles à ſ ix heures du matin, & prit en [323] ſ uite la Po ſ te pour ſ e rendre à Livry, où l’on attendoit le Roy. Il eftoit accompagné de Mon ſ ieur le Prince de Conty, de Mon ſ ieur de Vendo ſ me 939 , & de plusieurs Seigneurs de la Cour. Ils son frère puîné Hugues-François Jacquier (voir Abbé Masson, Bobigny [Lez-Paris]. La Seigneurie, la Commune et la Paroisse, Paris, Champion, 1887, p. 132-134). Voir aussi ci-dessous Sourches, n. 1130. 939 Du point de vue chronologique, il pourrait s’agir soit de Louis Joseph, duc de Vendôme (1654-1712), soit de son frère Philippe de Vendôme (1655-1727). Plusieurs indices, fournis par Saint-Simon, conduisent à appuyer la première hypothèse. D’abord, le fait que le mémorialiste ne donne le nom de « M. de Vendôme » qu’à Louis Joseph, retenant pour Philippe l’appellation de Grand Prieur, fonction occupée par celui-ci depuis 1678 (voir op. cit., t. I, p. 527-528). Ensuite, tout au long des Mémoires, Vendôme - Louis Joseph - et le prince de Conti sont présentés, comme dans le Mercure, en fidèles impénitents de Monseigneur, c’est-à-dire du Grand Dauphin (voir op. cit., t. II, p. 937 et t. III, p. 370-371). Le duc de Vendôme, dit le « Grand Vendôme », est un des généraux les plus prestigieux du règne, et qui s’illustre avant tout sur les théâtres de la Guerre de Succession d’Espagne ; on le trouve, entre autres, à la bataille de Villaviciosa (1710), où il met en déroute l’ennemi, assurant ainsi le trône espagnol de Philippe d’Anjou. Mais ce chef prestigieux, hors du champ de bataille, se révèle le plus méprisable des hommes. Si Saint-Simon lui reconnaît telles qualités de l’esprit et de l’âme - esprit naturel, énonciation facile, hardiesse (op. cit., t. II, p. 693) - il n’insiste pas moins sur tous les défauts d’un caractère porté à la plus incroyable surestimation de soimême. « La louange, écrit le mémorialiste, puis l’admiration, enfin l’adoration, furent le canal unique par lequel on pût approcher de ce demi-dieu… » (ibid.) qui, cependant, dans bien des circonstances, descend de son Olympe pour s’enfoncer dans les bas-fonds : paresseux, sale, il lui arrive de pratiquer une homosexualité aux touches scatologiques et dont Saint-Simon fait le récit indigné (op. cit., p. 695-696). Madame Palatine, en revanche, sans panthéoniser le personnage, ne dissimule guère la sympathie que lui inspirent ses réelles qualités (voir, p. ex., lettres du 27 janvier 1709 à la duchesse de Hanovre (Lettres, op. cit., p. 268) et du 21 août 1710 à la même (op. cit., p. 290-291). <?page no="300"?> 300 Journal y arriverent ſ ur les dix heures & demie. Mon ſ eigneur changea d’habit, & aprés avoir pris quelques rafrai ſ chi ſſ emens, il alla au devant de Sa Maje ſ té, qui arriva ſ ur les onze heures & demie. Le Cha ſ teau de Livry e ſ t depuis longtemps dans la Mai ſ on de M r Sanguin 940 . Sa [324] ſ ituation e ſ t charmante, & dans le voi ſ inage d’une Fore ſ t tres-agreable, & tres-propre pour la Cha ſſ e. On voit un beau Jet d’eau dans le milieu de la court. Le grand corps de Logis e ſ t terminé de chaque co ſ té par un Pavillon dont l’un fait face au Jardin, & à l’Orangerie. Le Parc qui e ſ t au bout, répond ſ ur le grand chemin 941 . Le Roy de ſ cendit de Caro ſſ e à la grille de ce Parc. Mon ſ eigneur l’y receut accompagné des Princes qui l’avoient ſ uivy. Madame Sanguin 942 , Mere de M r [325] le 940 Louis Sanguin (1648-1723), marquis de Livry en 1688, au moment de l’érection de sa terre en marquisat (D. Almonzi-Grossard, Livry-Gargan et son histoire, éd. par la Ville de Livry-Gargan, 1969, p. 54 et A.-E. Genty, Histoire de Livry-Gargan et de son abbaye, op. cit., p. 92), mais le Mercure lui donne ce titre dès 1687 (voir sept lignes plus loin : le roi est accueilli par Madame Sanguin Mere de M r le Marquis de Livry), et l’État de la France de 1687, op. cit., t. I, p. 43 confirme. En 1676, il est nommé maître d’hôtel du roi, charge qu’il reçoit à la suite de son père, Jacques Sanguin, et gouverneur de Loches. L’État de la France de 1687, loc. cit., le présente en Premier Maître d’Hôtel. Au moment de sa mort, Saint-Simon relève avant tout son goût pour les boissons alcooliques : « une carafe d’eau lui aurait bien duré une année. » (Op. cit., t. VIII, p. 618). Le mémorialiste rapporte encore l’amitié dont Louis XIV honorait ce personnage « familier avec le feu Roi, chez qui on jouait toute la journée à des jeux de commerce » (op. cit., p. 617), c’est-à-dire aux jeux de carte avec banquier. Aussi le roi avait-il consenti, ensemble avec la reine Marie-Thérèse, à accepter le parrainage du fils du concerné, Louis Sanguin, baptisé par Bossuet le 5 avril 1679 (voir D. Almonzi-Grossard, op. cit., p. 54). 941 Dans son étude sur Livry-Gargan, D. Almonzi-Grossard donne du château de Livry cette description, où l’on reconnaît l’essentiel de l’évocation du Mercure : « La porte d’entrée s’ouvrait sur la place au chevet de l’église. Au-dessus de cette porte était construit un grand pavillon flanqué de deux tourelles. Au fond d’une cour ornée d’un jet d’eau, s’élevait le château proprement dit, composé d’un corps de logis, flanqué à chaque extrémité d’un pavillon. » (Op. cit., p. 51). 942 Marie de Bordeaux, veuve de Jean du Pré, seigneur de Cossigny, épouse en secondes noces, depuis le 5 janvier 1647, de Jacques Sanguin et mère de Louis Sanguin. Son père était Guillaume de Bordeaux, seigneur de Neuville et du Génitoy, secrétaire du conseil privé, puis surintendant des finances. Dans sa lettre du 24 janvier 1689, à Madame de Grignan, Madame de Sévigné, rapportant sa mort, écrit ces lignes d’un humour macabre et d’un réalisme sarcastique : « La vieille Madame Sanguin est morte comme une héroïne, promenant sa carcasse par la chambre, se mirant pour voir la mort au naturel. Il faut un compliment à Monsieur de Senlis et à M. de Livry, mais non pas des lettres, car ils sont déjà consolés. Il n’y a que vous, ma chère enfant, qui ne voulez pas entendre parler de l’ordre établi depuis la création du monde. » (Correspondance, op. cit., t. III, p. 482). Voir aussi A.-E. Genty, Histoire de Livry-Gargan et de son abbaye, op. cit., première partie, p. 90. <?page no="301"?> 301 Journal Marquis de Livry, M r l’Eve ſ que de Senlis 943 , Madame de Livry 944 , & quelques autres per ſ onnes de la Famille, receurent Sa Maje ſ té à la porte du Jardin. Elle les ſ alüa, & leur parla avec cet air doux & maje ſ tueux qui luy gagne tous les cœurs. On ſ ervit le dîné à midy dans l’anti-chambre du Roy. Elle e ſ toit richement meublée, & tenduë des belles Tapi ſſ eries, dont le feu Roy d’Angleterre 945 fit pre ſ ent à M r de Bordeaux 946 , Pere de Madame Sanguin, lors qu’il e ſ toit 943 Denis Sanguin, oncle de Louis, marquis de Livry, évêque de Senlis (1652-1702), un des onze fils de Jacques Sanguin. Dans sa lettre du 20 novembre 1689 à Madame de Grignan, Madame de Sévigné rapporte que le roi lui a donné l’abbaye de Livry qui lui était si chère : « Monsieur de Senlis […] et tous les Sanguin sont dans la joie ; ils ont notre petite abbaye. » (Correspondance, op. cit., t. III, p. 759). 944 Louis de Livry avait épousé Marie Antoinette de Beauvilliers (1653-1729), fille de François, duc de Saint-Aignan. 945 Charles II Stuart, roi d’Angleterre de 1660 à 1685, mort le 6 février 1685, bien que Dangeau, qui rapporte l’événement en date du 19 février, le place le 16, après quatre jours de maladie : « il était tombé malade le 12 & mourut le 16. » Ce prince avait mené une politique très favorable à la France. 946 Antoine de Bordeaux, seigneur de Gentilly et de Neuville, était Maître des requêtes en 1642, avant de devenir Président du Grand Conseil et intendant des armées du roi. En 1652, Mazarin l’envoya à Londres pour négocier une alliance avec l’Angleterre, mais sans aucun titre diplomatique. Plus particulièrement, il devait amener les Anglais à restituer les navires pris à la France et surtout obtenir d’eux l’engagement de ne pas soutenir les Espagnols. En fait, c’est avec Cromwell, aux affaires depuis 1649, Protecteur depuis 1653, qu’il devait traiter, efforts récompensés après plusieurs péripéties par l’alliance du 23 mars 1657 que Bordeaux, pourvu depuis 1654 du titre d’ambassadeur ordinaire, fut chargé de traduire dans les faits. Après la restauration de Charles II, Mazarin commit l’erreur de lui envoyer encore le même ambassadeur que cependant le nouveau roi, fils de Charles I er , conduit à l’échafaud par Cromwell, refusa d’accréditer et expulsa sans autre façon le 9 juillet 1660. Nommé chancelier d’Anne d’Autriche, il expira au mois de septembre de la même année, âgé de trente-neuf ans seulement. On a vu dans Antoine de Bordeaux l’auteur d’un ouvrage paru en 1670 à Paris, chez C. Barbin, sur les Révolutions d’Angleterre depuis la mort du protecteur Olivier jusques au rétablissement du roi, mais dont, probablement, il n’a rédigé que la dernière partie relative à son départ d’Angleterre (Dictionnaire de Biographie française. Sous la direction de M. Prévost et Roman d’Amat, Paris, Letouzey et Ané, 1954, t. VI, col. 1073-1074). Cette dernière partie est intitulée Relation de ce qui s’est passé au depart de Monsieur de ****** d’Angleterre et occupe les pages 233 à 255 de l’ouvrage susmentionné. De même que dans les parties précédentes des Révolutions, il y est fait allusion aux réticences de Charles II à l’égard d’un diplomate qui avait frayé avec Cromwell : « [on] me vint déclarer que le Roi d’Angleterre souhaitât d’entretenir bonne correspondance avec ses Voisins, & particulierement avec la France, il ne pouvoit recevoir aucunes lettres par mes mains, à cause que dans le cours de ma negociation [avec Cromwell] j’avois agi contre ses interests, & qu’il desiroit que je sortisse au plutôt d’Angleterre » (p. 238- 239). Certes, dans la suite, et à plusieurs endroits, l’estime dans laquelle le roi <?page no="302"?> 302 Journal Amba ſſ adeur auprés de [326] ce Prince. Le Buffet e ſ toit dre ſſ é dans une Salle qui joint l’antichambre. On ne peut rien ajoûter à la propreté, & au bon ordre que Madame Sanguin avoit mis par tout. Les Appartemens e ſ toient ornez avec un agrément admirable, & que l’on remarque dans tout ce qu’elle fait. M r l’Eve ſ que de Senlis, & M r de Livry firent les honneurs ; mais ce dernier ne lai ſſ a pas d’exercer ſ a Charge de premier Mai ſ tre d’Ho ſ tel 947 . On ſ ervit en [sic] poi ſſ on avec autant d’ordre qu’il y eut de delica [327] te ſſ e & d’abondance. semblait, malgré tout, tenir Bordeaux (p. 248-249), estime qui laisserait prévoir un changement d’attitude et même une audience officielle (p. 252), rien, finalement, ne s’arrange : l’audience de réconciliation envisagée n’eut jamais lieu (p. 252-254). Dans la lettre XXXII du 14 août 1660, Loret mentionne son retour en France, après huit ans de service à une Cour anglaise « maussade » : « Le sieur Prézident de Bordeaux Qu’on tient un de nos bons cerveaux, Ayant, dans une Cour maussade, Agi, huit ans, en Ambassade, Ayant, plusieurs fois, surmonté Mainte étrange difficulté, (Preuve de son Esprit habile) Est de retour, en cette Ville, Où le Roy l’a receu fort bien ; Et l’estimant Homme-de-bien, Pour récompense de sa peine, L’a fait Chancelier de la Reine, Dont il a prêté le serment ; Je le sçay depuis un moment. » (Muze Historique, Livre XI, Lettre Trente-Deux du [samedi] quatorze Aoust 1660, v. 201-214, op. cit., t. III, p. 241). Les « huit ans » se comptent depuis le début de la mission (1652) jusqu’au retour définitif en France, après l’échec des contacts avec Charles II. Un peu plus loin, la lettre XXXVI du 11 septembre 1660 relate la mort prématurée de l’ambassadeur, un mois après son retour : « Après son retour d’Angleterre, Cloton, qui fait à tous la guerre, A si bien joüé des coûteaux Encontre Monsieur de Bordeaux, Qu’il est, par funeste avanture, Depuis trois jours en sepulture ; Son Esprit grand et relevé, De la mort ne l’a point sauvé ; Et comme il servoit nôtre Sire Autant bien qu’il se pouvoit dire, Lecteurs, dizons le de profundis, Pour luy frayer le Paradis. » (Ibid. XI, XXXVI, v. 247-258, p. 244-245). Ici comme ailleurs, aucune allusion n’est faite au cadeau royal des tapisseries. 947 Voir ci-dessus n. 940 Louis Sanguin. <?page no="303"?> 303 Journal Mon ſ eigneur mangea avec le Roy. Les Dames qui eurent l’honneur d’e ſ tre à la Table de Sa Maje ſ té, furent, Madame la Duche ſſ e, Madame d’Armagnac 948 , Madame de Maintenon, Madame de Gramont, Madame Sanguin, Madame de Livry, & Mademoi ſ elle de Sourdis 949 , qui ayant e ſ té élevée chez Madame Sanguin, ne la quitte point depuis long-temps. Les Princes qui avoient ſ uivy Mon ſ eigneur, furent ſ ervis à une autre Table. Celle du Grand [328] Mai ſ tre 950 fut ſ ervie aprés le dîné du Roy. Sa Maje ſ té ſ e retira dans ſ a chambre au ſ ortir de Table. Elle y demeura quelque temps, & partit en ſ uite, aprés avoir fait de grandes honne ſ tetez à Madame Sanguin, à M r de Senlis, & à Madame de 948 Catherine de Neufville-Villeroi, comtesse d’Armagnac (1639-1707). Il s’agit de l’épouse de Louis de Lorraine, comte d’Armagnac, depuis 1658 Grand écuyer de France. Madame d’Armagnac avait eu la fonction de dame du palais de la reine Marie-Thérèse. Exilée en 1668 parce que suspecte d’avoir révélé la liaison du roi avec Madame de Montespan dont les débuts datent de 1667 (voir Saint-Simon, op. cit., t. III, p. 1189 n. 9 ad p. 57), elle rentre en grâce en 1680 (ibid.). Saint-Simon a laissé d’elle un de ses portraits les plus dirimants. S’il lui concède quelques qualités physiques, encore qu’associées à des remarques plus que désobligeantes - « C’était, avec une vilaine taille grosse et courte, la plus belle femme de France jusqu’à sa mort à soixante-huit ans » (op. cit., t. III, p. 57) - si même il semble approuver sa présentation dénuée de toute recherche tout en la ravalant, de ce fait même, au niveau d’une domestique - « [elle était] sans rouge, sans rubans, sans dentelles, sans or ni argent […] vêtue de noir ou de gris en tout temps, en habit troussé comme une espèce de sage-femme » (ibid.) -, il ne lui fait aucune concession sur le chapitre du caractère. Haute, altière, sans esprit, d’un orgueil nobiliaire maladif, tyrannique avec son mari, « [qu’]elle menait […] comme elle voulait » (ibid.), pire qu’une marâtre avec ses enfants. Son fils François-Armand de Lorraine, dans la suite évêque de Bayeux, ne voulant partager avec elle les revenus de ses bénéfices, elle fait tout pour entraver sa carrière, et jusqu’à demander au roi de le faire interner à Saint-Lazare d’où il ne peut s’extraire qu’une fois un arrangement trouvé avac sa mère (ibid., p. 58). Il n’est pas étonnant, alors, qu’à sa mort « elle laissa peu de regrets » (ibid., p. 57). Madame de Sévigné, qui l’évoque à plusieurs reprises, insiste avant tout sur sa beauté, entre autres, dans sa lettre du 15 juin 1688 à Bussy-Rabutin (Correspondance, op. cit., t. III, 342). 949 Les recherches concernant l’identité de ce membre de la célèbre famille Escoubleau de Sourdis n’ont pas été concluantes. On notera que l’éditeur des Mémoires du marquis de Sourches, reproduites ci-dessous, la présente comme « sœur du défunt comte de Sourdis, chef d’escadre » (voir ci-dessous n. 1135), sans que cette précision ait permis de donner plus de détails. De même la consultation des Hommes illustres de l’Orléanais de C. Brainne qui consacre un chapitre aux Escoubleau de Sourdis, n’a pas permis d’aboutir. 950 La charge de grand maître de la Maison du Roi, ou Grand Maître de France (voir ci-dessus n. 601) appartenait à Henry-Jules de Bourbon, Prince de Condé et fils du Grand Condé ; depuis le 25 juillet 1685, son fils Louis III de Bourbon-Condé, dit M. le Duc, l’avait en survivance (voir ci-dessus n. 344). <?page no="304"?> 304 Journal Livry, & leur avoir dit, qu’Elle n’avoit point e ſ té ſ i bien traitée dans tout le Voyage. Quoy que toute la Famille ait part à l’honneur de cette Fe ſ te, on peut dire que Madame Sanguin s’e ſ t attiré beaucoup de loüanges, & d’e ſ ti [329] me, & qu’elle a réu ſſ i dans tout ce que la Cour attendoit d’elle. Ce n’e ſ t pas d’aujourd’huy que la Famille de Bordeaux s’e ſ t di ſ tinguée dans toutes les cho ſ es qui ont regardé le Roy. Ce Prince donna ce jour-là à M r de Ma ſſ igny 951 , l’un de ſ es Ecuyers, cinq cens écus 952 de pen ſ ion. Cette grace qui n’avoit point e ſ té demandée, tomba ſ ur un Sujet d’autant plus e ſ timé de toute la Cour qu’on luy a toujours remarqué un grand attachement pour la per ſ onne de ſ on Prince. Le Roy pa ſſ a [330] l’apré ſ dînée de fort bonne-heure par Paris, au bruit des acclamations du Peuple, & ſ e rendit à Ver ſ ailles, où Mon ſ ieur & Madame l’attendoient. Sa Maje ſ té trouva en y arrivant un nombre infiny de per ſ onnes de la premiere qualite, qui s’y étoient renduës pour la ſ alüer à la de ſ cente de ſ on Caro ſſ e. Plu ſ ieurs Con ſ eillers d’E ſ tat 953 , & Mai ſ tres des 951 L’État de la France de 1687 (op. cit., t. I, p. 281), cite, parmi les ecuyers servant par quartier, pour le mois d’avril, « M. de Massignay, Marc de Cerizay, & Marc de Cerizay de la Goufriére, son fils à survivance ». 952 ~14 175 € . 953 La notion de Conseil d’État reste passablement floue, « tant en raison de peu de précision des attributions des conseils que de la confusion sous un même nom d’éléments assez différents » (Marion, Dictionnaire des Institutions, op. cit., p. 130). On trouvera des détails dans le Dictionnaire des Institutions, cité ci-dessus, ainsi que dans le Dictionnaire de l’Ancien Régime de L. Bély, op. cit., p. 320-325. Si tous les officiers du roi portaient le titre de « conseillers du Roi en ses conseils », les conseillers d’État formaient, parmi eux, un groupe spécial. Le titre qui apparaît sous Henri III avec celui même de Conseil d’État, représentait non une charge ou un office particuliers, mais une dignité réservée à certains membres du Conseil du Roi. Recrutés dans un premier temps parmi les nobles ou les ecclésiastiques, ils le sont depuis Henri IV principalement parmi les gens de robe. Ils siégaient soit régulièrement dans les conseils (conseillers d’État « ordinaires »), dont certains, comme le Conseil des Affaires ou de cabinet, leur étaient fermés sauf faveur exceptionnelle, soit, à partir de Louis XIII, pendant quelques mois de l’année seulement (« semestres »), d’où une augmentation de leur nombre encore favorisée par des procédures libérales de nomination, tout ceci au préjudice du bon fonctionnement des conseils. Aussi Louis XIV s’employa-t-il à porter remède à ces abus, ramenant, par le règlement du 3 janvier 1673, à trente le nombre des conseillers d’État distribués comme suit : dix-huit « ordinaires », trois d’épée, trois d’Église, douze de robe, et douze « semestres », tous choisis dans la robe. Le règlement imposant aux titulaires des offices de judicature de se démettre de ceux-ci pour accéder aux honneurs de conseillers d’État, la plupart des magistrats s’y refusèrent, et les conseillers se recrutèrent pour l’essentiel parmi les maîtres de requêtes (voir note suivante) et les membres du parquet du Parlement de Paris (Bély, op. cit., p. 324-325). <?page no="305"?> 305 Journal Reque ſ tes 954 , eurent au ſſ i cet honneur. Elle monta au ſſ i-to ſ t à l’Appartement de Madame la Dauphine pour voir cette [331] Prince ſſ e, & ſ e promena en ſ uite à pied pendant quatre heures dans les Jardins de Ver ſ ailles. Elle vi ſ ita tous les Ouvrages nouveaux qu’on y avoit faits pendant ſ on ab ſ ence, & vit un fort grand nombre d’Orangers qu’Elle avoit donné ordre de placer dans l’Orangerie, du nombre de ſ quels e ſ toit l’Oranger nommé le Bourbon, qu’on dit avoir environ cinq cens ans 955 . Une ſ i longue promenade à pied au retour d’un Voyage, donna beaucoup de joye à toute la Cour, parce qu’elle [332] e ſ toit 954 Chargés à l’origine d’accueillir les plaintes et requêtes adressées au roi, les maîtres des requêtes, appellation courante depuis de XIV e siècle, avaient conservé le droit de suivre le souverain, à deux, à la messe les dimanches et jours de fête pour recevoir les placets et suppliques qu’on voulait lui adresser. Ils eurent aussi comme attribution de le remplacer dans l’audition et expédition de ces requêtes dans les « plaids de la porte », juridiction qui remontait aux temps de Saint Louis, où quelques familiers du roi recevaient à la porte du palais les requêtes et, après un essai de conciliation, soumettaient l’affaire au roi qui tranchait. Aux XVII e et XVIII e siècles, ils jugeaient souverainement les causes qui leur étaient renvoyées par arrêt du Conseil d’État ; en même temps, ils étaient rapporteurs à ce Conseil et à la direction des finances ; ils pouvaient, en plus, être appelés à assister les ambassadeurs ou les gouverneurs dans les missions qui leur incombaient. Leurs charges étaient vénales : en 1665, un édit les établit à 150 000 puis, vers la fin du règne, à 200 000 livres. Un règlement de 1689 fixa leur nombre à quatre-vingt-huit, mais il alla diminuant dans la suite (voir Marion, Dictionnaire des Institutions, op. cit., p. 358-359 et Bély, Dictionnaire de l’Ancien Régime, op. cit., p. 785-786). 955 Dans le Mercure de France, N° CCCXXXVII du mois de janvier 1808, p. 9, on trouve le renseignement suivant concernant cet oranger célèbre : « La culture de l’oranger, déjà connue en France en 1333, dans nos provinces méridionales, se répandit sous le règne de Henri IV, lorsque ce prince eut fait bâtir une orangerie aux Tuileries. L’oranger nommé le grand Bourbon, que l’on voit encore dans la belle orangerie de Versailles, a environ trois cents ans, et a été pris en 1525 au connétable de Bourbon. » Quant au Voyage de Lister, il se contente d’évoquer d’une façon générale les deux mille caisses d’orangers de Versailles, ajoutant qu’ « on en garde là quelques-uns qui datent de François I ». (Op. cit., p. 185). L’Encyclopédie méthodique / Agriculture, t. VII / Dictionnaire de la Culture des Arbres et de l’Aménagement des Forêts, Paris, Veuve Agasse, 1821, f. 615, col.1, évoque le spécimen - grand Bourbon - sous la rubrique « Bigarradiers » et ajoute le commentaire suivant (n. 1) : « Le type de cette variété existe encore sous ce nom à l’orangerie de Versailles. Il a été semé à Pampelune en 1421, fut confisqué sur le connétable de Bourbon en 1522 : ainsi il a aujourdhui (1823) quatre cent deux ans. Sa hauteur est de vingt pieds [~ 600 cm], & la circonférence de sa tête de quarante-cinq [~ 1350 cm]. C’est sans doute le plus vieux de l’Europe. » Il durait jusqu’en 1895. On notera enfin que le spécimen survit dans la littérature fictionnelle du XXI e siècle. Dans son roman historique Les Orangers de Versailles, A. Pietri, imaginant l’existence d’une jeune fille du peuple attachée au service de Madame de Montespan, l’évoque sous le nom de « Connétable ». <?page no="306"?> 306 Journal une marque de la parfaite ſ anté du Roy. Les 8. M r le Cardinal Nonce 956 , les Amba ſſ adeurs, les Mini ſ tres des Princes Souverains qui ſ ont icy, & la plu ſ part des Chefs des Compagnies ſ uperieures, ſ e trouverent au lever de Sa Maje ſ té, & luy firent compliment ſ ur ſ on heureux retour. Jamais ce Prince ne s’étoit mieux porté, & n’avoit paru de meilleure mine, quoy que pendant le cours du Voyage, il ſ e fu ſ t toûjours expo ſ é à la pou ſſ iere, dont il auroit pû se garantir, ſ i ſ a [333] bonté ne l’eu ſ t porté à vouloir ſ atisfaire à l’empre ſſ ement que les Peuples de la Campagne avoient de le voir ſ ur tout aprés une maladie qui avoit fait paroi ſ tre l’excés de leur amour pour ce Prince. Le jour ſ uivant, la foule continua à ſ on lever, & ce Prince voyant ſ a ſ anté parfaitement rétablie, pui ſ que les fatigues d’un long Voyage ne l’avoient pû alterer recompen ſ a en grand Roy ceux à qui, aprés Dieu & les vœux de ſ es Sujets, il en e ſ toit redevable. Il donna cent mille [334] francs à M Daquin 957 Un jour de congé, Marion visite l’Orangerie : « En cette saison, tous les orangers avaient été transportés à l’extérieur. Tous, sauf le Connétable, qui nécessitait des soins particuliers. Ce très vieil arbre au tronc noueux, aux feuilles larges et foncées, était un héritage du roi François I er . Quel contraste avec les jeunes arbustes devant lesquels Marion s’attarda un moment ! » (Les Orangers de Versailles, Paris, Éditions Montbel, 2009, p. 58). Pour ce qui est de Charles de Bourbon, le Connétable, on sait qu’il était tombé en disgrâce après avoir trahi François I er et s’être rallié à Henri VIII d’Angleterre et à Charles-Quint. 956 Il s’agit d’Angelo Ranuzzi. Voir ci-dessus n. 241. 957 Antoine Daquin (1620 ? -1693). Ce fils d’un Premier Médecin de Catherine de Médicis, puis de Louis XIII, étudia à son tour la médecine à Montpellier, où il fut reçu docteur en 1648. D’abord intendant du Jardin du Roi, il épousa Marguerite Geneviève Gayant, nièce d’Antoine Vallot, alors Premier Médecin de Louis XIV, à qui il succéda en avril 1672. Il se maintint dans cette position privilégiée pendant plus de vingt années grâce, surtout, à de puissantes protections dont celles de Louise de La Vallière et de Madame de Montespan. Ce ne fut que l’arrivée auprès du roi de Madame de Maintenon, en 1691, qui l’obligea de céder la place au célèbre Fagon (voir note suivante) ; Saint-Simon fait de cette disgrâce une relation saisissante (op. cit., t. I, p. 108). On relira aussi la notice de Dangeau, en date du 2 novembre 1696 (op. cit., t. VII, p. 171). Il faut noter aussi qu’Antoine Daquin, abstraction faite des rivalités de Cour, ne faisait pas l’unanimité parmi ses contemporains : Madame de Sévigné, au moment de sa promotion au titre de Premier médecin, engage un vers de Corneille pour le discréditer : « La faveur l’a pu faire autant que le mérite » (Cid, I,7) (Lettre à Madame de Grignan du 22 avril 1672, dans Correspondance, op. cit., t. I, p. 487), Molière, qui lui impute la mort de son fils, l’entreprend sur son attachement à l’antimoine, remède infaillible … pour faire mourir celui à qui on l’administre (Dom Juan, III,1). Voir J.-J. Peumery, Les mandarins du grand siècle, op. cit., p. 52-64. La somme de cent mille francs est confirmée par Dangeau (voir ci-dessous p. 378) et par Sourches (ci-dessous p. 396) qui parle de cent mille livres d’argent, mais on <?page no="307"?> 307 Journal ſ on premier Medecin, quatre-vingt-mille à M Fagon 958 , premier Medecin de la feuë Reyne 959 , en qui il a beaucoup de confiance, & dont la reputation e ſ t ſ olidement établie, & cinquante mille écus à M Felix 960 , ſ on premier sait que les notions de « franc » et de « livre » étaient interchangeables (voir La valeur de la monnaie au XVII e et XVIII e siècle, Société de Généalogie des Cantons de l’Est, novembre 1998). La somme équivaut à 94 500 € . 958 Guy-Crescent Fagon (1638-1718). Ce fils d’un conseiller du roi et commissaire ordinaire des guerres, fait ses études à Paris, où il est reçu docteur en médecine le 9 décembre 1664. Professeur de chimie au Jardin du Roi en 1668, titulaire de la chaire de botanique au Muséum d’Histoire naturelle en 1672, il est, depuis 1668, médecin de la Dauphine, puis Premier médecin de la Reine, enfin, en 1669, médecin des Enfants du roi avant d’accéder, en 1693, aux fonctions de Premier médecin du roi. Cette carrière, fulgurante, s’est faite, il est vrai, sur l’arrière-fond de scandales déclenchés par des rumeurs qui auraient demandé à être authentifiées : Madame Palatine, en particulier, avait accusé ce protégé de Madame de Maintenon, d’avoir « expédié la reine en la béatitude éternelle » (Lettre du 5 novembre 1693, dans Lettres, op. cit., p. 110), histoire de dégager la place auprès du roi, alors que l’opinion générale rendait responsable de ce décès Daquin, le prédécesseur de Fagon (voir note précédente). Pour toute cette polémique autour de la mort de Marie-Thérèse et des responsabilités du corps médical, on relira les témoignages de l’abbé de Choisy et d’Esprit Fléchier dans J.-J. Peumery, op. cit., p. 69-70). La fortune de Fagon, cependant, est définitivement établie en 1686, lorsque, contre l’avis de Daquin, il impose l’opération de la fistule anale du roi, intervention à risque couronnée d’un succès qui fait alors le tour de l’Europe. D’un physique disgracieux, au point que Saint-Simon a pu parler de son corps comme d’une « machine contrefaite et cacochyme » (op. cit., t. VI, p. 626), et Madame Palatine dessiner le plus désobligeant des portraits (le