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Quand les rois meurent

Les journaux de Jacques Antoine et de Jean et François Antoine et autres documents sur la maladie et la mort de Louis XIII et de Louis XIV

0813
2018
978-3-8233-9253-8
978-3-8233-8253-9
Gunter Narr Verlag 
Francis B. Assaf

Dans ce travail, Francis Assaf pose la question si la focalisation sur le corps du roi mort se fait exclusivement sur le corps physique. Il examine de près comment le(s) roi(s) meur(en)t et comment les documents consultés rapportent ce qui se passait aux derniers jours de Louis XIII et de Louis XIV. Nous sommes en présence d'un (double) témoignage, non dépourvu de sentiment, de l'état de santé (irrémédiablement déclinant) du souverain. Les actions et réactions de son entourage sont mises en relief, non sans une certaine acrimonie envers le corps médical, incapable de guérir leur royal patient. Ces journaux, ainsi que les textes secondaires ou complémentaires, constituent certainement des tranches d'histoire, ou plutôt de mythistoire, c'est-à-dire que les événements rapportés tout en étant authentiques, contribuent à créer un mythe, celui du roi dont le corps physique se délabre, se désagrège pour enfin se fragmenter, mais dont l'image, spécialement celle de son corps politique, de sa fonction royale, perdure au-delà de ce que nous disent les politologues.

<?page no="1"?> Quand les rois meurent <?page no="2"?> BIBLIO 17 Volume 217 ∙ 2018 Suppléments aux Papers on French Seventeenth Century Literature Biblio 17 est une série évaluée par un comité de lecture. Biblio 17 is a peer-reviewed series. Collection fondée par Wolfgang Leiner Directeur: Rainer Zaiser <?page no="3"?> Quand les rois meurent Les journaux de Jacques Antoine et de Jean et François Antoine et autres documents sur la maladie et la mort de Louis XIII et de Louis XIV Francis B. Assaf <?page no="4"?> Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Gedruckt auf säurefreiem und alterungsbeständigem Werkdruckpapier. © 2018 · Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG P.O. Box 2567 · D-72015 Tübingen Internet: www.narr.de E-Mail: info@narr.de Printed in Germany ISSN 1434-6397 ISBN 978-3-8233-8253-9 Image de couverture: La pompe funèbre de Louis XIV, surnommé le Grand Roy de France et de Navarre. Source: Gallica. Cote: RESERVE FOL-QB-201-87 Domaine public. Information bibliographique de la Deutsche Nationalbibliothek La Deutsche Nationalbibliothek a répertorié cette publication dans la Deutsche Nationalbibliografie; les données bibliographiques détaillées peuvent être consultées sur Internet à l’adresse http: / / dnb.dnb.de. <?page no="5"?> SOMMAIRE QUAND LES ROIS MEURENT : Première partie : La maladie et la mort de Louis XIII ............................ 1 Les témoins oculaires : le journal de Marie Du Bois/ Jacques Antoine et le mémoire du p. Jacques Dinet, s.j. .....................1 L’apport des mémorialistes................................................................29 Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier : « la Grande Mademoiselle »...........................................................29 Françoise Bertaud de Motteville ....................................................30 Olivier Lefèvre d’Ormesson...........................................................32 Pierre de La Porte ...........................................................................48 Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon .........................................48 Richard Girard de Bury ..................................................................50 Dernière maladie de Louis XIII et spéculations politiques ............52 Reprise du journal de Du Bois/ Antoine et du mémoire du p. Dinet .........................................................................................63 La fin..................................................................................................66 L’autopsie et la mise en bière.........................................................67 La pompe funèbre...........................................................................69 Oraisons et éloges funèbres ............................................................71 Le discours du p. Nicolas de Condé : un absurde qui touche au surréalisme .....................................................................................72 Les oraisons des pp. Doublet et Deslyons : le sacrifice du prince .........................................................................................83 Éloges funèbres laïcs ....................................................................101 François de Grenailles ..................................................................101 Charles Sorel (? )...........................................................................103 Deuxième partie : La maladie et la mort de Louis XIV ...................... 115 Les témoins oculaires : le journal des frères Antoine (Jean et François, fils de Jacques)....................................................115 Regards contemporains ................................................................116 L’apport des mémorialistes ..........................................................117 Dangeau et Saint-Simon...............................................................117 Reprise du journal des frères Antoine .............................................122 La fin................................................................................................169 L’autopsie et la mise en bière.......................................................170 <?page no="6"?> RETRANSCRIPTION DES MANUSCRITS..................................... 175 Le manuscrit de Jacques Antoine ....................................................175 Le manuscrit des frères Antoine (Jean et François).........................216 APPENDICE....................................................................................... 272 Fragments du testament de Louis XIII................................................ 275 TESTAMENT OLOGRAPHE DE LOUIS XIV................................. 278 Premier codicille ..........................................................................283 Deuxième codicille.......................................................................285 Légende de la gravure représentant le cortège funèbre de Louis XIV. ...............................................................................286 DOCUMENTS RELATIFS AUX ANTOINE ................................291 ACTE DE MARIAGE DE JACQUES ANTOINE......................291 Index.................................................................................................... 292 BIBLIOGRAPHIE .............................................................................. 304 Sources.............................................................................................304 Études ..............................................................................................307 <?page no="7"?> QUAND LES ROIS MEURENT AVANT-PROPOS Henri II (1519-1559) et Henri III (1551-1589), puis Henri IV (1153- 1610) sont morts tous trois de mort violente. Les deux Bourbons qui leur succèdent non, mais les maladies qui devaient les emporter respectivement (tuberculose intestinale ou maladie de Crohn pour Louis XIII (1601-1643) et gangrène diabétique pour Louis XIV (1638-1715) se montrèrent tout aussi implacables et leur infligèrent des souffrances prolongées. Dans un précédent ouvrage (La Mort du roi : une thanatographie de Louis XIV, q.v.), nous nous étions donné pour tâche de réfléchir sur la question de la rémanence du corps politique du roi après la mort du corps physique. Pour ce faire, nous avions examiné en détail les oraisons funèbres, puis les pamphlets, respectivement louant les vertus et condamnant les mauvaises actions du Roi-Soleil et ce du point de vue des deux versants du corps du roi : le physique et le politique, à la lumière des travaux des politologues des premiers Temps Modernes : Jean Bodin (1530-1596) (Les Six livres de la république) et, après lui, Charles Loyseau (1566-1627) (Traicté du droit des offices), Cardin Le Bret (1558-1655) (De la souveraineté du Roy) et d’autres offrant une perspective plus religieuse, comme Philippe Fortin de La Hoguette (1586-1668) (Catéchisme royal) et l’oratorien Jean-François Senault (1599/ 1604-1672) (Le Monarque, ou les devoirs du souverain). Leurs prédécesseurs médiévaux n’ont pas été négligés non plus, comme, entre autres, Jean de Salisbury (c. 1115-1180) (le Policraticus) ou Jean de Terrevermeille (c. 1370-1430) (les Tractatus). Mais c’est Ernst Kantorowicz (1895-1963) (Les Deux corps du roi) qui nous a fourni une base à la fois historique et théorique pour arriver à discerner comment fonctionne ce double corps dans le cadre de la monarchie française, lequel double corps est bien moins aisé à distinguer que dans le contexte anglais, où le corps politique du roi est défini par son conseil, selon Henry de Bracton (c. 1210-c. 1268) (On the Laws and Customs of England) et donc moins absolutiste dans son exercice de la souveraineté que dans la monarchie française, au moins jusqu’à la fin du règne de Louis XIV. Les <?page no="8"?> FRANCIS ASSAF viii travaux de Louis Marin (1931-1992) (Le Portrait du roi) et de Jean-Marie Apostolidès (1943-) (Le Roi-machine et Le Prince sacrifié) nous ont été également d’une très grande utilité, aussi bien pour La Mort du roi que pour le présent travail. Bien sûr, le roi de France reste un monarque absolu - en théorie - jusqu’à la Révolution, mais en pratique cet absolutisme est progressivement « grignoté » même avant la mort de Louis XIV par des circonstances à la fois sociales, économiques, historiques et personnelles, ainsi que nous pouvons le voir non seulement dans les ouvrages de Nicole Ferrier- Caverivière (1945-) (Le Grand Roi à l’aube des Lumières), Jay Caplan (1946-) (The King’s Wake : Post-Absolutist Culture in France, q.v.) et Joël Cornette (1949-) (La Mort de Louis XIV), mais certainement aussi dans les Mémoires de Saint-Simon (1675-1755). En fait, nous avions noté indépendamment ces limitations pratiques de l’absolutisme dans La Mort du roi, mais surtout d’un point de vue théorique. Par manière de comparaison, ni Louis XV (1710-1774) ni Louis XVI (1754-1793) n’avaient l’envergure de leur ancêtre ou son inébranlable conviction de la légitimité de son « métier de roi » et sa volonté de l’exercer jusqu’à son dernier soupir. Mais dans le cas de Louis XIII et de Louis XIV, le corps politique passe-t-il vraiment et totalement au successeur à la mort du monarque ? Les politologues répondront oui : « le mort saisit le vif ». Mais dans les cas qui nous occupent, la focalisation sur le corps du roi mort se fait-elle exclusivement sur le corps physique ? À travers les manuscrits (Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque municipale de Saint-Germain-en-Laye, Bibliothèque municipale de Caen) dont nous avons tenté une lecture détaillée, il nous a apparu que la rémanence du corps politique du monarque défunt demeure, au moins pour quelque temps. Peut-être est-ce parce que les deuxième et troisième Bourbons sont montés sur le trône dans leur minorité, nécessitant donc une régence, encore que les documents consultés ne semblent pas confirmer cela de manière péremptoire. Il est vrai que cette rémanence est de peu de durée, mais elle n’en constitue pas moins un état de conscience qui règne dans l’entourage du roi défunt, y compris et surtout chez ses serviteurs et ses familiers. <?page no="9"?> QUAND LES ROIS MEURENT ix Notre travail s’appuie (jusqu’à un certain point) sur notre précédent ouvrage La Mort du roi (q.v.), tout en tâchant consciemment de s’en distancier pour examiner de près comment le(s) roi(s) meur(en)t et comment les travaux des mémorialistes et surtout les journaux de Jacques Antoine (1596- 1677) 1 , puis de ses fils, Jean (1642-1724) et François († 1726) 2 , rapportent ce qui se passait (le père garçon de chambre et porte-arquebuse de Louis XIII et de Louis XIV et les fils exerçant les mêmes fonctions auprès de ce dernier). Il ne s’agit pas d’une simple chronique sèche et exclusivement factuelle, mais d’un (double) témoignage, non dépourvu de sentiment, de l’état de santé (irrémédiablement déclinant) du souverain. Les actions et réactions de son entourage, proche ou plus éloigné : courtisans, aumôniers, confesseurs, sont passées en revue (sans jamais porter de jugement). Celles des médecins, toutefois, dont l’impuissance - couplée à une incompétence née d’un assujettissement aveugle à la hiérarchie, à la routine et certainement au respect inconditionnel d’Hippocrate (c. 460-c. 370) et de Galien (129-c. 216), surtout dans le cas de Louis XIV, mais certainement pas absentes de celui de Louis XIII - sont mises en relief, non sans une certaine acrimonie pour ce dernier contre le corps médical et, pour ce qui est de son fils, une rage rentrée de la part de ses garçons de chambre. Elle contraste bien avec le mélange de résignation et de courtoisie de leur maître. Ces journaux, ainsi que les textes secondaires ou complémentaires, constituent certainement des tranches d’histoire, ou plutôt de mythistoire, c’està-dire que les événements rapportés tout en étant authentiques, contribuent à créer un mythe, celui du roi dont le corps physique se délabre, se désagrège pour enfin se fragmenter (le cœur ici, les entrailles là, etc.), mais dont l’image, spécialement celle de son corps politique, de sa fonction royale, 1 Ce sont les dates que donnent Édouard Drumont (et Alexandre Maral), mais le fragment ci-dessous et d’autres pièces impliqueraient que la période 1635-1716 serait plus exacte. 2 Bien que le manuscrit BnF du journal de la maladie et de la mort de Louis XIV porte la mention « par Antoine laisné », une tradition bien établie attribue la paternité du texte aux deux frères. Elle est reprise par A. Maral dans sa réédition du journal par Édouard Drumont. Le manuscrit conservé à la bibliothèque municipale de Caen (cote : in-Folio 49), porte au bas de la page de titre « fait & dressé par les S rs Anthoine ». <?page no="10"?> FRANCIS ASSAF x perdure au-delà de ce que nous disent les politologues. L’authenticité des événements et des sentiments rapportés ne fait aucun doute, mais il est difficile de ne pas les voir comme une mise en fiction de la maladie du souverain, à de nombreux niveaux. Prenons par exemple l’accompagnement indispensable de ce processus pathologique : les traitements aussi répétitifs qu’inefficaces que font subir les médecins à leur royal patient. On est frappé, au fil des pages, par cette répétitivité, cette nature cyclique du geste médical qui en fait ne débouche sur rien, sinon le constat d’une déchéance physique progressive, la mort s’imposant - comme dans la tragédie - en inéluctable dénouement. Ce dernier événement est le seul, dans cette « chronique d’une mort annoncée » (pour emprunter le titre de Gabriel García Márquez - 1927- 2014) qui ne soit pas mis en fiction, car le passage de vie à trépas s’effectue en un instant. Mais, paradoxalement, ce n’est pas la mort en elle-même qui justifie lecture et/ ou analyse, puisqu’on sait d’avance qu’elle est l’aboutissement de ces textes. Le processus qui mène à ce point final, le récit jour par jour des améliorations passagères, suivies par des rechutes de plus en plus graves, et les différentes perspectives des membres de l’entourage du roi, voilà où gît l’intérêt de cette lecture. Dans le cas de Louis XIII, le journal de Marie Du Bois, recopié par Jacques Antoine et le mémoire du p. Jacques Dinet, s.j. (1584-1653), confesseur du roi (L’Idée d’une mort chrétienne, q.v., édité par le p. Antoine Girard, s.j. 1604-1679) forment un contraste marqué : non seulement ce dernier se concentre sur la « mort chrétienne » du roi, mais il semble ne manifester aucune compassion, voire aucune conscience des souffrances physiques du malade. Le corps devient plutôt un obstacle au salut de l’âme - et ne reconnaît-on pas là une mentalité qui a informé l’attitude de l’Église pendant des siècles ? Pour ce qui est de Louis XIV, nous ne connaissons pas de texte équivalant au mémoire du p. Dinet. Les attitudes et paroles des ecclésiastiques entourant le Roi-Soleil dans son agonie ne se discernent qu’à travers le journal des frères Antoine et dans les mémoires de Saint-Simon (1675-1755). Du p. Michel Le Tellier, s.j. (1643-1719), confesseur du roi et plus soucieux de la distribution des bénéfices que du bien-être spirituel de son pénitent, on ne voit que l’odieux, sur lequel s’étale Saint- <?page no="11"?> QUAND LES ROIS MEURENT xi Simon, et à raison, pensons-nous. On pourra consulter La Mort du roi pour voir dans les pamphlets contre Louis XIV à quel point ce jésuite était haï du public (en pleine connaissance de cause ou par association avec un monarque également détesté, la question mérite d’être posée). Les évêques et autres ecclésiastiques semblent plus soucieux d’accomplir des fonctions rituelles que d’apporter un soulagement spirituel au monarque mourant (lequel ne semble guère en manifester d’ailleurs le désir ou le besoin - en cela il semble plus sûr de son salut que son père). On ne peut que spéculer ici, mais le seul qui eût pu se soucier réellement du salut éternel du roi aurait été l’archevêque de Paris, le cardinal Louis-Antoine de Noailles (1651-1729), malheureusement interdit de paraître à la Cour par ce même Louis XIV à partir de février 1714, pour son refus de la Bulle Unigenitus, qu’il ne devait accepter inconditionnellement que fin 1728, deux mois avant sa mort. De toute façon, Noailles ne joue presque aucun rôle dans le psychodrame de la maladie et de la mort de Louis XIV : même avant février 1714, les Antoine ne le montrent pas à Versailles. L’ouvrage de l’historien Mathieu Da Vinha Les Valets de chambre de Louis XIV (q.v.) fournit des renseignements très détaillés et abondants sur la foule de serviteurs, commensaux et familiers de Louis XIII et de Louis XIV : valets de chambre, garçons de chambre, barbiers, perruquiers, médecins, chirurgiens, sans exclure les figures plus en vue (et plus connues du public) : ministres, secrétaires d’État, dames de la Cour, peignant ainsi un tableau aussi vaste que complexe des personnages entourant les deuxième et troisième Bourbons, de leurs parcours respectifs et de leurs rapports entre eux. Nombre d’officiers de haut rang et d’aristocrates figurent en bonne place dans les deux journaux (ainsi que de plusieurs serviteurs également présents dans l’ouvrage de M. Da Vinha). On ne les voit - et c’est normal - que dans des rôles de subalternes et d’exécutants par rapport au souverain, même lorsque celui-ci est au plus mal. Pour comprendre la fonction et la prééminence du corps politique du roi, il suffit d’observer ces deux psychodrames - à Saint-Germain ou à Versailles. Et comment pourrait-il en être autrement ? <?page no="12"?> FRANCIS ASSAF xii Même Saint-Simon, qui fait voir dans ses Mémoires à quel point il est conscient des limites à l’exercice de l’absolutisme, tâche pour chaque mention de ces limites de compenser par une explication, une excuse, voire un fauxfuyant. D’instinct, il embrasse l’absolutisme - en tant que principe - c’està-dire le corps politique du roi, tout en faisant voir ce qui le circonscrit, le limite, le dégrade même. On ne constate pas cela, toutefois, chez les Antoine, exclusivement dévoués à leur maître en tant qu’homme et ROI. Il faut le reconnaître : dans une certaine mesure, les Antoine, père et fils, sont placés en porte-à-faux, à la fois par rapport aux événements dont ils font la chronique et aux membres de l’entourage de leurs rois respectifs. Leur extrême discrétion quant au comportement des membres de la Cour assistant à l’agonie de l’un ou l’autre Louis prive le lecteur de l’opinion qu’ils pouvaient avoir (sauf dans le cas des médecins). Comme ces journaux étaient censés être distribués (sous forme manuscrite) à certains membres de la Cour, on peut comprendre ces réticences. Les mémorialistes et les historiens avaient leurs propres perspectives et préoccupations, même Philippe de Courcillon, marquis de Dangeau (1638-1720), intime de Louis XIV, qui semble prendre ses distances et éviter un regard trop attaché sur l’agonie du roi. En dépit de l’étroite focalisation que l’on constate à la lecture de ces journaux, ils constituent des documents uniques, car ils nous introduisent dans l’intimité des deux monarques à un moment particulièrement pénible et crucial de leurs règnes respectifs : la mort qui approche sans qu’il y ait moyen d’en enrayer le processus et, dans l’esprit du lecteur, les problèmes que pose la succession, qui revient chaque fois à un enfant de cinq ans, mais dans le cas du petit Louis XV à un orphelin de père et de mère, confié à la garde (d’ailleurs fidèle) de son oncle le Régent, Philippe II d’Orléans (1674-1723). Le roi est mort, vive le roi. L’Histoire prendra la relève. <?page no="13"?> Première partie : La maladie et la mort de Louis XIII Les témoins oculaires : le journal de Marie Du Bois/ Jacques Antoine et le mémoire du p. Jacques Dinet, s.j. Né en 1601, Louis XIII mourut le 14 mai 1643 au Château-Neuf de Saint-Germain 3 . Pour nous informer en détail sur cette mort et la longue agonie qui la précède, nous avons plusieurs sources contemporaines, dont deux au moins sont de prime importance : son valet de chambre, Marie Du Bois (1601-1679) 4 , tint un journal très exact des événements à partir du 21 février de cette année et jusqu’au 15 mai, le lendemain de la mort du roi et jour de l’autopsie (opération qui devait être pratiquée sur tous les membres de la famille royale). Les manuscrits que nous avons consultés sont conservés à la Bibliothèque nationale de France (cotes FR 6993 5 et NAF-5012). Ce dernier manuscrit n’est pas l’original, mais une transcription assez tardive, effectuée vers 1728. Elle comprend le journal transcrit par Jacques Antoine 6 , garçon 3 Commencé sous le règne de Henri II en 1556, il a été terminé sous celui de Henri IV en 1598. Il a été presque entièrement démoli en 1777. Il n’en reste que les terrasses et le pavillon Henri-IV, restauré et agrandi en 1825. Aujourd’hui c’est un hôtel-restaurant de luxe. 4 Marie Du Bois, sieur de Lestourmière et du Poirier, gentilhomme servant du roi (vide infra). 5 Nous nous référerons à ce manuscrit soit comme celui de Du Bois, soit comme celui d’Antoine (père) 6 Le nom s’épelle « Antoine » ou « Anthoine », selon plusieurs pièces fournies par M. Bernard Trinquand, descendant des Antoine (v. appendice). Une pièce aux Archives nationales mentionne la nomination de « Jean Antoine » comme porte-arquebuse du Roi en 1690, confirmant l’orthographe que nous privilégions ici. <?page no="14"?> FRANCIS ASSAF 2 de chambre et porte-arquebuse de Louis XIII, puis de Louis XIV 7 , plus celui de ses fils, Jean et François. La partie consacrée à Louis XIII se termine sur l’épitaphe (en latin) du roi (infra), dont on donnera deux versions, qui varient légèrement l’une par rapport à l’autre. Le manuscrit conservé à la bibliothèque municipale de Saint-Germainen-Laye (Cote : R. 10162), attribué à Jacques Antoine (infra) et long de plus de 300 folios, comporte une copie du journal de Marie Du Bois aux folios 107 à 134. Nous en reparlerons. Le manuscrit BnF (cote FR 15644), est un fragment du ms. NAF-5012, contenant le journal de la maladie et de la mort de Louis XIV. Bien entendu il est de la même main, après le 1 er septembre 1715, avec une dédicace au Régent 8 . On a mentionné plus haut le manuscrit FR-6993. Ajoutons le manuscrit conservé à la bibliothèque municipale de Caen sous la cote « In-Folio 49 » (q.v.) et qui orthographie les noms des garçons de chambre « Anthoine » (tous les autres manuscrits orthographient le nom « Antoine »). C’est sur ce manuscrit que s’est basé vraisemblablement Édouard Drumont 9 pour son édition de 1880 10 . Le texte du manuscrit de Caen est essentiellement le même que celui du NAF-5012, encore que la main diffère considérablement. Il conviendrait d’ouvrir ici une parenthèse pour informer le lecteur sur les rédacteurs de ces journaux. Qui était Marie Du Bois ? Qui étaient les Antoine ? Ces derniers étaient de père en fils porte-arquebuse du roi. Jacques Antoine le devient en 1614 pour Louis XIII. L’article d’Yvonne Bezard 7 Ses fils, Jean et François Antoine, serviront de garçons de chambre et porte-arquebuse de Louis XIV et rédigeront à leur tour le journal de la maladie et de la mort du roi en 1715. 8 Françoise Hildesheimer (1949-) l’identifie comme étant l’œuvre de Du Bois (374). En fait, le ms. porte bien la mention qu’il est d’Antoine (Jacques, retranscrit par Jean). F° 209. 9 Antisémite notoire, il est l’auteur de La France juive (1886) et du Testament d’un antisémite (1891). L’année précédente il avait fondé la « Ligue antisémitique de France ». Monarchiste acharné. Pour des raisons de conscience, nous nous refusons à le citer dans notre travail. 10 La Mort de Louis XIV. Paris : À. Quantin, 1880. Nous avons choisi de ne pas consulter son introduction pour ce travail, à la fois pour son manque d’objectivité historique et pour des raisons de conscience. <?page no="15"?> QUAND LES ROIS MEURENT 3 (q.v.) donne des précisions sur son lieu de naissance, mais n’en indique pas la date. Il aurait vu le jour non loin de Rethel (aujourd’hui dans le département des Ardennes). Dans ses mémoires, Mme de Motteville (infra) note qu’il avait la charge de garçon de la Chambre du Roi, puis celle des « petits chiens de la Chambre du Roi » (Bezard 143-144). Elle mentionne que Jean, fils de Jacques (1642-1724), achète le 15 novembre 1677 à M r . de Saint- Hilaire (c. 1652-1740) 11 la charge de porte-arquebuse pour vingt-cinq mille livres ; François demeure garçon de la Chambre jusqu’en 1700, date à laquelle il acquiert lui aussi la charge de porte-arquebuse (Bezard 144). Citant L’État de la France de 1665, elle présente ainsi les fonctions des garçons de chambre : [Ils] sont toujours dans la Chambre pour recevoir l’ordre du Roy ou de leurs supérieurs, pour aller avertir M.M. du Conseil, faire apporter le déjeuner du Roy et son habillement. Ils ont soin de la cire de la Chambre, et les matins ils ouvrent la porte de la Chambre, avant que les huissiers y soient. Ils ont leur part aux serments de fidélité que les Gouverneurs des Provinces et les Grands Officiers de la Couronne font dans la Chambre entre les mains du Roy (146). De même, la fonction des porte-arquebuse 12 : Aux deux porte-arquebuse étaient confiés la garde et l’entretien des armes royales. L’État de la France de 1698 nous apprend que le Roi avait « deux porte-arquebuses servans par semestre, qui ont 1.100 1. païées par le Thrésorier des Menus, tant pour leurs gages que pour la fourniture de poudre et plomb pour la chasse avec 300 1. de récompense païées au Trésor Roïal. » Les fusils, pistolets et autres armes de chasse leur appartiennent quand le Roi ne s’en sert plus. Ils ont bouche à la Cour, à la table dite des Valets de Chambre (147). 11 Commandant de l’artillerie et mémorialiste. Voir dans l’Appendice la pièce provenant des Archives nationales. 12 Le titre subsiste, même après que cette arme archaïque a été remplacée par le fusil et le mousquet. <?page no="16"?> FRANCIS ASSAF 4 Il semble bien que Marie Du Bois n’ait donné que le journal de la maladie et de la mort de Louis XIII. Ses mémoires imprimés (Moi, Marie Du Bois, gentilhomme vendômois, valet de chambre de Louis XIV) 13 ne commencent qu’en l’année 1647 et vont jusqu’en 1671. Nous savons qu’il était Premier Valet de Chambre de Louis XIII avant de passer au service de Louis XIV. Nous donnons dans l’appendice un organigramme de la Chambre de Louis XIII , établi selon les renseignements de l’article d’Y. Bezard, pour fournir une idée de la complexité et du nombre de ceux qui servaient le roi en proximité. Les deux mss. portent en guise de frontispice la reproduction d’une gravure de Louis XIII par Jean Morin 14 , copiée sur le portrait en pied, réalisé par un peintre anonyme de l’école de Philippe de Champaigne vers 1639 (Marin, q.v. Pl. X) On peut noter quelques différences : sur la gravure, les festons du col de dentelle sont un peu plus prononcés et le drapé de l’écharpe est différent. La draperie qui forme une partie du fond du tableau manque également (infra). Ce n’est donc pas une copie servile, mais une réinterprétation, encore que très fidèle, du tableau d’après le maître (ou ses élèves). Le portrait dans la gravure est sis dans un cadre octogonal, portant cette inscription : « LOUIS XIII PAR LA GRACE DE DIEU TRES CHRESTIEN ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE ». Sous le portrait, cette inscription, que nous reproduisons verbatim : « Le Roy Louis 13 e , sur nommé le juste pour les Rarres et grand Vertus chretiennes, ayant fait Pendant son glorieux regne sa principalles residence dans les chasteaux de S t . germain en laye y ayant fait Plusieurs declarations Edits arrests traitée et autres actes cõsern t . les interrest de la Religion, et de son Royau e . jusqu’a son deces arrivé au chasteau neuf dudit Lieu le 14 e . may 1643, ainsy qu’il sera fait mention Cy après. » 13 Texte imprimé, présenté par François Lebrun. Rennes : Éditions Apogée, 1994. 14 Naît entre 1605 et 1609 et meurt en 1650, il fréquentait l’atelier de Philippe de Champaigne. Environ la moitié de son œuvre consiste en reproductions gravées des tableaux de ce dernier. La gravure porte au bas cette inscription : « Ph. De Champaigne pinx … J. Morin fecit cum priu Regis ». <?page no="17"?> QUAND LES ROIS MEURENT 5 Cette juxtaposition donne à penser. Toute représentation est une mise en fiction ; on pourrait considérer celle de Philippe de Champaigne comme une au premier degré. Est-ce un travail pris sur le vif ? Il semblerait que non, s’il a été peint par un élève du maître : on a du mal à s’imaginer le roi posant pour quelqu’un de moins illustre que Champaigne lui-même. Quoi qu’il en soit, la gravure de Morin, puis sa reproduction dans les manuscrits seraient donc respectivement des mises en fiction aux second et troisième degrés, s’éloignant de plus en plus de la véritable figure du souverain souffrant dans son corps physique, tout en servant, paradoxalement, à le représenter en majesté (c’est-àdire dans son corps politique) alors qu’il agonise. Dans son ouvrage sur Philippe de Champaigne, Louis Marin se livre à une réflexion à partir de ce portrait : Sous le voile de la tristesse et la lassitude qui s’y lisent d’abord et immédiatement, et à la faveur de ce « repos » ou de cette « retraite » du chef de guerre qui avait dû faire front, acte après acte, à ses ennemis intérieurs et extérieurs, de cette apparence et de cette posture, monte au regard, des profondeurs, un état d’être, dans l’actualité de sa présence, « immuable, invariable, subsistante et personnelle » […] (143). On reviendra sur l’apparente tautologie de l’expression « un état d’être » (en existe-t-il de non-être ? ) mais retenons pour le moment le commentaire sur l’impression que donne le portrait 15 , cinq ans avant la mort du roi, et que 15 Dresser la liste de tous les portraits de Louis XIII conservés à la BnF serait beaucoup trop long et peu en rapport avec notre propos. Il suffit simplement de mentionner que <?page no="18"?> FRANCIS ASSAF 6 transmet la gravure de J. Morin telle qu’elle est reprise dans les manuscrits. Autrement dit, ce que cherche à exprimer cette gravure, c’est la rémanence du corps politique du roi, au moment même où le corps physique s’apprête à disparaître progressivement, au cours de la longue agonie qui, du 22 février au 15 mai, va le dissoudre. Pour en revenir aux documents chroniquant la maladie et la mort de Louis XIII, en 1656 le p. Antoine Girard, s.j., rassemble les notes et mémoires rédigés par le confesseur du roi, le p. Jacques Dinet, s.j. et les publie sous le titre L’Idée d’une belle mort ou d’une mort chrestienne dans le récit de la fin heureuse de Louis XIII, surnommé le juste, Roy de France et de Navarre, etc 16 . Comme nous l’avons dit au début de ce travail, les récits de la maladie et de la mort de Louis XIII consistent donc en sources manuscrites et imprimées chroniquant les derniers mois de la vie du roi. On peut dire que les beaucoup d’entre eux sont peu ressemblants et ne semblent pas avoir été exécutés d’après nature. 16 BnF Imprimés LB36-3350. <?page no="19"?> QUAND LES ROIS MEURENT 7 manuscrits constituent le versant laïc de cette chronique, alors que l’ouvrage du p. Dinet en représente le versant religieux. Nous verrons que les premiers omettent quasi-totalement toute allusion ou référence à la ferveur religieuse du roi, si profonde qu’elle ait été par ailleurs. Ils ne traitent que très succinctement de ses activités politiques durant sa dernière maladie, ce qui a pour effet de focaliser l’attention du lecteur presque exclusivement sur le corps physique, encore qu’ils mentionnent que Louis XIII confie la régence à Anne d’Autriche (1601-1666), sans entrer dans trop de détails. Pour avoir un aperçu plus clair de tout ce qui se passait au point de vue politique à Paris durant cette dernière maladie, on doit consulter le journal d’Olivier Lefèvre 17 d’Ormesson (1616-1686) 18 , paru sous forme imprimée en deux tomes en 1860, édité par Pierre-Adolphe Chéruel (1809-1891). Nous en avons examiné la partie qui recouvre la période allant de février à mai 1643, laquelle occupe les pages 13 à 78 du Tome Premier (infra). Là, la maladie et la mort de Louis XIII en tant qu’événement principal s’estompent et ne constituent plus qu’une toile de fond. Le roi devient une figure floue, lointaine, alors que les intrigues politiques qui continuent de se nouer à Paris occupent le premier plan. On pourrait parler de versant politique de cette mort, dans la mesure où son imminence « change la donne » et cause des permutations dans les différents jeux d’équilibres entre Parlement, pouvoir exécutif et hiérarchie nobiliaire. Nous avons enfin l’Histoire de la vie de Louis XIII roi de France et de Navarre, de Richard Girard de Bury 19 (1730 ? -1794 ? ) en quatre tomes (q.v.). 17 L’orthographe varie : Lefèvre, Le Fèvre, Lefebvre, etc. Nous privilégions « Lefèvre », vu que c’est celle qu’emploie P.-A. Chéruel pour son édition. 18 Olivier III Lefèvre d’Ormesson. Maître des requêtes, puis intendant de généralité. Sa renommée fut établie surtout par le procès de Nicolas Fouquet. Voir Dictionnaire des lettres françaises-XVII e siècle 952-953. 19 La notice biographique que donne de lui la Biographie universelle, ancienne et moderne (T. 6, p. 217-218) n’est guère élogieuse, citant les démêlés qu’il eut avec Voltaire (1694-1778) et Grimm (1723-1807) pour son Histoire de la vie de Henri IV (Paris, 1765) et d’autres de ses ouvrages, auxquels l’auteur du Siècle de Louis XIV reprochait leur maladresse et leur banalité. La notice mentionne l’Histoire de la vie de Louis XIII mais sans aucun commentaire. <?page no="20"?> FRANCIS ASSAF 8 L’ouvrage date de 1768. Il traite de la maladie et de la mort de Louis XIII au Tome IV, à partir de la p. 333. On ne saurait vraiment parler ici de journal de maladie, mais l’ouvrage offre un complément d’information à celui d’Olivier Lefèvre d’Ormesson concernant les actions du corps politique de Louis XIII dans ses derniers mois. La relation de Jean (et François ? ) Antoine, postérieure à 1715), reprend, pour la partie consacrée à Louis XIII, le manuscrit d’Antoine père (Jacques), qui lui-même n’est vraisemblablement pas identique au mémoire de Du Bois (nous n’avons que la copie ; il n’est donc pas possible de savoir si elle est totalement conforme). La transcription des Antoine fils n’est pas absolument identique non plus à celle de leur père. Tout en demeurant essentiellement la même, elle offre cependant quelques différences de vocabulaire, de style et de structure, à commencer par l’adjonction d’un avant-propos dans lequel le(s) rédacteur(s) évoque(nt) la présence de son/ leur père aux côtés de Louis XIII. Cet avant-propos, qui ne fait aucune mention de Du Bois, a pour effet de rendre les Antoine non seulement « propriétaires » de la maladie et de la mort de Louis XIII, pour ainsi dire, mais aussi de privilégier la présence d’Antoine père. La notion de plagiat serait peut-être anachronique, mais il est plausible qu’une rivalité existait entre Du Bois, membre de l’aristocratie, et Antoine, simple roturier. Quoi qu’il en soit, en voici la transcription exacte, respectant l’orthographe et la ponctuation (avec suppression des ligatures pour la clarté du texte) : Il sera rémarqué que Monsieur Antoine qui a fait la Rélation ou le récit fidel de ce qui s’est passé pend t . la dernière maladie et mort du tres Glorieux et chrétien Roy Louis Treize d’heureuse Mémoire, lequel a eu l’honneur de servir ce grand Roy presqu’aussytost sa Naissance arrivée a Fontainebleau le 27 e de septembre delannée 1601. L’ayant toujours servy et suivi dans tous les lieux et voyages que Sa Majesté a faits dans tout son Royaume en qualité de Garçon ordinaire de sa chambre ; principallement dans celuy de son mariage qui fut conclu avec la reyne anne dautriche Infante d’Espagne en la ville de Bourdeaux le 25 e jour de Novembre 1610 comme dans les guerres que le Roy avoit a soutenir contre des villes révoltées par des Réligionnaires de la prétendue réformée qu’il fut obligé d’assieger comme St. Jean Dangelly en 1621. Celuy de La Rochelle en 1628. Demontauban en 1630. Et bien d’autres places <?page no="21"?> QUAND LES ROIS MEURENT 9 que Sa Majesté reduisit a son obeissance, ensuite Elle fut obligée de faire le voyage de la Ville de Thoulouse pour le proces qui fut fait a Monsieur le maréchal demontmorency lequel fut Executé dans l’hostel de cette ville le 31 octobre 1631. Ledit sieur Antoine ayant toujours continué de servir ce grand prince avec assiduité et fidélité jusqu’à son deceds arrivé au chasteau Neuf de St. Germain en laye le 14 e de May 1643 feste de l’assencion de Nôtre Seigneur agé de 41 ans sept mois et dix-huit jours, ayant regné 33 ans, en ayant esté lun des tristes Témoins ce qui la obligé, de faire ce récit tant pour sa consolation que pour éterniser la mémoire a la posterité de ce grand et pieux Roy, sur Nommé Louis Le juste ; […]. I N MEMORIA ÆTERNA ERIT I USTUS Les dernières lignes, comme les premières, font état du manuscrit 15644 étant donné que la copie du texte de Du Bois porte bien pour titre ce qu’on peut voir dans l’image de la première page du Ms. FR-6993. Cela ne peut signifier qu’une chose : les Antoine fils ont voulu supplanter le mémoire de Du Bois en recopiant celui de leur père. Comparons le début de chacun des deux manuscrits : Du Bois/ Antoine, recopié par Jacques Antoine (Ms. FR 6993) Le Jeudy 21 e jour de Fevrier 1643, le Roy Louis XIII. d’heureuse mémoire, dit le Juste pour ses rares vertus, tomba malade dans son Chasteau neuf de St. Germain en Laye, où il faisoit sa demeure ordinaire tous les Estez, d’un Flux comme hepatique, avec une, espéce de Fiévre lente, qui ne le quitta point jusqu’a la mort, qui d’abord ne paroissoit pas dangereuse, ny mortelle; au jugement des Medecins qui ont accoustoumé de flatter toujours les Grands […]. Jean et François Antoine (Mss. FR-15644 & NAF-5012) Lejeudy 21 e fevrier 1643 Le Roy Louis Treize d’heureuse mémoire a qui ses rares vertus ont fait donner le nom de Juste tomba malade d’un flux comme hépatique et d’une espece de fievre lente, dans son château neuf de St. Germain enlaye ou il demeuroit ordinairement les Estées. Cette maladie qui ne le quitta point jusqu’à la mort nonobstant qu’elle ne fut jugée d’abord dangereuse ny mortelle par les médecins qui ont accoutumé de flatter les Grands Roys et Princes […] <?page no="22"?> FRANCIS ASSAF 10 Du Bois commence son journal au jeudi 21 février 1643. Le roi est pris d’un « flux comme hépatique », avec « une espece de fievre lente ». Dès le premier paragraphe, l’auteur annonce à la fois son manque de confiance dans les médecins (on verra que Jean et François Antoine expriment le même sentiment que leur père avait pour Louis XIII vis-à-vis des médecins de Louis XIV) et dans l’évolution de la maladie). Notons cependant que dans les débuts, Louis XIII maintenait un rythme d’activités à peu près normal, comme le fait remarquer le Ms. FR-6993 : Sa Majesté […] dans cet espace de temps ne laissoit pas d’avoir de bons intervalles de Santé, travaillant à son Conseil, allant à la Chasse au vol, et à la promenade dans sa Forest, et faisoit les mesmes exercices qu’en pleine Santé (f° 3). Le roi avait toujours été passionné de chasse, d’équitation et d’autres activités de plein air, ainsi que le fait remarquer l’historien Jean-Christian Petitfils (1944-) (Louis XIII 548). À Saint-Germain ou à Versailles, il aimait chevaucher seul 20 . L’historien fait aussi remarquer (549 ss) que la Cour était aussi nomade que le souverain (comme de tout temps), se déplaçant avec celui-ci au gré des saisons (ou de ses caprices). Il n’est donc pas surprenant que, séjournant au Château-Neuf de Saint-Germain, le roi ait fait venir le Conseil avec lui. Le cours irrégulier au début de la maladie se fait voir dans les remarques des jours suivants : le roi se sent trop mal pour se lever le 22 ; il passe la matinée au lit, même si le soir il reçoit des visiteurs dans sa galerie. Le lendemain, et jusqu’au mardi 26, son état s’est amélioré au point qu’il tient conseil et déclare le duc d’Enghien (Louis II de Bourbon-Condé, dit le Grand Condé 1621-1686) 21 général (à titre honorifique) de l’armée des Flandres. Il 20 Le chapitre XVI de la biographie de J.-Ch. Petitfils constitue un tour d’horizon très complet de la vie quotidienne de Louis XIII, ainsi que de la Cour, de Paris et de la culture de l’époque. 21 Voir l’excellent article de Jean-François Solnon in Bluche 380-383. Notons que le 19 mai, Condé remporte la bataille de Rocroi sur les Espagnols (à propos de laquelle Louis XIII aurait eu une vision peu avant sa mort). Il existe de lui plusieurs biographies, dont la <?page no="23"?> QUAND LES ROIS MEURENT 11 va chasser, mais en carrosse, le jeudi 28. Cette remarque, optimiste en apparence, doit s’interpréter comme un signe du progrès de la maladie, le roi étant hors d’état de chevaucher. Le journal de Du Bois mentionne à plusieurs reprises qu’il souffrait d’hémorroïdes, ce qui expliquerait l’usage du carrosse. Néanmoins, l’optimisme qu’exprime le journal, et qui varie de jour en jour, souvent fait place à un pessimisme accentué par sa constatation de l’impuissance des médecins, trahit l’affection que ressentent les auteurs pour le monarque. À part les châteaux vieux et neuf de Saint-Germain 22 , le journal mentionne la maison (ou château) du Val 23 , « que Sa Majesté avoit fait faire, et rebastir, pour y aller faire souvent la Collation au retour de la Chasse, où toute la Cour se trouvoit ordinairement. » (FR-6993, f° 1) ; c’est un relais de chasse que Henri IV avait fait bâtir à l’extrémité nord de la Grande Terrasse et Louis XIII restaurer le mois même de sa mort 24 . Du Bois/ Antoine passe sur les huit jours suivants (du 1 er au 8 mars), mentionnant seulement l’insomnie du roi et sa subséquente fatigue. Comment faut-il prendre le terme d’« inquiétudes » qu’emploie le valet de chambre et qui auraient causé l’insomnie du roi ? Il est vrai que Gaston d’Orléans (1608- 1660) continue à donner des soucis à son frère et que la reine elle-même ne jouissait pas de l’entière confiance de son époux. Il est indispensable d’ouvrir à ce point une parenthèse sur les textes mêmes des manuscrits concernant la chronologie de la maladie et de la mort de Louis XIII. Signalons une double (triple ? ) erreur de datation : le Ms.FR- 6993 identifie le 1 er mars comme un vendredi, alors que c’est en fait un dimanche. Les Mss. 15644 (qui n’est qu’un fragment du ms. NAF-5012) et plus récente est celle de Simone Bertière : Condé, le héros fourvoyé. Paris : Éditions de Fallois, 2011. 22 Voir la gravure de F. L. D. Ciartres (François Langlois 1588-1647. Chartres - Ciartres est l’orthographe italienne) en appendice, montrant les deux châteaux (le Château-Vieux est à l’arrière-plan). 23 Voir appendice. 24 Jules Hardouin-Mansart (1646-1708) l’agrandit et en fait un château pour Louis XIV, qui l’abandonnera en 1682, année du transfert définitif de la Cour à Versailles. <?page no="24"?> FRANCIS ASSAF 12 NAF-5012 l’identifient correctement comme étant un dimanche mais, curieusement, comme le FR-6993, ils nomment le 2 un samedi, ainsi que le 9 d’ailleurs, alors que le ms. ne parle que de « lendemain ». Le manuscrit R.10162 (Saint-Germain) rédigé, selon l’exergue, par Jacques Antoine 25 , manifeste la même erreur (vendredi 1 er mars, samedi 2). Il n’est pas très vraisemblable que ce soit Jacques Antoine qui l’ait rédigé, les écritures du Ms. 6993 et du R. 10162 différant substantiellement. Le personnel de la bibliothèque de Saint-Germain nous a fait savoir que le manuscrit (qui comprend le recueil des antiquités de l’église royale et des châteaux de Saint-Germainen-Laye, ainsi qu’une histoire de la ville et des descriptions du Château- Vieux, du Château-Neuf et du château du Val) daterait de 1690 et, bien qu’un exergue l’attribue formellement à Jacques Antoine (supra), l’écriture en est fort différente soit de celle du corps du manuscrit, soit du FR-6993. L’auteur de l’exergue est peut-être Jean Antoine. Pour en revenir au 2 mars (un lundi et non pas un samedi), Louis XIII semble éprouver un mieux, puisqu’il fait jouer les eaux et se promène à pied dans les jardins. Cette remarque, enjolivée par des commentaires admiratifs sur les fontaines et les grottes du domaine royal, renseigne le lecteur sur les hauts et les bas de l’état d’esprit de Du Bois. Cela se voit dans la détresse qu’il manifeste en voyant le roi en proie à de violentes coliques huit jours plus tard (le 9), après une accalmie d’une semaine, si violentes qu’il ne pouvait trouver de soulagement dans aucune position (Ms. FR-6993, f° 6 ; 15644, f° 186). Ces détails ne sont pas oiseux : non seulement ils permettent de suivre la progression du mal, mais ils fournissent d’utiles indications sur l’état d’esprit de l’entourage du roi. L’amélioration que constate Du Bois au 12 mars (un jeudi et non un mercredi) est toute relative, du moins par rapport au 2 mars. Plutôt que de parcourir les jardins, le roi se limite à sa galerie et ne prend même pas la peine de s’habiller. Ici encore, l’auteur du journal tente de faire voir cette « amélioration » sous un jour positif, en mentionnant les tableaux qui ornent la 25 † 16 décembre 1716), père de Jean et François, garçons de chambre de Louis XIV et rédacteurs présumés des Mss. 15644 et NAF-5012 <?page no="25"?> QUAND LES ROIS MEURENT 13 galerie, ainsi que les membres de la Cour qui accompagnent le monarque dans sa promenade. Il est clair toutefois que ce dernier n’a pas la force de se tenir debout, vu qu’il est soutenu sous les bras par M. de Souvray (ou Souvré) († 1656), premier gentilhomme de la chambre du roi (vraisemblablement fils de Gilles de Souvré 26 et Charost, capitaine des gardes par quartier. La prolepse qui termine ce passage laisse voir au lecteur que Louis XIII est bien en déclin et que l’auteur n’a guère d’espoir de le voir recouvrer la santé : « Cette promenade que Sa Majesté fit dans cette Galerie fut une des derniéres qu’elle fit, car depuis ce temps elle ne sortit plus guere de ses Appartemens. » (Ms. FR-6993, f° 7). Presque en même temps, (vers la mi-mars), nous avons la chronique de Dinet, qui montre le roi en train de trier et de choisir des reliques, dont certaines lui viennent de sa mère et d’autres lui appartiennent en propre. Ce passage nous renseigne de façon spécifique sur la dévotion de Louis XIII, curieux mélange de spiritualité et de collectionnisme car, selon Dinet, [D]e tous les saints dont il avoit quelque ossement, ou quelque plus notable Relique, il avoit fait acheter la Vie, ou l’Office, & tous les deux ensemble, s’il avoit été en son pouvoir de les recouvrer, & que depuis long temps il les invoquoit tous les jours, soir & matin, sans y manquer, demandant à Dieu par leur entremise la grâce de faire une bonne fin, & de mourir en bon estat. (4) Malheureusement, le confesseur ne nomme pas les saints dont le roi possède des reliques, mais il présente celles-ci comme nombreuses, richement enchâssées et sans doute variées. Il note aussi en passant qu’Anne d’Autriche n’en était pas moins avide que son époux. Ce collectionnisme peut aussi se voir dans la composition de nombreux petits offices [Q]ue luy mesme [c’est-à-dire Louis XIII] a composez & mis par ordre, avec un soin qui n’est pas croyable, quoy qu’il ait esté secondé dans ce 26 Jean II († 1656), marquis de Courtanvaux, qui épouse Catherine de Neufville, dame d’atours d’Anne d’Autriche. Voir Biographie universelle, ancienne et moderne, T. XXXIX. Paris : Madame Desplaces / Leipzig : Librairie Brockhaus, 186? , p. 729. <?page no="26"?> FRANCIS ASSAF 14 penible 27 travail, de l’industrie de ses Confesseurs, & de quelques autres sçavans & habiles hommes. Car non seulement il y en a pour toutes les principales Festes de l’année, soit de commandement, ou de devotion, mais il s’y en trouve encore pour les principaux Saincts de la France, pour le precieux Sang de Jesus-Christ, pour les necessitez de la vie humaine, pour l’impetration de la Paix, & de la Victoire contre les ennemis particuliers de notre salut, comme sont la chair, l’avarice, & la superbe, les pechez de la langue, les pensées mauvaises, les mauvaises œuvres, le trouble interieur de l’ame; enfin il s’y en trouvoit un pour obtenir la vraye Penitence, & un troisiesme pour les disposer à bien mourir. (5) Si Dinet donne tant de détails, c’est pour mettre en lumière la dévotion extrême du roi, de tout temps connue aussi bien de ses contemporains qu’aujourd’hui, et certainement vue avec grande approbation par son entourage, surtout les membres du clergé. Le savant qui se penche sur la personne (le corps physique) de Louis XIII peut toutefois, en dehors de toute considération religieuse, se faire une idée du caractère à la fois systématique et obsessif que prend cette dévotion dans l’esprit du monarque. On sent qu’il tient à mettre toutes les chances de son côté pour éviter la damnation éternelle. L’entrée du (vendredi) 13 mars 28 (Ms. FR-6993) révèle un aspect nouveau : en dépit d’un mieux passager, le roi est devenu d’une grande maigreur et ne s’alimente qu’en fort petites quantités. Du Bois et Antoine attribuent son manque d’appétit à tous les remèdes que lui font prendre ses médecins. Le premier précise que le roi prenait souvent une tisane de rhubarbe 29 « qui lui faisoit faire beaucoup d’évacuations, ce qui l’affaiblissoit beaucoup. » (f° 8) 30 . Du 14 au 15, reprise familière d’une amélioration temporaire, suivie d’une rechute, avec même scénario : le roi ne se lève pas avant midi, se contentant de recevoir les visites dans sa chaise (percée ? ), où il passe la journée, 27 Les italiques sont de nous. L’adjectif mérite d’être mis en relief car Dinet, arrivé de fraîche date à la Cour, ne pouvait constater cela directement, mais doit avoir entendu un certain nombre de commentaires de la part de familiers du roi, tant clercs que laïcs. 28 Incorrectement identifié comme un jeudi par les mss. 6993 et 15644. 29 Les sources consultées insistent sur les propriétés laxatives de la rhubarbe. 30 Sans nous risquer à émettre un diagnostic à près de quatre siècles de distance, on peut se demander si ces fréquentes tisanes en fait le déshydrataient, contribuant ainsi à faire avancer son mal. <?page no="27"?> QUAND LES ROIS MEURENT 15 ne la quittant pour se coucher. Son alimentation semble surtout liquide ou semi-liquide : tisanes, bouillons, panades 31 . La partie la plus intéressante du journal du (lundi) 16 mars est le commentaire désabusé de Du Bois (FR-6993) sur les médecins soignant le roi : Le Dimanche 16 e mars le Roy se trouva fort mal à son réveil, ayant tres mal passé la nuït : tout le corps luy faisoit douleur ; estant d’un chagrin mortel, ne voulant plus prendre aucun remede que par force, ce qui commença à estonner les Medecins, voyants que Sa Majesté diminuoit à veuë d’œil et que leurs remedes ne faisoient pas l’effet qu’ils en esperoient, bien au contraire, car on avoit remarqué qu’elle se portoit mieux quand elle n’en prenoit point : mais il falloit suivre l’ordre de la Medecine et mourir dans les formes, ce qui est ordinaire aux grands Seigneurs. Dans ce moment on commença d’avoir meschante opinion de la santé de Sa Majesté. Tout le jour fut Presque employé en consultations de Medecins que la Teyne fit venir de toutes parts. Sur le soir le Roy fit venir sa Musique pour pouvoir la réjouir il fit chanter quelques Airs de devotion jusqu’à ce qu’il fust endormi. (f° 9). La version des Antoine (15644 et NAF-5012) est la suivante : Le Dimanche 16 e mars Sa Majesté se trouva fort mal a son reveil elle avoit fort mal passé la nuit sentant des douleurs partout le corps elle estoit d’un chagrin mortelet ne vouloir prendre aucuns remédes que par force ; cela etonna les medecins qui voyoient qu’elle diminuoit a veüe d’oeil, eet que leurs remédes avoient des effets contraires a ceux qu’ils en esperoient ; on remarqua mesme qu’elle se portoit mieux lorsqu’elle n’en prénoit pas si souvent mais il falloit bien se soumettre aux ordres de la medecine et mourir dans les formes, accident ordinaire aux grands Seigneurs, on commenca alors, d’avoir une mechante opinion de la maladie de Sa Majesté tout le jour se passa en consultation de Medécins que la Royne fit venir de paris et de tous les costez, le Roy sur le soir fit pour se rejoüir chanter quelques airs de dévotion par les musiciens, jusqu’à ce qu’il fut endormy ; (15644 : f° 187 - NAF-5012 : fols. 212- 213). Aux améliorations temporaires succèdent les rechutes, chaque fois un peu plus graves. Ce qui devient une constante dans l’attitude du roi, c’est 31 Furetière la définit comme une « espèce de souppe ou de potage fait de pain cuit, & imbibé dans du jus de viande, que l’on donne aux malades qui ne peuvent pas encore digerer la viande… » (Dictionnaire universel, article « panade », T. II (I-Z). <?page no="28"?> FRANCIS ASSAF 16 qu’il entrevoit la mort non seulement comme une délivrance de ses maux physiques, mais surtout comme le seuil de la rencontre avec son créateur. Il faut noter que, contrairement à ce à quoi on pourrait s’attendre de la part d’un personnage si pieux, Louis XIII (du moins à ce que rapporte Antoine) ne semble jamais offrir ses souffrances à son Dieu. Il était atteint depuis au moins 1630, selon Petitfils (Louis XIII 487) de cette entérite chronique qui devait l’emporter en 1643 32 . L’historiette que consacre Tallemant (1619-1692) à Louis XIII n’apporte rien d’utile à ce qu’on sait de la maladie et de la mort du roi. En fait, l’auteur ne se prive pas de le calomnier, lorsqu’il dit : « Il [Louis XIII] avoit tousjours craint le Diable, car il n’aimoit point Dieu, mais il avoit grand peur de l’enfer. » (352) 33 Ce que nous savons de l’attitude religieuse de l’auteur ne porte guère à croire qu’il ait écrit cela par conviction ou dépit religieux. Il ne devait abjurer le protestantisme qu’en 1684, quelques mois avant la Révocation, mais rien dans sa jeunesse n’indique qu’il ait été un protestant particulièrement fervent. Peut-être ne fait-il que reprendre une remarque de la marquise de Rambouillet (Catherine de Vivonne, 1588-1665), qui détestait Louis XIII. Cependant, en lisant l’inventaire du p. Dinet (supra) à propos des reliques et des offices composés par le roi, on ne saurait lui donner entièrement tort. Le p. Dinet (6) cite le désir du roi d’être aussi parfait que possible dans les trois vertus théologales (foi, espérance, charité) et sa vénération de saint 32 Le p. Dinet raconte qu’il avait ressenti les premières attaques du mal au siège de Perpignan (1641) (3), mais que son mal remontait à bien avant. Petitfils (Louis XIII 834) dit que le roi tomba malade le 13 février 1643 et eut une rechute le 22. L’historien mentionne toutefois que le roi, à 12 ou 13 ans, manifestait déjà des troubles intestinaux récurrents (215-216). Sans effectuer de lien entre ces crises de l’adolescence et le mal plus tardif qui devait l’emporter, il spécule que c’est le 28 juin 1627 qu’il subit sa première attaque grave du mal de Crohn présumé (423). 33 Signalons à ce propos une erreur importante de la part d’Antoine Adam, l’éditeur scientifique de l’édition Pléiade de Tallemant, concernant la vision supposée de Louis XIII le 10 mai 1643 à propos de la victoire de Rocroi (19 mai 1643) : Adam refuse la date, affirmant que le roi est mort ce jour-là (T. I, 1023, n. 8 de la p. 352). Un examen de la première édition des Historiettes (Paris : Alphonse Levavasseur, 1834, T. II, p. 87) ne révèle aucune note semblable concernant la prédiction de la victoire de Rocroi, que reprennent nombre de panégyristes. Il ne s’agit donc pas d’une simple coquille. <?page no="29"?> QUAND LES ROIS MEURENT 17 Joseph (7). Il est également intéressant de noter que le (jeudi) 19 mars, aucun des manuscrits dont nous disposons ne mentionne la moindre dévotion à saint Joseph, ni sa confession générale au p. Dinet. Le confesseur notant seulement (7-8) que le roi est affaibli par son dégoût des aliments, provenant des remèdes que lui font absorber ses médecins. En fait, les manuscrits sont très discrets sur les actes de piété de Louis XIII, se contentant de rapporter qu’il se fait faire tous les soirs à son coucher une lecture pieuse par un de ses secrétaires ou gentilshommes de la chambre. On sait par ailleurs qu’il avait composé des livres de prière (imprimés) et qu’il s’en servait régulièrement dans ses dévotions. Cela confirme bien notre idée que les manuscrits représentent le versant « laïc » de la narration du déclin et de la mort du roi. Le p. Dinet rapporte que cette confession générale a un effet très positif sur l’état de santé du roi : « elle y opera un changement si merveilleux, que comme on croit sans peine ce que l’on desire avec passion, il n’y eût aucun de nous qui ne creût qu’il estoit guery, & cette creance nous dura jusques à la Feste. » (9). Il va directement au 25 mars, fête de l’Annonciation et date à laquelle Louis XIII lui avait dit qu’il désirait communier. Doit-on déceler un brin de scepticisme dans cette remarque ? Le roi se croyait-il guéri ou seulement son entourage partageait-il cette conviction ? La deuxième hypothèse semble plus plausible, étant donné que le roi paraissait en fait fort anxieux de mourir, non pas tellement pour être soulagé de sa maladie, mais pour rencontrer son créateur - ainsi qu’on l’a déjà dit - chose que soulignent les manuscrits. La réalité physique semble tout autre, selon Du Bois/ Antoine, puisque le 20 mars, lendemain de cette confession qui l’avait selon Dinet tant soulagé, il est tourmenté par des douleurs aux reins, qui affectent assez durement son moral. Un graphique de l’état de santé du roi au jour le jour aurait été extrêmement intéressant. Malheureusement, nous ne pouvons rapporter que ce que disent les journaux. Le 22 (le 21 est passé sous silence), il va tellement mieux que les médecins reprennent espoir (et la reine est dans une « extresme joye »). <?page no="30"?> FRANCIS ASSAF 18 Petitfils (Louis XIII 548) répète 34 ce que dit Du Bois dans son entrée du 23 mars : Louis XIII avait plusieurs talents manuels et artistiques. En plus de l’équitation et de la chasse, il était portraitiste, habile de ses doigts (il faisait des filets pour la chasse aux petits oiseaux et la pêche), compositeur (entre autres, ballet de La Merlaison, dansé à Chantilly le 15 mars 1635) 35 , savant en mathématiques et en mécanique. Tout cela est d’ailleurs fort bien connu. À ce propos, les récits du p. Dinet et de Du Bois/ Antoine diffèrent un peu, concernant la journée du 25 mars. Le jésuite rapporte que le roi, voulant communier ce jour-là (après la fameuse confession), a entendu la messe dans sa chapelle, tête nue et à genoux. C’est Dominique I er Séguier (1591-1657), évêque de Meaux (1637-1657) et premier aumônier, qui lui administre le sacrement. Du Bois/ Antoine dit que c’est dans sa chambre qu’il a entendu la messe. Nous inclinons à penser que, se trouvant mieux ce jour-là, c’est dans la chapelle 36 qu’il aurait fait ses dévotions. Dinet précise (9) que c’est à cette date qu’il s’est fait porter du Château-Vieux au Château-Neuf. Aucun des manuscrits ne mentionne quoi que ce soit à propos de cela. Peut-être parce qu’il était en contact moins étroit avec le roi que Du Bois ou Antoine, Dinet voit certaines choses avec plus de clarté. Il a quitté St.- Germain le 25 ou le 26 mars, après la communion du roi, dans l’intention de 34 En fait, il semble s’inspirer surtout de Tallemant. Du Bois donne bien plus de détails sur les talents artistiques et artisanaux de Louis XII 35 La BnF conserve deux exemplaires du programme, dont un numérisé. Cotes : NUMM- 71947 (numérisation du suivant) et RES-YF-2280. Il est également accessible par Gallic. Voir appendice. 36 Construite sur l’ordre de Louis IX (1214-1270) en 1238. Chapelle du Château- Vi d <?page no="31"?> QUAND LES ROIS MEURENT 19 revenir le mercredi-saint, c’est-à-dire le 1 er avril, Pâques tombant cette année-là le 5. Pendant cette absence, Du Bois/ Antoine rapporte une conversation le 27 mars entre le roi et son médecin, Charles Bouvard (1572-1658), au sujet de son espérance de vie (citation, infra). Nous avons dit plus haut que Louis XIII accueillait la mort avec plus que de la sérénité : une joie réelle. L’auteur du journal insiste sur la douceur des paroles du roi et sa résignation, qui tire des larmes à l’assemblée et surtout aux officiers domestiques. Contrairement à Dinet, les mss. ne rapportent pas cette anecdote : le jeudi-saint (2 avril), se trouvant trop malade pour effectuer la cérémonie du lavement des pieds, Louis XIII charge le Dauphin, alors âgé de 5 ans, de le faire à sa place. Dinet note qu’Henri IV avait agi de même envers son fils alors qu’il était Dauphin (10). Ce même jour, rapporte Dinet, il fait sa communion pascale à un autel qu’il avait fait dresser dans sa chambre (11). Il n’y a donc pas forcément contradiction entre la communion du jour de l’Annonciation, faite en la chapelle du Château-Vieux et celle du jeudi-saint, dans sa chambre. D’ailleurs Dinet rapporte qu’il était trop faible ce jour-là pour se lever et se soutenir sans aide. Le journal de Du Bois/ Antoine est tout à fait muet sur la communion pascale du roi (la date est toujours décalée d’un jour, identifiant le 2 avril comme étant un mercredi). Il mentionne uniquement la tisane de rhubarbe que lui font prendre les médecins et qui provoque une forte évacuation. C’est à cette date que le journal situe la célèbre remarque que fait Louis XIII en apercevant de sa fenêtre les clochers de Saint-Denis : « Mes Amis, voilà ma derniere demeure que je vois » (Ms. FR-6993, f° 17). Les 3 et 4 avril se passent assez bien. Le journal souligne l’insistance des médecins à obliger le roi à prendre des tisanes, surtout de rhubarbe, et des clystères. Petitfils et Hildesheimer relèvent cela aussi bien. Restons cependant focalisé sur les remarques du journal que le roi se porte mieux chaque fois qu’il refuse de prendre médecine. Est-ce un fait ou plutôt la méfiance envers les médecins, que les auteurs partagent avec leur maître ? Nos propres travaux sur la médecine au XVII e siècle, basés sur les informations que donne le Journal Des Sçavans, confirment cette méfiance qu’éprouvaient <?page no="32"?> FRANCIS ASSAF 20 Louis XIII et son valet de chambre. Bien que le premier numéro du Journal Des Sçavans n’ait paru qu’en 1665, il n’y a aucune raison de penser que la médecine telle qu’on l’exerçait quelque deux décennies plus tôt fût fort différente. Les documents sur la maladie et la mort de Louis XIII ne parlent pas des remèdes à base de substances hautement toxiques, comme le mercure et l’antimoine qu’administraient sans réserve les médecins de l’époque, mais même les clystères et les tisanes de rhubarbe, employés en grande fréquence, ne pouvaient qu’épuiser l’organisme affaibli du royal patient 37 . Il fut saigné le 22 avril, vers les 8 heures du matin. Du Bois/ Antoine constate qu’« elle [la saignée] réussit fort mal, luy ayant desséché la poitrine, et donné une toux continuelle, qui luy causa une fluxion sur la poitrine […] » (23). L’auteur rapporte au (dimanche) 5 avril une amélioration assez sensible pour que le roi dîne en public et fasse même venir des domestiques (Camefort, Ferdinand et Deniert) pour jouer du théorbe et chanter des airs religieux, dont Lauda Anima mea Dominum 38 , que Roland de Lassus (1532-1594) avait été parmi les premiers à mettre en musique (1573). L’atmosphère de joie et d’optimisme qui caractérise cette journée fait contraste avec le soir, où Louis XIII s’endort brièvement, pour se réveiller « fort inquiet » et demander l’heure. Le journal revient souvent sur cette obsession du roi pour le passage 37 La tisane de racine de rhubarbe est présentée par des sources pharmacologiques contemporaines comme un laxatif doux à petite dose. On ne sait pas quelles doses les médecins de Louis XIII utilisaient, mais elles devaient être assez fortes pour provoquer des « évacuations d’humeurs » presque immédiates. On peut se reporter au site http: / / www.creapharma.ch/ tisane-rhubarbe.htm. Interrogé le 16 mai 2012. L’abus de rhubarbe (même les tiges et les racines) entraîne des troubles gastriques et cardiaques sérieux, que l’on peut voir énumérés à ce site : http: / / www.wellness.com/ reference/ herb/ rhubarb/ dosing-and-safety. Interrogé le 16 mai 2012. On peut rapporter ces troubles aux symptômes que présentait Louis XIII dans ses dernières semaines de vie. 38 Mise en musique du Psaume 145, paraphrasé par Antoine Godeau (1605-1672. Membre de l’Académie française en 1634, à la rédaction des statuts de laquelle il prit part. Évêque de Grasse en 1637 puis de Vence en 1638). Parmi ses nombreux ouvrages tant sacrés que profanes, il avait composé une Ode au roi en 1633. Ses Paraphrases des Pseaumes de David ne paraissent qu’en 1648. Il faut donc penser que Louis XIII en avait des exemplaires manuscrits bien avant leur publication sous forme imprimée. Le roi aurait-il composé lui-même la musique du psaume ? C’est fort possible. <?page no="33"?> QUAND LES ROIS MEURENT 21 du temps, laquelle semble se poser en contraste avec sa résignation à la volonté de Dieu, voire avec l’impatience avec laquelle il attend la mort, qui doit lui permettre de rencontrer enfin ce Dieu qui occupe la plupart de ses pensées. Les huit jours qui suivent (du 6 au 13) ne marquent aucun progrès sensible du mal, à part que le roi continue à se sentir faible. Il n’en travaille pas moins, tenant le Conseil au chevet de son lit. Le journal rapporte le départ du secrétaire d’État à la guerre François Sublet des Noyers (1588-1645) et son remplacement par Michel IV Le Tellier (1603-1685) 39 . S’il ne monte plus à cheval, il va se promener en carrosse dans la forêt et le parc. Le 14, rechute, mais relativement bénigne. La journée se passe sans incidents majeurs ; l’amélioration se maintient le (mercredi) 15, sauf que le roi demeure dans une très grande faiblesse et sans appétit. Le petit-lait que lui ordonnent de prendre ses médecins s’avère sans plus d’effet que les autres médicaments dont ils l’accablent. En fait (et nous avons déjà vu cela), plus les médecins lui font prendre de remèdes, plus il va mal, comme le constate le journal au 21. Du Bois/ Antoine insiste à plusieurs reprises sur l’interdiction du vin, chose qu’il réprouve évidemment, mais à laquelle il est impuissant à remédier. La saignée qu’a subie le roi (supra), ou plutôt la toux continuelle qui contribue à l’épuiser, lui fait décider de recevoir la Saint-Sacrement. Notons qu’il ne s’agit pas de l’extrême-onction, mais d’une communion hors-norme, pourrait-on dire, la communion pascale ayant eu lieu le jeudi-saint 2 avril (supra). Le mémoire du p. Dinet mentionne à la date du 20 (passé sous silence chez Du Bois aussi bien que chez (Jean) Antoine - Mss FR-6993 & 15644 40 ) un événement d’importance : Louis XIII commande à La Vrillière (1599- 39 Il commence par l’exercer par commission (Ms. FR-6993, f° 21) et ne deviendra formellement secrétaire d’État à la Guerre qu’après la mort de Louis XIII. Sur les conseils de Mazarin, le petit Louis XIV le nomme à ce poste à la mort de des Noyers. 40 Le journal passe directement du 16 au 24 avril. <?page no="34"?> FRANCIS ASSAF 22 1653) 41 de lire à haute voix sa déclaration de donner la régence à Anne d’Autriche (20). Dinet présente en détail les personnages assemblés dans la chambre du roi : la reine, Gaston d’Orléans, le prince de Condé, les ministres 42 . La description du p. Dinet relève (sans doute involontairement) de la représentation théâtrale : il précise que les rideaux du lit sont relevés. Le roi fait à voix haute un « monologue » de ses dernières volontés, alors que la reine, assise au pied du lit, écoute les paroles qui la feront régente. Les derniers mois de Louis XIII constituent l’acte final d’une pièce qui se joue au moins depuis sa prise de pouvoir le 24 avril 1617. On peut donc dire que ce dénouement tient à la fois de la tragédie et de la comédie, puisqu’il donne de la joie au personnage principal. On peut relever pour appuyer cela la remarque du p. Dinet que, si les courtisans et la reine ont le visage baigné de larmes, le roi « auoit luy seul le visage gay & tesmoignoit estre fort content. » (20). Louis XIII fait signer la déclaration à Anne et à Gaston, mais la représentation ne s’arrête pas là. Une fois la déclaration signée, le Parlement, représenté par son premier président, les présidents à mortier, les conseillers et les gens du roi, entérine la déclaration. Les détails qui suivent montrent qu’en dépit de son délabrement physique, le roi tenait encore fermement en main les rênes du pouvoir. Notons également que, si les manuscrits se préoccupent presque exclusivement du corps physique, le récit du p. Dinet prend en compte le corps politique et plus encore, bien entendu, le roi en tant qu’être religieux, témoin la conclusion de la scène, où le roi renvoie tout le monde, ne retenant auprès de lui que Dominique I er Séguier 43 , évêque de Meaux, et son confesseur, c’est-à-dire soit Dinet lui-même soit Philippe Cospéan (ou Cospeau), évêque de Lisieux (1571-1646) 44 . 41 Louis I er Phélypeaux de La Vrillière. Secrétaire d’État en 1621. 42 Voir la partie consacrée au journal de Lefèvre d’Ormesson. 43 Frère du chancelier. 44 Dinet avait remplacé le p. Sirmond, alors âgé de 85 ans, à la demande de celui-ci. Il faut noter à ce propos l’absence de l’archevêque de Paris, Jean-François de Gondi (1584- <?page no="35"?> QUAND LES ROIS MEURENT 23 Dinet et Du Bois/ Antoine sont d’accord pour noter qu’au 21, le roi est dans un état d’extrême faiblesse, que ce dernier attribue aux remèdes et au petit-lait que les médecins lui avaient fait prendre. Le confesseur note par ailleurs l’extrême maigreur du roi, laquelle il décrit en ces termes : [S]on corps ne sembloit plus qu’un squelette, de sorte qu’au point du jour, regardant par occasion ses bras et ses cuisses, il demeura un peu estonné de l’estat où il se voyoit, puis éleuant les yeux au ciel selon sa loüable coûtume ; Helas ! dit-il avec le Prophete, Quid est homo ? Qu’est-ce que l’homme ? (22). Le jésuite prétend que le Dauphin est baptisé le 21, dans la chapelle du Château-Vieux. Ce qui est assez troublant, c’est que le mémoire et le journal diffèrent assez substantiellement sur l’heure où s’est tenue la cérémonie. Le premier dit que ce fut à cinq heures du soir (22), après le Conseil. Il nomme les personnages présents : la reine, Mazarin (1602-1661) son parrain, sa marraine la princesse de Condé (Charlotte-Marguerite de Montmorency 1594- 1650) 45 . C’est elle, d’après le p. Dinet, qui lui donne officiellement le nom de Louis. C’était Dominique I er Séguier qui officiait. Du Bois dit que c’était à dix heures du matin le 22 (24). On constate aussi que, selon lui, c’était Mazarin qui lui avait conféré le nom de Louis, au nom du pape 46 . Selon Petitfils (Louis XIII 839), le roi espérait que le pape luimême serait le parrain, mais comme la réponse du pape tardait à venir, il choisit son premier ministre. Notons également que Dinet ne mentionne pas la célèbre anecdote que l’on trouve dans le journal : ‘Mon fils, comment avez-vous nom à présent ? ’ Monseigneur le Dauphin répondit sans hésiter : ‘Louis quatorze, mon Papa.’ Sa Majesté dit 1654), durant l’agonie de Louis XIII. Pourtant ce prélat était tout dévoué au roi et participa à l’enquête menée contre la reine en 1637 lorsqu’elle était soupçonnée de comploter avec l’Espagne contre la France. Voir Petitfils (Louis XIII 735-736). 45 Elle était l’épouse d’Henri II de Bourbon-Condé (1588-1646), père de Louis II de Bourbon-Condé, le futur Grand Condé. Au moment de la bataille de Rocroi (19 mai 1643), il n’était alors que duc d’Enghien. 46 Urbain VIII. Son nom était Maffeo Barberini (1568-1644, pape de 1623 à 1644). <?page no="36"?> FRANCIS ASSAF 24 ‘pas encore, mon Fils ; mais ce sera pour bientost, si c’est la volonté de Dieu’ » (24-25). Petitfils ajoute un « pas encore » qui ne figure ni dans le Ms. FR-6993, ni dans le Ms. 15644. Il note toutefois qu’Antoine n’était pas présent (Louis XIII n. 18, 895), mais ne dit pas quel(s) autre(s) chroniqueur(s) l’aurai(en)t rapportée. De toute façon, le manuscrit auquel il se réfère doit être le Ms. FR-6993. Concernant la terminologie, le Ms. 15644 diffère substantiellement du Ms. FR-6993 dans cette partie de la chronique de la maladie et de la mort de Louis XIII 47 : Ms. FR-6993 Ms. 15644 Ce mesme jour, [le 22 avril] Sa M té souhaitta de faire baptiser Monseigneur le Dauphin qui avoit déjà quatre années et huit mois, et pour cet effet envoya chercher la Reyne et M. le cardinal Mazarin, et Madame la Princesse pour le tenir sur les Fonts de Baptesme : La cérémonie en fut faite vers les dix heures du matin dans la chapelle du château vieux par M. l’Evesque de Meaux premier Aumosnier de Sa Majesté, sans aucune réjouissance à cause de la maladie du Roy. Monseigneur le Dauphin fut nomme Louis au nom de nôtre Saint Pere le Pape par M. le cardinal Mazarin avec Madame la Princesse de Condé sa Marraine en presence de toute la Cour (24). Le Roy ayant temoigné a la Reyne que son intention estoit que l’on Baptissat M r . le Dauphin agé de 4 ans 8 mois pour cet effet l’on envoya querir M r . le cardinal Mazarin et Mad e Laprincesse de Condé pour le tenir sur les fonds Baptismeaux. La Ceremonies en fut faite vers les quatre heures du soir, dans la chapelle du vieux châteaupar Monsieur Levêque de Meaux prémier aumonier desa Majesté sans aucunes grandes Cérémonies ny rejoüissances acausedelamaladie du Roy. Monseigneur LeD’auphin fut Nommé Louis au nom denôtre S t . Pere lepape par Monsieur le cardinal Mazarin avec Madame La Princesse de condé Sa Mareine, enprésence de la Reyne et de toute la cour (222). Voici la version du Ms. de Saint-Germain : Ce même jour Sa Majesté souhaitta de faire baptiser Monseig r . Le Dauphin qui avoit quatre années et huit mois et pour cet effet envoia chercher la Reine M r . le cardinal Mazarin, et Madame Charlotte de Montmorency Princesse de Condé pour le tenir sur les fonds de baptesme, La Ceremonie en fut faite vers les dix heures du matin dans la chapelle du Château Vieux par M r . Seguier Evesque de Meaux premier aumonier 47 L’orthographe et la ponctuation ont été scrupuleusement respectées dans les trois citations. <?page no="37"?> QUAND LES ROIS MEURENT 25 de Sa Majesté sans aucune rejouissance a cause de la maladie du Roy, Monseig r . le Dauphin fut nommé Louis par M r . le cardinal Mazarin avec Mad e . La Princesse de Condé sa Maraine en presence de la Reine, et de toute la Cour […]. Si les trois manuscrits rapportent tous l’anecdote de Louis XIII demandant à son fils comment il s’appelait, celui-ci lui répondant : « Louis Quatorze, mon papa » et son père lui répondant : « Pas encore, mon fils, mais cela sera pour bientôt », l’heure de la cérémonie du baptême varie. Dinet (qui ne mentionne aucunement cet échange) la situe vers cinq heures du soir (le 21). Il dit seulement « Le Roy ayant appris le succès de toute l’action, en loüa Dieu, les yeux élevez au ciel, où il les tint assez longtemps. » (22) 48 . De là on pourrait conclure que Dinet est resté tout le temps en compagnie de Louis XIII. Le Ms. FR-6993 situe le baptême vers 10h. du matin (le 22), alors que le Ms. 15644 le met vers les 4h. de l’après-midi ; le Ms. de Saint-Germain donne la même heure que le Ms. FR-6993. Ces divergences donnent à penser que ni Antoine, ni Du Bois n’ont assisté à la cérémonie, mais ne font que rapporter des ouï-dire. Les sources ne leur auraient pas manqué. Claude Dulong rapporte que le baptême du futur Louis XIV a eu lieu le 20 avril dans la soirée (Mazarin 43). Compte tenu de la diversité des dates et des heures, on voit qu’il est vraiment impossible de situer cet événement avec précision. Toutes les sources primaires s’accordent cependant pour le localiser à la chapelle du Château-Vieux et pour reconnaître comme parrain le cardinal Mazarin ainsi que pour marraine la princesse de Condé. F. Hildesheimer traite en profondeur la question du petit Louis-Dieudonné répondant à son père « Louis XIV, etc. », concluant que l’anecdote est apocryphe (184-185). Petitfils exprime également des doutes quant à l’authenticité de cette histoire, mais de façon plus sommaire (Louis XIII 829, Louis XIV 29). C. Dulong est muette sur ce sujet dans sa biographie de Mazarin (q.v.), mais la rapporte dans celle d’Anne d’Autriche (197-198) sans 48 Comme nous n’avons sous les yeux que la version (imprimée) du P. Girard et non pas un manuscrit, nous sommes hors d’état d’affirmer dans l’absolu que Dinet ait volontairement passé cet épisode sous silence. <?page no="38"?> FRANCIS ASSAF 26 trop se demander si elle était authentique. Petitfils donne un excellent sommaire de l’éducation du jeune Louis XIV (Louis XIV 38-46), mais sans s’attarder sur ce qu’elle était avant la mort de son père. Savait-il compter à l’âge de moins de cinq ans ? Quelqu’un lui aurait-il inculqué l’idée qu’après le décès de Louis XIII, il deviendrait Louis XIV ? Les sources manquent, mais la chose semblerait relativement peu probable. Pourquoi Louis XIII se réjouit-il tellement que le Dauphin ait été baptisé, au point qu’il ait décidé de confier la régence à Anne d’Autriche ? Du Bois/ Antoine le souligne bien (25), liant les deux événements. Comme on le sait, Louis XIV avait été ondoyé 49 à sa naissance. Tout en faisant de l’enfant ondoyé un chrétien (la phrase rituelle étant « Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit »), l’acte ne lui conférait pas de nom « officiel ». Or, les manuscrits rapportent qu’à son baptême le Dauphin reçoit officiellement le nom de Louis (même si la suite « Louis XIV, etc. » est apocryphe - supra) 50 . Assuré alors de sa succession, Louis XIII se serait senti en état de confier la régence à Anne d’Autriche, sachant qu’elle veillerait jalousement sur les intérêts de son fils, même si lui-même n’avait en sa femme qu’une confiance limitée. Le journal mêle au récit strictement historique des remarques d’un caractère plus personnel, comme lorsqu’il représente Anne tombant quasi-évanouie au pied du lit royal lorsque son époux proclame publiquement qu’il a l’intention de lui confier la régence. Sincère émotion ou comédie ? Nous penchons pour la première hypothèse, qui se rapporterait au soulagement que ressent la reine à la perspective de ne pas devoir subir l’hostilité et les brimades éventuelles que lui aurait fait sans doute subir Gaston d’Orléans en tant que régent. Notons par ailleurs que Du Bois ne semble pas rechercher une analyse poussée des sentiments ou des attitudes ; il se con- 49 Le site web de l’Église catholique de France définit ainsi l’ondoiement : « Baptême où seule l’ablution baptismale est faite, sans les rites et les prières habituels. L’ondoiement est donné à un enfant en danger de mort » http: / / www.eglise.catholique.fr/ ressourcesannuaires/ lexique/ definition.html? lexiqueID=433&Expression=Ondoiement. Interrogé le 28 mai 2012. 50 Selon Dinet, c’est le nom que le Dauphin désirait prendre (22). <?page no="39"?> QUAND LES ROIS MEURENT 27 tente de rapporter ce qu’il voit aussi objectivement qu’il peut, avec cependant un parti-pris extrêmement favorable envers le roi, la reine et ceux qui, comme lui, leur sont fidèles (infra). Le passage du journal où la régence est confiée à la reine peut se lire comme une véritable scène de théâtre : La Vrillière s’apprête à lire la déclaration en forme de testament où le roi nomme son épouse régente. Du Bois semble avoir conscience de la théâtralité de cette scène : les ministres, secrétaires d’État, princes et princesses et autres membres de la Cour sont assemblés dans la chambre du roi, devant le lit, attendant que Louis XIII parle. Sa Majesté fit ouvrir les Rideaux de son Lit, et prenant la parole dit à haute voix : Messieurs, c’est en cette occasion que je veux que vous soyez témoins de mon intention, pour donner à mon Royaume la tranquilité et le repos après mon décès, s’il plaist à Dieu de disposer de moy, n’ayant peü jusques à présent luy donner la paix génerale […] Il ordonna à M r . de La Vrillière de faire la lecture de la Déclaration hautement, afin que tout le monde sceüst sa derniére volonté […] (FR-6993 26). Aristote (384-322) dit dans la Poétique que la poésie consiste dans l’imitation : « L’épopée la poésie tragique, la comédie, la poésie dithyrambique, l’aulétique 51 , la citharistique 52 , en majeure partie se trouvent être toutes, au résumé, des imitations. » (I, II). Or il ne s’agit pas ici d’imitation. Les larmes que verse La Vrillière en lisant la déclaration de régence ne sont pas de commande. Du Bois atteste qu’il aimait passionnément son maître. Devons-nous alors exclure des catégories du théâtre ce que nous venons de citer ? Si l’on s’en rapporte aux politologues contemporains, Louis XIII manifeste dans ce dernier acte de souveraineté son corps politique, qui demeure intact alors même que le corps physique est dans un état de délabrement extrême. Or le corps politique existe en public et est donc en état de représentation permanente (comme l’a compris Louis XIV, qui mettra cela en pratique bien plus systématiquement que son père). Le journal précise que, si la Cour et les 51 L’art de jouer de la flûte (sans chant accompagnant). 52 L’art de jouer de la cithare. <?page no="40"?> FRANCIS ASSAF 28 ministres sont assemblés pour la lecture de cet acte, c’est en tant que témoins - ou spectateurs. La tragédie est l’imitation d’une action grave et complète, ayant une certaine étendue, présentée dans un langage rendu agréable et de telle sorte que chacune des parties qui la composent subsiste séparément, se développant avec des personnages qui agissent, et non au moyen d’une narration, et opérant par la pitié et la terreur la purgation des passions de la même nature (Poétique, VI, II). Même si les journaux ne rapportent pas cette catharsis (à part le comportement de La Vrillière), il est difficile de s’imaginer les membres de cette assemblée ne ressentant aucune émotion. Il n’est donc pas surprenant que, la lecture de l’acte terminée, la « tragédie » prenne fin. Le roi ordonne qu’on le laisse seul avec son confesseur (Du Bois 27), le corps physique reprenant ainsi ses droits. Toutefois cette résurgence du corps physique ne dure qu’une demi-heure. Louis XIII ordonne à La Vrillière, à Claude Bouthilier, comte de Chavigny (1581-1652) et au chancelier de faire passer et vérifier immédiatement la déclaration au Parlement. Le journal rapporte de façon frappante ce contraste entre le corps physique et le corps politique : ayant pris ses dispositions concernant la régence, [L]e Roy parut d’une grande tranquillité le visage très content, et mesme plus qu’à l’ordinaire : La Reyne demeura fort tard auprès de luy, estant toujours dans une douleur extresme de voir Sa Majesté diminuer, et que toutes ces choses n’estoient qu’un funeste présage de sa mort. (Ms. 6993 f° 27) On voit d’une part Louis XIII dans son corps politique ayant pris les dispositions qu’il croit les meilleures, alors qu’Anne continue à déplorer la mort inéluctable de son époux. Dinet mentionne aussi cet épisode, mais en termes à la fois plus fleuris et plus vagues ; il met surtout l’accent - comme on devrait s’y attendre - sur le côté spirituel de cette délégation de la régence à son épouse, quasi-ultime action d’un roi insensible aux valeurs terrestres et déjà presque entièrement tourné vers l’au-delà. Est-il conscient du rôle politique que continue à jouer Louis XIII dans les dernières semaines de sa vie ? <?page no="41"?> QUAND LES ROIS MEURENT 29 On peut s’interroger sur cela ; il semblerait que pour Dinet ce qui compte c’est le salut éternel du roi. L’apport des mémorialistes Laissons provisoirement le récit des derniers jours de Louis XIII selon Du Bois ou Dinet pour nous tourner vers les mémorialistes. Sans constituer un noyau dans la narration des derniers mois de la vie de Louis XIII, leur apport est loin d’être négligeable. Nous avons mentionné plus haut le journal de Lefèvre d’Ormesson, sur lequel nous reviendrons en détail, mais on parlera ici des mémoires de deux dames de la Cour : d’abord ceux de la nièce de Louis XIII, Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier (1627- 1693), dite « La Grande Mademoiselle ». Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier : « la Grande Mademoiselle » Comme on le sait, elle ne paraîtra à la Cour et ne sera présentée à son oncle le roi qu’après le mort de Richelieu (4 décembre 1642). C’est donc une toute jeune fille (elle n’a pas 16 ans révolus) qui assiste à la mort de son oncle. Le bref passage qu’elle consacre aux derniers moments de celui-ci ne manque pas de sentiment. Rappelons qu’elle ne demeurait pas à la Cour, mais qu’elle faisait des visites périodiques au roi à Saint-Germain, dont elle ne revenait, dit-elle, « que vivement touchée de son mal, et dont chacun auguroit que la suite serait funeste. » (74), ce qui montre qu’elle prêtait une oreille attentive à ce qui se disait autour d’elle. Les réactions de l’entourage qu’elle rapporte ne sont guère différentes de ce qu’on voit dans les autres sources : le contraste entre le délabrement physique de Louis XIII et sa fermeté spirituelle est fortement accentué. Elle était aussi présente lorsque le roi, ayant aperçu les clochers de la basilique Saint- Denis de sa fenêtre, montre le chemin que prendrait son cortège funèbre. On peut spéculer sur la possibilité qu’il l’aurait lui-même parcouru (tant qu’il était en état de se déplacer) : M lle de Montpensier rapporte cependant une remarque, anodine en apparence, mais qui laisse à penser que Louis XIII <?page no="42"?> FRANCIS ASSAF 30 envisageait depuis longtemps sa mort et même ses obsèques : « il faisoit remarquer un endroit où il y avoit un mauvais pas, qu’il recommandoit qu’on évitât, de peur que le chariot ne s’embourbât. » (74). Elle note aussi, comme les manuscrits, qu’il travaillait à mettre en ordre les affaires du royaume, encore qu’elle ne donne aucun détail. Mais il faut se rappeler son jeune âge : on est encore loin de la frondeuse de 1652, qui se voit exilée par le jeune Louis XIV (sur les conseils de Mazarin ou d’Anne d’Autriche, ou des deux) au château de Saint-Fargeau (auj. dans l’Yonne), où elle commence la rédaction de ses mémoires. Les pièces de l’Appendice de ses mémoires reproduisant la déclaration de Louis XIII au Parlement (24 avril 1643) et la séance royale où fut prononcée la régence d’Anne d’Autriche (18 mai 1643) sont tirées du journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson (q.v.). En fait, elle semble bien connaître ces documents - ou du moins les circonstances dans lesquelles ils ont vu le jour - mais les omet volontairement, si l’on s’en rapporte à son texte : Je ne dis rien de ses déclarations de dernière volonté en faveur de la reine et des princes ; ce n’est pas une matière qui doive faire partie de mes Mémoires ; cela se verra mieux et plus particulièrement dans les histoires du temps 53 . Je mets donc encore dans ce rang ce qui se passa lorsque la reine alla au Parlement pour s’y faire déclarer régente. (74- 75) Françoise Bertaud de Motteville Françoise Bertaud de Motteville (1621 ? -1689), amie et favorite d’Anne d’Autriche dès l’âge de sept ans, est disgraciée à dix-huit ans et exilée par Richelieu en Normandie. À la mort de celui-ci, Anne la rappelle à la cour, où elle devient première femme de chambre de la reine. Elle observe les événements de la maladie et la mort de Louis XIII du point de vue de son amitié avec la reine. Dans ses mémoires, elle évoque, sans acrimonie ni sympathie 53 Il n’est pas clair si elle se réfère au journal de Lefèvre d’Ormesson. L’éditeur scientifique de ses mémoires, Pierre-Adolphe Chéruel (1809-1891), a édité également le journal de Lefèvre d’Ormesson (voir bibliographie). En tout cas, elle n’a pu connaître ce journal que sous forme manuscrite, l’édition de Chéruel (1860) étant la seule à ce jour. <?page no="43"?> QUAND LES ROIS MEURENT 31 non plus, la mort de Richelieu (4 décembre 1642), signalant comme ses principaux défauts la cruauté et la tyrannie (42, n. 1). Elle exprime aussi sa sympathie pour la reine, peu aimée de son mari, prévenu contre elle par son ministre. Fine psychologue, M me de Motteville attribue également le peu de sentiments de Louis XIII envers son épouse aux maux dont il souffrait - mais sans évoquer son détachement croissant des choses terrestres à mesure que se détériorait son état, facteur qui contribuait certainement à ce peu d’affection conjugale. On décèle une très fine capacité d’observation à la fois personnelle et politique dans ce passage : Ce prince même étoit naturellement si chagrin et si accablé en ce tempslà de ses maux, qu’il n’étoit plus capable d’aucun sentiment de tendresse pour elle, qu’il n’étoit pas accoutumé de bien traiter. Mais enfin la sérénité étant revenue sur le visage des courtisans, et ce changement ayant donné de l’espérance et par conséquent de la joie à tous, on commençoit à regarder la Reine comme mère de deux princes et femme d’un roi infirme. Elle approchoit d’une régence qui devoit être longue, et chacun en son particulier espéroit en recevoir à son tour quelque grâce. (42) En quelques mots, M me de Motteville a réussi à cerner à la fois le caractère du roi mourant et à faire voir la montée politique d’Anne. Suit une liste succincte des pardons et amnisties que le roi accorde non seulement aux ennemis politiques de Richelieu (et aux siens propres, sans doute), exilés ou embastillés, mais aussi à des criminels de droit commun, que la volonté royale fait élargir. Nul doute que c’est plus pour soulager sa conscience à l’approche de la mort que par véritable générosité d’âme : rappelons que sa mère, Marie de Médicis (1575-1642), était morte en exil (à Cologne) le 3 juillet de l’année précédente. Si M lle de Montpensier souligne la fermeté spirituelle du roi dans ses dernières semaines, M me de Motteville, quante à elle, met l’accent sur son abattement psychologique, auquel font aussi allusion les manuscrits, lequel provient de la lassitude qu’il éprouve à constater que les remèdes que lui prescrivent ses médecins non seulement ne lui apportent aucun soulagement, mais encore font empirer son état. Nous avons déjà mentionné l’impatience qu’il éprouve envers ses médecins. M me de Motteville évoque une sorte de <?page no="44"?> FRANCIS ASSAF 32 compensation psychologique qui lui permet de supporter le déclin de sa santé et l’inéluctable approche de la mort : Il étoit si cassé de ses fatigues, de ses chagrins, de ses remèdes et de ses chasses 54 , que ne pouvant plus vivre, il se résolut à bien mourir pour vivre éternellement. Jamais personne n’a témoigné tant de constance à souffrir, tant de fermeté dans la pensée certaine de sa fin, ni tant d’indifférence pour la vie. (43). Les considérations extra-diégétiques auxquelles se livre la mémorialiste sur le repentir du roi d’avoir laissé sa mère mourir en exil et l’ambition dévoyée de M me de Chavigny (†1694), qui détourne son mari d’aller négocier la paix en Espagne 55 sont clarifiées par Chéruel, qui cite le manuscrit (43, n. 3) pour signaler la double focalisation du roi, à la fois sur son corps physique et son corps politique. En effet, le roi se recueille d’abord seul durant une demiheure, puis il rappelle Claude de Chavigny (1581-1652) pour l’aider à faire le plan de son testament nommant son épouse régente. Olivier Lefèvre d’Ormesson Le journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson offre d’utiles indications, non pas tellement sur les progrès de la maladie du roi, mais plutôt sur son « versant politique » en dehors de Saint-Germain, c’est-à-dire à Paris. Les événements entourant la mort de Louis XIII et ses conséquences se trouvent au T. 1 du journal, p. 13-78, recouvrant les mois de février à mai 1643. Le récit, qui commence sur une note optimiste, continue sur un ton plus sombre, que partagent les manuscrits (FR-6993, 15644), qui font remonter à février les premiers symptômes de la maladie qui devait emporter le roi le 14 mai : 54 Le syndrome de la chasse consiste en nausées et diarrhées conséquentes, soit à une intervention chirurgicale sur l’estomac ou l’œsophage (ce n’est pas le cas de Louis XIII), soit à une condition pathologique sévère de l’appareil digestif (ce qui semble plus vraisemblable). 55 Rappelons que Perpignan, assiégé par les troupes royales depuis le 4 novembre 1641, est pris le 9 septembre 1642. Mémorialistes et chroniqueurs s’accordent pour désigner le siège de Perpignan comme le point où les atteintes du mal qui devait emporter Louis XIII le 14 mai de l’année suivante commencent à devenir sensibles. <?page no="45"?> QUAND LES ROIS MEURENT 33 Le roy estoit à Saint-Germain, se portant mieux de la maladie qu’il avoit eue pendant sept ou huit jours ; chacun le considère comme un prince usé et qui ne peut longtemps subsister. La Cour, sur cette pensée, se partage (13). La suite des observations de d’Ormesson, qui ne fait pas partie de l’entourage du roi et rapporte tous les événements par ouï-dire (Rien ne suggère dans son récit qu’il ait mis les pieds à Saint-Germain à ce temps-là) nous apprend que Louis XIII est au courant des réactions de Monsieur qui a témoigné de la joie à propos de la maladie de son frère. Il est bien connu que Gaston escomptait avoir la Régence à part entière et l’avait disputée à Anne. Sans être témoin direct, l’auteur (à 27 ans maître des requêtes au Conseil d’État) rapporte à plusieurs reprises qu’Anne et Gaston s’entendaient bien, ce que souhaitait Louis XIII. Il n’y a en fait aucun détail sur les rapports de la reine et de Monsieur ; le manuscrit d’Antoine / Du Bois et le mémoire du p. Dinet demeurent eux aussi muets sur ce point. Il est assez logique de penser que par sens des convenances et des bienséances, ni la reine ni son beau-frère ne souhaitaient mettre au grand jour leurs dissensions pendant les derniers moments de Louis XIII (chose fort bien connue par ailleurs). En tout cas, le journal de d’Ormesson n’est pas une source très fiable sur ce qui se passait au Château-Neuf, étant donné qu’il ne rapporte, touchant l’évolution de la maladie du roi, que des on-dit et encore de façon trop succincte pour qu’ils puissent être d’une quelconque utilité. Ce qui en fait la valeur, cependant, ce sont les détails de l’activité politique qui continuait à Paris pendant les derniers mois de la vie du roi, et presque indépendamment de lui. Le lecteur se rend compte qu’en fait Louis XIII, au moins vers sa fin, ne constituait plus le pivot de la vie politique du royaume au jour le jour. Le 12 mars, d’Ormesson rapporte que Monsieur avait subi un très mauvais accueil du roi et de la reine, chose fort logique, lorsqu’on considère les sentiments qu’exprime Louis XIII dans la déclaration où il exclut son frère de toute fonction d’administration du royaume et spécifiquement de la Régence (Hildesheimer 305-311). Il y évoque les actions de Gaston contre la couronne, en commençant par la conspiration dite de Chalais (Henri de Talleyrand-Périgord, comte de Chalais 1599-1626), inspirée par Marie de <?page no="46"?> FRANCIS ASSAF 34 Rohan, duchesse de Chevreuse (1600-1679), la maîtresse de ce dernier. La déclaration ne donne aucun détail, mais le but en était d’assassiner Richelieu et peut-être de destituer le roi au profit de Gaston. Le 19 août 1626, le comte de Chalais, à qui les conspirateurs, Gaston en tête (Petitfils Louis XIII 401), firent « porter le chapeau » (si l’on peut dire), a la tête tranchée - décapitation d’une maladresse révoltante, le bourreau ayant dû s’y reprendre à plus de vingt-neuf fois - ensuite Anne fut interrogée le 10 septembre. Petitfils (Louis XIII 405) rapporte que la reine se défendit mal, mais que son véritable rôle fut effacé. D’Ormesson rapporte une rumeur qui courait le Palais : Louis XIII ayant demandé à Charles Bouvard (1572-1658), son premier médecin, l’état de sa maladie et si cela devait le pousser à songer à mettre sa conscience en règle, il le lui avait conseillé. Le roi l’aurait alors renvoyé. En fait, ni le Ms. FR- 6993 ni le Ms. 15644 ne font état d’une conversation de ce genre. Le jeudi 27 mars, voici ce que rapporte le Ms. FR-6993 (l’autre Ms. est identique) : Le Jeudy 27. de Mars le Roy ayant fort mal passé la nuit, dit en s’éveillant : Je me sens bien affoibli, je m’aperçois que mes forces se diminuënt de jour en jour ; j’ay demandé à Dieu cette nuit que si c’estoit sa volonté de me retirer de ce Monde, il me fist la grace d’abreger la longueur de ma maladie. Aprés ce discours il s’adressa à M. Bouvard son premier Medecin, luy disant ; Monsieur, vous sçavez bien qu’il y a déja quelque temps que je vous ay dit, que je n’avois pas bonne opinion de cette maladie, vous ayant prié en mesme pressé de m’en dire votre sentiment, ce que vous n’avez pas voulu faire m’ayant toujours amusé de l’esperance de guérison. Ce que le S r . Bouvard avoua disant : Il est vray, Sire, que je n’ay pas osé en dire mon sentiment à Vôtre Majesté de peur de la fâcher et de luy causer quelque émotion. Le Roy reprit la parole avec douceur, disant : Je vois bien qu’il faut mourir par vôtre silence, je n’en ay point esté surpris, m’y estant bien attendu, puïs que j’avois demandé à M r . de Meaux 56 et à mon Confesseur de me mettre en estat de bien mourir et de recevoir le Saint Sacrement, ce qu’ils m’ont toûjours differé jusqu’à présent (Ms. FR-6993, f° 14). Ils rapportent aussi que Louis XIII continuait à travailler ; d’Ormesson donne quelques détails qui ne s’y trouvent pas. Il n’est donc pas entièrement vrai 56 Dominique I er Séguier (1591-1657). Frère puîné du chancelier Pierre Séguier. <?page no="47"?> QUAND LES ROIS MEURENT 35 que le roi ne se préoccupait que du salut de son âme (encore que cela fût son principal souci dans les dernières semaines de sa vie). À la date du 6 avril, d’Ormesson rapporte que le roi avait fait une rechute et que la fièvre l’avait repris. Bouvard va trouver la reine pour lui demander conseil. D’Ormesson ne précise pas à quel propos, mais on ne peut douter que cela se rapporte au traitement à administrer à son royal patient. Le mémorialiste rapporte aussi la colère de Louis XIII contre ses médecins, qui lui avaient infligé de nombreuses saignées, tisanes et clystères, sans que cela lui fasse le moindre bien. Les conséquences politiques de la maladie du roi divisent la Cour. D’Ormesson ne dit pas à propos de quoi, mais il n’est pas bien difficile de le deviner : l’enjeu est la régence. Du côté de la reine, les ducs de Vendôme (1594-1665) 57 , de Beaufort (1616-1669) 58 et de Longueville (1595-1663) 59 , Henri de Lorraine, comte d’Harcourt (1601-1666) 60 et les maréchaux Jacques Nompar de Caumont de La Force (1558-1652) 61 et Gaspard III de Coligny, duc de Châtillon (1584-1646) 62 . Les « anti » sont essentiellement des membres du Parlement : le premier président du Parlement, c’est-à-dire Mathieu Molé (1584-1656) 63 , les présidents René de Longueil de Maisons 57 Bâtard d’Henri IV et demi-frère de Louis XIII (1594-1665). 58 Fils du précédent (1616-1669), dit « Le roi des Halles ». Il dirigea la Cabale des Importants. 59 Diplomate et militaire, il rejoint la Fronde parlementaire en 1648-1649. Arrêté en 1650 sur ordre de Mazarin. 60 Il se distingue au siège de La Rochelle (1628). 61 Maréchal de France. Dans ses derniers moments, Louis XIII demanda à ce qu’il demeurât hors de sa vue, comme il était huguenot et que le roi ne voulait pas en voir autour de lui, par peur d’encourir la colère divine. Un examen détaillé des rapports entre Louis XIII et La Force ne contient rien au sujet de la maladie et de la mort du roi (Mémoires authentiques de Jacques Nompar de Caumont, duc de La Force. (4 v.) Textes recueillis, mis en ordre et précédés d’une introduction par le marquis de La Grange (Adélaïde- Édouard Lelièvre de La Grange, 1796-1876). Paris : Imprimerie de M me V e Dondey-Dupré, 1843). 62 Gaspard III de Coligny, également maréchal de France et huguenot, comme le précédent. Louis XIII demanda également qu’il ne fût pas présent à ses derniers moments, du fait de sa religion. 63 Premier président de 1646 à 1656. <?page no="48"?> FRANCIS ASSAF 36 (1596-1677), François-Théodore de Nesmond 64 (1598-1664) et Blaise de Méliand 65 (†1661) (d’Ormesson 22). Rappelons l’hostilité mutuelle du Parlement et de Mazarin. D’Ormesson rapporte les propos suivants de Henri II de Bourbon : Il [Monsieur le Prince] me dit encore que le jour du vendredy saint 66 , le cardinal Mazarin s’étant levé pour aller à l’adoration de la croix après la reyne, le duc de Beaufort se leva aussy ; mais il fut arresté par la reyne, qui le retint et fit que le Mazarin y allast, et M. de Beaufort ny fut point (22-23). À cette date, dit d’Ormesson, Louis XIII est « réduit au lait de vache ». Il fait mention d’un médecin, M. Juif, sans doute servant par quartier, qui exprime son scepticisme quant aux chances de Louis XIII de réchapper. Nous avons déjà évoqué plusieurs hypothèses touchant la maladie qui a emporté le roi (supra). Si les médecins de l’époque ne pouvaient se douter des vraies causes, les symptômes étaient suffisamment alarmants pour que le corps médical pût se faire une idée assez claire des chances de survie du royal patient. C’est le 16 avril que le roi fait sceller les lettres patentes déclarant Anne régente du royaume, avec Gaston lieutenant général du royaume et Condé comme chef du conseil de régence (26). On sait qu’Anne fera casser le testament le 18 mai par le Parlement, grâce à l’influence de ses partisans. D’Ormesson rapporte avec une certaine verve non seulement les rumeurs qui circulent en ce mois sur la mort de Louis XIII mais aussi les changements qui en découleraient : Michel II Particelli d’Émery (1596-1650) 67 comme secrétaire d’État, Michel IV Le Tellier (1603-1685) comme lieutenant civil, le grand maître 68 fait prisonnier (26). Par ailleurs, d’Ormesson (1616-1686) rapporte (27) que, s’il n’est pas forcément olographe, le testament conférant 64 Président de 1636à 1664. 65 Procureur général du Parlement de Paris de 1641 à 1650. 66 10 avril 1643. 67 Lyon 1596-Paris 1650. Conseiller de Richelieu, il est nommé contrôleur général des finances par Mazarin l’année de la mort de Louis XIII. Voir notice biographique in Bluche 1156-1157. 68 Henri II de Bourbon-Condé (1588-1646). <?page no="49"?> QUAND LES ROIS MEURENT 37 la régence à la reine et établissant le conseil de régence porte ces mots de la main même de Louis XIII : « comme estant ma très-expresse et dernière volonté » et signé également de sa main. Le testament est contresigné par Anne, Gaston et trois secrétaires d’État : Pontchartrain (1613-1685) 69 , Léon Bouthillier, comte de Chavigny (1608-1652) 70 et Guénégaud (c.1609- 1676) 71 (27). On peut voir aussi la disposition des membres de l’entourage immédiat de Louis XIII (27), chose que ne rapportent pas les manuscrits. C’est une véritable scène de théâtre, comme on l’a dit plus haut. D’Ormesson rapporte que le mardi 21 avril il est allé au Palais pour assister à la cérémonie d’investiture de Gaston d’Orléans comme lieutenant général du royaume. Il mentionne avec un certain détail l’ordre des personnages durant la cérémonie, qu’il décrit en détail (28-32), autre exemple du théâtre politique déjà étudié par plusieurs critiques. En lisant le journal de d’Ormesson, on peut bénéficier d’une vue plus large que celle que fournissent les manuscrits ou le mémoire du p. Dinet, qui sont étroitement focalisés sur le roi (et pour le p. Dinet, le vrai sujet en étant une mort chrétienne idéalisée, fictionnalisant Louis XIII). En date du mercredi 22 avril, par exemple, en visite chez Louis Le Tonnelier de Breteuil (c.1609-1685) 72 , d’Ormesson rapporte les réactions des nobles touchant la mort prochaine de Louis XIII. Il est intéressant de noter la différence de caractère entre le roi et le cardinal telle que la rapporte l’auteur : sentant la mort approcher, celui-là pardonne publiquement à ses ennemis, contrairement à son ministre qui n’avait voulu pardonner à personne (33). C’est aussi le 22 avril qu’a lieu le baptême du futur Louis XIV, qui porte désormais le nom de Louis-Dieudonné. À noter que l’anecdote mentionnée 69 Conseiller au Parlement, puis aux Comptes. 70 Secrétaire d’État aux Affaires Étrangères en 1632. 71 Secrétaire d’État de la Maison du Roi. 72 C. 1609-1685. Conseiller au Parlement de Bretagne en 1632, puis au Parlement de Paris. Commissaire en 1637 de la 1 re Chambre de Requêtes. Il est le grand-père de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet (1706-1749), célèbre mathématicienne, physicienne et femme de lettres. Elle entretint une liaison de quinze ans avec Voltaire. <?page no="50"?> FRANCIS ASSAF 38 ci-dessus, que rapporte le manuscrit Du Bois/ Antoine, ne figure pas dans le journal de d’Ormesson. Le lendemain, Louis XIII reçoit l’extrême-onction. D’Ormesson rapporte un mieux dans l’état du roi le 24 avril. Les détails, qu’il tient de seconde main, comprennent entre autres une toilette du souverain : il se fait nettoyer les dents 73 et teindre la barbe (34). Du 6 au 8 mai, l’état du roi est stationnaire. Ce n’est cependant qu’un élément parmi bien d’autres événements politiques, tournant pendant ces deux jours autour de la situation de François Sublet des Noyers, qui avait quitté la Cour à la mort de Richelieu. Louis XIII nomme le 10 avril 1643 Michel Le Tellier secrétaire d’État à la Guerre 74 . Mais les choses ne sont pas si simples : Louis XIII ne l’a nommé que pour six mois (d’Ormesson 38-39), et encore à contre-cœur. Mais enfin, il a été choisi, ce qui provoque la jalousie de Particelli d’Émery 75 , qui briguait le poste. Dans Le Siècle de Louis XIV, Voltaire (1694-1778) a laissé de ce dernier un portrait cinglant : Le surintendant était alors un paysan siennois, nommé Particelli Émery, dont l’âme était plus basse que la naissance, et dont le faste et les débauches indignaient la nation. Cet homme inventait des ressources onéreuses et ridicules. Il créa des charges de contrôleurs de fagots, de jurés vendeurs de foin, de conseillers du roi crieurs de vin ; il vendait des lettres de noblesse (28-29) 76 . Formé par Richelieu, Particelli s’accordait avec lui sur tous les points. Le peuple, qui n’aimait pas le cardinal, l’accusait - même après sa mort ! 77 - d’être cause de la maladie du roi et de l’avoir empoisonné (34). d’Ormesson 73 Bien que les Chinois aient inventé la brosse à dents vers la fin du XV e siècle, elle ne fait son apparition en France que sous le règne de Louis XV. Voir http: / / www.pharmaciengiphar.com/ Histoire-de-la-brosse-a-dents.html. Interrogé le 22/ 2/ 12. 74 Sur les conseils de Mazarin, le jeune Louis XIV confirmera cette nomination. 75 Conseiller de Richelieu, puis surintendant des finances en 1643. 76 Dans son mépris de Particelli d’Émery, Voltaire commet l’erreur de l’appeler siennois. En fait, le financier était né à Lyon, dans une famille originaire de la région de Lucques, mais installée en France depuis deux générations (Françoise Bayard, in Bluche 1156). 77 Voir la citation de d’Ormesson concernant les relations du roi et de Richelieu. Il est peu probable que cette remarque ait été diffusée parmi le peuple. Il est plus vraisemblable d’attribuer ce sentiment à la haine que portaient les Parisiens au cardinal-ministre. <?page no="51"?> QUAND LES ROIS MEURENT 39 mentionne le retrait du corps du feu cardinal du tombeau pour éviter que soit profanée la dépouille 78 . Pour en revenir à la santé du roi, d’Ormesson rapporte qu’elle fluctue, comme d’ailleurs le font voir les manuscrits et le mémoire du p. Dinet. Il faut noter cependant qu’alternent les améliorations passagères et les rechutes, témoin les rapports, respectivement du 28 et du 30 avril. Ce qui est regrettable, c’est que d’Ormesson n’en fasse que d’indirects : le 28, il apprend l’état du roi lors d’une visite chez le chancelier. Le 30, c’est de la bouche d’un gentilhomme de Monsieur, venu en visite chez son père 79 , qu’il apprend que le roi va bien mieux que deux jours auparavant. Ce que dit le mémorialiste confirme cependant ce que racontent les témoins oculaires, spécialement en ce qui concerne le désir du roi de mourir au plus vite pour aller rencontrer son créateur. La Biographie universelle, ancienne et moderne (Volume 31 : Nogaret- Pajou, 398-399) donne un aperçu fort succinct de la vie de d’Ormesson, mettant surtout en relief son intégrité lors du procès de Nicolas Fouquet (1615-1680), ce qui lui valut d’être disgracié par Louis XIV. Elle ne dit rien de ses rapports avec Louis XIII, ce qui peut-être permet d’éclairer cette pratique de ne donner que des renseignements indirects sur l’évolution de la santé du roi mourant. Il faut cependant reconnaître que l’auteur ne faisait pas partie de la Cour. Quoi qu’il en soit, il fournit un contexte politique fort détaillé, dont la maladie et le déclin de Louis XIII ne sont qu’un élément, encore que d’importance. Spéculations, permutations et intrigues forment un tableau fascinant de ce qui se passait et à la Cour et à la ville durant l’agonie du roi. Par moments, il semble disparaître alors que la vie politique continue à Paris. On a quelquefois l’impression de lire du Saint-Simon, à cause de la juxtaposition d’événements sans relation les uns avec les autres, comme par exemple le trésor de cinq millions de livres caché par la duchesse d’Aiguillon 78 Pour les diverses pérégrinations des restes de Richelieu voir http: / / www.tombes-sepultures.com/ crbst_744.html. 79 André Lefèvre (1577-1665), homme d’État et magistrat. <?page no="52"?> FRANCIS ASSAF 40 (1604-1675) 80 dans un couvent de Carmélites parisien. Il passe ensuite sans transition aux tractations menées le 2 mai au Conseil des Finances concernant des intendants de province. Il revient encore une fois sur les déplacements du corps de Richelieu pour le soustraire à la vindicte populaire (Il aurait été transporté à la Bastille). Les parents du cardinal, la duchesse d’Aiguillon (1604-1675) et son frère, François de Vignerot (c. 1609-1646), sont menacés de voies de fait par la populace parisienne, par haine de Richelieu. D’Ormesson n’explique pas comment ni pourquoi le peuple pensait qu’un an après sa mort le cardinal eût pu empoisonner le monarque. Cela fournit un aperçu intéressant sur la mentalité populaire de l’époque. Il est bien connu que le peuple détestait le cardinal, mais ce genre d’absurdité surprend le lecteur contemporain… peut-être à tort, si l’on pense aux procès pour sorcellerie qui ont fait périr à cette époque des dizaines de milliers de personnes (en majorité des femmes) 81 . Il est aussi intéressant de noter les allées et venues de ministres et autres grands commis entre Paris et Saint-Germain. La maladie et les derniers moments du roi servent de toile de fond aux événements politiques et judiciaires dont d’Ormesson est témoin, ou encore qu’il apprend par personne interposée. Comme on l’a déjà dit, il juxtapose des événements sans relation les uns avec les autres, et même le banal avec l’important, témoin cette remarque : Le mardi matin (6 mai 1643), conseil des parties, où fut jugé, au rapport de M. de Morangis 82 , un règlement entre les horlogers et les orfèvres, par lequel il fut permis aux horlogers de faire et forger les boistes d’or et d’argent, d’avoir fourneau pour cet effet (38). 80 Nièce de Richelieu, elle accueillait dans son salon gens de lettres, ecclésiastiques et personnages haut placés. Elle subventionnait généreusement les efforts de Vincent de Paul ainsi que les colonies françaises d’Amérique. 81 Entre 1560 et 1650, on estime à travers l’Europe le nombre des exécutions pour sorcellerie entre 50 000 et 100 000. 82 Morangis (1599-1672) fut conseiller d’État et devint maître des requêtes ordinaires en 1628. <?page no="53"?> QUAND LES ROIS MEURENT 41 Tout de suite après, on apprend que Particelli d’Émery annonce non seulement que le roi va bien mieux, mais que Bouvard pense à renvoyer tous les autres médecins, se sentant capable de gérer seul l’état de son patient. La lecture du journal de Du Bois/ Antoine fait voir que Louis XIII lui-même se rendait compte avec colère de l’incompétence de ses médecins, mais il faut dire que la maladie de Crohn n’a été identifiée qu’en 1930 et que d’autre part, même si les médecins de l’époque avaient eu une idée de la nature de cette maladie, il n’auraient pu rien faire pour la traiter avec une quelconque efficacité. D’Ormesson est fort sensible à la dimension politique de la maladie du roi. Comme la plupart des juristes et politologues français de l’époque, il ne distingue pas formellement entre le corps physique et le corps politique. Néanmoins, en décrivant l’état dans lequel se trouve l’appareil politique centré sur Louis XIII, il démontre, comme le feront plus tard les frères Antoine (fils de Jacques), lorsqu’ils rapporteront les derniers jours de Louis XIV, que le corps physique et le corps politique sont distincts, tout en demeurant indissolublement liés : La division est déjà grande parmi les ministres. La reyne et Monsieur sont fort bien ensemble ; la maison de Vendosme se joint à eux. M. le Prince prend le parti des ministres, parce que comme je crois, il se persuade qu’il sera le maistre parmi eux, et par conséquent des affaires et de l’argent, et, s’il se tenoit du costé de la reyne, il ne seroit pas considéré, tant que Monsieur et la reyne seront bien ; mais je ne crois pas que son parti soit considéré ; aussi le quittera-t-il, lorsqu’il n’y fera plus rien (39). Le 11 mai, trois jours avant sa mort, Louis XIII est squelettique, selon ce que rapporte M. de Collonges 83 à l’assemblée où se trouve d’Ormesson. Encore une fois, on constate que celui-ci rapporte des informations qu’il tient de 83 Probablement un membre de la famille de Vassinhac d’Imécourt, qui se fixa dans les Ardennes à la suite de la famille de princes de Sedan. Nos sources identifient cette famille comme huguenote, mais convertie au catholicisme après 1679. <?page no="54"?> FRANCIS ASSAF 42 quelqu’un qui les tient de quelqu’un d’autre : Charles de Valois, duc d’Angoulême (1573-1650) 84 , qui revenait de Saint-Germain. Comme on l’a déjà dit à plusieurs reprises, l’intérêt du journal de d’Ormesson ne réside pas tant dans sa chronique des derniers jours de Louis XIII que dans ses descriptions des activités, machinations et tractations politiques qui font pendant à l’agonie du roi, puisqu’elles se passent à Paris, relativement loin de Saint-Germain, tout en ayant cependant à la fois comme point focal et toile de fond cette mort anticipée. D’après Sénamy 85 , le décès imminent du roi jette le désarroi et la zizanie parmi les ministres (40). La veille de la mort de Louis XIII, d’Ormesson nous apprend que Pichotel pensait bien avoir la position de Garde des Sceaux (40) : Le mercredy 13 mai, M. Pichotel me dit qu’il avoit vu quelques personnes de la maison de M. de Bailleul, et qu’il s’attendoit très-assurément d’avoir les sceaux et qu’il avoit déjà disposé de toutes les charges de la chancellerie. On ne le juge pas assez fort pour bien faire cette charge. Comme on le sait, c’est Pierre Séguier qui avait obtenu cette charge dès 1633 86 et l’avait conservée jusqu’à sa mort en 1672. La mort du roi est commentée de cette façon : aussitôt que d’Ormesson apprend la (fausse) nouvelle du décès de Louis XIII à 8 heures du matin, il fait louer une chambre dans le faubourg Saint-Honoré, avec vue sur la rue, pour voir entrer la reine (41). Il est intéressant de noter la mention du père d’André Le Nôtre (1613- 1700), Jean Le Nôtre (1575-1655), qu’il identifie comme étant le jardinier du roi aux Tuileries 87 dans l’assistance. Les informations contemporaines auxquelles nous avons pu avoir accès n’indiquent pas le statut social de Jean Le Nôtre, mais il devait être assez considérable pour qu’un noble, maître des 84 Bâtard de Charles IX et de Marie Touchet, comtesse d’Entragues (1549-1638). Il a laissé des mémoires sur les règnes de Henri III (son oncle) et de Henri IV. 85 Paul était abbé, Vincent banquier. Ils étaient fils de Barthélemy Cenami (1566-1611) appartenant à une puissante famille de financiers italiens alliés au cardinal et exerçant d’abord à Lyon, puis à Paris durant son ministère. Voir dans la bibliographie l’article de Claude Dulong 300. 86 Chancelier de France en 1635. 87 Jean Le Nôtre cède à son fils sa charge de premier jardinier du roi en 1637. <?page no="55"?> QUAND LES ROIS MEURENT 43 requêtes de surcroît, l’invite à les rejoindre dans la chambre pour voir passer le cortège accueillant dans Paris la reine-mère et le nouveau roi. Bien entendu, d’Ormesson ne saurait être tenu pour responsable des erreurs de jugement concernant l’exercice du pouvoir personnel du roi : jusque récemment, de nombreux historiens l’ont dépeint comme faible, se laissant mener par ses favoris et par le cardinal. Dans sa biographie, Petitfils le présente au contraire comme opiniâtre, obstiné, doté d’une volonté inflexible et en même temps bilieux et prompt à de terribles accès de colère (Louis XIII 546-547). Toujours est-il que l’on peut bien se rendre compte que d’Ormesson ne faisait pas partie des familiers du roi. Il semble bien qu’il ne le connût pas vraiment. « [I]l a fait de grandes choses, mais sous la conduite de ses favoris, particulièrement sous celle du cardinal, qui, pendant vingt ans, ne luy a jamais fait faire les choses que par la contrainte, de sorte que, pendant sa maladie, il disoit que les peines et contraintes que le cardinal avoit faites sur son esprit l’avoient réduit en l’estat où il estoit. » (41). Ni le journal de Du Bois, ni le mémoire du p. Dinet ne rapportent de paroles de ce genre. Suivant la mort du roi, une immense délégation vient recevoir la reine et le nouveau roi, le petit Louis XIV à la porte Saint-Honoré 88 . D’Ormesson en donne une description très détaillée, avec la liste des carrosses et des chevaux, ainsi que des soldats qui accompagnaient le cortège royal. Le rapport de d’Ormesson sur l’autopsie du corps de Louis XIII, est loin d’être sommaire, mais n’est pas le produit d’une observation directe. Lorsqu’il en vient à l’ouverture de l’estomac, il emploie l’expression 88 Aujourd’hui disparue, elle fut la principale porte d’entrée de la ville à l’ouest vers Saint- Germain-en-Laye. La troisième porte fut construite sous Louis XIII en 1632-1634 (Les deux premières furent construites respectivement en 1199-1200 et en 1380). Voir la belle estampe d’Israël Silvestre sur le site http: / / parismuseescollections.paris.fr/ fr/ musee-carnavalet/ oeuvres/ porte-saint-honore-0#infos-principales. <?page no="56"?> FRANCIS ASSAF 44 suivante: « Dans le petit ventre 89 il y avoit une corruption telle que ceux qui l’ouvroient pensèrent crever. » (44) J.-Ch. Petitfils ne fait que rapporter les paroles de d’Ormesson (Louis XIII 848), sans chercher à en vérifier la source. Dans La Double mort de Louis XIII, F. Hildesheimer donne les minutes du procès-verbal d’autopsie (345-347) 90 sans faire par ailleurs mention de l’odeur (dans le texte principal). Il en va sans doute de même pour le récit des querelles entre courtisans que rapporte - indirectement, bien entendu - d’Ormesson au lendemain de la mort du roi. On perçoit une faction qui fait acte de loyauté à Anne d’Autriche, alors qu’une autre se montre plus récalcitrante. Ce qu’on peut trouver surprenant, c’est cette remarque que « Messieurs du Parlement sont étonnés de ce que, par la lettre de cachet qu’ils ont reçue le matin, on les oblige à prester serment entre les mains du roy. » (45) Il est évident que la lettre date précisément du 15 mai et a été envoyée sans nul doute par Mazarin (au nom du jeune Louis XIV). Il semble bien que cette répugnance du Parlement à prêter serment entre les mains du (nouveau) roi n’est pas récente et se rapporte vraisemblablement à des privilèges parlementaires remontant au Moyen Âge. D’Ormesson rapporte que le problème remonte au moins à Charles VIII (1470-1498 ; r. 1483-1498) et sans doute avant. Le dernier roi en date à avoir eu ce genre de difficultés serait Henri II (45). Devaient prêter serment entre les mains du roi les premiers présidents des Parlements du royaume ; Mazarin devait pressentir une crise, ou tout au moins un malaise, pour obliger tous les parlementaires à le faire, et encore par lettre de cachet. Il serait toutefois hasardeux de penser qu’il prévoyait la Fronde à cinq années de distance. Pour la première fois dans le récit, on voit d’Ormesson en présence du jeune Louis XIV au Louvre, le 16 mai, où il assiste aux harangues et aux prestations de serment des divers officiels. Une note presque comique : ayant 89 Petit ventre ou ventricule : au XVII e siècle, l’estomac. Les anatomistes du temps distinguaient le « ventre supérieur », c’est-à-dire la cavité thoracique, le « ventre inférieur », c’est-à-dire la cavité abdominale, et le ventricule ou petit ventre, autrement dit l’estomac. Le « petit ventre » est mentionné dans le rapport d’autopsie comme étant l’hypogastre. 90 BNF : Ms. Dupuy 672, f° 206-207. <?page no="57"?> QUAND LES ROIS MEURENT 45 été reculé d’un rang par le capitaine des gardes, il peut tout voir mais n’entend presque aucune des harangues adressées au nouveau roi par les parlementaires et autres officiers de l’administration. Néanmoins, on voit les parlementaires prêter serment au Louvre entre les mains du petit roi, encore que le fameuse lettre de cachet n’ait pas été enregistrée (47). Fait surprenant : avant qu’Anne d’Autriche ne fasse officiellement casser le testament de feu Louis XIII, d’Ormesson rapporte qu’il a entendu dire (sans citer de source) que Gaston d’Orléans et Henri II de Bourbon-Condé ont renoncé à contester la régence à Anne (48), mais ce ne pouvait être que des rumeurs, parce qu’il rapporte dans le même passage que Mazarin avait demandé son congé, ce qui, de toute évidence, ne fut jamais le cas. Il est vrai qu’il annonce aussi que Léon Bouthillier de Chavigny demandait aussi son congé. En fait, ce dernier avait été limogé de sa charge de secrétaire d’État aux affaires étrangères, mais pas avant le 23 juin. Le 18 mai, d’Ormesson assiste, au Parlement, au lit de justice où tous les parlementaires prêtent serment. Il décrit cette cérémonie avec un grand luxe de détails, énumérant les personnages et l’ordre dans lequel ils sont assis dans la salle. Comme à la cérémonie du Louvre, il rappelle que Gaston d’Orléans, perclus de goutte, devait être porté à sa place. Ce qui est fort significatif, c’est la harangue que le chancelier Séguier adresse au petit roi, tenu debout par sa mère et par sa gouvernante, Mme de Lansac (1582-1657) 91 . D’Ormesson commente la harangue du chancelier, au cours de laquelle il affirme qu’Anne d’Autriche doit avoir seule la pleine, entière et absolue autorité 92 (c’est-à-dire la régence), ajoutant entre parenthèses : « c’estoient les mots qu’on 93 lui avoit ordonné de dire. » (51). Il rappelle à quel point Séguier, créature du cardinal, puis de Mazarin après la mort de celui-là, était haï 94 . D’Ormesson ne révèle pas ses sentiments 91 Épouse d’Artus de Saint Gelais, marquis de Lansac (c. 1570- ? ) 92 En italiques dans le texte de l’édition disponible. 93 D’Ormesson ne dit pas qui, mais il n’est pas malaisé d’imaginer que c’était Mazarin. 94 Son rôle dans la répression de la révolte des Nu-Pieds (1639) est bien connu. <?page no="58"?> FRANCIS ASSAF 46 personnels, mais il n’est pas difficile de comprendre qu’il ne portait pas le chancelier dans son cœur. Les paroles d’Omer Talon (c. 1595-1652), qui suivent, sont semblables, à cela près qu’il malmène fort le chancelier, selon d’Ormesson (52). Ce dernier précise que Gaston d’Orléans a opiné, durant le lit de justice, que la reine soit seule régente. D’Ormesson énumère encore un certain nombre de dignitaires du Parlement (52-53) qui soit affirment soit opinent que la régence soit donnée à Anne d’Autriche. Après la déclaration du président Barillon (1601-1645) 95 , qu’il fallait prononcer conformément aux volontés de Louis XIII, c’est-à-dire donner la régence à Anne d’Autriche mais en conseil, le chancelier prononce ces paroles : « Le roy séant en son lit de justice, assisté de la reyne sa mère, accompagné de M . le duc d’Orléans, de M. le prince de Conty et d’autres pairs et officiers de la couronne, a déclaré et déclare la reyne sa mère régente, etc. » (53) D’Ormesson insiste sur le rôle de fantoche assigné à Séguier, à qui l’arrêt cassant le testament d Louis XIII a été donné tout prêt, sans que le chancelier ait son mot à dire. Il est dommage que d’Ormesson n’ait pas donné le texte de l’arrêt conférant la régence absolue à Anne d’Autriche 96 . Quoi qu’il en soit, il exprime bien moins d’optimisme que les assistants à la séance du Parlement : « Ce n’est pas que la reyne n’ait bonne intention ; mais elle trouvera tous les jours des difficultés à ses bons desseins. » (53-54). Les choses commencent à s’organiser à partir du mardi 18 mai. Inutile de souligner encore une fois que d’Ormesson rapporte les faits d’une façon décalée et indirecte, citant des sources quelquefois anonymes, d’autres fois spécifiques. L’expression « l’on me dit » revient assez fréquemment, mais non pas exclusivement. Il tient ses renseignements soit de son père 97 , soit d’autres dignitaires de la Cour. En tout cas, il mentionne assez de détails dans sa relation pour que l’on puisse se faire une idée cohérente de la situation 95 Président d’une chambre des Enquêtes au Parlement de Paris. Adversaire de Richelieu, puis de Mazarin, il est emprisonné à la forteresse de Pignerol, où il meurt. 96 Ce texte ne figure pas non plus dans les documents en appendice à l’ouvrage de F. Hildesheimer. 97 André Lefèvre d’Ormesson (1577-1665). Doyen du Conseil d’État à sa mort. <?page no="59"?> QUAND LES ROIS MEURENT 47 politique après la mort de Louis XIII. Il fait ressortir le fait qu’Anne d’Autriche n’a rien d’une révolutionnaire et qu’elle ne semble pas (encore) vouloir exercer le pouvoir pour elle-même (54). Ne sait-elle pas d’ailleurs jusqu’à quel point elle peut aller, dans les limites de la loi salique ? D’Ormesson évoque un personnage que ne mentionnent ni Dinet ni le journal de Du Bois : Augustin Potier de Blancmesnil (†1650), évêque de Beauvais 98 . Aumônier d’Anne d’Autriche, il devient très passagèrement premier ministre. Il succède à son oncle René Potier (1574-1616) comme aumônier de la reine régente jusqu’à sa mort. Le cardinal de Retz (1613- 1679) n’est pas tendre envers lui dans ses mémoires : M. l’évêque de Beauvais, plus idiot que tous les idiots de votre connaissance, prit la figure de premier ministre, et il demanda, dès le premier jour, aux Hollandais qu’ils se convertissent à la religion catholique, si ils [sic] voulaient demeurer dans l’alliance de la France (66). Plus loin, il le traite de « bête mitrée ». D’Ormesson est plus discret. Il se contente de cette remarque : « L’on disoit que M. de Beauvais estoit fort bon évesque, fort pieux, mais nullement capable de conduite. » (54) Quoi qu’il en soit, ce personnage est sans grande importance, eu égard au rôle formidable que joue Mazarin durant la régence d’Anne d’Autriche et après. Il mérite cependant une mention au titre de personnage anecdotique. Nous arrêterons ici l’examen du journal de d’Ormesson avec l’installation de la veuve de Louis XIII au Palais-Cardinal, devenu par le fait le Palais- 98 Il succède dans l’évêché à son oncle, en 1616, et y reste jusqu’à sa mort, aumônier de la reine, fils de Nicolas III. Voir le jugement de Retz (infra). Éphémère premier ministre de la régence, il aurait selon Retz « demandé aux Hollandais de se convertir à la religion catholique s’ils voulaient rester dans l’alliance de la France. La reine eut honte de cette momerie de ministère. » Selon La Rochefoucauld, il fut « le seul des serviteurs de la Reine que le cardinal de Richelieu n’avait pas jugé digne d’en être éloigné. » Cette dernière ne tarde pas à mesurer les capacités de son aumônier et l’écarte. Il revient dans son diocèse où il demeure jusqu’à sa mort, au château de Bresles en juin 1650. Il avait été sacré à Rome, le 17 septembre 1617, il avait donné sa démission du siège de Beauvais peu avant sa mort. Cet évêque avait été ami de Vincent de Paul ; à la fin de sa vie, il fut proche des jansénistes. <?page no="60"?> FRANCIS ASSAF 48 Royal, avec le jeune Louis XIV et le duc d’Anjou, futur Philippe I er d’Orléans, qui deviendra an 1672 père de Philippe II, régent de France de 1715 à 1723. Pierre de La Porte Parmi les familiers d’Anne, il faut signaler aussi Pierre de La Porte (1603-1680) 99 . Il entre en 1621 comme porte-manteau 100 ordinaire au service de la reine. Arrêté le 12 août 1637 Claude Dulong (1922-2017) (Anne d’Autriche 128 ss) et conduit à la Bastille, il résiste à toutes les tentatives de l’impliquer dans une conspiration avec l’Espagne. Ce n’est pourtant qu’en 1645 qu’il rentre en grâce et peut revenir auprès de la reine. Ses commentaires sur la mort de Louis XIII ne sont donc pas ceux d’un témoin oculaire et n’ont d’intérêt que dans la mesure où il exprime sa solidarité avec celle qui est sur le point de devenir régente. Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon Il paraît indispensable ici de faire mention de ce que rapporte Saint-Simon (1675-1755) dans ses Mémoires à propos de la mort de Louis XIII. Ce n’est pas, bien sûr qu’il y ait assisté, mais on peut spéculer qu’il en avait eu connaissance par son père et qu’il ressentait, à près d’un siècle de distance, une dette de gratitude envers le roi, qui avait pris Claude de Rouvroy (1607- 1693) 101 en amitié, amitié que ce dernier avait su cultiver, se faisant nommer Premier Écuyer de France en 1627, puis en 1628 Premier Gentilhomme de la Chambre du roi. Son exil en disgrâce, de 1636 à 1643 à Blaye, (son fils s’en tire élégamment en disant qu’il passa quatre ans à Blaye 102 ) ne semble 99 Pour une information sommaire sur le personnage, on peut se reporter à l’article de Luc Boisnard dans le Dictionnaire du Grand Siècle (829), lequel ne fait d’ailleurs que résumer la notice par Moreau de l’édition de Paris (1839) de ses mémoires. 100 Officier dont la fonction était de porter le manteau du roi ou de la reine. 101 Comte de Rasse puis duc de Saint-Simon, il fut un favori du roi Louis XIII. Disgracié en 1636, pour avoir monté une cabale visant Louise de La Fayette (1618-1665), la maîtresse royale (objet d’un amour platonique de la part de Louis XIII). Il est le père du célèbre mémorialiste. 102 Dont il avait reçu le gouvernement en 1630. <?page no="61"?> QUAND LES ROIS MEURENT 49 pas avoir affecté son fils. Il rentre en grâce en 1642, juste avant la mort du cardinal. Il sera présent à celle du roi, qui l’avait fait Grand Écuyer (ni les manuscrits ni le p. Dinet ne font mention de cela). Au chapitre 5 du Tome I de ses Mémoires, le duc laissera ces passages : On sait avec quel courage, quelle solide piété, quel mépris du monde et de toutes ses grandeurs, dont il était au comble, quelle présence et quelle liberté d’esprit, il étonna tout ce qui fut témoin de ses derniers jours, et avec quelle prévoyance et quelle sagesse il donna ordre à l’administration de l’état après lui, dont il fit lire toutes les dispositions devant tous les princes du sang, les grands, les officiers de la couronne et les députés du Parlement, mandés exprès dans sa chambre, en présence de son conseil. Il connaissait trop les esprits des personnes qui nécessairement après lui se trouveraient portées de droit au timon des affaires, pour ne leur laisser la disposition que de celles qu’il ne pouvait pas faire avant de mourir. Il dicta donc un long écrit à Chavigny de ses dernières volontés les plus particulières, et il y remplit tout ce qui vaquait. Il n’y avait point de grand écuyer depuis la mort funeste de Cinq-Mars ; cette belle charge fut donnée à mon père : l’écrit dicté à Chavigny fut lu tout haut devant tout le monde, comme les dispositions concernant l’État l’avaient été, mais non devant le même nombre ni avec les mêmes cérémonies. Tout ce que le roi en put défendre pour ses obsèques le fut étroitement, et comme il s’occupait souvent de la vue de Saint-Denis, que ses fenêtres lui découvraient de son lit, il régla jusqu’au chemin de son convoi pour éviter le plus qu’il put à un nombre de curés de venir à sa rencontre, et il ordonna jusqu’à l’attelage qui devait mener son chariot avec une paix et un détachement incomparables, un désir d’aller à Dieu, et un soin de s’occuper toujours de sa mort, qui le fit descendre dans tous ces détails. Mon père, éperdu de douleur, ne put répondre au roi qui lui apprit qu’il l’avait fait grand écuyer, que par se jeter sur ses mains et les inonder de ses larmes, ni autrement que par elles aux compliments qu’il en reçut. Sa douleur lui déroba sans doute une infinité de grandes choses qui, dans le détail, se passèrent dans les derniers temps de la vie de son maître, et c’est sans doute ce qui m’a empêché de savoir par lui ce que j’ai appris de Priolo 103 . 103 1602-1667, agent secret de Mazarin. Voir l’ouvrage de Gustave Chéneau : Un Agent secret de Mazarin, Benjamin Priolo. La Rochelle, Impr. N. Texier & fils, 1908. Selon Claude Dulong (Mazarin 374), il aurait rédigé en latin une histoire de la régence d’Anne <?page no="62"?> FRANCIS ASSAF 50 Richard Girard de Bury On passera à présent au récit historique de Richard Girard de Bury (1730- 1794), tiré de son Histoire de la vie de Louis XIII. Comme celui de Saint- Simon, il offre l’avantage d’une distanciation dans le temps et, comme celui de d’Ormesson, celui d’une perspective plus politique sur les derniers jours de Louis XIII. Le récit de l’année 1643 commence, non sur la dernière maladie de Louis XIII, mais à partir de la p. 319, sur la disgrâce du comte-duc d’Olivarès (1587-1645), ministre de Philippe IV (1605-1665) 104 , que l’auteur compare à celle de Chavigny 105 , sans toutefois effectuer de rapport entre la disgrâce de l’Espagnol et celle du ministre français. Il consacre plusieurs pages à la réconciliation de Louis XIII avec son frère Gaston d’Orléans. Il faut noter la déclaration du roi le 23 avril, par laquelle il fait savoir au Parlement sa décision de révoquer celle (1 er décembre 1642) par laquelle il interdisait à Gaston d’avoir part à la régence, en raison de sa co-conspiration avec Cinq-Mars. Vient ensuite celui de l’élargissement des prisonniers et du retour des exilés. Le texte mentionne Chavigny ; c’est sans doute Léon (1608-1652) 106 . Mazarin et Chavigny cherchaient à plaire à tout le monde (326) en sollicitant l’élargissement de nombreux prisonniers politiques, contre l’avis de François Sublet des Noyers (1588-1645). Bury explique très bien l’indifférence avec laquelle Louis XIII accueille les anciens exilés Tréville (1598-1672), Des Essarts, De La Salle et Tilladet († 1690) : Richelieu avait exigé avec arrogance leur exil (326-327), que Louis XIII avait accordé avec beaucoup de réticence. À noter qu’ils avaient témoigné de la haine contre le cardinal, qui ne les avait jamais offensés et qu’ils avaient maintenu des liaisons avec Gaston d’Orléans et Cinq-Mars, ce qui explique la froideur de Louis XIII à leur égard. d’Autriche. Le catalogue de la BnF mentionne plusieurs ouvrages de lui en latin, sur Louis XIII (pub. posthume : 1669). 104 Frère d’Anne d’Autriche. 105 Cette disgrâce a eu lieu bien après la mort du roi ; Chavigny s’éait rangé du côté du prince de Condé et des Frondeurs. 106 Son père, Claude, s’était retiré sur ses terres peu après la mort du roi. <?page no="63"?> QUAND LES ROIS MEURENT 51 Louis XIII consent aussi là l’élargissement de la Bastille des maréchaux de Bassompierre (1579-1646) et de Vitry (1581-1644) 107 , ainsi que du comte de Cramail (1571-1646). Mais Bassompierre est exilé à Tillières 108 , Vitry à Château-Villain 109 et Cramail à Carmain 110 . Il faut noter la réaction assez cynique du roi à la lettre de remerciement que ce dernier lui envoie (328). Le duc de Saint-Simon 111 et Barradas (1602-1684) 112 reviennent aussi à la Cour, mais demeurent disgraciés. Bury raconte avec alacrité l’état misérable de la duchesse douairière de Guise (1585-1656) 113 , « traînant avec elle les cercueils du duc son époux et de ses deux fils aînés, morts en exil. » (328). Autres exilés ou prisonniers : la duchesse de Vendôme, (Françoise de Lorraine (1592-1669), duchesse de Vendôme, épouse de César de Vendôme) reçoit l’ordre de ne pas sortir du château d’Anet, où elle a été reléguée. Jacques Danes de Marly (1601-1662), évêque de Toulon, est l’objet d’une lettre de cachet qui lui commande de rentrer dans son diocèse et d’y rester, à la suite de reproches très durs qu’il fait à Laubardemont (c. 1590-1653) 114 à propos de l’exécution de de Thou (c. 1607-1642) 115 . François de Bourbon-Vendôme, duc de Beaufort (1616- 107 Vitry était un militaire français du début du XVII e siècle, qui fut élevé à la dignité de maréchal de France par Louis XIII. 108 Tillières-sur-Avre, auj. dans l’Eure. 109 Châteauvillain. Dans la Haute-Marne. 110 Partie de l’ancien comté de Caraman-Cramail, auj. en Haute-Garonne. 111 Claude de Rouvroy (supra). 112 François de Barradas (ou Baradat). Favori de Louis XIII. Adam (in Historiettes, P. 970, n. 2) note qu’il s’était compromis dans la cabale de Marsillac, Tronson et Sauveterre en 1626. Tallemant dit qu’il était l’amant du roi : « Il [Louis XIII] aima Barradas violemment ; on l’accusoit de faire des ordures avec luy ; il étoit bien fait. » (339). Petitfils (Louis XIII 351-352) réfute catégoriquement les accusations de Tallemant. 113 Henriette Catherine de Joyeuse. Épouse en secondes noces le 15 janvier 1611 Charles I er de Guise (1571-1640). Voir également l’article de Georges Poull : « Guise (Maison de) » in Bluche 696-697. 114 Jean Martin, baron de Laubardement, agent plénipotentiaire de Richelieu. 115 François-Auguste de Thou. Exécuté pour complicité avec Cinq-Mars dans la conspiration avec les Espagnols. <?page no="64"?> FRANCIS ASSAF 52 1669), revient d’exil en Angleterre, mais n’ose pas rentrer à la Cour, séjournant à Anet, demeure de son père, César de Vendôme (1594-1665), le demifrère (bâtard légitimé d’Henri IV) de Louis XIII. Dernière maladie de Louis XIII et spéculations politiques Comme tous ceux qui se sont penchés sur la question, Bury fait remonter les débuts de la dernière maladie de Louis XIII au siège de Perpignan 116 . Il note que le roi perd complètement ses forces en février 1643, ce qui correspond au journal de Du Bois. Il cite presque exactement ce dernier (dont il s’est peut-être inspiré) : le mal se déclare le 21 février, avec un « flux hépatique, accompagné d’une fièvre lente, qui ne le quittait point, d’une insomnie presque continuelle, de vives douleurs d’hémorroïdes, & d’un dégoût extrême pour toutes sortes d’aliments. » (334) Il faut noter l’intervention de l’historien, laquelle ne se retrouve pas chez Du Bois/ Antoine : le souci primordial chez Louis XIII de déterminer à qui sera confiée la régence. Il est évident que seuls la reine et Gaston d’Orléans pourraient l’assumer. Sans doute par respect de cette dernière, le journal de Du Bois ne mentionne pas les soupçons de Louis XIII quant à son épouse. Bury déclare que le roi soupçonnait sa femme à la fois d’être trop proche de l’Espagne et d’être incapable de gouverner (334). D’autre part, Gaston d’Orléans, également suspect à cause de ses fréquentes révoltes, de ses liaisons avec les ennemis de l’État et des ambitions de ses favoris, n’avait rien pour rassurer le souverain. Bury présente ce dernier comme totalement méfiant de son frère et pris dans un dilemme : d’une part la reine, possédée par des sympathies espagnoles, et de l’autre Monsieur, dont les antécédents politiques le rendent inacceptable comme régent. Malade et sentant sans doute sa fin proche, Louis XIII se trouve aux prises avec des serviteurs en la loyauté desquels il n’a plus confiance, tel Des Noyers (1589-1645). Il s’appuie sur Mazarin et Chavigny, alors que Des Noyers se montre peu fiable. Bury fait voir 116 Prise de la ville le 9 septembre 1642. <?page no="65"?> QUAND LES ROIS MEURENT 53 magistralement l’espèce d’illusion dans laquelle vit ce dernier, qui se retire par dépit dès le 10 avril dans son château de Dangu 117 . C’est aussi vers ce temps que le p. Jacques Sirmond, s.j. (1559-1651), confesseur de Louis XIII, âgé et infirme (il a 85 ans), se retire de la Cour et est remplacé par le p. Jacques Dinet (1584-1653), également jésuite. Bury déclare qu’il prend ses fonctions au Château-Vieux de St. Germain vers le milieu de mars. Après sa confession générale et sa communion le jour de l’Annonciation, Louis XIII se fait transporter au Château-Neuf, où il demeurera jusqu’à sa mort. Bury note, comme le journal de Du Bois/ Antoine, que Louis XIII était si faible qu’il fallait deux hommes pour le soutenir et qu’il devait se reposer tous les vingt pas (336). Toutefois, comme le fera plus tard Louis XIV durant ses derniers jours, il assiste au Conseil et travaille avec ses ministres. L’auteur note qu’il employait le reste de son temps à assister aux offices et à réciter des prières qu’il avait composées lui-même, ce qui est conforme au ms. 6993. L’auteur souligne l’extrême crainte que le roi semble avoir de compromettre son salut : il demande constamment au p. Dinet s’il est content de lui. Celui-ci profite de l’occasion pour lui suggérer de proclamer publiquement (oralement et par écrit) le regret qu’il a d’avoir traité aussi rigoureusement sa mère 118 . Il est intéressant de noter que Louis XIII accepte la suggestion de son confesseur, en dépit de toutes les difficultés que Marie de Médicis avait fait subir à son fils (y compris deux guerres). Il promet d’ordonner à Chavigny de mettre dans son testament la douleur qu’il ressent d’avoir traité mal sa mère 119 et de faire proclamer dans toute la France et l’Europe ce regret. Bury cite le roi directement (337-338). On voit le p. Dinet à l’œuvre pour aider le roi à libérer sa conscience : après la « réconciliation » posthume avec sa mère, c’est la réhabilitation des 117 Situé à 75 km de Paris, dans l’Eure, il appartint à M me de Pompadour. 118 Voir Petitfils (Louis XIII 840). 119 (a) Il a donc fait rédiger son testament par Chavigny. (b) On peut penser que l’approche de la mort le rendait sincère, mais qu’en temps normal il n’aurait pas fait cela. <?page no="66"?> FRANCIS ASSAF 54 prisonniers et des exilés. Comme on l’a vu (supra), le roi prend des mesures pour rappeler à la Cour ceux qu’il en avait éloignés : les maréchaux de Bassompierre (1579-1646) et de Vitry (1581-1644), le duc et la duchesse d’Elbeuf (1596-1657) et leurs enfants, la duchesse de Guise (1585-1656) avec sa fille et ses deux fils, Manicamp (1597-1677), Beringhen (1603-1692), le duc de Bellegarde (1588-1646), le duc et la duchesse de Vendôme 120 , les ducs de Mercœur (1612-1669) et de Beaufort (1616-1669) et d’autres. Il refuse de gracier Madame de Chevreuse (1600-1679) 121 et son amant le garde des sceaux Châteauneuf (1580-1653) 122 (339). Bury fait remarquer que le sentiment général à la Cour est qu’Anne d’Autriche sera régente. Il est donc logique que les courtisans se bousculent pour gagner ses bonnes grâces et rechercher sa protection. On assiste alors à une série de manœuvres de part et d’autre : la reine n’est pas naïve ; elle promet à tous sans révéler ses véritables intentions. Son grand-aumônier, Augustin Potier de Blancmesnil, semble, dit Bury, jouir de sa confiance. Il sera brièvement premier ministre après la mort de Louis XIII, mais son incapacité deviendra très vite évidente 123 . Bury en donne le portrait selon La Rochefoucauld (1613-1680) (Mémoires) et La Châtre (†1645): La Reine [La Châtre in Bury 339], ne pouvait mieux choisir pour la fidélité, ni guère plus mal pour la capacité, le prélat n’avait pas la tête assez forte pour une telle place… C’est un homme d’une grande probité et désintéressé pour le bien, mais fort ambitieux, comme sont tous les dévots. Se voyant désigné pour être Premier Ministre, tout le monde lui faisait ombrage. C’était, dit la Rochefoucaut, le seul des serviteurs de la Reine que le cardinal de Richelieu avait trop méprisé pour l’ôter d’auprès d’elle ; par son assiduité auprès de la Reine, il trouva le moyen d’y détruire tous ceux qu’elle considérait (339-340). 120 Son demi-frère César de Vendôme (1594-1665). 121 Marie-Aimée de Rohan épouse en secondes noces (1622) Claude de Lorraine, duc de Chevreuse. Nombreuses intrigues politiques. 122 Il est libéré de la Bastille à la mort de Louis XIII, mais participe à la Cabale des Importants et est à nouveau éloigné dès 1645. 123 Son ministère ne dure que quinze jours (Bury 339). <?page no="67"?> QUAND LES ROIS MEURENT 55 Bury révèle une image complètement différente de la Cour par rapport à celle, bien plus réduite et focalisée sur Louis XIII, que tracent Du Bois/ Antoine (et encore plus le p. Dinet). Les courtisans sentent que le pouvoir d’ Anne d’Autriche, sévèrement circonscrit par Richelieu, qui venait de mourir l’année précédente, va prendre un nouvel essor. Ils s’empressent donc de la soutenir comme future régente, au détriment de Gaston d’Orléans (on voit plus ou moins la même chose chez d’Ormesson). Il est évident, selon Bury (340), qu’Anne d’Autriche elle-même voulait la régence, vu qu’elle travaille à dissiper les préjugés que son époux avait conçus contre elle, sans doute sous l’influence de Richelieu. Bury cite à nouveau La Rochefoucauld : Nous avons su de Chavigny même qu’étant allé trouver le roi de la part de la reine pour lui demander pardon de ce qu’elle avait jamais fait, et même de ce qui lui avait déplu dans sa conduite, le suppliant particulièrement qu’elle eût eu aucune part dans l’affaire de Chalais 124 , ni qu’elle eût trempé dans le dessin d’épouser Monsieur, après que Chalais aurait fait mourir le roi. Ce prince répondit à Chavigny sans s’émouvoir : « En l’état où je suis je dois lui pardonner, mais je ne puis la croire. » (La Rochefoucauld in Bury 340-341) On voit ici l’habileté politique de Mazarin : il propose au roi de faire enregistrer par le Parlement une déclaration, signée par la reine et par Monsieur, laquelle sera son testament politique. Par ce document, Louis XIII donnera la régence à Anne d’Autriche, mais en limitant tellement son pouvoir qu’il lui sera impossible d’en abuser. Bury fait remarquer que la déclaration ne donne à la reine-régente qu’un titre sans aucune autorité. Voici les articles de cette déclaration : 1. La reine sera régente du royaume. 2. Monsieur sera chef du conseil de régence et lieutenant général du roi mineur, sous l’autorité de la reine régente. 3. En l’absence du duc d’Orléans, le prince de Condé sera chef du conseil de régence et, en son absence ou celle de Monsieur, le cardinal Mazarin occuperait cette place. 124 Juillet-août 1626. <?page no="68"?> FRANCIS ASSAF 56 4. Après la reine et Monsieur, le conseil de régence sera composé du prince de Condé, du cardinal Mazarin, du chancelier Séguier, du surintendant des finances Bouthillier et du secrétaire d’État Chavigny. 5. Toutes les affaires de guerre, de paix et de finances seront décidées par le conseil à la pluralité des voix. 6. La reine sera obligée de prendre l’avis du conseil pour nommer aux charges de la couronne, aux principaux emplois de la guerre, au gouvernement des places frontières et autres dugnités importantes. 7. Elle disposera des bénéfices sur l’avis du cardinal Mazarin jusqu’à la majorité du roi. Le rôle du cardinal est mis en évidence dans ces circonstances : il agit comme les yeux et les oreilles de la reine dans tout ce qui concerne les affaires du Cabinet, par l’intermédiaire de Potier de Blancmesnil, dont l’insignifiance est garante de sa fiabilité. Il est bien possible que Bury ait eu raison de dire que Mazarin a tout fait pour persuader le roi de nommer son épouse régente à part entière, mais il faut tout de même tenir compte du fait que le cardinal n’avait aucun intérêt à compromettre la confiance qu’avait en lui le roi, si près que celui-ci fût du trépas. D’autre part, il est vrai que le ministre a rendu un service inestimable à la reine en persuadant son époux de la nommer régente, puisque cela invalidait légalement ipso facto le reste de la déclaration, étant donné qu’un roi n’a pas le droit de décider de la politique de son héritier, en fonction du principe que le roi ne partage son pouvoir avec personne, même avec son prédécesseur. Celui-ci d’ailleurs perd la souveraineté dès l’instant de sa mort 125 . Autrement, le cardinal est parfaitement conscient de ce fait, puisque Bury rapporte qu’il aurait dit à Anne qu’après la mort de son époux, elle n’aurait aucune difficulté à se faire rétablir dans tous ses droits. Mazarin se montre fin politique en ce qu’il conseille à la reine de se montrer satisfaite des dispositions de son époux et de ne faire aucune objection à signer la déclaration. 125 Cela ne contredit en rien les circonstances pratiques qui suivent les morts respectives de Louis XIII et de Louis XIV concernant la rémanence de leurs corps politiques respectifs, fût-elle de courte durée. <?page no="69"?> QUAND LES ROIS MEURENT 57 Bury compare cette habileté politique à la maladresse de Chavigny, qui au contraire avertit la reine « qu’elle prît bien garde à ce qu’elle promettait d’observer, parce que la déclaration, que l’on préparait, devait être irrévocable, et aussi difficile à détruire que la loi salique » (344). Non seulement le secrétaire d’État se montre ignorant des lois fondamentales du royaume et du principe même de la souveraineté absolue, mais il mécontente la reine, qui résout de se débarrasser de lui à la première occasion, ce qu’elle fait dès qu’elle devient veuve. De son côté, Mazarin a su gagner à sa cause tous ceux qui avaient la confiance d’Anne, c’est-à-dire le nonce (Le cardinal Grimaldi - 1595-1685), le duc de Liancourt (1609-1674) 126 , le marquis de Mortemart (1600-1675), Beringhen, Lord Montaigu (1603-1677) et Vincent de Paul. Cela porte Anne d’Autriche à le considérer comme un ministre indispensable, au moins, dit Bury, dans les premiers temps de sa régence (345). Louis XIII, qui se trouve plus mal dans la nuit du 19 au 20 avril, décide de faire publier la déclaration sur la régence du royaume (ce que ne rapporte nullement le journal de Du Bois/ Antoine). Le Parlement reçoit l’ordre d’envoyer une députation solennelle à Saint-Germain. Bury en donne la composition : deux conseillers de chaque chambre et les gens du roi. La délégation est rencontrée dans l’antichambre du roi par le chancelier Séguier, qui leur signifie les intentions du monarque : faire porter le déclaration au Parlement pour qu’elle soit enregistrée et publiée, et que son frère assisterait à la cérémonie. Ici, Bury insiste sur l’intention de Louis XIII que la déclaration ait force de loi, en la faisant non seulement enregistrer, mais lire en public et proclamer avec serment de la part de Monsieur et d’Anne d’en observer inviolablement les clauses (346). Assistent à la cérémonie les personnages suivants : « [L]es Princes, Ducs, Pairs, Ministres, Officiers de la Couronne et autres Grands du Royaume. » (346) Cette cérémonie se tient, non au Parlement, mais dans la chambre du roi, qui reçoit le chancelier Séguier assis dans son lit. Non seulement Louis XIII la signe, mais il ajoute de sa main « Ce 126 Officier sous le règne de Louis XIII, il adopte plus tard le parti de la Fronde et tombe en disgrâce. Il est l’oncle de François VI de La Rochefoucauld, auteur des Maximes. <?page no="70"?> FRANCIS ASSAF 58 que dessus est ma très-expresse & dernière volonté que je veux être exécutée. » (347) Il faut mettre en contraste ce récit objectivement historique avec le sentimentalisme du journal de Du Bois/ Antoine. Louis XIII réitère devant les députés du Parlement sa volonté que la déclaration soit exécutée : Nous avons réglé les affaires de mon royaume, au cas qu’il plaise à Dieu de disposer de ma personne ; c’est la seule satisfaction que je puisse avoir en mourant. Monsieur mon frère portera au Parlement une Déclaration, où j’explique mes volontés. Je veux qu’elle soit exécutée. » (347) La déclaration est publiée à l’audience du Parlement le 21 avril 1643, devant toutes les chambres assemblées et présidées par Séguier en présence du prince de Condé 127 . Bury précis que c’est ce même jour que le Dauphin (le futur Louis XIV) est baptisé dans la chapelle du château 128 . Comme on le sait, son parrain est Mazarin et sa marraine la princesse de Condé (1594- 1650). La déclaration de régence est suivie de trois autres, enregistrées le 23 avril : 1. Rétablissement des magistrats exilés. 2. Annulation de la déclaration de décembre 1642, qui précisait que Gaston d’Orléans ne pouvait avoir aucune administration dans le royaume. 3. Suppression à perpétuité des charges de connétable et de colonel-général de l’infanterie pour enlever aux princes du sang et aux grands du royaume tout espoir de les posséder et d’acquérir ainsi une autorité dangereuse durant le temps de la minorité de Louis XIV. Bury ne semble pas au courant de la maladie véritable de Louis XIII. Il parle de « fièvre lente » (349). Néanmoins, il note que cette maladie (aujourd’hui identifiée soit comme la maladie de Crohn soit comme une tuberculose intestinale - supra) laisse au roi des jours dont il profite pour nommer aux évêchés et autres bénéfices sur l’avis de Mazarin, de Chavigny et du p. 127 Henri II de Bourbon-Condé (1588-1646). 128 Il ne précise pas si c’est dans celle du Château-Vieux ou du Château-Neuf. <?page no="71"?> QUAND LES ROIS MEURENT 59 Dinet. Il précise que les quatre s’enferment pendant trois après-dînées pour traiter de ces affaires. Il fait écrire par Chavigny aux prélats chassés de Mantes des lettres de cachet datées du 25 avril pour pardonner à ces personnages. Le mariage de Gaston d’Orléans avec Marguerite de Lorraine (1610- 1672) avait eu lieu en 1632, mais les époux ne sont réunis à la Cour de France qu’en 1643. Néanmoins, bien que Louis XIII ait donné son consentement à ce mariage (Bury n’en précise pas la date), l’affaire n’est pas encore résolue (350). Alors le roi accorde à son frère les passeports nécessaires pour faire venir son épouse en France et signe un édit le 5 mai (c’est-à-dire 9 jours avant sa mort), par lequel il renouvelle son consentement à ce mariage, à condition qu’il soit (re)célébré dans le royaume avec toutes les formalités nécessaires. Le 22 avril, le roi avait reçu le viatique (Du Bois/ Antoine f° 23), le jour du baptême du futur Louis XIV. Louis XIII reçoit l’extrême-onction le 12 mai. Bury n’identifie pas l’officiant, qui est le p. Dinet selon Du Bois/ Antoine (45). Sa dernière communion a lieu le même jour, le 12 mai. Il fait approcher de lui la reine et Monsieur et leur met les mains l’une dans l’autre, leur faisant promettre qu’ils vivront en bonne intelligence après sa mort et auront soin de ses fils. Bury rapporte qu’il demandait souvent aux médecins de lui tâter le pouls, en particulier à Seguin 129 : « Tâtez-moi le pouls et ditesmoi je vous prie jusqu’à quelle heure je puis aller ; mais tâtez-le bien, car je serai bien aise de la savoir au vrai. » (351-352). Le récit de Bury fait contraste avec celui de Du Bois/ Antoine, qui montre tout l’entourage de Louis XIII en pleurs, y compris les médecins. Seguin répond, froidement selon Bury : « Sire, Votre Majesté peut encore vivre deux ou trois heures au plus. » (352). Ayant entendu cela, Louis XIII se soumet à la volonté de Dieu. Il demande à Dominique Séguier, évêque de Meaux et frère du chancelier, d’entonner les prières de l’agonie. Bury rapporte que toute l’assistance, y compris Anne et Gaston d’Orléans, se met aussitôt à genoux dans la chambre du roi. Les prières finies, Gaston et le prince de Condé obligent la reine à se retirer 129 Médecin attitré d’Anne d’Autriche <?page no="72"?> FRANCIS ASSAF 60 et la reconduisent dans son appartement. Aucune mention des démonstrations de chagrin d’Anne que rapporte le journal. À une heure de l’après-midi, Louis XIII perd entièrement l’usage de la parole. Il expire soixante-quinze minutes plus tard, c’est-à-dire à quatorze heures quinze, le 14 mai 1643. Bury note (ce que ne fait pas Du Bois/ Antoine) qu’il était mort le même jour et presque à la même heure que Henri IV, son père. Le principe que « le roi ne meurt jamais » est fortement illustré par l’action qui suit immédiatement la mort de Louis XIII : le prince de Condé prête serment pour la charge de Grand Maître de la Maison du Roi entre les mains du jeune Louis XIV, alors âgé de quatre ans et huit mois. Quelques heures après, le duc de Nemours (1624-1652) 130 et le maréchal de Vitry reçoivent l’ordre d’assister à l’autopsie du corps du roi défunt. Le rapport de cette autopsie ne diffère guère de celui qui se trouve dans le journal. Suit une récapitulation de la vie de Louis XIII. Bury reproche à Marie de Médicis d’avoir négligé l’éducation de son fils dans le métier de roi (ce qui est vrai). Henri IV, son père, lui avait donné pour gouverneur Gilles de Souvré 131 (ou Souvray). Bury note le manque d’instruction de ce dernier, dont le trait le plus notable était son inébranlable fidélité à Henri IV. Le précepteur 130 Il fut duc de Genève, de Nemours et d’Aumale de 1641 à 1652. Il était fils d’Henri I er , duc de Genève et de Nemours (1572-1632), et d’Anne de Lorraine, duchesse d’Aumale (1600-1638). Il prit une part active dans les troubles qui agitèrent la minorité de Louis XIV, et commanda l’armée des princes avec le duc de Beaufort, son beau-frère. Rappelons à ce propos que ce duc de Nemours est le héros des Apparences trompeuses, ou les amours du duc de Nemours et de la marquise de Poyanne, petit roman anonyme sorti en 1715 et attribué à Courtilz de Sandras (1644-1712, donc posthume), et qui constitue un très habile pastiche de La Princesse de Clèves. On pourra consulter à ce propos nos articles : « Les Apparences trompeuses, ou les amours du duc et de la marquise de Poyanne : un pastiche de La Princesse de Clèves en 1715, ou l’art du palimpseste. » PFSCL XII, No. 23 (1985) : 576-589, « La Fronde dans Les Apparences trompeuses : contexte et prétexte. » In La Fronde en questions. Actes du XVIII e colloque du CMR-17. » Aix, Université de Provence, Service des Publications, 1989. 167-180, enfin « Écriture ou ré-écriture ? Les Apparences trompeuses : comment ne pas s’y tromper. » PFSCL XXX, 59 (2003) : 398-409. 131 1540-1626. Gilles de Courtenvaux, marquis de Souvré. Henri IV le choisit pour être gouverneur du Dauphin. Il reçut le bâton de maréchal de France en 1614, à l’âge de 76 ans. <?page no="73"?> QUAND LES ROIS MEURENT 61 de Louis XIII devient alors « Louis » Vauquelin Des Yveteaux (1567- 1649) 132 . Bury attribue le renvoi de Des Yveteaux à l’envie et à la jalousie de quelques membres de la Cour, ce qui est possible, mais ses mœurs licencieuses devaient bien y être pour quelque chose. Il est remplacé en 1611 par le philologue Nicolas Lefèvre (1544-1612) qui meurt l’année suivante. Le mathématicien David Rivaut de Fleurance (ou Flurance) (1571-1616), sousprécepteur, devient alors précepteur en chef (355) 133 . Bury parle ensuite de la culture de Louis XIII : sans posséder beaucoup de latin, le roi en savait assez pour lire les Écritures. Cela explique les prières et autres textes de piété qu’il composa par la suite. Ces textes, selon Bury, furent imprimés au Louvre en 1640 (355). Passant ensuite au savoir laïc, il mentionne que Louis XIII n’était pas très savant en histoire. Il cite l’ouvrage de Gomberville (1600-1674) La Doctrine des mœurs (1646) où celui-ci mentionne que le roi n’aimait pas la lecture, parce qu’on lui avait d’abord donné à lire les ouvrages historiques de Claude Fauchet (1530-1602) 134 , que Bury ne semble pas tenir en grande estime. Il passe ensuite à un portrait psychologique de Louis XIII. Tout en admettant son courage, il souligne son manque de chaleur (sans doute par contraste avec son père Henri IV). Il admet sa science des choses militaires, tant dans l’art des fortifications que dans celui du commandement : Louis XIII, dit-il, connaissait le mérite de ses principaux officiers (356), non seulement en général mais dans le détail et savait récompenser leurs belles actions. Il connaissait également les talents de ses ministres. Bien que ce fût sur l’initiative de Marie de Médicis que Richelieu fut nommé premier ministre, Louis XIII ne tarda pas à se rendre compte de la valeur du cardinal et de la 132 En réalité, il s’appelait Nicolas. D’abord précepteur de César de Vendôme, bâtard d’Henri IV avec Gabrielle d’Estrées, il le devient du futur Louis XIII, mais il est renvoyé de la Cour en 1611, au lendemain de l’assassinat d’Henri IV, pour ses mœurs licencieuses. 133 Par brevet du 28 avril 1611 à partir du 4 novembre 1612. 134 Il est possible que ce texte qui ennuyait tant Louis XIII soit Origines des dignitez et magistrats de France [Texte imprimé], recueillies par Claude Fauchet. - Origine des chevaliers, armoiries et héraux, ensemble de l’ordonnance, armes et instruments desquels les François ont anciennement usé en leurs guerres. Recueillies par Claude Fauchet. Paris, J. Périer, 1600. <?page no="74"?> FRANCIS ASSAF 62 différence entre lui et ses prédécesseurs dans la conduite des affaires du royaume. Même chose pour Mazarin, qu’il préféra, dit Bury, à Chavigny et à Des Noyers. Bury cite Louis XIII parlant de Des Noyers : Le petit bonhomme semble me menacer de vouloir se retirer, quand je ne suis pas de son avis ; je laissais prendre ce ton-là au cardinal de Richelieu, parce que je n’aurais pu trouver un ministre capable de le remplacer ; mais pour Des Noyers, j’en trouverai cent qui vaudront autant que lui. Il est évident que le roi n’aurait pu tenir ce discours avant 1642. Bury aborde ensuite un des traits de caractère de Louis XIII que l’histoire a le mieux retenu : sa dissimulation, qu’il associe à sa timidité. Il faut bien noter qu’il ne le considère pas comme faible, puisqu’il dit qu’il connaissait toute l’étendue de son pouvoir, mais il précise que sa timidité l’empêchait d’en user à plein. Ce qui est plus douteux, c’est son opinion que le roi a laissé Richelieu usurper son pouvoir par faiblesse. Louis XIII s’est vite rendu compte des qualités de son ministre. L’opinion de Bury qu’il n’était pas un grand roi parce qu’il avait un grand ministre est bien périmée : les travaux contemporains ont en fait voir la caducité. Il faut cependant noter que Bury reconnaît la fermeté et la grandeur d’âme de Louis XIII lorsqu’il soutient Richelieu contre tous ses ennemis, y compris sa mère et sa femme (Journée des Dupes, 10 et 11 novembre 1630). Par ailleurs l’historien reconnaît également que, plutôt que de faiblesse, le roi fit preuve de bon sens en acceptant la supériorité d’esprit et l’intelligence de Richelieu, voyant qu’il était totalement dévoué à soutenir et à renforcer la monarchie absolue contre les nobles et les protestants. Les qualités personnelles de Louis XIII étaient les suivantes : la sobriété, la régularité des mœurs, l’économie. Son principal plaisir était celui de la chasse. Comme le fait remarquer Du Bois, Louis XIII était aussi artiste ; lorsque le mauvais temps ou la maladie ne lui permettaient pas les activités de plein air. Il peignait, dessinait 135 , composait de la musique. Bury fait remarquer qu’il avait mis en musique l’office de Ténèbres, qu’il faisait exécuter le Mercredi Saint. Du point de vue moral, il était juste (d’où son surnom) 135 Il était portraitiste, ce sur quoi Du Bois insiste fortement. <?page no="75"?> QUAND LES ROIS MEURENT 63 et tenait à ce que la justice fût rendue avec exactitude. L’auteur fait remarquer qu’il était porté à des excès de rigueur, qu’il attribue à son manque de formation, notant que la vraie sévérité tient le juste milieu entre les extrêmes. Il mentionne aussi son inclination pour les favoris (il en a eu neuf en tout), mais sans spéculer, comme tant l’ont fait, sur une possible homosexualité. Il note en tout cas que le roi ne s’est jamais laissé influencer ou dominer par aucun d’entre eux. Sa thèse est que ses favoris étaient surtout des confidents auxquels il pouvait s’ouvrir de ses peines et autres états d’âme. Lorsqu’un favori était éloigné, dit-il, le roi l’oubliait pour toujours. Il termine son récit sur une spéculation : Louis XIII avait si bien appris de Richelieu que, s’il avait vécu, il aurait véritablement pu régner seul (362). Peut-être, mais que serait alors devenu Mazarin ? Avait-il su se rendre indispensable après la mort de Richelieu ? Il est impossible de répondre à cette question, comme de spéculer sur le rôle d’Anne d’Autriche si son mari avait continué à vivre. Reprise du journal de Du Bois/ Antoine et du mémoire du p. Dinet On revient à Du Bois/ Antoine pour examiner la veille et le jour de la mort de Louis XIII. Entouré de ses officiers, il leur adresse ces paroles le 13 mai : Mes Amis, ne vous attristez pas tant ; car vous me faites bien de la peine, je ne trouve pas mauvais que vous pleuriez, c’est une marque que vous m’aimez dont je suis persuadé, mais cela m’afflige trop de vous quitter, sans vous avoir fait beaucoup de bien ; j’espeere que mon Fils le fera, ainsy que je l’ay recommandé a la Reyne, je prie Dieu de vous consoler. (Ms. FR-6993 f° 52) Le geste de retraite du roi mourant se tournant vers la ruelle de son lit, de façon à ne plus voir personne, est emblématique de la séparation définitive du corps physique et du corps politique. Il est intéressant de noter un petit incident qui semblerait contredire, voire invalider la remarque (supra) souvent citée à propos de la succession de Louis XIII. La veille de la mort du roi ; le sieur Du Pont, Huissier de la <?page no="76"?> FRANCIS ASSAF 64 Chambre, ayant amené les Enfants de France voir leur père (peut-être pour la dernière fois), demanda au petit Louis : Monseigneur, si Dieu disposoit du Roy vôtre si bon Papa, voudriezvous bien estre Roy en sa place pour régner ? Ce petit Prince répondit les larmes aux yeux : non, je ne le veux pas estre ; et je ne veux pas que mon bon Papa meure, car s’il mouroit, je me jetterois dans le fossé. (Ms. FR-6993, f° 53-54) Immédiatement après cette remarque, le journal cite la duchesse de Lansac (1583-1657), gouvernante de Enfants de France, qui confirme par la réaction du futur Louis XIV et demande qu’on ne lui parle plus de cela pour ne pas le perturber plus avant. Le journal de Du Bois/ Antoine rapporte mot pour mot les propos que lui tiennent ses conseillers religieux, en particulier le p. Dinet : Sire, les souffrances et les maladies doivent estre regardées par les chrestiens comme autant de faveurs de la misericorde de Dieu par les quelles il purifie ses esleus dans le temps, pour les rendre dignes de l’Eternité. Votre Majesté ayant souffert avec autant de patience les douleurs d’une si longue maladie, n’a-t’elle pas eu lieu de tout esperer de cette Misericorde, qui ne l’a frappée icy-bas que pour la détacher du Monde, luy décuvrir le néant des Grandeurs humaines, et la préparer à quitter genereusement une Couronne perissable pour en acquérir une immortelle ? Ce sont là, Sire, les desseins de Dieu sur vôtre Majesté, qui a voulu luy epargner par de longues souffrances les peines qu’il faut endurer dans le Purgatoire pour se purifier de ses fautes avant que de pouvoir entrer dans le Ciel, voilà quelle doit estre l’esperance et la consolation de Votre Majesté. (Ms. FR-6993, f° 55) Le mémoire du p. Dinet, qui décrit avec un grand luxe de détails la période allant du 12 au 15 mai, ne fait pas état de cette exhortation. Il mentionne cependant l’extrême angoisse dans laquelle se trouve Louis XIII concernant son salut. Ayant aperçu la veille de sa mort le maréchal de Châtillon dans sa chambre, il demande à M gr . Philippe Cospéan (1571-1646), évêque de Lisieux, de dire à Souvray d’ordonner au maréchal, huguenot, de ne plus être en sa présence. Dinet ne fait aucun commentaire là-dessus et le journal de Du Bois/ Antoine ne mentionne pas l’incident, mais on peut se rendre compte <?page no="77"?> QUAND LES ROIS MEURENT 65 de la terreur dont était saisi le roi à l’approche de la mort et qui tournait sa foi en superstition à caractère obsessif. Le contraste entre le mémoire du p. Dinet, exclusivement focalisé sur le côté spirituel de la maladie et de l’agonie du roi, et le journal, qui présente une vue plus « matérielle » de la situation, peut se voir dans cet épisode, survenu vraisemblablement le 12 ou 13 mai : Louis XIII prie la reine de passer dans son cabinet pendant qu’on le change, bien conscient qu’il est de la puanteur qui environne son lit, à cause de ses constantes évacuations. Du Bois offre à la reine un petit flacon d’essence de jasmin (f° 56) à respirer pour masquer les mauvaises odeurs. La résignation quasi-angélique dont fait preuve le roi, vue par son confesseur, fait contraste avec les reproches du souverain à ses médecins, en particulier Bouvard : « Enfin, j’ay eü le malheur des Grands de m’être laissé gouverner par la médecine. » (Ms. FR-6993, f° 56). En plus d’un inconfort généralisé (il ne se sent à l’aise dans aucune position), les derniers moments de Louis XIII sont marqués par sa hantise du temps : il demande constamment quelle heure il est et le quantième. D’après le journal, on peut imaginer que, si près de la mort, il a perdu la notion du temps. Le 14 mai, vers sept heures du matin, il demande qu’on ouvre les rideaux de son lit et les fenêtres pour avoir de l’air. Le journal note sa « vue égarée » (f° 58). Il semble que sa lucidité fluctue, passant d’un état de conscience (relatif) à un délire momentané. La présence de nombreux ecclésiastiques autour du lit de mort du roi est tout à fait normale ; il faut cependant noter (à nouveau) la terreur que ressent le roi agonisant lorsqu’il s’adresse aux prélats, moines et autres gens d’Église, les suppliant de ne pas l’abandonner (f° 60) car il y va de son salut. On ne peut s’empêcher de ressentir une certaine surprise devant ce manque de sérénité, compte tenu de l’extrême piété qu’avait manifestée le roi tout au long de sa vie. Nous avons évoqué plus haut ce que dit Tallemant des sentiments du roi sur Dieu et le diable. En fait, pas une seule fois Louis XIII n’exprime sa crainte de l’enfer ni du démon, mais seulement celle de déplaire à Dieu, si l’on s’en rapporte à Du Bois et à Dinet. Il y a peu de doute qu’il <?page no="78"?> FRANCIS ASSAF 66 entre une bonne part de superstition dans la piété du roi, mais il est en même temps évident que le roi se considère comme pécheur et en tant que tel justiciable de la puissance divine. La fin Les adieux du roi à ses officiers (Ms. 6993, f° 61) suscitent à ce dernier une réflexion sur l’avarice des grands ou du moins leur légèreté : souvent ils oublient jusque sur leur lit de mort de récompenser leurs fidèles serviteurs, qui ont consacré des années, voire toute une vie, à leur service. C’est essentiellement une condamnation (discrète) des pratiques de Louis XIII. Les pièces du testament de celui-ci auxquelles nous avons pu avoir accès ne font état d’aucune donation à ses officiers. C’est d’autant plus poignant que ceuxci n’hésitent pas à baiser la main du roi agonisant, l’arrosant de leurs larmes. Le journal rapporte avec beaucoup de réalisme et de précision la cohue autour du lit du roi mourant, qui réclamait de l’air d’une voix sans doute affaiblie par l’agonie. Le journal rapporte : « La Chambre du Roy était si pleine de monde que l’on y étouffait de chaleur […] » Ajouter à cela la foule qui encombre la chambre royale et la puanteur ambiante, et on peut s’imaginer quelle pouvait être l’atmosphère des derniers moments du roi. Et, au milieu de tout cela, l’agonisant aux prises avec ce que nous nommerions aujourd’hui des fantasmes et réclamant le secours spirituel du p. Dinet contre des pensées mauvaises qui l’accablent et le terrifient pour son salut éternel. L’agonie n’est pas seulement physique ; elle est surtout spirituelle : Louis XIII souffre autant en esprit que dans son corps. Notons que le journal insiste bien plus sur cela que L’Idée d’une mort chrétienne, qui tend à offrir une image plutôt idéalisée de la mort du roi, bien qu’il mentionne ces angoisses de dernière minute. Le journal détaille aussi la perte progressive de l’usage de ses sens par Louis XIII : d’abord la parole, puis l’ouïe, enfin la vue. C’est un véritable dénouement théâtral, que l’on retrouvera (en moins dramatique, toutefois) dans le récit de la mort de Louis XIV. La reine hurle : « Messieurs, je suis perdue. Adieu mon cher mari ! » (Ms. FR-6993 f° 64). Le journal ajoute : « M r . le Prince la pria de ne point demeurer là davantage, et l’emmena dans son Appartement outrée de douleur, ne voulant écouter personne <?page no="79"?> QUAND LES ROIS MEURENT 67 pour la consoler. » (Ibid.) Ajoutons à la température étouffante le vacarme des cris, des pleurs et des exclamations de douleur. Ce tableau chaotique est encore renforcé par les évêques de Lisieux (Philippe Cospéan) et de Meaux (Dominique I er Séguier), ainsi que du p. Dinet, qui crient aux oreilles du roi mourant : « Vive Jésus et Marie : ayez en eux de la confiance : vous combattez pour le ciel » (Ibid.). On peut ainsi dresser un tableau plein de frénésie, qui n’évoque en rien la dignité et la sérénité auxquelles on s’attendrait devant la mort d’un souverain. Il faut aussi s’imaginer la posture du roi à l’agonie, telle que la rapporte le journal : à demi-allongé, soutenu par un oreiller, les bras en croix, il évoque le Christ sur le Golgotha. Fait exprès ou coïncidence ? Il est difficile de se prononcer sur ce point. Il meurt à 14h45, après avoir poussé un profond soupir. Les procédures suivant la mort du roi sont traditionnelles : ouverture de toutes les portes, aspersion du corps d’eau bénite par M gr . Séguier, fermeture des yeux et de la bouche, prières. Ici encore, ni calme ni sérénité : le journal rapporte une véritable invasion de peuple, avec un vacarme assourdissant de cris, de pleurs et de gémissements, auquel vient s’ajouter le glas des deux églises de Saint-Germain-en-Laye : St. Germain 136 (la plus proche du château) et St. Léger. L’autopsie et la mise en bière Du Bois était-il présent à l’autopsie le 15 mai ? Encore que ce soit envisageable, les détails qu’il donne auraient pu provenir d’un des médecins présents, mais comme il ne parle jamais de lui-même (à moins qu’Antoine n’ait oblitéré tous les détails le concernant ou révélant son rôle), il est difficile de trancher. Par ailleurs, il n’est guère plausible que ce dernier, qui n’est que garçon de chambre, ait assisté à l’autopsie. Quoi qu’il en soit, la mise en bière et le transport à St. Denis n’occupent qu’un petit paragraphe dépourvu 136 C’est certainement l’église datant du XIV e siècle, aujourd’hui disparue et remplacée par celle construite par Jules Hardouin-Mansart en 1683, elle-même remplacée par une autre en 1768 (inachevée). L’église actuelle date de 1824, restaurée de 1848 à 1854. <?page no="80"?> FRANCIS ASSAF 68 de détails, avec cette remarque que Du Bois refuse explicitement de décrire les obsèques royales, alléguant que cela n’entre pas dans son dessein (f° 68). Cela donnerait à penser à première vue qu’il n’y aurait pas assisté, mais ce qui suit tend à infiermer cette impression 137 . À noter que Dangeau fera les mêmes remarques à propos de Louis XIV. Après le portrait physique et moral de Louis XIII, le dernier paragraphe vient conclure le journal. Du Bois affirme qu’il a été témoin de tous les événements qui y sont rapportés. Il a donc pu assister de près à l’autopsie du corps de Louis XIII (supra), mais ce n’est pas absolument certain. Il termine son paragraphe de conclusion sur une note humble, priant le lecteur de lui pardonner de ne pas avoir employé un style plus élégant, l’écriture n’étant pas son métier. On a mentionné au début de cette analyse les épitaphes en latin de Louis XIII. En voici deux versions. À gauche celle du manuscrit de St-Germain (f° 134), à droite celle que donne le manuscrit NAF-5012 (f° 249/ 205), ensuite notre traduction en français 138 : 137 F. Hildesheimer (345-347) cite in extenso le procès-verbal d’autopsie de Louis XIII, Manuscrit BNF Dupuy 672, f° s 206-207. Repris par Petitfils (Louis XIII 848-849). 138 Cette traduction est basée sur une traduction du latin à l’anglais, effectuée par ma collègue, M me Elena Bianchelli, du département d’études classiques de l’université de Géorgie. Qu’elle trouve ici mes remerciements empressés. <?page no="81"?> QUAND LES ROIS MEURENT 69 Ci-gît Louis appelé le 13 e Qui quitta le titre de double empire. Cependant il n’est pas ici dans sa totalité ; seuls ses os sont présents ; Son âme au Ciel, sa gloire au monde, son corps en terre. Son corps a péri, mais sa gloire vit, son esprit Perdure : la mort n’a puissance que sur son corps. Le corps de Louis XIII est exposé pendant trois jours au Château-Neuf. J. Ch. Petitfils évoque en détail la mise en bière (Louis XIII 849) et les funérailles le 22 139 . La pompe funèbre La pompe funèbre a lieu le 22 juin, 40 jours après le décès, en la basilique Saint-Denis. Un court pamphlet anonyme (6 pages) intitulé La Pompe funèbre de Lovis XIII Roy de France et de Navarre, Faite en l’Eglise de Sainct Denys en France, le Lundy 22. Iuin 1643 en rapporte le détail. Toute la Cour et les corps de justice se transportent à la basilique, sauf le jeune roi et la reine-mère, en vertu de l’usage interdisant à un monarque en exercice d’assister aux obsèques de son prédécesseur. 139 On se rapportera au Parfaict Tableau (q.v.) pour un récit plutôt frappant de la pompe funèbre. <?page no="82"?> FRANCIS ASSAF 70 Après la messe, commence la cérémonie funèbre. La couronne, le sceptre et la main de justice sont remis par les hérauts d’armes entre les mains de trois princes du sang. Ensuite une quantité d’objets cérémoniels sont déposés dans la fosse royale : cottes d’armes des hérauts d’armes, enseignes des régiments (gardes suisses, gardes écossaises…), ainsi que les insignes de chevalier de Louis XIII : écu, éperons, gantelets, armet. Comme on peut le voir, la cérémonie conserve d’importants aspects médiévaux. C’est à ce point que le roi d’armes le plus ancien proclame « Le Roi est mort, priez Dieu pour son âme ! » (Pompe funèbre 6), proclamation reprise par un autre héraut debout dans le jubé. La bannière de France et l’épée royale déposées un moment dans la tombe royale, sont récupérées en signe de l’investiture du nouveau roi 140 . Un autre aspect médiéval qui se perpétue est le geste du Grand-Maître de la Maison du Roi, au début du banquet funéraire qui suit la cérémonie : il se tient au haut bout de la principale table et, d’une voix languissante, déclare : « Messieurs, notre Maître est mort ! » En symbole du désordre de la maison royale, il prend son bâton et le brise. Puis, d’une voix sans doute plus joyeuse (ou du moins sereine), il reprend : « Nous avons un Roi, de la bonté duquel nous pouvons tout espérer, et qui ne manquera pas de bien traiter les serviteurs du Roi son père. » Cela souligne le rôle du roi comme garant de l’ordre non seulement de sa maison, mais, par extension, du royaume tout entier. Il n’est pas mentionné dans le texte si le Grand-Maître réapparaît avec un nouveau bâton après s’être retiré, ou s’il appartient au nouveau roi d’en nommer un autre ou de confirmer l’ancien dans sa charge. En tout cas, l’aspect médiéval de cette cérémonie est renforcé par l’évocation d’un incident lors de la pompe funèbre de Charles VIII 141 : deux officiers domestiques du roi sont tellement éprouvés par la mort de leur maître qu’ils en expirent euxmêmes sur-le-champ. Le récit de la pompe funèbre se termine sur des vœux 140 Bien entendu, c’est un geste purement formel et symbolique. En vertu du principe que le mort saisit le vif, le fils aîné de Louis XIII devient roi dès l’instant où son père décède. 141 1470-1498, r. 1483-1498. Premier et seul fils de Louis XI à passer l’âge d’un an. De santé fragile, il meurt cependant d’un accident en allant jouer à la paume. Il avait épousé Anne de Bretagne (1477-1514) le 6 décembre 1491. <?page no="83"?> QUAND LES ROIS MEURENT 71 assez conventionnels pour le nouveau roi (« [Le] plus grand roi du monde ») et la reine régente (« la plus vertueuse reine de l’univers »). Notons ici que ce n’est pas le sacre qui fait le roi : Louis XV ne fut sacré que le 25 octobre 1722 et avant lui son arrière-grand-père le 7 juin 1654. Le père de celui-ci l’est le 17 octobre 1610, à l’âge de 9 ans, c’est-à-dire encore mineur, comme Louis XV. Dès le Livre I de De la souveraineté du roi, Cardin Le Bret énonce au chapitre II que la souveraineté consiste à ne dépendre que de Dieu seul. Passant en revue certains rois : de Naples, de Sicile, d’Aragon, même d’Angleterre, l’auteur note que ces rois ne sont pas réellement souverains car tributaires d’autres puissances, en particulier de l’Église romaine (10). Seul le roi de France, qui ne paie aucun tribut à quiconque, détient la souveraineté absolue car il n’est vassal de personne. On peut résumer cet état de choses par la formule « Le roi est roi parce qu’il est roi ». Cela étant établi, on peut revenir aux discours suivant la mort de Louis XIII. Oraisons et éloges funèbres Les traités historiques ainsi que les éloges et oraisons funèbres sont nombreux, comme les obsèques. La Bibliothèque historique de la France (q.v.) présente une liste de titres au Livre III. La p. 488 contient un nombre de titres d’oraisons et d’éloges funèbres que pour des raisons pratiques nous ne reproduisons pas ici. Nous nous contenterons de présenter quatre textes que nous croyons représentatifs. Sans vouloir faire montre de préjugé, nous devons constater cependant que certains aspects théologiques de ces oraisons sont douteux quant à l’orthodoxie ; bien entendu, le but de ces orateurs n’est pas de donner une leçon de théologie à l’auditoire, mais de maximiser l’encomium du roi. <?page no="84"?> FRANCIS ASSAF 72 Le discours du p. Nicolas de Condé : un absurde qui touche au surréalisme D’abord, le Discours prononcé aux obsèques de Louis le Juste dans la S te Chapelle du Palais, le xxvi Juin 1643, par le p. Nicolas de Condé, s. j. 142 , ensuite trois autres oraisons funèbres (q.v.). Pour le reste, on s’appuiera sur l’article de A. Y. Haran sur Louis XIII à travers ses oraisons funèbres (q.v.). Dédié à la reine-régente, le discours du p. de Condé est un rare exemple d’une rhétorique torturée (et tortueuse ! ) qui se fonde sur une série de paradoxes outrés et qui dans sa recherche effrénée d’une louange d’exception, louvoie entre la plus basse flagornerie et le quasi-blasphème, en donnant en plus d’un passage la précédence à Louis sur Dieu même. Il commence par la louange obligatoire de la reine, juxtaposant le chagrin causé par la mort (et les obsèques) de Louis XIII à la joie qu’amène la régence. Noter que cet encomium ne tient presque pas compte du jeune Louis XIV, comme il se devrait, mais porte presque entièrement sur la reine, qu’il semblerait créditer de la paix attendue après la bataille de Rocroi (19 mai 1643), ce qui va à l’encontre de la pratique bien établie de créditer le nouveau roi pour la victoire du duc d’Enghien. La flatterie d’Anne d’Autriche s’exprime (comme le reste du discours) en une série de paradoxes : « […] forcer la paix à s’exprimer de son contraire, à naistre parmi tant de morts, à nous consoler par l’affliction, & à chercher le restablissement par la désolation. » (iii) 143 La flagornerie prend des dimensions plutôt morbides, lorsqu’il compare Anne à la reine de Saba : si celle-ci s’extasie devant la gloire de Salomon, celle-là est en admiration devant le tombeau et les cendres du roi défunt. La rhétorique du p. de Condé ne craint pas d’entrer carrément dans le répugnant pour mettre en relief l’image de victime sacrificielle du roi. Nous avons cité plus haut l’exagération et l’hyperbole excessives du discours du 142 La Bibliothèque des écrivains de la Compagnie de Jésus (q.v.) donne de lui une brève notice bibliographique : né à Clermont en Argonne en 1609, il est ordonné prêtre le 2 mai 1622. Il meurt le 5 octobre 1651. Il a prononcé à Paris une oraison funèbre de Louis XIII et le Discours que nous rapportons ici. 143 La dédicace à Anne d’Autriche n’est pas paginée. C’est nous qui avons choisi de la paginer en chiffres romains minuscules. <?page no="85"?> QUAND LES ROIS MEURENT 73 jésuite, chose que souligne Haran dans les autres textes. Pour le grotesque, il faudrait cependant lui décerner la palme, comme l’atteste le passage ci-dessous : Quoy : corps precieux ? Souffrir jusqu’à estre rongé tout vivant des vers qui anticipent la proye de la mort ? Vers execrables, que vous me faites d’horreur : Vers favorables : que vous insinuez d’amour dans mon cœur : Je vous deteste, petits criminels de leze-Majesté ; on ne peut sans impieté toucher à un de ses cheveux, & vous sucez la moëlle de ses os ! Je vous cheris, executeurs de la douce rigueur d’une amoureuse Providence, qui tire par vous les restes de mon Royal holocauste ! Cessez, cessez, las, il en est aux derniers abois ! achevez, achevez ; ah ! la belle victime ! d’un Roy ; un ver ; qui crie au Roy des Roys, EGO VERMIS ET NON HOMO, qui souffre ainsi, & qui veut souffrir ainsi, pour se soumettre à luy (48-49). Par endroits, comme nous l’avons mentionné plus haut, elle va prendre un tour à la fois ridiculement hyperbolique et dangereusement proche du blasphème lorsqu’il compare la reine à Dieu et appelle Louis non pas Dieudonné mais donné à Dieu par justice (où est le sens ? ). Comment compare-t-il Anne à Dieu ? Le style ampoulé confine à l’incompréhensibilité, comme on peut le constater ici : Ce grand Dieu qui est apellé par nos Docteurs, le Pere-Mere de son fils a fait de vostre Majesté, la Mere-Pere du vostre ; la Mere, par amour ; le Pere ensemble & la Mere, pour resuciter vostre LOUYS, & pour vous exprimer vous-mesme, dans un commun prodige de vos vertus, & de l’heritier de vos merites (v-vi). Le discours proprement dit s’ouvre sur une assimilation de Louis XIII au soleil ; le paradoxe est bien le procédé rhétorique préféré du p. de Condé : la mort du roi est présentée comme un astre qui s’élève alors qu’il s’abaisse, mesurant ses élévations par ses chutes. Haran évoque bien le goût baroque pour le macabre 144 , mais les choses ne se limitent pas à cela. Il est évident que, du point de vue chronologique, le discours du p. de Condé se situe en plein dans cette période ; d’autre part, 144 Témoin les nombreuses vanités peintes à l’époque, mais le macabre est loin d’être exclusif au baroque. <?page no="86"?> FRANCIS ASSAF 74 si l’on s’en rapporte à l’alternance des contraires, sur laquelle prédicateur bâtit son argument, le style est évidemment baroque. Mais l’imagologie l’est-elle ? La notion de pôle disséminatoire, avancée par J.-J. Wunenburger dans son article « L’imaginaire baroque » (q.v.), laquelle repose explicitement sur l’alternance du diurne et du nocturne ne doit ici se voir qu’en filigrane, dans ce sens que Louis-Soleil est à la fois unificateur et séparateur. Séparateur par les défaites qu’il inflige à ses ennemis, unificateur par l’amour que lui portent ses sujets à cause précisément de ces victoires (Condé dixit). En même temps, le Soleil, confiné au tombeau (image éminemment nocturne), n’en ressort que plus resplendissant (image éminemment diurne). On peut argüer en faveur d’une imagologie baroque, mais elle semble désordonnée et difficile à saisir. Ce serait presque un travestissement burlesque, si l’on s’en rapporte aux paramètres esthétiques énoncés par Jean Leclerc (1974-) dans L’Antiquité travestie (q.v.). L’argument majeur touchant la gloire de Louis XIII (5) est qu’il ne la tient que de Dieu. Louis XIII est un chef de guerre, cela est entendu, mais un chef de guerre chrétien : c’est-à-dire que les actions qu’il commet dans ce sens se distinguent de celles des Ottomans, qui sont entièrement en dehors de la volonté divine : Hé quoy ? n’y auroit-il point de gloire pour nos Roys tres-Chestiens, que celle qui leur est commune avec les Ottomans ? Ne peuvent-ils aspirer qu’à lever la teste sur des peuples, & le bras sur des rebelles ? N’y a-t-il rien de grand pour eux, que de parler par la bouche des canons, de marcher sur des testes cassées, de sortir en bataille, & d’entrer par des bresches 145 ? Qui a-il [sic] de grand dans les desseins de tant d’autres que des illusions ? dans leurs entreprises, que des combustions ? dans leurs honneurs, que des flateries ? dans leurs fortunes, que des cheutes ? & dans l’immortalité d’une felicité pretendue, que l’eternité de leurs suplices ? (5-6) La lecture des passages qui suivent permet de constater que l’empire ottoman, allié de longue date de la France (traité de 1500 entre François I er - 145 Serait-ce une allusion à l’entrée de Mehmet II (1432-1481) à Constantinople le 1 er juin 1453 par une brèche pratiquée dans le mur d’enceinte ? <?page no="87"?> QUAND LES ROIS MEURENT 75 1494-1547 - et Soliman le Magnifique - 1494-1566), ne fait que servir de métaphore dans l’oraison funèbre pour tous les royaumes et empires autres que celui du Roi Très-Chrétien, ce dernier occupant une place toute spéciale dans l’amitié divine : en se rendant esclave de Dieu, il atteint à l’ultime liberté. Ce qui s’est dit de Louis XIII tout au long de sa vie se voit ici réitéré dans sa mort : le souci primordial du roi a toujours été de se soumettre aussi totalement à Dieu que possible ; de la sorte il s’est élevé au-dessus du reste des mortels et partant a élevé son royaume au-dessus de tous les autres. Le raisonnement du p. de Condé, encore que tortueux dans l’expression, n’est pas trop difficile à suivre : si Dieu est indépendant de toute autre entité pour son essence, par contre l’homme est dépendant de Dieu pour tout, y compris son ultime perfection, qu’il ne peut atteindre que par sa soumission à la volonté divine. Toute tentative d’indépendance de la volonté divine n’est que du libertinage. La recherche de la gloire en dehors de la soumission à Dieu n’est qu’un « infâme esclavage » (8). Le rapport de l’homme à Dieu (première cause et dernière fin) est l’ultime paradoxe : dépendance = liberté ; resserrement = amplification ; liens = affranchissement ; servitude envers Dieu = domination sur tout et tous. Louis XIII illustre cela à la perfection : il est donc non seulement l’homme parfait, mais aussi le parfait souverain. Comme on peut s’y attendre, l’orateur va comparer le défunt monarque à Moïse et à Josué, lui attribuant les qualités du Grand-Prêtre de l’Ancien Testament, et ce non seulement à l’instar des politologues contemporains (Cardin Le Bret , J.-F. Senault), qui reconnaissent le pontificat du roi au temporel, mais aussi au spirituel. Il est évident que le p. de Condé va bien au-delà du gallicanisme conventionnel : non seulement la Sainte-Ampoule sanctifie le roi, mais aussi le peuple tout entier (25). Ni le mémoire du p. Dinet, ni le journal de Du Bois/ Antoine ne mentionnent les paroles que le p. de Condé met dans la bouche de Louis XIII s’adressant sur son lit de mort au Dauphin : <?page no="88"?> FRANCIS ASSAF 76 Le voilà de vray (dit-il) cet enfant conceu par la providence & produit par la volonté de mon Dieu 146 : Je n’ay rien à perdre puisque je luy laisse tout ; & la mort m’est peu, s’il reste en vie : Mais j’aimerois mieux le voir mort de mille morts, & avec luy toutes les esperances de la France, que de savoir s’il devoit jamais flestrir son innocence par un seul de ses crimes ; qui le mettant hors de la grace, ne le lairroit 147 en nature que pour estre un monstre (17). Les documents ci-dessus ne mentionnent pas même la présence du p. de Condé aux côtés du roi mourant. Bien entendu, cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas été, mais ces paroles n’auraient pas manqué d’être relevées soit par le p. Dinet, soit par Du Bois (ou Antoine), voire par les deux. S’agiraitil d’une mise en fiction de Louis XIII, pour souligner son extrême piété ? C’est bien possible. Notons que Dinet et/ ou Du Bois rapportent d’autres paroles prononcées par le monarque agonisant, en particulier touchant la route que doit suivre son convoi funèbre, de Saint-Germain à Saint-Denis. Il semblerait donc douteux qu’un discours aussi « pointu » que celui rapporté dans la citation ci-dessus ait été passé sous silence par les deux documents les plus importants sur les derniers moments de Louis XIII. On notera que les paroles de Louis XIV à son arrière petit-fils sont, elles, bien documentées. Nous avons parlé plus haut de frôler le blasphème. Dans son ardeur à flatter Anne d’Autriche et le jeune Louis XIV, il s’engage dans des spéculations qui n’auraient pas été loin de lui valoir (à tout le moins) des réprimandes de ses supérieurs : « Il s’est soumis à Dieu, et Dieu s’est comme soumis à luy : Il demande, & Dieu octroie ; il ordonne, & Dieu exécute, il n’en a pas quasi le loisir, les faveurs de Dieu previennent ses vœux. » (20). Cela reviendrait à donner des ordres à Dieu. On a du mal à concilier ce genre de discours avec la soumission totale à Dieu de Louis XIII, telle que la rapportent les mémoires et chroniques de sa maladie et de sa mort. 146 Malgré l’humilité que lui attribuent ses panégyristes, selon le p. de Condé Louis XIII assimile la conception du futur Louis XIV à celle de Jésus, d’où on pourrait spéculer qu’il se considérait lui-même, en dépit des manifestations de son extrême crainte de déplaire à Dieu dans ses derniers moments, comme une figure christique. 147 Laisserait. <?page no="89"?> QUAND LES ROIS MEURENT 77 L’orateur récapitule plus ou moins le rôle du roi comme grand-Prêtre (14- 15), un grand-Prêtre selon le modèle de l’Ancien Testament. Il passe ensuite à un laïus historique sur le siège de La Rochelle (1627-1628), évoquant la défaite de la flotte anglaise lors de la première expédition contre l’île de Ré 148 . Il narre en termes vengeurs le siège proprement dit ainsi que d’autres victoires de Louis XIII. Comme nous l’avons dit plus haut, le leitmotiv de cette oraison funèbre est le paradoxe et l’antithèse : il a passé de 1627-1628 aux derniers moments du roi qui, cloué au lit par la maladie, n’en remporte pas moins d’éclatantes victoires, comme on peut le constater : Pourquoy ton LOUYS estant immobile par les rigueurs de ses maladies, est-il le génie mouvant de toute l’Europe par le bonheur de sa conduite ? Immobile par sa foiblesse inévitable ; mouvant tout par sa force indomptable ? abbatu sur le lit, bat l’ennemy ; cueille des Lauriers quasi sur les Myrthes ? fait plus d’exploits mourant que vivant ? (23) Notons que le myrte, lié au monde des morts, fait allusion à la Couronne d’Épines, renforçant ainsi l’image christique et sacrificielle de Louis XIII. A. Y. Haran présente un tableau détaillé de la représentation christomimétique du roi dans ses oraisons funèbres (253-254). Non seulement celui-ci est l’agneau du sacrifice mais aussi il est une figure du Christ monté aux cieux. Rappelons que le 14 mai 1643 est jour de l’Ascension, coïncidence qui a apporté de l’eau au moulin de nombre de ses panégyristes ecclésiastiques. Ainsi qu’on peut le voir, le discours, encore que peu subtil, manifeste par endroits un certain élan poétique. On pourrait presque parler de prose rimée : « Immobile par sa faiblesse inévitable ; mouvant tout par sa force indomptable ? abattu sur le lit, bat l’ennemi ; fait plus d’exploits mourant que vivant ». On peut se demander si le p. de Condé est conscient des écarts théologiques qu’il commet. Nous avons évoqué ses frôlements du blasphème, dans 148 Elle est commandée par George Villiers, duc de Buckingham (1592-1628). La flotte anglaise débarque à Ré le 12 juillet 1627. Buckingham en est chassé en novembre par Henri de Schomberg (1575-1632) et Jean de Toiras (1585-1636). <?page no="90"?> FRANCIS ASSAF 78 son ardeur à accumuler louange sur louange à la gloire de Louis XIII ; ici, toutefois, on pourrait penser qu’il va un peu trop loin : « […] Dieu est vraiment le Dieu de ton LOUIS, & ton LOUIS est (à dire ainsi comme on a dit de Moïse) le Dieu de Dieu. Il faut cependant noter que cette expression ne signifie pas communément « supérieur à Dieu », mais plutôt « la main droite de Dieu », c’est-à-dire celui par qui Dieu manifeste sa volonté et agit. En effet, le prédicateur assimile la France, fille aînée de l’Église et corps politique du roi, à l’Église, corps mystique du Christ : « […] un corps mystique, comme celuy de sa mere 149 : les Ministres & les conseils, en peuvent estre les yeux et les oreilles ; les Parlemens en sont la bouche ; les armées en sont les bras ; les finances les nerfs ; Mais la seule vertu de LOUYS dans la qualité de serviteur de Dieu, est l’ame pour inspirer à toutes ces parties, la vigueur, le mouvement et la vie. (24-25) Il est évident que, si le roi doit être totalement soumis à Dieu, le royaume ne peut que l’être aussi. Ce que nous avons dit plus haut des tendances blasphématoires du discours du p. de Condé doit donc relever dans son essence du paradoxe, vu qu’il ne nous ramène qu’à la théologie politique la plus orthodoxe. De même que la volonté de Dieu est absolue, celle du roi (dans son corps politique) l’est également : « L’homme dans le Roi veut ce qu’il peut ; le Roi dans l’homme peut ce qu’il veut. » (29) autrement dit, comme la volonté divine est absolue et omnipotente (au ciel), celle du roi (dans son corps politique) l’est sur la terre. Tout cela est exprimé avec bien des circonlocutions qui rendent par endroits le discours difficilement intelligible, d’autant plus que s’ajoutent à la matrice discursive paradoxale des chiasmes, comme par exemple celui-ci (qui se double d’une antanaclase) : « Quelle gloire à un jeune Prince de tenir un train de vie tout contraire à la vie de ceux de son train ? » (29-30). Ce tour de rhétorique sert d’introduction à une philippique contre la Cour, ses mœurs dissolues et son athéisme « d’esprit », diatribe bâtie sur une série d’oppositions et de contradictions, dont l’analyse détaillée 149 On peut y voir un rappel du corpus mysticum regni, formulé par Jean de Terrevermeille dans ses Tractatus. Cela ne veut pas forcément dire que l’orateur s’en soit inspiré. <?page no="91"?> QUAND LES ROIS MEURENT 79 risquerait d’être oiseuse. Tout cela débouche (comme on peut s’y attendre) sur Louis XIII, qui « n’a de fortes passions que pour exercer sur de grands sujets l’empire de la raison. » (31) À la lecture de ce discours, bien évidemment de circonstance, le gallicanisme du jésuite est évident. Le passage ci-dessous le fait voir : Et vous, Alpes accoustumées à ouvrir des routes dans vos précipices à la vue de LOUYS : laissez passer ma voix qui porte au conclave d’autres victoires, que d’un nouvel Hannibal : Pourpres sacrées, en voicy de saintes sur un Roy pur : Il est des merveilles assez ordinaires, j’en ay d’extraordinaires : les ordinaires sont que les aveugles voyent, que les müets parlent, que les sourds entendent 150 ; les extraordinaires dans le petit fils, de la grande expression de Saint Loüis sont : qu’un Roy ait des yeux avec autant d’éclats en Cour, & ne voye pas ; tant d’oreilles & n’entende pas ; tant de bouches & ne parle pas ; soit vivant parmi les morts, dans une grace immortelle parmy tant de crimes ; soit mort parmy les vivans, dans un insensibilité à toutes les sensibles consolations de la vie (34-35). Ce gallicanisme outré semble bien artificiel. On n’y discerne pas vraiment une idéologie spécifique 151 . Notons bien que nulle part le p. de Condé ne met en question l’autorité (spirituelle ou temporelle) du pape mais, dans l’hyperbole extrême de la louange de Louis XIII, qui sous sa plume (ou dans son discours) prend une dimension surhumaine, dépassant - implicitement - de loin celle que pourrait avoir Urbain VIII (1568-1644), on pourrait imaginer ce vicaire du Christ est en fait obombré par Louis XIII, qui est quasi-divinisé en un autre Christ (ou plus encore…). Ce n’est pas explicite, bien entendu, mais lorsqu’il dit par exemple que « d’une matière aussi vile que celle des animaux, vous en avez fait une aussi pure que celle des Astres ; comme elle est inalterable par vostre vigueur, qu’elle soit immortelle dans vos recompenses. » (36), on est en droit de se demander si selon le p. de Condé Louis XIII ne dépasse pas la simple sainteté pour accéder carrément à la divinité, une divinité d’un ordre supérieur… 150 Il est évident que Louis XIII n’est plus ici une simple figure christomimétique, mais qu’il dépasse même le Christ. 151 Voir l’article de Michael K. Becker. <?page no="92"?> FRANCIS ASSAF 80 L’évocation des faits d’armes du roi contre les huguenots est assez conventionnelle dans sa description de la lutte de l’ordre contre le désordre et (implicitement) d’Hercule (image familière du roi de France depuis au moins Henri IV 152 ) contre l’« hydre » protestante. Même ici, le p. de Condé divinise Louis XIII : le protestantisme n’est pas une offense à Dieu, ni même à la « vraie » doctrine, c’est-à-dire à la religion catholique, mais à Louis personnellement. Non, non, pourtant ne craignez pas tant d’armes seront seulement les amples trophées à vostre force ; tant de crimes à vostre Justice ; tant de suplices qui luy estoient doux, à vostre clémence ; tant de sacrileges à vostre pieté ; tant de tumultes à vostre prudence ; tant de confusions, à vostre gloire. (44-45) Ne pourrait-on pas argumenter que ce gallicanisme caricatural substitue Louis XIII à Dieu, ce qui en fait constitue une injure à l’extrême piété du roi qui, dans ses derniers moments, redoutait par-dessus tout de déplaire à son créateur ? La très grande piété d’Anne d’Autriche ne fait de doute pour personne ; sa biographe, Claude Dulong, n’inclut guère d’informations sur son savoir théologique et la thèse d’Éléonore Alquier (q.v.) ne fait que répéter l’attachement de la reine (à présent régente) aux couvents de la capitale à partir de l’installation de la Cour au Palais-Royal (1643) et tout particulièrement à la fondation du Val-de-Grâce. L’édition du discours du p. de Condé, dédiée à la reine-régente, ne mentionne aucun autre membre de l’auditoire. Il est hors de doute que le petit Louis XIV y a été présent, et sans doute une partie importante (au moins) de l’entourage ecclésiastique du roi défunt lors de ses dernier moments. On peut aussi y inclure l’archevêque de Paris, Jean- François de Gondi (Il est difficile de s’imaginer cette cérémonie se déroulant 152 On peut se rapporter au portrait d’Henri IV en Hercule terrassant l’hydre de Lerne. Seconde école de Fontainebleau (Louvre), ainsi qu’à l’eau-forte d’Abraham Bosse (1602/ 1604-1676) (v. 1635) représentant Louis XIII en général romain mais portant la peau du lion de Némée et la massue d’Hercule (http: / / expositions.bnf.fr/ bosse/ grand/ 107.htm). Il faut toutefois noter que ce portrait du roi victorieux se rapporte à ses triomphes sur l’Espagne, la Savoie, l’Empire et la Lorraine (BnF). <?page no="93"?> QUAND LES ROIS MEURENT 81 sans sa présence, Notre-Dame n’étant qu’à quelques centaines de mètres de la Sainte-Chapelle). Tout cela pour effectuer une synthèse de l’exagération et des entorses à la théologie que peut prendre l’encomium royal. A. Y. Haran s’appuie sur de nombreux exemples pour faire voir à quel point le discours funèbre de Louis XIII en général se base sur une théologie très élaborée - trop peut-être - tout en précisant que les pièces qu’il cite tiennent implicitement compte de la fin violente d’Henri III et d’Henri IV (Louis XIII meurt pour ainsi dire entre les bras de Dieu, contrairement à ses deux prédécesseurs), mettant leur descendant sur le même pied que son ancêtre saint Louis, spécialement dans le parallèle entre les croisades de celui-ci (VII e et VIII e ) et les guerres de celui-là contre les « hérétiques », encore plus détestables que les « infidèles ». Ayant épuisé, semble-t-il, les ressources de sa rhétorique tortueuse, le p. de Condé revient à Anne d’Autriche « Reine toute Royale en sa race ». (58) Fille de roi, sœur de roi, mère de roi, femme de roi, la régente fait l’objet d’une mise en fiction qui, si elle n’est pas aussi délirante dans l’hyperbole que celle dont son défunt époux a fait l’objet, n’en est pas moins exaltée. La réticence qu’il exprime manque de subtilité : ayant à plaisir fait étalage des vertus d’Anne, l’orateur fait mine de passer à autre chose, mais ce n’est que pour faire de la reine une sorte de réincarnation du feu roi. Il faut toutefois noter l’ambiguïté ou plutôt l’inconséquence dont il fait preuve, car il semble bien par endroits reconnaître que le roi mort n’est plus roi : « S’il n’est plus nostre conduite, il est devenu notre idée ; nous ne sommes plus ses sujets, nous pouvons estre ses compagnons […] » (61). Ce qui suit est pour le moins bizarre : « […] Ah, LOUIS, si vous nous quittez, je suis votre corps jusqu’en terre, & vostre esprit jusqu’au ciel […] » (61). Le passage est confus ; on se demande si l’auditoire a vraiment été capable de suivre les méandres du raisonnement du p. de Condé. Le goût grotesque du macabre se voit à nouveau dans ces lignes : Je me plonge dans ce caveau fait de nos Louvres enterrez, habité en son fonds par les spectres de quelques Princes, habitable en son vuide par tous les autres ; je me roulle sur ces os qui sont les débris de nos thrônes ; <?page no="94"?> FRANCIS ASSAF 82 Je me couche sur cette poussière sous qui tant de fortunes sont ensevelies […] (62). Le lieu commun qui suit n’apporte pas grand-chose à des prouesses d’éloquence aussi entachées de grandiloquence dans la forme qu’elles sont pauvres dans le fond : dans la mort les rois sont hommes et les hommes ne sont pas autres que les rois. Son évocation de la mort comme grand égaliseur et tombeau de toutes les vanités et de toutes les gloires ne présente rien de bien original. S’il effectue un raccourci aussi frappant que cru entre Saint- Germain (le trône) et Saint-Denis (le tombeau), la pourpre et la pourriture, le thème quasi-exclusif de la ferveur religieuse du roi domine, de façon oppressive pourrait-on dire, tous les autres aspects de Louis XIII et de ce qu’il a réalisé comme monarque. Cette persistance à évoquer le défunt en tant que roi pourrait donner à penser que l’orateur est conscient de la rémanence du corps politique ; il n’en est rien cependant si on considère sa lourde insistance sur le corps physique, non seulement mort, mais en pleine décomposition. On peut se reporter aux remarques que nous avons faites plus haut sur les gravures de Morin en tête du journal de Du Bois/ Antoine, lesquelles expriment clairement cette rémanence (le roi mort dans son corps physique est présent dans son corps politique par l’image). On se demande quel effet veut créer le prédicateur dans l’esprit de l’auditoire avec ses allusions répétées au cadavre pourrissant de Louis XIII. Est-il un seul personnage présent qui ne soit profondément conscient de la vanité de la vie face à la puissance de la mort ? Le moins qu’on puisse dire, c’est que la théologie du p. Condé ne manque pas d’originalité. Vers la fin de son discours, il évoque un Dieu à la fois ludique et capricieux, se jouant de l’univers, des hommes et des rois, non pas vraiment avec bienveillance (le Dieu aimant des Évangiles semble absent de son horizon théologique), mais plutôt comme un chat jouant avec une souris, pour son seul amusement, qui ne manque pas de cruauté : <?page no="95"?> QUAND LES ROIS MEURENT 83 C’est ce Dieu qui se joüe de toute la police 153 , faisant des sceptres d’une houlete 154 ; & d’une baguete blanche des sceptres, formant des couronnes de diamans, & les cassant comme des verres ; C’est ce Dieu qui se joüe dans son Eglise, faisant l’elite des predestinez de la lie du monde, élevant sur les astres des creatures de boüe, versant dans les abysmes des intelligences, & pour une pensée sans durée, dans des souffrances sans fin. (66) Condé termine sur une fulminante envolée, dépeignant un Dieu de l’Ancien Testament toujours à l’affût d’une infraction à punir - et de la manière la plus horrible - tout en exigeant une soumission aveugle, dont Louis XIII, dit-il, est l’exemple le plus accompli. Cette caractérisation est gênante car elle apporte de l’eau au moulin de Tallemant, qui refusait à Louis XIII l’amour véritable de Dieu, pour affirmer qu’il n’avait que la crainte de l’enfer (supra). Les oraisons des pp. Doublet et Deslyons : le sacrifice du prince Dans le récit des funérailles de Louis XIII, on a pu constater à quel point sont fortes et présentes les survivances médiévales dans le cérémonial (et aussi probablement dans l’esprit des assistants). E. Kantorowicz (q.v.) a commenté et exposé en détail le rôle sacral du roi, vicaire du Christ au temporel, traçant l’évolution du concept de la fonction royale du christocentrisme/ christomimiétisme au juricentrisme. Dans Le Prince sacrifié (q.v.), J.-M. Apostolidès prépare son exposé de l’image du prince dans l’univers dramatique (Corneille puis Racine) en résumant et précisant ces notions médiévales (chapitre I). Ce qui frappe lorsqu’on compare les oraisons funèbres de Louis XIII et de Louis XIV, c’est le caractère profondément christomimétique que revêt l’image du roi dans les premières ; non que celles de Louis XIV en manquent, mais les panégyristes de son père mettent en relief presque exclusivement ce caractère. Nous allons voir que les oraisons funèbres de Louis XIII ici présentées prennent quasi-exclusivement en ligne 153 La société organisée. 154 Allusion évidente à David. <?page no="96"?> FRANCIS ASSAF 84 de compte ce caractère christomimétique (donc médiéval) du « prince sacrifié ». Apostolidès parle d’une transaction, d’un échange entre le roi et le peuple dans un contexte de bataille (chose que réfute Jean Bodin dans Les Six livres de la république), mais ce en quoi il a raison, c’est la notion soulignée dans la citation ci-dessous : Ce don est le sacrifice de sa vie que le monarque a fait sur le champ de bataille, qui a confirmé sa dimension sacrée, et qui appelle un contredon. À l’instar de celui du Christ, le sacrifice du roi est tellement grand que les sujets n’auront pas trop de toute leur vie pour se libérer de leur dette. Ils devront par la suite non seulement l’impôt mais verser leur sang si le prince le réclame pour la défense du territoire commun. Que le sacrifice premier du roi ait eu lieu vraiment ou qu’il soit rapporté par les chroniqueurs a finalement peu d’importance en regard de sa nécessaire mise en représentation. C’est lui qu’on trouve à l’origine du respect et de l’obéissance dus au souverain, lui qui permet d’unifier en une seule les images incompatibles du rex et du sacerdos (22). Il faut étendre la notion de sacrifice du roi au-delà de celui de simple chef de guerre : si Louis XIII a guerroyé, ce n’est pas, comme le fera son fils, pour des raisons territoriales, mais pour maintenir ou rétablir la « vraie foi », ce qui constitue sans nul doute aux yeux de l’Église un sacrifice christique, c’est-à-dire accompli pour « racheter » son peuple. C’est pourquoi les prédicateurs attribueront la mort du roi (Louis XIII comme Louis XIV) aux péchés et « crimes » du peuple, ce qui appellera la vengeance divine sous forme de privation, de retrait du « bon prince », qui est aussi un bon pasteur. Dans le contexte qui nous occupe ici, ce n’est pas le sacrifice du roi sur le champ de bataille (les guerres entreprises par les deux Bourbons sont justes, nécessaires et n’entraînent pas la mort du souverain sur le théâtre des opérations), mais le simple exercice de la souveraineté, dans une perspective sacerdotale/ christomimétique (spécialement dans le cas de Louis XIII). <?page no="97"?> QUAND LES ROIS MEURENT 85 Le p. Louis Doublet 155 prononce deux oraisons funèbres à la mémoire de Louis XIII : la première le 19 juin 1643 156 à l’église des Frères Prêcheurs de Guingamp, en présence de l’évêque de Tréguier, M gr . Noël des Landes († 1645), dominicain lui-même. Son oraison, comme la suivante, qu’il prononce le lendemain dans l’église des Carmélites de Tréguier, est dédiée à M gr . Denis de La Barde 157 , évêque de Saint-Brieuc de 1641 à 1675 158 , date de son décès. Relativement brève, la dédicace occupe deux pages. Le p. Doublet y évoque la bienveillance de l’évêque envers lui (sans entrer dans le détail). L’oraison s’ouvre sur un parallèle entre Louis XIII et Jésus-Christ, ce qui est peu surprenant, mais on décèle immédiatement une très grande différence de ton entre le discours du p. Doublet et celui du p. de Condé, ne serait-ce que par le thème annoncé d’emblée, c’est-à-dire la date du décès, qui est aussi celle de l’Ascension, qui renforce l’image christique de Louis XIII (6), que le p. de Condé avait déjà évoquée. Le p. Doublet procède cependant avec un style bien plus soutenu et digne que les divagations du p. de Condé. Comme ce dernier, cependant, le p. Doublet évoque aussi l’image davidique du roi (7), à la fois par la piété de celui-ci, qui se compare à celle de l’ancêtre de Jésus et, implicitement peut-être, par ses compositions musicales religieuses, qui pourraient évoquer les psaumes du roi-prophète. La vision du p. Doublet manifeste une étendue et une spiritualité absentes de celle du p. de Condé, comme on a pu la constater ; plutôt que de focaliser 155 Nos remerciements au fr. Jean-Michel Potin, o.p., archiviste des Dominicains de la province de France, qui a cherché des renseignements sur le p. Doublet. Malheureusement, la Province ne dispose pas d’archives pré-révolutionnaires. 156 On a choisi de privilégier le discours du p. de Condé, bien qu’il soit postérieur chronologiquement aux oraisons du p. Doublet à cause de la présence de la reine-régente et du jeune Louis XIV, ce qui bien entendu n’est pas le cas dans celles du p. Doublet ni du p. Deslyons. 157 Remercions ici l’archiviste du diocèse de Saint-Brieuc, qui nous a communiqué une documentation très utile sur M gr . de La Barde, tirée de l’ouvrage de Jules Lamare : Histoire de la ville de Saint-Brieuc. Saint-Brieuc, F. Guyon, 1884. 158 Les armes de ce prélat figurent au revers de la page de titre du volume des oraisons du p. Doublet (cote BnF Lb 36 3382). <?page no="98"?> FRANCIS ASSAF 86 étroitement son propos sur le seul Louis XIII, la reine et (accessoirement) le jeune Louis XIV, Doublet étend à la France tout entière le sentiment de perte qu’il formule dans son oraison funèbre. Au lieu d’impliquer que Louis XIII donne des ordres à Dieu, Doublet fait de lui une image terrestre du Créateur en lui donnant les qualités de justice et de miséricorde qui sont, dit-il, les plus éclatants attributs de Dieu. En même temps, il annonce que son discours roulera sur ces deux points. Le prédicateur s’appuie sur la définition de la justice par saint Anselme (1033-1109) (telle que la rapporte saint Thomas (1224/ 1225-1274)). Celle que pratiquait Louis XIII, il l’appelle distributive, par opposition à la justice commutative qui, de toute évidence, ressortit au paganisme. Il ne parle pas de cette dernière en ces termes, mais il n’est pas difficile d’y reconnaître le principe romain du do ut des 159 . La justice véritablement divine consiste à rendre à chacun ce qui lui revient. Suit une liste de la « distribution » divine aux êtres selon leur classe : anges, hommes, animaux, végétaux, etc. L’assimilation à saint Louis est inévitable. Ce n’est pas tant par la valeur militaire, lourdement évoquée par le p. de Condé (croisades pour Louis IX, guerres contre les huguenots pour Louis XIII), mais par la dévotion religieuse et la sainteté. Toute oraison funèbre est une mise en fiction de son sujet. Nous croyons l’avoir bien démontré dans notre ouvrage sur la mort de Louis XIV (La Mort du roi, q.v.) On voit la même chose dans le discours du p. Doublet : « Dès qu’il fut arrivé à la Couronne, il vaqua au règlement de ses Sujets, il mit ordre aux provisions des Bénéfices, des charges, des Offices : il assembla les trois États… etc. » (10) De fait, les États-Généraux tinrent séance du 27 octobre 1614 au 23 février 1610, convoqués à Paris 160 par Marie de Médicis. 159 L’expression accompagnait les sacrifices, ex-voto et autres actes de piété chez les Romains : le fidèle donnait dans l’espérance que la divinité répondrait à son tour par un don. Le prédicateur souligne implicitement la supériorité du vrai Dieu sur les divinités païennes en déclarant que les créatures ne sauraient donner à Dieu ce qui lui appartient, puisqu’il est Maître de tout. 160 Au Petit-Bourbon, démoli peu après la clôture des Etats-Généraux pour faire place à la colonnade de Claude Perrault. <?page no="99"?> QUAND LES ROIS MEURENT 87 Ce sera, comme on le sait, la dernière fois avant 1789. Toujours est-il que ces quatre mois (ou presque) n’ont guère produit de résultats. Le plus clair des considérations du p. Doublet est que ces États-Généraux ont été le « coup d’envoi », pour ainsi dire, de l’exercice de la justice de Louis le Juste, laquelle, dit le prédicateur « donnait le branle à toutes ses actions ». Suit une brève dissertation se voulant philosophique sur ce qui constitue une action juste, mêlant principes abstraits et louange du roi défunt. Bien entendu, cette qualité est christique, comme s’efforce de le démontrer le dominicain. La divinisation de Louis XIII n’est pas exprimée avec autant d’extravagance que le fait le p. de Condé, mais Doublet ne l’effectue pas moins en un double parallèle : d’une part, Jésus est le sauveur du monde, Louis XIII, celui de la France ; de l’autre, en tant que juste, c’est-à-dire incarnation de la justice, le roi participe de la divinité. S’étant étendu à plaisir sur la justice du roi, sur le roi-justice, Doublet se penche sur la miséricorde de Louis XIII. Il compare celui-ci à César, cette fois-ci, citant par le biais de saint Augustin (354-430) 161 Cicéron s’adressant à l’imperator : « Nulle de tes vertus n’est plus admirable ni plus gracieuse que ta miséricorde. » (17) De cette basse flatterie 162 , Doublet fait le tremplin d’une discussion en termes fort généraux de cette vertu, sans égard à la dureté du roi envers les huguenots : le siège de La Rochelle est le théâtre d’effroyables horreurs, soit ordonnées, soit tolérées par Louis XIII. Le passage qu’y consacre son panégyriste (18-20) est un chef-d’œuvre d’hypocrisie, dans lequel il compare Louis XIII à Constantin (272-306), devenu chrétien après la bataille du pont Milvius 163 . Rappelons-le : même envers son entourage, il se montre avare : sur son lit de mort, il demande pardon à ses valets, garçons de chambre et autres serviteurs de ne s’être pas montré plus généreux envers eux, alors qu’il laisse à Mazarin la somme de cent trente-six 161 De Civitas Dei. 162 Si César est connu pour son ambition et sa soif de conquêtes, il ne l’est guère par sa miséricorde. 163 28 octobre 312. Le nombre des pertes est inconnu, mais il a dû être considérable. <?page no="100"?> FRANCIS ASSAF 88 mille livres (d’après le testament 164 ) ; infiniment plus charitable que le cardinal, Vincent de Paul n’en reçoit cependant que six mille. Cependant Doublet passe sur ces « peccadilles » pour se concentrer sur les derniers jours du roi, durant lesquels il recommandait à Dieu son royaume, signe pour le prédicateur d’une admirable abnégation. Chaque geste, chaque parole du roi mourant deviennent alors signes de miséricorde envers ceux qui viennent le voir sur son lit d’agonie. La capacité du p. Doublet de transformer toute décision politique du roi en exemple de miséricorde est étonnante : jusqu’à la décision du roi de donner la régence à la reine 165 est un acte de « miséricorde » quasi-divine. Autrement dit, tout ce que fait un monarque prudent et responsable devient marque de vertu presque surnaturelle. Il est vrai qu’il est le premier monarque à décéder de mort non-violente depuis Henri III, mais Doublet ne fait pas mention de ses deux prédécesseurs. L’oraison s’achève sur un thème qu’on retrouvera abondamment dans celles de son fils : celui du prince sacrifié, et dans les mêmes termes. Ce n’est pas la maladie intestinale, encore moins l’incompétence ou l’ignorance des 164 Vraisemblablement de la main de Bouthillier, signé par Louis et contresigné par celuilà. Claude Dulong (Mazarin, q.v.) est muette là-dessus. 165 En dépit d’un testament lui imposant toutes sortes de contraintes et cassé par le Parlement à la demande de celle-ci sitôt le roi est mort, supra. <?page no="101"?> QUAND LES ROIS MEURENT 89 médecins qui ont abrégé ses jours, mais « […] nos crimes ont abrégé ses jours, faisons-en penitence : le Iuste a souffert pour les iniustes, sçachons luy en gré » (24). La deuxième oraison, prononcée par le même en l’église des carmélites de Guingamp le 20, poursuit la même thématique double : justice et miséricorde, avec la même imagerie christique et la faute de la mort du roi rejetée sur ses sujets, comme on peut le voir dans l’extrait ci-contre. Cette notion cadre tout à fait avec celle de prince sacrifié. Comme bien d’autres panégyristes et orateurs des deuxième et troisième Bourbons, Doublet retourne à la notion médiévale du concept du roi gemina persona, c’est-à-dire humain par nature et divin par grâce. Sans le citer, bien entendu (le connaissait-il seulement ? ), Doublet reprend l’argument de l’Anonyme Normand, qui dit : « Rois et évêques sont sanctifiés et sacrés afin qu’ils soient saints, c’est-à-dire qu’hors de la terre et hors du monde ils soient distingués de médiateurs entre Dieu et le peuple, communiant au ciel et modérant leurs sujets sur la terre. » (Kantorowicz 729) Comme pour le p. de Condé, l’office royal fonctionnel est absorbé dans l’office ontologique, qui regarde exclusivement le roi comme le vicaire de Dieu au temporel. Doublet contourne (l’invalidant par là ? ) ainsi le concept de monarchie juricentrique, qui gouverne effectivement la succession royale, laquelle prend naissance (ou du moins se manifeste de façon inchoative) dans le Policraticus (Jean de Salisbury, v. 1159) pour s’affirmer clairement dans le Liber Augustalis de Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250 , roi de Sicile) en 1231 (Kantorowicz 733-736). Sans vouloir nous étendre plus avant sur le sujet 166 , nous nous bornerons à rappeler simplement que les notions visant à donner à Louis XIII (et à son successeur) un caractère de Grand-Prêtre au temporel constituent (du point de vue purement politique et juricentrique) un pas en arrière dans l’évolution de la notion de souveraineté. Les intentions sont claires. Doublet attribue aux exhortations de Louis XIII mourant la conversion au catholicisme de Gaspard IV de Coligny (1620-1649 - abjure le protestantisme en 166 Voir La Mort du roi 20-22. <?page no="102"?> FRANCIS ASSAF 90 1643) 167 , ce qui est pour le moins paradoxal, lorsqu’on considère que le roi agonisant avait exigé que son père, Gaspard III ne fût pas admis en sa présence vu ses convictions huguenotes. Gaspard IV aurait en fait abjuré sous l’influence de Marion Delorme, qui était sa maîtresse à l’époque (après avoir été celle de Richelieu et de Cinq- Mars, entre autres - Pigaillem 53-58). « Prince Sacrifié », Louis XIII a fait un « parfaict holocauste » de son cœur à Dieu, de l’amour duquel il a été consumé (3). Doublet compare - implicitement - le jeune roi à Jésus adolescent dans le temple par sa sagesse (Luc II, 47) et explicitement à Adam, à qui furent donnés d’emblée non seulement savoir et révélations surnaturelles (3), mais aussi la paternité de l’humanité, comme Louis XIII est le père de la France. Ici, l’assimilation christique est dépassée pour englober Adam. Bien entendu, le vœu du roi (10 février 1638) fait l’objet d’une glose enthousiaste. Curieusement, l’église du Val-de-Grâce est passée sous silence. Est-ce parce qu’elle n’est pas directement patronnée par Louis XIII mais par Anne d’Autriche ? Quoi qu’il en soit, le prédicateur se réfère évidemment au tableau emblématique de Philippe de Champaigne, devenu allégorie du règne de 167 Aucune des sources consultées n’indique que Gaspard IV se soit trouvé en présence du roi agonisant. Il faut noter que l’ouvrage d’Henri Pigaillem sur Marion Delorme, (q.v.) ne mentionne que Gaspard III (158). <?page no="103"?> QUAND LES ROIS MEURENT 91 Louis XIII. Notons aussi, bien entendu, le tableau de Jean-Dominique Ingres (1780-1867) sur le même thème (1824), conservé à la cathédrale de Montauban 168 , patrie du peintre. Parmi les oraisons funèbres de Louis XIII, la deuxième du p. Doublet est la seule, à notre connaissance, à aborder la question de la mort prématurée du roi en termes purement spirituels : c’est son extrême dévotion qui a abrégé sa vie, vu qu’il est parvenu très vite au summum de la perfection, qui est d’entrer dans la vie éternelle : Ie croy que c’est la raison de la briefueté de sa vie, & que la ferueur de sa devotion ay-t monté à son zenith, & touché le dernier point de la perfection, a mis fin à ses iours, pour iouyr d’un repos perdurable, où il n’y a ny surcroist ny diminution de merites, mais une perpetuelle consistence. S’il eust un peu moderé les sainctes flammes de son cœur, il n’en eust pas esté si promptement consommé. Si ses mouuemens vers le Ciel n’eussent point esté si vistes, il eust demeuré plus long tems auec nous, & nostre bon-heur eust tiré son accroissement du retardement de sa beatitude (4). Dans ce passage, on constate que l’encomium royal, formulé dans la première oraison en des dimensions (relativement) rationnelles et conventionnelles, dérive, dans la deuxième, vers l’absurde (encore que moins que chez le p. de Condé). Contrairement à la première oraison, qui fait dépendre le bonheur de la France de la vertu du souverain, ici Doublet semble avoir oublié ce qu’il a dit précédemment, exprimant le regret que Louis XIII ait été tellement vertueux que Dieu l’a rappelé prématurément à lui, alors que s’il l’avait été moins, le bonheur de son peuple aurait duré plus longtemps, paradoxe qui se rapproche des divagations du p. de Condé. Doublet réitère son rejet effectif de la fonction royale (juricentrique) en se demandant (ou feignant de se demander) s’il n’a pas tort de préférer le bien-être du peuple au bien-être spirituel de Louis XIII, qu’il qualifie simultanément de voyageur (ou viateur) et de compréhenseur 169 . Comme bien des panégyristes du roi, il 168 Rappelons que Montauban, haut-lieu de la foi huguenote se rend aux troupes royales le 20 août 1629. 169 Selon le site catholique www.hermas.info, le terme de viateur (voyageur) définit celui qui « voyage » sur terre, où il ne fait que passer, en se purifiant en route par l’ascèse et la <?page no="104"?> FRANCIS ASSAF 92 ne retient que la fonction christomimétique. Nous avons parlé plus haut des survivances médiévales qui se manifestent lors de la pompe funèbre du roi. Encore que les éléments christomimétiques explicites en soient absents, l’étroite focalisation du p. Doublet sur ces éléments mêmes vient complémenter en quelque sorte cette médiévalité. Autrement dit, le discours funèbre de Louis XIII constitue en quelque sorte une régression historique de l’image du corps du roi (supra), régression paradoxale car, lui enlevant le versant politique (dont hérite implicitement le jeune Louis XIV, qui l’exercera par l’intermédiaire de la régente), elle ne laisse plus au monarque défunt que le versant (primitif) christomimétique, faisant de lui un « prince sacrifié » à double titre : Louis XIII mort pour les « crimes » de son peuple (topos qu’exploitent tous les orateurs funèbres) mais aussi « sacrifié » dans ce sens qu’il est dépouillé de l’immortalité de son corps politique, qui passe à son héritier (La rémanence de ce corps se constate malgré tout dans lmes oraisons funèbres, quoi qu’en disent les orateurs). prière. Les compréhenseurs sont ceux qui sont arrivés à leur terme et jouissent d’une vision parfaite de Dieu. Il faut noter que l’Encyclopédie, à l’article PARADIS (11 : 893), contient les propos suivants : « Ils [certains théologiens] ne font point attention que l’ame de Jesus - Christ jouissoit de la gloire céleste sur la terre, & qu’il étoit, selon leur opinion & leurs termes, voyageur & compréhenseur tout à la fois; qu’ainsi ce n’est pas le lieu qui fait le paradis, mais le bonheur dont on jouit par la vûe de Dieu, » http: / / artflsrv02.uchicago.edu/ cgi-bin/ philologic/ contextualize.pl? p.10.encyclopedie0513.9220161 <?page no="105"?> QUAND LES ROIS MEURENT 93 Suit alors une longue comparaison entre Josias (roi de Juda -640 à -609) et Louis XIII, le premier comme exterminateur des idolâtres, le deuxième comme vainqueur des hérétiques (On a déjà vu ce dernier comparé à David (1 er 2 e livres de Samuel). Ce dernier topos sera abondamment repris dans les oraisons funèbres de Louis XIV, non seulement pour la promulgation de l’Édit de Fontainebleau (18 octobre 1685) révoquant l’Édit de Nantes, mais aussi pour la répression des jansénistes, quiétistes et autres « dissidents » religieux taxés à divers degrés d’hérésie. Louis XIII est également comparé (avantageusement) à Josaphat . Les oraisons funèbres de Louis XIII et de Louis XIV comprennent quasiobligatoirement des comparaisons avec les souverains anciens, dans les trois domaines biblique, antique et chrétien. Josias et Josaphat appartiennent au premier. Agésilas 170 , au deuxième et saint Louis (mention incontournable) au troisième. Il n’est pas clair si le p. Doublet a assisté en personne à l’agonie de Louis XIII, vu que le mémoire du p. Dinet ne fait pas mention de lui, mais une remarque à la fin de l’oraison pourrait s’interpréter dans ce sens : « […] mais le moyen de penser à la reine, sans fondre en larmes, la voyant gémir comme une tourterelle ? » (13). 170 Agésilas II, (règne de -398 à -360). Voir Dictionnaire historique et critique. T. I : 91- 94. L’auteur loue hautement ses qualités de général et de stratège. <?page no="106"?> FRANCIS ASSAF 94 Le jeudi 27 août (et non le 25, fête de St. Louis), la ville de Pontoise tient un service commémoratif solennel. Le chanoine Jean Deslyons 171 (c. 1610c. 1700), docteur de Sorbonne, doyen et théologal 172 de la cathédrale de Senlis, prononce une oraison funèbre à cette occasion en la cathédrale. Elle est dédiée à Jean-François Paul de Gondi 173 , qui vient d’être, à la mort de Louis XIII, nommé coadjuteur de l’archevêque de Paris, Jean-François de Gondi, son oncle. Il est évident que Deslyons entend faire ainsi sa cour au futur frondeur. Dans la préface, il flagorne Retz sans vergogne, empilant louanges sur louanges à propos de l’esprit, de la piété et de la sagesse du coadjuteur, ce qui donne à penser que celui-ci aurait pu assister au service. L’oraison s’ouvre sur le topos familier des « crimes » du peuple, qui sont la véritable cause de la mort de Louis XIII. Ce topos, on le retrouvera à maintes reprises dans les oraisons funèbres de Louis XIV. Nous avons dit plus haut que la louange de Louis XIII confinait bien souvent à l’absurde : comment expliquer autrement l’idée que la mort du roi est due tantôt à son immense vertu, qui l’a fait rappeler par Dieu bien avant d’autres qui ont vécu jusqu’à un âge avancé afin d’accumuler assez de mérite pour avoir droit à la béatitude éternelle, tantôt aux péchés du peuple, qui a par-là mérité d’être privé d’un prince si parfait ? Si l’on s’en rapporte à cette logique, les vices du peuple et la vertu du prince mènent au même résultat : la mort prématurée de ce dernier. Il faut noter à ce propos que les accusations de « crimes » et d’« iniquités » de la part du peuple ne sont jamais spécifiées, à l’encontre de ce que l’on trouve dans l’Ancien Testament, où la colère de Yahweh est provoquée par les dérives idolâtres des Hébreux. La rhétorique de l’abbé Deslyons est 171 Par ailleurs, il est connu pour son traité contre le paganisme de la pratique du « roiboit » (tirage de la fève lors du partage du gâteau des Rois à l’Épiphanie) et ses travaux de musicologie concernant l’usage des instruments lors des leçons de Ténèbres. Voir le catalogue général de la BnF. 172 Un théologal était un chanoine chargé d’enseigner la théologie. 173 Rappelons que Retz ne recevra le chapeau qu’en 1652 (19 février). Comme on sait, Mazarin le fait emprisonner le 16 décembre. <?page no="107"?> QUAND LES ROIS MEURENT 95 pour le moins étrange (peut-être pas autant que celle du p. de Condé) : soucieux de ne pas se mettre à dos les édiles ou le peuple de Pontoise, il explique ce retard de plus de trois mois dans la commémoration de la mort de Louis XIII en disant que la ville a été si stupéfiée de la mort du roi qu’il lui a fallu trois mois et plus pour réagir et surmonter sa douleur. La suite de l’oraison est plus conventionnelle : l’abbé évoque en termes épiques les guerres menées contre les huguenots, assimilés aux possédés du démon que Jésus avait guéris. Le parti huguenot lui-même est diabolisé (sous le nom de Légion). Inutile de résumer par le menu les envolées dramatiques de l’orateur, truffées de citations latines qui à vrai dire font plus effet de pédanterie que d’érudition. Il suffit de dire que Deslyons retrace assez sommairement mais avec une grande éloquence les trois guerres menées par Louis XIII contre les huguenots 174 . En cela, il se rapproche de ce que dit le p. de Condé (supra). Comme pour les autres panégyristes de Louis XIII, la vision de l’abbé est manichéenne : d’un côté le « démon », c’est-à-dire les huguenots ; de l’autre, Dieu, c’est-à-dire son représentant, le roi (qui ne sauraient, l’un comme l’autre, être que catholiques). Comme dans l’Ancien Testament, c’est Dieu - en la personne de Louis XIII - qui combat pour la « vraie religion » : C’est donc vous, ô Dieu terrible, Dieu des Batailles & des vengeances, c’est vous qui marchiez en la persõne de LOUIS contre les Ennemys de votre Eglise, qui venoient se jetter de tous côtés dans ses mains, ou qui s’enfuyoient tout esperdus devant luy : C’est vous qui mettiez votre nom dans son nom, vostre Majesté dans sa Majesté, pour étonner, abbatre, desesperer la Rebellion, & l’Heresie (12-13). L’image du roi dans cette oraison funèbre est complexe : assimilé par l’orateur à l’hostie, Louis XIII n’est pas mort ; il a été « consommé », autre forme 174 (I) 1621-1622 (les chefs sont Henri II de Rohan (1579-1638) et son frère Benjamin de Soubise (1583-1642). Se termine par le traité de Montpellier (octobre 1622). (II) 1624- 1625. Se termine sur un accord de réconciliation grâce à l’entremise des Anglais. (III) 1627-1629. Victoire finale des forces royales et triomphe politique personnel de Richelieu après la chute de La Rochelle (1628). Rohan est autorisé à partir en exil (Venise). <?page no="108"?> FRANCIS ASSAF 96 de christomimétisme), le dominicain en fait ensuite un exorciste, qui agit au nom de Dieu, étant rempli de l’esprit divin, pour extirper l’« esprit malin », c’est-à-dire la Réforme. Ayant d’abord parlé en termes généraux, le prédicateur rapporte avec un certain sens du détail la déroute de la flotte anglaise de Buckingham devant l’île de Ré (1628) 175 . Le prédicateur souligne succinctement l’extrême détresse dans laquelle se trouvaient les Rochelais survivants à la fin du siège : « [la cité sainte, la Jérusalem protestante] où les mères auroient bien tost mangé leurs enfans… » (14), image atroce évoquant celle, bien plus sinistre car infiniment plus détaillée, que présente dans Les Tragiques (1616 à 1630) Agrippa d’Aubigné (1552-1630) : La mere deffaisant, pitoyable et farouche, Les liens de pitié avec ceux de sa couche, Les entrailles d’amour, les filets de son flanc, Les intestins bruslans par les tressauts du sang, Le sens, l’humanité, le cœur esmeu qui tremble, Tout cela se destord et se desmesle ensemble. L’enfant, qui pense encor’ aller tirer en vain Les peaux de la mammelle, a les yeux sur la main Qui deffaict les cimois : cette bouche affamee, Triste, soubs-rit aux tours de la main bien-aimee. Cette main s’employoit pour la vie autres-fois ; Maintenant à la mort elle employe ses doits, La mort qui d’un costé se presente, effroyable, La faim de l’autre bout bourrelle impitoyable. La mere ayant long-temps combatu dans son cœur Le feu de la pitié, de la faim la fureur, Convoite dans son sein la creature aimee Et dict à son enfant (moins mere qu’affamee) : « Rends miserable, rends le corps que ie t’ay faict ; Ton sang retournera où tu as pris le laict, Au sein qui t’allaictoit r’entre contre nature ; Ce sein qui t’a nourri sera ta sepulture. » La main tremble en tirant le funeste couteau, Quand, pour sacrifier de son ventre l’agneau, Des poulces ell’ estreind la gorge, qui gazouille 175 Petitfils (Louis XIII 447) raconte en détail le siège de La Rochelle et ses péripéties militaires aussi bien que politiques (418-449). Le 1 er novembre 1628, à 14 heures, le roi pénètre à cheval dans La Rochelle épuisée. <?page no="109"?> QUAND LES ROIS MEURENT 97 Quelques mots sans accents, croyant qu’on la chatouille : Sur l’effroyable coup le cœur se refroidit. Deux fois le fer eschappe à la main qui roidit. Tout est troublé, confus, en l’ame qui se trouve N’avoir plus rien de mere, et avoir tout de louve. De sa levre ternie il sort des feux ardens, Elle n’appreste plus les levres, mais les dents, Et des baizers changés en avides morsures. La faim acheve tout de trois rudes blessures, EIle ouvre Ie passage au sang et aux esprits ; L’enfant change visage et ses ris en ses cris ; I1 pousse trois fumeaux, et n’ayant plus de mere, Mourant, cerche des yeux les yeux de sa meurtriere. (Misères, Livre premier, vv. 505-542) L’évocation triomphaliste de la prise de la Rochelle s’accompagne d’une description dithyrambique de la digue (construite par les soins de Richelieu mais, bien entendu, attribuable au seul génie de Louis XIII) : « Épouvantail de l’Océan… Ouvrage prodigieux, incroyable, impossible […] miraculeux Trophée érigé au milieu des eaux[…] » sont quelques-uns des termes dont use le chanoine. Le tableau bien connu de Paul- Henri Motte (1881) 176 , qui met Richelieu au centre, vêtu de la pourpre cardinalice par-dessus son armure, est bien dramatique. Voici un plan plus scientifique 177 , qui a l’avantage d’offrir une vue d’ensemble de cet ouvrage d’art. La supériorité de Louis XIII ne fait aucun doute pour Deslyons ; son commentaire sur le surnom du roi, « Le Juste », le place au-dessus de trois 176 Musée d’Orbigny Bernon (actuellement fermé pour reconversion). Le tableau est conservé au Musée d’art et d’histoire de La Rochelle. 177 Plan de H. Bachot, modifié et complété par Claude Masse relatif à la construction de la digue de La Rochelle. <?page no="110"?> FRANCIS ASSAF 98 des plus grandes figures de l’histoire (jusque-là). Ayant, selon l’orateur, refusé les titres de « Grand », de « Conquérant » et de « Hardi », il rejette parlà les idées d’ambition et d’orgueil. On pense tout de suite à Henri le Grand (Henri IV), à Guillaume le Conquérant (1027-1087) et à Philippe le Hardi (1245-1285). Louis XIII n’est pas un conquérant (contrairement à l’Angleterre, dont le prédicateur, sans la nommer, condamne les ambitions dominatrices) : tel le Christ guérissant aveugles et paralytiques, le roi a « guéri » les pays et régions qu’il a conquis, que ce soit dans le cadre la Guerre de Trente Ans ou de ses luttes contre les huguenots : Si je dis qu’il a retiré Casal 178 , & la Souveraineté de Mantoue, de l’agonie et des abbois de la mort : qu’il a ressuscité l’Artois, & le Roussillon à la France : qu’il a rendu l’usage des mains, & des pieds, à l’Allemagne Paralytique, qui ne pouvoit plus se remuer, & agir en liberté : qu’en fin il a restitué la veüe, l’oüye, la parolle, à autant de Peuples, & de Royaumes ; qu’il s’en est relevé de misere, de servitude, & de tyrannie, par ses conseils & par ses Armes (19). Inutile de souligner encore une fois l’image christique, sauf pour faire remarquer ici l’assimilation des batailles à des miracles de guérison. Il faut aussi noter que ressusciter l’Artois (occupé par les Espagnols) et le Roussillon (fief du calvinisme) n’est pas une coquille, puisque, deux lignes plus bas, le prédicateur parle de restituer la vue, l’ouïe, etc. Ces régions ramenées (de force) dans le giron de la France et de l’Église catholique sont donc rendues à la vie. Comme le sera son fils dans ses propres oraisons funèbres, Louis XIII est placé au-dessus de tous les rois de France qui l’ont précédé. Deslyons remonte bien loin dans la généalogie des rois de France : 178 Casale Monferrato (à peu près 36000 h.) : ville du nord-ouest de l’Italie, dans le Piémont. Cédée en 1559 aux Gonzagues de Mantoue par le traité du Cateau-Cambrésis. Pour le rôle de la France et de Louis XIII dans la guerre de succession de Mantoue, voir Précis de l’histoire des Français, par J.-C.-L. Simonde de Sismondi. Paris : Treuttel et Würtz, 1839. T. III, p. 125ss. Le traité de paix, signé le 13 octobre 1631 à Ratisbonne, avait eu comme intermédiaire Mazarin, alors au service d’Urbain VIII. <?page no="111"?> QUAND LES ROIS MEURENT 99 [Q]uand ie considere que de la Sienne 179 , le Devot, & le P IEUX qui a fait des Hymnes, & des Prieres comme luy, n’a point esté Valeureux comme luy : que l’A VGVGSTE qui a esté Victorieux, & Conquerant au dehors comme luy, a esté traversé dans sa Maison, par les repudiations, & divorces de quatre, ou cinq Femmes, sans iouir d’un Mariage fortuné, innocent, miraculeux comme luy 180 : quand ie considere que nos Bons Princes ont esté malheureux, & affligés iusqu’à la captiuité ; nos B IEN - A YMEZ , Phrenetiques 181 ; nos Politiques, Malins, nos G RANDS Infortunez, Impudiques ; […] (21) Parmi celles que nous avons examinées, cette oraison est la seule à s’adresser au jeune Louis XIV, lui rappelant les exploits militaires de son père ; curieusement, l’orateur ne mentionne pas la victoire de Rocroi (19 mai 1643), que Louis XIII est réputé avoir prédite, mais peut-être est-ce parce qu’elle a eu lieu cinq jours après la mort de ce dernier, donc légitimement attribuable au nouveau roi (ce que les panégyristes de Louis XIV ne se priveront pas de faire dans ses nombreuses oraisons funèbres à lui). Il faut aussi noter, ce qui est exceptionnel, que l’abbé Deslyons ne se cantonne pas dans une louange sans faille : Auoüons qu’il a peut-estre fait des fautes d’Estat, mais qu’on ne sçauroit presque lui imputer aucun vice d’hoimme privé. Il n’a peutestre pas esté assez politique ; mais il a esté grand Homme de bien. Et à ceux qui sçauront juger des choses comme elles se sont passées, & discerner prudemment la malignité de la Cour, & de la politique, d’avec la bonté de ce Prince ; en verité, l’oppression de son peuple, & l’éloignement de sa Mere, qui sont les fautes dans lesquelles Dieu semble avoir permis qu’il soit tombé, pour nous laisser l’exemple d’une si belle Penitence, qu’il a faite en sa mort : Ces deux fautes, dis-ie, à ceux qui auront connu la pieté du Roy & la crainte qu’il avoit d’offenser 179 C’est-à-dire de sa race (les Capétiens), la première étant, bien entendu, les Mérovingiens et la seconde les Carolingiens. 180 Il fait peut-être allusion à Robert II le Pieux (c. 972-1031, r. 996-1031), fils de Hugues Capet (939/ 941-996) et d’Adélaïde d’Aquitaine ,(†>1004). Il eut avec l’Église des démêlés allant jusqu’à une menace d’excommunication à cause de ses mariages et répudiations. L’histoire lui attribue trois femmes (et non quatre ou cinq) : Rozala d’Italie (c. 992-996), Berthe de Bourgogne (996-1003) et Constance d’Arles (1003-1032). 181 Charles VI (1368-1422, r. 1388-1422 Il conserve le titre de roi jusqu’à sa mort en dépit de sa folie.), dit le Bien-Aimé et aussi le Fol (au XIX e siècle). <?page no="112"?> FRANCIS ASSAF 100 Dieu, paroistront plus tost des malheurs, & des accidens de son Regne ; que des pechez de son cœur, & des tâches [sic] de sa Vie (24-25). Ce discours conforte la pratique des orateurs ecclésiastiques de privilégier le corps physique au détriment du corps politique (tout en reconnaissant par nécessité l’existence et la fonction de ce dernier) : cette distinction est la plus nette que nous ayons discernée dans les oraisons funèbres de l’un comme de l’autre monarque : discerner prudemment la malignité de la Cour, & de la politique, d’avec la bonté de ce Prince. Quelque malignes que soient la Cour et les nécessités politiques, il n’hésite pas cependant à présenter Louis XIII comme un oppresseur (pas un mot sur le rôle du cardinal, mais aucune des oraisons funèbres ne le mentionne), sans toutefois donner de détails. Les orateurs ne montrent pas en général l’exil de Marie de Médicis comme une faute grave, mais expriment leur approbation que le roi ait été exhorté à se réconcilier avec sa mère. Pourquoi Dieu aurait-il permis que le roi opprime son peuple ? Voilà ce que le chanoine n’explique pas. À cause de cette évocation, on dénote dans son discours une contradiction flagrante : comment les « crimes » et les « iniquités » du peuple de France peuvent-ils être cause de la mort prématurée de son roi, alors que celui-ci opprime celui-là, faisant donc du peuple une victime de celui qui n’est somme toute qu’un tyran d’exercice. Néanmoins, le roi modèle, pour le chanoine comme pour les autres orateurs, est celui qui craint Dieu et pratique scrupuleusement une vertu personnelle basée exclusivement sur les préceptes religieux. Dans les pages suivantes, il noie cette admission de tyrannie dans un verbiage touffu de rappels de la modestie, de l’économie et de la chasteté personnelles du roi. La pudibonderie et la misogynie de Louis XIII sont bien documentées 182 , mais n’en constituent pas moins des sujets de louange (exagérée) : au cours d’un voyage en Languedoc, le roi détourne les yeux d’une belle fille qui était venue le voir par curiosité. Dans un élan d’hyperbole, l’abbé Deslyons n’hésite pas à comparer avantageusement cette réaction à la 182 Ainsi que son ambiguïté sexuelle, dont on a déjà parlé (supra). <?page no="113"?> QUAND LES ROIS MEURENT 101 conquête du Roussillon et la prise de Perpignan (1642). Les paroles du roi, à cette occasion sont citées en majuscules (29). Non seulement l’oraison de Deslyons est théologiquement douteuse, mais elle dénote une ignorance surprenante du principe le plus fondamental de la succession : le mort saisit le vif, ainsi que du rôle de la régente : [S]i on considere particulieremēt qu’il regne, & qu’il gouverne encores maintenant après sa mort, en la personne de cette Sage, & Religieuse Princesse, qu’il nous a laissé [sic] pour Regente. (34) En aucun cas le régent (la régente enore moins, en raison de la loi salique) ne saurait régner, mais ne fait que gouverner au nom du roi mineur. Notons cependant un trait qu’on ne retrouve dans aucune des oraisons funèbres examinées : l’orateur compare Louis XIII au soleil, en une métaphore filée - sans aucun rapport, précisons-le - avec l’image solaire qu’a adoptée et imposée son fils au début de son règne personnel. Le reste de l’oraison loue maladroitement Anne d’Autriche, « Grande Reyne », mais aussi « flambeau subalterne 183 » (35), comparée à la lune qui reçoit sa clarté du soleil. La fin, assez banale somme toute, implore la clémence divine pour le roi défunt. Éloges funèbres laïcs François de Grenailles Passons aux éloges funèbres laïcs. François de Grenailles (1616-1680) 184 , sieur de Chateaunières d’Allegrain, fait paraître chez Cardin Besongne Le 183 Comparaison pour le moins désobligeante : les quatre définitions que donne Furetière dans le Dictionnaire universel (T. II, p. 901) portent toutes sur l’infériorité de qualité, la subordination, le caractère secondaire de ce qui est « subalterne ». Le Dictionnaire de la langue françoise, ancienne et moderne, de Pierre Richelet (T. II, p. 757), évoque la même idée d’infériorité. 184 C’est l’orthographe de la Biographie universelle, ancienne et moderne (T. 17, p. 485. À voir pour la notice biographique). Le Dictionnaire des lettres françaises - XVII e siècle (563-564) orthographie le nom sans l’s final. Même chose pour le Dictionnaire historique et critique (T. II - D-L, p. 1317. L’article est fort succinct, mais mentionne plusieurs réactions de contemporains, peu favorables à la vérité - Grenaille passait en général pour un auteur à la fois prolixe et médiocre). Des trois sources citées, seul le Dictionnaire des <?page no="114"?> FRANCIS ASSAF 102 Mausolée royal, ou éloge funèbre de Louis le Juste XIII e du nom, Roi de France & de Navarre 185 . Il dédie son texte au frère du grand Turenne : Frédéric-Maurice de La Tour d’Auvergne, duc de Bouillon (1605-1652) 186 . Survivant de la conspiration de Cinq-Mars, ayant cédé la principauté de Sedan à Louis XIII (note infra), il a évité le sort du Grand Écuyer. La dédicace accumule mensonges sur quasi-vérités pour flatter le duc et en faire un fidèle soutien de la Couronne, ce qu’il n’était certainement pas, descendant comme il l’était d’une longue lignée de conspirateurs contre elle. L’éloge s’ouvre sur une remarque déjà vue plus haut : « Ce n’est que dans la France que les Rois sont proprement Rois. » (2), pour continuer sur une énumération sans grande originalité des vertus de Louis le Juste. Notons cependant que Grenailles, à l’instar de Deslyons, assimile Louis XIII au soleil, ce qui donnerait à penser que l’allégorie solaire adoptée par Louis XIV au moment où commence son règne personnel pourrait bien être inspirée de l’image de son père, soleil éclairant la nation, même si la devise louisquatorzienne, Nec pluribus impar, associée à l’image solaire, ne doit en fait rien à l’idée que se faisait Louis XIII de lui-même. Il commence la généalogie de celui-ci par le mariage de Henri IV avec Marie de Médicis (27 septembre 1599). L’avènement du futur roi est un événement cosmique : la mythification du roi commence dès avant sa naissance par un tremblement de terre 187 . D’autres phénomènes (pluies de météores ? ) annoncent son baptême. Les divers événements de la vie de Louis XIII sont évoqués sans grande originalité, mais toujours avec des mentions louangeuses de son père et, bien entendu, du dédicataire. L’auteur ne consacre lettres françaises - XVII e siècle mentionne les deux écrits Le Mausolée cardinal et Le Mausolée royal, tous deux de 1643. 185 Le document comporte des erreurs de pagination : les pages 29 à 32 sont numérotées 21 à 24 ; à partir de la p. 32, elles sont numérotées séquentiellement 49 à 64. 186 Compromis dans la conspiration de Cinq-Mars, il est arrêté en 1641. Par traité, il cède à la France la principauté protestante de Sedan, pratiquement souveraine depuis 1549 en dépit de la suzeraineté nominale du roi de France. (Petitfils : Louis XIII 802). Louis XIV acquiert définitivement en 1651 la principauté et la rattache à la France. 187 La date de ce séisme supposé n’est pas précisée. Nous n’avons pas réussi à trouver de séisme se rapprochant de 1600. Petitfils n’en fait d’ailleurs aucune mention. <?page no="115"?> QUAND LES ROIS MEURENT 103 qu’un ou deux paragraphes fort vagues aux derniers jours du roi, concluant « Vive le roi ! », exclamation d’une affligeante banalité, compte tenu de ce qui précède. Grenailles mérite bien la réputation de médiocrité qu’il s’est acquise par des ouvrages aussi nombreux qu’insipides. Charles Sorel (? ) Un autre éloge est celui qu’attribue à Charles Sorel Émile Roy : Les Vertus du Roy. Le volume ne porte ni date, ni lieu, ni nom d’auteur, encore moins de privilège. É. Roy le situe vers 1610 ou 1616 (411) 188 . On est pourtant en droit de se demander si ces dates sont valides, d’autant plus que le frontispice de sa thèse indique noir sur blanc la date de naissance de Ch. Sorel comme 1602. Ajoutons que, tout en étant riche d’informations sur la famille de Sorel, le premier chapitre de la thèse ne donne pas la moindre précision sur le lieu (ou la date) de naissance de l’auteur du Francion. Le chapitre II commence d’emblée sur cet ouvrage et la carrière de romancier de l’auteur. La date de naissance de celui-ci, laquelle on situe entre 1582 et 1602, est donc inconnue, avec un écart de vingt ans dans les estimations, ce qui est considérable. Si 1582 est accrédité, Sorel aurait alors 34 ans lorsqu’il écrit Les Vertus du roy et 41 ans lorsqu’il fait paraître la première version du Francion. Si on opte pour 1602, il n’aurait alors que 13 ou 14 ans lors de la parution des Vertus, ce qui est invraisemblable. Or les critiques du Francion s’accordent pour attribuer ce roman à un Sorel de 22 ou 23 ans, ce qui situerait sa naissance vers 1601. Il faudrait donc conclure que la rubrique du catalogue de la BnF (8°- LB36-2969), qui donne la paternité du texte à Sorel, est incorrecte et l’attribution par É. Roy sans fondement. Quant aux dates proposées par ce dernier, Louis XIII n’avait encore que 14 ou 15 ans. C’est en 1617 (à 16 ans) qu’il ordonne l’assassinat de Concini (1575-1617) et entame son règne personnel. Or le texte des Vertus ne mentionne rien d’approchant, même dans un contexte supposé du « bon roi » triomphant sur un méchant adversaire (ou plusieurs). Au contraire, le texte suggère l’acquisition de la vertu de justice 188 1615 - Les Vertus du roi ; Panégyrique de XIII, vers 1615 ou 1616. Paris. 1 vol. in- 8°. B. N. L. b, 2969. <?page no="116"?> FRANCIS ASSAF 104 comme l’aboutissement d’un processus et non pas comme quelque chose d’inné. Il n’aurait donc pas été rédigé à la louange du jeune Louis XIII, mais plutôt en indication de maturité, ou plutôt de maturation. Le texte est toutefois ambigu car dépourvu d’une chronologie explicite. Y chercher donc une indication quant à sa vraie date de composition serait vain. Certaines remarques dès le début de l’essai (22-24) donnent pourtant à penser qu’il a été composé du vivant du roi : l’emploi du présent, la piété de celui-ci, décrite comme garante de sa justice et de sa nature plus élevée que celles du commun des mortels. À la p. 16, on relève cette remarque : Promethee ne donna pas d’avantage de vie aux membres de l’homme avecque le feu qu’il auoit rauy au Ciel, que cette diuine flamme 189 en donne à tous les membres de l’Estat, qui depuis qu’elle s’est retiree ne sçauroient auoir de mouvement, & ne sont exemptez de corruption que par artifice, & en la mesme façon que ceux des animaux sont gardez de pourriture par le bois de Cedre. Le contexte qui entoure cette citation, en amont aussi bien qu’en aval, semble bien confirmer cela : on lit (18) que la justice qu’a « infusée » Louis XIII dans ses ministres et son entourage lui survit et anime ceux qui lui survivent (Mais il n’est pas clair si l’auteur anticipe vraiment la mort de Louis XIII). L’auteur se sert également de la métaphore d’un aimant frottant un anneau de fer et lui communiquant son magnétisme : les vertus du roi passent dans 189 Il parle de la vertu de justice. <?page no="117"?> QUAND LES ROIS MEURENT 105 ses officiers de la même façon, si bien qu’il ne suffit que de se tenir dans l’entourage du roi pour s’imprégner de ses vertus. Comme dans d’autres encomia, les exploits de Louis XIII durant les guerres de religion sont passés en revue. Il est, bien entendu, présenté comme un libérateur, qui délivre ses peuples du joug de l’hérésie. Curieusement, le texte passe sous silence l’Édit de Montpellier (19 octobre 1622), qui confirme l’Édit de Nantes tout en réduisant à deux le nombre des places fortes protestantes : Montauban et La Rochelle. Il est vrai que six ans plus tard, cette dernière succombera, mettant une sanglante fin à la puissance protestante. On pourrait donc situer grosso modo le texte aux alentours de 1628, date troublante, vu que c’est celle à laquelle Sorel fait paraître l’Avertissement sur l’histoire de la monarchie française, auquel É. Roy consacre le chapitre XI de sa thèse, mélange de citations in extenso, de commentaires pour la plupart sarcastiques ou dédaigneux, avec des passages d’analyse sérieuse de l’ouvrage, qui porte sur tous les rois de France, depuis les temps les plus reculés. Le chapitre ne contient qu’une brève allusion à Louis XIII : Ne se trouve-t-il pas des historiens, plus royalistes que le roi, qui voudraient que Louis XIII s’appelle Louis XV sous prétexte « qu’il y a eu deux Clovis en la première race, et que Clovis est le même nom que Louis, avec une prononciation plus âpre. » (335)’ ? » Il ne fait aucune mention des Vertus du roy. Il semblerait donc raisonnable de conclure que ce texte n’est pas de Sorel, mais d’un auteur anonyme. Pour y revenir, admettons que, bien que l’auteur fasse montre d’une certaine culture classique, la valeur littéraire en est pour le moins douteuse ; il vaut cependant la peine d’être lu pour se faire une idée des variations sur le thème de l’encomium royal et de leurs développements parfois bizarres. Les anecdotes que rapporte l’auteur pour conforter la libéralité de Louis XIII envers les lieux de culte puisent dans l’Antiquité païenne (Lycurgue) 190 aussi bien 190 Mythique législateur de Sparte, à la constitution de laquelle il imprima un caractère religieux en en faisant confirmer les maximes par l’oracle de Delphes. <?page no="118"?> FRANCIS ASSAF 106 que chrétienne : Constantin I er (272-306). Cette dernière est tirée de l’Historia Langobardorum de Paul Diacre (c. 720-799), rédigée entre 787 et 789. Si l’église du Val-de-Grâce 191 doit le jour à Anne d’Autriche, son époux a fait bâtir l’église Saint-Paul-Saint-Louis 192 entre 1627 et 1641. Il a également fait bâtir la basilique de Notre-Dame des Victoires 193 , suite à un vœu formulé s’il sortait victorieux du siège de La Rochelle 194 . Le rayonnement royal de Louis XIII est repris plus loin (37) sur une plus grande échelle. Ce n’est plus un aimant qui magnétise tout ce qu’il touche, mais un puissant fleuve qui se divise en de nombreux ruisseaux où vont s’abreuver les assoiffés afin d’acquérir les vertus du prince. Au corps physique, bien reconnu comme corruptible (par la mort), au corps politique générateur de force et de sûreté (voir la métaphore du bateau infra), il faut ajouter un « corps spirituel », à la fois moral et religieux (mais est-il concevable de séparer ces concepts chez Louis XIII ? ), qui imprègne ses sujets de ses propres vertus. On note aussi que l’auteur cherche à associer Anne d’Autriche en tant que co-souveraine (41), ce qui va à l’encontre non seulement de la loi salique, mais aussi des principes énoncés par les juristes sur le rôle de la reine qui, quelle que soit sa position par rapport au roi, demeure sujette vu qu’il ne saurait y avoir qu’un souverain. Cela d’autant plus surprenant que suit un passage assez long (47-50) sur les responsabilités 191 Place Alphone Laveran, V e Arrt. 192 Sise dans le Marais (Rue St. Antoine, IV e Arrt.). C’est Richelieu qui pose la première pierre en 1627 et y célèbre la première messe le 9 mai 1641. 193 Place des Petits-Pères, II e Arrt. 194 Il pose la première pierre le 9 décembre 1629. À sa mort, l’église est encore inachevée faute d’argent. Elle ne sera terminée qu’en 1740. Lully y est enterré. <?page no="119"?> QUAND LES ROIS MEURENT 107 de Louis XIII. Notons cependant une comparaison (involontairement) cocasse : si Thémistocle (524-459) se comparait à un platane sous lequel les Athéniens venaient s’abriter d’un orage, pour l’abandonner aussitôt que le ciel redevenait serein, l’auteur anonyme des Vertus du Roy compare Louis XIII à un cocotier 195 , qui non seulement fournit abri, mais aussi nourriture. Louis XIII en cocotier… on pourrait rêver sur cette image. Une autre comparaison, moins originale peut-être, mais qui se situe bien dans la tradition du roi-thaumaturge, est celle de Louis XIII protégeant Paris, dont la nef 196 ne saurait courir le moindre danger ni craindre aucun naufrage tant que le souverain est dans ses murs, image à rapprocher de celle de l’anneau magnétisé par l’aimant-Louis XIII. L’auteur commence par mettre l’accent de la justice de Louis le Juste sur le châtiment plutôt que sur la clémence, encore qu’il conteste que les seuls attributs de la Justice soient l’épée et la balance. Le texte insiste très fortement sur l’édit draconien de 1623 contre les duels, tout en admettant tacitement que les adoucissements apportés par celui de 1626 sont légitimes. À l’épée et à la balance, il ajoute un « vase remply de thresors » (63), destiné à récompenser le mérite. Revenir sur les infractions à ces édits et aux sanctions qui s’en sont suivies allongerait inutilement notre propos, vu que tout cela est bien connu. Si le texte ne mentionne aucunement le rôle joué par Richelieu dans la mise en place de ces édits, non plus que leur véritable but, qui était de subjuguer à la fois la puissance et l’arrogance féodales et de favoriser la montée de la monarchie absolue, le lecteur n’a aucun mal à effectuer le rapprochement. Bien entendu, le corps politique est forcément évergète universel. C’est pourquoi le texte insiste sur la libéralité du roi, qui sème l’or à poignées afin de s’attacher les cœurs de son entourage 197 . En fait, le texte explique fort 195 Le cocotier (et sans doute son fruit) était connu dès le VI e siècle de notre ère. 196 Qui figure dans les armoiries de la cité au moins depuis 1190, date à laquelle Philippe- Auguste (1165-1223) les confère à la ville 197 On a évoqué plus haut à plusieurs reprises l’avarice bien documentée de Louis XIII, de même que ses regrets, sur ses derniers jours, de n’avoir pas été plus généreux envers ses domestiques. <?page no="120"?> FRANCIS ASSAF 108 délicatement cette avarice du roi en la comparant aux petites pluies régulières qui arrosent les campagnes et en assurent la constante fertilité, en comparaison des crues annuelles du Nil, qui assurent la fertilité de l’Égypte, mais en en recouvrant les terres arables pendant des mois. Cette apologie oxymorique de la « généreuse parcimonie » de Louis XIII prend des allures d’escobarderie, la ladrerie du roi ayant pour motif soit le manque de mérite du serviteur, soit la possibilité que de trop généreuses prestations ne refroidissent l’ardeur du bénéficiaire à le servir : Que ceux qui n’ont jamais rien receu de luy ne troublent point leur esprit de cette criminelle pensee, qu’il use envers eux d’ingratitude : Car s’il ne leur fait point de bien, ils doiuent croire qu’ils ne meritent pas qu’il leur en fasse, son esprit ayant trop de capacité, pour ne faire pas un juste choix de ceux qu’il veut avancer ; ou bien il faut qu’ils s’imaginent tout au moins, qu’il s’apperçoit que l’abond-ce des possessions estoufferoit la viuacité du desir qu’ils ont de le seruir glorieusement, ne plus ne moins que le trop de nourriture abastardit le courage d’vn levrier genereux […] (68-69) L’auteur fait élégamment déboucher cette réflexion sur la parcimonie du roi transmuée en juste mesure par une démonstration que la conséquence de ce peu de générosité est la mise en place d’un ordre identitaire (nobiliaire), chose qu’aucun autre panégyriste n’a évoquée (71). Cet ordre se définit par les charges que confère le roi aux valeureux officiers ayant survécu aux blessures souffertes dans les batailles. Plus les blessures sont graves, plus haute est la charge. Leur mort elle-même n’est pas un obstacle à l’adulation qu’ils portent au souverain : « Et s’il advient par le destin changeant des armes, qu’ils ne se puissent deffendre de la mort, il en fait paraistre un tel ennuy, qu’ils ne l’en estiment pas moins que le plus rare prix dont il puisse payer leur vertu » (71). Cela reviendrait à inverser les structures traditionnelles du discours encomiastique : ce ne sont plus les vivants qui font la louange de morts, mais le contraire. On a déjà vu plus haut la degré d’absurdité auquel peut atteindre l’encomium royal lorsqu’il tombe dans l’excès et le dérèglement : Louis imposant sa propre volonté à Dieu, qui devient alors son serviteur, etc. (vide supra). <?page no="121"?> QUAND LES ROIS MEURENT 109 Assez peu réaliste, pour ne pas dire invraisemblable, ce passage en est suivi d’un autre qui s’appuie sur l’Antiquité grecque et romaine pour « démontrer » que les militaires (les officiers, car qui tiendrait compte de la piétaille ? ) sont les seuls braves au combat, par rapport à l’ennemi, liés comme ils le sont par une infrangible solidarité (à la façon des Spartiates), générée par leur fidélité indéfectible au roi. De Nestor 198 à Cincininus Dentatus (514- 450) 199 , les exemples s’entremêlent pour renforcer l’impression de supériorité des soldats français sur leurs homologues grecs et romains. Il est évident que l’auteur n’agit pas en historien, ni même en historiographe. Notons que Sorel, qui a rédigé en 1628 l’Avertissement sur l’histoire de la monarchie française qui rejette l’amas de légendes et de mythes qui entourent les rois des siècles précédents, s’enorgueillissait d’être un historiographe rigoureux. Pour ce qui est des Vertus du Roy, la louange extravagante du monarque s’accompagne de celle, non moins extravagante, des armées royales. Les honneurs accordés par le roi transforment ses soldats en « Achilles nourris de moüelle de Lyon » (74). Même les remugles de sueur qu’engendre le port de la cuirasse sont convertis en doux parfums, à l’instar d’Alexandre : « [I]l leur sera possible de suer ainsi, pour parfumer tout le monde des odeurs de leur generosité » (74-75). Pour boiteuse qu’elle soit, la métaphore rappelle encore une fois - s’il en était besoin ! - que le roi est générateur de toutes les vertus, guerrières ou morales. Le droit divin fait de lui le vicaire de Dieu au temporel, notion parfaitement orthodoxe au point de vue de la théologie politique et qui se situe tout à fait dans le cadre du concept élaboré par les politologues français au fil des siècles. L’intérêt de ce texte, si maladroit et flagorneur soit-il, c’est la façon dont il intègre les renvois à l’Antiquité et, ce qui est en fait assez original, les allusions au patrimoine gaulois, généralement négligé par d’autres thuriféraires de la monarchie. Parlant des piques des soldats, il déclare que « [I]ls 198 Mythologie grecque : fils de Nélée et de Chloris, roi de Pylos. 199 Lucius Scicinius Dentatus. Soldat et tribun romain, surnommé « l’Achille romain » en raison de sa bravoure à la bataille et gagnant de plusieurs couronnes civiques. Assassiné après son tribunat. <?page no="122"?> FRANCIS ASSAF 110 se figuroient que nouveaux Atlas, ils en pourroient soustenir le Ciel s’il tomboit dessus d’eux » (75), allusion évidente à réputation de bravoure et même de témérité des Gaulois, qui ne craignaient qu’une chose : que le ciel ne leur tombe sur la tête, ce que relève Jules César (100-44) dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules. Nul doute que Louis XIII ne fût un « roi de guerre ». Non seulement à cause de celles qu’il a soutenues contre les protestants, voire sa propre mère 200 , mais parce que sa formation durant sa minorité porte surtout sur le militaire et vise à en faire avant tout un soldat. Joël Cornette (1949-) rapporte les éléments matériels de cette formation avec un grand luxe de détails (Le Roi de guerre 152-153) : armes, armures, exercices, qui ont contribué à construire la mentalité guerrière de Louis XIII. Ce qu’on ne retrouve pas dans les encomia de Louis XIV, dont le leitmotiv principal est la quadruple grandeur du roi dans la guerre, la paix, la religion et les arts, c’est le détail avec lequel l’auteur des Vertus du Roy présente les facteurs de cette grandeur de Louis XIII dans le versant militaire. On peut certainement parler d’hypotypose dans plusieurs des passages qui montrent (ou font imaginer) les soldats en action, comme celui-ci : Quelle estime doit on faire de ces gens là qui se mettoient possible dans les perils, non parce que leur courage naturel les leur fist mepriser, mais parce qu’ils en estoient asseurez d’en estre miraculeusement guarantis. C’est en l’ame tout au cõtraire que les François sont inuulnerables : quant à leur corps, ils le mettent tellement à l’auanture, qu’il est quelquefois tout couuert de playes : & neantmoins ces belles ames ne s’estiment pas encore vaincuës ; elles sortent de leur demeure estans encore touchees d’un vif desir d’auoir leur reuanche. Si quelqu’un me veut reprendre de ce que je dy, & me persuader que c’est une digression inutile de publier les vertus des François, m’estant proposé de ne parler que de celles de leur Prince, qu’il sache que les merueilles que j’ay racontees appartiennent à nostre Roy (77-78) 201 . 200 « Guerre de la mère et du fils », qui se termine par la victoire des partisans de Louis XIII à la bataille des Ponts-de-Cé (auj. dans le département de Maine-et-Loire), le 7 août 1620. 201 Les italiques sont de nous. <?page no="123"?> QUAND LES ROIS MEURENT 111 L’auteur justifie donc explicitement la longue digression (73-78) décrivant non seulement l’ardeur des troupes à la bataille, mais leur état d’esprit au moment d’engager l’ennemi, par la vertu royale, qui génère directement la bravoure des troupes ; c’est ainsi qu’à lui reviennent la victoire et la gloire. Ces soldats ne sont-ils pas en fait des extensions du corps politique du roi et n’agissent-ils en fin de compte que sur sa volonté ? Faire le décompte de toutes les extravagances dans la louange de Louis XIII de ce document serait fastidieux. Ses oraisons funèbres nous ont habitués aux excès oratoires et aux bévues de rhétorique et de théologie que commettent ses thuriféraires. Notons cependant ce passage qui parle de sa passion pour la chasse. Mêlant paganisme et christianisme, l’auteur invoque sans la nommer la déesse des bois et de la chasse (Artémis ou Diane) précipitant dans ses filets les bêtes des bois 202 , lesquelles ne seraient que trop heureuses d’être victimes de ce nouveau Nemrod 203 , si seulement elles avaient assez de sens pour s’en rendre compte (98). Sans faire explicitement de jeu de mots entre chasse et chasteté, l’auteur lie les deux concepts ensemble en attribuant les succès cynégétiques du roi à sa retenue charnelle. Sa froideur bien connue envers la reine et plus encore envers les beautés de sa cour se mue en une sorte d’utilitarisme, vu qu’il ne cherche qu’à s’assurer une descendance (94-96) 204 . L’immense réseau d’espions des deux sexes qu’avait tissé Richelieu pour prévenir et combattre les conspirations contre Louis XIII aussi bien que contre lui-même n’est, de toute évidence, d’aucune nécessité, selon l’auteur, car On dit qu’il y a une pierre qui estant enchassee dans un anneau eschauffe le doigt de celuy qui la porte quand quelque venin est proche de luy ; Et je croy que de la mesme façon le Roy a un certain Genie qui 202 Louis XIII avait un talent remarquable pour tresser des filets, soit pour la pêche, soit pour la chasse (supra). 203 Fils de Koush, petit-fils de Noé, chasseur réputé. 204 L’absence d’allusion à la naissance du futur Louis XIV, ce que l’auteur n’aurait pas manqué de souligner avec ses excès stylistiques habituels, donne à penser que le texte est antérieur à 1638. <?page no="124"?> FRANCIS ASSAF 112 ne manque à luy faire un pareil advertissement lorsqu’il y a quelques mortelles pratiques contre son Estat, pour l’esmouvoir à y remedier (101-102). On passera sur la liste des conspirations et cabales menées contre Louis XIII : elle est suffisamment bien connue. Suffit que le bézoard qui réside en la personne du roi réagisse à bon escient. Il faut encore citer un passage à ce propos, tristement - ou richement - ironique, selon la réaction du lecteur à la multiplicité des remèdes, laxatifs, électuaires, clystères qu’infligea le corps médical au roi mourant dans ses dernières semaines et aux souffrances implacables qui en résultèrent, sans que l’état du malade s’en améliorât pour autant. Bien qu’admettant que le texte est très probablement loin de la phase aiguë de la maladie de Louis XIII, nous n’avons aucune raison de penser que les traitements médicaux de l’époque fussent en aucune façon ni moins brutaux ni moins meurtriers : Quoy le Medecin ne connoistroit-il les remedes qui sont nuisibles, qu’apres les avoir ordonnez sans eslection, & en avoir fait mourir plusieurs malades ? Ah Dieu si cela estoit & qu’on ne l’estimast point une misere, je ne scay a qu’elle chose on donneroit ce tiltre (103). Rapportons-nous à la conversation aigre-douce entre Louis XIII et son premier médecin, Bouvard, le 27 mars 1643 (supra). Elle ne laisse aucun doute sur l’impuissance de ce dernier face à un mal qu’il n’est pas à même de comprendre, ni à l’impatience du roi devant cette incompétence perçue. On passera sur le mécénat de Louis XIII pour les lettres et les arts, bien entendu moindre que celui de son fils, loué cependant de manière aussi extravagante par l’auteur que ses autres bienfaits. Il est cependant intéressant qu’il mentionne l’imprimerie, établie au Louvre en 1640 par Richelieu à la demande du roi. Ce n’est, bien sûr, que dans la mesure que l’imprimerie existe pour célébrer et répandre le renom du roi (111-113). Ce passage permet de dater le texte avec un peu plus de précision : 1641 ou 1642. L’absence de référence à la naissance du futur Louis XIV en 1638 (alors que l’auteur attribue le manque d’intérêt du roi pour les plaisirs charnels à son seul souci d’assurer sa descendance - supra) nous avait donné à penser que l’auteur <?page no="125"?> QUAND LES ROIS MEURENT 113 avait écrit avant 1638, mais cette dernière mention situe plus précisément le texte. La conclusion n’est pas bien plus originale : Louis XIII aura toujours l’appui de Dieu pour vaincre ceux qui s’opposent à son projet d’imposer le catholicisme. La devise « un Roy, une Foy, une Loy » est en fait depuis 1575 le principe directeur des lois fondamentales du royaume. On pourrait alors s’étonner de lire que « Le but de ses entreprises guerrieres ne sera pas tant de reduire tous les mortels sous un mesme Roy, qu’à une mesme foy […] » (181). Mais en fait, le principe cujus regio, ejus religio, qui remonte au siècle précédent, est d’inspiration protestante, alors que le principe de la catholicité est que tous les souverains soient soumis au pape, ce qu’exprime explicitement le texte. Et voilà, en définitive, en quoi consiste la « vertu suprême » de Louis XIII, selon l’auteur : imposer la vraie foi (pour le bonheur et des princes et des peuples d’Europe). Le texte se termine sur une apologia qui est en même temps une véritable déclaration d’amour, avertissant les lecteurs que l’auteur n’est monté aux plus hauts sommets de l’éloquence que pour offrir au monarque « les plus ardentes affections de mõ ame, & luy tesmoigner que pour rendre son bonheur encore infiniment esleué au-dessus de ce qu’il est aujourd’huy, où l’on le tient arriué à l’extréme, il faudroit qu’accomplir ce que je luy souhaite. » (189-190). Prises ensemble, ces chroniques, oraisons et pompes funèbres, apologies du monarque, offrent une tapisserie à la trame extrêmement ponctuelle par certains côtés et par d’autres offrant une vaste texture dont le baroque exprime des dérives rhétoriques et esthétiques qui pourraient bien sembler risibles au lecteur contemporain, révélant cependant lorsqu’on les place en contexte une tension intellectuelle qui est en définitive celle de l’impossibilité foncière d’exprimer l’inexprimable : qui est/ était vraiment Louis XIII ? N’aurions-nous pas peut-être un peu hâtivement critiqué l’expression de L. Marin « un état d’être » (supra) devant le portrait par Philippe de Champaigne ? Ces textes ne cherchent-ils pas à cerner, sans jamais vraiment y parvenir, cet état d’être qu’est Louis XIII ? <?page no="127"?> QUAND LES ROIS MEURENT 115 Deuxième partie : La maladie et la mort de Louis XIV Les témoins oculaires : le journal des frères Antoine (Jean et François, fils de Jacques) La mort de Louis le Grand a donné naissance à un corpus infiniment plus considérable d’oraisons et d’éloges funèbres et aussi à un ensemble non moins fourni de pamphlets et de chansons stigmatisant les excès du Roi- Soleil, surnommé « Louis l’Injuste », par contraste avec son père, et « Louis le Banqueroutier », pour ses dépenses extravagantes en guerres et en bâtiments. Ces textes, nous en avons déjà fait l’analyse tout au long dans La Mort du roi : une thanatographie de XIV (q.v.). Tout en rapportant les circonstances du déclin physique du roi, on tâchera ici de donner une idée de son état d’esprit à mesure qu’il sentait venir la mort et aussi, dans la mesure du possible, de celui de son entourage. Profondément dévoués à leur maître, les Antoine (Jean et François, fils de Jacques) ne se permettront jamais de porter un jugement direct sur les familiers de celui-ci, mais on peut à l’occasion deviner, voire constater certaines attitudes provoquées par la présence ou les actions des membres de cet entourage, en particulier les <?page no="128"?> FRANCIS ASSAF 116 médecins. Nous y avons sans doute mis une bonne part de spéculation, mais cela ne semble pas injustifié, eu égard à ce que l’on sait des membres de la Cour en ce crépuscule du Roi-Soleil. Laissons provisoirement le journal des Antoine pour évoquer d’abord des regards contemporains, ensuite ceux des mémorialistes. Regards contemporains Parlons d’abord de l’ouvrage de Nicole Ferrier-Caverivière (1945-) Le Grand Roi à l’aube des Lumières (q.v.). Les deux premiers chapitres, respectivement intitulés « La survie de la grandeur dans les discours à l’Académie française » et « Le Procès de la tyrannie », examinent les textes afférents à la mort de Louis XIV. Le deuxième chapitre est particulièrement riche en réflexions et remarques sur les premières décennies suivant la mort du roi et constitue une excellente documentation historique qui prolonge la « mythistoire » qu’on trouve dans les pamphlets manuscrits (Clérambault, Maurepas, Buvat) 205 vitupérant les excès et abus du roi au lendemain de sa mort. Dans son ouvrage The King’s Wake : Post-Absolutist Culture in France, Jay Caplan (1946-) commente cet amenuisement progressif du pouvoir et de l’image absolus du roi. Il cite l’historien Orest Ranum (1933-) : « [W]hen servants and courtiers at Versailles came and went about the royal bedroom, they bowed before the royal nef, a gold shiplike vessel containing the king’s knife, fork, and napkin. This was done whether the king was present or not 206 . » Mais deux ans après la mort de Louis XIV, dit-il, le lien entre le corps (mort) du roi et son pouvoir de représentation s’est dissous. La rémanence du corps politique du roi défunt est éclipsée par le petit Louis XV et par le Régent agissant en son nom (18-19). Dans son ouvrage La Mort de Louis XIV, L’historien Joël Cornette décrit en grand détail les préparatifs suivant la mort du monarque, l’embaumement 205 Voir La Mort du roi. 206 Ranum, Orest. « Courtesy, Absolutism, and the Rise of the French State. » Cité par Leora Auslander dans Taste and Power : Furnishing Modern France (Berkeley : University of California Press, 1996): 35. <?page no="129"?> QUAND LES ROIS MEURENT 117 du corps et la composition du cortège qui devait, le 9 septembre, accompagner le corps du roi défunt à sa dernière demeure, à Saint-Denis (44-47). Commentant l’anecdote (ou les anecdotes) rapportant la liesse populaire, les danses, les chansons et même les buvettes qui jalonnaient l’itinéraire du corps du roi de Versailles à Saint-Denis, J. Cornette note qu’aucun document fiable ne confirme cela (47). Dans son journal, Mathieu Marais décrit le cortège funèbre, le chemin vers Saint-Denis (sans passer par Paris) magnifiquement illuminé 207 . On lit : « Le Peuple regardoit cela comme une feste, & plein de la joye d’avoir vu le Roy vivant n’avoit pas toute la douleur que devoit causer la mort d’un si grand Roy » (26). Euphémisme ou réels sentiments ? Il est difficile de se prononcer là-dessus. Les paroles de M. Marais se posent fortement en contraste avec le vitriol des pamphlets vitupératifs qui suivent le décès de Louis XIV (voir La Mort du roi). Il consacre une section du chapitre 10 de son ouvrage, intitulée « Imaginer un après-Louis XIV » aux spéculations ou aux aspirations auxquelles se livraient nombre d’importants personnages, Saint-Simon et Fénelon (1651-1715) entre autres, à la forme que devait prendre le règne post-louisquatorzien. L’archevêque de Cambrai est hanté par la ruine qu’a amenée la Guerre de Succession d’Espagne. J. Cornette voit dans le Télémaque un roman à clef, métaphore de la dystopie qu’ont été les dernières années du règne du Roi-Soleil et de l’utopie qu’il aurait pu être sans cette guerre. L’apport des mémorialistes Dangeau et Saint-Simon Mais revenons à l’immédiateté de la fin de Louis XIV. Tournons-nous d’abord vers les mémorialistes, dont l’apport est loin d’être négligeable : on examinera principalement Saint-Simon et Dangeau, sans en laisser toutefois d’autres, peut-être moins en vue, comme Desgranges (1649-1731), maître des cérémonies de Louis XIV, que cite Olivier Chaline (1964-) dans son ouvrage Le Règne De Louis XIV : 207 J. Cornette parle d’un millier de flambeaux (46). <?page no="130"?> FRANCIS ASSAF 118 On lui [C’est-à-dire au corps de Louis XIV] mit un petit crucifix dans les mains jointes. Le corps était assez élevé pour être vu. Je fis mettre des deux côtés du lit douze chandeliers de la chapelle du château avec des cierges, et, aux pieds une crédence sur laquelle je fis mettre une croix et deux chandeliers de vermeil doré, aussi pris dans la chapelle. Cette crédence était recouverte d’un riche tapis et d’une toilette que le roi eût. Au côté droit de la balustrade, on mit un ployant [pliant] au chevet adossé contre le mur, et une petite forme aussi adossée contre le mur et des formes très riches autant qu’on y en put mettre. Le cardinal de Rohan 208 , en camail et rochet et étole, occupa le ployant. Il prétendait un siège à dossier, mais les évêques s’y étant opposé [sic], en disant qu’ils n’y viendraient pas s’il y avait un siège différent du leur 209 , il se contenta du ployant sans conséquence, marquant qu’il avait trop d’obligation au défunt pour vouloir faire aucun incident sur ce sujet (715- 717) 210 . Le Mémoire du marquis de Dangeau sur ce qui s’est passé dans la chambre du roi pendant sa maladie (q.v.) est tiré du T. 16 du journal. Il va du 25 août (jour de la Saint-Louis) au 1 er septembre. Le journal contient en bien plus grand détail les événements du 1 er septembre suivant la mort du roi, ainsi que ceux des jours suivants. Durant ces jours, il énumère en grand détail tous les courtisans qui se pressaient dans les appartements du roi. La constance de celui-ci devant la maladie suscite ces paroles admiratives : « Je sors du plus grand, du plus touchant et du plus héroïque spectacle que les hommes puissent jamais voir (13). » Dangeau montre à l’évidence qu’il est un intime du roi, décrivant avec émotion l’état de dépérissement de Louis XIV, qu’il observe à son coucher ; le roi est devenu d’une maigreur squelettique par suite des ravages d’un diabète non soigné 211 . Nonobstant le déclin de sa santé, 208 1674-1749. Élu à l’Académie française en 1703. Évêque de Strasbourg en 1704, cardinal en 1712. Grand aumônier en 1713. Entre au Conseil de Régence en 1722. Voir Frédéric d’Agay. Dictionnaire du Grand Siècle (1350). 209 Bel exemple de mesquinerie ecclésiastique… 210 Ce texte est vraisemblablement tiré des papiers de Nicolas-Sixte de Sainctot (1674- 1755), fils de Nicolas II de Sainctot (1632-1713), introducteur des ambassadeurs de Louis XIV : Ms. 2737-2761 recueils de relations des cérémonies de la cour de France copiées par Desgranges, sur les originaux, appartenant à Sainctot 16 vol. Bibliothèque Mazarine, Ms. 2747 (Années 1714-1717). 211 Les détails que donne le journal des Antoine ne laissent aucun doute sur cette maladie. <?page no="131"?> QUAND LES ROIS MEURENT 119 Louis XIV continue à exercer son « métier de roi » (comme le faisait d’ailleurs son père, mais avec plus de détermination, pensons-nous), travaillant avec ses ministres alors que la gangrène de sa jambe progresse inexorablement. Il continue même à faire entrer le public pour assister à son dîner 212 , chose que notent systématiquement les Antoine tout au long du journal. On relèvera cela de temps en temps, même si cela doit sembler répétitif car le contraste entre le progrès de la maladie et l’affaiblissement quasi-quotidien du roi, d’une part, et sa volonté inébranlable d’exercer son « métier de roi », et non pas seulement dans ses réunions avec ses ministres et autres collaborateurs, mais aussi de « paraître en roi », de l’autre, mérite d’être décrite et relevée. Une remarque intéressante, qui souligne les dons d’observateur de Dangeau, c’est sa constatation, le 25 août au soir, que le roi manifeste des signes de confusion mentale, autre symptôme attribuable au diabète. Cela ne dure pas à la vérité plus d’une quinzaine de minutes, mais l’inquiétude est suffisante pour faire administrer au roi le viatique et l’extrême-onction, cérémonie dont Dangeau décrit par le menu les détails avec la liste des assistants (15-16 et n.2 p.16). La suite laisse voir que le roi avait recouvré tous ses esprits, ajoutant même deux codicilles à son testament (Voir Appendice). Le journal des Antoine en donne une description plus détaillée (infra). Aussi fin observateur que politique astucieux, Dangeau note que le chancelier Daniel Voysin de La Noiraye (1654-1717) 213 donne en privé à lire ces deux codicilles au duc d’Orléans et en déduit que ce dernier est promis à une « grandeur prochaine » (19). En effet, dès le 2 septembre, Philippe réclamera et se fera donner la Régence à part entière par le Parlement de Paris, au cours d’une cérémonie communément désignée comme la cassation du testament de Louis XIV, et dont Saint-Simon a donné une description saisissante (Tome 13, chapitre 6). 212 Ce que nous appelons aujourd’hui le déjeuner, le terme de souper étant réservé à l’époque au repas du soir. Encore en usage au Canada francophone. 213 Chancelier en 1714, en remplacement de Louis II Phélypeaux de Pontchartrain (1643- 1727). Il était devenu Secrétaire d’État à la Guerre en 1709 grâce à la protection de Mme de Maintenon Voir Abel Poitrineau. Dictionnaire du Grand Siècle (1621) <?page no="132"?> FRANCIS ASSAF 120 Nous avons relevé les passages suivants chez ce dernier, qui lui aussi constate les moments de confusion mentale chez le roi. Mais à quelque quarante-huit heures de sa mort, pareil déclin est bien compréhensible : Le vendredi 30 août, la journée fut aussi fâcheuse qu’avait été la nuit, un grand assoupissement, et dans les intervalles la tête embarrassée. Il prit de temps en temps un peu de gelée et de l’eau pure, ne pouvant plus souffrir le vin. Il n’y eut dans sa chambre que les valets les plus indispensables pour le service, et la médecine, Mme de Maintenon et quelques rares apparitions du p. Tellier, que Bloin ou Maréchal envoyaient chercher. Il se tenait peu même dans les cabinets, non plus que M. du Maine. Le roi revenait aisément à la piété quand Mme de Maintenon ou le p. Tellier trouvaient les moments où sa tête était moins embarrassée ; mais ils étaient rares et courts. Sur les cinq heures du soir, Mme de Maintenon passa chez elle, distribua ce qu’elle avait de meubles dans son appartement à son domestique, et s’en alla à Saint- Cyr pour n’en sortir jamais. […] Le samedi 31 août la nuit et la journée furent détestables. Il n’y eut que de rares et de courts instants de connaissance. La gangrène avait gagné le genou et toute la cuisse. On lui donna du remède du feu abbé Aignan 214 , que la duchesse du Maine avait envoyé proposer, qui était un excellent remède pour la petite vérole. Les médecins consentaient à tout, parce qu’il n’y avait plus d’espérance. Vers onze heures du soir on le trouva si mal qu’on lui dit les prières des agonisants. L’appareil le rappela à lui. Il récita des prières d’une voix si forte qu’elle se faisait entendre à travers celle du grand nombre d’ecclésiastiques et de tout ce qui était entré. À la fin des prières, il reconnut le cardinal de Rohan, et lui dit : « Ce sont là les dernières grâces de l’Église. » Ce fut le dernier homme à qui il parla. Il répéta plusieurs fois : Nunc et in hora mortis, puis dit: « Ô mon Dieu, venez à mon aide, hâtez-vous de me secourir ! » Ce furent ses dernières paroles. Toute la nuit fut sans connaissance, et une longue agonie, qui finit le dimanche 1 er septembre 1715, à huit heures un quart du matin, trois jours 215 avant qu’il eût soixante-dix-sept ans accomplis, dans la soixante-douzième année de son règne (Mémoires, T. XII, ch. 15). 214 L’abbé Aignan, peut-être d’origine, suisse, s’était rendu célèbre par son remède contre la petite vérole. 215 Légère erreur de calcul : en fait, Louis XIV est né le 5 septembre 1638. <?page no="133"?> QUAND LES ROIS MEURENT 121 À la lecture du texte ci-dessus, ainsi que du mémoire de Dangeau aussi bien que celle du journal des Antoine, on se rend compte que Louis XIV accueille la mort avec une bien plus grande sérénité - et aussi un bien plus grand réalisme - que son père 72 ans plus tôt. L’historien Alexandre Maral (1968-) 216 , consacre un important ouvrage au rôle da la religion dans la vie personnelle et politique de Louis XIV (Le Roi-Soleil et Dieu, q.v.). Au chapitre 9 (« L’art de mourir ») il traite des derniers jours du roi et des sentiments de tristesse et de résignation, imprégnés de religion, que manifeste celui-ci en voyant approcher sa fin. A. Maral note : « Louis XIV conserve jusque dans ses derniers moments la même attitude lucide et mesurée, aussi éloignée de l’outrance que de la tiédeur. » (299) Il va sans dire que le troisième Bourbon n’est pas moins fervent catholique que son père, même si ses manifestations de dévotion n’incluent ni la collection quasi-obsessive de reliques ni la composition de prières ou d’hymnes religieux 217 . A. Maral consigne également les conversations qu’eut le roi avec le maréchal de Villars (1643-1734), chose que ne font pas les journaux, qui mentionnenent plutôt la présence quasi-constante du maréchal de Villeroy (1644- 1730). À la différence du journal des Antoine, si le corps politique du roi transparaît chez Maral, ce n’est qu’à travers son corps physique, sur lequel se focalise l’auteur. En tout cas, on note dans ces chroniques de fin de vie une « modernisation » du sentiment religieux du second Bourbon au troisième, qu’on pourrait poser en parallèle de la modernisation de la conception de l’État de l’un à l’autre, traçant une (micro) évolution allant - du moins en fin de vie - du modèle christomimétique/ christocentrique au modèle juricentrique 218 . Encore qu’elles mettent fortement l’accent sur la soumission à 216 M. Maral est directeur adjoint du centre de recherches du château de Versailles. 217 Si outrance il y a chez Louis XIII, on pourrait l’expliquer à la fois par les guerres qu’il a dû mener contre les protestants et par ses propres obsessions religieuses vers la fin de sa vie, excitées jusqu’à la frénésie par les ecclésiastiques entourant son lit d’agonie (supra). 218 Pour éviter toute équivoque, notons que, tout au long de son règne, Louis XIII a pratiqué une monarchie juricentrique, surtout dans ses guerres contre les huguenots. J.-Ch. <?page no="134"?> FRANCIS ASSAF 122 Dieu, ses dernières paroles au Dauphin sont une mise en garde contre les excès auxquels il s’est livré lui-même durant son règne : la guerre et les dépenses excessives touchant les bâtiments. Notons également que le testament (v. appendice) traite exclusivement d’affaires ayant trait à sa succession. Nous pensons avoir suffisamment démontré dans La Mort du roi (q.v.) que ce sont les oraisons funèbres qui font un portrait christomimétique du roi, ce à quoi on s’attendrait de toute façon. Il nous faut mentionner la récente édition (ou réédition) du journal de la maladie et de la mort de Louis XIV par les frères « Anthoine », effectuée en 2015 par A. Maral, d’après celle d’Édouard Drumont (q.v.). Reprise du journal des frères Antoine Ayant brièvement évoqué les deux principaux mémorialistes, revenons au journal des frères Antoine, fils de Jacques et garçons de chambre et portearquebuse du roi. Le texte est celui du manuscrit BnF NAF-5012 (rédigé en 1728), dont le ms. FR-15644 est, rappelons-le, un fragment (supra) 219 . Les auteurs déclarent que leur journal va du 10 août, premier jour de la maladie du roi, jusqu’au 23 octobre, date des funérailles officielles. À la vérité, ce texte n’inclut pas seulement des témoignages oculaires, mais aussi des renseignements de seconde main, ainsi que des mémoires de « personnes équitables, éclairées et présentes aux faits que nous rapportons » (f° 254). Cette franchise est louable, mais en même temps porte le lecteur à se demander quelle est la contribution directe des frères à ce témoignage. Comme cependant ils ne nomment aucun de ces collaborateurs, nous n’avons le choix que de leur attribuer la pleine et entière paternité du journal. Le titre entier du journal de la mort de Louis XIV est le suivant : Journal historique de ce qui s’est passé pendant la derniére maladie et mort du tres- Glorieux Roy Louis Quatorze d’Eternelle mémoire et de ce qui c’est [sic] fait a l’avénement du Régne du Nouveau Roy Louis quinze son arriére petit fils, Petitfils (q.v.) insiste sur le caractère purement politique de ces guerres, le roi ne cherchant pas à violer les consciences, mais à établir partout son autorité. 219 Un mot sur la pagination du manuscrit : elle est double, commençant au folio 254/ 206, mais le folio suivant est numéroté 252, celui d’après 253/ 207 (Voir Appendice). <?page no="135"?> QUAND LES ROIS MEURENT 123 par le Sieur Antoine, Ecuyer porte arquebuse ordinaire du Roy, Inspecteur Général de la capitainerie et maîtrise des Eaux et forests de Saint Germain En Laye En lannée 1715. Dans ce fragment 220 , l’avant-propos relie, de façon péremptoire pourraiton dire, le journal de la maladie et de la mort de Louis XIII avec celui de son fils : En faisant la Rélation de ce qui s’est passé dans le cour de la derniére maladie dont est mort le Roys Louis quatorze, surnommé le grand pour ses grandes et héroïques vertus, Nous suivons le récit fidel que le sieur Antoine, nôtre pere a fait aussy de la maladie et mort du Roy Louis treize d’heureuse mémoire arrivée à S t .-Germain-en-Laye le 14 e May 1643. Cest ce qui Nous a mesme obligé et Engagé de faire cette Rélation de la maladie et mort de ce grand RoyLouis XIV, son fils, par toute la reconnoissance des bontés, que Sa Majesté a bien voulu avoir pour nous, et pour aussy Eterniser Sa mémoire[…] (f° 254/ 206). Ce « nous » est-il un simple tour de style ou se réfère-t-il aux deux frères ? On pourrait penser, au vu des participes passés (les italiques sont de nous) qu’un seul a composé ce journal (« par le Sieur Antoine », supra) ? Difficile à dire, d’autant plus que l’accord des participes, bien qu’érigé en règle par Marot au XVI e siècle (Sancier-Château, T. 2, 87), n’était pas observé systématiquement. Sa conclusion laisse flotter un certain doute : « Il apparaît que l’accord n’est pas perçu comme absolument impérieux, même chez les meilleurs auteurs, tout au long du XVII e siècle. » 221 . Nous penchons pour une collaboration - sinon une véritable rédacction conjointe - entre les deux frères ; c’est pourquoi nous emploierons le pluriel, faute d’une indication plus explicite sur l’auctorialité du journal 222 . En nous référant, cependant, au f° 255/ 209 du manuscrit NAF 5012, nous notons la mention « par Monsieur Antoine Laisné, en l’année 1715 ». Cela veut-il dire que François (le cadet) n’a joué aucun rôle dans l’élaboration de ce récit ? Étant donné sa 220 On reproduit le texte complet de l’avant-propos en appendice. 221 Les exemples qu’elle donne sont pris dans Corneille (1606-1684) et Molière (1622- 1673). 222 Notons cependant que la première personne est employée de temps en temps, mais à notre opinion cela ne suffit pas à dissiper l’ambigüité. <?page no="136"?> FRANCIS ASSAF 124 charge de porte-arquebuse et garçon de chambre du roi à égalité - semblerait-il - avec son frère, il serait raisonnable de penser qu’il a eu au moins part à la rédaction. Pour en revenir au titre, il est suivi d’une évocation succincte des principaux événements du règne, à commencer par le mariage du jeune roi le 9 juin 1660 à St-Jean-de-Luz avec l’Infante Marie-Thérèse d’Autriche (1638- 1683). Les nombreuses campagnes et voyages sont mentionnés en quelques lignes, se terminant bien entendu sur le « triste événement » dont le journal est le sujet. À noter que les auteurs mentionnent la possibilité d’une publication imprimée (qui n’a jamais eu lieu à notre connaissance), liée à l’idée du roi « père du peuple » : Et en effet rien n’est plus interressant pour une famille que les derniers momens d’un pere qui meure [sic], rien de plus touchant que ses sentimens, rien de plus instructif et de plus pénétrant que ses derniéres paroles, quel effet nedoivent pas produire surles sujets detout un Royaume les derniéres paroles et les derniers sentiments d’un Roy que celuy que la France vient deperdre aussy nobles, aussy tendres aussy chretiens que ceux dont nous avons esté les tristes témoins (f° 252). Le paragraphe suivant met en relief la relation spéciale des Antoine père et fils avec les deux rois, Louis XIII et Louis XIV, laquelle dépasse celle de simples sujets pour souligner la proximité au corps physique (aussi bien qu’au corps politique, forcément). Louis XIV (comme son père) n’est pas seulement un bon roi, mais un bon maître 223 . Nous nous trouvons en présence d’un paradoxe littéraire ; se prétendant incapable d’exprimer la vivacité de leurs propres sentiments sur la perte de leur souverain et maître, les Antoine se font pour ainsi dire porte-paroles du roi, se donnant pour tâche d’effectuer une représentation, un authentique « portrait du roi », citant l’Ecclésiastique : « L’homme à la mort paraît tel qu’il est ». Autrement dit, tout en parlant euxmêmes, ils « font parler » le roi, à l’encontre des mémorialistes. Les marqueurs diégétiques de cette mise en fiction sont à peu près les mêmes que ceux qu’emploient (plutôt oxymoriquement) les oraisons funèbres : « le 223 Rappelons que sur son lit de mort Louis XIII s’est repenti de ne pas avoir été plus généreux envers ses serviteurs. <?page no="137"?> QUAND LES ROIS MEURENT 125 Grand, le Héros, le Conquérant, le Pacifique » (f° 253/ 207). Tout comme dans celles-ci, est mis en relief le zèle du roi pour la religion catholique, roi Très-Chrétien et Fils Aîné de l’Église. La pompe funèbre de Louis XIII avait eu lieu 40 jours après sa mort. Les obsèques officielles de Louis XIV ont lieu 52 jours après la sienne, le 23 octobre 1715 224 . Mais pour en revenir au manuscrit, il faut mentionner que, sous le portrait de Louis XIV (f° 208), les vers et l’épitaphe sont, selon les Antoine, d’un « auteur inconnu ». 224 Notons que le corps avait été mis au caveau le 9. <?page no="138"?> FRANCIS ASSAF 126 Le Roy Louis quatorze Sur nommé Le grand pour ses Rares vertus Fut Née [sic] au chasteau Neuf de St. Germain en Laye le 5 e Septembre 1638. Est decedé au Chasteau de Versailles le 1 e Septembre 1715. Eloge au Roy louis 14 Aymer Dieu Se dompter Soy mesme Faire trembler ses Ennemis Estre au dessus du Diademe C’est La le Portrait de Louis De Briancour. Ce portrait de Louis XIV en armure reproduit une gravure en taille-douce de 1690 de Nicolas II de Larmessin (1632-1694) 225 reproduction possible ellemême du portrait du roi en armure, de Hyacinthe Rigaud (1659-1743), peint vraisemblablement avec son élève Jean Ranc (1674-1735) 226 . Il est sis dans un cadre ovale, sommé par le haut d’une guirlande et souligné d’une autre, plus courte, portant en médaillon les armes de France, surmontées d’une couronne et entourées d’un collier de l’Ordre du Saint-Esprit ainsi que d’une décoration comportant fleurs de lis, symbole de souveraineté, et feuilles de lierre, symbole de fidélité. Une légende se conformant au tiers inférieur de l’ovale du cadre effectue un aperçu biographique assez détaillé, énumérant les victoires du roi ainsi que les autres faits du règne. Le portrait tel qu’on le voit dans le manuscrit diffère de la gravure de Larmessin. Bien que les deux portent la date de 1690, cette dernière se voit plus nettement sur la gravure. On note également l’absence de trois clous (dorés ? ) en forme de fleur-de-lis sur l’épaule droite dans l’image du manuscrit. La cravate de dentelle est également différente et on constate l’ajout d’une draperie et d’un cordon dans l’image du manuscrit. C’est au château de Marly, le 10 août 1715, que le roi ressent les premières attaques du mal qui devait finir par l’emporter le 1 er septembre de la 225 Le cadre précise l’adresse de l’atelier : « rue St. Jacques, à la Pomme d’Or ». Ce portrait fait partie du livre Les augustes représentations de tous les rois de France, depuis Pharamond jusqu’à Louis XIV avec un abrégé historique sous chacun, contenant leurs naissances, inclinations et actions plus remarquables pendant leurs règnes. Bibliothèque nationale de France , département Estampes et photographie, Cote Na-12-4 226 Le premier est peint cette année. <?page no="139"?> QUAND LES ROIS MEURENT 127 même année. On constate très vite que les Antoine enfreignent immédiatement ce qu’ils avaient promis, c’est-à-dire de faire parler le roi lui-même. Le discours extra-diégétique l’emporte de loin par la longueur sur les citations directes du roi. À la louange obligatoire viennent s’ajouter des remarques sur l’usage que faisait le roi du château de Marly et l’histoire de la construction de celui-ci 227 . Bien entendu, le journal mentionne (encore que très succinctement) la machine de Marly, insistant plutôt - en grand détail - sur le rôle du château en tant que baromètre de la faveur royale. Il ne semble pas que ce soit uniquement pour « faire du remplissage » que les Antoine ont consacré au moins deux pages du journal (f° s 255/ 209- 210) à cet historique. En fait, celui-ci fait fortement contraste avec le « desengaño » qui gagne le roi à la conclusion de la Guerre de Succession d’Espagne : Nous dirons qu’il y avoit désja quelques mois que le Roy commençoit à goûter les douceurs de la Paix qu’il avoit achetée par tant de travaux, de depenses et de sang se retiroit souv t . dans cette aimable solitude ; Lorsque frappé d’une grande debilité destomach, dont il avoit desja ressenty auparavant, quelques Legers [sic] atteintes il commenca, aussy bien que Salomon a eprouver que tout ce qui est en ce monde estoit perissable n’étant que vanité (f° 257/ 210). Ce sont ces douleurs abdominales que mentionnent les auteurs 228 . Guy-Crescent Fagon (1638-1718) 229 , archiatre (premier médecin) du roi, envoie chercher chez l’apothicaire du carabé, c’est-à-dire de l’ambre jaune réduit en poudre 230 : Cette incommodité attaqua Sa Majesté le Samedy10 e aoust 1715 fête de S t . Laurent après diner d’une maniére plus violente qu’a l’ordinaire. 227 Jean-Baptiste Colbert (1619-1683) chargé de la surintendance et Jules Hardouin-Mansart de la conception. 228 La consultation de plusieurs sites médicaux en ligne n’a pas mentionné de rapports entre gangrène et douleurs abdominales. 229 En 1668 : médecin de la Dauphine, puis de la Reine. En 1693 : premier médecin du roi, titre qu’il perd à la mort de celui-ci. On le savait jaloux de ses privilèges et de son autorité. Voir Bruno Pons. Dictionnaire du Grand Siècle (573-574). 230 Voir Dictionnaire de Richelet, T. I, p. 271. <?page no="140"?> FRANCIS ASSAF 128 Monsieur Fagon premier Médécin du Roy Layant appris y vint et envoya aussy tost le sieur Antoine l’un des Garçons de la Chambre du Roy a l’apotiquairerie dire que l’on apporta du carabé, Remede qui fortifie l’Estomach […] (f° 257/ 210). L’effet est miraculeux : le roi se sent soulagé immédiatement et sort prendre l’air dans sa chaise roulante 231 . Les auteurs notent cependant qu’au dîner, le roi mange très peu, étant accablé d’un grand dégoût (infra). Parmi les symptômes du diabète avancé et non traité on note justement une grande perte d’appétit, couplée à une soif inextinguible, avec pour conséquence un fort amaigrissement. Notons que la maladie était connue depuis l’Antiquité, sans qu’on en sache cependant les causes véritables, encore moins le traitement 232 . Revenons brièvement à Dangeau. Voici ce qu’il dit à propos du 10 août : Dès le samedi 10, qu’il revint de Marly, il étoit si abattu et si foible, qu’il eut peine à aller, le soir, de son cabinet à son prie-Dieu ; et le lundi qu’il prit médecine et voulut souper à grand couvert, à dix heures, suivant sa coutume, et ne se coucher qu’à minuit, il me parut en se déshabillant un homme mort. Jamais le dépérissement d’un corps vigoureux n’est venu avec une précipitation semblable à la maigreur dont il étoit devenu en si peu de temps ; il sembloit, à voir son corps nu, qu’on en avoit fait fondre les chairs (14). Les Antoine soulignent l’aspect théâtral de ce repas où le roi n’a presque rien mangé : « une foule incroyable de personnes de toute qualité que le zele ou la curiosité y avoient attiree sur le bruit qui s’etoit répandu a la cour de l’jndisposition qu’avoir eüe le Roy à Marly » (f°258). On sait de longue date que toute personne décemment vêtue pouvait, pour trois sous, venir regarder le roi prendre son souper. Ici, le spectacle de voir le roi manger se double 231 À partir de 1686 (le roi a alors 48 ans), il ne se déplace plus qu’en « roulotte », un fauteuil roulant qu’il était obligé d’utiliser à cause de la goutte qui lui rendait la marche à pied douloureuse. 232 Dans le Dictionnaire universel (T. I, p. 672), Furetière décrit des symptômes, comme la soif inextinguible et l’abondante miction, ainsi que les causes que lui attribuaient les médecins de l’époque. Sans doute par pudeur, les auteurs ne mentionnent pas ce dernier aspect. <?page no="141"?> QUAND LES ROIS MEURENT 129 d’une curiosité morbide à constater à quel point le roi est malade. Les auteurs décrivent avec beaucoup de détails la nuit du 10 au 11. Il ne s’agit pas seulement de sa soif dévorante, qui l’oblige à boire toute la nuit, mais aussi de l’angoisse et de l’inquiétude qui accompagnent ce symptôme auquel le roi ne s’attendait sans doute pas. Le paragraphe consacré au 11 août dans le journal porte quelques lignes d’une main différente. Rappelons que le manuscrit NAF-5012 ne date pas de 1715, mais y est postérieur. On essaiera de rendre cette disparité : […] ensuite Sa Majesté tint son conseil de finances dans sa chambre, qui dura jusqu’à une heure après midy, qu’elle semit à table pour Dîner à sonpetit Couvert où Elle ne mangea presque point, mais Monsieur fagon, s’en étant apperceut Il dit a Monsieur le duc Dantin quy Estoit present qui Entrenoit [sic] Sa Majesté pendant le souper de luy Dire 233 Sire votre Majesté nous apparut tres Degoustée a son soupper le Roy leur ayant Repondu messieurs je suis d’un grand degoust je croit [sic] que cest la mauvaise nuit que je passée qui me la causéé [sic] (f°s 258- 259/ 212). La partie ombrée est inscrite sur deux bandes de papier collées sur le manuscrit, respectivement au bas du f° 258 (celle ombrée en clair) et au sommet du f° 259/ 212 (ombrée en plus foncé). Les Antoine insistent sur la faiblesse physique du roi, qui annule le 11 son projet d’aller chasser dans le parc de Versailles. Si le corps physique du roi est en délabrement, son corps politique n’en continue pas moins à fonctionner. Louis XIV met à profit ce temps pour tenir conseil jusqu’à seize heures avec Michel Le Peletier de Souzy (1640-1725) 234 , ministre pour les fortifications depuis le 21 juillet 1691. De là il passe chez Mme de Maintenon pour tenir un second conseil avec le chancelier ministre d’État pour la guerre Voysin jusqu’à vingt-deux heures. Après, souper en grand couvert. Le texte souligne sa pâleur et son absence d’appétit, qu’on peut mettre en 233 À ce point, le texte est interrompu par le f° 211 qui est resté en blanc, sauf une inscription à peine discernable : « Mr. le Duc Dantin » (1665-1736) (Duc à partir de 1711. Seul fils légitime de Mme de Montespan. Directeur des Bâtiments à partir de 1708). 234 Michel Le Peletier de Souzy. Voir François Bluche. Dictionnaire du Grand Siècle (1466). <?page no="142"?> FRANCIS ASSAF 130 contraste avec sa légendaire gloutonnerie des années précédentes. Néanmoins, il passera encore une heure et demie dans son cabinet à s’entretenir avec les princes et les princesses du sang. Si le journal qualifie ce moment de « délassement », on peut toutefois y voir une manifestation du corps politique : le roi en tant que chef de la famille de France, affirmant sa présence parmi les premiers de ses sujets. Les auteurs notent cela à plusieurs reprises dans le journal ; on y reviendra pour relever tel ou tel détail. Comme son père, Louis XIV était régulièrement purgé. Sur décision de Fagon, Jean Boudin (? -1728), médecin ordinaire, lui administre le 12 une demi-dose, ce qui, disent les auteurs, lui procure un très grand soulagement. Ce soulagement du corps physique a un effet immédiat sur le corps politique : le roi demande à M. de Tresmes (1655-1739) 235 , gentilhomme de la chambre, de faire entrer toutes les « personnes de qualité et autres qui se présenteroient pour entrer ». Le journal ajoute que « cela lui feroit plaisir de voir beaucoup de monde (f° 260). » Le roi va s’entretenir surtout avec le maréchal de Villeroy (1644-1730) 236 , son ami d’enfance, et le duc d’Antin(1665-1736) 237 , qui en tant que directeur des Bâtiments oriente vite la conversation sur ce sujet qui tient fort à cœur à Louis XIV, comme on le sait. Le journal demeure muet sur ce qu’a pu dire le roi au maréchal, dont la notoire incompétence militaire lui attira le mépris de Saint-Simon, du Régent et d’autres. Le mémorialiste, en particulier, a laissé de lui une description cinglante comme un empoté, incapable de maintenir une conversation intelligente, causant de l’embarras en public au roi son ami : Torcy 238 m’a conté que le roi prenait la parole avant le maréchal de Villeroy dans les commencements, pour lui mieux faire entendre de quoi il s’agissait, que le maréchal opinait si pauvrement et disait ou demandait des choses si étranges que le roi rougissait, baissait les yeux avec 235 Premier gentilhomme de la chambre et gouverneur de Paris. 236 Maréchal de France. Élevé avec le petit Louis XIV, celui-ci lui garda toute sa vie une amitié qui étonnait ceux qui connaissaient sa nullité en matière militaire. Après la mort de Louis XIV, il fut gouverneur du petit Louis XV. 237 Seul fils légitime de Mme de Montespan. Directeur des Bâtiments à partir de 1708. 238 (1665-1746). Neveu du grand Colbert. Secrétaire d’État aux Affaires étrangères en 1696. Négocie les traités d’Utrecht et de Rastatt en 1713-14. <?page no="143"?> QUAND LES ROIS MEURENT 131 embarras, quelquefois interrompait ses questions pour répondre d’avance, et qu’il ne s’accoutuma jamais, mais comme un gouverneur qui couve son élève, à l’ignorance, aux sproposito 239 , à l’ineptie du maréchal, qui par le grand usage de la cour et du commandement des armées dans les derniers temps des affaires et de la confiance du roi, les surprenait tous par ne savoir jamais ce qu’il disait, ni même ce qu’il voulait dire. J’en fus étonné moi-même au dernier point après la mort du roi (T. XI, Ch. XIII). Le roi évoqua-t-il la cuisante défaite de Ramillies en 1706, où les troupes françaises furent enfoncées par les Anglais sous le commandement du duc de Marlborough ou, plus simplement, les détails de la gouvernance du futur Louis XV ? Nul ne le saura… Notons cependant l’intervention de d’Antin, qui a peut-être souhaité éviter à Villeroy un embarras possible à l’évocation de sa piteuse carrière militaire. La routine quotidienne du roi ne change guère, en ces derniers jours de sa vie. De 16 à 18 heures, il travaille avec Pontchartrain (1674-1747) 240 , qui a assumé les fonctions de secrétaire d’État de la maison du Roi, puis avec Voysin chez Mme de Maintenon. Souper en public. Le roi se plaint à Fagon qu’il n’a trouvé goût à rien, remarque qui souligne le contraste entre la déchéance progressive du corps physique et la volonté farouche de maintenir la fonctionnalité du corps politique. Réitérer ces remarques de jour en jour pourrait s’avérer fastidieux : on se contentera de commenter la façon dont les Antoine voient le monarque fonctionner. Aux épisodes physiques (soif dévorante, insomnie, perte d’appétit), il faut opposer l’inflexible volonté que met Louis XIV à poursuivre son « métier de roi ». Les auteurs dénombrent fidèlement les ministres, conseillers et secrétaires avec qui il se réunit chaque jour, durant plusieurs heures, pour vaquer aux affaires d’État. En même temps, la soif intense et dévorante qu’il éprouvait en permanence a fortement frappé les Antoine car ils s’y réfèrent constamment. Ils notent même que le 239 Italianisme. Brèves paroles hors de propos dans une conversation, dans le fil d’un discours. 240 Ministre de la Marine de 1699 à 1715 et Secrétaire de la Maison du roi. Fils de Louis II Phélypeaux de Pontchartrain (1643-1727). <?page no="144"?> FRANCIS ASSAF 132 roi ne demandait jamais d’aliments (bouillon, panades, gelées), mais de l’eau en grandes quantités (f° 276). Est-il besoin de revenir sur les symptômes ? La nuit du 12 et la journée du 13 sont marquées d’une soif dévorante que les énormes quantités d’eau n’arrivent pas à éteindre. Ce qui est plus notable, cependant - si l’on peut dire - c’est le contraste entre l’attitude de Blouin (†1729) 241 , premier valet de chambre et gouverneur de Versailles, et celle de Fagon. Le premier s’inquiétait réellement de la détérioration progressive de l’état du roi et voulait faire venir plusieurs des meilleurs médecins de la Faculté de Paris, alors que Fagon, sans doute par amour-propre et tenant à ses privilèges, commença par s’y opposer ; il finit cependant par changer d’avis. Les Antoine restent discrets sur ce qui a pu transpirer entre Blouin et Fagon, mais la remarque « […] en même temps on envoya un exprès pour faire venir les plus habiles et expérimentés médecins de la faculté […] » donnerait à penser que ce ne fut pas sur l’initiative de Fagon. Rappelons qu’il s’opposa à Daquin (c.1620- 1696) 242 en 1683 à propos de l’abcès qu’avait la reine dans l’aisselle gauche. Il voulait le faire inciser (à raison, cette fois-là), mais Daquin s’y opposa et fit saigner la reine, qui ne s’en remit pas. Si celui-ci était tantôt arrogant, tantôt flagorneur (selon celui à qui il parlait), celui-là n’était pas moins intraitable. La préséance qu’avait Daquin sur Fagon coûta la vie à la reine de France. Ce n’est donc sans doute pas par souci de la santé du roi, mais par orgueil professionnel (et personnel) que le premier médecin refusa l’avis de Mareschal (1658-1736) 243 , premier chirurgien du roi, de faire amputer la jambe gangrenée de Louis XIV (qui en fait y consentait), ce qui aurait pu prolonger sa vie, ne fût-ce que de quelques semaines, voire quelques mois. 241 Premier valet de chambre dès 1665. Gouverneur de Versailles dès janvier 1701. Voir F. Bluche. Dictionnaire du Grand Siècle (206). 242 Premier médecin du roi en 1672, disgracié en 1693. Bernadette Molitor-Canavesio. Dictionnaire du Grand Siècle (96-97). 243 Premier chirurgien du roi en 1703. Bruno Pons. Dictionnaire du Grand Siècle (968- 969). <?page no="145"?> QUAND LES ROIS MEURENT 133 Cette digression sur Fagon et ses collègues ou homologues nous permet de voir, à la lecture du journal des Antoine, les rivalités et les conflits hiérarchiques entourant la maladie puis l’agonie du roi. On reverra cela plus avant. L’inquiétude que manifestent seigneurs et officiers assistant à la messe dans la chambre du roi, à la vue de son déclin, laquelle inquiétude le journal mentionne (f° 262), est-elle authentique ou feinte ? Bien entendu, les Antoine n’en disent rien. On ne peut donc pas se prononcer sur ce point. Ils ne parlent pas non plus de leurs sentiments personnels, se bornant à rapporter les faits avec un maximum d’objectivité, avec quelques rares échappées dues à leur profonde affection pour leur maître. On peut cependant se demander s’il n’entrait pas une part d’intérêt personnel dans ces mines assombries d’aristocrates, étant donné leur dépendance de la munificence royale. Nul doute que ceux qui entouraient le lit d’agonie de Louis XIII en 1643 n’aient également exprimé leur chagrin ; à la lecture du journal de Du Bois/ Antoine (et, à un degré moindre, du mémoire du p. Dinet), on peut penser que ce chagrin trahissait une mesure de sincérité peut-être plus grande que dans le cas de son successeur. On peut comparer tous ces aristocrates assemblés dans le Grand Cabinet (apparemment désœuvrés autrement) pour manifester leur souci (réel ou feint) de la santé du roi avec l’énergie de celui-ci, qui passe plusieurs heures en Conseil des Finances avec Voysin et Desmarets (1648-1721) 244 , puis va souper - de meilleur appétit que la veille - en présence du maréchal de Villeroy et du marquis de Livry (1679-1741) 245 . En mettant ces deux derniers personnages en regard, les Antoine ont-ils voulu faire preuve d’une discrète ironie, vu le contraste frappant entre la notoire incompétence militaire du premier et la valeur du second ? On peut se poser la question, la lecture du 244 Neveu de Colbert. Conseiller d’État et Contrôleur-Général des finances. Abel Poitrineau lui consacre un article fort détaillé, faisant ressortir son génie financier (que mentionne aussi le journal). Dictionnaire du Grand Siècle (467-468). 245 Militaire, il fit preuve de bravoure et de valeur dans de nombreuses campagnes, dont la Guerre de Neuf Ans (Guerre de la Ligue d’Augsbourg 1688-1697) et celle de Succession d’Espagne ; lieutenant-général des armées à partir de 1712. <?page no="146"?> FRANCIS ASSAF 134 journal appelant irrésistiblement à des spéculations, voire des conclusions sur l’entourage du roi dans ses derniers jours. Ouvrons ici une petite parenthèse : au f° 262, on peut voir un portrait de Mme de Maintenon, orienté de trois-quarts vers la gauche, dans un cadre ovale, sans nom de graveur (vraisemblablement copié sur une œuvre d’Étienne Jahandier Desrochers (1668-1741) 246 ), portant au bas la légende « Françoise d’Aubigny, Marquise de Maintenon, Institutrice des Demoiselles de la Maison Royale Saint-Cir ». Le lourd voile noir dont elle est coiffée semblerait indiquer son veuvage de Louis XIV, mais il n’a pas été possible de retrouver la date exacte de l’original. L’ouvrage d’Henri Gelin (1849-1923) 247 (q.v.) mentionne à la p. 93 ce portrait sous la rubrique n° 24 ter. L’Inventaire du fonds français. Graveurs du XVIII e siècle. T. VII (q.v.) mentionne aux p. 215-216 (Rubrique n° 384) : « F cse d’Aubigny, Marq se de Maintenon Intitut ce des Dem les de St Cir. » Buste de tr. q. à g. un voile noir sur la tête. Bordure ovale sur fond rectangulaire. Sur le socle : « Gravé par E. Desrochers et se vend chés lui a Paris rue S t Jacque au Mecenas. » La reproduction du Ms. NAF-5012 ne porte ni nom de graveur, ni les 6 vers accompagnant l’original. À noter dans l’ouvrage d’Henri Gelin la reproduction (p. 121) de l’acte de baptême manuscrit de la petite Françoise, provenant des registres paroissiaux de Notre-Dame de Niort. Le titre imprimé porte « Françoise d’Aubigny ». La signature manuscrite de son père, Constant 246 Graveur et marchand d’estampes. http: / / data.bnf.fr/ 12329318/ etienne_jahandier_desrochers/ . 247 Tous nos remerciements à nos collègues Volker Schröder (1963-) et Jean Serroy (1941-), qui ont bien voulu nous indiquer cette source et d’autres. La gravure reproduite dans le Ms. NAF-5012 d’après l’original de Desrochers présente d’importantes différences avec ledit original (lien : Berlin, Staatsbibliothek zu Berlin - Preußischer Kulturbesitz, Handschriftenabteilung, Inv.-Nr. Portr. Slg / Slg Hansen / Frankreich / 2° / Bd. 33 / Nr. 12 Staatsbibliothek zu Berlin; Bilddatei: sbb-011343; Aufn.-Datum: 2010). En faire la liste complète alourdirait sans nécessité cette note déjà bien longue. Il suffit de dire que l’auteur de la reproduction a supprimé d’importants éléments de l’original et n’a ajouté que les armoiries de la maison d’Aubigné. L’expression du personnage est aussi très différente. <?page no="147"?> QUAND LES ROIS MEURENT 135 (1585-1647), épelle également le patronyme « d’Aubigny ». Il faut donc conclure que le nom s’épelait indifféremment de l’une ou l’autre façon. Mais revenons à Louis XIV. Le 13 août constitue la date-charnière : c’est ce jour-là qu’il ressent pour la première fois (selon le journal des Antoine) « une vive douleur à la jambe Gauche qu’à peine pouvoit-il s’appuyer dessus et qu’il fallut même le soutenir par la main pour l’aider à marcher ; […] » (f° 263/ 215). La description est très précise : il s’agit d’une « petite rougeur au-dessous de la jarretière », que Mareschal traite par la friction avec des linges chauds. On verra que ce traitement, ainsi que celui de la friction avec de l’eau-de-vie camphrée sera poursuivi tout au long de la dernière maladie du roi, sans amener, bien entendu, aucune amélioration. Les auteurs ne manquent pas de relever à souper (22h, donc vraisemblablement en privé) le manque d’appétit et la soif dévorante qui vont accompagner les derniers jours du roi. S’organise alors une véritable « veille » médicale : Fagon couche dans la chambre du roi ; Mareschal, Jean Boudin, Biet (†1728), apothicaire, couchent dans le cabinet ainsi que les garçons de chambre Bazire et Antoine (peut-être François). Le journal raconte de façon brève mais frappante comment le mal empire durant la nuit du 14. Louis XIV peut à peine dormir ; les remèdes qu’apporte le corps médical ne lui procurent qu’un soulagement éphémère. Ce qui ne laisse pas de surprendre, c’est l’apparente passivité de Mareschal, à ce stade relativement commençant du déclin de Louis XIV. Habile chirurgien 248 , il avait même opéré Fagon en 1701. Il n’était pas non plus sans connaître les conditions sur les champs de bataille, puisque Louis XIV l’avait envoyé en 1709 à Malplaquet pour soigner Villars blessé 249 . Il est donc un peu surprenant qu’il n’ait pas reconnu d’emblée la gangrène qui commençait à ravager la jambe gauche du roi. Que savait-on de la gangrène à l’époque ? Le Dictionnaire universel de Furetière nous donne la définition suivante : « Maladie qui vient dans les 248 En 1692, il est chirurgien-chef de l’hôpital de la Charité. 249 Voir Bruno Pons. Article « Mareschal ». Dictionnaire du Grand Siècle (968-969). <?page no="148"?> FRANCIS ASSAF 136 chairs, qui les corrompt, & qui gagne les parties voisines, qu’on ne peut guérir que par l’amputation du membre pourri 250 . » Parmi les éminents médecins parisiens appelés en consultation, on notera pour mémoire la présence de Jean-Claude-Adrien Helvétius (1685-1755), père du célèbre philosophe Claude-Adrien Helvétius (1715-1771). À ce point, les Antoine citent Louis XIV directement : « Hé bien, messieurs, comment me trouvez-vous, qu’allez-vous me faire ? car je sens bien du mal par tout mon corps et particulièrement à la jambe. » (f° 264) Les médecins répondent qu’ils vont passer dans le cabinet pour consulter sur les moyens de soulager le roi. Le commentaire désabusé de ses garçons de chambre révèle à la fois leur attachement pour leur maître et leur scepticisme clairvoyant de la médecine contemporaine : « On ne vit jamais mieux que dans cette consultation qu’ils firent le peu de ressources qu’il y a dans la médecine quand le mal est inconnu cependant ils conclurent que le Roi prendrait du lait d’ânesse, et qu’on lui ferait les frictions ordinaires sur sa jambe. » (Ibid.) Une seconde consultation le soir annule la première, le mal ayant considérablement progressé. Nous avons déjà souligné que les Antoine, père ou fils, ne manquent jamais, dans leur récit, de faire ressortir la manière dont se combinent, chez Louis XIV comme chez son père, corps physique et corps politique. On se souviendra qu’en dépit à la fois d’une résignation admirable aux volontés d’En-Haut et d’une crainte obsessive de la damnation (crainte contre laquelle ses conseillers spirituels se gardaient bien de le rassurer - supra), Louis XIII avait organisé sa succession en écartant Gaston d’Orléans de la régence et en la donnant à part entière à Anne d’Autriche, en plus d’autres dispositions importantes. Il en va de même - et encore davantage - pour Louis XIV : les frères Antoine soulignent la suprématie du corps politique en ces termes : « […] la maladie la plus accablante et les douleurs les plus aïgües ne 250 Dictionnaire universel, T. I (988). Le dictionnaire mentionne l’existence d’un très grand nombre de petits vers, observés au microscope, attribués à la génération spontanée. Il n’est fait mention nulle part dans le journal que les médecins de Louis XIV aient fait usage de microscopes. <?page no="149"?> QUAND LES ROIS MEURENT 137 l’Empescherent jamais de vaquer aux affaires de son Royaume jusqu’au dernier jour de sa vie […] » (f° 265/ 216). C’est d’ailleurs un lieu commun qu’on retrouve chez pratiquement tous les historiens qui se sont penchés sur les derniers jours du roi. Assez semblable au comportement d’Anne d’Autriche est celui de Mme de Maintenon, en ce qui concerne sa proximité au roi : comme la reine, l’épouse morganatique a son propre appartement ; elle ne participe pas aux soupers du roi, dont un a lieu le 13 au soir en petit couvert. Le journal fait la liste des convives, tous hommes, soulignant encore une fois le peu d’appétit du monarque. Mme de Maintenon envoie « à toute heure » l’une de ses demoiselles s’enquérir de l’état de santé de son époux. On serait tenté de faire ici un parallèle avec le théâtre classique, où un personnage rapporte telle ou telle action qui s’est passée hors scène, en respect des bienséances. Notons cependant qu’à la différence d’Anne d’Autriche, que le journal présente comme éplorée, voire psychologiquement épuisée, les sentiments qu’a pu éprouver Mme de Maintenon sont passés largement sous silence. Notons aussi qu’à mesure que progresse la maladie du roi, ses visites augmentent en fréquence ; de même celles de la Palatine (1652-1722) et de son fils, le futur Régent (f° 279/ 223). Il est intéressant de noter la renonciation de Louis XIV au voyage de Versailles à Fontainebleau, voyage qu’il effectuait chaque année vers la fin d’août. Sans nous appesantir sur les beautés (vantées par les Antoine) du château bâti par François I er et complété par Henri II, notons la distance qui sépare ce lieu de Versailles : 72 km. À supposer que les carrosses en 1715, même roulant sur de bonnes routes, n’allassent pas plus vite que 7 à 8 km/ h (vitesse d’un cheval au pas), il fallait compter plus de 10 heures, sans compter les haltes. Comme l’entourage royal se composait sans doute de dizaines de véhicules, le trajet aurait sans doute pris bien plus longtemps. On peut penser que si le roi avait voulu entreprendre ce voyage malgré son état de santé lamentable, état sur lequel insistent les auteurs, il n’y aurait pas survécu. En fait, le roi va tellement mal qu’il ne passe pas après dîner ce jourlà chez Mme de Maintenon. Il demeure pourtant hautement conscient de <?page no="150"?> FRANCIS ASSAF 138 l’importance de son corps politique, décidant de souper en public et ordonnant au duc de Tresmes de laisser entrer tous ceux qui le voudraient. Encore ici, comme pour Louis XIII, un mieux passager ne fait que précéder une aggravation du mal : le 15 août a une signification spéciale pour Louis XIV car il a et a toujours eu une dévotion spéciale pour la Vierge et désire commémorer le Vœu de Louis XIII, consacrant la France à Marie 251 . Quoi qu’il en soit, le roi est trop faible ce jour-là pour présider la cérémonie, qu’il remet au dimanche suivant. On constate que même dans ses dévotions, Louis XIV agit en tant que roi, c’est-à-dire que son corps politique fonctionne par priorité. En dépit de sa faiblesse, il se fait porter dans la tribune de la chapelle 252 « où il entendit la S te Messe avec une piété très edifiante » (f° 267/ 217). On sait que le roi se tenait toujours à la tribune et que les courtisans étaient tournés vers lui, leur dos au célébrant. Le théâtre du règne doit continuer à se dérouler dans ses moindres détails, quel que soit l’état du corps physique. Le public (la Cour) éclate en cris de joie, saluant ipso facto une performance théâtrale très réussie. Le roi en est parfaitement conscient et participe avec enthousiasme, se faisant rouler le long de la Grande Galerie, fendant à grand-peine une foule si dense qu’il a, selon les Antoine, bien de la peine à passer. Nous sommes loin de la modestie relative de son père en ses derniers jours ; la lecture comparée des deux journaux permet de voir à quel point le théâtre politique a évolué, à 72 ans de distance. En toute sincérité, Louis XIII, mourant en public cherchait à manifester une mort aussi chrétienne que possible, alors que son fils (sans que soit mise en doute le moins du monde sa très réelle piété) tâche de projeter jusqu’au bout l’image du ROI. Alors que Louis XIII montrait une préoccupation obsessive, voire morbide de son salut éternel, Louis XIV s’enferme dans sa chambre avec le 251 Le journal indique erronément que le 15 août est l’anniversaire du vœu, alors qu’en fait Louis XIII le prononce le 10 février 1638, en reconnaissance de la grossesse d’Anne d’Autriche. Par là, il instaurait des processions chaque 15 août dans toute la France et obligeait toutes les églises de France non dédiées à la Vierge de lui consacrer leur chapelle principale. 252 Consacrée en 1710. <?page no="151"?> QUAND LES ROIS MEURENT 139 p. Le Tellier 253 , son confesseur, non pas pour avouer ses fautes ni implorer le pardon divin, mais pour arrêter la feuille des bénéfices vacants. On se demande d’ailleurs comment les auteurs du journal ont pu avoir vent de la conversation tenue prétendument à huis-clos entre le roi et son confesseur. Ils citent ici le roi, mot pour mot, semble-t-il : Hé mon père, je me trouve déjà assez accablé de tant de nominations des bénéfices 254 que j’ai faites pendant mon règne ; je crains bien d’avoir été très trompé au choix des sujets que l’on m’a indiqués dont j’ai peur qu’il faudra peut-être bientôt rendre compte au jugement de Dieu. Pourquoi voulez-vous mon père encore me charger de cette nomination que nous pouvons remettre à quelques jours pour choisir de bons sujets, si Dieu me fait la grâce de revenir de cette maladie. (f° 268) On dit communément que le roi n’avait rien à refuser à la Compagnie de Jésus. Nous pouvons voir ici qu’à deux semaines de sa fin, il tient à affirmer son autorité (et donc son corps politique juricentrique), fût-ce contre les jésuites. Cela n’empêchera pas Le Tellier de continuer à faire pression sur lui. Saint-Simon mentionne dans ses Mémoires la ténacité du jésuite qui, près d’une semaine plus tard, continue à assaillir le roi sur ce sujet : [Le roi] travailla avec le p. Tellier qui fit inutilement des efforts pour faire nommer aux grands et nombreux bénéfices qui vaquaient, c’est-àdire pour en disposer lui-même, et ne les pas laisser à donner par M. le duc d’Orléans. Il faut dire tout de suite que plus le roi empira, plus le p. Tellier le pressa là-dessus, pour ne pas laisser échapper une si riche proie, ni l’occasion de se munir de créatures affidées avec lesquelles ses marchés étaient faits, non en argent, mais en cabales. Il n’y put jamais réussir. Le roi lui déclara qu’il avait assez de comptes à rendre à Dieu sans se charger encore de ceux de cette nomination, si prêt à paraître devant lui, et lui défendit de lui en parler davantage (T. XII, ch. 15). En plus du mépris bien connu de Saint-Simon pour le p. Le Tellier, ce passage fait bien voir l’érosion de l’absolutisme de Louis XIV, à quelques jours 253 Dernier confesseur de Louis XIV (à partir de février 1709). 254 L’accès aux bénéfices, remontant au Moyen Âge et qui avait dégénéré dès le XVI e siècle, avait été réformé tout au long du XVII e et était devenu sérieusement contrôlé à la fin du siècle, ce qui explique le mouvement d’humeur de Louis XIV devant l’insistance du p. Le Tellier. Voir Raymond Darricau, Dictionnaire du Grand Siècle (185-186). <?page no="152"?> FRANCIS ASSAF 140 de sa mort. Mais cette érosion avait commencé bien avant. Au ch. 4, T. XIII de ses Mémoires, le mémorialiste nous a laissé des considérations désabusées sur le règne finissant : Telles furent les dernières années de ce long règne de Louis XIV, si peu le sien, si continuellement et successivement celui de quelques autres. Dans ces derniers temps, abattu sous le poids d’une guerre fatale, soulagé de personne par l’incapacité de ses ministres et de ses généraux, en proie tout entier à un obscur et artificieux domestique, pénétré de douleur, non de ses fautes qu’il ne connaissait ni ne voulait connaître, mais de son impuissance contre toute l’Europe réunie contre lui, réduit aux plus tristes extrémités pour ses finances et pour ses frontières, il n’eut de ressource qu’à se reployer sur lui-même, et à appesantir sur sa famille, sur sa cour, sur les consciences, sur tout son malheureux royaume cette dure domination, [de sorte] que pour avoir voulu trop l’étendre, et par des voies trop peu concertées, il en avait manifesté la faiblesse, dont ses ennemis abusaient avec mépris. Les ennuis du Roi-Soleil avec le p. Le Tellier et les bénéfices n’étaient pas les seuls : le commentaire au bas du f° 268 fait clairement référence aux troubles qui agitent l’Église à la suite de la fulmination de la Constitution Unigenitus en 1713 par Clément XI (1649-1721) 255 . Les derniers mots du passage semblent-ils imputer au roi la responsabilité des troubles occasionnés par le jansénisme ? Difficile d’imaginer cela. On pourrait penser plutôt que les Antoine (ou leurs contributeurs anonymes) constatent que la bulle n’a vraiment rien changé, puisque l’archevêque de Paris, le cardinal de Noailles (1651-1729) 256 , intronisé en 1695, l’avait refusée 257 , ce qui lui avait valu l’hostilité du roi, qui l’avait banni de la Cour à partir de février 1714, 255 Il avait déjà émis en 1705 la bulle Vineam Domini Sabaoth, qui avait causé un conflit entre le Saint-Siège et une partie de l’épiscopat français. 256 Pour sa biographie succincte et ses attitudes envers le pape et le jansénisme, voir l’article de Pierre Blet. Dictionnaire du Grand Siècle (1091-1092). On peut également consulter l’article plus important que lui consacre Pierre Biet dans le Dictionnaire du Grand Siècle (1091-1092). 257 Pour les détails et controverses du jansénisme à la fin du règne et pour le jansénisme en général, voir l’article de René Tavereaux, Dictionnaire du Grand Siècle (778-782). Pour les détails de la querelle de la bulle, voir Petitfils (XIV 680-683). <?page no="153"?> QUAND LES ROIS MEURENT 141 suite aux intrigues du p. Le Tellier (Ceyssens 520). Noailles ne sera pas présent au chevet du mourant le 1 er septembre 258 . En dépit d’une amélioration passagère les 16 et 17 août, les Antoine soulignent les abondantes sudations nocturnes, autre symptôme du diabète avancé non soigné, qui avaient imprégné son matelas au point qu’il en fut traversé. Ces détails, dont parlent très peu - voire pas du tout - les historiens et mémorialistes, tant contemporains de Louis XIV que ceux d’aujourd’hui, constituent de précieux renseignements sur le délabrement du corps physique en ses derniers jours. Cette déchéance contraste fortement avec la fonction royale, qui se maintient coûte que coûte. Un aspect relativement peu connu du caractère de Louis XIV, c’est son sens de l’humour. Le 17, Philippe d’Orléans (le futur Régent), le prince de Conti (1695-1727) 259 , le duc du Maine et le comte de Toulouse (1678- 1737) 260 , ainsi que le vieil ami du roi, le maréchal de Villeroy viennent lui rendre visite. Celui-ci, les voyant, leur dit : « Vous avez vu, messieurs, les belles cérémonies qu’il a fallu faire pour me lever du lit. Je suis bien à plaindre de me voir réduite [sic] en cet état, mais il faut bien le vouloir puisque c’est la volonté du Seigneur. » (f° s 270-271/ 219). C’est ce jour-là que se situe le fameux épisode où le roi, voyant le duc du Maine et le comte de Toulouse en habit de chasse, les congédie en leur disant de profiter du beau temps. 258 Saint-Simon mentionne la bulle à plusieurs reprises dans ses Mémoires, exprimant son dédain, voire son mépris, pour les auteurs du texte, le P. Guillaume Daubenton, s. j. (1648- 1723), confesseur de Philippe V (1683-1746) (Petitfils : Louis XIV, 587) et le cardinal Carlo Agostino Fabroni (1651-1727), également jésuite, impliquant que Clément XI ne l’avait signée que par ignorance ou faiblesse. Ceyssens (q.v.) souligne l’antipathie de Saint-Simon pour ces deux jésuites, ainsi que pour le p. Le Tellier (521 ss). Il faut prendre en compte, cependant, l’acharnement bien connu de Louis XIV à éradiquer le jansénisme et donc à extorquer au pape cette bulle. 259 Il était surnommé « le singe vert » à la Cour pour sa laideur. Bossu, vérolé et affligé de tics, en plus de son mauvais caractère et de la manière honteuse dont il traitait sa femme, Louise-Élisabeth de Bourbon (1693-1775), il garda cependant la faveur de Louis XIV et après lui du Régent. Voir Louis Trenard, Dictionnaire du Grand Siècle (399). 260 Légitimés en 1673 et 1681 respectivement. Un édit de 1714 les déclare aptes à monter sur le trône si tous les descendants (mâles) directs de Louis XIV venaient à disparaître. <?page no="154"?> FRANCIS ASSAF 142 Réfléchissons un moment sur la valeur emblématique de ce tableau. Le récit met en relief la faiblesse du corps physique du roi, incapable de se lever lui-même de son lit. Les personnages dont il est entouré constituent tous (ou vont constituer à brève échéance) de par leurs fonctions une extension du corps politique. La position horizontale (ou quasi) du corps physique est contrebalancée par la position verticale des éléments du corps politique présents 261 . On a mentionné plus haut la cohue qui encombre la chambre de Louis XIII mourant. Au 17 août, Louis XIV n’en est pas encore à ce point ; néanmoins, les Antoine n’hésitent pas à mentionner la foule de personnages qui se pressent autour du roi prenant son dîner - qui consiste en très peu de chose. La chambre est « si remplie que l’on avait peine à pouvoir y remuer. » (f° 271/ 219). Cette cohue, c’est le roi qui l’a souhaitée (alors qu’il n’est pas clair que la foule qui encombre la chambre de Louis XIII mourant (supra) ait été convoquée ni même souhaitée par lui). Vivre en public a été non seulement un mode de vie, mais surtout à la fois une illustration et une validation de la fonction royale dans son essence : une sorte d’abrégé du corpus mysticum regni dont parle Jean de Terrevermeille dans ses Tractatus (juillet-septembre 1419). Ce sera, selon les auteurs du journal, sa dernière visite chez son épouse morganatique, dans l’appartement de laquelle il trouve - nous le savons - un répit aux contraintes de son « métier de roi ». Comme son père, Louis XIV aime à entendre de la musique le soir avant le coucher. Les Antoine signalent des motets composés par Delalande (1657-1726) 262 , construits sur des airs italiens. Il est évident que la médecine est impuissante devant la gangrène galopante du roi. Il n’en demeure pas moins surprenant que ni Fagon ni Mareschal n’essaie de traitement autre que des frictions avec des linges chauds ou de l’eau-de-vie camphrée. Les Antoine résument ainsi cette impuissance : 261 Cette remarque ne doit rien aux Antoine ; c’est purement la nôtre. Nous la croyons pertinente pour expliciter le rapport de Louis XIV à son corps politique, rapport dont il demeure pleinement conscient jusqu’à son dernier soupir. 262 Connu surtout du grand public pour ses Symphonies pour les soupers du roi (1703), il a laissé un œuvre très considérable de musique sacrée. Maître de la musique du Roi dès 1684. Voir Catherine Massip. Dictionnaire du Grand Siècle (452-453). <?page no="155"?> QUAND LES ROIS MEURENT 143 Monsieur Maréschal visita la jambe de Sa Majesté ; layant trouvée bien plus mal qu’elle n’étoit cy devant, les médecins étonnées [sic] de ce changement résolurent qu’il falloit y faire plus dattention qu’à l’ordinaire ; et neantmoins ils n’ordonnérent poinbt d’autres rémedes que les mesmes frixions de linges chauds que l’on avoit accountumé de faire. (f° 272) À ce point-ci, nulle mention d’une amputation éventuelle. Louis XIV continue donc de souffrir à la fois de sa gangrène envahissante et de l’incompétence des médecins, couplée à leur impuissance. Nous pensons toutefois qu’il serait injuste de les accuser, la gangrène - quoique commune sur les champs de bataille - étant inaccessible à toute thérapeutique. Il continue cependant à fonctionner en tant que monarque, en dépit du déclin qui s’accélère. Le journal commente régulièrement ses activités quotidiennes mais, pour nous, retracer dans le détail ces activités serait fastidieux car elles sont fort répétitives. On peut cependant noter que, de jour en jour, il passe dc plus en plus de temps au lit et s’alimente de moins en moins. On hésite à parler de Grand Lever pour le matin du 18 août. Le roi est si mal en point qu’il ne permet l’entrée de sa chambre que sur les 10 heures. Il ne reste levé qu’une demi-heure et se fait remettre au lit. Les Antoine donnent une liste assez succincte et passablement vague des personnages qui assistent à ce lever ; ce qui est plus intéressant, cependant, c’est la surprise que manifestent les médecins devant l’inefficacité de leurs remèdes. Malheureusement, à part les frictions avec des linges chauds, nous ne savons guère quelles préparations ils ont fait absorber au roi. Nous en savons plus sur Louis XIII (supra), avec les clystères et autres décoctions de rhubarbe que lui infligent à répétition ses médecins (sans plus d’effet, on l’a vu). En dépit d’une condition physique très précaire et d’une soif dévorante (6 à 7 grands verres d’eau), Louis XIV passe trois heures à travailler avec Michel Le Peletier de Souzy (1640-1725), directeur des fortifications. Le 19 août, rien de changé. Le 20, toutefois, on est surpris de lire que le roi lui-même suggère un traitement chirurgical : soit des incisions à la jambe, soit même l’amputation, si le traitement adopté par la Faculté, à savoir, des aromates bouillis dans du bourgogne, ne réussit pas. On peut mettre cela en <?page no="156"?> FRANCIS ASSAF 144 contraste avec l’attitude de Louis XIII envers ses médecins à lui : il est clair qu’il se méfiait d’eux. Ne s’était-il pas mis en colère contre Bouvard (supra) à cause des incessants clystères et purgations qu’il lui administrait, sans résultat ? Rien de pareil chez Louis XIV. Il faut citer ici le journal : Sa Majesté mit sa jambe dans ce bain tout chaud en disant d’un air assé tranquille aux médécins et chirurgiens, Croyez Vous Messieurs que ce bain me puisse soulager, J’en ai grand besoin, faites y je vous prie tout ce que vous pourez. (f° 276) Sans manifester la même colère que son père contre son médecin à lui, Louis XIV fait remarquer aux siens, qui exhibent de la surprise en le trouvant si affaibli, qu’il n’a presque pas pris de nourriture depuis le 10 août, souffrant sans arrêt de terribles douleurs. L’impuissance du corps médical est évidente lorsque pour toute réponse ils lui promettent de se consulter à nouveau. Les Antoine sont bien plus lucides que les médecins royaux, constatant l’inutilité de tous les palliatifs qu’il a dû prendre sur l’ordre de la Faculté. Le p. Le Tellier profite-t-il de la faiblesse physique de Louis XIV pour continuer à le pressurer sur la question des bénéfices ? Les auteurs du journal ne le critiquent jamais directement, sans doute par respect de sa personne et de l’Église (et peut-être aussi par crainte de représailles) ; ils mentionnent cependant que ce jour-là le roi s’enferme avec lui près d’une heure. Ils ne rapportent rien de la conversation qu’a pu avoir le roi avec son confesseur, sans doute pour la bonne raison que celui-là n’en a rien dit. Difficile, cependant, d’imaginer que la question des bénéfices ne soit pas revenue sur le tapis. Il est à noter que la moindre amélioration (comme celle du 21) voit resurgir le corps politique, octroyant des charges, travaillant avec ministres et conseillers d’État jusqu’à six heures d’affilée (f° 278). Le roi fait preuve d’une clarté d’esprit et d’une autorité remarquables. À la lecture de ces passages, on perd de vue le vieillard décharné à la jambe à demi-pourrie, brûlant d’une soif inextinguible, perclus de goutte et d’autres douleurs, pour ne garder en l’esprit que l’image du monarque absolu vaquant aux affaires du royaume avec une maîtrise que nul ne songe à contester. Le lecteur serait tenté de penser que, par affection pour leur maître, les auteurs idéalisent la <?page no="157"?> QUAND LES ROIS MEURENT 145 figure du roi et lui prêtent une volonté bien plus forte qu’il n’avait et qu’il ne faisait que régler les derniers détails de son règne finissant et préparer sa succession. Il entre sans doute un peu de cela, mais la très forte conscience qu’avait Louis XIV de son corps politique ne s’est jamais démentie, jusque sur son lit de mort. Nous avons mentionné à maintes reprises la succession des passages où les Antoine soulignent la faiblesse et la déchéance physique progressives de leur maître, pour les mettre en contraste avec l’énergie et la constance qu’il apporte aux affaires du royaume. Il est évident que cette méthodologie, qu’on constate dès le début du récit, est sciemment pratiquée pour conforter la rémanence du portrait du roi (pour reprendre le titre de Louis Marin). En tout cas, la journée du 18 fut particulièrement pénible : accablé de douleurs, le roi était baigné de sueurs et en même temps terriblement assoiffé. Il ne laissa entrer dans sa chambre que le Grand Chambellan, Godefroy-Maurice de La Tour d’Auvergne, duc de Bouillon (1636/ 1641- 1721) 263 , le sieur Darmagnac (1641-1718) 264 , les premiers gentilshommes de la Chambre et plusieurs autres, selon le journal. Dans leur zèle à rapporter moment par moment les derniers jours du roi, les auteurs sont forcément répétitifs : la condition physique du roi (y compris la gangrène progressive, les suées et la fièvre), les personnages admis au lever (il ne semble plus y avoir de Petit ou de Grand Lever) sont toujours ou presque les mêmes : intimes du roi et officiers de la chambre. Comme promis au début du journal, les auteurs ne laissent rien transparaître de leurs sentiments. Ils se bornent à répéter comme une « mantra » que, à mesure que l’état du roi empire, les médecins ne peuvent que constater cette détérioration sans pouvoir y trouver d’autre remède que les frictions avec des linges chauds. On assiste ici à une sorte de lutte entre le dynamique et le statique : la maladie qui ne cesse de progresser et l’impossibilité ou l’incapacité de 263 Neveu de Turenne. Grand Chambellan de 1658 à 1715. Épouse Marie-Anne Mancini (1649-1714) le 20 avril 1662. 264 Grand Écuyer de France jusqu’à sa mort. Son fils, Charles de Lorraine (1684-1751), comte d’Armagnac, surnommé « le prince Charles », lui succède dans sa charge. <?page no="158"?> FRANCIS ASSAF 146 trouver des remèdes qui puissent la guérir ou du moins l’enrayer, la thérapeutique - d’une efficacité extrêmement limitée et à peine palliative - se bornant à des frictions avec des linges chauds. On notera au f° 275/ 221 une remarque, discrète mais significative, touchant la hiérarchie médicale : Mareschal voit une tache noire sur le cou-de-pied, signe de gangrène ; il n’en dit rien cependant (sans doute pour ménager la susceptibilité de Fagon, surtout en présence d’un groupe de médecins de la Faculté de Paris) et se contente de frictionner la jambe comme d’habitude. Le régime alimentaire lui non plus ne varie pas : panades, bouillons, gelées avec de grandes quantités d’eau, seule boisson que puisse tolérer le roi mourant. Ce soir-là (le 19), il se sent suffisamment mieux, cependant, pour effectuer son coucher en public. Le 22 août, l’état du roi empire. Les médecins tentent de recommencer le traitement au vin chaud aromatisé, mais le royal patient est tellement mal en point qu’il tombe en faiblesse à cause des vapeurs du vin. Vers les huit heures du matin arrivent des médecins de Paris (ils avaient dû partir dès trois ou quatre heures). Grâce au journal, nous savons qui ils sont : Camille Falconet (1671-1762) 265 , Claude Jean-Baptiste Dodart (1664-1730) 266 , Jean- Louis Petit (1674-1750), Gélis et Simon Goulart, ce dernier médecin de la feue Dauphine 267 . Les Antoine commentent cet épisode avec une ironie non déguisée. Ils citent l’un d’entre eux s’adressant au roi : « Sire, nous Espérons avec l’aide de Dieu et des remèdes Vous donner un prompt soulagement et que cette maladie n’aura pas de suite » (f° s 280-281/ 224). Le paragraphe suivant mérite d’être cité en totalité : 265 Érudit, médecin, ami de Malebranche et de Fontenelle, membre de l’Académie des Inscriptions et belles-lettres, il a donné une partie de sa bibliothèque à la bibliothèque du Roi (auj. Bibliothèque nationale de France). 266 Fils de Denis Dodart (1634-1707), qui fut médecin et botaniste et professeur de pharmacie en 1666 à la faculté des sciences. Dodart fils fut médecin de la princesse de Conti (1666-1739), médecin de la suite de la Cour et de Philippe I er d’Orléans (1640-1701 - Monsieur, frère du roi). Voir Peumery (43-44). 267 Marie-Adélaïde de Savoie (1685-1712), épouse du duc de Bretagne. <?page no="159"?> QUAND LES ROIS MEURENT 147 Admirable promesse si elle avoit eu quelque effet ; mais c’est Dieu qui frappe et qui guérit. Ces doctes prometteurs tatérent le poulx du malade avec Cérémonies les uns après les autres selon leur rang d’ancienneté ils luy trouverent beaucoup de fiévre ; personne n’en doutoit ; la question étoit de la chasser et de pouvoir soulager le mal de sa Jambe, ils passerent tous pour cela dans le cabinet du Roy, ou l’on avoit coutume d’aller faire des consultations chacun d’eux y déploya son Eloquence pour approuver la conduite de M r . Fagon, ou ils conclurent qu’il falloit Exécuter ce qui avoit esté résolu dans la consultation du Quatorze du mois touchant le lait d’anesse, et qui avoit esté differé jusques la pour des raisons que Monsieur Fagon allégua personne ne fut assez impoli pour le contredire (f° 281/ 224). Même dans ses pièces les plus satiriques des médecins de son époque, Molière (1622-1673) n’aurait pu imaginer pareille scène. L’aspect tout ensemble théâtral et rhétorique de cette « consultation » exclut toute légitimité scientifique. Sans conteste, la vedette de cette saynète est l’archiatre de Louis XIV, Guy-Crescent Fagon, que flagornent les autres médecins. On ne saura jamais pourquoi il a jugé bon de différer pour plus d’une semaine le traitement au lait d’ânesse. Quoi qu’il en soit, l’usage de ce produit fait bien voir que Fagon, comme ses collègues, est fidèle aux notions d’Hippocrate, qui considérait cette boisson comme une panacée, croyance qui se prolongera jusqu’au début du XX e siècle 268 . Y aurait-il ici ironie inconsciente ou est-ce simplement une bévue de style ? Les premiers mots du paragraphe suivant prêtent à sourire : « Cette ordonnance fut Executée sur le champ Le Roy prit du lait d’ânesse ensuite entendit la messe… » Pour maladroite qu’elle soit, cette « rime » n’est pas sans évoquer (chez un lecteur attentif) à la fois l’incompétence des médecins royaux et le caractère théâtral de la religion de Louis XIV. En effet les Antoine continuent en notant que la curiosité, plutôt que la dévotion, avait attiré à l’office plus de monde que d’ordinaire. Comment concilier curiosité et sollicitude ? « La Pâleur et l’abbatement sembloient se communiquer aux spectateurs. » (f° 281/ 224) C’est bien un spectacle, un spectacle de tragédie : le héros va mourir. Sa fin approchante porte en elle les topoï aristotéliciens de la terreur et de la pitié. On peut comparer 268 Voir le site http: / / www.bourricot.com/ Selection/ VertusLait.html. <?page no="160"?> FRANCIS ASSAF 148 cela avec la mise en scène où Louis XIII fait lire par La Vrillière son testament conférant la régence à Anne d’Autriche (supra). Ce n’est pas tout à fait le même genre de tragédie mais, bien que Du Bois/ Antoine soit moins explicite sur les réactions des spectateurs entourant le lit d’agonie de Louis XIII, il n’est pas difficile d’imaginer leurs sentiments de terreur et de pitié. En dépit de ses douleurs et de la gangrène en progrès, Louis XIV reçoit ce jour-là à son dîner un certain nombre de courtisans, parmi lesquels Jean- Antoine de Mesmes (1661-1723), Premier Président du Parlement de Paris et membre de l’Académie française depuis 1710 269 . Il est accompagné du petit-fils de René de Longueil, qui fut en 1642 Président à mortier du Parlement de Paris. Nous mentionnons cela pour faire voir que Louis XIV, malgré les progrès de la maladie (et l’étourdissement temporaire mentionné par Dangeau - supra), a conservé toute sa tête. Il se souvient encore du grandpère de M. de Maisons et de son hospitalité pour le jeune roi et la reine régente 270 au château de Maisons, ainsi que de sa fidélité lors de la Fronde parlementaire. Il ne s’agit pas ici de récapituler les événements de la Fronde, mais simplement d’illustrer la lucidité de Louis XIV, laquelle forme un contraste frappant avec son délabrement physique. On peut aussi noter que le roi, connu depuis toujours pour son extrême courtoisie, ne s’en est nullement départi, que ce soit envers ses médecins ou ses visiteurs. Cette légendaire urbanité, on ne peut que l’attribuer au corps politique - non pas que Louis fût un hypocrite, mais cette attitude, ainsi que sa non moins légendaire ponctualité, faisait partie intégrante de la persona royale. Qui ne se souvient de la célèbre boutade de Saint-Simon, qui disait qu’avec un almanach et une montre, quiconque à travers la France pouvait savoir ce que faisait le roi à n’importe quel moment de la journée ? C’est l’idée qu’il a toujours voulu donner de lui, c’est-à-dire l’idée du ROI. Le traitement au lait d’ânesse et aux bains de vin infusé d’aromates semble apporter un soulagement temporaire, si l’on en croit ce qui se lit au 269 La même année qu’Antoine Houdar de La Motte (1672-1731). 270 Le mot est porté au-dessus de la ligne en écriture plus menue et d’une main différente (f° 282). <?page no="161"?> QUAND LES ROIS MEURENT 149 23 août, à huit jours de la fin, encore que la déshydratation continue à saper la force vitale du vieux roi. Aux énormes quantités d’eau qu’il absorbe correspondent d’abondantes sudations nocturnes qui traversent son matelas. Si le vin aromatisé lui est supportable, ce n’est qu’à dose relativement modérée car il se plaint qu’au bout d’une demi-heure l’odeur des aromates lui monte à la tête. Les Antoine notent que le roi se fait ensuite raser par Bidault, un de ses barbiers servant par quartier. Détail amusant pour qui est un peu au courant des conditions d’hygiène déplorables à Versailles en ce temps-là et qui n’épargnaient personne, pas même le maître : en serviteurs dévoués, les auteurs du journal mentionnent que Louis XIV se faisait raser tous les trois jours « par sa grande propreté » (f° 283/ 225) 271 . Il reste que le roi ne s’en est vraisemblablement jamais servi, ses médecins (avec sans doute Fagon à leur tête) proscrivant l’usage du bain comme dangereux pour la santé, superstition qui avait commencé à la Renaissance pour se prolonger au moins jusqu’à la fin du XVIII e siècle, époque à laquelle la propreté a commencé peu à peu à prendre le pas sur la crasse. Pour en revenir aux médecins, ils accumulent consultations sur consultations, prise de pouls sur prise de pouls, sans pouvoir trouver la moindre thérapeutique susceptible de soulager leur royal patient. Les Antoine s’étendent comme à plaisir sur ces détails ; il résulte de leurs propos une comédie - peut-être pas tout à fait involontaire - que Molière, mort il y a plus de quatre décennies, n’aurait pas désavouée. Elle forme contraste avec la tragédie du roi mourant, évoquant terreur et pitié parmi les spectateurs de sa déchéance physique. Nous ne disons pas cela simplement pour conforter l’idée déjà bien ancienne de Versailles comme scène et de Louis XIV comme « roi-machine » (v. Apostolidès), mais bien parce que les choses se déroulent ainsi. 271 De fait, rappelons qu’il avait fait construire un appartement de bains à la somptueuse décoration tout en marbre. Le MHEU (Musée Historique Environnement Urbain) le présente sur son site http: / / www.mheu.org/ fr/ bain/ baignoire-louis-xiv.htm. Le site retrace en quelques pages l’histoire du bain depuis la Grèce antique jusqu’à l’époque contemporaine et fournit une illustration de la baignoire octogonale, aujourd’hui au Musée de l’Orangerie. Voir également http: / / www.chateauversailles.fr/ decouvrir-domaine/ chateau/ le-chateau/ appartements-de-mesdames. <?page no="162"?> FRANCIS ASSAF 150 Les médecins du roi ne sont pas ridicules à dessein ; nul doute qu’ils accomplissaient leur fonction avec le plus grand sérieux et les meilleures intentions, Fagon le premier. Mais pour le spectateur (et les Antoine sont aux premières loges ! ), ces formes rituelles, cet examen médical réduit à la rhétorique, suivi de constatations d’impuissance répétées devant les progrès du mal, tout cela constitue au réel une satire du geste médical, et ce d’autant plus puissante que la satire moliéresque ne monte en épingle que des bourgeois obsédés (Argan) ou naïfs (Géronte), prêts à croire toutes les duperies d’un Purgon ou d’un Sganarelle. Le malade, bien réel ici, est le plus grand roi de l’Europe, véritablement aux portes de la mort, non pas entouré d’une nuée de médicastres de comédie, mais bien de membres en bonne et due forme de la Faculté, bien sérieux, et cependant tout aussi impuissants et dogmatiques que les caricatures moliéresques qui avaient tant amusé jadis Louis le Grand. Les Antoine constatent cela avec une calme ironie, rapportant les paroles de ses médecins : « Sire nous faisons tout ce que nous pouvons pour vous soulager mais la maladie de Vôtre Majesté l’emporte sur nos remédes, nous Esperons cependant avec la grace de Dieu d’en trouver des specifique [sic] qui pourrons [sic] la surmonter » ; Ces belles Parolles Tranquilliserent un peu le malade cependant le Roy avoit la bouche et la langue très seiches a cause du feu dévorant qu’il ressentoit dans les Entrailles nonobstant qu’il beûvoit atous moments sans pouvoir se désaltérer cependant (f° 285/ 226). Impuissant, Mareschal ne peut que frotter, bander et débander la jambe gangrenée sans apporter le moindre soulagement (bien entendu). C’est ce jour-là que le roi rédige le second codicille de son testament olographe (codicille non identifié comme tel sur le document conservé aux Archives nationales). Il ne consiste qu’en une seule phrase, nommant André- Hercule de Fleury (1653-1743) 272 , ancien évêque de Fréjus, précepteur du 272 Le 1 er avril 1716, le Régent confirme cette nomination. Fleury entre à l’Académie française en 1717. Cardinal en 1723. Ministre d’État (de facto premier ministre) de Louis XV de 1726 à 1743, l’année de sa mort. <?page no="163"?> QUAND LES ROIS MEURENT 151 Dauphin et le p. Le Tellier confesseur du futur Louis XV. Dans ses Mémoires 273 , Saint-Simon, qui haïssait et méprisait Fleury (1653-1743), le présente comme un intrigant, flagorneur du maréchal de Villeroy (que Saint- Simon méprisait tout autant, rappelons-le) et presque comme un traître, à cause de l’accueil qu’il réserva à Victor-Amédée II, duc de Savoie (1666- 1732) lors de son passage à Fréjus en 1707 en route pour l’expédition de Toulon : il fit chanter un Te Deum en son honneur en la cathédrale Saint- Léonce 274 . Fleury ne dut son salut qu’aux prodiges de diplomatie déployés par Torcy. Le journal note que c’est après une conversation à huis-clos avec Le p. Le Tellier que Louis XIV rédige ce second codicille. On se demande quels marchandages ont pu avoir lieu et quelles pressions le jésuite a pu exercer sur le roi mourant pour arriver à se faire nommer confesseur du futur Louis XV, avec en tête sans doute les bénéfices qu’il pourrait extorquer au jeune monarque. Cela ne devait pas avoir lieu car le régent n’aimait pas le confesseur de son oncle. J.-Ch. Petitfils rapporte une conversation entre les deux hommes peu après la mort de Louis XIV : Le père Le Tellier, inquiet de son sort, se rendit au Palais-Royal : « Je viens, dit-il au Régent, pour savoir ce que Votre Altesse Royale a résolu de disposer de ma personne. » Celui-ci répliqua d’un ton d’ironie : « Mon père, vous me prenez pour un autre. C’est à vos supérieurs de disposer de vous et nullement à moi. » Le confesseur du roi sera finalement exilé en province avec une pension annuelle assurant ses vieux jours. (Le Régent 316) La comédie se poursuit : le lendemain, les médecins assemblés opinent en chœur qu’il faut retrancher le lait d’ânesse du régime du malade, vu qu’il n’a fait aucun effet. Ce n’est pas seulement le lait d’ânesse qui est en cause, d’ailleurs. Si l’on s’en rapporte au journal, Fagon a rameuté au chevet du roi le ban et l’arrière-ban du corps médical et chirurgical (en dépit du mépris 273 T. XII, ch. XXII. 274 En fait, ce n’était que pour éviter à la ville de subir des déprédations de la part des troupes du duc, ce qui produisit le résultat escompté. <?page no="164"?> FRANCIS ASSAF 152 dans lequel les médecins tenaient les chirurgiens 275 ). On le sent désespéré à ce point : il semble penser que plus de praticiens il assemble autour du roi mourant, plus il y a aura de possibilités de trouver un remède. Le 24 août constitue une date-charnière dans le progrès de la maladie du roi. En effet, la gangrène a tant progressé que la jambe est toute noire jusqu’au pied et que les nerfs sont morts. Le roi déclare qu’il ne souffre plus tant, et pour cause ! Son entourage n’est pas dupe. Même Villeroy se rend compte que le mal est incurable. Les Antoine notent qu’il retourne dans son appartement les larmes aux yeux (f° 287/ 227). Notons également la différence dans le degré de conscience de leurs états respectifs entre Louis XIII et son fils : depuis février 1643 jusqu’à son dernier jour, le premier, fort conscient de sa maladie et de ses ravages en progression, en profitait pour préparer son salut et y voyait même un avantage qui l’en rapprochait d’autant (d’où sa crainte morbide d’une défaillance spirituelle de dernière minute - supra). Son successeur semble à la fois vouloir éviter de reconnaître sa souffrance en public, manifestant (du moins devant tiers) plus de confiance en ses médecins et beaucoup plus porté à maintenir l’intégralité de sa fonction royale. Cela est sans doute une exagération et probablement contraire à ce qu’il ressentait vraiment, mais on dirait que Louis XIV « abdique » à un certain point son corps physique pour réserver ce qu’il lui reste d’énergie à maintenir son corps politique. Les Antoine ne s’y sont pas trompés : loin de focaliser leur récit exclusivement sur la détérioration progressive de sa santé, ils rapportent fidèlement aussi tout ce qui a trait à la fonction royale dans ses activités quotidiennes (conseils, apparitions avec les princes et les princesses, soupers en public - même si lui-même ne mange pratiquement rien - concerts, etc.). Ces deux versants courent en parallèle tout au long du récit ; Louis sent sa fin approcher ; le ROI cherche à maintenir sa persona jusqu’au bout. Et donc nous voyons Louis XIV en proie à deux sentiments contradictoires. Son entourage, par contre, semble ne voir que la déchéance du corps 275 L’Académie royale de chirurgie ne sera créée que le 18 décembre 1731 par Georges Mareschal et son successeur comme premier chirurgien du roi (Louis XV) François de Lapeyronie (1678-1747). <?page no="165"?> QUAND LES ROIS MEURENT 153 physique. La sensibilité religieuse du roi diffère assez de celle de son prédécesseur ; nous l’avons déjà dit. Il n’est donc pas surprenant que le rôle du p. Le Tellier diffère de celui que jouaient auprès de Louis XIII agonisant le p. Dinet et l’évêque de Meaux, Dominique I er Séguier (supra) : on ne relève pas de ces intenses exhortations à se repentir, ces harangues pratiquement hurlées aux oreilles du monarque agonisant aux sens en défaillance. En fait, les auteurs ne montrent pas vraiment le p. Le Tellier dans son rôle de confesseur ou de conseiller spirituel. Le cardinal de Rohan, dont on sait la présence auprès de Louis XIV mourant, n’est pas nommé en tant que tel dans le journal 276 . Saint-Simon ne parle pas de lui non plus dans le contexte des derniers jours du roi. Triste journée que celle du 25 août, fête de S t . Louis, à partir de laquelle le journal se concentre presque exclusivement sur le corps physique du roi et sa déchéance. Louis XIV n’est pas en état de répondre aux compliments des membres de sa Cour, pas plus qu’à ceux des magistrats du Parlement de Paris. Il tient néanmoins à les recevoir, ce qui porte les auteurs à souligner (une fois de plus ! ) à la fois sa fermeté et sa résignation devant les ravages de la maladie et sa courtoisie vis-à-vis de ceux qui viennent l’honorer. Les médecins sont alarmés, non soulagés, que la jambe du roi le fasse moins souffrir. L’horreur qu’éprouvent les Antoine à la vue de la jambe lorsque Mareschal la débande devait être partagée non seulement par les médecins mais par le reste de l’assistance : elle est noire depuis le genou jusqu’au pied. En bons chrétiens, les auteurs expriment ce jour-là leur surprise que personne (y compris le p. Le Tellier) n’ait songé à faire administrer au roi les derniers sacrements. Ils sont tout à fait conscients de l’effet psychologique que peut avoir l’extrême-onction sur quelqu’un qui a peur de mourir : en effet, depuis le XIII e siècle, une superstition populaire tient que le sacrement hâte la mort. On voit que cette attitude n’était pas absente de la Cour de Louis XIV. Les Antoine relèvent que seul Villeroy semble se soucier du salut éternel de son vieil ami. Il va prier le cardinal de Rohan, le p. Le Tellier et l’abbé Huchon (curé de Versailles de 1704 à 1722) de préparer le roi à recevoir les 276 Mais il est identifié sous le titre de Grand Aumônier. <?page no="166"?> FRANCIS ASSAF 154 sacrements. Ce qui suit marque le fort contraste entre la pusillanimité des ecclésiastiques et la force d’âme de Louis XIV. Si Le Tellier est celui qui, finalement, demande à son illustre pénitent s’il désire recevoir les saintes huiles, ce ne semble pas être par dévouement, du moins selon les Antoine. « Le confesseur ne put ou n’osa s’en deffendre 277 » (f° 291/ 230), nous disentils. On sait bien qu’ils ne le portaient pas dans leur cœur (à l’instar de beaucoup à Versailles et hors de Versailles). Quoi qu’il en soit, la réponse de Louis est sans équivoque : « […] de tout mon cœur, mon Pere, je le souhaitte tres ardemment meme 278 je vous l’ai témoigné plusieurs fois même pendant le cours de ma maladie d’avoir cette consolation. » (ibid.) Contrairement à la brièveté avec laquelle est décrite la cérémonie du viatique de Louis XIII (12 mai 1643), celle pour son fils est présentée de façon bien plus élaborée : d’abord, le p. Le Tellier confesse le roi pendant une demi-heure. Il est fort improbable que les frères aient assisté à cette cérémonie, mais il est indéniable qu’ils ont pénétré dans la chambre du monarque tout de suite après : « Sa Majesté parut remplie d’une joye interieure de cette s te action et d’une tranquillité dame qui paroissoit meme sur son visage, en disant tout haut, hé mon Dieu et Créateur, voulez vous bien encore venir amoy vous qui estes le Roy des Roys. » (ibid.) Il n’est pas question de mettre en doute la foi sincère et profonde de Louis XIV, mais, tout en se montrant authentiquement chrétien et même - dans son corps politique - « Très-Chrétien » 279 jusqu’à ses derniers moments, il a toujours pratiqué la religion comme toute autre fonction royale, c’est-à-dire qu’elle doit suivre certaines règles, prendre certaines formes et surtout produire certains résultats politiques, ce qui se pose fortement en contraste avec la religion de son père, comme on l’a déjà vu plus haut. 277 De demander au roi s’il voulait recevoir les derniers sacrements. 278 L’erreur de transcription est évidente. 279 Terme en usage depuis le Moyen Âge et réservé aux rois de France. Quelque dévot que puisse être un sujet, il ne saurait être « Très-Chrétien ». C’est donc une fonction du corps politique, encore que le modèle juricentrique ait depuis longtemps supplanté en pratique le modèle christocentrique/ christomimétique. <?page no="167"?> QUAND LES ROIS MEURENT 155 Les auteurs décrivent de manière assez frappante la cérémonie, mettant l’accent sur sa solennité et son aspect formel. Le cardinal de Rohan, Grand- Aumônier, se transporte 280 à la chapelle du château, vers 19 heures. Il est accompagné de deux aumôniers, de deux chapelains 281 et des clercs de chapelle du roi. Le cardinal porte le Saint-Sacrement ; les chapelains portent le dais et un clerc de chapelle la sonnette. Ils sont précédés de six garçons du château éclairant la procession avec des flambeaux. Suivent le curé Huchon, qui précède lui-même les prêtres missionnaires desservant la chapelle et la paroisse de Versailles et un grand nombre d’autres prêtres et ecclésiastiques. Ensuite viennent les princesses, les princes et une grande foule d’autres gens. Comme on le voit, le théâtre louisquatorzien donne ce qui est peut-être sa dernière représentation, dont les auteurs fournissent une description minutieuse. A. Maral reproduit pratiquement mot pour mot cette description (Le Roi-Soleil et Dieu (302-303), avec en moins, toutefois, ce sens de la théâtralité qui a informé l’ensemble du règne. Si le Saint-Sacrement est exposé à la vue de tous sur « une table magnifiquement parée » (f° 292), la vedette de ce spectacle demeure indéniablement Louis XIV, sur son lit aux rideaux ouverts. Les Antoine emploient des termes comme « exhortation fort touchante et pathétique », « manière très édifiante », « parfaite résignation » pour caractériser les dialogues du spectacle. L’administration du viatique fait contraste avec celle de Louis XIII, d’une brièveté laconique : 280 Les Antoine utilisent précisément ce terme pour mettre l’accent sur la solennité du moment. 281 Dans le langage contemporain, aumônier et chapelain sont souvent synonymes, le premier étant d’usage plus commun. Selon le Dictionnaire universel (Furetière), un aumônier (sous-entendre ici aumônier de quartier, c’est-à-dire qui sert par quartiers) « aide au Roi à faire ses prieres, & fait la benediction de la table. » (I, 169). Un chapelain (de quartier), toujours selon le même dictionnaire, est un officier ecclésiastique de la Maison du roi, qui sert dans sa chapelle. Il y a huit chapelains de l’Oratoire du roi (I, 372). Le Dictionnaire de la langue françoise, ancienne et moderne (Richelet) définit un chapelain comme celui « qui est gagé pour dire la messe de quelque prince, ou de quelque personne de qualité » (I, 301). <?page no="168"?> FRANCIS ASSAF 156 Après quoi [le Confiteor] Monsieur le cardinal 282 lui administra le S t - Sacrement en viatique quelle receut avec une grande démonstration de componction & de pieté répétant plusieurs fois ces paroles entrecoupées de sanglots & de larmes mon Dieu ayez pitié de moy. J’espere en Vôtre misericorde (ibid.) 283 . Les recommandations de Louis XIV au duc d’Orléans sont trop bien connues pour que l’on s’y attarde. La lecture du journal ne fait que confirmer ce que l’on savait de tout temps, c’est-à-dire que le roi ne faisait pas Philippe Régent, mais qu’il lui confiait la présidence du conseil de Régence. Inutile de répéter ici ce que disent les historiens (J.-Ch. Petitfils, p. ex., ou Saint-Simon). Le journal nous offre une perspective plus rapprochée. Le f° 294 (NAF-5012) est occupé par les recommandations du roi à son neveu, touchant non seulement le futur Louis XV, mais aussi les officiers de sa maison. 284 . Les auteurs rapportent-ils la vérité concernant le souci de Louis XIV pour ses gens à lui ? La focalisation quasi-exclusive sur le roi mourant n’en offre pas moins au lecteur des possibilités de s’interroger sur les tenants et les aboutissants de certaines de ses paroles : Le Roy ayant demandé M r . le Maréchal de Villeroy luy dit d’un ton fort gracieux Monsieur le maréchal ayant toujours eu beaucoup d’amitié d’estime et de considération pour vous, et me voys preste [sic] a vous quitter et mourir, puisqu’il n’y a plus de remédes a me faire et pour vous marquer ma réconnoissance des services que vous m’avez rendus et de ceux que M r . Votre Pere qui a été mon Gouverneur des l’année 1646 pendant ma minorité, je vous faits [sic] aussy Gouverneur de Monsieur le Dauphin mon arriére petit fils. (f° 232) Or nous savons que Nicolas V de Neufville de Villeroy (1598-1685 - bien meilleur soldat que son fils), nommé par Mazarin gouverneur du jeune Louis 282 De Rohan (q.v.). 283 Le Ms. de la bibliothèque de Caen (q.v.) note que Louis XIV reçoit des mains du cardinal de Rohan le viatique suivi de l’extrême-onction (f° 25). 284 On se souviendra que Louis XIII avait exprimé sur son lit de mort le regret de n’avoir pas été plus généreux envers ceux qui l’avaient servi, ce qui ne les avait pas empêchés de manifester un chagrin profond en voyant le délabrement physique de leur maître et sa mort inéluctablement approchant. <?page no="169"?> QUAND LES ROIS MEURENT 157 XIV en 1646, ne fut pas vraiment à la hauteur de sa tâche. Celui-ci le comprit bien, nommant gouverneur de Monseigneur le Grand Dauphin (1661-1711) le duc de Montausier (1610-1690) 285 en 1668. On ne le sait que trop : Louis XIV n’avait nullement l’intention de confier à Philippe d’Orléans la Régence à part entière, ce qui mènera celui-ci à faire casser le testament de son oncle, le 2 septembre 1715. Par leur nature vague et évasive, les paroles suivantes du roi sont à mettre en contraste avec la citation ci-dessus : Il luy dit Mon cher Neveu j’ay fait un testament dans lequel je vous ay conservé tous les droits que vous donne vôtre naissance. Je vous récommande le Dauphin servez le aussy bien et aussy fidélement que vous m’avez servy (f° 294). Sincérité, sentiments mixtes ou hypocrisie ? Le journal rapporte les paroles du duc en réaction à celles du roi : il promet d’exécuter ponctuellement tout ce que lui a ordonné son oncle puis tombe à genoux et fond en larmes en l’embrassant. Ce 25 août, le dernier du règne de Louis XIV, est mouvementé : à peine sorti le duc d’Orléans de la chambre du roi que s’y précipite une foule des proches : princes et princesses du sang comme légitimés, auxquels le roi tient un petit discours édifiant, leur recommandant à la fois de « vivre en paix ensemble » et de veiller sur le Dauphin. Les larmes occupent une place non négligeable dans le récit des Antoine, mais on doit se demander ce qui se passait vraiment dans l’esprit de ces personnages. Il est évident qu’aucun d’entre eux ne sait à ce point qui gouvernera la France (et donc les conséquences que cela entraînera pour elle ou pour lui). Louis XIV cache son jeu et ne lâche que des bribes : il va confier au duc du Maine la surintendance de l’éducation du Dauphin. Louis-Auguste de Bourbon se réjouit-il de cette 285 À propos de Nicolas V de Villeroy, voir François Bluche. Dictionnaire du Grand Siècle (1601). Charles de Sainte-Maure, duc de Montausier (1610-1690), fit préparer de 1670 à 1698 la collection expurgée « ad usum delphini ». <?page no="170"?> FRANCIS ASSAF 158 nouvelle dignité ? Il semble que non ; en tout cas pas tout de suite : « Monsieur le Duc du Maine se retira, presque évanoüie [sic] de tristesse », nous disent les Antoine (f° 295/ 234). Les auteurs dépeignent la douleur de Mme de Maintenon avec plus de sobriété que leur père celle d’Anne d’Autriche. Cette description reflète-telle les véritables sentiments de l’épouse morganatique du roi ? La description des sentiments de celle-ci devant son époux mourant n’offre rien de comparable avec les manifestations d’émotion de l’épouse de Louis XIII, mais… autres temps, autres mœurs. Soyons certains, cependant, qu’elle éprouvait un réel chagrin à la perspective de la prochaine disparition du roi. Nous sommes toujours au 25 août. Retour des médecins avec à leur tête Fagon. De nouveau ils tâtent le pouls du royal malade, en cérémonie, et visitent la jambe. Ils trouvent le pouls très ténu et intermittent (f° 296). Ce qui est curieux, c’est que l’archiatre, qui avait pourtant soutenu en 1663 une thèse sur la circulation du sang : « Comment le cœur peut-il battre sous l’impulsion du sang ? » (Caen & Pidard 359) ne fasse pas le lien entre gangrène et absence de circulation sanguine dans la jambe. Mais on peut comprendre cette lacune si on tient compte de la rivalité politique qui l’opposait à Mareschal, qui avait milité en vain pour une solution chirurgicale (à laquelle le roi acquiesçait, d’ailleurs). Pour accepter pareille conclusion, il aurait fallu que l’archiatre acceptât l’opinion du chirurgien, ce à quoi il n’aurait jamais consenti, vu que cela aurait mis en question son autorité, chose à quoi il tenait férocement, tout comme à sa conviction, fort répandue à l’époque - de la supériorité des médecins par rapport aux chirurgiens. Si les auteurs du journal ne rapportent pas les inquiétudes possibles des membres de la Cour sur leur sort après la mort du roi, ils ne manquent pas de s’interroger sur celui de Marie de Modène (1658-1718), reine-consort de Jacques II d’Angleterre 286 (1633-1701), et dont ne parlent pratiquement pas les historiens. Nous savons que, depuis 1688, Louis XIV subvient à ses besoins et à ceux de son épouse au château de Saint-Germain-en-Laye. Nous connaissons d’autre part les liens étroits entre la dynastie des Antoine et ce 286 Également Jacques VII d’Écosse. <?page no="171"?> QUAND LES ROIS MEURENT 159 château. Il n’est donc pas surprenant que ceux-ci fassent mention de Marie de Modène, pour qui Louis XIV avait la plus grande estime. Notons que, bien que Philippe d’Orléans cherchât à se rapprocher (pour des raisons purement économiques) de la Maison de Hanovre dès la fin de la Guerre de Succession d’Espagne, il ne fit rien en tant que Régent pour perturber la vie de Marie de Modène, qui décéda en 1718 d’un cancer du sein, six ans après sa fille, la princesse Louise-Marie-Thérèse (1692-1712), morte le 18 avril, à vingt ans, de la variole. En quelques mots, les auteurs dépeignent fort bien l’anxiété que ressentait la reine d’Angleterre voyant son seul soutien s’acheminer inéluctablement vers la mort. Au 26, Louis XIV ne peut même plus lever la tête. Il n’en insiste pas moins pour entendre la messe dans son lit. Comme d’habitude, le journal insiste sur sa grande dévotion et sa résignation. La citation « Succine 287 [sic] separat amara mors » (f° 298 - La mort amère me sépare de la vie) semble être un commentaire des rédacteurs - tiré du I er Livre de Samuel (auj. I er Livre des Rois) 288 - et non provenir du roi lui-même, si l’on tient compte de son attitude. Contrairement à son père, qui fait preuve d’une anxiété grandissante quant à son salut à mesure qu’approche l’heure de sa mort (supra), Louis XIV manifeste un souci de nature plutôt sociale et historique, très éloignée de ce qu’on pourrait appeler la « sincérité brute » de Louis XIII : il semble craindre qu’après sa mort ne soit mise sa foi en doute. C’est pourquoi il fait venir l’abbé Huchon et lui dit : « Monsieur le curé, je vous prie de vous souvenir de moi dans vos priéres, de faire prier pour le répos de mon ame quand Dieu aura disposé de moi. » (f° 298) Le curé lui répondant qu’on prie jour et nuit pour sa guérison, le roi proteste d’un ton ferme qu’il ne veut pas cela, mais qu’il ne souhaite plus que le bonheur éternel. Il fait ensuite venir les personnalités ecclésiastiques de son entourage : les cardinaux de Rohan, 287 Il faudrait lire « Siccine » 288 Voir la Bible de Sacy 316. <?page no="172"?> FRANCIS ASSAF 160 de Bissy (1657-1737) et de Polignac (1661-1741) 289 , ainsi que le p. Le Tellier. Comme on peut le voir - et ceci est notoire depuis toujours - la religion de Louis XIV, pour sincère et profonde qu’elle soit, est politique et théâtrale. Pour l’affirmer, il a besoin d’un public, un public en soutane. D’où cette célèbre déclaration, petit chef-d’œuvre d’autopromotion comme d’auto-disculpation : Messieurs, je suis bien aise de vous declarer publiquement mes sentimens devant toutes les personnes ici presentes que je veux vivre et mourir dans la Réligion catholique, apostolique et Romaine que j’ay soutenüe autant qu’il m’a esté possible pendant le cours de mon Régne. Vous avés pu sçavoir que dans toutes les affaires qui ont régardé la Religion et l’Église catholique je les ay protégées avec fermeté & zele mais dans les derniéres affaires qui sont survenues depuis peu je n’ay suivi que les avis que l’on m’a donnée [sic] que ce ne soit point sur ma conscience mais sur celles de ceux qui me l’ont conseillé ny ayant aucune part. (f° s 298/ 299/ 236) Le commentaire des auteurs est lui aussi un chef-d’œuvre, mais de litote cette fois : « [a] ces paroles les prélats se rétirent 290 étrangement surpris d’un tel discours du roy ce qui donna occassion [sic] aux assistans présens d’y faire beaucoup de réflexions. » (ibid.) C’est le moins qu’on en puisse dire… Les remèdes corrosifs (poudre de cantharide en frictions ? ) que prescrivent les médecins, à bout de ressources, pour « faire revenir la chaleur naturelle » prouvent qu’aucun d’entre eux, pas même Fagon, ne la rapporte à la circulation du sang. Il ne semble pas non plus que Mareschal ait eu voix au chapitre, qu’il se doutât ou non de cette connexion. À lire les parties consacrées aux examens médicaux dans le journal, on a non seulement l’impression de tourner en rond, mais on ressent aussi un ennui accablant, dans ce sens que la répétition des prises de pouls et la visite de la jambe pourrie du roi deviennent d’une monotonie consternante, ainsi que le recours aux 289 Prélat, diplomate et poète. Membre de l’Académie française en 1704 (il occupe le fauteuil de Bossuet). Maître de la chapelle royale dès 1710 et cardinal in pectore (créé en secret) par Clément XI dès 1712, il ne sera ordonné prêtre, toutefois, qu’en 1722. 290 On s’attendrait au verbe « (se) sentir », mais il s’agit bien du verbe « (se) retirer » - au présent historique, contrastant avec le verbe suivant, au passé simple. <?page no="173"?> QUAND LES ROIS MEURENT 161 mêmes « remèdes », jour après jour, sans la moindre amélioration, au contraire ! Après les « remèdes corrosifs », le retour à l’eau-de-vie camphrée ne change rien. Bien que les auteurs tentent de maintenir dans le texte un certain degré d’objectivité, on sent bien qu’ils se rendent compte de l’impuissance des médecins (alliée à leur incompétence, née d’un attachement aveugle à la routine 291 ). Croient-ils vraiment que la gangrène a empiré à cause du pouls « convulsif » du roi ? Il ne semble pas cependant que la Faculté de Paris (encore moins l’archiatre) ait eu l’idée de compter les battements du cœur du monarque. La Faculté de Paris ne se tenait guère au courant des nouvelles découvertes et innovations en matière de médecine, ce qui n’est guère surprenant vu son extrême conservatisme. Toujours est-il que le compte des battements du cœur n’était pas inconnu, puisque le Journal des Sçavans rend compte en 1675 d’un ouvrage de l’Italien Bernardino Genga (1620-1690), intitulé Anatomia chirurgica cioè historia anatomica dell’ossa e de muscoli del corpore humano 292 . Sans vouloir faire ici un historique de la médecine au XVII e siècle, soulignons le manque de moyens cliniques dont disposent les médecins de l’époque. Notons également que Philippe Hecquet (1661- 1737), doyen de la faculté de Paris de 1712 à 1714 et l’un des plus illustres 291 Il est curieux de noter qu’à aucun moment de la maladie du roi, les Antoine n’invoquent les doctrines ou les méthodes d’Hippocrate ou de Galien, ce qui ne laisse pas de surprendre, vu leur proximité et des médecins et de la personne du roi. 292 N° du 2 décembre 1675, p. 253-255. L’ouvrage est paru en 1675 à Rome, chez le libraire Niccolo Angelo Tinassi. Genga y parle également de la circulation du sang, déclarant qu’elle était connue des anciens. L’auteur affirme aussi avoir connu plusieurs personnes dont le cœur bat au rythme de plus de 3000 par heure. En fait ce serait un pouls très lent, vu qu’à raison de 72 battements/ minute (la moyenne), un pouls normal serait de 4320 battements par heure. Néanmoins, c’est la seule mention dans le JS du rythme cardiaque, outil indispensable aujourd’hui pour un diagnostic précis de nombreux états de santé. Genga n’en tire cependant aucune conclusion clinique, mais seulement spécule sur la quantité de sang qui peut sortir d’un cœur humain, à partir d’extrapolations basées sur des observations effectuées sur des lapins et des chiens. Dans son traité du cœur (Tractatus de corde, 1669), le médecin et physiologiste anglais Richard Lower (1631-1691) prétend qu’il sort du cœur humain plus de 4000 onces de sang par jour (un peu plus de 118 litres). Là encore, il est fort au-dessous de la vérité, puisqu’à raison de 4320 battements de cœur par heure, le cœur fait circuler plus de 5000 litres de sang dans le corps toutes les 24 heures. <?page no="174"?> FRANCIS ASSAF 162 médecins de son époque, ne figure pas dans le récit des Antoine. Il est vrai qu’il s’était définitivement retiré à Port-Royal cette année-là. Nous pourrions gloser sur l’état de la médecine (et la mentalité des médecins) de l’époque mais cette digression nous entraînerait trop loin. Mentionnons seulement un petit ouvrage (moins de 100 p.) paru en 1711 à Amsterdam 293 , et dont l’auteur critique assez vertement les médecins pour leur attachement à la routine, aux idées d’Hippocrate (quelque dépassées qu’elles soient) et leurs tendances à spéculer plutôt qu’à s’appuyer sur l’observation et l’expérimentation. Il est fort douteux que les médecins entourant Louis XIV l’aient lu ou, si oui, en aient tenu compte. La rivalité Mareschal-Fagon, c’est-à-dire en fait l’opposition entre le pragmatique et le spéculatif, s’illustre très bien dans le dernier paragraphe du f° 300. Ayant demandé au roi s’il ressentait quelque chose après l’application d’eau-de-vie camphrée, le chirurgien s’entend répondre que non, si ce n’est qu’au-dessus du genou. Ici, le récit se fait palpitant : les auteurs soulignent avec un sens étonnant du suspense la rivalité entre médecins et chirurgiens. Intimidé par l’archiatre, le chirurgien n’ose pas imposer son opinion que la jambe doit être amputée si on veut sauver la vie du malade. Il préfère temporiser, en demandant la convocation à Versailles des meilleurs chirurgiens de Paris, non pour procéder à l’opération, mais pour consulter. Fagon, toujours jaloux de son autorité d’archiatre, ne se rend qu’avec difficulté aux arguments de Mareschal. Ce sont les plus illustres chirurgiens de Paris qui accourent au chevet du roi : Pierre Dionis, Le Dran (1685-1770), Petit (1674- 1750) 294 , Arnauld, Gervais… Il est surprenant qu’aucun d’entre eux, y compris Mareschal, n’ait suggéré (de nouveau) l’amputation. La scène serait 293 Dissertation épistolaire sur ce qui est encore à désirer touchant les causes et les signes des maladies, adressée à Théodore Janson d’Almeeloven, célèbre médecin. Par Jean Herman Fursteneau. À Amsterdam, chez Samuel Schoonwald. 1711. vol. in-12º, p. 95. Voir le Journal des Sçavans du 2 janvier 1713, p. 12-14. 294 Chirurgien et anatomiste français. Il est nommé chirurgien par Louis XIV en 1672 pour enseigner « l’anatomie selon la circulation du sang ». En 1680, il devient médecin et chirurgien de la reine Marie-Thérèse d’Autriche. En 1712, il devient médecin et premier chirurgien du Dauphin, de la maison de France et de plusieurs princes de sang. En 1713, il devient accoucheur de la duchesse de Berry (1695-1719). Il enseigne l’anatomie <?page no="175"?> QUAND LES ROIS MEURENT 163 presque comique, si elle ne révélait la rigide hiérarchie médicale, qui constituait plus un obstacle qu’une aide aux soins : Ils [les chirurgiens venus de Paris] visiterent la jambe en presence des médécins et chirurgiens de la Cour, l’ayant trouvée toute noire, enflée et gangrenée jusqu’au genouïl, ils en demeurerent fort surpris de la voir en si mauvaise [sic] État. Ils s’entre regarderent tous en sécouant la teste, n’en disant rien autre chose de peur d’inquiéter Sa Majesté (f° 301/ 237) Il est fort douteux que le diagnostic des chirurgiens ait pu vraiment inquiéter Louis XIV, qui à ce point savait bien que ses jours étaient comptés (et qui avait par ailleurs accepté l’idée d’une amputation - supra). Les mots en italiques 295 sont sans doute rajoutés par les Antoine en manière d’euphémisme. Leur impatience (et peut-être leur colère) devant ce mélange d’incompétence, de dogmatisme et d’abjecte soumission à la hiérarchie 296 peut se voir dans les paroles suivantes : Ils se retirerent tous ensemble dans le cabinet du Roy pour conferer sur le mal qui étoit très pressant, mais il y arrive quelques contestations entre eux sur la situation de la maladie du Roy aquoy on devoit prevoir les suites avec attention ce qui ne s’étoit point executé dans toutes les consultations qui s’étoient tenues et faites cydevant c’est a dire grands Verbiages et rien dutout sinon qu’on continueroit les mesmes remedes que cydevant et qu’on [s’en ? ] remettroit aux Evenements qui arriveroient pour prendre d’autres mésures (f° 302/ 237). Mettons en contraste cette indignation des Antoine avec la patience et la résignation du roi, qui se rend bien compte qu’il n’y a rien à attendre des médecins ni des chirurgiens. Si comme son père il ne s’alimente presque plus, contrairement à lui il ne songe nullement à reprocher à ses médecins de ne et la chirurgie au Jardin du roi. En 1715, il est appelé au chevet de Louis XIV mourant et se prononce pour l’amputation de l’une des jambes du monarque, mais il était trop tard (http: / / www.wikiwand.com/ fr/ Pierre_Dionis). Le Dran est chirurgien en chef à la Charité à Paris et chirurgien du roi. Petit était élève de Mareschal. Très renommé en France et en Europe. 295 Les italiques sont de nous. 296 L’autorité et le prestige des médecins de la Cour dépassaient de loin ceux de la Faculté. <?page no="176"?> FRANCIS ASSAF 164 pas savoir le guérir. Nous avons déjà mentionné cela, mais on peut se demander les raisons de cette apparente humilité (ou passivité ? ). Louis XIV était-il d’un caractère plus faible que celui de Louis XIII ? Nous savons que non ; le contraire serait plutôt vrai. Alors ? Rappelons que, toute sa vie, un seul souci avait dominé ses actions, ses paroles et ses pensées : agir en roi, c’est-à-dire agir selon son corps politique. Or cette impavidité (à laquelle il faut, raisonnablement, ajouter son état d’extrême faiblesse physique) est tout à fait dans le caractère du roi. Quelques autres causes qu’on puisse attribuer à cette équanimité, on ne peut négliger celle-là. Cela se confirme d’ailleurs par ses actions suivant le départ du corps médical : il fait appeler le futur Louis XV et lui tient le célèbre discours que l’on connaît : « Mon cher enfant, vous allez être bientôt le roi d’un grand Royaume, etc. » Il est évident que le corps politique « sortant » s’adresse au corps politique en devenir. La prière qui suit, qui contient ces mots « Faites-luy la grace qu’il vous serve et honore en Roy très chrétien », met en relief la fonction royale plutôt que la vertu personnelle, le terme de « Très-Chrétien » étant réservé aux rois de France (supra). Une lecture réductive du journal au seul politique est tentante 297 , mais ce serait une erreur. L’expression « outré/ e/ s de douleur » y revient très souvent. Louis XIV, même dans sa constante volonté d’agir en roi, n’est pas un corps politique désincarné : il pleure en tenant son arrière-petit-fils dans ses bras (ce qui fait aussi pleurer Madame de Ventadour [1654-1744]). Il exprime son profond regret de ne pouvoir vivre asez longtemps pour élever le Dauphin et témoigne un réel souci de son avenir. C’est dire s’il est difficile, à ces derniers moments surtout, de séparer le corps physique du corps politique. Ce dernier ne perd pas ses droits, cependant. On a déjà évoqué plus haut l’interdiction faite à M gr de Noailles de paraître à la Cour. On reprendra cela, en plus élaboré : le même jour (le 26 août), les Antoine rapportent un incident qui illustre bien cette rémanence. M me de Maintenon, accompagnée du duc 297 Encore que ce ne puisse être leur intention. <?page no="177"?> QUAND LES ROIS MEURENT 165 de Noailles (1678-1746) 298 (neveu de l’archevêque de Paris), entre dans la chambre du roi et fait sortir tout le monde. Elle lit au roi une lettre de l’archevêque dans laquelle « […] ce prélat exposoit dans les termes les plus Pathétiques et les plus tendres le chagrins [sic] qu’il ressentoit de la maladie de Sa Majesté et d’être privé de la liberté de venir Témoigner lui-même à son illustre bienfaicteur, dans ses derniers moments, Les Sentimens respectueux d’un cœur le plus attaché et reconnoissant. » (f° 303/ 239) Le commentaire des auteurs est on ne peut plus diplomatique : tout en mentionnant les larmes que verse le roi à la lecture de cette missive, ils notent « les disgraces 299 qui l’éloignoit [sic] de la Cour, ce dont il ne nous appartient pas de pénétrer les raisons » (f°304). Le récit continue, confirmant la préséance du corps politique sur le corps physique. Le roi fait venir le chancelier Voysin, à qui il dicte une lettre adressée à l’archevêque, dans laquelle il multiplie les déclarations d’estime et d’affection, l’assurant qu’il n’aurait pas de plus grande joie que de mourir entre ses bras. Les réactions de celui-ci à la lecture de la lettre ne peuvent avoir été rapportées en tant que témoignage par les Antoine eux-mêmes mais ont sans doute été rajoutées par la suite, par quelqu’un qui les a communiquées aux rédacteurs. En effet, passée la première vague d’émotion et de joie chez Noailles, il remarque une apostille : « Je vous attends, à condition que vous vous réjoindrez aux autres archevesques et evesques vos conferes. » (f° 304). Pourquoi les Antoine ont-ils mis que l’archevêque refusa de croire que cette apostille émanait du roi ? Serait-ce pour adoucir l’inflexibilité de leur maître en matière de doctrine, ou bien M gr de Noailles tentait-il de sauver la face en prétendant que l’apostille ne saurait venir que d’un subalterne ? Toute cette partie, exposée en grand détail, dénote que les Antoine étaient très bien renseignés sur les rapports difficiles du roi et de l’archevêque. Il n’est cependant pas plausible qu’ils aient été témoins directs des réactions 298 Il avait épousé en 1698 Françoise-Charlotte Amable d’Aubigné (1684-1739), unique nièce de Mme de Maintenon. Voir François Bluche, Dictionnaire du Grand Siècle (1093). 299 Rappelons que ce bannissement est le résultat du refus de la Constitution Unigenitus (supra). <?page no="178"?> FRANCIS ASSAF 166 de ce dernier ; il n’y a aucune preuve qu’ils aient jamais été hors de la présence du roi mourant. Entre-temps, l’état de la jambe empire. Le 27, Mareschal procède à des scarifications de plus en plus profondes sans trouver de sensation, si ce n’est près de l’os. Le roi est si faible qu’il ne peut même pas parler à Mme de Maintenon venue le voir, ce qui la bouleverse. Le 29 est le jour où le duc d’Orléans fait venir un empirique monté de Marseille à Paris, lequel affirme détenir un remède par lequel il a guéri plusieurs gangrènes. Les Antoine soulignent la forte opposition de Fagon et des autres médecins et chirurgiens, qui invoquent d’emblée la nature inconnue du remède de l’empirique marseillais et de ses effets. Il n’y a aucun commentaire indiquant que le reste du corps médical à ce point-ci soit jaloux de ses privilèges. Ils mentionnent cependant la réaction de l’empirique devant l’état du roi : il exprime son impuissance à le guérir à ce stade de la maladie, mais pense que son remède peut faire quelque bien quand même. L’élixir stimule le roi, qui semble reprendre des forces, ce qui surprend Fagon, selon les auteurs. Les historiens soulignent que l’effet ne fut que temporaire et que le 30 le roi retomba dans un état aussi mauvais qu’avant. Ce que ne mentionnent pas cependant les livres, c’est l’hypocrisie du corps médical envers cet empirique marseillais, qui avait averti dès le premier jour qu’il ne pensait pas pouvoir guérir le roi, vu l’état avancé du mal. Les médecins (et sans doute Fagon en tête) réclamant une punition pour cet homme, alors qu’aucun de leurs efforts (bains de lait d’ânesse, de vin chaud aux aromates, applications de linges imbibés d’eau-de-vie camphrée) n’avait porté fruit. Notons également l’inaction quasi-paralytique des médecins et des chirurgiens, qui se contentent jour après jour de visiter la jambe gangrenée et de la panser ou de réappliquer les mêmes remèdes inefficaces. Les commentaires des rédacteurs sur ces consultations en cérémonie, d’un comique quasi-moliéresque (supra) vu l’incompétence, voire l’ineptie des praticiens, sont également à mettre en contraste avec leur arrogance (ne serait-ce que vis-à-vis de cet empirique marseillais) et leur sentiment d’avoir le droit exclusif de soigner le royal malade « dans les règles », c’est-à-dire en fonction d’une soumission absolue <?page no="179"?> QUAND LES ROIS MEURENT 167 aux dogmes établis et mis en pratique par la Faculté de Paris ainsi que de la hiérarchie médicale, comme on l’a vu plus haut. Ce même jour, M me de Maintenon vient de S t -Cyr, mais ce n’est que pour trouver Louis XIV dans un état comateux (il garde les yeux ouverts, cependant). C’est la dernière fois qu’elle vient à Versailles. Elle ne sortira plus de la maison royale de Saint- Louis de S t -Cyr 300 . Il faut noter au f° 211/ 243 un paragraphe assez surprenant, que voici dans sa totalité : Cette triste nouvelle de l’extrémité du Roy s’étant repandue, il est Incroyable quel concours de peuples arriverent de tous les endroits du Royaume, chacun en raisonnoit selon ses idées les uns condamnoient le regime qu’on avoit fait ténir au Roy cydevant, en luy faisant boire tant d’eau après les grandes sueurs, les autres se déchaînoient contre la faculté de Médécine et chirurgie qui n’avoient pû connaître d’abord le sujet de sa Maladie pour y donner rémede, ceux-cy Vouloient qu’on eut fait l’amputation de la jambe de Sa Majesté avant que la gangréne eut gagné les parties saines, plusieurs faisoient l’Eloge du rémede du médecin de Marseille et le malheur de n’avoir pas donné au Roy cet Elixir des le commencement de sa maladie. La vraisemblance de ce récit est plus que douteuse, à plusieurs égards. Quels moyens de transport auraient-ils pu permettre à tant de gens d’arriver en si peu de temps de provinces éloignées jusqu’à Versailles, voire même de Paris ? Et qui aurait proclamé à cette foule présumée les détails des circonstances de cette journée ? Les réactions qu’exprime ce paragraphe ne reflètent - il est fort aisé de s’en rendre compte - que les pensées et sentiments des Antoine qui, sans doute pour éviter de s’exprimer directement - et donc de s’impliquer - eurent recours à ce pieux mensonge. Rien, ni dans leur journal (sans égard aux différentes versions) ni dans les Mémoires de Saint-Simon, ne permet de penser que des fonctionnaires fussent envoyés dans les provinces pour annoncer la fin du grand roi. 300 Rappelons qu’elle y décédera le 15 avril 1719. <?page no="180"?> FRANCIS ASSAF 168 Les rédacteurs ramènent le lecteur dans la chambre du roi agonisant. La scène rappelle à peu de chose près l’agonie de Louis XIII : l’espace est encombré d’ecclésiastiques, du p. Le Tellier à l’abbé Huchon, sans parler des cardinaux et autres officiers ecclésiastiques du palais. À la différence de la situation de Louis XIII, cependant, on ne perçoit pas cette cacophonie de cris et d’exhortations de haut niveau sonore. On exhorte bien le roi, mais c’est à la patience et à l’espérance en la miséricorde divine. Contrairement à son père, il continue à ne manifester nulle angoisse quant à son salut éternel si une pensée mauvaise venait à le compromettre. La documentation dont nous disposons pourrait prêter à confusion. Louis XIV a-t-il reçu l’extrême-onction deux fois, une fois le 25 et une autre le 31, veille de sa mort ? La récit (à part le manuscrit de Caen) laisse planer un certain doute pour le 25, alors qu’elle mentionne clairement que le sacrement lui a été administré par le Grand Aumônier 301 le 31 août, alors qu’il est au plus bas (f° 312/ 243). S’il est encore capable de voir et d’entendre, il ne peut plus parler, tout comme son père le 14 mai 1643 à une heure de l’après-midi, soixante-quinze minutes avant d’expirer (supra). Les Antoine notent toutefois avec surprise qu’il répond à haute voix aux prières « avec une présence d’esprit qui n’est pas commune dans ce mal. » Plus par acquit de conscience que par espoir de constater une amélioration, Mareschal visite la jambe du roi, qu’il trouve noire, enflée et gangrenée jusqu’au haut de la cuisse. Comme toutes les autres, cette visite revêt un aspect surtout cérémoniel. Y prennent part tous les autres médecins et chirurgiens, ainsi que « plusieurs personnes de distinction » qui se trouvent à ce moment dans la chambre du roi. Celuici n’est pas dans le coma : en dépit de son « assoupissement léthargique », il donne des signes de conscience ; il entend les prières des agonisants récitées par le clergé qui entoure son lit. Le journal ne révèle pas quels autres personnages, à part les ecclésiastiques, sont présents dans la chambre du roi mais, outre Mme de Maintenon dont on sait l’absence, il y a peu de doute que l’entourage familier occupait tous les coins et recoins. 301 Titre apparu en 1483. A. Maral : « Le grand aumônier, etc » (476). Le cardinal de Rohan (q.v.) était Grand Aumônier de France depuis 1713. <?page no="181"?> QUAND LES ROIS MEURENT 169 La fin Louis XIV mourra comme il a vécu : en public. La fin est racontée de manière remarquablement succincte : le roi pousse quelques soupirs et deux petits hoquets et passe tranquillement de vie à trépas. En fin de paragraphe sont ajoutés ces mots (d’une main différente et en majuscules) : SIC TRANSIT GLORIA MUNDI. Le moment exact du décès est huit heures et un demi-quart d’heure du matin (7 minutes 30 secondes), le 1 er septembre 1715. Il est surprenant que la fermeture de la bouche et des yeux, qui étaient demeurés ouverts, ait été effectuée par d’autres que les Antoine. Ce sont deux autres garçons de chambre, La Tortillière 302 et La Grange 303 , qui ont accompli cette tâche. On peut se perdre en spéculations sur la hiérarchie des garçons de chambre, mais il semblerait exagéré de dire que leurs relations, en particulier celles des Antoine, consistent surtout en propagande (Da Vinha 240). Bien qu’il soit établi que ces derniers comptaient donner des copies de leur journal à des personnages de l’entourage de Louis XIV, la diffusion essentiellement restreinte sous forme manuscrite ne pouvait prétendre à un effet de propagande bien étendu, contrairement à l’énorme masse de travaux imprimés à la gloire du Roi-Soleil, dont l’Académie française était un des principaux producteurs, voire le principal. À la lecture de ce journal, on est frappé au contraire par le ton de sincérité qui émane de ces pages ; comme leur père pour Louis XIII, ses fils aimaient réellement leur maître. Tout en tenant rigoureusement compte de sa personne royale, ils tiennent à faire voir que le corps politique n’excluait nullement le corps physique, surtout dans les derniers jours de la vie du roi. Immédiatement après le décès, le corps de Louis XIV est traité comme celui de Louis XIII : après avoir été rhabillé, il est mis sur son séant dans son lit et toutes les portes sont ouvertes pour admettre tous ceux qui veulent voir 302 Le site web http: / / www.geneanet.org/ signale l’existence d’une famille La Tortillière dans les registres de la paroisse Notre-Dame de Versailles entre 1697 et 1725. N’ayant pas accès à ces documents, il nous est impossible de déterminer si le garçon de chambre en question avait appartenu à cette famille. 303 Jacques Touchebois, dit La Grange. Voir Piton (211). <?page no="182"?> FRANCIS ASSAF 170 le défunt. En vertu du principe que « le mort saisit le vif », l’arrière-petit-fils de Louis-Dieudonné est proclamé roi immédiatement après la phrase rituelle « Le roi est mort ! » 304 . Les Antoine ne reproduisent pas le cliché familier « Le roi est mort, vive le roi ! », mais on ne constate pas cela non plus dans le journal de leur père. Notons cependant (f° 315/ 249) que l’on annonce (qui ? ) la mort du roi à haute voix en même temps qu’est proclamé roi Louis XV, Dauphin de France, fils de Louis, duc de Bourgogne (1682-1712) et de Marie-Adélaïde de Savoie (1685-1712). Philippe II d’Orléans, qui devait devenir régent à part entière, et le cardinal de Noailles, qui était interdit de séjour à la Cour depuis février 1714 (supra), arrivent vers midi pour rendre leurs devoirs au corps du feu roi (l’expression est des Antoine) et leurs respects au nouveau roi, le petit Louis XV. L’autopsie et la mise en bière Elle a lieu le 2 septembre dans l’antichambre. Y sont présents non seulement Fagon, Mareschal (l’opérateur) et les médecins appelés au chevet du roi mourant, mais aussi le duc de Tresmes, premier gentilhomme de la Chambre et le marquis de Maillebois (1682-1762) 305 , maître de la garde-robe du roi ainsi que d’autres personnages que n’identifient pas les journaux (Mss. NAF-5012 et FR-15644). Mareschal procède à l’ouverture du corps du feu roi. Notons que le préambule qui apparaît dans l’article de Ph. Charlier (45) : « Aujourd’hui deuxième septembre de l’année 1715, nous nous sommes assemblés à neuf heures du matin dans le château de Versailles, pour faire l’ouverture du corps du roi, où nous avons trouvé ce qui suit […] » n’apparaît nulle part dans les mss. NAF-5012, FR-15644, ni F° 49 (Bib. Mun. de Caen) 306 . Toutefois on peut trouver ce préambule dans l’ouvrage de Stanis 304 Voir la citation d’Olivier Chaline (supra). 305 Militaire distingué, il reçoit le bâton de maréchal en 1741. Maître de la garde-robe du roi après 1708. 306 Voici le texte de la note 7 de l’article de Ph. Charlier : « Cité par Boislisle (1835-1908) en appendice à son édition des Mémoires de Saint-Simon, Paris, Hachette, 1915, XXVII, p. 378-380, Pérez 2006, p. 43-44, Charlier 2006, p. 67-687. Original BnF MS. fr-15644, f° s 245-246. » <?page no="183"?> QUAND LES ROIS MEURENT 171 Pérez (La Mort des rois 43). Notons cependant que ce passage n’est pas forcément authentique, S. Pérez le donnant comme « la teneur » et non le contenu verbatim. Comme on peut le voir dans la transcription du procès-verbal d’autopsie (Appendice, version NAF-5012 et variantes du ms. FR-15644 entre crochets), la procédure est très complète (en accord avec la pratique traditionnelle), le corps et le crâne ayant été ouverts et examinés. Le journal reste muet sur les instruments utilisés, mais on peut se renseigner là-dessus en consultant les planches de l’ouvrage de Pierre Dionis, sur les opérations de chirurgie (q.v. infra). Si le Dictionnaire du Grand Siècle ne comporte pas d’article sur l’autopsie, il en consacre un assez long et élaboré aux pratiques et techniques chirurgicales (322-323). Il faut noter que Dionis n’est pas mentionné dans le journal, bien qu’appelé au chevet du roi mourant. Pour ce qui est de l’embaumement du corps de Louis XIV, le journal donne peu de détails : « [L]e corps du Roy fut embaumé avec des Drogues aromatiques ainsy qu’il est accoutumé […] » (NAF-5012 f° 317/ 246). Il est utile de consulter l’article de Ph. Charlier « Autopsie et embaumement » dans Le Roi est mort (40-49) pour y trouver des détails que ne fournit pas le journal. Dionis avait inclus une section sur l’embaumement dans son Cours d’opérations de chirurgie démontrées au Jardin Royal (1707) 307 , mais il semble que la thanatopraxie ne se soit vraiment développée en France que vers la fin du XVIII e siècle. On pourrait toutefois penser que les méthodes d’embaumement du corps du feu roi aient pu être empruntées aux Italiens. Un article paru en octobre 2015 dans L’E-veilleur, revue en ligne, fournit une grande abondance de détails sur les techniques thanatopraxiques en Italie et cite nombre de manuels consacrés à l’art de préserver les corps. Sachant que le cœur de Louis XIV a été porté à la maison professe des jésuites et ses entrailles à Notre-Dame, il ne semble pas déraisonnable de penser qu’« une fois les cavités vidées, le cadavre était nettoyé avec de l’eau froide, du vi- 307 Figure LXI. In Charlier (46). <?page no="184"?> FRANCIS ASSAF 172 naigre et, enfin, frictionné à l’eau-de-vie. Il était ensuite rempli d’étoupe imprégnée d’aromates et d’eau-de-vie » (Condat-Rabourdin, q.v.). La description du double cercueil est cependant des plus détaillées. Le corps, enveloppé d’un suaire, est placé par MM. de Tresmes et de Maillebois dans un cercueil de plomb aussitôt soudé sur tous ses côtés. Ensuite, celui-ci est placé dans un second cercueil de chêne très épais bardé de fer, il porte une lame de cuivre doré sur laquelle sont gravés ces mots : C’est le corps detrés haut et trés Puissant Prince Louis Quatorze du nom sur nommé le grand de la famille et Maison de Bourbon, Roy de France et de Navarre décedé a Versailles le premier Jour de Septembre mille sept cent Quinze, agé de soixante dix sept ans moins cinq jours étant né a S t . Germain en Laye le cinquieme septembre 1638. il a régné soixante et douze ans trois mois et dix huit Jours. Requiescat in Pace Amen Une main différente (et assez maladroite) insère les mots suivants : « Continuation de cequy s’est fait et passé apres le deceds du Roy » (f° 318/ 247). Il s’agit de l’exposition du cercueil dans la chambre du Grand Appartement. La description des tentures et du poêle est très élaborée. Bien entendu, tous les meubles et tentures les plus luxueux du garde-meubles royal ont été utilisés pour cette cérémonie. Le ms. se termine sur un portrait de Philippe d’Orléans, gravé par Marie- Anne Hyacinthe Hortemels (1682-1727), d’après le tableau de Jean-Baptiste Santerre (1651-1717), mais inversé par rapport à l’original, conservé au Musée du Prado. Notons toutefois que l’image portée sur le ms. surmonte une inscription ne se trouvant pas sur la gravure originale et vraisemblablement rajoutée - d’une main beaucoup moins habile que la calligraphie de M.-A. Hortemels : « Ce prince Etoit né au chasteau de S t . Cloud Proche de Paris le Deuxième jour D’aoust 1674. il décéda le 2 e jour du mois de Decembre 1723. À Versailles agé de 48 ans et demy, git à S t . Denis en France. » La raison de ce rajout n’est pas claire, sauf pour indiquer que le manuscrit date d’après 1723 (en fait il a été rédigé vers 1728). <?page no="185"?> QUAND LES ROIS MEURENT 173 Pour en revenir aux funérailles de Louis XIV, Dangeau ne consacre que cinq lignes (Journal, T. 16, 219) à la pompe funèbre, qu’il se refuse à décrire, alléguant que la description s’en trouve à beaucoup d’endroits. On peut voir dans l’Appendice l’estampe illustrant le cortège funèbre en marche vers la basilique Saint-Denis. Elle suit le modèle sinueux de bien d’autres pareilles représentations. Ce n’est nullement une image réaliste du cortège funèbre, mais une mise en fiction énumérant les individus et groupes y ayant effectivement participé. Frédérique Leferme-Falguières rappelle que le cortège funèbre s’est acheminé de nuit de Versailles à Saint-Denis, alors que l’estampe (en fait il y en a 3) montre un cortège en plein jour et même avec un soleil d’aplomb (on distingue les ombres). Elle précise d’ailleurs qu’il ne faut pas se fier aux gravures (72). Le jeune Louis XV est absent, mais cela est normal : le roi n’assiste pas aux obsèques de son prédécesseur, ainsi qu’on l’a vu plus haut dans le cas des funérailles de Louis XIII. Ce qui est très intéressant, c’est la rivalité historique qu’évoque Leferme-Falguières entre la basilique de Saint-Denis et l’abbaye de Saint-Denis concernant les privilèges de bénir et d’accueillir le cercueil royal (74-75). Les politologues ont beau affirmer que le corps physique est sans importance par rapport au corps politique, le fait est que le corps du roi mort implique une indéniable rémanence du pouvoir, non seulement illustrée par cette rivalité ecclésiastique, mais aussi par la longue tradition qui consiste à fragmenter ce corps, en faisant don du cœur à une institution religieuse, des entrailles à une autre, etc. À noter que les rois ne sont pas les seuls à subir ou même à ordonner cette fragmentation rituelle : Ph. Charlier dresse une liste de 48 membres de la famille royale de France, décédés entre 1662 et 1761, soit près d’un siècle, dont les cœurs ont été déposés à la chapelle du Val-de-Grâce (Médecin des morts (59-61). Mais le cas des rois est spécial car ces autres personnages ne sont après tout que des sujets, dépourvus ipso facto de corps politique. Plus significatif est le fait que Versailles se vide après la mort du roi. Dans une lettre du 10 septembre 1715, la Palatine évoque la dispersion de la maisonnée royale, avec le jeune Louis XV emmené à Vincennes par son oncle, le Régent. S’il pouvait persister un doute, le palais peut bien se voir à <?page no="186"?> FRANCIS ASSAF 174 ce moment comme la matérialisation en pierre du corps politique de Louis XIV. Vidé de son occupant, il devient vide de sens, du moins pour le moment 308 . Évoquons pour mémoire l’installation d’Anne d’Autriche au Palais- Royal (ci-devant Palais-cardinal, supra) après la mort de Louis XIII et son investiture comme Régente à part entière. Le Château-Neuf de Saint-Germain, aujourd’hui presque totalement disparu, fut la demeure de Louis XIII de son vivant ; par là il figure comme l’édifice matériel de son corps politique, perdant ce sens à la mort du monarque. Sans vouloir établir un parallèle rigoureusement exact entre la conception que se faisaient Louis XIII et Louis XIV de leurs corps politiques respectifs, on voit que la désertion du palais après la mort du monarque et l’installation ailleurs de son successeur est un événement à noter. Les deux textes qui suivent sont la retranscription fidèle des mss. FR- 6993 et NAF-5012 (conservés à la BnF), relatant respectivement la maladie et la mort de Louis XIII et de Louis XIV. L’orthographe, la ponctuation et même les ligatures ont été strictement respectées, sauf dans les cas où cela pouvait nuire au sens. Nous nous rendons compte de la difficulté que pourraient éprouver certains lecteurs à déchiffrer ces textes, mais pensons que cela en vaut la peine, ne serait-ce que pour donner une idée des pratiques scripturales et orthographiques de l’époque. 308 Louis XV, encore mineur à 12 ans, ne s’y installera qu’en 1722. <?page no="187"?> QUAND LES ROIS MEURENT 175 RETRANSCRIPTION DES MANUSCRITS Le manuscrit de Jacques Antoine Histoire, de ce qui s’est passé à la maladie et mort du Roy Louis XIII. Par le S r . Du Bois, l’un des valets de Chambre de Sa Majesté, en l’Année 1643. Copié sur l’original dud. S r . Du Bois, par le S r . Antoine, Garçon de la Chambre des Roys Louis XIII. et Louis XIV. l’espace de 69 Années, l’an 1664. À. Relation de la Mort du Roy Louis XIII. <?page no="188"?> Le Jeudy 21 e jour de Fevrier 1643, le Roy Louis XIII. d’heureuse mémoire, dit le Juste pour ses rares vertus, tomba malade dans son Chasteau neuf de St. Germain en Laye, où il faisoit sa demeure ordinaire tous les Estez, d’un Flux comme hepatique, avec une, espéce de Fiévre lente, qui ne le quitta point jusqu’a la mort, qui d’abord ne paroissoit pas dangereuse, ny mortelle; au jugement des Medecins qui ont accoustumé de flatter toujours les Grands ; ainsy qu’il arriva le contraire, car ils remarquerent en peu de temps que la maladie estoit plus dangereuse qu’ils ne l’avoient creü, ayant duré deux mois et vingt trois jours, qui par sa longue durée luy avoit corrompu toutes les parties nobles et les entrailles, ainsy qu’il a esté remarqué après le decés de Sa Majesté ; qui dans cet espace de temps ne laissoit pas d’avoir de bons intervalles de Santé, travaillant à son Conseil, allant à la Chasse au vol, et à la promenade dans sa Forest, et faisoit les mesmes exercices qu’en pleine Santé. Le Vendredy 22 e Fevrier Sa Majesté se trouva forte incommodée de son Flux et des hemorroïdes, ce qui fut cause que Sa Majesté ne sortit point de la journée ; elle ne voulut voir personne d’extraordinaire à son lever, ny toute la matinée que ses Domestiques : l’aprés-dinée elle voulut bien recevoir des visites dans sa Galerie, où se trouva la Musique, qui fit le divertissement jusques au Souper, qui se fit en particulier, ainsy que le coucher, où il n’y avoit que les Officiers de garde. Le Samedy 23 e dudit mois de Fevrier Sa Majesté se trouva bien soulagée de son mal d’hemorroïdes par des petits remedes qu’on luy donnoit, ce qui dura assez bien jusqu’au Mardy 26 e qu’elle tint Conseil le matin au chevet de son Lit, et declara M. le Duc d’Enguien General de l’Armée de Flandres. Le lendemain et le Jeudy le Roy se trouva bien mieux, faisant pendant ce temps le mesmes exercises qu’en pleine santé, d’aller à la Chasse, mais en Carosse, et à la promenade dans le Parc et dans la Maison du Val que Sa Majesté avoit fait faire, et rebastir, pour y aller faire souvent la Collation au retour de la Chasse, où toute la Cour se trouvoit ordinairement. FRANCIS ASSAF 17 <?page no="189"?> QUAND LES ROIS MEURENT 177 Le Vendredy premier jour de Mars 309 le Roy se trouva un peu indisposé en se réveillant le matin, et dit qu’il n’avoit point reposé la nuit, qu’il avoit eu une insomnie et de grandes inquiétudes qui avoient interrompu son sommeil : ce qui fut cause que Sa Majesté demeura au lit plus qu’elle n’avoit accoustumé. L’aprés midy elle se trouva dans un grand abbattement causé par l’insomnie qu’elle avoit eue, et envoya le S r . Bontemps 310 querir la Reyne, et M essgrs . les Enfans pour la pouvoir divertir, dans son petit Appartement, où ils furent jusqu’au soupé, qui fut fait en public, et le coucher fut terminé par une lecture que sa Majesté fit faire jusqu’à ce qu’elle fut endormie, par Mr. Chicot l’un de ses Medecins de quartier, en qui Sa Majesté avoit beaucoup de confiance, estant homme fort prudent et sage. Le Samedy 2 e Mars 311 le Roy ayant mieux passé la nuit que la précedente, se trouva assez bien tout le reste du jour, il se promena à pied dans ses jardins et dans ses Grottes, où il fit jouer toutes les Eaux qui estoient d’une beauté achevée, et que l’on peut dire qu’il n’y en avoit pas de pareilles dans tout le Monde, et où il y ait de plus belles Machines. Sa Majesté prit ses mesmes divertissements jusqu’au Vendredy 8 e . Pendant ce temps elle se trouva tantost bien, tantost mal, et particuliérement estant tourmentée d’une maniére d’Asthme qui l’obligeoit le plus souvent à passer une partie des nuits dans sa Chaize. Le lendemain 9 e dud. mois de Mars, Sa Majesté se trouva le matin bien plus mal d’une colique qui la tourmenta presque toute la journée, avec les hemorroïdes, ne sçachant en quelle posture se mettre, ne pouvant, se tenir couchée, ny debout ; ce qui rendoit Sa Majesté d’un chagrin mortel, ne voulant voir personne d’extraordinaire pendant ce jour s’estant trouvée d’une si grande foiblesse qu’elle ne pouvoit presque se tenir debout. 309 C’est une erreur. Le 1 er mars était un dimanche. L’erreur est rectifiée sur le Ms. FR- 15644. 310 1584-1659. Premier chirurgien de Louis XIII. Premier valet de chambre du roi (Louis XIII puis Louis XIV) du 21 avril 1643 au 8 mai 1659. 311 L’erreur continue. Curieusement, elle existe également dans le Ms. 15644. <?page no="190"?> FRANCIS ASSAF 178 Le Mercredy 12 e jour de Mars le Roy se trouva bien mieux à son reveil, ayant assez bien dormi cette nuit, son mal s’estant un peu appaisé par le sommeil ; il dina assez bien dans son lit en particulier, en présence de la Reyne, qui ne manquoit pas de venir tous les matins et d’envoyer sçavoir à tous momens l’estat de sa santé. L’aprés-midy Sa Majesté fut se promener en Robe de Chambre dans sa Galerie qui est tres belle et peinte de traits d’histoire, où il se trouve beaucoup de gens de qualité avec la Reyne et les Princes et Princesses, pour contribuer au divertissement de Sa Majesté, qui fit plusieurs fois le tour de cette Galerie, et mesmes estant pardessous les bras soustenuë par Mr. de Souvray premier Gentil-homme de la Chambre en année, et le Sr. de Charost Capitaine des Gardes de quartier : en ayant fait plusieurs fois le tour, elle se trouva un peu lassé, ce qui l’obligea a demander sa grande Chaize pour se reposer, qui fut apportée par Antoine Garçon de la Chambre. Sa M té . s’y reposa quelque temps en conversant avec la Reyne, les Princes ses Enfans, et M rs . les Ministres jusques au souper qu’elle voulut faire en particulier, ainsy que le coucher, qui fut fait avec la Lecture ordinaire par M r . Lucas, l’un des Secretaires du Cabinet, homme fort sçavant. Cette promenade que Sa Majesté fit dans cette Galerie fut une des derniéres qu’elle fit, car depuis ce temps elle ne sortit plus guere de ses Appartemens. Le Jeudy 13 e Mars Sa Majesté continua à se mieux porter, s’estant un peu fatiguée de la promenade du jour précedent, qui l’avoit fait bien reposer la nuit : Mais l’on s’apperceüt bien que le Roy ne laissoit point de diminuer peu à peu, nonobstant tous ses bons momens, estant mesme d’une grande maigreur, ne prenant que tres peu de nourïture, n’ayant pas beaucoup d’appetit, estant dégousté par les continuels remedes que les Medecins luy faisoient prendre journellement, mesme en santé comme en maladie, et ne beuvoit que tres peu de vin. Sa Majesté prenoit souvent une Boisson les matins composée de Rheubarbe, qui luy faisoit faire beaucoup d’évacuations, ce qui l’affoiblissoit beaucoup. Le jour se passa ainsy. Le Vendredy 14 e Mars le Roy se trouva fort bien à son réveil, ayant bien passé la nuit, et on luy fit prendre un Remede composé la nuit, et on luy donna son ordinaire qui estoit un Boüillon nourrissant : toute cette journée il <?page no="191"?> QUAND LES ROIS MEURENT 179 receüt beaucoup de visites : Le soupé et le couché se fit aussy en public, avec la lecture ordinaire. Le Samedy 15 e jour de Mars Sa M té , ne se trouva aussi bien le matin, ayant eü une espéce de colique la nuit qui l’avoit tourmentée ; ce qui fut cause qu’elle ne se leva qu’à midy, estant en Robe de chambre dans sa Chaize, où elle receüt quelques visites, la Reyne y estant venue passer quelques temps avec M grs . les Enfans. Sur le soir le Roy s’endormit dans sa Chaize, où il fit un somme jusqu’à l’heure du coucher, qu’il prit une Pannade dans son lit devant que de s’endormir. Le Dimanche 16 e Mars le Roy se trouva fort mal à son réveil, ayant tres mal passé la nuït : tout le corps luy faisoit douleur ; estant d’un chagrin mortel, ne voulant plus prendre aucun remede que par force, ce qui commence à estonner les Medecins, voyants que Sa Majesté diminuoit à veuë d’œil et que leurs remedes ne faisoient pas l’effet qu’ils en esperoient, bien au contraire, car on avoit remarqué qu’elle se portoit mieux quand elle n’en prennoit point : mais il falloit suivre l’ordre de la Medecine et mourir dans les formes, ce qui est ordinaire aux grands Seigneurs. Dans ce moment on commenca d’avoir meschante opinion de la santé de Sa Majesté. Tout le jour fut presque employé en consultations de Medecins que la Reyne fit venir de toutes parts. Sur le soir le Roy fit venir sa Musique pour pouvoir la rejouir il fit chanter quelques Airs de devotion jusqu’à ce qu’il fust endormi Le Lundy 17 e jour de Mars Sa Majesté ne fut pas mieux que le jour precedent ; le matin elle ne voulut pas prendre son Boüillon, mesme à la priére de la Reyne et des Princes qui l’en avoient prié tres instamment tout ce jour se passa assez mal jusques au coucher que Mr. Lucas fit la lecture ordinaire. Le Mardy 18 e Mars le Roy se trouva mieux, ayant eü une meilleure nuit qu’auparavant : il se leva l’après midy, et se promena dans ses Appartements, y ayant joüé mesme au Tric-trac et aux Echets, Jeux qu’il aimoit et joüoit en perfection. Cette journée se passa assez bien ; le soir la lecture fut faite par Mr. Chicot jusques à dix heures. Le Mercredy 19 e Mars le Roy se trouva assez tranquile, un peu débilité par le dégoust continuel qu’il avoit pour tous les alimens qu’on luy donnoit, <?page no="192"?> FRANCIS ASSAF 180 provenant des remedes et Ptisannes que les Medecins luy ordonnoient chaque moment en luy defendant l’usage du vin, ce qui luy ostoit l’appetit. Il arriva dans ce moment qu’on luy voulut faire prendre un Boüillon, et l’ayant apperceu, aussi tost le cœur luy fit mal, et disant à ses officiers ; je vois bien que je n’ay plus que faire d’aucuns alimens, puisque c’est la volonté du Seigneur que j’ay prié cette nuit de me prendre en bonne fin. Ce discours estoit plein de tendresse : ce qui affligea fort ses Domestiques, qui voyoient dans ce discours comme un présage du malheur qui leur devoit arriver. Le Jeudy 20 e jour de Mars Sa Majesté continua à se mal porter, n’ayant point eü de repos cette nuit, survenant toûjours quelques douleurs nouvelles dans les Reins ; de sorte que l’on luy croyoit une Colique nephretique, ce qui le tourmenta avec les hemorroïdes pendant les 20. et 21 e sans discontinuer, ne scachant quel remede y faire que du Lait chaud dans des Eponges qu’on luy pressoit continuellement dessus pour les refraischir et adoucir. Le Roy ne se leva ces deux jours que l’après midy : il fut promener en Robe de chambre dans sa Galerie, accompagné de la Reyne et de quelques personnes de qualité qui faisoient naistre quelques plaisirs de conversation nouvelle, pour pouvoir luy faire passer le chagrin où il estoit de sentir toujours du mal. Le Samedy 22 Mars le Roy dit en s’éveillant qu’il avoit assez bien passé la nuit ; et qu’il estoit bien mieux que les deux autres jours précedents, à cause des petits remedes qu’on luy avoit donné pour le faire reposer ; ce qui fit qu’il voulut se lever en public : pour cet effect Sa Majesté ordonna à Mr. de Souvray de faire entrer tous ceux qui viendroient. L’après midy elle se fut promener dans l’Appartement et Galerie de la Reyne qui estoit dans une extresme joye de voir le Roy si bien, ce qui donnoit bonne esperance mesme aux Medecins : le Souper et le Coucher se firent en public, avec la Musique et grande joye. Le Dimanche 23 Mars Sa Majesté fut assez bien, la nuit ayant esté un peu incommodée des hemorroïdes et d’une toux jusques à dix heures du matin, ce qui l’avoit fait demeurer au lit et sommeiller, ce qui fut cause que le Roy ne voulut voir personne le matin : sur le midy le Roy demanda à Antoine <?page no="193"?> QUAND LES ROIS MEURENT 181 Garçon de la Chambre de garde, s’il y avoit quelqu’un dans son Antichambre ; et luy ayant dit qu’il n’y avoit que M r . de Guitault seul qui venoit de la part de la Reyne pour sçavoir des nouvelles de Sa Majesté, il le fit entrer, luy dit ; Monsieur, vous direz à la Reyne que je me porte mieux, et j’auray le bien de l’aller voir sur le soir et la rejoüir. M. de Guitaült fit réponse au Roy : Sire, votre Majesté est dans le chemin de guérison, dont tout vôtre Peuple est dans une grande joye. Dans ce moment M essgrs . les Princes arrivérent et quantité d’autres Personnes de qualité, attirées par l’heureuse nouvelle que Sa Majesté se portoit mieux. Toute l’après dinée se passa avec grande joye. Le Roy s’amusa à peindre au Pastel, où il reüssissoit très-bien, faisant des portraits en perfection le plus souvent de ses officiers, qu’il leur donnoit ensuitte pour se ressouvenir de luy. On peut dire que Sa Majesté estoit le Prince le plus adroit à faire tous ses Exercices, comme à danser, à monter à cheval, à faire des armes et à tout ce qu’un Gentilhomme de qualité devoit sçavoir faire, et mesme sçavoit aussy les Mathématiques et les Mechaniques : il forgeoit, il tournoit au tour, et faisoit toutes sortes de Filets à prendre Animaux et Oyseaux, comme aussy pour la pesche du Poisson, y faisant mesme travailler quelques-uns des Officiers de sa Chambre les plus adroits, ce qui faisoit bien leur cour auprés de Sa Majesté qui n’estoit jamais oysive. Le Lundy 24 e jour de Mars le Roy continua à se bien porter, ayant bien passé cette nuit ; il commanda que l’on fist entrer tout le monde à son lever, où il se trouva tant de Peuple, qu’il estoit comme impossible d’y pouvoir entrer, n’y faire le service. L’on estoit dans une grande joye de la bonne convalescence de Sa Majesté. Tout ce jour se passa dans le mesmes divertissements que le jour precedent. Le Mardy 25 e Mars, jour de la Feste de la Sainte Vierge, Sa Majesté se porta assez bien, elle se leva en public, et entendit la Sainte Messe dans sa Chambre avec une dévotion toute exemplaire : ensuitte elle envoya le S r . Bontemps demander à la Reyne si elle vouloit diner avec elle ; aussy tost la Reyne y vint, et dinérent ensemble, où ils eürent plusieurs petites conferences ensemble. L’aprés midy le Roy fut se promener dans sa Galerie, où il <?page no="194"?> FRANCIS ASSAF 182 fit porter sa grande Chaize pour y se reposer, et fit venir sa Musique qui chanta plusieurs petits Airs de dévotion jusques au Souper qui se fit en public, ainsy que le coucher, où il fut fait la lecture jusques à ce que Sa Majesté fust endormie. Le Mercredi 26 e dud. mois de Mars Sa Majesté se trouva à son reveïl un peu plus mal qu’à l’ordinaire, ayant eü pendant la nuit des inquiétudes qui l’incommodoïent fort. On luy donna une medecine qui luy fit assez bien : il ne voulut voir personne d’extraordinaire jusqu’aprés midy qu’elle se leva et receüt des visites. Sur le soir le Roy ressentit un petit frisson qui l’obligea de se coucher plus tost qu’à l’ordinaire. Le Jeudy 27. de Mars le Roy ayant fort mal passé la nuit, dit en s’éveillant : Je me sens bien affoibli, je m’aperçois que mes forces se diminuënt de jour en jour ; j’ay demandé à Dieu cette nuit que si c’estoit sa volonté de me retirer de ce Monde, il me fist la grace d’abreger la longueur de ma maladie. Aprés ce discours il s’adressa à M. Bouvard 312 son premier Medecin, luy disant ; Monsieur, vous sçavez bien qu’il y a déja quelque temps que je vous ay dit, que je n’avois pas bonne opinion de cette maladie, vous ayant prié en mesme pressé de m’en dire votre sentiment, ce que vous n’avez pas voulu faire m’ayant toujours amusé de l’esperance de guérison. Ce que le S r . Bouvard avoua disant : Il est vray, Sire, que je n’ay pas osé en dire mon sentiment à Vôtre Majesté de peur de la fâcher et de luy causer quelque émotion. Le Roy reprit la parole avec douceur, disant : Je vois bien qu’il faut mourir par vôtre silence, je n’en ay point esté surpris, n’y estant bien attendu, puïs que j’avoit demandé à M r . de Meaux et à mon Confesseur de me mettre en estat de bien mourir et de recevoir le Saint Sacrement, ce qu’ils m’ont toûjours differé jusqu’à présent. L’on voyait dans les yeux de Sa Majesté une douceur qui faisoit juger qu’elle n’avoit nulle apprehension de la mort, et qu’elle y estoit bien résignée. Tout ce dïscours fut mesle de soûpirs quï tiroient des Larmes à toute l’Assemblée, particuliérement de ses Officiers Domestiques, 312 1572-1658. Médecin et surintendant du Jardin des Plantes de Paris. Il créait des remèdes à partir de fleurs (la Bouvardia ternifolia, originaire de l’Amérique tropicale, est nommée d’après lui). <?page no="195"?> QUAND LES ROIS MEURENT 183 qui voyoient un si Grand Roy leur Maistre souffrir son mal avec une telle constance, et si bien résigné à la mort, sans nulle appréhension. Tout le reste du jour se passa ny bien, ny mal, jusques au coucher, où il fut fait la lecture fort tard par Mr. Lucas Secretaire du Cabinet, Sa Majesté ayant eü peine à s’endormir. Le Vendredy 28 e Mars jusqu’au Lundy 31 e et dernier dud. mois, Sa Majesté fut toûjours fort mal, ne reposant que fort peu toutes les nuits et ayant un dégoust pour toutes choses. On luy fit prendre beaucoup de remedes pendant ce temps, entre autres une espéce de medecine qui fit des grands effects dont Sa Majesté se trouva fort foible, ayant employé tout ce jour à faire des grands efforts pour pouvoir rendre cette medecine, qui luy fit de grandes douleurs dans le bas ventre, comme s’il avoit eü la colique. Ces quatre jours se passerent ainsy, tantost bien, tantost mal ; la Lecture s’estant faite tous les soirs ainsy qu’on avoit de coutume. Le Mardy premier jour d’Avril Sa Majesté se trouva mieux toute la journée ayant esté fort tranquile cette nuit ; elle prit à son réveil un Boüillon, et ne voulut voir personne cette matinée que ses Officiers Domestiques ; la Reyne estant venuë pour le voir jusques dans l’Antichambre, mais ayant sçeü que le Roy avoit dit qu’il ne voulut voir personne ce matin, elle s’en retourna en son Appartement : L’aprés-midy, elle revint avec M essgrs . les Enfans, où dans la conversation elle dit à Sa Majesté qu’elle l’estoit venuë voir ce matin, mais qu’elle n’avoit osé entrer, ayant eü peur de l’incommoder. Le Roy demeura fort surpris de ce discours, en répondant : Madame, quand je dis que je ne voulois pas voir personne, ce ne devoit pas estre pour vous. Et vous sçavez bien que vous estes la Maistresse en tout temps d’entrer chez moy ; c’est pour des étrangers que j’ay voulu parler, c’est à mes Officiers, à qui il faut s’en prendre de ne vous avoir pas laissé entrer. Cette conversation finie, une affluence de monde y survint de toutes parts pour sçavoir l’estat de la santé du Roy. Le reste du jour se passa en petits amusements que chacun y fit naistre pour pouvoir dissiper son chagrin, jusques au coucher qui se fit de bonne heure et en particulier. Ce jour on releva de quartier des Officiers, <?page no="196"?> FRANCIS ASSAF 184 mais plusieurs ne voulurent quitter, voulant voir l’issue de la maladie du Roy. Le Mercredy 2 e d’Avril, le Roy se porta bien mieux, ayant eü une tres bonne nuit : les Medecins luy firent prendre ce matin une Ptisanne composée de Rheubarbe qui luy fit bien évacuer des humeurs, ce qui luy donna bien de l’appetit à diné dans son Lit. Aprés-midy il se leva quelques heures estant fort debilité et lassé d’estre couché. Sa Majesté se fit apporter son Fauteuil à la fenestre qu’elle fit ouvrir pour avoir de l’air d’où il se voir la plus belle veüe du Monde. Ce jour estant fort serein, le Roy ayant avancé la teste à la fenestre, il aperceüt les Clochers de Saint Denis qui se découvrent fort aïsement de ce lieu : il se tourna vers ses Officiers, leurs disant : Mes Amis, voilà ma derniere demeure que je vois : leur montrant avec la main le chemin mesme par où l’on devoit le mener. Ce discours ne se passa pas sans estre meslé de soupirs et de larmes de ceux qui l’avoient entendu, estant dit avec une si grande fermenté et sans émotion de la bouche de Sa Majesté, qui regardoit le lieu de son tombeau avec un si genereux mépris. À quelque temps de là, elle voulut se coucher, et ordonna au S r . Lucas de lire dans la vie des Saints, ce qu’il fit pendant deux heures jusques au Souper que Sa M té . prit une Panade avec quelques Pommes cuites ; et aprés s’endormit : il ne demeura que les Officiers de garde. Le Jeudy 3 e jour d’Avril Sa Majesté continua à se mieux porter, n’ayant eü la nuit qu’un peu d’inquiétudes ; ayant pris ce matin un remede qui luy avoit fait assez de bien, elle voulut estre seule cette matinée pour avoir du repos, car on peut dire qu’il y venoit tous les matins une si grande confusion de Peuple que l’on ne sçavoit passer dans la salle des Gardes et Antichambre. L’aprés-midy la Reyne y arriva, et vit prendre à Sa Majesté un petit Pottage ou consommé qu’il prit avec assez d’appetit, dont elle eut bien de la joye, estant mesme d’assez bonne humeur. L’on envoya avertir par Tortilliére Garçon de la Chambre M essgrs . les Enfans qui y arriverent aussy tost, et le Roy les ayant apperceus, en fut joyeuse, et leur fit plusieurs questions sur la maniére de leur vie, et comme il falloit qu’ils se comportassent à l’avenir, avec des paroles toutes pleines de douceur. Le soir estant venu tout le monde se <?page no="197"?> QUAND LES ROIS MEURENT 185 retira, hors les Officiers ; le Roy ordonna à S r . Lucas de lire les Meditations de la mort qu’il avoit marqué dans son livre, ce qui dura jusques au souper, où la Reyne se trouva, et elle eüt quelque conversation avec Sa Majesté ; tout le monde s’estant retiré à quartier : le coucher se fit de bonne heure ce jour, et sans lecture. Le Vendredy 4 e jour d’Avril Sa Majesté se trouva fort tranquile, n’ayant eü cette nuit qu’un peu d’inquiétudes. Les Medecins luy proposerent de prendre medecine, ce qu’il ne voulut pas faire mesme à la priére de la Reyne et de M essgrs . les Princes ; leur disant ils sont bien ennuyez de me voir en repos. Le Roy ne voulut prendre qu’un Boüillon, aprés lequel il s’endormit jusqu’à midy, ce qui luy fit un grand bien en luy reparant le dormir et le repos qu’il avoit perdu la nuit, et qui le mit toute la journée en un très-bon estat. L’aprésmidy il prit quelques petits divertissements comme de la Musique et Jeu d’Echets, et recevant toutes les visites qui venoient jusques au Souper, où Sa Majesté mangea un peu avec assez d’appetit. Le coucher estant venu, Sa Majesté ordonna au S r . Chicot de faire la Lecture dans quelques passages de l’Introduction de la Vie Dévote de S t . François de Sales 313 , ce qu’il fit jusques à ce que Sa M té . fust endormie. Le Samedy 5 e jour d’Avril Sa Majesté continua à se mieux porter, ayant assez bien dormi cette nuit : ce qui donnoit esperance aux Medecins d’un guérison entiére, et donna bien de la joye à toute la Cour de voir en si peu de temps un si grand changement. Le Roy se leva ce matin en Robe de Chambre fort gay, et dina mesme en public. L’aprés-midy le Roy envoya guérir par Tiffaine Garçon de la Chambre le S r . Camefort, Ferdinand, et Deniert qui estoit premier Valet de Garderobe, qui chantoient et joüoient très bien du Théorbe : ils firent un petit concert et chantérent en partie Lauda Anima, et autres Airs de devotion, composez sur les Paraphrases des Pseaumes de David du S r . Godeau 314 . Le Roy voulut aussy chanter une des basses avec M r . le Marechal de Schomberg 315 qui chantoit fort bien. Ce concert réjoüissoit 313 1567-1622. 314 Antoine Godeau (1605-1672). 315 Charles de Schomberg, maréchal de France (1601-1656). <?page no="198"?> FRANCIS ASSAF 186 toute la Cour qui s’y estoit renduë. La Reyne en ayant esté avertie par M. de Souvray qui luy avoit envoyé Antoine, aussy tost elle y arriva, estant fort surprise d’entendre cette Musique, et de voir un si grand changement en si peu de temps : tout l’Appartement du Roy en retentissoit de joye : tout le Monde disoit à Sa Majesté qu’elle estoit dans le chemin de guérison, avec la saison du Printemps qui estoit très doux, et qui acheveroit le retablissement de sa santé à quoy le Roy répondit fort serieusement, disant : Messieurs, je suis fort résigné à la volonté du Seigneur : s’il me fait la grace de me redonner la santé, je travailleray de tout mon pouvoir à donner la Paix à tout mon Royaume et à soulager mes Peuples. Le reste de ce jour se passa fort bien jusques au Coucher que Sa Majesté fit faire la Lecture par le S r . Lucas dans le Nouveau Testament, sur le 17 e chapitre de l’Evangile de Saint Jean, où sont les supplications que Jesus Christ fit à son Père, avant que de passer le Torrent de Cedron ; pendant laquelle lecture le Roy s’endormit pour un peu de temps : s’estant aprés réveillé fort inquiet, il demanda l’heure qu’il estoit ; et luy ayant esté dit qu’il estoit onze heures, il dit que l’on allast se reposer. Le Dimanche 6 e jour d’Avril Sa M té . continua à se bien porter, à la foiblesse prés, jusqu’au Dimanche 13 e vaquant tous les jours à son Conseil qu’il tenoit le plus souvent au Chevet de son Lit. Il congedia le S r . de Noyers 316 Secretaire d’Estat qui avoit demandé à Sa Majesté la permission de se retirer : et elle pourveüt de sa charge le S r . Michel Le Tellier Maistre des Requestes, qui l’exerça par commission jusques à la mort dudit Sieur Des Noyers qui arriva l’An 1645. Le Roy passa ces jours ainsy, qu’il avoit fait en pleine santé, à la réserve de monter à cheval seulement, allant en Carrosse prendre l’aïr dans la Forest, ou dans le Parc les aprés-dinées, pendant les beaux jours de la saison qui estoit fort douce, ce qui rejouissoit fort Sa Majesté de se voir mieux que les jour precedents. Pendant tout ce temps elle receüt beaucoup de visites, particulierément de Madame de Guise et de M essgrs . les Enfans, lesquels Sa Majesté pria de demeurer quelque temps, estoit bien aise de les voir : à quoy M ade . de Guise repondit que Sa Majesté luy 316 1589-1645. <?page no="199"?> QUAND LES ROIS MEURENT 187 faisoit bien de l’honneur, et qu’elle demeureroit tant qu’il luy plairoit, et seroit bien aise de pouvoir contribuer au rétablissement de sa santé. Tous ces jours se passerent assez bien jusques au Dimanche au Soir que Sa Majesté ressentit un petit frisson en se couchant. Le Lundy 14 e jour d’Avril Sa M té . dit en s’éveillant qu’elle avoit esté bien tourmentée de vapeurs et de chaleur à la teste pendant la nuit ; ce qui avoit interrompu son sommeil et luy avoit causé une insomnie qui l’avoit obligé de changer de place dans son Lit à tout moment. On luy donna son Bouillon, et demeura jusques à midy au Lit à sommeiller : aprés s’estant levé en Robe de Chambre, elle passa la reste de ce jour assez doucement : La Reyne y fut quelque temps en conversation avec Sa Majesté, dans laquelle conversation le Roy s’endormit l’espace de deux heures dans sa grande Chaize, ce qui luy fit bien du bien, ayant este fatigué la nuit. Le coucher se fit à l’ordinaire. Le Mardy 15 e d’Avril le Roy se porta un peu mieux, n’ayant pas eü tant d’inquiétudes cette nuit que les précedentes ; mais il estoit d’une grande foiblesse, nonobstant tous les bons jours qu’il avoit eüs cy devant, l’on ne voyoit point sa santé revenir, ayant toûjours senti du mal de temps en temps, ce qui ne contentoit guére les Medecins de voir Sa M té . dans une espece de langueur, n’ayant de l’appetit que par force, ils le purgérent pendant deux jours, pour luy oster une bile qui paroissoit mesme sur son visage et dans les yeux, et luy ordonnérent de prendre du petit lait les matins pendant quelques jours jusques au Mardy 22 e dudit mois d’Avril, pour tascher de le pouvoir rafraischir : ce que le Roy fit pendant ce temps sans beaucoup de succes n’en ayant pas esté mieux tout ce temps qui se passa ainsy ny bien ny mal. Le Lundy 21 e d’Avril Sa Majesté se trouva bien fatiguée des remedes et du petit lait qu’elle avoit pris depuis huit jours : dans ce temps elle n’avoit point bû de vin, ce qui l’avoit reduite dans une si grande foiblesse, qu’elle ne pouvoit se tenir debout : cela étonna les Medecins qui voyoient que le Roy diminuoit à veuë d’œil, et les obligea de faire une consultation pour voir s’ils ne trouveroient point de remedes pour le pouvoir soulager : cette journée se passa fort mal. <?page no="200"?> FRANCIS ASSAF 188 Le Mardy 22 e Avril on excecuta ce qui avoit esté resolu le jour precedent dans la consultation, et on chercha quelques remedes pour soulager Sa Majesté : on luy ordonna aussy la Saignée qui fut faite vers les huit heures du matin ; elle reussit fort mal, luy ayant desséché la poitrine, et donné une toux continuelle qui luy causa une fluxion sur la poitrine, qui l’incommoda beaucoup par la suitte, ce qui fit prendre au Roy la resolution de recevoir le Saint- Sacrement, ce qu’il fit tres-dévotement en particulier en présence de la Reyne : Sa Majesté ne voulut voir personne d’extraordinaire cette matinée : elle fit faire la lecture par le S r . Lucas dans les Meditations de la mort l’ayant toûjours devant les yeux. Ce mesme jour Sa M té . souhaitta de faire baptïser Monseigneur le Dauphin qui avoit déja quatre années et huit mois, et pour cet effect envoya chercher la Reyne et M. le Cardinal Mazarin et Madame la Princesse pour le tenir sur les Fonts de Baptesme : La ceremonie en fut faite vers les dix heures du matin dans la chapelle du Chasteau vieux par M. l’Evesque de Meaux premier Aumosnier de Sa Majesté, sans aucune réjouissance à cause de la maladie du Roy. Monseigneur le Dauphin fut nommé Louis au nom de Nôtre Saint Père le Pape par M. le Cardinal Mazarin avec Madame la Princesse de Condé sa Maraine, en presence de la Reyne et de toute la Cour. Aprés la ceremonie M. le Cardinal fit recit au Roy de ce qui s’estoit passé, et de la sagesse qu’avoit eüe Monseigneur le Dauphin qui arriva dans ce mesme temps. Le Roy l’ayant apperceü avec Madame de Lanzac 317 sa Gouvernante, luy fit plusieurs questions sur ce sujet, et entre autres luy demanda : Mon Fils, comment avez-vous nom à présent ? Monseigneur le Dauphin répondit sans hésiter : Louis quatorze, mon Papa. Sa Majesté luy dit : pas encore, mon Fils ; mais ce sera peut estre bien tost ; Si c’est la volonté de Dieu : et levant les yeux au Ciel, dit : Seigneur, faites luy la grace de le faire reigner en paix aprés moy ; et en veritable Prince Chrestien ; qu’il ait toujours en veuë le maintien de vôtre Sainte Religion, le soulagement de ses Peuples. Aprés ce discours Sa Majesté paroissoit fort contente, elle avoit le visage gay et vermeil, ce qui faisoit voir qu’elle avoit bien de la joye que 317 1582-1657. <?page no="201"?> QUAND LES ROIS MEURENT 189 cette ceremonie fust faite. Le Roy ayant souhaitté d’estre seul, envoya chercher la Reyne qui s’en estoit allée dans son Appartement, et luy dit ; Madame, puisque Dieu m’a fait la grace cette journée d’avoir fait une si grande action d’avoir fait baptiser mon Fils, j’ay pris aussy la resolution de pouvoir donner la tranquilité à mon Royaume, si Dieu dispose de moy : c’est de faire ma declaration pour vous faire Regente jusques à ce que mon Fils soit en âge, afin qu’il n’arrive aucune contestation à ce sujet. Ce discours estoit accompagné de paroles si tendres, qu’elles tirérent des larmes de tout l’assemblée, en telle façon que la Reyne en tomba comme evanoüie dessus le Lit du Roy, que M r . de Souvray fut mesme obligé de l’en arracher de force et l’emmener dans son Appartement. Sa Majesté envoya sur l’heure Antoine Garçon de la Chambre chercher M r . de la Vrilliére Secretaire d’Estat, à qui elle avoit beaucoup de confiance ; et luy dit ses intentions en particulier, et luy ordonna d’aller dresser la Declaration en forme de Testament, afin de la verifier au plus tost. Toute la matinée se passa ainsy, et Sa Majesté prit seulement une petite panade avec un peu de Gelée. Aussitost que le Roy eut diné il envoya Tortilliére chercher M r . de la Vrilliére, qui arriva presque aussi tost avec M r . le Chancelier et plusieurs autres Ministres et Secretaires d’Estat, et quantité de Princes, Princesses et Gents de qualité qui y abordérent de tous cotez. Sa Majesté fit ouvrir les Rideaux de son Lit, et prenant la parole dit à haute voix : Messieurs, c’est en cette occasion que je veux que vous soyez témoins de mon intention pour donner à mon Royaume la tranquilité et le repos aprés mon déces, s’il plaist à Dieu de diposer de moy, n’ayant peü jusques à présent luy donner la paix generale. Et ce discours fini qui estoit tout plein de tendresse, il ordonna à M r . de la Vrilliére de faire la Lecture de la Declaration hautement, afin que tout le Monde sceüst sa derniére volonté : ce que M r . de la Vrilliére fit, et eut bien de la peine à achever de la lire à cause des frequentes larmes qui luy couloient des yeux, ne les pouvant retenir par le déplaisir qu’il avoit de dresser un Acte si fascheux, et qui donnoit comme une marque évidente de la mort du Roy son Maistre qu’il aimoit passionnément. Par cette Declaration il ordonna qu’en cas qu’il mourust, la Reyne seroit Regente du Royaume <?page no="202"?> FRANCIS ASSAF 190 pendant la minorité de son Fils ; que Monsieur seront Lieutenant General du Roy mineur, sous l’authorité de la Reyne Regente et de son Conseil qui seroit composé de M. le Prince de Condé, du Cardinal Mazarin, du Chancelier, le S r . Claude Bouthillier et Chavigny son Fils Secretaire d’Estat ; que Monsieur en seroit le Chef, et en son absence M. le Prince de Condé. Cette lecture finie, le Roy ordonna qu’on le laissoit [sic] seul avec son confesseur : tout le Monde sortit dans l’Antichambre en si grande foule que l’on ne pouvoit s’y remuer, un chacun estant venu sur la nouvelle que le Roy se mouroit. Sa Majesté ayant esté environ une demie heure avec son confesseur, elle fit entrer M r . le Chancelier, M rs . de Chavigny et de la Vrilliére, leur ordonna de faire passer et verifier sa Declaration incessamment au Parlement, ce qui fut fait et executé le mesme jour : Le reste du jour se passa assez doucement, le Roy parut d’une grande tranquilité le visage tres-content, et mesme plus qu’à l’ordinaire. La Reyne demeura fort tard auprés de luy, estant toujours dans une douleur extresme de voir Sa Majesté se diminuer, et que toutes ces choses n’estoient qu’un funeste présage de sa mort. Ce jour on redoubla ses Officiers de sa Chambre et Garderobe, ceux de quartier estant trop fatiguez depuis le commencement de la maladie du Roy ; il y en avoit qui avoient voulu le servir nonobstant qu’ils n’estoient point de service. Ce mesme jour, Sa Majesté permit à Monsieur son Frere de faire revenir Madame la Duchesse d’Orleans 318 qui estoit lors à Bruxelles. Le Mercredy 23 e jour d’Avril le Roy se trouva fort mal à son réveil, ayant esté tourmenté la nuit d’une toux seiche, malgré tous les sirops qu’on luy donnoit pour l’adoucir ; n’ayant eü que des sommeils interrompus ; ce qui l’avoit reduit en un estat déplorable, n’estant pas mesme reconnoissable, ayant les yeux enfonsez et la veuë presque égarée, le teint plombé et blanc comme celuy d’un homme mort. Cette journée fust tres-mauvaise : Sa Majesté ne se leva que pour faire son lit avec bien de la peine, disant à tous moments à Du Bois Valet de chambre qui aidoit à le faire, qu’il se pressast, parce qu’elle se trouvoit tres-foible, la Reyne y amena les petits Princes 318 Marguerite de Lorraine (1615-1672). <?page no="203"?> QUAND LES ROIS MEURENT 191 Monseigneur le Dauphin et M gr . le Duc d’Anjou 319 qui y demeurérent jusques au Soir fort tristes de voir Sa Majesté si mal, qui les renvoya un peu aprés. Sur le soir Sa Majesté prit une Ptisanne composée qui luy fit faire beaucoup d’efforts jusqu’à onze heures du soir qu’elle s’endormit. Le Jeudy 24 e jour d’Avril Sa Majesté se trouva très foible par l’évacuation de la medecine qu’elle avoit prise la veille, ce qui l’incommoda fort cette journée, estant toujours assoupie, sans pouvoir dormir, ayant une chaleur d’entrailles qui la dévoroit et une toux seiche presque continuelle malgré tous les remedes que les Medecins y faisoient, c’est ce qui commença à donner une mauvaise opinion de la maladie du Roy, qui alloit toûjours en empirant : il fut mesme en cet estat jusques au 27 e , qu’il vuida un abces ou apostheme qui s’estoit creve dans son corps, ce qui dura ainsy jusqu’au Jeudy dernier de ce mois au soir, qu’il fut un peu soulagé par quelques remedes qu’il prit. Il ne voulut voir presque personne que la Reyne ; pendant tout ce temps n’ayant d’autre joye de faire la lecture dans les Livres de dévotion pour se preparer à la mort. Le Vendredy premier jour de May il se trouva à son réveil un peu mieux, ayant reposé quelques heures avec peine, estant toujours fort inquiet, demandoit à tout moment l’heure qu’il estoit, ne trouvant point de bonne place dans son Lit. Sur le midy le Roy se leva pendant que l’on fit son lit, sans jamais dire un seul mot à personne, estant d’un chagrin mortel : toute cette journée se passa fort mal dans les apprehensions continuelles. Le coucher fut fait en particulier, avec la lecture que Sa Majesté vouloit qu’on fist en quelque estat qu’elle peust estre. Le Samedy 2 e de May Sa Majesté se trouva à son réveil saisie d’une grande foiblesse, causée par faute de prendre des aliments, et ne reposant que tres-peu les nuits que par les Juleps et sirops composez qu’il prenoit le plus souvent : tout ce jour se passa ny bien ny mal, le Roy ne faisant que dire à tout moment qu’il diminuoit de jour en jour, et qu’il falloit bien tost mourir, n’ayant autre consolation que de faire faire des lectures spirituelles, ce que se fit fort souvent tout ce jour. 319 Philippe d’Anjou, puis Philippe I er d’Orléans (1640-1701). <?page no="204"?> FRANCIS ASSAF 192 Le Dimanche 3 e jour de May le Roy se trouva un peu mieux, nonobstant toutes les grandes évacuations que luy avoit fait faire une medecine pendant la nuit, qu’il avoit prise le jour precedent ; car on peut dire qu’il ne se passoit point de jour qu’il n’en prist une avec d’autres-remedes, ce qui le rendoit si debile et si foible, qu’il ne pouvoit plus se tenir debout sans qu’on le soutinst pardessous les bras. Sa Majesté ne songeoit plus aux affaires de ce Monde, que par rapport à les pouvoir terminer. Le Roy envoya le Sieur de Bontemps chez la Reyne pour luy dire qu’il la prioit de le venir voir quand elle auroit diné, pendant ce temps il dina sans avoir beaucoup d’appetit à ce qu’on luy donnoit, qui n’estoit composé que de boüillons ou panades claires, et de veau ou chapon bouilli, et quelque compotte de pommes, ne buvant que de la ptisanne, le vin luy estant défendu tres-étroitement. Sur les deux heures la Reyne arriva auprés du lit de Sa Majesté, fort désolée de voir le Roy en si méchant estat, elle y fut jusques au soir. Le Lundy 4 e jour de May le Roy se trouva fort foible le matin, disant à M r . de Souvray et au S r . Bouvard premier Medecin : Messieurs, je me sens bien mal disposé ce matin, je ne croy pas avoir bonne issuë de cette maladie : à quoy M r . Bouvard ayant dit : ah Sire, il ne faut pas que vostre Majesté ait cette opinion, ce ne sera rien s’il plaist à Dieu, à qui il faut avoir confiance et aux remedes qu’on vous donnons. Sa Majesté avant esté fort inquiette cette nuit, demandant à tout moment l’heure qu’il estoit et s’il n’estoit pas bien tost jour ; ayant fait mesme tirer le rideau de son lit par le Sieur Bontemps, et ouvrir les fenestres par Antoine par plusieurs fois, estant ennuyé que la journée vint pour se lever et prendre l’air, faisant extrémement chaud dans sa chambre estant pleine du monde tout le jour, ce qui l’echauffoit. Sur le midy, Sa Majesté prit un Boüillon composé de purgatifs, qui luy fit faire l’aprés dinée beaucoup d’évacuations ; ce qui fut cause que Sa Majesté ne vit personne tout ce jour que ses Domestiques, avec qui il se plaisoit fort, pour estre en repos. Le coucher se fit sans lecture, le Roy se trouvant fatigué. <?page no="205"?> QUAND LES ROIS MEURENT 193 Le Mardy 5 e jour de May Sa Majesté fut fort tourmentée la nuit de la colique qui l’empescha de pouvoir reposer, estant toujours humide et principalement par les jambes, ce qui l’obligea sur les trois heures du matin à demander à Tortilliére un Linge pour les essuyer, et le luy ayant doné, il ne le pût faire luy-mesme : Sa Majesté dit au S r . Bontemps de lever la couverture un peu haut, pendant que Tortilliére et Antoine luy frottoient les jambes et les pieds qu’elle avoit mouillez. Le Roy se voyant dans cette posture fit une reflexion sur l’estat où il se voyoit, leur disant : Mes Amis, je suis d’une grande maigreur, mais c’est la volonté de Dieu de me reduire dans cette maniere. Car on pouvoit dire que Sa Majesté n’avoit plus que la peau collée sur les os, ses jambes et ses cuisses estoient si menuës, qu’il n’y avoit que la grosseur des genoux qui en faisoit paroitre la distinction : tout son corps ressembloit plutost à un squelette qu’à un homme vivant. Tout ce jour se passa en apprehension du mauvais succés de la maladie du Roy. Il ne laissoit pas pendant ce temps d’agir autant qu’il le pouvoit, et d’aller à son Conseil avec M essrs . les Ministres, ayant eu toujours l’esprit et le jugement fort sain. Sur le soir Sa Majesté eüt une petite toux seiche qui l’incommoda tres-fort jusques à minuit, malgré les sirops qu’on luy donnoit pour pouvoir l’adoucir. Il faisoit faire la lecture par le S r . Chicot l’un de ses Medecins, à qui le Roy avoit grande confiance, luy disant : Monsieur, quand me direz vous qu’il faut partir de ce Monde pour jouir d’un repos éternel car je n’en espere point devant ce temps. Le S r . Chicot luy ayant répondu : Il faut que vôtre M té ait patience, s’il luy plaist, et attende ce moment avec confiance en la Sainte volonté de Dieu : il est le Maistre de notre vie et de notre mort. Sur ce discours Sa Majesté s’endormit. Le Mercredy 6 e jour de May le Roy se trouva assez mal, s’estant réveillé plusieurs fois cette nuit. demandant à tout moments quelle heure il estoit, et quel temps il faisoit, Antoine lui ayant répondu qu’il estoit trois heures et qu’il faisoit tres-beau pour la saison. Sa Majesté demanda à boire, et aprés avoir bû s’endormit jusques à huit heures qu’on luy donna un bouillon, dont elle avoit bien besoin pour luy humecter la poitrine qu’elle avoit fort seiche par sa toux, mais elle ne le voulut pas prendre, disant : Mes Amis, laissez- <?page no="206"?> FRANCIS ASSAF 194 moy mourir en repos. La Reyne et les Princes y estoient, qui l’en prierent très étroitement, ce qu’il ne voulut point écouter. Le Roy tomba dans un grand assoupissement dont on tira bon augure, n’ayant point eü de bon sommeil depuis six jours, qui dura jusqu’à cinq heures du soir, que Sa majesté se réveilla, disant qu’il se sentoit mieux, mais bien foible. Le S r . Bouvard son premier Medecin luy dit : c’est que vôtre Majesté ne prend pas assez de nourriture, ce qui la fit résoudre à prendre quelque aliments, qu’on luy donna sur le champ, qu’elle prit avec bien de la peine, n’ayant point d’appetit. Sur le soir le Roy commanda à M r . de Souvray de redoubler les Officiers de sa chambre, à cause que ceux qui y estoient depuis le commencement de sa maladie, ne pouvoient plus resister à la fatigue des veilles continuelles qu’ils avoient faites, et afin qu’ils se relevassent les uns les autres, il fit coucher dans son Antichambre deux valets de chambre, un Tapissier, un Barbier, un Porte-Chaize avec les Garçons del a chambre qui estoient dans une grande nécessité de se reposer, estant jour et nuit sur pied. Le Jeudy 7 e jour de May le Roy se trouva extrémement mal le matin ; toutes les parties de son corps luy faisoient douleur, dont les Medecins estoient bien embarassez d’y trouver quelque remede à ses maux qui luy survenoient les uns aprés les autres ; ce qui les obligea à faire une consultation entre eux, dans la quelle ils résolurent que si ce mal continuoit jusqu’au lendemain, il faudroit donner ordre de faire recevoir le Saint Sacrement en viatique au Roy, et pendant ce temps en faire avertir la Reyne et les Princes, afin qu’elle n’en fust point surprise, et pour cet effect l’on en donna la commission à M r . de Meaux qui luy fut annoncer cette fascheuse nouvelle, dont elle demeura fort surprise, ne croyant pas le Roy dans cet estat : aussi tost elle partit de son Appartement, et trouva à son arrivée le S r . Bouvard Medecin qui luy dit qu’il falloit attendre au lendemain à annoncer cette nouvelle au Roy : la Reyne demanda à qui il falloit en donner la commission, ne la voulant pas prendre : on la donna au Pere Dinet son Confesseur qui s’en chargea. L’on peut dire qu’il ne falloit pas prendre tant de précautions à preparer Sa Majesté a recevoir le Saint Sacrement, y estant bien resignée des longtemps. Ce jour se passa fort mal ; tout le monde estoit bien consterné de <?page no="207"?> QUAND LES ROIS MEURENT 195 voir le Roy si mal et qui diminuoit de jour à autre, et personne ne le pouvoit voir sans jetter des larmes ; La Reyne ne bougeoit du chevet du lit du Roy, qu’elle en versoit à tout moment, outrée de douleur : elle ne le voulut plus quitter dés ce moment, et pour ce sujet ordonna qu’on luy apportast un petit lit dans un petit cabinet qui est prés de la chambre du Roy, afin de s’oster les inquiétudes continuelles qu’elle avoit d’en estre plus éloignée, et pour apprendre la nuit plus tost l’estat au quel seroit le Roy. Car on peut dire que cette pauvre Princesse outre la douleur qu’elle avoit de la maladie de Sa Majesté, elle estoit à bout de fatigue d’avoir mesme veillé plusieurs nuits. L’aprés midy le Roy se trouva un peu plus tranquile que le matin, Il receüt une visite de M essrs . les Mareschaux de Chastillon et de la Force qui estoient de la Religion Pretenduë Reformée. Sa Majesté fut bien aise de les voir, leur ayant dit plusieurs choses obligeantes sur leur fait, et aprés les exhorta avec douceur de quitter leur Religion dans la quelle il n’y avoit point de salut ; que veritablement ils estoient braves gents et d’un grand merite selon le Monde mais qu’il n’en estoit pas de mesme selon Dieu, qu’il n’y avoit pas deux voyes pour aller au Ciel, que hors l’Eglise Catholique, Apostolique et Romaine il n’y avoit point de salut à esperer, les conviant d’y faire reflexion. Le reste de ce jour se passa comme de coustume avec la lecture jusques à ce que Sa Majesté fust un peu endormie. Le Vendredy 8 e jour de May Sa Majesté se trouva un peu mieux, n’ayant pas esté si toumentée la nuit, on luy donna à son réveil un Boüillon qu’elle eüt de la peine à prendre, estant extrémement dégoustée : elle ne voulut voir personne toute la matinée que la Reyne qui estoit sa seule consolation. Aprés midy, le Pere Dinet vint voir Sa Majesté, ainsy qu’il avoit accoustumé : il luy dit : Sire, je me suis chargé d’une commission que je croy que vous ne trouverez pas mauvais que j’aye prise, qui est que Vôtre Majesté ayant toujours souhaité d’avoir le bonheur de recevoir le Saint Sacrement du Corps de Jesus Christ dans sa maladie, elle voudra bien s’y disposer maintenant, n’en sçachant pas les suittes. Sa Majesté receüt cette nouvelle avec joye sans émotion, disant : Mon Pere, je vous suis bien obligé de la bonne nouvelle que vous m’apprenez : et levant les yeux au Ciel dit : Seigneur, me voila prest à <?page no="208"?> FRANCIS ASSAF 196 vous recevoir, faites-moy digne de cet honneur. Tout le monde sortit de la chambre, et le Pere Dinet demeura seul avec le Roy pour le confesser : pendant ce temps M r . de Souvray fut avertir la Reyne qui estoit dans une affliction mortelle ; elle y arriva avec Messeigneurs les Enfans, Cette nouvelle se répandit par tout le Royaume, la quelle donna bien de la tristesse à tout le Peuple qui y arrivoit de toutes parts, de sorte qu’il n’y avoit pas moyen de pouvoir passer mesme dans les Cours. Aprés que le Roy fut confessé il demanda à voir la Reyne et ses Enfans : estant entrée toute éplorée, elle se jetta sur son lit, l’embrassant tendrement ; elle luy dit des paroles qui auroient tiré des larmes d’un cœur de rocher : elle luy présenta ses deux beaux Enfans : ensuite Leurs Majestez eürent une conference secrette ensemble l’espace d’une heure, dans la quelle on entendoit de temps en temps des paroles fort touchantes qui faisoient voir la grande amitié qu’ils avoient l’un pour l’autre. Dans ce temps Madame de Vendôme tenoit M gr . le Duc d’Anjou qui se mit à gronder de ce qu’il n’y avoit pas une de ses Femmes de chambre avec luy ; on fut obligé de le renvoyer dans la Galerie par Antoine à Madame de la Falaine sa gouvernante, faisant trop de bruit au Roy. La conference de leurs Majestez estant finie, M r . de Meaux et le Pere Dinet entrérent dans la chambre et disposérent Sa Majesté à recevoir le Saint Sacrem t encore une fois, l’ayant trouvée dans la disposition d’une Ame tout à fait chrêtienne et résignée à la volonté de Dieu, leur ayant dit mille belles choses sur ce sujet. M r . de Meaux alla à Paroisse querir le Saint Sacrement avec tout le concours de Clergé, la Reyne et les Enfans, avec les Princes et les Princesses et toute la Cour : on peut dire que Sa Majesté le receut avec une dévotion tout exemplaire. Et peu de temps aprés on fit sortir tout le monde : Sa Majesté voulut estre seule, ayant demandé son petit Pupitre dont elle se servoit quand elle vouloit lire dans le Lit et reciter ses Priéres qu’elle avoit composées, intitulées : Vera Chistianae Pietatis Officia Per Chistianissimum Regem Ludovicum Decimum Troitium ordinata : qu’elle recita pendant l’espace d’une bonne demye heure. Sa Majesté sçavoit par cœur tous les Offices qui se disent journellement chaque jour de la Semaine qu’elle disoit avec l’office votif tous les Lundis et celuy des morts <?page no="209"?> QUAND LES ROIS MEURENT 197 tous les Vendredis au soir, quelque affaire qu’elle eüst pour demander à Dieu la grace de bien mourir. Tout le reste du jour se passa en tristesse. Le Samedy 9 e jour de May le Roy se trouva plus mal à son réveil, ayant esté fort inquiet toute la nuit, s’estant fait changer plusieurs fois de place, n’en trouvant point de bonne, ce qui estoit un méchant augure, et ne voulant plus prendre aucun aliment qu’à force de priéres. Toute la matinée se passa ainsi. L’aprés midy il prit au Roy un grand assoupissement qui dura jusques à onze heures du soir, sans se réveiller, dont les Medecins n’estoient pas contents, à cause de sa trop longue durée. On faisoit mesme bien du bruit, dans la chambre pour pouvoir l’éveiller, et on luy tastoït souvent le poux qu’on luy trouvoit tres-foible et intermittent, ce qui leur fit prendre la resolution de l’éveiller, ayants peur qu’il ne mourust dans ce sommeil. Mais il fut question de prendre la commission de l’éveiller, que chacun refusoit, mesme la Reyne et les Princes, qui la donnerent au Pere Dinet son Confesseur, qui aussi tost s’approcha du lit du Roy en disant fort haut par trois fois : Sire, vôtre Majesté m’entend-elle ? qu’elle se réveille s’il luy plaist : il y a bien du temps qu’elle n’a pris d’aliments, et les Medecins ont peur que cela ne vous affoiblisse trop. À ces paroles le Roy se reveilla comme en sursaut, et dit d’un esprit assez tranquille : Je vous entends bien, Mon Pere et ne trouve pas mauvais que vous m’ayez éveillé ; mais ceux qui vous l’ont fait faire, n’ont pas raison de m’avoir fait éveiller. Et haussant sa voix ; Ils sçavent bien qu’il y a du temps que je me repose point les nuits, à présent que j’estois en repos et que je sommeillois fort bien, ils m’ont tourmenté et rompu mon sommeil. Il s’adressa au S r . Bouvard son premier Medecin, luy disant : C’est par vôtre ignorance l’estat ou je suis maintenant de m’avoir accablé de remedes qui m’ont ruiné le corps tant en santé qu’en maladie. J’avoüe que j’ay eü le malheur des Grands, de m’estre fié à la contuite et à l’ignorance des Medecins, et au hazard de leurs remedes, qui m’ont reduit en l’estat où je suis, quoyque je les aye accables de mes bienfaits pour me défaire de l’importunité ordinaire aux Medecins. <?page no="210"?> FRANCIS ASSAF 198 Sa Majesté dit ces paroles avec beaucoup de chaleur, n’ayant pas la parole fort libre naturellement, et l’ayant encore beaucoup affoiblie de sa maladie, en telle façon qu’elle avoit le visage enflammé et les yeux étincelants ayant eü peine à s’exprimer. C’est ce qui obligea le Pere Dinet son Confesseur de luy dire : Ah, Sire, il faut pardonner pour l’amour de Jesus Chist qui a pardonné à ses Ennemis ! À ces paroles le Roy s’appaisa un peu de temps, et dit : De toute mon ame je luy pardonne, Mon Pere, mais il falloit que je dechargeasse mon cœur, afin qu’il y prenne garde à l’avenir. Il dit encore plusieurs choses assez fascheuses contre le S r . Bouvard, que j’ay bien voulu taire icy, pour les laisser dans l’oubly, aux quelles le Pere Dinet repondit qu’il n’y falloit plus songer, Cela luy avoit causé de l’emotion, ce qui luy donna le soir un petit frisson. Madame d’Elbeuf 320 et Madame sa Fille 321 eürent une petite conference avec Sa Majesté, qui leur dit des paroles fort obligeantes dans leur conversation, qui fit plaisir au Roy, luy ayant fait passer son frisson sans qu’il s’en apperceüst. Sur les dix heures du soir il s’endormit pendant la lecture. Le Dimanche 10 e jour de May Sa Majesté se trouva assez bien à son réveil : on luy fit prendre de la Gelée fonduë pour luy humecter la poitrine qui estoit fort séche et alterée par une espece de Fiévre interne que le Roy avoit souvent. Toute la matinée se passa assez doucement. La Reyne ne le quittoit point que fort peu : la quelle l’ayant prié de vouloir prendre à midy une petite panade, ce qui’il luy accorda, en lui disant : Madame, je le veux bien pour l’amour de vous : on la fit apporter aussi tost ; il en prit quelques cuillerées qui le firent vômir beaucoup d’eaux, avec de si grands efforts qu’il fallut luy soutenir la teste fort long temps, l’ayant mesme bien affoiblie : c’est ce qui commença à faire désesperer de sa santé. Sur les trois heures du soir Sa Majesté appella la Reyne, luy disant : Madame, j’ay résolu de faire mon Testament encore que je sois bien persuadé que vous executerez ponctuellement ma derniere volonté sans qu’elle soit écrite. Elle ordonna à M r . de Souvray d’envoyer Antoine chercher M r . de la Vrilliere Secretaire d’Estat pour le 320 Catherine-Henriette de Bourbon, duchesse d’Elbeuf (1596-1663). 321 Marie-Marguerite-Ignace (1629-1679). <?page no="211"?> QUAND LES ROIS MEURENT 199 dresser : estant arrivé il s’enferma avec Sa Majesté et le Pere Dinet quelque temps, leur ayant ordonné de le cacheter et le garder jusques aprés son decés pour le mettre au jour, par le quel Testament il est fait mention qu’entre autres-choses il donne cent mille Escus pour estre distribuez à ses Officers pour recompense de leurs services, et quelques Legs pieux qu’il a faits et particulierement à l’Eglise de Saint Germain en Laye, pour dire à son intention à perpetuité un service des Morts le jour de son decés toutes les Années, et donne aussy quelque recompense à quelques uns de ses officiers. Toutes ces choses ne se passérent pas sans que le Roy n’eust quelque émotion interne de douleur, ne le pouvant mesme si bien cacher que l’on ne s’en apperceüst, ayant fait lever les Rideaux de son lit pour respirer un peu d’air ; il avoit sur le visage un vermeil qui luy estoit extraordinaire, Sa Majesté demeura seule avec la Reyne et Messieurs les Enfans, qui les entretenoit sur son estat avec des paroles qui tirérent des larmes de toute l’Assemblée, de maniére qu’il falloit emporter la Reyne outrée de douleur. La parole ayant manqué à Sa M té quelque temps et ne se pouvant plus exprimer que par des signes de la main, enfin l’on peut dire que la douleur estoit reciproque du Roy et de la Reyne qui s’aimoient uniquement. On fit sortir tout le monde d’extraordinaire, n’ayant demeuré prés de Sa Majesté que ses pauvres Officiers tous désolez elle demanda M r . de Meaux et le pria de vouloir bien faire une petite lecture, ce qu’il fit jusqu’à minuit que Sa M té s’endormit. Le Lundy xi e jour de May le Roy se trouvant plus mal, ayant des inquiétudes continuelles et de grandes foiblesses qui la prenoient fort souvent, ne voulant absolument plus prendre aucun aliment, c’est ce qui fit désesperer entiérement les Medecins de cette maladie et leur fit prendre la resolution de faire recevoir au Roy le Saint Sacrement de l’Extrême onction, ayants peur qu’il ne survint quelque accident nouveau. M r . de Souvray envoya aussitost Du Bois Valet de chambre en avertir la Reyne et luy dire qu’il luy falloit passer par le Cabinet du Roy à cause d’une grande foule de monde qui s’estoit renduë chez luy sur le bruit qu’il estoit mort. À cette nouvelle la Reyne accourut aussitost, ayant passé par la Salle des Gardes avec M essgrs les Enfans et leur gouvernantes, portez par les Huissiers de la chambre sur les bras à <?page no="212"?> FRANCIS ASSAF 200 cause de la grande presse, pour éviter d’estre blessez : on les fit entrer dans le Cabinet. La Reyne estoit demeurée seule dans la presse, n’ayant voulu attendre personne, et crioit : Messieurs, faites moy place s’il vous plaist, À cette parole M. le Duc d’Uzés 322 son chevalier d’honneur la joignit et la fit passer avec bien de la peine. Ayant esté droit au lit du Roy elle l’embrassa en retenant ses larmes le mieux qu’elle pût afin de ne point fascher Sa Majesté. M r . de Meaux et le Pere Dinet préparerent tout ce qu’il falloit pour le Sacrement de l’Extrême onction. Sa Majesté le receüt avec une dévotion toute particuliére, répondant à toutes les Priéres que l’on a coustume de dire, et se découvrant elle mesme les endroits où il falloit luy apposer les Saintes Huïles, faisant mesme des élevations d’esprit, en levant les yeux au Ciel, disant : Seigneur, que vôtre volonté soit faite ! Dans ce mesme temps M r . de Ventadour 323 Chanoine de Nostre Dame de Paris, qui estoit un Homme d’une grande piété, eüt une grande conference secrette avec Sa Majesté, et s’estant retiré avec les larmes aux yeux de voir un si grand Roy si bien résigné à la mort et prest à quitter son Royaume avec si peu de chagrin. La Reyne y estoit toûjours presente, maïs elle fut obligée de se retirer dans son Appartement, pour donner cours à ses larmes, ne les pouvant plus retenir en presence du Roy, de peur de l’affliger. Tout le reste de ce jour se passa dans la tristesse. Sur le soir il prit au Roy un vômissement tres-violent qui luy dura jusques à dix heures du soir qu’il s’assoupit pour un temps. Le Mardy 12 e May Sa Majesté se trouva fort affoiblie, et la Fiévre s’augmentant toûjours de plus en plus, on luy donna un peu de gelée fonduë dans un verre courbé par le bout qu’on luy mettoït dans la bouche sans luy lever la teste, ayant tout le corps si douloureux et si décharné, qu’on ne le pouvoit plus toucher sans luy faire du mal. Sur le midy le Roy demanda au S r . Bontemps si la Reyne estoit chez elle, et luy ayant répondu qu’elle estoit à la Messe, il luy dit d’aller la trouver et qu’aprés la Messe elle amenast avec elle 322 1581-1657. On peut consulter le site http: / / nemausensis.com/ Gard/ Uzes/ EmmanuelDeCrussol.html. 323 Henri de Lévis, 13 e duc de Ventadour (1596-1680). Entre dans les ordres en 1625. En 1650, il devient chanoine de Notre-Dame, c’est-à-dire bien après la mort de Louis XIII. <?page no="213"?> QUAND LES ROIS MEURENT 201 M essrs . les Enfans, voulant leur donner sa derniere benediction. Il ne le faut pas étonner si cette nouvelle redoubla l’affliction de cette pauvre Princesse qui arriva aussitost, et luy présenta ses deux beaux Enfans tout éplorez qui ne se pouvoient exprimer que par leurs pleurs. C’est en cet endroit que l’on ne peut trop admirer la constance et fermeté du Roy, et avec quelle joye il leur donna sa benediction en disant : Mes Enfans, je prie le Seigneur qu’il vous benisse et qu’il vous ait en sa sainte garde. Il leur dit encore plusieurs belles choses sur la maniére de leur vie à l’avenir, ce qui toucha si fort ces deux chers Enfans, qu’ils se mirent à pleurer et gémir en telle sorte que Sa Majesté fut obligée de faire signe de la main de les oster de sa veuë, ne pouvant plus leur parler de douleur qu’elle avoit de les voir si touchez. Sur le soir il demanda au Pere Dinet son Confesseur où estoit le S r . Bouvard son premier Medecin, et pourquoy il le voyoit si peu ? Et luy, ayant répondu qu’il estoit présent, mais qu’il n’osoit paroître devant Sa Majesté de peur de luy déplaire, il l’appella aussitost et luy dit : Monsieur, je vous pardonne de bon cœur, et suis fasché de vous avoir donné quelque chagrin. Puis il luy donna sa main à baiser, et demanda s’il n’y avoit plus de remedes à luy faire, et si ce seroit cette nuit suivant qu’il mourroit ? Le S r . Bouvard luy répondit qu’il ne le croyoit pas à moins qu’il n’arrivast quelque chose d’extraordinaire, et que pour des remedes, il n’en sçavoit plus à luy faire, estant trop foible pour les pouvoir supporter. Dans l’instant le Roy leva les yeux au Ciel disant : Mon Dieu, faites-moy misericorde, et donnez moy la grace de bien mourir. Le Pere Dinet qui estoit présent luy dit : Sire, il ne faut pas douter de la misericorde de Dieu, il faut avoir de la fermeté et de la confiance en Jesus Christ. À ces paroles Sa Majesté dit : Mon Pere, est-ce que vous croyez que j’apprehende la mort ? non, ne le croyez pas, car je m’y suis bien préparé dés le commencement de ma maladie, ayant souvent demandé à Dieu la grace de bien mourir, ce que j’espere qu’il m’accordera en supportant de bon cœur les souffrances qu’il voudra bien m’envoyer pour l’expiation de mes pechez : et vous prie, mon Pere, de me mettre en estat d’en meriter le pardon. Le Pere Dinet et les Medecins luy dirent qu’ils ne voyoient pas que ce fust pour sitost, <?page no="214"?> FRANCIS ASSAF 202 et qu’il y avoit encore de l’esperance, pourveu que Sa Majesté voulust prendre quelque peu d’aliments pour luy donner des forces. On luy présenta un Bouillon en forme de panade, qu’elle eut bien de la peine à prendre, s’estant mesme fait violence. Sur le soir Sa Majesté dit à la Reyne qu’elle mourroit contente d’avoir fait toutes choses avec un si grand repos d’esprit, que Dieu luy avoit fait bien de la grace de luy donner si sain. En effect, car Sa Majesté l’avoit comme en pleine santé : Elle fit venir M esgrs . les Enfans pour luy tenir compagnie, leur disant toûjours qulque chose de morale : dans cette conversation le Roy s’endormit, les Rideaux tirez, la bouche ouverte, et les yeux tout tournez de travers, ce qui donna fort mauvaise opinion et allarma tout le monde, voyant que Sa M té diminuoit à veuë d’œil et qu’elle n’iroit pas loin, chacun se lamentoit de son costé de voir le plus Grand Roy du Monde mourir sans pouvoir luy donner secours, et estoit surpris de le voir quitter son sceptre avec une si grande constance, et regarder sa couronne avec un si grand mépris. Sa Majesté fut assoupie toute la nuit. M r . de Vendome arriva, le quel luy parla un peu de temps en particulier, et l’on fit aprés sortir tout le monde de la chambre pour la rafraischir, y faisant tres-chaud. M r . de Vivonne 324 remena M gr . le Dauphin, en luy faisant plusieurs questions, entre autres s’il avoit bien remarqué en quelle posture estoit le Roy quand il dormoit, afin qu’il s’en ressouvint quelque jour ? il luy répondit en soupirant et les larmes aux yeux, qu’il l’avoit bien remarqué, et que son bon Papa avoit la bouche de travers et l’œil gauche plus tourné que le droit. Cette remarque surprit fort M r . de Vivonne et Mad e de Lanzac sa gouvernante qui luy dit de n’en plus parler, parce que cela l’affligeroit trop. On le remena dans son Appartement. Pendant ce temps le Roy s’estoït réveillé, et s’entretenoit avec M. le Prince, luy disant : Je viens de réver que M. le Duc d’Enguien vôtre Fils en estoit venu aux mains avec les Ennemis, que le combat avoit esté bien rudes et opiniatré et que la Victoire avoit esté long-temps balancée, cependant elle nous est demeurée avec le champ de bataille. M. le Prince luy dit que cela pouvoit bien arriver, et en effect cela arriva ainsy, car 324 1600-1675, père de Françoise-Athénaïs de Rochechouart-Mortemart (Mme de Montespan 1640-1707), favorite de Louis XIV. <?page no="215"?> QUAND LES ROIS MEURENT 203 peu de temps aprés qui fut le 19 e May ensuivant, La bataille de Rocroy se donna et Monsieur le Duc la gagna. Sur le soir Sa Majesté se r’assoupit jusqu’à dix heures du soir, dont les Medecins n’estoient pas contents, l’ayant trouvé dans ce temps fort froid, ayant peur que ce ne fust le froid de la mort, ce qui les allarma, ne connoissants plus rien à la maladie du Roy. La Reyne estoit dans des inquiétudes continuelles de les voir si embarassez : elle vouloit passer la nuit auprés de son cher Mary, mais M r . de Souvray la voyant si saisie de douleur la pria de ne point veiller et l’asseüra qu’il luy feroit souvent sçavoir des nouvelles de Sa Majesté. Elle se laissa gagner à ses raisons, et il la conduisit à son Appartement éclairée par Antoine Garçon de la Chambre. Sur les deux heures l’inquiétude ayant pris à la Reyne, ellen envoya Mademoiselle Filandre 325 sa premiére Femme de Chambre pour sçavoir l’estat de Sa Majesté. Elle vint dans la chambre du Roy, et s’estant approchée de son lit doucement pour écouter s’il dormoit, elle l’entendit remuer. Le premier valet de chambre tirant les rideaux du lit, dit : Sire, il semble que la Reyne soit en peine de sçavoir l’estat de la santé de votre Majesté auparavant que de s’endormir, voila Mademoiselle Filandre qu’elle a envoyée. Le Roy se retourna et luy dit qu’il se portoit comme un Homme qui mourroit bien tost, puisque c’estoit la volonté de Dieu. La Demoiselle fut rendre réponse à la Reyne, non pas de la mesme maniére, car elle l’auroit bien faschée. Sur les trois heures du matin le Roy se plaignit fort d’un grand mal de côté gauche qui l’oppressoit fort ; ce qui l’obligea de dire : Mes Amis, je croy que si la toux me prenoit à présent avec ce mal, je n’y pourrois pas resister, je mourrois sur l’heure. On luy mit sur le côté pour luy donner quelque soulagement, des vessies de Porc rem- 325 Peut-être une des filles d’honneur d’Anne d’Autriche, avec le titre de Première Femme de Chambre. Notons cependant qu’elle n’est pas mentionnée dans le texte « La Maison d’Anne d’Autriche (1663) » Extrait de Nicolas Besongne L’Estat de la France, nouvellement corrigé et mis en meilleur ordre (…). Paris : E. Loyson, 1663, 2 vol. ; vol. 1, p. 253-304. Publié en ligne par le Centre de recherches du château de Versailles Notons toutefois l’écart de 20 ans entre ce texte et les événements dont parle le journal de Jacques Antoine. <?page no="216"?> FRANCIS ASSAF 204 plies de Lait chaud, qui ne le soulagérent pas grandement ; la douleur augmenta plustost que de diminuer, n’ayant aucun repos, se plaignant à tout moment, et se tourmentant si fort, qu’il luy prit un vômissement si grand qu’il fallut que deux garçons de la Chambre, Riviere et Antoine, luy tinssent la teste, et Du Bois Valet de Chambre le Bassin, dans lequel il rendit beaucoup d’eaux pendant une bonne heure avec bien des efforts, aprés il prit un petit sommeil au Roy, n’ayant point reposé cette nuit, disant à tout moment : Mon Dieu, donnez moy de la patience pour souffrir constamment pour l’amour de vous. Le Mercredy 13 e de May le Roy fut comme desesperé des Medecins, ne sçachant plus de remedes à luy faire pour le soulager dans ses douleurs qui s’augmentoient dans toutes les parties de son corps, et ne pouvant plus prendre rien qu’avec de la peine : le matin on luy donna un peu d’orge mondée qu’il prit à la priere de ses pauvres Officiers qui estoient tous en pleurs et consternez, leur disant : Mes Amis, ne vous attristez pas tant, car vous me faites bien de la peine, je ne trouve pas mauvais que vous pleuriez, c’est une marque que vous m’aimez dont je suis persuadé, mais cela m’afflige trop de vous quitter sans vous avoir fait beaucoup de bien, j’espere que mon Fils le fera, ainsy que je l’ay recommandé à la Reyne, je prie Dieu de vous consoler. Il leur dit encore plusieurs choses fort obligeantes, et qu’il estoit tres-content de leurs services. Sur les dix heures on fit prendre au Roy une Portion [sic] cordiale que la Reyne luy donna elle mesme qu’il voulut bien prendre à sa consideration, elle luy fortifia l’estomach et l’empescha de vômir pour quelque temps. Sur le midy Sa Majesté se trouva dans une grande défaillance de toutes les parties de son corps, tous les maux s’y augmentoient en telle façon que l’on ne croyoit pas que Sa Majesté deust passer la journée. Estant un peu revenuë de cette deffaillance, ou pour mieux dire de l’évanouïssement, on luy presenta un Bouillon qu’elle refusa absolument, disant : Mes Amis, je n’en ay plus que faire, il faut mourir, puis tourna sa teste vers la ruelle de son lit, pour ne pas voir la Reyne, Ses Enfans, et tous ses Officiers qui estoient percez de douleur. Un peu aprés le Roy appella la Reyne, et luy <?page no="217"?> QUAND LES ROIS MEURENT 205 parla un peu de temps en particulier avec bien de la tendresse, ce qui augmenta si fort la douleur de cette pauvre Princesse, que l’on fut obligé de l’emmener chez elle. Sa Majesté ordonna au Pere Dinet son Confesseur de faire une lecture dans les Meditations et Reflexions Morales : à chaque chapitre Sa Majesté faisoit faire une pose, pendant la quelle elle reflechissoit faisant des soupirs meslez de larmes que l’on voyoit decouler de ses yeux, et qui faisoient connoistre sa grande résignation à la volonté de Dieu. Sur les deux heures la Reyne amena M essgrs les Enfans pour voir Sa Majesté qui les demandoit à tout moment pour converser avec eux : Y ayants esté jusques à quatre heures, le Roy les renvoya dans la Galerie se promener ; où estant avec leurs gouvernantes, et le S r . Du Pont Huissier de la Chambre qui les portoit disant à Monseigneur le Dauphin par forme de conversation : Monseigneur, si Dieu disposoit du Roy vôtre bon Papa, voudriez vous bien estre Roy en sa place pour regner ? Ce petit Prince repondit les larmes aux yeux : non, je ne le veux pas estre, et ne veux pas que mon bon Papa meure, car s’il mouroit, je me jetterois dans le fossé. Cette réponse surprit bien toute la compagnie : il ne pouvoit exprimer sa douleur que par cette action : c’est ce qui fit dire à Madame de Lanzac, sa Gouvernante ; il ne luy en faut plus parler, il me l’a dit aussi deux fois ; parceque si par malheur, il s’estoit trouvé seul, il auroit donné de la peine et depuis ce temps elle ordonna de ne le point abandonner ny quitter, et de le tenir toujours par les cordons. Pendant ce temps le Roy eüt un petit sommeil jusques à six heures : il s’éveilla fort inquiet et demanda la Reyne et ses Enfans, voulant encore une fois leur donner sa benediction, voyant qu’il diminuoit toujours ; aussitost la Reyne y arriva avec Messeigneurs les Princes, et s’estant jettez à genoux, Sa Majesté retenant ses larmes de peur de faire encore de la peine au Roy, il leur donna sa benediction avec des sentiments dignes d’une Ame aussi chestienne que la sienne, leur ayant fait une exhortation toute pleine de douceur, en présence de tous les Princes, Princesses et de toutes les Personnes de la Cour. Sur le soir Sa Majesté voulut estre seule avec ses Domestiques, et M rs . les Evesques de Meaux et de Lizieux, les Peres Dinet, de Ventadour et Vincent, qui la voyoient toujours diminuer. l’exhortoient à combattre pour <?page no="218"?> FRANCIS ASSAF 206 l’Eternité ; entre autres, le Pere Dinet luy fit un discours fort consolant à peu prés en ces termes : Sire, les souffrances et les maladies doivent estre regardées par les Chrestiens comme autant de faveurs de la misericorde de Dieu, par les quelles il purifie ses Esleus dans le temps, pour les rendre dignes de l’Eternité. Votre Majesté ayant souffert avec autant de patience les douleurs d’une si longue maladie, n’a t’elle pas lieu de tout esperer de cette Misericorde, qui ne l’a frappée icy-bas que pour la détacher du Monde, luy découvrir le néant des Grandeurs humaines, et la préparer à quitter genereusement une Couronne perissable pour en acquerir une immortelle ? Ce sont là, Sire, les desseins de Dieu sur vôtre Majesté, qui a voulu luy épargner par de longues souffrances les peines qu’il faut endurer dans le Purgatoire pour se purifier de ses fautes avant que de pouvoir entrer dans le Ciel, voilà quelle doit estre l’esperance et la consolation de votre Majesté. Alors le Roy luy repondit : Mon Pere, je m’estimerois bien heureux si le Seigneur ne me laissoit qu’une centaine d’années en Purgatoire, et croirois qu’il me feroit une grande grace. Ce discours fut interrompu par la Reyne qui y arriva dans ce moment : elle ne bougeoit du chevet du lit du Roy jour et nuit, et n’en sortoit que lors qu’il falloit vuider le Bassin qu’il avoit toujours sous luy, et quelquefois elle vouloit y demeurer, quoyque cela rendoist des exhalaïsons assez mauvaises, les souffrant avec une patience incroyable, le Roy estant mesme obligé de la faire sortir, luy disant : Madame, je vous prie de passer dans mon Cabinet, pendant que l’on me changera, car on sent trop mauvais prés de mon lit. C’est ce qui obligea Du Bois, Valet de Chambre de présenter à la Reyne une petite Bouteille d’Essence de Jassemin, qu’elle prit et qu’elle trouva tres-bonne, en usant tres-souvent, estant une Princesse la plus propre du Monde. Un peu aprés le Roy tomba dans une maniére de foiblesse ou assoupissement, dans le quel on l’entendoit parler des Medecins qu’il avoit dans la pensée d’estre cause de sa mort, car estant revenu de cet assoupissement il dit au S r . Bouvard : Je vous pardonne de bon cœur, vous avez fait ce que vous avez pû, mais il ne falloit point me donner tant de remedes qui m’ont ruiné les entrailles, dont je m’apperçois bien à présent : Enfin j’ay eü le malheur des Grands de m’estre laissé gouverner par la Medecine. Il dit <?page no="219"?> QUAND LES ROIS MEURENT 207 encore plusieurs choses que l’on avoit peine à entendre, ayant la voix fort basse, qui ne paroissoient pas fort des-obligeantes, se repentant mesme de luy avoir donné quelque déplaisir pendant le cours de sa maladie, et à ses officiers, leur disant des paroles fort obligeantes. Sur le minuit le Roy se trouva fort mal et retomba dans son assoupissement avec des reveries continuelles, ce qui avoit fait qu’on luy avoit mis dessous la teste des petits oreillers remplis de folle paille d’Avoine, pour la luy rafraïschir, mais s’estant tourmenté il les avoit fait déranger, ce qui luy avoit fait pancher la teste, et ses épaules estoient sorties hors du lit avec une partie du corps qu’il ne pouvoit plus remuer de foiblesse, estant presque mort : c’est ce qui l’obligeoit à se tourmenter souvent, ne pouvant se tenir longtemps dans une situation et de dire qu’on luy aidast on le prenoit à deux par-dessous les bras: ce qui fut fait souvent par Antoine et Tortilliere Garçons de la Chambre, en qui Sa Majesté avoit beaucoup de confiance, la changeant de place à tout moment et demandant l’heure qu’il estoit, et s’il seroit bien tost jour. La Reyne estoit demeurée dans un Fauteuil, n’ayant pas voulu s’en aller chez elle : ce qui obligoit M r . de Beaufort et M r . de Souvray qui estoient à se reposer sur une paillasse de la prier de s’aller reposer, estant si fatiguée et si outrée de douleur qu’elle n’en estoit pas reconnoissable, elle les creüt avec de la peine alla se reposer, et les chargea de luy faire souvent sçavoir des nouvelles du Roy. Sur les six heures du matin Sa Majesté appella le S r . Courat l’un de ses Medecins, luy disant : Monsieur, tirez-moy le bras que j’ay dehors du lit, ne disant point le sujet pour quoy il le luy falloit tirer, ce que le S r . Courat fit pour la contenter, et depuis elle ne retira plus son bras dans le lit. Sa M té estant for inquiette demanda au S r . Bontemps quelle heure il estoit et le quantiéme du Mois. Luy ayant dit qu’il estoit sept heures et le Jeudy 14 e du mois de May, Jour et Feste de l’Ascension, le Roy se retourna vers les Medecins leur disant : Messieurs, croyez-vous que je puisse aller jusques à demain, car je serais bien aise d’y aller, si c’estoit la volonté de Dieu car le Vendredy m’a esté bien souvent heureux, y ayant gagné plusieurs victoires. Les Medecins luy ayant dit qu’ils n’en estoient pas assurez, ils le considerérent de tous <?page no="220"?> FRANCIS ASSAF 208 côtez et l’ayant trouvé en tres-méchant estat ils dirent que si son redoublement le prenoit bien violemment, il y auroit à craindre qu’il ne peüst y resister, n’ayant pas assez de force pour pouvoir le supporter. Sa Majesté ordonna que l’on ouvrist les rideaux de son lit et les fenestres de sa chambre pour avoir un peu d’air. Aussitost on s’apperceüt que sa veuë paroissoit égarée ce qui fit croire que Sa Majesté defailloit, et que la nature luy manquoit. Elle demanda la Messe, où il ne se trouva pas beaucoup de monde, estant dite du matin, ce qui n’estoint pas accoustumé. C’est en cet endroit que l’on remarqua la grande résignation que Sa M té avoit. Aprés que la Messe fut dicte, elle fit lire le S r . Lucas dans la Vie de Jesus Christ mise en François par le Pere Bernardin de Gesvres de Montreuil 326 ; pendant icelle lecture le Roy sommeilla un peu, estant fort fatigué, et dans iceluy sommeil on l’entendoit parler à M r . de Souvray de ses Medecins qu’il avoit beaucoup dans l’esprit depuis qu’il avoit querellé le S r . Bouvard. Sa Majesté estant revenuë de ce petit sommeil, la toux la prit, ce qui obligea de luy donner un verre de petit Lait, ainsy qu’on avoit accoustumé pour luy rafraischir la poitrine : il le prit avec bien de la peine, à la priére de la Reyne et de ses Officiers ; ce qui le pensa mesme suffoquer, car luy ayant levé la teste pour le faire boire plus commodément, etant dans une posture assez contrainte, le Roy perdit haleine, comme s’il avoit esté évanoüy, et auroit rendu l’esprit si on ne l’avoit remis aussi tost : et ayant esté en cet estat l’espace d’une demie-heure sans pouvoir parler, aprés estre revenu il dit : Je me sens bien mal. S’ils ne m’eussent remis promptement, j’aurois expiré. Et appellant tous ses Medecins s’adressa au S r . Bouvard, en disant : Messieurs, c’est à présent qu’il ne me faut plus rien déguiser dites-moy, vôtre sentiment sur mon estat. Le Sieur Bouvard luy ayant tasté le poux, luy dit la larme à l’œil ; Je croy, Sire, que ce sera bien tost que Dieu délivrera Votre Majesté des peines de ce Monde, ne luy trouvant plus guere de poux. À ces paroles le Roy dit sans s’émouvoir les yeux tournez vers le Ciel : Mon Dieu, recevez moy à misericorde, et joignant les mains pria Dieu avec une ferveur digne d’exemple, et haussant sa voix il dit : Seigneur, que votre volonté soit faite, 326 De la Compagnie de Jésus (1596-1646). <?page no="221"?> QUAND LES ROIS MEURENT 209 je suis prest à souffrir tout pour l’amour de vous et pour la remission de mes pechez. Il se tourna vers Messieurs de Meaux et de Lizieux, le Pere de Ventadour, le Pere Dinet et autres Ecclesiastiques qui estoient présents, leur disant : Messieurs, je vous prie de ne point m’abandonner dans cette occasion où il va de mon salut, et de m’entretenir sur les jugements de Dieu qui sont terribles pour les Pecheurs. Puis Sa Majesté appella M r . de Meaux et M r . de Souvray et leur dit : Messieurs, il est temps que je fasse mes derniers adieux, faites venir tous mes pauvres Officiers, afin de ne plus songer aux affaires temporelles de ce Monde, mais à ceux [sic] de l’Eternité. La Reyne y estoit dans un estat à faire compassion, elle se jetta sur le lit du Roy l’embrassant les larmes aux yeux si tendrement, que l’on fut obligé de l’en arracher de force : M r . de Souvray l’emmena en son Appartement, faisant des cris que l’on entendoit de tous cotez, le Roy luy ayant demandé pardon s’il luy avoit pû donner quelque chagrin. Le Roy continua ses adieux à ses Enfans, aux Princes, aux Ministres, à ses pauvres Officiers tant de sa chambre, que de sa Garderobe, Goblet, et Bouche et autres qui s’y estoient trouvez, et leur reïtérant qu’il estoit fasché de ne leur avoir pas fait tant de bien qu’ils le meritoient pour les bons services qu’ils luy avoient rendus, dont il estoit très content. L’on peut faire icy une reflexion pour les Grands Seigneurs de ne pas attendre à la mort à recompenser leurs Domestiques, ou laisser à d’autres cette commission. Cependant le Roy estoit tombé dans ce cas pour ses Officers. Il tira sa main hors du lit, qu’il leur ordonna de baiser, l’un aprés l’autre, ils la moüillerent de leurs larmes. Sa M té fut fort sensible de les voir si touchez : il leur retira sa main et se retourna d’un autre costé et peu de temps aprés il demanda où estoit la Reyne et M essgrs ses Enfans, qu’il les vouloit encore voir une fois, on en fut aussitost avertir la Reyne qui les amena outrée de douleur. Le Roy luy dit plusieurs choses importantes, et entre autres qu’elle eust bien soin de l’éducation de ses Enfans ; et aux Princes, qu’ils eussent bien du respect pour la Reyne ; il leur fit quelques discours et remonstrances pour l’avenir, et leur recommanda de se ressouvenir de luy, ce <?page no="222"?> FRANCIS ASSAF 210 qui les fit pleurer, en disant que ouy, cela fit bien de la peine au Roy, il les fit retirer et il fallut emporter la Reyne s’estant évanoüie de tristesse. L’heure de midy estant arrivée, le Roy fit approcher de son Lit M rs . les Evesques de Meaux et de Lizieux, les Peres de Ventadour et Dinet son confesseur, qui ne le quittérent qu’aprés sa mort, ils se mirent tous à genoux et priants Dieu avec Sa Majesté qui leur dit : Quand vous verrez le temps de l’agonie, vous reciterez les Priéres que j’ai marquées dans mon grand Livre que vous tenez. La Chambre du Roy estoit si pleine de monde que l’on y étouffoit de chaleur, en telle façon que Sa Majesté estoit obligée le plus souvent de dire, Messieurs, donnez moy un peu d’air, en faisant signe de la main, n’ayant plus la parole si libre que l’esprit et le jugement, qu’elle a eü jusqu’au dernier moment de sa vie. Sa Majesté avoit les rideaux de son lit ouverts, estant sur son séant, appuyée sur un oreiller, les bras dehors : ayant esté un peu de temps ainsy, l’heure de l’agonie arriva : on s’apperceut que sa bouche et ses levres palissoient, que ses yeux se broüilloient, que son teint blanchissoit et devenoit pasle, ce qui obligea le Pere Dinet de dire : Sire, ayez de l’esperance en la misericorde de Dieu, il vous l’accordera. À ces paroles le Roy se réveilla un peu, et luy dit tout bas : Mon Pere, il me vient des pensées dans l’esprit qui me font peine à combattre ! Le Pere Dinet luy ayant répondu : Ah, Sire, Votre Majesté est dans le fort du combat, il faut résister pour gagner la victoire qui vous attend dans le Ciel, méprisez vos Ennemis, ils ne pourront vous faire aucun mal : Vous nous voyez et tous vos Peuples qui prions Dieu pour vous aider dans vos besoins. Sur ce discours le Roy voulut parler à M r . de Meaux, mais la parole luy manqua, et jettant sa veuë sur le Pere Dinet il mit son doigt sur sa bouche ne pouvant plus exprimer ce qu’il vouloit dire : ce que le Pere Dinet dit qu’il croyoit que se signe marquoit quelque bonne vision que Sa Majesté avoit euë, et que par ce signe de doignt il n’en falloit rien dire. Dans ce temps la parole luy manqua tout à fait, et peu aprés l’oüye, où il n’entendoit plus que par signes. Dans ce moment la Reyne s’écria : Messieurs, je suis perduë ! adieu, mon cher Mary ! en faisant des cris qui retentissoient jusques au Ciel, ainsy que faisoient ses pauvres Officiers. M r . le Prince la pria de ne point demeurer là davantage, et l’emmena <?page no="223"?> QUAND LES ROIS MEURENT 211 dans son Appartement outrée de douleur, ne voulant écouter personne pour la consoler. Cependant le Roy estoit toujours dans l’agonie, qui ne parloit, ny voyoit ny n’entendoit, estant sur son séant et soutenu par Antoine et Tortilliere Garçons de la Chambre, la quelle estoit si pleine de monde, qu’il n’y avoit pas moyen de s’entendre, à cause des cris et soupirs que l’on y faisoit, des quels un Officier fut si fort touché qu’il en fut evanouy pendant plus d’une demye heure, dont on ne pût le faire revenir que par le moyen de l’eau benite qu’on luy jetta sur le visage. Messieurs de Meaux et de Lizieux, et le Pere Dinet croient sans cesse aux oreilles du Roy : Vive Jesus et Marie : ayez en eux de la confiance : vous combattez pour le Ciel. À ces paroles il se réveilla un moment en puis se r’assoupit. C’est en cet endroit où l’on peut faire reflexion sur l’estat où estoit ce Prince, souffrant son mal si constamment, et ne se tourmentant aucunement : car on luy voyoit mourir les membres du corps les uns aprés les autres, que l’on réchauffoit à tout moment avec des Linges chauds, Ses jambes commencerent à n’avoir plus de chaleur naturelle, les bras qu’il avoit hors du lit, n’avoient plus de sentiment ; l’estomach n’avoit plus de mouvement. Enfin aprés avoir fait plusieurs hoquets éloignez les uns des autres, on le croyoit passé, n’ayant plus de respiration, mais ayant fait un grand soupir il rendit l’Ame, sans avoir fait aucune contorsion. Ainsy mourut le tres-Pieux et Vertueux Prince Louis XIII dit le Juste et le Victorieux, à deux heures trois quarts aprés midy le Jeudy 14 e jour de May, Feste de l’Ascension, 1643 âgé de quarante deux ans ou environ, ayant regné trente-trois années, estant decedé en pareil jour que Henry IV, son Pere. Aussi tost que le Roy fut décedé, toutes les portes furent ouvertes ; M r . de Meaux lui jetta de l’eau bénie, et luy ferma la bouche et les yeux qui estoient demeurés ouverts et tournez vers le Ciel. Un chacun fit des prières pour luy, et un si grand nombre de gens vinrent jetter de l’eau bénie sur son Corps, qu’en un moment toutes les Cours, et tous les Appartements se trouvèrent remplis de toutes sortes de Peuples, et que l’on avoit peine à pouvoir aborder de la Chambre ; ce qui faisoit mesme un si grand murmure que l’on <?page no="224"?> FRANCIS ASSAF 212 avoit peine à s’entendre, à cause des cris et des lamentations qui retentissoient de tous costez. L’air ne retentissoit aussi que des sons lugubres des Cloches. Enfin l’on peut dire que ce n’estoit qu’un cahos pour la confusion. Sur les quatre heures M r . de Souvray premier Gentilhomme de la Chambre commanda à l’Huissier de faire sortir de la Chambre pour un peu de temps tout les monde, hors les Officiers, pour changer le corps du Roy et le mettre plus proprement, ainsy qu’il l’avoir recommandé devant aue de mourir. Ce qui fut fait promptement par les Valets de chambre et Tapissiers pendant que l’on tendoit les appartments de deüil. On le mit sur son séant dans son lit, le visage découvert, les bras croisez sur l’estomach, et tenant à la main droite un Crucifix de cuivre doré sur de l’Ebeine noire, dont Mademoiselle Filandre lui avoit fait présent. Sa Majesté n’avoit aucune difformité, estant comme si elle avoit dormi. Ce jour toute la Cour fut coucher à Paris, ne restant que les personnes qui estoient nécessaires, comme les Aumôniers et Chappelains pour psalmodier et rester auprès du Corps du Roy, avec les Religieux de plusieurs ordres qui recitoient des Prieres jour et nuit. Le reste de ce jour se passa en confusion et lamentations. Le lendemain Vendredy 15 e de May sur les neuf heures du matin l’ouverture du Corps du Roy fut faite par le S r . Grou 327 chirurgien ordinaire de Sa Majesté, en présence de M r . de Nemours, des Marechaux de Vitry et de Souvray, et de plusieurs Medecins et Chirurgiens de la Cour, avec quelques officiers de la Chambre. L’ouverture en estant faite, on mit le Cœur dans un Bassin sur une Table de Billard qui estoit proche, il estoit fort gros, beau et bien serein : on trouva que les Boyaux estoient tout percez ; et un petit apostheme dans le haut du Mesentere, les intestins ulcérez et a Demy pourris ; les Reins gangrenez, y ayant mesme des petits vers ; moitie du Foye pasle ; la Ratte assez belle ; les Poulmons attachez aux costez, un peu ulcérez, 327 Jean Grou († 1688). Chirurgien de Louis XIII et de Louis XIV. Le Journal des Sçavans du 26 novembre 1714 (p. 582) le répute mort à l’âge de 120 ans. Notons que le journal des frères Antoine (q.v.) ne donne aucun détail sur lui, d’une part et que, de l’autre, en dépit de son mérite scientifique, le Journal des Sçavans est loin d’être exempt d’erreurs, d’exagérations et de contre-vérités. <?page no="225"?> QUAND LES ROIS MEURENT 213 et desséchez ; un amas de méchantes humeurs dans l’estomach, qui renfermoient un gros vers et plusieurs autres petits. Le Rapport estant fait, on embauma le Corps de Sa Majesté, que l’on mit dans un cercueil de plomb, avec une Inscription, qui fut porté à Saint Denis en France, ainsy que l’on a accoutumé de porter les Corps de nos Roys, pour y estre mis en Sepulture : Les Cérémonies des obseques se firent sans beaucoup de pompe, comme il l’avoit ordonné, ainsy qu’elles se sont faites à beaucoup d’autres Roys et Princes, que je n’ay pas voulu décrire icy, comme estant une chose inutile, et n’estant pas mesme de mon dessein. Je diray, pour finir, que le Roy estoit d’une taille médiocre, bien proportionnée, le corps assez menu, fort maigre, le teint brun, les yeux, ainsy que le poil de la barbe et le cheveux noirs plus longs du costé droit, les dents doubles ; le nez long et affilé, la bouche et les Levres belles et vermeilles, les mains et les doigts fort bien faits et proportionnez, la peau des plus blanches : Son Esprit estoit vif, et son humeur prompte ; son parler d’une si grande vivacité, que le plus souvent on avoit peine à l’entendre, à cause qu’il avoit la Langue si longue, et si épaisse, que quand elle estoit sortie de sa bouche, il avoit de la peine à la retirer ; ce qui le faisoit quelquefois rougir, surtout devant les Etrangers. Il avoit beaucoup d’imagination, de mémoire et de jugement ; et néanmoins il se defioit de luy-mesme, et préferoit le sentiment des autres au sien : il estoit adroit à tous les exercices du corps, prudent, vaillant, pieux, chaste, sobre, dissimulé quand il le falloit, modeste et si juste qu’il s’en est acquis le surnom ; bon à ses Domestiques, les récompensant dans sa bonne humeur 328 , chacun suivant leur mérite, qui luy estoit rapporté par des Gents de qualité, et principalement par des Favoris. Sa Majesté estoit brave, dévote au dernier point, mais d’une belle dévotion. Elle recitoir chaque jour son Office, les Vendredi l’Office des Morts tout au long. elle avoit la connoissance de plusieurs Arts, où elle s’estoit fort appliquée, comme la Musique, les Mechaniques ; elle forgeoit et tournoit au Tour : dessinoit et peignoit des Paysages et Portraits, mesme au Pastel : faisoit toute 328 Cette remarque semble bien contredire ce qu’on sait de l’avarice du roi envers ses serviteurs et ses officiers. <?page no="226"?> FRANCIS ASSAF 214 sorte de Filets à prendre du Gibier et à Pescher : chassoit à toutes sortes de Chasses, mesme au préjudice de Sa Santé, comme aussi à la Volerie, qui estoit pour elle un si grand plaisir, que l’on peut dire qu’elle l’aimoit avec trop de passion, luy ayant alteré sa santé en telle façon, que ses jours en ont este beaucoup abrégez par les grandes fatigues qu’elle s’y est données [sic], mesme dans le mauvais temps. Elle aimoit pareillemant les Jardinages et les Bastiments, autant que le temps luy en permettoit la dépense. Enfin l’on peut dire que c’estoit un Prince bien accompli pour toutes ses rares vertus, dignes d’exemple pour Ses Successeurs. Je prie le seigneur de le recevoir dans son Saint Paradis, et de faire régner le Roy son Fils en paix. J’ay esté bien aise pour la consolation de ses bons sujets, d’avoir fait le présent manuscrit de ce qui s’est passé à la maladie et mort de ce bon Roy, avec le plus de fidélité que j’ay pû, ayant este témoin des faits qui y sont rapportez. Je prie le Lecteur d’excuser si les choses n’ont pas este écrites d’un Stile plus élégant, n’estant pas de mon métier d’écrire : ce que j’en ay fait, c’a este seulement pour conserver la mémoire de cette mort dans le cœur de ceux qui liront ce présent Manuscrit. <?page no="227"?> Epitaphe Du Roy Louis XIII D’heureuse Memoire Hic Lodoïcus inest denus ternus que vocatus, Qui titulum liquit duplicis Imperii. Nec tamen hic totus, sola hic sunt ossa ; petivit Coelum Anima, ast Orbem Gloria, Corpus Humum. Interiit Corpus, vivit sed Gloria ; vivit Spiritus : in solo corpore Mors potuit. <?page no="228"?> Le manuscrit des frères Antoine (Jean et François) Journal historique de ce qui s’est passé pendant la maladie et mort dutres-Glorieux Roy Louis Quatorze d’Eternelle memoire et de ce qui s’est fait à l’avénement du Régne du Nouveau Roy Louis quinze son arriére pétit fils, par le sieur Antoine Ecuyer porte arquebuse ordinaire du Roy Inspecteur Général de la capitainerie et maîtrise des Eaux et forests de Saint Germain en Laye En L’année 1715. AVANT-PROPOS En faisant la Rélation exacte de ce qui s’est passé dans le cours de la derniére maladie dont est mort le Roy Louis quatorze surnommé le grand pour ses grandes et héroïques vertus, Nous suivons le récit fidel que le sieur Antoine nôtre pere a fait aussy de la maladie et mort du Roy Louis treize d’heureuse mémoire arrivée a St. Germain en Laye le 14 May 1643. C’est ce qui nous a mesme obligé Et engagé de faire cette Rélation de la maladie et mort de ce grand Roy Louis quatorze, son fils 329 par toute la réconnoissance des bontés que Sa Majesté abienvoulu avoir pour nous et pour aussy 330 Eterniser Sa mémoire a la posterité, ayant eu l’honneur de le servir des son Enfance dans diverses charges de sa chambre Layant Suivy dans tous les voyages que Sa Majesté a faits tant en dédans qu’en déhors de son royaume, Nottament a celuy de son heureux mariage accomplit a St. Jean de Lutz Le quatrieme de Juin 1660 avec la Reyne marie Therese D’Autriche Infante D’Espagne, et plus de vingt campagnes que le Roy a faite a la guerre aux conquestes delafranche conté en 1668. et delapluspart des Villes deflandres et dehollande mesme au passage du Rhin en 1672 et atous les autres voyages que Sa Majesté a faits jusqu’à son deceds arrivé a Versailles Lepremier Septembre 1715. En ayant Esté l’vn des tristes temoins cequi Nous a obligé de faire cette Rélation laquelle nous aparut sy jnterressante dans Lepublic, que ceux qui l’ont veüe et leûe nous ont conseiller et même prié delavouloir faire imprimer ; a quoy nous pourrons bien acquiéscer par la suite, esperant quele 329 Ces deux derniers mots insérés au-dessus de la ligne, d’une main différente. 330 Ce mot est rajouté en fin de ligne. <?page no="229"?> QUAND LES ROIS MEURENT 217 publiq, ne nous scaura pas mauvais gré d’avoir suivy Leurs sentimens et leurs avis. Et en effet si rien n’est plus jnterressant pour une famille queles derniers momens d’vn père qui meure, rien de plus touchant que ses sentimens, rien deplus jnstructif et deplus pénétrant que les derniéres paroles, quel effet nedoivent pas produire surles sujets detout vn Royaume les derniéres paroles et les derniers sentiments dvn Roy tel que celuy quelafrance vient deperdre aussy nobles, aussy tendres aussy chretiens que dont nous aurons esté les tristes témoins Si ceux qui n’approchoient pas Louis Quatorze, et qui ne luy appartenoient qu’en qualité de sujets ont Perdu dans ce Prince vn grand Roy, mais nous qui avons toujours eû lhonneur d’être officiers de sa chambre et attachées asapersonne Royale etde celle du feu Roy Louis treize d’heureuse Mémoire depuis plus d’vn siecle et demy depere en fils, et qui en cette Qualité approchions deplus prés deleurs Majestés nous pouvons bien dire quand perd t Le Roy Louis quatorze nous aurons perdu vn grand Roy et vn bon maître. Ainsy pouvons nous moins faire pour marquer nôtre réconnoissance Envers le Roy Louis quatorze deses bontées a nôtre égard, que de transmettre alaPostérité la maniére heroïque dont il a couronné tous ses glorieux traveaux, jncapables defaire connoistre nos sentiments sur sa mort dans toute leur vivacité nous faisons connoître les siens et comme selon l’Ecclesiastique l’homme alamort paroîst tel qu’il est, et réprésentant au Naturel Louis mourant, nous réprésentons au Naturel Louis Le Grand, Le héros, le conquérant, le pacifique. nous réprésentons Louis leplus zelé denos Roys pour la Réligion catholique pour l’Etendre lamaintenir et lasoutenir. Enfin nous réprésentons vn Roy très chrétien etveritablement le fils aisné de l’Eglise C’est cedévoir et cette Réconnoissance envers ce grand Prince qui nous a Principallement déterminé a suivre les sentiments de nos amis avouloir rendre Public ceque dépuis quelques années nous gardions dans le secret pour nôtre propre consolation et pour celle même de quelques particuliers qui luy estoient les plus attachez <?page no="230"?> FRANCIS ASSAF 218 Nôtre jntention d’abord avoir été de finir notre journal historique auprémier jour de septembre jour delamort de ce grand Roy, mais après y avoir meurement réfléchi, nous avons crût que l’ayant conduit au tombeau en personne et baigné denos larmes, il estoit juste encore del’y conduire dans notre Rélation ; Cela nous a engagé apoursuivre l’Esprit de nôtre journal derémplir le vuide qui se trouvoit depuis le premier septembre jour du decéds de ce prince jusqu’au neufviesme quele convoy sefit a l’abbaye de St. Denis, et aussy depuis cejour jusqu’au vingt trois octobre, que les obseques furent faites, de rapporter ce qui s’est passé deplus considerable ala cour et ailleurs durant ce temps la, soit pour discerner la Régence a son altesse Royale Monseigneur le Duc D’orleans, soit pour conduire le jeune Roy Louis Quinze au château de Vincennes Enfin soit pour le faire connoistre publiquement Roy de France et de navarre tenant son Lit de justice dans le Parlement de Paris le douziême septembre enladitte année 1715. Dans tout cequi régarde louis Quatorze depuis lejour de s t . Laurent dixième d’aoust premier jour de samaladie, jusqu’au vingt trois octobre jour de l’Enterement nous ne rapportons que ce que nous avons pût voir entendu et apris ; pour tout le reste nous avons exactement suivi les mémoires de personnes Equitables eclairées et presentes aux faits que nous rapportons, ces mémoires nous ayant mesme fournie une partie des harangues et discours qui ont eté prononcez dans ces occassions Nous avons crû en les jnsérant dans cejournal relever par quelques piéces de l’eloquence le stile simple et familier denôtre rélation et larendre par la plus curieuse, et plus jnteressante Le sonnet qui précédé le portrait du Roy et l’Epitaphe qui Le suit sont d’vn auteur qui nous est jnconnu : ces deux pieces nous sont tombées par hazard entre les mains : nous avons cru estre obligez de les jnsérer pour la curiosité du Lecteur, Esperant aussy quele Public doit icy nous rendre justice et étre persuadé qu’en luy communiquant ce Petit ouvrage nôtre jntention n’a été que deluy plaire et deluy jnspirer, sil ne l’est désja nos justes et dignes sentimens d’estime, derespect et de vénération pour leplus grand Roy qui ait jamais monté sur le thrône des francois trop heureux si ne pouvant plus nous <?page no="231"?> QUAND LES ROIS MEURENT 219 Employer pour le service de ce grand Prince nous contribuions autant qu’il est en nous a Etérniser sa Glorieuse mémoire a láposterité ; (sous image) Le Roy Louis quatorze sur nommé Le grand pour les Rares vertus Fut Née [sic] au chasteau Neuf de St. Germain en Laye le 5 e . Septembre 1638. Est decedé au Chasteau de Versailles le 1 er . Septembre 1715 Eloge du Roy louis 14. Aymer Dieu se dompter soy mesme Faire trembler ses Ennemis Estre au dessus du Diademe C’est la le Portrait de Louis De Briancour Journal ou Recit de ce qui c’est passé Pendant la maladie et ala mort du Roy Louis Quatorze d’heureuse mémoire ; Par Monsieur Antoine Laisné en L’année 1715. Le Roy Louis Quatorze Etoit au château demarly lorsqu’il sesentit attaqué delamaladie qui a terminé leplus long régne dont l’histoire detous les temps et detoutes les nations ait jamais fait mention et dont les grands événemens Projettées et executés sous la conduite de ce Prince luy avoient merité le surnom de Grand Ce Monarque serétiroit detemps entemps dans son agréable solitude demarly pour y goûter les plaisirs delavie privée et sedélasser des fatigues du gouvernement ensederobant aux Embaras et au bruit d’une cour laplus nombreuse et laplus superbe dumonde Sa Majesté avoit projetté le Dessein de ce château des l’année 1679. et avoit choisy pour l’Executer une espece de terrain jnculte proche du village de Marly scitué entre saint Germain en Laye et Versailles, ou quelques sources d’eaux vives entourées de bois jaillis dans vn petit valon, dont l’aspect étoit tout charmant la déterminerent ay bastir ce Palais avec des jardins <?page no="232"?> FRANCIS ASSAF 220 autour beaux et singuliers quils se soient aprésent ; le Roy en confia la conduite a Monsieur de Colbert 331 Ministre d’Etat, et surjntendant des Bastiments, et au sieur Mansard 332 son prémier architecte qui parsagrande capacité est parvenu ensuite ala charge de Surjntendant des Bastimens desa Majesté qu’jl a Executée jusqu’a sa mort arrivée audit château de marly Le unzième may 1708. Rien ne fut Epargné pour Embellir vnsejour destiné au deslassement d’vnsigrand Prince tous les Bastiments et les appartements ensont aprésent si singuliers qu’il est très Difficile d’envoir de pareils dans le Royaume ainsy que les jardins, où ce fameux architecte avoit comme épuisé tout son grand génie pour les rendre très parfaits ; mais tous ces lieux n’ayant pas parus assez accompagnées par les eaux abondantes quelefond dulieu produisoit, on y fit conduire celles dela Riviére de Seine qu’une machine Etonnante Elevé au dessus d’une montagne haute de 570 pied et qui sont portées dans une tour ou résérvoir deplus de vingt toises de haut, pour dela étre conduites sur vn acquéduc digne du siècle des anciens Romains ; dans les jardins de ce palais enchanté, ou l’on a rassemblé tout ce que les art, d’agriculture, de Peinture et de sculpture peuvent former deplus curieux et deplus achevé Outre ces beautés ou l’art et lanature sembloient disputer leprix dela satisfaction de ce grand Roy louis quatorze qui avoit trouvé le secret jnconnu jusqu’à luy, dese defaire quelques fois delaprésence et del’jmportunité des facheux courtisans ; c’est pourquoy il ne venoit ni entroit dans ce charmant séjour queles Princes, Princesses, Seigneurs et Dames de la cour, aqui il faisoit l’honneur deles jnviter leur marquant luy mesme les appartements qu’ils devoient occuper aveclesquels ilvivoit dans une familiarité que la Majesté nepermet pas en Public ses ordres Etoient sy précis que même les officiers nécessaires au service y Estoient aussy nommées par S.M. Enfin on avoit rassemblé dans celieu charmant tout cequi etoit leplus capable d’Enchanter l’Esprit 331 1619-1683. 332 1646-1708. <?page no="233"?> QUAND LES ROIS MEURENT 221 Nous dirons qu’il y avoit désja quelques mois que le Roy qui commencoit a goûter les douceurs dela Paix qu’il avoit achetée par tant detravaux, dedepenses et de sang serétiroit souv t . dans cette aimable solitude ; lorsque frappé d’une grande debilité destomach, dont il avoit désja ressenty auparavant, quelques legers atteintes, il commenca, aussy bien que Salomon a éprouver quetout cequi est en ce monde estoit périssable n’étant que vanité Cette jncommodité attaqua la Majesté le samedy 10 e . aoust 1715. fête de st. Laurent après diner d’une manière plus violente qu’a lordinaire, Monsieur Fagon premier Médécin du Roy layant apris y vint et envoya aussytost le sieur Antoine l’vn des Garcons dela chambre du Roy, a l’apotiquairerie dire quel’on apporta du carabe, remede qui fortifie l’Estomach, dont le Roy n’eust pas plustôt pris une dosse qu’il sesentit considérablement soulagé, et quepeu apres il setrouva en Estat de sortir pour prendre l’air, et voir lelieu ou estoient posées plusieurs grandes statues demarbre blancs, qu’il avoit fait apporter depuis peu de Rôme, pour l’ornement deses jardins, il monta pour cet effet dans la chaise roulante, étant suivy de Mr. Le Duc D’antin directeur general des Bastiments du Roy, qui a eté Ensuite surjntendant du Régne du Roy louis quinze, et de Monsieur le Duc de Villeroy 333 , capitaine des gardes en quartier de Monsieur le maréschal de Villeroy son pere, de Messieurs Le duc deGesures de Belinghein 334 et dela Rochefoucault 335 avec plusieurs autres grands officiers delachambre et garderobbe desamajesté, l’heure du diner venue, sa Majesté semit atable, ou elle ne mangea quetrès peu ayant vntrès grand dégoust, ensuite fut encore se promener pour voir l’Effet que faisoient ses figures jusqu’a sis heures du soir qu’elle voulut partir pour Versailles pour estre plus commodement, en cas que son jndisposition augmentat En arrivant a Versailles sa Majesté entra chez Madame de Maintenon dont l’appartement étoit deplainpied a celuy du Roy pour seréposer, et Eviter 333 Louis-Nicolas VI de Neufville de Villeroy (1665-1734), fils de François de Neufville. 334 Jacques-Louis de Beringhen, 1651-1723, premier écuyer de la petite écurie du roi en 1702. 335 François VIII, 1663-1728, petit-fils du moraliste, Grand Veneur de France (probable). <?page no="234"?> FRANCIS ASSAF 222 la foule des courtisans ; jl y demeura jusqua dix heures, qu’il serendit dans son appartem t . Ou jl avoit fait servir le souper ason grand couvert en Public avec les Princes et Princesses du sang, ason ordinaire ; mais comme son jndisposition lui avoit causé du dégout, il j mangea peu ainsy le souper fut très court, ou jl sy trouva cependant une foule jncroyable de personnes detoute qualité quele zele ou la curiosité y avoient attiree surlebruit qui setoit répandu ala cour de l’jndisposition qu’avoit eüe le Roy a Marly ; après souper il Entra dans son grand cabinet ou les Princes et Princesses du sang setrouvoient tous les jours alamême heure pour s’entrétenir ensemble. Sa Majesté y demeura Jusqu’a onze heure du soir qu’elle rentra dans la chambre pour faire ses priéres et semettre au lit Cette nuit qui fut celle du samedy au Dimanche onze e jour d’aoust et le deuxieme delamaladie du Roy ne luy fut pas favorable. Il la passa dans une jnsomnie trés grande avec des jnquiétudes facheuses, causées par une soif trés devorantes qui l’obligea deboire toute lanuit ; sa Majesté neantmoins seleva en Public sur les huit heures et demy a son ordinaire etant habillée fut entendre lamesse dans latribune dela chapelle du château ; ensuite sa Majesté tint son conseil definances dans la chambre, qui dura jusqu’a une heure aprés midy, qu’elle semit atable pour Diner, a son petit couvert ou Elle ny mangea presque point, mais Monsieur fagon, s’en étant appercut dit a monsieur le Duc Dantin qu’y Estoit present quy entrenoit sa majesté pendant le souper de luy Dire sire votre majesté nous apparut tres Degoustée a son soupper Le Roy leur ayant Repondu messieurs je suis d’vn grand degoust je croit que cest la mauvaise nuit que je passée quy me la causée, Le Roy sesentit trés faible tout cejourla, et ne setrouva pas en état de sortir ; c’est pourquoy jl ordonna a M r . Blouin 336 comme Gouverneur de Versailles, de contre mander M r . Le Prince charles de Loraine 337 grand Escuyer de France. M r le marquis de Beringhein premier Ecuyer de la petite Escurie, 336 † 1729. Premier valet de chambre de Louis XIV et gouverneur du château de Versailles. Voir le Dictionnaire du Grand Siècle 206. 337 Charles de Lorraine, comte d’Armagnac (1684-1751). <?page no="235"?> QUAND LES ROIS MEURENT 223 et le sieur Antoine, son porte arquebuse ordinaire, parce qu’il avoit changé l’ordre qu’jl leur avoit donné le matin pour aller tirer dans le Parc, son jndisposition neluy permettant point de sortir, encore moins demonter a cheval ; Sa Majesté employa letemps qu’elle avoit destiné ala chasse aténir conseil avec M r . le Pelletier Ministres [sic] pour les fortifications detoutes les Places de guerre du Royaume, qui dura jusqu’a quatre heures. Ensuite elle tint vnsecond conseil chez madame de Maintenon avec M r . Voisin chancellier de france Ministre et secrétaire d’Estat pourla guerre jusqu’a dix heures quelle vint souper a son grand couvert mais comme le Roy y parut avoir levisage fort pasle et abbatu étant toujours d’vn grand dégoût cela fit juger, desamauvaise jndisposition ; car il avoit toujours eu beaucoup d’appétit cydevant quoy qu’jl fut jndisposé ce qui fit craindre les suites facheuses de cette maladie, sa Majesté ne laissa pas depasser ensuite dans son cabinet avecles Princes et Princesses al’ordinaire : ce délassement luy faisoit plaisir parce que c’etoit présque le seul temps qu’Elle eutpour s’entretenir aveclafamille Royalle, Elle y demeura jusqu’à onze heures et demye, qu’elle rentra dans sa chambre ou Elle fit ses prieres et secoucha assez tranquillement ; Cette nuit du unze au douze dumois d’aoust et le troisieme dela maladie du Roy fut plus heureuse et meilleure quelaprecédante car il réposa assez bien. cequi détermina Monsieur fagon de l’avis de M r . Boudin 338 Médécin ordinaire ale Purger, d’autant plus que c’etoit le jour que sa Majesté avoir accoutumer depuis vn temps de prendre médécine tous les mois, jls ne luy donnérent que moitié dela dosse ordinaire à cause de son jndisposition, qui fut trés suffisante pour faire une grande évacuation cequiluy procura vnsoulagem t . très considerable ; Le Roy entendit cejourlá la messe dans son lit a lord re . dina sur les deux heures : s’etant trouvé tres soulagé. il ordonna a Monsieur le Duc detresmes Premier Gentilhomme delachambre en année de service, de faire entrer toutes les personnes de qualité et autres qui seprésenteroient pour Entrer, parceque celaluy feroit plaisir devoir beaucoup demonde. 338 ? -1728, médecin ordinaire de Louis XIV. <?page no="236"?> FRANCIS ASSAF 224 Aussitôt jl entra bon nombre de seigneurs et faist paroitre sur leurs visages lasatisfaction qu’ils avoient detrouver le Roy en meilleur etat qu’on nele disoit ala cour, le Diner fut assez long a cause des entretiens que S.M. eut familiérement avecplusieurs personnes dela cour Particuliérement avec M r . le Maréchal de Villeroy et M r . le Duc d’antin directeur general des Bâtimens qui avoir tourné cette conversation sur cette matiére toujours trés agréable a cegrand Prince ; carles Bastiments les jardins et la chasse etoient alors l’unedeses plus fortes passions Sur les quatre heures du soir le Roy setrouvant vnpeut soulagé parlebon Effet delamédécine, seleva et travailla seul avec M r . Depontchartrain secrétaire d’Estat de la maison du Roy et delamarine Jusqu’a six heures que S.M. passa dans l’appartem t . de Madame de Maintenon, ou il travailla avec M r . Voisin jusqu’a dix heures. Ensuite S.M. fut souper enpublic avecles Princes dans son appartement ou elle ne demeura quepeut detemps ny ayant quepeut mangé, layant dit M r . Delviry premier maître d’hôtel, en sortant detable et a Monsieur fagon qu’jl n’avoit creu trouvé debon atout cequelon luy avoit servit, jls répondirent, Sire, c’est peut estre par la médecine que votre Majesté a prise cy devant ; le coucher sefit al’ordinaire L’Esperance quel’on avoit concüe dubon effet dela médécine fut bien changée le lendemain, Mardy treizieme du mois d’aoust et le quatrième delamaladie du Roy pend t . toute cette nuit il eut de grandes jnquiétudes avecune chaleur dans toutes les Entrailles qui le dévoroit. ne pouvant l’eteindre, quoy qu’jl bût atous momens ayant fait Lever plusieurs fois le S r . de chancenay 339 Premier vallet de chambre de quartier Et les sieurs Binet 340 et Bazire 341 garçons dela chambre pour luy donner a boire sans pouvoir sedésalterer néantmoins il sassoupit sur le matin jusqu’a neuf heures, et dit en seréveillant qu’il 339 1689 - ? Valet de chambre de Louis XV et probablement avant lui de Louis XIV, ayant vraisemblabement hérité sa charge de premier barbier, premier valet de chambre et conseiller du roi de son père, François Quentin de La Vienne, (baptisé le 14 novembre 1630- 1710), qui fut anobli par lettres patentes en 1681, marquis de Champcenetz 1686. 340 Le seul Binet cité par Da Vinha (230) est un perrruquier de Paris. 341 Cité par Da Vinha (citant lui-même le journal des Antoine) 307. <?page no="237"?> QUAND LES ROIS MEURENT 225 avoit beaucoup souffert toutelanuit, Monsieur Fagon avecles autres médécins étans venus voir la Majesté commencer a mal augurer de cette maladie, mais comme Monsieur Bloüin l’vndes premiers valets de chambre du Roy et gouverneur de Versailles, avoir esté prest lematin aleur consultation leur dit assez haut dans la chambre du Roy. Messieurs jevous assure quetout le monde abien peur que cette maladie ne devienne trés serieuse et lon croit mesme qu’il seroit trés á propos de faire venir quelqu’uns des plus habiles médécins dela faculté deparis pour conferer avecVous parceque l’on nepouvoit prendre trop deprécaution enpareille occassion Monsieur fagon qui étoit sans doute homme d’Esprit et habile mais fort attaché a ses sentimens deffaut assez ordinaire aux personnes de la Profession, ne gouta pas d’abord cette proposition ; cependant réflexion faite, il sy rendu, en même temps on envoya vn Exprés pour faire venir les plus habilles et Experimentées [sic] Médécins de la faculté de Paris. Cependant le Roy seleva a huit heures et demye a Lordinaire, et prit de l’Eau de sauge avec du sucre candi dont il usoit tous les matins depuis quelques années ; il Entendit Ensuite lamesse dans sa chambre ou assisterent plusieurs Princes et seigneurs, grands et petits officiers qui témoignerent assez par leur contenance L’jnquietude qu’ils avoient dumauvais état ou le Roy s’etoit trouvé Lanuit précedente Sa Majesté teint ensuite le Conseil des finances avec M rs . Voissin chancelier, et Desmaretz controlleur general des finances avec les conseillers d’Etat ordinaires et autres personnes qui ont coutume dy assister, ce conseil dura jusqu’a midy apres lequel le Roy resta seul avec M r . Des marets, ainsy qu’jl avoit accoutumé pour luy donner des ordres Particuliers sur le fait de la charge de Controlleur Général des finances, dont il étoit trés bien jnstruit et capable Jl neparutpas que cette application du Roy l’eut jncommodé mais au contraire, jl semit ensuite atable pour dîner, ayant vn meilleur visage ; Jl mangea mieux qu’il n’avoit fait les jours précedens, ce qu’il temoigna luy mesme a M r . le maréchal de Villeroy, qui étoit présent et a M r . de Liury leur disant qu’jl avoit trouvé trés bon tout cequel’on luy avoit servit, En sortant detable <?page no="238"?> FRANCIS ASSAF 226 il fut suivy dans son grand cabinet par vn nombre Prodigieux, de Prince, de seigneurs, et dofficiers detoutes qualitez quiluy avoient fait leur court pendant le Dîner, pour Témoigner asa Majesté leur joye, de cequelle setrouvoit en meilleure Estat queles jours passez ; Comme chacun s’empréssoit a faire sa cour au Roy (sous image) Françoise D’aubigny Marquise de Maintenon Jnstitutrice des Demoiselles de la Maison Royale de Saint Cir. et que ce Prince y répondoit agréablement on rémarquoit cette satisfaction réciproque, chacun seflattant d’vn heureux événement d’vne maladie qui sembloit diminuer visiblement Mais hélas que les Espérances des hommes sont vaines on Passa dans cette agréable jllusion jusqu’a six heures du soir que le Roy Quittant la Compagnie pour aller dans l’appartement de Madame de maintenon sesentit attaqué d’vne si vive douleur alajambe Gauche qu’apeine pouvoit il s’appuyer dessus, et qu’il fallut mesme Le soutenir parlamain pour l’aider amarcher ; cet accident n’allarma pas fort les médécins et chirurgiens croyant que cén’etoit que quelque fluxion sans conséquence mais ce pendant, cemal augmenta tellement enpeu d’heures qu’il falut courir au secours, Madame de Maintenon chez qui étoit le Roy Envoya promptement chercher Monsieur Marechal prémier chirurgien de S.M. l’vn des plus Expérimenté et habile du Royaume dans son art Jl visita attentivement la jambe du Roy enprésence de Monsieur fagon et autres médecins et chirurgiens, ces Messieurs netrouverent qu’vnepetite rougeur audessous dela jarretiére sur laquelle Monsieur Maréchal y fit des frictions avec des Linges chauds qui appaiserent vn peu la douleur, En suitte Sa Majesté semit atable pour souper sur les dix heures ny mangea presque point, ayant Beaucoup beu deau et peu de vin suivant les avis qu’on luy en avoit donnée cequi napas esté bien approuvé dans la suite dont on s’est bien appercut dans les derniers jours de sa majesté Sur le soir le Roy seresentit plusieurs fois delamesme douleur ala jambe qui l’obligea derompre la conversation pour secoucher auplustost ; alors il fut résolu que Monsieur fagon prémier médécin coucheroit dans la chambre du Roy avec Monsieur dechancenay premier valet de chambre du <?page no="239"?> QUAND LES ROIS MEURENT 227 Roy dequartier et que Monsieur Boudin Médecin ordinaire, Maréchal prémier chirurgien, et Biet apotiquaire coucheroient dans le cabinet avec les sieurs Bazire et Antoine garçons dela chambre encas que S.M. en eut eu besoinlanuit Cette Nuit Quatorziéme dumois d’aoust et cinq e . dela maladie du Roy fut mauvaise, cette grande et prodigieuse alteration qu’il eût avec le redoublement de Douleur ala jambe qui neluy permit aucun répos firent Juger quelamaladie venoit jncurable, Les frequentes friction [sic] que lon faisoit a cemal nele sûpendoient que pour vn moment, parurent alors vn remedepeu Efficase Dans cette perplexité arrivérent des le matin, Les médécins que l’on avoit mander de Paris. dont les Principeaux étoient les sieurs falconnet, helvetius et autres. ayant été jntroduits dans la chambre du Roy par M r . fagon. ils luy taterent lepoulx les vns aprés les autres luy trouverent vn peu de fiévre, qui semanifestoit assez parlarougeur et l’jnflamation deson visage ; Le Roy leur ayant dit a haute voix et d’vn ton ferme hé bien Messieurs. comment metrouvez vous ! Qu’allez vous me faire, car Jesens biendumal par tout mon corps et Particuliérement ala Jambe, ils répondirent en Montrant fagon et les médecins dela court, nous allons sire. passer tous ensemble dans vôtre cabinet, pour consulter surles moyens de soulager vôtre Majesté et d’appaiser Les Douleurs qu’elle Résent on nevit jamais mieux que dans cette consultation qu’ils firent lepeut deréssource qu’il y a dans la médécine, quand le mal est jnconnu cependant ils conclurent quele Roy prenderoit du Lait d’anesse, et quelon feroit les frictions ordinaires sur sa Jambe ; cequi fut changé peu detemps aprés, sur le soir par une seconde consultation qui fit surprendre larésolution delapremiere sur ceque lemal avoit augmenté Laprès midy tres considerablement Le Roy qui n’avoit pris qu’vn Bouillon Lematin setrouva trés foible, alamesse qu’il Entendit dans son lit : jl ne laissa pas neantmoins de tenir ensuite le conseil d’Etat, avec ses Ministres Malgré les frequentes douleurs qu’jl réseentoit ala jambe, mais on nepeut trop admirer Lapplication de ce grand Prince, puisque lamaladie la plus accablante et les douleurs les plus aigües <?page no="240"?> FRANCIS ASSAF 228 ne l’Empescherent jamais de vacquer aux affaires deson Royaume jusqu’au dernier jour desa vie, comme nous le verrons cy apres ; L’heure du diné étant venuele Roy voulu selever ; il y fut servy a son petit couvert par M r . le Duc de Trémes al’ordinaire et ne mangea que d’une panade étant fort dégouté ainsy le diner fut un peu court, ou il ne si trouva que trespeut depersonnes, dont les principalles estoient Monsieur Le Duc D’orleans, M r . Le Duc, Le Prince de Conty, Le Duc du maine Le Comte de Toulouze, Le Mareschal de Villeroy, Le Duc Dantin et autres personnes dela court au sortir detable Madame de Maintenon arriva trés jnquiette de scavoir l’Etat de la santé du Roy. quoy qu’atoute heure elle envoya quelqu’vne de ses Damoiselles s’en jnformer cette Dame sentrétint quelque temps en Particulier avec S.M. elle se rétira aussy tost fondant en larmes dans son appartement de l’avoir trouvée sy âbbatüe ; cette conversation etant finie Le Roy croyant être plus en répos dans son cabinet sy fit roûler enrobe de chambre dans son fauteuil parcequ’il nepouvoit plus sesoutenir sur sa jambe, ny trouver derémédes capables dadoûcir Les Douleurs Excessives quil en réssentoit quoy qu’on reitéroit souvent les frictions, remede ordinaire sans beaucoup de soulagement ainsy sepassatoutlejour Jusqu’au souper qu’il fit demesme metz qu’a diner, scavoir unpeu de Panade de gelée et du Grüeau toute autre Nourriture luy étoit devenue tres Jnsuportable Cette disposition obligea M r . fagon derépresenter au Roy qu’jl étoit trés apropos que sa Majesté ordonna a M r . Le Marquis de luiry prémier Maître d’hotel de commander quelques officiers du Goblet dela Bouche pour coucher dans son antichambre encas quel’on eût besoin deleur service Pend t . La nuit. cequi fut fait aussy tost ; Mais Comme le Roy avoit acoutumé toutes les années d’aller Passer quelque temps a fontainebleau d’ans L’autonne, pour avoir leplaisir dans cette saison ou cette maison Royalle esttrés charmante, tant pour toutes sortes de chasses quepour les promenades dans les beaux jardins et dans l’vne des belle et grande forest des maisons Royalles Contenant environ 27000. arpents de Bois de futaye et taillis tant plains que vuides. cevoyage sefaisoit aussy pour donner Letemps denetoyer le château de Versailles et <?page no="241"?> QUAND LES ROIS MEURENT 229 pour changer les appartements demeubles pour l’hyvert. Sa Majeste avoit fixé son départ au 28 e . aoust, mais jugeant bien quelle ne seroit pas en état dy aller, Elle déclara qu’elle niroit point, ayant changé de résolution a fin que Personne ne fit depréparatifs ny de dépenses jnutiles pour cevoyage defontainebleau, qui fut changé en effet en vn autre bien plus funeste ; cejourla le Roy nepassapoint lapres diner chez Madame de Maintenon comme d’ordinaire, parce que l’excés des douleurs de son mal neluy permit pas ; il voulut cependant sefaire voir pendant le souper Sa Majesté ordonna a Monsieur Le Duc de Trêmes, prémier Gentilhomme de la chambre, dy l’aisser entrer tous ceux quile souhaitteroient cet ordre donna vn jnstant dejoye a ceux qui Estoient dans les appartements qui Entrerent croyant voir le Roy en meilleur Estat, mais leur joye fut bientost changée entristesse lorsqu’ils virent cegrand Prince sy fort changé et abbatû ay t . levisage trés pasle, aprés le souper qui ne fut de pure cérémonies ou jl sy trouva les Princes du sang M r . Le maréchal de Villeroy les ducs de Noaïlles, Dantin et autres personnes de Consideration de la court ; ensuite S.M. fut dans son cabinet voir les princesses qui l’attendoient Jl ny demeura pas longtemps carles douleurs l’obligerent arépasser dans sa chambre pour se coucher apres avoir donné l’ordre pour lelever du lendemain ; Lejeudy 15 e . aoust feste de l’assomption dela sainte vierge et le sixieme delamaladie du Roy quelon eut quelque Esperance desa guérison parceque Sa Majesté avoit passez lanuit assez tranquillement quoy quela fievre ne l’eut point quittée et qu’Elle eût toujours réssentit une soif trés ardentes avecdegrande douleur ala jambe qui estoient cependant moindres queles jours précédents comme ce Prince avoit vne particuliere Dévotion ala s te . Vierge, cejour étant L’anniversaire du voeu du feu Roy Louis treize son auguste pere. jl témoigna Qu’jl auroit bien désiré faire ses dévotions, mais la foiblesse ou jl setrouvoit Luy fit remetre cette Sainte action au Dimanche suivant, espérant que dieu luy en donneroit la force ; mais profitant cependant dupeu qu’il en avoit, jl seleva enpublic et aprés avoir pris vn Boüillon jl sefit porter dans latribune dela chapelle ou jl entendit la S te . Messe avecvnepiété trés Edifiante ; <?page no="242"?> FRANCIS ASSAF 230 Comme l’on ne croyoit pas dans versailles quele Roy fut en Etat deparoîstre enpublic, saveüe causa vne si agréable surprise quetous les peuples levoyant dans la chapelle ou l’on y entendoit que des cris de Vive nôtre bon Roy, que Dieu nous le conserve et autres semblables acclamations ; auretour delamesse le Roy qui étoit bien aise de sefaire voir étant dans sa chaise roulante decouverte répassaparsa grande Gallerie Laquelle etoit remplie d’vne si grande foule demonde, Qu’il eut bien delapeine a y pouvoir passer, chacun s’empréssant pour voir ce Prince qu’jls avoient crû dans vn Estat bien plus perilleux le Roy rentré dans son appartement dîna aupetit couvert jl mangea avec assez d’appétit de quelques petits mets qu’on luy servit, qu’ils trouva assez bons et beut beaucoup d’eau et trés peu de vin son altération continuant toujours ; Ensuite du Diné sa Majesté senferma dans sa chambre seul avec Le Pere letellier jésuites [sic] son confesseur pour arrester la feuille des Bénéfices vacans, La nomination cepend t . Ne s’en fit point nónobstant les jnstances quele Pere Tellier luy en fit, cequ’il avoit reiterées a diverses réprises pendant le cours delamaladie de sa Majeste. qui fatiguée deses pressantes solicitations setrouva obligédeluy dire ; hémon pere, jemetrouve désja assez accablez detant de Nominations des Bénéfices que j’ay faites pendant mon règne ; je craint bien d’avoir été tres trompé au choix des sujets quel’on ma jndiquéer donc jay peur qu’jl faudra peut estre bientost rendre compte au jugement de Dieu ; Pourquoy voulez vous mon Pere. encore me charger de cette Nommination quenous pouvons remettre aquelques jours pour choisir debons sujets, si dieu me fait lagrace derevénir de cette maladie Mais quels avantages pour l’Eglise si vn Prince si sage et si bien jntentionné pour la Réligion catholique eût peut donner sa confiance a des gens qui eussent aimé sa tranquilité et la Paix de lEglise, nous ne l’aurions pas veüe dans l’Etat ou il lalaissée en mourant ; Je révient au Roy : il sembloit que l’amour et lajoye deses sujets qu’il avoit remarqué surleurs visages enpassant dans sa gallerie lematin luy avoit rendu plus de santé et de force pour sefaire porter aprés midy dans latribune <?page no="243"?> QUAND LES ROIS MEURENT 231 dela chapelle y entendre les Eêpres qui furent chantées parla Musique pend t . lesquelles sa Majesté fut fort tranquille on peut dire que cejour donna vn peu d’esperance de laguérison du Roy. car onluy trouvoit bien meilleur visage et plus dappetit avec moins de douleur ala jambe d’vne humeur assez gaye qu’il soutint dans la conversation qu’jl eut avec Monsieur le Duc Dorleans, de M r . le Duc des autres princes du sang du maréchal de Villeroy des premiers Gentilhommes de la chambre des Ducs de Noailles, dantin et de Villeroy et de Plusieurs autres personnes de distinction, qui eurent l’honneur dedemeurer avec sa Majesté jusqu’a l’heure de son souper qui fut fort court, parcequelle avoit souhaittoit de se coucher plustôt qual’ordinaire qui fut surles dix heures, setrouvant vnpeu fatiguée detout ce quelle avoit fait cette journée Les jours et les nuits du seizieme et dix septième aoust sepasserent assez tranquillement avec néantmoins quelques petites dóuleurs ala jambe queles médécins régardoient commeleplus grand mal du Roy, s’etant beaucoup addoucit pend t . les deux jours jl letémoigna luy mesme en s’eveillant lematin, il dit qu’il avoit Eu vne sueur Extraordinaire lanuit ; voulu selever pour changer de linge par, les sieurs de Chancenay et Maréchal avec les garçons dela chambre Binet, Bazire, Tortilliere, et Antoine eurent bien delapeine apouvoir tirer sa Majesté deson lit pour lamettre dans son fauteüil, pour l’essuyer et la changer delinges etans tres trampés, mesmeles matelas dulit en avoient etés traverscés ainsy qu’il y avoit plusieurs années que ce Prince y étoit fort sujet toutes les nuicts, et mesmes tous les jours lorsquil fatiguoit vnpeu soit ala chasse ou a d’autres Exercices ; Ensuite d’avoir été changé, les matins le Roy beüvoit deux grands verres d’eau et seremetoit au Lit pour quelques momens, ou il faisoit saprémiére priére de l’ordre du st. Esprit, en attendant l’heur deselever enpublic, cequ’on appélloit legrand lever qui sefaisoit ordinairement surles neuf heures ; Mais on a crût dans lepublic avec beaucoup d’apparence quele Régime quel’on a fait observer au Roy dépuis untemps de boire ajeun vn ou deux verres d’eau apres ses grandes sueurs en sortant du lit lematin auroit bien pû <?page no="244"?> FRANCIS ASSAF 232 contribuer asa derniere maladie ; enluy affoiblissant trop l’estomach, surtout dans vn age désja bien avancé. dont Sa Majesté s’est même bien appercüe surlafin desavie ; mais le mal Estoit alors sans beaucoup deremédes pour avoir suivy les avis qu’on luy avoit jnspirés dene boire quetrés peu devin mais beaucoup d’eau les matins, même ajeun et ases répas Sa majesté remise aulit Entendit lamesse et teint Ensuite conseil d’Etat avec ses Ministres qui dura jusqu’a l’heure du Dîner qu’Elle voulut selever étant fatiguée d’être couchée. alors onlaleva avec plus depeine quel prémiere fois parceque ses douleurs Etoient presque universelles dans toutes les parties de son corps, et principallement a sa jambe Dans cetemps arriva Monsieur Le Duc Dorleans accompagné de M r . Le Duc, le Prince de Conty, le Duc Dumaine Le Comte de Toulouze, et le maréchal de Villeroy, pour rendre visite au Roy ; ceque ces Princes fésoient trés assidüement, S.M. Les ayant appercûs, leur dit ; vous avez veü Messieurs, les belles cérémonies qu’il a fallu faire pour me lever dulit, je suis bien aplaindre deme voir reduite en ces Etat, mais il faut bien le vouloir puisque c’est La volonté du seigneur, Les Princes luy ayant temoigné Le réssentiment qu’jls en avoient, et lapart qu’jls prénoient aux peines qu’elle souffroit Le Roy ayant appercut que M rs . Les Ducs dumaine et le Comte de Toulouze Estoient en habit dechasse Les congédia enleur disant allez Messieurs, ala chasse, neperdez point letemps qui est trés beau ainsy ils prirent congé de S.M. Cependant le roy estoit trés abbâtu n’ayant peu demeurer qu’vn moment dans son fauteüil jl fallut leremetre au Lit aussy tôt avec grande peyne parles grandes douleurs quel’on luy fais t . souffrir, Ensuite l’on luy servit adîner qui étoit tres peu de chose comme delagellée d’vnepanade et dautres petits mets S.M. ordonna quelon láissa entrer ceux qui le voudrois voir aussy tôt Entra M r . D’armagnac Grand Escuyer defrance, le maréchal de Villeroy, les Ducs D’antin et de la Rochefoucault Les premiers Gentilhommes de la chambre le Duc de Villeroy capitaine des Gardes de quartier Monsieur de Bereinghein premier Escuyer de la petite Escurie du Roy Les autres Capitaines des gardes <?page no="245"?> QUAND LES ROIS MEURENT 233 du corps et beaucoup de personnes de Qualités qui setrouverent dans les appartemens dont la chambre du Roy setrouva en vn Moment sy remplie que l’on avoit peine apouvoir serémuer, Sa Majesté demeura ainsy en spectacle pendant quelques temps, apres sefit lever encore vne fois et porter dans son fauteüil chez Madame de maintenon croyant estre plus en répos et pour changer dair. Elle y passa l’aprés midy a entendre chanter quelques motels d’airs jtaliens par les Musiciens choisis par Monsieur de La Landre surjntendant dela Musique dela chapelle et dela chambre du Roy trés habile dans cet art ; Ce fut la derniere Visite dontle Roy ait honoré Madame de Maintenon, jl n’en sortit que pour souper ; La cérémonie en fut courte, car il fut obligé de seremettre au Lit plustôt que de coutume, et neput aller dans le cabinet trouver les Princes et la famille Royalle ainsy que Sa Majesté faisoit aprés souper La nuit suivante ; qui fut celle du samedy dix huit du mois d’aoust et Neufviême delamaladie du Roy ses douleurs furent tres aigües avec vne soif ardente et ses sueurs si Extraordinaires quineluy donnerent aucuns répos nónobstant les frictions que Monsieur maréchal faisoit asa jambe trés souvent sans luy procurer aucun soulagement et sa Majesté se faisoit lever et récoucher a tout moments netrouvant aucune scituation bonne dans le lit jusqu’a l’heure de la messe quelle entendit dans son lit Ensuite Nonobstant ses grandes douleurs sa Majesté donna ses ordres a Messieurs de Torcy, La Vrilliere, Pontchartrain et Voisin secrétaires d’Etat comme Elle avoit accoutumé defaire tous les matins application étonnante de cegrand Prince aux affaires de son Royaume, au milieu deses plus grandes jnfirmitez. apres cela Elle prit vn peu de Panade avec vn Boüillon tint Conseil d’Etat qui fut ala verité trés court parla déferance que S.M. eutpour ses Ministres quilen priérent avec jnstance afin de la ménager dans les douleurs continuelles qu’elle Réssentoit ; Le Roy semit ensuite a Table enrobe de chambre nemangea que delapanade et dela gelée, car il estoit trés degouté detout autre Nourriture. Les douleurs de sa jambe augmenterent si fort qu’jl fut obligé de seremettre aulit ou Monsieur Maréchal visita La jambe de sa Majesté, Layant trouvée bien plus mal qu’elle n’etoit cy devant ; Les médecins étonnées de ce changement, <?page no="246"?> FRANCIS ASSAF 234 résolurent qu’il falloit y faire plus dattention qu’a L’ordinaire : et neantmoins ils n’ordonnérent point d’autres rémedes queles mesmes frixions delinges chaux quelon avoit accoutumé de faire ; Le Roy demeura au lit jusqu’au soir, oujl receus quelques visites des Princes et Princesses de Monsieur Le Maréchal de Villeroy et de plusieurs autres Ducs et Personnes de Qualitez ou Monsieur le Duc D’antin Entretint Sa Majesté sur les Bastiments et jardins dont Elle parut y prendre quelque plaisir ; Lheure du souper venüe Elle sefit Lever et mangea peu deses mets ordinaire [sic] aux quels ont avoit ajouté un peu de grüau par ordre des Médécins. apres le souper Elle s’entrétint encore quelquetemps avec plusieurs seigneurs dela cour, et les ayant Ensuite congediés il ne resta dans la chambre du Roy que ceux qui avoient droit d’y Entrer avec ses officiers Domestiques pour la servir a son coucher Les meaux du Roy augmentérent trés visiblement Le Dimanche dix huitiême d’aoust et la huitiême delamaladie de S.M. qui avoit passé toute la nuit dans vn grand abbatement detous ses membres, cequi fut cause qu’elle nepermit lentrée de sa chambre que sur les dix heures c’estant trouvée tres fatiguée parles grandes sueurs delanuit elle sefit changer delinges et beüt deux grands verres deau, ayant Estée Environ une demye heure levée, sefit remetre dans le lit avec des peynes jncroyables qui neput sefaire sans luy causer d’Extrêmes douleurs dans cetemps arriverent Mons r . Le Duc de Bouillon grand chambelan Messieurs Le mareschal de Villeroy, Darmagnac, Les premiers Gentilhommes de la chambre Le grand Maître, et Maître de la garderobbe Les capitaines des gardes du corps et Beaucoup d’autres personnes qui ontlespremieres Entrées dela chambre qui demeurerent tous dans vnetrés grandes consternation d’avoir veule Roy si changé et En simauvais Estat, les médecins ayant comme Epuisé leur science et leurs remédes qui ne soulageant point Sa Majesté en Estoient trés surpris commencérent a mal augurer de sa maladie, le Roy Entendit Lamesse au Lit ensuitte jl prit vn Boüillon et quelques petits mets et dela Gellée nourriture ordinaire Sur Les quatres heures apres midy. Sa Majesté sefit lever pour sedellasser et faire penser sajambe. c’est adire y faire quelques frixions avec des linges <?page no="247"?> QUAND LES ROIS MEURENT 235 bien chauds qui n’empeschoient pas les douleurs d’augmenter toujours considerablement nonobstant tout cequel’on pouvoit y faire de remedes ; Le Roy senferma avec Monsieur Le Pelletier Minîtres pour les fortifications des places de Guerres Travailla avec Luy jusqu’a sept heures du soir ; cette application est peut estre unedesplus grande marques du courage du Roy qui surmontoit safoiblesse et ses maux pour se livrer aux affaires de son Royaume, carjlne setrouvoit pas mieux dans cet espace de temps au contraire La fievre jnterne quile dévoroit L’obligea aprendre six a sept grands verres d’eau durant ce conseil, apres lequel sa Majesté demeura fort abbatüe et d’vne humeur trés tristes [sic], sans vouloir voir d’autres personnes, queles officiers desa chambre et delagarde robble pour la servir, nevoulut point d’autres souper qu’vn Boüillon et semit aulit Le Lundy 19 e . aoust et le neufvième delamaladie du Roy jl n’eut aucun répos n’ayant eu que detrés legeres sueurs ce qui provenoit dvne diminution des forces desa Majesté qui n’etoient plus capables depousser l’humeur audehors comme auparavant Sur les sept heures dumatin Monsieur Fagon arriva chez le Roy accompagné des autres médécins et chirurgiens dela cour avec dautres de la faculté de medecine de paris, ayant tous tatez lepoulx desa Majesté, luy ayant trouvé la fievre bien augmenté depuis lejour précedent, en Étant tres surpris cequi les obligea d’aller dans le cabinet du Roy pour consulter sil netrouveroient point quelques nouveaux remédes Capables de soulager lemalade qui outre La fievre, sentoit des meaux asa jambe et partoutes les parties du corps mais leurs L’vmiers n’alloient pas jusques la. ainsy ils continuerent le même regime sans ordonner autre chose denouveau Sur les dix heures ils serendirent tous chez le Roy pourvoit penser sa jambe ou étoit alors son plus grand mal ils y trouvérent un grand changement car elle étoit trés Enflée et rouge Monsieur Maréchal y rémarqua unepetite noirceur sur le cou du pied quiluy sembla demauvaise augure : il dissimula alors devantlafaculté Lejugement qu’jl emportoit ; et ayant frotté La jambe enleurs présence avec des Linges trés chauds lemalade enfut vnpeu soulagé <?page no="248"?> FRANCIS ASSAF 236 Sa Majesté pendant cebon moment profita de cepetit rélachement pour Entendre la messe avecplus de Tranquilité d’Esprit, Elle prit Ensuite vn Boüillon vnepanade et dautres restaurans. dont Elle setrouva assez bien et passa assez doucement la journée dans les visites des Princes et gens de qualitez qui voyoient quelque petite lueur desperances deguerison au Roy Laquelle sesoutint aumesme État jusqu’au temps du coucher qui sefit Enpublic Mais lanuit suivante qui fut le vingtieme dumois d’aoust et dix e . delamaladie du Roy fit disparoistre aussytost les Espérances quelon avoit eües cydevant, l’ayant passée dans des douleurs trés Execives avec des agitations teribles les Médecins qui vinrent des le matin trouverent Monsieur Fagon chez Sa Majesté ayant a Ljnstant Conferé tous Ensemble ils neproposerent que de faire vn Bain d’herbes aromatiques boüillies dans dugros vin de Bourgogne ceque Sa Majesté, agréa trés volontiers, Espérant en etre Bien soulagé Lon peut dire que ceprince n’avoit jamais répugné atout cequ’on luy avoit ordonné jusques la, mesme jl proposa de faire des Jncisions a Sa Jambe, ou même d’en faire L’amputation. Si elle étoit Jugée nécessaire, jamais son courage naparu sigrand soit par amour dela vie ou par Jntrépidité ; on préparalebain ordonné dans une grande cuvette d’argent qui servoit au Roy ordinairement a laver ses pieds Sa Majesté mit sa Jambe dans cebain tout chaud en disant d’vn air assé tranquille aux médécins et chirurgiens, Croyez Vous Messieurs que ce Bain me puisse soulager, J’en ait grand besoin, faites y je vous prie tout ce que Vous pourez : Elle demeura dans ce bain L’Espace d’vne bonne demy heure apres M r . Maréchal premier chirurgien la frotta avec des Linges biens chauds, cequi appaisa unpeu la douleur ; sa Majesté ayant pris Vn Boüillon fut reporté dans son lit pour prendre vn peu derepos On a rémarqué que sa Majesté n’a Jamais demandé de boüillons ny autre chose amanger pendant le cours desa maladie, mais il ne demandoit quetrés souvent qu’aboire pour Eteindre La soïfedvne fievre jnterne quila devoroit jour et nuït, Les Médécins et chirurgiens, vinrent tout cejour lávoir Le Roy plus frequentament qu’a L’ordinaire luy Toucherent lepoulx qui paroissoit plus <?page no="249"?> QUAND LES ROIS MEURENT 237 foible et bienplus abbatu queles jours précédens dont ils enfurent tres jntrigués, n’ayant pas eû jusqu’a cejour, beaucoup d’jnquiétude de cette maladie ; le Roy s’en étant appercû leur ay t . dit, Jevois bien Messieurs par vôtre surprise que vous metrouvez bienplus mal qu’a l’ordinaire. Jesuis véritablement bien abbatue mais comment voudriez vous quejefusse autrement, souffrant jour et Nuit sans rélache, et neprenant présque point de Nourriture depuis le commencement dema maladie. Sans que vous ayez pû me donner aucun soulagement jls répondirent, Sire. nous y faisons de notre mieux et nous allons encore consulter ensemble sur les rémédes quenous pourrons appliquer a Votre Jambe qui est Vôtre plus grand mal, Mais toute leur consultation n’aboutit encore qu’aux rémedes palliatifs, dont on avoit dêjatantdefois éprouvé L’jnutilité Le Roy tout foible qu’jl étoit entendit la Messe dans sa chambre enrobbe de chambre s’etant fait lever avec des peines Extraordinaires. Lagrande dévotion que sa Majesté avoit toujours eüe a cet auguste sacrément seredoubla dans son Esprit par des prieres vocalles. Ensuite il senferma Jusqu’aprés d’une heure avec Le Pere Tellier Son Confesseur Sy étant trouvé trés foible n’ayant pris qu’vn Boüillon aprés cette conference le Roy semit atable voulut prendre vnpeu de Panade bien mitonnée avec delagelée et quelques petits mets et vne compotte de pommes, lemal de sa jambeluydonnant vnpeu de rélache on remarqua mesme sur son visage vne grande serénité, ainsy le Roy ordonna a M r . Le Duc detresmes de laiser lentrée dela chambre libre a tous ceux qui souhaiteroient levoir on n’eut pas plustôt annoncée cette liberté quela chambre du Roy fut tellement remplie demonde detoute qualitéz quon ne pouvoit syremuer. pour l’Emprésement que chacun avoit devoir cet auguste malade. La foule dura présque jusqu’au soir quele Roy s’étant trouvé tres fatigué ordonna de faire sortir tout lemonde Excepté tout les grands et petits officiers dela chambre et dela garde robbe pour faire le service du coucher al’ordinaire Le mercredy matin 21 e . aoust et le 11 e . delamaladie du Roy : il dit en s’eveillant qu’jl s’etoit assez bien trouvé pendant Lanuit, et que ses douleurs <?page no="250"?> FRANCIS ASSAF 238 Estoient bien diminuées changement qui fut attribué ala vertu du Bain du jour précedent sa Majesté seléva enrobbe dechambre surles neuf heures pour donner ses ordres pourtoutes ses actions pendant lajournée ainsy qu’elle avoit accoutumé de faire tous les matins, a fin que chacun seût cequil avoit a faire cejour. comme a Messieurs Voisin, detorcy, delavrilliere Et pontchartrain secrétaires d’Etat, mesme soit pour la chasse ou la promenade aprés Sa Majesté serémit au lit ou Elle Entendit lamesse et surles onze heures sefit servir a Dîner dans son lit, oujly eut un pareil concours demonde avec plusieurs personnes dela premiére Qualité, du nombre desquelles Estoient M rs . Le Maréchal de Villeroy Les premiers Gentilhommes dela chambre Les duc de LaRochefoucault, Denoaïlles, D’antin, de Villeroy et autres personnes de Distinction avec lesquels le Roy s’entretint avec autant depresence d’Esprit que sy n’avoit point Esté malade Dans cefavorable Jntervalle arriva M r . de Nicolat premier President dela chambre des Comptes de Paris 342 , avec M r . De Longueil Son Parent fils de Monsieur de Maisons Président a Mortier au parlement de Paris qui venoit demourir, pour demander asa Majesté la grace d’octroyer au fils, la charge qu’avoit possedée feu Monsieur son Pere, laquelle étoit, dans cette famille d’vn temps Jmmemoriable quoy qu’il n’eut pas encore l’age compétant pour L’exercer, Le Roy les ayant récus trés favorablement leur accorda cette grace ajoutant J’ay toujours eu beaucoup de consideration pour cette famille ; apres le Diner l’on fit sortir et rétirer tout le monde ala reserve de Monsieur Le chancelier Voisin qui travailla seul avecle Roy aux affaires de La guerre dont jl estoit sécretaire d’Etat Jusqu’a six heures du soir, que les grandes douleurs qu S.M. réssentoit l’obligérent de finir ce conseil, quel’on avoit plusieurs fois Jnterrompu pour débander, frotter et rébander la jambe affligée, sans en avoir receu beaucoup de soulagement ; aprés le conseil arriva Madame de Maintenon qui venoit trés souvent alamesme heures, voir le Roy avec Monsieur Le Duc D’orleans Madame D’orleans samere, et autres seigneurs y vinrent aussy estans En peyne sur cequ’jls avoient appris que sa Majesté avoit été plus Jncommodée que lanuit 342 16 ? ? -1737. Premier Président de la Chambre des Comptes de Paris en 1686. <?page no="251"?> QUAND LES ROIS MEURENT 239 Précedente leur en ayant témoigné saréconnoissance en disant que sagrande Jnquiétude Etoit queles médécins ny les chirurgiens et toute la faculté, n’ont pu encore trouver lemoyen deme pouvoir soulager une seule journée ; Jl sefit lever ensuite pour sedélasser du lit et changer de situation cequi ne se peu faire sans luy faire souffrir de Nouvelles douleurs onleplaca dans vne chaise roulante enrobe de chambre parce qu’on ne pouvoit plus l’habiller tant son corps étoit douloureux L’on posa sa jambe malade sur vn petit tabouret couvert d’vn careau de velours rouge, on le mit atable pour souper oujl fut jusques surles neuf a dix heures du soir ; mais il y mangeatrés peu quoy que plusieurs Personnes qui Estoient Présentes, comme M r . lemarechal de Villeroy qui Entrétenoit le Roy Pendant ce répas, l’exitant même a Prendre quelques metz ou Nourriture Extraordinaires pour sefortifier l’estomach. mais le dégout continuel ou étoit le Roy luy permit pas deprendre aucune chose que du Boüillon avec vn peu de Gelée et de pain trampe dans du Restorant, n’ayant voulut boire qu’vn peu de vin et d’eau ; Sa majesté sefit Ensuite rouler dans son cabinet pour sedivertir avec les Princes et Princesses quily attendoient jl y demeura prés d’vne heure, mais les douleurs de la jambe quelle réssentoit Lobligerent de rentrer dans sa chambre ou Maréchal fit les frixions ordinaires, mais il s’appercu en les faisant quele mal delajambe du Roy augmentoit trés considerablement malgré tous les rémedes quel’on y faisoit, L’ayant témoigné a M r . Fagon Luy representant qu’jl seroit trés apropos demander quelques autres medécins delafaculté de Paris pour consulter sur ceprésent mal ; samajesté y consentit volontiers, Etant tres d’accord atout ce que l’on luy proposoit pourle soulager dans ses grandes douleurs, en même temps L’ordre en fut Expedié et Envoyé a Paris aux Médécins de serendre du matin a Versailles ; Ensuite surles onze heures du soir on rémit le Roy aulit ; La Nuit du Jeudy 22 e . aoust et douziême delamaladie du Roy fut aussy mauvaise et facheuse qu’aucunes des preced es . car le Roy n’eut aucun répos, Monsieur Fagon et les médécins Entrerent de grand matin dans la chambre de sa Majesté aprés une longue consultation Entr’eux ils résolurent dereïterer le Bain de vin et d’herbes aromatiques qu’on prépara aussytôt on y mit la <?page no="252"?> FRANCIS ASSAF 240 jambe du Roy. mais vne foiblesse qui luy survint causée, a ce que l’on crut par la vapeur du vin et des herbes fortes obligea dele rétirer promptement et le remetre au lit Sur les neuf heures dumatin arrivérent plusieurs médécins de Paris, dunombre desquels Estoient Messieurs falconnet, Dodart, Petit, Gelis et Goutard médécin de feüe Mad e . La D’auphine établi a s t . Germain en laye. ces Messieurs s’etant joints aux medecins de la cour, ils furent Jntroduits par M r . fagon et par Monsieur Boudin, ils s’approchérent du lit du Roy, sa Majesté qui les prévint d’une maniere trés affable en leur disant, Vous me voyez Messieurs dans vn facheux éstat demaladie depuis le dixiême de ce mois, sans pouvoir trouver aucun secours, Je vous ait mandéé pour scavoir de vous si vous pouriez me procurer quelque soulagement aux maux qu’jl plaist au seigneur dem’envoyer, carjls sont tres grands, L’Un deux portant laparole dit, Sire. nous Esperons avec l’aide de Dieu et des rémédes vous donner un prompt soulagem t . et que cette maladie n’aura pas de suite Admirable promesse si elle avoit eut quelque effet ; mais c’est Dieu qui frappe et qui guérit, ces doctes prometteurs tatérent Lepoulx dumalade avec cérémonies les vnx aprés les autres selon leur rang d’ancienneté ils luy trouverent beaucoup de fiévre ; personne n’en doutoit ; la Question était dela chasser et de pouvoir soulager lemal desa jambe ; ils passerent tous pour cela dans le cabinet du Roy, ou l’on avoit coutume d’aller faire des consultations chacun d’eux y déploya son Eloquence pour approuver la conduite de M r . Fagon ou jls conclurent qu’il falloit Exécuter cequi avoit esté résolu dans la consultation du Quatorze du mois touchant le láit d’anesse et qui avoit été differé Jusques la pour des raisons que Monsieur Fagon allégua personne ne fut assez jmpoli pour le contredire Cette ordonnance fut Executée surle champs le Roy prit dulait d’anesse, ensuite Entendit lamesse ou la curiosité attira plus demonde que la Dévotion, la Paleur et l’abbatement qui paroissoient surlevisage desa Majesté sembloient secommuniquer aux spectateurs. Cependant quelques heures aprés ce courageux malade voulut sortir du lit pour dîner ayant vn dégoût extraord re . <?page no="253"?> QUAND LES ROIS MEURENT 241 Pourtout ceque l’on put apporter de rare pourluy ramener l’appétit sa Majesté ordonna a Monsieur Le Duc detresmes qui le servoit atable defaire entrer tout lemonde, parceque cela luy faisoit toujours plaisir Parmi Lafoule des courtisans qui Entrerent Le Roy ayant appercu Monsieur de Mesmes prémier Président du Parlement de Paris, luy dit, Monsieur vous me voyez bien jncommodé et souffrant beaucoup ; vous venez de Perdre vn trés bon sujet dans vôtre Compagnie de mon Parlement parlamort de Monsieur de Maisons ; s’etoit un parfaitement honneste homme, et c’est a cette considération que j’ay bien voulu accorder a son fils la charge de Président a Mortier Qu’il possedoit. quoy qu’jl n’ait pas L’age pour l’exercer : J’ay crut le dévoir faire en considération de ses ayeux et de son grand pere qui m ont bien servit dans le Parlement et surtout pendant ma minorité qu’il estoit chancellier de feüe la Reyne ma mere Regente ; Monsieur le Premier Président répondit, Sire. Je suis venu pour en remercier trés humblement vôtre Majesté delapart detoutes les compagnies des chambres de vôtre Parlement, Ensuite M r . Devillars Maréchal de france qui étoit présent fit aussy ses trés humbles remercimens au Roy en Qualité de Beaufrere de feu Monsieur de Maisons ; aprés dîner le Roy qui setrouvoit vn peut mieux sefit porter dans son grand cabinet ou serendirent les Princes du sang avec M rs . Le Marêchal de Villeroy, les Ducs de la Rochefoucault, de Noaïlles et d’antin, Monsieur D’armagnac Le Prince charles son fils, les premiers Gentilhommes de la chambre les capitaines des gardes du corps le Marquis de Beringhein les Ministres et sécretaires d’Estat et beaucoup d’autres Personnes de Qualitez et dofficiers detouts Etats desorte quele cabinet et la chambre en furent si remplis qu’on nepouvoit y passer, et quel’on apprehenda que cela n’jncommodat S.M. mais le plaisir qu’Elle prénoit de voir L’Empressement qu’avoient ses courtisans, a la voir luy faisoit presque oublier ses douleurs qui Enfin l’emporterent sur son plaisir et sur sa constance, cequi L’obligerent derétourner dans sa chambre pour sefaire penser sa jambe, et fit congédier ceux qui n’avoient aucune fonction pres desa personne pour prendre vn peu derepos que L’on le mit au Lit apres avoir pris seulement vn peu de Boüillon ; <?page no="254"?> FRANCIS ASSAF 242 Sur Les six heures dumatin 23 e . aoust et letreiziême dela maladie du Roy. la nuit ne fut Jnterrompüe que par la necessité deboire et de penser sa jambe Plusieurs fois, surles sept heures arriva Monsieur fagon au chevet du lit de sa Majesté qui étoit un peut assouppie c’étant approché du lit tenant vne Ecuelle dor plaine deláit d’anesse En disant d’vne voix asséé haute Sire c’est du lait d’anesse qu’il faut que vôtre Majesté prenne elle sereveilla et le prit letrouva assez bon et serendormit jusques surles neuf heures Étant baigné par vne grande sueur qui luy fit assez de bien Les médécins arrivérent surles dix heures chez le Roy leur ayant dit quelebain qu’on ma fait cydevant ma assez soulagé, je crois qu’il seroit pas mal apropos dele reiterer cequi fut fait dans l’jnstant, le Roy y ayant mit la jambe l’espace d’vne demye heure, fit rétirer la cuvette disant cette odeur ma monté ala tête si fort que je crainderois qu’elle nemefit tomber en foiblesse. cebain ne laissa pas de suspendre vn peu la douleur Le Roy Il prit vn Boüillon ensuite et sefit Razer par Bidault l’vn des Barbiers de quartier, l’on a rémarqué même quelque maladie qu’eu ce grand Prince il ne manquoit point desefaire raser tous les trois jours par sa grande Propreté ; au même temps arrivérent Monsieur Le Duc D’orleans Monsieur Le Duc, Messieurs dumaine et de Toulouze ils converserent quelque temps trés familiérement avec sa Majesté qui voyoit encore les deux derniers en habits de chasse les congédia leur disant adieu Messieurs ne perdez pas l’heure de vôtre chasse, La Complaisance étoit Naturelle a ce grand Monarque et même jusqu’a ses moindres domestiques ; lorsqu’ils furent partis Le Roy sefit remettre aulit aprés avoir bu vn trés grand verre d’eau, M r . maréchal visita La Jambe du Roy En presence des médécins et chirurgiens lesquels furent d’vn grand Etonnement de la voir ensy méchant Etat mais s’etant mesme retiré sans dire vn seul mot de crainte d’jnquietter Sa Majesté Ils furent tous conferer sur cet accident, on lêva le Roy dans son fauteüil et prit vn boüillon Ensuite les médécins révinrent étant trés Jnquiéte de lamauvaise scituation dela jambe du Roy ; ou Monsieur Fagon delibéra de leur faire encore voir le mal, avec plus dattention on fit sortir tous ceux qui n’étoient point <?page no="255"?> QUAND LES ROIS MEURENT 243 Necessaires au service jls commencerent par tater lepoulx dumalade, toujours selon leur rang d’ancienneté. ils letrouverent Elevé et fort agité Ensuite M r . Fagon leur fit voir la Jambe de sa Majesté qui Etoit toûjours en lamême scituation qu’ils l’avoient láissée Lematin et pour dire quelque chose ils Luy demanderent si le lait d’anesse luy avoit fait du bien, et s’il luy avoit diminuée ses douleurs jl répondit assez bien au corps mais point de soulagement ama jambe, ils répliquerent Sire. nous allons a l’jnstant conferer encorre tous Ensemble sur tout se qui sepourra faire pour contribuer a vôre grand soulagem t . Mais aprés vne longue consulation qui n’aboutit arien que de scavoir sy lelait d’anesse avoit fait du bien au Roy, Jls remirent a la premiere consultation pour mieux en décider Ensuite Sa Majesté voulut demeurer seul avec le Pere Tellier son confesseur Jusqu’a onze heures. ce fut apparemment dans ce temps la ; qu’elle fit son second codicille. puisqu’il est datté du 23 e . aoust 1715. aprés le Roy fit appeller Madame de Maintenon qui etoit dans le cabinet pour luy parler en particulier Elle voulut mesme Engager Sa Majesté a prendre quelque Nourriture en ayant tres besoin mais le Roy ne voulut qu’vn boüillon car il estoit toujours d’vn tres grand dégoust aprés quelqués momens de convérsation cette dame seretira dans son appartement, fort affligée de voir sa Majesté ensy méchant Estat, on ne laissa pas de servir lediner, soit par coutume ou autrement, le Roy nemangea présque rien. on fit encore entrer tout le monde qui setrouvérent dans les appartements dont la tristesse linquiétude Estoit peinte sur leurs visages de voir ce Prince souténir son mal avec vne sigrande partience ; Jls rappelloient en eux ces jours heureux du plus glorieux Régne du monde quel’on voyoit sans ôser ledire seterminer dans les douleurs avec vne fermeté d’ame heroïque que ce grand Roy atoujours fait paroistre dans les divers Evenemens de sa vie, qu’il soutenoit avec vne douceur non pareille cet objet touchoit tout lemonde de compâsion, et Particuliérement ceux qui avoient l’honneur dapprocher de plus prés desa personne Royale qui sevoyoient ala veille de perdre vn si bon Roy et Maître. Tout laprés midy les douleurs furent trés violentes par les grands maux quele Roy ressentoit de sa jambe Les médécins serendoient avec les chirurgiens <?page no="256"?> FRANCIS ASSAF 244 plus assidus mais sans fruit, sa Majesté leur disoit, souvent Messieurs je suis bien a plaindre que vous n’ayez pû jusqu’a présent trouver aucun rémédes aumal que je sens ; ses Messieurs luy répondirent, Sire nous faisons tout ceque nous pouvons pour vous soulager mais lamaladie de vôtre Majesté l’emporte sur nos rémédes, nous Esperons cépendant avec la grace de Dieu d’en trouver de specifique qui pourrons la surmonter ; Ces belles parolles tranquiliserent vn peu lemalade cependant le Roy avoit la bouche et la langue trés seiches a cause du feu dévorant qu’il réssentoit dans les Entrailles nonobstant qu’il beûvoit a tous moments sans pouvoir sedésalterer cependant Monsieur Maréchal n’étoit occupé qu’a débander La Jambe de sa Majesté la frotter et rébander sans pouvoir la soulager, Sur les sept heures du soir samajesté qui a toujours beaucoup aimé la Musique, savisa pour faire diversion a la douleur d’ordonner a Monsieur le Duc de Tresmes de faire venir quelquesvns de ses Musiciens pour chanter dans sa chambre quelques airs Jtaliens ; ainsy Monsieur dela lande surjntendant dela Musique arriva avec les plus habilles Musiciens du Roy qu’jl avoit choissy qui avoient les plus belles voix. Sa Majesté prit assez de plaisir a leur entendre chanter ses airs Jtaliens dépuis sept heures Jusqu’a neuf Elle demeura assez tranquille pendant ce temps la, sans sentir beaucoup de douleur s’étant Ensuite fait léver pour souper, a fin d’obeïr a la coutume elle ne prit seullement qu’vn peu de panade de la gellée et de quelques pétits ragouts ; Ensuite sa Majesté passa dans son Cabinet ou les princes et princesses l’attendoient qui furent tres surpris de voir le Roy arriver dans sa chaise roulante ne la croyant pas en Etat de faire cepetit voyage aussy ne fut il pas long car elle fut obligée derentrer bientost dans sa chambre pour faire ses prieres et seremettre au lit ; La Nuit suivante du vingt quatriême dumois d’aoust et du quatorzième delamaladie du Roy, il fut attaqué de vapeurs qui ljncommodérent trés fort toute cette nuit, cequi obligea Monsieur Fagon a faire assembler des le matin toute la faculté de Médécine et chirurgie, tant de la ville de Paris dela cour et autres pour consulter sur ce Nouvel accident dans cette belle consultation, quils firent, aprés avoir touché lepoulx dumalade toujours en cérémoniés, ils <?page no="257"?> QUAND LES ROIS MEURENT 245 conclurent de Rétrancher usage dulaît D’anesse qui n’avoit pas plus de vertu que leurs autres rémédes. ils visitérent seulement La Jambe du Roy ala quelle Monsieur Maréchal leur fit rémarquer vne petite noirceur audessous dela jarretiére dela grandeur d’vn denier. dont la conjoncture n’etoit pas d’vn bon augure, car elle jndiquoit dans peut la gangrenne, cet accident Jmpreveu étonna trés fort toute la Faculté qui Etoit assemblée qui ordonna des Linges trampées dans de l’eaudevie canfrée pour y rappeller la chaleur naturelle Le Roy entendit Ensuite la messe dans le lit, prit vn Boüillon et malgré ses douleurs voulut Tenir le conseil des finances qui dura Jusqu’a vnze heures. pend t . lequel Monsieur Maréchal fut obligé dy Entrer plusieurs fois pour faire des frixions a la Jambe de sa Majesté pour moderer par la les Douleurs qu’elle y résentoit L’heure du diner venüe on demanda au Roy l’ordre pour servir, mais il ne voulut prendre qu’vn boüillon Jl fit Ensuite appeller Monsieur Desmarets controlleur General des finances, aveclequel il travailla quelques temps seul apres ce conseil M r . le Maréchal de villeroy qui Etoit venu voir sa majesté, fut bien aise de profiter de cette occassion pour voir par luy mesme La scituation de cette Jambe malade, Monsieur Maréchal prémier chirurgien lay t . debandée. elle setrouva toute noire jusqu’au pied cequi les surpris tres fort ; mais il n’en voulut rien temoigner devant sa Majesté qui leur dit, Messieurs. ma jambe ne me fait plus tant demal qual’ordinaire. ainsy ceux qui Estoient présens avec Mons r . le maréchal de Villeroy n’en voulurent point dire leurs sentim ts . La jugerent comme alors Jncurable : et ce seigneur, s’en rétourna dans son appartement les larmes aux yeux Le Roy cependant qui séntoit moins de douleurs sefit lever et mettre dans son fauteüil, ou jl s’entrétint desamaladie dont il ne scavoit pas Encore le grand danger, qu’on luy cachoit toujours avec précautions, mais s’étant appercú, dans cet Entrétien que la tristesse étoit peinte sur tous les visages deses officiers les plus confidens ; cequi parut aussy Extrêmment dans son Esprit étant alors trés jnquiete sur la scituation de sa jambe, sa Majesté fit congedier tous les courtisans pour avoir plus de liberté deseplaindre, elle ne voulut auprés d’Elle que les officiers dela chambre et de la garde robbe ; <?page no="258"?> FRANCIS ASSAF 246 Toute Laprés diner sepassa ainsy car quelque soin quel’on prit de divertir le Roy de sa mélancolie on y put Jamais réüssir cette fois la, car il jugeoit le peril évident ou il étoit : c’est pourquoy surles quatres heures il demanda le pere Tellier son confesseur et senferma seul avec luy pour seréconcillier et sedisposer abien Mourir comme on a pû le Juger Cette facheuse Nouvelle serépandit bientost parmy tous les peuples qui etoient a Versailles qui arrivoient au chateau trés consternés de l’Etat ou Estoit le Roy : surles huit heures du soir on récoucha sa Majesté qui n’avoit prit qu’vn seul Boüillon et qui ne voulut point prendre aucune Nourriture ; Depuis tout cejour la, le pere le Tellier nelequitta plus ny jour ni nuit ; Le 25 e . aoust qui estoit la feste de s t . Louis Roy de france dont S.M. descendoit et dont Elle portoit lenom. cette fête tomboit au Dimanche dudit mois 25 e . aoust et le 15 e . dela maladie du Roy qui avoit été Jusques la, vn jour de joye et de triomphe. mais ce fut au contraire vn jour detristesse et de consternation, nonóbstant Le Roy y receut les complimens des Princes et seigneurs dela cour des prémiers Magistrats des Compagnies du Parlement et de la ville de paris, mais il n’étoit gueres en état de les écouter : deplus on n’en pouvoit pas faire de fort agréablee enl’Etat qu’jl setrouvoit jl ne les réfusa pas néantmoins, les ayant receûs trés gracieusem t . et si on en récut quelque consolation ce fut de voir les grands sentiments de pieté et de résignation que le Roy temoigna alors nay t . Jamais fait paroître plus de courage et de fermeté d’ame que dans cette triste conjoncture, ou les plus forts font souvent voir plus de grandes foiblesses ; Samajesté qui n’avoit pas bien réposé toute cette nuit ayant estée fatiguée detant de visites, avoit vn grand bésoin de répos Elle avoit vn visage rouge et trés Enflammé, les médécins et chirurgiens Etant venus la visiter comme de coûtume Elle leur dit Messieurs Je vous avertis que jene sens plus tant de douleur ama jambe que cy devant mais aussy je me sens bien plus abbatu et si foible que les forces me manquent atous momens. ne pouvant plus me soutenir sur ma Jambe. Quelques vns des médecins ou chirurgiens dirent assez bas En seregardt tous ; il vaudroit bien mieux qu’elle fit Encore beaucoup demal a sa Majesté. Cependant M r . Maréchal ayant débandé la jambe en leur <?page no="259"?> QUAND LES ROIS MEURENT 247 présence. Elle fut trouvée et veüe dans vn terrible Estat car la gangrénne l’avoit entiérement gagnée dépuis le Génoüil jusqu’au pied : c’etoit ce progrés subit qui ôtoit au Roy la douleur et le sentiment amesure quelemal augmentoit Sur Les dix heures dumatin Monsieur le duc detresmes premier Gentilhomme dela chambre vint dire au Roy qu’a l’occassion dela fête de s t . Louis, les hauts bois dela chambre, les vingt quatre violons. et les Musiciens vénoient selon l’usage ordinaire donner des aubades a sa Majesté. luy demandant s’il trouveroit bon qu’ils le fisent et si cela ne pourroit point l’jncommoder. Sa Majesté qui Quoyque malade ne vouloit Jamais jnterrompre cequi Etoit de coûtume. dit qu’jls pouvoient jouer dans l’antichambre mais vn peu Eloignés, pour ne luy pas faire depeine ; Ensuite Monsieur le Duc dumaine comme colonel général des suisses et Grisons. et M r . Le Duc de Guiche 343 colonel des gardes francoises démanderent lamesme Permission pour les fifres et tambours deleurs Régimens. ceux cy Joüerent dans la cour du château Eloignées des fenestres delappartement du Roy qui les écouta attentivement et leur fit distribuer a chacun vn louis d’or comme il sepratiquoit tous les ans lon peut dire que c’etoit vne trés grande complaisance desa Majesté, dans l’Etat ou elle estoit ; aprés toutes ces fanfares guerriéres Le Roy Entendit la messe dans son lit avec vn rédoublement d’attention et de dévotion digne d’vn Roy si chrétien ayant eu toujours pendant ce s t . sacrifice les mains jointes et les yeux levées au ciel, ensuite sa Majesté voulut selever pour changer de scituation. ce fut avec les mesmes peines ordinaires qu’on luy réndit se service pour lemettre dans son fauteüil a table pour dîner. Onluy servit plusieurs petits mets ragoutans pour éxiter son appetit mais il n’en mangea que trés peu parroissant trés fatigué des cérémonies de ce jour : cequi l’obligea de seremettre aulit au plustôt Il est assez étonnant qu’vn chacun sachant l’Etat perillieux ou étoit sa Majesté que personne n’eut point encorre pensé a disposer le Roy a récévoir 343 1671-1725. Duc de Guiche et de Gramont. <?page no="260"?> FRANCIS ASSAF 248 les saints sacréments de l’Eglise dans cette dangéreuse scituation ou il setrouvoit mesme dans vn âge assez avancée pour ne plus compter sur la force de son tamperamment. car vne fievre le dévoroit depuis plus de quinze jours n’ayant alors aucune partie saine surtout son corps on voyoit la gangrénne de sa Jambe luy gagner toutes les parties ; cependant on laissoit périr ce Prince sans songer auplus nécessaire mais on craïnt quelquefois d’annoncer cette Nouvelle avn Esprit foible, mais que craignoit-on dvn Prince si dévot, si Religieux et si chrétien ; Parmy ce nombre Jnnombrable degens qui faisoient La cour a louis quatorze il ny eut que fort peudepersonnes qui voulurent prendre cette commission cequi enpartie Mons r . le maréchal de villeroy qui pensoit au salut, duprince comme ilne (sous image) Le Reverend Pere Le Tellier ~ DERNIER Confesseur du Roy LOVIS 14 e . Deceddé a paris En Lannée sortoit présquepoint des appartements du Roy par l’attachement qu’il avoit pour Sa Majesté, et qu’il voyoit deplus prés le péril ou Elle estoit, il voulut s’adrésser prémiérement a M r . le cardinal de Rohan grand aumônier de france, qui éstoit auprés du Roy avec le Pere Tellier et Monsieur huchon cure de Versailles, M r . le Maréchal leur dit qu’jl croyoit qu’il étoit temps de préparer sa Majesté arécévoir le s t . Sacrément, et quel’on pourroit bien y être surpris : mais La difficulté étoit a qui porteroit cette Nouvelle a ce Prince moribond, le confesseur ne put ou n’osa sans deffendre illefit a l’jnstant ayant Exhorté sa Majesté a cette sainte action illuy demande s’il n’auroit pas souhaitté arécevoir les sacréments del’Eglise ; Elleluy répondit avec beaucoup de pieté detout mon coeur Mon Pere, Jelesouhaitte tres ardemment jevous l’ai témoigné plusieurs fois même pendant le cours dema maladie d’avoir cette consolation aussytôt le Pere Tellier demeura seul pendant vne demye heure pour confesser le Roy et lepréparer a récevoir letrés s t . sacrément Sa Majesté parüe remplie d’vne joyejnterieure de cette s te . action et d’vne tranquillité Dame qui parroissoit sursonvisage, En disant tout haut, hé, mon Dieu et créateur, voulez vous bien Encorre venir amoy vous qui estes le Roy des Roys, <?page no="261"?> QUAND LES ROIS MEURENT 249 Ensuite monsieur le cardinal de Rohan grand aumonier ayant donné ses ordres pour cette cérémonie setransporta ala chapelle du chateau, surles sept heures du soir accompagné de deux aûmoniers avec deux chapélains et des clercs de chapelle du Roy, pour prendre le s t . sacrément, les chapélains portant le Dais et vn clerc de chapelle la sonnette, precedées par six garcons du chateau portant des flambeaux ; aprés le s t . sacrem t . marchoit Monsieur huchon curé de Versailles alateste des prêtres Missionnaires qui desservent la chapelle et Parroisse et d’vn grand nombre de Prêtres et autres Ecclesiastiques dela cour apres eux les Princes et Princesses, et les grands et petits officiers dela maison du Roy suivis d’vne grande affluence de peuples accourus a cette cérémonies Le Saint Sacrément arrivé dans la chambre du Roy M r . Le cardinal de Rohan l’exposa sur vnetable magnifiquement parée, s’etant approché du lit du Roy, dont les Rideaux étoient ouverts. luy fit vne Exhortation fort touchante et pathetique alaquelle Sa Majesté répondit d’vne maniére tres Edifiante les yeux elevées vers le ciel témoignant sa foi et sa parfaite résignation ala volonté de Dieu. Elle dit Ensuite Le Confiteor tout haut les mains Jointes aprés quoy Monsieur le cardinal luy administra Le s t . Sacrément en viatique quelle receu avec vne grande démonstration de componction et de pieté répétant plusieurs fois ces paroles Entre coupées de sanglots et de larmes, mon Dieu ayez pitié demoy Jespere en vôtre miséricorde ; Jl ny eut personne quine fut tres attendri a ce spectacle les pleures et les gémissements rétentissoient detous cotez du château, la cérémonie et les prieres finis, Monsieur Le cardinal fit vne seconde Exhortation au Roy sur la grace que Dieu venoit deluy faire ; puis illuy donna la Bénédiction du s t . Sacrément et le reporta a la chapelle dans lemesme ordre qu’il etoit venu ; a cette triste Nouvelle jl accourut vne si grande affluence de peuples quenon seullement les appartements et les cours du chateau Les Places et les rues de Versailles en étoient toutes remplies. c’etoit vne consternation generalle ; Sa Majesté ayant esté tres emüe de cette cérémonie souhaitta demeurer seul avec le Pere Tellier y resta Environ vne demye heure aprés quoy ayant <?page no="262"?> FRANCIS ASSAF 250 fait appeller les grands et pétits officiers desa chambre de sa garderobbe et desa maison qui setrouverent dans les appartements du chateau, Sa Majesté leur temoigna avec vne grande sérénité d’esprit lájoye qu’elle réssentoit d’avoir receû le s t . Sacrement de l’Eglise avectoute laprésence d’esprit quelle avoit demandé a Dieu Elle finit son discours en leur témoignant qu’elle estoit tres contente de leurs bons services et quelle Les Recommenderoit a M r . Le Duc Dorleans, Le Roy ayant demandé M r . lemaréchal de Villeroy luy dit d’vnton fort gracieux Monsieur lemaréchal ayant toujours eu beaucoup d’amitié destime et de considération pour vous, et me voy t . preste a vous quitter et mourir, puisqu’il ny a plus derémedes amefaire et pour vous marquer ma réconnoissance des services que vous m’avez rendus et de ceux de M r . vôtre Pere qui a été mon gouverneur, deslannée 1646 pendant maminorite. Je vous faits aussy Gouverneur de Monsieur le D’auphin mon arriére pétit fils je vous demande la grace delélever dans la crainte de Dieu et deluy Jnspirer vn amour tendre pour ses peuples. quileporte ales soulager autant qu’jl luy sera possible ayez vne grande attention sur sa conduite. faites ensorte quelle soit bien reglée ne l’abandonné jamais de veüe, je vous en prie Sa Majesté ajoûta plusieurs autres choses trés obligeantes quel’on ne put entendre distinctement a cause des soupirs et des gemissemens que Poussoit Monsieur le maréchal qui ne put répondre al’honneur que luy faisoit le Roy, autrément que par ses larmes s’etant jetté a génoux pour baiser lamain de sa Majesté : ainsy il sortit tout pénétre de douleur dans son appartement aprés cela le Roy manda Messieurs Voisin chancelier et desmarets controleur general des finances leur parla chacun en particulier pendant vne bonne demie heure Ensuite Sa Majesté demanda M r . le Duc Dorleans et luy parla d’vne maniere trés obligeantes et fort touchante Il luy dit Mon cher Neveu j’ay fait vn Testament dans lequel je vous ait conservé tous les droits que vous donne vôtre Naissance. je vous récommande le D’auphin servez le aussy bien et aussy fidelement que vous m’avez servi. Travaillez de votre mieux aluy conserver son Royaume en paix comme <?page no="263"?> QUAND LES ROIS MEURENT 251 pour vous même s’il venoit amanquer vous seriez lemaître. je connois vôtre bon coeur, vôtre Sagesse vôtre courage et l’Etendüe de vôtre Esprit je suis bien persuadé du soin que vous prendrez pour la bonne éducation du D’auphin, et que vous nobmettrez rien pourle soulagement des peuples deson état et de son Royaume ; Je vous récommande aussy en Particulier tous les officiers de ma maison tant grands que petits, ils m’ont tous trés fidellement servit et avec affection ; Je suis trés content deux : faites leur tout le bien que vous pourrez. ne les abandonnez pas je vous en prie dans leurs bésoins et Nécessitez, Sa Majesté finit son Discours par ces paroles sy touchantes ; mon cher neveu ayez souvenance demoy Jay fait toutes les dispositions quej’ay crües les plus sages et les plus équitables pour le bien du Royaume pour y maintenir lapaix l’union etla tranquilite, mais comme on ne scauroit tout prevoir s’il y a quelque chose a changer oû a réformer, on fera cequel’on jugera et trouvera leplus apropos pour le bien de l’Etat et du Royaume Monsieur le Duc D’orleans quoyque fort touché de cediscours répondit au Roy. Sire, je prie vôtre Majesté d’éstre bien persuadé dema reconnoissance pour toutes les bontés quelle atoujours eüs pour moy : que jeneles oubliray jamais jelasuplie de croire que J’exécuterai trés ponctuellement tout ce quelle mordonne. il semit Ensuite a genoulx fondant en Larmes. il embrassa le Roy quiluy donna sa main a Baiser (sous image) se vend a Paris chez Langlois Sur le petit Pont a la Couppe d’Or Monsieur le Duc du Mayne né a versailles le 31 e . mays 1670 Louis-Auguste de Bourbon, Legitimé de France, Prince Souverin de Dombes, Duc du Mayne et d’Aumale, Comte d’Eu, Pair de France, Chevalier des Ordres du Roy en 1686. General des Galeres de France en 1688. dont il se demit et fut depuis Grand Maître de l’artilerie de France et Colonel des Gardes suisses. Il est fils de Louis XIV. dit le Grand Roy de France et de Navarre et a épousé <?page no="264"?> FRANCIS ASSAF 252 Louise-Benedicte de Bourbon, fille de Henry-Jules Prince de condé 344 et de Anne comtesse Palatine de Baviere 345 enluy donnant sa Bénédiction À peine Monsieur le Duc D’orleans étoit il sorti qu’ariverent Messieurs les Princes du sang, scavoir Monsieur le Duc de chartres 346 , accompagné de Monsieur le Duc, du comte de charolois 347 son frere, leprince de Conty, le Duc du Maine et le comte de Toulouze avecles Princesses du sang qui arrivérent en même temps. ayant tous salué le Roy, luy Baiserent lamain fondant en lármes ; sa Majesté leur diant aDieu illeur fit vn petit discours fort touchant et pathétique, les Exhortant abien vivre tous enpaix et en vnion ensemble tant pour leur jnterest particulier que pour celuy detoutes la france elle leur récommanda aussy d’avoir tout le respect et d’amitié pourle D’auphin, sa Maj té . Leur donna sa Bénédiction et samain a baiser ayant tous fait de grandes protestations de suivre tout ce quelle leur voit ordonné ils seretirent fondant tous en Larmes ; Mais le Roy voulant parler en Particulier a M r . Le Duc du Maine qui estoit désja sortit dela chambre outréde douleur le fit appeller et luy dit, Monsieur vôtre grande sagesse dont je suis convaincu et la capacité que j’ay toujours rémarqué en vôtre personne ont fait que j’ay jetté les yeux sur vous pour vous donner la charge de surjntendant del’Education de M r . le D’auphin, étant Persuadé que vous vous acquitterez parfaitement bien de cette Jmportante fonction ; En vous disant a Dieu. souvenez vous demoy ; Monsieur le Duc dumaine serétira presque évanoüie ([sic] detristesse aprés ces facheux adieux le Roy setrouva trés foible cequi obligea M r . fagon levoyant dans ce mauvais Estat de L’engager seullement a vouloir prendre vn boüillon ou autre chose pour le soutenir, nonobstant qu’jl en avoit beaucoup de répugnance, mais il prit le Boüillon par vne pure complaisance cependant Sa Majesté en receut du soulagement car il s’assoupit Jncontinent et répossa assez bien pendant vne bonne heure ; 344 1643-1709. 345 1648-1723. 346 1703-1723. 347 1700-1760. <?page no="265"?> QUAND LES ROIS MEURENT 253 Sa Majesté en séveillant apercût Mad e . demaintenon qui soupiroit et pleuroit devoir le Roy dans vn siperillieux Estat sa Majesté s’etant rétourné ayant la veüe vn peu egarée luy ayant dit madame je vous voit trés affligée deme voir prest a finir cette vie mortelle n’aige pas assez vecût, m’avez vous crut estre Jmmortelle Estant trés persuadé que cette vie n’est que passagere et quil y a vn Dieu bien audessus des Roys delaterre c’est anous a sy soumettre ; Madame demaintenon qui étoit d’vne grande pieté Éxitoit sa majesté dans des bons sentiments, ensuite serétira dans son appartem t . accablée d’vne trés vive douleur ; Pendant que toutes ces choses sepassérent, tous les medécins et chirurgiens estoient assemblés pour consulter surles moyens de pouvoir soulager les maux que sa Majesté souffroit tant dans son corps que de sa jambe l’ayant visitez et luy ayant taté lepoux qui Estoit tres emüe et Jntermitant Jls ordonnérent quel’on apliqueroit sur lemal dela jambe des rémédes les plus corrosiffes pour tacher d’y pouvoir rapeller la chaleur Naturelle et Empescher le progrés dela gangrénne qui augmentoit toujours, pour faire vénir la playe a suppuration, le reste de cette Journée sepassa ainsy trés tristement ; Mais Nous pouvons dire dans cette facheuse circonstance delamaladie de ce grand et genereux Roy personne n’en temoigna plus d’Jnquiétudequela Reyne D’angleterre cette vertueuse princesse qui faisoit sa résidence dans le château de s t . Germain enlaye depuis Lannée 1688 y ayant perdu Jacques Stuard Second, Roy D’angleterre son mary demaladie en lannée 1701 et la Princesse sa fille quy estoit née dans ledit chateau en lannée 1692, y estant deceddée le 28 d’avril 1712, cette Reyne Estant meme privée de son fils reconnu Jacques troisiême Roy Dangleterre seul reste de cette famille Royalle persécutée, le Roy louis 14 e . ayant voulut pourvoir aleurs subsistance pendant leur sejour dans ce Royaume cette Réligieuse Reyne envisageoit La grandeperte qu’elle alloit faire du Roy, qui étoit la seule consolation et la seule ressource quiluy restoit au milieu deses disgraces. Elle témoigna en cette occasion toute saréconnoissance et sa vénération pour cette auguste bien faicteur. non seullement par ses continuelles priéres et ses visites Journalliéres a Versailles y envoyant réguliérement deux fois par jour quelques <?page no="266"?> FRANCIS ASSAF 254 personnes des plus qualifiées desa court, pour estre plus Jnformée del’Etat delasanté de sa majesté ; néantmoins le ciel fut sourd a ses voeux et jnflexible a ses priérés. car la maladie augmenta toûjours jusqu’a sa mort ; La nuit du 26 e du mois d’Aoust et le seiziême de cette cruelle maladie, le Roy ne dormit que par Jntervales, ses forces diminuérent tellement qu’on étoit obligé deluy lever latête pour luy faire prendre quelque chose : il en Etoit ainsy detous ses membres lórsquil falloit les rémuer. cette éxtrémité neluy fit point oublier ses Exercices de Réligion ; car surles huit heures du Matin sa Majesté souhaita Entendre la s te . Messe dans son lit elle ny manqua Jamais ensavie, quelques affaires ou maladie qu’elle pût avoir on fit avertir Les aumôniers les chapélains et les clercs de chapelle pour accommoder et aporter tout cequi étoit Necessaire pourla célébration de ce s t . sacrifice ; Le Roy y assista d’vne dévotion Exemplaire avec vne scinsaire résignation a la volonté de Dieu ensuite Jl prit vn Boüillon et fit venir les princes et Princesses du sang s’etant tous aprochez dulit, sa Majesté leur parla avec vneprésence d’Esprit admirable , endes termes peu Communs dans vne telle Extrémité mesme sur son Etat et sur la conduite qu’ils dévoient ténir aprés sa mort ; mais ayant la voix trés basse nous n’avons pû suivre le Reste du Discours car la [p. 298-60] foiblesse de samajesté les pleures et les soupires des assistans nous le déroboient ; Cependant sur la fin le Roy. Eléva vn peu sa voix endisant jevous récommande encorre vne fois l’vnion Entre vous puisqu’il nous faut quiter ny ayant plus dereméde souvenez vous de moy, ayez toujours soin du D’auphin et leur donna sa Benediction et samain a Baiser on nepeutpas Exprimer deplus triste que cette séparation. succine separat amara mors Vn moment aprés le Roy demanda Monsieur huchon Prêtre delamission et curé de Versailles homme d’vne piété et d’vn merite distingué Sa Majesté luy dit Monsieur Le curé Je vous prie de vous souvenir demoy dans vos priéres, et defaire prier pour le répos demon ame quand Dieu aura disposé demoy, Monsieur huchon fondant enlarmes repondit ouy sire nous prions Dieu jour et nuit pour vôtre heureuse Eternité et pour vôtre convalesence dont nous ne desésperons pas, avec lagrace du seigneur. Le Roy luy répartit <?page no="267"?> QUAND LES ROIS MEURENT 255 d’vnton ferme et haussant sa voix, non, non, Monsieur ne demandez pas mon rétour mais mon heureuse Eternité, ceque Jespere ômon Dieu par vôtre bonté, et vous la demande detout mon coeur et detoute mon ame et comme le Roy conservoit encore toute la liberté de son Esprit ne voulant pas qu’apres sa mort il resta aucun doute sur la sincerité desa foy jugea trés apropos de s’en Expliquer publiquement pour cet Effet sa majesté Envoya querir Messieurs les cardinaux de Rohan, Bissy et de Pollignac avec le pere Tellier, éstant entrés ; leur dit enprésence detous ceux qui estoient dans la chambre d’vn air majestueux et d’vnton assez élevé et ferme ces paroles si édifiantes, Messieurs je suis bien aise devous declarer publiquement mes sentimens devant toutes les personnes icy presentes que jeveux vivre et mourir dans la Réligion catholique apostolique et Romaine que j’ay soutenüe autant qu’il ma esté possible pendant le cours demon Régne. Vous avés pû scavoir que dans toutes les affaires qui ont régardé la réligion et l’Eglise catholique jeles ait [sic] protégées avec fermeté et zele ; mais dans les derniéres affaires qui sont survenües depuis peu, je n’ay suivit que les avis quel’on ma donnée que ce ne soit point sur ma consience mais sur celles de ceux qui me l’ont conseillé ny ayant aucune part ; a ces paroles ses prélats serétirent Etrangements surpris, dvntel discours du Roy cequi donna occassion aux assistans présens dy faire beaucoup deréflexions autant quele Roy avoit de Précaution pour prévoir les suittes qui pouvoient arriver aux siens aprés samort jl en donna des marques dans ce moment ayant ordonné a M r . le Duc detrésmes de faire Entrer encorre tous les officiers desa Maison qui setrouvoient dans les appartements la chambre du Roy en fut sy remplie en vn Jnstant de grands et petits officiers sans distinction s’etant tous prosternés a genoux devant son lit outrés dedouleur Sa Majesté qui avoit fait ouvrir les rideaux desonlit pourles voir, ayant le visage trés sérain. leur parla avec vne bonté tres Singuliéres leur témoignant avec beaucoup de tendresse la satisfaction qu’Elle avoit deleurs services, et quelle avoit toûjours rémarqué qu’ils les luy avoient rendüe avec toute l’affection et la fidellité possible que si elle leur avoit pû donner quelque sujet de chagrin ou demecontentement quelle leur en demandoit Pardon ; elle ajoûta <?page no="268"?> FRANCIS ASSAF 256 qu’elle les avoit bien recommandés a Monsieur le Duc D’orleans dene les pas abandonner cequ’il luy avoit bien promis ; enfin elle les exhorta aussy a sesouvenir deluy dans leurs prieres, le Roy adressant laparole aux grands officiers superieurs desa maison leurs recommanda aussy de traiter leurs Jnferieures avec douceur et honnesteté come Elle l’avoit toujours fait du mieux qu’il luy avoit été possible Jespere ajouta til que vous en sserés demême, Je vous dis adieu a tous, voila ceque j’avois a vous dire, avant de vous quitter ; Ils serétirérent tous si outrés d’vne si grande douleur que tous les appartements du chateau rétentirent deleurs gemissements Le Roy ayant fait des Efforts Extraordinaires pour parler haut et sefaire entendre, l’avoient trés Emû ayant le visage et les yeux rouges et Etincélans, mais le corps fort abbatu, les médécins et chirurgiens etant entrées dans ce moment Luy tatérent le poulx avec attention et luy trouvérent vne fievre tres violentes et le battement dupoulx convulsifs ils visiterentla jambe desa Majesté ou la Gangrenne avoit fait vn grand progrés, ils jugerent que c’estoit a cause du dérangement dupoulx ainsy ils ordonnerent de continuer toujours La lotion d’eaudevie canfrée pour Essayer derappeller les Esprits ceque l’on fit al’heure même sans que sa Majesté réssentit aucune douleur, aprés cette operation jls demanderent au Roy s’il sentoit beaucoup de douleur ala jambe il leur répondit que non et qu’il nela sentoit présque plus que vers le genoüil ; Monsieur maréchal qui avoit toujours bien observé semal pendant le court delamaladie, Jugeant que cette reponse du Roy étoit d’vne tres mauvaise augure, en prevoyant les mauvaises suites, dit a Monsieur Fagon enpresence des autres Medecins et chirurgiens dela cour, qu’il croyoit qu’il étoit necessaire de faire venir Encorre des plus habiles chirurgiens deparis pour conferer avec Eux, et quil croyoit que ce mal étoit plus du fait de la chirurgie que delamedécine, mais que Messieurs les medecins pouvoient aussy endire leurs avis, et qu’il n’en vouloit pas prendre luy seul lévenement sur son Compte sans en avoir avertit aquoy il ajouta plusieurs bonnes Raisons ausquelles Monsieur Fagon ne serendit pas sans peine, cependant on <?page no="269"?> QUAND LES ROIS MEURENT 257 Envoya en diligence a Paris Querir Messieurs Dionis, Ledran 348 , arnauld, Geruais, Petu et quelques autres des plus fameux chirurgiens dela ville ils arrivérent surles deux heures aprés midy dans l’appartement du Roy qui les attendoit avec jmpatience, Jls visiterent sa Jambe enpresence des médécins et chirurgiens dela cour, l’ayant trouvée toute noire Enflée et gangrennée Jusqu’au genoüil, ils en demeurerent fort surpris delavoir ensimauvaise Etat, Jls s’entre regardérent tous ensécouant Lateste, n’en disant rien autre chose de peur d’jnquiéter sa Majesté On Jugea par leur contenance qu’jl ny avoit plus guéres d’Esperance d’vne guérison parfaite, ils ne Láissérent pas neantmoins depenser la Jambe du Roy avectout ce qu’il y avoit de plus corrosif dans les rémédes pour tacher a faire venir les Esprits et la playe a suppuration Jls seretirent tous ensemble dans le cabinet du Roy pour conferer sur lemal qui étoit trés préssant ; mais il y arriva quelques contestations entre Eux sur la scituation de la maladie du Roy aquoy on dévoit prévoir les suites avec attention cequi ne s’etoit point Exécuté dans toutes les consultations qui s’estoient tenues et faites cydevant c’est adire grands verbiages et rien dutout sinon qu’on continueroit les mesmes rémédes pris cy devant, et qu’on remettroit aux Evénements qui arrivéroient pour prendre d’autres mesures Le Roy cependant parroissoit assez tranquille au milieu dupéril comme n’ayant plus d’Esperance de Guérison. ils’etoit abandonné ala Providence. on tâchoit d’Entreténir ses forces par des cordiaux, des Boüillons, dela gelée et des restaurants mais il n’en prévoit plus qu’a force del’enprier oupar complaisance Vn moment aprés quetous les médécins et chirurgiens furent retirez ; le Roy commanda qu’on luy amenat Monsieur Led’auphin son arriere petit fils, ceprince Estant arrivé aussy tost, conduit par madame La Duchesse de Vantadour sa gouvernante avecses femmes de chambre cette Dame, leplaca dans vn fauteüil au chevet dulit desa Majesté ; quil’ayant consideré avec attention 348 Henri Ledran (1656-1720). Son fils, Henri-François Ledran (1685-1770), fut chirurgien en chef de l’hôpital de La Charité. Tous eux ont laissé une œuvre importante dans le domaine de la chirurgie. http: / / www.cosmovisions.com/ Ledran.htm. <?page no="270"?> FRANCIS ASSAF 258 et des yeux de Complaisance, luydit les Larmes aux yeux ces belles parolles qu’on a dépuis écrîtes engros caracterés dans vn tableau placé au chevet dulit dujeune Roy pourles Jmprimer dans samémoire et en graver les maximes dans son coeur ; Mon cher Enfant vous allez être bien tost Roy d’vn grand Royaume ; cequejevous récommande Leplus fortem t . est den’oublier jámais les obligations quevous avez adieu, souvenez vous quevous luy devez tout cequevous êtes Tâchez de conserver Lapaix avecvos voisins. J’ay trop aimé Laguerre, ne mimitez pas en cela non plus que dans les trop grandes dépenses que J’ay faites ; Prénez Conseil entoutes choses et cherchez a connoître le meilleur pour le suivre toujours ; Soulagez vos peuples leplus tost quevouspourrez et faites cequej’ay eule malheur dene pouvoir faire moy même N’oubliez jamais les grandes obligations que vous devez a Madame devantadour, pour moy. Madame ajouta,til, enseretourna vers elle je suis bien fache den’etre plus en Estat devous en marquer maréconnoissance ; aprés ces paroles sa Majesté luydit Madame approchez moy ce cher Enfant queje l’embrasse pour la derniere fois puis qu’il plaist adieu deme priver dela consolation de L’elever jusqu’a vn âge plus avancé, (sous image) L’Eminentissime et Reverendissime Louis Antoine de Noailles. Cardinal du Saint Siege. Archevesque de Paris. Duc et Pair de France. Comandeur des Ordres du Roy. et V alors le Roy élévant savoix, les yeux versle ciel et les mains jointes luy donna sa Bénédiction en disant Seigneur. Jevous l’offre cet Enfant, faites luy la grace qu’il vous serve et honore en Roy trés chrétien, et vous fasse adorer et respecter partoutles peuples deson Royaume ; Le Roy ayant achevé deparler Madame de vantadour quilevoyoit si attendri qu’il Versoit des lármes en abondances rétira Monsieur le D’auphin d’Entre les bras desa Majesté outrée de douleur et le conduisit aussytost dans son appartement fondant en larmes <?page no="271"?> QUAND LES ROIS MEURENT 259 Pendant cette touchante scéne Messieurs dela Medecine et dela chirurgie qui estoient en conférence résolurent tous vnaniment defaire des scarifications ala Jambe du Roy avecla lancette pour donner plus deprise aux corrosifs qu’jls y appliquoient mais on ne peut dire pour qu’elle raison ils en remirent L’opération au lendemain matin, sinon par l’émotion quele Roy avoit eüe de cequi c’etoit passé toute la Journée qu’ils letrouvoient d’vnetrés grande foiblesse ; Quelques momens aprés entra Mad e . demaintenon accompagnée de Monsieur le Duc de Noailles Elle fit rétirer tout lemonde dela chambre, s’etant approchée seule dulit du Roy Elle luy l’eut vne lettre qu’elle vénoit derécévoir de Monsieu Le cardinal denoaïlles archevêques [sic] de Paris, par laquelle ce prélat exposoit dans les termes les plus Pathétiques et les plus tendres Le chagrins qu’il ressentoit delamaladie de sa Majesté et dêtre privé dela liberté de venir témoigner lui même ason Jllustre bienfaicteur, dans ses derniers momens Les sentimens respectueux d’vn coeur leplus attaché et reconnoissant Cette Lettre estoit sitouchante quele Roy nepûtrétenir ses larmes, oul’ont vit bien queles sentimens d’estime et de consideration qu’jl avoit toujours eu pour ce prélat, étoient profondement gravez dans son coeur malgré, les disgraces quiléloignoit dela cour, et dont il nous appartient pas depénétrer les raisons Le Roy touché delalecture delalettre quil vénoit d’Entendre envoya aussytost querir Monsieur Voisin chancelier defrance luy dit Monsieur Ecrivez demapart a M r . Larchevêque de Paris marquez luy bien l’estime quej’ay toujours eu deson grand merite et desa piété faites luy bien connoître le triste Estat oujesuis et assuréz le que mon plus grand désir seroit demourir Entre ses bras sile seigneur dispose demoy Monsieur Le chancellier fut aussytost escrire lalettre et la porta au Roy, luy en fit lalecture ensuite Sa Majesté Lasigna avec grandepeine étant trés foible jl l’envoya tost aparis a Monsieur le cardinal, quilaleut avec bien dela joye, et attention les larmes aux yeux en voyantlagrande résignation du Roy ala mort et ala volonté de Dieu <?page no="272"?> FRANCIS ASSAF 260 C’étoit en Effet vne grande consolation pour M r . Le cardinal, mais sétant appercu d’vnepetite apostille qui étoit a costé dela signature du Roy, en ces termes. Je vous attends, a condition que vous vous réjoindrez aux autres Archevesques et Evêques vos confréres. cette condition neput être acceptée par son Éminence croyant qu’elle n’avoit pas étée misedelordre du Roy, ainsy elle priva le prelat de l’honneur devoir Sa Majesté, etle Roy dela consolation demourir entreles bras deson Pasteur ; Quoique Monsieur le Cardinal put douter sy cette apostille avoit esté mise par ordre de ceprince, ou siquelques personnes Lauroient fait ajouter aprés coup, ceprelat nejugea pas a propos des’exposer avenir aversailles pourvoir S.M. jl se contenta deredoubler ses prieres ordinaires pour demander adieu cequi étoit nécessaire au Roy dans vne si grande Extremité demaladie, et cequifut Exécuté aussy par ses ordres dans toutes les Eglises de son diocese, oule s t . sacrement fut Exposé avec vne grande vénération La nuit suivante qui étoit celle dumardy 27 dumois d’aoust et 17 e . delamaladie du Roy. sa Majesté ressentit des douleurs jnconcévables partout le corps, Excepté alajambe ou elle n’avoit plus aucun sentiment, on nelaissoit pas neantmoins delapenser toujours al’ordinaire, surles dix heures du Matin, les Medecins et chirurgiens arriverent pour faire des jncisions dans les chaires mortifiés dubas dela jambe, cequefit Monsieur Maréchal sans quele Roy n’en ressentit aucune douleur : cequileur fit prendre larésolution d’en faire surle soir, vne seconde opération plusprofonde alaquelle le Roy fut au commencement aussy jnsensible a cette seconde opération qu’alaprémiere ; cependant Monsieur Maréchal ayant continué et penétré jusqu’au vif. le Roy séntit vne grande douleur il sécria ; ah. maréchal vous me faites grand mal, cela donna quelque peu d’esperance quelaplaye pourroit bien venir a suppuration, Ensuite jl pensa la jambe avecdes corrosifs bienplus forts qu’a Lordinaire et l’enveloppa dans des linges trempées dans del’Esprit devin et deleau de vie canfrée Ces diverses ôperations occuperent le temps jusque environ de six heurs apres midy que madame de maintenon arriva ayant apris le mauvais Estat ou <?page no="273"?> QUAND LES ROIS MEURENT 261 Estoit le Roy, l’ayant trouvé sy abbatu que sa majesté ne peut luy parler auqune parolle Elle senretourna dans son appartement fondant En larmes, Ensuitte Sa majesté ordonna cependant aux huissiers de sa chambre defaire sortir tout le monde sans Exeption, il nydemeura que cette Dame que le Roy avoit Envoyer cherchée lestante asise au chevet dulit du Roy avec Monsieur voisin chancelier defrance, le Roy ayant demande Messieurs Bloüin premier valet dechambre et Gouverneur de versailles et de chancenay premier valet de chambre en quartier, leur ordonna defaire apporter toutes ses casettes qui Estoient dans l’armoire desonpétit cabinet cequifut Executé dans l’jnstant, par eux avec les garcons dela chambre quiplacérent les casettes proche lelit desa Majesté aprés Jls serétirent tous il ny resta que Madame de Maintenon et Monsieur le chancellier ; on ne scait point ce qui sepassa sinon Lorsque Madame de Maintenon et M r . le chancelier furent sortis l’on s’appercút, qu’on avoit bruslé beaucoup depapiers dans la cheminée dela chambredu Roy ; mais Les Médecins et chirurgiens attendoient avec beaucoup d’Jmpatience lafin de cette conférence ce quidura prés d’vne heure pour visiter la jambe du malade. Jls latrouvérent Extraordinairement enflée, et encore beaucoup plus gangrenées qu’auparavant nonobstant leurs rémedes. ainsy ils conclurent de faire vne troisi e . ôpération. Sans troplefaire connoistre au Roy mais jls nepurent sibien cacher L’embaras oujls Étoient, que sa Majesté ne s’en appercut : jl n’en parut point Émut ny Ébranlé et sy Exposa volontiers et sans répugnance M r . Marechal la fit entrois Endroits dela jambe du Roy, sans qu’jl en sentit aucun mal, cequi fit augurer que la gangrenne avoit augmenté trés considerablement, cette facheuse Nouvelle fit perdre toute Esperance d’vne guérison dónt’on séflatoit cydevant ainsy sepassa cette Journée Le 28 e . aoust et dix huitiême dela maladie du Roy, ayant passé lanuit encorre dans vne plus Mauvaise disposition queles Précédentes étant dans des Jnquiétudes terribles sans vouloir prendre aucune Nourriture qu’a forces d’jnstances queluy faisoient ceux qui étoient prés desapersonne Royale cependant onluy voyoit toujours dans ses grandes douleurs vne grande tranquilité d’ame priant sans cessele seigneur deluydonner la constance de souffrir <?page no="274"?> FRANCIS ASSAF 262 tous ses maux avecpatience, lepere Tellier toujours présent le confirmoit dans ses bons sentiments et, ayant demandé au Roy s’il n’avoit point grand régret de quitter son Royaume et toutes les grandeurs de cemonde ; aquoy le Roy répondit d’vnton ferme et asseuré, non, non mon Pere jeles ait oubliées il y a bien dutemps, jesuis trés Persuadé quela grandeur de Dieu est jnfiniment elevée audessus detous les Roys dela Terre ; Le Reste de cette journée sepassatrés mal le Roy perdoit même connoissance de temps entemps, et quelques fois laparole cequi fit juger qu’il approchoit desa fin ; Le jeudy 28 e . dumois d’aoust et dix neuf e . de la maladie du Roy, toute la faculté de Médécins et chirurgiens vint degrand matin levisitérent ; ils letrouvérent dans vne foiblesse éxtrême avectous les symptomes d’vnemort prochaine cepend t . onluy donnoit quelques cordiaux pourluy pouvoir procurer quelques momens lavie n’ayant plus d’autres rémédes afaire Cependant le Roy sepossedoit d’vne maniére trés Édiffiantes priant Dieu atous momens deluy faire misericorde parles mérites dela Passion de Jesus chrît ; Dans cet État dangereux ou étoti le Roy. vn medécin venu de Marseille sadréssa a M r le Duc Dorleans, Disant qu’jl avoit vn remede specifique pour guerir toutes sortes de gangrénnes Extérieures et jntérieures, et pour purifier le sang trés Experimenté Sur cet avis Monsieur le Duc Dorleans quivoyoit le Roy presque abandonné dela faculté de Médécine et chirurgie aména Le Marseillois ala cour, oujl Entra en conférence avecles médécins et chirurgiens desa Majesté enprésence de Plusieurs Princes et d’autres personnes de qualité de son rémede ou Elixir, de vie assura avoir guéri plusieurs Personnes demaladies semblables a celle du Roy Monsieur Fagon toûjours prévénu contre ses sortes de Gens Empyriques. sopposatrés fortement a celuy cy avec les autres médécins suivant l’avis deleur chef, dirent quils ne consentiroient point quel’on donna au Roy vn remede dont ilne connoissoient nyla Nature, ny les bons Effets que ce rémede pouvoit avoir faits ; <?page no="275"?> QUAND LES ROIS MEURENT 263 Ces Contestations nelaissérent pas d’jntriguer les Princes mais ayant fait réflexions, quele Roy été comme abandonné des medecins et chirurgiens, et que ce Médécin Marseillois donnoit Encore quelque Esperance : jls vsérent d’autorité pour fairedonner au Roy ce Rémede jndependamment del’opposition de M r . fagon et de ses confréres Cependant Monsieur le Duc Dorleans conduisit ce Médecin aulit de sa Majesté, qui étoit dans vn Etat déplorable illuy toucha lepoulx qui trouva comme celuy d’vnepersonne Mourante. L’ayant Examiné attentivement. il dit cependant quel’on pouvoit encorre en Esperer, mais ayant veu l’Etat dángereux ou étoit sa Majesté, il n’osoit pas assurer qu’jl la guériroit absolument, mais que cependant son rémede pourroit encorre faire quelque bon Effet, et qu’jl croyoit que sion l’avoit donné au Roy dés le Commencement de sa maladie ill’auroit pû guérir mais qu’jl etoit vnpeutard. cependant on luyordonna d’En faire prendre a sa Majesté telle dosequ’il Jugeroit apropos puisqu’il pouvoit encorre luy estre vtile jl versa quatre goutes deson Elixir dans vnpetit verredevin de Bourgogne, et lepresenta au Roy enprésence de Monsieur leDuc d’orleans et des autres princes du sang, enluy disant, Sire. c’est vntrés bon rémede d’vn Médecin de Marseille quiferadubien a vôtre Majesté a ces paroles le Roy seréveila comme d’vn assoupissem t . et prit le rémede sans aucune peine. Lemedécin deffendit dedonner a boire aumalade qu’apres deux heures passées. cetemps expiré jl vint luy endonner une seconde prise, et on s’appercut qu’vn moment aprés Le Roy setrouva mieux et mesmeplus tranquille, ay t . laveüe plus claire laparole bien plus libre et plus ferme, S.M. dit mesme a M r . le Duc Dorleans qui étoit prés deson lit avecles autres Princes, qu’Elle setrouvoit vnpeu mieux qu’a l’ordinaire et qu’il ny avoit que sa jambe qu’il ne sentoit plus que comme Engourdie, cebon changement fit Esperer parlabonté et vertu de lElixir dumedecin demarseille pourroit bien faire dubien au Roy et par ses Boüillons composez qu’il faisoit prendre d’heure enheure a sa Majesté qu’elle trouva assez bons ; quiluy donnoient plus de forces et plus dappetit pour prendre quelques alimens ce qui Étonna <?page no="276"?> FRANCIS ASSAF 264 bien la faculté de medécine principalement M r . Fagon qui étoit bien surpris devoir vn effet siprompt d’vn tel remede qu’ils avoient rejetté absolument Sur lesoir le Roy prit encore vne dose dumesme Elixir et des Boüillons composés dheures a autre pendant toutelanuit M r . Maréchal qui visitoit La Jambe tres souvent, la fit voir au Médécin de Marseille quine l’avoit point encorre veüe fut bien surpris delavoir Entiérement gangrennée Enflée et mortifiée Jusqu’au genoüil cequi fit Juger que son rémede quelque excellent qu’jl fut nepouvoit pas guérir vnsigrand mal, nonobstant Lebruit qui avoit courut que samajesté étoit hors de danger parle réméde du Médecin de Marseille Mais celle jóye fut bien courte car lanuit du vendredy trente e . dumois d’aoust et du vingtiême dela maladie du Roy, fut plus mauvaise quoy que sa Majesté eut priselaseconde dose de l’Elixir, qui nefit pas vnsi bon effet quelaprémiere, n’ayant fait qu’vnpeu réveiller l’Esprit et soutenir la nature qui déffailloit mais lemal augmantant plus fort quele remede, qui avoit été donne comme on a crut, trop tard. de qui fit quele Roy passa toute la nuit en poussant des soupirs trés frêquens enseplaignant toujours fort des meaux quïl souffroit cequiluy causoit vn mouvement comme convulsif qui fit perdre toute Ésperance desa vie il neperdit pas cependant l’vsage delaparole ny la connoissance comme il avoit fait les jours precédens, cequelon attribua ala vertu du remede de l’Elixir dumédecin de Marseille ; Mais comme la faculté demédecine n’avoit pas approuvé son rémede, voyant bien qu’il ne pouvoit pas reussir a guérir le mal du Roy qui étoit comme jncurable elleprit dela occasion de traiter ce Medecin d’jgnorent et de charlatan d’avoir ôsé entreténir les Princes et le peuples de guérir le Roy. enluy donnant vn rémede jnconnu qu’il méritoit d’être puni, Ces discours étant venus ala connoissance du Médecin de Marseille luy fit vne si grande peur qu’il serétira endisant qu’il auroit pû guérir Le Roy jnfailliblement, sion l’avoit appellé plus tost ; mais qu’il estoit venutroptard pour lebien du Roy aume jl neparut plus dépuis, ala cour <?page no="277"?> QUAND LES ROIS MEURENT 265 Sur les deux heures aprés midy Madame de Maintenon arriva de s t . cyr pour voir Encorre Le Roy ; mais cefut Jnutilement car elle letrouva sans parole et sans sentimens, etles yeux ouverts et fixés sans aucun mouvément ny connoissance cette dame outrée de Douleur quy s’en rétourna comme elle étoit venüe seretirer dans labbaye de saint Cyr pour y finir le Reste de ses Jours, y Estant deceddée le 15 du mois d’avril de l’année 1719 agée de ... ans Cette triste nouvelle de l’Extrémité du Roy s’etant repandüe il est jncroyable quel concours depeuples arriverent aversailles detous les endroits du Royaume ; chacun en raisonnoit selon ses idées les vns condamnoient leregime qu’on avoit fait ténir au Roy cydevant, enluy faisant boire tant d’eau aprés les grandes sueurs, les autres se déchaînoient contre la faculté de Médécine et chirurgie, qui n’avoient pû connoître d’abord le sujet desa Maladie pour y donner rémede, ceux cy vouloient qu’on eut fait l’amputation ala Jambe de sa Majesté avant quela gangrénne eut gagné les parties saines, plusieurs faisoient l’Eloge durémede dumédécin de Marseille, et lemalheur den’avoir pas donné au Roy cet Elixir des le commencement desamaladie Cependant lepauvre Prince malade flottoit entre lavie et la mort, sans pouvoir luy donner aucun sécours, on l’entendoit detemps entemps seplaindre et prier Dieu d’vnevoix trés foible et plaintive demandant Miséricorde auseigneur lepere Tellier qui nele quittoit point, ainsy que M r . le cardinal de Rohan grand aumonier, avecles aumoniers, chapélains de S.M. et Monsieur huchon curé de versailles, avecbeaucoup d’autres Ecclesiastiques qui setrouverent dans la chambre, Éxhortoient S.M. ala Patience, et avoir esperance en la miséricorde du seigneur J.C. Le Prince tout moribond qu’il étoit leur témoignoit toûjours beaucoup de résignation alas te . Volonte de dieu tant qu’il eut la force desénoncer ; mais lavoix et laparoleluy manquant atous moment il faisait signe, qu’il entendoit ce quel’on luy disoit ; cependant on n’attendoit plus quelemoment desamort, quelon Envisageoit trés prochaine ; Le samedy 31 e . et dernier jour dumois d’aoust et le vingt vn e delamaladie du Roy l’on trouva appropos deluy donner le sacrement de l’extrême onction <?page no="278"?> FRANCIS ASSAF 266 dont Monsieur legrand aumonier luy fit cette derniére office ; que sa Majesté receut avec beaucoup dépieté répondant a haute voix atoutes les priéres quel’on disoit avecvnepresence d’Esprit qui n’est pas commune dans cet Estat aprés cette cérémonie sa Majesté parut plus tranquille cequi ne venoit que d’vn abbatement vniverselle [sic] detoutes les parties deson corps, et non d’vn changement réel ; car pend t . toute lanuit sa Majesté avoit perdu toute connoissance et tout vsage deses sens, en cet état de tranquilité apparente obligea Monsieur Maréchal de visiter lajambe du Roy enpresence des medécins et chirurgiens et plusieurs Personnes dedistinction il latrouver toute noir et Enflée jusqu’au haut dela cuisse sans aucun sentiment ; Cette facheuse Nouvelle s’etant encorre repandüe par tout Versaille, elle fut bientost seüe a s t . Cyr a Madame de Maintenon qui étoit toujours d’vnejnquiétude terrible Elle vint Précipitamment pour avoir encore la consolation devoir le Roy pourladerniere fois ; mais l’ayant trouvé dans vn Estat si funeste sans parole sans connoissance Elle s’enretourna outrée de Douleur dans l’abbaye de s t . Cyr pour y finir lereste de ses Jours ou elle est decedée Ensuite le dumois de y ayant estée Jhumée oul’onvoit sa sépulture ; Le Roy demeura en cet Etat Jusqu’a l’heure demidy qu’il tomba dans vne espéce d’assoupissement létargique, qu’on prit d’abord pour vn achéminement al’agonie alors Monsieur le cardinal de Rohan grand aûmonier les aûmoniers et chapelains du Roy avec M r . le curé de versailles Le Pere Tellier et autres Esclesiastiques approchérent dulit pour faire les Priéres des agonisans pendant lesquelles, on reconnu que le Roy avoit eu encore quelque peu d’attention : il endonnoit mesme detemps entemps des signes qui faisoient comprendre qu’il entendoit bien et qu’jl nepouvoit plus s’exprimer autrement, cependant on nelaissoit pas deluy faire prendre souvent quelques gelléé dans vne tasse abêc pourluy rafraichir la bouche avec des cordiaux pourluy fortiffier la poitrine. ainsy sepassa cetriste jour quelon croyoit être ledernier delavie decegrand Roy Sa Majesté passa cependant encore toute Lanuit du Dimanche Premier Jour dumois de septembre, et du vingt deuxiême et dernier jour desamaladie, <?page no="279"?> QUAND LES ROIS MEURENT 267 desavie, et de son grand et Glorieux Régne, jl passa disje cette nuit fatale en Poussant detemps entemps, delong et trés profonds soupirs qui faisoient connoître qu’il souffroit beaucoup demal dans toutesles parties du corps ; Sur les cinq heures dumatin Il perdit absolument toute apparence de vie, exepté laréspiration : son visage dev t . fort pasle et tourné alamort ses yeux se fermérent, nedonnant Plus aucune marque de sentiment que parle Battement du coeur En cet Etat Monsieur Maréchal voulut débander la jambe du Prince mourant enprésence detoute la faculté et de plusieurs personnes distinguées, dunombre desquelles étoit Monsieur le maréchal de villeroy qui avoit toujours été vn des plus assidus et attachés ala Personne du Roy dans le cours desa maladie ; Lontrouva quela jambe, la cuisse et le génoüil étoient Entiérement Gangrennées cequi fitjuger que ce facheux mal avoit gagné les parties Jnternes et quil fairoit bientost enlever le sujet ou il étoit attaqué En Effet deux heures aprés c’est adire a sept heures du Matin La nature faisant vn dernier effort ; le Roy tomba dans lagonie qui dura jusqu’a huit heures et demy quart du matin, Ensuite ayant fait quelques petits soupirs reiteres avec deux petits hoquets sans aucune agitation ny convulsion ce grand Monarque rendit son ame adieu d’vne tranquilité admirable ; SICTRANSIT. GLORIA. MVNDI. Ainsy mourut Le Roy Louis Quatorze surnommé Le Grand lepremier septembre Mil sept cent quinze agé de soixante dix sept ans moins cinq Jours aprés avoir régné soixante et douze ans trois mois et huit Jours ; aprés quele Roy fut Expiré sabouche et ses yeux qui estoient demeurées ouverts et fixés presque aussy beaux quependant savie furent fermés par les sieurs Tortilliere et la grange garcons dela chambre quirendirent cedernier office aleur bon Maitre, son visage estoit pasle et devenu vnpeu Jaunâtre fort amaigri mais nonobstant les traits peu changées ; aussytôt M r . Maréchal premier chirurgien aidedes garcons dela chambre, valets de chambre et Tapissiers, tirent [sic] le corps du Roy hors dulit pour le changer de linges et d’autres choses convénables, Ensuite le remirent dans sonlit surson seant dans vn État qu’jl put être veu levisage découvert toute la Journée. Le corps du Roy ainsy posé arriva aussytost M r . le Duc Dorleans <?page no="280"?> FRANCIS ASSAF 268 pour rendre ses dévoirs au corps dufeu Roy jl fit ouvrir toutes les portes des appartements ou jl entra vne grande affluence depeuples detoutes conditions trés consternez ou L’on annonça a haute voix lamort du Roy Louis quatorze et aumême temps on proclama Roy louis quinze D’auphin defrance, fils delouis second D’auphin defrance duc deBourgogne. Et de Marie adelaide de savoye arriere petit fils dufeu Roy agé de cinq ans six mois et seize jours, Etant né au chateau de versailles le 15 e . fevrier 1710 Sur lemidy du jour dudeceds du Roy arriva a versailles M r . le cardinal de Noaïlles archevêque de Paris ayant apris la nouvelle delamort du Roy, qui n’ayant pas eu peut estre la liberté ny la consolation derendre ses dévoirs au Roy pend t . le cours desa Maladie, vint aussytost pour rendre ses derniers respects au corps du feu Roy, Ensuite fit ses hommages au Nouveau Roy y ayant esté presenté par son altesse Royale Monsieur le Duc Dorleans Le Lendemain deuxiême septembre le corps du feu Roy futporté parles officiers dela chambre et delagarderobbe aqui cet honneur appartient, dans lantichambre il y fut possé sur vne grande table pour enfaire louverture en presence de M rs . Le Duc d’Elbeuf 349 et le marêchal demontesquiou 50 nommés pour ce sujet par Monsieur le Duc Dorleans. avec M rs . Le Duc detresmes premier Gentilhomme dela chambre et de Maillebois l’vn des maîtres delagarderobbe du Roy et dautres personnes de qualitez et officiers dela chambre de sa Majesté qui sy trouvérent ; avec toute la faculté delamedécine et chirurgie qui sytrouva ala suite de Monsieur Fagon p er . medecin qui fit vnpetit discours surle triste sujet del’assemblée, en même temps M r . Maréchal comme Prémier chirurgien fit Louverture du corps du Roy qui fut trouvé fort bien composé dans toutes les parties Jnferieures, quoy que tout grangrénné audehors et endedans comme il en sera fait mention parle Procés verbal de louverture qui suit en ses termes ; 349 1671-1748. 350 1640-1725. <?page no="281"?> QUAND LES ROIS MEURENT 269 Prôces verbal de Louverture du corps du Roy Louis Quatorze Le deuxiême septembre mil sept cent Quinze Le corps du Roy louis quatorze Surnommé le grand pour ses rares vertus a eté ouvert par moy .......... Marechal premier chirurgien du Roy enprésence de Monsieur Fagon prémier médécin desa Majesté, des médécins et chirurgiens du Roy et autres personnes nommées cydévant par Monsieur Le Duc Dorleans pour y estre présens ; on y atrouvé l’exterieur du costé gauche gangrenné depuis l’extrémité dupied Jusqu’au haut delatête, l’Epiderne selévant detous les deux costez, mais le costé droit moins quele Gauche ; le ventre Extrémement tendu et Bouffi ; les Jntestins bien alterées avecgrande inflammation, surtout ceux du costé gauche ; le gros Jntestin d’vne dilatation Extraordinaire ; les reins dans vn Estat assez ordinaire et Naturel, mais dansle Gauche s’est trouvé vnepetite pierre demême quele Roy en avoit Jetté plusieurs fois sans grande douleur étant enparfaite santé ; lefoye larate et l’Estomach etoient dans l’Etat bien Naturel tant dans l’exterieur quedans les Extremitez ; les poulmons ainsy quelapoitrine dans leur état Naturel ; le coeur trés beau d’vne grosseur ordinaire, l’extrémité des vaisseaux devenus osseux, tous les muscles delagorge tout gangrennés ; al’ouverture delatête la dure mere sest trouvée cohérente au crâne etlapiemere s’est trouvée tachée detrois taches noires lelong dela faux ; le cerveau trés bien dans son Etat, Naturel, grand tant au’dehors qu’audedans. on s’est apperçu que l’Exterieur dela cuisse gauche oule mal du Roy a commencé, étoit tout gangrenné dans toutes les parties. tout le sang dans tous les vaisseaux aparu dans vne dissolution totale, et entres petite quantité, fait a versailles Le deuxiême Jour de septembre mil sept cent quinze et tous ont signés leprésent prôces verbal lejour et an que cydessus apres Louverture, le corps du Roy fut Embaumé avecdes Drogues aromatiques ainsy qu’il est accoutumé, fut mis dans vn cercüeil deplomb avec cérémonie par Monsieur le duc detresmes prémier Gentilhomme dela chambre en année de service quileporta par le suaire du costé delateste et par Monsieur Le Marquis de Maillebois maître delagarderobbe parle coste des pieds, aidés par quelques officiers dela chambre, en cette Lugubre, triste et <?page no="282"?> FRANCIS ASSAF 270 derniere fonction, le cercüeil de Plomb fut aussytôt soudé tout autour Ensuite renfermé dans vn autre debois de chesne trés Epais ferré detous côtez debandes defer avec plusieurs gros anneaux autour, sur le quel fut attaché vne lamede cuivre doré ou sont gravés ces mots C’est le corps détrés haut et trés Puissant Prince Louis Quatorze du nom surnommé le grand delafamille et Maison de Bourbon, Roy defrance et de Navarre décedé a versailles lepremier Jour deseptembre mille sept cent Quinze, agé desoixante dix sept ans moins cinq Jours Etant né a s t . Germain en Laye le cinquiême septembre 1638. il a régné soixante et douze ans trois mois et dix huit Jours ; Réquiescat in pace Amen ; Continuation de cequy cest fait et passe apres le deces du Roy Le cerceüil fermé comme onladit, fut porté par les officiers dela chambre et delagarde Robbe, dans la chambre du grand appartement ou le Roy donnoit les grandes audiances aux ambassadeurs, il étoit magnifiquement paré deplusieurs beaux et riches meubles dela couronne le cercueil fut posé sur vn grand lit de parade leplus beau du garde meuble Royale Couvertd’vn trés riche Poesle de drapd’or avecdes franges de mesme et aux aux deux costez dela chambre fut dressé deux autels sur lesquels plusieurs Prélats, cardinaux, archevêque, Evêques abbés, aumoniers et chapellains du Roy et des maisons Royalles avecplus de cent Réligieux dedifferens ordres célébroient tour atour La s te . Messe pendant lamatinée, Ensuite jls Psalmodoient des Prieres le reste dutemps, Jour et nuit sans aucune Jnterruption ; ce qui fut continué Jusqu’au Neuf e . Jour dudit mois de septembre quele corps du Roy fut porté a l’abbaye de s t . Dénis pendant lequel temps fut gardé parles officiers delachambre et dela garderobbe du Roy, et partous les Réligieux cydevant Nommés avec les Religieux feuillans qui sont enpossession dudroit degarder les corps des Roys decedez Jusqu’au Jour deleurs obséques par préference a tous autres réligieux et moines de tout autre Couvent ; (sous image) Philippe Duc d’orleans Regent du Royaume <?page no="283"?> QUAND LES ROIS MEURENT 271 Ce Prince Etoit né au chasteau de S t . Cloud Proche de Paris Le Deuxieme jour D’aoust 1674. il décedá Le 2 e . jour du mois de Decembre 1723. a Versailles agé de 48 ans et demy, git a S t Denis en France. <?page no="284"?> APPENDICE Source : Gallica. Domaine public. Cote : Rés. Yf-2280 <?page no="285"?> QUAND LES ROIS MEURENT 273 <?page no="286"?> FRANCIS ASSAF 274 <?page no="287"?> QUAND LES ROIS MEURENT 275 Fragments du testament de Louis XIII I. Je commande a forest tres expressement de mettre entre les mains de mon cousin le Cardinal Mazarin aussi tost qu’il aura pleu a Dieu disposer de moy, la somme de cent trente six mille quatre cens trente livres qui luy restera des deniers de mes menus plaisirs pour estre employee par luy mond t cousin en œuvres pies selon l’ordre que je luy en ay donné, Apres que les fondations, aumosnes et gratificaons [sic] que Jordonne estre faites par un estat signé aujourdhuy auront esté aquitées. Et ce faisant led t forest demeurera bien valablement deschargé. En foy de quoy Jay signé moy mesme le p rt ordre, et fait contresigner par le S r de Chavigny Secretaire de mes commandmens et finances, A S ct Gernain en laye le xii may 1643. (Signé) Louis Bouthillier II. Nous Julles Mazarin Cardinal recognoissons et confessons avoir reçu du sieur forest premier Vallet de Chambre ayant sa charge des menus plaisirs du feu Roy la somme de cent trente six mil quatre cent livres restant ( ? ) entre ses mains des deniers desd s [desdits] menus plaisirs pour ses causes et ainsy qu’il est contenu par la [sic] ordonance de sa defuncte Maieste de l’autre part escripte, dont nous nous tenons pour content et satisfaict et en quittons et deschargeaons led t . forest, en foy de quoy nous avons signé la presente a Paris ce cinquiesme Juin mil six cens quarente trois (Signé) Jl. Card. Mazarini III. En la presence de notaires gardenottes du Roy nostre sire en son Chastelet de Paris soubsignez, M re (Maistre) Vincent de Paul, prestre superieur general de la congregation des prestres de la mission demeurant au prieuré Sainct Lazare lez Paris, a confessé avoir eu et receut [sic] comptant de Pierre Forest escuyer, conseiller et premier valet de chambre 351 de Sa Majesté, ayant charge des menus plaisirs du feu Roy dernier decéddé la somme de six mil livres en louis et autres monnoies, le tout ( ? ) et ayant convir ( ? ) suivant l’ordonnance du dernier ( ? ) des menus plaisirs ( ? ) qui --------dudit sieur Forest (Signé) Vincent de Paul 351 Premier valet de chambre de 1640 à 1653. Voir Da Vinha : Les Valets de chambre de Louis XIV. <?page no="288"?> FRANCIS ASSAF 276 P r ô c e z V e r b a l d e L o u v e r t u r e d u c o r p s d u R o y L o u i s Q u a t o r z e 352 Ledeuxiême Septembre Mil Sept Cent Quinze Le corps du Roy Louis quatorze surnommé le grand pour ses rares vertus a esté ouvert par moy Marechal premier chirurgien du Roy en presence de Monsieur Fagon premier [prémier] médécin de Sa Majesté, de médécins et chirurgiens du Roy et autres personnes nommées cydevant par Monsieur le Duc Dorleans pour y estre presens ; On y a trouvé l’exterieur du costé gauche Gangrenné depuis l’extremité [l’extrémité] du pied jusqu’au haut de la tête, l’Epiderme se levant de tous les deux costez, mais le costé droit moins que le Gauche, le Ventre Extrémement tendu et Bouffi, Les Intestins bien alterées [sic] avec grande inflammation, Surtout ceux du costé gauche, Legros Intestin d’une dilatation Extraordinaire, les reins dans un Estat assez ordinaire et Naturel, mais dans le Gauche s’est trouvée une petite pierre demème que le Roy en avoit Jetté sans grande douleur étant enparfaite Santé, le foye la rate et l’Estomach estoient dans l’Etat bien Naturel tant dans l’exterieur que dans les Extremitez ; les poulmons ainsy que la poitrine dans leur état Naturel, le cœur trés beau d’une grosseur ordinaire, l’extrémité des vaisseaux devenus osseux, tous les muscles de la gorge tous gangrennés ; alouverture de la tète la dure mere c’est [sic] trouvée adhérente au crâne et la piemere s’est trouvée tachée de trois taches noires le long de la faux ; le cerveau dans son Etat [Naturel, grand tant aud’heors [sic] qu’au dedans, on s’est apperçu que l’Exterieur de la cuisse gauche ou le mal du Roy a commencé [commencé,] étoit tout gangrenné dans toutes ses parties tout le sang dans tous les vaisseaux a paru dans 352 Ce document est transcrit mot pour mot du journal des Antoine (Ms. NAF 5012 f° s 316-317/ 246), en respectant orthographe, ponctuation et ligatures, avec la seule exception des coupures de mots, mises en mode automatique. Les variantes du Ms. 15644 (f°s 245- 246) sont indiquées entre crochets. <?page no="289"?> QUAND LES ROIS MEURENT 277 une dissolution Totale, et en trespetite [entres petite] quantité, fait à Versailles le deuxième jour de Septembre mil sept cent quinze et tous ont signés le présent procès verbal le jour et an que cydessus. <?page no="290"?> FRANCIS ASSAF 278 TESTAMENT OLOGRAPHE DE LOUIS XIV (transcription par nous modernisée - l’original des Archives nationales étant d’une lecture très difficile) Ceci est notre disposition et ordonnance de dernière volonté pour la tutelle du dauphin notre arrière-petit-fils et pour le conseil de régence que nous voulons être établi après notre décès pendant la minorité du roi. Comme par la miséricorde infinie de Dieu la guerre qui a pendant plusieurs années agité notre royaume avec des événements différents et qui nous ont causé de justes inquiétudes est heureusement terminée, nous n’avons présentement rien plus à cœur que de procurer à nos peuples le soulagement que le temps de guerre ne nous à pas permis de leur donner les mettre en état de jouir longtemps des fruits de la paix et éloigner tout ce qui pouvait broncher leur tranquillité. Nous croyons dans cette vue devoir étendre nos soins paternels à prévoir et prévenir autant qu’il dépend de nous les maux dont notre royaume pourrait être troublé si par l’ordre de la divine Providence notre décès devait arriver avant que le dauphin notre arrière-petit-fils qui est l’héritier présomptif de notre couronne ait atteint sa quatorzième année qui est l’âge de sa majorité. C’est ce qui nous engage à pourvoir à sa tutelle, à l’éducation de sa personne et à former pendant sa minorité un conseil de régence capable par sa prudence, sa probité et la grande expérience de ceux que nous choisissons pour le composer de conserver le bon ordre dans le gouvernement de l’état et maintenir nos sujets dans l’obéissance qu’ils doivent au roi mineur ; Ce conseil de régence sera composé du duc d’Orléans, chef du conseil, du duc de Bourbon quand il aura vingt-quatre ans accomplis, du duc du Maine, du comte de Toulouse, du chancelier de France, du chef du conseil royal, des maréchaux de Villeroy, de Villars, d’Uxelles 353 , de Tallard 354 et d’Harcourt, des quatre secrétaires d’état et du contrôleur général des finances. 353 1652-1730. Marquis d’Uxelles et maréchal de France (1703). Président du Conseil des affaires Étrangères sous la Régence. 354 1652-1728). Duc d’Hostun et comte de Tallard. Maréchal de France (1703). <?page no="291"?> QUAND LES ROIS MEURENT 279 Nous les avons choisis par la connaissance que nous avons de leur capacité de leurs talents et du fidèle attachement qu’ils ont toujours eu pour notre personne et que nous sommes persuadés qu’ils auront de même pour le roi mineur. Voulons que la personne du roi mineur soit sous la tutelle et garde du conseil de régence mais come il est nécessaire que sous l’autorité de ce conseil quelque personne d’un mérite universellement reconnu et distinguée par son rang soit particulièrement chargée de veiller à la sûreté, conservation et éducation du roi mineur, nous nommons le duc du Maine pour avoir cette autorité et remplir cette importante fonction du jour de notre décès. Nous nommons aussi pour gouverneur du roi mineur sous l’autorité du duc du Maine le maréchal de Villeroy qui par sa bonne conduite, sa probité et ses talents nous à paru mériter d’être honoré de cette marque de notre estime et de notre confiance. Nous sommes persuadés que pour tout ce qui aura rapport à la personne et à l’éducation du roi mineur le duc du Maine et le maréchal de Villeroy gouverneur, animés tous deux par un même esprit, agiront avec un parfait concert et qu’ils n’omettront rien pour lui impartir les sentiments de vertu, de religion et de grandeur d’âme que nous souhaitons qu’il conserve toute sa vie. Voulons que tous officiers de la garde et de la maison du roi soient tenus de reconnaître le duc du Maine et de lui obéir en tout ce qu’il leur ordonnera pour le fait de leur charge qui aura rapport à la personne du roi mineur à sa garde et à sa sûreté. Au cas que le duc du Maine vienne à manquer avant notre décès ou pendant la minorité du roi, nous nommons à sa place le comte de Toulouse pour avoir la même autorité et remplir les mêmes fonctions. Pareillement, si le maréchal de Villeroy décède avant nous ou pendant la minorité du roi nous nommons pour gouverneur à sa place le maréchal d’Harcourt. Voulons que toutes les affaires qui doivent être décidées par l’autorité du roi sans aucune exception ni réserve, soit qu’elles concernent la guerre ou la paix, la disposition et administration des finances ou qu’il s’agisse du choix <?page no="292"?> FRANCIS ASSAF 280 des personnes qui doivent remplir les archevêchés, abbayes et autres bénéfices dont la nomination doit appartenir au roi mineur, la nomination aux charges de la couronne, aux charges de secrétaires d’état ,à celle contrôleur général des finances, à toutes celles des officiers de guerre tant des troupes de terre que officiers de marine et galères, aux offices de judicature, tant des cours supérieures quant à celles de finances aux charges et lieutenants généraux pour le roi dans les provinces, à celles des états-majors des places fortes tant des frontières que des provinces du dedans du royaume, aux charges de la maison du roi sans distinction de grandes et petites qui sont à la nomination du roi et généralement pour toutes les charges, commissions et emplois auxquels le roi doit nommer, soient proposées et délibérées au conseil de la régence et que les résolutions y soient à la pluralité des suffrages sans que le duc d’Orléans chef du conseil puisse seul et par son autorité particulièrement déterminer, statuer et ordonner et faire expédier aucun ordre au nom du roi mineur autrement que suivant l’avis du conseil de la régence. S’il arrive qu’il y ait sur quelques affaires diversité de sentiments dans le conseil de régence, ceux qui y assisteront seront obligés de se réunir à deux avis et celui du plus grand nombre prévaudra toujours, mais s’il se trouvait qu’il y eût pour les deux avis nombre égal de suffrages, en ce cas seulement l’avis du duc d’Orléans comme chef du conseil prévaudra. Lorsqu’il s’agira de nommer aux bénéfices, le confesseur du roi entrera au conseil pour y présenter le mémoire des bénéfices vacants et proposer les personnes qu’il croira capables de les remplir. Seront aussi admis au même conseil extraordinairement lorsqu’il s’agira de la nomination, deux archevêques ou évêques de ceux qui se trouveront à la cour et qui seront avertis par l’ordre du conseil de régence pour s’y trouver et donner leur avis sur le choix des sujets qui seront proposés. Le conseil de régence s’assemblera quatre ou cinq jours de la semaine dans la chambre ou cabinet de l’appartement du roi mineur et, aussitôt que le roi aura dix ans accomplis, il pourra y assister quand il voudra, non pour ordonner et décider, mais pour entendre et pour prendre les premières connaissances des affaires. <?page no="293"?> QUAND LES ROIS MEURENT 281 En cas d’absence ou d’empêchement du duc d’Orléans, celui qui se trouvera être le premier par son rang tiendra le conseil afin que le cours des affaires ne soit pas interrompu et, s’il y a partage de voix, la sienne prévaudra. Il sera tenu registre par la plus ancien des secrétaires d’état qui se trouveront présents au conseil de tout ce qui aura été délibéré et résolu pour être ensuite les expéditions faites au nom du roi mineur par ceux qui en sont chargés. Si avant qu’il plaise à Dieu nous appeler à lui quelqu’un de ceux que nous avons nommé pour remplir le conseil de la régence décède ou se trouve hors d’état d’y entrer, nous nous réservons de pouvoir nommer une autre personne pour remplir sa place et nous le ferons par un écrit qui sera entièrement de notre main et qui ne paraîtra pareillement qu’après notre décès et, si nous ne nommons personne, le nombre de ceux qui devront composer le conseil de la régence demeurera réduit à ceux qui se trouveront vivants au jour de notre mort. Il ne sera fait aucun changement au conseil de la régence tant que durera la minorité du roi et si pendant le temps de cette minorité quelqu’un de ceux que nous y avons nommés vient à manquer la place vacante pourra être remplacée par le choix et délibération du conseil de la régence sans que le nombre de ceux qui doivent le composer tel qu’il aura été au jour de notre décès puisse être augmenté et, le cas arrivant que plusieurs de ceux qui le composent ne puisse pas y assister par maladie ou autre empêchement, il faudra toujours qu’il s’y trouve au moins le nombre de sept de ceux de ceux qui sont nommés pour le composer, afin que les délibérations qui y auront été aient leur entière force et autorité et à cet effet dans tous les édits, déclarations, lettres patentes, provisions et actes qui devront être délibérés au conseil de régence et qui seront expédiés pendant la minorité, il sera fait mention expresse du nom des personnes qui auront assisté au conseil dans lequel les édits, déclarations, lettres patentes et autres expéditions auront été résolues. Notre principale application pendant la durée de notre règne à toujours été de conserver dans notre royaume la pureté de la religion catholique romaine, en éloigner toute sorte de nouveauté et nous avons fait tous nos efforts <?page no="294"?> FRANCIS ASSAF 282 pour réunir à l’Église ceux qui en étaient séparés. Notre intention est que le conseil de la régence s’attache à maintenir les lois et règlements que nous avons faits à ce sujet et nous exhortons le dauphin notre arrière-petit-fils, lorsqu’il sera en âge de gouverner par lui même, de ne jamais souffrir qu’il y soit donné atteinte comme aussi de maintenir avec la même fermeté les édits que nous avons faits contre les duels, regardant les lois sur le fait de la religion et sur le fait des duels comme les plus nécessaires et les plus utiles pour attirer la bénédiction de Dieu sur notre postérité et notre royaume et pour la conservation de la noblesse qui en fait la principale force. Notre intention est que les dispositions contenues dans notre édit du mois de juillet dernier en faveur du duc du Maine et du comte de Toulouse et leurs descendants ait pour r toujours leur entière exécution sans qu’en aucun temps il puisse être donné atteinte à ce que nous avons déclaré être en cela de notre volonté. Entre les différents établissements que nous avons faits dans le cours de notre règne, il n’y en a point qui soit plus utile à l’état que celui de l’hôtel royal des Invalides. Il est bien juste que les soldats qui, par les blessures qu’ils ont reçues à la guerre ou par leurs longs services et leur âge, sont hors d’état de travailler et de gagner leur vie, aient une subsistance assurée pour le reste de leurs jours. Plusieurs officiers qui sont dénués des biens de la fortune y trouvent aussi une retraite honorable. Toutes sortes de motifs doivent engager le dauphin et tous les rois nos successeurs à soutenir cet établissement et lui accorder une protection particulière. Nous les y exhortons autant qu’il est en notre pouvoir. La fondation que nous avons faite d’une maison à St-Cyr pour l’éducation de deux cent cinquante demoiselles donnera perpétuellement à l’avenir aux rois nos successeurs un moyen de faire des grâces à plusieurs familles de la noblesse du royaume qui se trouvant chargées d’enfants avec peu de bien auraient le regret de ne pouvoir pas fournir à la dépense nécessaire pour leur donner une éducation convenable à leur naissance. Nous voulons que si de notre vivant les cinquante mille livres de revenu en fonds de terre que nous avons données pour la fondation ne sont pas entièrement remplies, il <?page no="295"?> QUAND LES ROIS MEURENT 283 soit fait des acquisitions le plus promptement qu’il se pourra après notre décès pour fournir à ce qui leur manquera et que les autres sommes que nous avons assignées à cette maison sur nos domaines et recettes générales, tant pour augmentation de fondation que pour doter les demoiselles qui sortent à l’âge de vingt ans, soient régulièrement payées, en sorte qu’en nul cas, ni sous quelque prétexte que ce soit, notre fondation ne puisse être diminuée et qu’il ne soit donné aucune atteinte à l’union qui y a été faite de la mense abbatiale de l’abbaye de St-Denis, comme aussi qu’il ne soit rien changé aux règlements que nous avons jugé à propos de faire pour le gouvernement de la maison et pour la qualité des preuves qui doivent être faites par les demoiselles qui obtiennent des places dans la maison. Nous n’avons d’autre vue dans toutes les dispositions de notre présent testament que le bien de notre état et de nos sujets. Nous prions Dieu qu’il bénisse notre postérité et qu’il nous fasse la grâce de faire un assez bon usage du reste de notre vie pour effacer nos péchés et obtenir sa miséricorde. Fait à Marly, le deuxième d’août dix sept cent quatorze Louis Premier codicille Par mon testament déposé au Parlement, j’ai nommé le maréchal de Villeroy pour gouverneur du Dauphin et j’ai marqué quelles devaient être son autorité et ses fonctions. Mon intention est que, du premier moment de mon décès jusqu’à ce que l’ouverture de mon testament ait été faite, il ait toute l’autorité sur les officiers de la maison du jeune roi et sur les troupes qui la composent. Il ordonnera auxdites troupes aussitôt après [ma] mort de se rendre au lieu où sera le jeune roi pour le mener à Vincennes, l’air y étant très bon. Le jeune roi, allant à Vincennes, passera par Paris et ira au Parlement pour y être fait ouverture de mon testament en sa présence et [celle] des princes, des pairs et autres qui ont droit et qui voudront s’y trouver dans la marche et pour la séance du jeune roi au Parlement. Le maréchal de Villeroy <?page no="296"?> FRANCIS ASSAF 284 donnera tous les ordres pour que les gardes du corps, les gardes-françaises et suisses prennent les postes dans les rues et au palais que l’on a accoutumés de prendre lorsque les rois vont au Parlement, en sorte que tout se fasse avec la sûreté et la dignité convenables. Après que mon testament aura été ouvert et lu, le maréchal de Villeroy mènera le jeune roi avec sa maison à Vincennes où il demeurera tant que le conseil de régence le jugera à propos. Le maréchal de Villeroy aura le titre de gouverneur suivant ce qui est porté par mon testament ; [il] aura l’œil sur la conduite du jeune roi quoiqu’il n’eût pas encore sept ans, jusqu’auquel âge de sept ans accomplis, la duchesse de Ventadour demeurera ainsi qu’il est accoutumé toujours gouvernante et chargée des mêmes soins qu’elle a pris jusqu’à présent Je nomme pour sous-gouverneurs Sommery, qui l’a déjà été du dauphin mon petit-fils et Geofrebelle lieutenant général de mes armées. Au surplus, je confirme tout ce qui est dans mon testament que je veux être exécuté en tout ce qu’il contient. Fait à Versailles, le 23 me avril 1715. Louis <?page no="297"?> QUAND LES ROIS MEURENT 285 Deuxième codicille Je nomme pour précepteur du dauphin le S r . de Fleury 355 , évêque de Fréjus (? ) et pour confesseur le père Le Tellier . Le 23 juin 1715 Louis Louis 356 355 André-Hercule de Fleury (1653-1743). 1Évêque de Fréjus (1699). Créé cardinal (1726). 356 Signé deux fois. <?page no="298"?> FRANCIS ASSAF 286 Légende de la gravure représentant le cortège funèbre de Louis XIV 357 . Louis 14. Roi de France et de Navarre, né le 5. septembre 1638. a épousé en 1660 Marie Therese fille de Philippe 4. 358 Roi d’Espagne. Ce prince ayant été couronné a 5. ans montra des sa tendre jeunesse qu’il étoit né pour de grandes choses, aussi a-t-il porté sa gloire plus loin que ses predecesseurs ; son zele pour la Religion a detruit l’Heresie, son amour pour Dieu, la rempli de pieté, ses bontez pour son peuple, ses loix contre les vices, sa justice, son équité, et tous ses faits Heroïques, l’ont fait aimer et lui ont fait donner le titre de Grand, sa soumission aux volontez de Dieu, lui a fait accepter la mort avec resignation. Enfin, ce Monarque a rendu son ame le 1 er septembre 1715, etant regreté de son peuple qui prie la Divine providence, de vouloir par ses bontez le Couronner dans le Ciel, de la couronne de l’immortalité. 357 Ce document est transcrit mot pour mot à partir de la légende figurant ci-dessus et en bas de la gravure. 358 Philippe IV d’Espagne (1605-1665). <?page no="299"?> QUAND LES ROIS MEURENT 287 <?page no="300"?> FRANCIS ASSAF 288 PAGINATION DES MANUSCRITS CONCERNANT LA MALADIE ET LA MORT DE LOUIS XIV BNF FR_15644 BNF NAF_5012 FOLIO Pagination 1 Pagination 2 FOLIO Pagination 1 Pagination 2 1 254 206 45 251 206 2 252 46 252 3 253 207 47 253 207 4 254 48 254 5 208 359 49 208 6 255 360 209 50 255 209 7 255 361 209 51 256 8 256 52 257 210 9 257 210 53 258 10 258 54 211 362 11 211 363 55 259 212 12 259 212 56 260 13 259 212 57 261 213 14 260 58 262 15 261 213 59 214 364 16 262 60 263 215 17 214 365 61 264 18 263 215 62 265 216 19 263 215 63 266 359 Le folio est entièrement occupé par un portrait en médaillon de Louis XIV avec son éloge par de Briancourt. 360 Le numéro est barré. Voir les suivants. 361 Duplication du folio 6. 362 Identique au folio 11 du ms. FR_15644. 363 Le folio est blanc, avec une petite inscription : « Mr. Le duc d’Antin » (Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin et de Montespan, 1 er duc d’Antin - 1665-1736, seul fils légitime de Mme de Montespan avec son mari), en référence au même (bas du feuillet 10) 364 Portrait de Mme de Maintenon. Identique au feuillet 17 du ms. FR_15644. 365 Le folio est occupé par un portrait gravé représentant Mme de Maintenon âgée, en habits de deuil, avec ses armes et l’inscription « Françoise D’aubigny [sic], marquise de Maintenon, Institutrice des Demoiselles de la Maison Royale de Saint-Cir. » Le nom du graveur n’est pas mentionné. Il est intéressant de noter les armoiries entourées par le nom : un écu ovale (de gueules, mais cela ne peut se voir sur la gravure) surmonté d’une couronne royale porte un lion rampant d’hermine couronné, armé et lampassé d’or, blason de la famille d’Aubigné. <?page no="301"?> QUAND LES ROIS MEURENT 289 20 264 64 267 217 21 265 216 65 268 22 266 66 23 267 217 67 24 268 68 25 269 218 69 26 270 70 27 271 219 71 28 272 72 29 273 220 73 30 274 74 31 275 221 75 32 276 76 33 277 222 77 34 278 78 35 279 223 79 36 280 80 37 281 224 81 38 282 82 39 283 225 83 40 284 84 41 285 226 85 42 286 86 43 287 227 87 44 288 88 45 289 228 89 46 290 90 47 229 366 91 48 291 230 92 49 291 230 367 93 50 292 94 51 231 368 95 52 293 232 96 53 293 232 369 97 54 294 98 366 Le folio représente (à g.) le P. Michel Le Tellier, s. j. confesseur de Louis XIV de 1709 à la mort du roi, en compagnie d’un autre ecclésiastique. La rubrique est incomplète, ne donnant pas la date de la mort du confesseur. 367 Duplication. Cela arrive plusieurs fois. 368 Le folio est blanc, ne portant qu’une petite inscription : « Mr. Le marechal de Villeroy ». 369 C’est exactement le même que le précédent. <?page no="302"?> FRANCIS ASSAF 290 55 233 370 99 56 295 234 100 57 295 234 101 58 296 102 59 297 235 103 60 298 104 61 299 236 105 62 300 106 63 301 237 107 64 302 108 65 238 371 109 66 303 239 110 67 303 239 111 68 304 112 69 305 240 113 70 306 114 71 307 241 115 72 308 116 73 309 242 117 74 310 118 75 311 243 119 76 312 120 77 313 244 78 314 79 315 245 80 316 81 317 246 82 318 83 247 372 370 Le folio est entièrement occupé par un portrait en pied du duc du Maine sur fond de jardin. La gravure se vendait indépendamment à Paris (chez Langlois, sur le Petit-Pont à la Coupe d’Or). 371 Le folio représente Louis-Antoine de Noailles (1695-1729), cardinal-archevêque de Paris. Voir n. précédente. Le portrait montre un jeune Noailles. Il ne correspond à aucun de ceux que nous avons pu trouver. 372 Ce folio représente Philippe II d’Orléans, Régent de France. La gravure est de Marie- Anne-Hyacinthe Horthemels (1682-1727). Cette gravure est l’image inversée du portrait du Régent sorti de l’atelier de Jean-Baptiste Santerre (1658-14717). Marie-Anne Hortemels a gravé plusieurs de ses tableaux, généralement en image inversée. <?page no="303"?> QUAND LES ROIS MEURENT 291 DOCUMENTS RELATIFS AUX ANTOINE ACTE DE MARIAGE DE JACQUES ANTOINE <?page no="304"?> A Adam, Antoine ................................... 16 Agésilas.............................................. 93 Aignan.............................................. 120 Aiguillon, Marie-Madeleine de Vignerot, dame de Combalet, duchesse d’............................... 39, 40 Alquier, Éléonore ....................... 80, 306 Angoulême, Charles de Valois, duc d’ ........................................................ 42 Anjou, Philippe d’ ............................ 196 Anne d’Autriche (Ana María Mauricia de Austria y Austria .. 7, 8, 13, 22, 25, 26, 30, 44, 45, 46, 47, 50, 54, 55, 57, 59, 63, 72, 76, 80, 81, 90, 101, 106, 136, 137, 138, 148, 158, 174, 203, 307 Anselme de Cantorbéry...................... 86 Anthoine Voir Antoine, Jean et François Antin, Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin, duc d'.... 129, 130, 131, 221, 222, 224, 228, 229, 231, 232, 234, 238, 241, 288 Antoine Jean et François .................... 10 Antoine Laisné ......... Voir Antoine, Jean Antoine, Jacques ....i, iii, iv, 1, 2, 3, 8, 9, 11, 12, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 23, 24, 25, 26, 33, 38, 41, 52, 53, 55, 57, 58, 59, 60, 63, 64, 67, 75, 76, 82, 115, 122, 123, 124, 133, 136, 148, 165, 175, 178, 180, 186, 189, 192, 193, 196, 198, 203, 204, 207, 211, 216, 303 Antoine, Jacques, Jean et François . 2, 8, 158 Antoine, Jean............ 1, 12, 21, 123, 216 Antoine, Jean et François . i, iii, iv, v, vi, 2, 8, 9, 15, 16, 20, 41, 115, 116, 118, 119, 121, 122, 123, 124, 125, 127, 128, 129, 131, 132, 133, 135, 136, 137, 138, 140, 141, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 149, 150, 152, 153, 154, 155, 157, 158, 161, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 169, 170, 212, 216, 219, 224, 276, 303, 304, 305 Antoine, Jean ou François128, 135, 221, 223, 227, 231 Apostolidès, Jean-Marie . ii, 83, 84, 149, 306 Aquitaine, Adélaïde d'........................ 99 Aristote....................................... 27, 303 Arles, Constance d' ............................ 99 Armagnac, Charles de Lorraine-Guise, comte d' ........................ 145, 222, 241 Armagnac, Charles-Louis de Lorraine, comte d' ................................ 145, 234 Armagnac, Louis de Lorraine, comte d' .............................................. 232, 241 Arnauld ............................................ 257 Arnauld, chirurgien .......................... 162 Artémis (ou Diane) .......................... 111 Assaf, Francis................................... 306 Atlas, Titan de la mythologie grecque ...................................................... 110 Aubigné, Charlotte-Amable d’......... 165 Aubigné, Constant Agrippa d’ ......... 134 Aubigné, Théodore Agrippa d’ .. 96, 303 Augustin d’Hippone........................... 87 Aumale, Anne de Lorraine, duchesse d’ ........................................................ 60 Auslander, Leora.............................. 116 Index <?page no="305"?> QUAND LES ROIS MEURENT 293 B Bachot .................... Voir Masse, Claude Barillon, Jean-Jacques de................... 46 Barradas, François de (Baradas ou Baradat).......................................... 51 Bassompierre, François de ........... 51, 54 Bavière, Anne-Henriette-Julie, comtesse Palatine de .................... 252 Bayle, Pierre..................................... 303 Bazire ............................... 224, 227, 231 Beaufort, François de Bourbon- Vendôme, duc de . 35, 36, 51, 54, 207 Becker, Michael K. .................... 79, 306 Bellegarde, Henri II de Bourbon- ...... 54 Beringhen, Henri de ..................... 54, 57 Beringhen, Jacques-Louis de .. 221, 222, 232, 241 Berry, Marie-Louise-Élisabeth d'Orléans, duchesse de ................. 162 Bertière, Simone ................................ 11 Bezard, Yvonne.................... 2, 3, 4, 306 Bidault.............................................. 242 Biet, Claude.............................. 135, 227 Binet ......................................... 224, 231 Bissy, Henri-Pons de Thiard, cardinal de.......................................... 160, 255 Blancmesnil, Augustin Potier de. 47, 54, 56 Blouin, Louis ... 120, 132, 222, 225, 261 Bluche, François (aussi nommé Paul Guérande).... 10, 36, 38, 51, 129, 132, 157, 165, 306 Bodin, Jean.............................. i, 84, 303 Boislisle, Arthur de .......................... 170 Bontemps, Jean-Baptiste. 177, 181, 192, 193, 200, 207 Bosse, Abraham ................................. 80 Boudin, Jean..... 130, 135, 223, 227, 240 Bouillon, Godefroy-Maurice de La Tour d’Auvergne, duc de .............. 145, 234 Bourbon, Louise Élisabeth de .......... 141 Bourbon-Condé, Henri II de .. 23, 36, 45 Bourbon-Condé, Louis IV Henri, duc de ...................................................... 278 Boureau, Alain ................................. 306 Bourgogne, Berthe de ........................ 99 Bourgogne, Louis de France, duc de 170 Bouthillier ............ Voir Chavigny, Léon Bouthillier de Bouthillier, Claude, comte de (surintendant des finances) ............ 56 Bouvard, Charles....... 19, 34, 35, 41, 65, 112, 144, 182, 192, 194, 197, 198, 201, 206, 208 Bouyer, Christian ............................. 306 Bracton, Henry de ................................. i Bretagne, Anne de.............................. 70 Breteuil, Louis le Tonnelier de .......... 37 Brockliss, Laurence.......................... 306 Buckingham, George Villiers, premier duc de ....................................... 77, 96 Bury, Richard Girard de.... 7, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 303 C Caen, Jacques ................................... 306 Camefort, Ferdinand, Deniert (domestiques de Louis XIII) .. 20, 185 Capet, Hugues .................................... 99 Caplan, Jay ........................... ii, 116, 306 Cenami, Vincent ou Paul ................... 42 Ceyssens, Lucien...................... 141, 307 Chalais, Henri de Talleyrand-Périgord, comte de ............................. 33, 34, 55 <?page no="306"?> FRANCIS ASSAF 294 Chaline, Olivier................ 117, 170, 307 Champaigne, Philippe de ... 4, 5, 90, 113 Champcenetz, Louis Quentin de La Vienne, marquis de .............. 224, 261 Charles IX .......................................... 42 Charles VI .......................................... 99 Charles VIII ................................. 44, 70 Charlier, Philippe ..... 170, 171, 173, 307 Charolais, Charles de Bourbon, comte de.................................................. 252 Charost ....................................... 13, 178 Chartres, Louis d'Orléans, duc de .... 252 Châteauneuf, Charles de l’Aubespine, marquis de ...................................... 54 Châtelet, Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du ................ 37 Châtillon, Gaspard III de Coligny, duc de...................................... 35, 64, 195 Chavigny Claude et Léon Bouthillier, comtes de ..................................... 190 Chavigny, Anne Phélypeaux de Villesavin, épouse de Léon de ..... 328 Chavigny, Claude Bouthillier, comte de .................................. 28, 32, 190, 275 Chavigny, Leon Bouthillier, comte de (secrétaire d'Etat) .. 32, 37, 45, 49, 50, 52, 53, 55, 56, 57, 58, 59, 62, 190, 275, 305 Chéneau, Gustave .............................. 49 Chéruel, Pierre-Adolphe .. 7, 30, 32, 305 Chevreuse, Claude de Lorraine, duc de ........................................................ 54 Chevreuse, Marie-Aimée de Rohan, duchesse de .............................. 34, 54 Chicot ....................... 177, 179, 185, 193 Cincininus Dentatus ......................... 109 Cinq-Mars, Henri Coiffier de Ruzé d’Effiat, marquis de .... 49, 50, 51, 90, Clément XI (Gianfrancesco Albani, pape de 1700 à 1721) ... 140, 141, 160 Colbert, Jean-Baptiste ..... 127, 130, 133, 220 Coligny, Gaspard IV de ..................... 89 Collonges Vassinhac d'Imécourt ..................... 41 Concini, Concino ............................. 103 Condat-Rabourdin, Berangère Soustre de.................................................. 307 Condé, Charlotte-Marguerite de Montmorency, princesse de .... 23, 24, 58, 188 Condé, Henri II de Bourbon- ...... 36, 66, 190, 202, 210 Condé, Henri-Jules, prince de Bourbon- ...................................................... 252 Condé, Louis II de Bourbon, duc d’Enghien, dit le Grand.... 10, 22, 23, 36, 55, 58, 59, 60, 72, 158, 176, 190, 202, 203, 276 Condé, Louis IV Henri de Bourbon- .............. 129, 228, 231, 232, 242, 252 Condé, Nicolas de56, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 85, 86, 87, 89, 91, 95, 303 Condé, princesse de Voir Montmorency, Charlotte de Constantin (FlaviusValerius Aurelius Constantinus) ......................... 87, 106 Conti, Louis-Armand de Bourbon- ... 46, 141, 228, 232, 252 Conti, Marie-Anne de Bourbon ....... 146 Coraillon, Cédric.............................. 307 Corneille, Pierre ......................... 83, 123 Cornette, Joël ............... ii, 110, 116, 307 Cospeau ou Cospéan, Philippe.... 22, 64, 67, 205, 209, 210, 211 <?page no="307"?> QUAND LES ROIS MEURENT 295 Courat............................................... 207 Cramail, Adrien de Montluc, comte de ........................................................ 51 D Da Vinha, Mathieuv, 169, 224, 275, 307 Dandrey, Patrick .............................. 307 Danes de Marly, Jacques.................... 51 Dangeau, Philippe de Courcillon, marquis de…vi, 68, 117, 118, 119, 121, 128, 148, 173, 303 Daquin, Antoine ............................... 132 Daubenton, Guillaume ..................... 141 David, 2 e roi d’Israël .................... 83, 93 De Backer, Augustin ........................ 307 De La Salle......................................... 50 Delalande, Michel-Richard ..... 142, 233, 244 Delorme, Marion de (Marie de Lon, dite) ................................................ 90 Delviry ............................................. 224 Deniert.............................................. 185 Des Essarts ......................................... 50 des Landes, Noël................................ 85 Des Réaux, Gédéon Tallemant ... 16, 18, 51, 65, 83, 306 Des Yveteaux ......... Voir Des Yveteaux, Nicolas Vauquelin des Desgranges, Michel Ancel ....... 117, 118 Des-Lyons .............. Voir Deslyons, Jean Deslyons, Jean..... 83, 94, 95, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 304 Desrochers, Étienne Jahandier ......... 134 Diacre, Paul...................................... 106 Dinet, Jacques .... iv, 6, 7, 13, 14, 16, 17, 18, 19, 21, 22, 23, 25, 26, 28, 29, 33, 37, 39, 43, 47, 49, 53, 55, 59, 63, 64, 65, 66, 67, 75, 76, 93, 133, 153, 194, 195, 196, 197, 198, 199, 200, 201, 205, 206, 209, 210, 211, 304 Dionis, Pierre ........... 162, 171, 257, 304 Dodart, Claude-Jean-Baptiste .. 146, 240 Dominique Ier Séguier ....................... 24 Doublet, Louis..... 83, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 304 Drumont, Édouard...........iii, 2, 122, 308 Du Bois, Marie... iv, 1, 2, 4, 8, 9, 10, 11, 12, 14, 15, 17, 18, 19, 20, 21, 23, 25, 26, 27, 28, 29, 33, 38, 41, 43, 47, 52, 53, 55, 57, 58, 59, 60, 62, 63, 64, 65, 67, 68, 75, 76, 82, 133, 148, 175, 190, 199, 204, 206, 304 Du Pont, huissier de la chambre sous Louis XIII............................... 63, 205 Dulong, Marguerite-Claude Bardalo- Dulong, dite Claude .... 25, 42, 48, 49, 80, 88, 307 E Elbeuf, Catherine-Henriette de Bourbon, duchesse d’................... 198 Elbeuf, Charles II, duc d’ ................... 54 Elbeuf, Henri de Guise-Lorraine, duc d’ ...................................................... 268 Elbeuf, Marie-Marguerite-Ignace, dite Mademoiselle d’........................... 198 Émery, Michel Particelli d’ 36, 38, 41 Enghien, duc d' Voir Condé, Louis II de Bourbon-, dit le Grand Entragues, Marie Touchet, comtesse d’ ........................................................ 42 F Fabroni, Carlo Agostino................... 141 <?page no="308"?> FRANCIS ASSAF 296 Fagon, Guy-Crescent ...... 127, 128, 130, 131, 132, 133, 135, 142, 146, 147, 149, 150, 151, 158, 160, 162, 166, 170, 221, 222, 223, 224, 225, 226, 227, 228, 235, 236, 239, 240, 242, 243, 244, 252, 256, 262, 263, 264, 268, 269, 276, 306 Falconet, Camille ............. 146, 227, 240 Fauchet, Claude.................................. 61 Fénelon, François de Salignac de La Mothe-.......................................... 117 Ferdinand ......................................... 185 Ferrier-Caverivière, Nicole .......... ii, 116 Filandre .................................... 203, 212 Fleurance, David Rivaut de................ 61 Fleury, André-Hercule, cardinal de 150, 151, 285 Forest, Pierre .................................... 275 Fouquet, Nicolas ............................ 7, 39 François I er ................................. 74, 137 Frédéric II de Hohenstaufen............... 89 Furetière, Antoine ..... 15, 101, 128, 135, 155, 304 G Galien ..........................................iii, 161 Gaspard III ...................... Voir Châtillon Gelin, Henri.............................. 134, 307 Gélis ......................................... 146, 240 Genga, Bernardino ........................... 161 Geofrebelle....................................... 284 Gervais ............................................. 257 Gervais, chirurgien........................... 162 Girard, Antoine ................. iv, 6, 25, 304 Godeau, Antoine .............................. 185 Gomberville, Marin Le Roy de .......... 61 Gondi, Jean-François de......... 23, 80, 94 Gondi, Jean-François Paul de ............ 94 Goulart, Simon ................................. 146 Goulas, Nicolas ................................ 304 Goutard ............................................ 240 Grenailles (ou Grenaille), François de ...................................... 101, 102, 103 Grimaldi, Girolamo Cavalleroni (? )... 57 Grimm, Friedrich Melchior von........... 7 Grou, Jean ........................................ 212 Guénégaud, Henri Duplessis-, marquis de la Garnache................................ 37 Guiche, Antoine V de Gramont, duc de ...................................................... 247 Guillaume le Conquérant ................... 98 Guise, Henriette-Catherine, duchesse douairière de..................... 51, 54, 186 Guitault ou Guitaült ......................... 181 H Hanovre, maison royale britannique 1714-1901 .................................... 159 Haran, Aleksander Yali... 72, 73, 77, 81, 307 Harcourt, Henri de Lorraine, comte d' ........................................ 35, 278, 279 Hardouin-Mansart, Jules ...... 11, 67, 127 Hecquet, Philippe ............................. 161 Helvétius, Jean-Claude Adrien 136, 227 Henri II.......................... i, 1, 44, 58, 137 Henri III .............................. i, 42, 81, 88 Henri IV i, 1, 11, 19, 35, 42, 52, 60, 61, 80, 81, 98, 102, 211 Henry, Gilles .................................... 307 Hildesheimer, Françoise ... 2, 19, 25, 33, 44, 46, 68, 307 Hippocrate...................iii, 147, 161, 162 Hortemels, Marie-Anne Hyacinthe . 172, 290 <?page no="309"?> QUAND LES ROIS MEURENT 297 Huchon, Claude....... 153, 155, 159, 168, 248, 249, 254, 265, 266 I Ingres, Jean-Auguste-Dominique ...... 91 Italie, Rozala d' .................................. 99 J Jacques II d’Angleterre (James Stuart ...................................................... 158 Jacques, Émile.................................. 308 Jean de Salisbury............................. i, 89 Jean de Terrevermeille .................. i, 142 Jones, Colin...................................... 306 Jørum, Ellen ..................................... 308 Josaphat, roi de Juda (r. 873-849) ...... 93 Josias, roi de Juda .............................. 93 Juif (l’un des médecins de Louis XIII) ........................................................ 36 Jules César (Caïus Julius Caesar IV) 110 K Kantorowicz, Ernst ............ i 83, 89, 308 L La Barde, Denis de............................. 85 La Châtre, Edme, marquis de............. 54 La Falaine......................................... 196 La Fayette, Louise de ......................... 48 La Force, Jacques Nompar de Caumont, duc de ............................. 35, 195, 305 La Grange, Adélaïde-Édouard Lelièvre, marquis de .............................. 35, 305 La Hoguette, Philippe Fortin de............ i La Porte, Pierre de...................... 48, 305 La Rochefoucauld, François VI, duc de ...................................... 47, 54, 55, 57 La Rochefoucauld, François VIII, duc de.......................... 221, 232, 238, 241 La Tortillière ... 169, 184, 189, 193, 207, 211, 231, 267 La Tour d’Auvergne, Frédéric-Maurice de.................................................. 102 La Vrillière, Louis I er Phélypeaux de 21, 22, 27, 28, 148, 189, 190, 198 La Vrilliere, Louis II Phélypeaux, marquis de ............................ 233, 238 Lagrange .......................................... 267 Lamare, Jukes .................................... 85 Lansac, Françoise de Souvré, duchesse de...................... 45, 64, 188, 202, 205 Lapeyronie, François de................... 152 Larmessin, Nicolas II de .................. 126 Lassus, Roland de (Orlando di Lasso)20 Laubardemont, Jean Martin, baron de 51 Le Bret, Cardin.................. i, 71, 75, 305 Le Dran, Henri François .................. 162 Le Nôtre, André ................................. 42 Le Nôtre, Jean .................................... 42 Le Peletier de Souzy, Michel ........... 223 Le Tellier, Michel ...... iv, 120, 139, 140, 141, 144, 151, 153, 154, 160, 168, 230, 237, 243, 246, 248, 249, 255, 262, 265, 266, 285, 289 Le Tellier, Michel IV, chancelier de France..................................... 21, 186 Le Tellier, Michel IV, marquis de Barbezieux ............................... 36, 38 Lebrun, François .................................. 4 Leclerc, Jean .............................. 74, 308 Ledran, Henri ................................... 257 Leferme-Falguières, Frédérique...... 173, 308 Lefèvre, André ................................... 39 Lefèvre, Nicolas ................................. 61 <?page no="310"?> FRANCIS ASSAF 298 Liancourt, Roger du Plessis, duc de... 57 Livry, Louis II Sanguin, marquis de133, 225, 228 Longueil, Jean-René de Maisons, marquis de .................................... 238 Longueil, René de ............................ 148 Longueville, Henri II d’Orléans, duc de ........................................................ 35 Loraine (Lorraine), Charles de......... 222 Lorraine, Marguerite de ............. 59, 190 Louis de France, duc de Bourgogne 268 Louis IX ............................................. 18 Louis XIII.. i, ii, iii, iv, v, 1, 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 41, 42, 43, 45, 46, 47, 48, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 110, 111, 112, 113, 121, 123, 124, 125, 133, 136, 138, 142, 143, 144, 148, 152, 153, 154, 155, 156, 158, 159, 164, 168, 169, 173, 174, 175, 176, 177, 200, 211, 212, 215, 216, 217, 229, 275, 303, 304, 305, 306, 307, 309 Louis XIV .. i, ii, iii, iv, v, vi, 2, 4, 7, 10, 11, 12, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 23, 25, 26, 27, 30, 34, 35, 37, 38, 39, 41, 42, 43, 44, 48, 51, 52, 53, 56, 58, 59, 60, 61, 64, 66, 68, 70, 72, 76, 80, 83, 84, 85, 86, 92, 93, 94, 95, 99, 101, 102, 104, 106, 110, 111, 112, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 129, 130, 131, 132, 134, 135, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 144, 145, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 162, 163, 164, 167, 168, 169, 170, 171, 172, 173, 174, 175, 177, 188, 202, 212, 216, 217, 218, 219, 220, 222, 223, 224, 248, 251, 253, 267, 268, 269, 275, 276, 278, 283, 284, 285, 286, 288, 289, 303, 304, 305, 306, 307, 308, 309 Louis XV....ii, vi, 38, 71, 105, 116, 122, 130, 131, 150, 151, 152, 156, 164, 170, 173, 174, 216, 218, 221, 224, 268 Louis XVI ............................................ ii Louis, saint .......................Voir Louis IX Louis-Dieudonné...........Voir Louis XIV Lower, Richard ................................ 161 Loyseau, Charles................................... i Lucas 178, 183, 184, 185, 186, 188, 208 Lully, Jean-Baptiste ......................... 106 Lurin, Emmanuel ............................. 308 Lycurgue .......................................... 105 M M. le Prince ...... Voir Condé, Louis II de Bourbon-, dit le Grand Maillebois, Jean-Baptiste François Desmarets, marquis de . 170, 268, 269 Maillebois, Nicolas Desmarets, marquis de.......................... 133, 225, 245, 250 Maine, Louis-Auguste Ier de Bourbon, duc du.. 120, 141, 157, 158, 228, 232, 242, 247, 251, 252, 278, 279, 282, 290 <?page no="311"?> QUAND LES ROIS MEURENT 299 Maine, Marie-Anne-Louise-Bénédicte de Bourbon, duchesse du ..... 120, 252 Maintenon, Françoise d’Aubigné, marquise de . 120, 129, 131, 134, 137, 158, 164, 165, 166, 167, 168, 221, 223, 224, 226, 228, 229, 233, 238, 243, 253, 259, 260, 261, 265, 266 Maisons, René de Longueil de.. 35, 148, 241 Mancini, Marie-Anne....................... 145 Manicamp, Achille de Longueval, sieur de.................................................... 54 Mansart, Jules Hardouin- ................. 220 Marais, Mathieu ....................... 117, 305 Maral, Alexandreiii, 121, 122, 155, 168, 308 Mareschal, Georges....... 35, 51, 60, 120, 132, 135, 142, 143, 146, 150, 152, 153, 158, 160, 162, 163, 166, 168, 170, 226, 227, 231, 233, 235, 236, 239, 242, 244, 245, 246, 256, 260, 261, 264, 266, 267, 268, 269, 276, 278 Marie-Thérèse d’Autriche (María Teresa de Austria) 124, 162, 216, 286 Marin, Louis............. ii, 5, 113, 145, 308 Márquez, Gabriel García..................... iv Masse, Claude .................................... 97 Mazarin, Jules (Giulio Raimondo Mazzarini) . 21, 23, 24, 25, 30, 35, 36, 38, 44, 45, 46, 47, 49, 50, 52, 55, 56, 57, 58, 62, 63, 87, 94, 98, 156, 188, 190, 275, 305, 307 Médicis, Marie de (Maria de’ Medici) ................ 31, 53, 60, 61, 86, 100, 102 Mehmet II........................................... 74 Méliand, Blaise de ............................. 36 Mercœur, Louis de Bourbon, duc de Vendôme et de ............................... 54 Mesmes, Jean-Antoine de ........ 148, 241 Modène, Marie Béatrice Éléonore Anne Marguerite Isabelle d’Este, princesse de.................................. 158, 159, 253 Molé, Mathieu.................................... 35 Molière (Jean-Baptiste Poquelin) ... 123, 147, 149 Monseigneur (Louis de France, le Grand Dauphin) ........................... 157 Montagu, Walter ................................ 57 Montausier, Charles de Sainte-Maure, duc de ........................................... 157 Montespan, Françoise-Athénaïs de Rochechouart-Mortemart, marquise de.......................... 129, 130, 202, 288 Montesquiou, Pierre, comte d'Armagnac et maréchal de .............................. 268 Montmorency, Henri II de ................... 9 Montpensier, Anne-Marie-Louise d'Orléans, duchesse de ............. 29, 31 Montreuil (ou Montereuil), Bernardin de Gesvres de ............................... 208 Morangis, Antoine Barillon, chevalier, marquis de ...................................... 40 Morin, Jean ............................ 4, 5, 6, 82 Mortemart, Gabriel de Rochechouart, marquis puis 1 er duc de .................. 57 Motte, Henri-Paul .............................. 97 Motteville, Françoise Bertaut, dame de ...................................... 3, 30, 31, 305 N Narbonne, Pierre .............................. 308 Nemours, Charles-Amédée de Savoie- ................................................ 60, 212 Nemours, Henri I er de Savoie- ........... 60 <?page no="312"?> FRANCIS ASSAF 300 Nemrod ............................................ 111 Nesmond, François-Théodore de ....... 36 Nestor ............................................... 109 Neufville, Catherine de ...................... 13 Nicolaï, Jean-Aymar de, marquis de Goussainville................................ 238 Noailles, Adrien-Maurice, duc de ... 229, 231, 238, 241, 259 Noailles, Adrien-Maurice, duc de, neveu de l’archevêque.................. 165 Noailles, Louis-Antoine, cardinal de .. v, 140, 141, 164, 165, 170, 258, 259, 268 Noyers, François Sublet de ... 21, 38, 50, 52, 62, 186 O Olivarès, Gaspar de Guzmán y Pimentel Ribera y Velasco de Tovar, comteduc d’ ............................................. 50 Orléans, Gaston d'11, 22, 26, 33, 37, 39, 41, 45, 46, 50, 52, 55, 56, 57, 58, 59, 136, 190, 207, 219, 220, 221, 222, 223, 224, 225, 226, 227, 228, 229, 231, 232, 233, 234, 235, 236, 238, 239, 240, 241, 242, 244, 245, 247, 248, 249, 250, 251, 252, 254, 255, 256, 257, 258, 259, 260, 261, 262, 263, 265, 266, 267, 268, 269, 276, 303 Orléans, Marguerite de Lorraine, duchesse d’................................... 190 Orléans, Philippe I er , duc d’ 48, 146, 191 Orléans, Philippe II, duc d'....... vi, 2, 48, 116, 119, 130, 137, 139, 141, 150, 151, 156, 157, 159, 166, 170, 172, 173, 218, 228, 231, 232, 238, 242, 250, 251, 252, 256, 262, 263, 267, 268, 269, 270, 276, 278, 280, 281, 290, 291, 304, 308 Ormesson, André Lefèvre d' .............. 46 Ormesson, Olivier Lefèvre d’ ... 7, 8, 22, 29, 30, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 50, 55, 305 P Palatine, Élisabeth-Charlotte, comtesse de Simmern, dite la Princesse ..... 137, 173, 238 Péan, Anne ....................................... 308 Pérez, Stanis ..................... 170, 171, 308 Petit, Jean-Louis............... 146, 162, 240 Petitfils, Jean-Christian ... 10, 16, 18, 19, 23, 24, 25, 26, 34, 43, 44, 51, 53, 68, 69, 96, 102, 140, 141, 151, 156, 308, 309 Petu .................................................. 257 Peumery, Jean-Jacques ............ 146, 309 Philippe IV, roi d'Espagne ......... 50, 286 Philippe le Hardi ................................ 98 Philippe V ........................................ 141 Philippe-Auguste.............................. 107 Pichotel .............................................. 42 Pidard, Gilles............................ 158, 306 Pigaillem, Henri ......................... 90, 309 Polignac, Pierre-Paul Melchior, cardinal de.......................................... 160, 255 Pontchartrain, Jérôme Phélypeaux, comte de ............... 131, 224, 233, 238 Pontchartrain, Louis I er Phélypeaux de ........................................................ 37 Pontchartrain, Louis II Phélypeaux, comte de ............................... 119, 131 Potier, René........................................ 47 Priolo, Benjamin ................................ 49 <?page no="313"?> QUAND LES ROIS MEURENT 301 R Racine, Jean ....................................... 83 Ranc, Jean ........................................ 126 Ranum, Orest ................................... 116 Retz, Jean-François Paul de Gondi, cardinal de ........................ 47, 94, 305 Richelet, César-Pierre ..... 101, 127, 155, 306 Richelieu, Armand-Jean Du Plessis de 29, 30, 31, 34, 36, 38, 39, 40, 46, 47, 50, 51, 54, 55, 61, 62, 63, 90, 95, 97, 106, 107, 111, 112 Rigaud, Hyacinthe (Jacinto Francisco Honorat Matias Rigau-Ros I Serra) ...................................................... 126 Rivière.............................................. 204 Robert II le Pieux ............................... 99 Rohan, Armand-Gaston-Maximilien, prince et cardinal de .... 118, 120, 153, 155, 156, 159, 168, 248, 249, 255, 265, 266 Rohan, Henri II de.............................. 95 Rohan, Marie-Aimée de, duchesse de Chevreuse....................................... 34 Roux, Marcel.................................... 309 Roy, Émile ....................... 103, 105, 309 S Sabatier, Gérard ............................... 309 Sainctot, Nicolas II de...................... 118 Sainctot, Nicolas-Sixte de ................ 118 saint Louis (Louis IX) ........................ 81 Saint Loüis (Louis IX) ....................... 79 Saint-Gelais, Artus de, marquis de Lansac ............................................ 45 Saint-Hilaire, Armand de Mormès, duc de...................................................... 3 Saint-Simon, Claude de Rouvroy, duc de.............................. 48, 51, 117, 141 Saint-Simon, Louis de Rouvroy, duc de ii, iv, v, vi, 39, 48, 50, 117, 119, 130, 139, 141, 148, 151, 153, 156, 167, 306 Sales, saint François de .................... 185 Salomon, roi d’Israël........................ 221 Sancier-Château, Anne .................... 309 Santerre, Jean-Baptiste............. 172, 291 Savoie, Marie-Adélaïde de...... 146, 170, 268 Savoie, Victor-Amédée II, duc de.... 151 Schomberg, Charles de .................... 185 Schomberg, Henri de ......................... 77 Schröder, Volker .............................. 134 Séguier, Dominique I er .... 18, 22, 23, 34, 59, 67, 153, 182, 188, 194, 196, 199, 200, 205, 209, 210, 211 Séguier, Pierre34, 42, 45, 46, 56, 57, 58, 119, 189, 190 Seguin (ou Séguin), Claude ............... 59 Senault, Jean-François .................... i, 75 Serroy, Jean...................................... 134 Sirmond, Jacques ......................... 22, 53 Soliman le Magnifique....................... 75 Sommery .......................................... 284 Sorel, Charles ........... 103, 105, 109, 309 Soubise, Benjamin de Rohan, baron de ........................................................ 95 Souvray ou Souvré, Gilles de 13, 60, 64, 178, 180, 189, 192, 194, 196, 198, 199, 203, 207, 208, 209, 212 Souvray, Jean II de Courtenvaux ....... 13 Souzy, Michel Le Peletier de .. 129, 143, 235 St. Louis (Louis IX) 81, 86, 93, 94, 106, 118, 246, 247 <?page no="314"?> FRANCIS ASSAF 302 Stuart, Jacques II (Angleterre) et VII (Écosse)........................................ 253 Stuart, Jacques III (Angleterre)........ 253 Stuart, Louise-Marie-Thérèse .......... 159 T Tallard, Camille d’Hostun de La Baume, comte de.......................... 278 Talon, Omer ....................................... 46 Thémistocle...................................... 107 Thomas d’Aquin ................................ 86 Thou, François-Auguste de ................ 51 Tiffaine............................................. 185 Tilladet, Gabriel de Cassagnet de ...... 50 Toiras, Jean de ................................... 77 Torcy, Jean-Baptiste Colbert, marquis de.......................... 130, 151, 233, 238 Touchebois, Jacques, dit .................. 169 Toulouse, Louis-Alexandre de Bourbon, comte de ...... 141, 228, 232, 242, 252, 278, 279, 282 Tresmes, Bernard-François Potier, Marquis de Gesvres et duc de ..... 130, 138, 170, 221, 223, 228, 229, 237, 241, 244, 247, 255, 268, 269 Tréville, Jean-Armand du Peyrer, comte de.................................................... 50 U Urbain VIII (Maffeo Barberini, pape sous le nom d' ) .................. 23, 79, 98 Uxelles, Nicolas Chalon du Blé, marquis d’ .................................... 278 Uzès, Emmanuel I er de Crussol, duc d’ ...................................................... 200 V Vassinhac d’Imécourt ........................ 41 Vendôme, Catherine-Henriette de Bourbon- ...................................... 196 Vendôme, César de Bourbon, duc de 35, 52, 54, 61, 202 Vendôme, Françoise de Lorraine, duchesse de .................................... 51 Ventadour, Charlotte-Éléonore Magdeleine de La Motte- Houdancourt, duchesse de .. 164, 257, 258, 284 Ventadour, Henri de Lévis, duc de, puis chanoine ....................... 200, 205, 209 Vienne, François Quentin de La ...... 224 Vignerot, François de, Marquis de Pont- Courlay........................................... 40 Villars, Claude-Louis-Hector de ..... 121, 135, 241, 278 Villeroy, François de Neufville de.. 121, 130, 131, 133, 141, 151, 152, 153, 156, 157, 221, 224, 225, 228, 229, 231, 232, 234, 238, 239, 241, 245, 248, 250, 267, 278, 279, 283, 284, 289 Villeroy, Louis-Nicolas VI de Neufville, duc de .................. 221, 232 Villeroy, Nicolas V de Neufville de 156 Vincent de Paul ...... 40, 47, 57, 88, 205, 275, 305 Vitry, Nicolas de l’Hospital, dit maréchal de ................ 51, 54, 60, 212 Vivonne, Catherine de, marquise de Rambouillet.................................... 16 Vivonne, Gabriel de Rochechouart de Mortemart de.......................... 16, 202 Voltaire (François-Marie Arouet) . 7, 37, 38, 306 <?page no="315"?> QUAND LES ROIS MEURENT 303 Voysin de La Noiraye, Daniel 119, 129, 131, 133, 165, 223, 224, 225, 233, 238, 250, 259, 261 W Wunenburger, Jean-Jacques....... 74, 309 Y Yveteaux, Nicolas Vauquelin des ...... 61 <?page no="316"?> BIBLIOGRAPHIE Sources A NTHOINE [sic], Jean & François. 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