Fremdsprachen Lehren und Lernen
flul
0932-6936
2941-0797
Narr Verlag Tübingen
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2011
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Gnutzmann Küster SchrammLa recherche en didactique des langues étrangères dans le cadre européen. Le cas de la France
61
2011
Pierre Martinez
Jean-Paul Narcy-Combes
Marie-Françoise Narcy-Combes
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© 2011 Narr Francke Attempto Verlag 40 (2011) • Heft 1 P IERRE M ARTINEZ , J EAN -P AUL N ARCY -C OMBES , M ARIE F RANÇOISE N ARCY -C OMBES * La recherche en didactique des langues étrangères dans le cadre européen. Le cas de la France Abstract. In France, there is still much debate over the definition and delimitations of the field of Didactique des Langues Étrangères, which pertains to domains as various as SLA, Applied Linguistics and language methodology and so is very difficult to translate. Nonetheless, research in the field is plentiful and includes branches dealing with description, explanation and action-research. In order to provide a clear picture of the current situation, we have based our study on a broad corpus encompassing peer-reviewed articles and PhD subjects. French and English dominate the field most likely due to ideological and institutional conditions. Those conditions do not sufficiently encourage neither linguistic diversity nor exchanges be it between specialists of the various languages or between researchers and teachers. 1. Introduction Cet article vise à dresser un état des lieux en matière de recherche en didactique des langues étrangères (désormais RDL) en France. Le terme ‘didactique’, plus transparent, a été préféré au couple ‘didactique/ didactologie’, ‘didactique’ référant à des pratiques ‘didactologie’ à une théorisation de ces pratiques. La didactique est ainsi un « méta- », dans une praxéologie qui met en œuvre une circulation théorico-pratique. On a pu faire, par métaphore, du chercheur en didactique un « alpiniste en surplomb », non pas supérieur à ceux qu’il regarde de haut, mais trouvant dans sa position un autre regard possible sur les choses. 1 Nous reprenons la formulation de M. B YRAM , selon lequel les relations entre didactique et recherche sont complexes et ne peuvent être mises en parallèle à ce qui se passe entre science fondamentale et technologie, où la recherche précède l’enseigne- * Adresses de correspondance: Pierre M ARTINEZ , Professeur, Université Paris VIII et Université Nationale de Séoul, Corée. E-mail: pierre.martinez@univ-paris8.fr ou martinez@snu.ac.kr Domaines de spécialité: Sociolinguistique, politiques linguistiques, francophonie, didactique des langues et des cultures. Jean-Paul N ARCY -C OMBES , Professeur, Université Paris III Sorbonne-Nouvelle. E-mail: jean-paul.narcy-combes@wanadoo.fr Domaines de spécialité: Didactique, épistémologie, dispositifs, tâches... Marie-Françoise N ARCY -C OMBES , Professeur, Université de Nantes. E-mail: marie-francoise.narcy-combes@univ-nantes.fr Domaines de spécialité: Didactique des langues et des cultures, anglais de spécialité, dispositifs, plurilinguisme. 1 Cf. P UREN . Voir sitographie. La recherche en didactique des langues étrangères … Le cas de la France 69 40 (2011) • Heft 1 ment et où celui-ci s’efforce de présenter les résultats de la recherche, « le rôle de la didactique (étant) alors de faciliter ce processus » (B YRAM 2011: 41). En RDL, une partie de l’activité des chercheurs tient non à « analyser ce qui se fait mais à analyser (la faisabilité) de ce qui devrait se faire », c’est à dire à « prendre position », donc à être « sensibles aux questions d’idéologies et de valeurs ». Un second découpage peut référer à ce que B EACCO (2011) appelle judicieusement une tectonique des savoirs: savants/ académiques, sociaux/ ordinaires diffusés/ banalisés et d’expertise/ professionnels, ce qui permet de construire une topologie où les recherches pourraient s’articuler. Une autre approche pertinente consiste enfin à « lire » les recherches, sous deux angles différents (S CHNEUWLY et al. 2010: 29). D’abord, en établissant leur rapport au champ d’une didactique en voie de disciplinarisation: • « recherches pour la didactique qui regroupent les contributions issues des disciplines contributoires (la linguistique, la psycholinguistique, la sociologie, etc.) ou d’autres didactiques […] et qui alimentent d’une manière ou d’une autre les discours disciplinaires; • recherches en didactique portant sur des objets, des démarches intrinsèquement liés à l’étude des objets d’enseignement ». On peut ensuite, comme ces auteurs, classer les recherches en fonction de leur visée: recherches théoriques et méthodologiques (perspective épistémique, descriptive, études de cas); recherches d’intervention (nous dirions: empirico-propositionnelles); documents (éclairant le contexte politique, social et institutionnel de la recherche). On retrouve là des opérations évoquées par Byram, entre explication et impulsion au changement. Devant la diversité des objets, des méthodes et des enjeux qui attendent toute analyse du domaine, nous avons usé de ces éléments théoriques comme d’un prisme pour mettre l’accent sur les lignes de force. Nous ne sommes guère entrés dans le détail des réalités locales. D’abord, l’information relative à la question est dispersée et le champ de la didactique, comme nous allons le préciser ci-dessous, est, en France, sous des apparences de structuration disons jacobine (Ministère, CNRS 2 , universités), fragmenté. Il est soumis à des découpages tant disciplinaires et universitaires que déterminés par des niveaux d’intervention et par les langues elles-mêmes. Ainsi, ce champ est mal connu et, pour avouer notre préoccupation vu les conditions actuelles (extension d’un marché des langues globalisé, politique européenne du plurilinguisme), il est assez mal considéré. Ensuite, une telle étude mériterait une recherche approfondie et il serait bienvenu de lancer des actions plus ponctuelles sur la question, à charge de nous donner des résultats plus étayés, et au terme d’une étude de plus longue durée. Ainsi serait-il judicieux de pouvoir conduire une enquête pour recueillir l’avis des acteurs de la RDL. Enfin, sans doute avons-nous manqué nous mêmes de temps pour aller aussi loin dans l’investigation que nous l’aurions souhaité. Ces pré- 2 CNRS = Centre National de la Recherche Scientifique. 70 Pierre Martinez, Jean-Paul Narcy-Combes, Marie-Françoise Narcy-Combes 40 (2011) • Heft 1 cautions liminaires étant posées, on peut faire une peinture assez exacte de la question, même brossée à grands traits. 2. Positionnement scientifique, institutionnel et social de la RDL Il faut convenir que la position de la RDL en France est toujours scientifiquement assez fragile, à l’instar de la didactique elle-même, échappant à des pratiques en tant que telles et se construisant épistémologiquement. La construction du champ couvre, non sans ambiguïté ni discussion, l’appropriation et la méthodologie (enseignement/ apprentissage), mais touche à des domaines contributifs, tels que l’acquisition à laquelle elle emprunte des concepts (interlangue, stratégies) (V ERONIQUE 2005). Très peu d’équipes travaillent exclusivement en didactique. La plupart sont en fait des composantes d’équipes pluridisciplinaires ou plurisectorielles de linguistique ou de sciences de l’éducation incluant des recherches en didactique des langues, ou bien elles associent l’enseignement des langues et des cultures, avec une composante sociologique ou anthropologique. Certaines parlent de « linguistique appliquée », au détour d’un programme de travail. Une recherche avancée sur le site de l’AERES 3 indique que le motclé « didactique » produit une liste de 158 formations et équipes évaluées (mais pour « didactique des langues » 1 seule occurrence…). En réalité, seuls 17 rapports permettent une approche plus fine de la RDL, et nous les avons examinés tour à tour. Ce jeu de cache-cache avec les thématiques de recherche apparaît dans une formulation de l’AERES sur une équipe: « L’équipe Linguistique anglaise, psycholinguistique […] présente l’originalité [nous soulignons] d’une recherche appliquée finalisée: traduction assistée par ordinateur (TAO), production d’outils pour la didactique de la prosodie… ». Une équipe d’un laboratoire provincial réputé, dont le sigle inclut simplement « A » pour « Apprentissage », développe en fait ses activités sur apprentissages, didactiques, interactions, savoirs… Nous avons multiplié ce genre de « carottage » avec des résultats comparables. Bien évidemment, on ouvrirait un débat sans fin (notamment avec ces équipes) si on avait la prétention d’indiquer ici comment elles sont effectivement composées et quelles sont leurs activités. La complexité qui règne dans le champ institutionnel se retrouve au niveau des individus. En effet, le manque de précision dans le positionnement de recherche affecte de nombreux universitaires, qui ont souvent une double étiquette de linguistes, cognitivistes, acquisitionnistes, sociologues, etc. et simultanément de didacticiens. Bien entendu, cette particularité n’est pas forcément négative, pas plus que l’intitulé d’équipes qui affichent des « dynamiques », des « transferts » ou des voies de « traverses ». Il faut distinguer le cas de chercheurs qui choisissent consciemment de se donner une double ou triple culture scientifique et développer ainsi des activités transversale face à la complexité. Constitutivement, il est impossible de chercher en didactique sans un 3 AERES = Agence d’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur. La recherche en didactique des langues étrangères … Le cas de la France 71 40 (2011) • Heft 1 élargissement conceptuel et méthodologique. Mais, d’autres raisons moins flatteuses peuvent expliquer ce phénomène. En premier lieu, des raisons épistémologiques: le cloisonnement disciplinaire, une appartenance scientifique discutée entre sciences du langage (concept français « extensible » qui opère distinctions et rapprochements peu compréhensibles ailleurs), sciences de l’éducation, psychologie, technologies, communication, politiques linguistiques…, font naître un brouillage du domaine. Les problèmes posés par la constitution du domaine et sur lesquels nous ne pouvons revenir ici (M ARQUILLO -L ARRUY 2001, M ACAIRE / J.-P. N ARCY -C OMBES / P ORTINE 2010, C HISS / S AVATOVSKY 2011) rejaillissent sur l’état de la recherche et sur les chercheurs. On en trouvera les effets dans un deuxième genre de facteurs négatifs. Le modèle institutionnel impose, dès la formation initiale, des cloisonnements entre pratiques professionnelles et recherche. L’évaluation des publications est la première en cause: Les « produisants » (sic, terme officiel) ont intérêt à chercher à publier dans des revues « respectables ». Or celles qui sont spécialisées en didactique des langues sont absentes des grands classements type ERIH 4 , où l’on compte d’ailleurs les revues francophones sur les doigts des mains, dans la section « Linguistique », une ou deux apparaissant dans la section « Pédagogie et Education ». La didactique se glisse sous des titres tels que Etudes de Linguistique Appliquée, Revue de Linguistique Appliquée, ALSIC, Acquisition et Interaction en Langue Etrangère, Repères et quelques autres. Et toute occurrence d’« enseignement », « apprentissage », ou bien sûr « didactique », est, dans ces conditions, exclue. Bien sûr, les chercheurs français peuvent toujours essayer de publier dans Canadian Modern Language Review / Revue Canadienne des Langues Modernes ou directement en anglais. Quant aux thèmes les plus « porteurs » nous les préciserons ci-dessous. Mais les instances supérieures sous les yeux (ou au sein) desquelles se fait la recherche sont, en France, le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), peu préoccupé de didactique, et plus encore, s’agissant des carrières, le Conseil National des Universités (CNU). Ce dernier, on le sait, habilite les jeunes chercheurs à concourir pour un poste de Maître de Conférences et les plus chevronnés, déjà habilités, pour une chaire de professeur. Un relevé sommaire des postes à pourvoir en 7 ème section (Sciences du Langage: linguistique et phonétique générale) en 2011 montre que 55% de ces offres incluent « enseignement » ou « didactique » pour partie ou même totalité du profil attendu (source Galaxie, MESR 4 ). Mais chaque impétrant se sent tenu d’avoir un dossier de recherche « recevable », diversifié vers la linguistique, car au CNU, seuls un très petit nombre de membres du Conseil ont eux-mêmes publié en didactique. Notons l’existence de lieux propices à la RDL, tels que les Instituts de Formation des Maîtres (IUFM) et l’Institut National de la Recherche Pédagogique (INRP) qui vivent actuellement des réformes. Or la formation des enseignants de l’Education Nationale, dans les IUFM, vient d’être profondément modifiée avec le rattachement de ceux-ci 4 ERIH = European Reference Index for the Humanities. MESR = Ministère de l’Enseignement et de la Recherche 72 Pierre Martinez, Jean-Paul Narcy-Combes, Marie-Françoise Narcy-Combes 40 (2011) • Heft 1 aux universités. Une structure d’appui de première qualité tel que l’INRP est en voie d’intégration à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon. L’avenir de la RDL est lié en partie à ces mesures qui ont fait l’objet de vives contestations. Enfin, les pratiques de l’Université, outre celle du recrutement, ne sont guère favorables. La spécialisation, dans les grands sous-domaines, linguistique, littérature et civilisation, laisse peu de place à la RDL. La formation continue induit une certaine réflexivité mais ne suscite guère d’études empiriques et encore moins fondamentales. Ainsi des secteurs entiers de l’enseignement/ apprentissage des langues ont vu croître leur champ sans que se développent, parallèlement, des analyses visant à l’explication, à la compréhension et au changement. Dans les Grandes Ecoles, se mettent en place, à la marge, sans vraies structures d’accueil, des groupes de travail sur la formation linguistique des futurs ingénieurs: autour du curriculum, de l’interculturel en entreprise ou de la mobilité étudiante. Tout cela sans grands moyens: malgré le dynamisme des enseignants et des responsables des formations linguistiques, la notion de rentabilité l’emporte souvent dans ces institutions dont la recherche sur ces questions n’est, bien sûr, pas la vocation première. 3. Publications et colloques, recherches doctorales Notre analyse couvre le plus possible des langues concernées: français, anglais, allemand, espagnol, avec des exemples de langues moins enseignées (japonais, chinois, arabe...). Les observations concernant ces dernières sont plus malaisées. Par exemple, il existe en japonais une association professionnelle dynamique (AEJF) mais sans bulletin à vocation scientifique et l’on doit chercher dans des pré-actes de rencontre ou des actes de colloques comme Japon pluriel (SFEJ) les traces de l’activité de ses membres en RDL. Les colloques et journées d’études sont mentionnés régulièrement dans les revues (appel à communications, compte-rendus consécutifs, etc.) et font donc partie des « données » analysées. 5 3.1 Les publications 6 3.1.1 Questions de méthodologie 3.1.1.1 Constitution et justification du corpus Nous avons constitué notre corpus en explorant les revues professionnelles et de recherche suivantes de 2005 à 2010: Asp (revue du GERAS, groupe d’études et de recherches en anglais de spécialité), les Cahiers de l'Apliut, Association des professeurs 5 Ph. B LANCHET fait remarquer que rien n’est “donné” dans une enquête, mais que tout est pris, sélectionné. 6 Remerciements à R. S TARKEY -P ERRET et à M. K ARAMOOZIAN , doctorantes de l’Université de Nantes, pour leur collaboration dans le recueil et le traitement des données. La recherche en didactique des langues étrangères … Le cas de la France 73 40 (2011) • Heft 1 de langue en Institut Universitaire de Technologie (IUT), dont le sous-titre est « pédagogie et recherche », Les langues modernes, revue de l’Association des enseignants de langues vivantes, le site de l'Association des chercheurs en didactique des langues (ACEDLE) et celui de ALSIC (pour: Apprentissage des langues et systèmes d’information et de communication), avec une incursion vers le site de la revue majeure en Français Langue Étrangère et Seconde, Le français dans le Monde. Toutes ces revues allient pédagogie et recherche, réflexion théorique et action sur le terrain, avec des recensions d’ouvrages théoriques ou théorico-pratiques, ce qui permet leur prise en compte dans notre analyse. Leur diversité permet d’explorer dans un spectre relativement large l’état de la RDL en France, de donner un aperçu fiable des sujets qui intéressent les chercheurs aujourd’hui. Asp se concentre sur l’apprentissage de l’anglais de spécialité, et explore les différents types de discours de spécialité dans leur dimension lexicale, discursive, et culturelle sur un continuum du moins spécialisé au plus spécialisé. Les Cahiers de l’APLIUT et Les Langues Modernes, pour leur part, ne sont fermées à aucune langue enseignée en France, cependant la première s’intéresse à l’enseignement supérieur, alors que l’autre concerne le secondaire et souvent avec un point de vue plus institutionnel. Les Cahiers de l’ACEDLE et ALSIC s’intéressent à la RDL sans exclure aucune langue, mais la seconde se fait une spécialité de l’introduction des TIC 7 comme étayage pour l’enseignement des langues. D’autres revues de groupes de recherche identifiés telles que Lidil (Grenoble), revue de linguistique et de didactique, Mélanges CRAPEL (Nancy), revue en ligne de didactique des langues, Travaux de didactique du français langue étrangère (Montpellier) auraient pu intégrer notre corpus, sans infléchir sensiblement, nous semble-t-il, les résultats. 3.1.1.2 Méthodologie suivie La méthodologie suivie a consisté pour chaque revue étudiée à recueillir les titres d’articles et les mots clés fournis. Un logiciel 8 a été utilisé pour une partie du corpus (Les Cahiers de l’ACEDLE et ALSIC) donnant la gamme la plus large de travaux effectués. Les données ont ensuite été organisées en catégories et nous nous sommes inspirés des résultats obtenus pour classer alors les autres données. En conclusion, nous avons calculé le pourcentage obtenu pour les notions les plus représentatives des intérêts des chercheurs et des recherches effectuées. Aucune langue n’a été écartée a priori (des spécialistes de japonais, d’arabe, de chinois sont membres du comité scientifique des Cahiers de l’ACEDLE). Mais le français et l’anglais comme langues étrangères dominent, de façon écrasante, le domaine de la RDL en France. L’espagnol tient une place très limitée et l’allemand est presque aussi présent que ce dernier, alors qu’il est moins enseigné. Au total, les articles consacrés directement à ces langues concernent, moins de cinq pour cent des publications. Les 7 TIC = Technologies d´Information et de Communication 8 Hermetic word frequency counter HWFC 9.41 Logiciel de comptabilité de la fréquence des mots. Editeur: Hermetic Systems. 74 Pierre Martinez, Jean-Paul Narcy-Combes, Marie-Françoise Narcy-Combes 40 (2011) • Heft 1 langues modimes 9 font figure de grandes absentes. Ces résultats devront néanmoins être tempérés à la lumière du nombre de publications consacrées au plurilinguisme. Quant aux langues dans lesquelles sont rédigés les articles et les résumés, ce sont le français d’abord (85%), l’anglais ensuite (15%), presque exclusivement: notons cependant que Recherches et Applications, supplément scientifique de la revue Le Français dans le Monde (en voie de s’autonomiser), diversifie systématiquement ses résumés, comme le fait l’ensemble des revues du réseau international Synergies. 10 3.1.1.3 Résultats C’est dans les catégories les plus sensibles que nous avons effectué un premier tri à partir des mots clés répertoriés. Le texte suivant est rédigé en fonction de ces mots clés, qui y apparaissent en italiques. Plurilinguisme Intercompréhension TICE 11 Curriculum Perspectives européennes en méthodologie Migration et Mobilité Cultures éducatives et culture(s)/ Interculturel Autres 15% 2,5% 19,5% 4% 8,5% 1,5% 10% 39% Tableau 1: Zones de grande sensibilité Les sujets les plus intéressants pour les chercheurs: Quatre grandes tendances se dégagent: les TIC, omniprésentes, puis le plurilinguisme et tout ce qui touche à l’interculturel, le Cadre Européen de Référence pour les Langues (CECR) apparaissant de façon quasi systématique, avec des termes regroupés sous la rubrique mondialisation, ensuite la formation des enseignants, et enfin l’évaluation qui occupe une place à part. Ces catégories se recoupent régulièrement, sans surprise, par exemple interculturel et plurilinguisme, plurilinguisme et formations hybrides, TIC et formation des enseignants, TIC et interculturel, etc., d’où la difficulté à se tenir à des catégories. Une souscatégorie revient régulièrement, par exemple, celle des scénarios pédagogiques, dont on voit qu’elle peut se retrouver dans l’ensemble des quatre tendances dégagées. Les TIC: L’intérêt pour les TIC concerne les modalités d’apprentissage, synchrones ou asynchrones, et elles conjuguent présence et distance, mêlant et dosant l’une et l’autre et s’interrogeant sur les outils et matériels permettant de le faire, et les ressources à la disposition des apprenants. Les mots clés associés se diversifient à mesure que la technologie se développe; la création ininterrompue de néologismes tels que 9 Langues “Moins dites et moins enseignées”. Un enseignement d’initiation à ces langues (par exemple, finnois, norvégien, polonais… ) vise à encourager la mobilité étudiante dans les pays où elles sont en usage. http: / / www.univ-nantes.fr/ 21574678/ 0/ fiche___pagelibre/ 10 Synergies Gerflint est publié dans près de 30 pays. http: / / ressources-cla.univ-fcomte.fr/ gerflint/ revues. html 11 TICE = Technologies d´Information et de Communication dans l`Enseignement La recherche en didactique des langues étrangères … Le cas de la France 75 40 (2011) • Heft 1 baladodiffusion, weblog, télécollaboration, est sans doute la marque d’une évolution rapide et logique des moyens que la technologie met au service de l’apprentissage. Autour de la relation homme/ machine apparaissent le néologisme cyberanthropologie, et l’acronyme eiah (Environnement informatiques pour apprentissages humains). Si la revue ALSIC opère sur la technique de façon plus pointue (par exemple outils d'extraction automatique du langage, systèmes auteurs tels que IDIOMA-TIC, concordanciers), on note dans l’ensemble des revues des termes qui reflètent l’intégration actuelle des TIC dans les appareils pédagogiques. L’apprentissage en ligne, devenu possible grâce au développement des TIC et à la multimodalité, se fait via des dispositifs mis en place grâce aux plate-formes collaboratives et à Internet. Des outils sophistiqués entrent dans la conception des dispositifs, à distance ou hybrides, ce qui fait parler d’ingénierie didactique. L’internet, les baladeurs, le web, les blogs, la visioconférence, Skype, le clavardage ne sont plus véritablement des innovations. Les chercheurs s’interrogent néanmoins sur les changements dans les approches pédagogiques, sur les apprenants de langue, sur la manière dont les stéréotypes sont bousculés et dont les représentations et l’identité des usagers sont remises en question. La question du tutorat est un thème sensible. Les chercheurs prennent acte du besoin d’accompagnement des apprenants prégnant dans la culture française, et réfléchissent aux moyens d’y répondre, via le tutorat (en ligne), des tutoriales correctives (via internet) des outils de suivi comme le portfolio électronique ou d’échanges comme les forums. Les récurrences de mots clés tels que aide/ aides/ aider (15), erreur (2), révision, remédiation, pourraient conduire à s’interroger sur la capacité des enseignants à questionner leur rôle traditionnel. Un thème récurrent concernant les TIC est d’ailleurs l’apprentissage collaboratif médié par ordinateur. En attestent les termes interaction (8), communication (4), groupe / s (3), communicatives, collaboration, collaborative, communauté, partage, rencontres, sociale, sociaux, socio-relationnel, alliance, ensemble. La question de l’autonomie de l’apprenant est vue comme un processus (autonomisation) souvent pénible. L’autoformation que l’usage des TIC implique exige de développer chez l’apprenant des stratégies d’auto-apprentissage et d’auto-évaluation. Les TIC sont aussi utilisées comme outil en RDL pour la constitution de bases de données, leur recueil et leur traitement, l’analyse de corpus, par exemple. La dimension recherche (recherche-action, recherche-développement, termes les plus fréquents) insiste sur l’importance d’une méthodologie rigoureuse et de protocoles d’observation élaborés, pour permettre une analyse minutieuse. Une sous-catégorie importante concerne les potentialités réelles des logiciels pour l’enseignement/ apprentissage, interrogation transversale à la création de ressources et à la formation des enseignants. La question des TIC est en effet liée aux interrogations fondamentales des chercheurs sur l’acquisition des langues, et la formation des enseignants en vue de l’appropriation des outils. C’est un point sur lequel nous reviendrons. Enfin le thème de la mondialisation et des échanges est au cœur de la problématique des TIC. Quelle interprétation donner aux messages ainsi partagés ? Mondialisation: C’est en effet la mondialisation et le développement des échanges, mots clés récurrents sous diverses formes (international; monde; mondial ; franco-amé- 76 Pierre Martinez, Jean-Paul Narcy-Combes, Marie-Françoise Narcy-Combes 40 (2011) • Heft 1 ricain; franco-japonais, échange; échanger) qui semble fédérer les questions d’interculturel et de plurilinguisme. Le CECR, omniprésent, en parait l’outil unificateur. Une préoccupation majeure serait la question de l'interprétation culturelle et la notion de médiation entre deux cultures, l’objectif étant de former à la différence et d’apprendre à se comprendre. Les liens entre langue et culture interdisent de séparer interculturel et plurilinguisme, une thématique très présente, notamment à travers les projets, les journées d’études et colloques, les habilitations et thèses, dont les revues se font l’écho et dont nous traiterons plus loin. Les chercheurs s’intéressent à l’intercompréhension, au contact des langues, voisines ou non, aux interactions plurilingues sur le plan linguistique et culturel, et en relation avec les questions identitaires soulevées par le plurilinguisme, qu’ils tentent de définir. Il est question du développement d’une didactique du plurilinguisme. La thématique est liée aux questions de politiques linguistiques et de choix éducatif, où l’on retrouve le CECR, et aussi la place, maintes fois questionnée, de l’anglais dans les apprentissages langagiers à tous les niveaux. Formation des enseignants: Les chercheurs se penchent sur l’évolution du métier d’enseignant de langue. La question de la formation est centrale. Le changement est au cœur de cette problématique (Transformations; évolution: dynamique) et le rôle de l’enseignant est redéfini. Il devient médiateur, guide, accompagnateur, innovateur, tuteur, son objectif est d’aider l’apprenant dans son acquisition langagière. Malgré cette évolution et malgré l’importance des TIC, le mot classe demeure récurrent, signe que les évolutions théoriques et les transformations institutionnelles n’évoluent pas au même rythme. Les questions qui se posent sont celles du public, du primaire au supérieur, spécialisé en langue ou non, et de la langue étudiée, des compétences à développer (lire, écrire, s’exprimer à l’oral, comprendre un message oral), des contenus d’enseignement (phonologie, grammaire, lexique, type de discours), des supports à utiliser (films, presse, dictionnaires, littérature, nouvelles policières, littérature populaire, science-fiction , théâtre, fiction à substrat professionnel (FASP) etc.) et des moyens d’y arriver, où l’approche par les tâches occupe une place privilégiée (projet, scénario, interaction). Les théories sous-jacentes se veulent cognitivistes et constructivistes. Ces dimensions, répertoriées dans la catégorie « autres », occupent une place considérable. Les termes les plus fréquents sont « apprendre » et « langue » dans leurs déclinaisons réciproques. Les chercheurs, pour la plupart, sont aussi des praticiens qui s’interrogent sur leurs pratiques. Évaluation: L’évaluation occupe une place à part dans la mesure où elle impacte toutes les catégories. Dans une perspective d’acquisition, il s’agit d’évaluer les compétences et de proposer le cas échéant un traitement de l’erreur qui passe encore largement par la correction de l’erreur. En raison de l’influence du CECR, on vise la normalisation pour proposer une certification conforme aux normes européennes. L’évaluation est un domaine de recherche à part entière, mais fait aussi partie du questionnement sur la formation des enseignants, sur l’acquisition langagière, sur la mise en place des dispositifs, l’autonomie, la motivation, comme sur les politiques européennes. La recherche en didactique des langues étrangères … Le cas de la France 77 40 (2011) • Heft 1 3.1.3 Conclusions sur les publications A l’examen de ce corpus deux grandes tendances semblent se dégager: • Sous la poussée de la mondialisation et du développement des échanges internationaux que favorisent les TIC, un vif intérêt se révèle pour les questions de plurilinguisme, d’interculturel, et un effort considérable est fait pour intégrer les nouveaux outils à l’enseignement/ apprentissage. C’est le volet proactif de la RDL. • Il se confirme qu’une des caractéristiques majeures de la RDL est d’être une recherche d’intervention, avec un mode privilégié: la recherche-action (E LLIS 1998, J.-P. N ARCY -C OMBES 2005, M ACAIRE 2007), même si le terme lui-même figure seulement trois fois dans le corpus. Les problèmes de terrain demeurent prégnants et sont la préoccupation principale des chercheurs, notamment ceux qui sont impliqués en formation d’enseignants. Ils sont, en effet, bridés par des contraintes institutionnelles et matérielles, et ils ont à faire face à des réalités humaines où c’est plutôt le besoin de « survivre » dans la classe - et non le changement pédagogique - qui est prioritaire. Ces praticiens-chercheurs soulèvent des questions plus traditionnelles qu’on pourrait a priori le penser, et les avancées se font à petits pas. Cela explique sans doute, que dans les revues, la réflexion épistémologique paraisse marginale, même si le besoin de théorisation du champ est important. 3.2 Les recherches doctorales: thèses et habilitations à diriger des recherches 3.2.1 Méthodologie Dans une approche complémentaire à la précédente, nous nous sommes d’emblée référés au Catalogue général des thèses inscrites au Fichier Central des thèses (FCT) depuis 2005, thèses en cours et soutenues, une référence en principe indiscutable en France. Notons d’abord que la très grande majorité des thèses en cours concernant la RDL ne sont pas inscrites dans les sections de langues correspondant à l’objet de recherche: ainsi dans « Etudes anglophones » apparaissent très peu de recherches concernant la didactique, à l’exception de quelques exemples: ESP (English for Special Purposes), formation des enseignants en Algérie… S’agissant des Sciences de l’éducation, le traitement est difficile car la recherche est rarement consacrée aux seuls aspects linguistiques et didactiques, mais englobe une situation ou un individu tout entiers: « Pédagogie alternative et diglossie: vers une interprétation sociolinguistique de la déviance et de l’échec scolaire aux Antilles », où français et créole sont en jeu, mais aussi bien d’autres facteurs. En France, c’est en Sciences du langage que l’on trouve inscrits les travaux de recherche spécifiquement consacrés à des questions touchant à la RDL, y compris pour la Langue des Signes française (LSF). Nous avons donc fait porter notre analyse essentiellement sur ce corpus. Pour les thèses en cours, le FCT montre que 56 thèses incluent le terme « langue » dans leur titre et relèvent de la catégorie officielle « Discipline: Didactique ». Même si, 78 Pierre Martinez, Jean-Paul Narcy-Combes, Marie-Françoise Narcy-Combes 40 (2011) • Heft 1 là encore, nous éprouvons des difficultés à définir le champ (depuis quelque temps, les mots-clés ne sont plus pris en compte par le fichier, seuls les mots du titre apparaissent), nous pouvons dessiner une image des thématiques les plus fréquentes. Le nombre des lieux universitaires où sont préparées ces thèses paraît réduit. Il est clair que très peu de centres de formation, voire très peu de directeurs de thèses, affichent les termes qui ont permis cette investigation sur les thèses en cours. L’Université Paris 3 vient en premier, suivie de Nantes et de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (Inalco). Pour les thèses soutenues, notre recherche s’est faite sur 2005-2010 à partir des mots clés suivants: langue ou enseignement ou didactique. Grâce aux 402 occurrences, nous pouvons donner des résultats quantitatifs. Les terrains de recherche ont été définis à partir de trois critères: lieu de formation, langue en question, pays concerné par l’enquête. 3.2.2 Résultats Les lieux de formation sont majoritairement l’université, l’enseignement primaire, puis le secondaire et enfin les classes spéciales (structures d’intégration pour enfants immigrés, Ecoles européennes, etc.). Les langues étudiées sont très généralement le français (la précision n’est alors souvent pas apportée), comme langue étrangère et langue seconde. Viennent ensuite anglais, et beaucoup moins représentés: allemand, espagnol, italien, chinois, turc ou Langue des Signes Française (LSF). Les pays qui sont les terrains de ces recherches sont très diversifiés, et reflètent souvent l’origine des doctorants. Les thèses soutenues révèleraient un panorama encore plus étendu. Les pôles de recherche nous apparaissent partiellement différents de ceux qui ressortaient des revues étudiées ci-dessus. On peut opérer six regroupements: identité, pratiques culturelles, médiation, structures, contexte, noyau dur de la didactique. Un premier groupe tourne donc autour de l’identité, de la culture d’origine/ d’accueil et des cultures éducatives. 12 Un second fonctionne autour des pratiques culturelles didactisées, avec la littérature (poésie, conte, théâtre), les arts et les média (photographie). Un pôle Médiation fait intervenir des préoccupations comme celle de l’interaction en classe, celle du rôle de l’enseignant, celle des TIC en tant que formatant les échanges de manière nouvelle, ou encore la mise en relation des systèmes linguistiques, leur perméabilité (fautes et erreurs, interférences, intercompréhension) et leur comparabilité/ contrastivité en termes de rapprochements et de différences et justifiant une correction. On peut, ensuite, définir une zone Structures incluant le FLS (français langue seconde soit hors de France soit en France), thématique importante: coopération (avec le Maghreb, l’Afrique), et éducation (intégration des enfants immigrés, gens du voyage et - hors hexagone, citoyens français d’un outre-mer où le fran- 12 Cette thématique fait l’objet, pour le français, d’une recherche internationale impulsée par la FIPF, l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) et le CRAPEL de Nancy: Cultures d’enseignement, cultures d’apprentissage (Projet CECA). La recherche en didactique des langues étrangères … Le cas de la France 79 40 (2011) • Heft 1 çais n’est pas toujours langue maternelle. Dans la même zone, on peut situer les Ecoles bilingues et l’enseignement supérieur, avec leurs besoins spécifiques. Les Contextes sociolinguistiques et sociaux sont étudiés du point de vue des politiques linguistiques et éducatives menées par les Etats, souvent dans une approche de contacts de langues en situation de plurilinguisme (diglossie, statuts des langues, insécurité), le paradigme de la mondialisation planant sur les recherches. Enfin, on désignera comme Noyau dur de la didactique différents objets d’analyse: la question des compétences dans l’appropriation de la langue et du discours: grammaire, phonologie, lexique, littératie, écrit, argumentation, argumentation, etc. avec une référence forte au CECR; les dispositifs (où l’on retrouve les TIC avec l’opposition présentiel/ à distance); les manuels jugés encore centraux dans la pratique de classe, avec leurs avatars post-communicatifs et les outils tels que les portfolios; l’étude des réformes institutionnelles et de leur impact, les référentiels, curriculums, programmes. On trouve, particulièrement dans cette zone, des analyses visant au dévoilement d’implicites, avec une portée réflexive, idéologique ou axiologique sur l’enseignement des langues, y compris autour de l’ethos enseignant. Le dégagement de catégories que nous avions établi par thèmes et sous-thèmes sur les thèses en cours est vite confirmé par un premier tri. Mais nous avons, avec les thèses soutenues, une idée plus précise de la répartition, vu l’échantillon en grandeur nature. Bien entendu, une recherche peut renvoyer à plusieurs thématiques et le total des pourcentages est donc supérieur à 100. Identité Pratiques culturelles didactisées Médiation Structures Contextes Noyau dur Didactique Culture Origine Accueil Educative Apprenant Besoins Profils Interlangue Littérature Arts Cinéma Publicité Presse Jeu Interaction (8%) Enseignant (13%) TICE (6%) Stratégies FLS Intégration migrants Ecoles bilingues Université Politiques Plurilinguisme (8%) Mondialisation Compétences linguistiques Norme (30%) Dispositifs (6%) Manuels (7%) Référentiels Evaluation Implicites 3% 10% 27% 11% 11% 47% Tableau 2: Zones de grande sensibilité 3.2.3 Conclusions sur les recherches doctorales L’analyse des thèses en cours et soutenues confirme partiellement les observations et les conclusions faites à partir des publications. Elle met en relief l’importance (47% de mentions dans les titres de thèse) du noyau dur de la didactique, très proche des questions touchant à la langue, à l’appropriation du système et aux moyens requis, ce que nous appelions plus haut le « quotidien » des chercheurs-praticiens. Les Habilitations à 80 Pierre Martinez, Jean-Paul Narcy-Combes, Marie-Françoise Narcy-Combes 40 (2011) • Heft 1 diriger des recherches (HDR) qui conduisent au professorat, ont fait l’objet d’un simple repérage, mais que nous croyons éloquent. Les six dernières HDR recensées par l’ACEDLE 13 touchent aux domaines suivants: « De la didactique de l’allemand à une didactique du plurilinguisme: la recherche-action comme aide au changement. » « L’analyse de l’activité dans l’enseignement apprentissage d’une langue étrangère. Une démarche ergonomique. » « Médiations et positionnements: deux concepts-clés dans la formation des enseignants en anglais. » « La théorie au service d’une pratique enseignante: œuvrer dans la responsabilité épistémologique .» « De l’analyse du discours textuel à l’analyse du discours multimédia. » « Didactique du plurilinguisme: travaux sur l’intercompréhension et l’utilisation des technologies pour l’apprentissage des langues. » En cela, les grandes synthèses que constituent les HDR, comme les recherches plus ponctuelles de doctorat, sont bien le laboratoire virtuel de l’avenir qu’on pouvait espérer. 4. Conclusions sur publications et recherches doctorales Sous l’angle des publications et des colloques et journées d’études, enfin des recherches de thèses et d’HDR, on voit se confirmer une polarité des thématiques. Celleci s’organise autour des domaines contributifs, par exemple: compétences en langue, (bien sûr, autour des sciences du langage), structures (autour des sciences de l’éducation), TICE (autour des technologies et des sciences cognitives), plurilinguisme (autour de la sociolinguistique: normes et variétés, politique linguistique, et de l’ingénierie de formation: enseignants, curriculum); enfin, identités (autour de l’étude des cultures: littérature et anthropologie), etc. Il serait erroné de croire que la RDL n’emprunte pas ses modèles heuristiques à une conceptualisaton de la modernité. Si le terme allemand de Weltanschauung a encore un sens dans la pensée française, on en voit bien la trace ici, avec la présence forte de courants philosophiques, sociologiques, anthropologiques, éducatifs, éthiques qui ont souvent marqué le siècle passé et dont les effets sont prégnants: un appareil conceptuel venu de P. B OURDIEU , E. G OFFMAN , P. R ICŒUR , H. G ARFINKEL , U. E CO , Cl. L EVI - S TRAUSS , I. W ALLERSTEIN , B. L ATOUR , C. F REINE t ou encore E. M ORIN . La notion de déplacement et de transformation de concepts se pose alors avec acuité, comme cela apparaît dans le transfert de valeurs (e.g. « pluralité linguistique », K RAMSCH 2009), ou les migrations méthodologiques (M ARTINEZ 2011b). C’est, à notre sens, un thème de recherche insuffisamment exploré pour une didactique qui se voudrait transfrontalière. 13 Consultables sur http: / / acedle.org/ spip.php? rubrique104 La recherche en didactique des langues étrangères … Le cas de la France 81 40 (2011) • Heft 1 5. Questions: Des langues aux pratiques Les deux questions qui suivent éclairent cette enquête sur la RDL. Elles relèvent d’une vision oblique sur les thématiques puisqu’elles mettent en jeu, d’une part, la place de deux des langues concernées, l’anglais et l’allemand, et d’autre part, l’articulation entre la recherche et les pratiques enseignantes dans le domaine. 5.1 Positions de l´anglais et de l´allemand En ce qui concerne la recherche, on a vu combien la part des études sur l’enseignement / apprentissage de l’anglais était vivante (par exemple à Paris, à l’American University) et combien celle de l’allemand était restreinte, malgré la qualité de l’action déployée notamment par l’Institut Goethe, où la revue Triangle a donné plusieurs volumes thématiques notables. On sait que 90 % des élèves français choisissent d’apprendre l’anglais comme première ou seconde langue vivante. 14 Ce pourcentage explique l’importance quantitative et qualitative des activités relative à l’enseignement de cette langue, pour des élèves/ étudiants non-littéraires, non-spécialistes des langues 15 mais aussi professionnels en formation initiale ou continue. Dans une logique d’économie de marché, il n’est pas intéressant de tellement diversifier l’offre de formation, ni d’explorer les voies d’une pédagogie différenciée, qui s’adapterait à des profils d’apprenants particuliers. Sans doute une recherche historique en RDL, comme celle qu’impulse la SIHFLES 16 pour le français langue étrangère serait-elle intéressante. Plus largement, cette situation doit être examinée à la lumière des politiques européennes en matière de plurilinguisme. Or, s’agissant d’encouragement à la recherche, les initiatives paraissent accompagner surtout la mise en œuvre des programmes et de « ce qui fonctionne », « les bonnes pratiques »: le terme « recherche » est quasiment absent du Rapport remis en 2008 au Conseil de l’Europe. 17 5.2 RDL et pratiques enseignantes La structure décisionnelle en France oscille entre centre et périphéries. Notre centralisme traditionnel, avec son ministère national (les Régions ne sont certes pas des Länder), fait vivre la France avec quasiment les mêmes programmes et directives d’enseignement pour tous et un corps d’inspection des enseignants du primaire et du secondaire dont les prérogatives ont reculé, mais restent grandes. Dans l’université, la 14 Statistiques MESR. Voir http: / / www.education.gouv.fr/ cid206/ les-langues-vivantes-etrangeres.html 15 LANSAD (Langues pour Spécialistes d’Autres Disciplines) en IUT, Langues Etrangères Appliquées (LEA) Ecoles d’Ingénieurs de la Conférence des Grandes Ecoles (CGE). Voir GERAS, ARDA, RANACLES, APLIUT et des revues, qui leur sont en tout ou partie consacrées Asp, Cahiers de l’APLIUT, Cahiers de l’ACEDLE, les Langues Modernes. Plusieurs d’entre elles ont été analysées ci-dessus. 16 Société Internationale pour l’histoire du français langue étrangère et seconde. fle.asso.free.fr/ sihfles/ 17 Version française. Voir notre sitographe. Quelques mentions: pages viii, 4, 47… 82 Pierre Martinez, Jean-Paul Narcy-Combes, Marie-Françoise Narcy-Combes 40 (2011) • Heft 1 loi d’autonomie resserre à certains égards le carcan administratif, qui a changé de nature mais pas de fonction: l’évaluation est de plus en plus présente, à tous les niveaux. La recherche a été pressée de se renforcer, de susciter des regroupements rapides dictés par les classements internationaux, avec des mariages dont l’avenir dira s’ils pouvaient être heureux. Le statut des enseignants fait toujours co-exister des enseignants-chercheurs et des corps d’enseignants qui ne sont pas censés faire de recherche (agrégés, certifiés détachés du secondaire). La Didactique des langues a pourtant besoin d’une étroite imbrication, d’une circulation praxéologique entre lieux de théorisation et d’exercice, y compris entre langue(s) maternelle(s) et langues secondes ou étrangères. Nous avons déjà souligné combien les échanges entre didacticiens de langues différentes sont rares, en dehors d’associations qui visent explicitement à une réflexion commune, telle que l’ACEDLE, grâce aussi à des annonces croisées de colloques ou publications dans les « communautés professionnelles » par exemple, EFE, Español para fines Específicos, ESP, English for Special Purposes et FOS, Français sur Objectifs Spécifiques… Mais au Conseil National des Universités, dont nous avons dit le rôle déterminant pour le recrutement, il n’y a aucun contact que ce soit - définition du domaine, exigences, paradigme scientifique - entre didacticiens de français, anglais, allemand, langues orientales… répartis dans des sections différentes, même s’ils jugent des qualités de spécialistes en RDL, qui bâtiront le domaine pour des décennies. La reproduction de vieux schémas est alors assurée et les travaux de Pierre B OURDIEU , notamment l’Homo Academicus (1984), pourraient bien éclairer notre compréhension du champ. Les conditions se prêtent encore moins à de telles rencontres entre chercheurs et praticiens, au point qu’un moment notable, pour cette éventualité, est un salon international, Expolangues, tenu chaque année à Paris. On y rencontre les représentants institutionnels des langues (services culturels des ambassades, Ministères, Régions de France, établissements supérieurs spécialisés) et y découvre avancées technologiques, initiatives pédagogiques et recherches aussi, susceptibles de susciter une convergence. On y observe encore combien le changement peut être superficiel et combien les chercheurs et leurs résultats ont peu de poids au regard de la technologie, parfois clinquante, ou des charmes déployés par le marché des langues. 6. Ouverture: zones d’ombre et perspectives Si nous avons pu montrer à grands traits des tendances thématiques, nous conclurons sur quelques éléments de réflexion, et sans doute quelques ombres. Le champ praxéologique est obscurci par des politiques éducatives peu lisibles et des réformes que ne valide souvent aucune évaluation post hoc. La place de la recherche-action est déterminante, mais elle est rendue moins opérante faute de relations fonctionnelles fortes entre recherche et enseignement. Si la coopération internationale, à commencer par le monde francophone (entre Paris, Dakar, Genève ou Montréal), et une diffusion globalisée (internet, réseaux et édition en ligne) sont des facteurs positifs, en revanche, la menace La recherche en didactique des langues étrangères … Le cas de la France 83 40 (2011) • Heft 1 d’un monopole de l’anglais comme lingua franca, langue de la recherche sur les langues reste un souci majeur pour certains chercheurs qu’on appelle pourtant à la diversité et à l’inventivité. Il est probable que le passage d’un paradigme à un autre, d’une didactique de langues isolées à une didactique des langues puis à une didactique (des formes) du plurilinguisme se porterait mieux dans le respect de la diversité des parlers et des modes de pensée. Nous voudrions souligner combien « une didactique praxéologique ne peut qu’être inscrite dans le champ social et reste donc toujours imprégnée d’idéologie. Le choix des méthodologies en est un exemple. La nécessité de convaincre que la didactique est fondée scientifiquement en est un autre. [...] La recherche se doit (donc) d’être interventionniste et elle trouve sa justification dans son utilité, dans une fonction de médiation sociale, ce qui n’exclut pas la recherche fondamentale, bien au contraire » (M ARTINEZ 2011b: 453). Ne trouvant sa signification que dans son rapport aux pratiques du « terrain », la RDL française - « alpiniste en surplomb » comme dit au début - doit se comparer avec d’autres, notamment en Europe, dans une réelle confrontation, ce que permet déjà le volume où paraît cette étude. Références B EACCO , Jean-Claude (2011): « Contextualiser les savoirs en didactique des langues et des cultures ». In: B LANCHET / C HARDENET (éds.), 31-40. B LANCHET , Philippe / C HARDENET , Patrick (éds.) (2011): Guide de recherche en didactique des langues et des cultures: une approche contextualisée. Paris: Editions des Archives Contemporaines. 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