Kodikas/Code
kod
0171-0834
2941-0835
Narr Verlag Tübingen
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/61
2002
251-2
Formes, supports, contenus
61
2002
Jan Baetens
kod251-20177
Formes, supports, contenus Jan Baetens Trois petites remarques en guise de préambule. Tout d’abord on se rendra vite compte que l’article qui suit se réclame d’une pensée de la spécificité des médias, notion utile et nécessaire, mais aussi notion controversée et problématique s’il en est, et dont découle parfois le caractère un rien normatif du propos, du moins au niveau théorique (la pratique, on l’admet volontiers, peut être fort différente). Ensuite il convient de préciser que le concept de média l’emportera ici largement sur celui de récit: c’est que dans l’optique défendue en ces pages, le premier est tout simplement plus large que le premier, quand bien même ils ne peuvent que se définir l’un par rapport à l’autre. Enfin, les aspects proprement intermédiatiques ne seront pas cherchés du côté de la combinaison de plusieurs médias, mais au contraire dans l’hétérogénéité ou la polyphonie intrinsèque de chaque média: en l’occurrence, on verra ici comment un écrit peut devenir aussi image. Dans le discours sur les nouveaux médias, qui a la particularité d’être à la fois un discours de spécialistes et un discours très grand public, les déclarations de principe ne manquent pas, et elles sont souvent fracassantes. De même qu’on est pour ou contre la digitalisation de la culture (mais nous sommes tous pour, ce sont toujours les autres qui sont contre), de même les propriétés concrètes et spécifiques qu’on attribue aux nouveaux médias se caractérisent par leur extrémité: l’information devient libre, le lecteur se transforme en auteur, lire et écrire s’instituent en pratiques véritablement démocratiques, le texte s’ouvre à l’infini de ses possibilités techniques, le langage d’Internet est un langage vraiment universel, et ainsi de suite 1 . Avant de discuter plus en détail comment tous ces débats peuvent se rattacher à une discussion plus large sur les médias en général, je voudrais souligner ceci, qui me paraît essentiel: le décalage certain entre ce qui se dit (en théorie) et ce que l’on peut observer (en pratique). Le mot de “décalage” est du reste bien faible, car c’est plutôt d’un abîme qu’il s’agit. Le discours sur les nouveaux médias est en effet un discours mythologique et idéologique de part en part, où l’on prend ses vœux (ou ses craintes, c’est selon) pour des réalités. Tout postmodernes que nous nous croyons, il semble bien que ce discours mythologique auquel personne n’échappe fait revenir en force ce que le postmodernisme pensait avoir écarté: non pas la croyance un rien fétichiste aux vertus de la technologie 2 , mais la croyance à un grand récit, en l’occurrence celui des rapports entre médias et technologie, que l’on dit évoluer vers toujours plus de “réalisme”, comme l’énoncent avec pas mal d’aplomb Jay David Bolter et Richard Grusin, les auteurs de Remediation (livre dont le sous-titre dit clairement les ambitions totalisantes et macluhanesques: Understanding New Media). 3 La confrontation des idées contemporaines sur les nouveaux médias avec la réalité de ces mêmes médias est pourtant éclairante. Car l’information n’est pas devenue aussi libre qu’on l’avait espéré (qu’elle soit devenue plus nombreuse et pour certains carrément asphyxiante, ne tire ici pas à conséquence); le lecteur est resté lecteur (ce qui a changé, c’est qu’il a encore moins K O D I K A S / C O D E Ars Semeiotica Volume 25 (2002) No. 1-2 Gunter Narr Verlag Tübingen Jan Baetens 178 qu’avant le temps de lire, et l’envie de lire bien, c’est-à-dire lentement); la démocratie des échanges entre partenaires égaux est restée ce qu’elle est, à savoir une fiction; Internet ne parle qu’une seule langue: anglais ou plutôt américain; et malgré bien des réussites l’optimisme né de l’expansion en apparence illimitée des possibilités techniques ne semble plus vraiment de mise. Le lecteur allait enfin pouvoir prendre la parole, avait-on dit. En pratique, tout ce qu’on lui permet souvent de faire est de taper dans la fenêtre appropriée le numéro de sa carte de crédit. A mon avis, beaucoup des malentendus qui sévissent dans le discours sur les nouveaux médias, tiennent au fait que l’on part d’une idée trop vague ou trop peu nuancée de ce qu’est un média, qu’on a tendance en général à réduire à des questions de support technologique, et même à une question de support technologique privée de tout contenu. L’influence de McLuhan est ici déterminante, et quand bien même je suis d’accord que la manière dont McLuhan a été compris ne rend pas toujours justice à sa pensée, cette influence a fait et fait toujours que nous n’avons pas toujours les moyens qu’il faut pour analyser critiquement le discours sur les nouveaux médias (et partant les nouveaux médias eux-mêmes). En effet, dans la théorie des médias inspirée de McLuhan, le support matériel n’est plus considéré comme le “véhicule” plus ou moins passif d’un type de formes (ou si l’on veut d’un type de “signes”) et d’un type de contenus (ou si l’on veut de “messages”). Ce qui se profile derrière cette conception 4 , qui a permis une sérieuse remise en perspective de la théorie des médias, ce n’est évidemment pas le renversement d’une hiérarchie vétuste, ni la réduction de la triade support/ forme/ contenu à la seule opposition du médium et du message, mais la conception du média comme assemblage compact, presque infissurable, d’aspects ou de dimensions ayant perdu toute consistance et toute importance internes, que détermine en dernière instance le paramètre technologique. Le média coïncide avec le support, et tout le reste est automatiquement inféodé à cet aspect. Pareille conception me paraît inapte à rendre compte de certains phénomènes pourtant élémentaires, que toute théorie des médias se devrait d’examiner avec grande attention. Je voudrais ici, en guise d’exemple, préciser quatre phénomènes qu’une approche trop technologique, voire purement technologique des médias risque de passer sous silence. Un premier problème est bien sûr la résistance des contenus, qui éclate au grand jour au moment de l’adaptation d’une œuvre ou d’un média en un autre: adapter est certes possible, comme le prouve l’existence même des adaptations, mais c’est une opération ou une pratique qui ne s’effectue jamais de manière pacifique, et qui ne va jamais sans reste. Lorsqu’on fait passer un contenu d’un média à l’autre, ce passage affecte toujours le contenu en question, ce qui signifie entre bien d’autres choses que le nouveau contenu n’efface jamais complètement l’ancien. A cette résistance des contenus, on pourrait du reste adjoindre celle des formes, que marque également le transit d’un média à l’autre, de sorte que l’adaptation d’une forme à un support nouveau oblige et à tenir compte des formes soi-disant périmées et à inventer des formes elles aussi nouvelles. Un second problème concerne ce que je voudrais appeler ici l’illusion du multimédia, qui est l’illusion de la fusion de toutes formes et de tous les contenus dans le multimédia, puis l’effacement de toute spécificité des formes et des contenus. Cette illusion est en fait double, car le grand brassage multimédia s’accompagne souvent d’une illusion réaliste, le multimédia étant jugé plus proche du réel que les médias “incomplets”. Bien entendu, le multimédia est lui aussi un code, un code HTML pour le dire en termes technologiques, mais un code qui, plus encore que d’autres, cherche à se faire passer inaperçu et à se laisser ignorer. Formes, supports, contenus 179 Une troisième difficulté que pose l’approche technologique des médias est en rapport avec la téléologie plus ou moins explicite de l’histoire des médias. Pour McLuhan, les nouveaux médias sont appelés à générer toujours plus de “participation” (“involvement”), afin de renouer ainsi avec une “proximité” détruite par l’invention de l’imprimerie. Pour Bolter et Grusin, qui étudient surtout la sphère médiatique à partir de la Renaissance (c’est-à-dire à partir du moment où pour McLuhan les choses ont commencé à se gâter), l’emploi occidental des médias se dirige vers toujours plus de réalisme (ce qui signifie chez eux quelque chose qui ressemble à s’y confondre à la “participation” macluhanienne). Or cette approche téléologique, qui n’est pas toujours pleinement assumée, se retrouve au niveau de la réception des médias, en ce sens que la réaction du spectateur ou de l’utilisateur d’un média semble comme programmée par les changements du support. Mais depuis pas mal d’années les études cognitivistes ont démontré qu’un média n’est pas reçu passivement, mais articulé ou construit par le public dont les habitudes, la mémoire, l’horizon d’attente ou encore l’engagement particulier à tel ou tel moment jouent un rôle décisif dans la perception d’une œuvre et d’un média. Nos façons de conceptualiser et de métaphoriser Internet par exemple, montre bien à quel point il nous arrive, non pas d’être aveugles à la nouveauté du média, mais de chercher à négocier cette nouveauté en l’intégrant à un répertoire de supports, de formes et de contenus déjà connus, et dont il n’est ni possible, ni souhaitable de faire table rase 5 . Enfin, et ceci est une quatrième difficulté (du reste d’un tout autre niveau, qu’il ne sera pas vraiment possible d’aborder en ces pages), le discours triomphant sur les médias a également une fâcheuse tendance à refouler ce qui touche à la propre histoire de ces médias et plus encore à ce qui touche à son contexte plus large: social, politique, économique, voire idéologique (c’est du reste la raison pour laquelle ce discours est tellement idéologique). Bolter et Grusin, toujours eux, refusent par exemple de s’interroger sur les contenus de la télévision américaine, sous le prétexte qu’un média constitue un tout qui est à prendre ou à laisser 6 . Paul Levinson, sans doute le plus fidèle des héritiers contemporains de McLuhan, juge inutile toute démarche législative dans le secteur informatique, en alléguant la mythique liberté du consommateur 7 . Les exemples, ici, pourraient se multiplier à l’envi, mais la leçon serait toujours la même: le contexte et l’histoire des médias sont souvent un contexte et une histoire proprement technologiques, au sens étroit du terme où l’on se contente d’examiner comment s’enchaînent et se relaient un certain nombre de supports 8 . Pour toutes ces raisons, et sans doute bien d’autres, le discours dominant sur les médias en général, et les nouveaux médias en particulier, ne se donne pas les moyens de comprendre ce qui est en train de se passer réellement. D’autres approches sont donc nécessaires, et je voudrais ici, avant de commenter brièvement un petit exemple, revenir sur une approche déjà ancienne, mais dont la force reste à mon sens entière. Dans un livre de Stanley Cavell certes fort connu, mais trop souvent peu lu par les seuls spécialistes du cinéma ou les seuls philosophes (car s’y exprime un philosophe sur le cinéma), The World Viewed, 9 on trouve en effet une autre théorie des médias dont l’intérêt pour une nouvelle théorie des nouveaux médias n’est pas insignifiant, même s’il va sans dire qu’il ne peut être question de l’appliquer mécaniquement à l’étude des nouveaux médias 10 . L’idée centrale des quelques pages que l’auteur y consacre à la notion de média, est celle d’automatisme, par quoi se signifie le couplage “automatique” d’un support, d’une forme et d’un contenu. Pour Cavell, qui postule qu’une forme spécifique n’a d’intérêt que dans la mesure où elle acquiert aussi une signification précise dans une œuvre toujours particulière, l’attribution réussie d’un sens à une forme dans une œuvre à support déterminé installerait une “formule” dont la reprise se ferait ensuite, du moins pendant un certain temps, de manière automatique. La force d’une œuvre est selon Jan Baetens 180 lui liée à sa capacité d’exploiter “automatiquement” les propriétés d’un médium, c’est-à-dire à sa capacité de supposer et d’utiliser ces propriétés comme allant de soi (même si par ailleurs elle cherche toujours à les transformer ou à les contester) 11 . La différence essentielle entre la conception de Cavell, que j’appellerais “intégrale”, et celle plus “partielle” qui s’appuie sur le critère technologique, est l’imbrication des trois pôles que sont les formes, les contenus et les supports, d’une part, et le nécessaire mais dynamique équilibre entre ces éléments, d’autre part. Sans innovation formelle et sans changement de contenu, pas d’emploi neuf d’un support et partant pas de nouveau média. Inversement, le choc d’une forme neuve et d’un contenu inédit peuvent infléchir l’usage d’un support au point de faire naître un nouveau média. Pour peu qu’on essaie d’appliquer ces thèses à l’exemple du texte électronique (un des principaux sous-secteurs du champ néo-médiatique), les enjeux de la thèse cavellienne sautent tout de suite aux yeux. Négativement parlant, on dispose maintenant d’un outil qui permet d’écarter comme insuffisante toute approche qui évalue les œuvres en fonction de leur seule base technologique au lieu de s’interroger également sur l’apport des deux autres dimensions nécessaires que sont les formes et les contenus. Tel fut en son temps déjà le problème de l’artvidéo, où l’on a crié un peu vite et un peu trop souvent au génie faute d’analyser autre chose que la prouesse ou l’innovation technologique. Et tel est de nos jours encore le problème que pose par exemple un ouvrage comme celui de Janet Murray, Hamlet on the Holodeck, dont le plaidoyer pour de nouveaux types de “participation” lectorale fait fond sur des modèles narratologiques sous-jacents pour le moins surannés 12 . Et plus en général, ce n’est sans doute pas par hasard que les “jeux” et tout ce qui les entoure, occupent tellement le devant de la scène dans la réflexion contemporaine sur l’hypertexte: notre acharnement à nous amuser est aussi une manière technologiquement et économiquement très correcte de faire l’impasse sur une réflexion différente sur les nouveaux médias (à moins bien sûr, mais cette constatation n’est pas à la gloire du discours théorique, que la fascination des “games” ne reflète tout simplement l’état actuel du marché…). Plus positivement, Cavell nous donne également des outils pour déterminer en connaissance de cause le taux de réussite d’œuvres singulières par définition. S’agissant du pôle des “formes”, le résultat ne surprendra personne. S’il est vrai qu’un “automatisme” doit explorer les nouvelles possibilités d’un média, il est normal que l’on cherche ces nouvelles formes du côté de l’animation et de l’interactivité, par exemple, puisque telles semblent, parmi quelques autres bien sûr, les propriétés les plus évidentes que les nouveaux médias proposent à l’utilisateur des signes écrits. Mais s’agissant des contenus, la question de leur éventuelle spécificité se pose beaucoup moins souvent, pour ne pas dire presque jamais. A suivre Cavell on ne peut évidemment pas continuer à traiter cet aspect en parent pauvre. Mais comment s’interroger sur les va-et-vient entre formes, contenus et supports? Puisque Cavell part de l’idée que cette question n’a de sens que dans l’analyse d’œuvres singulières, j’ai choisi un exemple qui illustre bien à mes yeux la manière, que Cavell dirait “automatique”, dont la rencontre d’un contenu spécifique et d’un nouveau type de formes est rendue possible par une nouvelle technologie, laquelle à son tour se précise, se transforme et s’invente au contact de ces nouvelles formes et de ces nouveaux contenus. L’œuvre que je commenterai ici brièvement, s’appelle “Eating Books” 13 , et il s’agit de la version électronique, due à la maquettiste Anne Burdick, d’un fragment inédit de l’écrivain franco-américain Raymond Federman 14 . A première vue (et bizarrement c’est comme une constante chez beaucoup d’écrivains qui s’intéressent à l’hypertexte! ) 15 , “Eating Books” fait un emploi non pas minimaliste à propre- Formes, supports, contenus 181 ment parler, mais extrêmement pauvre des possibilités du média et de sa technologie, à tel point que le premier parcours de ce texte paraît confronter le lecteur avec un emploi volontairement mutilé de l’outil. En effet, au lieu d’occuper tout l’écran et de jouer avec le répertoire théoriquement infini des hyperliens, le texte s’inscrit dans une fenêtre très étroite, où un mince ruban de mots défile de gauche à droite. Cet emploi est tellement en recul par rapport à ce qu’on connaît des possibilités du média, qu’on a l’impression, non pas de sauter du livre à l’hypertexte, mais de faire un repli sur l’ancêtre du volume: le codex 16 . Qui plus est: ayant commencé à lire, le lecteur ne tarde pas à découvrir que, contre toute attente, il ne reçoit nulle part la possibilité de revenir en arrière, car le ferait-il qu’il se rendrait compte de la … disparition de la portion textuelle déjà lue. L’atrophie des possibilités du nouveau média est donc poussée plus loin encore que la réduction de la page ou de l’écran à la seule ligne. A seconde vue, une tout autre logique s’impose pourtant vite à l’attention, puisqu’on découvre que “Eating Books” établit une communication inédite entre les trois grandes dimensions de l’œuvre, faisant induire de ce travail un vrai “automatisme”. La manière dont le support technologique se voit ici infléchie, par les simplifications outrancières et les dysfonctionnements inattendus qu’on a signalés, est en fait le résultat d’un contact très organique et intelligent avec les formes et les contenus de l’œuvre. Le titre “Eating Books”, peut se lire en effet de deux manières, dont la superposition et l’enchevêtrement permet d’expliquer les caractéristiques les plus importantes du travail sur le support. S’il est vrai, comme l’énonce le bon mot attribué à Voltaire, que voler un livre n’est pas un crime du moment qu’on le lit, c’est-à-dire qu’on le transforme en nourriture spirituelle, cette absorption de l’écrit peut fort bien se matérialiser sur le mode du texte autophage: l’écrit s’autodétruit au fur et à mesure qu’il est parcouru. Et s’il est donc vrai qu’un texte se mange, cette matérialisation du texte va peser directement sur la manière dont il se voit offert au lecteur: comme un ruban avec des lettres souvent très tortillées, exactement comme dans un plat de pâtes ou une soupe de lettres. C’est là aussi une façon très subtile de jouer avec la très forte mais très implicite oralité du texte, qui est un des traits récurrents de toute l’écriture de Federman: le texte n’est pas doublé par une bande-son (on retrouve ici ce refus de mobiliser ce que le multimédia rend techniquement possible), mais il se présente, par le choix des contenus comme par le choix d’une certaine disposition des formes, sur le mode d’un objet susceptible de passer par la bouche (ce qui est une tout autre façon d’explorer le versant pragmatique du texte, notamment par rapport à la figure essentielle de la digression, dont Federman et Burdick parviennent à démontrer qu’elle ne passe pas nécessairement par un accroissement des points d’insertion hypertextuelle, mais qu’elle peut très bien s’accommoder de la linéarité la plus contraignante qui soit). L’ensemble de ces éléments dans “Eating Books” constitue un bel exemple d’”automatisme” à la Cavell: Federman et Burdick exploitent l’interactivité et l’animation des signes permises par le support; ils jouent sur la forme en manipulant la typographie; enfin leur texte dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit. Et dans le domaine de la théorie des nouveaux médias, cette notion d’ automatisme offre une alternative intéressante aux enthousiasmes, généralisations et faciles redites qui nous font peut-être passer à côté de réalisations moins spectaculaires mais à mon sens fondamentales. Jan Baetens 182 Notes 1 Cette nouvelle doxa a été formulée de façon absolument exemplaire par George Landow dans son livre Hypertext (Baltimore, Johns Hopkins, 1992; la version remaniée: Hypertext 2.0, est sortie chez le même éditeur en 1997). Ce qu’il est intéressant de noter, c’est qu’en d’autres cas et en d’autres publications, les positions de Landow semblent nettement plus nuancées, ne fût-ce que parce qu’elles acceptent de s’y frotter à celles d’autres théoriciens (voir surtout le volume Hyper/ Text/ Theory paru sous sa direction en 1995, toujours chez le même éditeur). 2 Ce curieux optimisme technologique joue aussi, bien sûr, et il faudra s’interroger un jour sur la façon dont nous avons cru, momentanément, pouvoir nous débarrasser de cette illusion-là. Mais ceci est un autre débat, qu’il n’y a pas lieu de mener en ces pages. 3 Cambridge, Mass., MIT, 1998. 4 Avec le recul du temps, il apparaît que les idées de McLuhan s’accordaient fort bien avec la recherche des “essences” que l’on trouve aussi, dans le domaine artistique, chez un théoricien comme Clement Greenberg. Les grands textes de Greenberg sur la peinture datent des années 1940-1960, et leur impact était considérable, pour ne pas dire déterminant, à l’époque où McLuhan commençait à développer ses propres idées. Loin de moi pourtant l’idée de vouloir retracer une influence directe de Greenberg sur McLuhan, qui à ma connaissance ne mentionne jamais le nom du premier. Reste qu’il y a, dans leurs convictions respectives, comme un air de famille… 5 Cf. l’article de Paul Bleton et Christian-Marie Pons, “L’écran: une impression pérégrine”, in Sociétés et Représentations, n° 9 Sociétés et représentation, 2000. 6 Remediation, o.c., p. 67 et passim. 7 Digital McLuhan, New York & Londres, Routledge, 1999, p. 8. 8 Evidemment, ceci ne vaut que pour le discours “doxique” que je tente ici de circonscrire. Il existe d’autres approches, comme par exemple l’ histoire constructiviste de la technologie de Brian Winston, Media technology and society: a history. From the telegraph to the internet. Londres, Routledge, 1998. 9 The World viewed. Enlarged edition, Cambridge, Mass., Cambridge University Press, 1979 (1ère édition 1971). 10 Pour une discussion fouillée des thèses de Cavell, je me permets de renvoyer à mon article”Qu’est-ce qu’un nouveau média? Le roman-photo: média singulier, média au singulier? ”, in Sociétés et représentation”, n° 9, 2000. 11 On se rend compte tout de suite combien les artistes auront à jouer un rôle clé dans la théorie médiatique de Cavell. En cela, il renoue avec une des grandes intuitions de McLuhan… 12 Cambridge, Mass., MIT Press, 1997. J’ai pris l’exemple de Murray parce que cet auteur a un impact comparable à celui de Landow ou de Bolter & Grusin. 13 http: / / www.altx.com/ ebr7 14 Pour le lecteur francophone moins familier de l’œuvre de Federman, je renvoie à mon article “Raymond Federman et la visualité d’un roman parlé”, in Rivista di letterature moderne e comparate, 2001-2 (cet article est suivi d’une interview avec l’auteur). Quant à “Eating Books”, c’est là une création que je considère comme collective et où je ne tenterai donc pas de donner à Federman ce qui est à lui et à Burdick ce qui est à elle. 15 Un autre exemple est le site de l’écrivain français Renaud Camus, “Vaisseaux brûles”. Pour plus de détails, voir le chapitre III-7 de mon livre Etudes camusiennes, Amsterdam, Rodopi, 2000. 16 Sur les implications du passage du codex au volumen, voir entre autres Frank Kermode, The Genesis of Secrecy, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1979. Bibliographie Baetens, Jan 2000: Etudes camusiennes, Amsterdam-Atlanta: Rodopi. - 2000: “Le roman-photo: média singulier, média au singulier? ”, in Sociétés et Représentations, n° 9, 51-59. - 2001: “Raymond Federman et la visualité d’un roman parlé”, in Rivista di letterature moderne e comparate, 2001-2, 211-223. Bleton, Paul & Pons, Christian-Marie 2000: “L’écran: une impression pérégrine”, in Sociétés et Représentations, n° 9, 195-216. Bolter, Jay David & Grusin, Richard 1998: Remediation. Understanding New Media, Cambridge, Mass.: MIT Press. Formes, supports, contenus 183 Camus, Renaud 1998-2000: Vaisseaux brûlés (http: / / perso.wanadoo.fr/ renaud.camus) Cavell, Stanley 1979: The World viewed. Enlarged edition, Cambridge, Mass.: Cambridge University Press, 1979 (1ère édition 1971). Federman, Raymond 1997: “Eating books”, in electronic book review 7 (http: / / www.altx.com/ ebr7) Landow, George 1997: Hypertext, Baltimore: Johns Hopkins University Press (la version remaniée de ce livre, Hypertext 2.0, est sortie chez le même éditeur en 1997). - (ed.) 1995: Hyper/ Text/ Theory, Baltimore, Johns Hopkins University Press. Kermode, Frank 1979: Genesis of Secrecy, Cambridge, Mass.: Harvard University Press. Levinson, Paul 1999: Digital McLuhan, New York & Londres: Routledge. Murray, Janet, 1997: Hamlet on the Holodeck, Cambridge, Mass.: MIT Press. Winston, Brian, 1998: Media technology and society: a history. From the telegraph to the internet. Londres: Routledge.
