eJournals Kodikas/Code 27/1-2

Kodikas/Code
kod
0171-0834
2941-0835
Narr Verlag Tübingen
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/61
2004
271-2

Humboldt et la France au miroir de la traduction

61
2004
Denis Thouard
Das Anliegen dieses Artikels ist es, Humboldts Bezug zu Frankreich im Rahmen der Betrachtung der Übersetzungsproblematik in zweifacher Hinsicht zu erhellen: Einerseits liegt es nahe anzunehmen, dass der lange Parisaufenthalt Humboldt als Laboratorium kultureller Differenz dienen konnte, vor allem sein Studium des Pariser Theaters, denn theatralische Darstellungen inszenieren nicht nur Intrigen, sondern auch kulturelle Codes. So fertigt Humboldt in Paris den Großteil der ersten Version seiner Übersetzung des "Agamemnon" von Aeschylus an, die sich nicht nur in eine Reflexion über die Übersetzung von Kulturen einschreibt (Übersetzung des Antiken in eine moderne Sprache), sondern die auch Humboldts Weg zum Verständnis des Poetischen Charakters der Sprache im allgemeinen ist. Insofern erhält die "Agamemnon"-Übersetzung auch eine metalinguistische Reichweite. Andererseits soll ausgehend von einer kurzen Darstellung der Uneinheitlichkeiten der Übersetzungen von Humboldt-Schriften ins Französische dargestellt werden, inwieweit diese Aneignungen des Werks eine genuin französische Debatte reflektieren und neue Zugänge zum humboldtschen Denken eröffnen.
kod271-20081
Humboldt et la France au miroir de la traduction Denis Thouard Pour Pierre Judet de La Combe Das Anliegen dieses Artikels ist es, Humboldts Bezug zu Frankreich im Rahmen der Betrachtung der Übersetzungsproblematik in zweifacher Hinsicht zu erhellen: Einerseits liegt es nahe anzunehmen, dass der lange Parisaufenthalt Humboldt als Laboratorium kultureller Differenz dienen konnte, vor allem sein Studium des Pariser Theaters, denn theatralische Darstellungen inszenieren nicht nur Intrigen, sondern auch kulturelle Codes. So fertigt Humboldt in Paris den Großteil der ersten Version seiner Übersetzung des Agamemnon von Aeschylus an, die sich nicht nur in eine Reflexion über die Übersetzung von Kulturen einschreibt (Übersetzung des Antiken in eine moderne Sprache), sondern die auch Humboldts Weg zum Verständnis des poetischen Charakters der Sprache im allgemeinen ist. Insofern erhält die Agamemnon-Übersetzung auch eine metalinguistische Reichweite. Andererseits soll ausgehend von einer kurzen Darstellung der Uneinheitlichkeiten der Übersetzungen von Humboldt-Schriften ins Französische dargestellt werden, inwieweit diese Aneignungen des Werks eine genuin französische Debatte reflektieren und neue Zugänge zum humboldtschen Denken eröffnen. Introduction Envisager le rapport de Humboldt à la France à travers la question de la traduction, c’est en souligner la complexité. Car non seulement les écrits de Humboldt ont fait l’objet de débats portant spécifiquement sur leur traduction en français dans les dernières années, mais la rencontre de Humboldt avec la France s’accomplit à travers la médiation d’un travail de traduction qui opère la distinction entre ce qui relève de la langue et ce qui relève de la culture. Nous sommes donc en présence d’une double entrée dans le problème, ayant à considérer un Humboldt traduisant et un Humboldt traduit, l’un n’engageant pas moins que l’autre la signification du rapport à la culture française. Mais la relation de Humboldt traduisant à la France n’est pas non plus directe. Il ne s’agit pas pour Humboldt de traduire du français, mais de traduire aux Français quelque chose de la culture et de la pensée allemande, conformément au rôle d’ambassadeur des idées qu’il se donne alors, avant de jouer l’ambassadeur tout court. Or, pour traduire une culture en une autre, les langues ne suffisent pas, car il arrive souvent que, bien que parlant apparemment la “même” langue, on ne se comprenne pas. C’est aussi l’expérience du jeu social qui va aiguiser chez Humboldt le sens pour ces impalpables différences culturelles qui souvent décident de la compréhension plus que la maîtrise même de la langue. Le moyen de connaître une “civilisation perfectionnée”, comme disait Chamfort, c’est d’abord de fréquenter la “société”, les salons, les lieux de réunion tant savants que publics: Humboldt est extrêmement attentif lors de son séjour parisien aux grandes fêtes publiques. Mais le décryptage de ce jeu K O D I K A S / C O D E Ars Semeiotica Volume 27 (2004) No. 1 - 2 Gunter Narr Verlag Tübingen Denis Thouard 82 de société est grandement facilité par l’étude de sa représentation dans les pièces de théâtre qu’il va voir très régulièrement. Non seulement le théâtre indique ce qui plaît aux Parisiens, permettant de mieux cerner leurs goûts et dégoûts, mais il permet surtout d’observer, dans l’espace neutre de la représentation esthétique, sur un texte fixé par avance, comment se fait le sens, dans sa dimension que nous appellerions de nos jours “pragmatique”. L’énergie des acteurs transforme un texte en discours qui semble réinventé à chacune de ses proférations. La première expérience de traduction que fait donc Humboldt à Paris est cet apprentissage de la traduction culturelle. Mais cette relation simple d’une culture à une autre se complique d’un troisième terme, qui joue un rôle symétrique à celui de la découverte de la langue et culture basque, à savoir la Grèce ancienne. Or c’est largement à Paris que Humboldt travaille le plus intensément à sa traduction de l’Agamemnon d’Eschyle, qui l’accompagnera encore plus d’une décennie. Ce travail intensif de traduction revêt une importance théorique singulière, puisqu’il s’agit bien d’une épreuve de la langue poétique, voire de la poéticité de la langue, à la différence du travail effectué dans le même temps sur l’Hermann et Dorothée de Goethe, qui se situe essentiellement au niveau de la poétique des genres. D’autre part, en traduisant l’Agamemnon, Humboldt n’avait pas seulement choisi un moment fondamental de la culture grecque, articulant le récit épique de la Guerre de Troie à la dimension tragique des Atrides, il avait aussi privilégié un texte théâtral, développant en lui la dimension dialogique du langage, mettant en scène sa genèse dans la représentation des prophéties de Cassandre. Entre l’altérité interne du grec d’Eschyle, creusée au sein de la culture classique qu’il rapportait de ses études philologiques et qui lui imposait le respect de certains critères scientifiques, et l’altérité externe de la langue basque, qu’il allait bientôt découvrir comme le contre-modèle d’une civilisation autochtone, Humboldt découvrait en France, dans le milieu de la civilisation universelle qui attirait par ses lumières, la possibilité d’une réflexion inédite sur le rapport de la langue et de la culture. Il découvrait, sinon lui-même, du moins la tâche qui allait le faire voyager, par la pensée et par les langues, au bout du monde. L’enjeu anthropologique de la traduction L’histoire de Humboldt et de l’Agamemnon est celle d’une obstination, qui nous fait entrer au cœur même de son atelier, au croisement de ses intérêts pour l’homme et le langage: Humboldt a vécu vingt ans “avec” l’Agamemnon. Commencé en 1796, le travail est publié en 1816 avec une importante introduction qui porte sur le langage et le problème de la traduction. C’est un des premiers textes publiés par Humboldt sur la langue. Par la réflexion sur la dualité des langues au cours de l’effort pour s’approprier ce qu’il tenait pour un chef-d’œuvre de l’Antiquité, Humboldt se mettait en chemin vers l’intuition de la diversité des langues qui bouleversera la conception du langage. La dualité de l’ancien au moderne portait en elle la diversité indéfinie des langues, chacune étant porteuse de ses agencements particuliers des formes et des significations. Au fil de l’Agamemnon, Humboldt passerait donc de la philologie à la linguistique, de la dualité à la diversité. Il indique en terminant sa préface qu’il avait terminé le travail - commencé à Iéna du temps de la fréquentation de Schiller et poursuivi à Paris - en 1804 à Albano, en Italie, “et que depuis il n’a pas dû se passer une année sans que je l’ai amélioré[e]” (GS VIII: 146). Entre Iéna - la ville de la philosophie et du romantisme, après Göttingen et Halle, deux hauts lieux de la philologie -, où il séjourne de 1793 à 1797, et Francfort sur le Main d’où il Humboldt et la France au miroir de la traduction 83 signe sa préface, Humboldt a passé quatre ans à Paris et près de huit en Italie, où il avait des fonctions diplomatiques qui le détournaient sans doute d’une étude intensive, avant de revenir à Berlin pour y fonder l’Université royale, puis d’aller représenter la Prusse au Congrès de Vienne où se dessine la nouvelle carte de l’Europe. Avec toujours sous son bras, sa traduction de l’Agamemnon. Outre l’intérêt de ce travail pour la pensée et la maturation de Humboldt, il n’est pas inutile de se pencher sur les conditions dans lesquelles un “humaniste accompli”, théoricien même de la doctrine d’un nouvel humanisme et admirateur de la Grèce winckelmanienne, a pu faire une place à ce travail dans une existence par ailleurs tournée vers le monde contemporain et ses exigences dans l’ordre pratique. L’Agamemnon dans le Paris du Directoire Pour son immersion dans l’Antiquité grecque, Humboldt a été d’emblée aux meilleures écoles: celle de Heyne, à Göttingen, qui l’initia à la tragédie grecque, et celle de Wolf, avec lequel il entretint une correspondance 1 serrée sur ce qu’est l’épopée et à qui il souffla son programme de l’Altertumswissenschaft dans un écrit alors resté inédit, Sur l’étude de l’Antiquité, en particulier de la grecque (1793). Pour les problèmes métriques de la tragédie, il ajoutera celle de Hermann, le guide invoqué dans sa préface pour son De metris (1797) et son édition en cours d’Eschyle, sur lequel il s’appuiera exclusivement. 2 Über das Studium des Altertums se concluait sur un paragraphe consacré aux traductions (§ 42), qui contribuaient sous un triple rapport à l’étude de l’Antiquité: 1) remplacer l’original dont on ignore la langue, auquel cas l’accommodation au lecteur moderne est de rigueur; 2) parvenir à la compréhension de l’original, qui demande une fidélité à la lettre et au propos (Treue der Worte); 3) enfin introduire le lecteur à la manière et à l’esprit de l’écrit, ce qui suppose une fidélité à l’esprit et “au vêtement dont il est revêtu”, qui dépend essentiellement, précisait-il, de l’imitation de la “diction” pour la prose et du “rythme” pour les vers. Ce dernier aspect est aux yeux de Humboldt le plus important, car il incite à la lecture de l’original et fait ressortir davantage l’esprit de l’écrivain “aperçu dans le double medium de deux langues différentes” (GS I: 280). L’autodestruction de la traduction est l’accomplissement de sa tâche. L’original est restitué à lui-même après une opération de variation menée dans le bain d’une langue étrangère. Ces indications précèdent les tous premiers textes de Humboldt sur le langage en général et ne peuvent être jugées à l’aune de sa pensée ultérieure. On peut en effet y comprendre que “l’esprit de l’écrivain”, quoique lié à sa “manière”, est relativement indépendant de sa langue puisque la traduction permet de le faire ressortir davantage. La comparaison usuelle du vêtement suppose bien une extériorité réciproque de “l’esprit” et de la langue. En même temps, la troisième forme de traduction, qui passe par une imitation formelle du processus individuel propre à chaque écrit (“l’esprit et la manière”) propose de laisser à égale distance la belle infidèle et la traduction comme auxiliaire de la compréhension, autrement dit la traduction “de travail” dirait-on, qui n’a aucune valeur en elle-même. En effet, le troisième mode de traduire est à la fois plus attentif à la forme d’ensemble de l’écrit et à sa signification: dans “esprit” invoqué par Humboldt, il semble bien que l’on ait à la fois la forme et la signification, alors que les deux premiers modes de traduire ne concernent que le thème et l’intrigue (le “sens”) pour l’un, le lexique et la morphologie pour l’autre, dans une séparation des rôles manifestement dommageable. C’est en ce sens que l’entreprise de traduire Eschyle progressera, en allant beaucoup plus loin. Denis Thouard 84 Les raisons qui ont mis Humboldt sur le chantier de l’Agamemnon sont en partie réunies dans cette étude de l’Antiquité et remontent aux discussions menées dès 1792 avec F.A. Wolf, mais aussi à la fréquentation intime de Schiller, au moment où celui-ci débattait intensément avec Goethe sur la nature de la poésie, des Anciens et des Modernes, et rédigeait ses importants essais esthétiques dont les Lettres sur l’éducation esthétique (1795), Sur le tragique, Sur le pathétique, Sur la poésie naïve et sentimentale (1795 -96). Les lettres à Schiller envoyées depuis Paris prolongent une discussion qui porte à la fois sur la différence de la poésie antique et moderne et, concrètement, sur des problèmes soulevés par la traduction. 3 Ce dialogue avec Schiller s’accompagne d’un dialogue avec Goethe à travers la rédaction d’un livre qui deviendra assez volumineux consacré à l’épopée moderne et campagnarde Hermann et Dorothée. C’est pour Humboldt l’occasion de poser la question de la possibilité d’une épopée moderne et plus généralement des conditions de l’activité poétique. Il entendait bien prolonger ce travail par une étude consacrée au Wallenstein de Schiller, tentative ambitieuse d’une tragédie moderne, conçue elle aussi sous forme de trilogie. Tels sont les interlocuteurs que s’est donnés Humboldt pour réfléchir sur la poésie, dont on peut penser qu’il était difficile de trouver mieux - Faust, qui aurait fourni une matière autrement plus riche qu’Hermann et Dorothée, n’était pas encore écrit. Avec ce double projet littéraire sur l’épopée moderne de Goethe et la tragédie antique d’Eschyle à traduire, c’est-à-dire de toute façon à “moderniser”, Humboldt part à Paris, qu’il avait déjà connu en pleine tourmente révolutionnaire, et s’y installe. Pourquoi donc Paris? Pourquoi donc aller traduire Eschyle à Paris? Les intérêts philologiques, poétiques, esthétiques de Humboldt tournaient autour de l’Antiquité grecque comme formation historique, mais aussi comme idéal - le seul idéal dans l’histoire à ses yeux (Ueber den Charakter der Griechen). Humboldt croyait alors posséder dans cette Antiquité une mesure pour évaluer les nations modernes. Cette évaluation ne prend sens que dans la perspective d’une question beaucoup plus vaste qu’il vient à poser à la suite de Kant, la question de l’homme. Le départ pour Paris, déjà capitale de la modernité et de l’histoire en marche, non moins que centre important du savoir, signifiait accomplir un voyage dans le présent, pour y confronter l’humanité actuelle avec sa mesure grecque et les idées qu’il retenait d’Allemagne, de Kant et de Schiller. Comme Jean Quillien l’a abondamment montré, le projet d’une anthropologie philosophique vient comme le couronnement et la synthèse de ses intérêts passés. 4 La différence essentielle est entre l’antique et le moderne; c’est pourquoi il travaillera aussi à Paris à une “anthropologie comparée” esquissée dans son tableau du “XVIIIe siècle” qui constitue une analyse du monde moderne mise en regard de ses études de l’Antiquité. Déjà convaincu que la connaissance, dans les savoirs humains, doit joindre l’observation à la réflexion, il vient à Paris au-devant d’une autre forme de civilisation, pour y confronter ses idées à ce qu’il voit. Cette démarche donne tout son prix au Journal, où il fait la description de véritables “choses vues” à la Hugo, plages de realia qui équilibrent les études des écrits des Français, qu’il s’impose systématiquement avec un sérieux tout prussien, de Condillac à Rousseau ou Condorcet. Le diptyque du présent et de l’antique structure donc le travail de Humboldt à Paris: rencontres, observations, lectures pour s’immerger dans l’ambiance française d’un côté (ce qu’il ne décrit d’ailleurs pas comme un travail! ); rédaction de l’essai sur Goethe, traduction d’Eschyle et correspondance avec Schiller, de l’autre côté. On trouve ainsi fréquemment dans le Journal des notations telles que: “Travaillé à Hermann et Dorothée et à l’Agamemnon. Fait des visites.” (9 Nivôse An V, 29 déc. 1797) 5 Dans un premier bilan en fin d’année, il note: Humboldt et la France au miroir de la traduction 85 A Iéna, un seul écrit [= Le XVIIIe siècle], mais en contrepartie, le début de l’Agamemnon, à peu près fait de moitié. Ce fut pour moi un travail fort plaisant, qui me rappellera toujours ces heures matinales, brèves mais douces, passées à Iéna; l’idée m’en était soudainement venue durant la nuit. (11 nivôse An V; Humboldt 2001: 41) A Berlin, Dresde rien, mais à Vienne “L’Agamemnon a un peu avancé. Le travail sur Hermann et Dorothée a été amorcé”. Les voyages ne sont pas favorables au travail intellectuel, et les premiers temps à Paris ont été marqués inévitablement par une certaine dispersion, au point que le bilan se résume à un peu de traduction: Dans l’ensemble, je n’ai rien produit cette année, rien du tout, si ce n’est la partie achevée de l’Agamemnon. L’idée d’un travail sur le siècle et l’anthropologie est presque vieille d’un an et il n’y a cependant toujours rien de concret! (Ibid.) Pour parler d’Eschyle et de son travail de traduction, Humboldt trouvera peu d’interlocuteurs à Paris. Sa tentative avec Laporte du Theil, le dernier éditeur et traducteur d’Eschyle (1794 -95), est décevante: 6 J’ai examiné ses connaissances en métrique. Il était tout d’abord disposé à l’exercice et parla d’un traité qu’il aurait consacré à la question. Pourtant, il s’avéra bientôt qu’il en ignorait complètement la partie savante; il voulut se limiter à l’influence du sujet sur les changements de mètre dans les tragédies. Il commit de singulières confusions jusque dans le nom des mètres et il finit par reconnaître qu’il n’était pas sur ce point assez fort en grec. (7 nivôse, 27 déc. 1797; Humboldt 2001: 30) En revanche, sur le plan “anthropologique” au sens le plus large, la question de la traduction, dans sa dimension non seulement philologique, mais culturelle, constituait une bonne entrée. Outre la rencontre des hommes et des femmes, la lecture des gazettes et de la littérature, belle ou savante, un des moyens de s’approprier le mode de vie et les mœurs d’une population est de suivre ses divertissements, aller à ses fêtes, fréquenter son théâtre. De quoi rie-t-on ici? Quand se pâme-t-on à un drame? Qu’est-ce qui est apprécié? Jugé au contraire raffiné, vulgaire? C’est dans les représentations auxquelles se plaisent les Parisiens, surtout quand il s’agit de thèmes comparables à ce que Humboldt a pu voir ailleurs, ce qui est le cas des classiques, que l’on saisit le mieux les différences qui font l’objet de l’anthropologie comparée qu’il a en vue. Le 5 nivôse (25 déc.), il assiste ainsi à l’Odéon à une représentation d’un certain Népomucène Lemercier: Agamemnon. L’auteur néglige le destin et se tourne vers les caractères, ce qui ôte sa force et sa grandeur à la pièce: De nombreux passages sont plats et longs et l’absence de toute action, bien que les personnages s’interrogent constamment sur la conduite à suivre, est absolument désastreuse. En somme, c’est un certain moralisme, une certaine affectation qui semble avoir gâté le tout. Clytemnestre et Egisthe craignent toujours de passer à l’acte et deviennent d’autant plus immoraux que leur passion perd de sa grandeur. (Humboldt 2001: 23) La pièce sera évoquée à nouveau à propos du Fénelon de Marie-Joseph Chénier, vu le 31 décembre, qui, si elle “ne sort pas véritablement du lot”, contient néanmoins “de bons vers et de belles formules oratoires”: “Je la place cependant bien au-dessus de l’Agamemnon. Elle contient évidemment quantité de sentences sur la tolérance, sur l’humanité et contre le fanatisme des prêtres.” (Humboldt 2001: 39) Ces spectacles sont vus entre des plages de travail, concernant souvent les deux projets à la fois (30 déc.) ou un seul (31 déc.). Le 24 prairial de l’An VI (12 juin 1798), Humboldt revoit pourtant l’Agamemnon de Lemercier au Denis Thouard 86 théâtre de la rue Feydeau, sans doute parce que Talma y prenait cette fois le rôle d’Egisthe: comme Baptiste dans le rôle titre, il joua “remarquablement bien” (Humboldt 2001: 153). Il évoque encore la pièce le 2 thermidor (20 juillet 1798) en notant que Lemercier a beaucoup emprunté à Sénèque et Alfieri (lequel avait lui-même pris son sujet dans “le détestable Agamemnon de Sénèque” 7 ), et qu’on lui a reproché à juste titre la “nullité d’Agamemnon et la faiblesse de Clytemnestre” (Humboldt 2001: 180). A regarder de près les commentaires de Humboldt sortant du théâtre, on remarque qu’au bout de quelques semaines, ce n’est plus l’intrigue et la pièce, toujours résumée avant qu’il ne note ses propres critiques, qui l’intéresse, mais le jeu des acteurs. Il comprend que les pièces “gagnent à être jouées”. Le théâtre devient davantage le théâtre des acteurs, il se désintellectualise peu à peu, et les différences les plus significatives n’en ressortent que mieux. Sur le jeu d’Agamemnon par Baptiste, il s’interroge: “Cela est-il véritablement antique? ” (Humboldt 2001: 153) Et il décrit l’interaction entre la forme antique, contraignante jusque dans les caractères, et la dynamique du jeu des acteurs qui actualise les rôles: Les acteurs commencent toujours par laisser agir le caractère inhérent à la scène tragique, l’héroïsme et l’action dictés par les passions, avant de rendre l’individualité de leur rôle. De là, ajoute-t-il, vient toujours un visage douloureux sur lequel on lit en permanence l’agitation, la peur, l’état d’être travaillé par une passion. (Humboldt 2001: 153) La rencontre du moderne passionnel et individuel et des rôles tragiques produit une forme violente de spectacle qu’il parvient maintenant à décrire avec plus de précision. L’anthropologie comparée n’est jamais très loin non plus. Il remarque ainsi, en observant le jeu des acteurs mais aussi des acteurs sociaux, combien ils accordent d’importance “aux nuances placées dans les mots, les accents, les gestes”, au point que l’étranger est souvent désorienté au point de n’y rien comprendre: Cette subtilité de caractère, à la fois origine de la finesse et condition de sa compréhension, relève uniquement de l’entendement et d’une certaine ruse du caractère. On suppute toujours ce que l’autre peut croire, penser, vouloir et l’on complète ses propos en fonction de cela, alors même que l’autre part déjà de ce principe. […] Le jeu des Français témoigne de ces finesses nationales; c’est pourquoi ils parviennent à rendre certains détails que l’acteur et le spectateur allemand considéreraient comme insignifiants. (24 floréal, 13 mai 98; Humboldt 2001: 102, à propos du jeu des acteurs du théâtre de la rue Feydeau.) Le “Verstand” auquel il est fait appel est en fait une faculté qu’il ne faut pas hésiter à qualifier d’herméneutique. C’est le “sens” qui permet de saisir la nuance et d’interpréter un discours dans un contexte donné. Ses remarques sur la langue chinoise, dans sa correspondance avec Abel-Rémusat, reprendront ces réflexions sur la part sous-entendue de la compréhension elliptique, et le confirmeront dans l’intuition d’une inévitable interprétativité des langues. Comme le français en effet, le chinois se comprend en contexte et n’a pas besoin de tout expliciter. Il fait appel tacitement à un “sens” herméneutique de l’auditeur. 8 Humboldt pratique une anthropologie empirique fondée sur l’observation des hommes à la fois par leur commerce, la lecture de leurs écrits, et par l’étude des représentations collectives qu’ils se donnent et des spectacles auxquelles ils se divertissent. La place du théâtre est particulièrement remarquable, puisque le langage s’y présente sous une forme intégralement normée, un texte connu à l’avance de tous et le plus souvent édité, en même temps qu’entièrement inédit, recréé chaque soir par la performance des acteurs. Dans son artificialité même, c’est donc un excellent laboratoire anthropologique en ceci qu’il permet d’isoler sans erreur ce qui relève du code commun des comportements et du dicible et ce qui renvoie Humboldt et la France au miroir de la traduction 87 au code implicite de la connotation, à travers lequel s’affirme la diversité culturelle. Si une traduction peut rendre le contenu manifeste d’un texte théâtral pour qui voudrait en connaître l’intrigue, seul le jeu lui confère une physionomie originale et un caractère propre. La mise en scène est en même temps une mise en sens. Elle joue sur les attentes du public. Les acteurs interprètent leurs personnages pour dégager, dans les mots, mais au-delà des mots, ce qu’ils veulent donner à entendre. Les discours peuvent être ainsi inachevés, elliptiques, allusif, et le niveau du code commun paraître par conséquent extrêmement fade, parce que l’essentiel consiste dans la légère déviation par rapport à la norme que le jeu peut suggérer: le jeu des acteurs constituant par là une excellente initiation au jeu de la société. “Supputer” la pensée de son interlocuteur et commencer d’en compléter la part “sous entendue”, c’est être dans la langue et dans la différence qu’elle pose entre les interlocuteurs, mais c’est être aussi dans la dimension du sens enveloppé en toute communication en société - seules des machines seraient purement dénotatives. La signification du milieu de réfraction qu’est le théâtre est ainsi indissolublement anthropologique et linguistique, car il renvoie à la représentation du fonctionnement du langage en société. C’est sans doute aussi pour cela que l’entreprise d’une traduction de l’Agamemnon d’Eschyle pouvait justifier une telle obstination. La traduction de l’Agamemnon Ecrivant à Wolf en février 1797, Humboldt évoquait le caractère paradoxal de son projet de traduction: “Agamemnon, qui est proprement tout à fait intraduisible”, den gar eigentlich unübersetzbaren Agamemnon, ce qui ne l’avait pourtant pas retenu de s’y lancer: “L’envie m’en a pris, j’ai commencé, je ne peux plus m’arrêter.” 9 En annotant dans son Journal les œuvres de Diderot qu’il lit, comme les autres auteurs français majeurs, très consciencieusement, Humboldt avait recopié cette phrase: “L’intraduisible est la plupart du temps ce qu’il y a de meilleur.” (Humboldt 2001: 272) Il reprendra le terme en introduisant sa propre traduction de l’Agamemnon (GS VIII: 129), au moment d’exposer le problème posé par la traduction pour la langue. Si la tragédie d’Eschyle est unübersetzbar, ce n’est pas parce qu’elle serait un chef-d’œuvre insurpassable, une production du génie, une œuvre simplement de grande originalité. Elle est intraduisible parce qu’il n’y a pas de proportion entre des termes ou des expressions particulières de plusieurs langues. Les langues se correspondent entre elles, mais rien ne correspond en elles: elles sont des univers douées de leurs lois propres. Plus fondamentalement: le mot n’est pas le signe de l’idée, le mot n’est pas signe de quelque chose, mais ce qui rend possible l’expressivité elle-même. C’est tout une petite théorie du langage et de la diversité que Humboldt place au centre de son introduction, après une présentation relativement conventionnelle de la pièce, remarquable par son “sublime tragique” et représentant le “pur symbole de la destinée humaine”. Il insiste dans cette présentation sur l’entremêlement des niveaux, du plus individuel, de la famille, à l’ensemble des Grecs et à la confrontation des mondes occidental et oriental. Il analyse ensuite les personnages, faisant ressortir Clytemnestre comme le principal, la seule à agir véritablement, et évoquant la fragilité d’Agamemnon. Il donne à son analyse de l’obscurité du langage de Cassandre une portée métalinguistique, en montrant qu’elle sort […] peu à peu de son long silence, d’abord en plaintes, sons et cris simplement inarticulés, puis prophéties, d’abord obscures, puis assumant la mesure ferme et signifiante des trimètres, s’éloignant de cette obscurité première car le discours prophétique doit parvenir à la lumière du soleil sans voile. (Ma traduction GS VIII: 124 -125) Denis Thouard 88 Sa traduction 10 entend reproduire fidèlement cette montée jusqu’au langage (GS VIII: 181-191), depuis l’apparition de Cassandre au vers 1044: O, o, o, o weh! o weh! ach! Apollon, Apollon! Jusqu’au discours plus articulé des vers 1230 -1268, en passant par des expressions elliptiques et violentes, qui justifient bien les interrogations du chœur. Le cri se fait plainte et vision: O, o, ha, schaue, schaue! von der Färse schnell Hinweg den Stier! in Schleier […]. (Vers 1097-98) Puis les formules apparaissent, mais dans une syntaxe torturée et étrange: Bin lügenhaft ich eitle Hausdurchirrerin? (1169) Au chœur qui réitère son incompréhension (“Noch fass’ ich es nicht”, 1084; “Wer sey der Thatvollbringer? Hab’ ich nicht gefasst”, 1227), elle expose le fait de l’incompréhensibilité de la langue alors même qu’elle proclame l’évidence de la compréhension puisqu’elle parle grec: Und dennoch bin mit Hellas Sprach’ ich wohlbekannt. (1254) A travers sa traduction minutieuse des propos de Cassandre, Humboldt s’attache donc à restituer le mystère de la langue à travers la singularité de sa genèse. Nous avons directement en elle cette émergence de la langue dont nous retrouvons les descriptions dans les écrits linguistiques, comme en 1820: Unmittelbarer Aushauch eines organischen Wesens in dessen sinnlicher und geistiger Geltung, theilt sie (= die Sprache) darin die Natur alles Organischen, dass Jedes in ihr nur durch das Andre, und Alles nur durch die eine, das Ganze durchdringende Kraft besteht. (GS IV: 3) [Exhalaison immédiate d’un être organique dans sa capacité sensible et spirituelle, elle partage ainsi la nature de tout ce qui est organique, à savoir que quelque chose en elle n’existe que par l’autre, et que l’ensemble ne se tient que par la force qui pénètre le tout.] 11 Ou encore: Denn was ist Sprache anders, als die Blüthe, zu der Alles in des Menschen körperlicher und geistiger Natur zusammenstrebt, in der sich Alles sonst Unbestimmte und Schwankende erst gestaltet, und die feiner und aetherischer, als die immer tiefer mit Irdischem vermischte That ist? (GS VII: 641) [Car qu’est-ce que la langue sinon l’épanouissement auquel aspire toute la nature corporelle et spirituelle de l’homme, en quoi tout ce qui n’est que confus et hésitant commence à prendre figure, quelque chose de plus subtil et de plus éthéré que l’action, qui est toujours plus intimement mêlé au terrestre? ] 12 La langue est individuelle et non commune, c’est pourquoi Cassandre n’est pas comprise. Elle est indissociable d’un effort herméneutique des interlocuteurs, car elle ne se réduit pas à une simple communication de contenus. Au cœur de la pièce qu’il a choisi d’élire pour se confronter à la poéticité de la langue, malgré les limites qu’il sait se reconnaître, et plus généralement avec “l’expérience de la langue”, Humboldt rencontre en Cassandre les mots exprimant une vérité du langage qu’il reconnaît plus nettement à travers le travail de la traduction et ses expériences de passage des frontières, et qu’il résumera dans les thèses de Humboldt et la France au miroir de la traduction 89 son introduction de 1816. 13 Le travail sur la poésie d’Eschyle mettant lui-même en scène un discours idiomatique dans le processus de sa formation, des cris inarticulés au dialogue, puis au discours enchaîné, confirme l’intuition d’une poéticité essentielle de tout langage, autrement dit du caractère individuel non seulement de toute langue, mais aussi de tout usage de la langue, dont Cassandre ne fait que pousser à l’extrême les possibilités. La parole poétique surgit de l’obscurité informe, elle devient la naissance même du langage en se faisant parole sensée, Dichtung qui est à la fois histoire et langue (Geschichte et Sprache). L’intraduisible de la pièce est à rapprocher de l’obscurité du langage de Cassandre en laquelle se lit l’obscurité fondamentale de tout langage en sa propre genèse. La question de la traduction qui est au centre du travail de Humboldt à la fois à travers l’interrogation sur la diversité des langues et en accusant la conscience de la part de noncompréhension qui accompagne toute compréhension. S’il n’existe pas de position de surplomb hors des langues particulières, la méthode comparative implique une traduction et une retraduction permanentes. L’usage du langage suppose la reconnaissance de son individualité, mais aussi la réalité d’une communication, d’une compréhension mutuelle, par-delà les façons de parler de chaque individu, de chaque groupe, de chaque nation. Si c’est avec l’expérience de la langue basque que Humboldt découvrit un univers linguistique complètement inédit, les années consacrées à la traduction de l’Agamemnon d’Eschyle furent non moins décisives pour sa conception du langage. La difficulté de l’opération, compliquée par des exigences métriques poussées, constitua comme un laboratoire où Humboldt put faire dans le détail l’expérience de la précarité magnifique de toute traduction. Traduire est un travail, une interprétation et, en même temps, un acte de liberté, ouvrant l’accès à d’autres mondes. Tout en étant une tâche impossible, elle est essentielle pour le commerce des langues autant que pour la diffusion des idées. Avant même de les avoir exposées dans la préface à l’Agamemnon, Humboldt expliquait à Wolf les difficultés auxquelles il s’affrontait et les principes qu’il entendait suivre. Considérant que le traducteur doit avoir préalablement compris le texte qu’il traduit, il observe que, dans le cas des textes antiques, il dépend des éditions existantes. Or pour s’assurer par lui-même de la compréhension, il devrait être aussi l’éditeur du texte qu’il traduit. Cette exigence scientifique explique largement les caractères de la traduction de l’Agamemnon: il s’agit non pas de produire un objet esthétique au goût de ses contemporains, mais de faire connaître l’Antiquité dans une forme qui en sauvegarde autant que possible la manière. Or avant de faire le choix de suivre systématiquement et aveuglément le texte établi par Gottfried Herrmann, qu’il ne rencontrera qu’aux abords du champ de bataille de Leipzig en 1813, 14 afin d’avoir un texte “d’une seule coulée”, aus einem Guss, Humboldt doit renoncer à produire une “traduction philologique” et se contente d’une traduction “esthétique et caractéristique”. Même dans ces conditions restrictives, la situation générale du traducteur est d’éviter un double écueil: être sec en étant littéral, ou perdre la force et l’expression par trop d’accommodation au lecteur. 15 Humboldt s’est attaché à un travail formel important, considérant même que son souci métrique était celui qui exprimait le mieux l’exigence qu’il s’était fixée comme traducteur. Désireux de perfectionner son travail, il le soumit à un jury critique qu’il s’était constitué en regroupant non seulement des noms éminents, mais surtout des perspectives différentes sur son texte, mêlant des poètes, des philologues et des spécialistes de métrique à savoir: il envoya ainsi une première version à Goethe, Schiller, les frères Schlegel et F.A. Wolf. Il en résulta des jugements évidemment discordants: Wolf regrette le manque “d’esprit eschyléen” alors que Schiller trouve sa traduction trop peu claire, et seul August Wilhelm Schlegel, qui avait publié des Briefe über Poesie, Silbenmass und Sprache (1795 -96), fut suffisamment Denis Thouard 90 attentif à son goût au travail sur les vers. Que faire de ces jugements? Il fait peu cas des louanges de Goethe, trouvant les critiques plus instructives, sauf celle de Schiller, qu’il sait incompétent en la matière: reste le jugement sans appel de Wolf, qui le fit presque renoncer à poursuivre. 16 C’est en vertu de l’importance que revêtait pour lui la dimension savante qu’il finit par s’assurer du secours de Herrmann, concentrant son effort sur la polissage métrique, afin de livrer une “traduction rigoureuse”. Il reconnaît, au moment de la publier, qu’elle manque de “vie poétique propre” et qu’en cela il est resté en-deçà des réalisations de Voss, mais qu’elle a le mérite d’une très grande “précision”: si ce qu’il appelle la “véritable traduction de l’Agamemnon est encore à attendre”, au moins aura-t-il fait un pas dans cette direction. 17 Qu’est-ce que die wahre Übersetzung des Agamemnon? Sans doute n’est-ce pas autre chose que l’Agamemnon lui-même, tel qu’on peut le rêver, car il ne nous est accessible qu’à travers des médiations philologiques, linguistiques, historiques multiples. La traduction est ainsi l’exemplification du travail que les locuteurs accomplissent continûment sur leur propre langue, elle fait voir le processus d’une compréhension à la fois toujours relative et effective. Car les traductions, plutôt que des œuvres durables, sont des travaux; elles doivent évaluer, comme avec une mesure stable, déterminer et agir sur l’état de la langue à un moment donné, et doivent nécessairement toujours être reprises à nouveau. (GS VII, 136; trad. par Denis Thouard dans W. von Humboldt (2000): 47) Le contexte immédiat de la réflexion humboldtienne sur la traduction à l’occasion de son travail sur le texte d’Eschyle, entre l’exposition des grandes lignes de l’interprétation de la pièce et les discussions plus techniques sur les façons de rendre la métrique antique, indique bien comment l’expérience de la traduction de l’Agamemnon put être la matrice de sa pensée de la langue. La situation des traductions de Humboldt en langue française Si Goethe pouvait s’exclamer: “O wie fühl ich in Rom mich so froh! ” (Eleg. VIII: 1), pour Humboldt, la ville fut Paris: “Hier in Paris […] befinde ich mich sehr wohl”, écrit-il à Charlotte Hildebrandt, en y retournant après treize ans d’absence, et il ajoutait: “Ich führe hier ein meinem gewöhnlichen ganz entgegengesetztes Leben.” (23. April 1828) Humboldt vivait à Paris une autre vie que celle du sage érudit de Tegel. Il se métamorphosait, et son enthousiasme allait à la ville moderne, qui devenait peu à peu, par ses embellissements, la “capitale du XIXe siècle” 18 . L’affamé d’Antiquités ne cherche pas dans Rome son lieu idéal de bonheur, mais dans la ville qu’il découvrit tout jeune, en pleine tourmente révolutionnaire, et où il avait séjourné plusieurs années décisives. La perception de la figure de Wilhelm von Humboldt, pourtant le moins français des deux frères, devait nécessairement être différente en France et à Berlin, si celui-ci devenait bien un autre homme en prenant ses quartiers parisiens. Il est pour ces raisons instructif de revenir sur l’accueil fait à Humboldt dans une culture, avec laquelle il entretint une relation privilégiée. Les traductions offrent un bon indicateur de cet accueil. Car la traduction, au-delà des problèmes qu’elle soulève, qui sont plus “herméneutiques” que “techniques”, est aussi le miroir où se perçoit une pensée. Ce que traduit la traduction, c’est en somme le mode de perception de Humboldt dans le monde francophone. L’intérêt pour Humboldt, parisien d’adoption, renaît en France depuis une trentaine d’années, même si bien des choses restent à faire. L’oubli de plus d’un siècle (1859 -1969, Humboldt et la France au miroir de la traduction 91 voire 1974) où l’ont tenu les traducteurs est maintenant terminé. Malgré les multiples tentatives qu’il fit pour entrer en contact avec des interlocuteurs français, aussi bien des intellectuels comme Madame de Staël que des savants comme Abel-Rémusat, comme on le voit à ses publications du Magasin encyclopédique de Millin ou du Journal Asiatique et dans sa correspondance, il est remarquable qu’en dehors d’une décennie sous le Second empire, 19 aucun texte de Humboldt n’ait été traduit en français. La finalité d’un bref repérage de l’état des traductions, en évoquant les projets en attente et les desiderata, n’est bien sûr pas d’émettre une appréciation sur les vertus respectives de ces tentatives, pas non plus de présenter un panorama de la recherche. 20 En prenant comme point de départ de ma réflexion un phénomène aussi objectif que l’existence de traductions, il s’agira de montrer que l’on peut reconstruire les grandes tendances de la réception de Humboldt en France ces trente dernières années. On peut également mettre en évidence une particularité française, qui est l’existence d’un débat expressément consacré aux “traductions” de Humboldt, qui a fait récemment encore l’objet d’une rencontre de la Société d’histoire et d’épistémologie des sciences du langage (Lyon, février 2001), éditée par Anne- Marie Chabrolle-Cerretini sous le titre “Editer et lire Humboldt” dans les Dossiers d’HEL 1, 2002. Etat des lieux des traductions de Humboldt en français Après le long silence de la fin du XIXe siècle au dernier tiers du XXe siècle, il faut considérer sans doute que c’est une simple réédition par Maurice Molho de la traduction Tonnellé jointe à la Lettre à M. Abel-Rémusat en 1969, aux éditions Ducros de Bordeaux, qui introduisit un lent retour à Humboldt. Les éditions Ducros s’étaient spécialisées sous l’impulsion de Charles Porset dans la reprise de textes importants du patrimoine linguistique, comme Condillac, Turgot, Maupertuis. Le contexte est celui de la vogue de la linguistique, c’est-àdire du Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure, qui servait de “paradigme” des différentes branches du “structuralisme”. Cet engouement, qui passera, pour la linguistique, entraîna une certaine curiosité pour les ancêtres, comme la Linguistique cartésienne 21 de Chomsky et Les mots et les choses de Foucault (1966) avaient, de leur côté, attiré les regards sur Port-Royal et la tradition de la “grammaire générale”. Ce qui reste à ce jour la plus volumineuse réunion de textes linguistiques humboldtiens, le volume édité et traduit par Pierre Caussat dans la même collection “L’ordre philosophique” où avait paru le livre de Chomsky, Introduction à l’œuvre sur le kavi et autres essais, était déjà en chantier. Il faut dire que la tâche était immense de se mesurer à peu près seul au massif humboldtien, après un siècle d’oubli. Pierre Caussat s’y engagea à l’occasion d’une thèse commencée sous la direction de Paul Ricœur, qui parut donc en 1974. La perspective de P. Caussat n’était pas purement linguistique ou historiographique, mais philosophique - son Humboldt se tient à égale distance de la linguistique et de l’herméneutique. En fait, Caussat souhaitait présenter “tout Humboldt” au lecteur français, puisqu’en lui “tout se tient”, et dut se résoudre à regret à n’en livrer que le cœur. Le principe d’organisation de son volume est de conduire jusqu’à l’aboutissement représenté par l’Introduction au kavi en suggérant la cohérence d’un projet à la fois philosophique, linguistique et comparatiste. Il présente ainsi une introduction dense qui s’appuie sur une lettre à Schiller de septembre 1800 et sur la fin de Latium und Hellas (GS III: 167-170) pour poser les grandes lignes de la pensée humboldtienne. Outre cette introduction générale, Caussat a doté chacun des quatre textes qu’il traduit d’une introduction particulière. Il fournit Denis Thouard 92 en outre d’amples chronologies, lexiques, bibliographies et compléments qui font de son édition un instrument de travail encore utile. Le choix des textes exprime la perspective développée: ainsi Die Aufgabe des Geschichtsschreibers est-il présenté comme “le discours de la méthode de l’anthropologie cherchée et méditée” (Humboldt 1974: 37), ce qui le détourne sans doute de son objet, mais d’une façon qui n’est pas entièrement illégitime. Suit le texte programmatique Über das vergleichende Sprachstudium qui, bien qu’il soit antérieur d’une année, est plus spécifique par rapport au précédent, et présente déjà “tout Humboldt” 22 . Le choix de traduire à la suite le discours de 1826 Über den Dualis pourrait surprendre un peu plus, mais il présente l’avantage de montrer des analyses de détail tout en assumant une portée philosophique dans la mesure où le duel est la forme grammaticale qui, dans certaines langues, rend compte du phénomène de l’interlocution. La dimension dialogique placée au centre du Sprachdenken humboldtien permet d’échapper aux chimères d’une grammaire universelle immédiatement appliquée - et c’est bien Caussat qui s’étonne de la permanence de références favorables à certains tenants de la grammaire philosophique comme August Ferdinand Bernhardi (ibid., note: 129 -130). Le Humboldt de Caussat, on commence à le pressentir, est du côté de l’individualité et de la “différence” contre l’universalisme abstrait. C’est pourquoi dans L’introduction au kavi, Verschiedenheit est rendu par “différence”. Mais on peut s’étonner de voir que cette différence n’est pas prise en compte dans la traduction de l’Introduction au kavi elle-même, puisque tout ce qui concerne les langues particulières est laissé de côté au motif qu’on ne saurait “verser dans la reconstitution paléontologique” (ibid.: 27). En 1979 paraissait, dans un volume consacré à la question de l’Université et à une présentation du “modèle allemand” que l’on pourrait aussi appeler “humboldtien”, réunissant les textes de Hegel, Schelling, Schleiermacher, Fichte, publié par deux philosophes intéressés à la question de l’institution, l’un devant devenir Ministre de l’Education et l’autre Directeur des programmes. La présentation d’ensemble oppose le point de vue libéral, inspiré de Kant et repris par Schleiermacher et Humboldt, au point de vue autoritaire de Fichte et aux systèmes partiellement libéraux de Schelling et de Hegel, et rapporte chacune des positions à la philosophie de l’histoire qui la sous-tend. Dans cet ensemble préparé collectivement par le Collège de philosophie, le texte de Humboldt fut traduit par André Laks, qui devait faire paraître en 1985, dans une série commencée aux P.U. de Lille avec Jean Quillien, une traduction, réalisée avec Annette Disselkamp, de trois textes sur l’histoire (Betrachtungen über die Weltgeschichte, Betrachtungen über die bewegenden Ursachen der Weltgeschichte, Ueber die Aufgabe des Geschichtsschreibers), dont celui qu’avait traduit P. Caussat au titre d’introduction méthodologique. Ici, les textes sont repris dans la perspective d’une réflexion sur l’épistémologie de l’histoire et d’une alternative aux philosophies de l’histoire de l’idéalisme. Comme dans le volume sur l’Université, le point de vue libéral de Humboldt est opposé aux systèmes - dans cette logique, le volume de 1985 annonçait la parution des Ecrits politiques en deux volumes, dont Über die Grenzen der Staatswirksamkeit, confiés à Marianne Schaub. Près de vingt ans plus tard, le projet n’a pas abouti, malgré quelques études de la traductrice parues dans ce laps de temps. Une autre traduction de ce texte serait cependant depuis en cours… 23 Il faut attendre une dizaine d’années pour que reparaissent d’autres traductions, qui deviennent dès lors plus fréquentes. Elles doivent beaucoup à l’impulsion de Jean Quillien qui, s’il n’a pas traduit ou plutôt pas publié de traductions, les a encouragées, souvent introduites, tout bonnement rendu possibles par ses travaux publiés à Lille. Aussi est-ce l’anthropologie, son objet principal, qui fit l’objet de la traduction de Christophe Losfeld: Humboldt et la France au miroir de la traduction 93 Plan einer vergleichenden Anthropologie et Das XVIII. Jahrhundert. Le même traducteur donnait en 1999 le grand texte de la même période sur Herrmann et Dorothée, non plus sous le nom de Guillaume, mais de Wilhelm von Humboldt! Il joignait le résumé français adressé à Madame de Staël, dont Kurt Müller-Vollmer (1967) avait naguère montré l’importance. Ces très utiles traductions ne concernent pas le langage, mais les activités menées pendant son séjour à Paris à la fin du XVIIIe siècle, avec la question théorique centrale de la méthode d’une anthropologie comparée. On peut rattacher à cet intérêt la traduction toute récente par Elisabeth Beyer du Journal parisien, qui donne un aperçu contemporain des activités parisiennes de Humboldt, de ses fréquentations et de ses lectures, ainsi que de ce que Hugo nommera des “choses vues”. C’est à la fois la confrontation à la France et la question de l’anthropologie qui unifie ces travaux, favorisés sans doute par le renouveau d’intérêt pour la période post-révolutionnaire suscité par les commémorations du Bicentenaire de la R.F. 24 Le volume publié par Jean Rousseau et moi-même illustre à la fois les intérêts “français” et “linguistique” puisqu’il s’attachait à retracer la discussion sur une langue précise, le chinois, entre Humboldt et Abel-Rémusat, en fournissant l’essentiel des documents accessibles sur plus d’une décennie. Le seul texte proprement traduit était, plus d’un siècle après la version de Tonnellé, Über das Entstehen der grammatischen Formen, auquel Jean Rousseau joignait une utile note sur les langues amérindiennes. Puis la structure du débat était respectée, avec la recension de ce discours par Abel-Rémusat dans le Journal Asiatique en 1824, suivie de la Réponse de Humboldt telle que Abel-Rémusat l’avait publiée en 1828, c’est-àdire avec ses corrections (les divergences d’avec le texte du manuscrit publié par Leitzmann étant signalées en note) et suivies des Observations d’Abel-Rémusat qui poursuivaient la discussion. On avait joint le compte rendu de cette publication paru dans le Journal des savans sous la plume de Silvestre de Sacy en 1828, les lettres de Humboldt à Abel-Rémusat éditées et commentées par Jean Rousseau, enfin la partie de la lettre de Abel-Rémusat à Humboldt sur la particule Naï, parue dans le Nouveau Journal asiatique en 1833. Enfin, dans le petit volume publié dans une collection de poche et bilingue s’intéressant à la question de la langue, j’avais dû faire le choix de textes courts, si possible complets, assez représentatifs pour intéresser un public un peu large, d’où la retraduction des textes programmatiques de 1820 et 1821 (après celui de 1822), présentés avec leur bref contexte de discussion et mis sous l’exergue des propos sur la traduction de l’introduction à l’Agamemnon. 25 La possibilité de donner le texte original et par là d’introduire le lecteur dans la difficulté du “humboldtien” permettait sans doute un mode de traduction plus serré à l’original, mais surtout une constante réflexion sur la traduction, au niveau de sa pratique comme de ses principes. L’ensemble du corpus humboldtien, même en s’en tenant à Leitzmann, voire à Flitner, est loin d’être traduit à ce jour, comme on voit. On manque encore des textes les plus représentatifs, et certains devraient, comme le texte de 1835, être traduits à nouveau. Mais la situation s’améliore, malgré le renoncement au projet d’une édition française des “Œuvres” imaginée un temps par Jean Quillien et Heinz Wismann. Si Über die Grenzen der Staatswirksamkeit parvient à être traduit complètement, nous disposerons déjà d’un Humboldt politique consistant. Les écrits sur l’Antiquité, en particulier le Ueber das Studium des Altertums de 1793 qui était au centre du Humboldt et la Grèce de Quillien 26 mériteraient de l’être. Enfin, à défaut de traduire des textes proprement linguistiques, très ou trop spécifiques, les grandes synthèses, dans leurs états variés, permettraient d’entrer dans le chantier de la pensée humboldtienne: les Grundzüge des allgemeinenen Sprachtypus, dont on peut espérer qu’il seront un jour prochain traduits (et qu’il le soient par Jean Rousseau). Le Ueber die Verschiedenheiten des Denis Thouard 94 menschlichen Sprachbaues, de son côté, serait d’une grande utilité, à moins de doubler à nouveau la traduction du texte de 1835. De la diversité des images de Humboldt en France Au vu de l’état des lieux brièvement dressé, on peut faire quelques remarques sur les choix opérés par les traducteurs et donc sur leurs motivations. Il faut sans doute reconnaître que, même si ce fut de façon marginale, sans le structuralisme, sans l’enquête sur les généalogie de la “linguistique générale” 27 , il aurait fallu attendre plus longtemps encore pour tirer Humboldt de son oubli - oubli ingrat, comme on l’a vu. Humboldt est encore largement inconnu dans les années 60 et il est significatif que son nom n’apparaisse pas dans les deux volumes de l’Histoire du structuralisme 28 de François Dosse. En 1967, Georges Mounin pouvait encore, dans son Histoire de la linguistique des origines au XXe siècle, présenter Humboldt comme une sorte de romantique organiciste, “poussant à l’extrême l’idéologie romantique allemande” (Mounin 1974: 194). Mounin va jusqu’à écrire: “L’article du Mithridate sur la langue basque et le traité Ueber den Dualis sont sans doute les deux seuls travaux purement techniques, et non philosophiques, sur le langage” (ibid.: 190 -191). Les connaisseurs apprécieront! Si le contexte du structuralisme avec l’importance qu’il reconnaît à la linguistique est un élément de la timide redécouverte de Humboldt, c’est, comme on le voit, de façon très latérale. Dans les écrits de Benveniste luimême, qui présente certains intérêts en commun avec Humboldt comme celui de la “subjectivité dans le langage” et de la dimension du “discours” placé au centre de la linguistique, Humboldt ne revêt aucune importance particulière (il en va apparemment autrement de ses cahiers: c’est là un chantier à explorer). L’entreprise de Pierre Caussat tire son impulsion, en effet, d’une recherche philosophique, soutenue par Paul Ricœur qui pouvait se voir lui-même au croisement de Saussure et de Heidegger et reconnaître peut-être en Humboldt leur synthèse anticipée. Mais rien chez Ricœur, au-delà de quelques citations d’usage, ne vient étayer cette intuition. 29 A y regarder de plus près, la perspective de Pierre Caussat est bien différente. Humboldt y vaut pour sa défense inlassable de Verschiedenheit comme “différence”, contre les puissances homogénéisantes des institutions, de la raison, des centralismes. On n’exagère pas sans doute en reconnaissant la nature politique de l’intérêt de Caussat pour Humboldt, bientôt relayée et dépassé par un fort engouement pour Herder. Il est orienté à la sauvegarde des particularités, voire des particularismes et des minorités. 30 La différence, la dualité, l’irréductibilité du mot au concept, la prodigieuse puissance de reformulation constante du discours humain, ces thèmes renvoient à un engagement politique bien éloigné, on l’aura compris, de l’exhumation d’un des ancêtres du libéralisme politique. L’entreprise de La langue source de la nation sur les nationalismes séculiers engageait une réflexion plus ample sur le foisonnement culturel dans un ensemble historique aussi meuble que l’Europe, qui dépassait de loin la seule inspiration humboldtienne. Mais Humboldt fut la matrice, à bien des égards, de ce projet. Il recevait ainsi une pertinence critique inattendue, dans les conditions de l’Etat centralisé moderne, parmi les défenseurs des “singularités plurielles” (Caussat et al. 1996: 519), annonçant dans une formidable “révolution copernicienne en anthropologie” la “fin d’un monde statique et hiérarchisé, distribué par degrés descendants selon leur déficience croissante par rapport à une excellence trans-mondaine” (ibid.: 429) - lui, l’homme d’Etat, fidèle serviteur de la Prusse. Pour éclairer le contexte français, il est sans doute utile de signaler également ici comment et combien Henri Meschonnic, dans sa critique de la linguistique structurale comme soumise Humboldt et la France au miroir de la traduction 95 à la règle du signe et de l’universel abstrait, a pu régulièrement s’appuyer sur une inspiration humboldtienne, soit en écrivant dès 1975 à son sujet dans son livre programmatique Le signe et le poème 31 , soit en le convoquant dans nombre de ses ouvrages aux endroits décisifs. Plus que la différence, c’est le continu du langage “vivant”, en particulier tel qu’il se donne dans le poème et l’oralité, que Meschonnic entend sauver contre les abstractions appauvrissantes de la science linguistique ou poétique - d’où sa revendication d’une “autre” “poétique”. Comme cela est souvent le cas chez lui, c’est à l’occasion de la critique des traductions de Humboldt que Meschonnic aborde le plus directement le débat en question, comme on va le voir bientôt. 32 Hormis ce Humboldt mal aimé de la linguistique moderne, ou bien son enfant terrible, l’autre grande source de l’intérêt pour l’œuvre de Humboldt est l’anthropologie. Déjà abordée par Robert Leroux en 1958, 33 elle constitue le centre du travail imposant accompli à Lille par Jean Quillien. La perspective de Quillien relève d’une autre généalogie intellectuelle, qui remonte à Cassirer à travers Eric Weil, qui lui proposa à Lille de travailler sur Humboldt. Eric Weil pouvait se souvenir que Humboldt avait mis Cassirer sur la voie d’une extension de la critique kantienne à la culture, à partir du langage, la “forme symbolique” séminale. Cette voie est celle de l’anthropologie philosophique, d’une philosophie de l’homme dans l’histoire, d’un homme émancipé des représentations de l’absolu. C’est un Aufklärer plutôt qu’un romantique que Quillien voit en Humboldt, et son libéralisme reste orienté à des idées régulatrices porteuses de valeurs de progrès. Ce n’est donc ni l’anarchiste anti-étatique de Caussat, ni le libéral individualiste de certaines autres lectures. Humboldt représente à ses yeux l’accomplissement culturel et historique du tournant transcendantal kantien, débouchant sur la problématique des sciences humaines. Les textes publiés à Lille, qu’ils proviennent ou non de son initiative, mais aussi le Journal parisien, portent l’empreinte de cette inspiration. Le débat sur la traduction Une particularité de l’état des traductions en français était le caractère apparemment chaotique de celles-ci, ne suivant manifestement aucun plan d’ensemble, ce qui explique le nombre important de doublets, puisque quatre textes au moins se sont vus traduire deux fois. Je voudrais tenter d’expliquer en quoi cet état de fait précisément rend intéressante la situation francophone, puisque ces doublets sont l’indice d’une discussion assez intense au sujet des textes de Humboldt, développée à l’occasion des traductions. Le premier débat concerna les traductions de “La tâche de l’historien”, comme si l’on accordait à ce texte une fonction analogue à “La tâche du traducteur” de Walter Benjamin, texte étrange qui a suscité un débat interprétatif et “traductologique” au carré, au cours duquel Paul de Man a montré la présence de contresens énormes et inexplicables dans les traductions anglaises et françaises de ce texte: alors même qu’il s’agissait de phrases simples et non problématiques, les traductions faisaient dire au texte le contraire exact de ce qui était écrit. 34 Sans atteindre de tels paradoxes, la controverse au sujet de “La tâche de l’historien” revêt cependant un caractère exemplaire. La discussion sur Humboldt fut lancée par Henri Meschonnic dans un volume consacré à la question de la traduction et publié sous l’enseigne de Babel en 1985. 35 Dans son “Introduction du traducteur”, Pierre Caussat rappelait, d’accord avec “l’ensemble des éditeurs et des commentateurs”, une utile évidence: “Humboldt est difficile” (Humboldt 1974: 25). 36 En caractérisant son “style”, il notait qu’il était conforme à son refus essentiel du “code des grammairiens” et de l’application d’une structure et de Denis Thouard 96 procédés uniformes pour le traduire. De façon un peu contournée, il parlait “d’une stratégie décryptante qui se chiffre elle-même à proportion de son propre projet”, ou un peu plus clairement d’une “stratégie souterraine qui invente son code au cours de son élaboration et le remet en jeu dans son élaboration même” (ibid.). Il exprimait par là les implications herméneutiques de la prise en compte du discours dans son actualité, qui concerne aussi pour Humboldt son écriture, toujours se faisant et jamais toute faite. L’avertissement qu’il joignait à ces justes remarques était que “la ‘traduction’ [était] inévitablement condamnée à l’interprétation et [devait], presque toujours, miser sur des probabilités” (ibid.). L’accent mis sur l’interprétation exprime certainement un enjeu central de la pensée de Humboldt et de sa traduction, bien que l’idée d’une “condamnation” à l’interprétation soit peu humboldtienne, et suggère qu’il y aurait par ailleurs des traductions sans interprétations, ce qui est en contradiction avec les remarques précédentes et avec Humboldt. Le refus d’une terminologie fixe et le choix d’une progression pleine de tensions et de balancements dans sa prose donne en effet l’impression que Humboldt est en quête de la juste formulation, mais qu’en même temps celle-ci lui échappe toujours, qu’il ne peut que s’en approcher. Mais l’expression “miser sur des probabilités” inquiète le lecteur, car le traducteur se pose devant lui comme un joueur, introduisant une dose de hasard dans son travail. Certaines de ces “mises” ont été vertement pointées de sa règle par Henri Meschonnic comme relevant d’actualisations indues de Humboldt aux standards de pensée et d’expression de la linguistique moderne: par exemple, le vergleichendes Sprachstudium devient la “recherche linguistique comparative”. Le “glossaire” joint à la traduction tentait pourtant, comme c’est sans doute indispensable, une justification raisonnée de certains choix de traductions (mais des choix déroutants comme “stratégie” pour Auffassung ou “projet” pour Absicht restaient, parmi d’autres, immotivés). La traduction Laks/ Disselkamp partage le constat de difficulté dressé par Caussat: “La difficulté de la phrase et du style humboldtiens, toujours surprenants, et parfois à la limite de la correction, est connue.” (1985: 46) Mais les traducteurs s’interdisent une paraphrase qui édulcorerait le texte, quitte à rester dans la “dureté et l’obscurité” originales. Devant ces deux tentatives, l’argument de Meschonnic est que les traductions échouent à des degrés divers à rendre le continu du discours humboldtien dans son invention même, le figeant dans une terminologie étrangère, ou l’actualisant indûment, coupant les phrases ou faisant des inversions, bref l’accommodant trop - trop à son goût. Il crédite la seconde traduction d’un respect plus grand du texte, mais lui reproche son incompréhension de la “poésie” propre à Humboldt en tant que penseur. En s’appuyant sur la traduction qui “montre précisément ce qu’elle pense si bien cacher qu’elle-même ne le voit pas” (1985: 191) et qui par là “traduit et trahit sa propre théorie du langage” (1985: 192), Meschonnic entend démasquer les présuppositions théoriques des traductions. Et selon lui, elles trahissent une domination du signe sur le poème, du dualisme et du discontinu sur l’expérience subjective du langage vivant. Que l’opposition où s’installe Henri Meschonnic soit elle-même dualiste et relève donc elle aussi de cette “logique du signe” qu’il s’emploie à combattre semble lui avoir en partie échappé. A opposer radicalement le discours à la langue en regrettant que Humboldt ait été traduit à partir de la langue et non du discours, on risque fort de reproduire un schéma connu selon lequel l’être serait indéfiniment masqué par l’étant. Or la subversion humboldtienne de la langue a besoin de la langue. Il ne peut la fondre entièrement dans le mouvement continu du discours créateur. Si la mise en garde contre une “actualisation” qui “moderniserait” le texte, supposant par là même sa “désuétude” (1985: 198), est légitime, le projet d’une “poétique de la traduction” voulant défendre le texte contre les projections du sens (et une tendance irrépressible à Humboldt et la France au miroir de la traduction 97 l’abstraction quand il s’agit d’un texte perçu comme “philosophique”) reste fragile. En effet, comment vouloir défendre “l’écriture” et le texte contre le “sens”, le signifiant contre le signifié, quand il s’agit de traduire? Henri Meschonnic remarque bien les limites d’une pratique de la traduction qui passe des mots aux idées sans envisager suffisamment le mouvement d’ensemble du discours, contrainte de corriger par des ajouts et des omissions un texte récalcitrant: Ainsi les mots concrets et simples de Humboldt sont remplacés par des abstraits. Vers un style substantif, savant, à la française. Plus digne de la philosophie: ‘Die Wahrheit des Geschehenen scheint wohl einfach’ - ‘La vérité du processus peut bien présenter l’apparence de la simplicité’‘ (traduction Caussat 40 - 41; GS IV: 37). Je traduis: ‘La vérité de ce qui est arrivé paraît bien simple.’‘ Le verbe begreift, ‘conçoit’, prend un air hégélien et se gonfle en ‘faire accéder […] à la dignité du concept’ (ibid. 42; GS IV: 38). (1985: 202) 37 Qui niera que, dans le détail, certaines remarques soient justes, pertinentes bien que cruelles parfois? Le traducteur s’expose et sait qu’il s’attache plus à un travail, une energeia, qu’à une œuvre. Mais le point de vue qui gouverne ces remarques est stérile, car il veut isoler le niveau du sens, fonctionnant de façon intellectuelle, binaire, en suivant la logique si honnie du signe, de celui du texte, du signifiant, en restituant à la langue de la pensée sa dimension fondamentalement poétique (cf. Meschonnic 1985: 205). Or on peut bien se désolidariser de l’abstraction extrême qui ne pense le sens qu’à l’intérieur du modèle d’une proposition simple, selon le principe de compositionnalité, modèle courant en philosophie du langage et en linguistique, pour mettre en valeur les conditions contextuelles et holistiques de l’établissement du sens au niveau de l’ensemble du discours ou du texte, sans pour autant refuser la question du sens. Autrement dit, c’est plutôt la théorie du sens que la théorie du signe qui demande à être revue - si tant est que l’on puisse si aisément les distinguer. Ce n’est pas en remplaçant ce qui est désigné péjorativement comme une “rhétorique”, solidaire d’une conception purement logique du langage, par une “poétique” qui s’attacherait au développement immanent des signifiés que l’on saura comment traduire. Au contraire, ce pourrait être en s’imposant une compréhension plus subtile et cohérente de la pensée à l’œuvre dans le texte, sans que l’on puisse séparer un niveau “intellectuel et abstrait” d’un niveau “textuel et particulier”, car l’un n’est pas sans l’autre, selon la grande leçon de Humboldt. Opposer le “mode de signifier” et le “sens” (1985: 208) n’est possible qu’à partir d’une conception étriquée, polémique, du “sens”. Un effort herméneutique tourné précisément vers le discours et son travail incessant de reformulation des codes rend caduque une telle opposition. Le traducteur qui aura compris de quoi il s’agit sera toujours mieux armé que le meilleur “poéticien de la traduction”, mais il aura bien sûr tout à gagner de ne pas négliger la dimension “poétique” et le rythme des phrases et du discours dans l’accomplissement de sa “tâche”. 38 Le traducteur, comme l’historien, est bien, lui aussi, un “écrivain”. Plutôt que d’évoquer les autres discussions qui se sont poursuivies autour des difficultés à traduire Humboldt, tournant autour du choix des termes aussi décisifs que la Verschiedenheit ou du rôle de la traduction dans l’ensemble des activités de Humboldt, je voudrais conclure en revenant sur les nombreux cercles qui lient Humboldt aux langues et à la traduction, rendant la question de sa traduction aussi “difficile” que passionnante, mais sans doute pas “difficile” à tous égards ou pour tous les textes. La “difficulté” si souvent invoquée semble redoubler, en effet, quand les textes parlent du langage lui-même, de la traduction ou de la compréhension, dans un enroulement métalinguistique vertigineux. Que la perception Denis Thouard 98 de cette “difficulté” ait trouvé à s’exprimer de façon singulière au contact de la langue française pourrait aussi surprendre, puisque l’on sait que Humboldt a rédigé plusieurs textes, et non des moindres, directement en français, avec une sûreté étonnante. 39 Or le français de Humboldt est de peu de secours pour le traducteur, car il dissimule le travail de la langue, sensible dans les textes allemands, sous une langue normée. C’est qu’il importait à Humboldt de trouver sa pensée, sans doute, mais plus encore de se faire comprendre. Or cela supposait, avec des interlocuteurs français dont il avait éprouvé, dans sa période parisienne, le peu de capacité à entrer dans des vues nouvelles et à se défaire de l’impression d’évidente universalité de leur pensée et de leur langue, cela supposait une accommodation - à laquelle Humboldt, autant qu’il était en son pouvoir, s’est livré d’assez bonne grâce. Mais cette politesse de la pensée n’est pas l’affaire du traducteur, qui recherche le tranchant de la formulation, contre les tentations d’édulcoration de Humboldt en néo-classique ou néo-humaniste consensuel. Il serait trop optimiste de déclarer le pari gagné. Traduire “humboldtiennement” Humboldt n’est sans doute pas un objectif accessible, mais est-ce même un objectif sensé? Dans la mesure au moins où cet effort de traduction nous fait pénétrer dans le Sprachdenken de Humboldt qui est aussi un Sprachsinn, il contribue à notre compréhension en nous faisant toucher les résistances d’une pensée qui nous demeure en partie énigmatique. Sans doute est-ce là le tribut d’incompréhension dont chaque tentative de compréhension doit s’acquitter, s’il est vrai que l’ombre de la non-compréhension accompagne toute science humaine, comme le prétend Humboldt. Les traductions poseraient ainsi des limites à la recherche, servant d’aiguillon critique en quelque sorte. Mais elles ne valident pas seulement en pratique la thèse critique d’une connaissance seulement perspective, car liée aux langues, elles montrent aussi, dans le détail de leurs choix lexicaux et syntaxiques, combien elles expriment de la subjectivité des traducteurs, jusque dans les contraintes objectives qu’ils partagent avec leur temps. Les traductions nous donnent des interprétations de Humboldt qui sont autant de Sprachansichten - des vues ouvertes sur lui autant que sur nous. Notes 1 Voir W. von Humboldt: Briefe an F.A. Wolf [BW]. 2 Humboldt remarqua l’intérêt du traité dès sa parution, voir sa lettre à Wolf, 3 mars 1797 (BW: 179). Hermann fournit finalement le texte ainsi qu’une note philologique à la suite de l’introduction de Humboldt. 3 Voir Briefwechsel zwischen Schiller und W. von Humboldt [BS], et en particulier la lettre à Schiller du 7 déc. 1797 (BS, t. II: 128 -141). 4 Cf. Jean Quillien (1991). 5 W. von Humboldt: GS XIV; traduit par Elisabeth Beyer (Humboldt 2001), sous le titre de Journal parisien 1797-1799. 6 Voir GS XIV: 361, 378, 425 - 427. 7 Alfieri (1989: 197). 8 Voir Jean Rousseau / Denis Thouard (Hg. 1999). 9 Lettre à Wolf du 3 février 1797 (BW: 175). 10 Les quelques remarques sur la traduction de Humboldt n’ont qu’un caractère provisoire. Un projet d’étude envisagé avec Christoph König et Pierre Judet de La Combe après une première journée de travail à l’EHESS (28 mars 2004) se proposera un examen plus fourni. 11 Humboldt: Sur le caractère national des langues: 69. 12 Ibid.: 125. 13 Est-ce pour cela que Humboldt travaillait à Tegel à l’abri d’une “Cassandre”? Parmi les autres représentations de la plastique antique, bustes, sculptures et bas-reliefs, celle-ci se trouvait au plus près de son bureau. Humboldt et la France au miroir de la traduction 99 14 A Wolf, 17 janvier 1814 (BW: 311). Humboldt critique tout éclectisme en la matière: de même que la véritable compréhension passe par la non-compréhension systématique, l’établissement critique d’un texte doit être systématique. 15 Cf. la lettre à Wolf, 3 février 1797 (BW: 175). 16 A Wolf, 31 mars 1797 (BW: 181). 17 A Wolf, 7 février 1816 (BW: 213). 18 “Paris hat sich in den 13 Jahren, dass ich es nicht gesehen habe, ungemein verschönert. Es sind viele einzelne schöne neue Gebäude, ja ganze Strassen und Quartiere entstanden. Der Wohlstand, der Luxus, die Volksmenge hat zugenommen, die Bewegung, die schon immer so groß war, ist dadurch größer geworden. Auch in Wissenschaften und in Künsten ist das Leben und alles Interessante gestiegen. Eine solche Stadt ist mit keiner bei uns zu vergleichen.”(A Charlotte, 23 avril 1828) 19 De l’origine des formes grammaticales, par Alfred Tonnellé (1859); Recherches sur les habitants primitifs de l’Espagne à l’aide de la langue basque, par A. Marrast (1866); Essai sur les limites de l’action de l’Etat, par Henri Chrétien (1867). 20 Pour cette raison, je n’entreprendrai aucunement ici un bilan de la recherche humboldtienne en français, que je n’évoquerai que dans la mesure où elle a pu intervenir dans le débat sur la traduction et pour éclairer le contexte de ces traductions. Je m’en tiens donc à l’objectivité des textes effectivement traduits, dont les choix sont en euxmêmes significatifs. 21 Parue en 1966, traduite en 1969 par Nelcya Delanoë et Dan Sperber. 22 “Tout y est, ou du moins l’essentiel, sous la forme d’une série de couples complémentaires […].”(Ibid.: 23) 23 Cette situation d’attente a produit ce que l’on pouvait craindre: une réimpression de la traduction de Chrétien, qui ne risque pas de favoriser l’établissement d’une édition française digne de ce nom. 24 Voir les travaux de Jacques Guilhaumou (2002 et 2003) sur Sieyès et Humboldt et la présence de Humboldt comme ambassadeur kantien dans le volume De Königsberg à Paris La première réception de Kant en France de François Azouvi et Dominique Bourel (1991). 25 Voir “La difficulté de Humboldt”(Thouard 2002) pour une légitimation des choix. 26 Quillien (1983). 27 Voir Quillien (1981). 28 Dosse (1991-1992). 29 Outre Saussure, Ricœur cite plus volontiers Gustave Guillaume. L’article “La structure, le mot, l’événement”(Esprit: 1967) montre bien la fonction assignée à Humboldt, dans une de ses seules occurrences: “Mais pour interpréter correctement ce travail du langage, il faut réapprendre à penser comme Humboldt en termes de procès plutôt que de système, de structuration plutôt que de structure.”(Ricœur 1969: 95) 30 Voir ses interventions dans Esprit (1978: 278 sq.) sur le Larzac, notamment “Larzac: année 9 du mépris”. 31 Meschonnic (1975). 32 C’est ainsi qu’il aborde par exemple les œuvres de Celan (“On appelle cela traduire Celan”, dans 1973), de Heidegger (Le langage Heidegger, 1990) ou récemment de Spinoza (Spinoza. Poème de la pensée, 2002). 33 Robert Leroux (1958): L’anthropologie comparée de G. de Humboldt. 34 Cf. Paul de Man (1985: 25 - 46, et 1986: 73 -105). L’exemple est “übersetzbar” traduit par “intraduisible” - du pain béni pour la “déconstruction”. La dernière traduction d’un texte de Humboldt, “Sur la parenté des adverbes de lieu avec le pronom dans certaines langues” par Bénédicte Vilgrain, richement annotée, est proposée dans un ensemble regroupant un texte de Paul de Man sur Benjamin et un texte de Barton Byg sur “le film comme traduction” à propos du cinéma de Jean-Marie Straub et Danielle Huillet (voir Rival/ Vilgrain (Hg.) 2003: pp. 49 - 89 pour la traduction de Humboldt et son annotation). Cette publication, qui ne peut être ici analysée, confirme l’existence d’un “débat français” sur la traduction qui implique très fortement Humboldt. 35 “Poétique d’un texte de philosophe et de ses traductions. Humboldt, sur la tâche de l’écrivain de l’histoire” (Meschonnic 1985: 181-230; réédité dans H.M. 1999: Poétique du traduire). 36 La dernière traductrice en date, Elisabeth Beyer, reprend le mot: “Le destin éditorial des écrits de W. von Humboldt, lié à leur nature même, a rendu la diffusion de sa pensée malaisée et toute traduction difficile.” (Humboldt 2001: 321) Je n’ai moi-même pas échappé au terme, tout en essayant de l’expliquer et de le distinguer de l’obscurité (cf. Humboldt 2000: 16 -17 et 22). 37 Chez Disselkamp / Laks (1985), ces passages sont traduits ainsi: “Bien que la vérité de ce qui s’est produit semble une chose simple […]” (69); “parvient […] à une compréhension” (70). 38 C’est ce que j’ai cherché à argumenter dans “Goethe, Humboldt: poétique et herméneutique de la traduction” (Thouard 2000). Denis Thouard 100 *Bibliographie établie à partir de celle fournie par A.-M. Chabrolle-Cerretini pour Les Dossiers d’HEL 1, 2002 (http: / / htl.linguist.jussieu.fr/ num1/ num1.htm). 39 Abel-Rémusat ne corrige que le style, à une exception près, quand il publie la lettre que lui adresse Humboldt. Editions et traductions de Humboldt en français * Beyer, Elisabeth, Wilhelm von Humboldt. Journal parisien (1797-1799), Arles, Solin / Actes Sud, 2001 Caussat, Pierre, Introduction à l’œuvre sur le Kavi et autres essais [=La tâche de l’historien, 33 - 63; La recherche linguistique comparative dans son rapport aux différentes phases du langage, 65 -96; Le duel, 97-131; La différence de construction du langage dans l’humanité et l’influence qu’elle exerce sur le développement de l’espèce humaine ou Introduction à l’œuvre sur le kavi, 133 - 420]. Paris, Seuil, “L’ordre philosophique”, 1974. 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