Kodikas/Code
kod
0171-0834
2941-0835
Narr Verlag Tübingen
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/61
2004
271-2
Humboldt, plus d'avenier que de passé
61
2004
Henri Meschonnic
Das wichtigste Ereignis, das Humboldt wieder Zukunft gibt, ist ein zweifaches: Es ist zum einen die schon begonnene und in den nächsten Jahren fortlaufende Publikation der sprachwissenschaftlichen Schriften Humboldts, die zeit seines Lebens und darüber hinaus lange unterschätzt wurden, und es ist zum anderen paradoxerweise die Publikation der unveröffentlichten Schriften Saussures im Jahre 2002. Diese beiden Gegebenheiten haben ihrerseits zweierlei zur Folge: Einerseits erneuern sie das Verhältnis Humboldts zu Saussure, indem sie dieses entgegen der bis jetzt vorherrschenden Meinung als eine Nähe und nicht als eine Opposition verständlich machen, andererseits erneuern sie das Verhältnis Saussures zum Strukturalismus, was jetzt als Opposition und nicht als Kontinuität erscheint. So ist es möglich, das Denken Humboldts als eine Erneuerung der gesamten Sprachtheorie zu interpretieren.
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*Wir bedanken uns herzlich bei Martin Krechting für eine erste Transkription des Manuskripts (S.B. / M.M.). Humboldt, plus d’avenir que de passé * Henri Meschonnic Das wichtigste Ereignis, das Humboldt wieder Zukunft gibt, ist ein zweifaches: Es ist zum einen die schon begonnene und in den nächsten Jahren fortlaufende Publikation der sprachwissenschaftlichen Schriften Humboldts, die zeit seines Lebens und darüber hinaus lange unterschätzt wurden, und es ist zum anderen paradoxerweise die Publikation der unveröffentlichten Schriften Saussures im Jahre 2002. Diese beiden Gegebenheiten haben ihrerseits zweierlei zur Folge: Einerseits erneuern sie das Verhältnis Humboldts zu Saussure, indem sie dieses entgegen der bis jetzt vorherrschenden Meinung als eine Nähe und nicht als eine Opposition verständlich machen, andererseits erneuern sie das Verhältnis Saussures zum Strukturalismus, was jetzt als Opposition und nicht als Kontinuität erscheint. So ist es möglich, das Denken Humboldts als eine Erneuerung der gesamten Sprachtheorie zu interpretieren. Je ne risque vraiment rien en proposant une telle réflexion. Elle est même presque plus rétrospective que prospective, tant la situation de Humboldt a changé, non seulement depuis la fin du XIX e siècle, mais surtout, comme chacun le sait ici, depuis toutes les publications récentes qui à la fois rendent accessible ce qui était enfoui, et même égaré, de son œuvre, et qui ont transformé, depuis plus de trente ans, la connaissance de son œuvre. Donc, son passé est devant lui. Pour d’autres, leur avenir est derrière eux. Evidemment, cela pose un problème. Plusieurs même. Entre autres, et principalement, celui de l’intelligibilité du présent. Plus d’avenir que de passé, et plus d’avenir que de présent, tout un dossier récent du journal Le Monde 1 montrait que c’était même, chez quelqu’un comme Diderot, plus un pari sur l’avenir, et une confiance (dans sa préface à l’Encyclopédie Diderot invente un sujet du bonheur), ce qui mettait d’avance au passé ses difficultés avec les contemporains, montrant par là que la pensée produit de l’encouragement à penser. Des bonheurs de la pensée. Je dirais même qu’il y a un érotisme de la pensée. Dilthey, à propos de Humboldt, parlait “de sa sérénité et de la cohésion de sa personne” (Thouard 2002). Mais Jean Quillien retenait au contraire chez Humboldt, qui n’avait pu être ni poète ni philosophe “un sentiment d’amertume et d’échec” (Quillien 1991: 8). Il ne s’agit pas, simplement, de ce qu’on appelle la postérité, la postérité d’un penseur. Puisque justement l’histoire de cette postérité est tout autant l’histoire de la pensée du langage au XIX e et au XX e siècles. Et on y trouve Humboldt ballotté ou rabattu vers Kant, comme chez Cassirer, et, dans cette postérité Lucien Tesnière et Benveniste ne sont pas du même côté que Chomsky. K O D I K A S / C O D E Ars Semeiotica Volume 27 (2004) No. 1 - 2 Gunter Narr Verlag Tübingen Henri Meschonnic 120 Faire une liste chronologique serait ici effacer les enjeux. Et Jürgen Trabant, dans Traditionen Humboldts (1990), a montré que c’était illusoire. Justement il est d’abord remarquable que la pensée Humboldt soit encore et toujours l’objet d’un enjeu. De très grands, comme Bopp et Grimm ne sont pas dans ce cas. Sauf erreur, il ne constituent plus un enjeu. Ils seraient plutôt du côté de l’ergon que de l’energeia. Nous sommes tous, disait je crois Saint Bernard, des nains sur des épaules de géants. Je marche assis sur les épaules de Humboldt. Ça se voit certainement. Au sens (je ne suis pas le seul) où il me travaille, et je me trouve en lui. Remarquez, c’est une situation plus confortable que la situation inverse, tout aussi invisible, mais infiniment pernicieuse, où j’aime me représenter que nous avons tous ou presque sur les épaules, sans le savoir, le maître de philosophie de Monsieur Jourdain, qui nous ventriloque. Oui, certains plus que d’autres… Si je regarde derrière mon épaule, il semblerait que je ne peux faire autrement aujourd’hui que continuer et essayer de prolonger ce que j’exposais dans ce que j’appelais en 1995 “Penser Humboldt aujourd’hui” (Meschonnic 1995a). J’ai travaillé sur et avec Humboldt dès Le signe et le poème en 1975: “Humboldt ou le sens du langage”, et dans Poésie sans réponse en 1978: “Théorie du langage, théorie politique, une seule stratégie (Humboldt, Saussure selon Chomsky)”. Humboldt est dans Critique du rythme en 1982; et en 1985 dans “Poétique d’un texte de philosophe et de ses traductions: Humboldt: Sur la tâche de l’écrivain de l’histoire” dans Les Tours de Babel qui a été repris en 1999 dans Poétique du traduire; et dans Des mots et des mondes en 1991, tout entier humboldtien; dans “Penser Humboldt aujourd’hui” dans La pensée dans la langue. Humboldt et après en 1995 (Meschonnic 1995a); dans “Continuer Humboldt” (dans le dossier électronique d’Histoire-Epistémologie- Langage, édité par Anne-Marie Chabrolle-Cerretini en 2002); et encore dans “Oublier Hegel, se souvenir de Humboldt” dans Hegel. Zur Sprache. Beiträge zum europäischen Sprachdenken (Meschonnic 2002b). Et si je fais ce rappel, ce n’est pas pour m’en auréoler, mais pour dire mon angoisse aujourd’hui de me répéter, de radoter en somme. C’est pourquoi j’ai eu recours, pour éviter cette calamité, à quelques aides, pour mettre un pied devant l’autre. Juste une petite précision, si c’était nécessaire. Mais je tiens à la rappeler. C’est que quand je disais Penser Humboldt, je ne faisais pas de Humboldt le complément d’objet direct du verbe “penser”, mais un adverbe. C’est important. Ça change beaucoup de choses. Comme quand j’ai intitulé un livre Ecrire Hugo, en 1977, et un aimable contemporain avait écrit dans un compte rendu: ce n’était pas la peine, il l’avait déjà fait lui-même … Comme le disait Jürgen Trabant (2002) dans le texte du dossier électronique d’Histoire- Epistémologie-Langage sur “L’édition des œuvres linguistiques de Humboldt: le sort d’un legs intempestif”, en 1880 “son heure était passée ou, mieux peut-être, son heure n’était pas encore venue”. Le cas est impressionnant: La grammaire mexicaine en 1994 (Humboldt 1994), Le dictionnaire du mexicain en 2000 (Buschmann/ Humboldt 2000). Donc, en 1835, dit Jürgen Trabant, c’est “trop tard ou trop tôt, de toute façon à contretemps. C’est un legs intempestif”. C’est le cas de reprendre le titre de Nietzsche Unzeitgemäße Betrachtungen, des considérations intempestives (pas “inactuelles” comme le dit la traduction chez Gallimard). Et je me demande si ce n’est pas encore et toujours intempestif. La réalité historique, c’est qu’on a multiplié l’une après l’autre les manières de se débarrasser de Humboldt. Je rappelle ici le mot de Nietzsche, qui l’appelait, dans l’été 1888, “der edle Flachkopf”, “la noble tête molle” (Nietzsche 1980: 506). En fait, chaque retour à Humboldt, chaque relecture est une relance, tout sauf un ressassement. Humboldt, plus d’avenir que de passé 121 Donc à la fois c’est vrai que “la dispersion intellectuelle du legs humboldtien” est “une très belle histoire”, comme le dit Jürgen Trabant (2002), mais en même temps je la vois, de mon point de vue, comme une ironie qui a son amertume. Oui, Humboldt montre amplement que le contemporain est un mauvais moment à passer. Et comme disait Denis Thouard dans sa préface aux Lettres édifiantes et curieuses sur la langue chinoise (Rousseau/ Thouard 1999: 10): “C’est peu dire qu’il n’est pas compris de ses contemporains.” Mais surtout, et je crois que c’est ceci qui est le plus fécond, dans le cas de Humboldt, et c’est ce que fait aussi apparaître la reconnaissance tardive des écrits linguistiques, précédée de leur longue méconnaissance, c’est l’hétérogénéité des catégories de la raison, la séparation des savoirs en “sciences régionales” comme dit Horkheimer: la philosophie, à part, la linguistique, à part, et la suite: la poétique à part, l’esthétique à part, l’éthique à part, la philosophie politique à part. Et Humboldt est un antidote à ce poison. Donc c’était un “philosophe du langage”. Mais je rappelle que certains ont dit que Wittgenstein n’était pas philosophe parce qu’il ne citait pas des philosophes. Et je crois me souvenir que Pierre Caussat avait dit, très pertinemment, que Humboldt était philosophe pour les linguistes et linguiste pour les philosophes - exactement: “Philosophe, Humboldt? Du point de vue des philologues, peut-être […]” (Humboldt 1974: 14). Ainsi c’est plus grave que seulement pour “l’état de la linguistique elle-même” comme disait Jürgen Trabant (2002). Ce qui est déjà vrai, au XIX e siècle, non seulement avec “le projet de la linguistique historicocomparative”, mais avec son centrage sur l’indo-européen. Quant à la “diversité de l’esprit humain”, la quête de l’origine encore aujourd’hui en est l’opposé même. Le livre de Merritt Ruhlen sur l’origine du langage en est l’exemple vivant. C’est la nostalgie de Babel qui pousse certains, et même pas une “unité historique derrière la diversité” (Trabant 2002), mais une unité mythique. Quant à ce que Heidegger, ce grand homme de l’Être, fait de la diversité et des différences, j’ai montré dans Le langage Heidegger (Meschonnic 1990) qu’il ne pouvait comprendre grand chose à Humboldt, quand déjà Hegel n’y comprenait rien. Donc, si Humboldt recommence “à partir des années 70” (Trabant 2002), ce n’est pas seulement Humboldt qui recommence, c’est peut-être aussi un autre rapport entre les catégories de la raison, un autre rapport entre les “sciences du langage” et ce qu’on appelle la “philosophie”, dans ce que Saussure appelle la “théorie du langage”. Et c’est vrai, d’abord, que le projet de publication des écrits linguistiques est impressionnant, “18 volumes, plus 4 volumes de lettres” (Trabant 2002) plus que l’édition de l’Académie de 1903 -1936 en 17 volumes. Quand Jürgen Trabant (2002) dit: “Personne ne lit plus l’allemand en linguistique. Je ne crois pas que des chercheurs aujourd’hui apprendront l’allemand pour lire les œuvres linguistiques de Humboldt et nos commentaires”, c’est doublement impossible: 1) au nom de la sauvegarde de la diversité; 2) et parce qu’il “resterait toujours le petit problème de la langue des textes commentés mêmes, des textes de Humboldt, qui sont, à quelques exceptions françaises près, écrits en allemand”! Il est vrai que le passé, et le passif, du rapport ici, pour Humboldt, et par lui, entre la théorie du langage et la philosophie passe ou passait, par le pseudo-constat qu’il n’était pas considéré comme un philosophe tout en étant rattaché, confronté à la philosophie, en même temps qu’on ignorait - au sens anglais: on voulait ignorer - les écrits linguistiques. Mais je me trompe, ce passé est encore au présent. Car c’est toujours l’état des rapports entre les sciences du langage et la philosophie. N’étant pas charitable, je n’en citerai comme exemple que le contre-sens de Ricœur sur Saussure (Meschonnic 1990: 268 -269) et Henri Meschonnic 122 l’exemple vaut d’autant plus que Ricœur est le représentant le plus respecté de la philosophie française contemporaine, donc le plus caractéristique, le plus révélateur. Le problème de la théorie du langage, ce serait (qu’on ne le prenne ni comme une extravagance ni comme une arrogance assez insensée) d’être Humboldt aujourd’hui, dans et par la lecture renouvelée de Humboldt, d’être le Humboldt d’aujourd’hui, - comme, sur un autre plan, il y aurait à être Hugo aujourd’hui - c’est-à-dire de penser le multiple, la diversité, penser l’infini du langage, pour sortir des anthropologies de la totalité, du binaire un plus un égale tout (la sémiotisation généralisée de la pensée), de sortir de la confusion entre l’origine et le fonctionnement autant d’actualité qu’au XVIII e siècle, à en juger par Merrit Ruhlen. L’enjeu: penser la poétique comme anthropologie, la théorie du langage comme continu corps-langage, langage-poème-éthique-politique. C’est un fait qu’il y a deux attitudes, une tension entre deux attitudes: étudier Humboldt pour le connaître, ou étudier Humboldt pour nous connaître, pour le situer historiquement ou pour nous situer historiquement. C’est un faux problème, bien sûr. Les deux sont inséparables. Mais il serait hâtif et imprudent de croire que les deux vont nécessairement ensemble. Car c’est le problème d’une définition de la pensée, c’est-à-dire des diverses activités de la pensée, à ne pas confondre entre elles. Si je définis penser comme inventer de la pensée, s’inventer par une invention de pensée - et c’est ce que j’appelle d’abord penser - alors c’est toute la différence entre la théorie et le savoir: la théorie comme réflexion sur l’inconnu, le savoir comme maîtrise du connu. Or le problème du savoir, c’est que chaque savoir produit une ignorance spécifique, et ne sait pas qu’il la produit. Donc il empêche de savoir ce qu’il ne sait pas qu’il ne sait pas. En ce sens, un savoir est un maintien de l’ordre. Et l’histoire montre amplement que la pensée se heurte au maintien de l’ordre. A chaque époque. Et même chaque fois que quelqu’un invente, réinvente la pensée. Une autre activité de pensée est l’étude des inventions de la pensée. C’est le commentaire. A son tour, il peut soit renouveler une lecture - ce qui arrive, par exemple, avec Humboldt - soit transmettre du savoir. C’est la chaîne interprétative. Dans le premier cas, il participe de la pensée; dans le deuxième cas, du maintien de l’ordre. Une troisième activité de pensée est le travail d’enseignement. A son tour, il peut soit enseigner à s’inventer dans la pensée, à être des sujets, soit enseigner les savoirs à reproduire. Les deux ont une très grande diversité de dosages, mais schématiquement, on sait bien que dans l’immense majorité des cas, et selon l’âge et le niveau, l’enseignement se limite à du maintien de l’ordre. Le problème de l’érudition est donc l’historicisme. J’entends par là une limitation aux conditions historiques de production d’une pensée, alors qu’il y a aussi l’historicité, non comme situation historique seulement, mais comme invention d’une pensée, dans sa situation de pensée, et une invention telle qu’elle transforme cette situation et qu’elle continue d’agir au-delà de sa situation historique et géographique, indéfiniment. Tout en continuant de lire Humboldt, ce qui signifie aussi que je n’ai pas fini de le lire - et sans doute on n’a jamais fini de le lire - j’ai conscience que c’est peut-être seulement un certain nombre de passages, ou même de phrases, d’une force spéciale, qui ne cessent d’agir pour moi comme des relances de pensée. C’est des passages célèbres, bien sûr, comme: “Sie selbst [die Sprache] ist kein Werk (Ergon), sondern eine Thätigkeit (Energeia)” (GS VII: 46) - “La langue - le langage - n’est pas un produit mais une activité”. Et l’efficacité de cette distinction, c’est qu’elle transforme la notion de modernité. Ou c’est: “In der Wirklichkeit wird die Rede nicht aus ihr vorangegangenen Wörtern zusammengesetzt, sondern die Wörter gehen umgekehrt aus dem Ganzen der Rede hervor” (GS VII: 72) - “Dans la réalité, le discours n’est pas composé de mots qui le précèdent, mais Humboldt, plus d’avenir que de passé 123 ce sont les mots au contraire qui procèdent du tout du discours”. Et encore: “Die Sprache liegt nur in der verbundenen Rede, Grammatik und Wörterbuch sind kaum ihrem todten Gerippe vergleichbar” (GS VI: 147) - “Il n’y a de langue que dans le discours lié, grammaire et dictionnaire peuvent à peine se comparer à son squelette mort.” Je les relis pour le plaisir, même si ces propositions sont archi-connues, mais je ne vais pas abuser de ce plaisir et vous réciter tout Humboldt! Ce qui est frappant, ici, c’est un rapport remarquable, doublement, à Saussure, pour la pensée et pour les avenirs de la pensée. Ce rapport entre Humboldt et Saussure est rendu ostensible par la publication, en janvier 2002, des Écrits de linguistique générale, qui renouvellent fortement la connaissance de Saussure. Premier rapport: l’importance première du discours chez les deux. Elle n’apparaissait pas, avant, dans le Cours. Et c’est Thätigkeit et Wechselwirkung chez Humboldt et l’activité du sujet parlant qu’il désignait par Beredsamkeit, qui ne signifie pas alors “éloquence”, P. Caussat traduisait “volubilité”. En parallèle avec systématicité chez Saussure. Deuxième rapport: une longue méconnaissance, pour Humboldt, pris dans la psychologie des langues de Wundt et d’autres, et dans la grammaire générative de Chomsky, et comparable à une longue méconnaissance de Saussure, pris dans une fausse continuité avec le structuralisme alors qu’à mes yeux le structuralisme (Prague mis à part) est systématiquement un ensemble de contresens sur Saussure. Et je crois bien que c’est ce que les linguistes continuent d’enseigner. C’est pourquoi je suggère un petit tableau en 9 points où tout les oppose: Saussure le structuralisme sémiologie sémiotisme le lien langue-parole, discours l’opposition langue / parole synchronie-diachronie = histoire l’opposition synchronie (état) / diachronie (histoire) associatif / syntagmatique paradigmatique / syntagmatique système structure le radicalement arbitraire du signe comme historicité radicale l’arbitraire compris comme du conventionnalisme la théorie du langage postule une poétique l’opposition entre le rationalisme du Cours / la folie des anagrammes une systématicité toute déductive du descriptivisme le continu le discontinu Et c’est précisément le moment de rappeler qu’on opposait Saussure à Humboldt (ce que faisait, par exemple, Jean Quillien) dans la mesure même où on comprenait Saussure à travers le structuralisme, et comme l’ancêtre, le père du structuralisme. Or je pose le contraire, doublement: d’abord, les affinités conceptuelles entre Humboldt et Saussure; ensuite, ce curieux parallèle, qui consiste en ceci que, chacun à sa manière, tous deux ont plus d’avenir que de passé, et connaissent récemment des relances de cet avenir. Et ces relances mêmes les rapprochent davantage. D’où quelques observations. Du point de vue de l’attention au concept, que peut nous apprendre le non-rapport de Saussure au structuralisme, je proposerais que peut-être on ne Henri Meschonnic 124 traduise plus Bau par “structure” mais par construction, plus neutre et qui ne glisse pas subrepticement vers la confusion structuraliste entre système et structure. Et si Saussure, lui-même relancé par son propre avenir, contribue à relancer Humboldt, et une pensée de la systématicité, du discours, est-ce qu’on ne peut pas voir un autre prolongement de Humboldt, il me semble, pour le rôle reconnu à la traduction - “élargir la signifiance et la capacité expressive de sa propre langue” (Humboldt 2000: 35 -37) - dans la préface fameuse de Walter Benjamin (1921) à sa traduction de poèmes de Baudelaire, “La tâche du traducteur”. Avec d’ailleurs le même mot, Aufgabe, que dans l’article de Humboldt sur “l’écrivain de l’histoire”. Car c’était la même reconnaissance que l’identité advient seulement par l’altérité, que chez Humboldt. Mais je crois que chez Humboldt elle était plus pensée en terme de discours, alors que Walter Benjamin, il me semble, situe l’inversion des directions en termes de langue, non de discours. En quoi, même si la plupart ne semblent pas le voir, tant ce texte de Walter Benjamin a été isolé et célébré, je dirais qu’il régresse peutêtre par rapport à Humboldt. C’est un avenir, et c’est pourtant un passé. Autre effet de théorie du rapprochement entre Humboldt et Saussure, il faudrait aussi faire attention à ne pas prendre, aujourd’hui, système au sens du XIX e siècle, au sens de Hegel et de Victor Cousin 2 , système comme fermeture de doctrine. Le refus des systèmes n’a rien à voir avec la systématicité de la pensée qui est une cohérence, mais une cohérence ouverte de l’intérieur parce qu’on n’a jamais fini de l’explorer, une cohérence qui s’invente et se reconnaît, et qu’elle postule l’infini de l’histoire et du sens. Et on est encore loin d’avoir exploré tout ce qu’implique l’historicité. La systématicité, c’est ce que Spinoza appelait concatenatio. Justement Humboldt parle de Zusammenhang der Rede. Et bien sûr, le sens développé est “ce qui tient ensemble le discours” comme, à un endroit, le traduit Denis Thouard (2002), et à un autre, “connexion”. Mais comment ne pas remarquer que Zusammenhang, c’est exactement le sémantisme du grec sustêma. Et c’est d’avance le mot, et le concept, de Saussure. Autre point de discussion, si on garde en mémoire la Wechselwirkung, je ne sais pas si on a raison de dire que “la pensée de Humboldt n’est en rien dogmatique et déductive” (Thouard 2002). Car il n’y a pas lieu de solidariser dogmatif et déductif, à moins de s’en tenir au sens du XIX e siècle de système. Et la pensée de Humboldt n’est certainement pas dogmatique, mais je crois qu’elle implique une relation déductive, par interaction: la systématicité de Saussure, qui est loin lui aussi d’être dogmatique. La systématicité est nécessairement postulée dans le fameux usage infini de moyens finis: “Sie [die Sprache] muß daher von endlichen Mitteln einen unendlichen Gebrauch machen” (GS VII: 99). Autre confirmation, toujours dans la différence bien sûr entre les deux pensées, mais dans leur rapprochement: la Geltung, la valeur (GS VII, § 31), à rapprocher de la valeur de Saussure. Mais de plus il y a un lien qui tient ensemble systématicité et discours, c’est la notion de point de vue, dans les Ecrits de Saussure. Et elle aussi fait un lien avec Humboldt. Car il y a une nécessité du point de vue, chez Humboldt comme chez Saussure, quand Humboldt écrit: Wie man es immer anfangen möge, so kann das Gebiet der Erscheinungen nur von einem Punkt ausser demselben begriffen werden, und das besonnene Heraustreten ist eben so gefahrlos, als der Irrthum gewiss bei blindem Verschliessen in demselben. Die Weltgeschichte ist nicht ohne eine Weltregierung verständlich. (GS IV: 50) Quelle que soit la façon dont on s’y prenne, le domaine des phénomènes ne peut être saisi qu’à partir d’un point qui lui soit extérieur, et le quitter avec circonspection ne comporte aucun danger, tout comme l’erreur est assurée, lorsqu’on s’y enferme aveuglément. L’histoire mon- Humboldt, plus d’avenir que de passé 125 diale n’est pas compréhensible sans un gouvernement mondial. (trad. franç. in: Humboldt 1985: 81) Ainsi, tous deux, Humboldt et Saussure, dans une communauté étonnante de pensée et de méconnaissance ultérieure de leur pensée fournissent deux exemples remarquables de ce que je proposerais comme exemples pour un prolongement d’une pensée fameuse de Saint Augustin dans ses Confessions (livre XI, chapitre 18). Il était sans doute le premier à proposer qu’au lieu de la séquence linéaire courante passé - présent - futur, encore aggravée par la représentation tout aussi courante que le présent n’est rien, puisqu’il ne cesse de passer), mon enfance n’est plus, disait-il, mais quand j’y pense c’est au présent, mon avenir n’est pas encore, mais quand j’y pense, c’est au présent. Donc, il ne le théorisait pas ainsi, mais c’était implicite, il y a un présent du passé, un présent du présent, un présent du futur. En somme, d’un certain point de vue (notion de Saussure dans ses Ecrits), il n’y a que des présents. Trois présents différents, en même temps. Et je propose de prolonger cette intuition d’Augustin: il y a trois passés et trois futurs: un passé du passé, un passé du présent, un passé du futur, et un futur du passé, un futur du présent, un futur du futur. Ce n’est pas du tout un jeu de langage, et je peux le prouver. Un passé du passé: un certain Poisson, auteur célébrissime de comédies au XVIII e siècle. Totalement oublié. Et Sully Prudhomme, premier Prix Nobel de Littérature en 1901. Une parabole à lui seul. Un passé du présent: je ne citerai pas de noms par charité chrétienne - c’est la banalité même. Mais par exemple continuer d’enseigner un Saussure structuraliste, c’est un passé du présent. Un passé du futur: tout le travail de la théorie est là. Exemples du passé: les savoirs médicaux du XVII e siècle sur la diffusion du sang, contre Harvey qui découvre la circulation du sang. Et certains aspects qui semblent avoir un futur sont d’avance au passé. Evidemment, le problème est qu’on ne le sait pas. Un futur du passé: ici, beaucoup d’exemples. C’est sans doute, avec le passé du passé, le cas le plus fourni. - Maurice Scève (Délie, 1534) recommence en 1828, et vraiment en 1920. - Jean de Sponde en 1935 (grâce à Alan Boase), édité en 1949. - Xavier Forneret est exhumé par André Breton. - L’art des cavernes commence en 1911 - avant, ce qu’on en connaissait n’était pas considéré comme de l’art. - Hugo aussi n’est plus, après les surréalistes, ce qu’il était en 1904. Et ici Humboldt et Saussure ont leur place. Mais c’est aussi ce qui est arrivé à Diderot, qui ne misait pas sur son présent. C’est d’ailleurs une situation plus fréquente qu’on ne croit, tant l’histoire culturelle à la fois la cache et la montre - comme pour Dada et le surréalisme, de leur temps. Mais aussi Verlaine et Mallarmé. Max Nordau, comme Zola et Brunetière, pensait que c’étaient des débiles mentaux et des charlatans. Et j’ajouterais ici la pensée du réalisme et du nominalisme, que les spécialistes muséifient au Moyen Âge alors que j’y vois une donne fondamentale du langage. J’y reviens plus loin. Un futur du présent? Mais si dans le même temps présent, il y a trois présents (un passé du présent, un présent du présent, un futur du présent), il y a certainement des rencontres qui Henri Meschonnic 126 se font, entre certains contemporains, et d’autres qui ne peuvent pas se faire. Il y a donc des contemporains qui ne sont pas des contemporains. Un futur du futur? C’est le problème des prévisions, des vraisemblances, et des conflits entre la pensée et le culturel, le problème des bouleversements du savoir par la théorie. Certainement la catégorie la plus hasardeuse. Mais j’ai pourtant un exemple tout prêt. C’est que Humboldt a déjà commencé d’avoir le futur de son passé, mais Benveniste en est encore à attendre l’avenir de son avenir. Car au Colloque de Cerisy de 1995, vingt ans après la mort de Benveniste, on a pu apprendre qu’il y avait des centaines de pages manuscrites de Benveniste sur la poétique, à part des reprises d’articles qui feraient un tome 3 des Problèmes de linguistique générale, et ces manuscrits sont encore pour longtemps inaccessibles. Or le peu qu’on a pu en apprendre laisse espérer des aspects qu’on ne connaît pas de Benveniste. Un futur du futur? J’y ajouterais cet exemple, ou cette proposition, que peut-être l’effet l’un sur l’autre du renouvellement de Saussure, du renouvellement de Humboldt, ayant des chances de produire un renouvellement dans la théorie du langage, on pourrait imaginer un jour où l’obscurité de Humboldt deviendrait autant une clarté que je crois on a pu constater un tel passage de l’obscurité à la clarté pour Maurice Scève (au point que c’est son obscurité qui est devenue difficile à expliquer), et je verrais aussi se faire ce passage pour Mallarmé: j’ai écrit un essai que j’ai appelé “Oralité, clarté de Mallarmé” (Europe, janvier-février 1998, n°spécial Stéphane Mallarmé). Ce sont des contemporains qui sont de futurs obscurs. Mais d’ailleurs, ce “plus d’avenir que de passé” n’est pas un bloc, un massif homogène. Il y a aussi, bien sûr, et c’est bien connu, des éléments dans la pensée du langage qui, chez Humboldt, sont du ergon plus que de l’energeia. C’est par exemple l’idée d’une perfection d’une langue, dans un type - c’était l’époque de l’admiration du modèle flexionnel - et il y avait chez Humboldt l’idée d’une perfection de la langue grecque. Mais, par contraste même, cette marque d’époque fait d’autant ressortir que, avant Saussure, Humboldt met l’origine dans le fonctionnement: “pour inventer ce langage, il fallait déjà l’humanité” (Humboldt 1974: 80). Cependant, je viens de m’apercevoir que cette idée des trois passés et des trois futurs, que je croyais inventer, n’est pas tout à fait nouvelle, sinon peut-être dans tout son développement, car, partiellement, c’est même une banalité, puisque je viens de me rendre compte qu’une collection, aux éditions du Seuil, s’intitulait “L’avenir du passé”, à propos d’un livre, d’ailleurs, dont le titre me ferait plutôt le mettre dans le passé du passé, puisque c’est Adieu les philosophes, Que reste-t-il des Lumières? de Jean-Marie Goulemot, dont un compterendu figurait sur la même page du Monde du 28 décembre 2001 (p. 27) où il y avait un compte rendu sur le Journal parisien de Humboldt, et cet Adieu aux philosophes faisait état de “cruelles révisions”, de l’”archéologie improbable de l’intellectuel”, en pointant en particulier sur l’oubli où est tenu Montesquieu. Mais en disant “plus d’avenir que de passé”, je ne veux nullement impliquer une sorte de progrès, de progressisme dans l’histoire, une histoire linéaire de la pensée du langage. J’ai trop présente à l’esprit la pensée de Groethuysen (1931), dans Anthropologie philosophique, des discontinuités de l’individuation, donc des régressions. Je n’aurai donc pas cette naïveté. S’il n’y a que des points de vue sur le langage, il n’y a que des stratégies, donc pas de vérité (unique, et à interpréter, comme semblent faire certains philosophes en lisant des poèmes), pas plus de progrès dans la pensée que de progrès en art. S’il en fallait un seul indice, je mentionnerais la permanence mondialisée de Heidegger. Humboldt, plus d’avenir que de passé 127 Il me semble que l’objet - et l’enjeu - réel du renouveau de Humboldt, ce dont il est peutêtre le plus bel exemple, avec Saussure, c’est le devenir de la théorie du langage à travers son histoire, c’est l’avenir même de la théorie du langage. Ici, d’ailleurs, Saussure, à travers ses Écrits de linguistique générale édités il y a deux ans, donc aussi Saussure dans son propre avenir, travaille à l’avenir de Humboldt. De ce point de vue, comme Jürgen Trabant (2002) l’a montré, l’histoire des publications récentes des textes de Humboldt, des traductions de ses textes et des commentaires qui en renouvellent la lecture, cette histoire va dans le même sens que ce qui a lieu avec Saussure. Ce qui est frappant aussi, et qui renforce le rapport entre Humboldt et Saussure, en plus que tous deux sont des penseurs du point de vue et des penseurs de la systématicité (Wechselwirkung), c’est une analogie troublante. Ce n’est pas seulement que, dans les deux cas, il y ait publication étonnamment tardive d’écrits demeurés inaccessibles, mais dans les deux cas il y a cette alliance contradictoire entre une pensée systématique et une écriture fragmentaire et inachevée. Ce qui est en jeu, par Humboldt, et grâce à son avenir, c’est, par sa lecture et au delà, le renouveau d’une pensée du réalisme et du nominalisme, et particulièrement par la reconnaissance qu’il ne s’agit pas là d’une querelle médiévale mais d’une donne fondamentale du langage, la reconnaissance et le développement des effets éthiques et politiques du nominalisme comme sens de la diversité et des différences, où je tendrais à inclure la poétique dans une éthique en acte du langage. Car si je considère cette dualité de points de vue sur le langage en quoi consiste le couple réalisme-nominalisme, il est clair que jusqu’ici ces notions étaient remises au Moyen Age, à une querelle du temps d’Abélard. Autrement dit, la conceptualité qui se joue là était mise au passé, et en somme oubliée. Au point que j’ai vu des professionnels de la pensée s’embrouiller dans les distinctions. Et, entre autres, j’avais, en 1995, dans Politique du rythme, politique du sujet (Meschonnic 1995b), montré “comment le réalisme de Heidegger est vu comme un nominalisme par Rorty.” Un effet de la pensée Humboldt que peut dégager sa reconnaissance est la fécondité théorique du nominalisme, et le renouveau ainsi d’une vision sur le réalisme. Sur les effets éthiques et politiques du réalisme dans le théologico-politique. Ici, juste une petite observation, qui s’inscrit tout à fait dans la pensée nominaliste du langage. C’est que le débat de la Table Ronde du dossier électronique d’Histoire- Epistémologie-Langage (Chabrolle-Cerretini (Hg.) 2002) semblait opposer diversité et différence, comme le faisait Denis Thouard (2002). Mais il est remarquable que Verschiedenheit est un mot qui a les deux concepts, ce qui joue aussi sur le rapport singulier/ pluriel. Ainsi, dans sa traduction de l’Introduction à l’Agamemnon de Humboldt, Denis Thouard, à deux lignes de distance (Humboldt 2000: 34 -35) traduit Verschiedenheiten par “des différences” et Verschiedenheit par “diversité” et il a, à mon sens, tout à fait raison. Ce qui montre bien le lien entre les deux concepts, même si c’est “l’altérité qui est au cœur de la discussion” (Thouard 2002). Et le passage du pluriel au singulier, de Verschiedenheiten à Verschiedenheit chez Humboldt, de 1827-1830 à 1835, est révélateur du caractère synthétique de la diversité, par rapport au caractère analytique du pluriel. Comme autre prolongement de la Table Ronde, je me permettrais de suggérer qu’il n’y a pas de dualité poétique/ théorie (Thouard 2002). Parce que du point de vue où je me place, la poétique est la théorie, au sens où la théorie est la réflexion sur l’inconnu, sur ce que les savoirs tels qu’ils sont constitués (essentiellement le signe) empêchent de savoir: le continu corps - langage, le poème comme acte éthique et système de discours, le continu langagepoème-éthique-politique. Henri Meschonnic 128 Et je voudrais ici tâcher, sans trop espérer y réussir, d’éclaircir une certaine imcompréhension qu’il peut y avoir sur ce que j’appelle la poétique. Mot remarquable par l’addition de concepts différents qui ont pu s’y loger, d’Aristote à Jakobson et Genette…Je sais bien qu’il faut ne pas se comprendre pour se comprendre, et que les deux sont liés, que “tout comprendre est toujours en même temps un non-comprendre” - “Alles Verstehen ist daher immer zugleich ein Nicht-Verstehen” (GS VII: 64), mais je tiens quand même à essayer d’éliminer quelques malentendus, dans la mesure où j’essaye de penser Humboldt, et où l’histoire même de la poétique et de la pensée du langage, toutes deux dominées par la pensée du signe, produit spontanément, je veux dire historiquement, du contresens. C’est toujours le combat du signe et du poème. Mais j’ai justement essayé de montrer, dans le travail sur Spinoza que j’ai intitulé Spinoza, poème de la pensée (Meschonnic 2002c) que le signe, ou le style, ou l’absence de la théorie du langage, chez les philosophes, était du passé de la pensée. Il y a la question du rapport entre la poétique et la pensée, ce qui appelle d’abord une précision sur ce que j’entends par poétique. La littérature, dit d’une belle formule Denis Thouard, est le “laboratoire de l’energeia des langues” (Thouard 2002). Je dirais plus largement l’invention de pensée - sous toutes les formes. C’est tout le problème du rapport entre la théorie du langage et la poétique, où je prendrais garde de ne pas y voir un immanentisme à moins de la considérer comme une démarche formelle. Auquel cas, à son insu, on pense dans le dualisme du signe, “en forme et en sens” (Thouard 2002). Si la poétique est l’étude du mouvement du sens, il ne peut plus s’agir de “formalisation” (Thouard 2002), entendue comme “poéticité” et opposée à l’”argumentation”, elle, du côté de l’”universalité”. Et il n’y a pas une “logique des idées” à “privilégier” par rapport à un “respect du rythme” (Thouard 2002), qui retrouve du coup son acception classique, et c’est aussi un passé du présent, parce que le rythme et les idées sont un seul et même mouvement. Rien à voir avec le “langage naturel où joue le rythme” (Thouard 2002), puisque c’est un système de discours. Ce qui met aussi au passé de la pensée l’identification de la poétique à l’esthétique. De ce point de vue, la poétique englobe une herméneutique: elle est l’étude de l’energeia. Mais si je regarde l’ensemble des présents, je veux dire le passé du présent, le présent du présent, le futur du présent, en même temps que le présent du passé et le présent du futur, je me dis que peut-être l’energeia, c’est d’avoir plus de futur que de présent. Chacun ses illusions, mais aussi qu’est-ce que l’avenir, sinon d’être comblé de présents… Notes 1 Le Monde. Dossiers et Documents sur “Diderot un esprit libre” (janvier 2004). 2 Denis Thouard (2002) disait que Humboldt “s’est libéré d’un autre fétichisme, celui du système”. Références bibliographiques Saint Augustin (1926): Confessions. Bd. 2. Paris: Les Belles-Lettres. Benjamin, Walter (1921): Die Aufgabe des Übersetzers. In: ders.: Gesammelte Schriften. Bd. IV.1 (Hg. Rolf Tiedemann / Hermann Schweppenhäuser). Frankfurt am Main: Suhrkamp 1980: 9 -21. Buschmann, Eduard / Humboldt, Wilhelm von (2000): Wörterbuch der Mexicanischen Sprache (Hg. Manfred Ringmacher). Paderborn: Schöningh. Chabrolle-Cerretini, Anne-Marie (Hg.) (2002): Wilhelm von Humboldt - Editer et lire Humboldt. In: Les dossiers de HEL n° 1 [supplément électronique à la revue Histoire Epistémologie Langage]. Paris: SHESL [URL: http: / / htl.linguist.jussieu.fr/ dosHEL.htm]. Humboldt, plus d’avenir que de passé 129 Goulemot, Jean-Marie (2001): Adieu les philosophes. Que reste-t-il des Lumières? Paris: Seuil. Groethuysen, Bernhard (1931): Anthropologie philosophique. Paris: Gallimard 1980. Humboldt, Wilhelm von (1903 -36): Gesammelte Schriften. 17 Bde [GS] (Hg. Albert Leitzmann u.a.). Berlin: Behr. - (1974): Introduction à l’œuvre sur le kavi et autres essais (tr. Pierre Caussat). Paris: Seuil - (1985): La tâche de l’historien (tr. Annette Disselkamp / André Laks, intr. Jean Quillien). Lille: PUL. - (1994): Mexicanische Grammatik (Hg. Manfred Ringmacher). Paderborn: Schöningh. - (2000): Sur le caractère national des langues et autres écrits sur le langage (tr. Denis Thouard). Paris: Seuil. Meschonnic, Henri (1975): Humboldt ou le sens du langage. In: ders.: Le signe et le poème. Paris: Gallimard: 123 -139. - (1977): Ecrire Hugo. Pour la poétique IV. 2 Bde. Paris: Gallimard. - (1978): Théorie du langage, théorie politique, une seule stratégie (Humboldt, Saussure selon Chomsky). In: ders.: Pour la poétique V. Poésie sans réponse. Paris: Gallimard: 317-395. - (1982): Critique du rythme. 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