lendemains
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
2022
47185
lendemains La bande dessinée au féminin: tendances, thèmes, styles 185 47. Jahrgang lendemains Etudes comparées sur la France / Vergleichende Frankreichforschung Ökonomie · Politik · Geschichte · Kultur · Literatur · Medien · Sprache 1975 gegründet von Evelyne Sinnassamy und Michael Nerlich Herausgegeben von Evelyne Sinnassamy und Michael Nerlich (1975-1999), Hans Manfred Bock (1988-2012) und Wolfgang Asholt (2000-2012) Herausgeber / directeur: Andreas Gelz Wissenschaftlicher Beirat / comité scientifique: Clemens Albrecht · Wolfgang Asholt · Hans Manfred Bock (†) · Corine Defrance · Alexandre Gefen · Roland Höhne · Dietmar Hüser · Alain Montandon · Beate Ochsner · Joachim Umlauf · Harald Weinrich (†) · Friedrich Wolfzettel Redaktion / Rédaction: Frank Reiser, Cécile Rol Titelbild: Bild von Amy Z auf Pixabay (www.pixabay.com/ images/ id-3236539) lendemains erscheint vierteljährlich mit je 2 Einzelheften und 1 Doppelheft und ist direkt vom Verlag und durch jede Buchhandlung zu beziehen. Bezugspreise: Abonnement Printausgabe jährlich: Institution € 82,00, Privatperson € 59,00 (zzgl. Porto); Abonnement Printausgabe + Online-Zugang jährlich: Institution € 96,00, Privatperson € 67,00 (zzgl. Porto); Abonnement e-only jährlich: Institution € 85,00, Privatperson € 62,00; Einzelheft: € 28,00 / Doppelheft: € 56,00 Kündigungen bis spätestens sechs Wochen vor Ende des Bezugszeitraums. Änderungen der Anschrift sind dem Verlag unverzüglich mitzuteilen. Anschrift Verlag/ Vertrieb: Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG, Dischingerweg 5, D-72070 Tübingen, Tel.: +49 (0)7071 97 97 0, Fax: +49 (0)7071 97 97 11, info@narr.de. lendemains, revue trimestrielle (prix d’abonnement : abonnement annuel edition papier : institution € 82,00, particulier € 59,00 (plus taxe postale) ; abonnement annuel edition papier plus accès en ligne : institution € 96,00, particulier € 67,00 (plus taxe postale) ; abonnement annuel en ligne : institution € 85,00, particulier € 62,00 ; prix du numéro : € 28,00 / prix du numéro double : € 56,00) peut être commandée / abonnée à Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG, Dischingerweg 5, D-72070 Tübingen, tél. : +49 (0)7071 97 97 0, fax : +49 (0)7071 97 97 11, info@narr.de. Die in lendemains veröffentlichten Beiträge geben die Meinung der Autoren wieder und nicht notwendigerweise die des Herausgebers und der Redaktion. / Les articles publiés dans lendemains ne reflètent pas obligatoirement l’opinion de l'éditeur ou de la rédaction. Redaktionelle Post und Manuskripte/ Courrier destiné à la rédaction ainsi que manuscrits: Prof. Dr. Andreas Gelz, Albert-Ludwigs-Universität Freiburg, Romanisches Seminar, Platz der Universität 3, D-79085 Freiburg, eMail: andreas.gelz@romanistik.uni-freiburg.de, Tel.: +49 761 203 3188. Gedruckt mit freundlicher Unterstützung der Dr. Jürgen und Irmgard Ulderup Stiftung. © 2023 · Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG Druck und Bindung: CPI books GmbH, Leck Gedruckt auf alterungsbeständigem Papier. ISSN 0170-3803 ISBN 978-3-8233-2000-5 l’esperance de l’endemain Ce sont mes festes. Rutebeuf Sommaire Editorial .................................................................................................................... 2 Dossier Marina Ortrud Hertrampf / Frank Leinen (ed.) La bande dessinée au féminin: tendances, thèmes, styles Marina Ortrud Hertrampf / Frank Leinen: Présentation............................................. 4 Jan Baetens: Sept ans d’amour, deux ans après. Quelques notes sur l’intégrale de Fraise et Chocolat (Aurélia Aurita).................................................... 10 Marie Weyrich: La création au féminin et l’écriture du Moi sous différentes déclinaisons: les autrices belges Anaële Hermans (Les amandes vertes. Lettres de Palestine) et Alix Garin (Ne m’oublie pas) ......... 23 Beatrice Nickel: Eros und weiblicher Logos: Perspektiven auf die BD érotique au féminin........................................................................................... 37 Helene L. Bongers: Frauendarstellungen in Catherine Meurisses Moderne Olympia. Eine bande dessinée als feministische Kunst-Geschichte ...... 52 Charlotte Krauss: L’accès des femmes aux premiers rôles: les scénarios de Julie Birmant ............................................................................... 69 Maxi Bräuer / Imke Heine / Karen Struve: „Ce n’est pas réel mais c’est vrai.“ Interview avec Lou Lubie ....................................................................................... 84 Claus D. Pusch: La BDQ au féminin. Auteures et œuvres québécoises - un aperçu ............................................................................................................... 92 In memoriam Wolfgang Asholt: Hans Manfred Bock (1940-2022) ............................................. 107 2 DOI 10.24053/ ldm-2022-0001 Editorial Editorial Das Dossier dieses Hefts „La bande dessinée au féminin: tendances, thèmes, styles“ steht ganz im Zeichen eines scheinbaren Widerspruchs: „La BD féminine n’existe pas? ! “ [Ein weiblicher Comic existiert nicht? ! ], so die knappe und paradoxe Ausgangshypothese der beiden Herausgeber: innen, Marina Ortrud Hertrampf und Frank Leinen. Mit einem gleichzeitigen Frage- und Ausrufezeichen eröffnen sie jenen Raum zwischen kritischer Beobachtung (es gibt keinen weiblichen Comic) und zögerlicher Frage (gibt es tatsächlich keinen weiblichen Comic? ), den die verschiedenen Beiträge des Dossiers ausmessen. Sie kartographieren die neuere und neueste Comic- Produktion frankophoner Autorinnen und problematisieren dabei auch und gerade die Vorstellung von einem ‚weiblichem Comic‘, der weiblichem Schreiben bzw. Zeichnen eine Nische zuzuweisen und kreative Vielfalt wie individuelle Qualitäten zu nivellieren scheint. Dabei lässt sich nicht leugnen, dass der Comic als gerade in Frankreich hoch entwickelte Kunstform mit populären Wurzeln lange Zeit nicht nur v. a. von Männern geschrieben und gezeichnet, sondern auch von einem männlichen Publikum gelesen worden ist. Auf diesen Umstand ist es zurückzuführen, dass die Themenwahl und die Darstellung der Figuren, hier insbesondere der Frauen, im wesentlichen einseitig ausgefallen ist. Wie sich diese Tatsache nach und nach geändert hat, welche neuen Perspektiven auf die Geschlechterbeziehungen bzw. die Geschlechterdifferenz geworfen wurden und werden und wie Frauen als Autorinnen und Zeichnerinnen v. a. seit dem Beginn Le dossier de ce numéro intitulé „La bande dessinée au féminin: tendances, thèmes, styles“ est placé sous le signe d’une apparente contradiction: „La BD féminine n’existe pas? ! “ Telle est l’hypothèse de départ brève et paradoxale des deux éditeurs.trices, Marina Ortrud Hertrampf et Frank Leinen. En utilisant à la fois le point d’interrogation et d’exclamation, ils ouvrent cet espace entre observation critique (il n’y a pas de BD féminine) et interrogation prudente (n’y a-t-il vraiment pas de BD féminine? ), espace qu’évaluent les différentes contributions du dossier. Ils dressent une cartographie de la production récente et actuelle de bandes dessinées d’autrices francophones tout en problématisant en particulier le concept de ‚bande dessinée féminine‘ qui semble attribuer une niche à l’écriture ou au dessin féminin et niveler à la fois la diversité créative et les qualités individuelles. Il est indéniable que la bande dessinée, qui en France est un genre artistique très évolué, aux racines populaires, a longtemps été non seulement écrite et dessinée avant tout par des hommes, mais aussi lue par un public masculin. C’est la raison pour laquelle le choix des thèmes ainsi que la représentation des personnages, en particulier des femmes, étaient essentiellement partiaux. Ce numéro de lendemains analyse l’évolution progressive de ce phénomène, les nouvelles perspectives qui s’ouvrent alors en ce qui concerne les rapports entre les sexes ou la différence liée au genre et comment les femmes, en tant qu’autrices et dessi- DOI 10.2357/ ldm-2022-0001 3 Editorial der 2000er Jahre das Medium und seine Gattungen verändert, wenn nicht revolutioniert und damit Leserinnen hinzugewonnen haben, wird in diesem Heft von lendemains analysiert. natrices, surtout depuis le début des années 2000, ont changé, voire révolutionné la BD et ses genres pour ainsi conquérir des lectrices. Andreas Gelz 4 DOI 10.24053/ ldm-2022-0002 Dossier Marina Ortrud Hertrampf / Frank Leinen (ed.) La bande dessinée au féminin: tendances, thèmes, styles Introduction Dans la bande dessinée, les femmes ont longtemps été représentées presque exclusivement par des personnages dessinés par des hommes et dont l’apparence et les actions correspondaient généralement aux attentes d’un lectorat majoritairement masculin. Des exceptions, comme Claire Bretécher (Les Frustrés) ou Chantal Montellier (Andy Gang; Odile et les Crocodiles) 1 publiée dans Métal Hurlant, ont tout au plus confirmé la règle. Ainsi, il n’est pas étonnant que, depuis les années 1970, outre la créatrice d’Agrippine, seule Florence Cestac ait été honorée du Grand Prix de la Ville d’Angoulême. Dans le même laps de temps, le jury du Festival de la Bande dessinée d’Angoulême a récompensé presque exclusivement des hommes du Prix du meilleur album et seules Annie Goetzinger, Laurence Harlé et Marjane Satrapi ont jusqu’à présent pu interrompre cette série. Face à ce constat, un appel au boycott médiatique a été lancé en 2016, quand 30 hommes ont été nominés pour le Grand Prix à Angoulême, mais aucune femme, ce qui a tout de même entraîné la nomination a posteriori de six autrices. 2 Si la scène de la bande dessinée francophone a bougé, notamment du fait de ce type d’actions, la déclaration de Claire Bretécher à l’occasion de l’exposition de ses œuvres à la Bibliothèque du Centre Pompidou en 2015 est probablement toujours valable aujourd’hui: „Si les idées vont vite, les comportements changent lentement.“ 3 La BD féminine n’existe pas? ! Il ne fait aucun doute que les auteurs et lecteurs masculins dominent toujours le marché de la bande dessinée et que le choix des thèmes tout comme des personnages suit dans une large mesure toujours les mêmes schémas, souvent choisis dans une perspective machiste. Ainsi, la bande dessinée n’offre aujourd’hui encore aux femmes qu’un espace d’épanouissement relativement restreint et par conséquent, non seulement le nombre de protagonistes féminins mais aussi d’autrices est relativement faible. D’un autre côté, il est cependant tout aussi indiscutable que s’est amorcé un changement au tournant du millénaire, changement tout d’abord modéré, mais de plus en plus continu et qui a développé une dynamique croissante au cours de ces dernières années. Cette évolution est avant tout due aux autrices de bandes dessinées qui se sont de plus en plus organisées compte tenu du fait qu’elles étaient défavorisées de manière structurelle par les maisons d’éditions et les mécanismes du marché. Elles ont lutté avec toujours plus de succès pour leur reconnaissance et ont entre-temps trouvé un lectorat désireux de découvrir une BD différente et innovante en dehors du courant dominant. Ce faisant, les créatrices de bande dessinée DOI 10.24053/ ldm-2022-0002 5 Dossier se sont défendues non seulement contre la représentation stéréotypée des femmes mais aussi contre la tendance répandue à parler de manière réductrice d’une ‚bande dessinée féminine‘, voire ‚féministe‘ et d’un mode d’écriture et de narration qui lui serait propre. 4 De telles classifications sont en effet injustifiées, car le nombre croissant d’autrices a développé pendant ces dernières années un large éventail de nouveaux thèmes et de modes de représentation qui ne peuvent pas être réduits à un dénominateur commun. Si le terme de ‚féminisation‘ peut donc être remis en question pour la bande dessinée, ce n’est pas le cas pour ce qui est de son lectorat qui s’est de plus en plus féminisé dans un passé récent. Mais les lecteurs masculins se sont eux aussi rendu compte que les femmes sont plus nombreuses et peuvent plus de choses que ne le laissent supposer la majorité des personnages féminins dessinés jusqu’ici et dont les stéréotypes vont de l’idéal de la brave femme au foyer, par exemple dans Boule et Bill, à une représentation fortement sexualisée - par exemple dans Le Cycle de Cyann de Bourgeon et Lacroix ou dans Les Blondes de Gaby et Dzack. 5 Beaucoup ont peu à peu réalisé que les œuvres d’autrices pouvaient véhiculer de nouvelles façons de voir et de représenter et qu’elles pouvaient aussi considérablement élargir les horizons des hommes. Comme en témoignent les articles réunis dans ce numéro de lendemains, de nombreuses autrices ont trouvé leurs styles individuels et de nouveaux thèmes qui rendent leurs œuvres ‚différentes‘. Elles évoluent également avec virtuosité et leurs propres impulsions créatives dans des genres qui étaient traditionnellement réservés aux dessinateurs masculins et qu’elles refaçonnent toujours et encore au moyen du procédé de réécriture. 6 S’il semble donc peu approprié, eu égard à l’individualité des artistes et autrices, de parler d’une ‚bande dessinée féminine‘, le choix du titre de ce numéro de lendemains intitulé „La BD au féminin“ nécessite peut-être une explication. Il ne doit en aucun cas être compris à tort comme l’expression d’une ‚pensée compartimentée‘ qui justifierait effectivement le reproche d’un essentialisme simplificateur. Si la bande dessinée est depuis toujours un médium polyphonique et polymorphe, les dessinatrices s’emparent précisément toujours et encore de cette particularité. Pour résumer: Il y a autant de ‚bandes dessinées au féminin‘ que de dessinatrices et d’autrices. Ces dernières années, non seulement l’attention du public pour les œuvres des créatrices de bande dessinée, mais aussi leur confiance en elles-mêmes et leur succès ont crû dans un marché en expansion où, outre les lecteurs masculins, les lectrices féminines gagnent maintenant aussi en importance. 7 La bande dessinée contestée dite ‚girly‘, qui s’adresse à un jeune lectorat féminin et dont Tanxxx a qualifié les protagonistes de „greluches décervelées qui causent de leur dernière jupe à la con“ (cit. d’après Groensteen s. d.), en fait aussi partie. Le nombre de créatrices de bande dessinée a augmenté lentement, mais constamment: tandis qu’en 2001, on comptait 80 femmes auteurs de BD sur le territoire francophone européen, leur nombre s’élevait déjà à 182 en 2016, soit 12,8% des auteurs de BD. 8 Leur degré d’organisation a aussi augmenté avec le nombre d’autrices: Un premier jalon a été posé par l’Association Artémisia fondée par Chantal Montellier et Jeanne 6 DOI 10.24053/ ldm-2022-0002 Dossier Puchol en 2007. Elle décerne chaque année le Prix Artémisia suivant le modèle du Prix Fémina en littérature. Une initiative de Lisa Mandel en 2013 a conduit à la création du Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme, dont la charte a été signée à ce jour par 250 créatrices de bande dessinée. 9 Enfin, le fait que l’Institut français a accordé une attention particulière aux „Femmes puissantes de la BD francophone“ 10 à l’occasion de l’Année de la bande dessinée (2020/ 21) reflète la reconnaissance croissante des créatrices de bande dessinée auprès du public. AuteurEs de bandes dessinées Même si l’on ne peut parler ni d’écriture féminine ni d’imaginaire féminin de manière générale, la question se pose de savoir s’il y a des aspects récurrents dans la création de bande dessinée par des artistes féminines. Il est frappant de constater que les jeunes autrices de la nouvelle génération, justement, se servent moins des sousgenres populaires du courant dominant basés sur la sérialité que de formes expérimentales telles que la BD underground et le roman graphique. On rencontre très souvent les variantes du récit autobiographique et de la fiction documentaire, par exemple chez Zeina Abirached, Marguerite Abouet, Nine Antico, Chloé Cruchaudet, Dominique Goblet, Lisa Mandel, Marion Montaigne, Anouk Ricard, Marjane Satrapi et Marzena Sowa. Catherine Meurisse, qui a longtemps travaillé pour Charlie Hebdo, a été nominée pour le Grand Prix de la ville d’Angoulême en 2020. Elle a en outre été la première artiste de bande dessinée à être élue à l’Académie des Beaux-Arts, et elle a publié des bandes dessinées qui témoignent de son intérêt pour la littérature ainsi que pour les arts plastiques. Après avoir échappé par hasard à l’attentat perpétré contre Charlie Hebdo, Meurisse a traité son traumatisme dans La Légèreté en 2016, parallèlement aux Scènes de la vie hormonale. Il va de soi que le féminisme joue un rôle important dans la création de certaines autrices comme le montrent les volumes de Catel ou de Flore Balthazar, consacrés à des femmes particulièrement inspirantes et engagées telles que Kiki de Montparnasse, Benoîte Groult, Joséphine Baker, Mylène Demongeot et Frida Kahlo. Si les formes traditionnelles de perception et de représentation de la bande dessinée sont déconstruites de manière ironique d’un point de vue féminin, c’est aussi et surtout le cas en ce qui concerne les identités sexuelles organisées de manière binaire. Toute une série d’autrices s’est ainsi tournée vers des thèmes issus des domaines de l’homosexualité, du transgenre et du queer. C’est par exemple le cas de Lisa Mandel (Super Rainbow), que nous avons déjà évoquée précédemment, mais aussi de Julie Maroh (Le bleu est une couleur chaude) ou de Chloé Cruchaudet (Mauvais genre). D’autres autrices, telles Aurélia Aurita et Claire Duplan, se sont penchées sur des thèmes supposés typiquement masculins (l’argent, la carrière, le pouvoir, le sexe), mais les ont considérés d’un point de vue féminin. Mirion Malle (Commando culotte) ou Pénélope Bagieu (Culottées, California Dreamin’) apparaissent explicitement en tant que féministes et s’engagent avec et dans leurs travaux pour la féminisation de DOI 10.24053/ ldm-2022-0002 7 Dossier la bande dessinée. Un album comme Féministes. Récits militants sur la cause des femmes (2018) montre en outre que le concept de féminisme est particulièrement chatoyant en ce qui concerne le neuvième art: 16 créatrices de bande dessinée y présentent leur conception respective du féminisme et représentent ainsi 16 points de vue très différents. Ce bref aperçu laisse déjà apparaître le fait que les œuvres des créatrices de bande dessinée de ces dernières années, avec leurs multiples impulsions innovantes, laisse encore de la place à de nombreuses recherches, d’autant plus que les thèmes et les styles sont aussi nombreux que leurs noms, dont seuls quelquesuns peuvent être ajoutés ici: Cati Baur, Cécile Bidault, Julie Birmant, Véronique Cazot, Emilie Gleason, Delphine et Anaële Hermans, Aude Picault, Julie Rocheleau, Anne Simon, Chloé Wary, Zelba… Il est temps que la recherche mette à l’agenda la création des autrices de bande dessinée, non pas seulement sporadiquement, mais de manière permanente, et qu’elle l’étudie en ne se focalisant pas uniquement (ce qui est tout à fait excluant) sur des questions de genre. 11 En ce sens, nous voulons donner, par le biais de notre dossier de lendemains, de nouvelles inspirations et, dans un même temps, présenter quelques autrices et leurs œuvres qui méritent particulièrement d’être lues. 12 Auquier, Jean, „Communiqué de Jean Auquier, directeur général du Centre Belge de la Bande Dessinée“, http: / / bdegalite.org/ wp-content/ uploads/ 2015/ 09/ Communique%CC%81-Le-CBBDreporte-La-BD-des-filles-1.pdf (publié le 09 septembre 2015, dernière consultation: 25 février 2022). Blanco Cordón, Tatiana, „Autobio-graphiés: enjeux discursifs de la représentation du Moi dans la bande dessinée féminine franco-belge“, in: Cédille, 20, 2021, 253-285, www.ull.es/ revistas/ index.php/ cedille/ article/ view/ 2288 (publié le 07 décembre 2021, consulté le 25 février 2022). Ces femmes qui font la bande dessinée, Lire Magazine 493 (février 2021). Ciment, Gilles, „Femmes dans la bande dessinée: des pionnières à l’affaire d’Angoulême“, in: Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 11, 2017, 148-166, https: / / bbf.enssib.fr/ matieresa-penser/ femmes-dans-la-bande-dessinee_67374 (publié le 11 février 2017, dernière consultation: 24 février 2022). Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme, Charte des créatrices de bande dessinée contre le sexisme, http: / / bdegalite.org (publié en 2015, dernière consultation: 28 février 2022). Cortijo Talavera, Adela, „La bande dessinée française au féminin“, in: Littérature, langages et arts: rencontres et création, 2007, https: / / dialnet.unirioja.es/ descarga/ articulo/ 2554992.pdf (publié en 2007, dernière consultation: 25 février 2022). Evans, Christophe, „I. Profil de lecteurs, profils de lectures“, in: Benoît Berthou (ed.), La bande dessinée: quelle lecture, quelle culture? Nouvelle édition, Paris, Éditions de la Bibliothèque publique d’information, 2015, 17-44, http: / / books.openedition.org/ bibpompidou/ 1671 (publié le 08 janvier 2019, dernière consultation: 25 février 2022). Ferreyrolle, Catherine, „Introduction à la bande dessinée: des repères sur le genre“, in: Takam Tikou, https: / / takamtikou.bnf.fr/ dossiers/ dossier-2011-la-bande-dessinee/ introduction-la-bandedessinee-des-reperes-sur-le-genre (publié le 11 mars 2011, dernière consultation: 25 février 2022). 8 DOI 10.24053/ ldm-2022-0002 Dossier Groensteen, Thierry, „femme (1): représentation de la femme“, in: Neuvième Art 2.0, http: / / neuviemeart.citebd.org/ spip.php? article677 (s. d., dernière consultation: 25 février 2022). —, „femme (2): la création au féminin“, in: Neuvième Art 2.0, http: / / neuviemeart.citebd.org/ spip.php? article727 (publié en février 2014, dernière colnsultation: 25 février 2022). Institut Français Deutschland, Femmes puissantes de la BD francophone, www.institutfrancais. de/ fr/ starke-frauen-der-comic-szene (publié en 2020, dernière consultation: 28 février 2022). Junqua, Amélie / Mansanti, Céline (ed.), Les femmes et la bande dessinée: autorialités et représentations, in: Revue de recherche en civilisation américaine, 6, 2016, http: / / journals. openedition.org/ rrca/ 724 (publié le 02 janvier 2017, dernière consultation: 25 février 2022). Le Roy Ladurie, Irène, „L’autoreprésentation féminine dans la bande dessinée pornographique“, in: Revue de recherche en civilisation américaine, 6, 2016, http: / / journals.openedition.org/ rrca/ 732 (publié le 23 janvier 2017, dernière consultation: 25 février 2022). Lipani Vaissade, Marie-Christine „La révolte des personnages féminins de la bande dessinée francophone. Cartographie d'une émancipation de fraîche date“, in: Le Temps des médias, 12, 1, 2009, 152-162, www.cairn.info/ revue-le-temps-des-medias-2009-1-page-152.htm (publié en 2009, dernière consultation: 25 février 2022). Milquet, Sophie / Reyns-Chikuma, Chris (ed.), La bande dessinée au féminin / Female comics, in: Alternative francophone, 1, 9, 2016, https: / / journals.library.ualberta.ca/ af/ index.php/ af/ issue/ view/ 1739 (publié le 22 février 2016, dernière consultation: 25 février 2022). Ratier, Gilles, Les femmes dans la bande dessinée européenne francophone, http: / / bdzoom. com/ 110202/ patrimoine/ les-femmes-dans-la-bande-dessinee-europeenne-francophone%e2 %80%a6 (publié le 31 janvier 2017, dernière consultation: 28 février 2022). —, Rapport sur la production d’une année de Bande dessinée dans l’espace francophone européen. 2016: l’année de stabilisation, www.acbd.fr/ wp-content/ uploads/ 2016/ 12/ Rapport- ACBD_2016.pdf (publié en 2016, dernière consultation: 25 février 2022). Van Vaerenbergh, Olivier, „BD EN TOUT GENRE“, in: Le Vif / L’Express (4 décembre 2015), https: / / advance.lexis.com/ api/ document? collection=news&id=urn: contentItem: 5HHP-PWH1- JCSJ-11PS-00000-00&context=1516831 (publié le 04 décembre 2015, dernière consultation: 25 février 2022). 1 Pour un bref aperçu de la production de bandes dessinées d’artistes féminines, cf. p. ex. Ratier 2017. 2 Les événements de l’époque sont commentés dans Ciment 2017: 148-166. 3 Cit. d’après Van Vaerenbergh 2015. 4 En 2016, les débats sur un usage approprié de la langue ont pris une autre dimension, lorsque le Centre Belge de la Bande Dessinée a planifié une exposition intitulée „La BD des filles“ et à laquelle Julie Maroh était elle aussi invitée. Après de vives protestations de l’artiste et de nombre de ses collègues contre le titre et le concept de l’exposition, Jean Auquier, le directeur général, s’est vu obligé de renoncer à ce projet et de s’excuser dans une lettre ouverte (Auquier 2015). 5 Cf. Groensteen (s. d.), qui critique la tendance dominante, justement dans le genre humoristique, à dessiner „des femmes niaises, étourdies, avec un physique de rêve et une cervelle d’oiseau“ (ibid.). 6 Cf. Le Roy Ladurie 2016. 7 Catherine Ferreyrolle (2011), la directrice de la bibliothèque de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, a souligné cette tendance il y a plus d’une décennie. À l’in- DOI 10.24053/ ldm-2022-0002 9 Dossier verse, Evans notait de manière catégorique: „la féminisation du lectorat de la bande dessinée n’a pas eu lieu“ (2015: 26). Ce constat vaut certainement encore actuellement pour l’ensemble de l’offre de BD, mais une analyse détaillée des évolutions serait nécessaire dans les champs thématiques que les femmes ont privilégiés, à savoir les suivants: humour, enfance/ jeunesse, autobiographie/ reportage (cf. ibid.). Concernant les romans graphiques ou les bandes dessinées alternatives, Evans aboutit en retour à une conclusion différente: „C’est toutefois la seule catégorie d’œuvres relevant du neuvième art dans laquelle les lectrices sont plus nombreuses que les lecteurs, ce qui mérite d’être signalé“ (ibid. 28). 8 Cf. Ratier 2016: 29. 9 Cf. Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme 2015. 10 Cf. Institut Français Deutschland 2020. 11 Cortijo Talavera (2007), Lipani Vaissade (2009), Groensteen (2014), Milquet/ Reyns-Chikuma (2016), Junqua/ Mansanti (2016) ou Blanco Cordón (2021) comptent parmi les publications parues à ce jour qui méritent particulièrement d’être mentionnées. Cf. également le numéro spécial de Lire Magazine (2021). 12 Nous remercions Lénaïck Bidan pour la relecture dans sa langue maternelle des articles en français. 10 DOI 10.24053/ ldm-2022-0003 Dossier Jan Baetens Sept ans d’amour, deux ans après. Quelques notes sur l’intégrale de Fraise et Chocolat (Aurélia Aurita) 1. Naissance d’un phénomène éditorial Fraise et chocolat, deuxième livre d’Aurélia Aurita (*1980), reste un des grands phénomènes éditoriaux de l’histoire récente de la bande dessinée française. Dû à une jeune autrice encore peu connue, publié à un tirage d’abord modeste par un éditeur généraliste, non spécialisé en bande dessinée, lancé sans grand renfort de publicité (mais avec une introduction forte de Joann Sfar), cet album qui deviendra par la suite le premier tome d’une érographie, mot-valise contractant érotisme et autobiographie, s’est vite imposé comme un incontournable de la production contemporaine (Aurita 2006). Le succès ne s’est pas démenti avec le second tome, qui prolonge et couronne le cycle (Aurita 2007), avant qu’une édition dite ‚intégrale‘ ne relance et, pour cette fois-ci, le clore définitivement (Aurita 2014). Dans Buzz-moi, Aurélia Aurita a reconstitué avec beaucoup d’humour la réception inattendue mais spectaculaire de son livre (Aurita 2009). 1 Parlant des coulisses des médias généralistes (d’Elle à Libé, d’Europe 1 au Grand Journal de Canal +) aussi bien que de celles du milieu de la bande dessinée (éditeurs, festivals, lectrices et lecteurs), Buzz-moi raconte de manière vive et souvent drôle comment le tourbillon suscité par Fraise et Chocolat a été vécu par celle qui en est à la fois la créatrice, la protagoniste et l’analyste. Cependant, comme l’ont bien vu C(h)ris Reyns et Marina Gheno (2013) dans une étude intertextuelle fouillée, Fraise et Chocolat était dès le début comme condamné au succès. D’une part, la démarche d’Aurélia Aurita, qui retrace la passion sexuelle et amoureuse vécue avec Frédéric Boilet, auteur de bande dessinée de grand renom vivant à ce moment-là au Japon (l’histoire se déroule essentiellement à Tokyo), capte à merveille l’esprit du temps. On y retrouve une expression enjouée du féminisme pop, variante peu intellectuelle mais très charnelle de l’émancipation féminine dont Madonna fut une des icônes, tout comme s’y manifeste une émanation plutôt souriante du réalisme à scandale, celui du ‚tout dire‘, en l’occurrence d’un ‚tout montrer‘, dont l’écriture ‚sans tabou‘ de Christine Angot ou Virginie Despentes était dans ces années-là l’illustration très médiatisée. D’autre part, les confessions inhabituellement crues d’Aurélia Aurita et surtout ses dessins qui ne laissent aucune place à l’imagination tout en étant fort stylisés, apportent un élément neuf dans le monde de la bande dessinée, plus particulièrement de la bande dessinée érotique, depuis toujours un bastion presque exclusivement masculin. Aurélia Aurita - à noter toutefois que sur les couvertures de ses livres, le DOI 10.24053/ ldm-2022-0003 11 Dossier pseudonyme 2 qui désigne une sorte de méduse s’écrit en effet avec double minuscule, comme pour marquer une distance par rapport à la posture d’auteur conventionnelle, encore très marquée du point de vue social et sexuel - parle en effet des choses du sexe sans la retenue jugée typiquement féminine, rivalisant même avec la franchise et le plaisir de choquer soi-disant recherchés par les hommes. Comme le fait remarquer Joann Sfar: Frédéric, mon gars, te voilà enfin devenu un personnage. Chenda raconte ce qu’elle veut sur toi, tu ne contrôles plus rien, brrr, ça doit être grisant. […] Ah, et pour une fois c’est une fille qui parle. Ho j’aimerais bien savoir faire parler mes personnages féminins aussi bien que ça. Oui mais elle, elle est une fille alors tu parles, ça vient tout seul. Moi, il faut que je simule l’hystérie pour prétendre à une telle joie érotique. Oh mais quel plaisir! D’habitude quand des filles parlent de cul en bande dessinée, c’est des punks pourrites qui parlent de leurs chaussettes sales. Je ne sais pas qui a pris l’initiative de prêter un crayon à une fille amoureuse, mais il faut que ça dure toujours, je veux dire il faut qu’elle en fasse plein, des histoires (Aurita 2014: 4). Un échange caractéristique de Fraise et Chocolat montre à quel point c’est maintenant la femme qui prend les devants et se montre d’une audace supérieure à celle de son partenaire, pourtant réputé pour la manière fort libre de montrer ses propres ébats sexuels, notamment dans L’Épinard de Yukiko, son livre le mieux connu (Boilet 2017): - Tu sais que tu es mignon quand t’es bourré? - Et toi, mon amour… C’que t’s belle! toute offerte… toute prête à être sautée! - Voui! - Mon Dieu, mais tu vois comment je parle, maintenant… Avant de te rencontrer, je disais encore „faire l’amour“! ! ! - Oui, et maintenant tu baises, tu fourres, tu tringles, tu m’enfiles et tu ne jouis plus, tu décharges! ! ! - Oh la la [sic]! ! ! Avec toi je redécouvre les raffinements de la langue française! ... après 15 ans de Japon, j’avais oublié qu’on pouvait jouir avec les mots! ! ! - Mais alors… ici, ils n’en ont pas autant? ... - Tu rigoles? Ils ont juste „faire le sexe“! (Aurita 2014: 128-129) Certains critiques ont pu taxer le travail d’Aurélia Aurita d’exhibitionnisme gratuit (Guilbert 2009). On imagine du reste assez que le feuilletage de Fraise et chocolat ait pu effaroucher plus d’un lecteur ou d’une lectrice non prévenus. Force est toutefois de constater que la réception globale du livre, sans jamais escamoter le côté salace de l’œuvre, insiste davantage sur d’autres aspects, comme par exemple la fusion du sexe et du sentiment, le goût de la liberté assumé comme une évidence et n’ayant donc plus besoin d’être revendiqué de manière militante, ou encore. À cela s’ajoute aussi la fraîcheur et la naïveté du style de l’autrice, style savamment et savoureusement proche du croquis, parfaitement approprié au régime du journal qui étaye largement la structure du livre. 12 DOI 10.24053/ ldm-2022-0003 Dossier 2. Un, deux, trois: des livres à l’intégrale Peu d’attention a toutefois été accordée aux différences entre les deux volumes de Fraise et chocolat, sans solution de continuité chronologique (la coupure temporelle entre les deux livres ne coïncide par exemple nullement avec les périodes où l’autrice a dû rentrer en France pour le renouvellement de son visa) et que l’édition intégrale, avec l’ajout d’un long épilogue de trente-six pages, va transformer en véritable triptyque. Du premier tome au second, l’évolution est pourtant nette, moins sans doute sur le plan du style (encore que le trait d’Aurélia Aurita ne cesse de se faire de plus en plus pétillant) que sur celui des relations entre les deux amants et, plus généralement, de la position d’Aurélia Aurita sur les questions du sexe, du couple, de l’amour, du travail, bref de la vie. Le tome 1 est encore une histoire à l’eau de rose, certes à fortes doses de sexe plus que torride et apparemment sans le moindre tabou (le titre métaphorique du livre renvoie ainsi à deux aspects peu discutés et surtout peu montrés des rapports sexuels, comme ils le sont ici sans nulle pudibonderie: l’amour pendant les règles et la pénétration anale). Le tome 2 donne la suite de l’histoire, qui se trouve maintenant ponctuée de frictions, de doutes, d’usure au sein du couple. Le récit s’arrête pourtant avant la consommation de leur rupture, la dernière page du livre pointant même vers une sorte de nouveau départ. La véritable fin ne sera établie que quelques années plus tard, dans l’épilogue de l’édition intégrale, située plus de deux ans après la séparation avec Frédéric et presque sept ans après la publication du tome 2, dont la terminaison, répétons-le, se présentait à la manière d’un point final ‚ouvert‘, comme si, après toutes les crises décrites en long et en large, les deux amants avaient trouvé un équilibre certain et n’avaient plus qu’à vivre heureux pour l’éternité. En ce sens, l’épilogue de ce tome reprend, mais avec moins d’humour, la conclusion heureuse, un rien ironique mais également donnée pour heureuse et définitive, du tome 1 (il est d’ailleurs permis de se demander si Aurélia Aurita eût encore écrit ou publié le nouveau tome sans l’incroyable succès du livre précédent, mais ceci est évidemment une toute autre histoire). Dans l’épilogue de l’édition intégrale, en fait le troisième épilogue au sein de l’œuvre, les derniers chapitres des deux premiers tomes s’appelant eux aussi „épilogue“, la fin est une fois de plus heureuse, mais cette foisci toute différente et réellement définitive, la rupture avec Frédéric n’étant plus donnée comme impensable (tome 1) ou évitée (tome 2), mais comme irrémédiable: Chenda traverse une dernière crise, fait le point et finit par décider qu’„il est temps de tourner la page“ (Aurita 201: 365). Comme le montre cette longue description d’une intrigue qui paraît à première vue le simple témoignage chronologique d’une passion qui naît, puis se développe et enfin se dilue et meurt, l’architecture de Fraise et chocolat est complexe et mérite d’être regardée plus en détail. Les pages qui suivent se proposent de lire le travail d’Aurélia Aurita non pas comme un bloc uni et homogène, mais comme une création en devenir, où vie et œuvre se touchent et se heurtent de plusieurs manières. DOI 10.24053/ ldm-2022-0003 13 Dossier 3. Commencement, milieu, fin: une chronologie enchevêtrée Toute publication de journal pose de complexes problèmes de temporalité, dont l’inévitable décalage entre les événements vécus et le temps de la rédaction ou, dans le cas d’une bande dessinée, du dessin et de l’écriture, puis de l’écart entre les temps de la genèse (temps vécu, temps de la notation, temps des retouches) et le temps ou les temps de la publication. C’est l’un des thèmes centraux de L’Emploi du temps de Michel Butor (1956) et l’un des traits distinctifs de l’entreprise autobiographique de Fabrice Neaud (1996-2002), parmi bien d’autres exemples. Afin de voir plus clair dans la structure de Fraise et Chocolat, voici un bref aperçu des trois grands niveaux temporels qui jouent un rôle dans la lecture des ouvrages. Fraise et Chocolat Tome 1 Fraise et chocolat Tome 2 Epilogue de L’intégrale Faits vécus 13 octobre 2004 - 13 janvier 2005 (brèves références textuelles, sans dessins, aux mois précédents) 17 janvier 2005 - 12 septembre 2005 (deux courts flashbacks, avec textes et dessins, situés respectivement en 1985 et 1994) février 2014 (largement composé de flash-backs, allant de la toute première rencontre, en janvier 2004, jusqu’à la rupture le 17 octobre 2011, en passant par les sept années de la relation amoureuse) Achevé d’écrire 12 février 2006 31 juillet 2007 21 avril 2014 Achevé d’imprimer mars 2006 octobre 2007 mai 2014 Ce schéma est bien sûr loin de reprendre tous les détails utiles. Les va-et-vient entre la France et le Japon n’y apparaissent pas. Il manque aussi la date de publication d’un livre sur lequel on reviendra plus loin: 286 jours de Frédéric Boilet et Laia Canada (2014). Il est toutefois facile d’en dégager une structure ternaire, que L’Intégrale laissera éclater au grand jour: la division aristotélicienne entre début, milieu et fin - et même très exactement dans cet ordre-là. Cette première chaîne est essentielle. On aurait tort de ne pas prendre au sérieux la progression des événements narrés dans un livre qui s’articule sur le mode du journal. On suit les étapes successives d’une passion, lesquelles s’avèrent vite plus complexes que les seuls rapports amoureux, érotiques, sexuels d’un couple. En passant de Fraise et chocolat à Fraise et chocolat 2, ce n’est pas seulement la nature des sentiments de Chenda à Frédéric Boilet qui change. On observe aussi une transformation non moins forte dans la perception des rapports entre hommes et femmes en général et dans la manière dont l’autrice voit sa propre position dans la société. Un des éléments décisifs dans le succès immédiat du premier tome de Fraise et chocolat était sans aucun doute la focalisation exclusive sur la relation sexuelle et 14 DOI 10.24053/ ldm-2022-0003 Dossier amoureuse. Averti ou non, le regard du public n’avait guère le temps de se détourner du lit. De surcroît, cette relation était finalement conventionnelle, c’est-à-dire hétéronormative, quand bien même l’initiative sexuelle était prise autant par la femme que par l’homme, dans une égalité quasi parfaite qui aura plu aux lectrices sans trop déplaire aux lecteurs. Mais dès l’ouverture du tome 2, la situation évolue et elle n’arrêtera plus de le faire. Or, ce n’est pas seulement l’entente parfaite des deux amants qui s’ébrèche. En même temps se brise aussi l’heureux repli sur soi de la protagoniste, qui tout à coup se voit rappeler par un voisin de palier xénophobe ses „racines“ étrangères. Classée, c’est-à-dire déclassée, „non japonaise“, 3 Chenda se souvient alors avec douleur de brimades similaires subies à l’école maternelle, puis au collège. De la même façon, le splendide isolement hétéronormatif se casse au contact de rencontres faites en dehors du couple formé avec Boilet, par exemple dans un passage où la narratrice se fait draguer par une serveuse homosexuelle. Les traumatismes sociaux, ethniques, sexuels, soigneusement tenus à l’écart du premier tome de Fraise et chocolat, reviennent ainsi comme une sorte de refoulé dans le tome 2, même s’il importe de souligner que le ton d’Aurélia Aurita ne devient jamais aigre ou militant. Il est toutefois manifeste que l’héroïne de Fraise et chocolat 1 se trouve chassée du paradis, artificiel à sa façon, au cours du deuxième tome. Il suffit à cet égard de comparer la manière dont la conversation des amoureux aborde la question des différences entre femmes japonaises et françaises. Dans le premier tome, c’est encore un sujet de curiosité, qui prend vite une tournure salace pour rapidement finir au lit: - Euh… dis-moi, Frédéric… J’ai un peu honte de te demander ça, mais… est-ce qu’il y a une vraie différence entre les Françaises et les Japonaises. - Euh… eh bien… - (Quelle idiote! Mais pourquoi je lui ai demandé ça? ) - Mais enfin, Chenda… Je ne fais pas de différence, tu le sais bien… une femme est une femme! - (Ouf! on s’en sort bien! ) - Maintenant, c’est sûr qu’avec toi… - ? Quoi, Moi? - Eh bien toi, tu as peut-être un corps d’Asiatique… mais tu es bel et bien française! On peut dire que tu as les avantages des deux! - ? ? ? - Toi, tu sens toujours bon, comme une Japonaise… mais tu te laisses enculer comme une Française. - Oh, mon French lover… - … Ma Parisienne… (Aurita 2014: 132-134) Il en va tout autrement dans le tome 2, où l’on lit par exemple au cours d’une conversation où Boilet s’étend sur la cuisine japonaise: DOI 10.24053/ ldm-2022-0003 15 Dossier - Je sais pas pourquoi, mais la cuisine japonaise n’est bonne qu’au Japon… C’est comme les Japonaises. - Co… Comment ça? ... Elles ne sont „bonnes“ qu’au Japon? ... - Eh… c’était pour rire! … Mais c’est vrai qu’ici, tout est fait pour qu’elles soient désirables! Une Japonaise, en France, elle n’osera pas se mettre en mini-j… - J’en ai marre de tes généralisations sur le Japon et les Japonaises. Les Japonaises par ci, les Japonaises par là… T’en parles comme si c’étaient des bagnoles! ! ! - Mais qu’est-ce qui te prend? ! ? Tu sais bien que c’est pas sérieux! Que je suis pas comme! ! Oh, et puis tu m’énerves, avec tes névroses! ! ! J’en ai assez de payer pour les 2 ou 3 connards qui t’ont manqué de respect dans ta petite vie! Tu devrais balayer devant ta porte avant de me faire chier! ! ! (Aurita 2014: 316-317) L’épilogue de L’Intégrale, que sa densité narrative et stylistique incite à lire comme un véritable troisième tome de la série, revient sur la rupture, plus exactement sur l’abattement et les accès de jalousie qui l’accompagnent. Il marque cependant, au bout d’une crise aiguë, un nouveau départ, en fait une vraie victoire personnelle. Au lieu de rêver de la continuation ou du redémarrage de la situation d’avant, cet épilogue débouche sur un sursaut, basé sur la confiance en soi et le courage de laisser le passé enterrer le passé. De ce point de vue, il reste peu de ce qui fut à l’origine de la formule à succès de Fraise et chocolat. Le centre de gravité s’est inexorablement déplacé du couple et du sexe à la création artistique (on voit maintenant Chenda prendre des leçons de piano et fermer le livre en chantant), comme s’il avait fallu toutes ces années pour que l’autrice réalise entièrement le sens d’une confession à Frédéric au début de leur relation. À l’amant qui lui dit qu’il rêve d’avoir un enfant, Chenda répond: - Ha ha… euh… en tous cas, ça sera pas avec moi! ! ! - Ah oui? ... - Moui… je suis moi-même bien trop enfant pour en avoir! - Encore à boire? ... - Oui! ! ! - Écoute… en ce moment, tu me dis que tu es amoureuse. - Oui! - Mais dans quelques années, voire quelques mois, quand la passion sera éteinte, que restera-t-il? - Si notre histoire est intéressante, un très beau livre. Tu vois, je me dis que mes albums, ce sont mes enfants… Je veux mettre toute mon énergie dans mes créations artistiques! (Aurita 2014: 24-26) Le ton ici reste encore celui du badinage. Quelques répliques plus loin la narratrice évoque aussi son désir de combiner le fait d’„être avec quelqu’un“ et „d’avoir plein d’amants“ (Aurita 2014: 28), chose que le tome 1, puis le tome 2 ne tarderont pas à contredire avec force, son amour de Frédéric ne tolérant aucun partage. À la fin du cycle, pourtant, l’aspiration à l’œuvre, à l’exclusion de tout le reste, devient la force motrice de l’écriture et le choix ne sera plus entre sexe et famille, mais entre dépression et création. 16 DOI 10.24053/ ldm-2022-0003 Dossier 4. Raconter pour ne pas finir La structure ternaire qui organise L’intégrale n’est pas limitée au récit des trois temps d’une passion, ni aux trois tomes d’une mini-série. Elle affecte en profondeur l’architecture de l’œuvre, ainsi que le montrent l’emploi et le montage des épilogues aux moments stratégiques de Fraise et chocolat. Chacune des trois étapes de la publication comprend en effet un épilogue. Cependant, le statut de ces post-scripta varie considérablement d’une occurrence à l’autre. Aurélia Aurita prend appui sur cette forme d’hyperbate narrative, pour nous donner in fine des clés de lecture, elles aussi changeantes à travers le temps. À la fin du tome 1, on découvre un épilogue de cinq pages, elles-mêmes suivies d’une page d’avertissement qui parachève l’épilogue tout en bouleversant l’ordre de la lecture et du livre. L’épilogue proprement dit est un monologue de Chenda en train de repasser et de pop-philosopher sur l’amour avec le public auquel elle semble s’adresser. Ce moment de semi-méditation à voix haute est alors source d’une épiphanie sur l’amour et les types d’amants, que la narratrice partage en souriant avec son public imaginaire. Puis, les réflexions taxinomiques s’arrêtent pour donner lieu, sur une nouvelle page au verso de la fin de l’épilogue, à un nouveau clin d’œil: „L’histoire que vous venez de lire est une fiction, car je n’ai jamais, bien évidemment, de toute ma vie, repassé une seule des chemises de Frédéric“ (Aurita 2014: 142). Il se passe ici, en très peu de mots et quelques dessins minimalistes, énormément de choses. Remarquons d’abord que, dans l’épilogue, tout ancrage spatio-temporel fait défaut. On trouve bien un titre, „épilogue“, mais contrairement à la plupart des autres sections ou chapitres du journal, ce titre n’est suivi d’aucune indication de temps et de lieu (précisions qui ne seront données qu’en bas de l’avertissement final, page 142, sans qu’on puisse en déduire qu’elles s’appliquent aussi aux aveux qui précèdent). Qui plus est, les pages de l’épilogue ne mettent pas en scène le couple avec Frédéric, là où ce dernier - le couple aussi bien que Frédéric - occupait la quasi-totalité des pages jusque-là. Ce qui reste après les ébats sexuels, c’est Chenda et sa planche à repasser. De même, cet épilogue fait allusion à une conversation, toujours sur la question des types d’amoureux, non pas avec Frédéric, mais avec un certain Stéphane. Enfin, le passé composé de la page finale („je n’ai jamais […] repassé […]“, Aurita 2014: 142) marque une distance certaine par rapport à l’éternel présent du journal, comme si le personnage faisait un bilan de quelque chose qui relèverait désormais du passé. Mais le tout demeure ambivalent: est-ce que le référent de „l’histoire que vous venez de lire“ renvoie à la grande histoire de sa relation avec Boilet dans son ensemble ou seulement à la ‚petite‘ histoire - la corvée du repassage - détaillée dans l’épilogue? Le gros bon sens répondra en faveur de la première hypothèse, mais rien n’interdit de lire un peu entre les lignes. Et que penser du fait qu’on voit Chenda repasser un t-shirt et un pantalon, mais pas de chemise: une autre invitation à lire entre les lignes et à comprendre qu’elle n’a jamais repassé les chemises mais bien les pantalons et les t-shirts de son grand amour? DOI 10.24053/ ldm-2022-0003 17 Dossier Au-delà du clin d’œil ironique, presque de femme à femme, la page finale varie sur la formule de dénégation stéréotypée qu’on trouve souvent au seuil des romans réalistes, voire basés sur des faits, qu’on cherche à faire lire comme des fictions: „Toute ressemblance avec des noms existants et des situations réelles serait purement fortuite“. La clausule du tome 1, qui paraît juste drôle et amusante, procède donc à une véritable refonte, en dernière instance, du livre qu’on s’apprête à fermer, à la fois quant à son ordre (Aurélia Aurita dévoile à la fin ce qui normalement aurait dû se dire au début) et quant à sa signification (on glisse du témoignage à l’invention pure). Bref, à la toute fin, on se rend compte que Fraise et chocolat est une œuvre encore en cours, dont la signification reste ouverte, non seulement pour le lecteur mais aussi pour l’autrice. Un livre lu sur le mode de l’autobiographie garantie 100% n’est peut-être pas totalement dénué d’éléments fictionnels, quand bien même cette part d’invention fait à son tour l’objet d’une dénégation: ce n’est pas parce que Chenda n’aurait jamais repassé les chemises de Frédéric que l’histoire d’amour et de sexe dont cette petite scène ménagère fait partie ne serait pas authentique. Certes, mais quand même… Le jeu des faits et de la fiction est familier de ce genre d’oscillations où tout déni a valeur d’aveu et inversement. Quelle que soit la manière dont on lit cet épilogue à deux temps, il y a au moins une conclusion qui s’impose, même si cela reste une non-conclusion: on ne sait pas vraiment comment se termine l’histoire de Chenda et Frédéric, on ne sait même pas si elle continue ou continuera encore, on ne sait surtout pas par quel bout la prendre. Autant de façons de terminer une aventure tout en laissant une porte ouverte à de possibles continuations. Il importe de rappeler à cet égard que Fraise et chocolat, qui ne s’intitulait pas Fraise et chocolat 1, n’était pas programmé pour lancer une série: le volume n’est devenu tome premier que chemin faisant, grâce à son propre succès… L’épilogue du tome 2, qui paraît tenir en une seule page, se trouve lui aussi au cœur d’un dispositif étagé, à trois temps mais aussi à trois registres, qui, tous, déplacent la lecture à première vue univoque, celle de la poursuite des jeux érotiques des deux amants. En regard de la page d’épilogue - dans le travail d’Aurélia Aurita, le travail sur la double page est toujours essentiel - se découvre un autre dessin, lui en pleine page, qui interrompt brutalement la chronologie du journal. On y voit la tombe de „ BOILET Frédéric“, devant laquelle se recueille une vieille dame, aperçue de dos et s’appuyant sur une canne. Bel exemple de prolepse narrative, soit, comme définie par Gérard Genette dans Figures III. Discours du récit: „toute manœuvre narrative consistant à raconter ou évoquer d’avance un événement ultérieur (au point de l’histoire où l’on se trouve)“ (Genette 1972: 105). Banale, cette anticipation? Sentimental, ce rêve d’un amour au-delà de la mort? Une fois de plus, c’est l’ordre des unités, puis certains détails, à l’instar de ce que nous avons pu observer au moment de l’insertion des pages d’épilogue dans le tome 1, qui vont perturber le caractère apparemment simple et transparent de cette conclusion. Il eût en effet été plus logique de nous montrer d’abord la page d’épilogue avec le dénouement heureux d’une passion érotique et amoureuse mise à rude épreuve tout 18 DOI 10.24053/ ldm-2022-0003 Dossier au long du tome 2, puis de continuer, en belle page, par l’anticipation rêvée ou souhaitée d’un lien sentimental capable de traverser le temps - et de le faire sans entamer en rien l’éclat des débuts: le portrait en médaillon sur la tombe de Frédéric le représente en jeune homme, non comme quelqu’un du même âge que celui de la dame du cimetière. L’inversion des deux scènes qui fait précéder une scène de sexe jubilatoire par une évocation apaisée mais funéraire, insinue que la page d’épilogue avec l’ultime scène de sexe du livre relève elle aussi du même registre fantasmatique ou imaginaire que la visite au cimetière. L’épilogue cesse alors d’être le dernier maillon du récit érotique de Fraise et chocolat 2, soit une nouvelle entrée du journal ajoutée en dernière minute à une histoire déjà close, pour devenir pure spéculation, un insert fictionnel dans un tout qui se donne à lire par ailleurs comme entièrement factuel. On retrouve ainsi le jeu sur fait et fiction qui a pu faire sourire à la fin du tome 1 mais qui prend ici une tonalité plus grave, comme si le nouvel épilogue était surtout une projection destinée à conjurer la crainte de l’avenir. On notera aussi que le dispositif se prolonge d’un troisième temps, de nouveau placé au verso de l’épilogue dessiné: une dédicace finale, qui ne fait plus aucune mention de Frédéric, comme si l’amant était déjà rayé de la carte (le livre est dédié à trois autres personnes, un peu comme dans l’épilogue du tome premier où la conversation avec „Stéphane“ se substituait déjà aux échanges avec Frédéric). Autrement dit: la manière dont s’achève Fraise et chocolat 2 est plus ambivalente encore que ce qu’on avait lu dans les dernières pages du volume précédent. 5. Tourner la page Avec la publication de L’intégrale, les voiles se lèvent. Le cadre ou paratexte de ce livre est de prime abord la synthèse des deux volumes déjà parus. D’une part, l’illustration de couverture (Fig. 1) reprend celle de Fraise et chocolat 1, placée sous le signe de l’érotisme triomphant de la femme. L’image représente Chenda au-dessus de Frédéric, les positions du haut et du bas étant aussi symboliques que sexuelles. Elle montre aussi le partenaire féminin du couple dans une posture presque agressive: Chenda mord le menton de Frédéric; elle ne sourit pas, en grand contraste avec l’expression béate de Frédéric; elle garde aussi les yeux ouverts pendant l’amour, à la différence complète de son amant; enfin, ses yeux inquisiteurs ne sont pas sans rappeler le regard féroce des samouraïs qu’on connait des estampes japonaises. 4 D’autre part, sur le rabat intérieur de la couverture, L’Intégrale reproduit aussi la photo de l’autrice utilisée dans Fraise et chocolat 2 (Fig. 2). Cette image est beaucoup plus proche de la déclaration d’indépendance sexuelle faite par Aurélia Aurita tout au long de son œuvre que l’illustration plus conventionnelle de la première couverture du tome 2, avec Frédéric en position supérieure et Chenda souriante, les yeux fermés. DOI 10.24053/ ldm-2022-0003 19 Dossier Or, les deux faces et le dos de la couverture de l’édition intégrale sont occupés par une grande image photographique, du même rouge que le fond de l’illustration et „lisible“ seulement quand on passe de la première (Fig. 3) à la quatrième de couverture (Fig. 4), où la photographie devient vraiment figurative (en première couverture, on ne distingue que des formes abstraites; en quatrième de couverture ces formes se transforment en les corps de Chenda et Frédéric, dans une position qui se veut une réplique photographique du dessin au recto). Fig. 1: Aurita © LES IMPRESSIONS NOUVELLES, 2021 Fig. 2: photo F. Boilet © LES IMPRESSIONS NOUVELLES, 2021 20 DOI 10.24053/ ldm-2022-0003 Dossier Fig. 3: Aurita © LES IMPRESSIONS NOUVELLES, 2021 Fig. 4: Aurita © LES IMPRESSIONS NOUVELLES, 2021 DOI 10.24053/ ldm-2022-0003 21 Dossier En fait, la véritable signification de ce montage ne se fait jour qu’à travers la lecture du nouvel et troisième épilogue. L’édition intégrale ne se contente pas de réunir les tomes 1 et 2 de Fraise et chocolat, elle y ajoute une longue clausule, de nouveau intitulée „épilogue“, et c’est par rapport à cet addendum qu’il convient de lire l’image photographique en couverture. La photographie fonctionne en effet à deux temps: au niveau de la seule couverture, elle redouble l’illustration dessinée; au niveau du livre pris comme un ensemble, elle est une réplique, plus exactement une revanche, à la publication qui est au cœur de ce nouvel épilogue, à savoir 286 jours, le journal photographique à quatre mains de Frédéric Boilet et de Laia Canada, sa nouvelle amante rencontrée six mois à peine après la rupture avec Chenda (le 17 octobre 2011, apprend-on dans cet épilogue). 286 jours documente la période qu’a duré ce nouvel amour de Frédéric, du 26 juin 2012 au 27 avril 2013, c’est-à-dire terminée déjà au moment où Aurélia Aurita entreprend la composition du dernier épilogue en vue de la sortie de L’Intégrale (au cours du mois d’avril 2014, lit-on dès le début). Le chagrin amoureux et la jalousie sont encore tels que pendant sa lecture de 286 jours, Chenda ne peut que „défigurer“ la création photographique de Frédéric et Laia, d’abord en la transformant en dessins (l’épilogue de l’intégrale redessine plusieurs pages de 286 jours), puis en y substituant une autre photographie, la „sienne“, prise par Frédéric au moment de leurs amours et donc „volée“ par l’autrice pour se venger du double affront d’avoir été remplacée au bout de quelques mois et d’avoir à lire, à regarder, à subir le compte rendu, lui aussi „sans tabou“, d’une expérience similaire à celle qu’elle a vécue avec Frédéric, mais produite cette fois par lui en collaboration avec sa nouvelle partenaire. Ainsi, la lecture de L’Intégrale change de registre: l’humour, le clin d’œil, le fantasme, l’évasion, le plaisir, s’effacent au profit d’un réel qui ne cherche plus à broder sur le thème classique du vrai et du faux, des faits et de la fiction. Le mode du divertissement cède la place au mode de l’aveu sans fard, sans complaisance, sans pitié - mais aussi non sans courage. L’épilogue de L’Intégrale parcourt en effet la durée complète de l’histoire de Chenda et Frédéric, mais pour en livrer cette fois les documents bruts, les croquis et les textes du journal non retravaillés, non embellis. Les citations les plus cruelles sont celles du journal, non encore réécrit ou travesti dans l’euphorie de l’autrice vivant un amour fou et décidée coûte que coûte à en faire un „très beau livre“ (Aurita 2014: 26): 30 août 2005 Ce que je me sens isolée, ici. Je ne comprends pas le japonais, difficile de rencontrer des gens. J’ai déjà tout le côté charnel avec Frédéric. Mais j’ai besoin d’amis. J’aimerais parler des livres que j’ai aimés, des films que j’ai vus. Je n’y arrive pas avec Frédéric. Il ne m’écoute pas. Nous ne communiquons que par monologues. Les siens, les miens. Alors que nous sommes attentifs au plaisir de l’autre quand nous faisons l’amour (Aurita 2014: 34). Ce que nous révèle le troisième épilogue indique à quel point Chenda s’est fait prendre à son propre piège, enjolivant une réalité souvent sombre et déprimante. La fin, 22 DOI 10.24053/ ldm-2022-0003 Dossier au bout de L’Intégrale, est sans retour et l’ironie des épilogues antérieurs (le brouillage des faits et de la fiction dans le tome 1, les spéculations et projections dans le tome 2) n’a plus lieu d’être. En même temps, cette prise de conscience, si tardive et douloureuse soit-elle, est avant tout une libération. Le tressage vertigineux des divers dispositifs de l’épilogue, puis la transformation progressive du retour de l’autrice sur son propre récit, sont la preuve qu’Aurélia Aurita a dépassé le vécu immédiat, sans plus l’agrémenter, voire l’imaginer de toutes pièces, mais dans l’effort d’en faire à la fois un livre et plus qu’un livre, trouvant enfin la force de „[…] tourner la page. Il est grand temps […]“. Et cette fois, il n’y aura plus de place pour un nouvel épilogue aux épilogues. Aurita, Aurélia, Fraise et chocolat, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2006. —, Fraise et chocolat 2, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2007. —, Je ne verrai pas Okinawa, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles. —, Buzz-moi, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2009. —, Fraise et chocolat, l’intégrale, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2014. Aurita, Aurélia / Maier, Corinne, Ma vie est un bestseller, Paris, Casterman, 2015. Boilet, Frédéric, L’Épinard de Yukiko, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2017 [2001]. Boilet, Frédéric / Canada, Laia, 286 jours, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2014. Butor, Michel, L’Emploi du temps, Paris, Minuit, 1956. Genette, Gérard, Figures III. Discours du récit, Paris, Seuil, 1972. Guilbert, Xavier, „Fraise et chocolat de Aurélia Aurita“, in: Du 9, 2006, www.du9.org/ Fraise-et- Chocolat (consulté le 08.04.2021). Lavocat, Françoise, Fait et fiction: pour une frontière, Paris, Seuil, 2016. Lejeune, Philippe, Le Pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1975. Neaud, Fabrice, Journal (4 tomes), Angoulême, Ego comme X, 1996-2002. Reyns, C(h)ris / Gheno, Marina, „De ,Fraise et chocolat‘ à ,Buzz-moi‘ d’aurélia Aurita [sic]. D’un journal érographique à la mise en scène d’une mise à nu dans le contexte du tout dire‘“, in: Image [&] Narrative, 14, 1, 2013, 105-129. 1 Ce livre servira de modèle à une collaboration avec Corinne Maier, Ma vie est un bestseller (Aurita 2015). 2 Le nom de l’autrice, d’origine sino-khmère mais née en région parisienne en 1980, est Hakchenda Khun, „mais mes parents m’appellent Chenda“ (Aurita 1014: 270). Il y a déjà là un premier indice de la rupture du pacte autobiographique défini par Philippe Lejeune (1975), avec sa coïncidence des noms de l’auteur, du narrateur et du personnage. 3 Sur les démêlés de l’autrice avec les douanes et les services d’immigration japonais, cf. Je ne verrai pas Okinawa (Aurita 2008). 4 Il n’est pas interdit d’y ajouter une autre inversion, celle du stéréotype occidental qui veut que la pureté de la femme soit signalée par la couleur blonde des cheveux et la pâleur de sa peau, là où l’agressivité du partenaire masculin s’exprime par une peau plus sombre et des cheveux foncés. DOI 10.24053/ ldm-2022-0004 23 Dossier Marie Weyrich La création au féminin et l’écriture du Moi sous différentes déclinaisons: les autrices belges Anaële Hermans (Les amandes vertes. Lettres de Palestine) et Alix Garin (Ne m’oublie pas) Longtemps, la bande dessinée francophone est restée très masculine, tant au niveau de la profession, qui rassemblait une majorité d’hommes, qu’au niveau de l’imaginaire que les récits proposaient aux lecteurs (cf. Groensteen 2020: 303sqq.). Du côté de la création, les femmes autrices ou dessinatrices de bande dessinée sont toujours en minorité mais ne représentent plus forcément l’exception. C’est dans les années 1970 que la bande dessinée commence à se féminiser avec, d’une part, l’émergence d’une nouvelle génération d’autrices rendues visibles par les éditeurs et, d’autre part, l’affranchissement des coloristes, souvent féminines, qui sortent peu à peu de l’anonymat et marquent ainsi un grand pas vers la reconnaissance des femmes en bande dessinée (cf. Lesage 2019: 104). Le début des années 2000 représente également une étape importante à ce point de vue avec, notamment, le succès de Persépolis de Marjane Satrapi, publié à l’Association entre 2000 et 2003, et le lancement, en 2002, de la collection „Traits féminins“ aux éditions de l’An 2, qui mettait la création féminine à l’honneur. La féminisation dans le champ des littératures dessinées est aujourd’hui une réalité et la proportion féminine des créateurs est, à l’heure actuelle, estimée à près de 30 % (Groensteen 2021: 23). Du côté de la représentation de la femme dans la bande dessinée, la situation a également quelque peu évolué. Ainsi, dans la bande dessinée franco-belge classique, les personnages féminins étaient souvent marginalisés, stigmatisés même, essentiellement décoratifs et voués à des tâches ménagères peu héroïques. Les femmes étaient au foyer, secrétaires ou infirmières et étaient susceptibles, irascibles, superficielles et/ ou vulnérables. 1 Un exemple célèbre de représentation misogyne est celui de la Schtroumpfette qui arrive en 1967, une dizaine d’années après ses confrères masculins, et fait une entrée des plus machiavéliques puisqu’elle est façonnée et envoyée par le sorcier Gargamel afin de semer le chaos dans le village. 2 La recette étonnante qu’il emploie pour lui donner vie ne contient que des éléments peu flatteurs ou ridicules, allant de la coquetterie à la sottise, en passant par le mensonge et la larme de crocodile. Et lorsque le Grand Schtroumpf, ce patriarche, sauve la situation, ce n’est que pour transformer la Schtroumpfette laide, bête et méchante, en belle blonde, la rendant ainsi conforme aux stéréotypes de la beauté féminine véhiculés généralement à cette époque. Dans les années 1960, avec la libération des mœurs, les personnages féminins hypersexualisés font également leur apparition (cf. Groensteen 2020: 297). Ceux-ci ne s’imposent pas par leur intelligence, leur indépendance ou leur soif d’aventure, caractéristiques pourtant présentes, mais par leur physique: Ce sont des créatures de rêve, des objets de désir. 3 24 DOI 10.24053/ ldm-2022-0004 Dossier Même si elle est aujourd’hui plus nuancée, cette stéréotypie reste d’actualité. Il serait pourtant maladroit d’affirmer que les femmes, que ce soit au niveau de la création ou de la représentation, sont toujours écrasées par un imaginaire et une profession essentiellement masculins. La place prise par les autrices et dessinatrices en bande dessinée francophone est de plus en plus grande. Elles sont de plus en plus visibles, remettent en question l’organisation instituée par les hommes et bouleversent les codes de la bande dessinée. 4 Rejetant la futilité et les clichés attribués traditionnellement aux femmes au sein de la bande dessinée francophone en Belgique, Alix Garin et Anaële Hermans font partie de la jeune génération féminine qui se positionne clairement et puisent dans leur vécu pour développer une écriture du Moi intime et une sensibilité singulière. Les écritures du Moi, domaine investi par les femmes S’il est un domaine dans lequel les femmes s’illustrent en bande dessinée, c’est celui des écritures du Moi. Récits personnels, narrations autobiographiques, carnets, récits de voyage, journaux intimes, autofictions… Les déclinaisons du mode autobiographique 5 sont nombreuses. Cette diversité de manifestations narratives s’explique en partie par le développement historique de ce mode dans la bande dessinée francophone. Celui-ci se cristallise dans les années 2000 après avoir été, dans les années 1990, le symbole de la révolution éditoriale. Il s’est épanoui dans le champ d’une édition indépendante contestataire et résolument décidée à ne plus se soumettre aux modèles dominants, poussant les auteurs et autrices „vers une affirmation toujours plus radicale de leur subjectivité au point de souvent faire de leur propre personne l’objet privilégié de leurs œuvres“ (Dejasse 2005: 129). 6 Même s’il s’inscrit dans une tendance générale qui, dans le champ artistique, donne une place de choix à la parole autobiographique, il est, dans la bande dessinée, une occasion de se libérer des contraintes et des formes: Ici comme ailleurs, le je semble fournir les outils d’une contestation allant de pair avec une libération des formes: Que ce soit en littérature, au cinéma, dans l’art contemporain ou dans la bande dessinée, le matériau vécu donne les moyens de s’attaquer aux frontières de l’art (Mao 2014: s. p.). (Souligné par l’auteur) S’attaquer aux frontières de l’art veut aussi dire en repenser les formes et les codes et se libérer des contraintes imposées et définies par une majorité masculine. Que les autrices trouvent dans l’écriture du Moi un certain domaine de prédilection ne peut donc pas être un hasard. Tout comme dans la littérature, où l’investissement des femmes dans le discours intime est important, 7 le mode autobiographique en bande dessinée permet aux autrices de rendre visible leur voix et de prendre clairement position dans le champ de la bande dessinée. Ce positionnement n’est pas forcément militant, bien qu’il y ait des autrices se définissant clairement comme féministes. Il vise surtout à la revendication d’un statut d’autrice à part entière ainsi que d’un style graphique personnel lié à une certaine identité (cf. Brogniez 2010: DOI 10.24053/ ldm-2022-0004 25 Dossier 121-122). 8 Nous reprenons ici une phrase d’Erwin Dejasse: „Il ne s’agit pas pour elles de porter bien haut l’étendard de la bande dessinée de femme mais d’abord d’exprimer une vision résolument personnelle. Il est bien difficile, cependant, à la lecture de leurs livres, d’imaginer qu’il puisse être le fruit d’un auteur masculin“ (Dejasse 2005: 130). Les Amandes vertes. Lettres de Palestine (2011) et Ne m’oublie pas (2021) proposent deux formes différentes de l’écriture du Moi. Dans ces récits, les autrices belges Anaële Hermans, en collaboration avec sa sœur Delphine Hermans, et Alix Garin se racontent et puisent dans leur vécu, l’une par un récit de voyage autobiographique, l’autre en utilisant une narration fictionnelle inspirée de ses propres émotions et de sa propre expérience. Elles s’inscrivent ainsi dans la lignée d’un traitement du matériau autobiographique au sein de la bande dessinée francophone européenne, une sorte de tradition du ‚je‘ français qui aborde des domaines tels que ceux des souvenirs d’enfance ou de l’intimité émotionnelle (cf. Groensteen 1996). 9 D’autres aspects centraux font écho aux thèmes de prédilection de la création au féminin: les biographies de femmes réelles, la revalorisation de parcours féminins ainsi que la filiation (cf. Groensteen 2020: 310). Les Amandes vertes. Lettres de Palestine: un récit autobiographique personnel, intime et politiquement féminin Dans Les amandes vertes. Lettres de Palestine, la scénariste Anaële Hermans raconte son voyage en Palestine par le biais du dessin de sa sœur Delphine Hermans. Bien que l’autrice soit partie travailler dix mois pour l’Arab Educational Institute à Bethléem, et si l’on reprend les réflexions de David Vrydaghs (cf. 2010: 146-148), il s’agit plutôt d’un récit de voyage qui, contrairement à une bande dessinée de reportage, ne s’inspire pas des techniques de l’enquête. Il met en scène un monde nouveau pour le narrateur et utilise des modèles littéraires. Dans Les amandes vertes, le récit inclut la référence à une littérature épistolaire et l’utilisation du modèle du journal intime. Nous serions tentés ici de classer le récit dans la catégorie des autobiographies, dont le récit de voyage est un sous-genre. La prudence est pourtant de mise puisque l’objet qui nous intéresse n’est pas littéraire mais graphique et que les narrations autobiographiques en bande dessinée n’offrent que peu de points d’ancrage avec les bases théoriques développées pour le genre de l’autobiographie par Philippe Lejeune en 1975 (cf. Mao 2014: s. p.). La question de la représentation graphique du ‚je‘ en bande dessinée exemplifie cette affirmation; Le ‚je‘ multiple introduit dans Le pacte autobiographique (Lejeune 1975), qui résume l’auteur, le narrateur et le personnage à une seule identité, se voit subverti par un quatrième terme, celui du dessinateur (cf. Mao 2014: s. p.). De plus, dans Les amandes vertes, ce n’est pas Anaële Hermans qui se dessine elle-même, mais sa sœur Delphine Hermans. Bien que la création d’une bande dessinée nécessite la coopération de nombreux intervenants, 10 c’est le dessinateur ou le tandem dessinateur-scénariste qui occupe souvent le devant de la scène. Dans ce dernier cas, le processus de 26 DOI 10.24053/ ldm-2022-0004 Dossier création est collaboratif et il nous semble important de mettre à l’honneur un métier dont on parle peu, celui de scénariste. Pourtant, dans le cas du récit autobiographique, cette démarche pose d’une part, la question de la duplicité narrative en bande dessinée, et d’autre part, celle de la pertinence de la scission du tandem créatif. Penchons-nous sur la première de nos deux interrogations. La définition à dénotation restreinte que donne Philippe Lejeune de l’autobiographie 11 ne convient pas à la disparité du genre en bande dessinée. Car, à défaut du substantif, c’est l’épithète ‚autobiographique‘ qui décrit le mieux les manifestations graphiques en qualifiant un mode d’écriture et de lecture dont les formes sont variées (cf. Aaron 2010: 44). Les Amandes vertes est un récit de voyage à caractère autobiographique qui présente, selon la définition que Christine Plasse donne du récit autobiographique, „un discours narratif, rétrospectif et autoréflexif qui s’efforce de raconter une histoire personnelle revendiquée comme réelle et vécue“ (Plasse 2004: 110). Dès lors, la première de nos questions peut être reformulée comme suit: Le récit autobiographique reste-t-il authentique s’il n’est pas dessiné par la personne qui le raconte? Nous adhérons à la position de Jan Baetens qui réfute le caractère indispensable d’un auteur complet qui écrirait comme il dessine. Il affirme: „Le texte dit toujours autre chose que ce que montre l'image et inversement, même et surtout lorsque les deux régimes verbal et visuel cherchent à s'illustrer réciproquement de manière aussi sage et fidèle que possible“ (Baetens 2004). Dans ce sens, la présence de deux instances narratrices dans le récit autobiographique, l’une qui dessine et l’autre qui raconte, ne semble plus si absurde. Jan Baetens ajoute également: „Il est plus stimulant, au contraire, de reconduire le projet autobiographique à certaines formes d'élaboration ‚mixte‘ et d'ouvrir ainsi de nouvelles chances à cette démarche de l'autobiographie en bande dessinée“ (Baetens 2004). La collaboration parfois presque fusionnelle entre le scénariste et le dessinateur et la dynamique entre le texte et l’image dans le récit de bande dessinée nous amènent à formuler notre deuxième interrogation: Estil réellement pertinent de scinder le tandem scénariste-dessinateur et de ne prendre en compte qu’une seule des voix narratives présentes dans le récit? La dimension autobiographique se retrouve autant dans les aspects formels que dans le contenu du récit et il est envisageable de mettre à l’honneur l’une de ces parties plus que l’autre. Il serait pourtant, de notre point de vue, incongru de l’aborder de manière exclusive, sans prendre en compte l’articulation réciproque qui unit le dessin au contenu. Le récit de bande dessiné est un tout narratif, un ensemble présentant différents éléments en relation les uns aux autres. L’analyse du contenu et du texte écrit par Anaële Hermans ne peut donc pas se faire totalement sans le dessin de sa sœur. 12 Elle peut pourtant être mise en avant et être au centre de nos réflexions. Le récit Les amandes vertes. Lettres de Palestine met en scène un échange de courrier entre Delphine et Anaële Hermans. La narration est structurée en différents épisodes thématiques, introduits chaque fois par une carte postale de Belgique écrite par Delphine, à laquelle Anaële répond sur le mode chronologique du journal intime. Cette référence au modèle épistolaire est une construction narrative puisque, DOI 10.24053/ ldm-2022-0004 27 Dossier s’il y a bel et bien eu une communication entre les deux sœurs durant le séjour d’Anaële Hermans en Palestine, celle-ci se faisait par téléphone ou par courriels (cf. s. n. 2011). Le découpage en épisodes introduits par une carte postale permet de donner un cadre au récit, de le mettre en contexte et de restituer une réalité complexe, la perspective thématique étant de l’ordre du politique. Le conflit israélopalestinien et la vie quotidienne des Palestiniens sous l’occupation israélienne jouent un rôle important dans la narration, même si cette dernière aborde d’autres thèmes tels que les rencontres, les visites et la découverte de la culture palestinienne. Le texte court et léger de la carte postale contraste avec la narration du quotidien en Palestine et finit le plus souvent par une phrase qui introduit le récit d’Anaële. Une transition est ainsi faite vers la narration plus longue et les thèmes sérieux qui y sont abordés: emprisonnement, meurtres, oppressions, check points, guerre, pauvreté, famine… La violence semble omniprésente. D’autres thèmes comme celui du statut de la femme en Palestine (12 mai) ou celui de l’acceptation des étrangers (22 juin) sont également abordés. Le récit intime raconte des moments forts du séjour, des évènements qui choquent Anaële, l’ébranlent, la gênent, l’étonnent, l’émeuvent. Comme lorsque, dans la correspondance datée du 20 mai, elle raconte s’être rendue dans le camp de réfugiés d’Askar et qu’elle y apprend la mort d’un jeune homme de 14 ans, tué par des soldats (image 1). Elle s’insurge contre la phrase prononcée par Nasser, personnage qui vient de lui expliquer les circonstances du drame, qui dit, comme d’autres avant lui dans le récit: „C’est normal ici“ (Hermans 2014: s. p.). Arrive alors la réflexion suivante: „J’en ai marre d’entendre dire ‚c’est normal ici…‘ non, ce n’est pas normal“. Ce refus d’une normalité dominée par la violence dans la dernière case change totalement la lecture de la planche. Le compte rendu presque impassible du meurtre se voit réinterprété par l’opinion tranchée et le rejet d’une quelconque résignation. Cette dernière phrase donne au récit une dimension humaine que le dessin épuré ne transmet pas. Car, par son style non académique, le dessin, qui parait parfois même maladroit, permet au lecteur de prendre de la distance par rapport aux évènements racontés. Parallèlement, la narration est appuyée par l’utilisation des niveaux de gris qui offrent des contrastes parfois forts, parfois plus estompés, selon le contenu raconté. Et lorsqu’Anaële rentre en Belgique, les niveaux de gris laissent la place à un noir et blanc contrasté qui éclaircit les images (image 2). „On dirait que rien n’a changé ici“, s’exclame Anaële (Hermans 2014: s. p.). Les ombres disparaissent, et avec elles, la confusion culturelle et politique. À la complexité de la narration répond donc un graphisme dépouillé. Il met, de plus, l’accent sur l’expressivité et le côté personnel de la narration. Car la réflexion politique sur les évènements dont Anaële Hermans fait l’expérience est très subjective. La scénariste prend position; la restitution et l’agencement des expériences vécues contribuent à un discours non neutre et à une vision très individuelle du conflit politique. Cela fait écho aux réflexions de Pierre-Alban Delannoy qui affirme: 28 DOI 10.24053/ ldm-2022-0004 Dossier Image 1: Nasser raconte à Anaële le meurtre d’un jeune homme à Askar Anaële et Delphine Hermans © EDITIONS WARUM 2016-2022 DOI 10.24053/ ldm-2022-0004 29 Dossier Image 2: Anaële est de retour en Belgique Anaële et Delphine Hermans © EDITIONS WARUM 2016-2022 On touche ici, me semble-t-il, à ce qui fait la spécificité d'un courant de la BD qui s’est développé au cours des dernières décennies et qui s’attache à parler de la réalité d’une manière non documentaire et sans user des artifices de l’image réaliste. Celui-ci a non seulement réussi à faire entendre sa voix singulière au sein de la bande dessinée, mais il a aussi trouvé une place dans le concert des médias. Son approche originale du réel l’a fait avancer, pour une part, dans les limites de la BD, revendiquées, et souvent aussi contre une partie de ses usages (Delannoy 2007: 103). L’autrice s’affirme également en tant que femme puisque la quasi-totalité des personnes qu’elle rencontre et avec qui elle échange dans le récit sont de sexe masculin et sont militants politiques. Sa voix féminine devient visible parmi celles, nombreuses, des hommes et intègre un domaine présenté comme typiquement masculin, celui de la politique. À travers son récit, Anaële Hermans met à l’honneur une autobiographie de femme, la sienne, et valorise ainsi son propre parcours féminin. Par l’écriture du Moi, elle prend position quant aux évènements politiques en Palestine, libère une voix singulière de femme et impose sa vision subjective. Le découpage du récit en épisodes et l’adoption du mode épistolaire et des codes du journal intime proposent une forme de narration originale adaptée à la complexité des évènements racontés et propice à l’affirmation d’une singularité certaine. Finalement, la dernière phrase d’introduction au récit des sœurs Hermans résume bien les arguments que nous venons de développer: „Ce livre propose un regard personnel sur une réalité complexe, à travers le prisme d’un échange intime“ (Hermans 2016: s. p.). 13 30 DOI 10.24053/ ldm-2022-0004 Dossier Ne m’oublie pas: une autofiction résolument féminine Dans Ne m’oublie pas, Alix Garin s’appuie sur son expérience personnelle pour écrire son récit fictionnel. Au centre de l’histoire se trouvent Clémence, jeune fille d’une vingtaine d’années, et sa grand-mère, Marie-Louise, qui souffre de la maladie d’Alzheimer. Ne supportant pas la vision de sa grand-mère enfermée dans une maison de repos, Clémence décide de l’enlever et de partir avec elle rejoindre sa maison d’enfance. Commence alors un road trip, une sorte de parcours initiatique incluant plusieurs thèmes propres au genre autobiographique (cf. Groensteen 2020: 65): 14 Outre la revalorisation de parcours féminins et la biographie d’une femme inspirée du réel, nous citerons - sans être exhaustifs - la maladie, le passage de l’adolescence à l’âge adulte ou encore les relations intergénérationnelles. Ne m’oublie pas fait partie de cette catégorie inaugurée par Serge Doubrovsky à la fin des années 1970 que l’on nomme ‚autofiction‘. Cette notion peu exacte peut être définie comme un récit fictionnel qui intègre le matériau autobiographique. Brouillant les repères entre fictionnel et référentiel, l’autofiction est une forme de récit personnel, une écriture du Moi, qui donne une place importante à l’imagination. Alix Garin le résume bien lorsqu’elle explique: „La part d’autobiographie est à la fois énorme et à la fois inexistante puisque toute l’histoire est une fiction“ (Éditions du Lombard 2021: 0’54’’-0’59’’). Bien que les catégories soient poreuses, nous partons du principe que le degré de fictionnalisation dans une autofiction est supérieur à celui présent dans une narration autobiographique. Car il ne s’agit pas, dans le cas qui nous occupe, du problème classique de la vision rétrospective nécessairement déformée qui trahirait le vécu et donc la dimension strictement référentielle du récit autobiographique. Alix Garin utilise la fiction pour mettre à distance une réalité douloureuse. Elle fictionnalise son expérience vécue et la met en scène, la transpose, dans un univers totalement fictif. Nous sommes donc ici dans un cas d’autofiction qui, contrairement à la définition qu’en donne Serge Doubrovsky qui insiste sur la véracité des faits racontés (cf. Doubrovsky 2001: 10), laisserait l’autrice au centre du texte mais transformerait son existence, et donc sa réalité vécue. 15 Pouvant être considéré comme une forme singulière de la pratique du témoignage, Ne m’oublie pas propose une projection de la créatrice elle-même dans un univers fictionnel. Celle-ci n’apparaît toutefois pas sous la forme d’un ‚je‘ autoreprésentatif mais dans la dimension émotionnelle véhiculée ainsi que dans les évènements racontés, fortement inspirés de son propre vécu. C’est la maladie de sa grand-mère qui a été le point de départ du projet narratif. Ce dernier a eu, selon l’autrice, un effet cathartique ( ARTE Journal 2021: 0’25’’): „C’est tellement douloureux d’assister comme ça à la dégénérescence cognitive de gens qu’on aime… je pense que c’est pour ça que j’ai implémenté toutes ces émotions que je ressentais dans une fiction pour mettre les choses à distance, prendre du recul et pouvoir continuer à avancer“ (cf. ibid. : 0’27’’-0’41’’). L’autrice nourrit la fiction d’éléments sortis de sa propre réalité. Cela se remarque par exemple au niveau des personnages. Marie-Louise est inspirée de sa grand-mère qui, elle aussi, DOI 10.24053/ ldm-2022-0004 31 Dossier cherchait son sac à main de manière incessante, ressassait ses souvenirs d’enfance et chantonnait „J’ai la mémoire qui flanche“ (cf. ibid. : 1’00’’-1’08’’). Elle projette également ses propres expériences et les attribue à Clémence, par laquelle elle transporte ses émotions personnelles. La part autobiographique se trouve donc davantage dans le contenu que dans la forme, même si le dessin n’y est pas tout à fait anodin, au point de vue des attitudes corporelles et des expressions du visage, par exemple, également inspirées de celles de sa grand-mère et des siennes (cf. BelgienNet 2021). La représentation de Clémence nous donne l’occasion d’aborder une autre facette de l’autofiction d’Alix Garin. L’autrice se libère des codes établis dans la bande dessinée traditionnelle en proposant un personnage principal féminin ne correspondant pas aux stéréotypes de la femme généralement véhiculés. Clémence est grande, maigre et presque sans formes (image 3). Elle porte une coupe de cheveux courte et a un look masculin qui, dans un premier temps, ne permet pas aux lecteurs de l’identifier en tant que femme. Cette représentation atypique permet pourtant de la mettre en contraste avec sa grand-mère, personnage plutôt type, et avec sa mère, personnage aux allures conventionnelles. L’appartenance à trois générations différentes de ce trio de femmes se retrouve graphiquement et favorise le traitement du thème des relations intergénérationnelles présent au niveau du contenu: Clémence, l’atypique, est jeune, rebelle, spontanée et ne mesure pas tout de suite les conséquences de son acte de kidnapping. Sa mère, plus expérimentée et fataliste face à la situation de sa propre mère, comprend rapidement la situation et ordonne à sa fille de revenir. Marie-Louise, âgée et courbée, ne comprend pas ce qui lui arrive et passe de l’euphorie à la détresse puis au réalisme face à sa maladie. Confrontée à la déchéance de Marie-Louise et à l’inaction de sa mère face aux décisions prises par la maison de repos, Clémence décide de prendre les choses en mains et d’agir. Elle est mise en avant graphiquement et narrativement. Le thème des relations intergénérationnelles présente donc ici plusieurs aspects: Le passage de flambeau entre mère et fille, la confrontation de la jeunesse et de la vieillesse, la relation entre une grand-mère et sa petite-fille, ou encore le passage à l’âge adulte qui représente, en ce sens, un parcours initiatique. La représentation du vécu de femmes est un choix revendiqué par l’autrice. Mettre en scène des héroïnes féminines a été, pour elle, une évidence: „Moi, j’ai des expériences de femme et j’avais envie de parler de ces expériences-là, de les montrer au grand public“ (BelgienNet 2021). Elle ajoute également: „Il faut enrichir la bande dessinée de cette expériencelà et de ce regard-là. Donc ça me tenait vraiment à cœur“ (ibid.). Dès lors, il s’agissait pour l’autrice de rendre visible une voix et une sensibilité féminine encore trop silencieuses dans le domaine de la bande dessinée francophone. Tout comme Anaële Hermans, Alix Garin puise dans son vécu et son intimité émotionnelle pour proposer une écriture féminine du Moi et affirmer sa voix dans des domaines masculins. Elle aborde également des thèmes qui la bouleversent mais les transmet aux lecteurs sous la couverture fictionnelle du récit. La mise en avant des souvenirs d’enfance et de l’intimité émotionnelle inscrit le récit de Ne m’oublie 32 DOI 10.24053/ ldm-2022-0004 Dossier Image 3: Clémence et sa grand-mère dans la maison de repos Garin © DARGAUD LOMBARD, 2021 15 INT_NEMOUBLIEPAS_00_FR_PG005_221.indd 15 6/ 11/ 20 10: 45 DOI 10.24053/ ldm-2022-0004 33 Dossier pas dans la lignée de la tradition du traitement du matériau autobiographique francophone (cf. Groensteen 1996). De plus, en racontant des parcours féminins fictifs inspirés de biographies réelles, elle valorise la femme et prend une position singulière dans le champ très masculin de la bande dessinée. Que ce soit par le contenu et la forme du récit ou par son choix d’autrice de mettre à l’honneur la femme, elle affirme sa subjectivité et sa vision féminine. Elle propose également une autre représentation de la femme et se libère ainsi des codes établis et d’une stéréotypie traditionnelle encore actuelle. Conclusion: deux déclinaisons féminines de l’écriture du Moi Les observations qui précèdent montrent clairement que Les amandes vertes. Lettres de Palestine et Ne m’oublie pas présentent deux déclinaisons différentes d’une écriture du Moi résolument féminine dans la bande dessinée francophone, et cela malgré des thèmes et des stratégies narratives très distincts. La part autobiographique des deux récits se retrouve surtout dans l’arrangement et le contenu narratif et se voit portée et transmise - de manière différente selon le cas étudié - par le dessin. Ce dernier appuie le propos et l’étoffe graphiquement. Par leurs narrations, les autrices Alix Garin et Anaële Hermans, accompagnée de sa sœur Delphine Hermans, apportent une parole, une sensibilité ainsi qu’un engagement clairement féminins. Elles s’éloignent totalement des clichés traditionnellement prêtés à la femme, fictive ou réelle, dans la bande dessinée francophone. Elles l’enrichissent ainsi de nouvelles visions, idées et réalités et renforcent une voix longtemps restée en retrait qui, qu’elle se veuille féminine ou féministe, se fait de plus en plus présente. Aaron, Paul et al. (ed.), Le dictionnaire du littéraire, Paris, Presses Universitaires de France, 2010. ARTE Journal, „‚Ne m’oublie pas‘, road-trip dessiné au pays d’Alzheimer“, La culture dans ARTE Journal, www.arte.tv/ fr/ videos/ 102371-000-A/ ne-m-oublie-pas-road-trip-dessine-au-pays-dalzheimer (publié en mars 2021, dernière consultation: 6 novembre 2021). Baetens, Jan, „Autobiographies et bandes dessinées“, in: Belphégor, 4, 1, https: / / dalspace. library.dal.ca/ bitstream/ handle/ 10222/ 47689/ 04_01_Baeten_autobd_fr_cont.pdf? sequence= 1&isAllowed=y (publié en novembre 2004, dernière consultation: 3 novembre 2021). BelgienNet, „Ne m’oublie pas. Interview mit der Comicautorin Alix Garin“, Interview réalisée par Marie Weyrich, https: / / belgien.net/ interview-alix-garin (interview publiée en novembre 2021, dernière consultation: 30 novembre 2021). Brogniez, Laurence, „Féminin singulier: les desseins du moi. Julie Doucet, Dominique Goblet“, in: Björn-Olav Dozo / Fabrice Preyat (ed.), La bande dessinée contemporaine, Bruxelles, Le Cri, 2010, 117-138. Ciment, Gilles, „Femmes dans la bande dessinée: des pionnières à l’affaire d’Angoulême“, in: Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 11, 2017, 148-166. Colonna, Vincent, Autofiction et autres mythomanies littéraires, Mayenne, Tristram, 2004. Dejasse, Erwin, „Typical girls. À propos de quelques créatrices de bandes dessinées apparues ces quinze dernières années“, in: Art & Fact, 24, „Femmes et créations“, 2005, 129-135. 34 DOI 10.24053/ ldm-2022-0004 Dossier Delannoy, Pierre-Alban, „BD de la réalité, réalité de la BD“, in: Pierre-Alban Delannoy (ed.), La bande dessinée à l’épreuve du réel, Paris, L’Harmattan, 2007, 101-118. Doubrovsky, Serge, Fils, Paris, Gallimard, 2001. Éditions Le Lombard, „Alix Garin raconte ‚Ne m’oublie pas‘ - 8 romans graphiques“, www. lelombard.com/ actualite/ actualites/ alix-garin-raconte-ne-moublie-pas (publié en janvier 2021, dernière consultation: 6 novembre 2021). Garin, Alix, Ne m’oublie pas, Bruxelles, Le Lombard, 2021. Glaude, Benoît, La bande dialoguée. Une histoire des dialogues de bande dessinée (1830- 1960), Tours, Presses Universitaires François Rabelais, 2019. Groensteen, Thierry, „Les petites cases du moi“, http: / / neuviemeart.citebd.org/ spip.php? article72 (publié en janvier 1996, dernière consultation: 2 novembre 2021). —, „Autobiographie“, in: id. (ed.), Le bouquin de la bande dessinée, Paris, Robert Laffont / Angoulême, La Cité Internationale de la bande dessinée et de l’image, 2020, 59-67. —, „Femmes (1): représentation de la femme“, in: id. (ed.), Le bouquin de la bande dessinée, Paris, Robert Laffont / Angoulême, La Cité Internationale de la bande dessinée et de l’image, 2020, 296-303. —, „Femmes (2): la création au féminin“, in: id. (ed.), Le bouquin de la bande dessinée, Paris, Robert Laffont / Angoulême, La Cité Internationale de la bande dessinée et de l’image, 2020, 303-311. —, „Une brève histoire de la littérature dessinée“, in: La Lettre de l’Académie des Beaux-Arts, 94, „Le Neuvième art. La bande dessinée à l’Académie“, 2021, 21-23. Hermans, Anaële / Hermans, Delphine, Les amandes vertes. Lettres de Palestine, Paris, Warum, 2016. Kovaliv, Gaelle / Porchet, Léonore, „Bande dessinée d’un autre genre“, in: Bédéphile, 5, 2019, 172-179. Lejeune, Philippe, Le pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1975. Lesage, Sylvain, L'effet livre. Métamorphose de la bande dessinée, Tours, Presses Universitaires François Rabelais, 2019. Mao, Catherine, La bande dessinée autobiographique francophone (1982-2013): transgression, hybridation, lyrisme, thèse de doctorat en langue et littérature française, Paris, Sorbonne, 2014. Paulin, Catherine, „L’écriture de soi: genres discursifs, mode discursif? Le récit des internements de Janet Frame: ‚Faces in the Water, An Autobiography‘“, in: Études de stylistique anglaise, 12, 2018, 269-289. Plasse, Christine, „Les écritures du moi: conscience de soi et représentation sociale“, in: Sociologie de l’Art, 1, OPuS 3, 103-130. Vrydachs, David, „Le récit de voyage en bande dessinée, entre autobiographie et reportage“, in: Björn-Olav Dozo / Fabrice Preyat (ed.), La bande dessinée contemporaine, Bruxelles, Le Cri, 2010, 139-148. s. n., „Les amandes vertes. Par Anaële et Delphine Hermans aux éditions Warum“, Interview réalisée par sbuoro, www.sceneario.com/ interview/ les-amandes-vertes-par-anaele-et-delphinehermans-aux-editions-warum_AMAND.html (publié en février 2011, dernière consultation: 4 novembre 2021). DOI 10.24053/ ldm-2022-0004 35 Dossier 1 Cette présentation schématique doit naturellement être relativisée. Il s’agit ici de décrire une tendance générale de la bande dessinée franco-belge. Il existe évidemment des nuances et des exceptions, comme par exemple le personnage de Séccotine, amie et rivale de Spirou et de Fantasio, créée en 1953. 2 La critique américaine Katha Pollitt a d’ailleurs développé, en 1991, ce qu’elle appelle „The Smurfette Principle“, le syndrome de la Schtroumpfette. Cette notion constate que l’action de la majorité de la production culturelle pour les enfants se concentre autour des garçons. Les filles restent souvent narrativement passives, sont stéréotypées et n’existent que par leurs relations aux garçons (cf. Kovaliv/ Porchet 2019: 175). 3 Ainsi apparaissent des personnages tels que Natacha de François Walthéry ou Yoko Tsuno de Roger Leloup. 4 Les initiatives dédiées à la promotion et à la visibilité de la bande dessinée féminine se structurent depuis quelques années. Nous citerons ici le Prix Artémisia de la bande dessinée féminine qui, fondé en 2007, se bat pour promouvoir la place des femmes dans la bande dessinée. Une autre initiative militante est le „Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme“ qui, depuis 2015 et comme son nom l’indique, lutte contre le sexisme dans le milieu. Ce collectif est à l’origine de ce qui est appelé „L’affaire d’Angoulême“ qui démarra sur un reproche fait aux organisateurs du Festival concernant le manque de parité dans le comité de sélection et le Grand Jury de l’édition de 2016. Le reproche initial se développa en véritable critique générale du système et de l’organisation du Festival d’Angoulême. L’article de Gilles Ciment, „Femmes dans la bande dessinée“, livre un résumé complet de cette affaire (Ciment 2017). 5 Nous nous inspirons ici d’un article de Catherine Paulin qui définit le récit de soi en tant que mode de communication autobiographique (Paulin 2018). 6 Il faut remarquer que l’autobiographie graphique, avant de s’épanouir dans l’édition alternative, a été accueillie chez les grands éditeurs où elle n’y a été, dans un premier temps, que peu exploitée (cf. Groensteen 2020: 63). 7 Dans sa contribution „Féminin singulier: les desseins du moi. Julie Doucet, Dominique Goblet“, Laurence Brogniez place le succès des récits autobiographiques auprès des autrices de bande dessinée dans une perspective historique de l’évolution du discours intime dans le champ littéraire et reprend l’argument d’un conditionnement historique et culturel des autrices déjà développé par Philippe Lejeune et Colette Cosnier (Brogniez 2010: 120- 122). 8 Les récits autobiographiques ont un lien fort avec la construction de l’identité. Les expériences personnelles racontées dans ces récits sont souvent présentées comme ayant contribué à la construction du Moi (cf. Brogniez 2010: 123). 9 Thierry Groensteen distingue, dans son article, le traitement du matériau autobiographique chez les auteurs de bande dessinée américains et européens. La scène américaine a, en effet, accueilli le récit autobiographique bien avant la scène francophone et aurait été, selon l’auteur, l’un des éléments déclencheurs de ce qu’il nomme „le courant autobiographique“ dans la bande dessinée francophone (cf. Groensteen 1996). 10 Nous insistons ici sur le caractère polyphonique de toute entreprise créatrice et rejoignons l’opinion de Benoit Glaude lorsqu’il affirme à propos de la réception d’une seule instance d’énonciation: „Cet ‚auteur complet‘ n’a jamais qu’une existence fictive, tout comme ‚le cinéaste‘ pour un film, il repose sur une définition romantique du créateur solitaire. En effet, le création d’une bande dessinée comme celle d’un roman ou d’un film implique la coopération de divers intervenants“ (Glaude 2019: 339). En ce sens, l’auteur complet est un fait de réception et ne correspond pas à la réalité de la production. 36 DOI 10.24053/ ldm-2022-0004 Dossier 11 „Un récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité“ (Lejeune 1975: 14). 12 D’autant plus que Delphine Hermans est intégrée à la narration puisque c’est son personnage qui est l’auteur des cartes postales initiant chaque chapitre. 13 Dans un autre contexte, il serait également intéressant de développer la catégorisation du récit dans la case ‚roman graphique‘. L’utilisation du terme livre, le découpage en épisodes qui font office de chapitres, l’utilisation du noir et blanc, les thèmes abordés, etc., tous ces aspects convergent vers la volonté d’une réception et d’un traitement littéraire du récit. 14 Thierry Groensteen propose une typologie du champ autobiographique qui retient deux critères: celui des pratiques ou „sous-genres“ et celui des thèmes dominants. Nous nous sommes inspirés de cette typologie (Groensteen 2020: 65). 15 L’autofiction est donc, dans notre cas, plutôt référentielle et se rapproche de la définition qu’en fait Vincent Colonna: „L’écrivain est au centre du texte comme dans une autobiographie (c’est le héros), mais il transfigure son existence et son identité“ (Colonna 2004: 75). DOI 10.24053/ ldm-2022-0005 37 Dossier Beatrice Nickel Eros und weiblicher Logos: Perspektiven auf die BD érotique au féminin 1. Einleitende Betrachtungen Dem Hauptteil dieses Beitrags, einer literaturwissenschaftlichen Analyse von Aude Picaults BD Déesse (2019), 1 sollen einige allgemeine Überlegungen zum Thema der weiblichen erregenden Literatur und einer möglicherweise spezifischen écriture féminine in diesem Bereich vorausgehen - selbstverständlich ohne jeden Anspruch auf Vollständigkeit. Das Cover von Déesse lässt schnell an ein anderes Beispiel erregender Literatur aus weiblicher Hand denken, nämlich an Anaïs Nins Delta of Venus (1977). 2 Im ersten Fall (Abb. 1) erinnert die visuelle Gestaltung des Titelwortes als Dreieck an die weibliche Scham, wobei die spitz auslaufenden geschwungenen Enden der meisten Buchstaben an gekräuselte Schamhaare erinnern könnten; im zweiten Fall verweisen die Titelworte metaphorisch auf diese. Abb.1: 3 Picault © LES REQUINS MARTEAUX, 2021 38 DOI 10.24053/ ldm-2022-0005 Dossier In beiden Fällen ist das Thema der Sexualität also ab dem ersten (visuellen oder verbalen) Paratext präsent. Nins fünfzehn erotische Kurzgeschichten kreisen um die verschiedensten Aspekte der menschlichen (und hierbei vor allem der weiblichen) Sexualität, wie Lust, Leidenschaft, Voyeurismus, Exhibitionismus, Selbstbefriedigung und Homosexualität. 4 Auf dem Umschlag von Picaults BD wird übrigens nicht nur auf das weibliche Genital verwiesen, sondern zugleich auf eine männlich markierte Begierde. Dies geschieht auf sehr subtile Weise; denn der Text auf dem roten Aufkleber („Satan l’habite“) könnte eine Doppelfunktion erfüllen: Erstens warnt er vor dem aus traditionell christlicher Perspektive sündigen Inhalt der BD, und zweitens entspricht er lautlich „Ça tend la bite“, wodurch auf obzöne Art und Weise auf ein erigiertes männliches Glied und damit auf die sexuelle Lust eines Mannes verwiesen werden könnte. 5 Vergleichsweise bekannt ist Nins Delta of Venus auch deshalb, weil sie sich im „Postscript“ der Sammlung zu einem spezifisch weiblichen Schreiben über Sexualität geäußert und dieses stark von erregender Literatur von Autoren abgegrenzt hat. […] I realized that for centuries we had had only one model for this literary genre [erotica] - the writing of men. I was already conscious of a difference between the masculine and feminine treatment of sexual experience. I knew that there was a great disparity between Henry Miller’s explicitness and my ambiguities - between his humorous, Rabelaisian view of sex and my poetic descriptions of sexual relationships in the unpublished portions of the diary. As I wrote in Volume Three of the Diary, I had a feeling that Pandora’s box contained the mysteries of woman’s sensuality, so different from man’s and for which man’s language was inadequate. Women, I thought, were more apt to fuse sex with emotion, with love, and to single out one man rather than be promiscuous. […] But although women’s attitude towards sex was quite distinct from that of men, we had not yet learned how to write about it. […] I finally decided to release the erotica [The Delta of Venus] for publication because it shows the beginning efforts of a woman in a world that had been the domain of men (Nin 1977: 12sq.). Halten wir als Zwischenergebnis fest: Anaïs Nin ist sich erstens bewusst, mit ihrer Sammlung erotischer Kurzgeschichten ein männlich besetztes literarisches Terrain betreten zu haben. Und tatsächlich lässt ein Blick auf die Standardwerke der erotischen Literatur keinen Zweifel daran: Paul Englischs Geschichte der erotischen Literatur (1927) führt keine einzige Autorin an, in Sarane Alexandrians fast 700 Seiten umfassender Histoire de la littérature érotique (1989) werden zwar auch Autorinnen in den Blick genommen, allerdings nur im Rahmen eines einzigen Kapitels, das kaum 80 Seiten umfasst, und in Carolin Fischers Gärten der Lust. Eine Geschichte erregender Lektüren (1997) nimmt das Kapitel „Weibliche Fiktionen“ (Fischer 2000: 298-302) einen so verschwindend kleinen Raum ein, dass sich unweigerlich der Eindruck einer quantité négligeable einstellt. Und dennoch gibt es spätestens seit der antiken Liebesdichterin Sappho Autorinnen unterschiedlichster erotischer Literatur in Vers und Prosa, deren Anzahl seit dem 19. Jahrhundert beständig zugenommen hat. Vor allem seit dem 20. Jahrhundert erschreiben sich auf internationaler Ebene, DOI 10.24053/ ldm-2022-0005 39 Dossier vor allem aber in Frankreich, immer mehr Autorinnen immer selbstverständlicher die einstige Männerdomäne der erregenden Literatur (z. B. Christine Angot, Virginie Despentes, Renée Dunan, Benoîte Groult, Annika Hennebach, E. L. James, Erica Jong, Catherine Millet, Anaïs Nin, Liane de Pougy, Charlotte Roche, Maria Sveland, Renée Vivien). Zugleich erregen erotische Romane von Frauen selbst heute noch ein vergleichsweise großes Aufsehen. Es sei an dieser Stelle nur daran erinnert, welche große mediale Aufmerksamkeit E. L. James’ Roman-Trilogie Shades of Grey (2011) erregt hat. Zweitens glaubt Anaïs Nin ein spezifisch weibliches Schreiben über Sexualität ausmachen zu können, das eine enge Verbindung von Geschlechtsakt und Liebesgefühl voraussetze und sich somit stark vom männlichen Schreiben über das Thema Sexualität unterscheide: „Sie [Nin] wiederholt die alten Klischees, daß Frauen Sexualität mit Gefühlen verbinden, wohingegen Männer zu Promiskuität neigen“ (Fischer 2000: 298). Dies wiederum sorge für geschlechtsspezifische Stile im Bereich der erotischen Literatur. Das heißt, im Jahre 1977 geht Anaïs Nin wie selbstverständlich von einer speziell weiblichen Form der Sexualität aus, der eine ganz eigene Sprache und literarische Darstellung entspricht. Beschrieben wurde Nins Vorgehen auch als „[…] playful and neurosis-free version of a woman’s quest for sexual fulfilment […]“ (Blinder 2006: 958). Um es vorwegzunehmen: War es in den 1970er Jahren, zur Zeit der Entstehung von The Venus of Delta, schon eine Sensation, dass eine Frau die menschliche und vor allem weibliche Sexualität zum Thema eines literarischen Werkes macht, so gilt dies im Jahre 2019, als Aude Picault ihre BD Déesse veröffentlicht, nicht mehr (uneingeschränkt). Insofern nimmt es auch wenig wunder, dass in der BD die verbalvisuelle Darstellung weiblicher Sexualität nicht an eine spezifisch weibliche écriture gebunden ist, der eine untrennbare Kopplung von Sexualität und Liebesgefühl zugrunde liegt. Aude Picault geht es vielmehr um die Darstellung der reinen sexuellen Lust und Sinnlichkeit von Frauen, die mit dem Recht auf ein selbstbestimmtes Leben legitimiert wird. Bei der titelgebenden Göttin in Déesse handelt es sich um Lilith, worauf im Hauptteil des vorliegenden Beitrags näher eingegangen wird. In The Delta of Venus trägt eine der Kurzgeschichten den - auf den Namen der Protagonistin zurückgehenden - Titel Lilith. Beide Autorinnen messen Lilith einen großen Verweisungscharakter zu: Sie wird als Symbol der sexuellen Revolution der Frau funktionalisiert. Inwieweit dies auf den traditionellen Lilith-Mythos zurückzuführen ist, wird sich noch zeigen. Hier soll nun zumindest ein kurzer Blick auf Nins Erzählung geworfen werden, bevor Aude Picaults Herangehensweise an das Thema der (vornehmlich) weiblichen Sexualität im Fokus der Untersuchung steht. In Nins Kurzgeschichte geht es im Kern um eine sexuell unerfüllte, frigide Ehefrau namens Lilith („Lilith was sexually cold“, Nin 1977: 69), deren Ehemann für die Störung ihrer Sexualität nur Unverständnis aufbringt, woraus sich der primäre Konflikt in der Geschichte entwickelt: „[…] he retired behind this wall of objective understanding, this gentle teasing and acceptance of her, just one watches an animal in the zoo and smiles at his antics, but is not drawn in the 40 DOI 10.24053/ ldm-2022-0005 Dossier mood. It was this which left Lilith in a state of isolation […]“ (ibid.: 70). Eines Tages täuscht Liliths Ehemann vor, ihr statt des handelsüblichen Süßstoffes ein Aphrodisiakum gegeben zu haben. Der Hauptteil der Kurzgeschichte belegt sodann die Macht der Einbildungskraft, denn die vermeintlich frigide Lilith erlebt plötzlich Momente sexueller Erregung und Befriedigung. So lässt Nin die Leser und Leserinnen an ihren eigenen Erfahrungen mit Selbstbefriedigung, voyeuristischen Erlebnissen und ihren tiefsten sexuellen Wünschen mit einem unbestimmten, imaginären Mann teilhaben: Now a man with whom I am very much in love enters. […] He will not put out the light. He will keep looking at me with this desire, admiring me, worshopping me, warming my body with his hands, waiting until I am completely aroused, every little part of my skin (ibid.: 73). Der erste Satz dient dabei gewissermaßen als praktischer Beleg für die Richtigkeit der im Postscript geäußerten These, dass Frauen Sexualität stets mit Gefühlen verbinden und ein weibliches erotisches Schreiben dies zu berücksichtigen habe. Der Fortgang der Geschichte zeigt, dass Lilith nicht prinzipiell frigide ist, sondern nur mit Blick auf ihren Ehemann; denn als sie zu Hause ankommt, hat sie jede sexuelle Begierde verloren. Um die Erfahrung der sexuellen Erregung und Befriedigung reicher, macht sich Lilith fortan selbstständig auf die Suche nach wirksamen Mitteln zur Steigerung der sexuellen Lust (Vanille, Zwiebeln, indische Liebeskugeln etc.). Und hier nun lässt sich gut zu Aude Picaults Déesse überleiten. Denn so unterschiedlich Nins Erzählung Lilith und Picaults BD auf den ersten Blick - inhaltlich wie stilistisch und formal - auch erscheinen mögen, weisen sie doch eine wesentliche Gemeinsamkeit auf: Beide führen Frauenfiguren vor, die erstens ihre Sexualität entdecken, und zwar ohne die aktive Unterstützung eines Mannes, und sich zweitens dazu entschließen, ein in sexueller Hinsicht selbstbestimmtes Leben zu führen - mit allen Konsequenzen. Beide Autorinnen bekennen sich offen zur weiblichen Sinnlichkeit und bieten vor allem den Leserinnen eine Alternative zu traditionellen Rollenbildern und -zuweisungen an, auch wenn Picault in ihrer BD deutlich weiter geht als Nin in ihrer Kurzgeschichte. Sie hebt beispielsweise die von Nin proklamierte Verbindung von weiblicher Sexualität und Gefühl völlig auf, indem sie die reine sexuelle Begierde vorführt. Beide lassen sich dennoch als ein Plädoyer für weibliche Selbstbestimmung und Emanzipation lesen. Schon insofern unterscheiden sie sich stark von erotischer Literatur von (männlichen) Autoren. 2. Aude Picault, Déesse (2019) Erschienen ist Aude Picaults Déesse als zwanzigster Band in der Reihe BD CUL , die u. a. Titel wie Hugues Micols La planète des vûlves (2010) und Wassim Boutalebs L’éjaculation sentimentale (2017) enthält. 6 Insofern dürften die Erwartungen einiger Leserinnen und Leser enttäuscht worden sein; denn bei Déesse handelt es sich um keine hochgradig erotische, erregende oder gar pornographische BD, sondern viel- DOI 10.24053/ ldm-2022-0005 41 Dossier mehr um eine kulturgeschichtlich fundierte kurze Geschichte der beiden Geschlechter, die eine réécriture der biblischen Schöpfungsgeschichte darstellt. Hier geht es sowohl um das Verhältnis von Mann und Frau als auch um ein Plädoyer für weibliche Selbstbestimmung, und zwar vor allem mit Blick auf eine frei gelebte weibliche Sexualität, die nicht durch gesellschaftliche Normen, geschlechtsspezifische Rollenvorstellungen und Verbote eingeschränkt wird. Angekündigt wurde diese preisgekrönte BD u. a. als „la bible version cochonne“ und „le livre qui ébranle le pape“. 7 Bei der titelgebenden, zunächst namenlos bleibenden Göttin („ JADIS, RÉGNAIT LA GRANDE DÉESSE “ 8 ) handelt es sich, wie man etwas später erfährt, um Lilith. Picault vereint in ihrer BD eine sumerische visuelle Darstellung Liliths mit einer réécriture des Lilith-Stoffes in der hebräischen Mythologie. 9 Dadurch erscheint Lilith nicht nur als eigenständige Göttin und Dämonin, sondern auch als erste Frau an Adams Seite. Die BD wird mit einer Abbildung eingeleitet, die große Ähnlichkeit mit einem Terrakottarelief aus dem 2. Jahrtausend v. Chr. aufweist, das sehr wahrscheinlich Lilith darstellt. 10 Picaults visuelle Darstellung ist dabei zweigeteilt: Die erste Abbildung (Abb. 2) zeigt Lilith bis etwa zur Mitte ihrer Oberschenkel, die zweite Abbildung (Abb. 3) zeigt ausschließlich ihre untere Körperhälfte und hierbei vor allem auch die Umgebung ihrer Füße. Das Relief zeigt Lilith demgegenüber von Kopf bis Fuß. Picaults gestalterische Entscheidung führt dazu, dass einzig die weibliche Scham auf beiden Illustrationen erscheint. Dies lässt sich als Vorausblick auf Liliths umfangreiches Sexualleben und ihre ausgeprägte Libido, die die BD im weiteren Verlauf mit visuellen und verbalen Mitteln in Szene setzten wird, deuten. Beide Frauengestalten sind nackt und besitzen einen außergewöhnlich wohlgeformten Körper, an dem vor allem jene Attribute, die im Allgemeinen mit Weiblichkeit assoziiert werden, besonders auffallen (volles, langes Haar, 11 große Brüste, schlanke Taille, ausladende Hüfte). Die von Picault gezeichnete Lilith besitzt darüber hinaus noch eine dichte Schambehaarung, die auf die visuelle Gestaltung des Titelwortes zurückverweist. Wie dies für die Frauengestalt auf dem Relief gilt, so wird auch die Frauengestalt in der BD durch ihren speziellen Kopfschmuck eindeutig als Göttin dargestellt: „Auf Anhieb wird klar, daß wir es mit einer anerkannten Göttin zu tun haben, denn auf dem Kopf trägt sie eine gehörnte Tiara, und derlei ‚Kronen‘ waren in der sumerischakkadischen Ikonographie allein Gottheiten vorbehalten“ (Zingsem 2009: 23). In Ergänzung zu diesem visuellen Symbol wird der Status der Figur als Göttin im Falle Picaults durch den verbalen Zusatz „ LA GRANDE DÉESSE “ bestätigt. In beiden Fällen ist die weibliche Figur umgeben von symbolträchtigen Tieren. So erscheint Lilith aufs Engste verbunden mit Löwen, weiteren traditionellen Attributen von Göttinnen: „Lilith steht auf dem Rücken von Löwen. Auch dies ein machtvolles Symbol großer Göttinnen. […] Löwen gelten allgemein als Symbol einer machtvollen Potenz, die in fernen Zeiten offensichtlich noch problemlos mit weiblicher Stärke verbunden erscheinen konnte“ (Zingsem 2009: 25). 42 DOI 10.24053/ ldm-2022-0005 Dossier Abb. 2: Picault © LES REQUINS MARTEAUX, 2021 Abb. 3: Picault © LES REQUINS MARTEAUX, 2021 DOI 10.24053/ ldm-2022-0005 43 Dossier Auf den Köpfen der beiden abgebildeten Löwen sitzen wiederum Eulen, wobei diese Vögel ebenfalls eine große Symbolfunktion besitzen: Die beiden großen Eulen, die Liliths Löwenthron einrahmen, werden oft als Botinnen von Unheil und Tod gedeutet. Eulen gelten jedoch ebensosehr als Symbole von Weisheit und Wissen […]. Lilith ist nicht nur von Eulen umgeben, sie trägt auch selber Flügel, die sie wie ein Schutzmantel umhüllen. […] Keine große Göttin, die nicht ‚fliegen‘ könnte, wobei ihre Fähigkeit zu fliegen durchweg gleichgesetzt wird mit ihrem Vermögen, die Grenzen von Raum und Zeit zu überschreiten (Zingsem 2009: 25sq.). Kommen wir zu einem weiteren Detail des Reliefs: Die darauf abgebildete Frauengestalt besitzt keine menschlichen Füße, sondern stattdessen Vogelkrallen, was als Zeichen eines unheilbringenden animalischen oder dämonischen Charakters gedeutet wurde. Picaults Lilith besitzt nur auf einem Bild Krallen statt Füßen (und Händen). Dieses Bild ist signifikanterweise folgendermaßen überschrieben: „ RÉDUITE À UNE FIGURE DÉMONIAQUE, LA GRANDE DÉESSE NE REPRÉSENTERA PLUS QUE RUINES ET DÉSOLATION “. Picaults Lilith ist damit zunächst eine Göttin gewesen und erst dadurch, dass sie durch einen anderen Gott, nämlich „ UN DIEU GUER- RIER “, ersetzt wurde, zur Dämonin gemacht bzw. erklärt worden. Die geschlechtsspezifischen Implikationen brauchen an dieser Stelle nicht eigens erläutert zu werden. Hier endet die einführende Vorgeschichte der Haupthandlung, und zwar ganz konkret mit folgenden ankündigenden Worten: „ DE NOMBREUX MYTHES RELATENT CETTE DÉCHÉANCE SYMBOLIQUE. L’HISTOIRE QUI VA SUIVRE EST L’UN D’ENTRE EUX “. Schon in dieser Vorgeschichte erscheint Lilith damit nicht nur als Göttin, sondern auch als dämonisches Wesen. Beide Deutungen haben sich in den zahlreichen Mythen um Lilith bzw. den Darstellungen und Beschreibungen Liliths als die entgegengesetzten Pole des Interpretationsspektrums herauskristallisiert. 12 Dies spricht übrigens einmal mehr dafür, dass Lilith zunächst als Göttin verehrt wurde; denn „[d]aß die Gottheiten früherer Epochen zu DämonInnen der späteren werden, ist ja ein religionsgeschichtlich durchgängiges Motiv“ (Zingsem 2009: 27). Doch wie wird die Degradierung von der Göttin zur Dämonin in der BD motiviert? Zunächst erfährt man, dass sie Göttin über Leben und Tod und ebenso mächtig wie weise sei. Die sie verehrenden Völker lebten einst in Frieden miteinander. Könige, die Krieg führen wollten, haben zunächst mit der „ GRANDE PRÊTRESSE “ sexuell verkehrt und haben ihre Kriegspläne nur dann weiter verfolgt, wenn sie durch ein sexuelles Zeichen Liliths gesegnet wurden: „ ET PAR SES ORGASMES OCÉANIQUES, ELLE DÉLIVRAIT LA BÉNÉDICTION DE LA DÉESSE. “ Schon hier erscheint die Sexualität völlig losgelöst vom Fortpflanzungstrieb und als positive Kraft. Zugleich wird der (primär weiblichen) Lust ein hoher Stellenwert zugeschrieben. Die unter dem Zitat erscheinende Abbildung zeigt die nackte Priesterin beim Geschlechtsverkehr mit einem der zuvor genannten Könige, wobei ihr geöffneter Mund und ihre geschlossenen Augen sowie vor allem die wellenförmigen Linien, die von ihr wie von einem Mittelpunkt oder Epizentrum ausgehen, als visuelle Zeichen der höchsten sexuellen 44 DOI 10.24053/ ldm-2022-0005 Dossier Erregung zu interpretieren sind. Im Fortgang der Geschichte soll ein fremdes Volk die Könige, die Lilith verehrt haben, unterworfen und die Göttin selbst durch einen Kriegsgott ersetzt haben. Dieser habe sie zu seiner Ehefrau gemacht und sie damit des Rechts auf (weibliche) Selbst- und Mitbestimmung beraubt („ RABAISSÉE AU RÔLE D’ÉPOUSE, SANS INFLUENCE […] “). Fortan sollen alle humanitären Katastrophen und Naturkatastrophen ihr angelastet worden sein. Insofern endet dieser Teil folgerichtig mit der Degradierung der Göttin zur Unheil bringenden Dämonin. Die nun einsetzende Geschichte, „ L’HISTOIRE QUI VA SUIVRE “, die einen der zahlreichen Mythen um Lilith präsentieren soll, orientiert sich stark an der Darstellung Liliths in der hebräischen Mythologie, die sie als Adams erste Frau imaginiert. 13 Damit ist der Wechsel von der Vorgeschichte zu dieser Geschichte zugleich mit einem Zeitsprung von mehr als 1000 Jahren verbunden. Schon zu Beginn weicht Picault in einem wesentlichen Punkt von der hebräischen Überlieferung ab: Sie erweckt den Eindruck, als seien Adam und Lilith zeitgleich geschaffen worden, wenn es heißt: „ ENFIN, DIEU CRÉA L’HUMANITÉ. À SON IMAGE, MÂLE ET FEMELLE, IL LA CRÉA. “ In der hebräischen Mythologie hingegen wird Adam vor Lilith von Gott das Leben geschenkt: „Als Gott den ersten Menschen erschaffen hatte, sagte er: ‚Es ist nicht gut, daß der Mensch allein sei‘ und schuf ihm eine Frau […] und nannte sie Lilith“ (zit. n. Zingsem 2009: 30). Hier scheint die Frau geradezu menschheitsgeschichtlich sekundär und damit zur Inferiorität verurteilt zu sein. In den Versionen des hebräischen Lilith-Mythos entflammt schnell ein Streit zwischen ihr und Adam, wer von beiden beim Geschlechtsverkehr oben und wer unten liegen dürfe; denn freiwillig möchten sich beide dem jeweils anderen nicht auf diese Art unterwerfen. Diese Situation ist in Picaults BD auf eindringliche Weise verbal-visuell ausgestaltet (Abb. 4). Schon hier wird ein Charakteristikum von Picaults konkreter Realisierung des (erotischen) Inhalts offenkundig: Weder ihre verbalen Ausführungen noch ihre Illustrationen sind pornographisch gestaltet. Letztere zeigen zwar vielfach primäre und sekundäre weibliche sowie männliche Geschlechtsmerkmale, die Zeichnungen sind aber sehr einfach gehalten und zeigen nur Konturen, die mehr andeuten als konkret vor Augen führen. Dementsprechend gering ist - v. a. mit Blick auf die Darstellung von Geschlechtsteilen - der Grad an Wirklichkeitsnähe. Dies wird nicht erst dann augenscheinlich, wenn man Picaults Zeichnungen des männlichen Gliedes in Déesse mit entsprechenden Abbildungen in beispielsweise Zeps BD Happy Sex (2009) vergleicht. 14 Auf acht Seiten werden Lilith und Adam den Rezipientinnen und Rezipienten der BD beim Geschlechtsverkehr in unterschiedlichen Stellungen vor Augen geführt, wobei sie ihn aktiv und selbstbewusst zu einem Stellungswechsel auffordert, nachdem er zunächst - in der traditionellen Missionarsstellung - oben und damit zugleich in der dominanten Position war: „Allez, on change“ - „À moi de bouger un peu …“ - „… Adam“. Auf dem obigen Bild wird Lilith in einer sehr dominanten Position gezeigt, im Unterschied dazu ist Adam völlig bewegungsunfähig. Durch die gleichzeitige Penetration und Berührung ihrer Klitoris erlebt Lilith einen jener zuvor benannten DOI 10.24053/ ldm-2022-0005 45 Dossier „ ORGASMES OCÉANIQUES “, nachdem Adam seinen Höhepunkt schon hinter sich hat. Lilith hat hier ihr Recht auf Befriedigung ihrer sexuellen Lust selbstbewusst eingefordert. Das Ergebnis ihrer Handlung ist das orgiastische Vergnügen beider Geschlechtspartner. Und dennoch lehnt Adam diese Position nach einer kurzen Zeit der Reflexion ab. Wollte man an dieser Stelle einige der von Michel Foucault in La volonté de savoir (1976) aufgestellten Theorien zur menschlichen Sexualität anwenden, auch wenn er die Literatur nicht als einen jener Orte anführt, an dem sich die Diskurse über die menschliche Sexualität vervielfältigt haben, so ließe sich - auch ergänzend zu seinen Ausführungen - Folgendes festhalten: Lilith steht somit sowohl in der hebräischen Tradition als auch in der BD für jene Pathologisierung und Hysterisierung der Frau („hystérisation de la femme“, Foucault 1976: 150), die Foucault für das 19. Jahrhundert ausmacht, da sie bzw. ihr Körper als sexuell durchdrungen erscheint und Adam ihre sexuellen Wünsche als Ausdruck ihres Anspruchs auf Ebenbürtigkeit für widernatürlich erklärt. Wir haben es darum mit einem prägnanten Beispiel für jene „mise en discours du sexe“ (ibid.: 20) zu tun, die Foucault ab dem 18. Jahrhundert bemerkt. Zugleich bestätigt der Fall Liliths in beiden Varianten die enge Verbindung von Sexualität und Macht; denn Adam fühlt sich in seinen Superioritätsansprüchen (qua Geschlecht) von Lilith bedroht. In diesem Sinne stellt der Adam in Picaults BD fest: „Cette position n’est pas tenable. Je dois rester au-dessus, pour garder le contrôle.“ Völlig zu Recht hat Foucault darauf beharrt, dass Sexualität in der Etablierung von Machtverhältnissen eine zentrale Rolle zugewiesen werden muss: Abb. 4: Picault © LES REQUINS MARTEAUX, 2021 46 DOI 10.24053/ ldm-2022-0005 Dossier De là aussi le fait que le point important sera de savoir sous quelles formes, à travers quels canaux, en se glissant le long de quels discours le pouvoir parvient jusqu’aux conduites les plus ténues et les plus individuelles, quels chemins lui permettent d’atteindre les formes rares ou à peine perceptibles du désir, comment il pénètre et contrôle le plaisir quotidien - tout ceci avec des effets qui peuvent être de refus, de barrage, de disqualification, mais aussi d’incitation, d’intensification, bref les ‚techniques polymorphes du pouvoir‘ (ibid.). Adam akzeptiert Liliths Anspruch auf eine freie und selbstbestimmte Sexualität nicht, indem er ihr eine Position beim Geschlechtsverkehr untersagt, die ihr zwar die größte Lust verschafft, ihn ihr aber völlig ausliefert und dadurch vermeintlich unterordnet. Durch Adams Zuschreibung einer für Lilith als Frau angemessenen Form der Sexualität wird diese zugleich Objekt eines von ihm etablierten Machtdiskurses; das Sexualitätsdispositiv führt hier zur Unterdrückung der weiblichen sexuellen Wünsche und Entfaltungsmöglichkeiten. Sexualität zeigt sich hier aufs Engste verknüpft mit dem sexe. Liliths Aufbegehren gegen Adam mündet unmittelbar in der sexuellen Revolution, und zwar nicht nur ihrer, sondern - daran lassen die Schlussworte der BD („[…] EN NOUS [les femmes contemporaines]… …ELLE [Lilith] EST RESTÉE INTACTE “) keinen Zweifel - des ganzen weiblichen Geschlechts. Gehen wir näher auf die eingangs benannte folgenreiche Abweichung Picaults von der hebräischen Mythologie ein: die gleichzeitige Schöpfung von Mann (Adam) und Frau (Lilith). In der BD hält Adam ausschließlich sich (und - in Erweiterung des Gedankens - damit das männliche Geschlecht) für „le MOI de la création“, während Lilith auf ihrer Ebenbürtigkeit besteht: „Adam, nous sommes deux facettes d’une même entité“. Dabei wird die proklamierte Gleichwertigkeit beider Geschlechter auf deren Gottesebenbildlichkeit zurückgeführt. Adam besteht jedoch vehement darauf, dass Lilith sich ihm zu unterwerfen habe, und versucht, sein vermeintliches Vorrecht auch unter Anwendung körperlicher Gewalt durchzusetzen. Dass Lilith es ablehnt, sich Adam zu unterwerfen, führt dazu, dass sie den Garten Eden verlässt und Adam Gott um eine neue Frau bittet, die er in Gestalt von Eva dann auch bekommt. Dieses Mal wird die Frau jedoch aus Adams Rippe geschaffen, wodurch ihre Inferiorität von Anfang an gerechtfertigt zu sein scheint: „ JE LA [Ève] TIRERAI DE TON CÔTÉ [d’Adam]. VOUS SEREZ AINSI INDÉFÉCTIBLEMENT LIÉS “. Eva erscheint dabei als Gegenbild zu Lilith, und zwar sowohl optisch als auch durch ihr Verhalten: Eva besitzt kurze blonde Haare statt langer schwarzer, und sie hat ihre Sexualität - ganz im Gegensatz zu Lilith - nicht entdeckt, sondern lässt sich von Adam unterrichten. Eva akzeptiert von Anfang an Adams Superiorität und seine Rolle als ihr Meister: „Tu vas tout m’apprendre alors? “ Zunächst macht Adam Eva mit ihren Geschlechtsteilen vertraut und hat dann Geschlechtsverkehr mit ihr, wobei Eva alles begierig aufnimmt, was Adam ihr sagt und zeigt. Er probiert unterschiedliche Stellungen aus; Eva erfüllt dabei - ganz anders als Lilith - immer nur eine passive Rolle. Auch an dieser Stelle dürfte die BD keine erregende Wirkung ausüben. Jedenfalls lässt die onomatopoetische Gestaltung an dieser Stelle („ PLAK PLAK PLAK PLAK PLAK PLAK “) eher an einen mechanischen Vorgang denken denn an leidenschaftlichen Geschlechtsverkehr. Genau diesen Eindruck verstärken aber DOI 10.24053/ ldm-2022-0005 47 Dossier auch Adams sehr bestimmte, kurze Befehle an Eva, wenn sie sich zum Beispiel drehen („Tourne-toi! “) oder schweigen soll („ TAIS-TOI! “). Sein Überlegenheitsgestus gipfelt darin, dass er ihr nicht erlaubt, ihn zu berühren, und er - selbstverständlich - beim Geschlechtsverkehr die dominante Position einnimmt (Abb. 5). Abb. 5: Picault © LES REQUINS MARTEAUX, 2021 Als Eva eines Tages im Garten Eden einer Schlange begegnet, wobei die BD offenlässt, ob es sich dabei um die transformierte Lilith handelt, stimuliert diese Evas Geschlechtsteile bis zum Orgasmus. Angesichts dieses Erlebnisses ‚lernt‘ Eva erstmals die spezifisch weibliche Seite ihres Körpers kennen, vor allem jene Funktionen, die Adam ihr verschwiegen hat. Es folgen zahlreiche Orgasmen durch Masturbation. Die Schlange hat Eva also das beigebracht, was Adam ausgelassen hat, nämlich wie eine Frau Lust empfinden kann. In der Folge erscheint auch Evas Körper als sexuell durchdrungen: Sie fordert ihren Partner zum ersten Mal aktiv zum Geschlechtsverkehr auf und ist damit nicht mehr nur das passiv hinnehmende Objekt der Lust Adams. Nicht nur dies ist als ein Akt der Emanzipation deutbar, sondern vor allem auch die Tatsache, dass Eva sich unabhängig von Adams Glied macht, als sie eine Banane zweckentfremdet. Der sie dabei beobachtende Adam verurteilt sie - selbstverständlich - für dieses Verhalten: „mais, c’est ABJECT! “ Eva tritt ihrem früheren Meister jedoch selbstbewusst gegenüber und äußert ein offenes Bekenntnis zur 48 DOI 10.24053/ ldm-2022-0005 Dossier Sinnlichkeit als Erfüllung eines göttlichen Auftrags: „Le Seigneur nous donne tant de plaisirs, Adam! Tu devrais les essayer! “ Im Fortgang präsentiert die BD Aude Picaults Version der (biblischen) Vertreibung Adams und Evas aus dem Paradies, um nach einem großen Zeitsprung („ MILLE ANS S’ÉCOULÈRENT “) gegen Ende das stark gealterte Paar sowie die als Dämonin der Sexualität zurückgekehrte Lilith zu präsentieren. Es ist die uralte Eva, die Frauen und Männer vor ihr warnt: „Lilith est la démone. Faites trèèès attention, mes enfants“. Nichtsdestoweniger träumt Eva nach Adams Tod davon, ihre Sexualität (wenigstens in der wenigen Zeit, die ihr als Greisin noch bleibt) ausleben zu können, worauf ihr plötzlicher Herztod folgt. In der Folgezeit herrscht große Furcht vor Lilith, und all jene, die verdächtigt werden, von ihr besessen zu sein, werden zum Tode durch den Scheiterhaufen verurteilt. In den Folgejahrhunderten sei Lilith immer stärker aus dem Gedächtnis der Menschen verdrängt worden, bis ihre Spuren in der Bibel - im Mittelalter - gänzlich ausgelöscht wurden (Abb. 6). Abb. 6: Picault © LES REQUINS MARTEAUX, 2021 DOI 10.24053/ ldm-2022-0005 49 Dossier Damit wurde zuletzt die ursprünglich gleichermaßen der Frau (Lilith) wie dem Mann (Adam) zukommende Gottesebenbildlichkeit auf das männliche Geschlecht verengt. Die BD endet mit einem weiteren Zeitsprung und einem Wechsel von der intrazur extradiegetischen Ebene: Die vorangegangene Geschichte erscheint rückblickend als Binnenerzählung zu jener Rahmenerzählung, die die Rezipientinnen und Rezipienten der vorliegenden BD in einen Vorlesungssaal entführt. Die Geschichte von Lilith, Adam und Eva erweist sich damit als der Stoff einer wissenschaftlichen Erörterung. Die visuell-verbale Pointe dieser Vorlesung zeigt eine aussagekräftige Illustration: Eine Dozentin ist vor einer riesigen Projektion Marias auf der Wand zu sehen. Der verbale Zusatz lässt dabei keinen Zweifel an der Bedeutung dieser biblischen Frauengestalt: „ AINSI, À LA PLACE D’UNE DÉESSE MÈRE, NOTRE PANTHÉON MODERNE N’A PLUS QU’UN ERSATZ, FRIGIDE ET MUTIQUE, À NOUS PROPOSER “. Maria, die gehorsame Magd des Herrn, die zugleich seit Jahrhunderten im Sinne eines Symbols für die speziell weiblichen Tugenden der Keuschheit und Reinheit instrumentalisiert wird, hat die - auch und gerade sexuell - selbstbestimmte Lilith verdrängt. 15 So weit die offizielle Darstellung. Den Abschluss bilden jedoch Illustrationen, die unterschiedlichste Frauenfiguren bei den unterschiedlichsten Arten der Ausübung der - auch gleichgeschlechtlichen - Liebe zeigen, wobei deren lustvolle Orgasmen durch die entsprechende Mundstellung und wellenförmige Linien, die an Liliths „ ORGASMES OCÉANIQUES “ erinnern, deutlich abgebildet werden. Diese Bilder untermauern die verbale Botschaft am Schluss der BD: „ MAIS, EN NOUS …. ELLE [LILITH] EST RESTÉE INTACTE “. Die letzte Illustration ähnelt stark der ersten, wodurch der BD eine große Geschlossenheit und Einheit verliehen wird. Beide Abbildungen zeigen die nackte Lilith, allerdings unterscheiden sie sich in einem wesentlichen Detail: Picaults Lilith trägt auf ihrer letzten Darstellung in der BD keine Tiara mehr, die sie als Göttin ausgibt. Die intendierte Implikation liegt - vor allem unter Berücksichtigung des Begleittextes - auf der Hand: Lilith ist keine Göttin, sondern ein integraler Teil jeder Frau, die ihre Sexualität frei, selbstbestimmt und auch lustbetont auslebt. Bis zuletzt erweist sich Déesse damit gewissermaßen als verbal-visuell geführter Diskurs über das Geschlechterverhältnis, mit speziellem Fokus auf der Frage nach der Sexualität der Frau. In diesem Sinne hat Aude Picault den (erotischen) Inhalt instrumentalisiert. Ob die BD darüber hinaus eine erregende Wirkung hat, muss jede Leserin und jeder Leser selbst entscheiden; keinesfalls besteht hierin jedoch die primäre Intention der Autorin und Comiczeichnerin, wodurch sie sich maßgeblich von vielen ihrer männlichen Kollegen unterscheidet. Alexandrian, Sarane, Histoire de la littérature érotique, Paris, Pocket, 1989. Blinder, Caroline, „Nin, Anaïs“, in: Gaëtan Brulotte / John Philipps (ed.), Encyclopedia of Erotic Literature, London / New York, Routledge, 2006, 955-958. Fischer, Carolin, Gärten der Lust. Eine Geschichte erregender Lektüren, München, dtv, 2000. Foucault, Michel, Histoire de la sexualité, I: La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976. Frankfort, Henri, „The Burney Relief“, in: Archiv für Orientforschung, 12, 1937, 128-135. 50 DOI 10.24053/ ldm-2022-0005 Dossier Graef, Hilda, Maria. Eine Geschichte der Lehre und Verehrung, Freiburg, Herder, 1964. Haag, Herbert / Sölle, Dorothee / Kirchberger, Joe H. / Schnieper, Anne-Marie / Bührer, Emil M. (ed.), Große Frauen der Bibel in Bild und Text, Freiburg/ Basel/ Wien, Herder, 1993. Hutter, Manfred, „Lilith“, in: Karel van der Toom / Bob Becking / Pieter Willem van der Horst (ed.), Dictionary of Deities and Demons in the Bible, 2. ed., Leiden/ Boston/ Köln, Brill, 1999, 520- 521. Nin, Anaïs, Delta of Venus, Orlando, Harcourt Books, 1977. Patai, Raphael, The Hebrew Goddess, 3. ed., Detroit, Wayne State University Press, 1990. Picault, Aude, Comtesse, Bordeaux, Les Requins Marteaux, 2010. —, Déesse, Bordeaux, Les Requins Marteaux, 2019. Pielow, Dorothee, Lilith und ihre Schwestern. Zur Dämonie des Weiblichen, Düsseldorf, Grupello, 1998. Schreiner, Klaus, Maria. Jungfrau, Mutter, Herrscherin, München, Hanser, 1994. Zep, Happy Sex, Paris, Éditions Delcourt, 2009. Zingsem, Vera, Lilith. Adams erste Frau, Stuttgart, Reclam, 2009. 1 Vor Déesse hat Aude Picault bereits mehrere BD veröffentlicht: L’air de rien (2017), Idéal Standard (2017), Fanfare (2011), Comtesse (2010), Les Mélomaniaks (2008) und Les Mélomaniaks 2 (2010), Transat (2009), Eva (2008), Papa (2006), Moi je (2005) und Moi je etc (2007). Die Jahreszahl in Klammern bezieht sich immer auf die Buchpublikation. Weitere Informationen sind auf Aude Picaults Homepage abrufbar unter www.audepicault.com/ bande_dessinee (letzter Aufruf am 13.09.2021). Daneben hat die französische Comiczeichnerin und Autorin seit 2006 vier Kinderbücher publiziert. 2 Im Jahre 1980 ist eine Ausgabe mit Illustrationen von Bob Carlos Clarke unter dem Titel The Illustrated Delta of Venus erschienen. 3 Für die freundliche Abdruckgenehmigung dieser und der anderen Illustrationen aus Déesse danke ich ganz herzlich Aude Picault. Alle Abbildungen aus dieser BD sind der in der Bibliographie angegebenen Ausgabe entnommen, die nicht paginiert ist. 4 Cf. Alexandrian 1989: 480: „Venus erotica fait ainsi l’inventaire de toutes les bizarreries du désir.“ 5 Für diesen Hinweis bin ich Frank Reiser zu großem Dank verpflichtet. 6 Der erste Band dieser Reihe stammt ebenfalls von Aude Picault: Comtesse (2010). Auch wenn es sich dabei - laut Reihentitel - um eine BD handelt, so fällt hier auf, dass der Band neben seinem Titel und einem kurzen vorangestellten Motto keinerlei verbale Elemente enthält. Auf der Seite von Les Requins Marteaux wird Comtesse als „une bande dessinée pornographique de qualité“ beschrieben. Abrufbar unter www.lesrequinsmarteaux.com/ auteur/ picault? ajax=1&xnav=279.6000061035156&ynav=155&postitvisible=true&xpostit= 1238.5166015625&ypostit=319.3999938964844 (letzter Aufruf am 25.07.2021). 7 Cf. die Ankündigung am Ende von Picault 2010. Die BD enthält keine Paginierung. 8 Dieses und alle nachfolgenden Zitate aus Déesse sind der in der Bibliographie angegebenen Ausgabe entnommen, die nicht paginiert ist. 9 Zur sumerischen und der hebräischen Lilith-Tradition cf. Zingsem 2009: 23-35. 10 Es handelt sich dabei um das sogenannte Burney Relief. Abrufbar ist dieses beispielsweise unter folgendem Link: https: / / de.wikipedia.org/ wiki/ Burney-Relief#/ media/ Datei: Lilith_ Periodo_de_Isin_Larsa_y_Babilonia.jpg (letzter Aufruf am 13.07.2021). Abdruck des Reliefs u. a. Haag/ Sölle/ Kirchberger/ Schnieper/ Bührer 1993: 10. Zur Identifikation mit Lilith cf. Frankfort 1937 und Patai 1990. DOI 10.24053/ ldm-2022-0005 51 Dossier 11 Liliths Haare haben u. a. auch durch Goethe einiges an Bekanntheit erlangt, und zwar als Symbol ihrer großen Verführungskraft: „Lilith ist das. […] Adams erste Frau. / Nimm dich in acht vor ihren schönen Haaren, vor diesem Schmuck, mit dem sie einzig prangt. / Wenn sie damit den jungen Mann erlangt, / So läßt sie ihn so bald nicht wieder fahren“ (Faust I, Walpurgisnacht, v. 4119-4123). 12 Cf. repräsentativ das Kapitel „Lilith - Göttin oder Dämonin? “ in Zingsem 2009: 13-85. Siehe auch Pielow 1998. Für einen (kurzen) Überblick zu den unterschiedlichen Lilith-Mythen cf. Hutter 1999. 13 Cf. das Kapitel „Lilith - Adams erste Frau - nach Texten der hebräischen Mythologie“ in Zingsem 2009: 30-35. 14 Es ist darum wenig verwunderlich, dass Zeps Happy Sex (2009) - ganz anders als Picaults Déesse - eingeschweißt und mit dem Hinweis „Réservé aux adultes“ verkauft wurde. 15 Zum Marienkult cf. Graef 1964 und Schreiner 1994. 52 DOI 10.24053/ ldm-2022-0006 Dossier Helene L. Bongers Frauendarstellungen in Catherine Meurisses Moderne Olympia Eine bande dessinée als feministische Kunst-Geschichte „Roméo, ô mon Roméo! “, ruft die Figur Olympia zu Beginn der bande dessinée Moderne Olympia von Catherine Meurisse (2014: 7). 1 „Articule! “ (ibid.), belehrt sie daraufhin Félicité. Kniend und mit erhitzten Wangen, die Handflächen mit Pathos zum Himmel gewandt, rezitiert Olympia Shakespeares Romeo und Julia (Abb. 1). Die ambitionierte Schauspielerin erscheint auf den ersten Blick nackt, während die beiden anderen Figuren der Szene, die Woman of Color Félicité sowie ein kleiner Junge, bekleidet sind. 2 Olympia versucht sich jedoch keineswegs zu bedecken. Stattdessen wird der bewegte weibliche Körper durch die Vielzahl an Körperhaltungen und Gesten zu einem expressiven Ausdrucksmittel, wie dies ihrer Profession als Schauspielerin gebührt. Meurisses parodistische Darstellungen expressiver Körper ist durch ihre Arbeit als Karikaturistin bei Charlie Hebdo geprägt, erinnern durch die ausgreifenden Gesten und Posen aber auch an den Einsatz des bewegten Körpers in Stumm- und Tanzfilmen. 3 Moderne Olympia war 2014 die Auftaktpublikation einer kurzlebigen Zusammenarbeit zwischen dem Verlagshaus Futuropolis und dem Musée d’Orsay. Neben den museumspädagogischen und werbewirksamen Funktionen des sogenannten „Museum Comics“ (Schmitz-Emans 2021) entwirft Meurisse mit der Zeichenfeder und dem Aquarellpinsel „feingeistig und derb“ (Schröer 2018: s. p.) eine Liebesgeschichte zwischen einer Schauspielerin und einem Schauspieler. Die fulminante graphische Erzählung lebt von der permanenten „Wechselbefruchtung“ (Dath 2018: s. p.) unterschiedlicher historischer und aktueller Kunstformen: Erzählstränge der Musicalfilme West Side Story (1961) und Singin’ in the Rain (1952) werden ineinander verschränkt und in das Pariser Musée d’Orsay verlegt. Dieses fungiert als Filmstudio à la Hollywood. Gemäß dem Titel der deutsche Ausgabe Olympia in Love. Eine Komödie in 50 Gemälden werden Kunstwerke - jedoch auch Skulpturen und Kunstgewerbe - in der Panelfolge visuell und textlich zitiert (Meurisse 2018: s. p.). 4 Wie um Gotthold Ephraim Lessings Paradigma des ‚fruchtbaren Augenblicks‘ auf den Kopf zu stellen, werden die bedeutungsvoll veränderten Bildzitate jeweils in Bilderfolgen integriert, die das unmittelbar erzählerische Vor- und Nachzeitige der Kunstwerke verbildlichen. 5 Die Zitate erinnern an Standbilder eines Films, die in Panels aufscheinen und wieder verschwinden. So wird Moderne Olympia zu einer vielschichtigen Erzählung über das Musée d’Orsay, seine Museumsarchitektur und Sammlungsgeschichte sowie über die Kunstproduktion des 19. Jahrhunderts. Im Zentrum steht die weibliche Figur Olympia und ihre Erfahrung als Frau im Kulturbetrieb und in Liebesangelegenheiten. Moderne Olympia stellt prinzipiell Frauenfiguren in den Vordergrund: Der komplex ausgearbeiteten Protagonistin Olympia DOI 10.24053/ ldm-2022-0006 53 Dossier Abb. 1: Meurisse © FUTUROPOLIS / MUSEE D’ORSAY EDITIONS 2014 54 DOI 10.24053/ ldm-2022-0006 Dossier und der Antagonistin Venus wird Raum gegeben - kaum ein Panel kommt ohne eine Darstellung Olympias aus - und die wenigen männlichen Figuren sind größtenteils marginal und tragen wenig zur Erzählung bei. Daher geht dieser Artikel der Frage nach, wie in Moderne Olympia Frauen und weibliche Körper dargestellt und angeschaut, welche kunsthistorischen Tropen aufgegriffen und welche zurückgewiesen werden. Im Vordergrund stehen dabei die Aushandlung zwischen der Darstellung des weiblichen Aktes und der Nacktheit sowie die Darstellung des Schwarzen Körpers in Bewegung. Aktmalerei ist spätestens seit der klassischen Antike mit der Darstellung von Bewegung und Handlung verknüpft (cf. K. Clark 2010: 8, Gualdoni 2012: 22sqq.). Der deutsche Begriff Akt trägt dieser Verbindung auch etymologisch Rechnung: Actus wird vom lateinischen agere - handeln, agieren - abgeleitet und denotiert seit dem 18. Jahrhundert auch die Darstellung des nackten menschlichen Körpers (cf. Pfeifer et al. 1993: s. p.). Durch die narrative Sequenz der Bilder und die wiederholte Darstellung Olympias wird dies vorbildhaft durchdekliniert, wie Dietmar Daths Titel seines Nachworts zur deutschen Ausgabe andeutet: „Wie man Menschenbilder bewegt“ (Dath 2018). In der folgenden Analyse wird ein Vergleich zwischen Körperdarstellungen Olympias und Venus’ durchgeführt, die wiederum mit der Rezeption ihrer ölmalerischen Vorlagen - Édouard Manets Olympia und Alexandre Cabanels Vénus (beide 1863) - in Beziehung gesetzt werden. 6 Aktuell stehen Meurisse und Moderne Olympia im Fokus feministischer und genderorientierter Comicwissenschaften (Flinn 2020, Miller 2020). Nicht durch Rekonstruktion und Immersion, sondern durch Anachronismen und Brüche werden hier feministische Themen und kulturelle Sexismen thematisiert und parodiert. Ansätze und Analysen aus der feministischen Kunstgeschichte werden nicht nur bildimmanent und intradiegetisch illustriert, sondern durch die Bilderzählung reflektiert und kommentiert. Meurisse - so die These dieses Artikels - betreibt in Moderne Olympia feministische Kunstgeschichte in Comicform. Olympia: Nacktheit und der weibliche Akt Pas d’amant, pas de rôle… - pas de culotte. (MO: 12) Et vous ne pouviez pas enfiler un slip, par la même occasion? (MO: 49) Olympia wird wiederholt auf ihre fehlende Unterhose und somit synekdochisch darauf hingewiesen, dass sie überhaupt keine Kleidung trägt. Abgesehen von Schmuck und Schuhen bewegt sich Olympia unbekleidet durch eine graphische Erzählung, die größtenteils bekleidete Figuren aufweist. Einzige Ausnahme bilden die drei „cupidons“ (MO: 44), die Venus auf Schritt und Tritt folgen. Die Nacktheit der kindlichen Putti wird von anderen Figuren nicht kommentiert, sie provoziert nicht, sondern erscheint als unbewusster Zustand, der mit Kindheit und in der christlichen Tradition mit dem Paradies in Verbindung steht: DOI 10.24053/ ldm-2022-0006 55 Dossier In the beginning, the body was not naked, it simply was. Nakedness is something that is acknowledged, that one is conscious of. It is a state of mind and of the gaze (Gualdoni 2012: 9). Doch handelt es sich bei Olympias Darstellung wie bei den Putti um den von Flaminion Gualdoni angesprochenen körperlichen Aggregatzustand? Oder wird hier Nacktheit als bewusste Abwesenheit von Kleidung dargestellt - gemäß Kenneth Clarks vielzitiertem Satz „To be naked is to be deprived of clothes“ (K. Clark 2010: 3)? 7 In der Aktmalerei, so impliziert er, sei der nackte Körper in die Kunst gekleidet oder die kulturelle Verkleidung der materiellen Wirklichkeit (cf. Nead 1992: 14, 16). Ann Miller beantwortet diese Frage in ihrem Aufsatz eindeutig: Olympia sei nackt (cf. Miller 2020: 70). Miller stützt sich damit auf Lynda Nead, die sich diesbezüglich mit T. J. Clarks soziopolitischer marxistischer Analyse von Manets Gemälde Olympia auseinandersetzt (cf. T. J. Clark 1985: 146, Nead 1992: 16). Doch wie wird der weibliche Körper intradiegetisch und bildimmanent konstruiert und was erfahren wir in der graphischen Erzählung über Olympias Bewusstsein für ihren Körper? Wir als Rezipient*innen werden durch die erwähnten Bemerkungen auf den ausgestellten Körper Olympias hingewiesen. Olympia übergeht diese jedoch wie im Anschluss an das erste Zitat oder sie drückt ihr Unverständnis aus, wie im zweiten Fall. Dort antwortet sie auf die wiederholte Frage, ob sie sich nicht einen Slip anziehen könnte: „Quoi? […] Un quoi? “ (MO: 49). Sie ist sich im Unklaren darüber, dass sie für ihr gesellschaftliches Gegenüber als nackt und unbekleidet erscheint. Ganz im Gegenteil empfindet sie sich durch die Haarschleife, das Halsband, den Armreif und in einer Szene auch die Schuhe als angezogen. Öffentliche Nacktheit erfüllt sie sogar mit Schrecken: „Tu veux dire… toute nue? ? “ (MO: 13). In einer weiteren Darstellung steht sie entspannt im Profil vor einer Galeriewand und hat ihre rechte Hand in eine vermeintliche Hosentasche geschoben - nur trägt sie keine Hose (Abb. 2). Stattdessen fungieren ihr Körper und ihre Haut als Kleidung. Abb. 2: Meurisse © FUTUROPOLIS / MUSEE D’ORSAY EDITIONS 2014 56 DOI 10.24053/ ldm-2022-0006 Dossier Vorbereitet durch den Chor in der finalen Tanzszene - „Le spectacle continue! - Nu! “ (MO: 65) - entkleidet sich Olympia erst im Epilog, wenn sie mit ihrem Geliebten hinter einem Heuschober verschwindet. „ ATTENDS! … Attends que je me déshabille“ (MO: 66), ruft sie und wirft im letzten Panel ihr schwarzes Halsband in hohem Bogen hinter dem Heuschober hervor. Jedoch wird weder die Entkleidung noch der Liebesakt visuell ausformuliert, sie werden durch den Heuschober verdeckt, bevor die Erzählung abbricht. Darüber hinaus erschwert ein visuelles Detail die Einordnung Olympias: Mehrfach werden mit wenigen Federstrichen die Konturen einer wie achtlos ausgezogenen und hingeworfenen Unterhose vor dem zerwühlten Bett gezeichnet, die sich farblich kaum vom blaugrünen Untergrund abhebt (Abb. 1). Mit dem wiederkehrenden Motiv der culotte wird die Frage nach Olympias Entkleidung während der graphischen Erzählung bildlich präsent gehalten. Sie erzeugt eine Spannung und hinterfragt die Glaubwürdigkeit von Olympias Aussagen. 8 Neben der Entkleidung wird mit der culotte auch der mit dieser zu bedeckende Körperteil konnotiert: die primären weiblichen Geschlechtsmerkmale. Die Darstellung der Vulva ist eine bewusste Auslassung, die durch die Referenz auf Gustave Courbets Gemälde L’origine du monde (1866) mehrfach angesprochen, aber nicht visualisiert wird (cf. Miller 2020: 74). 9 Olympias Körperlichkeit entzieht sich den dialektischen Vorstellungen von Gualdoni (Nacktheit und paradiesischer Zustand) und K. Clark oder Nead (Nacktheit und Akt). Millers entschiedenes Urteil zugunsten Olympias Nacktheit wird fragwürdig. Meurisses Olympia befindet sich in keinem vorzivilisierten paradiesischen Bewusstseinszustand, da sie dezidiert Scham und Angst vor möglicher Nacktheit empfindet. Stattdessen nimmt sich Olympia als angezogen wahr - bekleidet durch die Accessoires oder das Kleid der Kunst, das für andere Figuren nicht sichtbar ist. Das Bewusstsein der Figur Olympia sowie das visuelle Motiv der culotte konstruieren ein uneindeutiges Spannungsfeld. Auch in der kunsthistorischen Forschung zu Manets Olympia sind solche Ambivalenzen zentral: Nach T. J. Clark konnten Kritiker*innen des Gemäldes die Figur Olympia nicht eindeutig identifizieren (cf. T. J. Clark 1985: 146). Nead stellt die Unterscheidung zwischen der Darstellung von Nacktheit und Aktmalerei gänzlich infrage, indem sie darauf hinweist, dass Körper erst durch Repräsentationen produziert werden (cf. Nead 1992: 16). Zwar nimmt sich Meurisses Olympia in ihrem state of mind nicht als nackt wahr, dennoch wird sie durch die normierenden Blicke der intradiegetischen Figuren sowie durch die der extradiegetischen Rezipient*innen - durch den state of gaze - zu einem nackten weiblichen Körper, sie wird entkleidet. Vor diesem Hintergrund werden wir nun die hierarchisierenden und genderspezifischen Blickbeziehungen in Moderne Olympia mit denen in Manets und Cabanels Gemälden rezeptionsästhetisch vergleichen. DOI 10.24053/ ldm-2022-0006 57 Dossier Olympia und Venus: für sich oder für uns? Manets großformatiges Ölgemälde Olympia provozierte schon bei seiner Präsentation im Pariser Salon einen gesellschaftlichen Skandal (cf. Lüthy 2003: 93). Rezeptionsgeschichtlich wird deutlich, dass hier kein weiblicher Akt im Sinne von K. Clark distanziert unter ästhetischen Vorzeichen betrachtet wurde. Die Subversion liegt gemäß einschlägiger Analysen in der vermeintlichen Darstellung einer Prostituierten, deren Vulva zwar durch ihre linke Hand verdeckt, jedoch durch die Motive der schwarzen Katze und des Blumenbouquets sublimiert werde, so dass eine pornographische Darstellung von Nacktheit entstehe (cf. T. J. Clark 1985, Miller 2020: 70, Nead 1992). Das skandalöse Element der Darstellung läge somit in der realistischen Darstellung der „Wirklichkeit des modernen Lebens“ (Rosenblum 1989: 189). Diese Interpretation fügt sich nahtlos in das teleologische und normative Modernenarrativ ein. 10 Konträr dazu argumentiert Lüthy: So liegt die Irritation, die von Olympia ausgeht, zu wesentlichen Teilen in der Ambivalenz, welche die Begegnung von Bild und Betrachter bestimmt und den ausgestellten Körper bei aller provozierenden Zuwendung zugleich entzieht. (Lüthy 2003: 94) Die „Dialektik von Zuwendung und Entzug“ (ibid.) in der Figur Olympia visualisiert sich in der Präsentation des Körpers sowie in ihrem direkt an die Betrachtenden gewandten Blick. Der weibliche Körper thront nackt auf dem Bett, wendet sich wortwörtlich aus dem Bild heraus. Dennoch gleicht der Blick keiner Einladung, sondern einer „Konfrontation“ (ibid.: 105), die auch durch die selbstbewusste Aufrichtung des Oberkörpers und des Kopfes, den übereinander geschlagenen Beinen sowie durch „das ostentative Verdecken des Geschlechts“ (ibid.: 104) untermalt wird. Der weibliche Körper entzieht sich der Konsumierbarkeit und der Unterwerfung durch die Betrachtenden, der potenzielle Voyeurismus wird durch die Antizipation des Geschautwerdens abgewehrt und in Souveränität transformiert (cf. ibid.: 110). Die Pointe liegt in der gleichzeitigen Objekt- und Subjektposition Olympias und der Schauenden (cf. ibid.: 96). Das Gemälde widersetzt sich darüber hinaus der konventionellen Darstellung weiblicher Sexualität durch die Komposition und die pastose Behandlung der Maloberfläche (cf. Nead 1992: 16). Lüthy greift Georg Wilhelm Friedrich Hegels Ausführungen zum Kunstwerk in den Vorlesungen über die Ästhetik (1835-38) auf. In dessen normativem Kunstbegriff repräsentiert das Kunstwerk zwar gemäß der „Autonomie und Heteronomie des Bildes“ (Lüthy 2003: 24) eine in sich kohärente „abgerundete Welt“ (Hegel 1986: 341), diese richtet sich jedoch notgedrungen an ein Publikum und öffnet sich nach außen, es präsentiert sich (cf. Lüthy 2003: 23sq.). Ein Kunstwerk muss also nach Hegel gleichzeitig für sich und für uns sein (cf. Hegel 1986: 341, Lüthy 2003: 23sq.). In einem solchen Spannungsverhältnis befindet sich auch Manets Olympia: Das Oszillieren zwischen Zuwendung und Verweigerung gleicht einem simultanen für sich und für uns. Anders verhält es sich bei Cabanels La naissance de Vénus. Lüthy 58 DOI 10.24053/ ldm-2022-0006 Dossier selbst bemüht den topischen Vergleich zwischen Olympia und Venus, der im kunsthistorischen Modernenarrativ moderne Malerei gegenüber dem Akademismus validiert (cf. Lüthy 2003: 96). Olympia und Venus als Kontrahentinnen gegeneinander auszuspielen, wie in Moderne Olympia angelegt, ist also ein Verweis auf die kunsthistorische Praxis des 20. Jahrhunderts. Im Gegensatz zu Olympia war Vénus ein Publikumserfolg, der wie dahingegossene Akt der Liebesgöttin wurde als schicklich empfunden (cf. ibid.: 96). Mit halb geschlossenen Lidern und in unnatürlicher Verrenkung präsentiert sie sich den Betrachter*innen bestmöglich. Venus wird durch den „verdinglichte[n] Blick“ (ibid.: 96sq.) objektiviert und den Betrachtenden unterworfen. Venus ist im Gegensatz zu Olympia vollständig für uns. Meurisses Olympia wechselt ebenfalls schillernd zwischen dem Hegelianischen für uns und für sich. Olympias für uns ist in der oben schon beschriebenen expressiven Körperlichkeit angelegt, die sich beispielsweise im Bildzitat von Manets Olympia aus den Bildern heraus nicht selbstbewusst, sondern genervt an die Rezipient*innen wendet (Abb. 3). Abb. 3: Meurisse © FUTUROPOLIS / MUSEE D’ORSAY EDITIONS 2014 Ähnlich wie in Paul Cézannes zwei Variationen von Manets Gemälde, beide mit Une moderne Olympia (1870/ 1874) betitelt, wird Olympias für uns explizit thematisiert. In Cézannes „Paraphrase“ (Lüthy 2003: 111) im Musée d’Orsay (1874) sowie in Meurisses bande dessinée wird die von Manet angelegte „Theatralisierung“ (ibid.: 94) der bühnenartigen Aufsockelung des Bettes und des angeschnittenen Vorhangs in der linken Bildecke geklärt. In beiden Varianten Cézannes wird das Motiv des Bühnenvorhangs ausformuliert, zwischen Olympia und uns als Betrachtende schaltet sich eine sitzende Rückenfigur mit den Zügen des Künstlers, die den außerbildlichen Akt des Betrachtens parallelisiert und lenkt (cf. ibid: 111). Im dargestellten Blick des Malers wird der produzierende und gleichzeitig rezipierende Akt des Schauens verschränkt. Meurisses Manetrezeption wird somit über Cézannes Manetrezeption geleitet, wie auch die auffallende Übereinstimmung der Werktitel erkennen lässt. 11 Das DOI 10.24053/ ldm-2022-0006 59 Dossier Thema der Inszenierung integriert Meurisse anhand der Filmproduktionen, die Bühne wird zur Filmkulisse und der männliche Künstlerblick zum Blick des Filmregisseurs. Das für uns wird bei Cézanne und Meurisse durch ein intradiegetisches für andere - den Künstler, den Regisseur, die Kamera und das Publikum - erweitert, der Blick auf den Frauenkörper wird als mise en abyme innerbildlich wie außerbildlich gespiegelt. 12 Im Blick auf den weiblichen Körper schwingt hier die Theorie um den male gaze mit, die sich mit dem schauenden männlichen Subjekt und dem geschauten und sexualisierten weiblichen Objekt auseinandersetzt und in der Rezeption von Manets Olympia bedeutsam ist (cf. Miller 2020, O’Grady 1992). Bei Meurisses Olympia geht diese Dichotomie jedoch nicht mehr auf, längst sind weder alle intradiegetischen Betrachter*innen noch die impliziten wie empirischen Rezipient*innen männlich. Auch bleibt Olympias Körperlichkeit für sich, sie ist - wie oben ausgeführt - möglicherweise nicht auf das Geschautwerden angelegt. Ganz im Gegenteil zu Manets Gemälde, in dem sich die Frauenfigur bewusst bedeckt und den Blick erwidert, ist sich Meurisses Olympia der Blicke auf ihren Körper nicht bewusst oder sie ignoriert diese konsequent. Ihre Körperlichkeit ist in einem solchen Maße für sich, dass sie sie sogar daran hindert, als Schauspielerin zu reüssieren. Als Statistin wird sie wiederholt entlassen, weil sie das Bild nicht mitreflektiert, welches sie während der Filmaufnahmen für die Kamera produziert: Sie bemerkt weder ihr lustiges Schattenspiel noch welche Pose sie beim Fall aus dem Flugzeug einnimmt (cf. MO: 10sq., 22). Ihr Körper ist gleichbleibend unbedeckt, bis auf die Szenen, wenn sie Venus doubeln muss und gezwungen wird, deren Kostüme zu tragen (cf. ibid.: 50). 13 Ihr Körper bleibt für sich, bekleidet wird er für andere. Venus hingegen ist nur nackt - entkleidet - während des Bildzitats von La naissance de Vénus (Abb. 4). 14 Abb. 4: Meurisse © FUTUROPOLIS / MUSEE D’ORSAY EDITIONS 2014 60 DOI 10.24053/ ldm-2022-0006 Dossier Ihre Körperlichkeit verhält sich chiastisch zu der Körperlichkeit Olympias. Ihre Nacktheit ist ausschließlich für uns und in der intradiegetischen Inszenierung für andere, also für die inner- und außerbildlichen Blicke und die Kameralinse. Anders als Miller annimmt, sind Venus und Olympia nicht Allegorien des Aktes und der Nacktheit (cf. Miller 2020: 71). Vielmehr ist Venus in ihrer Aktszene nackt/ unbekleidet, während Olympia Nacktheit von sich weist, selbst wenn sie von externen Blicken als nackt gelesen wird. In der Ausdifferenzierung des für sich und für uns wird darüber hinaus deutlich, dass Olympia zwar beide Elemente aufweist, sich im für sich aber nicht bewusst der Rezeption widersetzt, wie Manets Olympia. Wie die „Unschuld vom Lande“ (Schröer 2018: s. p.) scheint ihr für sich eher als Ignoranz gegenüber einer von außen an sie herangetragenen Sexualität. Dem Blick auf den weiblichen Körper wird in Moderne Olympia nichts entgegengesetzt, er wird ignoriert. Die Lesbarkeit des weiblichen Körpers wird irritiert. Félicité: Die Selbstermächtigung der Dienerin Neben dem Dualismus der beiden weiblichen Hauptfiguren Olympia und Venus verkörpert die Nebenfigur Félicité einen Gegenentwurf zur Darstellung des weiblichen Schwarzen Körpers, der von intersektionaler Diskriminierung betroffen ist. 15 Im Verlauf der anfangs besprochenen Szene sitzt Félicité in wechselnden, jeweils entspannten Posen auf einem Pouf - mit angewinkeltem Bein, hochgezogenen Beinen oder im Schneidersitz. Das weite hellrote Gewand umspielt ihren Körper, ein Buch liegt auf ihren Knien. Abgesehen vom notwendigen für uns einer künstlerischen Darstellung orientiert sich dieser actus des weiblichen Schwarzen Körpers weder an der Außendarstellung noch an der Sexualisierung des weiblichen Körpers. Stattdessen wird Félicité über ihren Intellekt und ihren „ironical wit“ (Miller 2020: 70) charakterisiert. Sie verfügt nicht nur über eine Stimme, wie sie Miller nur für Olympia herausstellt (ibid.), sondern unterweist letztere beim Rezitieren von Shakespeare sogar in Stimmbildung. Félicité hilft Olympia folglich, die eigene Stimme zu entwickeln. Die Stimmübung wird jäh durch den explizit rassistischen Witz eines Weißen Jungen unterbrochen, der Manets Gemälde Le Fifre (1866) entstammt: C’est un Noir qui passe devant une pharmacie, et qui lit sur la vitrine: „oméopathie“. Alors, il se dit: „pauv’Juliette! “ (ibid.) 16 Der Schwarze Mann deutet das Wort ‚Homéopathie‘ als ‚(R)oméo pa(r)ti‘. Das Missverständnis geht auf eine akzenthafte Aussprache zurück. Schwarze Figuren, die den französischen uvularen Frikativ / ʀ/ auslassen, finden sich auch an anderer Stelle: beispielsweise spricht der Pirat Baba in Astérix / ʀ/ ebenfalls stumm (Goscinny/ Uderzo 1965: 9). Henri-Simon Blanc-Hoàng merkt an, dass viele afrikanische und karibische Akzente diese Spezifizität aufweisen und somit sprachlich der Kontext französischer Kolonien aufgeworfen wird (cf. Blanc-Hoàng 2014: 19). Die DOI 10.24053/ ldm-2022-0006 61 Dossier Aussprache wird im vorliegenden ‚Witz‘ durch das Unverständnis für das geschriebene Wort mit Dummheit, einem niederen Bildungsgrad oder Legasthenie in Verbindung gebracht und rekurriert auf ein rassistisches Stereotyp, das so auch für die Piratenfigur gilt. 17 Félicités Funktion als Sprachtrainerin Olympias kann als direkte Reaktion gelesen werden. Nicht nur kann sie einwandfrei / ʀ/ sprechen, sie unterweist Olympia sogar in der Aussprache von Konsonanten: „Frappe tes consonnes et attaque chacune de tes répliques“ (MO: 7). Félicités Reaktion auf den Witz wird im Laufe der graphischen Erzählung zu einem wiederkehrenden visuellen Reim. Die Ähnlichkeit der Darstellung des Pfeifers in den beiden Panels am unteren Rand der Seite stellt als „match cut“ (Heyden 2013: 292sq.) eindrücklich die Differenz heraus: Während er im vorletzten Panel im Profil lachend auf Félicité zeigt, das Gesagte auch visuell mit der Woman of Color verbindet, ist im letzten Panel seine Körperhaltung zwar unverändert, nun thront auf seinem Kopf jedoch der umgekehrte Blumenkübel und seine Flöte steckt in seinem Gesäß. Zwischen den beiden Darstellungen sind die Rezipient*innen angehalten, die weiße Leerstelle des Panelrasters semantisch zu füllen (cf. McCloud 1993: 67). Wir schlussfolgern, dass Félicité diese Veränderungen zu verantworten hat. Denn durch den bildlichen Fingerzeig auf Felicité im vorletzten Panel richtet sich das rassistische und beleidigende Stereotyp des ‚Witzes‘ auch an sie persönlich. Die Aktion bleibt unsichtbar, stattdessen wenden sich die beiden Frauenfiguren im letzten Panel vom Pfeifer ab und der Stimmbildung zu. Félicité wird so innerhalb der graphischen Erzählung in der Konfrontation mit Rassismus Handlungsspielraum zugesprochen. Zwar ist ihre direkte Reaktion - die wir imaginieren - gewalttätig, jedoch bleibt sie in den sichtbaren Darstellungen vor allem im Anschluss an den Vorfall ruhig und ignoriert den Pfeifer. Das Machtverhältnis zwischen dem diskriminierenden Weißen Jungen und der Schwarzen Frau wird durch Félicités Konter verkehrt. Dadurch entlarvt sie den Pfeifer als kleinen Weißen Mann oder Jungen in seiner eigenen Lächerlichkeit, er wird buchstäblich zu einer Witzfigur. Félicité und ihre Reaktion auf den ihr entgegen gebrachten Rassismus stehen in einem direkten Zusammenhang zu Manets Darstellung der „Dienerin“ (Lüthy 2003: 108) und deren Rezeption. In Olympia bietet sie eher den Betrachter*innen als Olympia den Blumenstrauß dar. Trotz ihrer zentralen Position wurde die Darstellung der Woman of Color in Manets Gemälde erst in der feministischen Kunstgeschichte der 1980er Jahre beachtet (cf. Gilman 1985, Nead 1992, Pollock 1999). Anekdotisch nimmt T. J. Clark in einer Neuauflage von The Painting of Modern Life auf diesen Umstand Bezug, wenn er die Reaktion eines Freundes zitiert: For God’s sake! You’ve written about the white woman on the bed for fifty pages and more, and hardly mentioned the black woman alongside her! (Clark 1999: xxvii) Wenn die Darstellung der Woman of Color überhaupt erwähnt wurde, diente sie als kontrastreiche Hintergrundfolie oder Attribut von Olympias Sexualität - verdinglicht und vergleichbar mit der Katze oder dem Blumenstrauß (cf. Grigsby 2015: 435). Der Schwarze Körper wurde im Gegensatz zum Weißen Körper im Kontext gesteigerter 62 DOI 10.24053/ ldm-2022-0006 Dossier und abnormer Sexualität gelesen (Nead 1992: 74). Erst Darcy Grimaldo Grigsby weist in ihrer postkolonialen Analyse dem Modell eine historische Identität und einen Namen zu: Laure (cf. Grigsby 2015: 433). Sie liest Olympia als kreolische Szene im Kontext des französischen Kolonialismus und vergangener Sklaverei. 18 Besonders die gesellschaftlichen Aushandlungen in Frankreich und deren Rassismen analysiert Grigsby anhand der rassistischen Salonkarikaturen zu Olympia (cf. ibid.: 438sq.). 19 Meurisse als zeitgenössische Pariser Karikaturistin, die sich in Moderne Olympia demselben Gegenstand widmet, ruft mit ihrem karikaturistischen Zeichen- und Erzählstil sowie mit den wiederkehrenden diskriminierenden ‚Witzen‘ des Pfeifers die Tradition der Pariser Salonkarikatur auf. In Moderne Olympia entfaltet sich jedoch das „emanzipatorische Potential“ (Dath 2018: s. p.), denn hier kann Laure/ Félicité reagieren - sie besitzt „agency“ (Flinn 2020: 513). An die Stelle einer weitestgehend namenlosen Dienerin tritt eine Woman of Color mit dem Namen „Félicité“ (MO: 11), die liest und Sprachunterricht gibt und damit das Stereotyp des ‚Witzes‘ Lügen straft. Im Umgang mit rassistischer Diskriminierung vonseiten des Pfeifers beweist sie Souveränität. Ob ihre unemotionale Ruhe im Verlauf der Szene von Resilienz oder Resignation zeugt, bleibt dabei ungeklärt. Schlussendlich besitzt sie nicht nur Sprache und Intelligenz, diese verkehren sogar das hierarchische Machtverhältnis: Die Dienerin wird zur Lehrerin und Beraterin - „coach and counsellor“ (Miller 2020: 70) - und die Herrin zur durchaus einfältig zu nennenden Schülerin. Moderne Olympia als feministische Kunstgeschichte Die Form des Comics wie auch Meurisses Stil sind eng mit der Gattung Karikatur verbunden. Die Bildlichkeit von Karikaturen und Comics orientiert sich grundsätzlich an Kategorien der Vereinfachung und Übertreibung (cf. McCloud 1993: 28sq.). Dennoch werden weibliche Körper in Moderne Olympia komplex betrachtet. In diesem Artikel wurde dargelegt, dass Olympia und Venus eben nicht in Kategorien weiblicher Darstellungsformen und Rollenbilder aufgehen. Nacktheit und künstlerischer Akt sind nicht mehr klar zu trennen. Wie auch bei Nead fällt in der Figur der Olympia die Unterscheidung zwischen einer potenziellen pornographischen Nacktheit - einer aufgeladenen Entblößung - und einem künstlerischen Akt in sich zusammen. Olympia verweigert sich der eindeutigen Zuordnung nicht aus selbstbewusster Souveränität, wie Lüthy im Falle von Manets Gemälde argumentiert, sondern aus bewusster Ignoranz oder unbewusster Naivität. In der Beziehung zu ihrem Körper und zu strukturellen Sexismen wird sie als ‚Unschuld vom Lande‘ charakterisiert. Diesbezüglich steht Meurisses Figur in einem klaren Gegensatz zur zeitgenössischen Rezeption von Manets Gemälde wie auch zu einschlägigen kunsthistorischen Ansätzen des 20. Jahrhunderts. 20 Die Unschuld und Naivität Olympias wird Manets anstößiger, gar als pornographisch gelesener Olympia entgegengesetzt, sodass die tradierte Manetrezeption heraus- und infrage gestellt wird. Venus auf der anderen Seite folgt in der Präsentation ihres nackten Körpers als Akt den kunsthistorischen Konventionen des 19. Jahrhunderts, sie scheint den Blicken unterworfen. Jedoch tritt sie ansonsten als DOI 10.24053/ ldm-2022-0006 63 Dossier herrische Diva auf, die männliche Figuren herumkommandiert und sich nicht unterordnet (cf. MO: 60sq.). Die Figurendarstellungen und -konstruktionen von Olympia wie von Venus sind mit Ambivalenzen und Brüchen durchzogen, die eine stereotype Lesbarkeit der weiblichen Figuren unterbinden. Nur die Darstellung Félicités bleibt eindeutig: Sie reagiert visuell und narrativ auf die rassistische zeitgenössische wie kunsthistorische Rezeption. Frauenfiguren werden in Moderne Olympia als Subjekte herausgestellt, die Agency, Selbstbewusstsein, Handlungsspielraum, Willen und Macht - und im Falle Félicités auch Wissen - besitzen. Als Subjekte versuchen sie sich in einer diskriminierenden Gesellschaft zu behaupten. Meurisse konstruiert ihre graphische Erzählung über die Malerei des späten 19. Jahrhunderts nicht unter Verweis auf den kulturhistorischen Kontext oder die Künstler, sondern mittels ihrer Fokussierung auf das weibliche Bildpersonal. Weder Manet noch Cabanel treten in Moderne Olympia auf. Dies entspricht nicht den Machtverhältnissen in der Kunstproduktion im 19. Jahrhundert, jedoch spiegelt es die Sichtbarkeit im Museum wider: Dort werden die Künstler nur durch ihre Kunstwerke repräsentiert, oftmals durch weibliche Aktdarstellungen. So stehen Olympia und Venus nicht nur für unterschiedliche Formen der Darstellung weiblicher Körper, sondern darüber hinaus auch durch ihre Körper und ihr Handeln für antagonistische Kunstauffassungen. Meurisses feministische kunsthistorische Perspektive rekurriert darin auf Ansätze des Feminismus der zweiten Welle ab den 1970er Jahren. In Moderne Olympia werden weniger genderspezifische Strukturen aufgedeckt. Stattdessen bewirkt der Fokus auf weibliche Körper und Erfahrungen einen Ausschluss männlicher Figuren und deren Perspektiven sowie eine stärkere Fokussierung auf das biologische Geschlecht im Gegensatz zu Geschlechtsidentität und Gender. Einzig Félicité bewegt sich aus diesem Rahmen heraus, indem ihre Figur spätere postkoloniale und intersektionale Ansätze aufgreift. Aus dem Rückgriff auf diese historischen Methoden des Feminismus wird deutlich, wieso Flinn anachronistisch versucht, Moderne Olympia in Anlehnung an die écriture féminine der 1970er Jahre als dessin au féminin zu deuten (cf. Flinn 2020, 508). 21 Meurisses kunsthistorische Analyse in Moderne Olympia sprengt diesen Rahmen jedoch hinsichtlich der Ausführungen zu Hegel und Lüthy und der Abwendung von T. J. Clark. Stattdessen werden tradierte kunsthistorische Deutungsmuster der drei Frauendarstellungen aufgegriffen, kommentiert und hinterfragt. Moderne Olympia wird somit zu einer graphischen Erzählung, die Kunstwerke bildimmanent und intradiegetisch analysiert und interpretiert, wie dies in Textform auch die Kunstgeschichte betreibt. 22 Feminismus und Kunstgeschichte sind zwei Leitthemen, die sich in vielen graphischen Werken Meurisses wiederfinden (cf. Flinn 2020). In Moderne Olympia werden diese kombiniert. Die überzeitlichen Systeme, in denen sich die Frauenfiguren bewegen, berühren ihr Schaffen soziokulturell und biographisch. Denn in der internationalen wie auch in der französischen „comics world“ (Beaty 2012: 37) sind Frauen weiterhin auffallend unterrepräsentiert (cf. Milquet/ Reyns-Chikuma 2016). Meurisse besitzt zwar als derzeit tonangebende bédéiste durch ihre Rolle als Überlebende des 64 DOI 10.24053/ ldm-2022-0006 Dossier Attentats auf die Redaktion von Charlie Hebdo 2015 und ihre Aufnahme in die Académie des Beaux Arts 2020 Aufmerksamkeit und Macht. 23 Nichtsdestotrotz ist sie die erste und bis dato einzige bédéiste, die in den prestigeträchtigen Comicreihen des Musée d’Orsay und des Louvre - die insgesamt über 30 Comics zählen - mit einer eigenständigen Monographie publiziert wurde. Schließlich skizziert Meurisse in Moderne Olympia auch die überzeitlichen sexistischen und rassistischen Strukturen von der Malerei und der Karikatur des 19. Jahrhunderts über den Film des 20. Jahrhunderts bis hin zur bande dessinée des 21. Jahrhunderts. Somit erscheint Moderne Olympia nicht nur als eine karikatureske Kunst-Geschichte. Durch ihr bildnarratives Arrangement präsentiert sich die graphische Erzählung vielmehr als komplexe feministische Kunstgeschichte in der Form einer bande dessinée. „Akt“, in: Wolfgang Pfeifer et al. (ed.), Etymologisches Wörterbuch des Deutschen, 1993, v. Wolfgang Pfeifer überarbeitete Version im DWDS - Digitales Wörterbuch der deutschen Sprache, www.dwds.de/ wb/ etymwb/ Akt (letzter Aufruf am 14.02.2022). Beaty, Bart, Comics versus Art, Toronto et al., UP Toronto, 2012. Beckmann, Anna, „‚Glaub mir nicht, ich bin ein Comic‘. Selbstreflexivität im Comic als Markierung narrativer Unzuverlässigkeit“, in: Closure. Kieler e-Journal für Comicforschung, 4.5, www.closure.uni-kiel.de/ closure4.5/ beckmann (publiziert im Mai 2018, letzter Aufruf am 05.11.2021), 92-105. Blanc-Hoàng, Henri-Simon, „Antiquity and Bande Dessinée: Schizophrenic Nationalism between Atlanticism and Marxism“, in: Annessa Ann Babic (ed.), Comics as History, Comics as Literature. Roles of the Comic Book in Scholarship, Society, and Entertainment, Lanham, Fairleigh Dickinson UP, 2014, 15-32. Butler, Judith, Das Unbehagen der Geschlechter, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1991 [1990]. Charlier, Jean-Michel / Hubinon, Victor, Le Démon des Caraïbes (Barbe-Rouge. L’integrale 1), Paris et al., Dargaud, 2017 [1959-60]. Clark, Kenneth, The Nude. A Study in Ideal Form, London, Folio Society, 2010 [1956]. Clark, Timothy J., The Painting of Modern Life. Paris in the Art of Manet and his Followers, Princeton, Princton UP, 1999 [1985]. Crenshaw, Kimberlée, „Mapping the Margins. Intersectionality, Identity Politics, and Violence against Women of Color“, in: Stanford Law Review, 43, 6, 1991, 1241-1299. Cukor, George, Romeo and Juliet, USA, Loew’s Inc., 1936 Dath, Dietmar, „Wie man Menschenbilder bewegt”, in: Olympia in Love, Berlin, Reprodukt, 2018, s. p. Déchamps, Sonia, „Rencontre avec Catherine Meurisse (Le Forum des images)“, www.youtube. com/ watch? v=DHjNVMcc0ss (publiziert im Oktober 2020, letzter Aufruf 02.11.2021). Donen, Stanley / Kelly, Gene, Singin’ in the Rain, USA, Loew’s Inc., 1952. Flinn, Margaret C., „Catherine Meurisse and the gender of art“, in: Frederick Louis Aldama (ed.), The Routledge Companion to Gender and Sexuality in Comic Book Studies, London, Routledge, 2020, 503-515. Gilman, Sander, „Black Bodies, White Bodies: Toward an Iconography of Female Sexuality in late Nineteenth-century“, in: Critical Inquiry, 12, 1, 1985, 204-242. Goscinny, René / Uderzo, Albert, Astérix et Cléopâtre, Paris, Hachette, 1965 [1963]. Greenberg, Clement, „Modernist Painting“, in: John O’Brian (ed.), Modernism with a Vengeance. 1957-1969, Chicago, Chicago UP, 1993, 85-93. Grigsby, Darcy Grimaldo, „Still Thinking about Olympia’s Maid“, in: The art bulletin, 97, 4, 2015, 430-451. DOI 10.24053/ ldm-2022-0006 65 Dossier Gualdoni, Flaminio, The History of the Nude, Mailand, Skira, 2012. Hegel, Georg Wilhelm Friedrich, Vorlesungen über die Ästhetik, 1, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1986 [1835-38]. Heyden, Linda-Rabea, „Interpiktorialität im Comic. Versuch einer Systematik zu bildlichen Bezugnahmen in Comics“, in: Guido Isekenmeier (ed.), Interpiktorialität. Theorie und Geschichte der Bild-Bild-Bezüge, Bielefeld, transcript, 2013, 281-298. Hochreiter, Susanne / Klingenböck, Ursula (ed.), Bild ist Text ist Bild. Narration und Ästhetik in der Graphic Novel, Bielefeld, transcript, 2014. Kuhn, Léa, Gemalte Kunstgeschichte. Bildgenealogien in der Malerei um 1800, Paderborn, Brill / Wilhelm Fink, 2020. Langbein, Julia, Salon caricature in Second Empire Paris, Chicago, Chicago UP, 2014. Lehmann, Sophie, „Das unsichtbare Geschlecht“, in: Claudia Benthien (ed.), Körperteile. Eine kulturelle Anatomie, Reinbek, Rowohlt, 2001, 316-339. Lessing, Gotthold Ephraim, Laokoon oder über die Grenzen der Malerei und Poesie, ed. Friedrich Vollhardt, Stuttgart, Reclam, 2012 (1766). Lüthy, Michael, Bild und Blick bei Manet, Berlin, Gebrüder Mann, 2003. McCloud, Scott, Understanding Comics. The Invisible Art, Northampton, Tundra, 1993. Meurisse, Catherine, Moderne Olympia, Paris, Futuropolis / Musée d’Orsay Éditions, 2014. —, Olympia in Love. Eine Erzählung in 50 Gemälden, trad. Ulrich Pröfrock, Berlin, Reprodukt, 2018. Miller, Ann, „The Nude and the Naked. From Fine Art to Comics“, in: Nina Eckhoff-Heindl / Véronique Sina (ed.), Spaces Between. Gender, Diversity, and Identity in Comics, Wiesbaden, Springer, 2020, 63-78. Milquet, Sophie / Reyns-Chikuma, Chris, „La Bande dessinée au féminin. 12,4%: écouter l’autre voix de la BD“, in: Alternative francophone, 1, 9 (La bande dessinée au féminin / female comics), 2016, 1-4. Nead, Lynda, The Female Nude. Art Obscenity and Sexuality, London, Routledge, 1992. Nochlin, Linda, „Why Have There Been No Great Women Artists? “, in: Vivian Gronick / Barbara Moran (ed.), Women in Sexist Society. Studies in Power and Powerlessness, New York, Basic, 1971, 344-366. O’Grady, Lorraine, „Olympia’s Maid. Reclaiming Black Female Subjectivity“, in: Afterimage, 2, 1992, 1-23. Packard, Stephan, „Wie narrativ sind Comics? Aspekte historischer Transmedialität“, in: Susanne Hochreiter / Ursula Klingenböck (ed.), Bild ist Text ist Bild. Narration und Ästhetik in der Graphic Novel, Bielefeld, transcript, 2014, 97-119. Paul, Barbara, „Kunstgeschichte, Feminismus und Gender Studies“, in: Hans Belting et al. (ed.), Kunstgeschichte. Eine Einführung, 7. ed., Berlin, Reimer, 2008, 297-336. Perea, Juan F., „The Black/ White Binary Paradigm of Race. The Normal Science of American Racial Thought“, in: California Law Review, 85, 5, 1997, 1213-1258. „People of Color (PoC)“, in: Neue Deutsche Medienmacher Glossar, https: / / glossar.neuemedien macher.de/ glossar/ people-of-color-poc (letzter Aufruf am 15.11.2021). Pollock, Griselda, „A Tale of Three Women. Seeing in the Dark, Seeing Double, at Least, with Manet“, in: ead., Differencing the Canon. Feminist Desire and the Writing of Art’s Histories, London, Routledge, 1999, 246-315. Robbins, Jerome / Wise, Robert, West Side Story, USA, United Artists, 1961. Rosenblum, Robert, Die Gemäldesammlung des Musée d’Orsay, Köln, DuMont, 1989. Sanyal, Mithu, Vulva. Die Enthüllungen des unsichtbaren Geschlechts, Berlin, Wagenbach, 2009. Schmitz-Emans, Monika, „Museum Comics. Drawn Reflections on Images and Image-Spaces, Framings and Transgressions“, in: Johannes C. P. Schmid / Christian A. Bachmann (ed.), Framing [in] Comics and Cartoons. Essays on Aesthetics, History, and Mediality, Berlin, Chr. A. Bachmann, 2021, 201-220. 66 DOI 10.24053/ ldm-2022-0006 Dossier Schröer, Marie, „Olympia in Love. Kunst, Kommerz und Kanon“, in: Der Tagesspiegel, www. tagesspiegel.de/ kultur/ comics/ olympia-in-love-kunst-kommerz-und-kanon/ 23689744.html (publiziert im November 2018, letzter Aufruf 18.10.2021). Zola, Émile, Écrits sur l’art, ed. Jean-Pierre Leduc-Adine, Paris, Gallimard, 1991. Alle Reproduktionen der Abbildungen: Hubert Graml, Berlin. 1 Im Fließtext wird die Originalausgabe von 2014 folgendermaßen nachgewiesen: (MO: Seitenzahl). 2 Schwarz und Weiß sind soziokulturell konstruierte Kategorien. Als historische Begriffe werden sie im Folgenden großgeschrieben und genutzt, um Rassismen zu diskutieren. Wenn möglich, werden die Selbstbezeichnungen Person of Color oder Woman of Color bevorzugt (cf. Perea 1997, https: / / glossar.neuemedienmacher.de/ glossar/ people-of-color-poc, letzter Aufruf am 13.11.2021). 3 Meurisse zeichnete für Panelkompositionen Standbilder aus den Tanzfilmen West Side Story und Singin’ in the Rain ab (cf. Déchamps 2020: 0: 15: 30, 00: 18: 19). In letzterem ist das Ende der Stummfilmära sogar Leitthema. Doch selbst wenn die dargestellten Filmproduktionen auf Stummfilme rekurrieren, sind sie in der graphischen Erzählung durch Sprechblasen als Tonfilme gekennzeichnet. 4 Margaret C. Flinn schreibt über die Referenzialität in Moderne Olympia: „Meurisse’s bande dessinée practice becomes a meta-formal reflection on the ways in which arts continually remediate visual and narrative structures and tropes“ (Flinn 2020: 507). 5 Lessings Paragone ist für die Comicwissenschaften das Theorem, an dem es sich abzuarbeiten gilt (cf. Hochreiter/ Klingenböck 2014). Im Wettstreit der Künste wertet er die Malerei ab, weil sie im Gegensatz zur Dichtung nur einen einzigen Augenblick darstellen könne, weshalb dieser ‚fruchtbare Augenblick‘ das zeitliche Vorher und Nachher integrieren müsse (cf. Lessing 2012: 26). Die drei narrativen Bildmedien Historienmalerei, Film und Comic werden in Moderne Olympia zueinander in Beziehung gesetzt. 6 Für Digitalisate der besprochenen Gemälde cf. www.musée-orsay.fr/ collections (letzter Aufruf am 13.11.2021). 7 K. Clark stellt der Nacktheit den künstlerischen Akt gegenüber (T. J. Clark 1985: 128sq.). Für eine feministische Lesart cf. Nead 1992: 12-33. 8 Zu Darstellungen narrativer Unzuverlässigkeit im Comic cf. Beckmann 2018. 9 Michael Lüthy bespricht die fehlende Darstellung der Vulva im Fall von Cabanels Vénus (cf. Lüthy 2003: 98). Zu dieser Leerstelle in der Kulturgeschichte cf. Lehmann 2001, Sanyal 2009. 10 Auf der Grundlage der Kunstkritik des 19. Jahrhunderts kulminiert die Erfolgsgeschichte der künstlerischen Moderne unter den Vorzeichen Innovation, Abstraktion und Selbstreflexion in den kunstkritischen Schriften Clement Greenbergs (cf. Greenberg 1993). 11 In Moderne Olympia werden vielfach transmediale Phänomene thematisiert, wie in der mehrstufigen Referenzierung von Shakespeares Romeo und Julia (1597) über filmische Schwarzweißadaptionen (z. B. Cukor 1936) und die Musicaladaption West Side Story bis hin zur vorliegenden bande dessinée. Cf. zu Transmedialität und Comics Packard 2014. 12 Zum Motiv der mise en abyme als reflexive Schachtelung in die Bildtiefe, besonders in Comics mit integrierten kunsthistorischen Zitaten, cf. Heyden 2013: 283. DOI 10.24053/ ldm-2022-0006 67 Dossier 13 Während des Doubelns steht Olympias für Venus’ Körper ein. Dieses Motiv ist Singin’ in the Rain entnommen, dort wird jedoch die Stimme übernommen (cf. Donen/ Kelly 1952: 1: 35: 35-1: 36: 49). 14 Der Titel des fiktiven Films lautet „Boudin sauvé des eaux“ (MO: 33) - Blutwurst aus dem Wasser gerettet. Hier wird Bezug genommen auf Émile Zolas berühmte Kunstkritik zu Cabanels Vénus von 1867: „La déesse, noyée dans un fleuve de lait, a l’air d’une délicieuse lorette, non pas en chair et en os - cela serait indécent, - mais en une sorte de pâte d’amande blanche et rose“ (Zola 1991: 182). An die Stelle des Marzipans tritt Wurst. Während Blutwurst durch die Bestandteile Fleisch und Blut metonymisch für den organischen Körper steht, bleibt die Materialität weich und formbar. In beiden Fällen wird das Bild von Künstlerhänden aufgerufen, die den Frauenkörper nach ihren Vorstellungen formen, gleichsam weisen die Essenstropen auf die Konsumierbarkeit des weiblichen Körpers hin. 15 Kimberlée Crenshaw entwickelte ihren Begriff der Intersektionalität am Beispiel der Women of Color, die zum Weißen bürgerlichen Feminismus der zweiten Welle keinen Zugang fanden. Er bedeutet die Verschränkung marginalisierter sozialer Kategorien, sodass sich Diskriminierungserfahrungen nicht nur addieren, sondern neue Formen annehmen (cf. Crenshaw 1991: 1242sq., 1299). 16 In der deutschen Übersetzung wird der Rassismus aus dem Witz gestrichen, der Ableismus bleibt bestehen (Meurisse 2018: 7). Diese Änderung der Übersetzung verursacht eine inhaltliche Verschiebung: der Referenzrahmen des historischen Rassismus wird negiert, was besonders die Interpretation Félicités erschwert. 17 Réné Goscinnys und Albert Uderzos Baba basiert auf der gleichnamigen Figur aus Jean- Michel Charliers und Victor Hubinons Barbe-Rouge (ab 1959). Baba zeichnet sich in beiden Erzählungen durch eine große physische Stärke, aber wenig Intellekt aus und bildet einen Gegensatz zur Weißen Figur Triple-Pattes. Letzterer tritt in Barbe-Rouge als Lehrmeister auf und rezitiert in Astérix regelmäßig auf Lateinisch, ist jedoch durch sein Holzbein und hohes Alter physisch eingeschränkt (Charlier/ Hubinon 2017: 37, Goscinny/ Uderzo 1965: 10). 18 Zwar wurde die Sklaverei in Frankreich schon 1848 abgeschafft, doch legt Grigsby dar, dass Olympia an Darstellungen Weißer Kolonialherrinnen und Schwarzer Dienerinnen - ehemaligen Sklavinnen - im karibischen Kontext anschließt (cf. Grigsby 2015: 435). 19 Cf. die Abbildung von Bertalls Manette, ou la femme de l’ébéniste, par Manet aus dem Journal Amusant vom 27. Mai 1865 (Grigsby 2015: 438). 20 Die sexuelle Ausbeutung des weiblichen Aktmodells des 19. Jahrhunderts wird hier Jahre vor #metoo prophetisch mit der von Schauspielerinnen in der Filmbranche des 20. Jahrhunderts verglichen. Letzteres merkt schon Miller an (cf. Miller 2020: 69sq.). 21 Die écriture féminine ist eine feministische Literaturpraktik der 1970er Jahre und versucht, eine weibliche Sprache zu finden (cf. Paul 2008: 308). Dieses Vorhaben wird in der feministischen Forschung unter dem Begriff des Essenzialismus problematisiert: Zum einen verfolgt sie eine „Intensivierung des Geschlechterantagonismus“ (ibid.). Zum anderen stellt sich die Frage, was eine weibliche Sprache oder ein weiblicher Stil wäre. Die Existenz einer weiblichen Form setzt eine weibliche Essenz im Sinne einer biologistischen Determiniertheit voraus, gegen welche sich die Genderforschung ausspricht (Butler 1991, Nochlin 1971). Flinn, Milquet und Reyns-Chikuma wie auch das vorliegende Dossier versuchen, dem Vorwurf anhand einer Verräumlichung zu entgehen: Form, Stil oder Erfahrung werden ins Weibliche gesetzt - au féminin. Dass diese Versuche nicht zwingend aufgehen, zeigt 68 DOI 10.24053/ ldm-2022-0006 Dossier die genaue Lektüre: Milquet und Reyns-Chikuma benötigen den Begriff der „création féminine“ (2), die englische Übersetzung ihres Bandes bleibt Female Comics; Flinn wiederum beschreibt Meurisses Stil anhand stereotyper Attribute wie „uncertainty“ und ruft mit Wörtern wie „fluidity“ und „wobbliness“ (508) weibliche Wassermetaphorik auf (cf. Lüthy 2003: 101). Trotz des bewussten Umgangs kann Sprache ungenau bleiben und esseztialistische Reflexe treten nach wie vor an die Oberfläche. Ein reflektierter Umgang mit Essenzialismus bleibt also weiterhin geboten. 22 Die vollständige Neuinterpretation eines Kunstwerks durch ein anderes, wie dies hier geschieht, erinnert an Ansätze der kunsthistorischen Forschung zur Salonkarikatur (cf. Langbein 2014). Der Möglichkeit, Kunstgeschichte innerhalb der Kunst selbst zu produzieren, geht Léa Kuhn nach (Kuhn 2020). 23 Cf. Meurisses Porträt auf der Homepage der Académie des Beaux-Arts: www.academiedes beauxarts.fr/ catherine-meurisse (letzter Aufruf am 11.11.2021). DOI 10.24053/ ldm-2022-0007 69 Dossier Charlotte Krauss L’accès des femmes aux premiers rôles: les scénarios de Julie Birmant 1. Les créatrices de bandes dessinées revendiquent leur juste place Pendant longtemps, les femmes ont joué les seconds rôles dans la bande dessinée franco-belge. Cela valait au niveau des récits, puisqu’une écrasante majorité des personnages principaux classiques sont des hommes, mais aussi au niveau des créateurs, scénaristes et dessinateurs: ainsi que le résume Thierry Groensteen, la bande dessinée était traditionnellement un univers dans lequel des auteurs hommes créaient des œuvres destinées à un lectorat essentiellement jeune et masculin, alors que peu de femmes scénaristes ou dessinatrices y rencontraient du succès (Groensteen 2020a: 296, 2020b: 304). Plus largement, Groensteen fait le constat de „la marginalisation, voire [de] la stigmatisation du féminin“ dans la bande dessinée francophone (Groensteen 2020a: 296). Si le nombre de femmes bédéistes augmente en France depuis une vingtaine d’années - on compte une femme pour quatre hommes dans le monde de la bande dessinée en 2020, contre une dessinatrice pour 25 dessinateurs en 1985 (Groensteen 2020a: 298, 2020b: 303) - nombre de créatrices affirment toujours ressentir un manque de considération dans leur profession. Plusieurs événements récents ont rendu compte de ce fait et, en sensibilisant un public large, ont favorisé une visibilité aujourd’hui accrue aussi bien des femmes artistes que des héroïnes de bandes dessinées. C’est en septembre 2015 que la colère et les revendications des bédéistes femmes apparaissent au grand jour grâce à la création du Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme qui publie notamment une charte, signée par 147 femmes bédéistes à sa création, par 250 aujourd’hui. 1 Le mouvement part d’une enquête menée dès 2013 par l’autrice Lisa Mandel: en interrogeant trente consœurs sur „toutes les questions qui leur ont été posées sur le fait d’être une femme dans la bd“, elle constate une „abondance de réponses et d’anecdotes à caractère sexiste“, 2 signe d’un malaise persistant. Deux ans plus tard, le Centre Belge de la Bande Dessinée ( CBBD ) planifie une exposition intitulée La BD des filles, un projet perçu comme „accablant et misogyne“ (ibid.) par plusieurs femmes artistes contactées par le centre. C’est le moment déclencheur pour la rédaction d’une charte qui souhaite non seulement dénoncer le sexisme, mais aussi contribuer à la recherche de solutions: „Par la rédaction et la diffusion de notre charte nous voulons dénoncer les aspects du sexisme dans l’industrie littéraire où nous évoluons, tout en énonçant des méthodes pour le combattre.“ 3 La charte refuse notamment la classification de „la bande dessinée féminine“ comme un genre indépendant qui n’aurait pas d’équivalent masculin: les signataires rappellent que les bédéistes femmes produisent les mêmes genres, extrêmement variés, que leurs collègues hommes. Le collectif dé- 70 DOI 10.24053/ ldm-2022-0007 Dossier fend par ailleurs une plus grande diversité de la bande dessinée ainsi qu’une „pluralité ethnique et sociale“ des représentations. Enfin, les signataires refusent d’intégrer dorénavant des collections, expositions ou des prix dits „spécial femmes“. Ce refus y compris de la discrimination positive contrarie certains acteurs pourtant sensibles à l’égalité des chances. Le critique de bande dessinée Thierry Groensteen par exemple publie alors sur le Blog de Neuvième Art un billet intitulé „Dessinatrices, encore un effort pour lutter contre le sexisme“ (Groensteen 2015b) 4 dans lequel il juge aussi souhaitables que bénéfiques des initiatives comme le prix Artemisia, créé en 2008 et destiné à promouvoir les créatrices de bande dessinée. 5 Plusieurs réactions vives à ce billet, de la part de femmes se disant pourtant proches de leur collègue masculin, témoignent du malaise général. Ainsi, Johanna Schipper y voit „un florilège de tout ce que le paternalisme machiste peut produire comme arguments de défense dès lors qu’il se sent attaqué“. Elsa Caboche estime qu’„il faut cesser de croire que les bandes dessinées conçues par les femmes sont des émanations ‚naturelles‘ imbibées d’hypothétiques caractéristiques féminines“. À la défense de l’auteur, Chantal Montellier affirme cependant que „c’est bien en tant que femme qu[’elle] parle et dessine“. 6 Quelques mois plus tard, le conflit refait surface quand aucun nom féminin n’apparaît sur la liste des trente candidats sélectionnés pour le vote du Grand prix de la Ville d’Angoulême, au plus prestigieux des festivals de la bande dessinée en France. L’historique même de ce prix, qui récompense depuis 1974 l’ensemble d’une œuvre, confirme la disparité entre hommes et femmes dans le monde de la bande dessinée: il n’a été décerné que deux fois à une femme (à Florence Cestac, en 2000, et à la mangaka Rumiko Takahashi, en 2019, soit après la polémique de 2016); s’y ajoute un prix spécial pour Claire Brétécher en 1983 (Groensteen 2020b: 308). En 2016, plusieurs artistes demandent le retrait de la liste exclusivement masculine, le Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme appelle les professionnels de la bande dessinée au boycottage du vote et des voix engagées suggèrent des noms d’autrices de bandes dessinées dignes de recevoir le prix de la ville d’Angoulême (p. ex. Bounoua 2016). Les organisateurs reconnaissent finalement avoir commis une „erreur symbolique“ (Bondoux 2016). 7 Ils ajoutent six noms de femmes à la sélection et changent la procédure du vote pour l’avenir: elle se fait depuis „sans […] proposer de liste de noms parmi lesquels choisir“. L’affaire, commentée dans les médias nationaux, accroît la sensibilité du grand public et contribue in fine à normaliser l’idée d’une égalité hommes-femmes dans le monde de la bande dessinée. Aujourd’hui, les femmes ne sont pas seulement de plus en plus nombreuses parmi les créatrices de bandes dessinées, elles sont aussi plus souvent représentées dans les bandes dessinées en tant que protagonistes positives, un accès aux premiers rôles selon Thierry Groensteen: „Une évolution de la bande dessinée francophone moderne aura été de permettre aux femmes de devenir des aventurières à part entière, enquêtant, parcourant le monde et redressant des torts en leur nom propre, à égalité, dans l’autonomie et la bravoure, avec leurs collègues masculins“ (Groensteen 2020a: 299). DOI 10.24053/ ldm-2022-0007 71 Dossier 2. Des personnages féminins rendent hommage aux modèles réels Quelques années après les faits, il paraît pertinent de jeter un regard sur l’œuvre de l’une des bédéistes francophones signataires de la charte des créatrices de bande dessinée contre le sexisme, une femme dont le nom figurait également sur l’une des listes d’autrices suggérées aux organisateurs du festival d’Angoulême en 2016: la scénariste Julie Birmant. Elle a signé sa toute première bande dessinée, Drôles de femmes (2010), avec la dessinatrice Catherine Meurisse et travaillé par la suite avec le dessinateur Clément Oubrerie, tout d’abord sur Pablo (2012-2014), une série de quatre bandes dessinées consacrées aux premières années de la carrière de Pablo Picasso. Cette première collaboration entre Birmant et Oubrerie rencontra un franc succès et fit connaître le duo au grand public. Or le titre, Pablo, de même que les noms d’artistes proches ou concurrents choisis comme titres des trois premiers tomes (Max Jacob, Apollinaire et Matisse; le quatrième tome s’intitule Picasso) 8 dissimulent le premier rôle joué par une femme: la narratrice de l’œuvre, garante de sa cohérence, est Fernande Olivier (1881-1966), l’une des premières compagnes du peintre. 9 Au-delà de cette œuvre, un regard sur tous les scénarios publiés à ce jour montre que Julie Birmant met systématiquement des femmes au premier rang de ses bandes dessinées. Des Drôles de femmes aux Aventures de Renée Stone (2018-22), toutes les héroïnes de Julie Birmant refusent le paternalisme et revendiquent leur liberté. Indépendantes, elles décident elles-mêmes de leur vie et réclament les mêmes droits que leurs partenaires ou concurrents masculins, y compris le droit à l’erreur dans certaines situations. Au-delà des héroïnes qu’ils représentent, les scénarios renvoient aussi concrètement aux revendications des femmes artistes en général, ce qui n’est pas sans rappeler l’engagement récent des bédéistes. Il est en effet à noter que toutes les héroïnes de Julie Birmant évoluent dans le monde de l’art; elles sont romancières, muses de peintre, danseuses, bédéistes, éditrices, actrices etc. Que ce soit par les moyens du documentaire ou de la fiction, ces scénarios contribuent donc aussi à rendre une place plus juste aux femmes dans la conscience et la mémoire collectives. La carrière de scénariste de Julie Birmant commence par de petits entretiens avec des femmes humoristes, dérivés d’un documentaire que la journaliste, qui se décrit alors comme une „femme de radio“ (Bogrow 2010: 4), réalise pour France Culture. Elle choisit plusieurs enregistrements pour un projet de „livre classique“ quand elle constate que „la radio ne [peut] pas rendre les lieux, les attitudes, les silences...“ (Bogrow 2012: 17) et qu’un ouvrage lui donne aussi l’occasion de se mettre en scène elle-même, ce qui apporte au récit une réflexion sur la démarche de l’enquête. La rencontre avec Catherine Meurisse décide finalement l’autrice à passer à la bande dessinée: „je réalisais que le langage particulier de la BD permettait - et même encourageait - des audaces formelles et un décalage de la manière de raconter qui seraient tout à fait dans le ton“ (ibid.: 5). L’ouvrage ne repose donc pas sur un scénario conçu et découpé pour la bande dessinée, mais sur l’adaptation d’un 72 DOI 10.24053/ ldm-2022-0007 Dossier texte long et sur la „symbiose“ opérant entre les deux artistes: le dessin permet de saisir les ambiances des „rencontres éphémères“ et leur „énergie“. 10 Les dix femmes chez lesquelles Julie Birmant s’invite en tant que narratrice aussi ingénue qu’enthousiaste pour des entretiens sont artistes. Toutes „ont bâti leur carrière ou leur personnage sur l’humour“, s’attaquant ainsi, selon les mots de l’autrice, „au domaine du rire, qui est si masculin“ (Bogrow 2010: 5). Cet affrontement de tabous - „Dans une société bien élevée, une femme n’a pas à être drôle. Ni libre.“ - suscite l’admiration de l’autrice qui considère ses interlocutrices comme des „pionnières“ (ibid.: 5, 6). C’est l’entretien avec Yolande Moreau en ouverture qui lance l’enquête et donne le ton à l’ouvrage: „héro[ïne] à la marge“ (Birmant/ Meurisse 2010: 4), la comédienne a su s’imposer dans le monde de l’humour avec énergie et autodérision. Julie Birmant, marquée dès son enfance par les films et les spectacles de Yolande, se dit „amoureuse“ (ibid.) d’elle et la décrit comme le modèle qui a déterminé le choix des autres protagonistes de l’ouvrage: „Mon Graal, c’était des femmes capables comme elle d’afficher leur singularité, leur détermination, et d’en tirer une beauté supplémentaire“ (Borgow 2010: 4). Le côté réflexif des reportages - la mise en scène, par les moyens de la bande dessinée, d’une jeune artiste à la recherche d’artistes qui puissent lui servir de modèles - est également mis en évidence par cette première rencontre et reflété par les dessins de Catherine Meurisse, comme dans une mise en abyme qui montre Yolande Moreau assise sous un tableau représentant Yolande Moreau (DF: 7; fig. 1). Fig. 1: Meurisse, Birmant © DARGAUD, 2022 Plusieurs entretiens insistent sur les difficultés rencontrées par la génération des pionnières qui, plus que la jeune génération que représente Julie Birmant, s’est battue contre le modèle bourgeois de la femme rangée. C’est notamment le cas de Sylvie Joly, grande figure du one-woman-show français: issue d’une grande famille bourgeoise, elle a trente ans passés quand elle avoue enfin son rêve de devenir comédienne à sa famille, y compris à son mari qui la soutient tout au long de sa DOI 10.24053/ ldm-2022-0007 73 Dossier carrière. Un témoignage similaire est livré par la comédienne Tsilla Chelton qui dut affronter un père „rigoriste“ (DF: 72) et une éducation destinée à faire d’elle la parfaite épouse. La rencontre avec Florence Cestac joue un rôle-clé en tant que reflet du médium de la bande dessinée: l’entretien de la bédéiste et co-fondatrice de la maison d’édition Futuropolis, spécialisée dans le neuvième art, se concentre sur son Démon de midi, une bande dessinée devenue best-seller grâce à son adaptation au théâtre. Inspirée de la vie de l’autrice, elle raconte l’histoire d’une femme que l’homme de sa vie quitte pour une maîtresse. Ainsi que le souligne la narratrice dans Drôles de femmes, l’originalité de l’œuvre réside dans le fait qu’elle adopte le point de vue féminin: „Avouons qu’il y a de quoi se marrer… Car l’histoire avait toujours été racontée du point de vue masculin. Quand un homme a une maîtresse, il est fort, viril. Parler de la douleur de la femme larguée? Trop triste! Cestac a joyeusement brisé une chape de silence“ (DF: 26). Julie Birmant rend hommage au courage de son interlocutrice qui sort d’un milieu bourgeois paternaliste, se taille une place dans le monde éminemment masculin de la bande dessinée, puis parvient à témoigner de sa propre expérience douloureuse: „Il a fallu toute une vie pour oser se mettre à faire des bandes dessinées, domaine réservé aux hommes […] …et puis la secousse tellurique de la rupture avec l’amoureux supposé éternel pour se mettre à parler de soi“ (DF: 29). 3. Fernande et Isadora se libèrent du modèle paternaliste Le premier tome de la série Pablo s’ouvre sur le Montmartre de nos jours: „Picasso“ y est le nom d’un modèle de voiture et l’atelier du peintre est visité par une foule de touristes. La narratrice, Fernande, apparaît sous les traits d’une femme âgée qui regarde la vie du quartier et remarque que „ça fait longtemps que plus personne ne fait attention à moi“ (Birmant/ Oubrerie 2012: 3). Mais la bande dessinée, dans laquelle Fernande est „une sorte de fantôme planant sur Montmartre“ (Borgow 2012: 16), rend sa place à une figure historique oubliée: „Picasso m’a aimée, Picasso m’a peinte… Il a beau avoir voulu m’effacer… il m’a rendu éternelle“ (Birmant/ Oubrerie 2012: 5; fig. 2). 11 Le scénario de Julie Birmant est fondé entre autres sur les mémoires rédigés par Fernande dans les années 1930, mais il efface le côté naïf de ces pages „maladroites, brouillonnes et pleines d’approximations“ (ibid.: 5) afin de retracer le combat du personnage pour une vie librement choisie. Le premier tome, consacré aux années 1900-1904, est particulièrement évocateur, puisqu’il alterne des planches consacrées à Pablo avec des planches consacrées à Fernande avant même que leurs destins ne se croisent. Tandis que Pablo arrive à Paris plein d’espoir avec son ami Carlès Casagemas, Fernande doit se libérer d’une existence désolante que Julie Birmant décrit comme suit: „du pur Zola, fille naturelle, élevée par une tante peu amène, déflorée, mise enceinte et mariée de force à un fou furieux qui la séquestre 74 DOI 10.24053/ ldm-2022-0007 Dossier Fig. 2: Oubrerie, Birmant © DARGAUD, 2022 et la viole à tour de bras“ (ibid.: 17). Ses rêves d’aller au lycée, de devenir comédienne ou tout simplement de prendre son destin en mains ne correspondent aucunement à ce que la société prévoit pour elle, ce dont témoigne le livre programmatique que la jeune fille reçoit en récompense de son brevet: Les femmes stoïques depuis l’antiquité (MJ: 23). Ayant découvert auprès de l’amant de sa belle-sœur des relations sexuelles fondées sur le consentement et le plaisir - „une sensation physique inconnue et quasi divine, où l’on gémit et l’on s’oublie“ (MJ: 34) - la jeune femme finit par prendre la fuite et rejoint Paris, où elle tombe par hasard sur le sculpteur Laurent Debienne qui lui propose de devenir son modèle, une condition qu’elle accepte mais qu’elle revendique aussi rapidement. La pose pour différents artistes lui procure un sentiment de revanche à l’égard de la fausse pudeur affichée par sa tante, mais la pose permet surtout à Fernande de gagner sa vie, son indépendance et le choix de ses relations amoureuses: „Pour la première fois de ma vie, j’étais libre“ (MJ: 52). Cette nouvelle vie parisienne est signée par un changement de nom qui lui fait définitivement couper les ponts avec son passé. Quand elle s’installe au mythique Bateau-Lavoir avec Debienne, Amélie Lang devient en effet Fernande Baume, 12 suivant en ceci l’exemple de ses consœurs: „Tous les modèles qui circulaient dans l’étrange bâtisse DOI 10.24053/ ldm-2022-0007 75 Dossier où nous nous installions avaient des noms de guerre qui empêchaient leur passé de les rattraper“ (MJ: 75). À l’exemple de Fernande, ce premier tome de Pablo fait apparaître le lien qui existe entre liberté et indépendance dans la vie des femmes. Ainsi, le droit de disposer de son corps et de choisir ses partenaires est à l’opposé des relations subies par Fernande et de l’expérience d’être livrée à des prédateurs sexuels: avant même de connaître son mari violent, elle devait par exemple bloquer sa porte par une armoire pour éviter un „tonton“ intrusif (MJ: 23). À Paris, son indépendance financière lui donne la possibilité de choisir: elle quitte Debienne quand elle commence à faire tourner le ménage avec ses heures de pose et qu’elle le trouve au lit avec un modèle (MJ: 78). C’est aussi cette liberté qui lui permet de garder de la hauteur et de s’affirmer face à un Picasso certes follement amoureux d’elle mais qui garde aussi un penchant machiste - dont elle rit: „Il baragouinait un français difficilement compréhensible. Je le dépassais d’une bonne tête, et le voir bomber le torse ne provoquait que mon hilarité“ (MJ: 83). Avec Isadora Duncan (1877-1927), c’est une autre femme indépendante de la même génération que Fernande que Julie Birmant met au centre d’un scénario de bande dessinée. Le diptyque Il était une fois dans l’Est (2015) et Isadora (2017), fruit d’une nouvelle collaboration avec Clément Oubrerie, retrace la vie de la danseuse, célèbre à son époque pour son style d’expression libre inspiré de l’art grec et axé sur l’harmonie du corps: „[Isadora Duncan] fut la précurseure de la danse moderne, libérant les pas du carcan de la danse de divertissement - french cancan, revues de music-hall - et de la danse classique, très codifiée. C’est aussi l’une des premières grandes stars mondiales, dont la célébrité égale celle d’une Greta Garbo“ (Giner 2015: 32). La bande dessinée est conçue comme un flashback: elle commence et se termine par l’accident mortel d’Isadora sur la Promenade des Anglais, en 1927. La narration de premier plan suit la relation et le mariage houleux de la danseuse avec le jeune poète russe Serge Essénine: le premier tome se concentre sur leur rencontre en URSS , en 1921-1923, le deuxième sur une tournée en Europe et aux États-Unis, la transition entre les deux tomes étant assurée par un voyage en avion de Moscou à Berlin. Des chapitres intercalés reviennent de façon chronologique sur la jeunesse d’Isadora et sur le début de sa carrière, ce qui permet de voir éclore son style de danse personnel. Comme Fernande, Isadora se libère d’un corset de conventions bourgeoises qui laissent peu de place à la femme et encore moins à l’artiste. Dès ses 17 ans, alors qu’elle habite sur la côte ouest des États-Unis, elle prend la décision de ne plus jamais pratiquer „ces danses de salon débilitantes“ (Birmant/ Oubrerie 2015: 117). Lors de son arrivée à Chicago, elle se place en opposition à la danse classique: „Je danse avec instinct, avec naturel. Le corps relié au vent, aux vagues, en harmonie avec les branches des arbres… Une vraie danse sacrée: rien à voir avec les codes morts du ballet“ (UE: 125). Tout au long de son parcours, on la voit déterminée par sa quête d’indépendance: elle refuse les avances d’un directeur de théâtre (UE: 140) 76 DOI 10.24053/ ldm-2022-0007 Dossier et met un terme à sa relation avec un comédien à Berlin le jour où celui-ci veut lui interdire de danser peu vêtue et préférerait la réduire au rôle de femme au foyer (Birmant/ Oubrerie 2018: 85). Sa recherche d’une vie et d’un style artistique libres l’obligent parfois à se battre contre des prédateurs sexuels: elle se défend courageusement contre trois hommes qui tentent de rentrer dans sa chambre dans une pension sordide à Chicago (UE: 136), mais aussi contre une agression sexuelle de la part de Rodin, après une danse en privé censée lui montrer la grande inspiration reçue de son art de sculpteur (Isa: 57). Le scénario insiste sur le „mélange de naïveté et de courage“ ainsi que sur „l’inconscience“ (Giner 2015: 33) 13 d’Isadora Duncan. En se fondant entre autres sur l’autobiographie de la danseuse, Julie Birmant décèle l’humour et le non-conformisme de son personnage: [E]lle est assez marrante dans Ma vie, son autobiographie parue en 1927. Née en 1877, Isadora vit libre et seule à travers le monde, a des enfants sans être mariée. Entière, elle se rend dans les endroits les plus chics vêtue d’une toge grecque, pieds nus, parlant aux puissants comme aux chauffeurs d’hôtel (ibid.: 33). Ce mélange de naïveté et d’enthousiasme mène la danseuse jusqu’à Moscou, invitée par Lénine qui souhaite offrir au peuple „un moment d’oubli, d’exaltation, de l’art populaire et moderne“ (UE: 38). Sans prêter attention aux mises en garde, elle part pour „apprendr[e] aux enfants de la révolution à danser comme des dieux... et sans jamais recevoir un sou en retour“ (UE: 41). Sa conviction de trouver le monde de ses rêves réalisé dans la jeune Union Soviétique s’exprime sur une planche montrant, dans six cases distribuées sur une carte de l’Europe indiquant le trajet du voyage, les discours enflammés qu’Isadora tient à ses deux compagnes de voyage: Les hommes et les femmes, désormais égaux, peuvent divorcer et faire l’amour quand ils veulent. Il n’y a plus d’argent, tout est gratuit, vous imaginez! Les transports, l’école, la nourriture… La propriété! Les riches! Fini! Plus d’intérêts personnels, mais une vision commune. Ah, le communisme… La plus belle idée qu’aient inventée les hommes (UE: 45). À la frontière russe, elle saute du train à l’arrêt et rassemble des paysans ébahis pour un spectacle (cf. fig. 3) en s’exclamant: „Je danse la révolution“ (UE: 54). Enfin, arrivée à Moscou, elle s’avère être une hôte peu commode: non seulement elle insiste pour danser devant Lénine sur la Marche slave de Tchaïkovski malgré la reprise de l’hymne au tsar dans le morceau, mais elle reproche aussi aux nouveaux dignitaires leur attachement au luxe de l’époque tsariste: „Tout ce qui vous entoure est d’une laideur monstrueuse. Regardez-moi ces dentelles, ces volants, ces queues-de-pie, sans parler de ces fauteuils! Jetez-moi ça par la fenêtre… IMMÉDIA- TEMENT “ (UE: 70). Elle est cependant très vite confrontée à la réalité d’un pays marqué par la famine et la guerre. Son rêve de prolonger la révolution en enseignant „aux jeunes filles la manière de marcher des dieux grecs, liberté de corps allant de pair avec liberté de DOI 10.24053/ ldm-2022-0007 77 Dossier Fig. 3: Oubrerie, Birmant © DARGAUD, 2022 l’esprit“ (ibid.) s’avère être irréalisable: dans le contexte de la Nouvelle politique économique qu’instaure Lénine dans le pays exsangue, l’école promise à Isadora est beaucoup plus petite que prévue et doit être financée par des tournées. Dans sa vie privée, elle connaît le même va-et-vient entre passion et déception dans sa relation avec Serge Essénine. Le poète, de dix-huit ans son cadet, est célèbre en URSS où il fonde sa notoriété sur le mythe d’être un enfant de la campagne, „sorti d’un livre de contes russes“ (UE: 14). Le diptyque retrace une relation qui reste aussi mystérieuse que destructrice, un jeu de pouvoir et de dépendance, sans que les deux aient une langue en commun. Lors de la tournée en Europe et aux États-Unis, Isadora domine de plus en plus dans le couple et Serge, privé de son public russe, finit par rentrer en URSS . En 1925, Isadora apprend qu’il s’est suicidé à Leningrad. 4. Les personnages féminins accèdent aux premiers rôles La dernière œuvre du duo Birmant/ Oubrerie, la trilogie Les Aventures de Renée Stone (2018-22), se distingue de tous les scénarios précédents par son inscription dans la fiction. L’action suit une héroïne fictive que Julie Birmant décrit comme étant „un peu la fille de Miss Marple et d’Indiana Jones“ (Hakem 2018), mais l’histoire est solidement ancrée dans la réalité historique et culturelle, à commencer par le couronnement de Haïlé Sélassié à Addis-Abeba, en 1930, sur lequel s’ouvre le premier tome, Meurtre en Abyssinie (2018). 14 Le scénario fait ensuite passer les 78 DOI 10.24053/ ldm-2022-0007 Dossier personnages par des endroits mythiques de l’Abyssinie, comme Harar „où Rimbaud avait eu la mauvaise idée de s’établir“ (MA: 30) ou la cité de Lalibela. Il confère par ailleurs un rôle-clé à des artefacts mésopotamiens, en particulier aux tablettes cunéiformes qui évoquent le légendaire roi Assurbanipal et l’épopée de Gilgamesh, créant ainsi un lien entre la bande dessinée et le texte littéraire le plus ancien connu de nos jours. 15 Ainsi que le révèle l’annexe du deuxième tome de la série, Le Piège de la Mer Rouge, les personnages de la fiction ont également des modèles historiques plus ou moins transparents. 16 La biographie de l’héroïne, Renée Stone, doit ainsi beaucoup à celle d’Agatha Christie, qu’il s’agisse de son métier de romancière, de son goût pour l’aventure et la liberté ou encore de sa fille, Rosalind, qu’elle a dû laisser en pension en Angleterre après sa séparation avec son mari. Le jeune archéologue John Malowan, qui arrive en même temps que la romancière et tombe rapidement amoureux d’elle, s’inspire quant à lui de Max Mallowan, archéologue qu’Agatha Christie connut en Irak et qui devint son deuxième mari. Les Aventures de Renée Stone se détache du genre de la biographie dessinée de femmes remarquables, un genre avec lequel le public commençait à identifier la scénariste (Hakem 2018) et qui, d’une manière générale, est souvent cultivé par les autrices de bande dessinée: „[l]a revalorisation de ces parcours féminins apparaît comme l’expression d’un militantisme féministe“ (Groensteen 2020b : 310). Renée Stone reprend le schéma classique d’une aventure qu’un personnage occidental pouvait vivre dans des mondes étrangers, mais Indiana Jones 17 est ici remplacé par une femme libre et désinvolte qui suscite les réactions contrastées de tout un cercle d’hommes l’entourant. Ainsi, John Malowan constate avec admiration qu’elle „voyage comme ça, toute seule, en quête d’inspiration“ (MA: 6), alors que le vieil écrivain Graham Gray, imbu de lui-même, ne manque pas de diffamer sa collègue en divulguant le récent divorce de Renée et en distinguant chez elle un „besoin de dissiper au fin fond de l’Afrique un certain parfum de scandale“ (MA: 8). Il renchérit en publiant un article montrant la romancière en mauvaise mère qui a égoïstement abandonné sa fille pour vivre des aventures ( PMR : 15). Renée est quant à elle sous le charme de l’explorateur Alfred Therziger, „qui a traversé le désert des déserts à dos de chameau“ (MA: 6): dans ses rêves, elle s’imagine légèrement vêtue, contemplée par Therziger adossé à un lion (MA: 18). Lors du couronnement royal, deux vignettes (MA: 20, cf. fig. 4) opposent le public officiel, rigide, immobile et exclusivement masculin, à ces personnages de fiction qui forment une chaîne émotionnelle propice aux aventures et aux revirements de l’action: de gauche à droite, John Malowan est sous le charme de Renée Stone qui est attirée par Alfred Therziger qui pense plutôt à surveiller Graham Gray qui, lui, observe ce petit monde de façon amusée. Clément Oubrerie place ce dernier personnage derrière une barre ou une poutre qui, rappelant un espace inter-iconique, l’exclut pratiquement du groupe central et lui confère un rôle d’observateur. Gray est aussi l’unique personnage qui regarde vers la gauche, ce qui arrête le flux de la lecture (de gauche à droite) pour un moment. Ce procédé renvoie le lecteur vers Renée Stone entourée de Malowan et Therziger; il souligne le rôle de ce petit groupe, nœud de l’aventure à venir. Habillé DOI 10.24053/ ldm-2022-0007 79 Dossier de blanc, le personnage de la romancière constitue un contraste important avec l’arrière-plan foncé et ressort de l’image: le premier rôle de l’aventure revient clairement à la romancière. Fig. 4: Oubrerie, Birmant © DARGAUD, 2022 Tout comme les héroïnes des scénarios non-fictionnels de Julie Birmant, Renée Stone se caractérise par son indépendance. Si les hommes ne la prennent pas au sérieux ou essaient de se servir d’elle - Malowan, par exemple, la présente comme sa compagne quand il rend visite à son oncle et à sa grand-mère - elle s’avère forte et intelligente au bout du compte. La jeune femme revendique sa liberté et agit comme elle l’entend: elle rit au nez de l’archéologue et prend le volant de la voiture quand il a trop bu (MA: 16), elle assume son divorce tout en regrettant l’absence de sa fille, elle grimpe dans un arbre, se jette à l’eau pour gagner la plage depuis un bateau, à la surprise des voyageurs masculins ( PMR : 21). Finalement, c’est cependant la collaboration entre Malowan et Stone qui fait avancer l’enquête (qui a tué le père de Malowan? ) et la chasse au trésor (celui du roi Assurbanipal): John est entraîné par Renée à l’aventure et Renée a besoin de l’archéologue pour comprendre les artefacts anciens. Autour d’eux se construit le monde typique du roman d’aventure, constitué de forces obscures et contraires: ils côtoient d’autres aventuriers, des contrebandiers, des chercheurs, des industriels, des espions etc. Dans toutes ces bandes dessinées, des femmes occupent les premiers rôles et toutes ces héroïnes se ressemblent par leur caractère bien trempé et la lutte qu’elles mènent contre un carcan de règles bourgeoises ou paternalistes. Toutes revendiquent le droit de faire leurs propres choix dans tous les domaines de la vie; toutes assument leur indépendance sans se soucier de ce que la bonne société pourrait penser d’elles. Avec trois scénarios consacrés au premier tiers du XX e siècle, Julie Birmant pose un regard sur une génération de femmes occidentales pionnières et offre à ses lecteurs autant de modèles, historiques ou fictifs. Or ces héroïnes sont d’autant plus convaincantes et attachantes qu’elles ne sont pas exemptes de défauts, mais tout simplement humaines. Le droit à l’erreur fait en effet bien partie des 80 DOI 10.24053/ ldm-2022-0007 Dossier droits revendiqués: l’histoire d’amour entre Isadora Duncan et Serge Essénine par exemple n’est aucunement une romance parfaite et l’attirance que ressent Renée Stone pour l’aventurier Alfred Therziger, dont la mise en scène virile pourrait la faire fuir, est un échec cuisant. Fernande, quant à elle, raconte dans Picasso (le quatrième tome de la série) sa déception à l’adoption d’une petite fille, Raymonde. Elle n’arrive pas à prendre le rôle de mère: „Elever un enfant n’était qu’une longue suite de corvées. Et le pire était de préparer les repas à heures fixes. […] Au bout d’un mois, j’étais totalement épuisée, vous parlez d’un épuisement“ (Birmant/ Oubrerie 2014: 22). Quand Pablo commence à faire poser l’enfant, elle finit par la renvoyer, au prix d’une crise dans le couple. Ainsi que le constate la narratrice de Drôles de femmes: „[c]’est avec ses insuffisances que Yolande travaille. Elle part toujours du dérisoire, et elle nous hisse vers la beauté à laquelle on tend tous“ (DF: 8). Les défauts et les erreurs peuvent donc s’avérer parfaitement productifs, ce que la même bande dessinée montre encore à l’exemple d’un raté technique: après avoir rencontré la comédienne Dominique Lavanant - „une femme superbe, accomplie, doutant d’elle-même, triste, douloureuse et lumineuse à la fois“ (DF: 83) - Julie Birmant se rend compte que l’entretien n’a pas été enregistré. Or Lavanant ne souhaite pas se prêter une deuxième fois au jeu de l’interview et c’est finalement la dessinatrice Claire Bretécher que rencontrent Julie Birmant et Catherine Meurisse - pas pour parler de bandes dessinées, mais de Dominique Lavanant, amie de Bretécher. Ainsi que le raconte Catherine Meurisse, l’entretien de secours s’avère être une chance absolue: C’est la Providence qui a fait que Julie rate l’interview de Lavanant! Cet échec nous a amenées à rencontrer Claire Brétecher, son amie. Elle nous a confié des souvenirs de jeunesse autour d’une tasse de thé, et m’a même fournie de la doc afin que je ne rate pas trop sa copine. […] Brétecher est une personne rare et drôle, qui semble avoir vécu mille choses, pionnière dans la BD d’humour, le féminisme, l’auto-édition, copine avec la troupe du Splendid, etc. Le couple Brétecher-Lavanant est tombé du ciel dans notre album avec un naturel tout à fait désarmant (Bogrow 2010: 7). Enfin, quel rôle joue le fait que les protagonistes des scénarios de Julie Birmant évoluent dans le monde de l’art? Outre la lutte très difficile pour un style propre, tel qu’on l’observe en particulier dans le diptyque consacré à Isadora Duncan, c’est la question d’une lucidité induite par l’art que posent les différentes œuvres, sans pour autant venir à une conclusion définitive. En témoigne ce dialogue ironique entre John Malowan et Renée Stone alors que les deux sont échoués en rase campagne et cherchent une solution: [John]: Où allons-nous? [Renée]: Comment voulez-vous que je sache? [John]: Vous êtes romancière, vous devez avoir des idées (PMR: 10). Dans Pablo, Fernande fréquente de nombreux artistes et atteint une lucidité symbolisée par l’image d’elle s’envolant au-dessus de Paris, à la fin du premier tome. Or la DOI 10.24053/ ldm-2022-0007 81 Dossier conclusion qu’elle tire de ces fréquentations n’est pas vraiment passionnante, puisqu’elle se rend compte que nombre d’artistes rêvent au fond d’une vie rangée qu’elle-même n’a eu de cesse de fuir: „L’excentricité de façade des artistes me séduisait, mais ils étaient tellement paisibles… […] prisonniers qu’ils étaient des convenances et de leurs rêves de gloire sociale à deux sous. Aucun ne me faisait envie“ (MJ: 65). Il est clair, en revanche, que les scénarios de Julie Birmant servent à rendre une juste place dans la mémoire culturelle aux femmes audacieuses dans le monde de l’art: ils visent à tirer de l’oubli Fernande Ollivier comme Isadora Duncan et ils installent dans la conscience collective la possibilité d’une romancière et aventurière à la hauteur d’Indiana Jones. Dans les différentes œuvres qui se fondent sur ces scénarios, le neuvième art devient donc une archive en même temps qu’un terrain d’exploration. Publiées chez Dargaud, l’une des maisons d’édition classiques de la bande dessinée franco-belge, les œuvres issues des scénarios de Julie Birmant s’adressent au grand public et prennent certainement des positions moins radicales ou moins militantes qu’on pourrait l’attendre d’œuvres publiées chez de petits éditeurs ouvertement engagés ou plus clairement orientés vers des publics spécifiques. Les scénarios normalisent toutefois le rôle des personnages féminins au royaume de la bande dessinée: les héroïnes de Julie Birmant occupent tout naturellement les rôles principaux traditionnellement réservés aux hommes. Elles ne sont pas seulement indépendantes et libres, mais aussi drôles, aventureuses, non sans défauts et souvent têtues - elles sont tout simplement humaines. C’est cette normalisation du rôle de la femme dans la bande dessinée qui correspond exactement aux revendications formulées par les créatrices de bandes dessinées franco-belges. Birmant, Julie (scénario) / Catherine Meurisse (dessin), Drôles de femmes [2010], Paris, Dargaud, 2019 [=DF]. Birmant, Julie (scénario) / Clément Oubrerie (dessin), Pablo. 1. Max Jacob, Paris, Dargaud, 2012 [=MJ]. —, Pablo. 2. Apollinaire, Paris, Dargaud, 2012. —, Pablo. 3. Matisse, Paris, Dargaud, 2013. —, Pablo. 4. Picasso, Paris, Dargaud, 2014. —, Il était une fois dans l’Est, tome 1, Paris, Dargaud, 2015 [=UE]. —, Isadora, Paris, Dargaud, 2017. [=Isa]. —, Meurtre en Abyssinie. Une aventure de Renée Stone (1), Paris, Dargaud, 2018 [=MA]. —, Le Piège de la Mer Rouge. Une aventure de Renée Stone (2), Paris, Dargaud, 2020. [=PMR]. —, Le Trésor d’Assurbanipal. Une aventure de Renée Stone (3), Paris, Dargaud, 2022. Bogrow, Sophie, „Belles et drôles à la fois“, in: Casemate, 22, 2010, 4-7. —, „La revanche de Fernande“, in: Casemate, 44, 2012, 16-21. Bondoux, Franck, „Le mea culpa du directeur du Festival d’Angoulême“, in: Le Monde, 9 janvier 2016, www.lemonde.fr/ idees/ article/ 2016/ 01/ 09/ le-mea-culpa-du-directeur-du-festivald-angouleme_4844492_3232.html (site consulté le 1 er novembre 2021). 82 DOI 10.24053/ ldm-2022-0007 Dossier Bounouna, Mélissa, „Le Festival d’Angoulême ne trouvait pas d'auteures de BD à honorer, voilà notre liste“, in: Slate, 7 janvier 2016, www.slate.fr/ story/ 112377/ angouleme-bd-femmes-liste (site consulté le 1 er novembre 2021). Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme, „Charte des créatrices de bande dessinée contre le sexisme“, https: / / bdegalite.org (site consulté le 22 septembre 2021). Giner, Paul, „Danse avec les Rouges“, in: Casemate, 87, 2015, 32-37. Groensteen, Thierry, „quand la bande dessinée parle d’art...: figures de l’artiste“, in: Neuvième art 2.0, mai 2015, http: / / neuviemeart.citebd.org/ spip.php? article928 (site consulté le 22 septembre 2021) [= Groensteen 2015a]. —, „dessinatrices, encore un effort pour lutter contre le sexisme“, in: Le blog du neuvième art, Neuvième art 2.0, septembre 2015, http: / / neuviemeart.citebd.org/ spip.php? article995 (site consulté le 22 septembre 2021) [= Groensteen 2015b]. —, „Femmes (1): Représentation de la femme“, in: id. (ed.), Le Bouquin de la bande dessinée. Dictionnaire esthétique et thématique, Paris, Robert Laffont, 2020, 296-303 [= Groensteen 2020a]. —, „Femmes (2): La création au féminin“, in: id. (ed.), Le Bouquin de la bande dessinée. Dictionnaire esthétique et thématique, Paris, Robert Laffont, 2020, 303-311 [= Groensteen 2020b]. Hakem, Tewfik, „Renée Stone, c’est un peu la fille de Miss Marple et d’Indiana Jones“, entretien avec Julie Birmant / Clément Oubrerie, Le Réveil Culturel, France Culture, le 19 octobre 2018, www.franceculture.fr/ emissions/ le-reveil-culturel/ julie-birmant-et-clement-oubrerie (site consulté le 1 er novembre 2021). 1 Cf. sur le site internet du collectif, www.bdegalite.org (chiffre noté en octobre 2021). 2 Collectif: „Historique“, www.bdegalite.org. 3 Collectif: „Charte“, www.bdegalite.org. 4 Le „Blog de Neuvième Art“ est un espace d’expression libre hébergé par la cité de la bande dessinée d’Angoulême. 5 Sur le festival, cf. aussi Groensteen 2020b: 308. 6 Toutes ces réactions sont consultables immédiatement sous le billet qui devient donc un véritable échange d’opinions. 7 Franck Bondoux, le délégué général du Festival international de bande dessinée, dans Le Monde du 9 janvier 2016 (Bondoux 2016). 8 Dans un entretien avec Sophie Bogrow, Julie Birmant explique que l’absence de Fernande dans les sous-titres s’explique plutôt par le fait qu’elle sert de fil rouge, que sa présence est donc continuelle (Bogrow 2012: 17). 9 Ce premier rôle donné à Fernande explique entre autres pourquoi l’œuvre de Picasso ne joue finalement pas un très grand rôle dans l’ouvrage. Il faut bien évidemment ajouter à cela l’argument des droits à l’image exorbitants qui pèsent sur chaque représentation de Picasso, ainsi que le rappelle Julie Birmant dans un entretien (Bogrow 2012: 17). Mais à la critique selon laquelle „les œuvres elles-mêmes sont, étrangement, évacuées. […] Pablo occulte Picasso“ (Groensteen 2015a), on peut parfaitement répondre que c’est en réalité Fernande qui occulte Picasso. 10 Ibid. Catherine Meurisse explique qu’il s’agit en réalité d’une adaptation d’un texte „de l’ordre du roman“ (Bogrow 2010: 6). 11 Dans un entretien avec Sophie Bogrow, Julie Birmant affirme qu’elle a voulu donner à Fernande „cette revanche, ce quart d’heure de gloire“ (Bogrow 2012: 16). DOI 10.24053/ ldm-2022-0007 83 Dossier 12 Cf. MJ 23 et 75. Fernande Baume devient plus tard Fernande Olivier. 13 Birmant dans un entretien avec Paul Giner. 14 Lors de la cérémonie du couronnement, ce cadre exotique est souligné par des termes et des signes étrangers sans explication qui restent indéchiffrables aux lecteurs français. Le texte d’un cartouche indique: „L’abouna et l’etchege prononcent les paroles en Guèze“, et plusieurs phylactères sont en écriture éthiopienne (MA: 20). 15 Cf. Hakem 2018: Julie Birmant raconte que sa fascination pour les artefacts mésopotamiens et l’épopée de Gilgamesh ont clairement influencé le scénario. 16 Cf. PMR, annexe „Les dessous de l’histoire“ (non paginée). 17 Julie Birmant présente elle-même le scénario comme une aventure „à la Indiana Jones, mais avec du contenu“ (Hakem 2018). 84 DOI 10.24053/ ldm-2022-0008 Dossier Maxi Bräuer / Imke Heine / Karen Struve „Ce n’est pas réel mais c’est vrai.“ Interview avec Lou Lubie Lou Lubie: Bonjour et bienvenue dans mon atelier. Je suis autrice de bande dessinée. J’ai aussi brièvement fait du roman au début, mais j’ai plus un ADN de scénariste. Ce qui m’intéresse, c’est de développer des histoires, des concepts. Le dessin est une compétence que j’ai apprise beaucoup plus tard. C’est vraiment un outil dans mon travail. Donc je ne me considère pas du tout comme une dessinatrice. Mon centre d’intérêt se trouve vraiment dans l’essence, dans le cœur, le scénario, le concept - plus que dans le visuel. Maxi Bräuer / Imke Heine / Karen Struve: Qu’est-ce qui a déclenché votre intérêt pour la BD? Lisiez-vous des BD ou des mangas dans votre enfance? L. L.: J’avais des bandes dessinées à la maison quand j’étais petite. Au début, c’étaient pas mal de BD franco-belges et américaines: des classiques comme Astérix, Calvin et Hobbes ou Garfield. En effet, j’ai grandi avec ça, jusqu’à ce qu’on m’offre, quand j’étais adolescente, Lanfeust de Troy qui est une série de fantasy plutôt humoristique dans la bande dessinée. Je lisais énormément de romans de fantasy. Plus tard, j’ai découvert le roman graphique avec Blankets de Greg Thompson, qui est vraiment très, très bien. C’était un propos beaucoup plus axé sur les émotions. Et je me suis juste dit: wow! Mais je ne me projetais pas du tout comme autrice de bande dessinée. Moi, je me voyais plus comme romancière parce que je n’étais pas très à l’aise en dessin. C’est vraiment petit à petit que ça s’est fait. Mais ça n’a jamais été une vocation depuis toute petite. M. B. / I. H. / K. S.: Est-ce qu’il y a des bédéistes spécifiques qui ont influencé votre œuvre? Dans quelle mesure? Y a-t-il des bédéistes féminines qui étaient vos idoles? L. L.: Déjà, je ne fais pas de distinction entre les hommes et les femmes. Je juge le travail et non pas le genre de la personne qui le fait. Au-delà de ça, j’ai du mal à citer des noms parce qu’il n’y a pas de grand maître qui aurait pu m’inspirer. En scénario, je m’incline devant Hubert, qui est un des meilleurs scénaristes que j’ai lus. Peutêtre le meilleur. Il a travaillé dans plein de genres différents avec toujours un très grand talent, mais je l’ai découvert assez tard. Je crois que j’ai grappillé beaucoup DOI 10.24053/ ldm-2022-0008 85 Dossier de choses dans beaucoup de livres sans pouvoir vraiment parler d’une influence en particulier. M. B. / I. H. / K. S.: Vous avez fait des études dans le domaine du jeu vidéo. Quelle est votre relation avec le monde numérique? Quelle est l’influence du jeu vidéo sur vos BD? Y a-t-il une analogie entre la narration des BD et des jeux vidéo? L. L.: Clairement, je suis une digital native jusqu’au fond de mon ADN . J’ai fait des études de Game Design, c’est-à-dire sur la conception du jeu vidéo, donc rien à voir avec l’aspect esthétique. C’est vraiment l’aspect de l’interactivité qui m’a beaucoup intéressée à l’époque et qui continue de me diriger dans mon travail en bande dessinée: je conçois souvent mes bandes dessinées comme des expériences. Dans des démarches artistiques ou personnelles où je veux exprimer ce qui est au fond de moi, je suis vraiment plus dans une démarche d’accessibilité, d’ouverture. Pour vous donner un exemple: quand j’ai conçu La fille dans l’écran, je savais que ce serait une bande dessinée où l’on a deux personnages qui vont être sur deux pages en vis-àvis, qui vont s’échanger des messages. À ce moment-là, il n’était pas question qu’il s’agisse de deux femmes, cela aurait pu être un homme et une femme. Il n’était pas question que cela se passe entre le Québec et la France. C’est vraiment ce concept d’échange et de parallèle qui était au centre et ensuite, tout le reste est venu se greffer dessus, au fil de nos discussions avec Manon qui interprète Coline. Et pour moi, la réflexion se fait dans ce sens-là: d’abord un concept, d’abord quelque chose à partager et ensuite, on réfléchit à la forme, à la narration et au dessin. M. B. / I. H. / K. S.: Dans quelle mesure votre projet collaboratif intitulé le Forum Dessiné 1 est-il une inspiration artistique? L. L.: Le Forum Dessiné, c’est tout: c’est la base, je pense, de toute ma carrière. C’est vraiment là où j’ai appris à faire des choses par moi-même et cela a une influence énorme. Pour être sincère, c’est sur le Forum Dessiné que j’ai appris à dessiner. Quand je l’ai fondé, il y a bientôt treize ans, je dessinais, mais je dessinais à peine. Et en fait, je voyais déjà le dessin comme un moyen de communication. J’ai donc fondé un forum où on venait communiquer par le dessin. Et le dessin était en effet un moyen ou un outil - ce n’était pas le but. Il n’était pas indispensable de bien dessiner. Et cela m’a beaucoup motivée de dessiner pour être avec des gens, de vivre des histoires par les dessins. J’ai posté un peu plus de huit mille dessins en dix ans. J’ai appris parce que c’est en pratiquant que l’on peut apprendre une compétence. Clairement, sans le Forum Dessiné, je ne saurais pas dessiner. Je n’aurais pas été capable de faire de la bande dessinée. J’aurais peut-être été romancière. Mais le Forum Dessiné a tout changé. Il en résulte que je ne fais que de la bande dessinée numérique, c’est-à-dire que je ne sais pas dessiner avec un papier et un crayon. Je suis très mal à l’aise quand on me demande de le faire parce que ce ne sont pas des outils que j’aime ou que je 1 www.forum-dessine.fr/ forum. 86 DOI 10.24053/ ldm-2022-0008 Dossier maîtrise. Moi, je suis toujours à la tablette avec Photoshop sur mon ordinateur. Je suis purement dans le numérique. M. B. / I. H. / K. S.: Comment avez-vous développé votre style (si c’est un seul style)? L’emploi des couleurs, par exemple, nous semble fascinant et impressionnant. L. L.: Je trouve ça très compliqué comme question parce que je ne sais pas ce qu’on appelle ‚un style‘. Il se trouve que mes habitudes de dessin font que j’ai un trait, mais c’est difficile d’en dire plus. En ce qui concerne la question sur l’emploi des couleurs, il faut dire que je déteste faire la couleur comme à peu près tout ce qui est lié à la partie esthétique. C’est un peu difficile pour moi de prendre en charge la couleur. Sur Goupil ou face et sur mon prochain livre sur les contes de fée, je fais de la bichromie, c’est-àdire qu’il y a seulement deux encres: généralement un violet-noir sombre et une couleur pour venir rehausser, comme de l’orange ou du jaune. Cela me permet de traiter la couleur comme une information plutôt que comme une ambiance. C’est-àdire que ce sont des niveaux de gris et que je me demande: Qu’est-ce qui est une information principale que je veux mettre en valeur? Qu’est-ce qui est une information secondaire? Je vais juste dans les contrastes, mais je n’ai pas besoin de définir des couleurs. Ce sont uniquement des nuances. Sur La fille dans l’écran, j’avais besoin de faire la couleur parce qu’il fallait venir répondre à Manon qui allait travailler en noir et blanc. Et en effet, je me suis déterminé une palette extrêmement limitée de couleurs que j’ai d’ailleurs honteusement volée à un autre livre - personne ne le saura jamais! (Elle rit.) Sur L’homme de la situation, la couleur était vraiment indispensable pour donner de la profondeur à l’univers. Pour la première fois, j’ai fait appel à une coloriste dont c’était le premier travail, mais qui avait vraiment un œil pour l’expressivité de l’émotion en couleur. J’ai travaillé en lui donnant des ressentis que je voulais faire passer, quelque chose d’un peu surnaturel, inquiétant, et elle le transcrivait en gamme colorée. Elle a fait un travail extraordinaire. M. B. / I. H. / K. S.: Comment la relation entre les images et le texte a-t-elle changé au fil de vos œuvres? L. L.: Ce n’est pas vraiment une question de ‚changer‘ mais une question de s’adapter. Goupil ou face ou mon prochain projet sur les contes des fées sont des œuvres très didactiques. On a la narration et le dialogue dans la bande dessinée, mais aussi un texte extérieur qui va expliquer et mettre en scène. À l’inverse, dans La fille dans DOI 10.24053/ ldm-2022-0008 87 Dossier l’écran ou L’homme de la situation, on n’a que des dialogues et je mets un point d’honneur à ne jamais mettre de bulles de pensée ou de didascalies pour situer l’action. Donc je pense que ça s’ajuste selon les œuvres et c’est difficile de faire une généralité parce que je touche à des genres qui sont très différents. On peut difficilement comparer des choses qui sont aussi variées. M. B. / I. H. / K. S.: À notre avis, on y trouve une variété impressionnante de styles, de genres et de sujets quand nous pensons à vos BD des dix dernières années, d’Un créole en métropole (2011) à L’homme de la situation (2021). Dans quelle mesure adaptez-vous votre conception graphique au sujet que vous traitez? L. L.: On ne peut pas parler de sujets dans des tons différents avec le même mode d’expression. Quand je parle de L’homme de la situation, c’est un thriller. Par exemple, graphiquement, j’avais besoin de dessins qui soient un peu plus réalistes. Si je fais de petits bonshommes mignons comme dans Goupil ou face, les gens ne vont pas avoir peur, les gens ne vont pas s’identifier et croire à la réalité de cet univers. Donc, pour L’homme de la situation, j’ai créé un dessin qui est extrêmement réaliste pour moi. J’ai poussé le plus loin possible sur mon trait qui n’est pas naturellement très détaillé. C’était difficile, vraiment. Graphiquement, ça a été une bande dessinée qui a été difficile à réaliser justement parce que j’étais obligée d’aller chercher du décor concret et des mains avec cinq doigts - des choses que je fais rarement, d’habitude. C’était un exercice nécessaire. Pour le prochain, je suis dans un registre beaucoup plus analytique, didactique. À nouveau, je pourrai revenir à quelque chose de très léger - comme ça fait du bien! (Elle rit.) M. B. / I. H. / K. S.: Quels sujets vous intéressent particulièrement? Ou plutôt, quels sujets s’intéressent à vous? L. L.: C’est difficile de vous répondre parce que je m’intéresse à beaucoup de choses et que je saute vraiment d’un sujet à l’autre selon les bandes dessinées. Après, parfois, il y a des liens qui se font. La fille dans l’écran était par exemple une bande dessinée très féminine avec deux héroïnes. Le personnage masculin, Vincent, le compagnon de Marley, était complètement au second plan et brossé rapidement, sans nuances. C’est un personnage dont je ne suis pas particulièrement fière parce qu’il était juste là pour être le méchant compagnon. J’aurais aimé qu’il soit un peu plus fin. Ensuite, pour L’homme de la situation, cela m’a donné envie d’essayer d’être un peu plus fine sur un traitement de personnage masculin et de m’intéresser à un vécu d’homme dans une société qui évolue pour être plus inclusive vis-à-vis des femmes. Et voilà, il y a une certaine analogie. Et puis, je passe aux contes des fées, ce qui n’a aucun rapport. Je ne sais pas si on peut considérer qu’il y a un fil directeur dans les sujets qui m’intéressent. M. B. / I. H. / K. S.: Qu’est-ce qui est important pour la création d’une histoire qui touche les lecteurs et les lectrices? Est-ce que vous vous adressez à un public spécifique (des jeunes, des hommes, des femmes)? 88 DOI 10.24053/ ldm-2022-0008 Dossier L. L.: Non, je ne m’adresse pas à un public spécifique. Je trouve que c’est une grosse erreur de segmenter. Pour vous donner une petite anecdote: Quand je vais en dédicace pour La fille dans l’écran, c’est cette BD où il y a deux jeunes femmes qui s’embrassent sur la couverture, je vois assez clairement qui vient. Ce sont des femmes, des jeunes femmes, des femmes lesbiennes. Et en fait, quand il y a un homme qui vient d’acheter cette bande dessinée, généralement, il me dit: „Je l’achète pour ma copine.“ Et on la dédicace toujours pour la copine. Ça n’empêche pas l’homme en question de lire la bande dessinée après coup et de l’apprécier. Quand je dédicace L’homme de la situation, je vois beaucoup d’hommes blancs de cinquante ans et plus parce que ça leur parle et parce que c’est un format de bande dessinée qui est un peu plus thriller. Ces gens-là ne viennent jamais me voir sur les autres titres. Et à la fin, on a „des BD de jeunes pour les jeunes“, „des BD d’hommes pour les hommes“ et „des BD de femmes pour les femmes“, ce qui contribue à renforcer un écart des stéréotypes et des choses qui sont extrêmement dommageables. Ce sont des catégories que j’ai un peu envie d’abattre, c’est-à-dire que j’ai envie de faire de la bonne BD plutôt qu’une BD pour tel ou tel type de personne. Je sais que tout le monde est capable d’apprécier tous les types de BD. La difficulté, c’est d’aller les apporter à tout le monde et ne pas donner l’impression que telle BD est par exemple pour les petits garçons parce qu’il y a un petit garçon sur la couverture. Ce sont les erreurs que l’on fait sur l’adressage des bandes dessinées. M. B. / I. H. / K. S.: Est-ce que vous êtes une scénariste et dessinatrice qui crée des BD féminines? À votre avis, est-ce qu’on pourrait parler d’une ‚écriture féminine‘ dans la BD en général? L. L.: Mais non! Je sais qu’il y a une tendance à le faire et je comprends la nécessité de faire émerger une écriture qui mette en avant les femmes parce que ça manque, parce qu’on a du retard là-dessus. Pour autant, je pense que catégoriser une écriture féminine qui parle des femmes, qui est écrite par des femmes, c’est un peu enfoncer le problème. Moi, je veux être une bonne autrice, de mon genre. Je veux juste faire de la bonne bande dessinée. Je veux que ce soit de qualité pour que n’importe qui puisse la prendre, la lire et passer un très bon moment. Je n’ai pas du tout envie qu’on s’arrête au fait que je suis une femme ou que j’écris pour les femmes. Ce n’est pas possible pour moi. C’est même quelque chose qui m’énerve quand on me réduit à ça et qu’après, on est surpris que je puisse avoir un personnage principal masculin comme si ce n’était pas pour moi. Je trouve ça vraiment dommage. M. B. / I. H. / K. S.: Dans vos albums, vous jouez avec les stéréotypes des genres et vous les liez à des défis émotionnels: une fille pleine d’énergie cyclothymique, deux femmes qui tombent amoureuses l’une de l’autre, un homme doux et finalement hanté par ses démons… Comment est-ce que vous arrivez à créer des individus plutôt que des clichés? DOI 10.24053/ ldm-2022-0008 89 Dossier L. L.: Je pense que c’est lié au fait que je ne me perçois pas comme une scénariste qui manipule les ficelles des personnages à la troisième personne. J’incarne les personnages à la première personne, peu importe que ce soit autobiographique ou complètement fictionnel. Le meilleur exemple est Marley dans La Fille dans l’écran, un personnage fictif que j’ai conçu et qui ne me ressemble pas du tout. Pourtant, Marley, je l’ai jouée, je ne l’ai pas dessinée ou écrite, mais je l’ai incarnée comme un rôle. On voit l’influence du Forum Dessiné où on incarne un avatar et où on vit son aventure. Et quand je parle d’histoires que j’ai vécues sous forme dessinée, justement, je dis que je les ai vécues. J’ai incarné Marley comme une actrice aurait pu incarner son rôle au cinéma. Je lui ai prêté ma façon d’écrire, ma façon de dessiner mais je me suis glissée dans son rôle, j’ai vécu ses sentiments amoureux, je l’ai ‚accompagnée‘ dans les rues de Montréal. Donc, je pense que c’est pour ça que beaucoup de gens pensent que c’est autobiographique parce qu’il y a de vraies émotions dedans, mais ça ne veut pas dire que c’est réel. Ce n’est pas réel mais c’est vrai. M. B. / I. H. / K. S.: Est-ce que vous pensez que c’est surtout la BD qui permet de raconter la vie intérieure des humains grâce à toutes ses possibilités graphiques et textuelles? Par exemple, dans votre BD actuelle L’homme de la situation, vous utilisez la caméra comme un objet qui arrive à démontrer l’inexistence des démons intérieurs dont souffre le protagoniste. L. L.: Non, je ne pense pas que la BD s’y prête le mieux parce qu’il y a beaucoup de limites. Par exemple, les romans permettent d’exprimer beaucoup plus son monde intérieur parce que les mots sont plus précis, il y a beaucoup plus de place. Donc le roman est peut-être plus adapté. Pour moi, la bande dessinée est un média comme un autre. Un média que je ne voulais pas forcément faire au début puisque je voulais être romancière. Après, je voulais faire du jeu vidéo mais ça nécessite de très grosses équipes et c’est plus difficile d’avoir le propos d’un auteur. Donc je suis arrivée à la bande dessinée parce que cela me permet d’être plus visible par rapport au roman, où il y a beaucoup de livres sur les tables. Je pense que la BD me permet d’avoir un propos unique. Mais je ne pense pas qu’il y ait une supériorité de la bande dessinée. M. B. / I. H. / K. S.: Où voyez-vous les avantages et désavantages des albums par rapport aux séries? Pourquoi avez-vous pour l’instant choisi de publier uniquement des albums? À notre avis, la fin de La Fille dans l’écran et de L’homme de la situation est plutôt ouverte. Est-ce que vous y voyez du potentiel pour une suite? L. L.: Je n’ai pas publié uniquement des albums mais deux débuts de série: Jours sombres chez les yaourts et L’île au temps suspendu qui sont parus en 2010/ 2011. Mais les suites ne sont pas rentables et les éditeurs n’hésitent pas à les arrêter en cours de route. Pour l’immense majorité des séries, le tome deux se vend en moyenne deux fois moins que le tome un et ainsi de suite, c’est pour ça que ça s’arrête souvent avant la fin. Les séries tombent fréquemment dans l’oubli parce que 90 DOI 10.24053/ ldm-2022-0008 Dossier ce n’est pas rentable, donc travailler sur les one-shots est à la fois un moins gros risque pour l’éditeur parce qu’il va financer un seul album sans autre engagement. En tant qu’autrice, j’aime changer de thème, changer de registre, explorer des choses différentes, donc si je devais passer cinq ans à travailler sur un propos, un personnage, un sujet, ça risquerait d’être un peu long. L’album, le one-shot me convient bien mieux. La Fille dans l’écran et L’homme de la situation n’ont pas de fin ouverte. Ce sont des fins complètes. Par économie, souvent de place et de temps, je ne veux pas forcément faire la fin après la fin et donner des détails sur le bonheur éternel des personnages. C’est vrai que pour ces deux livres, je me suis arrêtée juste au moment où l’intrigue se résout pour laisser la suite à l’imagination des gens. Mais une suite n’est pas prévue. M. B. / I. H. / K. S.: On a remarqué un certain changement dans votre œuvre qui part de la création plutôt autobiographique et instructive (Un créole en métropole de 2011 et Goupil ou face de 2016) pour aller dans une direction plus fictive (La Fille dans l’écran de 2019) voire fantastique (L’homme de la situation de 2021). Pourtant, le fil rouge est la confrontation avec les émotions, notamment l’angoisse et les troubles psychiques, et un sens de l’humour magnifique. Est-ce que vous êtes d’accord avec cette lecture selon laquelle vos œuvres se dirigent vers le fantastique ou même vers le merveilleux (aussi concernant votre projet actuel sur les contes de fées)? L. L.: Je réponds non. Il faut savoir que j’ai commencé avec de la fiction un peu fantastique. Mon premier roman s'appelait Hallucinogène. C’était l’histoire d’un jeune garçon, un lycéen, qui peut voir ce que les gens imaginent. Donc, on était déjà sur quelque chose qui était un peu psychologique et en même temps fantastique et très humain. J’ai grandi dans la littérature d’imaginaire, de fantasy, c’était là depuis le début. Après, c’est plus facile de faire de l’autobiographie que de la fiction. La preuve: tout le monde en fait, tout le monde parle de son nombril sur les réseaux sociaux par exemple. Je pense que pour démarrer c’était peut-être plus facile de mettre le pied à l’étrier comme ça. La Fille dans l’écran, c’est de la fiction, L’homme de la situation c’est de la fiction non-réaliste. Mon livre sur les contes de fée n’est pas dans le genre du merveilleux. C’est un essai en bande dessinée, en fait, je raconte, je collecte pas mal de versions d’origine des contes de fées pour essayer d’expliquer comment ça a évolué, quels sont les codes, qui sont les auteurs pour en tirer une réflexion sur l’évolution de l’éthique des contes. C’est une BD vraiment didactique, explicative et pas du tout sur la réécriture des contes ou sur des univers merveilleux etc. On n’est ni dans l’émotion, ni dans les angoisses, ni dans la fiction et c’est vraiment un projet très, très différent. M. B. / I. H. / K. S.: Vous vous engagez actuellement dans la campagne #créerestunmétier, menée par la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, pour DOI 10.24053/ ldm-2022-0008 91 Dossier soutenir la reconnaissance des métiers artistiques. Où voyez-vous les défis pour une bédéiste de réussir dans le monde des BD en général et en tant que dessinatrice? L. L.: En France, la bande dessinée a quand même une belle place. Paradoxalement, le livre, la BD, la création sont assez reconnus, tandis que les créateurs, les auteurs, les romanciers, les dessinateurs ne le sont pas du tout. On a une espèce d’aura de stars qui donnent des dédicaces, qui vivent de leur création et qui sont très privilégiées. Mais cela masque une réalité qui est beaucoup plus pragmatique. Le droit français protège beaucoup les œuvres: on a un droit d’auteur et des dispositions qui sont prises pour traiter de la façon dont l’œuvre va être exploitée. Par contre, les gens qui créent les œuvres sont très peu protégés. On n’est pas protégé en cas d’arrêt maladie; les autrices qui sont enceintes n’ont pas de congé maternité, non pas parce qu’elles n’y ont pas le droit mais parce que leur statut n’est pas reconnu. Il y a un manque de reconnaissance administrative. On n’est pas reconnu parce qu’on n’est pas représenté. On se retrouve tout seul et très isolé parce qu’on est dans un métier qui s’exerce de façon isolée et qui fonctionne avec tout un système d’éditeurs, de diffuseurs qui n’hésitent pas à en tirer profit et à exploiter un travail non rémunéré: on est payé sur l’exploitation future de l’œuvre, mais le travail de création, lui, n’est pas payé. C’est absolument inacceptable pour tout autre métier! C’est complètement absurde et cela fait qu’on a un métier très fragile où les jeunes (et pas que les jeunes d’ailleurs! ) se retrouvent facilement dans des situations très précaires. On est à la base d’une industrie qui repose sur notre travail et qui rapporte des millions d’euros, on fait vivre des centaines de milliers personnes avec notre travail, et c’est nous qui sommes les plus fragiles et les moins protégés? La conclusion de cette interview sera peut-être: ne nous considérez pas comme des artistes, des personnes qui ont une création, une créativité extraordinaire, de l’inspiration et qui sont un peu éthérés, comme si on vivait pour créer. Ce n’est pas vrai. Nous sommes des professionnels, on fait notre métier, on produit des produits culturels qui se vendent. Vous achetez les livres et cela apporte beaucoup d’un point de vue loisirs, d’un point de vue créatif. Mais c’est aussi quelque chose de concret: on a besoin d’être reconnus comme des professionnels sans distinction de genre. En tout cas, je n’ai pas envie qu’on segmente entre dessinateur, dessinatrice, scénariste, homme et femme. On fait un travail et on doit tous être reconnus comme tels au même niveau. Lubie, Lou, Hallucinogène, La Réunion, Océan Editions, 2009. —, Hallucinogène 2, La Réunion, Océan Editions, 2010. —, L’île au temps suspendu, La Réunion, Epsilon Éditions, 2010. —, Jours sombres chez les yaourts, La Réunion, Epsilon Éditions, 2011. —, Un créole en métropole, La Réunion, Océan Éditions, 2011. —, Goupil ou face, Paris, Vraoum, 2016. —, L’Homme de la situation, Paris, Dupuis, 2021. —, Et à la fin, ils meurent, Paris, Delcourt, 2021. Lubie, Lou / Desveaux, Manon, La Fille dans l’écran, Annecy, Marabulles, 2019. 92 DOI 10.24053/ ldm-2022-0009 Dossier Claus D. Pusch La BDQ au féminin. Auteures et œuvres québécoises - un aperçu 1. Introduction La bande dessinée francophone du Québec, communément abrégée BDQ , occupe une place plutôt marginale dans le paysage du 9 e Art d’expression française. Du côté de la production d’abord: Pour 2015, Michel Viau (2016) relève 128 œuvres originales en français (sur un total de 217 publications bédéistes créées dans la province francophone canadienne), ce qui est modeste en comparaison avec les 3924 nouveautés franco-belgo-suisses publiées cette année-là, même si Viau constate une augmentation à tous les niveaux (nombre de publications, d’auteur.e.s publié.e.s et de maisons d’édition). Ensuite, du côté de la diffusion et de la réception: Abstraction faite des séries Paul de Michel Rabagliati (*1961 à Montréal) et Les Nombrils du duo sherbrookois Delaf (Marc Delafontaine, *1973) et Dubuc (Maryse Dubuc, *1977), des BD-reportages de Guy Delisle (*1966) - Québécois qui vit en France depuis longtemps et publie chez des éditeurs français - et peut-être du feuilleton graphique Magasin Général de Régis Loisel (*1951) et Jean-Louis Tripp (*1958), dont l’attribution à la BDQ est discutable (le sujet est québécois ‚pure laine‘ alors que les auteurs sont français mais résident ou ont résidé au Québec; cf. Giaufret 2011, 2021: 211sqq.), la BDQ est peu présente dans les librairies spécialisées et généralistes en dehors de sa province d’origine. Et même dans les rayons québécois, elle a du mal à obtenir de la visibilité à côté des BD européennes, des comics provenant des États- Unis et des mangas. Ainsi, dans un relevé effectué dans quatre librairies montréalaises en 2007, Mira Falardeau (2008: 148) n’a trouvé que 88 titres de BDQ sur un total de 1635 références recensées. Si les œuvres d’auteur.e.s québécois.es publiées par des maisons d’édition européennes (telles Les Nombrils, qui paraît chez l’éditeur belge Dupuis, ou les dernières productions de la dessinatrice Julie Rocheleau - sur laquelle on reviendra plus loin -, qui sont parues chez Casterman, Dargaud et Glénat) sont facilement disponibles pour le public européen intéressé, de même que les titres de l’important éditeur montréalais La Pastèque, qui a une distribution correcte dans les pays francophones d’Europe, un nombre important de nouveautés de la BDQ reste d’accès difficile pour le lectorat européen car elles ne sont distribuées qu’au Québec même par un réseau libraire peu enclin à la vente par correspondance transatlantique. La bande dessinée québécoise apparaît au début du 20 e siècle et est publiée jusque dans les années 1960 surtout dans la presse. 1 Si les récits humoristiques et d’aventure y sont à l’honneur, on y trouve souvent aussi une tonalité de critique sociale. Cette perspective sociétale se voit renforcée dès la fin des années 60 avec l’apparition d’une scène de BD destinées aux adultes, propageant une vue critique et satirique de la société et la politique québécoises de l’époque et prenant souvent DOI 10.24053/ ldm-2022-0009 93 Dossier une posture ‚engagée‘ qui reflète les changements socio-culturels liés à la Révolution tranquille. Si la BD de cette période reste souvent ‚alternative‘ ou underground, il y a quand même une institutionnalisation et orientation plus commerciales avec l’arrivée du mensuel bédéiste montréalais Croc (1979-1995; cf. Leduc/ Viau 2013), suivi plus tard de son concurrent québécois Safarir (1987-2016). Parmi les représentants emblématiques de cette première période de gloire de la BDQ , il faut mentionner les personnages de Michel Risque et de Red Ketchup, créés par les Montréalais Michel Fournier (*1949) et Réal Godbout (*1951), dont les histoires courtes et rocambolesques sont en train d’être rééditées sous forme d’intégrales chez l’éditeur La Pastèque. Depuis le tournant du siècle, avec la perte d’importance puis la disparition des grandes revues, on assiste à maints égards à des changements et des restructurations sur la scène de la BDQ (cf. Falardeau 2020: 3sqq., Rannou 2021: 128sqq.). Le paysage éditorial s’est diversifié, avec l’avènement des maisons d’édition Mécanique Générale (fondé en 2001), Pow Pow (créé en 2010) et surtout Les Éditions de la Pastèque, nées en 1998 (cf. AA.VV. 2013) et qui publient entre autres la série à succès Paul, et une multitude d’autres éditeurs plus petits et de collections à la vie parfois courte. 2 On constate la même diversification du côté des genres: à côté de l’humour, „le genre par lequel la BD est née“ (Falardeau 2020: 15), et de l’aventure, qui continuent à occuper une place de choix dans la BDQ , la BD historique (au sens large) a acquis une position remarquable, avec p. ex. la série Radisson (2009-2012) de Jean-Sébastien Bérubé (*1978 à Rimouski) ou le diptyque 1642. Ville-Marie/ Osheaga (2017) sur l’histoire de la fondation de Montréal, créé par François Lapierre (*1970) et Jean-Paul Eid (*1964) aidés par la photojournaliste Maud Tzara, les deux œuvres étant publiées par l’éditeur grenoblois Glénat, qui, en 2006, a ouvert une succursale à Montréal. Un autre type de BD convoité, qui met en avant les spécificités géographiques, climatiques, culinaires, sportives ou d’autres éléments du folklore, de la culture populaire et de la mémoire collective québécois, pourraient être qualifié de BD ‚patrimoniale‘; ces BD se présentent fréquemment sous une forme anthologique et sont impulsées ou commanditées par des institutions ou des administrations publiques, comme l’album 1792. À main levée (Québec, Les Publications du Québec, 2017) consacré à la première campagne électorale au Bas-Canada. À part cela, on trouve aussi la BDQ (auto)biographique - sur laquelle on reviendra par la suite -, la BD de science-fiction et du fantastique (Falardeau 2020: 22-24), la BD polar, d’espionnage et d’horreur - soit de création spécifique soit comme adaptation littéraire (telle la version graphique du best-seller Aliss de Patrick Senécal [Montréal, Frond Froid / Lévis, Alire, 2020], illustrée par le Lévisien Jeik Dion [Jean-Philippe Dion, *1981]) -, la BD-reportage sur des thèmes québécois (surtout dans une collection coéditée par La Pastèque et l’entreprise de communication sociale Atelier10, et dans la collection BD - encore petite - des Éditions Écosociété de Montréal) ou la BD érotique (comme l’amusante et déconcertante Comédie sentimentale pornographique [Paris, Delcourt, 2011] de Jimmy Beaulieu [*1974], co-fondateur de Mécanique Générale et animateur infatigable sur la scène de la BDQ ). 94 DOI 10.24053/ ldm-2022-0009 Dossier Une autre innovation survenue dans le monde du 9 e Art québécois depuis le tournant du siècle concerne, bien évidemment, le support technique qui sert notamment aux jeunes artistes à partager leurs productions: si des années 70 aux années 90, le fanzine - souvent photocopié à faible tirage et distribué de manière confidentielle - était pratiquement la seule plateforme des nouveaux talents pour se faire connaître (cf. Falardeau 2008: 151-172), ce sont les blogues de BD et les webzines qui, depuis deux décennies, en ont pris la relève (ibid.: 173-181, Rannou 2021: 113sq.). C’est entre autres grâce à la toile qu’un nombre impressionnant de - souvent jeunes - bédéistes féminines s’est fait connaître du public québécois, et parfois au-delà, et a réussi par la suite à trouver sa place dans les structures de la BD plus ‚traditionnelle‘, axée sur la production imprimée. D’autres jeunes créatrices y sont arrivées directement, surtout depuis l’introduction d’un programme d’études en Bandes Dessinées à l’Université du Québec en Outaouais ( UQO ) au campus de Gatineau. La forte présence féminine peut être considérée comme une spécificité de la BDQ actuelle (même si Falardeau [2014] montre d’une manière très documentée que cette présence féminine a des racines plus profondes, dans l’art graphique québécois comme dans le monde de la BD tout court). Au bout d’un relevé quantitatif, Anna Giaufret (2021: 54) arrive à la conclusion que „[l]e pourcentage de femmes y est apparemment plus élevé que dans le milieu francophone européen, notamment chez les jeunes générations“. La suite de cette contribution sera consacrée à une présentation de quelques représentantes de cette (jeune) BDQ féminine. 2. La BDQ au féminin - une question de genre? La question de définir ce qui caractérise la bande dessinée féminine s’étend à plusieurs dimensions: celle du genre (biologique et/ ou social) des auteures-dessinatrices, celle du genre (encore biologique et/ ou social) des protagonistes mis en scène et celle du genre (narratif et esthétique) des histoires que les auteures racontent et dans lesquelles elles placent leurs personnages. Il faut bien entendu éviter une vision déterministe de l’interaction entre ces trois dimensions, mais on peut néanmoins identifier certaines tendances. D’une part, les auteures publient plus souvent des œuvres autonomes one-shot, „des romans graphiques loin des genres de la BD en série“ (Giaufret 2021: 55), qu’elles réalisent parfois dans un style graphique expérimental, spontané voire ‚naïf‘ qui est plus facilement accepté pour une publication sous forme de blogue ou par des maisons d’édition indépendantes, lesquelles jouent un rôle important sur la scène bédéiste québécoise. D’autre part, on constate une prédilection (non sans exception, évidemment) pour des sujets personnels fréquemment traités sous un jour décidément subjectif et sur un ton intimiste. Or, la notion de ‚BD personnelle‘ ou ‚BD intimiste‘ ne constitue pas un genre à proprement parler, mais plutôt un méta-genre qui peut s’articuler à travers différents types traditionnels de BD. Pour Falardeau (2020: 18), ces „narrations dessinées autour d’émotions fortes ou même de traumatismes“ rentrent quand même dans la catégorie des BD d’humour, un point de vue qui a certainement incité cette spécialiste de l’histoire de DOI 10.24053/ ldm-2022-0009 95 Dossier la BD à intituler son panorama de la contribution féminine au 9 e Art Femmes et humour (cf. Falardeau 2014), mais qui ne fera probablement pas l’unanimité parmi les lecteur.rice.s (chercheur.se.s ou ‚profanes‘). Essayons donc d’approfondir cette question de genre en nous rapprochant de quelques auteures de la ‚jeune‘ BDQ et d’un choix de leurs productions. 2.1 La vie sociale du quotidien en cases et en bulles Si le qualificatif de ‚BD personnelle‘ évoque en premier lieu une perspective subjective de l’auteur.e dans le récit mis en images et en phylactères, on peut aussi ‚objectiver‘ ce terme en l’appliquant à des bandes dessinées qui mettent en scène les relations (inter-)personnelles entre les membres d’un collectif, comme p. ex. une famille ou un ménage, les habitant.e.s d’un village ou d’un quartier urbain ou un groupe de professionnel.le.s travaillant dans un même lieu ou dans la même branche. Ce type de BD qui dépeint les liens sociaux dans la quotidienneté de la vie est assez populaire dans la BDQ . Un exemple de ce genre de récit est illustré par l’album Justine (Montréal, Editions de la Pastèque, 2010) de l’auteure Iris (I. Boudreau-Jeanneau, *1983), originaire de Gatineau où elle a fait des études universitaires en BD dont a émané l’album. Il parle d’une orpheline qui, à l’âge de 18 ans, doit mener une vie indépendante dans une ville qu’elle ne connaît guère. Le touchant récit décrit sa vie en colocation avec Manon, handicapée suite à un accident tragique et assez dure envers Justine, les efforts de celle-ci pour trouver du travail et se faire des ami.e.s et surtout, sa relation - qui deviendra amoureuse - avec Guillaume, un garçon de son âge, plutôt bizarre (comme tous les personnages dont la protagoniste fait la connaissance), qui aime se déguiser et qui, à la fin de la partie BD proprement dite de l’album, trouve la mort en se noyant car il voulait prouver à Justine qu’il était capable de voler. Les 70 planches, mises en images par Iris dans un style simple à coloriage en aplat qui n’est pas sans rappeler la Ligne claire belge, sont complétées par un cahier scolaire contenant une histoire dessinée par Guillaume où transperce son enfance difficile à l’origine de sa ‚bizarrerie‘ mentale et par un épilogue qui résume la vie ultérieure de tous les personnages. Cet album a donc une structure tripartite, avec des perspectives narratives changeantes: le récit principal décrit le réseau social en formation de Justine et son point de vue personnel est présent dans les multiples commentaires à la 1 e personne qui accompagnent les cases. Falardeau (2020: 139) y voit une „disposition parallèle de deux récits, celui de la narratrice [homodiégétique; C. P.] qui livre ses pensées et analyse ce qu’elle a vécu […] et celui du dialogue des bulles en temps réel“ et conclut qu’avec ce dispositif, „Iris parle un double langage“. Dans le cahier, c’est Guillaume qui parle de lui-même mais à la 3 e personne, et dans l’épilogue, c’est une instance narratrice extérieure au récit qui livre les informations. Dans une présentation de cet album dans la websérie La BD à voix haute! (Lyon BD / Québec BD 2017), Iris admet que l’album inclut certains éléments autobiographiques (l’action est censée se dérouler à Gatineau; Justine explique à la mère de Guillaume que „plus tard je veux faire des dessins animés“ 96 DOI 10.24053/ ldm-2022-0009 Dossier [planche 63, case 7]); cependant, elle insiste sur le fait qu’elle n’y raconte pas d’épisodes de sa propre vie mais que les évènements narrés sont issus de l’observation de son entourage. Iris s’est aussi fait remarquer comme étant l’une des auteures de la longue BD L’Ostie d’chat, dont la seconde auteure est sa collègue Zviane (Sylvie-Anne Ménard), du même âge qu’elle. Cette Longueuilloise, qui, après avoir terminé des études en musique, s’est orientée vers l’art graphique, est l’une des représentantes les plus productives et multifacétiques de la jeune BDQ . 3 L’Ostie d’chat, malgré son titre on ne peut plus québécois construit sur une interjection d’origine liturgique utilisée comme juron, a été publié sous forme de livre par l’éditeur parisien Delcourt dans sa collection Shampooing (2011/ 2012; en 2018 en intégrale) mais a en fait vu le jour sur Internet sur le blogue legolaslove.canalblog.com à partir de 2009. Avec cette création, Iris et Zviane font figure de pionnières du webcomic francophone (Bouchard 2017: 200). Les lectrices et les lecteurs y sont plongé.e.s dans le quotidien de deux garçons dans leur vingtaine, Jasmin Bourvil et Jean-Sébastien Manelli, qui se partagent un appartement et les soins du chat Legolas qu’ils ont ‚hérité‘ d’un ancien colocataire. Le récit, dont les épisodes dans la version imprimée s’étendent sur quelque 500 pages, suit les exploits, les détours et, bien souvent, les impasses professionnelles et surtout sentimentales des deux protagonistes à la recherche de leur place dans la société et dans la vie. „It’s a chronicle of the life and tribulations of young adults on the cusp of settling down, although it sometimes seems like they’ll never get that far“ (ibid.). Legolas n’acquiert un rôle décisif pour le déroulement de l’action que dans quelques épisodes, mais il constitue le lien (souvent gênant) par lequel Jas(min) et J(ean)-S(ébastien) sont noués l’un à l’autre. À la fin du récit, lorsque Jas est sur le point d’entamer une carrière de musicien alors que J-S vit en couple avec l’ex-petite amie de son frère, Amiya, et continue à s’occuper de Legolas, le félin, apparemment malade, réunit à nouveau les amis chez le vétérinaire. Ce dernier, après un bref examen, les rassure: „Il est en parfaite santé, votre chat.“ Malgré des itinéraires de vie qui s’annoncent différents, le maintien du lien entre les protagonistes paraît donc assuré. Alors que, normalement, pour les BD qui ne sont pas créées en solo, on distingue entre un.e scénariste, d’un côté, et un.e dessinatrice/ dessinateur, de l’autre, L’Ostie d’chat est un vrai travail à quatre mains. Si ce mode de production n’est pas tout à fait exceptionnel - Loisel et Tripp l’ont appliqué pour leur série Magasin Général -, la particularité de l’œuvre d’Iris et Zviane réside dans le fait que les deux auteures se sont relayées pour les épisodes, ce qui mène à la distribution des cases, à des représentations graphiques et à des applications de la couleur légèrement différentes au fil du récit, et ces différences en alternance sont bien visibles dans la version imprimée de l’œuvre. Un autre exemple remarquable de ce type de BD du ‚quotidien vécu‘ est fourni par Sophie Bédard (*1991) avec la série quadripartie Glorieux printemps (Montréal, Pow Pow, 2012-2014), dans laquelle l’auteure nous emmène dans sa ville natale, La Prairie, qui fait partie de la banlieue montréalaise de la Rive sud du fleuve Saint- DOI 10.24053/ ldm-2022-0009 97 Dossier Laurent. Au cours des quelque 600 planches qui constituent l’œuvre, on accompagne un groupe de quatre adolescent.e.s - Émilie, Micheline, Antoine et Mathieu - pendant leurs deux dernières années dans l’enseignement secondaire. À partir des portraits de ces protagonistes qui ornent les couvertures des quatre volumes, on devine déjà leurs caractères très divergents, qui, malgré les réalités semblables auxquelles elles/ ils sont confronté.e.s (vie scolaire, activités de loisirs [limitées], relations avec leurs parents, leurs enseignant.e.s, leurs camarades de classe, etc.), alimentent les dynamiques narratives du récit. Or, ces dynamiques apparaissent surtout à travers les dialogues, d’une grande authenticité, alors que l’action proprement dite est aussi limitée que l’élaboration graphique des décors dans lesquels se meuvent les personnages; ce minimalisme décoratif (hormis peut-être dans le dernier volume), associé à un trait d’une grande simplicité et à un renoncement à tout coloriage (en dehors d’aplats de gris), permettent aux lecteur.rice.s de se concentrer pleinement sur ce quatuor très attachant, auquel se joint, au cours du récit, un cinquième personnage, Noémi, une belle jeune fille, aux multiples talents parfois mystérieux et aux habitudes souvent étranges, qui, à un moment donné (vol. 3, p. 105, case 7), admet sa bizarrerie à Mathieu qui tombe sous son charme. Le fait que Noémi gagne en importance au fil de la série est prouvé par le fait qu’elle apparaît dans l’épisode final aux côtés des quatre protagonistes. Dans cet épisode à l’allure d’épilogue, on apprend qu’Antoine emménage dans un appartement en colocation à Montréal pour se consacrer à des études universitaires; c’est donc le premier du groupe à avoir ‚passé le pont‘ entre la banlieue de la Rive sud et la grande ville située sur l’île et à entamer ainsi un pas décisif vers l’âge adulte. 4 Un appartement avec ses colocataires dans le centre de Montréal fournit aussi le point de départ de Les petits garçons, un album plus récent de Bédard (Montréal, Pow Pow, 2019), dans lequel les lectrices et les lecteurs suivent les vicissitudes de la vie personnelle et professionnelle et surtout les aléas des relations sentimentales de trois jeunes femmes: Jeanne, la plus mûre à la personnalité dominante et au ton souvent assez rude; Lucie, une jeune femme à l’allure presque enfantine due, entre autres, à sa petite taille, qui est à la recherche d’une relation avec un homme qui lui permette de satisfaire et ses désirs sexuels et ses besoins émotionnels; et finalement Martina, dite Nana, qui avait quitté secrètement l’appartement partagé un an plus tôt en s’emparant des fonds communs des colocataires, mais qui réapparaît de manière imprévue au début de l’album (on apprendra plus tard qu’elle est revenue à Montréal pour un avortement dans une clinique spécialisée). Malgré (ou à cause de) ses expériences d’une vie mouvementée, Nana paraît comme la plus fragile des trois colocs, entre autres parce qu’elle n’est pas encore sûre de son orientation sexuelle. À la fin de l’album, Nana quitte à nouveau et aussi subitement que la première fois le ménage à trois, qui sera désormais complété par un chat que Lucie a ‚hérité‘ d’un ex. Comme dans Glorieux printemps, Bédard réussit à créer des personnages très attachants et à raconter une belle histoire d’amitié avec des hauts et des bas dans un langage réaliste 5 et dans un style graphique simple et agréable bien que plus élaboré que dans sa première série. Outre les épisodes intimistes des trois 98 DOI 10.24053/ ldm-2022-0009 Dossier héroïnes, l’album contient de nombreuses références aux réalités socio-économiques et sociolinguistiques du Québec et du Canada actuels. Ainsi, Lucie a deux emplois (elle travaille dans un café et écrit des histoires pour un magazine), alors que Sophie, une amie de Nana, lui confie qu’elle a même plusieurs jobs (p. 101, case 3). Quant à Jeanne, elle travaille, à côté d’études à temps partiel, dans un centre d’appel où son supérieur (anglophone) impose l’anglais comme langue de communication interne, ce à quoi Jeanne se conforme. Cependant, à un moment donné, elle s’énerve tellement de se voir confier des tâches qui ne font pas partie de son contrat qu’elle crie violemment sur son chef - en français. Mais elle ne se fait pas congédier pour autant car, comme elle explique plus tard à Lucie: „Ils ont trop besoin de moi“ (p. 227, case 2), ce qui est indicatif d’un avantage récurrent qu’ont les francophones canadiens dans un pays où le bilinguisme officiel fédéral exige qu’un grand nombre de services soient offerts dans les deux langues. 2.2 Situations de crise, de trouble et d’états infirmes dépeintes en BD Un autre type de récit convoité par les jeunes auteures de la BDQ et qu’on peut attribuer au méta-genre de ‚BD personnelle‘ est celui qui met en scène des individus en situation de crise. À la différence des BD sur les aléas du quotidien décrits dans le paragraphe précédent, ce genre d’histoires s’articule autour d’un seul conflit, d’un événement central ou d’un fait bien précis qui prend une allure dramatique et existentielle pour le, la ou les protagoniste(s) du récit. Un bon exemple en est l’album Traverser l’autoroute (Montréal, La Pastèque, 2020) qui a été scénarisé par Sophie Bienvenu (*1980), auteure et romancière d’origine belge installée au Québec depuis 2001, et mis en images par Julie Rocheleau (*1982). Cette dessinatrice et illustratrice formée en dessins animés, domaine dans lequel elle a travaillé au début des années 2000, est connue en Europe pour son apport au triptyque La colère de Fantômas, adaptations libres de ce monument du roman (et du cinéma) populaire(s) français de la première moitié du 20 e siècle écrites par le Français Olivier Bocquet et publiées chez Dargaud (2013-2015). Traverser l’autoroute décrit les relations difficiles entre André, un quadragénaire habitant Longueuil, dans la banlieue Rive sud de Montréal, et qui, malgré son aisance économique, souffre de la monotonie dans la vie familiale avec sa conjointe Danielle et son fils de 17 ans. Les relations pèrefils sont conflictuelles depuis longtemps, car le père pense qu’il a raté l’éducation de son fils et que ce dernier „c’est un con“ (p. 23, case 3), alors que le fils méprise son père à cause de ses habitudes old school de petit bourgeois. Ce conflit se cristallise lors d’un déplacement dominical en voiture pour effectuer quelques achats à Montréal et culmine avec le sauvetage d’un chien errant que père et fils aperçoivent, perdu, sur l’autoroute. Au cours de l’histoire, André et son fils se rendent compte des ressemblances avec leurs pères respectifs (bien qu’ils les détestent) et du degré d’incompréhension et de mutisme qui règne entre eux. Or, le chien que les deux ont sauvé et ramènent à la maison (où, contre toute attente, il est chaleureusement accueilli par Danielle) sert de catalyseur pour apaiser la situation tendue, bien que la DOI 10.24053/ ldm-2022-0009 99 Dossier fin assez ouverte du récit laisse entrevoir que la vie monotone de cette famille banlieusarde ne changera pas profondément. L’album de Bienvenu et Rocheleau suit une structure narrative assez complexe avec deux narrateurs homodiégétiques, dont les commentaires sont différenciés typographiquement, et plusieurs retours en arrière qui, sur le plan graphique - qui par ailleurs se caractérise par un coloriage plutôt discret où dominent les nuances de violet -, se distinguent par une palette de couleurs différente à base de rose. La distribution des cases est souvent adaptée au dynamisme des faits narrés et très variée; alors que certains points décisifs de l’histoire sont présentés dans des cases pleine-page (dans un album grand-format! ), Rocheleau se sert très efficacement de cases occupant toute la largeur de la planche et se répétant, sur la même page, de manière quasi-identique pour illustrer la sensation de monotonie éprouvée par les protagonistes. Un des sujets de BD qui montrent des personnes en difficulté et en crise est celui qui parle des états de handicap, des maladies corporelles et psychiques et des infirmités liées à la vieillesse. Ces motifs ont accédé à une notoriété remarquable sur la scène du 9 e Art ces dernières années aussi bien du côté de la production 6 que du côté de la recherche bédéiste (cf. p. ex. Foss/ Gray/ Whalen [ed.] 2016 ou Chavaud/ Mellier [ed.] 2020) et on les retrouve aussi dans la BDQ . Ainsi, Julie Rocheleau a créé, en 2010, l’album La fille invisible (Montréal, Glénat Québec) sur un scénario écrit par la journaliste Émilie Villeneuve et qui est pour cette dernière la seule incursion dans la BD jusqu’à ce jour. L’album traite de l’anorexie mentale chez les adolescentes à travers l’exemple de Flavie qui, suite à un petit incident des plus banals avec un garçon dont elle est amoureuse, se persuade qu’elle est „une GROSSE CONNE “ (p. 12, case 4) et décide de ne plus manger; elle croyait être restée invisible pour ce compagnon de classe à cause d’un corps trop bien nourri, mais en fait, c’est cette décision de maigrir à tout prix qui la rendra invisible. Cette BD a une vocation pédagogique et éducative évidente qui se manifeste non seulement par la préface rédigée par un médecin, mais aussi par la structure narrative où alternent des séquences d’entrevue entre une journaliste préparant un article pour une revue de presse féminine et un docteur spécialiste des troubles du comportement alimentaire, d’un côté, et, de l’autre, des séquences qui illustrent les étapes de la maladie de Flavie et de son traitement dans une clinique de médecine de l’adolescence. Ce n’est que sur l’avant-dernière planche qu’on apprend que la Flavie du récit intérieur et la journaliste du récit encadrant sont la même personne. Si le style graphique utilisé par Rocheleau dans La fille invisible partage une vivacité et une certaine nervosité avec celui choisi 10 ans plus tard pour Traverser l’autoroute, le résultat est quand même nettement différent, notamment du fait d’une chromatique beaucoup plus riche et forte ainsi que de l’application de la technique de la couleur directe. 7 Publié chez l’éditeur montréalais Pow Pow la même année que La fille invisible, Apnée de Zviane est un autre exemple de la BDQ consacrée aux crises, aux traumatismes et aux maladies, en l’occurrence la dépression. L’auteure décrit ce trouble mental à travers les réflexions et les expériences de Sophie, une jeune femme qui, 100 DOI 10.24053/ ldm-2022-0009 Dossier après des études universitaires en musicologie et en musique (un élément clairement autobiographique), travaille dans l’administration d’une société de concerts. Contrairement à l’anorexie de Flavie, les phases de la maladie de Sophie ne sont pas dépeintes dans l’ordre chronologique mais plutôt par épisodes qui, s’ils ne présentent pas la protagoniste dans un état de solitude, tournent autour de personnes qui croisent son chemin (une compagne d’études, un ex-ami d’enfance - dépressif lui aussi et suicidaire -, sa mère, son chef de bureau etc. - toutes d’ailleurs représentées avec des visages sans yeux) à propos desquelles Sophie, dans ses commentaires, fournit, par prolepse, des détails sur leur vie ultérieure. Significativement, ces commentaires de Sophie sur ses perceptions de son entourage et de son état de santé sont exprimés à la 2 e personne du singulier, ce qui met en évidence l’éclatement de son existence et la sensation de n’être souvent qu’une observatrice externe de sa propre vie. Le fait que, dans cet état dépressif de Sophie, il n’y a pas d’évolution ciblée, de ‚guérison‘ si souhaitée surtout par certaines personnes de son entourage, est souligné par deux planches très similaires placées au début et tout à la fin de l’album et assorties des mots „Et ça durera longtemps. / Ça durera encore longtemps. Longtemps“ (p. 10, p. 88). Ici comme dans beaucoup d’autres endroits, Zviane dessine des cases couvrant toute la largeur de la planche et elle se sert également - comme le fait Rocheleau dans Traverser l’autoroute - de la technique des cases quasiment identiques ou très semblables qui se répètent verticalement pour souligner des situations d’attente, de silence ou d’immuabilité (quand ce ne sont pas des cases ou des pages carrément vides qui sont mobilisées à cet effet). Le graphisme d’Apnée paraît „influencé par la BD japonaise, ce que l’auteure confirme en entrevue“ (Falardeau 2020: 140sq.). En comparant ce trait avec celui de L’Ostie de chat, on se rend compte de la versatilité stylistique de cette auteure-dessinatrice. 2.3 La BDQ au féminin entre corporalité et spiritualité Les troubles de santé décrits dans les albums présentés supra concernent à la fois le corps et l’âme; la tension entre le niveau psychique et le niveau corporel joue aussi un rôle important dans les exploits sexuels qui font partie des histoires du quotidien mentionnées dans l’avant-dernier paragraphe. Et elle est constitutive pour certains récits de la BDQ féminine qui, eux aussi, peuvent être catégorisés comme ‚BD intimiste‘, soit parce que les liens et les frictions entre corporalité et esprit y sont traités explicitement, soit parce qu’ils y apparaissent de façon sous-jacente ou sont évoqués entre les lignes et entre les cases. Un exemple du premier cas de figure est fourni par Zviane avec son album Les deuxièmes (Montréal, Pow Pow, 2013), où la bédéiste introduit de manière très originale et plus évidente encore que dans Apnée sa passion pour la musique dans un récit qui, autrement, correspond au genre érotique. Elle nous fait découvrir une jeune femme et un jeune homme québécois.e, quelques années après la fin de leurs études universitaires (où ils s’étaient connus), qui passent, par un temps pluvieux, un séjour secret aux Pays-Bas dans une maison qu’un ami du garçon a laissée à leur disposition. Au fil des pages, on apprend que lui travaille en Europe où elle va DOI 10.24053/ ldm-2022-0009 101 Dossier le voir avec une certaine régularité et que les deux sont engagés dans des relations (plus ou moins) stables ailleurs, ce qui explique le titre qui se voit aussi explicitement thématisé (pp. 66-73). L’homme semble plutôt bien s’accommoder de cette situation („C’est spécifiquement ça la beauté de notre relation: je serai toujours ton numéro 2“ [p. 72, case 5]), alors que la femme s’y sent moins à l’aise, ce qui se manifeste surtout dans la scène finale de l’album, où les deux, étendus sur le lit dans un acte d’amour, sont interrompus par la sonnerie du téléphone de l’homme qui est appelé par sa conjointe. Dans cette scène, sur le plan graphique (d’un style semi-réaliste et plus élaboré que dans Apnée), Zviane se sert de larges surfaces d’ombre en gris très foncé pour souligner l’atmosphère mélancolique (cf. Falardeau 2020: 143 pour une analyse détaillée de la planche p. 122), alors que sur les pages précédentes, c’est un gris plus clair qui agrémente les dessins en noir et blanc. Au niveau structural, Les deuxièmes constitue une suite d’actes sexuels aux pratiques et aux positions variées, actes sexuels qui sont interrompus par quelques autres activités, comme la consommation d’un joint, la préparation d’un repas et le jeu à quatre mains d’une suite musicale de Milhaud, étant donné que la maison est équipée de deux pianos à queue et que lui comme elle sont mélomanes. C’est l’habile mariage entre musique et éros qui fait le charme de cet album. Le couple protagoniste, après avoir philosophé sur le rapport entre les deux, se décide à s’essayer dans une improvisation musico-sexuelle „pour le fun“ (p. 92, case 1), „une composition conjointe“ (p. 93, case 2). Cette ‚composition‘ (qui occupe les planches pp. 97-113) est introduite par la page de titre d’un cahier de musique supposé contenir les notes de la pièce „Die Zweiten. Zimmersonate für Männer und Frauen“ attribuée au compositeur allemand Emil von Sauer (1862-1942). Les postures érotiques des protagonistes sont d’abord montrées dans des dessins accompagnés de (pseudo-)notations musicales placées en cartouche en haut de la case et, à partir d’un certain point, sont indiquées uniquement à travers une partition où les notes sont remplacées par des symboles représentant les parties du corps impliquées dans l’acte et dont on trouve la légende dans un encart de la couverture de l’album. On a souligné le fait que les références au monde de la musique que l’on trouve dans Les deuxièmes, Apnée et d’autres créations de Zviane sont des éléments renvoyant à la vie de la bédéiste (dans une entrevue de 2014, l’auteure admet: „I’m doing comics and it’s starting to become my career, but I should really be in music“ [apud Brown (ed.) 2017: 196]) sans que ces albums puissent être catégorisés comme BD autobiographiques proprement dites. Kunka souligne l’instabilité du genre autobiographique, qui se caractérise par „permeable, hazy boundaries, yielding such terms as ‚semi-autobiographical‘ and ‚roman à clef ‘ to define those border cases between fiction and nonfiction“ (2018: 11), et que la multimodalité du 9 e Art ajoute, avec l’image, une couche de perméabilité supplémentaire. Pour désigner les BD où se mêlent des éléments liés (de manière variable) à la vie de ses auteur.e.s, des termes alternatifs et plus souples ont été proposés, comme celui de graphic life writing (Böger 2021), qui pourrait être appliqué à tous les albums présentés jusqu’ici et qui convient aussi pour décrire l’œuvre d’Axelle Lenoir (*1979 à Notre-Dame-du- 102 DOI 10.24053/ ldm-2022-0009 Dossier Lac), auteure transgenre qui, jusqu’en 2018, signait ses créations sous le nom de Michel Falardeau. Diplômée en arts plastiques et en dessin animé, elle a travaillé dans le secteur du jeu vidéo avant de se consacrer, à partir des années 2000, à la BD. Ses expériences dans l’animation et le jeu vidéo peuvent avoir influencé son style graphique qui s’approche, notamment pour la représentation des personnages, de l’esthétique du manga et de l’animé japonais. Cependant, le graphisme pratiqué par Axelle Lenoir dans ses différents albums n’est pas uniforme: certains - comme ceux sur lesquels on reviendra dans un instant - se caractérisent par des couleurs vives et par des contrastes forts entre zones illuminées et ombragées; dans d’autres, comme French Kiss 1986 (Montréal, Glénat Québec, 2012), une sorte de Guerre des boutons à la québécoise, le style est plus hachuré et nerveux et l’emploi de couleurs très réduit. Au niveau de la narration, on trouve deux constantes dans l’œuvre de Lenoir: d’une part, ses récits ont tendance à inclure des éléments étranges, mystérieux, surnaturels (comme dans la trilogie Mertownville [Genève, Paquet, 2005-2007], sa première BD commerciale) ou carrément fantastiques (cf. le diptyque Le domaine Grisloire [Grenoble, Glénat, 2015]). D’autre part, ses récits nous montrent - en tant que protagoniste ou personnage essentiel - des femmes (généralement adolescentes ou jeunes adultes) téméraires, cool et à la personnalité forte: l’étudiante Lydia de Mertownville qui possède des capacités surnaturelles telle une super-héroïne; Noah du Domaine Grisloire qui se met à la recherche de l’origine de ses cauchemars; ou la basketteuse Gab[rielle] et la graffiteuse-peintre Marianne dans le one-shot Luck (s. l., Dargaud Bénélux, 2010). Ce dernier titre met en scène Pierre-Luc dit Luck, 22 ans, assez sportif mais plutôt introverti, qui poursuit - sans enthousiasme - des études pré-universitaires collégiales en Art et dessin, s’adonne au graffiti illégal et a la sensation que sa vie est dans l’impasse: ses graffitis lui paraissent peu inspirés, il n’a pas le courage d’aborder sa camarade de collège Julie dont il s’est épris et il ne voit pas vraiment de débouché professionnel. Ce sont des femmes fortes qui le sortent de cette impasse: sa cousine, cheffe de projet dans une entreprise graphique et - selon Luck - „envahissante, obsédée par les hommes“ (p. 5, case 1), qui se moque constamment de lui; Marianne, artiste confirmée qui reconnaît les capacités graphiques de Luck et le prend sous son aile afin de le préparer pour un concours de graffiti; et Gab, surnommée la „lesbienne“ à l’école (p. 54, case 5) à cause de son apparence masculine et du fait qu’elle joue au basket dans l’équipe masculine, et qui, d’abord, le provoque et, après qu’il l’a battue dans un duel de basket, lui exprime son respect, tandis que Luck, qui est tombé amoureux d’elle, lui dédie une murale graffitée. Cette histoire intime est narrée par l’auteure avec beaucoup d’humour et dans un langage jeune soucieux d’authenticité tel que celui utilisé par Sophie Bédard. On retrouve ces deux éléments dans le diptyque L’esprit du camp (Montréal, Studio Lounak, 2017-2018), où les chapitres du récit sont même introduits par des glossaires expliquant de manière souvent amusante des expressions québécoises courantes dans un souci „d’être compris par tout le monde sans avoir à écrire les dialogues en français international“ (tome 2, p. 4), mais l’auteure d’avertir: „riez pas trop car on est bin susceptibles au Québec…“ (tome 1, p.4). Cette DOI 10.24053/ ldm-2022-0009 103 Dossier histoire, destinée surtout à un public adolescent, se déroule en juillet 1994 dans un camp d’été situé en pleine forêt. La protagoniste Élodie, étudiante du secondaire, y est envoyée contre son gré par sa mère afin de travailler comme monitrice. Cette fille pubertaire de la ville n’éprouve aucun attrait pour la nature et encore moins pour les enfants qu’elle doit prendre en charge pour des activités de formation et d’animation. Dès le premier moment, elle trouve le directeur du camp plus que bizarre et tout.e.s ses collègues moniteurs et monitrices antipathiques. Cependant, les choses vont changer au cours des quatre semaines passées au camp. Élodie se rend compte que le courant passe bien entre elle et les cinq filles rousses ‚insupportables‘ dont elle doit s’occuper (après quelque temps, elles adorent leur monitrice) et elle noue des liens d’amitié avec Catherine, nièce du directeur du camp et future étudiante en travail social, aux cheveux blonds et couverte de taches de rousseur, qu’Élodie avait d’abord perçue comme une „Miss Perfection“ (tome 1, p. 9, case 3), mais qui s’avère rapidement très empathique et attachante, et l’amitié intime entre les deux adolescentes aboutit, vers la fin du séjour, à une relation sentimentale. Bien entendu, ce côté queer dans L’esprit du camp se prête à être mis en rapport, comme élément autobiographique, avec la transidentité de l’auteure qui, dans une interview accordée au journal La Presse peu de temps après avoir rendu publique sa transition, affirme: „Je me suis rendu compte, dans Mertownville, que ce que je ne pouvais pas vivre dans la vraie vie, je le vivais à travers des personnages. Inconsciemment, c’était une manière de compenser“ (apud Vigneault 2019). La dimension queer et notamment la question de la transition d’identité est thématisée à nouveau et de façon ludique dans la BD la plus récente d’Axelle Lenoir, le recueil d’histoires courtes Si on était… (Montréal, Front Froid, 2019, prépublié dans la revue pour ados Curium), qui, selon la bédéiste, a eu un effet positif sur la réception du diptyque antérieur („Je vois de plus en plus de jeunes filles venir acheter L’esprit du camp parce qu’elles ont lu Si on était... dans Curium. Je vois des filles du secondaire en couple avec les yeux qui brillent. C’est probablement l’une des seules bédés auxquelles elles peuvent s’identifier, et ça, ça me fait vraiment plaisir“ [ibid.]), même si L’esprit du camp reste surtout une histoire drôle assortie d’un côté fantastique (avec une énigme tournant autour d’esprits de la forêt qu’Élodie tente d’élucider) où la portée autobiographique paraît limitée. Un album mettant un focus plus explicite sur le sujet LGBTQ et intitulé Secret passages est paru (pour l’instant uniquement en version anglaise [San Diego: Top Shelf Productions], avec la version française chez Pow Pow toujours en annonce) en 2022, après la rédaction du présent article. 8 3 Conclusion L’objectif de cet article était de présenter un survol de la bande dessinée québécoise récente créée par des femmes, avec une présentation d’auteures et de références inévitablement sélective et incomplète qui n’est certainement pas à même de rendre justice à l’effervescence et aux multiples facettes de la BDQ au féminin. On a privilégié des publications qui peuvent être attribuées à la BD ‚personnelle‘ ou ‚intimiste‘ 104 DOI 10.24053/ ldm-2022-0009 Dossier même si on constate rapidement que cette étiquette s’avère insuffisante pour capter les qualités narratives des créations concrètes, qui comprennent p. ex. des éléments d’humour ou de fantastique. Le style graphique rencontré dans la majorité des œuvres présentées, qui se caractérise souvent par un trait simple voire minimaliste et une gamme réduite de couleurs (ou simplement du noir et blanc), ne peut pas être décrit comme étant spécifique à la BDQ féminine mais semble plutôt dû aux conditions matérielles et économiques dans lesquelles évolue la bande dessinée créée au Québec et qui privilégient p. ex. la publication en petit format du style comic book au lieu de l’album grand format cartonné quadrichrome cher à la BD franco-belgosuisse; en plus, comme on l’a constaté, il y a des exceptions à cette règle, notamment quand des auteures québécoises sont publiées par des maisons d’édition européennes. Or, certaines bédéistes de la Belle Province et de nombreux albums restent encore confinés au marché local et sont peu lus et étudiés en dehors du Canada. Cet aperçu doit donc aussi être compris comme une invitation à se mettre à la découverte de cette BDQ au féminin actuelle. AA.VV., La Pastèque. 15 ans d’édition, Montréal, La Pastèque, 2013. Blaquière, Denis / Blaquière, Louis-Vincent (prod.), BDQC, Montréal, Argus Productions / ARTV, 2015 (2 DVD). Böger, Astrid, „Life Writing“, in: Sebastian Domsch / Dan Hassler-Forest / Dirk Vanderbeke (ed.), Handbook of Comics and Graphic Narratives, Berlin/ Boston, De Gruyter, 2021, 201-218, DOI: 10.1515/ 9783110446968. Bouchard, Eric, „Shared Spaces: The Making of a Collaborative Comic. L’ostie d’chat“, in: Andy Brown (ed.), BDQ. Essays and Interviews on Quebec Comics, Wolfville, Conundrum Press, 2017, 200-207 (original français paru en 2012). Brown, Andy (ed.), BDQ. Essays and Interviews on Quebec Comics, Wolfville, Conundrum Press, 2017. Chavaud, Frédéric / Mellier, Denis (ed.), Corps handicapés et corps mutilés dans la BD, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2020. Clarke Gray, Brenna, „Canadian Comics. A Brief History“, in: Frank Bramlett / Roy T. Cook / Aaron Meskin (ed.), The Routledge Companion to Comics, London / New York, Routledge, 2016, 62-69. Falardeau, Mira, Histoire de la bande dessinée au Québec, Montréal, VLB, 2008. —, Femmes et humour, Québec, Presses de l’Université Laval, 2014. —, L’art de la bande dessinée actuelle au Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, 2020. Foss, Chris / Gray, Jonathan W. / Whalen, Zach (ed.), Disability in Comic Books and Graphic Narratives, Basingstoke / New York, Palgrave Macmillan, 2016. Giaufret, Anna, „La BD québécoise: Magasin Général, la langue entre imaginaire et représentation“, in: Publifarum, 14, 2011, www.publifarum.farum.it/ index.php/ publifarum/ article/ view/ 449/ 708 (dernière consultation: 17/ 09/ 2021). —, „Le français dans la bande dessinée québécoise: Quelles représentations du français parlé? “, in: Répères-DoRiF, 2: 2, n. p., www.dorif.it/ reperes/ anna-giaufret-le-francais-dans-labande-dessinee-quebecoise-quelles-representations-du-francais-parle (dernière consultation: 23/ 09/ 2021). —, Montréal dans les bulles. Représentations de l’espace urbain et du français parlé montréalais dans la bande dessinée, Québec, Presses de l’Université Laval, 2021. DOI 10.24053/ ldm-2022-0009 105 Dossier Kunka, Andrew J., Autobiographical Comics, London et al., Bloomsbury, 2018. Leduc, Jean-Dominic / Viau, Michel, Les années Croc. L’histoire du magazine qu’on riait, Montréal, Québec Amérique, 2013. Mance, Ajuan, „LGBTQ representation in comics“, in: Frank Bramlett / Roy T. Cook / Aaron Meskin (ed.), The Routledge Companion to Comics, London / New York, Routledge, 2016, 294-302. Oksman, Tahneer / O’Malley, Seamus (ed.), The Comics of Julie Doucet and Gabrielle Bell. A place inside yourself, Jackson, University Press of Mississippi, 2019. Pusch, Claus D., „‚Joual en stock‘ - The controversial issue of language quality and autochthonous standardization in Quebec“, in: Diemo Landgraf (ed.), Decadence in Literature and Intellectual Debate since 1945, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2014, 111-129. Rannou, Maël, „La bande dessinée québécoise et ses liens avec l’Europe francophone: une histoire artistique et critique encore à établir“, in: Études Canadiennes / Canadian Studies, 90, 2021, 113-143, DOI: 10.4000/ eccs.4774. Rolfe, Christopher, „Round and About the Bande Dessinée Québécoise: From its Early Days to Chiendent“, in: European Comic Art, 5: 1, 2014, 9-24, DOI: 10.3167/ eca.2012.050103. Sohini, Kay, „Queerness“, in: Sebastian Domsch / Dan Hassler-Forest / Dirk Vanderbeke (ed.), Handbook of Comics and Graphic Narratives, Berlin/ Boston, De Gruyter, 2021, 231-246, DOI: 10.1515/ 9783110446968-012. Viau, Michel, BDQ 2015: „Go West, young man“, s. l., Association de Critiques et Journalistes de Bande Dessinée - Section Québec, 2016. Vigneault, Alexandre, „Axelle Lenoir: redessiner sa vie“, in: La Presse, 28/ 05/ 2019, www. lapresse.ca/ arts/ litterature/ 2019-05-28/ axelle-lenoir-redessiner-sa-vie (dernière consultation: 02/ 01/ 2022). Lyon BD / Québec BD, La bande dessinée à voix haute! , épisode Iris, Lyon, novembre 2017, https: / / vimeo.com/ 258833986 (dernière consultation: 07/ 02/ 2022). 1 Pour une présentation historique plus détaillée de la BDQ cf. Falardeau 2008, Rolfe 2014, Brown (ed.) 2017 et Rannou 2021: 115-128; pour un survol global de l’histoire de la BD canadienne, cf. Clarke Gray 2016. 2 On ne peut pas omettre de mentionner ici l’éditeur montréalais Drawn & Quarterly, fondé en 1990 et qui publie exclusivement des BD en anglais. Il a entre autres réédité de manière très soignée la production de Julie Doucet (*1965) qui a été active dans le domaine bédéiste, surtout dans les années 1980 et 90. Doucet, qui ne sera pas traitée dans cet article, a acquis le statut d’icône de la BD underground et est certainement l’auteure de BD québécoise la mieux étudiée par la recherche internationale; cf. Oksman/ O’Malley (ed.) 2019. 3 Zviane et certain.e.s autres auteur.e.s évoqué.e.s ici sont présenté.e.s sous forme d’entrevues audiovisuelles accompagnées d’extraits animés de leurs œuvres sur les DVD BDQC (Blaquière/ Blaquière 2015). 4 L’antagonisme entre centralité urbaine et périphérie banlieusarde montréalaises ainsi que l’importance des espaces (péri-)urbains dans la construction des narrations dans la BDQ sont analysés en profondeur par Giaufret (2021: 57-126). 5 On ne peut pas approfondir ici la question de l’oralité (dialectale et/ ou diaphasique) fictive qui pourrait être étudiée avec beaucoup de profit sur la base des albums de Bédard comme de nombreuses autres œuvres mentionnées dans cet article. Sur la représentation du vernaculaire québécois dans la BD, cf. p. ex. Giaufret 2013, 2021: 127sq. ou Pusch 2014. 106 DOI 10.24053/ ldm-2022-0009 Dossier 6 Une référence incontournable dans ce domaine pour la BD européenne est certainement l’album Rides/ Arrugas (Paris, Delcourt / Bilbao, Astiberri, 2007) de l’auteur valencien Paco Roca (Francisco Martínez Roca), traduit dans de nombreuses langues, qui traite de la démence causée par la maladie d’Alzheimer. 7 On peut ajouter qu’en 2017, Rocheleau, en collaboration avec la scénariste française Véro[nique] Cazot, a publié Betty Boob (Tournai, Casterman), „[é]tonannte BD sans paroles“ (Falardeau 2020: 133) traitant d’une femme qui se soumet, suite à un cancer du sein, à une mastectomie. 8 Les limites d’espace ne permettent pas de développer davantage la question de la représentation du fait queer dans la BD, traitée jusqu’à présent surtout par rapport à des exemples anglophones, notamment du genre underground ; cf. Mance (2016) et Sohini (2021) pour une présentation globale. Elle mériterait d’être étudiée dans le contexte bédéiste francophone; le rôle du Québec n’y sera certainement pas négligeable, vu que la ville de Montréal constitue une référence sur la scène queer francophone du fait de son cosmopolitisme et sa diversité à tous les niveaux. Ce statut de la métropole québécoise, qui en fait une sorte de San Francisco pour la francophonie, est évoqué p. ex. dans les albums Rôles de composition du Québécois Jimmy Beaulieu (Paris, Vraoum! , 2016) et La fille dans l’écran des Françaises Manon Desveaux et Lou Lubie (Vanves, Marabout, 2019). DOI 10.24053/ ldm-2022-0010 107 In memoriam Wolfgang Asholt Hans Manfred Bock (1940-2022) Hans Manfred Bock ist als Politikwissenschaftler eng mit der Geschichte der Romanistik des vergangenen halben Jahrhunderts verbunden. Am 13. Mai 1940 in Kassel geboren, stirbt er am 22. August 2022 in Zierenberg (bei Kassel). Er steht für den Aufbruch der Geisteswissenschaften seit den späten 1960er Jahren, musste allerdings in den letzten beiden Jahrzehnten feststellen, wie viele Reformen der 1970er Jahre ‚abgewickelt‘ wurden, auch in der ihm als ‚Frankreichwissenschaft‘ besonders wichtigen Romanistik. Nach dem Abitur am Kasseler Realgymnasium studiert er in Marburg Politikwissenschaft, Germanistik und Romanistik und geht im Studienjahr 1964/ 65 als Assistant für ein Jahr nicht an eine französische Schule, sondern an die germanistische Abteilung der Universität Orléans. 1968 promoviert er bei Wolfgang Abendroth mit einer Arbeit zum Syndikalismus und Linkskommunismus von 1918 bis 1923 (Anton-Hain Verlag 1969), dessen Untertitel in der Neuauflage bei der Wissenschaftlichen Buchgesellschaft 1993 auf die methodische Konzeption verweist, für die Manfred Bock ein Leben lang stehen wird: Ein Beitrag zur Sozial- und Ideengeschichte der frühen Weimarer Republik. Die Publikation der Arbeit wird durch ein „Vorwort“ Wolfgang Abendroths eingeleitet. Nach der Promotion geht Manfred Bock im Rahmen des DAAD -Lektorenprogramms an die Sorbonne und beteiligt sich mit Hansgerd Schulte ab 1969 an der dortigen Reform der Germanistik unter der Leitung von Pierre Bertaux, die die civilisation am neugegründeten Institut d’Allemand d’Asnières, also in einer Vorstadt, zum Kern des ‚auslandswissenschaflichen‘ Faches machte. Diese Konzeption, die die französische Germanistik in mehr oder minder deutlicher Weise bis heute prägt, will Bock sein Leben lang auch in der Romanistik verwirklicht sehen. 1970 wird er an der Sorbonne zum professeur associé ernannt, um schon im folgenden Jahr einen Ruf auf eine politikwissenschaftliche Professur an der Gesamthochschule Kassel anzunehmen, die er bis zu seiner Pensionierung im Jahre 2005 wahrnimmt. In der Aufbauphase der Kasseler Politikwissenschaft engagiert, veröffentlicht er 1976 in der von Günther Busch betreuten „edition suhrkamp“ seine einflussreiche Studie Geschichte des ‚linken Radikalismus‘ in Deutschland. Ein Versuch, in der er, ausgehend von der Aktualität des Linksradikalismus der frühen 1970er Jahre, diesen am Beispiel von drei relevanten Phasen analysiert: der Bewegung der ‚Jungen‘ in der Sozialdemokratie um 1890, der rätekommunistischen Bewegung der Weimarer Republik und der Studentenbewegung der späten 1960er und frühen 1970er Jahre. Diese Verbindung einer historischen mit einer Gegenwartsperspektive ist charakteristisch für alle Arbeiten Bocks: immer geht es ihm darum, die Gegenwart aufgrund ihrer ‚Vorgeschichte‘ nicht nur besser zu verstehen, sondern auch auf sie einzuwirken. Die 1970er und 1980er Jahre sind durch Aufsätze zu zwei Schwerpunkten geprägt: die Fortsetzung von Studien zur Sozial- und Ideengeschichte der (radikalen) 108 DOI 10.24053/ ldm-2022-0010 In memoriam sozialen Bewegungen und Arbeiten zu politischen und sozialen Themen des gegenwärtigen Frankreich sowie zur Konzeption und Didaktik der civilisation. In Heft 2 (1975) der neugegründeten Zeitschrift lendemains erscheint erstmals ein Beitrag (zum Neopoujadismus), der ein Jahr später auch in einer Publikation des Deutsch- Französischen Instituts in Ludwigsburg veröffentlicht wird. Damit tauchen zwei ‚Institutionen‘ auf, in denen sich Manfred Bock seit den späten 1980er Jahren verstärkt engagieren sollte. Von 1991 bis 2005 ist Manfred Bock neben Robert Picht, Marieluise Christadler und anderen Mitherausgeber des Frankreich-Jahrbuchs, was auch heißt, dass er die jährlichen Frankreichforscher-Tagungen am Deutsch-Französischen Institut in Ludwigsburg (mit)konzipiert, die erfolgreich versuchen, der Frankreichforschung neue Impulse zu geben und die relevanten Akteure zu vernetzen. Repräsentativ für seine Konzeption der Frankreichforschung ist ein Beitrag, der in der Ausgabe 1990 anlässlich des 65. Geburtstags Gilbert Zieburas erscheint: „Zur Konstituierung der sozialwissenschaftlichen Frankreichforschung in Deutschland“, und vielleicht programmatisch noch deutlicher ein Beitrag für einen Ludwigsburger Sammelband des Jahres 1991: „Von der geisteswissenschaftlichen zur sozialwissenschaftlichen Frankreichforschung“. Symptomatisch für diese sozialkritische Frankreichforschung ist wohl der Titel eines Einleitungsbeitrags des 1995er-Jahrbuchs: „Wechselseitige Wahrnehmung als Problem der deutsch-französischen Beziehungen“, die Perzeptionsproblematik hat bis heute nichts an ihrer Bedeutung verloren. Bis er 1988 neben Michael Nerlich Mitherausgeber der 1975 gegründeten Zeitschrift für „Vergleichende Frankreichforschung“, lendemains, wird, ist Manfred Bock einer ihrer regelmäßigen und wohl ihr profiliertester sozialwissenschaftlicher Mitarbeiter. In seinem Editorial des Hefts 49 aus dem Jahr 1988 kündigt Nerlich die Mitherausgabe durch Bock als eine „inhaltliche Verbesserung“ an: er wird „endlich das Ressort kompetent und kontinuierlich betreuen […] bei dem wir bisher immer wieder zu Improvisationen gezwungen gewesen waren: das der Soziologie und Sozialgeschichte sowie der ökonomischen und politischen Aktualität“. Diesen Bereich, der für das innovative Doppelprofil der romanistischen Zeitschrift zentral ist, sollte Manfred Bock fast ein Vierteljahrhundert betreuen: gemeinsam mit dem für Kultur, Literatur und Medien verantwortlichen Michael Nerlich bis 1999 und von 2000 bis 2012 mit mir. Im Rahmen dieses Engagements sind zahlreiche Dossiers entstanden, deren Titel für die Bocksche Konzeption der Frankreichforschung symptomatisch sind: „Zur gesellschaftlichen Verantwortung der Geisteswissenschaft“ (Heft 59, 1990), „Französische Intellektuelle vor den ‚deutschen Ungewißheiten‘ der Zwischenkriegszeit“ (Heft 66, 1992), „Paul Diestelbarth oder die unterbrochene Revision des deutschen Frankreichbildes nach 1945“ (Heft 71/ 72, 1993), „Die Intellektuellen- Vereinigung Union pour la vérité in der Dritten Republik“ (Heft 78/ 79, 1995) oder „Mittler“ (Heft 86/ 87, 1997). In allen stehen Mittler und die Mittler-Problematik, und damit auch die Frage der Perzeption im Zentrum. Symptomatisch dafür ist eine kritische Revision des Selbstbildes der Romanistik. Dabei kommt Manfred Bocks Artikel „Zu Ernst Robert Curtius’ Ort im politisch-intellektuellen Leben der Weimarer Repub- DOI 10.24053/ ldm-2022-0010 109 In memoriam lik“ im Rahmen des Dossiers zur „gesellschaftlichen Verantwortung der Geisteswissenschaft“ besondere Bedeutung zu, nicht nur wegen ihres historischen Zeitpunkts 1990. Eingeleitet durch einen Artikel von Michael Nerlich, der Curtius mit Paul de Man gleichsetzt, wirft Bock Curtius zu Recht „seine aus der politischen Romantik übernommene ‚organische‘ Europa-Konzeption“ vor, die „ein nachweisbar revisionspolitisches Ziel und ansatzweise auch kulturhegemoniale Züge“ aufgewiesen habe. Auch wenn diese Einschätzung mit Curtius’ Französischer Geist im neuen Europa (1925) hätte relativiert werden können, weist sie das Verdienst auf, die einhellige Bewunderung des ‚großen‘ Romanisten in Frage zu stellen, und vielfältige Reaktionen belegen, dass dies in jeder Hinsicht gelungen ist. Mit dem Dossier zu französischen Intellektuellen der Zwischenkriegszeit erschließt Manfred Bock ein neues Forschungsfeld, wie der Einleitungsaufsatz dokumentiert: „Zur historischen Intellektuellen-Forschung in Frankreich“. Neben der Analyse und Präsentation der französischen Intellektuellenforschung (Michel Winock, aber auch Nicole Racine / Michel Trebitsch) entwickelt Bock das Konzept einer Vergleichenden Intellektuellenforschung, das er in der folgenden Jahrzehnten praktizieren und weiterentwickeln wird. Ein erstes, beeindruckendes Beispiel sind die beiden Bände Entre Locarno et Vichy. Les relations culturelles franco-allemandes dans les années 1930 ( CNRS -Éditions 1993), die er gemeinsam mit Reinhart Meyer-Kalkus und Michel Trebitsch herausgibt, die aber konzeptionell vor allem von Manfred Bock verantwortet werden, wie die beiden (nicht identischen) Einleitungsaufsätze, „Les relations culturelles franco-allemandes entre Locarno et Vichy. Un champ de recherches spécifique“ und „Zwischen Locarno und Vichy. Die deutsch-französischen Kulturbeziehungen der dreißiger Jahre als Forschungsfeld“ bezeugen. Dem folgen zahlreiche Aufsätze zur Intellektuellenproblematik, vor allem aber Großprojekte in Kooperation mit Michel Grunewald (Metz), etwa: Le discours européen dans les revues allemandes in vier Bänden (1996-2001) oder erneut mit Michel Grunewald vier Bände zum Milieu intellectuel en Allemagne (2002-2008). Daneben findet Manfred Bock auch die Zeit, gemeinsam mit Gilbert Krebs und Hansgerd Schulte die Berlin-Briefe Pierre Bertaux’ herauszugeben: Pierre Bertaux. Un normalien à Berlin. Lettres franco-allemandes 1927-1933 (2001), deren Umfeld sich anschließend ein Berliner Kolloquium widmet, dessen Beiträge er mit Gilbert Krebs 2004 herausgibt: Échanges culturels et relations diplomatiques. Présences françaises à Berlin au temps de la République de Weimar, deutsch 2005 als erster Band der edition lendemains: Französische Kultur im Berlin der Weimarer Republik. Kultureller Austausch und diplomatische Beziehungen. Noch 2012 nimmt er mit dem Beitrag „Nekrologe auf Widerruf. Legenden vom Tod des Intellektuellen“ an dem Schwerpunkt „Macht und Ohnmacht der Experten“ des Septemberheftes des Merkur teil. Und schließlich muss in diesem Zusammenhang der gemeinsam mit Friedrich- Martin Balzer und Uli Schöler verantwortete Band Wolfgang Abendroth - wissenschaftlicher Politiker. Bio-bibliographische Beiträge (2001) erwähnt werden, der mit dem Doktorvater auf die Kontinuität der wissenschaftlichen Arbeit Manfred Bocks verweist. 110 DOI 10.24053/ ldm-2022-0010 In memoriam Das Engagement im Rahmen des Deutsch-Französischen Instituts in Ludwigsburg findet nach der Pensionierung von Robert Picht 2005 ein Ende, als die Konzeption einer sozialwissenschaftlichen und kulturellen Frankreichforschung durch jene einer Politikberatung abgelöst wird. Mit einigen anderen Kolleginnen und Kollegen gibt Manfred Bock deswegen seine Mitherausgebertätigkeit am Frankreich-Jahrbuch auf. Diese Neu-Orientierung repräsentiert durchaus das Ende einer Epoche, wie sie mit dem sozialen Engagement der Frankreichforschung zu Beginn der 1970er Jahre begann. Es ist kein Zufall, dass etwa gleichzeitig auch die meisten der nie zahlreichen landeswissenschaftlichen Professuren in der Romanistik Umwidmungen und Stellenkürzungen zum Opfer fallen. Manfred Bock ist es zu verdanken, dass die von Michael Nerlich gegründete Zeitschrift lendemains bei dessen Wechsel auf eine Professur in Clermont-Ferrand im Jahre 2000 nicht eingestellt wird. Seitdem habe ich gemeinsam mit Manfred Bock unter nicht immer einfachen Umständen - was sich mit dem Wechsel zum Narr- Verlag 2004 änderte - diese ungewöhnliche, weil nie nur der Philologie gewidmete romanistische Zeitschrift bis 2012 weitergeführt, die seit 2013 von Andreas Gelz herausgegeben wird. Auch wenn es nicht nur wegen einer gewissen Rephilologisierung in der Romanistik, sondern auch wegen der zunehmenden Ersetzung der nationalvergleichenden Orientierung (Frankreichstudien) durch Area Studies und Europastudien immer schwieriger wird, sozialwissenschaftliche Beiträge für die Zeitschrift zu gewinnen, garantiert Manfred Bock bis 2012 das mit seinem Œuvre und seiner Person verbundene Profil. Zwei Bände der edition lendemains bringen dies umfassend zum Ausdruck. Die „Studien zu ausgewählten deutsch-französischen Mittlerpersönlichkeiten aus der ersten Hälfte des 20. Jahrhunderts“: Kulturelle Wegbereiter politischer Konfliktlösung (Band 2, 2005) und der voluminöse Band Versöhnung oder Subversion? Deutsch-französische Verständigungs-Organisationen und -Netzwerke der Zwischenkriegszeit (Band 30, 2014); insbesondere der zweite Band stellt in gewisser Weise das Vermächtnis eines Forscherlebens dar, das einer ihrer Geschichte bewussten Versöhnung zwischen Deutschland und Frankreich gewidmet war. Der Band des Jahres 2005 versammelt bis dahin erschienene Studien sowohl zu „Deutsche[n] Frankreich-Autoren“ (Otto Grauthoff, Ernst Robert Curtius, Victor Klemperer und Paul H. Distelbarth), zu „Französische[n] Deutschland-Autoren“ (Henri Lichtenberger, André François-Poncet, Pierre Viénot, Jacques Rivière, Félix Bertaux und seinem Sohn Pierre) als auch zu „Deutsch-französische[n] Debatten“ (Friedrich Sieburg - Pierre Viénot, Joseph Roth - Pierre Bertaux und Felix und Pierre Bertaux - Ernst Robert Curtius). Mit der Thematisierung von Mittlerfiguren - und d. h. in diesem Falle Intellektuellen und Schriftstellern - wird ein Defizit der Geschichts- und Sozialwissenschaften, aber auch der Kulturwissenschaft „ausgeleuchtet“ (Bock), und es sind gerade die bei Einzelstudien möglichen Differenzierungen, die es ermöglichen, der Komplexität dieser Beziehungen zumindest ansatzweise Rechnung zu tragen. Wie bei allen Studien bei Manfred Bock beeindruckt sowohl die detaillierte Dokumentation (nicht nur mit Hilfe von Archiven, sondern auch Privatarchiven) als auch die methodisch-theoretische Konzeption für die Funktion von Mittlerpersönlichkeiten DOI 10.24053/ ldm-2022-0010 111 In memoriam für transnationale oder übernationale Wertesysteme und Verständigungspolitik. Ohne ein solches Differenzierungs- und Detailwissen ist eine adäquate Perzeption des jeweils anderen nicht möglich, und dieses fehlende Wissen um den/ die Anderen macht sich in den deutsch-französischen Beziehungen zunehmend bemerkbar. Im „Vorwort“ zum Band Versöhnung oder Subversion weist Manfred Bock auf das eigene „wissenschaftliche Engagement und den lebensgeschichtlichen Verkehr“ hin, in deren Kontext die zwölf großen Studien zu Verständigungs-Organisationen und -Netzwerken entstanden sind. Wenn er den Band Nicole Racine und Michel Trebitsch widmet, so wegen der in Zusammenarbeit mit ihnen entwickelten Konzeption einer Intellektuellen-Geschichte im Zusammenhang einer europäischen Sozialgeschichte. Vor allem mit Hilfe der interkulturellen Perzeptions- und Rezeptionsprozesse und der „transferanalytischen Erweiterung und Differenzierung der Rezeptionsforschung“ will Bock die bilateralen Gesellschafts- und Kulturbeziehungen der Zwischenkriegszeit, wie sie Organisationen und Netzwerke intendieren und ermöglichen, als (vergessene) Voraussetzung der „Versöhnung“ und des zivilgesellschaftlichen Engagements in der Zeit nach 1945 nicht nur wiederentdecken, sondern rehabilitieren. Seine Untersuchungen von zum Teil in Vergessenheit geratenen Organisationen/ Institutionen wie der Ligue des Droits de l’Homme, der Union pour la Vérité, der Deutsch-Französischen Gesellschaft oder der Ligue d’Études Germaniques und anderen, bis hin zu den „Austauschstrukturen der Avantgarde zwischen Berlin und Paris von 1925 bis 1936“, versuchen mit Erfolg, die Vielfalt und Komplexität dieser „Versöhnungs-Landschaft“ zu rekonstruieren, die „eine wichtige Erfahrungsgrundlage für die Neugestaltung der bilateralen Verhältnisse nach dem Zweiten Weltkrieg wurden“ (Klappentext). Eine mehr als 150 Seiten umfassende bibliographische Zusammenstellung schließt den Band ab. In den Jahren zunehmender gesundheitlicher Probleme gelingt es Manfred Bock 2019, ein seit langem geplantes regionales und persönliches Projekt abzuschließen, Die Wolff von Gudenberg. Zur Sozialgeschichte und Familienchronik eines Adelsgeschlechts der Region Kassel (Kassel UP ), dem ursprünglich eine Studie mit dem Titel Ein internationaler Intellektuellenzirkel der Nachkriegsjahrzehnte im Raume Kassel: Der Meimbressener Kreis folgen sollte, ein Diskussionsforum, an dem er selbst als Jugendlicher teilgenommen und das seine intellektuelle Biographie geprägt hat. Dazu sollte es nicht mehr kommen. Mit seinen Arbeiten ist Manfred Bock in zahlreiche Frankreichforscher-Netzwerke eingebunden, die er oft maßgeblich prägte. In Frankreich gilt dies vor allem für die am IHTP und im CNRS tätige Gruppe zur Intellektuellenforschung um Nicole Racine und Michel Trebitsch sowie die Metzer Forschungsgruppe zu deutsch-französischen Beziehungen des 20. Jahrhunderts um Michel Grunewald, mit dem ihn eine jahrzehntelange Freundschaft verbindet, und in Deutschland für das Deutsch-Französische Institut zu Zeiten von Robert Picht, als, längere Zeit nicht ohne Erfolg, versucht wird, die Konzeption einer Frankreich- oder Landeswissenschaft als einen Teil der Romanistik nicht nur zu entwickeln, sondern diese ‚Säule‘ als einen Teil des Faches auch institutionell zu verankern. In anderer Weise gilt dies auch für lendemains, die 112 DOI 10.24053/ ldm-2022-0010 In memoriam Manfred Bock ebenso lange wie ihr Gründer (mit)herausgegeben hat, wobei er den sozialwissenschaftlichen Schwerpunkt der Zeitschrift personifiziert und damit entscheidend dazu beiträgt, der Zeitschrift ein unverwechselbares und innovatives Profil zu verschaffen: die zwölfjährige Zusammenarbeit für diese Zeitschrift gehört zu den produktivsten und prägendsten beruflichen Erfahrungen, die ich machen durfte. Manfred Bock repräsentiert schon wegen seiner akademischen Sozialisation im Marburg der 1960er Jahre einen sozial- und ideologiekritischen Aufbruch, mit dem der Versuch verbunden ist, Studium und Forschung auf die Gesellschaft hin zu öffnen, und das heißt: die Fächer und ihre Struktur, in diesem Falle die Romanistik, zu verändern. Mit seinem Forschungsprofil einer historischen Intellektuellenforschung, den Untersuchungen transnationaler Gesellschafts- und Kulturbeziehungen, der Wegbereiter und Mittler zwischen Nationen und von nationalen und transnationalen Milieus und Netzwerken sowie der damit verbundenen Ideengeschichte steht Manfred Bock für eine ‚andere‘ Romanistik, die sich auch dem ‚Kontext‘ widmet, in dem Sprache und Literatur sich entwickeln. Doch seine Hoffnung, Elemente der civilisation, zu deren Konzeption und Institutionalisierung in der französischen Germanistik er maßgeblich beigetragen hat, für die Romanistik akzeptabel und mit ihr kompatibel zu machen, stellt sich als eine Illusion heraus, die er am Ende seines wissenschaftlichen Engagements verloren geben muss, auch weil die Romanistik, anders als die französische Germanistik, mehrere Sprachen und Literaturen vereint, von denen in dieser Zeit gerade das Spanische immer wichtiger wird. Trotz vielfältiger Verbindungen zwischen den Intellektuellennetzwerken, etwa jenem von Pontigny oder dem Colpacher Kreis, beide mit André Gide und Ernst Robert Curtius, und der (französischen) Literatur, zeigt sich die Romanistik einer kulturwissenschaftlichen Sozialwissenschaft gegenüber für ihr eigenes Fächerspektrum reserviert bis desinteressiert. Manfred Bock ist 2005eine 800seitige Festschrift, herausgegeben von François Beilecke und Katja Marmetschke, gewidmet worden: Der Intellektuelle und der Mandarin. Für Hans Manfred Bock (Kassel UP , Intervalle 8). Neben mehr als 30 Beiträgen enthält sie auch eine Bibliographie sämtlicher bis zu diesem Zeitpunkt veröffentlichter Arbeiten. Und im Rahmen einer Zeremonie in Metz ist er 2008 zum Chevalier des Palmes académiques ernannt worden. So ist Manfred Bock zum Grenzgänger und Mittler zwischen den Sozialwissenschaften und der Romanistik geworden. Gerade in deren Distanz zu seinen Forschungsprojekten wird deren Bedeutung umso deutlicher. Die Kultur- und Gesellschaftsbeziehungen zwischen Frankreich und Deutschland, aber auch in ihrer europäischen Dimension, sind durch seine Studien nicht nur in außergewöhnlich gut dokumentierter Weise und häufig erstmals aufgearbeitet worden, kultur- und sozialgeschichtliche Forschungen, insbesondere wenn sie der Zwischenkriegszeit gewidmet sind, werden an ihnen nicht vorbeigehen können. Dem Wikipedia-Artikel zu Hans Manfred Bock ist ein Foto des Jahres 2004 beigefügt, das ihn während eines Vortrags in der Bibliothek von Cerisy zeigt, und das gewissermaßen symbolische Bedeutung besitzt. In der Folge von Pontigny während der Zwischenkriegszeit widmet sich Cerisy seit der Nachkriegszeit der intellektuellen DOI 10.24053/ ldm-2022-0010 113 In memoriam Diskussion zwischen den Fächern und über ihre Grenzen hinaus. Vielleicht ist das der nicht nur symbolische Ort, an dem sich Manfred Bock wirklich zu Haus fühlen konnte. BUCHTIPP Andreas Gelz, Christian Wehr (éds.) Biofictions ou la vie mise en scène Perspectives intermédiales et comparées dans la Romania edition lendemains 49 1. Auflage 2022, 252 Seiten €[D] 68,00 ISBN 978-3-8233-8376-5 eISBN 978-3-8233-9376-4 Source de multiples innovations esthétiques depuis le début des années 2000 au moins, le genre hybride des biographies fictionnelles ou fictions biographiques a conquis des parts de marché considérables sous différentes formes littéraires et médiales : romans, biopics au cinéma ou à la radio, bandes dessinées, ou encore constructions biographiques sur les réseaux sociaux. C’est sous la forme de leur différentes médialités que seront considérées les biofictions, dans ce volume qui réunit des spécialistes français et allemands de la question. Les exemples proviendront de différentes littératures de la Romania, pour prendre en compte la mondialisation croissante d’un phénomène littéraire jusqu’à présent essentiellement analysé dans le contexte de la littérature francophone. Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG \ Dischingerweg 5 \ 72070 Tübingen \ Germany Tel. +49 (0)7071 97 97 0 \ Fax +49 (0)7071 97 97 11 \ info@narr.de \ www.narr.de BUCHTIPP Elissa Pustka (éd.) La bande dessinée Perspectives linguistiques et didactiques Romanistische Fremdsprachenforschung und Unterrichtsentwicklung, Vol. 24 1. Auflage 2022, 542 Seiten €[D] 88,00 ISBN 978-3-8233-8486-1 eISBN 978-3-8233-9486-0 Pour la première fois, un ouvrage collectif traite de la bande dessinée française et francophone d’un point de vue linguistique et didactique. 17 contributions de romanistes, d’expert.e.s en bandes dessinées et d’enseignant.e.s de FLE présentent un tour d’horizon de ce vaste domaine, allant de classiques comme Tintin, Astérix ou Les Schtroumpfs à des publications plus récentes comme Les Cahiers d’Esther, Les Vieux Fourneaux ou la BD de non-fiction féministe. Les contributions linguistiques analysent la grammaire de l’oral mise en scène (négation, dislocations, etc.), différentes variétés (langage des jeunes, français québécois) et des problèmes de traduction. Les contributions didactiques montrent le potentiel de la BD pour l’enseignement du FLE au lycée et à l’université (notamment dans les pays germanophones). Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG \ Dischingerweg 5 \ 72070 Tübingen \ Germany Tel. +49 (0)7071 97 97 0 \ Fax +49 (0)7071 97 97 11 \ info@narr.de \ www.narr.de