eJournals lendemains 37/146-147

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Narr Verlag Tübingen
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2012
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Louis Reynaud (1876-1947): l’itinéraire d’un germaniste proche de l’Action française

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2012
Michel Grunewald
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18 Dossier Michel Grunewald Louis Reynaud (1876-1947): l’itinéraire d’un germaniste proche de l’Action française Parmi les germanistes français de sa génération, Louis Reynaud (1876-1947) fut assurément une sorte de „franc-tireur“. Sympathisant de l’Action française, 1 cet universitaire n’a fait partie d’aucun des réseaux qui ont existé au sein de la germanistique française au cours de la première moitié du XX e siècle. Il ne publia pas dans les revues de son champ disciplinaire et on ne trouve aucune contribution de sa plume dans les volumes d’hommages dédiés au cours des années 1920 et 1930 aux germanistes de la Sorbonne. 2 Et pourtant, cet ancien élève de l’Ecole normale supérieure, né à Saint Peray 3 (Ardèche), le 18 mars 1876, entré à l’Ecole 4 en 1896 5 et reçu troisième à l’agrégation d’allemand en 1900, 6 fut parmi les germanistes de sa génération l’un des plus productifs. Nommé aux lycées de Montpellier 7 puis de Besançon après son succès à l’agrégation, il entame tout de suite la préparation d’une thèse de doctorat d’Etat consacrée à Nikolaus Lenau. Cette thèse, achevée alors qu’il était lecteur à l’université de Greifswald, 8 Reynaud l’a soutenue en Sorbonne le 28 janvier 1905, quelques mois avant son 29 ème anniversaire. 9 Après avoir pendant près de quatre années déposé sans succès une série de candidatures 10 en vue de son intégration dans l’enseignement supérieur, Louis Reynaud fut nommé maître de conférences de langue et littérature allemande à l’université de Poitiers à compter du 1 er janvier 1909. 11 Promu professeur adjoint le 1 er janvier 1911, il obtint le 1 er novembre 1914 à l’université de Clermont-Ferrand une chaire de littérature étrangère 12 qu’il occupa jusqu’à la fin de l’année universitaire 1930-1931, puis rejoignit le 1 er octobre 1931 l’université de Lyon, appelé à la succession d’Auguste Ehrhard, titulaire dans la métropole rhodanienne de la chaire de langue et littérature allemandes. 13 Elu le 21 juillet 1935 à l’Académie des sciences morales et politiques (section de morale) en qualité de membre correspondant, 14 il fut admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1 er octobre 1936. 15 Il décéda à Lyon le 26 mars 1947. Pendant sa carrière active, en plus de sa thèse principale, de sa thèse complémentaire 16 et de deux éditions de textes, 17 Louis Reynaud publia sept livres, dont deux sont des ouvrages relatifs à des questions d’histoire littéraire 18 et cinq des études qui ont pour sujet les relations intellectuelles et culturelles franco-allemandes ainsi que l’“âme allemande“. 19 Ces livres, dans lesquels l’auteur ne faisait aucun mystère de son positionnement idéologique ni d’options scientifiques potentiellement sujettes à controverse, furent accueillis avec attention et, souvent, avec une certaine réserve, aussi bien en France qu’à l’étranger 20 - en particulier en Allemagne. 21 Après son départ à la retraite et avant la guerre, devenu membre 19 Dossier correspondant de l’Institut, Louis Reynaud fit paraître un livre sur la „démocratie en France“ et une version revue et actualisée de son ouvrage sur l’“âme allemande“ qui attestent encore plus nettement que les précédents ses préférences idéologiques. 22 Pendant la guerre, Reynaud, qui se faisait désormais présenter comme historien, publia dans l’Illustration et la Revue des Deux Mondes respectivement 21 et 2 articles. 23 Ces textes, de tendance „maréchaliste“, avaient pour thème en particulier les causes de la défaite essuyée par la France de la Troisième République face à l’Allemagne nazie. Le cheminement de Louis Reynaud est celui d’un germaniste qui, sans abandonner complètement les études littéraires auxquelles il avait voué ses premiers écrits, adopta progressivement des positions de plus en plus accentuées dans le débat politique et au sujet des relations franco-allemandes. C’est ce cheminement que nous nous proposons de retracer en trois phases, en centrant l’analyse sur les ouvrages de Reynaud qui témoignent de sa vision de l’Allemagne et des relations franco-allemandes, après avoir tout d’abord exposé les présupposés idéologiques et scientifiques de ce germaniste tombé aujourd’hui dans l’oubli. Un adversaire du „germanisme“ universitaire - considérations idéologiques et méthodologiques Sympathisant de l’Action française, partisan de valeurs chrétiennes traditionnelles, Louis Reynaud laisse transparaître sans ambiguïté dans tous ses écrits ses préférences idéologiques: il est hostile aux francs-maçons, aux juifs et à la République qu’il n’estime pas conforme au génie de la France, 24 car fondée sur des principes importés d’Angleterre. Sur le plan strictement universitaire et intellectuel, comme Maurras 25 et ses amis, il ne manque pas une occasion de dénoncer l’“abdication“ depuis le XIX e siècle de la „science française“ „devant la ‘science allemande’“ 26 et ne fait aucun mystère de l’hostilité que lui inspire le romantisme, 27 dont il ne cesse de mettre en évidence les origines étrangères, anglo-saxonnes et germaniques. Cédant à un goût prononcé pour la polémique, relevé déjà lors de sa soutenance de thèse, 28 il poursuit d’une véritable vindicte Madame de Staël et tous les universitaires qui, tout au long du XIX e siècle, ont ancré dans l’esprit des Européens et singulièrement des Français l’idée que „les Germains étaient le sel de la terre [et que] la mythologie des races nouvelles, leur morale, leur philosophie, leur littérature, leur art, leurs institutions avaient des racines germaniques“. 29 Au nom de ce programme „antigermaniste“, 30 dès sa première étude sur les relations franco-allemandes, Louis Reynaud s’inscrit en faux contre les thèses des „teutomanes“ 31 qui se réfèrent à Tacite 32 pour vanter l’authenticité des Germains et présenter ceux-ci en quelque sorte comme les ancêtres de la civilisation allemande. Contrairement à tous ceux qu’il accuse de procéder à une lecture non critique de Tacite, il dénonce les erreurs contenues à son avis dans la Germania et se fixe comme objectif de rétablir ce qu’il estime la réalité historique et battre en brè- 20 Dossier che toutes les théories héritées des romantiques et favorables à une vision positive des Germains. Ceux-ci, nous dit-il, étaient avant tout des pillards batailleurs et ivrognes, 33 et le seul auteur qui les ait décrits tels qu’ils étaient réellement fut Jules César qui „les considérait, dit-il, avec raison comme de purs sauvages [et] fut frappé de leur déloyauté“. 34 Resituées dans le débat intellectuel français du début du XX e siècle, la dénonciation du culte romantique des Germains et la démythification de Tacite correspondent, chez Louis Reynaud, à une stratégie clairement repérable: il s’agit pour lui, non seulement de prendre le contrepied radical des écrits de ses collègues qu’il estime contaminés par la littérature scientifique d’Outre-Rhin, mais également d’agir à l’instar d’Henri Massis, Pierre Lasserre etc. 35 en fer de lance d’une véritable entreprise de reconquête intellectuelle dirigée contre la nouvelle Sorbonne. C’est dans cet esprit que dans l’introduction des Origines de l’influence française en Allemagne, il s’appuie notamment sur les ouvrages du celtologue Henri D’Arbois de Jubainville 36 pour opposer aux affirmations des tenants de la „science allemande“ décriés par lui la thèse selon laquelle, avant même la formation de l’Europe gallo-romaine, ce furent les Celtes, donc, selon sa conception, les ancêtres des Français, qui civilisèrent l’espace européen. Ce sont eux, nous dit-il, qui, non seulement, ont enseigné aux Germains „la culture du sol“, 37 mais, contrairement à ce qu’affirme Tacite, ce sont eux aussi qui ont apporté aux Germains les divinités qu’ils ont ensuite adorées. Car, pour lui, il ne fait pas de doute que Wotan est à l’origine une divinité celte, tout comme il estime également établi que l’Edda est d’origine celte et non pas germanique. 38 Révélateurs des clivages idéologiques qui existaient au début du XX e siècle au sein de l’Université française, les écrits de Louis Reynaud reposent sur deux options scientifiques qui permettent en fin de compte à celui-ci de réécrire à sa façon l’histoire des relations franco-allemandes. La première de ces options est le choix (paradoxal à la limite en fonction de que Reynaud écrit par ailleurs sur Hegel) d’une vision hégélienne de l’histoire teintée de darwinisme social pour décrire les relations franco-allemandes; cette vision, il l’expose dans les termes suivants au début de la préface des Origines de l’influence française en Allemagne: Rien n’arrive que ce qui doit nécessairement arriver. Il n’y a pas plus de coups d’Etat dans l’histoire de la civilisation que dans l’histoire politique. De même qu’un régime, quel qu’il soit, ne succombe aux entreprises de ses adversaires que lorsqu’il s’est au préalable ruiné lui-même, ainsi une civilisation ne subit la tutelle d’une autre que lorsqu’elle a épuisé sa formule et n’a plus de forces vives à lui opposer. Les incidents qui marquent la dépossession d’une forme de gouvernement ou d’un idéal social par une puissance adverse restent intéressants à coup sûr, mais ces manifestations superficielles, qui sont le feuilleton de l’histoire, ne doivent en aucun cas masquer, pour l’homme qui réfléchit et croit à la logique des faits, la sourde lutte qui se livre dans les profondeurs de la réalité vivante entre les principes opposés qui se ruent éternellement les uns sur les autres. Car tout est lutte et tout est victoire dans l’histoire. Les batailles 21 Dossier du dehors ne sont que de faibles symboles des furieuses mêlées du dedans. ‘L’histoire n’est pas le sol de la félicité’, disait Hegel.39 En plus de cette vision générale de l’histoire, Reynaud, comme une grande partie des universitaires de sa génération, est un adepte de la „psychologie des peuples“. Selon une démarche partagée également par Edmond Vermeil 40 et Eduard Wechßler, 41 il estime que le moteur véritable du comportement des peuples est leur psychologie. 42 C’est ce qui le conduit à ériger au rang d’axiome l’idée que Français et Allemands représentent deux principes fondamentalement opposés l’un à l’autre. D’où l’organisation de l’ensemble de ses publications à partir d’un schéma contrastif - voire antagoniste - destiné exclusivement à faire ressortir ce qui est censé séparer Français et Allemands. En fonction de ce modèle dont la dimension essentialiste et dogmatique est évidente, Louis Reynaud présente les Allemands comme un peuple dont l’“âme“ se distinguerait, nous dit-il en s’appuyant sur Taine, par son „caractère instinctif“, „primitif“ qui apparaîtrait dans le „lien étroit“ qui rattacherait, chez les représentants de la „race allemande“, „les facultés supérieures aux forces subconscientes ou inconscientes de la vie profonde“. 43 Peuple dont le tempérament serait régi essentiellement par les pulsions de son „subconscient“, la „sensibilité“ et les „puissances affectives de [l’]être“, 44 les Allemands selon Reynaud ont connu un „singulier développement des instincts et des sentiments“ 45 dont l’expression la plus achevée serait la langue parlée Outre-Rhin, avec ses structures qui reflèteraient „fidèlement l’organisation de ces tempéraments […] développés par leurs seules extrémités, instinctifs et rêveurs à la fois, pratiques et sentimentaux, érudits et métaphysiciens, mais dépourvus de cette solide raison centrale qui est la faculté par excellence de l’esprit roman et en première ligne de l’esprit français“. 46 Dans le tableau que Louis Reynaud brosse de leur comportement, les Allemands apparaissent avant tout comme des individualistes 47 qui auraient une propension à l’“anarchie“ ainsi qu’au particularisme, qui entraînerait chez eux une passivité qui en ferait un peuple conservateur et, contrairement aux Français, généralement peu sensible aux imperfections de la société. 48 Et cette inertie congénitale de la „race allemande“ aurait entraîné dans le développement de la civilisation d’Outre-Rhin non seulement „un retard éternel [par rapport aux] civilisations voisines“, 49 mais également dans le sein de la société allemande une profonde fracture entre les élites de cette partie de l’Europe et la masse de la population. 50 Dès le X e siècle, ce phénomène aurait été repérable, et il n’aurait fait que s’amplifier au fil des générations pour aboutir, au XIX e siècle, au moment de l’éveil des nationalités, à l’émergence Outre-Rhin d’un patriotisme imposé d’en haut, de nature abstraite et porté exclusivement par une minorité d’intellectuels qui, à l’inverse de la majorité du peuple allemand, aurait manifesté une tendance affirmée au fanatisme. 51 A la différence des Allemands, dans la vision de Reynaud, les Français ne sont pas un peuple coupé de ses élites, mais une nation fortement homogène, 52 étroi- 22 Dossier tement unie à ses élites. Cette homogénéité serait inséparable de l’autre trait fondamental de la psychologie collective française, lié à la présence de la „solide raison centrale“ 53 déjà évoquée, qu’il estime génératrice d’une „unité morale et politique“ et d’une „sociabilité“ 54 remarquables, voisinant avec un „instinct de progrès“ qui „a engendré, à toutes les périodes de [la] civilisation [française] une formidable fermentation d’idées“. 55 Le schéma contrastif dont viennent d’être exposés les aspects essentiels est d’une importance déterminante si on veut comprendre les thèses défendues par Louis Reynaud sur la nature des relations franco-allemandes. Ces thèses accueillies avec scepticisme en particulier par Charles Andler 56 et Edmond Vermeil, 57 vont à l’encontre de tous les points de vue défendus par les tenants de l’idée d’un métissage des cultures française et allemande. Elles reposent sur deux affirmations dogmatiques érigées en postulats par Reynaud. Le premier de ces postulats - conforme également aux vues de l’Action française - est que tout ce qui en Europe, au plan intellectuel, politique et artistique, symbolise la civilisation moderne est l’œuvre de la France. 58 Le second de ces postulats découle étroitement du premier et Reynaud l’énonce ainsi: „la domination permanente de la civilisation française sur la civilisation allemande […] offre un caractère d’absolue nécessité historique“. 59 Une influence française positive - une influence allemande négative En fonction des deux postulats qui sous-tendent la représentation qu’il propose des relations franco-allemandes, dans les trois ouvrages qu’il leur consacre avant 1914 et au cours des années 1920 et qui constituent le socle de tout ce qu’il a écrit pendant sa carrière à ce sujet, Louis Reynaud donne de celles-ci une vision qui repose sur deux idées qui dans ses écrits ont valeur d’axiomes: l’influence française en Allemagne est par définition civilisatrice, alors que l’influence allemande en France s’est révélée dangereuse pour l’identité française. De l’influence civilisatrice de la France en Allemagne Pour Louis Reynaud - et c’est une des raisons des critiques que lui adressent ses pairs 60 -, un fait ne souffre aucune mise en doute: sans la France, l’Allemagne ne disposerait ni d’une langue ni d’une littérature nationales 61 et, sans la France, elle ne se serait pas formée en tant qu’entité politique et territoriale. 62 Sur la base de cette certitude érigée en dogme, Reynaud considère que les périodes fastes de l’histoire allemande sont celles qui vont du XII e au XIII e siècle et du XVII e au début du XVIII e siècle, au cours desquelles l’influence française a atteint Outre-Rhin son apogée et fut génératrice pour tous de bienfaits à tous les niveaux: 23 Dossier A deux reprises différentes, donc, le génie français affirmait son action dans les destinées en Allemagne par des effets analogues. Il suscitait de toutes parts chez elle une vie supérieure intense et instaurait le régime de l’ordre. Il mettait de la régularité autour de l’homme et dans l’homme. Il lui faisait une nature, un Etat, une société parfaitement disciplinés et lui demandait de prolonger cette discipline jusqu’en lui-même. C’est vers ce résultat dernier que convergeaient tous les efforts. Qui pourrait nier que ce fût là ce dont l’Allemagne, perpétuellement anarchique et instinctive, avait le plus besoin? Qu’on ne cherche pas à épiloguer sur l’opportunité ou la non-opportunité d’une intervention semblable. Dans la vie des peuples il n’arrive que ce qui doit arriver. Ce n’est pas le hasard, mais une mystérieuse nécessité qui leur impose, au moment voulu, les influences qui leur seront le plus utiles.63 Et ce sont ces influences utiles, poursuit Reynaud, qui permirent finalement aux Allemands de se „sentir [...] pourvus de moyens d’action nécessaires à l’élaboration d’une civilisation nationale, [et de revendiquer] fort légitimement le droit de se développer désormais selon leur loi propre“. 64 Dans son tableau de l’influence française en Allemagne, Louis Reynaud ne borne pas son propos à une chronique qui se réduirait à recenser les emprunts faits à des modèles français à l’époque de la société courtoise ou à celle de la stabilisation de l’absolutisme. Son objectif est en fait global et consiste à démontrer que c’est à toutes les époques et singulièrement aux moments privilégiés d’affirmation identitaire des Allemands, que l’influence française a été pleinement à l’œuvre en terre germanique. Cette idée occupe une place centrale dans sa présentation de la Réforme et du Sturm und Drang. La thèse que Louis Reynaud défend en ce qui concerne la Réforme luthérienne est simple: il y voit d’une part „l’expression la plus marquée de l’Allemagne libérée de la fin du Moyen Age“ 65 et la confirmation du „sourd antagonisme qui se manifestait depuis si longtemps entre le génie germanique et le génie celto-roman“. 66 Mais il considère d’autre part que cette vision ne recouvre qu’un aspect de ce mouvement et passe en fait sous silence ce qui est essentiel: comme toutes les manifestations de la civilisation en terre germanique, sans „un secours extérieur“, nous dit-il, la Réforme protestante n’aurait pas pu voir le jour en Allemagne. 67 Et la conviction qu’il veut faire passer est que „la Réforme [...] luthérienne [...] n’est allemande ni par ses origines lointaines, ni peut-être par ses origines immédiates“, 68 car en faisant de la notion de justification du chrétien par la foi l’élément nodal de sa doctrine, Luther n’aurait en réalité que repris l’enseignement de Lefebvre d’Etaples, donc d’un Français. D’où la formule-choc sur laquelle Reynaud conclut son évocation de la Réforme: „Le luthéranisme a donc eu pour foyer primitif Saint- Germain-des-Prés et non Wittenberg.“ 69 C’est la même idée qu’au sujet de la Réforme que Louis Reynaud veut accréditer quand il parle du Sturm und Drang. Mais cette fois, ce n’est plus une France sûre d’elle-même qu’il voit à l’œuvre. Car, à travers Rousseau, selon lui „le chef du Sturm und Drang allemand“, 70 ce serait une France saisie de doute envers ellemême et mettant de ce fait en question son propre modèle „classique et aristocrati- 24 Dossier que“ qui aurait elle-même donné à l’Allemagne „le signal de la révolte [...] pour combattre l’influence française“. 71 L’idée globale que Reynaud veut faire passer, lorsqu’il évoque, du Moyen Age à Rousseau, l’“influence“ française en Allemagne est en définitive tout à fait représentative du nationalisme défensif qui avait vu le jour dans la droite française après la défaite de 1871. 72 Comme pour tous les représentants de cette tendance, il ne fait pas de doute pour Reynaud que la „domination [...] de la civilisation française sur la civilisation allemande“ 73 a été permanente à toutes les époques. Mais la façon dont s’est exercée cette influence est en même temps la preuve que celleci - en particulier à compter du XVIII e siècle - est devenue au fil du temps le résultat de véritables actes de trahison commis par envers la France par une partie des élites françaises. Cette idée joue dans les analyses de Reynaud sur l’influence allemande en France un rôle déterminant. L’influence allemande en France et ses dangers Telle que Louis Reynaud l’envisage, la relation franco-allemande ne peut se développer de manière satisfaisante que si les Allemands reconnaissent la supériorité de la France à leur égard et acceptent par voie de conséquence comme modèle la civilisation française. C’est ce qui s’est passé, selon lui, en dehors de l’épisode de la Réforme, jusqu’au XVIII e siècle. Depuis lors, en revanche, comme ses amis de l’Action française, il estime que l’Hexagone a été la cible d’une véritable „invasion“ 74 allemande qui, depuis la seconde moitié du XIX e siècle, a provoqué le déclin de la France. Reynaud ne se prononce pas pour une fermeture de la France à l’égard de l’Allemagne. Il estime par exemple qu’au Moyen Age, l’arrivée des Francs, peuple germanique, en Gaule 75 a permis une régénération de l’Europe occidentale. 76 De même, à travers ce qu’il écrit du calvinisme, il suggère qu’au XVI e siècle la France est parvenue à valoriser à son profit sur un socle de valeurs „roman“ l’idée de Réforme après que celle-ci se fut imposée en Allemagne. 77 Autant, dans l’esprit de Louis Reynaud, la France du XVI e siècle était suffisamment forte pour se confronter avec profit à des ferments étrangers et les assimiler sans péril pour son intégrité intellectuelle et culturelle, autant celle du XVIII e siècle avait perdu cette force. C’est cette idée qui constitue la thèse fondamentale de son livre sur L’influence allemande en France au XVIII e et au XIX e siècle, 78 qui date de 1922, et que l’on peut résumer ainsi: parce que la France s’était prise à douter d’elle-même après la fin du règne de Louis XIV, sa substance même a été mise en péril et, par voie de conséquence, elle s’est montrée à nouveau réceptive à „l’action des peuples du Nord, interrompue depuis la Réforme“. 79 Cette manière pour Louis Reynaud d’introduire en 1922 le tableau qu’il dresse de l’influence allemande en France prend dans le contexte franco-allemand de l’immédiat aprèsguerre une coloration tout à fait précise. Dans le climat d’antigermanisme qui perdure après 1918, la thèse qu’il veut faire passer est que, si, à partir d’une certaine 25 Dossier époque, les Allemands ont su imposer leur influence intellectuelle aux Français et ont essayé de „changer les assises“ mêmes de l’esprit français, 80 c’est parce que les Français eux-mêmes se sont reniés et ont ouvert la brèche qui a permis à des passeurs allemands et français d’introduire dans l’Hexagone les ferments d’un esprit étranger dont l’action, exercée sans contrepoids, ne pouvait être que néfaste à la pérennité de la culture française. Parmi tous les passeurs qui ont conduit le „travail de désagrégation“ 81 entraîné à son avis par l’ouverture de la France à l’Allemagne, c’est Madame de Staël qui constitue la cible essentielle de Louis Reynaud. Le portrait qu’il brosse d’elle est organisé autour d’un leitmotiv destiné, dans la conjoncture qui domine au moment où paraît son étude sur l’influence allemande en France, à la discréditer et à la disqualifier aux yeux de tout Français animé de sentiments patriotiques. La fille de Necker, dit-il, n’est pas française, mais „de sang germanique“; 82 c’est une „protestante à l’allemande“, de „sentimentalité intempérante“ 83 qui, influencée par Schlegel et la haine qu’elle vouait à Napoléon, s’est engagée sur la voie du piétisme et d’un individualisme effréné. 84 C’est cet esprit, assure-t-il, qui inspire De l’Allemagne, appel „à la révolte intellectuelle contre la France“ adressé aux Allemands et brûlot destiné à „imposer“ aux Français l’“idéal allemand“, au moment où la „défaite intellectuelle de l’Empire“ symbolise l’échec de la „résistance au germanisme“ dont Napoléon 1 er avait été en France le symbole. 85 Mais dans l’histoire de ce que Louis Reynaud assimile à une „invasion“ de la France par une pensée étrangère au génie de son peuple, Madame de Staël n’a en fin de compte eu qu’un rôle d’initiatrice d’une évolution qui ne fit que s’aggraver au fil des années pour aboutir à un reniement presque complet des Français par eux-mêmes, et qui se traduisit, après la chute de la Monarchie de Juillet, par une véritable capitulation des élites hexagonales face à l’Allemagne. 86 Parmi ceux qu’il tient pour les coupables principaux de ce reniement, Reynaud mentionne Michelet, 87 Taine, 88 mais surtout Renan, „âme molle et imprécise“, 89 et, selon lui, prototype le plus achevé de l’intellectuel subjugué par le chant des sirènes germaniques. 90 Le jugement de Louis Reynaud sur Renan est très éclairant quant à la manière dont il envisage d’éventuels échanges entre la France et l’Allemagne lorsque ceux-ci ont lieu à l’époque moderne ou contemporaine. Le cas de l’auteur de l’Avenir de la science confirme dans son esprit que contrairement à l’influence française en Allemagne, l’influence allemande, en revanche, était pour la France porteuse de risques et ne pouvait, finalement, que se révéler délétère pour elle et, par voie de conséquence, pour la cause de la civilisation. Pour comprendre la vision unilatérale des choses que défend ici Reynaud, il faut se situer au plan idéologique et politique. Comme tous les tenants du nationalisme défensif qui avait vu le jour à la fin du XIX e siècle, Louis Reynaud condamne a posteriori Renan et ses collègues parce qu’il les juge coupables d’avoir cédé à un „culte idolâtrique de l’Allemagne“ générateur d’“aveuglement“ et responsable à son avis de la catastrophe de 1870. 91 Cet aveuglement et cette emprise de l’Allemagne sur la France 26 Dossier n’auraient pas cessé après la défaite de 1871, mais se seraient au contraire étendus ensuite à tous les domaines de la vie de la société française, que ce soit par l’introduction du kantisme, machine de guerre destinée à éradiquer le catholicisme au profit du „pur athéisme“, ou par l’importation de la philosophie de Schopenhauer et de son „matérialisme subtil“, 92 ou bien encore par la diffusion du socialisme marxiste qui aurait été à l’origine de l’antipatriotisme et de l’antimilitarisme qui auraient entre 1900 et 1914 paralysé la France au moment où se profilait la guerre qui allait mettre à feu et à sang l’Europe pendant plus de quatre ans. 93 Plaidoyer pour un „tête-à-tête“ franco-allemand et pour une vision „objective“ du régime national-socialiste Dans les écrits de Louis Reynaud, le début des années 1930 marque un tournant. Après avoir publié jusqu’à la fin des années 1920 des livres essentiellement consacrés à des questions de portée culturelle et ne s’être intéressé que de façon plutôt marginale à des problèmes d’actualité immédiate, à partir de 1930, Louis Reynaud s’exprime de manière directe et, souvent, sans souci de réserve scientifique, sur les relations politiques entre la France et l’Allemagne. Il le fait, tout en recyclant les thèmes qu’il avait développés depuis 1913 sur la psychologie collective des Français et des Allemands ainsi que sur l’“influence“ exercée par chacun des peuples sur l’autre et en mettant les idées qui ont toujours été les siennes au service d’une critique globale de la politique étrangère française - et singulièrement d’Aristide Briand - qui l’amène par ailleurs à s’exprimer de façon de plus en plus sévère sur le fonctionnement de la Troisième République. Le leitmotiv qui est désormais celui de ses prises de position sur les questions franco-allemandes est que seul un véritable „tête-à-tête“ entre Français et Allemands réalistes pourra clarifier les relations entre les deux pays. L’objectif principal du livre de Reynaud sur L’influence allemande en France était de contribuer à provoquer un sursaut qui, après ce qu’il estimait les errements du XIX e siècle, conduirait à un véritable redressement de la France. A l’instar de Barrès dans Le génie du Rhin, 94 au début années 1920, le souhait de Louis Reynaud à cette époque 95 était que la France remonte aux sources de son génie et parvienne, grâce à sa renaissance, 96 à „aider au redressement de l’Europe, en particulier à celui de son ennemi d’hier, malade de tous les excès d’un germanisme intempérant“. 97 Quelques années après la parution de L’influence allemande en France, Reynaud avait abandonné définitivement l’idée qu’avec l’aide de la France l’Allemagne puisse changer un jour. Français et Allemands, le livre qu’il publie en 1930, année de l’évacuation par les Français de la dernière zone occupée par eux en Rhénanie, celle de Mayence, 98 se termine par un véritable réquisitoire contre tous ceux qu’il accuse de „trompe[r][...] le public français“. 99 A tous ces personnages, il reproche de taire à leurs compatriotes qu’abstraction faite de quelques „hommes 27 Dossier clairvoyants et courageux [...] peu nombreux, et sans influence“, l’Allemagne n’a pas changé depuis 1918: „l’opinion [allemande], écrit-il, est encore derrière les nationalistes et les pangermanistes“ devenus „plus audacieux et plus entreprenant[s] que jamais“, alors que „le gouvernement les ménage et leur obéit“. 100 Adversaire résolu de toute la politique de sécurité collective mise en place par la SDN, 101 Louis Reynaud considérait au début des années 1930 l’action menée sous l’impulsion d’Aristide Briand radicalement contraire aux intérêts de la France, car elle reposait à son avis „sur une méconnaissance complète du tempérament germanique et de la situation exacte des partis chez nos voisins“. 102 Sa conviction était qu’à un moment où, à l’initiative de son ministre des Affaires étrangères, la France se faisait à Genève l’avocate d’une politique fondée sur de grands „principes“ 103 c’était une réalité internationale tout à fait différente des vœux de l’hôte du Quai d’Orsay qui se mettait en place. Cette réalité, selon lui, était la suivante: une diplomatie allemande révisionniste ne cessait de marquer des points face à une France „pacifiste et cosmopolite“ 104 qui était de plus en plus isolée „dans le concert des grandes puissances, contre l’Amérique, l’Italie, l’Angleterre, rangées aux côtés de l’Allemagne“. 105 De sa constatation de l’impasse dans laquelle, un peu plus de dix ans après la fin de la guerre, se trouvent les relations franco-allemandes, Louis Reynaud tire la conclusion que le „malentendu“ qui existe entre Français et Allemands est bien de caractère „perpétuel“. 106 Selon lui, ce malentendu n’a fait que s’amplifier depuis la montée en puissance de la Prusse au XVIII e siècle, car, alors que la France avait perdu le „sentiment de l’intérêt national“, 107 elle se trouvait désormais face à une Allemagne qui, au contraire, s’abandonnait au „mysticisme nationaliste“ au moment de l’émergence en Europe du principe des nationalités: Au moment même où l’Allemagne se livre à ce mysticisme nationaliste […], la France se convertit à un mysticisme tout opposé, celui du cosmopolitisme. Pour la ‘philosophie’ qui s’empare des cerveaux français vers 1750, il n’y a pas de différence entre les peuples. Partout les hommes sont caractérisés par la raison. Les races n’existent pas. Au-dessus des barrières nationales une patrie plus vaste se dessine: l’humanité. Les Français deviennent ‘citoyens du monde’. Ils se mettent à maudire la guerre et les conquérants, à représenter ceux-ci comme de simples ambitieux ou déments, qui ont abusé de la docilité des foules.108 Dès 1930, lorsqu’il dénonçait la politique d’Aristide Briand, Louis Reynaud avait souligné que la seule manière pour la France de sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouvait face à l’Allemagne consisterait à abandonner une conception de la politique étrangère fondée sur le multilatéralisme et à opter résolument pour une stratégie exclusivement bilatérale au niveau des relations franco-allemandes. C’est à cette condition, pensait-il, qu’entre partenaires „ayant le sens de la dignité nationale“, 109 on pourrait arriver, entre Français et Allemands, à „une collaboration politique étroite et féconde […] pour la défense de la civilisation européenne“. 110 La „collaboration féconde“ qu’il disait appeler de ses vœux ne pouvait s’instaurer, pensait-il, que si la France et l’Allemagne prenaient enfin en compte la „divergence 28 Dossier essentielle“ qui les séparait et admettaient définitivement que „la nature les a[vait] ainsi faites qu’elles ne pouv[aient] guère s’entendre que sur des intérêts positifs, non sur des principes“. 111 Sans qu’on pousse trop loin l’interprétation, le propos tenu ici par Reynaud en 1933 signifie clairement que, pour lui, désormais, à quelque niveau que ce soit, les relations franco-allemandes ne peuvent plus se construire à partir de l’espoir de partager des valeurs communes, mais uniquement dans un respect mutuel indissociable du désir de ne s’ingérer en aucune manière dans les affaires du voisin, même si les pratiques de celui sont contraires aux principes auxquels on s’identifie soi-même ou sont admis par tous. 112 C’est cette idée qui inspire Louis Reynaud quand, environ dix mois après la prise du pouvoir par Hitler, dans L’Ame allemande, il dit le plus grand bien de la „vieille diplomatie française“ sous Richelieu 113 et demande aux Français de „laisser en repos [leur] ‘théologie’ quand [ils ont] à causer avec Berlin“, puis appelle, à la fin de son livre, de manière très appuyée, à l’instauration, entre la France et l’Allemagne, d’un „tête-à-tête“ qui devrait mettre en présence, de part et d’autre, „des esprits lucides, pratiques, n’ignorant rien, ni des divergences profondes d’idées qui séparent les deux peuples, ni des intérêts positifs qu’ils ont en commun, ni surtout des intrigues extérieures qui entretiennent et exploitent leur désaccord, pour étendre sur l’Europe continentale le filet de plus en plus visible d’un asservissement politique et économique dont l’Allemagne et la France seraient les premières victimes“. 114 Formulée à la fin de 1933, avec comme arrière-plan une dénonciation de la manipulation de la France par la diplomatie anglo-saxonne, 115 une déclaration de pareille teneur n’a rien de neutre ni d’innocent dans le contexte des semaines qui ont suivi le départ de l’Allemagne de la SDN. Ici, Louis Reynaud défend une position qui est nettement inspirée par les thèses de l’Action française en matière de relations internationales: à son avis, comme il le répète à la fin de 1934, en utilisant une expression dont la résonance maurrassienne est évidente, 116 la seule politique étrangère légitime pour la France doit être inspirée exclusivement pas un „égoïsme sacré“. 117 Le propos de Reynaud ne saurait cependant être assimilé à un simple soutien apporté aux thèses des partisans du bilatéralisme et d’un froid réalisme en politique étrangère. C’est beaucoup plus qu’un changement de méthode dans les relations franco-allemandes que suggère Louis Reynaud, alors qu’Hitler vient de s’imposer comme le maître de l’Allemagne. 118 Car la manière dont Louis Reynaud s’exprime à partir de la fin de 1933 sur le régime mis en place le 30 janvier 1933 comporte deux faces qu’il importe ici de préciser. La première face de cette présentation est conforme à ce qu’écrivaient à ce sujet aussi bien Edmond Vermeil que les chroniqueurs proches de l’Action française. Sans passer sous silence la modernité du national-socialisme, 119 Reynaud considérait les nationaux-socialistes comme des descendants en ligne directe du Sturm und Drang (en particulier de Herder), de Hegel, du romantisme, de Nietzsche, et du pangermanisme, 120 donc de l’“éternelle Allemagne“ dénoncée à longueur de ses chroniques par Charles 29 Dossier Maurras. 121 En fonction de cette perception - et c’est la seconde face de sa position -, Reynaud répond à la question „Que doit faire la France“ 122 face à Hitler d’une façon qui, elle, permet de soulever des interrogations quant à son attitude à l’égard de l’Allemagne du Troisième Reich. Jusqu’à la fin de 1934, Louis Reynaud recommande en matière de politique étrangère la „vigilance“ face aux nouveaux dirigeants allemands 123 : il faut, écrit-il à la fin de 1934, que les Français refusent face à Berlin toute idée de „désarmement“, 124 et „caus[ent] avec l’Allemagne d’égaux à égaux“, 125 car, „tant que le pangermanisme règnera [en Allemagne, la France] doit conserver les moyens de se faire respecter et écouter“. 126 Cette position ferme, que n’aurait pas reniée Maurras, ne correspond toutefois qu’à un aspect de l’attitude que Reynaud suggère aux Français d’adopter face à Hitler. Car, tout en plaidant pour que la France se montre forte à l’égard du dictateur, à l’opposé de Maurras qui, jamais, n’a dévié de son hostilité envers le nazisme, non seulement il se prononce en faveur d’un „modus vivendi“ 127 avec le régime hitlérien, mais s’exprime également sur le Troisième Reich d’une manière qui contredit les positions du maître à penser de l’Action française sur le régime national-socialiste 128 et apparaît tout à fait compatible avec les positions de certains sympathisants du nazisme. D’une part, il recommande aux Français de „juger objectivement l’hitlérisme“, tout en assimilant l’action intérieure d’Hitler à „une œuvre d’assainissement“ indispensable pour que l’Allemagne „remonte […] la pente sur laquelle elle glisse“. 129 D’autre part, à mots à peine couverts, tout en brossant un tableau négatif de l’état de la démocratie française, 130 il estime que dans „[certains] domaines [...] les initiatives de l’Allemagne nouvelle pourraient [...] inspirer“ aux Français „des réflexions utiles“, 131 par exemple en matière de conception du travail, de „moralité publique“, de respect du „génie“ national dans l’enseignement et de politique vis-à-vis des étrangers. 132 Reynaud s’exprima encore en trois occasions avant le début de la Seconde Guerre mondiale sur l’Allemagne d’Hitler: dans un article paru dans la Revue Universelle en octobre 1937, 133 puis dans son livre sur La démocratie en France, sorti en mai 1938, donc avant les accords de Munich, mais au moment où la crise tchécoslovaque avait déjà commencé, et enfin dans la seconde édition de L’Ame allemande, qui elle, a été publiée au début de l’été 1939. Ses deux livres s’inscrivent dans la continuité de ce qu’il écrivait déjà en 1933, tout en étant l’expression d’une inflexion de sa position qui résulte de l’évolution connue par l’Europe depuis le changement politique intervenu en Allemagne. Dans La démocratie en France, ouvrage très critique envers la Troisième République, mais qui se termine par une évocation positive des réformes institutionnelles qu’Edouard Daladier 134 souhaitait entreprendre, 135 il n’est plus fait mention de la „vigilance“ qui serait nécessaire à l’égard du régime d’Hitler. S’affirmant désormais „impartial“, Reynaud ne cache plus à présent à ses lecteurs qu’à un moment où les „vieilles démocraties“ comme la France restent „lamentablement empêtrées“ dans „des problèmes difficiles de politique intérieure“, 136 „ce sont les jeunes Etats, 30 Dossier actifs [comme l’Allemagne et l’Italie] qui vont de l’avant, pleins de confiance dans leur avenir et payant d’audace“. 137 Et en fonction de cette certitude, il propose de l’action d’Hitler en cinq ans de chancellerie une vision à la fois très positive et fortement sélective: Nation hier tenue à l’écart, divisée, en proie au désordre et au gaspillage, exposée à des crises périodiques d’une extrême gravité, menacée par les progrès d’un communisme brutal, elle a redressé son économie, rétabli ses finances qui semblaient délabrées à tout jamais, fondé un statut modèle du travail, résolu la question sociale par la concorde et la collaboration des classes, rendu à sa gigantesque industrie l’activité de jadis, relevé l’agriculture agonisante et assuré ainsi la subsistance de la population, refondu l’enseignement, étouffé une immoralité et une indécence qui avaient pris les proportions d’un danger national et empoisonnaient l’atmosphère, reconquis en Europe une situation diplomatique inespérée.138 Le bilan de cinq années de national-socialisme proposé par Reynaud en 1938 doit être replacé dans son contexte et compris en fonction du positionnement idéologique de cet universitaire: comme sympathisant d’une droite nationaliste, après l’échec du Front populaire, il est amené non seulement à comparer ce qu’il estime les succès de l’Allemagne et les échecs de la France, en particulier en matière économique; il tire de ces échecs également la conclusion qu’en cas de crise internationale majeure, la France se trouverait en position de grave faiblesse face à l’Allemagne et l’Italie. 139 C’est ce qui le conduit à la fois à dénoncer le „fanatisme idéologique“ des „pacifistes et germanophiles“ du début des années 1930 qui sont devenus, „maintenant [que l’Allemagne] est en dictature [...] belliqueux et germanophobes“ 140 puis à terminer son livre par un appel à la restauration de „la paix sociale“ 141 et de l’“autorité gouvernementale“ afin que la France se dote enfin d’ une „politique étrangère [qui soit] à l’abri [d’un] double fléau: l’utopie et le sectarisme idéologique“. 142 C’est une tonalité différente qui domine dans la seconde édition de L’Ame allemande, parue environ un an après la publication de La démocratie en France. Le dernier livre de Reynaud appelle une lecture qui se situe à deux niveaux. D’un côté, l’auteur se montre pleinement conscient des périls qu’Hitler fait courir à la paix et, dans la continuité de ses analyses sur la nature du national-socialisme, comme dans la première version de son livre parue en 1933, il rappelle que la „démesure“ a toujours été le trait dominant de la psychologie des Germains. L’avantdernier chapitre de cette version actualisée de l’ouvrage se termine par trois pages centrées sur le climat international qui règne au début de 1939. Ces pages constituent un véritable cri d’alarme adressé aux lecteurs et démontrent que Reynaud a pris toute la mesure du péril auquel le régime national-socialiste expose le monde: Mais un peuple n’échappe jamais complètement à son propre tempérament. Les conséquences désastreuses de l’ère matérialiste une fois écartées, la ‘démesure’ germanique va se manifester sur un autre point. Et ce sont les forces elles-mêmes auxquelles on a fait appel pour remonter un courant dangereux, qui se changeront en un torrent peut-être plus dangereux encore. C’est par le sentiment nationaliste, par un ‘ra- 31 Dossier cisme’ porté jusqu’à l’exaltation mystique qu’on a vaincu. A son tour ce nationalisme, une fois maître du terrain, se déploiera comme une puissance élémentaire, effrénée, dévastatrice. L’Allemagne, tout en se redressant au-dedans par un labeur acharné, a obtenu au dehors, dans sa politique étrangère, des succès flatteurs, dus à son audace et à l’esprit de paix de ses voisins. Elle en cherche aussitôt d’autres plus importants. Un premier coup de force est tenté. Il réussit. Le régime en tente un second, qui réussit encore, mais en côtoyant la catastrophe. Un peuple sage s’en tiendrait là. L’Allemagne ne paraît pas s’apercevoir du danger. Elle est en proie à l’ivresse du joueur, qui ne réfléchit plus, risque sa fortune sur une partie. Troisième coup de force. L’abîme, cette fois, s’est ouvert béant devant le joueur. S’en est-il ému? Il ne semble pas. La ‘démesure’ s’est emparée de lui. Elle le possède tout entier. C’est le Germain de Tacite engageant même sa liberté pour jeter encore les dés.143 On pourrait s’attendre, après ce diagnostic très lucide de la politique étrangère d’Hitler, à ce que Reynaud souligne la nécessité de faire barrage aux entreprises du dictateur. Tel n’est cependant pas le cas. Au contraire, dans le droit fil des attaques qu’il avait lancées en 1938 contre le „fanatisme idéologique“ des „pacifistes et germanophiles“ de gauche désormais „belliqueux et germanophobes“, 144 il continue à se faire, à l’égard de l’Allemagne d’Hitler, l’avocat de l’“équité“ et de l’“objectivité“ et présente l’évolution des relations franco-allemandes depuis le 30 janvier 1933 à la fois de manière critique pour la France et en suggérant en creux que les gouvernements de la République ont eu tort de ne pas entrer dans le jeu politique d’Hitler: Reconnaissons que le régime national-socialiste a fait à notre pays des avances multipliées, que nous avons eu tort peut-être de ne pas accueillir plus tôt; qu’il a eu le mérite d’écarter des rapports franco-allemands, par plusieurs déclaration solennelles de son chef, cette question d’Alsace-Lorraine qui les avait si longtemps envenimés. Reconnaissons encore que le Führer du Reich germanique a le droit d’affirmer, comme il l’a fait dans son discours du 7 mars 1936, qu’il a „banni de la presse allemande toute haine contre le peuple français“ et qu’il s’est efforcé d’éveiller dans la jeunesse de son pays la compréhension d’un idéal d’entente avec le nôtre. La vieille animosité cuite et recuite des teutomanes et pangermanistes avait en effet disparu, dans ces dernières années, des journaux allemands et de l’enseignement public - pour la première fois peut-être depuis un siècle. On avait fini par s’en apercevoir en France, dans les milieux du moins où l’on étudiait avec objectivité les choses d’Allemagne, et malgré des campagnes aussi perfides qu’intéressées, un rapprochement politique s’effectuait peu à peu.145 Quand Louis Reynaud s’exprime de la sorte, son discours est caractéristique des positions de la droite „munichoise“. 146 Au nom de l’“égoïsme sacré“ 147 dont il se réclame et au nom de ce qu’il estime désormais l’“intérêt positif“ de la France, 148 alors que, depuis le discours prononcé à Birmingham le 17 mars 1939 par Chamberlain, 149 l’attitude des démocraties face à Hitler ne fait plus de doute, au moment où les Allemands ont mis fin à l’existence de la Tchécoslovaquie, il estime que la France doit avoir comme souci exclusif la défense de „ses intérêts vitaux“ et laisser à l’arrière-plan „ses sentiments et […] son idéologie“. 150 En fonction de cette analyse, 151 il considère que la crise germano-polonaise ouverte par Hitler en 32 Dossier mars 1939 ne fait pas partie des questions qui „touchent à [l’]existence même“ de la France et que, de ce fait, le réalisme commande purement et simplement à Paris de se tenir à l’écart du „vacarme de plus en plus hystérique et imbécile“ de ceux qui sont tout prêts à se lancer dans l’aventure d’une guerre pour la Pologne. 152 Accepter une „Europe rénovée“ construite „avec l’appui de la force allemande“ Après la défaite de 1940, c’est un Louis Reynaud conforté dans ses analyses en raison de la tournure prise par les événements depuis l’automne 1939 qui va s’exprimer pendant quatre ans dans L’Illustration. Conformément à ses idées sur les raisons de la crise de la démocratie en France qui occupaient déjà une large place dans son livre de 1938, il se rallie au Maréchal Pétain et se fait à partir de l’automne 1940 l’avocat de sa politique dans les colonnes de l’hebdomadaire. Partisan du régime de Vichy, après 1940, Louis Reynaud consacre une partie importante de ses articles à un réquisitoire à l’encontre des responsables de la défaite. Celle-ci, à l’en croire, est due en particulier à l’action de la „coterie“ formée de „métèques“ 153 et de „francs maçons“ 154 pacifistes et internationalistes qui, depuis l’époque de Briand, 155 était à l’œuvre au Quai d’Orsay. 156 Ce sont les chefs de file de cette „coterie“, convertis à l’antigermanisme après avoir été cosmopolites qui, selon Reynaud, auraient fait obstacle à tout dialogue constructif avec Berlin. Ils auraient à la fois saboté le „compromis de Munich“ et fait obstacle, après décembre 1938, la mise en œuvre de l’accord auquel Georges Bonnet et Ribbentrop étaient parvenus lors de leur rencontre à Paris; 157 enfin, ils auraient empêché la France de considérer que le différend germano-polonais n’était que de nature bilatérale. 158 Mais Louis Reynaud estime aussi que l’effondrement de la France en 1940 est la conséquence de l’état de décomposition interne dans lequel la République se trouvait. Sur ce plan, son discours est entièrement conforme à la doxa „maréchaliste“ 159 et a pour objectif de faire passer auprès des lecteurs l’idée d’une nécessaire refondation de la vie publique française autour de valeurs censées authentiquement nationales. Au moment où Louis Reynaud exprime, dans les colonnes de L’Illustration, son soutien à Pétain et aux réformes institutionnelles que Vichy s’efforce de mettre en œuvre, 160 en plus de la „révolution nationale“, c’est la „collaboration“ qui est à l’ordre du jour. Comparées à celles des autres chroniqueurs de L’Illustration, ses prises de position sur ce thème sont d’une grande prudence, 161 et s’inscrivent dans la continuité de ce qu’il écrivait depuis 1933. Le „tête-à-tête“ - forcé à présent - entre Français et Allemands a cependant changé de nature depuis lors, et il est contraint, lui aussi, de s’adapter à la „nouvelle donne“. Il procède à cette adaptation en choisissant comme seule référence Philippe Pétain. Mais autant sur le plan de la réorganisation interne de la France il est disert et catégorique, autant en ce 33 Dossier qui concerne l’avenir international du pays, son propos est vague et révèle en tout cas une grande incertitude. La seule chose qui paraît acquise à ses yeux est que l’“Europe rénovée“ qui émergerait après la guerre serait placée sous le leadership allemand et aurait une organisation interne conforme au modèle mis en place en Allemagne après 1933. 162 Son souhait est que l’Europe future soit organisée de manière à „parer au danger d’un nouveau conflit franco-allemand“ et, malgré toutes les appréhensions qui sont les siennes, il veut croire que la France continuerait à avoir „une très grande place“ au sein du nouvel ordre continental. 163 Afin d’y parvenir, comme tous les pétainistes, il estime que l’unique voie envisageable est celle de la „collaboration“, car, veut-il croire, cette option devrait permettre que la France domine sa défaite et que l’Allemagne domine sa victoire. 164 Sur cette base, il se prend à imaginer qu’on puisse envisager „dans le cadre d’une Europe unifiée d’après des principes équitables“ une „politique d’association“ qui pacifie durablement les relations entre Français et Allemands. 165 Mais il est conscient que les espoirs qu’il exprime environ un an après la défaite des armées françaises reposent sur des inconnues de taille, dont la principale est le traité de paix, qu’il entrevoit comme une „redoutable échéance“. 166 Dans cette perspective, conformément à la ligne pétainiste dont il est ici l’interprète, la seule recommandation qu’il formule concerne la nécessité de rester „unis“ derrière le „glorieux Maréchal“ afin de ne pas „perdre la paix“ après avoir perdu la guerre. C’est en ce sens qu’il convient de comprendre l’exhortation qu’il adresse à ses lecteurs en mai 1941: L’heure est sérieuse, très sérieuse. Le sort de la France est sur le point de se décider. Notre gouvernement a devant lui une tâche presque surhumaine, que la folie du régime précédent lui a léguée. Si nous ne pouvons rien faire de mieux, aidons-le au moins de la rectitude de nos pensées et de la clairvoyance de notre patriotisme.167 1 En ce qui concerne les relations entre Reynaud et l’Action française, il est attesté que Maurras connaissait au moins son livre sur Les origines de l’influence française en Allemagne (cf. infra, note 19), qu’il évoqua dans Quand les Français ne s’aimaient pas, Paris, Nouvelle librairie nationale 1916, 65, 103. On notera aussi l’évocation suivante de Reynaud par Pierre Gaxotte dans une lettre écrite à Maurras le 25 mai 1930: „Louis Reynaud, professeur à la Faculté de Clermont-Ferrand, et dont vous avez souvent cité les belles études sur l’Allemagne, serait heureux si l’A.F. pouvait parler de son dernier livre qui s’appelle, je crois, La littérature française contemporaine.(il s’agit en fait de La crise de notre littérature des romantiques à Proust, Gide et Valéry, cf. infra, note 18, M.G.) [...]J’ai parlé du livre avec Massis autrefois. Les idées sont très justes, mais la forme est, paraît-il, un peu universitaire. Il n’en reste pas moins que Reynaud est tout à fait A.F.“ cité d’après Cher Maître. Lettres à Charles Maurras, Paris, Christian de Bartillat 1995, 146. Il ne semble pas que l’Action française ait parlé de ce livre. En revanche, le livre publié par Reynaud en 1930, Français et Allemands (cf. infra, note 19) fit l’objet de deux comptes rendus dans des revues proches de l’Action française (cf. infra, note 20). 34 Dossier 2 On signalera cependant la présence de son nom dans la tabula gratulatoria des Mélanges Andler (Mélanges offerts à M. Charles Andler par ses amis et ses élèves, Publications de la Faculté des lettres de l’Université de Strasbourg, Fascicule 21, 1924, premières pages non numérotées de l’ouvrage). 3 Les renseignements relatifs aux dates et lieux de naissance et de décès de Louis, Pierre, Etienne Reynaud m’ont été communiqués par le service d’état civil de Saint Peray, dont je tiens ici à remercier les collaborateurs. 4 Tous les renseignements biographiques qui suivent figurent dans le dossier de Louis Reynaud aux Archives nationales, carton F/ 17/ 24537. Je remercie vivement Mme Armelle Le Goff, conservatrice générale aux Archives nationales, pour l’aide qu’elle m’a fournie afin d’accéder au dossier de Louis Reynaud. 5 Bachelier en 1894 (académie de Grenoble, lycée de Valence), puis élève de khâgne au lycée Louis le Grand, Louis Reynaud est entré à l’ENS en novembre 1896. Il a obtenu la licence es lettres en juillet 1897, puis la licence d’allemand en juillet 1898 (carton F/ 17/ 24537). 6 72 candidats s’étaient présentés à la session 1900 de l’agrégation d’allemand; parmi les 13 admissibles, Louis Reynaud occupait la seconde place; à l’issue des épreuves orales, il fut le troisième des 7 admis. L’appréciation du jury en date du 8 août 1900 (signée d’Adolphe Bossert, président du jury) le concernant était la suivante: „Un esprit distingué - écrit très correctement la langue - la parole un peu saccadée et monotone - de très bonnes épreuves écrites et de bonnes épreuves orales - très bonne tenue“ (carton F/ 17/ 24537). 7 Affecté provisoirement au lycée de Montpellier par arrêté du 10 août 1900, après deux années de congé d’inactivité, il intégra le lycée de Besançon comme professeur suppléant en novembre 1902; après un nouveau congé d’inactivité qui dura d’avril 1903 jusqu’à la fin de l’année scolaire 1903-1904, il retrouva à l’automne 1904 son poste à Besançon (arrêté du 25 juillet 1904), où il enseigna jusqu’à la fin de l’année scolaire 1907- 1908, avant de solliciter un nouveau congé d’inactivité pour l’année scolaire 1908-1909 (carton F/ 17/ 24537). 8 Reynaud fut lecteur à l’université de Greifswald de novembre 1903 à août 1904 (cf. curriculum vitae établi par lui-même, carton F/ 17/ 24537). On dispose d’informations précises sur les activités pédagogiques de Reynaud à Greifswald à travers les „Vorlesungsverzeichnisse“ publiés régulièrement dans les périodiques des philologues allemands. Les indications données à ce sujet par le Neuphilologisches Zentralblatt (qui semble cependant faire erreur sur l’un des semestres de présence de Reynaud à Greifswald) sont les suivantes: Sommersemester 1904: „Reynaud: Neufranz. Übgn. im romanischen Seminar; la poésie française depuis le romantisme; neufranz. Übgn in 2 Kursen“ (Neuphilologisches Zentralblatt, 18 (1904), 111); Wintersemester 1904-1905: „Reynaud: Les romantiques français; neufranz. Übgn. in 2 Kursen“ (Neuphilologisches Zentralblatt, 18 (1904), 298). 9 Son jury de soutenance était formé d’universitaires en poste à la Sorbonne: Ernest Lichtenberger (1847-1913), professeur de langue et littérature allemandes, Albert Lange, maître de conférences en langue et littérature allemandes, Gustave Michaut (1870-1946), maître de conférences de littérature française, délégué à l’Ecole normale supérieure, Charles Andler (1866-1933), maître de conférences en langue et littérature allemandes et Emile Faguet (1847-1916), titulaire de la chaire de poésie française et membre de l’Institut (source: La Faculté des lettres de l’Université de Paris depuis sa fondation (17 mars 1808) jusqu’au 1er janvier 1935, par Albert Guigue, secrétaire de la Faculté, Paris, Alcan, 1935). A l’issue d’une soutenance très disputée (cf. rapport conservé dans 35 Dossier le dossier de Reynaud [carton F/ 17/ 24537]), le candidat docteur obtint la mention „très honorable“. 10 Dès le 20 décembre 1904, Reynaud déposa une candidature à une maîtrise de conférences. Le 16 septembre 1905, il postula „la chaire d’allemand de la Faculté des lettres de Nancy laissée vacante par le départ de M. [Henri] Lichtemberger [sic! ]“. Le 15 novembre 1906, il fut „candidat à Rennes au poste de littérature allemande laissé vacant par M. [Victor] Basch“. Le 24 juillet 1907, il se déclarait „candidat à tout poste de maître de conférences qui deviendrait vacant“. Le 6 décembre 1907, il présenta une candidature „à la chaire de littérature étrangère de Besançon“ (courriers adressés au Ministère, carton F/ 17/ 24537). 11 A Poitiers, Reynaud a occupé un emploi financé sur les fonds de l’université (cf. arrêté rectoral du 22 décembre 1908). L’affectation qu’il avait obtenue à Poitiers ne correspondait certainement pas aux attentes de Reynaud. Le 17 mai 1909, il envoya au Ministère une lettre de candidature à „la maîtrise de conférences de M. [Joseph] Dresch à Nancy“. Le 9 novembre 1910, il se déclarait candidat à la succession de Fernand Baldensperger à Lyon (carton F/ 17/ 24537). 12 Reynaud fut nommé à Clermont Ferrand par décret présidentiel du 20 décembre 1914. Il fut mobilisé du 20 octobre 1915 au 14 novembre 1916 (service auxiliaire, soldat de 2 ème classe) (carton F/ 17/ 24537). 13 Au sujet du transfert de Louis Reynaud à Lyon, cf. le rapport d’Auguste Ehrhard devant le conseil de l’Institut de langues vivantes de la Faculté des lettres de Lyon (5 mai 1931). Afin d’étayer sa proposition, Auguste Ehrhard avait sollicité les avis d’Henri Lichtenberger, Fernand Baldensperger et Charles Andler qui se déclarèrent favorables à la candidature présentée par Reynaud. A l’issue d’une discussion animée, le conseil de l’Institut de langues vivantes formula à l’unanimité (7 votants) un avis favorable à la demande de transfert à Lyon formulée par Reynaud. Cet avis fut confirmé par le conseil de Faculté réuni le 8 mai 1931(carton F/ 17/ 24537). 14 Cf. Revue des questions historiques, 1935, 106. 15 (carton F/ 17/ 24537). 16 Nikolaus Lenau poète lyrique, Paris, Société nouvelle de librairie et d’édition, 1904 (thèse principale); Recherches sur la date des poésies lyriques de Lenau, Paris, Société nouvelle de librairie et d’édition, 1904 (thèse complémentaire). La thèse principale de Reynaud sur Lenau laisse percer une très grand distance, voire un certain mépris (ou même de l’hostilité) à l’égard du poète. Elle se termine (447-448) par un véritable réquisitoire contre le romantisme, complété par une note qui démontre que dès 1904, tous les éléments du système intellectuel de Reynaud sont en place: „C’est évidemment le Romantisme qui a proclamé le plus bruyamment la doctrine individualiste. Mais il ne l’a pas inventée. On peut soutenir, au contraire, qu’elle est comme la foi instinctive et profonde de l’âme allemande. C’est à l’Individualisme le plus intransigeant, en effet, que la littérature allemande aboutit chaque fois qu’elle essaie de réagir contre les influences étrangères et de revenir à l’inspiration proprement nationale (Sturm und Drang, Romantisme, époque contemporaine, 1870-80). [...] Le génie sociable et égalitaire de notre race semble réfractaire à cette doctrine égoïste et bornée, égoïste parce qu’elle ne se préoccupe que du caprice plus ou moins légitime d’une minorité de jouisseurs intellectuels, bornée parce qu’elle n’arrive pas à comprendre que ces conventions sociales’ dont souffre la névrose de ces raffinés sont le résultat nécessaire et logique d’une évolution sociale qui n’a pas eu seulement à se préoccuper d’un petit nombre d’oisifs exigeants, mais de la foule anonyme et modeste de ceux qui travaillent.“ 36 Dossier 17 Lenau et le lyrisme autrichien, Paris, La renaissance du livre (Les cent chefs d’œuvre étrangers) 1924; Madame de Staël, Corinne, avec une introduction de Louis Reynaud, Paris, Firmin Didot, s.d. [fin des années 1920]. 18 Le romantisme. Ses origines anglo-germaniques, Paris, Librairie Armand Colin 1926 (l’ouvrage fut couronné par l’Académie française); La crise de notre littérature des romantiques à Proust, Gide et Valéry, Paris, Librairie Hachette 1929. 19 Les origines de l’influence française en Allemagne. Etude comparée de la civilisation en France et en Allemagne pendant la période précourtoise (950-1150). Tome premier: L’offensive politique et sociale de la France, Paris, Librairie ancienne Honoré Champion 1913 (le second tome n’a jamais été publié) [cité: Or]; Histoire générale de l’influence française en Allemagne, Paris, Librairie Hachette 1914 [cité: IFA]; L’influence allemande en France au XVIII e et au XIX e siècle, Paris, Librairie Hachette, 1922 [cité: IAF]; Français et Allemands. Histoire de leurs relations intellectuelles et sentimentales, Paris, Arthème Fayard 1930 [cité: FA]; L’Ame allemande, Paris, Flammarion (Bibliothèque de philosophie scientifique) 1 1933 [cité: AA 1933]. Pendant sa carrière active, Louis Reynaud publia peu dans des revues. Jusqu’en 1936, il publia à la fois des extraits de ses livres et des articles originaux: „Les débuts du germanisme en France“, in: Mercure de France, 32ème année, tome CXLVII, 15 avril 1921, 386-407 (extrait de L’influence allemande en France au XVIII e et au XIX e siècle); „Français et Allemands. - Les grands siècles français du Moyen Age“, in: Revue Universelle, tome XLIII, N° 14, 15 octobre 1930, 172-192 (extrait de Français et Allemands); „Le trait fondamental de l’âme allemande“, in: Revue Bleue, 71 e année (1933), 677-686 (extrait de L’Ame allemande, 1 1933); „L’hitlérisme et nous. 1. L’origine des idées hitlériennes“, in: Revue Bleue, 72 e année (1934), 889-896 (article original); „L’hitlérisme et nous. 2. Les problèmes posés à la France“, in: Revue Bleue, 72 e année (1934), 934-940 (article original). 20 Les principaux comptes rendus des ouvrages de Reynaud sont les suivants: Comptes rendus de N. Lenau, poète lyrique: L. Roustan, „Louis Raynaud. N. Lenau, poète lyrique“, in: Revue critique d’histoire et de littérature, 50 e année (1905), 2 e semestre, 12-13; Auguste Ehrhard, „Publications sur la littérature en Autriche“, in: Revue Germanique, 1 ère année (1905) 322-336, cf. 332-333). Comptes rendus de Les origines de l’influence française en Allemagne: Rodolphe Reuss, „Louis Reynaud [...] Les origines de l’influence française en Allemagne“, in: Revue critique d’histoire et de littérature, 59 e année (1913), 2 ème semestre, 387-396; Alfred Leroux, „Louis Reynaud [...] Les origines de l’influence française en Allemagne“, in: Bibliothèque de l’école des chartes, Année 1913, volume 74, N°1, 636-653; Félix Piquet, „Louis Reynaud [...] Les origines de l’influence française en Allemagne“, in: Revue germaniques, 9 ème année (1913), 630-633; C. W. Prévité Orton, „Louis Reynaud [...] Les origines de l’influence française en Allemagne“,in: The English Historical Review, Vol. 28, No 111 (July 1913), 560-562; J.T. Shotwell, „Louis Reynaud [...] Les origines de l’influence française en Allemagne“, in: Political Science Quarterly, Vol. 30, No 4 (December 1915), 680-682; J.W.T., „Louis Reynaud [...] Les origines de l’influence française en Allemagne“, in: The American Historical Review, Vol. 18, No 4 (July 1913), 791-792. Comptes rendus de L’influence allemande en France au XVIII e et au XIX e siècle: Félix Piquet: „Louis Reynaud: L’influence allemande en France au XVIII e et au XIX e siècle“, in: Revue germanique, 14 e année (1923), 85-86; L. Roustan, „Louis Reynaud: L’influence allemande en France au XVIII e et au XIX e siècle“, in: Revue critique d’histoire et de littérature, 69 e année (1923), 1 er semestre, 154-156. Compte rendu de Lenau et le lyrisme autrichien: H. Bischoff, „Louis Reynaud: Lenau et le 37 Dossier lyrisme autrichien“, in: Revue germanique, 16 e année (1925), 224-225. Comptes rendus de Le romantisme. Ses origines anglo-germaniques: Gilbert Chenard, „Louis Reynaud: Le romantisme. Ses origines anglo-germaniques“, in: Modern Language Notes, Vol. 42, No 3 (March) 1927, 188-194; S. Etienne, „Louis Reynaud: Le romantisme. Ses origines anglo-germaniques“, in: Revue belge de philologie et d’histoire, Année 1928, Volume 7, No 4, 1553-1558; Pierre Martino, „Louis Reynaud: Le romantisme. Ses origines anglo-germaniques“, in: Revue critique d’histoire et de littérature, 73 e année (1927), 2 ème semestre, 434-435; Pierre Lasserre, „Les origines du romantisme“, in: P.L., Des romantiques à nous, Paris, La nouvelle revue critique, 1927, 22-35; Anonyme, „Louis Reynaud: Le romantisme. Ses origines anglo-germaniques“, in: Revue française de Prague, 1929, 9. Comptes rendus de Histoire générale de l’influence française en Allemagne (réédition): P.F., „Louis Reynaud: Histoire générale de l’influence française en Allemagne“, in: Revue bleue, 64 e année (1926), 287. Comptes rendus de La crise de notre littérature: Pierre Martino, „Louis Reynaud, La crise de notre littérature“, in: Revue critique d’histoire et de littérature, 76 e année (1930), 1 er semestre, 168-169. Comptes rendus de Français et Allemands: André Rousseaux, „Français et Allemands“, in: Revue Universelle, tome XXXIV (1930) N° 20, 15 janvier 1930, 232-235; Pierre Chardon (pseudonyme), „Français et Allemands“, in: Latinité, N° 7, 1931, 341-346. 21 En Allemagne, ce fut surtout L’influence allemande en France au XVIII e et au XIX e siècle qui suscita des réactions parfois très critiques. Les thèses défendues par Reynaud dans son livre furent discutées au cours du 19 e congrès de l’Association des langues modernes en 1924 (cf. Bericht über die Verhandlungen der XIX. Tagung des Allgemeinen deutschen Neuphilologen-Verbandes in Berlin vom 1.-4. Oktober 1924, Berlin, Otto Sollberg Verlag 1925, 116). Victor Klemperer, pour sa part, se servit du livre de Reynaud pour préparer l’un de ses séminaires (cf. Victor Klemperer, Leben sammeln, nicht fragen wozu und warum. Tagebücher 1925-1932, herausgegeben von Walter Nojowski unter Mitarbeit von Christian Löser, Berlin, Aufbau 1996, Bd. 2, 280: „Montag abend, 5. Juli [...] viel Arbeit am Kolleg. Außerdem nur die unendlich fruchtbare Lectüre: Raynand (sic! ), Influence allemande en France au XVIII e et au XIX e siècle.“) Parmi les romanistes allemands, celui qui connaissait le mieux les écrits de Reynaud était Hermann Platz, qui avait lu Histoire générale de l’influence française en Allemagne, L’influence allemande en France au XVIII e et au XIX e siècle et Français et Allemands. Cf. ses deux articles: „Nietzsche und der französische Nationalismus“, in: Festschrift zum XX. Neuphilologentag in Düsseldorf vom 26. bis 29. Mai 1929, Düsseldorf, Jonas und Münster 1926, 79-101; „Die deutschfranzösischen Problematik im kulturkundlichen Unterricht“, in: Die neueren Sprachen, Bd. XL (1932) August 1932, 321-337. 22 La démocratie en France. Ses origines - ses luttes - sa philosophie, Paris, Flammarion (Bibliothèque de philosophie scientifique) 1938 [cité: DF]; L’Ame allemande, Paris, Flammarion (Bibliothèque de philosophie scientifique) 2 1939 [cité: AA 1939]. Après son départ à la retraire, Reynaud a publié également un article original: „Démocratie et mysticisme antidémocratique“, in: Revue bleue, 76 e année (1938), 172-179, et un compte rendu d’ouvrage: „L’opinion française et l’Allemagne“ (compte rendu de Eugen Feihl, Deutschland von draußen gesehen, Berlin, Metzner, 1939), in: Revue bleue, 77 e année (1939), 179-181. 23 L’Illustration du 23 novembre 1940 présentait Reynaud dans les termes suivants: „Après tant de récits, de discussions, de débats sur les événements qui ont précédé la date fa- 38 Dossier tale du 3 septembre 1939, bien des Français, même cultivés, ignorent encore comment nous avons été jetés dans la guerre. Il en résulte des malentendus pénibles et qui pourraient devenir inquiétants s’ils se prolongeaient. Pour les dissiper un historien dont les ouvrages: Français et Allemands (de la série Les Grandes Etudes Historiques), L’Ame allemande, La Démocratie en France (de la Bibliothèque de philosophie scientifique), font autorité en Allemagne comme en France, M. Louis Reynaud, correspondant de l’Institut, professeur à la Faculté de Lyon, a écrit ces pages. De leur documentation irréfutable exposée avec objectivité il se dégage une explication politique et psychologique précise et claire du drame de 1939, dont les événements de 1940 sont la conséquence. Elles doivent, nous semble-t-il, emporter l’adhésion de tous.“ Reynaud a publié les articles suivants dans l’hebdomadaire L’Illustration (supplément en pages centrales, non paginé): „Comment nous avons été conduits à la guerre“, 23.11.1940; „Naissance et mort de la Troisième République“, 18.01.1941; „L’explication de notre effondrement“, 08.02.1941; „L’empire anglais dans la tourmente“, 05.04.1941; „La France dans l’Europe de demain“, 31.05.1941; „Défendons notre billet de banque“, 12.06.1941; „Le problème de la reconstruction de l’Etat français“, 09.08.1941; „Napoléon et la Russie: enseignements et comparaisons“, 27.12.1941; „Les répercussions financières du marché noir“, 01.08.1942; „Décadence de notre diplomatie: les remèdes“, 05.09.1942; „Pour un renouveau spirituel“, 31.05.194; „Race et nation“, 28.11.1942; „Il nous faut de nouveau des hommes“, 19.12.1942; „Centralisation et régionalisme“, 20.03.1943; „Un reconstructeur de la France“, 17.04.1943; „La révolution de 1917 et la Russie actuelle“, 26.06.1943; „Le rêve européen de Napoléon“, 02.10.1943; „Regards sur l’Europe d’hier“, 29.07 et 05.08.1944; „Sa majesté le hasard“, 12 et 19.08.1944. Dans la Revue des deux Mondes, il a publié: „La maçonnerie en France I“, „La maçonnerie en France II“, in: Revue des deux Mondes, cent douzième année, 15 mars 1942, 168- 179; 1 er avril 1942, 300-312. 24 C’est la thèse centrale de La démocratie en France. Ses origines - ses luttes - sa philosophie (cf. supra, note 22). 25 Cf. à ce sujet en particulier Charles Maurras, Quand les Français ne s’aimaient pas. Histoire d’une renaissance, Paris, Nouvelle librairie nationale 1916. 26 Cf. IAF, 265 sqq., 289-290. et 293 où il dit son soutien à l’égard des thèses défendues dans deux ouvrages très connus, dirigés contre la „germanisation“ de la Sorbonne: Agathon (i.e. Henri Massis et Alfred de Tarde), L’esprit de la nouvelle Sorbonne, Paris, Mercure de France, 1911 et Pierre Lasserre, La doctrine officielle de l’Université, Paris, Mercure de France, 1912 (cf. à ce sujet également, FA, 338 sqq.). 27 Le livre de Reynaud sur le romantisme est organisé autour de l’idée que la littérature française moderne - romantique selon la thèse qu’il défend - est l’expression de tendances contraires au génie français et démontre que ce génie est opposé en tout au génie allemand (cf. Le romantisme. Ses origines anglo-germaniques [cf. supra, note 18], 250- 251). Selon lui, les influences en question ont été d’un effet dévastateur pour la littérature française. Ces thèses, accueillies avec réserve par Pierre Lasserre (cf. supra, note 20), démontrent sans ambiguïté que Reynaud représente d’une manière presque caricaturale la doxa qui, à l’époque, des deux côtés du Rhin, schématiquement, assimilait l’esprit français au classicisme et l’esprit allemand au romantisme (cf. à ce sujet et à simple titre d’exemples les publications suivantes: Pierre Lasserre, Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et les idées au XIX e siècle, Paris, Mercure de France 1907 [thèse soutenue en Sorbonne le 2 mars 1907]; Justus Wilhelm, Das Fortleben des Gallikanismus in der französischen Literatur der Gegenwart, München, Max Hueber Ver- 39 Dossier lag 1933; Hugo Friedrich, Das antiromantische Denken im modernen Frankreich. Sein System und seine Herkunft, München, Max Hueber Verlag 1935). 28 Lors de sa soutenance de thèse, un membre du jury avait déjà noté que „l’esprit sarcastique et vif de M. Reynaud le conduit quelquefois à la boutade caricaturale et injustifiée“ (carton F/ 17/ 24537). 29 IFA, p.4. 30 Il regrette même de façon à peine voilée que l’allemand soit devenu à la fin du XIX e siècle la première langue vivante enseignée dans les lycées. Cf. IFA, 266. 31 Or, 404. 32 Ibid., 402-426. 33 Ibid., 422-423. 34 Ibid., 428. 35 Cf. supra, note 27. 36 Dans l’introduction de Or (I-XXXIX) Reynaud s’appuie à de multiples reprises sur les thèses défendues par Henri d’Arbois de Jubainville (1827-1910) dans ses articles regroupés en deux volumes sous le titre: Les premiers habitants de l’Europe d’après les écrivains de l’Antiquité et les travaux des linguistes, Paris, Thorin et fils 1894. 37 Or, 14. 38 Ibid., XXI-XXIII. 39 Or, 2. 40 On mentionnera ici en priorité l’ouvrage consacré par Vermeil à la constitution de la République de Weimar, La constitution de Weimar et le principe de la démocratie allemande, essai d’histoire et de psychologie politique, Strasbourg, Paris, Istra 1923 (cf. Katja Marmetschke, Feindbeobachtung und Verständigung. Der Germanist Edmond Vermeil (1878-1964) in den deutsch-französischen Beziehungen, Köln/ Weimar/ Wien, Böhlau 2008, 253-292). 41 Eduard Wechßler, pour sa part, se réclame expressément d’Alfred Fouillée (Psychologie du peuple français, Paris, Alcan 1898 et Esquisse d’une psychologie des peuples européens, Paris, Alcan 1901) qu’il cite abondamment dans son livre Esprit und Geist, Versuch einer Wesenskunde des Deutschen und des Franzosen, Bielefeld und Leipzig, Verhagen und Klasing 1927. 42 Notons également que la démarche de Reynaud à ce niveau est la même que celle de Jacques Bainville, historien d’Action française. (cf. notamment à ce sujet Bainville, Histoire de la France, Paris, Fayard 1924, 11). 43 IFA, 506. Dans cette présentation, Reynaud s’inspire directement des Notes sur l’Allemagne de Taine, qu’il cite. Cf. H. Taine, Sa vie et sa correspondance; Tome II, Le critique et le philosophe 1823-1870, Paris, Hachette 1904 (lettre du 20 septembre 1858), 173-178. 44 Cf. „Le trait fondamental de l’âme allemande“ (cf. supra, note 19), 679. 45 IFA, 514. 46 Ibid., 515. 47 Ibid., 511. 48 Ceci est pour Reynaud la conséquence du trait fondamental de la psychologie des Allemands qui, estime-t-il, dans leur comportement, mettent en avant „les instincts et les sentiments“ (IFA, 514) et développent de ce fait une propension à l’“anarchie“ (IFA, 512) et au „particularisme le plus étroit“ (IFA, 512). 49 IFA, 522. 50 Ibid., 524. 40 Dossier 51 Ibid. 52 IFA, 518. 53 Cf. supra, note 46. 54 IFA, 518. 55 Ibid., 516. 56 Dans la brochure qu’il consacra en 1915 aux Etudes germaniques (Paris, Librairie Larousse), Charles Andler s’exprimait ainsi au sujet des deux livres publiés par Reynaud après sa thèse: „Louis Reynaud enfin, dans deux livres énormes, pleins de savoir et rayonnants de talent, Les origines de l’influence français en Allemagne (1913) et l’Histoire générale de l’influence français en Allemagne (1914), pense réviser tout le procès pendant, depuis dix siècles, entre les deux nations française et allemande. Sa thèse, très absolue, sera très combattue. Elle veut que la France, dès le XI e siècle, ait fait moralement et matériellement de l’Allemagne, empêtrée dans son passé, une nation moderne’ selon les idées du temps; que cette offensive intellectuelle de la France ait recommencé au XVII e et au XVIII e siècle; et que l’Allemagne lui ait dû toutes les inspirations de civilisation supérieure qui lui sont propres. Mais s’il est difficile d’admettre la pensée de Louis Reynaud, quoique défendue avec vigueur, il faut reconnaître qu’il décrit avec sagacité les préventions allemandes contre la France, les obstacles principaux qui ont causé le retard des Allemandes dans la civilisation européenne, les avantages aussi qu’ils ont retiré [sic! ] de leur lente évolution.“ (29) 57 Edmond Vermeil pour sa part, disait „reproche[r]“ à Reynaud „d’avoir trop dit que l’influence française en Allemagne était un bienfait pour les Allemands, ce que je crois, mais d’avoir ajouté, ce qui est faux, que l’influence allemande chez nous n’a été que néfaste“ alors que, poursuivait-il, en opposition avec les thèses de Reynaud, „nous avons subi l’influence allemande, vers 1815, tout simplement parce que nous sommes, nous aussi, à notre manière, des fils de cette Révolution sentimentale du XVIII e siècle qui a réveillé ou rafraîchi notre littérature et qui nous a sortis du classicisme étroit du XVII e siècle“ (L’Allemagne et les démocratie. Les conditions générales des relations franco-allemandes, Publications de la conciliation internationale, Dotation Carnegie pour la paix internationale, Paris, Bulletin N° 1, 1931, p.15). 58 IFA, 517. La thèse défendue ici par Reynaud est strictement identique à la façon dont Maurras envisageait le rôle de la France dans la naissance de la civilisation européenne (Cf. à ce sujet Michel Grunewald, „De Luther à Hitler. Maurras et l’„ Allemagne éternelle’“, in: Olivier Dard, Michel Grunewald (eds.), Charles Maurras et l’étranger - L’étranger et Charles Maurras, Berne, Peter Lang (= Convergences vol. 50), 2009, 339-358. 59 IFA, 518. 60 Cf. supra, notes 57 et 58. 61 IFA, 44 sqq. 62 Cf. ibid., 49. „De l’époque de la domination gallo-franque date, en effet, tout ce qui constitue l’Allemagne moderne: sa base territoriale, son gouvernement, sa littérature, son art. Son histoire commence là.“ 63 Ibid., 317. 64 Ibid., 319. Ceci revient à dire en d’autres termes que le peuple allemand est redevable aux Français de l’autonomie qu’il a acquise au fil des siècles (donc, en fin de compte, à lui dénier toute autonomie). 65 IFA, 171. 66 Ibid., 172. 67 Ibid. 41 Dossier 68 Ibid. 69 Ibid., 173-174. 70 Ibid., 424. 71 Ibid., 415 (italiques de Louis Reynaud). 72 Cf. à ce sujet notamment Michel Grunewald, supra, note 58. 73 Cf. supra, note 59. 74 C’est le titre qu’il donne à la seconde partie de L’influence allemande en France au XVIII e et au XIX e siècle: „L’invasion (1814-1914“ (cf. IFA, 145-310). 75 IFA, 33. 76 Cf. IFA, 29-37 et IAF, 299. 77 IAF, 300-301: „La Réforme luthérienne […] se répandit tout d’abord dans les milieux universitaires, où elle trouva tout de suite un accueil des plus favorables. L’instant était critique. Si le protestantisme, sous sa forme luthérienne, eût triomphé chez nous, c’en était fait probablement de la tradition latine en France, et notre pays, au lieu de continuer à adhérer au bloc roman, se fût désormais rattaché au bloc germanique. Un moment on put croire qu’il allait en être ainsi, tant était grand l’empressement de notre élite intellectuelle vers les doctrines allemandes. Mais dans cette élite intellectuelle même qui avait adopté le protestantisme, une réaction inattendue du génie français eut lieu. Calvin nationalisa l’idée de la Réforme. Ce fut la fin du luthéranisme français, qui se perdit rapidement dans le calvinisme. Or le calvinisme était aussi roman et latin que le luthéranisme était germanique.“ 78 Si Reynaud se montre aussi négatif dans sa présentation de l’influence allemande en France à partir du XVIII e siècle, c’est en fonction de sa conception même de la relation entre les peuples inspirée de Hegel (cf. supra, note 39) qui le conduit à estimer qu’un peuple qui s’affaiblit est fatalement voué à se soumettre à ceux qui tentent de l’influencer. Et dans la vision qu’il défend, comme pour ses amis de l’Action française, la France était en péril depuis le XVIII e siècle. 79 IAF, 9. 80 Ibid., 304. 81 Ibid., 61. 82 Ibid., 117. 83 Ibid., 118. 84 Ibid., 132. 85 Ibid., 141. 86 Ibid., 179: „On dirait que la France, définitivement lasse d’elle-même, ne sait plus que se mépriser et se condamner. De tendancieuses doctrines germaniques ont passé la frontière, représentant avec une audace inouïe, qui se dissimule sous un respect tout extérieur des faits, l’Allemagne comme la créatrice par excellence de la civilisation moderne, et ces doctrines ont trouvé un écho empressé en France.“ 87 Ibid., 235-237. 88 Ibid., 241-246. 89 Ibid., 241. 90 Alors que Taine ne se serait inspiré que partiellement de Hegel, Renan aurait, pour sa part, adopté complètement le système hégélien (IAF, 250) et en particulier une idée que Reynaud estime contraire à la pensée chrétienne, celle du „devenir“ de Dieu (IAF, 250). Tout ceci pour Reynaud est purement et simplement la preuve que Renan n’a plus rien de commun avec l’esprit français, mais est au contraire „imprégné de germanisme jusqu’aux moelles“. (IAF, 252) 42 Dossier 91 IAF, 260. 92 FA, 341-342. 93 Ibid., 359 et IFA, 283-286. 94 Maurice Barrès, Les Bastions de l’Est. - Le génie du Rhin, Paris, Plon 1921. 95 Cf. IFA, 550. 96 Ibid., 309. 97 Ibid., 310. 98 L’évacuation anticipée de la zone de Mayence (dernier secteur occupé en Rhénanie) par les Français après l’adoption du Plan Young, a donné lieu une série de prises de positions très polémiques de Maurras et ses amis dans le journal l’Action française (cf. notamment les éditions du journal en date du 6 avril, des 2, 3, 5, 6 et 10 juillet 1930). 99 FA, 380. Comme le révèle le rapport d’Auguste Ehrhard devant le conseil de l’Institut de langues vivantes de la Faculté des lettres de Lyon déjà évoqué (cf. supra, note 13), les thèses développées par Reynaud dans Français et Allemands furent accueillies avec beaucoup de réserves par ses collègues germanistes. On notera toutefois que, bien que partageant ces réserves, mais compte tenu du climat qui régnait au niveau des relations franco-allemandes en 1931, Charles Andler lui-même, malgré ses opinions personnelles opposées à celles de Reynaud, formula sur les livres de son collègue, y compris Français et Allemands, l’avis suivant dont il fit part à Auguste Ehrhard: „Il n’en est pas moins vrai que même dans ces livres où il est visiblement un homme de parti, un antisémite inféodé à des partis politiques connus, Reynaud découvre plus d’un problème, rappelle des litiges trop oubliés et nous donne parfois d’utiles avertissements.“ (carton F/ 17/ 24537). 100 Ibid., 381. 101 Cf. AA 1933, 243-244. 102 FA, 384. 103 FA, 383. 104 Ibid., 384. 105 AA, 243. 106 AA 1933, 228 et 238. 107 Ibid., 231. 108 Ibid. 109 FA, 384. 110 Ibid. 111 AA 1933, 250. 112 A la fin de 1934, il préconise que les étrangers ne s’intéressent pas à ce qui se passe à l’intérieur de l’Allemagne, mais concentrent exclusivement leur attention sur la politique extérieure des nouveaux maîtres du pays: „En ce qui concerne particulièrement l’Allemagne, il nous faut dire, une fois pour toutes, que nous n’avons à nous occuper de ses faits et gestes que dans la mesure où ils nous intéressent directement, nous et nos vrais amis. [...] Il ne faut pas que l’Allemagne ait l’impression que, de parti pris, nous ne songeons qu’à lui nuire. Autant nous devons être fermes dans la défense de nos intérêts, autant nous devons nous montrer discrets et prudents dans les affaires qui ne nous regardent pas.“ („L’hitlérisme et nous. 2., cf. supra, note 19, 937). En adoptant cette position, Reynaud épouse en fait le point de vue des nationalistes allemands, et spécialement celui que les nationaux-socialistes défendaient dans leur vision des relations entre les nations. C’est cette vision que prônait notamment Otto Abetz dans les Deutsch-französische Monatshefte (cf. Michel Grunewald, „Le couple France-Allemagne’ vu par les nazis. L’idéologie du rapprochement franco-allemand’ dans les Deutsch- 43 Dossier Französische Monatshefte/ Cahiers franco-allemands (1934-1939)“, in: Hans Manfred Bock, Reinhart Meyer-Kalkus et Michel Trebitsch (eds.), Entre Locarno et Vichy. Les relations culturelles franco-allemandes dans les années 1930, Paris, CNRS Editions 1993, vol. 1, 131-146). 113 AA 1933, 251. 114 Ibid., 281. 115 Ibid., 242. 116 Cf. à ce sujet Georges Henri Soutou, Martin Motte (éds.), Entre la vieille Europe et la seule France. Charles Maurras, la politique extérieure et la défense nationale, Paris, Economica 2010. 117 Cf. „L’hitlérisme et nous. 2.“ (cf. supra, note 19), 936. 118 Cf. AA 1933, 279-280. 119 Cf. à ce sujet le chapitre 8 de L’Ame allemande, intitulé, dans la première édition, „L’Allemagne à l’école de l’ Américanisme’“ (AA 1933, 253-270) et, dans la seconde, „La démesure’ germanique“ (AA 1939, 254-268). 120 Cf. ses deux articles: „L’hitlérisme et nous. 1. (cf. supra, note 19) 889-896; „D’où vient l’Hitlérisme? “ (cf. supra, note 19) 285-302; cf. aussi le chapitre 6 de L’Ame allemande, intitulé „Le sentiment national et la conception de la politique en Allemagne“ (AA 1933 et 1939, 189-228). 121 Cf. Michel Grunewald (cf. supra, note 58). 122 Cf. „L’hitlérisme et nous. 1“ (cf. supra, note 19), 896. 123 Cf. AA 1933, 280. 124 „L’hitlérisme et nous. 2.“ (cf. supra, note 19), 934-940. 125 Ibid., 935. 126 Ibid., 935-936. 127 Ibid., 938. 128 Cf. Michel Grunewald, supra, note 58. 129 AA 1933, 268. 130 Cf. „L’hitlérisme et nous. 2. (cf. supra, note 19), 939. 131 Ibid., 940. 132 Ibid., 939. 133 „D’où vient l’Hitlérisme? “ (cf. supra, note 19). 134 Cf. Elisabeth Du Réau, Daladier, Paris, Fayard 1993. 135 Cf. DF, 215-216. 136 Ibid., 212-213. 137 Ibid., 212. 138 Ibid., 213. 139 Ibid., 214. 140 Ibid. 141 Ibid., 215. 142 Ibid., 216. 143 AA 1939, 266-267. 144 DF, 214. 145 AA 1939, 277-278. 146 Cf. à ce sujet l’étude Pierre Lacaze, L’opinion française et la crise de Munich, Berne, Peter Lang (Publications Universitaires Européennes, série III, vol. 503) 1991. 147 Cf. supra, note 117. 148 Cf. AA 1939, 251. 44 Dossier 149 Cf. à ce sujet notamment: Charles Bloch, Le III e Reich et le Monde, Paris, Imprimerie nationale 1986, 314 sqq. 150 AA 1939, 279. 151 Cf. Charles Bloch, Le III e Reich et le Monde (supra, note 149), 297 sqq. 152 AA 1939, 280. 153 „Naissance et mort de la Troisième République“, in: L’Illustration, 18.01.1941. 154 „Comment nous avons été conduits à la guerre“, in: L’Illustration, 23.11.1940. 155 Ibid. 156 „L’explication de notre effondrement“, in: L’Illustration, 08.02.1941. 157 Ibid. 158 „Comment nous avons été conduits à la guerre“ (cf. supra, note154). En novembre 1940, Louis Reynaud continue à défendre la thèse selon laquelle si, en 1939, les Français avaient entamé de vraies discussions bilatérales avec l’Allemagne, une entente entre les deux pays aurait été possible. 159 Cf. à ce sujet notamment: Maréchal Pétain, La France nouvelle. Principes de la communauté suivis des Appels et messages 17 juin 1940-17 juin 1941, Paris, Fasquelle, 1941. 160 Cf. „Naissance et mort de la Troisième République“ (cf. supra, note 153). 161 Cf. sur ce point la thèse de Cordula Marx: Die französische Wochenzeitschrift „L’Illustration“ während der Zeit der deutschen Besatzung 1940-1944. Inaugural-Dissertation zur Erlangung der Doktorwürde der Philosophischen Fakultät II der Julius-Maximilians-Universität zu Würzburg, vorgelegt von Cordula Marx, 1993. 162 „La France dans l’Europe de demain“, in: L’Illustration, 31.05.1941. 163 Ibid. 164 Ibid. 165 Ibid. 166 Ibid. 167 Ibid. Resümee: Michel Grunewald: Louis Reynaud (1876-1947): der Lebenslauf eines Germanisten, der der Action française nahe stand. Der Lebensverlauf von Louis Reynaud stellt eine der möglichen Varianten dar für die Entwicklung eines Menschen mit konservativen und antirepublikanischen Überzeugungen, der zur Action française neigte. Nach seinen Wunschvorstellungen konnte die französisch-deutsche Beziehung nur dann wirkungsvoll sein, wenn Frankreich gegenüber dem Nachbarland seine Führungsrolle durchsetzte. Da dies Vorhaben sich als nicht realisierbar erwies, trat Reynaud seit 1933 als Fürsprecher eines „tête-à-tête“ zwischen Partnern auf, die ausschließlich auf ihre „positiven“ Interessen bedacht waren; er sah darin ein Heilmittel für das „französisch-deutsche Malaise“, das aus der europäischen Entwicklung des 19. Jahrhunderts entstanden war. Aufgrund dieser Sicht der Dinge plädierte Reynaud für eine Wende Frankreichs zu einem „heiligen Egoismus“, die einher gehen sollte mit der Suche eines modus vivendi mit Hitler. Angesichts der Krise, die 1938 begann und in den Krieg führte, nahm er Standpunkte ein, die ihn - in Verbindung mit seiner spezifischen ideologischen Aufstellung - logischer Weise dazu führten, Pétain zu unterstützen, und schließlich ohne rechte Überzeugung zu wünschen, dass die „collaboration“ Frankreich einen demütigenden Frieden zu ersparen vermochte.