eJournals lendemains 38/150-151

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Narr Verlag Tübingen
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/91
2013
38150-151

Problèmes du réalisme dans la littérature française contemporaine

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2013
Jörn Steigerwald
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6 Dossier Jörn Steigerwald Introduction: Problèmes du réalisme dans la littérature française contemporaine La littérature contemporaine se caractérise par une multitude de ‚retours‘: à commencer par le ‚retour de l’auteur‘ en passant par le ‚retour de la narration‘ jusqu’au ‚retour du réel‘. Ce qui rassemble ces différents ‚retours‘, comme en témoigne la critique littéraire et universitaire, c’est, d’une part, qu’ils s’opposent clairement à l’écriture romanesque de la postmodernité et, d’autre part, qu’ils s’inscrivent dans des formes narratives qui renvoient au monde réel et à la relation entre l’homme et le monde. Ceci a pour effet que la littérature contemporaine pose de nouveau, mais autrement, la question de la représentation en littérature. De cette manière, telle représentation accentue encore le décalage qu’on peut constater entre les projets du ‚nouveau roman‘ et du ‚nouveau nouveau roman‘ des années 60, 70 et 80 d’une part et le roman contemporain d’autre part. S’y ajoute le fait qu’on discute actuellement dans la critique littéraire et esthétique ce point fondamental de savoir si la fiction en tant que telle se base sur une esthétique de référence ou sur une esthétique de présence. Une discussion qui suscite des conclusions très différentes concernant l’auteur, la narration et la fiction, selon l’esthétique qui est privilégiée. On trouve ainsi dans le roman contemporain une reprise de la discussion autour de la représentation, discussion qui trouve son point de départ dans la fameuse métaphore du miroir chez Stendhal ainsi que dans la description par Jakobson de la fonction poétique du langage; et, ce qui est plus important, la discussion s’ouvre sur deux réponses possibles: un réalisme social et un réalisme ‚créaturel‘; c’est à dire qu’on se dirige soit vers la mimèsis, soit vers la simulation. Cependant la littérature contemporaine constitue aussi un défi pour la critique littéraire, et ce défi va avoir des conséquences importantes. Si l’on considère le rapport de la critique universitaire à la littérature contemporaine, on constate aisément que cette critique s’intéresse de préférence à des auteurs et à des romans qui suivent les injonctions de la ‚nouvelle critique‘, voire de la French theory, tandis que bon nombre d’auteurs contemporains prennent leurs distances par rapport aux programmes d’écriture ‚pure‘ ou d’intransitivité et ne suscitent ainsi guère l'intérêt de la critique universitaire. Par ailleurs, l’approche universitaire, dans sa lecture du roman contemporain, ressemble fort à cette critique littéraire qui réprouvait les romans réalistes du XIX e siècle. Il s’ensuit donc que la question du réalisme dans la littérature contemporaine se pose de nouveau et d’une nouvelle manière. En se basant sur ces observations, ce dossier sur les Problèmes du réalisme dans la littérature française contemporaine nous invite à réfléchir sur la situation du roman contemporain en analysant des auteurs et / ou des romans représenta- 7 DDossier tifs. Depuis des années, la critique pose la question de savoir comment et dans quelle mesure on peut parler en effet du retour de l’auteur, du retour de l’histoire ou du retour du réel. La critique se demande également, mais dans une moindre mesure, si ces ‚retours‘ doivent être compris comme transformation de modèles narratifs historiques ou s’il vaut mieux les saisir comme conceptions nouvelles issues des débats de la postmodernité ou, plus avant encore, des querelles du XX e siècle sur le réalisme, à commencer par Proust et en passant par Céline et Gide, jusqu’à Butor, pour ne nommer que des exemples majeurs. Par contre, on n’a pas jugé utile jusqu’à présent de s’interroger jusqu’à quel point on peut constater une tension entre une esthétique de référence et une esthétique de présence dans la littérature contemporaine. De là résulte le constat, qui sert en quelque sorte de fil rouge au présent dossier, que le roman contemporain tire son potentiel de la combinaison intrinsèque des deux domaines. Bref: le réalisme du roman contemporain n’est ni un réalisme social, ni un réalisme poétique, il est un réalisme poétique et social tout en même temps. A partir de cet état de la recherche concernant la littérature française contemporaine, deux questions centrales se posent que le présent dossier a pour objet de traiter: premièrement, les romans contemporains proposent-ils en effet un savoir sur le monde et sur l’homme? Question qui revient encore de manière réitérée dans les débats autour des études littéraires comme étant sciences humaines, sciences de la vie, débats auxquels il conviendrait d’ajouter une réflexion sur la conception de la littérature comme problématisation de la vie. La deuxième question concerne la fonction de la littérature comme révélation, mise en lumière du monde, voire même son aptitude à reconfigurer l’Histoire et mettre ainsi en scène la réalité et la vie des hommes. Ces deux questions interrogent donc le statut particulier de la littérature et, à travers lui, ce qui constitue l’autonomie de l’art; une autonomie qui selon les critiques des romans réalistes d’aujourd’hui serait en voie de perdition Néanmoins, cette approche critique est intéressante en ce qu’elle suscite encore une réflexion par rapport à ce paradigme de l’autonomie de l’art et à ses critères déterminants (autoréférentialité, intransitivité, ‚écriture‘, etc.) d’une part et qu’elle pose la question même des possibilités et des limites d’un tel paradigme d’autre part; une réflexion qui pourrait ainsi prolonger les débats lancés par Bataille et Blanchot, et également par Ricœur. C’est sur cette base que les présentes études se proposent d’aborder les problèmes du réalisme dans la littérature française contemporaine et d’analyser les paradigmes du roman contemporain. Pour ne donner que quelques exemples qui peuvent servir de guide, on se demandera ainsi quelle est la valeur de l’archive en ce qui concerne les thématiques ou l’identité des narrateurs. On comprendra mieux cette question à la lecture, entre autres, des romans de Pierre Michon. Ou bien quel statut peut-on donner à ces fictions historiques qui se réfèrent au modèle de l’histoire conjecturale, comme par exemple le roman de Jonathan Littell, Les Bienveillantes? Une autre question concerne ce ‚retour‘, dans la littérature contemporaine, au roman réaliste du XIX e siècle: s’agit-il ici d’une référence au 8 DDossier contenu ou d’un simple renvoi a la dénomination „realisme“, mettant moins l’accent sur la réactualisation du roman dit balzacien que sur la conception nouvelle du réalisme propre à la littérature contemporaine. Par ailleurs, quelles sont ici les stratégies d’écriture qui dépassent consciemment les limites de la représentation réaliste, comme le font Michel Houellebecq et Philippe Toussaint en utilisant des structures temporelles grammaticalement incorrectes comme ‚c’était maintenant‘? Quelle est la fonction de ces stratégies? Une dernière question concerne le statut et la fonction de l’auteur et du narrateur qui connaissent, du moins depuis l’émergence de l’autofiction une nouvelle importance; en effet, la question basique de toute analyse narratologique: qui parle? , devient dans la littérature contemporaine un problème fondamental de la narration, comme le révèlent diversement les situations narratives dans Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq ou dans 99 francs de Frédéric Beigbeder. Cette liste de questions, ou d’approches, concernant les problèmes du réalisme reste bien nécessairement incomplète; elle exigerait bien entendu d’être élargie avec, par exemple, la problématisation de l’hérédité dans les romans de Marie Redonnet, les reconfigurations de l’Histoire dans les romans de Laurent Mauvignier ou encore la thématisation des émotions, comme celle de la honte dans les romans d’Annie Ernaux. Elle permettra cependant une orientation plus précise dans la discussion du concept de réalisme et elle intègre explicitement la définition de Auerbach et d’autres penseurs. En effet, si les présentes études se concentrent de préférence sur les problèmes du réalisme dans la littérature contemporaine, elles ne négligent pas cependant, par un heureux effet rétrograde, de traiter aussi du réalisme dans le roman réaliste au XIX e siècle.