eJournals lendemains 38/152

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Narr Verlag Tübingen
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2013
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Les symboles franco-allemands à l'écoute d'un Schelmenroman

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2013
Andreas Rittau
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19: 53 112 DDiscussion Andreas Rittau Les symboles franco-allemands à l’écoute d’un Schelmenroman Lecture interculturelle de On n’a pas toujours du caviar En 2013 a été célébré le cinquantième anniversaire du traité franco-allemand de l’Elysée, symbole par excellence de la réconciliation. Le roman de Johannes Mario Simmel, Es muss nicht immer Kaviar sein, 1 datant de 1960 et donc publié trois ans avant la signature du Traité d’amitié, a vocation lui aussi à être considéré comme un symbole de la réconciliation franco-allemande en raison des nombreuses déambulations du personnage principal: l’agent secret pacifiste franco-allemand Thomas Lieven, tour à tour actif en Allemagne et en France entre 1939 et 57; cette fiction avait été alors diffusée à plus de trente millions d’exemplaires 2 en Europe, en Allemagne principalement; du point de vue de la Théorie de la réception, il tombait donc à point nommé dans l’horizon d’attente de la réconciliation francoallemande qui se dessinait alors. Même si ce roman a été délaissé par la critique universitaire en raison de son peu d’intérêt sur le plan stylistique, le grand nombre de ses lecteurs (il a été traduit en 38 langues), et sa réédition en français en 2009 (au moment du décès de l’écrivain), justifient cependant qu’on lui prête autrement attention. Une telle réception du roman ne peut en effet laisser indifférent. La présente contribution est l’occasion de réinterroger les échanges franco-allemands en insérant, avec plus de précision, ce livre dans deux traditions littéraires: la première, le Schelmenroman (insistant volontiers sur les aspects fonctionnels de la vie quotidienne: manger, boire, vie amoureuse, et sur les déplacements d’un héros atypique tant dans l’espace géographique que social) et plus encore la seconde, plus spécifiquement allemande du Bildungsroman ou roman de formation, „proche par bien des aspects du roman picaresque“ 3 , genre qui montre l’évolution-apprentissage et les transformations du personnage principal à travers les aléas de la vie. Deux axes, deux cohérences qui replacent ce roman dans une intertextualité plus vaste, au-delà de l’actualité, dans une prise de conscience de la modernité. Seront étudiés ici les nombreux stéréotypes et clichés franco-allemands évoqués à la lumière de cette double approche par une relecture interculturelle des années 2000. Cette nouvelle édition peut en effet être considérée comme un véritable document sociologique de traits spécifiques allemands et français. 113 DDiscussion Le roman Dans ce livre, le héros central, Thomas Lieven, agent-espion allemand des services secrets, se retrouve malgré lui, en France, à travailler également pour les services secrets français puis anglais, à chaque fois sous une identité différente. En France, il devient Jean Leblanc, puis Pierre Hunebelle. Plus tard en Allemagne, il sera Monsieur Hauser, puis Peter Scheuner et Ernst Heller. S’il parvient à maintenir le cap, tout au long de ses aventures dignes d’un Arsène Lupin, c’est grâce à une conduite basée sur le refus de provoquer des morts, au nom du triomphe exemplaire des forces de vie; et ceci sans céder au „sentimentalisme“, aux „chimères“ (442), ni à aucune convention préétablie. Lieven se veut un être libre face à une situation historique inextricable qui pourtant ne le détourne pas de son objectif primordial: „sauver des vies humaines me paraît sympathique. Sans distinction de nationalité ou de religion“ (395). La rapidité du rythme picaresque D’ailleurs la lecture des premières pages suffit pour constater que le roman est mené sur un rythme très rapide, né d’une succession de changements de situations - explicables, bien entendu, par le contexte de la guerre - et se traduisant par une référence constante à des villes françaises et allemandes égrenées au fil des pages. En effet, les villes citées s’avèrent nombreuses: entre autres Paris, Lille, Toulouse, Marseille, Clermont-Ferrand, Montpellier, Le Mans, Cannes, Versailles, Nevers etc. Du côté allemand: Düsseldorf, Cologne, Dresde, Leipzig Zwickau, Marburg, Hambourg, Stuttgart, Wiesbaden, Berlin, Francfort, Münster, Munich, Baden-Baden, etc. Comme dans le roman picaresque, ces villes ne sont jamais décrites. L’écrivain fait directement appel à la connaissance présupposée du lecteur concernant les différentes références urbaines. En revanche, les lieux sont très rapidement identifiables grâce à des repères, qu’il s’agisse de Leipzig ou de Baden-Baden. Les références concernent des monuments-symboles comme les Champs Elysées ou la Place de la Concorde pour Paris, le Casino et les Thermes pour Baden-Baden. Mais le plus souvent, ce sont des quartiers, des cafés, divers lieux publics qui, cités comme étant familiers, amènent instantanément à prendre ses marques lectorales. 4 Rythme effréné et parcours aventureux au sein de villes égrenées comme connues s’apparentent ainsi à cette tradition picaresque. 5 Une telle absence de différenciation détaillée est compensée par le recours systématique à des clins d’œil au lecteur: Marseille, lieu légendaire de trafics en tout genre, sous-entend immédiatement un ‚comme vous le savez‘. Le manque d’inventions à ce niveau est remplacé par un rythme accéléré et une accumulation 6 qui étourdissent par un ballet de renvois: „Au cours des cinq années de guerre et 114 de douze années d’après-guerre, Thomas Lieven 7 se vit dans l’obligation d’utiliser seize passeports de neuf pays différents “ (14). Tout comme dans un roman picaresque, l’essentiel ne consiste pas en la description des lieux mais en la chance inopinée, en un lieu donné, de la rencontre avec un personnage qui fait avancer la situation. La ville n’est pas définie par son système de fonctionnement, elle n’est pas agissante par sa référence architecturale spéciale ou sa texture; la ville offre bien plutôt, et avant tout, la possibilité d’échanges, donc de brusques bifurcations, à l’intérieur du parcours vital, pour le changer en destin, sous l’effet d’autres savoir-faires soudainement croisés. Une rencontre peut donc entraîner - tout comme dans le roman picaresque, et ce, dès le XVI e siècle 8 - un changement radical; c’est ainsi qu’une nouvelle rencontre, en l’occurence un personnage habile, sachant y faire, et détenant une connaissance parfaite des réseaux locaux, va pouvoir relancer l’action. Le héros apprend en observant. Même si les rencontres ne sont pas empreintes d’un parfait civisme, elles nous font entrer dans un monde parallèle possible, découvert au fur et à mesure, et basé sur toutes sortes de combines et trafics: „Pour Thomas Lieven, il n’existait pas de rideau de fer. Il trafiquait à l’Est comme à l’Ouest. Les autorités tremblaient devant lui“ (14). De par ces contacts et en raison de leur nature, le conflit franco-allemand se relativise, car il s’agit avant tout de faire rebondir les forces de vie, d’échapper sans cesse aux pièges tendus, tantôt français, tantôt allemands, en un mot, de pouvoir, tout simplement, continuer à vivre quels que soient les moyens utilisés, souvent en marge de la société. Et ces moyens sont attribués en priorité aux possibles réponses démultipliées de la ville, provoquant humour et dérision de par l’extrême importance accordée aux infimes valeurs du quotidien. Les allusions franco-allemandes interviennent alors dans ce contexte et sont utilisées tantôt comme points d’appui de l’action, à la fois évidents et fiables, tantôt présentées comme des absurdités auxquelles se heurte le personnage. Les considérations sur les deux pays deviennent aussi de simples constats à enregistrer comme faits issus des champs respectifs déjà balisés. Ces allusions sont censées être connues par le lecteur sans qu’il ait à les remettre en cause, mais en les intégrant en toute connaissance de cause. La technique de l’allusion est si étroitement liée à la ville qu’on la désigne, à chaque fois, par des lieux spécifiques, souvent prestigieux et intervenant dans le roman d’une manière presque totémique. Pour le côté français, les grands hôtels parisiens: le George V ou le Bristol et l’hôtel „Lutétia, boulevard Raspail, réquisitionné par les services de l’Abwehr“ (427). 9 Les marques connues, pour le champagne (Veuve Clicquot), ou les voitures (Peugeot et Mercedes). Si ces notations nombreuses se maintiennent tout au long du livre, elles ne sont jamais surprenantes et ne quittent pas les poncifs, les clichés auxquels le narrateur semble prendre un plaisir manifeste comme c’est souvent le cas dans ce type de roman. Désir d’utiliser ces références comme synonyme d’un mode de fonctionnement où l’essentiel réside dans la reconnaissance rapide des éléments cités, en vue de poursuivre l’aventure avec les différents partenaires rencontrés au hasard qui ap- 115 DDiscussion portent leur aide et proposent des solutions pour le moins adoxiques, loin de l’opinion bien-pensante incarnée, dans le cas de la Deuxième guerre mondiale, par un nationalisme outrancier dans l’affrontement des deux belligérants. Cependant, Allemands et Français continuent de se référer aux mêmes valeurs. Parmi les faux papiers, les faux passeports, les pickpockets, la confusion et la simulation, une belle voiture, un bon vin, un excellent restaurant, „une villa louée dans la partie élégante de l’allée Cécile à Düsseldorf“ (12) ou encore la joie de rencontrer une belle femme sont toujours appréciés. C’est pourquoi le point crucial de l’action consiste avant tout à se procurer de l’argent pour parachever l’action entamée. C’est le changement de ville qui constitue progressivement un réseau de relais et donc de personnes. Les conséquences d’une telle mentalité en pleine guerre dans le secteur des services de renseignements peuvent être imaginées quand la trajectoire sous-jacente tend à s’opposer à la violence guerrière ambiante. Mêlées au danger permanent, au faux, au louche, aux coups de poker, à la trahison, à la simulation, toutes ces connexions, dans ce genre scriptural, sollicitent le franco-allemand. Qu’en est-il donc de son expression dans le cortège des déplacements spatiaux et identitaires? Car en revanche, rien de vraiment nouveau n’est tenté dans la formulation syntaxique. Ce n’est qu’un récapitulatif d’une longue liste de poncifs, topiques, stéréotypes qui se redéploie de l’anecdotique aux grands symboles. Le franco-allemand: la cuisine et la musique Parmi l’ensemble relevé, la remarque qui revient le plus souvent concerne la cuisine française: „Les Allemands sont capables de faire un miracle économique, mais non pas la salade“ (11). Le domaine de la cuisine parfaite appartient toujours à la France: „ces pommes chips sont remarquables, on connait la bonne façon ici. La double cuisson, voilà ce que c’est. Oui, oui la cuisine française“ (64). Il s’agit là de stéréotypes réédités volontairement et ce en pleine guerre. Idem du côté allemand en ce qui concerne la musique qui, en Allemagne, prime et parachève tout d’une manière aussi ironique comme dans ce contexte d’une rencontre: „Elle trouvait Wilfried trop wagnérien“ (37). Les Français sont donc donnés comme supérieurs pour le bien-vivre fortement représenté ici et en premier lieu par la cuisine, le vin et les manières de table. Le livre s’ouvre sur la préparation minutieuse comparée d’une salade de laitue. A travers cet exemple, la France et l’Allemagne se font face en entier: la France centralisée comme la salade à l’assaisonnement conventionnel qui va de soi et l’Allemagne qui se divise en trois sortes de goûts - centre, sud et nord: „en Allemagne centrale, on la sucre et elle a le goût de vieux gâteau, en Allemagne du sud elle est aigre comme l’herbe à lapins et en Allemagne du nord les ménagères vont jusqu’à y mettre de l’huile de lin“ (11). Un consensus s’établit pour garantir à la France une supériorité indéniable malgré le contrepoint paradoxal de l’agent alle- 116 mand Lieven expert en cuisine, mais il est vrai, au-dessus de la mêlée de ceux qui combattent. En quelque sorte, le personnage nous rappelle que les humains sont soumis à l’obligation de manger, quelles que soient les circonstances. Loin de se contenter de décrire un plat, la recette est développée dans son entier avec le plus d’application technique possible, occupant parfois jusqu’à une double page. Le cours de la fiction s’interrompt donc pour laisser place à l’explicitation de la recette de cuisine correspondant à une spécialité et à un leitmotiv du livre. Quel que soit le lieu de contact, le protagoniste propose de faire la cuisine correctement, d’y prendre le temps, à la fois signe de respect pour les personnes présentes, et d’expressivité de l’humain européen qui démontre qu’un repas est toujours plus qu’un repas: convivialité et élégance, esthétique de l’expression transformant la banale réalité. 10 Le commentaire ajouté ne laisse pas de doute: „en bons Français, ils savaient rendre honneur à un plat de qualité“ (352), c’est-à-dire quand la recette est appliquée avec un maximum de méticulosité. Le repas en France, c’est aussi la conversation: „Il nous invite tous à dîner. Chez moi, dans deux heures. Il dit qu’on pourra causer tranquillement“ (351). La cuisine française n’est pourtant pas la seule à être revendiquée. Les plats allemands les plus méconnus sont parfaitement décrits eux aussi (ce qui ne peut que produire un effet de surprise sur un lecteur français). Les recettes allemandes sont volontairement détaillées à égalité avec celles de la cuisine française, comme deux spécialités possibles, issues de terroirs bien différents. Le potage souabe aux quenelles de foie comme le carré de porc farci à la mode de Westphalie ou encore la soupe aux herbes montrent un état de société différent produisant un réel effet de surprise et contribuant ainsi à faire connaître cette cuisine: „Ce que je préfère, c’est la cuisine française. Mais, je n’ai rien contre l’allemande! Un jour j’étais à Münster, j’ai mangé un carré de porc farci, j’en rêve encore! On va se faire une journée de cuisine allemande“ (232). Le savoir-faire, si longtemps éprouvé, change les plats préparés en spécialités culturelles et fait contraste avec les références françaises toutes archiconnues (rôti de veau et pommes frites). Cuisine et bien vivre s’accompagnent inévitablement, ce qui est synonyme pour les Allemands de ‚galanterie à la française‘; c’est là un prolongement culturellement logique: „Vive l’amour, vive la France“ (350)! Les Allemands, eux, sont considérés comme trop réservés: „Si nous autres Allemands, on s’intéressait un peu plus aux bonnes femmes, on ferait un peu moins la guerre“ (413). Les restaurants, les fleurs, les femmes sont rapportés dans une atmosphère typiquement française, d’une manière récurrente basée sur un savoir-vivre citadin et des jeux sociaux au quotidien: „Ce charme, cette tendresse, il ne peut être que français“ (227). Il arrive qu’un plat ravive des souvenirs du pays et, en conséquence, ranime les conversations politiques. A propos de l’épisode autour de la potée mecklembourgeoise, Thomas captive un général allemand ignorant qu’il s’adresse, en fait, à un compatriote: „Notre bonne d’enfants venait du Mecklembourg. Sa speciality était la potée mecklembourgeoise“ (103). Les propos sur la cuisine se tressent à toutes sortes de situations entre des ordres qui font sourire: „je veux envoyer la recette 117 DDiscussion au sous-chef d’état-major“ (104), et des croyances: „Prenez une gorgée de champagne, c’est tonifiant! “ (21). Bien sûr, le champagne plusieurs fois cité, comme les fleurs, les femmes et l’amour sont au rendez-vous français. En particulier, le champagne représente un symbole incontournable et refait son apparition en toute circonstance marquante. Pour sceller la collaboration avec les services de renseignements français, les paroles significatives accompagnent le vin: „Avant l’arrivée du champagne, permettez-moi de prononcer quelques mots frappés au coin de la sincérité“ (70). Le décorum français, puis international est chaque fois souligné: „Il prit deux coupes de champagne sur le lourd plateau d’argent“ (133). Au contraire, ce décor solennel peut aussi être rejeté: „le champagne, les fleurs, pourquoi tout cela? “ (477). Tout comme pour les villes représentées par des référents connus de tous, le symbole du champagne est de même exploité comme un code facile à manier, vite mis en place, sans innovations sémantiques, intensifiant aisément une situation tout en soulignant le versant d’origine française. Ce symbole se répète donc tout au long du livre sous forme de connivence avec le lecteur qui n’a aucune peine à identifier, penser ou interpréter ces symboles franco-allemands. Ils se résument dans la conjonction du café noir et du cognac (611). La référence quasi systématique à la cuisine dans le roman a la même fonction que les conversations soutenant les actions échelonnées à travers les villes européennes. En effet, la conversation, par ce biais, devient plus personnelle et incite à un échange moins formel, prétexte à toutes sortes de digressions rendant sensible le poids de l’héritage culturel de part et d’autre, qu’il s’agisse de l’Allemagne ou de la France. Les extrapolations entraînent loin du conflit guerrier, reliant les êtres en un tissu de connaissances et d’expressions d’une complexité dont personne n’aurait pris conscience en temps de paix. Si le domaine de la cuisine convoque plus spécifiquement la France pour le franco-allemand des années 60, c’est celui de la musique qui caractérise l’âme allemande, le domaine d’exaltation de l’idéalisme allemand: „Quand ils viennent d’en prendre plein la gueule, ils jouent du Beethoven“ (532). On passe par des raccourcis saisissants: „Bien des assassins jouent du Bach, dans ma patrie“ (387). Ce domaine n’est cependant pas autant explicité comme s’il suffisait d’y faire allusion pour se faire comprendre du lecteur: „C’est ça l’idéalisme allemand“ (313). Ce laconisme peut être explicité par l’intermédiaire d’Elie Faure qui, dans Découverte de l’archipel, passe en revue les caractéristiques européennes. Il s’attarde sur l’âme allemande qu’il définit en prise avec le temps: „Cet empire de la musique tréssaille et l’architecture apparaît à l’instant précis où l’âme est délivrée de [sa] hantise par son effluve musical qu’elle organise d’un élan. Miracle unique, et capable de justifier à lui seul tout le subjectivisme de l’Allemagne: ses musiciens, seuls entre tous les hommes, ont le pouvoir de faire tenir dans une forme invisible, muette, incolore, impalpable, le monde extérieur entier“. 11 118 Les stéréotypes L’utilisation du stéréotype par Simmel revêt des fonctions multiples. Il est utilisé bien entendu pour identifier Allemands et Français à travers des moules stéréotypés comme d’une part „Organisation allemande! “ (199) et d’autre part „Vive l’amour, vive la France! “ (350), syntagmes qui correspondent à la constitution d’identités sociales d’appartenance à un groupe tout en maintenant ensemble des impressions ressenties. Ce facteur de cohésion permet d’échapper au pathos politique du conflit guerrier. Au niveau de l’écriture du livre, le recours au stéréotype devient indispensable également pour désigner une appartenance, non pas à un groupe, mais comme manière de s’insérer dans une identité sociale reconnue. C’est enfin, pour l’écrivain, une manière de se situer entre les deux camps allemand et français, guidé par les stéréotypes sans toutefois échapper à leurs formulations sous forme de clichés à travers des énonciations tant de fois répétées. Le lecteur, de son côté, absorbe de bonne grâce des formulations aux aspects figés comme on en voit souvent dans la paralittérature. Il apprécie, grâce à cette façon de faire de l’auteur, le fait de s’y retrouver si facilement. Les remarques s’assemblent autour des stéréotypes: „Le stéréotype est mis en place à partir d’une véritable activité de déchiffrement qui consiste à trouver les attributs d’un groupe“. En effet, porter un avis défavorable sur les Allemands „par le seul fait de leur appartenance de groupe“ 12 permet au lecteur de réajuster son jugement. C’est pourquoi les caractéristiques attribuées aux Allemands et aux Français sont reprises en un „répertoire“. 13 On ne peut pas affirmer que les stéréotypes se relient au fonds culturel, ils s’y greffent comme un surgeon sans fondement véritable. Bien souvent, c’est en effet le retour dans l’ornière rassurante des stéréotypes si facilement et trop souvent convoqués quand il s’agit de l’Allemagne 14 et que la presse française a tant de fois cités également jusqu’aux années 2000. 15 Ce qui revient avec le plus de fréquence, c’est la soumission allemande à l’autorité, l’expression de la violence („un poing allemand cogna avec fracas sur un bureau de chêne allemand“, „la main teutonne“, 192 et 97). Encore la tendance, la volonté, l’habitude de trahir dans la figure de l’espion allemand démentie en même temps par la figure atypique de Lieven. Le goût et l’aptitude à l’organisation, à l’ordre dans tous les domaines ou encore la fascination pour l’érudition à l’allemande („l’énorme crâne de savant“, 409) représentée par le livre et la bibliothèque dont le raccourci devient poétique: „Rouges et dorés, bleus, blancs, jaunes et verts, les dos des centaines de volumes contenus dans la bibliothèque luisaient dans la pénombre“ (23). Enfin, „l’idéalisme allemand“ est plusieurs fois souligné, relié à l’esthétique: „L’Obersturmführer, un esthète blond qui professait une prédilection pour Rilke et le poète Stefan George“ (486). Les allusions littéraires, de part et d’autre, sans être très nombreuses sont présentes, par exemple, à travers l’insertion d’une strophe de Brecht, tiré de l’Opéra de quatre sous (126). En revanche, les références à l’Histoire pendant l’occupation, la période de Vichy, de la résistance et de la Gestapo sont traitées de manière parodique pour 119 DDiscussion mieux en dénoncer l’absurdité. Les réactions instinctives sont toujours dénoncées comme tous les réflexes liés à la haine. Toute une gamme d’attitudes entre Allemands et Français est relatée, s’appuyant sur une prise de position de principe patriotique qui se traduit ainsi: „Il y a deux choses au monde que je déteste la roulette et les Allemands, ( ) Vous êtes français, Monsieur. Je sais que vous me comprenez“ (169). Or, cette interlocutrice a justement affaire à l’agent secret allemand Lieven. Ironie facile, certes, que ce rapprochement entre un grand conflit international et un jeu de casino! C’est que Lieven se met sans cesse en position de révélateur où viennent se refléter les sentiments, les réactions humaines les plus diverses à condition de ne pas entrer dans le jeu social convenu et attendu. C’est dans ce prisme supranational que se déroule tout le conflit franco-allemand. Le plan psychologique et esthétique divergent dans ce cas puisque tout est centré sur un effet d’assemblage qui garantit la compréhension à travers les contradictions: „Vous avez été sauvé grâce à l’aide allemande“ (481) ou encore avec humour: „Vous connaissez les façons des Allemands“ (301). Si les prises de position annoncent cependant la réconciliation franco-allemande, le niveau esthétique demeure banal car il repose sur une connivence ou des sous-entendus facilement rapprochables du stéréotype et ne parviennent pas à se muer en innovations syntaxiques. Le lecteur est, de cette façon, maintenu dans un confort linguistique convenu. Depuis longtemps, ces schèmes sémantiques ont été mis en place et grâce à eux l’introduction d’un rythme très rapide. De nombreuses variantes peuvent être citées qui ont dû, à l’époque, alimenter la vie quotidienne: „Comment pouvez-vous aider un Allemand? Voulez-vous qu’Hitler gagne la guerre? “ (226) ou encore tout simplement: „Je hais tous les Allemands. Thomas Lieven protesta contre une généralisation aussi stupide“ (532). Bien entendu, cette fois encore, le personnage ne sait pas qu’il s’exprime en français devant un Allemand. Pendant que la majorité répète: „Pour eux, un Allemand, c’est un Allemand“ (442), Lieven cherche une idée pour „faire quelque chose, tout en restant un homme intègre“. Confusion des références: „En me mettant à la place d’un Français je vous comprends très bien“ (481) à laquelle Lieven répond: „Sang allemand, sang français, je n’en veux voir couler aucun“. Les épisodes de fiction sont souvent accompagnés de commentaires qui renchérissent et signifient clairement au lecteur le point de vue supranational adopté au nom d’une autre idéologie humaniste comme „citoyen du monde“, „vous vous sentez chez vous dans le monde entier, partout où vous avez des amis“ (658). Pour être plus clair encore, Thomas Lieven déclare avec provocation en pleine guerre: „Je déteste la violence, je me refuse à toute effusion de sang“ (370), de même qu’il refuse de porter un uniforme d’un quelconque pays. Tout annonce déjà l’Europe et l’on frôle la confusion à plusieurs reprises: „Je vous aime bien! Sincèrement, j’aime aussi la France. Mais je vous le jure dès à présent: si vous m’obligez de nouveau à travailler pour vous, je vous roulerai une fois de plus, car je ne veux nuire à aucun pays, même au mien“ (300). La décision personnelle l’emporte sur la politique en en dénonçant l’absurde imbroglio et les conséquences désastreu- 120 ses en cas de prises de position rigides réitérées. Lieven ne fléchit pas dans son attitude première, courageuse, acceptant de montrer la voie à chacun. Pour un lecteur du XXI e siècle, 16 ayant intégré l’attitude vitaliste, Thomas Lieven se dessine comme symbole de paix, parmi les horreurs côtoyées. Cela parce qu’il a cherché à échapper à tout systématisme réducteur de la vie. La cuisine allemande n’est plus perçue comme démodée ou plus ancienne mais, une parmi les cuisines du monde, réclamant savoir-faire et sociabilité comme partout ailleurs. Une composante résiste dans la figure de l’érudit, l’attrait pour le savoir, la culture et les bibliothèques allemandes. Subsiste aussi de tous ces stéréotypes, le pays de référence de la musique classique. Il n’en demeure pas moins que la mise en scène de la défaite française de cette époque captive comme un roman policier. Le Bildungsroman Pour montrer que les clichés réédités dans cet ouvrage font sourire le lecteur franco-allemand d’aujourd’hui, il s’agit encore de se reporter à une autre référence que le picaresque, en confrontant cette fois ce livre avec le Bildungsroman (ou roman de formation) et ceci à travers le personnage principal Lieven qui métamorphose non seulement son entourage mais également le lecteur. Le personnage du début du roman est confronté à son insu à des complications qui le dépassent et vont l’obliger à composer, à innover, à changer d’identité et surtout à apprendre à survivre. Ce que le narrateur enseigne est hétéroclite: faux passeports de secours, contrebande, cambriolage, la fin victorieuse justifiant toujours tous les moyens. Un monde parallèle, picaresque et formateur, se met progressivement en place en laissant toutefois une place à un idéal de citoyen du monde aux règles immuables rappelées à chaque palier franchi et faisant le point sur les acquis. Les étapes sont clairement indiquées par des prises de position, des prises de conscience qui jalonnent à chaque fois le chemin déjà parcouru: „L’homme vertueux en Thomas Lieven, celui qui aimait la paix et détestait la violence, ne savait tout bonnement pas encore ce que l’avenir lui réservait “ (119). Ou encore des expressions comme „Toute cette science lui serait un jour fort utile. Ce sentiment devait se révéler juste à cent pour cent“ (237). La prise de conscience du changement s’exprime régulièrement: „Qu’est-ce que j’ai donc fait? J’étais un honnête homme, un bon citoyen et maintenant “ (265). La conclusion qui en est alors donnée: „L’homme est une énigme pour lui-même“ (74). Le personnage principal demeure adaptable jusque dans ses identités allemande, française et anglaise, qui lui font acquérir de plus en plus de lucidité. Il cale son accent et ses fautes linguistiques selon les situations et les personnes de manière à garder la gouvernance et à continuer à tirer les ficelles sans se trahir. Les objectifs se tiennent au niveau supranational jusqu’à l’obtention de ‚l’homme véritable‘ qui a trouvé son équilibre en sachant déchiffrer le monde. 121 DDiscussion Lieven finit par surmonter les différentes épreuves dressées par chacun des camps en présence et il en ressort finalement en vie mais aussi en paix. Le héros ira donc en se perfectionnant, les différentes épreuves sont à mettre sur le compte de la formation d’apprentissage du super-agent, qui s’efforce de comprendre les systèmes d’écoutes téléphoniques, le principe de précaution, l’acceptation de l’expérience nouvelle qui s’avère souvent utile, sinon salutaire. Mais surtout, Thomas Lieven accepte toujours de faire le point avant de continuer, soulignant les nouveautés à assumer: „Moi, un homme bien élevé et de bonnes mœurs, me voilà au milieu d’une crasseuse cuisine portugaise“ (269). La comparaison peut aussi devenir un facteur de progrès lorsque deux recettes de canard, deux pratiques culturelles sont mises face à face de façon à les jauger comparativement! Le Bildungsroman s’inscrit, selon la formule originelle du genre instauré par Karl Morgenstern comme „l’essence du roman par opposition au récit épique“. 17 Le roman d’apprentissage est avant tout un cheminement transfigurateur d’un héros qui atteint, à travers les épreuves et les obstacles, un état supérieur de l’être, un autre registre que celui du commun. Souvent, de tels romans sont tripartites sur un long laps de temps et se répartissent entre les années de jeunesse, les années d’apprentissage, les années de maîtrise qui amènent un équilibre donnant une satisfaction dynamique. C’est l’environnement qui déclenche le processus d’évolution et d’éducation. Autrement dit, des réactions issues de la confrontation entre une individualité et l’entourage. Et des étapes charnières configurent le récit: on passe ici d’un antagonisme à l’unité européenne. Plus encore, ce but humaniste se justifie dans la Bildung, non seulement par le fait d’acquérir de bonnes manières mais dans une attitude face au monde, dans le monde sans y appartenir vraiment, du fait même d’être sensible à „l’énigme du monde“ dans chaque situation qu’il accepte de considérer. 18 La ‚formation‘ n’est pas seulement au cœur du roman, elle est également destinée au lecteur. Cette volonté d’éducation de ce dernier découlerait „du sentiment de supériorité et de l’esprit missionnaire d’un narrateur sûr de lui qui fait valoir son avance éducative sur celle de son héros et celle de son lecteur“. 19 Le roman d’apprentissage peut ainsi être considéré du point de vue du lecteur qui subit une transformation, tout comme le personnage principal. Pour le lecteur, il va falloir également dépasser l’antagonisme des deux camps vers une interculturalité qui repose sur deux principes: un modus vivendi personnel et la réconciliation franco-allemande en toile de fond qui prend racine dans une conduite de vie se résumant facilement: le refus de la haine, des préjugés appris ou ancestraux sans cesse réédités et le savoir acquis de démasquer les pièges de l’existence, tant au niveau politique qu’au niveau privé. Le lecteur dévient lui aussi européen, il acquiert une dimension internationale parce qu’il est confronté à des points de vue nationaux contradictoires ou transnationaux (allemands, français, anglais, espagnols, portugais, russes, américains et est-allemands). 122 La réconciliation franco-allemande Bien entendu, c’est la réconciliation franco-allemande qui se profile, par le fait même que des pays en guerre ou affrontés restent sans cesse associés, si bien que la première réaction de l’agent-espion consiste à se rire des limites et des frontières et à vouloir remplacer la guerre par l’expression d’une réciprocité plaidant en faveur de l’Europe ou représentant un avant-goût de celle-ci. Johannes Mario Simmel cherche à installer en Europe un idéal de non violence, de non agression que les Allemands ont justement développé après-guerre au nom de la repentance. Il en appelle aussi - à sa manière - à la fraternité entre les peuples. La voie à trouver est celle de l’interculturel. Tous les passages concernant la réconciliation franco-allemande peuvent être lus dans le sillage des romans de formation. La théorie de la réception, avec son concept d’horizon d’attente, donne quant à elle une explication du grand nombre de lecteurs allemands obtenus pour ce livre dans les années 60, prouvant ainsi que l’Allemagne tout entière était prête pour cette réconciliation. Les interactions associées à la fois aux circonstances de guerre et à la dynamique de la Bildung démontrent favorablement que l’interculturel européen est inévitable: „Thomas vit se précipiter vers l’extrémité basse de la place des centaines de Portugais et de réfugiés autrichiens, allemands, polonais, français, belges, tchécoslovaques, hollandais et danois. Thomas se laissa emporter par la foule“ (153). Le plus grand pas en faveur de la restauration de la paix reste la démonstration de la symétrie des méthodes militaires: „Les soldats [français] le poussèrent dans le même car malodorant et dépourvu de fenêtre où l’avaient, naguère, poussé des soldats allemands“ (529). Il est certain que ce volumineux roman peut être à bon droit considéré comme un recueil de notations franco-allemandes. Ce face à face franco-allemand est lisible comme un document interculturel rééditant la plupart des idées reçues sur les deux pays qui, à ce jour, ont heureusement changé. L’Allemagne n’est plus ressentie comme le pays du travail à outrance mais soumise aux mêmes difficultés de chômage que la France. La presse a également fait un effort pour se décaler des stéréotypes dans le cadre du „couple“ ou du „moteur“ franco-allemand. 20 Ces repères, aussi solides soient-ils, n’ont pas empêché la réconciliation franco-allemande. Au lieu de les nier, l’effort a été fait pour les souligner, pour en reprendre conscience et comprendre alors que cette base d’échanges existante ne peut être balayée parce qu’inévitable, un stéréotype faisant logiquement place à un autre plus récent. L’emploi systématique du stéréotype forme un socle pour se projeter dans l’avenir et entreprendre de nouvelles étapes. Les remarques sur les deux pays ne sont pas nées de l’imagination ou du hasard, elles reviennent à l’identique comme un ensemble bien constitué de balises toujours à notre disposition. D’un autre point de vue, ce roman des années soixante pourrait être relié sous forme d’intertextualité à d’autres romans appartenant à la fois à la tradition du Schelmenroman (du Simplicissimus de Grimmelshausen jusqu’à la Blechtrommel de Grass, les Ansichten eines Clowns de Böll ou encore le Hinze-Kunze-Roman 21 123 DDiscussion de Volker Braun) et à la Bildung (éventuellement de Peter Handke à Christoph Hein 22 ). Ces interactions en modifieraient la lecture. „La réactualisation mémorielle“ 23 a consisté en un constat de ce legs entre les deux pays, legs auquel une attention particulière a été accordée, et une vigilance, de manière à ne pas retomber dans l’ornière des clichés qui peuvent toujours ressurgir. En tout cas, une allégresse européenne se dégage de la relecture de ce roman. * Ce roman à succès peut donc être approché et compris à son tour, dans son entier, comme un symbole culturel en avance sur des prises de position étatiques. Le grand nombre de lecteurs prouve que les mentalités étaient prêtes à considérer les nations ennemies d’un point de vue transnational. Voir au-delà des griefs, des destructions pour envisager une ère nouvelle en direction de l’Europe. Les règles nationales sont battues en brèche au profit d’un objectif de paix durable qui s’est répandu progressivement dans les pays européens. Un idéal de réconciliation est perceptible à l’intérieur de cette fiction, idéal qui se maintient d’un bout à l’autre audessus des partis. Le transnationalisme d’après-guerre a pris diverses formes incorporées dans des agences, des structures, des organismes, mais le concept d’intégration sociétale transnationale est compris tout entier dans la réception extraordinaire réservée à ce livre. Sur des modes divers, le destin exceptionnel du héros scande le changement de mentalité à l’œuvre et que plus rien ne pourra arrêter, faisant des deux pays en opposition un partenariat basé sur un étroit rapprochement très rarement opéré et perdurant grâce à l’intégration européenne. C’est un maillon à distinguer sur l’immense chaîne des rapprochements francoallemands, livre-symbole à part entière auquel on ne peut que réserver une place dans le concert des manifestations culturelles et politiques plus officielles. Livreprémonitoire du traité de l’Elysée auquel on aimerait l’associer pour une compréhension, non plus dans le cadre d’une réhabilitation mais dans une prise en compte de la place qu’il mérite, tiré ainsi du silence universitaire. La fiction a pris le pas sur la politique et les relations bilatérales qui suivront avec leur cortège institutionnel. Cas exemplaire, significatif d’une mentalité en plein bouleversement induisant „une nouvelle composante dans le processus de formation de l’opinion en matière de politique extérieure faite d’une meilleure compréhension mutuelle comme condition de l’entente“. 24 Apprivoiser ce livre sous l’angle du symbole permet de l’apprécier plus globalement par rapport à la situation politique et socioculturelle au-delà de l’orbite littéraire. En dernière analyse, le personnage principal de ce roman historique peut être lu comme une fonction symbolique où „la visibilité l’emporte décidément sur la lisibilité. Le personnage du récit est mis en intrigue en même temps que le sont les événements qui, pris ensemble, constituent l’histoire racontée“. 25 Il s’en dégage alors un mouvement social spontané qui n’avait pas encore été analysé ou détecté 124 dans le cadre des relations franco-allemandes, détecté à la manière de l’efficacité symbolique, en d’autres termes comme participatif à l’installation d’un espace d’intersection entre les deux pays. Au-delà de l’efficacité symbolique, l’attention accordée à ce roman permet aussi de l’inscrire plus largement dans une histoire culturelle des relations internationales, dimension qui a pendant longtemps fait défaut dans ce secteur alors que désormais „le culturel non seulement y est admis de plain-pied, mais, de surcroit, sa prise en considération contribue à enrichir cette discipline“. 26 Le littéraire peut donc à son tour également y concourir. 1 Johannes Mario Simmel, Es muß nicht immer Kaviar sein, Munich / Zurich, Knaur, 1967 (en français: On n’a pas toujours du caviar, trad. Paul Lavigne, Paris, Robert Laffont, 2009). 2 Cf. Hannes Hintermeier, „Zum Tod Johannes Mario Simmels“, in: FAZ, 3 janvier 2009. 3 Florence Bancaud-Maën, Le roman de formation au XVIII e siècle en Europe, Paris, Nathan, 1998, 41. 4 Voir aussi Antonio Rafele, La métropole, Benjamin et Simmel, Paris, CNRS-Edition, 2010 et Georg Simmel, Les grandes villes et la vie de l’esprit, trad. Françoise Ferlan, Paris, L’Herne, 2007, 10sq. 5 Cf. Jürgen Jacobs, „Bildungsroman und Pikaroroman. Versuch einer Abgrenzung“, in: Gerhart Hoffmeister (ed.), Der moderne deutsche Schelmenroman. Interpretationen, Amsterdam, Rodopi, 1986, 9-18 et Matthias Bauer, Der Schelmenroman, Stuttgart, Metzler, 1994. 6 Voir aussi Hartmut Rosa, Beschleunigung. Die Veränderung der Zeitstrukturen in der Moderne, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2005 (en français: Accélération, une critique sociale du temps, trad. Didier Renault, Paris, La Découverte, 2010). 7 Le nom de Lieven se rapproche de Leben, ou de to live ou encore le vivant. Il restera, malgré les circonstances, profondément vivant. 8 Jean-Marie Valentin par exemple étudie les itinéraires qui ne concernent plus les pèlerins ou les colporteurs mais „le jeune homme de qualité“ de l’aristocratie allemande du XVIII e siècle accomplissant sa „Kavalierstour“ ou voyage qui considère en priorité „le système politique et la religion, l’espace et l’échange, la culture et l’éducation“. Ces voyageurs recherchent avant tout le contact dans un but aussi pédagogique que social sans atteindre les proportions de marginalité de Thomas Lieven. Autrement dit le livre de Simmel, après guerre, serait la projection de cette tradition dans le hors-norme (cf. „Les Itineraria Galliae dans l’empire du XVII ème siècle“, in: Marie-Madeleine Martinet / Francis Conte / Annie Molinié / Jean Marie Valentin (ed.), Le chemin, la route, la voie, Figures de l’imaginaire occidental à l’époque moderne, Paris, PUPS, 2005, 193-208). 9 Voir aussi à ce sujet: Wolfgang O. Hugo, „Das Lutetia wird 100. Bewegtes und bewegendes Schicksal eines Grandhotels“, in: Dokumente. Zeitschrift für den deutsch-französischen Dialog, 3/ 2010, 87-88. 10 Voir Gert von Paczensky / Anna Dünnebier, Kulturgeschichte des Essens und Trinkens, Munich, Orbis, 1999. 11 Elie Faure, Découverte de l’archipel, Paris, Seuil, 1995, 197. 12 Ruth Amossy / Anne Herschberg Pierrot, Stéréotypes et clichés, Paris, Nathan, 1997, 73 et 35. 125 DDiscussion 13 Ruth Florack, Bekannte Fremde. Zu Herkunft und Funktion nationaler Stereotype in der Literatur, Tübingen, Niemeyer, 2007, 3. 14 Les mots d’argot pour désigner les Allemands sont réitérés: Teutons (97), Boches, sacré Boche (298) et les expressions assimilées s’y ajoutent: „Les lourdes bottes allemandes“ (100). 15 Cf. Jochen Müller, Von Kampfmaschinen und Ballkünstlern: Fremdwahrnehmung und Sportberichterstattung im deutsch-französischen Kontext. Eine Presse- und Fernsehanalyse, St. Ingbert, Röhrig, 2004. 16 Chantal Horellou-Lafarge / Monique Segré, Sociologie de la lecture, Paris, La Découverte, 2003. 17 Wilhelm Vosskamp, Die Aktualität der Bildung und ihre Geschichte im Bildungsroman, Berlin University Press, 2009, 130: „ .das Wesen des Romans im Gegensatz zum [Epos] am tiefsten erfassenden besonderen Art .“. 18 Alors qu’au contraire Elsa Jaubert-Michel („Entre prestige aristocratique et contestation bourgeoise: la tradition du Grand Tour en Allemagne au XVIII ème siècle et son image dans la littérature“, in: Le chemin, la route, la voie, op. cit., 245-260) explicite l’importance du Kavalierstour au XVIII e siècle qui envoie le jeune homme en France pour se former et qui serait fortement dévié par l’atmosphère française transformant le jeune homme timide et curieux en „débauché, dissimulateur, galant, superficiel“ n’ayant fait que progresser en talents mondains, en perdant „décence, honnêteté, sérieux, probité“. Il y a une parenté entre les aventures du Kavalierstour et les débuts en France de Thomas Lieven qui se retrouve rapidement méconnaissable. En tout cas, le livre analysé tel qu’il se présente dans une déambulation à travers les villes européennes peut être rattaché à cette tradition qu’il pousse à sa limite, même si désormais tout sentiment d’infériorité, face à son pays, a disparu. En effet, la France est là dans une position inférieure et c’est l’Allemagne, à cette époque, qui est devenue hégémonique. Le thème du voyage perdure même si l’on découvre un nouvel art de voyager. Voir aussi Andreas Rittau, „Le voyageur français comme témoin du divers allemand“, in: id., Traversées culturelles franco-allemandes, Paris, L’Harmattan, 2006, 123-131. 19 Rolf Selbmann, Der deutsche Bildungsroman, Stuttgart, Metzler, 1984, 40: „Es geht um jenes missionarische Überlegenheitsgefühl eines sich seiner selbst bewussten Erzählers, der seinen Bildungsvorsprung gegenüber Held und Leser geltend machen kann“. 20 Cf. Andreas Rittau, Interaction Allemagne-France, les habitudes culturelles d’aujourd’hui en questions, Paris, L’Harmattan, 2003, 196. 21 Eric Guillet, par exemple, a consacré sa thèse au roman picaresque en RDA (Peter Lang, 1997) à travers huit romans est-allemands (de Volker Braun, Erwin Strittmatter, Manfred Bieler, Fritz Rudolf Fries, Günter Kunert et Alex Oelschlegel). 22 Cf. Andreas Rittau, „Malentendus interallemands et interactions manquées dans Landnahme de Christoph Hein. Conséquences sur la réception en France“, in: Sidonie Kellerer / Astrid Nierhoff-Fassbender / Alice Perrin-Marsol (ed.), Missverständnis / Malentendu: Kultur zwischen Kommunikation und Störung, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2008, 49-61. 23 Tiphaine Samoyault, L’intertextualité, mémoire de la littérature, Paris, Nathan, 2001, 71. 24 Hans Manfred Bock, „Transnationalismus in der Zwischenkriegszeit. Die Berliner Deutsch-Französische Gesellschaft als Beispiel einer folgenreichen zivilgesellschaftlichen Erfindung“, in: Corine Defrance / Michael Kissener / Pia Nordblom (ed.), Wege der Verständigung zwischen Deutschen und Franzosen nach 1945, Tübingen, Narr, 2010, 33-56. 126 25 Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000, 342. 26 Jean-François Sirinelli, „Préface“, in: Denis Rolland (ed.), Histoire culturelle des relations internationales, carrefour méthodologique, Paris, L’Harmattan, 2004, 7-11.