eJournals lendemains 38/152

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Narr Verlag Tübingen
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2013
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Heidi Denzel de Tirado: Biographische Fiktionen: Das Paradigma Denis Diderot im interkulturellen Vergleich

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2013
Michel Delon
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149 Comptes rendus Die moderne indische Literatur bietet beispielsweise mit Shashi Tharoors Der große Roman Indiens eine interessante réécriture des Mahabharata. Ist die Aussparung der germanischen Literaturen bezeichnend oder verdienen sie nach 1945 vielmehr besondere Aufmerksamkeit und die Frage, ob nach Shoah und Weltkriegen das Epos gerade hier überhaupt noch möglich ist? Auch das slawische Sprachgebiet würde unter Berücksichtigung historisch-soziologischer Aspekte ein interessantes Beschäftigungsfeld bieten. Wäre nicht auch im Hinblick auf die ebenfalls das 20. Jahrhundert prägenden Frauenbewegungen eine Reflexion darüber angemessen, ob die epische Produktion in ihren jüngsten Erscheinungen tatsächlich wie in den vergangenen Jahrhunderten von maskuliner Dominanz geprägt ist, oder ob es schlicht Autorinnen - wie dem Epos selbst - an Sichtbarkeit fehlt? Somit hat die vorliegende Arbeit das Verdienst, Denkanstöße für kommende Forschungsprojekte zu geben, auch wenn man fortan bei der Suche nach Repräsentanten und Erben des einst prestigeträchtigsten Genres sehr aufmerksam sein muss. Bilder der Fragmentation sind im Band allgegenwärtig. L’épopée s’est émiettée - das Epos hat sich wörtlich verkrümelt. Aber seine konstitutiven Merkmale sind weiterhin in jeder literarischen Fuge zu finden. Beate Langenbruch (Lyon) —————————————————— HEIDI DENZEL DE TIRADO: BIOGRAPHISCHE FIKTIONEN: DAS PARADIGMA DENIS DIDEROT IM INTERKULTURELLEN VERGLEICH (1765-2005), WÜRZ- BURG, KÖNIGSHAUSEN & NEUMANN, 2008, 414 S. Le livre d’Heidi Denzel de Tirado explore un aspect de la réception de Diderot qui n’avait jamais été étudie systématiquement: l’utilisation de son image dans la fiction, la cristallisation de la mémoire sur un certain nombre de ‚biographèmes‘ librement exploités par des écrivains. Elle s’attache à trois domaines linguistiques: français, anglais et allemand, avec quelques additions russe et italienne, et traverse son corpus selon trois perspectives: historique, poétique et enfin comparatiste à propos d’un épisode de la biographie, le séjour à Saint-Pétersbourg. Diderot était conscient de la nature problématique de l’individu. Il l’était philosophiquement et d’autant plus humainement que son ancien ami Rousseau affirmait théoriquement et illustrait littérairement l’unité du Moi. Diderot s’interroge sur une réalité fluctuante, dépendant de la pose, donc du regard d’autrui: „Qu’est-ce qu’être soi? [ ] Quelle image offrir de soi à la curiosité du public? comment poser pour un peintre? Qu’est-ce qu’un portrait? Qu’est-ce qu’un portrait d’écrivain? “ (30). De son vivant et sous la Révolution, il n’a jamais connu le renom de Voltaire ou de Rousseau. Si sa fille et Naigeon le disciple ont eu à cœur de défendre sa mémoire et de faire connaître son œuvre, Grimm et Meister, les responsables de la Correspondance littéraire, ont été efficaces dans sa diffusion en Allemagne. Une 150 Comptes rendus Allemagne qui voulait affirmer son indépendance culturelle s’est reconnue dans un auteur décalé par rapport à la norme classique et à la mondanité parisienne. Varnhagen von Ense le présente en 1833 comme un amphibie national, „Deutschfranzos oder Franzosendeutscher, ein eigentlicher Gränzmann“ (57). Roland Mortier a bien étudié la germanisation de Diderot que Sainte-Beuve peut traiter de „la plus allemande de toutes nos têtes“ (1830) et que Barbey d’Aurevilly accuse d’avoir „dénationalisé le génie français“ (1880). Le romantisme s’enchante des lettres à Sophie Volland et des Salons. Le positivisme et la Troisième République finissent par se retrouver dans l’œuvre de l’encyclopédiste dont les inédits paraissent tout au long du XIX e et du XX e siècle. 1884, l’année du premier centenaire de sa mort, connaît des polémiques semblables à celles qui ont marqué 1878, anniversaire de celle de Voltaire et de Rousseau. Les remises en cause radicales de l’individu par Marx et par Freud trouvent Diderot prêt pour de nouvelles lectures, de même que la déconstruction des idées d’auteur et de récit révèle en lui un contemporain de la post-modernité. De 1984 à 2013, du deuxième centenaire de la mort au tricentenaire de la naissance, son audience a augmenté. Il s’impose à l’âge du cinéma et des réseaux informatiques comme un penseur de la complexité croissante. Si toute transformation d’une vie en récit comporte une part de fiction, l’invention littéraire prolonge, démultiplie et fait éclater la biographie selon les ressources propres à chaque genre. Ce sont les poèmes qui sont le plus oubliés, de l’Ode écrit pour l’érection de la statue de Diderot à Paris (1886) par André Chadourne au Diderots Katze (1978) de Michael Krüger qui se souvient du chat Murr de Hoffmann. Le dialogue s’impose pour évoquer un virtuose de la conversation. Clovis Coxe fait discuter Diderot en anglais avec Voltaire et Rousseau (1923), Fuato Nicolini en italien avec l’abbé Galiani (1956), Hans Magnus Enzensberger en allemand avec Helvétius (2005). Le récit bref est à l’image des contes comme Madame de La Carlière. Un anonyme russe imagine la rencontre avec le vieux Voltaire (1836), tandis qu’Edward Sanders salue The ZD Generation (1981), c’est-àdire la lignée libertaire de Diderot à Zola. Le roman ne pouvait manquer de suivre. Théodore Chaudon dans Le Baron d’Holbach (1835) compose une suite à La Religieuse, Jules Janin dans La Fin d’une monde (1861) une suite au Neveu de Rameau. François Vallejo invente dans Le Voyage des grands hommes (2005) un périple en Italie de Diderot, Rousseau et Grimm, accompagnés d’un domestique de Mme d’Épinay, tandis que Hubert Prolongeau plonge Diderot dans des intrigues policières (1998-1999). Peter Prange dans Die Philosophin (2003) s’éloigne de la réalité historique en imaginant une ascendance criminelle à Sophie Volland et en en faisant la forte femme de la vie du Philosophe. Le théâtre de Diderot a été long à être redécouvert, mais sa personne a été rapidement portée à la scène, du Voyage à Versailles par Audé (1804) à Une journée de Diderot par Carré et Deslandes (1868), de L’École des philosophes par Sacha Guitry (1936) au Menschenfreud (1984), variation sur Est-il bon, est-il méchant? par Enzensberger. Après avoir soutenu une thèse de philosophie sur Dide- 151 Comptes rendus rot, Eric-Emmanuel Schmitt en a fait un personnage de vaudeville dans Le Libertin qui le fait se débattre entre Mme Therbouche, Angélique et la famille d’Holbach. La pièce fait passer au cinéma. Si La Religieuse et Jacques ont inspiré les réalisateurs, la personne de Diderot apparaît dans Le Libertin (2000) de Gabriel Aghion, librement adapté ou trahi de Schmitt (2000) et dans Un cœur oublié de Philippe Monnier (2001) où il devient le rival du vieux Fontenelle pour séduire une jeune fille. Heidi Denzel de Tirado consacre sa dernière partie à l’épisode russe qui pose la question de la fonction du philosophe dans la vie politique. En 1850, le logicien anglais Augustus von Morgan oppose Euler et Diderot à la cour de Catherine dans Lousy Philosopher versus brillant mathematician (1850). Le titre dit assez que le parallèle est au détriment du Philosophe. Sacher-Masoch le ridiculise également dans Diderot in Sankt-Petersburg (1873): le penseur qui nie la frontière entre l’animal et l’homme risque d’être disséqué et doit avouer son imposture. Malcolm Bradbury enfin dans To the Hermitage, publié de façon posthume (2000), construit un parallèle entre le Français du XVIII e siècle qui part pour la Russie et huit participants à un projet consacré à Diderot qui leur fait traverser de Stockholm à Saint- Pétersbourg: quelle vérité biographique et intellectuelle peuvent-ils y retrouver? La vie de Denis Diderot est-elle, comme le trajet de Jacques, sans début ni fin? La déconstruction du roman par Sterne et Diderot trouve un écho dans la disparition du sujet post-moderne et la complexité encyclopédique dans la fragmentation du monde décentré où nous vivons. Héros de l’esprit ou bien être humain tiraillé par ses contradictions, le fils du coutelier de Langres revit, dans tous ces textes, des épisodes de son existence ou de nouvelles aventures inventées. La conclusion de l’étude souligne la part limitée de la création anglo-saxonne dans ces fictions biographiques, la diversité de la création allemande et finalement le retard rattrapé de la création française. La figure du Philosophe tend à devenir un des visages polysémiques de l’homme, confronté aux questions de l’existence. Des tableaux rappellent pour finir les étapes de la réception et les caractères déterminants des textes analysés. Le livre, portant sur la période 1765-2005 et imprimé en 2008, n’a pu prendre en compte l’étonnant succès de Sophie Chauveau qui, après avoir donné plusieurs biographies d’artistes de la Renaissance, a publié en 2009 et 2010 les deux volumes d’un Diderot. Le Génie débraillé. Elle s’accorde les droits de la romancière pour remplir les blancs de la connaissance historique. Elle explique, en postface, que sa passion pour l’encyclopédiste vient d’une formule: „Mes pensées, ce sont mes catins“ , puis de l’ensemble du dialogue du Neveu de Rameau. Elle pensait n’écrire qu’un Diderot bohème, un Diderot-Rameau: emporté par son sujet, elle a imaginé sa vie entière, de Langres à la rue Richelieu. Elle a voulu œuvrer pour le débarrasser de sa mauvaise réputation et offrir une session de rattrapage à celui qui aurait plusieurs fois raté son examen de grand auteur national. On regrette que l’enquête d’Heidi Denzel de Tirado ait manqué le récit discret et attachant de Marcel Spada, La Fugue d’Angélique Diderot (Julliard, 1991) et les 152 Comptes rendus deux contributions de Rezvani, La Mante polaire (Christian Bourgeois, 1977) et La Traversée des Monts noirs, en supplément du Rêve de d’Alembert (Stock, 1992). Marcel Spada part d’un mystère, celui de la liaison avec Sophie Volland, „vieille fille anguleuse et raboteuse“ qui inspire une passion étonnante, en grande partie textuelle peut-être. À défaut de le résoudre, il raconte une autre passion du Philosophe, celle d’un père pour sa fille, celle d’un éducateur pour sa disciple, celle d’un homme vieillissant pour la jeunesse. Cette passion fut réciproque: „La fille comme le père, mais à quarante ans d’intervalle, atteignait la soixante et onzième année quand l’horloge biologique marqua la fin de la fugue. Disparaître au même âge parmi les fantômes de l’amour, ce fut leur dernier accord parfait.“ Serge Revzani est devenu Revzani comme René Etiemble ou Louis Aragon ont éliminé leur prénom pour se changer en eux-mêmes. Né à Téhéran en 1928, d’un père persan et d’une mère juive venue de Russie, il se retrouve vite seul en France. Il est successivement, et parfois concurremment, peintre, compositeur de chansons (c’est le parolier du „Tourbillon de la vie“ , chanté par Jeanne Moreau dans Jules et Jim), auteur de théâtre et romancier. Ces deux derniers registres lui font rencontrer Diderot. Dans La Mante polaire, pièce en XIX tableaux, un prologue et un épilogue, il reprend le thème cher à Sacher-Masoch de l’écrivain humilié par une impératrice, femme glacée à la fourrure, mais il insiste sur la dimension politique du drame. Catherine II, interprétée lors de la création au Théâtre de la ville par la grandiose Maria Casarès, donne son titre à la pièce. C’est une ogresse qui a fait tuer son mari, infantilise le grand-duc Paul, dévore ses amants, opprime son peuple et prétend séduire les intellectuels parisiens. Elle parle une langue à elle, intervertissant le genre des mots et les niveaux de langue. Elle dit par exemple à son fils: „Alors, on attend que son vieille maman, il crève? Réponds! Eh bien, tu attendras, trognon.“ Diderot arrive à Pétersbourg alors que l’impératrice réprime la révolte de Pougatchev et condamne à mort l’écrivain russe Raditchev qui prétend s’inspirer des penseurs français. Il ne fait pas le poids pour tenir tête à l’autocrate que l’épilogue montre furieuse de la Révolution en France et reniant son admiration pour les Lumières parisiennes. „Ce n’est pas une pièce historique“, explique Revzani. „Tous les problèmes qu’elle soulève nous sont contemporains.“ La Russie de Catherine, c’est l’Union soviétique de Brejnev. La comédie y est traitée comme une farce grinçante. Diderot trouve sa revanche dans La Traversée des Monts noirs, quinze ans plus tard, alors que l’Union soviétique a éclaté. Revzani imagine, quelques années avant To the Hermitage de Bradbury, un Français qui se rend dans un centre de recherche scientifique dans une région russe perdue au milieu d’une tempête de neige. Un congrès d’ornithologie doit s’y tenir qui réunit des savants russes, polonais, israéliens. Diderot serait passé par les mêmes lieux dans son voyage vers Saint-Pétersbourg. Un petit musée rappelle ce souvenir. Il est surtout présent comme philosophe dont Le Rêve de d’Alembert a été lu par tous et en a inspiré plus d’un. Le planétarium qui étudie le comportement des oiseaux, en leur recréant des conditions thermiques, magnétiques, lumineuses artificielles, non loin d’un camp de 153 Comptes rendus prisonniers qui portent tous un bracelet électronique, devient une métaphore de la défunte Union soviétique. Les drames du passé et du présent, la Solution finale et les massacres au Proche-Orient, se mêlent à l’anecdote sentimentale. Diderot est celui qui a su jouer de ces niveaux, de ces échos et de ces métaphores. Un des ornithologues raconte: „Le Rêve de d’Alembert a fait mes délices par son trouble, en un certain sens érotique. Mélange bien français d’un double discours. Les énigmes posées par les sciences universelles transformées en propos courtois. Ah! cette Lespinasse! Erotisme infatigable de la femme savante! “ L’impuissance du voyageur dans la Russie impériale n’est qu’un aspect du Philosophe français qui sait penser la complexité des rapports entre l’homme et l’animal, l’organisme physique et l’organisation sociale, les désirs et les idées. Il est à la fois présent et absent dans une tempête de neige lointaine à l’image d’un pays qui se cherche alors. Le corps d’un inconnu, rendu par un glacier, pourrait être celui de Raditchev. Le Français qui n’a rien pu faire lors de son voyage parle pourtant aux Russes et aux autres par ses tâtonnements théoriques et ses expériences littéraires. L’essai d’Heidi Denzel de Tirado pose un problème de méthode. L’auteure semble parfois encombrée d’un grand nombre de références théoriques qui ne l’aident pas vraiment dans son enquête. Il n’est pas sûr que la grille de l’interculturel lui soit d’un grand secours. Une étude de réception dans la perspective d’une catégorie comme la „fiction biographique“ renvoie à la question de la frontière entre travail historique et invention littéraire, frontière qu’un certain postmodernisme tend à dissoudre. Dans quelle mesure les inventions romanesques ou dramatiques accompagnent-elles le renouvellement des connaissances sur la vie et l’œuvre de Diderot ou bien au contraire prétendent-elles s’y substituer? Le roman de Malcolm Bradbury a par exemple besoin d’imaginer la bibliothèque de Diderot laissée à l’abandon à Saint-Pétersbourg, c’est son droit de romancier, mais le cœur de la bibliothèque du Philosophe est constitué par ses manuscrits, ils ont été parfaitement conservés et traités, ils ont permis de mieux connaître son travail et d’assurer de nouvelles éditions de ses œuvres. La „fiction biographique“ engage une opposition entre une conception de l’histoire comme respect de la différence entre les époques et ce que François Hartog analyse comme le présentisme actuel, l’épuisement du passé et de l’avenir dans la fascination pour le présent. S’approprier la personne et l’œuvre de Diderot pour en faire un personnage d’un roman ou d’un dialogue d’aujourd’hui, est-ce reconnaître une distance entre l’Ancien Régime et le monde actuel ou bien dissoudre cette distance dans une assimilation entre hier et aujourd’hui ou dans sa réduction à la prescience d’un grand précurseur? Telles sont les questions qui hantent ces Biographische Fiktionen. Mais peut-être est-ce trop attendre d’une thèse qui est telle quelle intéressante et nourrissante et qui mérite d’être élargie, prolongée et discutée. Michel Delon (Paris)