eJournals lendemains 38/152

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0170-3803
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Narr Verlag Tübingen
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2013
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Marc Dambre / Bruno Blanckeman (ed.): Romanciers minimalistes 1979-2003

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Eva Wagner
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154 Comptes rendus MARC DAMBRE / BRUNO BLANCKEMAN (ED.): ROMANCIERS MINIMALISTES 1979-2003. COLLOQUE DE CERISY, PARIS, PRESSES SORBONNE NOUVEL- LE, 2012, 351 P. Publication retardée des contributions au colloque de Cerisy-la-Salle en juillet 2003, Romanciers minimalistes, édité par Marc Dambre et Bruno Blanckeman, nous introduit dès le frontispice au cœur des problèmes qui se posent à la critique littéraire dès lors qu’elle traite de la littérature post-néo-romanesque. Le titre fait état du corpus étudié dans ce volume, qui comprend non seulement des écrivains traditionnellement qualifiés de ‚minimalistes‘ (Éric Chevillard, Patrick Deville, Jean- Philippe Toussaint, Jean Echenoz, Christian Gailly, Christian Oster), mais aussi des auteurs qui entrent plus difficilement dans ce classement, si ‚minimalisme‘ il y a (François Bon, Emmanuèle Bernheim, Hélène Lenoir). Or, si le choix du titre de ce volume contribue à consolider la notion de ‚minimalisme‘ en question, l’avantpropos des éditeurs Marc Dambre et Bruno Blanckeman finit en revanche par dénoncer „la faillite conceptuelle“ du terme (12). Les éditeurs cherchent pourtant à légitimer l’emploi du terme en le qualifiant de „minimalisme d’entrée“ (10) dans la mesure où le terme s’est rétrospectivement acquitté de sa fonction heuristique. Une vue d’ensemble des études recueillies dans ce volume permet d’identifier quelques points d’intersection thématiques qui offrent en effet de nouvelles perspectives critiques sur la littérature en question. Premièrement, se dessine une différenciation de la notion de „minimalisme“ qui fait la part entre ses différents champs d’application. S’impose ainsi une distinction entre un „minimalisme stylistique“, qui se réfère à la sobriété de l’expression, et un „minimalisme de contenu“ (Barraband) renvoyant ou à la réduction de la trame narrative, ou à l’écriture du quotidien. Le terme „minimalisme actantiel“ (Bikialo) décrit la représentation des personnages fictifs qui sont souvent peu nombreux dans leur univers diégétique respectif et dépourvus de profondeur psychologique ou affective visible. S’y apparente un „minimalisme de surface“ (Bikialo) qui ne semble pourtant pas être susceptible de couvrir la dialectique entre superficialité et profondeur que Bikialo lui assigne, mais qui pourrait permettre d’établir un lien entre ‚minimalisme‘ et ‚postmodernisme‘, ce dernier étant parfois caractérisé par un manque constitutif de profondeur. 1 On pourrait y ajouter un „minimalisme existentiel“, introduit par Poirier dans son analyse de l’écriture de Chevillard pour souligner la filiation littéraire de cette dernière: l’ancrage de l’écriture chevillardesque dans une littérature de la vacuité qui, suite à la „mort de Dieu“, renonce „à exister comme reflet d’une Idée ou d’une essence“ (16). 1 Ainsi Gerhard Regn dans son article „Postmoderne und Poetik der Oberfläche“, in: Klaus W. Hempfer (ed.), Poststrukturalismus - Dekonstruktion - Postmoderne, Stuttgart, Steiner, 1992, 52-74. Il s'appuie sur la liste de critères établie par Ihab Hassan dans The Dismemberment of Orpheus. Toward a Postmodern Literature (Wisconsin University Press, 1982) qui inclut le critère de superficialité, ainsi que sur Fredric Jameson: „Postmodernism or the Cultural Logic of Late Capitalism“, in: New Left Review, 146, 1984, 53-92. 155 Comptes rendus Une grande partie des études se croisent, deuxièmement, dans l’idée d’un ‚maximalisme‘ littéraire qui va à l’encontre de structures exclusivement ‚minimalistes‘, et cela sur différents niveaux d’analyse. Lionel Ruffel oppose au cercle des ‚minimalistes‘ quasi-traditionnels, comme Echenoz, un autre groupe d’auteurs dont l’écriture ‚maximaliste‘ est placée sous le signe de la démesure (entre autres Volodine, Rolin, Guyotat). Mathilde Barraband, elle, distingue ‚minimalisme‘ et ‚maximalisme‘ au sein même des prétendus auteurs ‚minimalistes‘. Rappelant à quel point la conscience contemporaine est un „déssaisissement“, une „disparition“ (204) de tout repère d’un univers sans cesse changeant, Barraband voit la source des deux tendances opposées dans les différentes réactions des auteurs à cet „effacement“: alors même que les uns l’incorporent dans leurs romans en écrivant des romans ‚minimalistes‘ d’effacement (comme Toussaint), les autres adoptent une stratégie du „comble“, luttant contre la menace de l’effacement avec les procédés ‚maximalistes‘ de collection et d’accumulation (François Bon). Sophie Deramond va même jusqu’à distinguer des tendances ‚minimalistes‘ et ‚maximalistes‘ chez un même auteur: tandis que les quatre premiers romans d’Echenoz font preuve d’un „maximalisme postmoderne“ où discours narratorial et univers diégétique exhibent toute sorte de proliférations et de variations, un autre groupe d’œuvres (Un an, Je m’en vais et Au piano) tend vers une simplification ‚minimaliste‘ de la diégèse et du discours. La dichotomie que Stéphane Bikialo découvre dans l’écriture d’Hélène Lenoir ne s’applique enfin qu’à un seul élément de la diégèse: aux personnages. Chez Lenoir, les bavards s’opposent aux tacites, l’inflation verbale contraste avec une réduction de la parole; et alors même que le ‚maximalisme‘ énonciatif va de pair avec une privation de sens, dénonçant un bavardage insignifiant, la réticence langagière tend à l’indicible, au non-dit, et multiplie ainsi de façon ‚maximaliste‘ ses effets de sens. Or, le rapport entre le ‚dit‘ et le ‚non-dit‘ est à l’origine d’une troisième problématique cernée dans le présent volume, qui forme probablement le centre des débats menés sur cette littérature. Car, d’une part, se dessine un ample consensus sur ce qui constitue l’objet du dire ‚minimaliste‘: les détails de la vie quotidienne. Les textes foisonnent de référents contemporains de toute sorte - marques, publicités, peintures, actrices -, si bien que l’univers diégétique crée „un il y a contingent et irréductible“ (Mougin), un „microunivers obsessionnel enraciné dans le contemporain“ (Dambre), peuplé d’entités descendues de notre mémoire culturelle. Mais d’autre part, la question se pose de savoir si (et si oui, jusqu’à quel degré) ces descriptions ‚infra-ordinaires‘, gratuites quant à l’intrigue et souvent ostensiblement banales, demandent (ou permettent) le recours interprétatif à un non-dit soujacent, à une dimension autocommentataire, absente de la surface textuelle, mais présente sur un niveau implicite. Analysant la mesure dans laquelle la perception du réel passe par un autre médium représentationnel dans La Femme parfaite de Chevillard, Pierre Hyppolite constate un „processus d’érosion du référent“ (69), une „déréalisation du réel“ (ibid.) due à la description ‚hyperréaliste‘ d’une réalité de second degré. Pascal 156 Comptes rendus Mougin, qui considère „l’usage du détail à ‚effet de réel‘ [ ] [comme] trop ostensiblement conscient de lui-même pour fonctionner encore au premier degré“ (206), interprète le réalisme exhibé d’Echenoz, de Toussaint et d’Oster comme une mise à l’écart du réel sollicité, aboutissant à l’oscillation ‚indécidable‘ entre une distanciation satirique de premier degré et une satire de la distanciation de second degré. Asholt, qui analyse le jeu narratif entre ‚le réel’, ‚le fictif‘ et ‚l’imaginaire‘ (Iser) 2 dans Au piano d’Echenoz, clarifie enfin le problème en dégageant les oppositions disjonctives qui lui sont inhérentes: l’idée d’un „nouveau réalisme“ (selon Lebrun 3 ) s’oppose à celle d’une „esthétique du mensonge“ (Mecke 4 ), l’affirmation d’une „authenticité“ contraste avec celle d’une „inauthenticité“. Mettant en parallèle ces paires contrastantes avec la théorie d’Iser, qui ajoute une troisième catégorie intermédiaire (‚le fictif‘) aux catégories opposées du ‚réel‘ et de ‚l’imaginaire‘, Asholt propose de remplacer la dichotomie entre „réalisme“ authentique et „esthétique de l’inauthenticité“, en tant qu’alternatives disjonctives, par une tierce position, susceptible de prendre en compte la participation graduelle des deux catégories opposées au fonctionnement romanesque. Est-ce que cette approche peut fournir une solution praticable dans des cas concrets? Les deux lectures parfaitement contraires de Faire l’amour (Toussaint), présentées par Philippe Claudel et par Bruno Blanckeman, nous renvoient au moins aux difficultés d’une telle approche. Car les auteurs, quoique qu’ils se rejoignent dans leurs observations et interprétations - surabondance du „motif lacrymal“ (144) de la protagoniste qui pleure sans cesse, tremblement de terre comme métaphore de la rupture amoureuse -, proposent des évaluations nettement opposées de ces données. Tandis que Claudel, ne découvrant aucune évidence textuelle susceptible de légitimer une interprétation de second degré, dénonce la lourdeur de ces procédés et le trop de pathos qui s’y associe, Blanckeman interprète la même lourdeur comme autocommentaire du texte sur lui-même, comme stratégie de second degré servant à „sécher le pathos“ associé par tradition au motif de la déchéance amoureuse. Est-ce que les textes ‚minimalistes‘ jouent avec le lecteur en provoquant une indécidabilité ludique entre une lecture de premier et de second degré? Ou est-ce le lecteur qui est indécis quant à l’alternative de ‚jouer‘ le texte ou de le ‚lire‘ tout simplement? Ce ne sont que quelques-unes des pistes de réflexion que Romanciers minimalistes a le mérite d’ouvrir, et qui sont toujours prometteuses aujourd’hui. Un recueil, donc, qui a su se faire attendre et qui ne déçoit pas. Eva Wagner (Osnabrück) 2 Wolfgang Iser: Das Fiktive und das Imaginäre. Perspektiven literarischer Anthropologie, Frankfurt, Suhrkamp, 1991. 3 Cf. Jean-Claude Lebrun: Jean Echenoz, Monaco, Édition du Rocher, 1992. 4 Cf. Jochen Mecke: „Le roman nouveau. Pour une esthétique du mensonge“, in: Dominique Viart (ed.), „Les mutations esthétiques du roman français contemoporain“, Lendemains, 107/ 108, 97-116.