lendemains
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0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
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2018
43170-171
„Montrer aux Français que la littérature romande existe“
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2018
Thomas Hunkeler
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133 Dossier Thomas Hunkeler „Montrer aux Français que la littérature romande existe“ Entretien avec Valérie Meylan, Pro Helvetia Six mois après l’aventure de Francfort en français, Valérie Meylan, la coordinatrice chargée d’accompagner cet évènement pour la fondation suisse pour la culture Pro Helvetia, n’a rien perdu de son énergie exubérante. Initialement embauchée pour s’occuper de la délégation composée d’une douzaine d’auteurs romands durant la Foire du livre de Francfort, elle a vu sa tâche, déjà avant l’ouverture des portes, prendre de plus en plus d’ampleur. Elle a dû s’occuper du programme culturel d’accompagnement au Künstlerhaus Mousonturm, jouer les intermédiaires, grâce à son bilinguisme, entre les différents acteurs suisses, français, belges ou allemands, sans oublier de défendre, bec et ongles, chaque mètre d’exposition dans le Pavillon d’honneur, quitte à repousser les innombrables livres français qui durant la nuit avaient tendance à squatter les rayons réservés à la Suisse pour y remettre les ouvrages helvétiques. Thomas Hunkeler: Vous avez reçu le mandat, de la part de Pro Helvetia, de préparer et d’accompagner la présence suisse à Francfort entre juin et octobre 2017. Quels étaient pour vous les enjeux de cette participation aux côtés de la France, pays hôte officiel, et de la Belgique francophone? Valérie Meylan: Honnêtement, le point essentiel pour moi était de montrer aux Français que la littérature romande existe! (Elle rit.) Ce qui, on s’en doute un peu, n’était pas si évident. Lors des réunions de préparation à Paris, on a fait face à une organisation passablement… comment dire? … improvisée, bien que pleine de bonne volonté. Cela va de l’eau qui manquait sur les tables de réunion à l’absence, plus fâcheuse, de procès-verbal, ce qui a eu comme conséquence qu’on a dû mener les mêmes discussions à plusieurs reprises, avec chaque fois un autre résultat… Il faut reconnaître que les personnes en charge côté français n’étaient pas toutes des spécialistes de la littérature, loin de là; pour la plupart, elles avaient été embauchées à court terme pour ce projet, sans forcément disposer de connaissances approfondies du paysage littéraire français. Alors la Suisse et la Belgique, vous imaginez bien, cela ne leur disait strictement rien au début! C’est cette attitude-là qu’il fallait essayer de changer. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le public allemand n’était donc pas forcément au centre de votre mission, si je vous comprends bien. Valérie Meylan: Vous savez, le Pavillon d’honneur était quand même d’abord et avant tout le lieu de rencontre des francophones entre eux. Il y avait certes quelques Allemands, notamment des universitaires et des journalistes, qui ont d’ailleurs assuré une belle couverture de la Foire dans les grands journaux. Mais je ne pense pas qu’il y ait eu beaucoup d’éditeurs allemands présents lors des manifestations que nous avons organisées. La séparation des halls y est évidemment pour beaucoup, tout comme la taille gigantesque de la Foire de Francfort qui rassemble quelque 134 Dossier 7 000 exposants et plus de 300 000 visiteurs. Mais à mon sens, il est tout à fait normal qu’une manifestation de ce type serve d’abord à établir des contacts entre les différents organisateurs. Du côté suisse, par exemple, il y avait plusieurs institutions qui devaient apprendre à collaborer à cette occasion: le SBVV (Schweizer Buchhändler- und Verleger-Verband) bien sûr, qui est un vieil habitué de Francfort, mais aussi l’ ASDEL , l’Association suisse des diffuseurs, éditeurs et libraires, qui a normalement une présence beaucoup plus modeste à Francfort, ou encore le Consulat suisse à Francfort qui a été très efficace. Côté Paris, tout était géré par l’Institut français, qui se conçoit d’abord comme opérateur d’action culturelle à l’étranger, alors que du côté de la Belgique, il y avait plusieurs acteurs comme la Fédération Wallonie-Bruxelles et Wallonie Bruxelles International dont les domaines de compétence n’étaient pas toujours clairement identifiables. Cela dit, les contacts avec nos collègues belges ont été très stimulants, très cordiaux aussi: là où cela s’est avéré nécessaire, on a fait front commun pour défendre nos positions respectives. Et nous avons très bien collaboré lors de la soirée culturelle organisée au Mousonturm. De façon générale, on peut dire que dans les cas où les organisateurs étaient des spécialistes, qui n’avaient pas été embauchés uniquement pour la Foire, les contacts qui se sont créés ont permis une mise en réseau qui à moyen et, je l’espère, à long terme pourra s’avérer très utile. En comparaison des écrivains belges, les auteurs suisses semblaient plus présents dans le Pavillon d’honneur, et aussi sur les plateaux de discussion. Est-ce que cette impression correspond à la réalité? Valérie Meylan: J’en suis convaincue, du moins pour ce qui concerne le Pavillon d’honneur. Dans la mesure où il n’y a jamais eu de quota d’écrivains invités par pays, cela a été une lutte acharnée entre éditeurs et organisateurs, à coup de pressions ministérielles probablement, qui a abouti à un gonflement progressif de la délégation des auteurs, initialement limitée à 65, et finalement portée à 130. Nous avions rapidement conclu avec l’Institut français une convention faisant état de dix auteurs suisses, dont les noms ont été arrêtés très vite dans le processus, puis finalement il y en a eu douze. Pro Helvetia a opté pour une délégation qui se voulait représentative de toutes les sensibilités et courants: il y avait des auteurs déjà passablement connus dans l’espace germanophone, et d’ailleurs souvent déjà traduits en allemand, comme Noëlle Revaz, Pascale Kramer ou Daniel de Roulet, mais aussi de jeunes auteurs peut-être moins connus comme Marie-Jeanne Urech, Douna Loup, Joseph Incardona ou Roland Buti. On a aussi invité Frédéric Pajak, dont l’œuvre oscille entre le dessin et le texte; Albertine et Germano Zullo qui produisent notamment des livres pour la jeunesse; ou encore Zep, connu pour sa BD Titeuf. Et enfin Thomas Römer, professeur au Collège de France et grand spécialiste de la Bible. Pour revenir à votre question, on a peut-être plus insisté sur notre ‚suissitude‘ que ne l’ont fait les Belges dont les trois auteurs les plus en vue à Francfort, à savoir Jean-Philippe Toussaint, Amélie Nothomb et Éric-Emmanuel Schmitt, passent facilement pour français, ne serait-ce qu’en raison de leurs maisons d’édition. Et puis il y a bien sûr eu la presse Gutenberg, mise au service de tous les auteurs francophones 135 Dossier mais qui se trouvait au beau milieu des livres suisses. Animée par Gabriel de Montmolin, cette presse fut vraiment le pivot de notre présence à Francfort et l’un des grands succès publics du Pavillon d’honneur. Cela nous a consolé quelque peu de la présence plutôt maigre des écrivains suisses sur l’estrade: des deux apparitions publiques initialement prévues pour chaque écrivain, il n’en est resté qu’une par personne, souvent limitée à une ou deux prises de parole. C’est d’ailleurs là un point que plusieurs auteurs ont déploré. Justement, parlons un peu des retours que vous avez eus de la part des écrivains invités d’une part, des éditeurs et des associations de l’autre. Dans l’ensemble, la manifestation Francfort en français a-t-elle été un succès aux yeux des participants? Valérie Meylan: Dans l’ensemble, les auteurs romands invités à Francfort se sont montrés contents. Pour eux, la Foire du livre a été une belle vitrine, qui leur a sans doute permis d’obtenir une certaine visibilité en Allemagne, et même au-delà. Ils ont également apprécié l’encadrement de la part de Pro Helvetia durant leur visite. En revanche, le temps alloué par la France à chaque écrivain sur le plateau a été une source de frustration; il y a eu trop de manifestations non-littéraires, organisées au détriment des écrivains, et la qualité des débats, même entre écrivains, a souvent été jugée décevante. De la part de l’ ASDEL , le bilan a été globalement positif: on a pu établir des contacts avec la Belgique, avec le Québec aussi, bien que celui-ci ait décliné l’invitation de se joindre aux régions francophones d’Europe, en raison de l’invitation du Canada comme hôte d’honneur en 2020. En vue d’autres foires, on a pu tisser des relations personnelles qui devraient porter leurs fruits. De la part de la quinzaine d’éditeurs romands présents à Francfort cette année, je n’ai en revanche pas eu beaucoup de retours; je ne suis pas sûre qu’ils aient vraiment tenté de profiter de la présence suisse officielle aux côtés de la France et de la Belgique, mais cela s’explique aussi par le fait qu’ils avaient tous un agenda déjà bien rempli. Enfin, il faut bien reconnaître qu’il y a eu des écrivains - et des éditeurs - déçus de ne pas avoir fait partie de la délégation officielle de Pro Helvetia, mais c’était inévitable. Quel est votre bilan de Francfort en français, à la fois en tant qu’organisatrice et du point de vue plus personnel? Valérie Meylan: Il y a quelque part un paradoxe à ces grandes foires: on y mange, on y boit, on discute, on se promène, mais le livre a tendance à disparaître. Les écrivains eux-mêmes souffrent de cet état de fait, notamment quand vous les entendez à peine lors des lectures sur les stands en raison du bruit alentour. On peut bien sûr se demander si les grandes foires correspondent encore aux besoin du marché du livre; j’ai l’impression qu’elles sont en fait en perte de vitesse et que des rencontres qui privilégient un contact plus personnel pourraient à terme les remplacer. Cela dit, j’ai personnellement eu beaucoup de plaisir à m’occuper de la présence suisse à Francfort. Quand on aime organiser et résoudre des problèmes, on y a du pain sur la planche! J’ajouterai que la structure souple mise en place par Pro Helvetia y était pour beaucoup. Alors que d’autres organisateurs, nos collègues belges par exemple, étaient obligés de travailler par moments avec des partenaires qu’ils 136 Dossier n’avaient pas choisis eux-mêmes, nous avons profité d’une grande liberté dans l’organisation des évènements, qu’il s’agisse du programme culturel ou de l’apéritif avec des produits suisses. Cette relative absence de bureaucratie nous a permis un contact plus direct avec les écrivains, avec les partenaires, mais aussi avec le public. Je vous donne un exemple, qui me paraît tout à fait significatif et qui constitue pour moi peut-être le plus beau souvenir de Francfort en français. La dessinatrice Albertine avait croqué durant toute la manifestation des participants. Le dernier jour, elle vient vers moi et m’offre son carnet avec tous les dessins. Je n’imagine pas de plus beau geste pour dire merci.
