eJournals Oeuvres et Critiques 32/1

Oeuvres et Critiques
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Narr Verlag Tübingen
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Présentation

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Roxanne Roy
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Œuvres & Critiques, XXXII, 1 (2007) Présentation Roxanne Roy Marc Fumaroli a été élu professeur au Collège de France en 1986 dans la chaire intitulée « Rhétorique et société en Europe (XVI e -XVII e siècles) », à l’Académie française en 1995 où il occupe le 6 e fauteuil (laissé vacant par Eugène Ionesco), et à l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1998 où il succéda alors à Georges Duby. Il a été récipiendaire de nombreux prix, qu’il s’agisse du Prix Monseigneur Marcel de l’Académie française en 1982, du Prix de la critique de l’Académie française en 1992, du Prix Balzan en 2001, du Prix du Mémorial et du Prix Combourg en 2004. Mentionnons, entre autres honneurs, les doctorats honoris causa qui lui ont été décernés par les universités de Münster en 1992, Naples en 1994, Bologne en 1999, Gênes en 2004 et Madrid en 2005. Si les titres publiés sont impressionnants, Marc Fumaroli est surtout et avant tout un magistrat de cet État transnational et invisible qu’est encore aujourd’hui la République des Lettres. Il a été l’un des fondateurs de la Société internationale pour l’histoire de la rhétorique (1977), le directeur de la revue XVII e siècle (1976-1986), un membre du conseil de rédaction de la revue Commentaire (1978-1995) et brièvement, dans une période de mutation, le Président du Conseil scientifique de la Bibliothèque Nationale. Il préside la Société des amis du Louvre depuis 1996, la Société d’histoire littéraire de la France depuis 1999 et fait partie du conseil de rédaction de la Revue d’histoire littéraire de la France. Au titre de membre de l’Académie française, il préside la Commission générale de terminologie et de néologie. Sur la scène internationale, on retiendra qu’il a prononcé des conférences et dirigés des séminaires dans plusieurs universités américaines (Harvard, Princeton, Columbia, Johns Hopkins, Chicago, New York, Houston et Los Angeles), anglaises (Oxford et Londres), et italiennes (Rome, Venise, Pise, Naples, Bologne, Gênes, Sienne). Il est également membre de plusieurs sociétés savantes américaines, anglaises et italiennes. On le voit, Marc Fumaroli contribue activement à la vie littéraire, intellectuelle et internationale. Il était temps de consacrer un dossier qui souligne la portée et le rayonnement de son œuvre. Le choix même des collaborateurs, issus de différents milieux universitaires, illustre l’influence qu’ont exercée les travaux de Marc Fumaroli, et ce, tant chez les professeurs 4 Roxanne Roy émérites que chez les jeunes chercheurs. C’est sous le sceau de l’amitié, de l’estime et de l’affinité intellectuelle que nous avons souhaité réunir ici les études et les témoignages. Marc Fumaroli est d’abord un éminent dix-septiémiste, un spécialiste de la littérature et de la civilisation d’Ancien Régime, mais il s’intéresse tout autant au XIX e siècle. Il a de plus en plus souvent écrit sur les arts visuels, et il est intervenu en polémiste à propos de ce que l’on appelle en France la politique culturelle. Lors d’une entrevue accordée à Catherine Argand (Lire, juillet - août 1999), au sujet du recueil Chateaubriand et les arts, il résume ainsi son parcours intellectuel : « J’ai commencé par m’intéresser au XVII e siècle parce que cela me permettait d’appréhender les assises à la fois médiévales, latines et grecques de la littérature européenne. Puis, tout naturellement, parce que la littérature pour moi est un phénomène ininterrompu, je me suis plongé dans le devenir de la littérature après la Révolution. » Il a pris pour épigraphe de son livre L’école du silence le mot d’Horace : Ut pictura poesis, élargissant ainsi son enquête du monde des mots à celui des images. Les enquêtes érudites de Marc Fumaroli sur l’art de persuader ancien et moderne, ont profondément marqué la recherche littéraire. Il a été l’un des premiers à réhabiliter dans les études contemporaines la rhétorique, cette sœur ennemie de l’histoire littéraire, à en démontrer l’importance pour la lecture et la compréhension des textes classiques, et à en faire un nouveau cadre d’interprétation littéraire. Sa thèse de doctorat d’État, L’âge de l’éloquence (1980), « dresse un panorama de l’art oratoire pour mettre en évidence ses métamorphoses depuis l’Antiquité gréco-romaine jusqu’au seuil du Grand Siècle français », écrit V. Kapp. En 1990, Fumaroli publie Héros et orateurs, ouvrage qui rassemble diverses études sur la dramaturgie cornélienne, dans lequel on découvre que l’orateur jésuite et le héros cornélien partagent une même éthique et qu’ils ont recours aux mêmes stratégies rhétoriques. Ajoutons encore la direction de l’Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne (1450-1950) ; parue en 1999, cette somme encyclopédique s’est rapidement imposée comme une référence incontournable. Marc Fumaroli a un intérêt soutenu pour l’histoire des idées (La diplomatie de l’esprit [1994]), l’histoire des institutions civilisatrices telles que l’Académie, la conversation et le loisir lettré (Trois institutions littéraires [1994], Quand l’Europe parlait français [2001]). Les crises politiques qui ébranlent profondément la culture et la littérature sont aussi au cœur de sa pensée, que l’on pense à son essai « Les abeilles et les araignées » (2001) sur la Querelle des Anciens et des Modernes, ou à son Chateaubriand. Poésie et terreur (2003). Déjà, dans Le poète et le roi. Jean de La Fontaine en son siècle (1997), il décrivait « avec talent le conflit d’un esprit libre avec les principes Présentation 5 d’une monarchie absolue 1 ». Il a également publié un essai-pamphlet contre la bureaucratisation et massification de la culture, L’État culturel. Essai sur une religion moderne (1991), qui a eu un écho retentissant en France. N’oublions pas ses travaux consacrés aux arts visuels (L’école du silence, 1994), ses essais sur l’art et ses collaborations très prisées à la rédaction de catalogues d’expositions (L’inspiration du poète, de Poussin, [1989], Nicolas Poussin : Sainte Françoise Romaine annonçant à Rome la fin de la peste, [2001]). D’ailleurs, l’une des leçons qu’ont retenue de lui les chercheurs littéraires aussi bien que les historiens de l’art, est certainement sa méthode d’analyse pluridisciplinaire qui convoque et fait interagir l’histoire, le droit, la religion, la littérature et les arts, faisant ressortir l’unité de la culture. Ainsi que le remarque Anne-Marie Lecoq dans ces pages, Marc Fumaroli cherche toujours à comprendre une œuvre en utilisant les outils intellectuels de son auteur/ créateur et de ses destinataires ; il nous convie à restituer le contexte moral, idéologique, culturel et politique de l’époque, afin de saisir ce qu’une œuvre pouvait représenter pour un public qui partageait la même culture, la même éducation et les mêmes références. Les articles réunis dans ce dossier soulignent justement le rôle capital des travaux de Marc Fumaroli dans des domaines diversifiés mais complémentaires, qui conduisent à une saisie compréhensive de l’Histoire, soit l’histoire littéraire, l’histoire des idées, l’histoire de l’art, l’histoire de la rhétorique, qu’il a fait concourir dans ses monographies sur Corneille et sur Chateaubriand, et dans sa réhabilitation du genre des mémoires. Le fil conducteur pourrait bien être l’importance de l’Antiquité gréco-latine dans la tradition littéraire et morale de l’Europe. En effet, Marc Fumaroli n’a de cesse de rappeler l’importance vitale du passé dans le monde actuel, de mettre en relief la nécessité pour l’Europe d’une mémoire qui de Pétrarque à Montaigne, à Goethe et à Chateaubriand construit en profondeur son identité, ainsi que le formule Cecilia Rizza. C’est d’ailleurs parce que ses recherches « ont profondément renouvelé notre compréhension de la culture européenne » qu’elles lui ont valu le Prix Balzan en 2001. Les contributions s’articulent autour de quatre principaux volets : 1) l’influence italienne sur la France ; 2) les études cornéliennes ; 3) l’histoire, l’histoire littéraire et l’histoire de la rhétorique ; 4) Chateaubriand mémorialiste et ami des arts. Ce dossier s’ouvre sur le rôle séminal que l’Italie (sa culture, ses écrivains, ses artistes) se voit attribué dans la pensée de Marc Fumaroli. Pour Volker Kapp, le concept de la République des lettres, où Rome puis Paris occupent successivement le rôle de capitale, est une notion clé qui traverse l’ensemble 1 http: / / www.balzan.it/ premiati_fra.aspx? codice=0000000718&cod=0000000722 (page consultée le 3 juillet 2006). 6 Roxanne Roy de l’œuvre de Fumaroli. Tandis que c’est « l’apport de Marc Fumaroli pour une meilleure connaissance et une revalorisation convaincante de la vie culturelle italienne du XVI e et du XVII e siècle, et en particulier de son influence durable et de son prestige en France et en Europe », qui a retenu l’attention de Cecilia Rizza. Deux articles sont consacrés aux études cornéliennes en raison de la postérité des travaux de Fumaroli dans ce domaine. D’abord, celui de Marie- Odile Sweetser, pour qui « la nouveauté et l’originalité de la position adoptée par Marc Fumaroli consiste à avoir voulu interpréter l’œuvre cornélienne en replaçant son auteur dans le milieu qui l’avait nourri, celui de l’humanisme chrétien de la Contre-Réforme ». Claire Carlin, pour sa part, met l’accent sur les échos que connaissent les recherches de Fumaroli auprès de la critique cornélienne actuelle. Les contributions suivantes ont ceci en commun qu’elles mettent en évidence les liens très étroits qui se tissent chez Marc Fumaroli entre la littérature et l’histoire. Jean-Marie Constant, en retenant trois textes de Marc Fumaroli (les Mémoires d’Henri Campion, les Entretiens de Nicolas de Campion, et Le siècle de Marie de Médicis), montre en quoi ce dernier a contribué au renouvellement et à une meilleure connaissance de l’histoire du premier XVII e siècle. Quant à Claude La Charité, il a choisi le paradigme de la rhétorique pour étudier les filiations intellectuelles entre Marc Fumaroli et la recherche sur la littérature de la Renaissance. Ce faisant, c’est aux noces de Mercure et de Clio qu’il nous convie. Et puisque les travaux de Marc Fumaroli s’inscrivent dans la durée et dépassent largement le seul XVII e siècle, nous avons voulu élargir notre champ d’exploration du côté du XIX e siècle et de l’histoire de l’art, en interrogeant les rapports qui unissent esthétique et politique. Dans son article, Étienne Beaulieu note le caractère résolument novateur de la pensée de Fumaroli à propos de Chateaubriand, étudiant son style à la lumière des bouleversements politiques dont il est témoin. Ayant fait l’expérience de « cette découverte de la modernité comme banalisation de la Terreur », Chateaubriand serait alors passé de la poésie à la prose du monde. L’invention de cet « instrument nouveau » se situe dans une perspective historique où l’effondrement de la monarchie correspond à la fin de l’âge poétique, et la venue de la modernité à l’âge de la prose. Pour Anne-Marie Lecoq, l’intérêt de Marc Fumaroli pour les arts et leur histoire n’est pas si éloigné de la littérature qu’il y paraît. On constate avec elle à quel point la méthode d’interprétation de Fumaroli, qui se sert « des catégories rhétoriques à la fois comme clef de lecture des œuvres […] plastiques, et comme sociologie historique de leur milieu générateur et réceptif 2 » 2 http: / / www.balzan.it/ premiati_fra.aspx? codice=0000000718&cod=0000000724 (page consultée le 3 juillet 2006). Présentation 7 est féconde pour les historiens de l’art. Des éléments de bibliographie qui rendent compte de la richesse de l’œuvre de M. Fumaroli complètent le dossier. Un regret en terminant, et sans doute on pourra nous le reprocher, celui de n’avoir pu joindre à ce dossier des contributions témoignant de l’importance des travaux de Marc Fumaroli sur l’art de la conversation, les institutions littéraires, la Querelle des Anciens et des Modernes, les études sur La Fontaine, et celles sur La diplomatie de l’esprit. Mais peut-être faut-il voir là une invite à un autre recueil …