eJournals Oeuvres et Critiques 33/1

Oeuvres et Critiques
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0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
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Introduction

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Œuvres & Critiques, XXXIII, 1 (2008) Introduction Les études réunies dans le présent volume tournent toutes autour d’une des grandes questions de la critique littéraire et de l’histoire des idées, à savoir, comment une œuvre, un concept esthétique, une théorie scientifique ou philosophique, une notion nouvelle ou un néologisme s’intègrent-ils dans un contexte donné et comment sont-ils conditionnés par le contexte auquel ils appartiennent ou dans lequel ils s’intègrent au cours de l’histoire ? Il est évident que les réponses qu’on peut donner à ce genre de questions ne sont jamais autre chose que des analyses incomplètes, provisoires, hypothétiques. Nous construisons pour illustrer le sens que nous attribuons à un ensemble de données, pour concrétiser l’idée que nous en concevons, des images, des modèles possibles pour les rapports entre les phénomènes que nous observons et que nous cherchons à comprendre. C’est ainsi que les thèses ou les hypothèses présentées dans les contributions qu’on va lire esquissent une vision d’ensemble du problème qu’ils attaquent, mais ne peuvent prétendre qu’à donner des réponses partielles, provisoires, transitoires, des réponses somme toute qui restent sujettes aux doutes qui accompagnent toujours notre travail. Et cela est bien ainsi. Parlons de ce qui est fait. Les réflexions de Paul Delbouille s’efforcent de présenter une réponse plausible à la question difficile et toujours mal élucidée de l’élaboration d’un projet d’écriture qui, longtemps tenu en secret par Benjamin Constant, deviendra un des grands textes autobiographiques de langue française. L’intérêt de cette étude qui n’apporte rien de nouveau sur le plan de la chronologie (faut-il rappeler que les faits ont été établis par Paul Delbouille lui-même), réside incontestablement dans l’art de la lecture. On replace le texte admirable de Ma Vie dans le contexte d’autres documents de la plume de Constant qui ont un rapport évident avec le récit. La trouvaille qui permet de jeter une nouvelle lumière sur le récit de Constant est la belle lettre de celui-ci à sa cousine Rosalie, écrite peu de temps après le décès du père de l’auteur, où l’on peut découvrir, comme un écho lointain et discret, une allusion voilée à son autobiographie. La seconde contribution aborde la question des rapports de Constant avec l’Allemagne. Question simple en apparence si l’on ne considère que les faits biographiques bien établis. Mais ces faits ne suffisent pas pour bien juger de la présence dans la pensée de Constant des idées ayant cours dans l’Allemagne des Lumières et dans l’Allemagne romantique. Cette connais- 4 Introduction sance est pourtant indispensable si l’on veut bien comprendre ses opinions en matière d’esthétique, si l’on veut apprécier à sa juste valeur sa conception du théâtre moderne, de la poésie lyrique ou du récit en vers. Il suffit, pour se faire une idée de la problématique en cause, de lire les comptes rendus littéraires de Constant, Wallstein, les essais sur le théâtre allemand ou Florestan, des domaines où bien des questions sont encore ouvertes. Un autre champ de recherche à peine exploité est l’élaboration de la théorie sur la religion de Constant. Elle subit manifestement une influence profonde de la théologie et de la philosophie des Lumières allemandes, ainsi que des études historiques pratiquées en Allemagne, où les érudits ont acquis une réputation incontestée dans ce domaine. Mais comment ces doctrines ont-elles pu conditionner la théorie sur la religion de Constant ? C’est ce que nous essayons de reconstituer dans notre étude. La théorie sur la religion est liée, chez Constant, à sa pensée politique, qui expose les conditions d’un système politique libéral dont le but est de garantir les libertés individuelles en instituant un état qui serait en mesure de les protéger. L’étude linguistique de Marie-France Piguet sur l’apparition et la propagation du néologisme « individualisme » dans les discussions politiques, notamment entre Constant et Saint-Simon et son école, nous propose une lecture tout à fait originale des textes polémiques de l’époque et jette une lumière inattendue sur le rôle de Constant dans l’apparition d’un terme qui deviendra, en changeant de signification, un terme clef des temps modernes. Béatrice Fink et Michel Bourdeau abordent, en se penchant sur des textes politiques de Constant et de l’école Saint-Simonienne, un sujet de théorie économique, la notion de l’« industrie » dans la théorie libérale de Constant et dans la doctrine proto-socialiste de Saint-Simon et de ses disciples. Là encore nous constatons qu’une lecture comparée des deux options contraires, voire adversaires, nous ouvre des perspectives entièrement nouvelles pour mieux cerner l’évolution de la pensée politique de Constant. La place éminente de l’œuvre littéraire, politique et critique de Madame de Staël dans le monde intellectuel de la France et de l’Europe dès sa première apparition jusqu’à sa mort en 1817, et au-delà de cette date, est un fait bien établi. Ce que l’on sait moins, c’est la façon avec laquelle cette œuvre a été perçue et utilisée par ses lecteurs. Parfois, la lecture devient ré-écriture. Le Petit dictionnaire sentimental et philosophique de Casimir Barjavel, que nous publions ici pour la première fois, est un exemple pour une lecture intense de Delphine de Madame de Staël. Il en est sorti un nouvel ouvrage 1 . 1 La réception des Circonstances actuelles ainsi que la transformation de ce texte par Constant est un autre exemple pour ce type de lecture. Nous pouvons connaître les étapes du travail de transformation en étudiant le manuscrit, la Copie partielle. Il s’agit d’un florilège de réflexions politiques tirées du manuscrit de Madame Introduction 5 Nous pouvons deviner le motif qui en a déterminé la rédaction ; l’hommage romantique de l’auteur à la jeune femme qui allait devenir son épouse. Nous pouvons aussi analyser le but et les principes de la rédaction : il s’agissait de transformer le discours fictionnel du roman épistolaire où Madame de Staël fait parler un grand nombre de personnages qui soutiennent leurs opinions personnelles, de telle manière qu’il prenne la forme d’une réflexion objective, de maximes morales et philosophiques applicables à la vie dans la société où l’auteur va chercher sa place. L’ordre alphabétique choisi pour les entrées tirées du roman annonce un esprit systématique. Les lemmes trahissent un esprit moderne dans ce sens que l’auteur est attentif à des questions aussi importantes que la condition des femmes, les problèmes du mariage et du divorce ; il s’arrête longuement pour donner une analyse du sentiment de l’amour, il choisit des extraits qui illustrent les rapports des personnes de la belle société, il parle de l’amitié, de la religion, de l’égoïsme pour confronter ces idées, cette philosophie morale, à la société où domine un pragmatisme désillusionné. La vision du monde défendue par l’auteur s’inspire d’une sensibilité romantique dont il trouve les racines dans l’œuvre de Madame de Staël. Voilà le parcours critique que nous proposons. Le principe commun à toutes les études réunies dans ce volume est une lecture attentive des textes et leur analyse dans un contexte plus vaste, de sorte qu’on peut parler d’une herméneutique qui met à profit la puissance du contexte. On s’apercevra que c’est un vaste champ de recherche qui s’ouvre devant nous et qu’on ne parcourra pas sans intérêt. K. K. de Staël, qui deviendra sous la plume de Constant un autre texte. Celui-ci sera intégré, du moins en partie, dans ses propres textes politiques. Voir Benjamin Constant, Œuvres complètes, t. IV, Tübingen, Niemeyer, 2005, pp. 789-901.