Oeuvres et Critiques
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0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
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2009
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Marie-Claire Chatelain, Ovide savant, Ovide galant : Ovide en France dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Paris : Honoré Champion, Collection « Lumière classique », No 77, 2008. 763 p.
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2009
Volker Kapp
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102 Œuvres et Critiques pour ce qu’il nommait les homélies, les lettres, ou son Dictionnaire (pp. 169 et 171). La troisième partie contient des textes variés, mais le plus souvent descriptifs, dont quelques études de cas sur La Nausée de Sartre, Lolita de Nabokov, et même Emmanuelle : le livre et fameux le film à succès. Certains articles « transversaux », consacrés à la censure de manière plus large, méritent une attention toute particulière, et surtout l’étude du professeur Jean-Marie Seillan à propos d’un véritable petit guide la censure rédigé par l’abbé Louis Bethléem, qui connaît plusieurs rééditions à partir de 1905, sous le titre Romans à lire et romans à proscrire (p. 243). Ce classique de la censure sera vendu à 140 000 exemplaires et son auteur pourra être considéré comme un « maître de la censure » de la première moitié du XX e siècle (p. 243). L’excellente conclusion de Jacques Domenech se veut ouverte et contient l’embryon de plusieurs problèmes de recherche à explorer, particulièrement autour de l’autocensure : par exemple, à propos des hésitations de Jean- Jacques Rousseau, déjà évoquées dans un chapitre d’Andréas Pfersmann, le professeur Jacques Domenech formule la véritable question en ces termes : « Rousseau craint-il la censure ou se juge-t-il lui-même ? » (p. 370). Plus loin, on évoque à la suite de Jean Cayrol et de Claude Lanzmann l’impossibilité d’évoquer la Shoah autrement que par la littérature et le documentaire, par opposition à la fiction cinématographique (p. 370). Cet ouvrage collectif répond au-delà des attentes de ses lecteurs, car il couvre non seulement une grande variété d’époques et de cas, mais son propos touche un domaine de recherche très fréquenté dans l’édition anglosaxonne, mais trop peu abordé dans les études littéraires en France. Yves Laberge Marie-Claire Chatelain, Ovide savant, Ovide galant : Ovide en France dans la seconde moitié du XVII e siècle. Paris : Honoré Champion, Collection « Lumière classique », N o 77, 2008. 763 p. Une étude volumineuse sur un thème et une époque bien circonscrite - n’est-ce pas trop pour un demi-siècle ? Évidemment non ! Tout au contraire, l’auteur analyse un domaine particulièrement riche de la réception de ce poète en élucidant les deux volets par ailleurs inséparables : le discours critique et l’assimilation par le champ littéraire où la poésie du Romain renaît, métamorphosée, dans les formes et les genres poétiques français les plus divers. Ces analyses procurent un plaisir de lecture dû à la finesse des explications et à la clarté des développements. L’époque est bien choisie puisqu’elle innove dans la longue tradition des études savantes du poète Comptes rendus 103 romain en le transformant en modèle de la galanterie dont les différentes manifestations sont bien mises en lumière. Cette étude impressionne par une surabondance d’informations qui révèlent toujours des facettes peu connues. Les développements se divisent en trois parties : « La tradition ovidienne dans la seconde moitié du XVII e siècle » (15-304) ; « L’Ovide galant » (305-534) ; « Le pathétique élégiaque » (535-700). La première partie s’occupe des éditions, traductions et adaptations d’Ovide, la seconde de son rôle séminal dans l’essor des formes littéraires galantes, la troisième de l’esthétique élégiaque, que la « Conclusion générale » (701-707) rattache, grâce à des arguments très concluants, au concept du sublime chez Boileau. L’historien de la rhétorique pour lequel les dernières décennies du XVII e siècle conduisent à l’apogée du sublime découvre ce que cette version française de la catégorie de Longin doit à la galanterie, bien que Boileau se méfie de certaines manifestations de ce phénomène et soupçonne ses tenants d’affadir le domaine littéraire. Son Art poétique se réfère pourtant aux Métamorphoses pour évoquer « le délicat équilibre du style de l’idylle » (467) et il prend « Tibulle et surtout Ovide pour modèles de l’élégie amoureuse » (497). C’est ainsi que sont mises en évidence les dettes que la littérature sous Louis XIV contracte envers le poète romain. Nicolas Heinsius fournit dans son édition d’Ovide, dédiée à Jacques Auguste de Thou, le texte latin utilisé par tous. C’est la seule édition complète sur laquelle se base également celle ad usum Delphini publiée à Lyon en 1686 par Daniel Crespin. Dans la seconde moitié du XVII e siècle, les œuvres amoureuses éclipsent le prestige des Métamorphoses, « phénomène nouveau » (34), que Mme Chatelain met en parallèle avec l’essor de la galanterie et qu’elle explique par ce phénomène-même. La prédilection va maintenant aux Héroïdes quoique les Métamorphoses soient toujours garantes de l’érudition ovidienne offrant aux lecteurs « un accès facile à la fable » (105). Les traducteurs s’emparent d’Ovide à partir des années 60, particulièrement Michel de Marolles, dont les mérites semblent plus grands que ses nombreux détracteurs ne veulent le reconnaître. Il s’adonne à traduire et à publier toutes les œuvres d’Ovide en édition bilingue, conçue « comme un relais de la culture latine pour le XVII e siècle » (41) et « comme un exemple d’imitation littéraire » (255-256). Une comparaison des traductions de Lingendes avec celles de Marolles et de Martignac illustre l’évolution du programme des « belles infidèles » vers une plus grande exactitude chez Marolles et une fidélité accrue mais dépourvue de charme poétique chez Martignac (59-61). L’étude scolaire d’Ovide évolue de la focalisation sur la dimension rhétorique vers l’exercice du « jugement esthétique » (87). Chez Fénelon, l’enfant incarne « le lecteur naïf » (91) captivé par les fables d’Ovide, chez Du Boscq, la lectrice pratique « une lecture de plaisir » (92). L’auteur moderne 104 Œuvres et Critiques peut même se retrouver dans le poète romain et devenir un « Ovide français » (97) comme Bussy-Rabutin dont les lettres au roi sont mises par le père Bouhours en parallèle avec les Pontiques et les Tristes (99). Ce père jésuite déduit d’Ovide son concept de la pensée ingénieuse distinguée du concetto « par une finesse [qui] s’insinue en se laissant deviner » (119). Aux yeux de Boileau aussi bien que de Perrault, la fable ovidienne passe pour « le modèle poétique d’un sublime de la grâce » (141), par contre, la lecture allégorique des fables s’affaiblit. L’allégorie pratiquée par Ovide est, selon Rapin, « purement formelle » (176). Loin de mettre en cause le poète latin, les Modernes se rallient aux Anciens dans l’intérêt qu’ils portent « au discours des passions, à l’expression galante ou à l’expression naturelle du cœur » (237). L’élégie ovidienne sert de modèle pour créer « l’illusion d’une sincérité du cœur […] par la simplicité, la douceur du style » (221). La pastorale héroïque de Gabriel Gilbert, Les Amours d’Ovide, (281-290) transforme, suivant une démarche chère aux romanciers, le poète romain « en personnage galant » (297) et l’érige en « pédagogue de la séduction » (286) et en « figure tutélaire du Parnasse galant » (303). Les petits genres mondains, pratiqués abondamment à l’époque, s’inspirent sans cesse de l’œuvre ovidienne. Même les Jardins du père Rapin contiennent « une sorte de digression galante » (326) tandis que les Maximes d’amour de Bussy-Rabutin se présentent « comme un anti-traité de l’Art d’aimer » (341). L’originalité de cette étude se doit à une prémisse méthodologique : il faut se familiariser avec l’œuvre ovidienne autant que les gens cultivés du XVII e siècle, s’adapter à leur culture oratoire qui fait entrer cette œuvre, disséquée et ruminée, dans les archives de la mémoire culturelle pour l’exploiter au cours des différentes étapes de l’élaboration du discours sans s’adonner à l’étude - pédante - de l’école dont les habitudes de lecture se distinguent radicalement de celle du grand monde. Mme Chatelain possède tellement à fond l’œuvre du poète romain qu’elle peut explorer ces différentes possibilités de réagir au modèle d’Ovide selon les principes de l’invention, de la disposition et de l’élocution oratoires. C’est ainsi qu’elle analyse les multiples voies de l’intégrer dans un texte (en vers ou en prose). On aimerait présenter ici toutes ses interprétations instructives de la littérature du XVII e siècle, mais il faut se contenter, faute d’espace, de quelques échantillons particulièrement saisissants. Le rondeau pratiqué par Benserade (365-406) se distingue de la tradition chère à Voiture (378) et c’est son « traitement ésopique de la fable ovidienne » (405) qui explique son succès et le rapproche de l’écriture de la fable galante chez La Fontaine. La Fontaine (407-532) innove « dans la poésie mythologique, [parce qu’il] recherche moins la citation que l’esthétique ovidienne » (453). Ces principes lui « permettent l’invention d’une forme nouvelle qui conjugue à l’esprit d’Ovide [sa propre] modernité » (493). Les Lettres portugaises (577-620) Comptes rendus 105 sont des épîtres élégiaques relevant de la tradition des Héroïdes. L’entrée en matière « Considère, mon amour », qui suscita la fameuse dispute entre F. Deloffre et W. Leiner sur l’impacte de la rhétorique dans le style de la passion, est « une caractéristique de l’épître élégiaque » (583) et, comme dans la huitième héroïde, les larmes y « remplacent la vue de l’aimé » (593). Ferrier de La Martinière applique « sans grande originalité » (361) la pensée ovidienne au débat contemporain sur le théâtre, mais Racine s’en sert avec grand succès. Le chapitre remarquable sur la tragédie racinienne (621-698) révèle les riches effets que ce grand dramaturge sait en tirer. Un des atouts de cette troisième partie du volume consiste précisément à révéler l’inspiration ovidienne dans l’élégie galante (539-575) et ses liens avec la tragédie de Racine. Mme Chatelain ne s’inquiète nullement de l’absence d’Ovide parmi les autorités alléguées dans les préfaces des tragédies puisque la correspondance racinienne des années 1660-1663 affiche « une manifestation, parfois très ostentatoire, d’une culture commune aux gens de lettres » (622) dans laquelle s’inscrit son « annotation scrupuleuse des poèmes d’Ovide en 1661 » (623). L’impact du poète romain sur la dramaturgie racinienne explique l’importance des caractères dans sa dramaturgie, l’utilisation des figures rhétoriques comme par exemple l’éthopée ou l’hypotypose et particulièrement la « puissance d’attendrissement des pleurs » (676). Dans Bérénice, Racine exploite l’élégie ovidienne pour fonder le tragique « sur une interprétation plus affective, plus pathétique » (695) d’Aristote. Le livre de Mme Chatelain détecte un grand nombre de témoignages de la présence d’Ovide dans la littérature de la seconde moitié du XVII e siècle. Les spécialistes lui en savent gré et ils auront intérêt à consulter dorénavant cette étude précieuse. Volker Kapp