Oeuvres et Critiques
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Narr Verlag Tübingen
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2009
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L'Éloge lyrique, sous la direction d'Alain Génetiot
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2009
Yvonne Bellenger
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Œuvres & Critiques, XXXIV, 2 (2009) Comptes rendus Alain Génetiot (sous la direction de), L’Éloge lyrique. Nancy : Presses Universitaires de Nancy, coll. « CEMLA », 2008. 503 p. Dans sa brièveté, le titre dit tout. Ce volume offre un aperçu solidement documenté de l’éloge en vers dans son ampleur et sa durée, comme le précise la belle préface d’Alain Génetiot, « De l’ode encomiastique au chant du monde » (p. 5-14). Tout part de Pindare, pour arriver à nous. Le parcours historique du volume se déroule du XVI e siècle au nôtre, dans une série de trente-trois articles sur les formes et les visées de l’éloge lyrique. Rien donc au Moyen Âge ? En fait, l’article de Dominique Millet-Gérard (p. 391-401), s’il mentionne Claudel, étudie pour l’essentiel le commentaire de Bernard de Clairvaux sur le Cantique des Cantiques (l’éloge de l’Époux et de l’Épouse) mis en parallèle avec le modèle. Mais on lira d’abord la préface, qui pose le sujet : « Comme le discours encomiastique en prose, l’éloge lyrique procède d’un même réservoir de sujets et de lieux parcourus et actualisés à travers l’histoire littéraire. C’est cet invariant, qui ressortit à une forme de sensibilité universelle, que le présent recueil entend mettre en lumière à travers l’exemple de la poésie française, de la Renaissance à l’extrême contemporain » (p. 8). Le poète lyrique, en effet, ne s’arrête pas au présent car sa tâche « est de voir plus loin que lui-même et de s’élever, dans une adhésion empathique et euphorique, à la contemplation des vérités éternelles et transcendantes » (p. 14). Les articles sont rangés selon la chronologie : on en compte 8 pour le XVI e siècle, 6 pour le XVII e , 5 pour le XVIII e , 7 pour le XIX e et 7 encore pour les XX-XXI e . D’un siècle à l’autre, ce sont les mêmes différences d’approche : d’une part les considérations d’ensemble sur le genre, d’autre part des études sur des auteurs (les plus nombreuses), enfin - difficiles parfois à distinguer des précédentes - des examens de cas particuliers, voire de détails. Pour la première série (les textes s’attachant à la définition ou à l’illustration de l’éloge lyrique), on a l’étude de Nathalie Dauvois sur les commentaires humanistes des odes d’Horace définissant la poétique de l’éloge lyrique (p. 15-27), et celle d’Isabelle Pantin sur « la relation entre célébrer et décrire à la Renaissance » à propos de la « poésie des choses » (p. 95-106). Anne Mantero s’intéresse à « la louange de Dieu dans la poésie du XVII e siècle » 152 Œuvres et Critiques (p. 171-188) et examine comment « les solutions ou apories de la Muse religieuse du XVII e siècle mettent à l’épreuve le modèle profane » (p. 188). C’est la Muse profane, en revanche, qui retient l’attention de Jean-Pierre Chauveau à propos de « l’éloge lyrique sous Louis XIV » (p. 213-232) - qui est très largement l’éloge de Louis XIV. Pour le XVIII e siècle, deux études fort différentes évoquent le thème central de l’éloge lyrique que fut alors l’éloge de la nature : celui de Sakurako Inoué (p. 259-271) souligne l’influence de Burke sur la poésie française de ce type, et celui de Jean-Louis Haquette (p. 273-284) celle de Diderot dans la nouvelle vision de la nature qui « n’est plus célébration du Créateur ou de la Beauté, mais communion à une force vitale » (p. 280). Les poètes de la nature au XVIII e siècle contribuent ainsi à redéfinir l’inspiration poétique d’une façon dont se souviendront leurs successeurs romantiques. Pour l’époque contemporaine, deux articles évoquent les transformations de l’éloge lyrique : « L’éloge du poète face à la modernité » de Lise Sabourin (p. 437-448), et la question riche de promesses posée par Jean-Michel Maulpoix sur le XX e siècle : « Un impossible éloge ? » (p. 469-476). Il semble donc qu’en quelques siècles on soit passé de la forme et de la nature de l’éloge lyrique, reconnaissables par un certain nombre de critères malgré leurs diversités, à l’incertitude qui s’attache aujourd’hui à toute définition, voire à toute existence, d’une expression artistique en n’importe quel domaine. Voyons donc ce qu’il en est dans les articles qui considèrent les auteurs d’éloges lyriques. Ce sont les plus nombreux (18 : plus de la moitié) et on me pardonnera de m’attarder plutôt sur ceux qui ont particulièrement retenu mon attention. Pour le XVI e siècle, Marie-Dominique Legrand évoque l’éloge des amis par Du Bellay dans Les Regrets (p. 43-62), François Rouget l’association de la louange et de la remontrance dans le Panégyrique de la Renommée de Ronsard, façon de souligner la valeur ambiguë de la louange adressée à Henri III (p. 81-93). Olivier Millet relit les tragédies de Robert Garnier « à la lumière de la Poétique de Scaliger » (p. 107-121) et montre comment Garnier a su ressaisir l’esprit de la tragédie antique en le « confront[ant] de l’intérieur à sa culture chrétienne et moderne » (p. 121). Pour le XVII e siècle, Séverine Salvi-Bourre parle de « l’éloge amoureux malherbien » (137-148), le regretté Yves Giraud de « Godeau thuriféraire de Richelien » (p. 161-170) et Jean-Pierre Collinet de La Fontaine (p. 189-211). Pour le XVIII e , Sylvain Menant présente les odes de Jean-Baptiste Rousseau (p. 233-245), personnage que sa prédisposition à l’aigreur et sa vision pessimiste de l’humanité portaient peu à la louange et dont les plus beaux chants se trouvent dans ses odes sacrées. Michel Delon met en valeur un élément important de l’évolution des mentalités en ce siècle-clé de la modernité en soulignant à propos de l’ode à Buffon de Lebrun-Pindare (p. 247-258) que désormais « une nouvelle catégorie s’impose, celle du grand homme, bien distinct de Comptes rendus 153 l’homme illustre », et que c’est à lui que s’adresse l’éloge lyrique. L’évolution, voire le renversement, que traduit ce changement (et qui se manifestera au début de la Révolution notamment par la nouvelle affectation du Panthéon) exprime un humanisme nouveau et un nouveau modèle de poésie. Avec Chénier, Édouard Guitton suit (p. 285-303) l’évolution du lyrisme ou, pour le citer, « le dilemme de la poésie » (p. 288) à la fin du XVIII e siècle : la notion de lyrisme chez le futur poète des Iambes reste en effet la notion classique et nullement ce qu’on entendra par ce mot au XIX e siècle (p. 289), mais les événements vont faire que c’est dans ce « genre le plus inféodé aux traditions », le genre lyrique, que Chénier va affirmer son originalité (p. 298) en proposant un « lyrisme sans recul » qui « transgresse toutes les normes du genre, sauf celles de la métrique » (p. 301) - lyrisme de circonstance, né de l’événement, sans équivalent dans la poésie française. Pour le XIX e siècle, Aurélie Loiseleur évoque l’élégie lamartinienne (p. 321-333), Claude Millet la poésie de Hugo avant l’exil (p. 335-345). André Guyaux (p. 359-365) et John Jackson (p. 367-374) traitent de Baudelaire : éloge adressé à Sainte-Beuve pour le premier, contre-éloges et éloges paradoxaux pour le second. Jean-Nicolas Illouz propose une intéressante étude des Tombeaux de Mallarmé (p. 375-390), privés de consolation religieuse. Pour le XX e siècle, il a déjà été question de la contribution de Dominique Millet-Gérard (p. 391-401) sur le commentaire du Cantique des Cantiques par Bernard de Clairvaux relu par Claudel. Sous le titre « L’éloge lyrique : la voix de Saint-John Perse » (p. 403-423), Mireille Sacotte présente l’œuvre du poète en soulignant que c’est la seule du XX e siècle « qui puisse intégralement être classée sous la rubrique de l’éloge lyrique », et qu’on pourrait parfois croire due à la plume d’un disciple de Lucrèce ou d’un bouddhiste assuré de la réincarnation (p. 422). C’est Bernard Beugnot qui traite de Ponge : « Francis Ponge auteur lyrique ? Chant du monde et jouissance de l’éloge » (p. 425-436). Titre ambigu, car Ponge pratique tous les genres de l’éloge, des hommes, des choses, l’éloge paradoxal, le blason, mais en refusant la grande tradition lyrique car pour lui « l’éloge est une entreprise de métamorphose de l’éphémère » (p. 436). Patrick Labarthe évoque « Yves Bonnefoy et la question de l’éloge lyrique » (p. 449-467) : éloge une fois de plus ambigu, puisque pour Bonnefoy, « si l’éloge est une manière de devoir de la parole […], il ne saurait célébrer que sur un mode critique, soupçonneux à l’endroit des séductions du narcissisme » (456). Les six articles qui n’ont pas encore été mentionnés sont consacrés à des études de thèmes ou à des aspects particuliers se rapportant évidemment à l’éloge lyrique, étant entendu que dans bien des cas la différenciation avec la catégorie précédente est indécise et peut-être arbritraire : la contribution de Michel Delon porte-t-elle sur un auteur, ou bien le Buffon de Lebrun-Pindare est-il un « détail » dans l’œuvre du poète ? Même question pour le cardinal 154 Œuvres et Critiques de Lorraine vu par Ronsard dans l’étude de Jean Balsamo : auteur ou thème particulier ? Je demande l’indulgence du lecteur sur ces incertitudes. Cécile Huchard évoque ainsi « l’éloge des Dames » chez Marot (p. 29-42), non point comme éloge amoureux (il ne s’agit pas de l’éloge des femmes) mais comme hommage aux Dames de France dont l’exemple appelle à la célébration du divin : Marguerite de Navarre ou Renée de France en particulier. Jean Balsamo examine un cas particulier de l’éloge lyrique au XVI e siècle : celui de Ronsard adressé au cardinal de Lorraine (p. 63-80) dans une suite de pièces composées jusqu’en 1560, mais il réinterprète, de façon convaincante à mon avis, le « silence » de Ronsard à l’égard du prélat dans les années qui suivent. Véronique Ferrer traite de l’éloge lyrique religieux (p. 123-135), en l’occurrence « la louange psalmique » telle que la proposent les poètes de la Réforme, chez qui la poésie d’éloge est « largement relayée par la déploration, la supplique, voire la plainte » pour exprimer jusque dans l’exaltation du chant divin l’âme tourmentée du croyant réformé « voué […] à s’épuiser dans le ressassement verbal de son péché » (p. 135). Stéphane Macé s’intéresse à « la voix des vainqueurs » telle qu’elle s’exprime après la prise de La Rochelle (p. 149-159). Pour le XIX e siècle, Jean-Noël Pascal (p. 305-319) examine « l’éloge lyrique de l’Empereur » dans l’Almanach des Muses de 1805 à 1814, pour aboutir à la constatation que « Napoléon n’a trouvé ses poètes qu’après sa chute, ou même après sa mort » (p. 319). Enfin Wieslaw Mateusz Malinowski (p. 347-357) nous entretient du mythe de « la Belle Polonaise » chez les poètes du XIX e siècle. Quant au dernier article du volume, il est dû à la plume de Michel Deguy (p. 477-486) : intitulé « Morceaux de bravoure », il propose une promenade capricieuse et savante à travers les avatars de ce qui reste aujourd’hui (d’après l’auteur) de l’éloge lyrique. Suivent un Index des noms de personnes (bien utile) de 14 pages et la table des matières. J’aimerais avoir donné une idée de la richesse et de la variété offertes par cet ouvrage, qui traite du sujet dans son histoire et sous presque tous ses aspects - on est tenté de dire : dans presque toutes ses musiques. D’abord l’éloge lyrique en forme, tel que l’avait pratiqué les imitateurs de Pindare, tel que le décrivait Quintilien et tel que le rappelle La Fontaine : On ne peut trop louer trois sortes de personnes, Les Dieux, sa maîtresse et son Roi… Puis l’éloge paradoxal, le contre-éloge, l’éloge ambigu, l’éloge soupçonné (ou soupçonneux)… Et les thèmes de l’éloge lyrique : la louange de Dieu, des puissants, l’éloge des morts, celui de la nature et du monde (mais très rare éloge amoureux). La documentation est large, précise. Presque tous les articles sont intéressants, plusieurs sont passionnants. Ils apportent parfois du nouveau, ils dressent souvent une présentation ou un bilan précieux de Comptes rendus 155 questions mal connues des non-spécialistes. Avec ce beau livre, Alain Génetiot offre au lecteur une vue à la fois approfondie et panoramique - disons : encyclopédique - de l’éloge lyrique. Qu’il en soit remercié. Yvonne Bellenger
