eJournals Oeuvres et Critiques 35/1

Oeuvres et Critiques
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0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
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2010
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Jean Balsamo, Vito Castiglione Minischetti, Giovanni Dotoli (éds.): Les Traductions de l'italien en français au XVIe siècle

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2010
Volker Kapp
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Œuvres & Critiques, XXXV, 1 (2010) Comptes rendus Jean Balsamo, Vito Castiglione Minischetti, Giovanni Dotoli (éds.) : Les Traductions de l’italien en français au XVI e siècle, Fasano/ Paris : Schena/ Hermann, coll. « Biblioteca della ricerca, Bibliographica 2, Bibliothèque des traductions de l’italien en français du XVI e au XX e siècle, 4 », 2009. 479 p., 32 il. Ce quatrième volume, centré sur la Renaissance, de la Bibliothèque des traductions s’ajoute à ceux déjà parus et consacrés aux XVII e - XIX e siècles. Cette série méritoire, éditée par Giovanni Dotoli et Vito Castiglione Minischetti, profite de l’appui de la Bibliothèque nationale de France et de tout un réseau européen de bibliothécaires. Il enregistre plus de 1500 titres et encore beaucoup plus de volumes puisque les différentes éditions d’un même ouvrage sont soigneusement répertoriées. L’inventaire des sources bibliographiques (429-444), un index des traducteurs (445-448), des lieux d’impression, des imprimeurs et des libraires (449-458), des auteurs, des titres anonymes et des noms cités (459-478) en facilitent la consultation. Les titres anonymes comprennent la plupart des anthologies, mais ce sont souvent des brochures, dont le statut de traduction est parfois incertain ou dont la traduction se base sur un texte déjà traduit du latin en italien (surtout ceux rassemblés sous l’intitulé Jésuites, 253-262). Ils informent sur un événement ou un fait divers, s’ils ne sont liés à des préoccupations de l’époque comme la menace de l’invasion turque (Turcica, 396-420). La reproduction de 32 pages de titres visualise ce fonds dont celle du Courtisan de Castiglione (1537) est aussi belle que celles du Roland furieux (1543) et de Serlio (1545) ou du Songe de Poliphile (1546). Les quatre éditions de ce dernier ouvrage (170-171) sont enregistrées sous Colonna, Francesco, décision raisonnable selon nous, quoique l’attribution de ce songe célèbre à Colonna soit toujours contestée par quelques spécialistes. Une copie de tous les livres répertoriés est localisée, de préférence dans la BNF, sinon dans les bibliothèques de Paris ou de province, et seulement dans une bibliothèque étrangère, quand on n’en trouve aucune en France. Cette localisation importe puisqu’elle permet d’éliminer les indications fantaisistes qu’on trouve dans quelques bibliographies, et elle encourage à rechercher les copies dont on possède un témoignage fiable sans savoir où elles sont conservées. Le présent volume profite du Répertoire 160 Œuvres et Critiques des traductions françaises d’ouvrages italiens : 1570-1600, achevé en 1988 par Jean Balsamo, mais resté malheureusement inédit. Cette base solide de toute l’entreprise est complétée par la prise en compte du siècle entier, les autres décennies du siècle n’apportant toutefois que des résultats nettement inférieurs. Pourquoi le dernier tiers du siècle mène-t-il à l’essor des traductions de l’italien ? Jean Balsamo explique ce phénomène surprenant dans son introduction (15-64) où il présente une synthèse magistrale de ses multiples travaux publiés jusqu’alors sur ce thème. Nous conseillons vivement d’étudier cette cinquantaine de pages. Il faut disposer de la compétence de Balsamo pour évaluer l’importance des différentes parties du siècle en ce qui concerne les traductions de l’italien. Il situe le travail des traducteurs dans le cadre plus vaste de l’histoire du livre, de la civilisation de l’époque et de la littérature. Ses développements sont précieux pour le critique qui y trouve un panorama passionnant des différents aspects qui déterminent le marché des traductions, section particulièrement difficile à saisir de la production et de la diffusion des livres. La notion de littérature qui s’imposera au XVIII e siècle n’affecte qu’une petite partie des œuvres répertoriées qui relèvent de la perspective plus large des litterae, concept qui englobe les textes en langage vernaculaire ressortant de l’étude des auteurs grecs et latins. Cette notion de litterae est absente du présent volume qui écarte la littérature néo-latine pour se concentrer sur la littérature vernaculaire. Le Recueil de sentences notables (1568) traduits des langues latine, italienne et espagnole de Gabriel Meurier et toute la production abondante de ce compilateur de sentences (294-295) entre, grâce à l’italien, dans cette bibliographie. On pourrait contester cette décision en renvoyant à l’importance du latin dans la république européenne des lettres, mais on peut aussi bien la défendre par l’intention de focaliser l’attention sur la spécificité du rapport franco-italien dans le domaine littéraire. Le principe reconnaissant, que les « traductions sont une forme d’imitation qui permet l’appropriation » (16) vaut pour tous les siècles, mais, au XVI e siècle, les traductions de l’italien modifient « le texte d’origine pour en faire un texte français » (17). On utilise alors la traduction « à l’édification du monument » (19) de cette langue. Le champ littéraire que nos historiens de la littérature mettent au premier plan n’acquiert que tardivement cette importance. Balsamo illustre cette spécificité par de nombreux exemples dont celui de François Gilbert de La Brosse nous semble très typique. La Brosse traduit le traité de Paolo Paruta La Perfection de la vie politique (1582), qui a contribué beaucoup « au mythe politique de la libre Venise » (27), mythe « analysé et critiqué par Bodin et Gentillet » (27). On ne s’attendrait pas à la mise en relief de cet ouvrage dont la bibliographie n’enregistre qu’une seule édition (325-326) tandis que d’autres sont réimprimées plusieurs fois, mais cette œuvre de Paruta révèle toute une conjoncture des rapports franco-italiens. Dédiée à Comptes rendus 161 Mathieu Cointrel, futur secrétaire, puis préfet de la Secrétairerie pontifical aux Brefs pour les Princes, cette traduction réclame - dans les pièces liminaires - l’héritage « de la tradition prestigieuse de Bembo et des cicéroniens italiens » (28) afin de rendre la langue française « florissante et excellente, sur le modèle des langues classiques, confirmant que le français était devenu une langue ‹grammaticable et capable de sciences, principalement divines et salutaires› » (28). Cette dernière citation renvoie à une préoccupation de cette époque qu’on risque de négliger face au succès européen du classicisme français. La Brosse, dont la traduction est une des seules « de l’époque à se rattacher de façon aussi précise aux leçons du ‹voyage d’Italie› » (31), souligne sa maîtrise de plusieurs langues afin d’interpréter son choix linguistique comme un parti pris pour la langue française et de signaler qu’elle participe désormais « avec les anciennes langues de culture au discours commun de la vérité » (30). Son attitude est à l’opposé de l’ « italophobie, économique et politique, dont les protestants, Estienne, Gentillet ou Hotman avaient été les hérauts » (31). Cet aspect de controverse religieuse se révèle quand il rend hommage au père jésuite qui l’avait encouragé à traduire un petit traité spirituel anonyme pour témoigner ses sympathies vis-à-vis de la réforme tridentine. Selon Balsamo, les jésuites espéraient voir succéder à « l’ancienne communauté savante des érudits de langue latine […] une communauté dévote, réunie par une même foi, une langue de culte, et l’échange des langues par l’intermédiaire de la traduction » (32). Il situe dans ce contexte les deux traductions du Prince de Machiavel, parues simultanément en 1553. Le montage avec d’autres ouvrages du Florentin est dû aux « pratiques de librairies « (62) et nullement à une stratégie politique. Gentillet le critique en inventant « la notion de machiavélisme » (62). La traduction de Paruta ainsi que celle de la Raison d’Etat de Botero, publiée en 1599 en édition bilingue après Le Mépris du Monde de 1585, 2 1586 (141) du même auteur, s’inscrivent dans ce débat sur Machiavel. Un grand nombre de titres répertoriés relève de la littérature spirituelle. L’éloquence asianiste de Cornelio Musso, invité par le pape Paul III à faire le 13 décembre 1545 le discours d’ouverture du Concile de Trente, a son écho en France. Ses sermons sont traduits dès 1574 (305-308), surtout par Gabriel Chappuys qui travaille sur commande des libraires. De même Francesco Panigarola, prédicateur éloquent adoré de ses compatriotes, (319-323) bien que son intervention à Paris, illustrée par un recueil de 1592 et traduite par Pierre Matthieu, soit restée sans succès pour la Cour pontificale. Son échec à enchanter les Parisiens par son abondance oratoire illustre la résistance à l’asianisme italien dont les orateurs et les magistrats de l’époque de Louis XIV prennent nettement leurs distances. Le XVI e siècle « a connu un moment favorable à ces traductions, compris entre les années 1530 voire seulement 1543, et 1585 » (63). Jusqu’en 1530, 162 Œuvres et Critiques quelques « traductions d’occasionnels liés aux guerres d’Italie » (20) existent, mais les œuvres du canon poétique sont absentes, tandis qu’à la fin du règne de François I er , on « voit une exceptionnelle floraison de grandes traductions littéraires élaborées à la cour et pour la cour » (21). Une première version en prose du Roland furieux d’Arioste sort en 1543 à Lyon. Lyon fait concurrence à Paris, mais « les libraires parisiens […] jouèrent le premier rôle dans la diffusion des traductions et dans leur élaboration » (48). A Lyon, Guillaume Rouillé publie l’original des « grands textes de la littérature italienne, Dante, Pétrarque ou Boccace » (46-47) tandis que L’Angelier édite à Paris entre 1574 et 1600 « 36 versions de l’italien dont 26 traductions nouvelles » (52). Gabriel Chappuys, le traducteur professionnel le plus prolifère, commence sa carrière en 1573 à Lyon qu’il quitte en 1583 pour aller à Paris où il travaille aux gages des libraires du Palais qui fournissent aux juristes des ouvrages de droit français et proposent « des nouveautés littéraires à un public plus mondain » (49). C’est pour eux qu’il traduit de nouveau le Roland furieux (1576) et éclipse ainsi la version lyonnaise, réimprimée jusqu’en 1572 et celle de Jean Fournier (1555) moins fortunée, sans parler des multiples traductions partielles ou des « imitations ». Deux des comédies d’Arioste, les Supposez et le Negromante, sont traduites et plusieurs fois éditées. Le succès du Roland furieux attire l’attention sur Roland l’amoureux de Boiardo (136-137). Le Décaméron de Boccace dans la version d’Antoine Le Maçon sort en 1545 et vingt réimpressions seront publiées jusqu’en 1607, dont deux ne sont pas localisées (129-131). Boccace est le modèle de la nouvelle, le Canzoniere de Pétrarque celui de la poésie amoureuse. C’est d’abord Marot qui donne « le modèle du sonnet » (54) par sa traduction fragmentaire (1539), ensuite celle de Vasquin Philieul (1548) « inventait le recueil d’Amours » (55). Supérieur est le nombre des réimpressions des Triomphes, traduits en prose par Georges de La Forge (1514), puis en vers par J. Maynier d’Oppède (ca 1539), Jean Ruyr (1588) et Philippe de Maldeghem (1600). La réception de l’épopée du Tasse « fut immédiate, contemporaine » (58) de celle en Italie même. Montaigne est « le premier français à citer, dès 1582, des extraits » (58-59) de la Jérusalem délivrée et d’Aminte, traduite plusieurs fois (386-390). On pourrait continuer cette énumération, mais ces quelques exemples illustrent déjà assez les données que cette bibliographie met à la disposition du critique littéraire. La présente bibliographie est très riche en informations. Elle servira désormais de repère indispensable à tous ceux qui font des recherches sur la littérature du XVI e siècle. Volker Kapp