Oeuvres et Critiques
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0338-1900
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Narr Verlag Tübingen
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Introduction
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Rainer Zaiser
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Œuvres & Critiques, XXXVII, 1 (2012) Introduction Rainer Zaiser Enfin Boileau oublié… Alors que l’année 1999 a vu célébrer le tricentenaire de la mort de Jean Racine par la tenue de deux grands congrès internationaux, l’un à Paris et La Ferté-Milon 1 et l’autre à Santa Barbara en Californie 2 , et que l’année 2006 a rassemblé à Paris de nombreux spécialistes du théâtre de Corneille pour commémorer le tricentenaire de la naissance de l’auteur du Cid 3 , l’année 2011 a presque passé sous silence le tricentenaire de la mort de Nicolas Boileau-Despréaux. S’il est vrai que l’auteur de l’Art poétique figure sur la liste des „Célébrations nationales“ de 2011, publiée sur le site des Archives de France en ligne 4 , il n’est pas moins vrai qu’à part la belle page consacrée par Roger Zuber à l’œuvre boilévienne sur ce même site, le programme des manifestations n’y annonce qu’une seule conférence en hommage à cette figure légendaire du classicisme français, à savoir celle tenue par Delphine Reguig au Centre d’Etude de la Langue et de la Littérature Françaises des XVII e et XVIII e siècles de l’Université Paris-Sorbonne le 8 mars 2011, date bien choisie autour de l’anniversaire de la mort de l’auteur le 13 mars 1711. Comment expliquer cette réticence que la République des lettres a exprimée à l’égard de la commémoration de l’un des piliers de l’âge classique dont le nom est indissolublement lié à son Art poétique, 1 Voir Gilles Declercq et Michèle Rosellini, éds., Jean Racine : 1699-1999, actes du colloque du tricentenaire (25-30 mai 1999), Paris, PUF, 2003. 2 Ronald W. Tobin, éd., Racine et/ ou le classicisme, actes du colloque conjointement organisé par la North American Society for Seventeenth-Century French Literature et la Société Racine, University of California, Santa Barbara, 14-16 octobre 1999. Tübingen, Gunter Narr Verlag, « Biblio 17, 129 », 2001. 3 Voir « Collque Pierre Corneille et l’Europe, 1 er -5 septembre 2006, sous le haut patronage de la Société d’Etude du XVII e siècle et de la Société d’Histoire Littéraire de la France, avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique et de la Délégation aux Célébrations Nationales du Ministère de la Culture, Actes réunis et présentés par Alain Niderst », Papers on French Seventeenth Century Literature, Vol. XXXV, No. 68 (2008). 4 http : / / www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/ action-culturelle/ celebrations-nationales/ recueil-2011/ litterature-et-sciences-humaines/ nicolas-boileau dernier accès le 21 mars 2012. OeC01_2012_I-142End.indd 3 OeC01_2012_I-142End.indd 3 09.05.12 12: 21 09.05.12 12: 21 4 Rainer Zaiser la grande somme de l’esthétique littéraire du classicisme ? Peut-être est-ce exactement cette image d’un Boileau ancien et classique qui a suscité ces dernières années un certain désintérêt pour l’œuvre de cet auteur. Au fur et à mesure que la critique littéraire a découvert et admis la diversité de la littérature française du dix-septième siècle, le Grand Siècle a changé son visage uniforme du classicisme des règles, qui lui fut imposé au fil des siècles par les générations postérieures, pour devenir un siècle à visage multiple et varié. 5 Dans ce concert de voix différentes, voire discordantes, le Boileau de l’Art poétique ne joue plus le rôle du chef d’orchestre soucieux de tenir l’accord, mais est devenu une voix parmi d’autres qui ont droit de cité dans la République des lettres. Cependant, quant à l’ensemble de l’œuvre de Boileau, l’image du doctrinaire et propagateur du classicisme est, à son tour, à corriger. Mieux encore : son œuvre s’inscrit exactement dans cette tendance à la diversité esthétique par laquelle se caractérise l’ensemble des courants et genres littéraires du dix-septième siècle. C’est à cette diversité et à son rayonnement que sont consacrées les contributions que nous avons rassemblées dans ce volume sur l’œuvre de Boileau. Le dossier a pour objectif de présenter un Boileau ambigu et varié qui dépasse de loin l’image de l’apologiste des Anciens, que ce soit sur le plan de la théorie poétique ou sur le plan de la pratique littéraire. Stéphane Macé met en lumière « les ambigüités de Boileau » comme critique littéraire, notamment en ce qui concerne sa critique de la pointe baroque. On connaît bien le jugement sévère porté par Boileau sur l’usage de la pointe de Théophile de Viau dans Pyrame et Thisbé 6 et sa condamnation de la « pointe frivole […] d’une Epigramme folle » dans l’Art poétique, 7 mais on connaît moins le revers de la médaille que nous révèle Stéphane Macé dans son article, à savoir l’indulgence que Boileau témoigne à l’égard de l’usage de la pointe dans le cas de Racine, si modérément que ce dernier emploie cette figure rhétorique dans son œuvre dramatique. En considérant les pointes de Racine comme des expressions du sublime, Boileau affranchit 5 Après la découverte de l’esthétique baroque dans la littérature française du premier dix-septième siècle par Jean Rousset (La Littérature de l’âge baroque en France. Circé et le Paon. Paris : Corti, 1954), c’est Ruger Zuber qui est le premier à défendre la cause d’un dix-septième siècle des classicismes littéraires au pluriel : Les émerveillements de la raison : classicismes littéraires du XVII e siècle français, préface de Georges Forestier, Paris, Klincksieck, 1997. 6 Voir Boileau, « Préface », dans Boileau, Œuvres complètes, introduction par Antoine Adam, textes établis et annotés par Françoise Escal, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pleiade », 1966, p. 2 7 Voir Boileau, L’Art poétique, Chant II, dans Boileau, Œuvres complètes, p. 166. OeC01_2012_I-142End.indd 4 OeC01_2012_I-142End.indd 4 09.05.12 12: 21 09.05.12 12: 21 Introduction 5 son contemporain, selon la thèse de Macé, du verdict de pratiquer un style de mauvais goût parce qu’il n’ose pas dénigrer la pratique littéraire d’un écrivain réputé à l’époque pour être un auteur d’œuvres idéales. Sous la devise « rire et mordre », Jean Leclerc nous présente le côté comique de Boileau soucieux non seulement de provoquer le rire de ses lecteurs mais aussi de blesser ses contemporains en critiquant et en attaquant les mœurs et les auteurs de son siècle. Il va de soi que cet aspect vaut à bon escient pour les œuvres burlesques et satiriques de Boileau comme Le Lutrin, L’Arrêt burlesque, Chapelain décoiffé ou le Dialogue des héros de roman. Cependant, le regard de Leclerc se focalise sur un autre corpus de textes, moins étudié jusqu’ici sous l’angle de la rhétorique du rire. Il s’agit des épigrammes dont Leclerc nous donne un aperçu utile de leur histoire génétique et éditoriale avant de nous faire voir comment Boileau maîtrise le style comique et satirique dans cette forme brève de la littérature. Sophie Tonolo nous fait découvrir Boileau comme fabuliste, mais un « fabuliste malgré lui », parce qu’il exploite inconsciemment son don d’apologue dans ses satires et dans ses épîtres. Auteur de deux fables seulement, « La Mort et le Bûcheron » et « L’Huître et les plaideurs », Boileau semble avoir laissé le champ de la fable à La Fontaine, mais il ne laisse pas de profiter de son talent de conteur dans les genres qu’il a pratiqués avec plus de verve. Sophie Tonolo montre comment Boileau incluent dans ses satires et dans ses épîtres les dispositifs rhétoriques et moralisants de la fable pour les mettre au service d’une réflexion sur l’humanité en général et sur l’individu en particulier. Delphine Reguig attire notre attention sur un autre aspect de l’œuvre de Boileau, peu étudié jusqu’ici, à savoir la dimension métapoétique de son écriture. L’invocation des Muses, élément topique de la réflexion métapoétique dans les œuvres littéraires depuis l’Antiquité, se transforme chez Boileau, comme l’éclaire cet article, dans un dialogue du « je » littéraire avec son esprit pour traiter avec lui l’énoncé et l’énonciation de son discours poétique. C’est ainsi que Boileau permet à son lecteur de jeter un regard sur la fabrication de son œuvre, sur des questions concernant sa conception des genres, du style et de l’idéal poétique. A partir d’un fameux vers de l’Art poétique, où Boileau recommande au poète de varier son discours (Chant I, v. 70), Allen G. Wood se pose la question de savoir dans quelle mesure Boileau suit son propre conseil. Wood se propose de le vérifier dans l’Art poétique même et réussit à prouver que Boileau est très attentif à varier son style dans l’emploi des formes du verbe, surtout dans le domaine des verbes de modalité. Il conclut que malgré le souci de respecter la simplicité et la clarté du discours, Boileau cherche à l’enrichir par la variatio parce qu’elle delectat. Plaire au public semble donc la première règle dont Boileau voulait instruire les poètes de son temps. OeC01_2012_I-142End.indd 5 OeC01_2012_I-142End.indd 5 09.05.12 12: 21 09.05.12 12: 21 6 Rainer Zaiser Dans sa contribution consacrée à la portée du classicisme dans l’œuvre boilévienne, Emmanuel Bury approfondit la question de savoir quelles sont en effet les variations du discours que Boileau tient pour possibles dans le cadre des concepts littéraires qui se sont développés à son époque. Sont pris en considération les textes que ce dernier a rassemblés sous le titre d’Œuvres diverses en 1674, titre qui signale déjà que « la diversité est de mise », comme l’exprime l’auteur de cette contribution. Certes, ce titre réfère de prime abord aux genres divers dans lesquels Boileau tente de se distinguer - y figurent les Satires, l’Art poétique, le Traité du sublime, les premiers Epîtres et quatre chants du Lutrin - mais il évoque aussi la variation du ton et de l’inspiration que Boileau cherche à réaliser dans chacune de ses œuvres. Toutefois, Emmanuel Bury montre également que la varietas ne dépasse guère chez Boileau celle prônée par la rhétorique des Anciens et se cantonne dans les limites des mécanismes de l’imitation-émulation. Volker Kapp relance le débat sur la notion du sublime de Boileau. Contrairement à ceux qui ont vu dans sa traduction du Peri Hypsous et ses remarques sur ce traité du pseudo-Longin un signe précurseur de l’esthétique du sublime qui prendra son essor au dix-huitième siècle et à l’âge romantique, Kapp réinscrit le sublime de Boileau dans le contexte de la rhétorique des Anciens et de l’humanisme chrétien des premiers temps modernes. En prenant en considération la réception européenne du traité de Longin aux dix-septième et dix-huitième siècles, il fournit de nombreux témoignages selon lesquels la thèse s’impose que le sublime se fonde chez Boileau plutôt sur l’acception rhétorique du terme que sur sa dimension esthétique. Le rayonnement de Boileau au Québec est le sujet central de l’article de Dorothea Scholl. Son étude est consacrée à la réécriture de plusieurs ouvrages de Boileau dans la littérature québecoise des dix-huitième et dix-neuvième siècles pendant lesquels l’œuvre de Boileau a trouvé un écho particulier parmi les auteurs francophones du Canada. Ce qui est frappant, c’est que ces derniers sont notamment attirés par la dimension variée de l’œuvre boilévienne : entrent en ligne de compte de leurs imitations et adaptations non seulement L’Art poétique, mais aussi les satires, les épîtres, les épigrammes et, à maintes reprises, Le Lutrin. Même si le Boileau du classicisme des règles jouent un certain rôle dans la réception de son œuvre au Québec et que ses imitateurs et adeptes tiennent à l’observation des règles de style qu’il a prescrites pour la poésie, les auteurs franco-canadiens ont recours à l’œuvre de Boileau surtout pour adapter la verve critique et satirique de leur modèle aux exigences de leur propre espace culturel et socio-politique, de sorte que naissent sous leur plume des ouvrages qui sont loins d’être de simples imitations. Retour au classicisme, mais par le biais de Boileau et non par celui d’une doctrine projetée ex post sur les auteurs du dix-septième siècle, c’est ainsi que OeC01_2012_I-142End.indd 6 OeC01_2012_I-142End.indd 6 09.05.12 12: 21 09.05.12 12: 21 Introduction 7 l’on pourrait résumer l’article de Volker Schröder qui explore les insinuations que l’on retrouve dans l’œuvre de Boileau à propos du statut d’auteur classique et à propos de son propre désir de compter un jour parmi ceux qui seront honorés de cette dénomination. Ce que l’étude de Volker Schröder met à jour, c’est le fait que Boileau utilise déjà la notion « auteur classique », mais dans une acception tout autre que celle appliquée par les historiens de la littérature aux écrivains du Grand Siècle. Boileau est loin de considérer un auteur classique comme un adhérent aux règles aristotéliciennes, comme pourrait le suggérer son Art poétique. Volker Schröder signale, au contraire, que Boileau qualifie un auteur de classique à partir du moment où il sera relu, estimé, enseigné et pris pour modèle par la postérité. C’est cette signification du terme qui est déjà courant au dix-septième siècle. Il va sans dire que ce sont seulement les auteurs de l’Antiquité qui mérite, à l’époque, d’être nommés classiques, mais Boileau se montre soucieux de devenir un jour, lui aussi, un auteur classique dans ce sens-là. Le moyen d’y parvenir est une édition commentée et érudite des œuvres complètes qui s’impose à l’appréciation de la postérité. C’est ainsi que Boileau se met à préparer une telle édition de son œuvre, parue pour la première fois en 1701, préfacée par l’auteur et léguée, quant à de futures rééditions, à la responsabilité de commentateurs déjà envisagés par lui dans le « fol espoir » que quelqu’un dira un jour « Enfin Boileau vint ». Quant à nous, nous espérons que les articles rassemblés ici relanceront le débat autour de cet auteur et autour de la richesse, longtemps sous-estimée, de son œuvre et que la critique boilévienne sera incitée à de nouvelles études pour enrichir la modeste bibliographie des livres consacrés jusqu’ici, entièrement ou partiellement, à l’auteur de l’Art poétique. Livres consacrés à Boileau Bury, Emmanuel avec le concours de Gilles Declercq, Volker Kapp, Henry Phillips, Boileau : poésie, esthétique. Colloque de Versailles, 22-23 mai 2003, numéro spécial de la revue Papers on French Seventeenth Century Literature, Vol. XXXI, No. 61 (2004). Beugnot, Bernard ; Zuber, Roger. Boileau : visages anciens, visages nouveaux, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1973. Bonfantini, Mario. L’arte poetico di Boileau e i suoi problemi, Milan : Goliardica, 1957. Bray, René. Boileau, l’homme et l’œuvre, Paris, Boivin, 1942. Brody, Jules. Boileau et Longinus, Genève, Droz, 1958. Clarac, Pierre. 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