eJournals Oeuvres et Critiques 37/2

Oeuvres et Critiques
oec
0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
2012
372

Une lettre retrouvée de Karl Viktor von Bonstetten

121
2012
Kurt Kloocke
oec3720143
Œuvres & Critiques, XXXVII, 2 (2012) Une lettre retrouvée de Karl Viktor von Bonstetten Kurt Kloocke La découverte de documents d’archives est souvent une affaire de hasard. Ceci vaut aussi pour la lettre de Bonstetten que nous publions ici. Au cours de nos recherches sur Benjamin Constant et en particulier sur les rapports entre Constant et Karl August Böttiger, nous avons dû consulter des documents déposés à la Sächsische Landesbibliothek de Dresde. C’est ainsi que nous avons retrouvé une lettre de Bonstetten, avec une apostille de Friederike Brun, écrite le 14 janvier 1799 de Copenhague à Böttiger, alors directeur du lycée de Weimar et éditeur infatigable du périodique Der neue Teutsche Merkur. Cette lettre aurait dû trouver sa place dans le t. VIII/ 1 des Bonstettiana, après celles écrites le 12 janvier par Friederike Brun à Johannes von Müller, et par Bonstetten à Johann Wilhelm Ludwig Gleim, le poète et Canonicus à Halberstadt, celles écrites le 13 janvier par Bonstetten au même et à Johann Heinrich Füssli, éditeur à Zurich. Toutes ces lettres et d’autres encore écrites peu de temps après cette date à la poétesse de Copenhague et à son invité réfugié, parlent en partie de la même chose, à savoir du petit ouvrage de Friederike Brun Der Rigiberg. Ce petit livre est un ouvrage de combat. Il a été composé en peu de semaines en 1798 pour protester contre la tyrannie du régime révolutionnaire et républicain de la Suisse, établi le 12 avril 1798 par le Bâlois Peter Ochs, sur le modèle de la France. La campagne helvétique, impitoyable, des troupes du général, plus tard maréchal Brune et du commandant Schauenburg avait créé les conditions indispensables pour appuyer les opérations politiques des révolutionnaires suisses, presque aussi tyranniques et autoritaires que ceux du modèle français. Les partisans de l’ancienne confédération ne cessent de se révolter contre les nouveaux maîtres au nom de l’ancienne liberté. L’épisode le plus retentissant fut la révolte héroïque du Nidwald (septembre 1798), brutalement étouffée dans le sang par les troupes françaises et comparée par ceux qui en ont gardé le souvenir aux plus célèbres événements de l’âge héroïque de l’ancienne Grèce. Cette révolte n’est pas le sujet, mais la raison profonde, le motif pour la composition de la brochure de Friederike Brun qui la faisait imprimer à ses frais, mais renonçait finalement à la distribuer. Avant d’entrer dans les détails de cette affaire, voici le texte de la lettre : OeC02_2012_I-173AK2.indd 143 OeC02_2012_I-173AK2.indd 143 09.11.12 13: 34 09.11.12 13: 34 144 Kurt Kloocke Karl Viktor von Bonstetten et Friederike Brun, née Münter, à Karl August Böttiger 1 [recto] Ich habe die Ehre Ihnen im Nahmen der Frau Brun zu schreiben um Sie zu bitten, und inständig zu bitten die Exemplare von Ihrem Rigiberg als Manuscript zu betrachten, und es niemanden in die Hände zu geben es seie dan das erste Blatt mit dem schonen Motto und der ganze Anhang besonders die prosa weggelaßen. Ein Werk das man auf der großen Schaubühne der Welt sieht, hat eine andere Gestalt als was man im Kabinet liebt. Darum Sie Madame Brun auf das dringenste bittet mit der grosten Vorsicht, und ja nicht mit Vorschrift und Nachschrift 2 diese Exemplar[e] aus den Händen zu laßen, und Ihnen alsobald die Flügel wegzuschneiden. Ich habe eine Bitte an Sie. Sie wolten meine Reise durch Seland im Merkur aufnehmen ; laßen Sie doch meine Zueignung an Müller ja weg. Es ist da ein Ausdruk über Leibeigenschafft der wahr aber zu stark ist. Mir graut nur vor der perspectiv der großen Schaubühne, und Ruh besonders in diesem Sturm [zu opfern] ist die bißchen Lorbeer nicht werth die die Zähne der Kritik etwa übrig laßen mogen 3 . [verso] Man sagt Sie werden vielleicht zu uns kommen. Müller der Ihren ganzen Werth zu kennen wurdig ist, schreibt uns wie vieles danmark dabei gewinnen würde. Mir wäre hochst angenehm Ihre Bekantschaft zu machen, und Sie mundlich meiner Hochschazung zu versichern. Von Bonstetten Kopenhagen den 14. Jener 1799 1 Sächsische Landesbibliothek, Staats- und Universitätsbibliothek Dresden, Mscr. Dresd. h. 37, 4°, Bd. 15, Nr. 30. Le texte occupe le recto et le verso de la feuille. La transcription de la lettre a été revue par les éditeurs des Bonstettiana, opération très utile parce que l’écriture de Bonstetten n’est pas facile à décrypter. 2 Observation sur la transcription du mot « Vorschrift ». Le ms porte effectivement « Vorschrift », avec un seul « f » à la fin. Les Bonstettiana écrivent dans des cas analogues « -fft », ce qui est parfaitement possible selon les libertés de l’orthographe du XVIII e siècle. Bonstetten adopte souvent les conventions en cours de disparition. Dans ce document, nous écrivons néanmoins « Vorschrift », « Nachschrift », « Bekantschaft », parce que le graphème spécial pour ces lettres collées n’est pas reconnaissable ici. 3 La phrase de Bonstetten n’est pas complète. En rédigeant rapidement sa lettre il a probablement oublié d’exprimer la partie positive de son idée, à savoir « Ruh besonders in diesem Sturm zu opfern ist die bißchen Lorbeer nicht werth [ ] ». Notre conjecture est confirmée par la lettre du 13 janvier de Bonstetten à Johann Wilhelm Gleim, où la même idée est ainsi exprimée : « und in diesen Zeiten soll man alles thun um das seltenste Gut, Ruhe, sich und seinen Freünden beizubehalten » (Bonstettiana, Briefkorrespondenzen, t. VIII/ 1, p. 202). OeC02_2012_I-173AK2.indd 144 OeC02_2012_I-173AK2.indd 144 09.11.12 13: 34 09.11.12 13: 34 Une lettre retrouvée de Karl Viktor von Bonstetten 145 Uber Erziehung druken Sie ja ohne Nahmen, und wenn es Ihnen gleichgültig wäre, wünschte ich daß es einstweilen gar nicht erscheine. Nur Motto vernichtet 4 . Daß übrige überlaße ich Zutrauensvoll Ihnen, Wielands u[nd] des 5 Edlen Herders Händen. FB. Traduction : J’ai l’honneur de vous écrire au nom de Madame Brun pour vous prier, pour vous prier instamment, de traiter les exemplaires de son « Rigiberg » comme un manuscrit et de ne le mettre entre les mains de personne, sauf à en enlever la première page avec sa belle devise et l’annexe, particulièrement la prose. Une œuvre qu’on voit apparaître sur la grande scène du théâtre de ce monde est de par sa forme différente de ce que l’on aime dans le cabinet. C’est pourquoi Madame Brun vous prie vivement de porter attention à ce que ces exemplaires, surtout avec leur préface et leur postface, ne vous échappent pas des mains et de leur couper les ailes le plus tôt possible. J’ai une demande à vous adresser. Vous voulez faire paraître mon « Voyage à travers Seeland » dans le « Merkur » ; supprimez surtout mon hommage à Müller. Il comprend une expression sur le servage qui est vraie, mais trop vive. Je crains la perspective du grand théâtre du monde, et [sacrifier] la tranquillité, particulièrement au cœur de cette tempête, ne vaut pas les quelques feuilles de laurier que les dents de la critique daigneraient laisser. On dit que vous vous installerez peut-être ici auprès de nous. Müller, qui est digne d’estimer toute votre valeur, nous fait savoir combien le Danemark y gagnerait. Ce serait pour moi un grand plaisir de faire votre connaissance et de vous assurer personnellement de mon estime. Von Bonstetten Copenhague, le 14 janvier 1799. Imprimez « De l’Éducation » surtout sans nom d’auteur, et si le texte vous était indifférent, je préférerais pour l’heure qu’il ne fût pas même publié. Ne détruire que la devise. Je laisse le reste en toute confiance entre vos mains, celles de Wieland et de l’honoré Herder. FB. 4 Dans ce post-scriptum, Friederike Brun écrit « vernichtet » ; c’est à la limite une faute de grammaire ; on attendrait « vernichten ». Le post-scriptum est ajouté à la dernière minute. 5 Le ms porte « der », une inadvertance due à la hâte de F. Brun. OeC02_2012_I-173AK2.indd 145 OeC02_2012_I-173AK2.indd 145 09.11.12 13: 34 09.11.12 13: 34 146 Kurt Kloocke La lettre aborde quatre sujets, à savoir : la crainte d’attirer des mesures répressives du nouveau gouvernement suisse si le petit ouvrage de Friederike Brun était saisi par les nouvelles autorités ; la publication d’un texte de Bonstetten dans le périodique Der neue Teutsche Merkur, géré par Wieland et surtout par Böttiger, le projet d’une nomination de Böttiger comme éphore des lycées classiques de Copenhague, et finalement la publication d’un essai de Bonstetten sur l’éducation, également dans le Merkur. Il est difficile de comprendre cette lettre sans esquisser quelques faits historiques et sans rappeler certaines circonstances qui conditionnent la genèse de l’ouvrage de Friederike Brun qui est le sujet le plus important de cette lettre. Les faits historiques concernent la disparition de l’ancienne Union helvétique en 1798, résultat de la campagne dure et cruelle des troupes françaises sous le commandement des généraux Brune et Schauenburg qui avancent en mars 1798 vers Berne, prennent cette ville, ce qui permet, après avoir étouffé dans le sang, toute résistance, d’établir la république une et indivisible de la Suisse. Elle concerne la transformation de la Confédération suisse en une République helvétique, selon le projet proposé par Frédéric-César de la Harpe, précepteur du futur tsar Alexandre et de son frère cadet entre 1784 et 1794, et Peter Ochs, homme politique bâlois qui a rédigé en 1797 sur l’invitation du Directoire, la Constitution de la République helvétique à venir. Celle-ci était conçue selon le modèle français comme un état centralisé avec, comme unités administratives, les anciens cantons. Peter Ochs, esprit libéral et adepte des Lumières, et la Harpe, républicain radical, étaient considérés par beaucoup de citoyens suisses comme ceux qui ont livré les cantons helvétiques à la domination étrangère, surtout après avoir fait appel à des pouvoirs dictatoriaux dès que les nouvelles structures politiques de la République helvétique avaient été mises en place. Les changements provoquent une résistance tenace et héroïque. L’acte de médiation promulgué en 1803, bien que rétablissant les anciennes structures cantonales de la Confédération et procédant ainsi à une restauration politique non avouée, faisait de la Suisse un état satellite de la France. Les contributions matérielles qu’on lui impose sont considérables. La soumission des cantons de la Confédération helvétique en 1798 par les troupes françaises est un des événements révoltants des guerres révolutionnaires accepté sans protestations par les puissances européennes de l’époque. Rares sont les écrits qui le condamnent ouvertement. Le livre de Friederike Brun aurait pu jouer ce rôle. Il a été écrit après la dernière révolte, la plus héroïque de toutes, celle de Nidwalden, début septembre 1798, et réprimée par Schauenburg. L’ouvrage n’a pas eu de lecteurs en 1799, pour des raisons dont il sera question par la suite. Disons d’abord de quoi il s’agit. OeC02_2012_I-173AK2.indd 146 OeC02_2012_I-173AK2.indd 146 09.11.12 13: 34 09.11.12 13: 34 Une lettre retrouvée de Karl Viktor von Bonstetten 147 Der Rigiberg est le texte de Friederike Brun qui répond à cette situation 6 . Il est à la fois une idylle et une élégie, composé selon des principes poétiques nouveaux pour présenter l’image d’un beau souvenir et aboutir à une plainte douloureuse. Le beau souvenir, c’est la description idyllique d’un séjour quelque peu prolongé en septembre 1795, pendant son voyage en Suisse, dans la région du Rigi, pour Friederike Brun une espèce de révélation. Elle se sert pour cette description de son journal de voyage pour développer un tableau où les choses très concrètes, p. ex. des observations sur l’économie et la vie rurale de tous les jours, l’évocation très fine des rencontres avec quelques habitants de cette région et les tableaux du paysage grandiose ainsi que les effets de l’élévation de l’âme se rencontrent 7 . Ce texte devient une plainte sur la fin tragique des libertés suisses qui ont péri dans la résistance contre les forces supérieures de l’occupant, une plainte aussi sur le sort du pays opprimé : « Hélas, tu es restée muette, Helvétie ! Comme une victime souffrante, tu t’es effondrée sur les ruines fumantes de la liberté européenne ! Que tu t’es effondrée abandonnée et sans secours, toi, enfant chéri des nations, est le témoignage le plus criant de la honte générale [ ] 8 ». Friederike Brun n’hésite donc pas à composer un texte hautement pathétique précédant la description qui évoque d’une manière voluptueusement détaillée le séjour plein des plus beaux souvenirs ; elle n’hésite pas non plus, pour accuser la brutalité des conquérants, à clore son texte par trois poésies, deux de sa propre inspiration, la dernière empruntée à Johann Gaudenz von Salis-Seewis, publiée en 1794, chants lugubres qui fêtent les sacrifices des héros patriotiques 9 . Un des choix les plus significatifs de cette composition de collage est la devise tirée de la lettre du 31 mars 1798 de Johannes von 6 Friedericke Brun, geb. Münter, Der Rigiberg. Copenhague, 1799, 96 pages. Impression privée. C’est cette édition que nous avons utilisée pour notre analyse. Les Bonstettiana, Briefkorrespondenzen, t. VIII/ 1 reproduisent partiellement le texte revu de 1800. Voir ci-dessous, la note suivante et p. 149, note 15. 7 Friederike Brun exploite ses notes, mais ne les copie pas littéralement, elle les développe, parfois considérablement en s’arrêtant sur les effets quasiment métaphysiques du paysage, comparable à ceux qu’on peut découvrir dans les tableaux de Caspar David Friedrich, comme on peut se rendre compte en collationnant les extraits de ce journal (Bonstettiana, Briefkorrespondenzen, t. VII/ 1, p. 241) et la version imprimée (Der Rigiberg, pp. 40-42 de l’édition originale). 8 Ach, du verstummtest, Helvetia ! Wie ein duldendes Opfer, sankest du auf den dampfenden Trümmern der Europäischen Freyheit dahin ! Dass du hülflos sankest, du Lieblingskind der Nationen, war das lauteste Zeugnis der allgemeinen Schmach […]. Der Rigiberg, p. 4. 9 Rappellons que ce poète est un des amis de Friederike Brun et de Bonstetten. Il avait offert, en 1795 précisément, à Friederike Brun le livre de ses poésies sorti peu de temps avant le voyage. Elle le lit pendant son séjour au Rigi (Bonstettiana, Briefkorrespondenzen, t. VII/ 1, pp. 234-235 et p. 241). OeC02_2012_I-173AK2.indd 147 OeC02_2012_I-173AK2.indd 147 09.11.12 13: 34 09.11.12 13: 34 148 Kurt Kloocke Müller à Friederike Brun 10 , placée comme une accusation amère en tête du petit livre, à laquelle répond, à la fin de l’ouvrage, une série de citations choisies dans la même lettre, dans celles du 16 mai 1798 à la même, des 12 juin et 26 août 1798 à Bonstetten 11 . Ce sont les morceaux liminaires, poésies aussi bien que les citations de la correspondance, qui font de ce petit ouvrage de Friederike Brun un manifeste politique, dénonçant les conquêtes révolutionnaires et les campagnes cruelles des troupes françaises. Le projet d’écriture, approuvé dans un premier temps par Bonstetten et Karl Graf Ludolf, ambassadeur autrichien au Danemark, n’a pu trouver un éditeur commercial, de sorte que Friederike Brun a fait tirer à ses frais 1000 exemplaires par l’éditeur Brummel de Copenhague. Mais peu de jours seulement après le tirage du volume, les craintes se sont manifestées. Bonstetten trouvait le pamphlet trop hardi, le frère de Friederike Brun, Friedrich Münter, a fait remarquer qu’on pouvait reconnaître l’auteur des lettres ou, pire encore, qu’on courait le risque de voir attribuer les extraits de la correspondance à Bonstetten lui-même, ce qui impliquait une menace pour l’épouse et le fils de celui-ci restés en Suisse 12 . Ce qui avait commencé comme une résistance semi-publique finit dans la timidité. Friederike Brun a distribué environ 45 exemplaires à des amis, dont Böttiger, et Bonstetten implore ceux qui avaient reçu un de ces exemplaires, de ne pas les laisser circuler, d’enlever la feuille avec la devise et les morceaux choisis des correspondances à la fin de l’ouvrage, de couper « les ailes du livre » pour ne pas exposer à des persécutions ni Johannes von Müller, ni d’autres personnes. Friederike Brun est un peu plus hardie en disant qu’il suffit de supprimer la devise. Ces consignes n’ont pas été respectées par tous les correspondants. L’exemplaire que nous avons consulté contient toutes les pages 13 . 10 Voir Bonstettiana, Briefkorrespondenzen, t. VII/ 2, p. 1087. 11 Voir Bonstettiana, Briefkorrespondenzen, t. VIII/ 1, pp. 23-25, 38-41 et 95-98. 12 Rappellons que la Loi des otages n’a été adoptée qu’en juillet 1799 par le Conseil des Cinq-Cents et les Anciens. Les soupçons de Friedrich Münter ne sont donc pas fondés sur cette loi. 13 Nous avons consulté l’exemplaire de la Landesbibliothek Dessau, (la cote : 8588 HB), qui porte encore le tampon d’autrefois : « Bibliotheca Duc. Anhalt., Dessau », soit de la bibliothèque du duc Leopold III Friedrich Franz (1740-1817), mécène et administrateur habile de son duché. Le livre n’est pas relié. On a conservé l’ancienne reliure provisoire de papier, de sorte que l’ouvrage garde son aspect de « manuscrit ». Qui a possédé ce livre ? On pense évidemment à l’épouse du duc, Henriette Wilhelmine Luise von Brandenburg-Schwedt, une connaissance, sinon une amie de Friederike Brun depuis le mois de mai 1795, où elle a fait la connaissance de la duchesse à Wörlitz. Elle l’a revue, pendant son voyage en Suisse, à Lugano, où Matthisson, la duchesse, Friederike Brun et Bonstetten se sont retrouvés le 17 septembre 1795. Le journal de voyage de la duchesse dont on trouve des extraits dans les Bonstettiana, Briefkorrespondenzen, (t. VII/ 1, voir OeC02_2012_I-173AK2.indd 148 OeC02_2012_I-173AK2.indd 148 09.11.12 13: 34 09.11.12 13: 34 Une lettre retrouvée de Karl Viktor von Bonstetten 149 Nous savons que le petit ouvrage a circulé 14 , Friederike Brun a eu des échos, sans doute, ce qui l’a encouragée à intégrer en 1800 une version revue et augmentée dans le Journal de son voyage en Suisse 15 . Le premier des deux écrits de Bonstetten dont il est question par la suite est le texte intitulé « Bemerkungen auf einer Reise durch einen Theil von Seeland und auf der Küste von Schonen », qui porte au-dessous du titre l’hommage « An Johannes Müller ». Bonstetten désire supprimer le texte de la Zueignung à son ami à cause d’une observation sur la servitude qui s’est conservée, selon Bonstetten, dans le nord de l’Europe et dont il parle comme d’une ancienne plaie jamais guérie. Pourquoi les craintes de Bonstetten ? Seraient-ce encore les constellations politiques inquiétantes du moment ? C’est possible. En tout cas, Böttiger n’a pas pu suivre ce conseil, la lettre de Bonstetten étant partie trop tard. Il a publié dans trois cahiers de l’année 1799 du périodique Der neue Teutsche Merkur environ la moitié de l’étude qui sortira fin 1799 dans le premier tome des Neue Schriften 16 . Le texte du Merkur est bien complet des passages que Bonstetten demande à supprimer dans la prépublication. Le dernier texte enfin, un écrit sur l’éducation, désigne sans aucun doute un autre essai de Bonstetten sur les pays scandinaves, « Über Volkserziehung, bei Anlaß eines Besuches in den Kopenhagener Schulmeisterseminaren ». Böttiger publie dans le numéro du mois de février de Der neue Teutsche Merkur sans le nom de l’auteur, comme le désire Bonstetten, les deux premiers chapitres de cette étude qui deviennent deux lettres autonomes. Une troisième lettre, bien qu’annoncée, n’a pas paru 17 . Le morceau le plus curieux de cette lettre pleine de craintes et de méfiance se trouve à la fin, lorsque Bonstetten aborde les projets de Böttiger de solliciter un poste bien rémunéré comme éphore des lycées de Copenhague et directeur de l’école pour la formation des futurs professeurs. Le projet a été aussi les illustrations pp. 205 et 211), se recoupe avec les notes de Friederike Brun. L’idée d’attribuer l’exemplaire en question à la bibliothèque privée de la duchesse est séduisante, mais est une hypothèse sans preuves matérielles. Signalons encore qu’il reste à la fin de ce livre le petit fragment d’une feuille manuscrite déchirée, rédigée en allemand, qui pourrait peut-être nous trahir le nom du possesseur si l’on pouvait identifier l’écriture. 14 Voir la lettre du 6 février 1799 de Johannes von Müller à Bonstetten (Bonstettiana, Briefkorrespondenzen, t. VIII/ 1, p. 217). Il y dit aussi qu’il a signé dans l’exemplaire reçu toutes les citations. 15 Tagebuch einer Reise durch die östliche, südliche und italienische Schweiz. Copenhague : Brummer, 1800. 16 Voir Bonstettiana, Neue Schriften, pp. 15-63. 17 Le texte intégral de ce petit ouvrage sera publié dans le t. I des Neue Schriften. Voir Bonstettiana, Neue Schriften, pp. 64-98. OeC02_2012_I-173AK2.indd 149 OeC02_2012_I-173AK2.indd 149 09.11.12 13: 34 09.11.12 13: 34 150 Kurt Kloocke lancé, semble-t-il, en octobre 1798 par Ernst Platner, professeur de philosophie à l’Université de Leipzig. Les négociations avec les autorités danoises étaient compliquées et sinueuses, et se poursuivent jusqu’au mois de février 1799, sans aboutir. L’opinion de Johannes von Müller avait du poids auprès des amis danois, et Bonstetten, qui utilise d’ailleurs, en parlant des mérites de Böttiger, une tournure appartenant au jargon des personnes chargées à se prononcer sur la nomination d’un candidat, y a sans doute aussi joué son rôle. Böttiger a finalement renoncé à poursuivre ce projet, préférant de rester à Weimar dans l’entourage intellectuel de cette résidence 18 . Ce que nous venons d’évoquer dans la présentation de cette lettre isolée permet de se rendre compte une fois de plus de la puissance critique de ce qu’on appelle un « réseau épistolaire ». Ce sont les échos multiples qu’on perçoit dans une série de documents, lettres, journaux intimes, écrits littéraires, pamphlets, brochures, qui permettent de saisir la signification complexe d’un témoignage en apparence modeste, à la limite négligeable. C’est le cas de cette lettre de Bonstetten, peu importante en tant que document isolé. Elle prend un intérêt non négligeable pourtant dès qu’on la replace dans le contexte historique, la soumission de la Suisse par la France et le projet d’écriture de Friederike Brun provoqué par les événements politiques et qui s’articule dans un genre littéraire nouveau, la méditation mélancolique consacrée à la destruction de ce qui est moralement beau. Les projets d’écriture de Bonstetten lui-même sont peut-être plus traditionnels. Ce qui nous apparaît dans cette lettre sont les soucis qui résultent de la publication imminente de ces textes. Nous enregistrons ainsi, avec l’analyse de la poétique de l’ouvrage de Friederike Brun et son ancrage dans les convulsions de l’époque, avec les stratégies de publication poursuivies par Bonstetten, les communications fugitives des personnes qui y prennent part. Elles appartiennent à la vie journalière des écrivains et intellectuels de l’époque, messages éphémères comme le sont aujourd’hui les entretiens téléphoniques ou les échanges par courriel qui, pourtant, ont une grande importance pour l’organisation de la vie pratique. La petite lettre de Bonstetten est un des exemples. Replacée dans le contexte, elle devient un témoignage intéressant de l’époque. 18 On consultera sur cette affaire l’ouvrage de Julia A. Schmidt-Funke, Karl August Böttiger (1760-1835). Weltmann und Gelehrter, Heidelberg, Winter : 2006, p. 30. L’étude de Otto Franke, « Karl August Böttiger, seine Anstellung als Gymnasialdirektor in Weimar und seine Berufungen », Euphorion, t. III, 1897, pp. 53-64 et 408-421 est plus détaillée et publie aussi des pièces d’archives. OeC02_2012_I-173AK2.indd 150 OeC02_2012_I-173AK2.indd 150 09.11.12 13: 34 09.11.12 13: 34