Oeuvres et Critiques
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Narr Verlag Tübingen
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2013
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Anonymat et interrogations sur le genre: le cas de Marie Huber
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2013
Yves Krumenacker
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Œuvres & Critiques, XXXVIII, 1 (2013) Anonymat et interrogations sur le genre : le cas de Marie Huber Yves Krumenacker Université Jean Moulin Lyon 3 UMR 5190 LARHRA En 1738 est publié un ouvrage anonyme, les Lettres sur la religion essentielle à l’homme, distinguée de ce qui n’en est que l’accessoire, à Amsterdam, officiellement chez Wetstein & Smith, peut-être en réalité publiées par Barrillot et Fils, à Genève 1 . L’auteur, Marie Huber, avait déjà publié, toujours anonymement, deux ouvrages en 1731 : Le Monde fou préferé au monde sage, en vingt-quatre promenades de trois amis, Criton, Philon, Eraste. Criton Philosophe. Philon Avocat. Eraste Negociant, et les Sentimens differens de quelques théologiens sur l’état des âmes séparées des corps, réédités en 1733 en raison de leur grand succès, au dire de l’éditeur, sous le titre : Le Sisteme des anciens et des modernes, concilié par l’exposition des sentimens differens de quelques théologiens sur l’état des âmes séparées des corps en quatorze lettres. Nouvelle édition, augmentée par des notes & quelques pièces nouvelles, tous avec la fausse adresse d’Amsterdam, Wetstein & Smith. Si quelques critiques se sont interrogés sur l’auteur de ces livres, le fait qu’il puisse être une femme ne les a pas effleurés. Il faudra attendre 1740 et d’autres livres pour que la question d’un possible auteur féminin soit posée, provoquant des débats sur la possibilité pour une femme d’intervenir en théologie. C’est de ces interrogations que nous allons partir pour, dans un deuxième temps, poser le problème de l’anonymat pour un auteur féminin d’ouvrage religieux et voir, en dernier lieu, comment on peut jouer de cette dissimulation. À la recherche de l’auteur Les Lettres sur la religion essentielle sont l’œuvre de Marie Huber (1695-1753), une fille de riches négociants genevois installés à Lyon depuis 1711 2 . Mais 1 Maria-Cristina Pitassi, « Marie Huber genevoise et théologienne malgré elle », Bulletin de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Genève, 25 (1995), pp. 90-92. 2 Victor Courdaveaux, Une aïeule du protestantisme libéral. M lle Marie Huber. Saint-Denis : imprimerie Ch. Lambert, 1884 ; Gustave A. Metzger, Marie Huber (1695-1753). Sa vie, ses œuvres, sa théologie. Genève : Rivera et Dubois, 1887 ; OeC01_2013_I-160End.indd 49 10.12.13 16: 17 50 Yves Krumenacker cette identité n’a été découverte que progressivement, comme nous allons le voir. Une indication est fournie par la publication en 1736 de la traduction allemande du Monde fou 3 . Le traducteur indique qu’il s’agit d’une « personne non mariée de sexe féminin », dont l’extrême modestie ne permet pas qu’on donne davantage de renseignements sur elle. Mais peu de lecteurs français ou genevois ont dû connaître cet avant-propos. Pourtant, des bruits circulent concernant l’identité de l’auteur. Il faut dire que la famille Huber est honorablement connue à Lyon. Le père de Marie, Jean-Jacques, puis ses frères, font partie des négociants-banquiers les plus riches de la ville. Ils sont apparentés aux plus grandes familles, dont les Necker. C’est aussi une des grandes familles genevoises, bien implantée dans les Conseils de la ville, liée aux Fatio, aux Turrettini, aux Calandrini, etc. ; le grand-père, Benedict Calandrini, a été un des principaux pasteurs de la ville et gardien de l’orthodoxie calviniste. Il est difficile, dans ces conditions, de conserver totalement l’anonymat. C’est ainsi que dans le Journal Helvétique de janvier 1740, une « dame » fait des « réflexions […] sur le livre qui a pour titre, lettres sur la Religion essentielle à l’Homme » 4 . Elle constate que le livre « commence à faire du bruit » et qu’on dit que des dames y ont travaillé : « Ainsi, il pourroit être que M elles H** fussent en éfet les Auteurs de ce livre, dont on dit beaucoup de bien & beaucoup de mal ». C’est la première fois, en dehors de l’avant-propos du Monde fou en allemand, qu’est envisagée l’hypothèse d’un auteur féminin, ou plutôt de plusieurs auteurs, puisque ce sont les sœurs Huber qui sont ainsi désignées. La rumeur atteint les rédacteurs jésuites, bien informés, du Journal de Trévoux : les Lettres sur la religion essentielle seraient l’œuvre d’une dame Henri Perrochon, « Marie Huber la Lyonnaise », Études des lettres, III, 4 (1960), pp. 196-208 ; Maria-Cristina Pitassi, « Marie Huber genevoise et théologienne malgré elle », Bulletin de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Genève, 25 (1995), pp. 83-96 ; Id., « Être femme et théologienne au XVIII e siècle. Le cas de Marie Huber », dans De l’Humanisme aux Lumières, Bayle et le protestantisme, Mélanges en l’honneur d’Élisabeth Labrousse, Michelle Magdelaine, Maria-Cristina Pitassi, Ruth Whelan et Antony McKenna (éds.), Paris - Oxford : Universitas - Voltaire Foundation, 1996, pp. 395-409 ; Yves Krumenacker, « Marie Huber, une théologienne entre piétisme et Lumières », dans Refuge et Désert. L’évolution théologique des huguenots de la Révocation à la Révolution française, actes du colloque de Montpellier, 18-20 janvier 2001, Hubert Bost et Claude Lauriol (éds.), Paris : H. Champion, 2003, pp. 99-115 ; Id., « L’évolution du concept de conscience chez Marie Huber », Dix-Huitième Siècle, 34 (2002), pp. 225-237. 3 Die Thörische Welt der weisen Fürgezogen, in vier und zwanzig Spazier-Gängen dreyer Freunde, Criton eines Philosophen, Philon eines Advocaten, und Erasten eines Kaufmanns, aus dem französischen übersetzt. Frankfurt am Mayn : Andreäische Behandlung, 1736, 535 pp. 4 Journal Helvétique, janvier 1740, pp. 29-43. OeC01_2013_I-160End.indd 50 10.12.13 16: 17 Anonymat et interrogations sur le genre 51 protestante. S’ils concèdent que le livre a bien pu être écrit par un protestant à cause de la raison orgueilleuse qui s’y déploie, ils refusent l’attribution à une femme : Nous doutons que ce soit l’Ouvrage d’une femme. Dans l’obscurité même, chacun garde son caractère, & tout foible qu’est le sistême de Déisme qui regne ici, il faut une certaine force de courage & d’esprit, ou de hardiesse & de travail pour soutenir même à ses propres yeux, & vis-à-vis de soi, tout ce qui a l’air de sistême raisonné & étendu 5 . La capacité de bâtir et surtout de soutenir un système théologique ou philosophique serait donc incompatible avec le caractère féminin. Autrement dit, aux témoignages indirects que peuvent avoir les jésuites sur l’identité de l’auteur s’oppose une anthropologie qui empêche les femmes de participer à la construction du savoir, et c’est cette opinion qui leur apparaît décisive. Leur avis est relayé en Allemagne par le Nöthiger Beytrag zu den wöchentlich herauskommenden Neuen Zeitungen von Gelehrten Sachen de Leipzig, en 1741- 1742. En 1741, le théologien luthérien Reinbeck rapporte qu’on lui a assuré que M lle Huber est l’auteur du texte, mais que d’autres prétendent qu’il s’agit de Muralt ; lui-même ne tranche pas 6 . Muralt, écrivain suisse piétiste, a été, aux yeux de plusieurs critiques, l’auteur des ouvrages de Marie Huber, en raison de la proximité de ces livres avec les siens, et en premier lieu avec L’Instinct divin recommandé aux hommes (1727). Il a d’ailleurs été sans doute assez proche des milieux piétistes genevois et vaudois connus des Huber 7 . En 1740, la question de l’auteur est développée largement dans la lettre introductive que Pierre Galissard de Marignac donne à la Défense du Christianisme, ou Preservatif contre un ouvrage intitulé Lettres sur la Religion essentielle à l’homme du pasteur genevois François de Roches 8 . Celui-ci apprécie un livre bien écrit, au style clair, simple, aisé, élégant, fin, malgré, quelquefois, de la négligence, de l’affectation et du précieux. Il constate que l’auteur manie 5 Mémoires de Trévoux, février 1740, p. 213. 6 Martin Kessler, « Dieses Buch von einem protestantischen Frauenzimmer ». Eine unbekannte Quelle von Lessings Erziehung des Menschengeschlechts ? , Göttingen : Wallstein Verlag, 2009, pp. 32-33, 36. 7 Sur ce personnage voir, en dernier lieu : Maria-Cristina Pitassi, « Genève et le piétisme au tournant des XVII e et XVIII e siècles : le cas de Béat de Muralt », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, CLVIII, 3 (2012), pp. 543-562. 8 « Lettre de M r M***… », en introduction à : François de Roches, Défense du Christianisme, ou Preservatif contre un ouvrage intitulé Lettres sur la Religion essentielle à l’homme. Lausanne - Genève : M.-M. Bousquet & C ie , 1740. L’identification de l’auteur est fournie par Eugène Ritter, « Béat-Louis de Muralt. Lettres sur les Anglais et les Français (1725) », Zeitschrift für neufranzösische Sprache und Litteratur, III (1882), p. 187. OeC01_2013_I-160End.indd 51 10.12.13 16: 17 52 Yves Krumenacker avec dextérité les matières les plus abstraites, rend neufs les sujets les plus rebattus et offre par endroits d’excellentes idées nouvelles. Mais il note une discordance entre le style léger et la matière traitée, sérieuse, qui fait que les lecteurs sont séduits par la forme sans guère voir le fond. De cette analyse il tire deux conclusions contradictoires. La première est que l’auteur pourrait être une femme : L’Auteur, dit-on, manque de méthode, il écrit avec légèreté & avec agrément ; son tour aisé & naturel cadre assez bien avec la manière de penser d’une Femme d’esprit ; Ce sexe nous a fourni d’illustres Auteurs : Tout cela fait conjecturer qu’une Dame pourroit bien avoir fait cet Ouvrage. Cependant, ajoute-t-il, il existe aussi des hommes peu méthodiques, comme La Fontaine et Fontenelle, ce qui fait que cette conclusion n’est pas assurée. Inversement, il note qu’une femme creuse rarement autant de tels sujets, ce qui laisse au contraire penser que l’auteur est un homme ; mais un homme du monde, ou un solitaire pensif, peut-être un homme qui s’est retiré du monde par humeur ou par dégoût. Cette analyse est particulièrement intéressante. Elle confirme que, pour les critiques masculins de 1740, une femme est incapable d’approfondir des sujets sérieux. Il ne s’agit pas de préjugé clérical : les rédacteurs du Journal de Trévoux sont des jésuites, mais Galissard de Marignac est un protestant, descendant d’une famille bourgeoise cévenole prétendant à la noblesse, réfugiée à Genève à la Révocation. C’est bien plutôt un a priori intellectuel et scientifique masculin : aux femmes l’agrément d’un style léger et enjoué, même si quelques hommes peuvent aussi en user, aux hommes la réflexion sérieuse et approfondie. En 1745, le théologien de Leipzig Christoph Wolle, dans ses Betrachtungen über die in der Augspurgischen Confession enthaltene Sittenlehre Jesu Christi : von den innerlichen verderbnissen der menschlichen seele explique qu’on lui a assuré que M lle Huber est l’auteur du livre mais qu’il a de bonnes raisons (qu’il ne donne pas ! ) de ne pas le croire. Il préfère l’attribuer à un homme, piétiste (« Schwärmer ») devenu déiste, peut-être Muralt 9 . Marie Huber meurt en 1753. L’année suivante, le genre de l’auteur - et presque l’anonymat - est enfin officiellement levé avec la parution du Recueil de diverses pieces servant de supplément aux lettres sur la religion essentielle à l’homme &c. 10 , dans un « Avertissement de l’éditeur » en tête de la seconde partie, qui explique que c’est un ouvrage de M lle H., décédée le 13 juin 1753 à cinquante-huit ans, dont on ne donne pas de détails sur la vie, car elle a voulu conserver l’incognito. Mais « toute sa conduite, & particulièrement 9 Kessler, op. cit., p. 35. 10 Berlin : Étienne de Bourdeaux, 1754. OeC01_2013_I-160End.indd 52 10.12.13 16: 17 Anonymat et interrogations sur le genre 53 celle dont ses proches & ses Amis ont été témoins pendant sa dernière & longue maladie, leur a encore mieux exprimé que ses Ouvrages mêmes, la force des Vérités qui y sont contenües, aussi bien que les excellentes dispositions de son Ame ». La force des préjugés reste cependant prépondérante. Pour beaucoup, il n’est pas possible qu’un ouvrage aussi profond que les Lettres sur la religion essentielle - même s’ils lui reconnaissent bien des défauts - soit l’œuvre d’une femme. Comme il est néanmoins difficile désormais de le nier, on en fait un livre rédigé par plusieurs auteurs. Les tables de la Bibliothèque britannique, en 1747, attribuent le livre à Muralt et à « M le Hubert », mais sans certitude 11 . Le même jugement est produit en 1766 par le pasteur genevois Jacob Vernet qui fait de « M lle Huber, fille fort spirituelle » l’auteur de la Religion essentielle mais l’associe à Muralt pour la rédaction du Système des Anciens et des Modernes 12 . Voltaire, l’année suivante, est moins précis ; mais son admiration pour les Lettres sur la religion essentielle et pour Marie Huber, dont il fait grand cas, parlant d’une « femme de beaucoup d’esprit », ne l’empêche pas de l’associer à un « grand métaphysicien » pour composer le « livre profond » mais « écrit en géomètre », plein de « lemmes » et de « théorèmes », qu’est la Religion essentielle 13 . Cette collaboration entre un philosophe et une femme d’esprit a l’avantage d’expliquer à la fois le style léger et agréable, féminin, du livre, et sa profondeur, caractéristique masculine. Anonymat et genre Il serait tentant d’associer l’anonymat des œuvres de Marie Huber à sa condition de femme. Ce serait cependant aller un peu vite. En effet l’anonymat, à cette époque, ne relève pas aussi nettement qu’on pourrait le penser d’une stratégie de dissimulation. La « fonction-auteur » n’émerge vraiment qu’au XVIII e siècle, et l’on trouve encore de nombreuses œuvres anonymes 11 Bibliothèque britannique, t. 25, p. 195. Sur ce périodique, voir le Dictionnaire des journaux 1600-1789, Jean Sgard (dir.). Paris : Universitas, 1991 (en ligne : http : / / c18.net/ dp/ dp.php ? no=149, consulté le 15 janvier 2013). 12 Jacob Vernet, Lettres critiques d’un voyageur anglois sur l’article « Genève » du Dictionnaire encyclopédique et sur la Lettre de M r D’Alembert à M r Rousseau touchant les spectacles. Copenhague [Genève] : À l’enseigne de la vérité, 1766 (3 e éd.), vol. 1, p. 224. 13 François Marie Arouet, dit Voltaire, Lettres à Son Altesse Monseigneur le prince de ***. Sur Rabelais, et sur d’autres auteurs accusés d’avoir mal parlé de la religion chrétienne, François Bessire (éd.), dans Œuvres complètes. Oxford : Voltaire Foundation, 2008 [1767], vol. 63B, pp. 452-454 (p. 452, lettre VII) ; la qualification de « livre très profond » se trouve dans une note, datée de 1772, au texte de l’Épître à Horace, Nicholas Cronk (éd.), dans idem, 2006, vol. 74B, p. 288. OeC01_2013_I-160End.indd 53 10.12.13 16: 17 54 Yves Krumenacker simplement parce que l’usage n’oblige pas à mentionner l’auteur. De plus, c’est souvent davantage un sujet qu’un auteur qui intéresse et l’opinion est répandue que les idées appartiennent à tous, qu’une personne ne peut en être propriétaire 14 . D’autre part, les idées exprimées sont particulièrement hétérodoxes. Dans les Lettres sur la religion essentielle, Marie Huber refuse la prédestination, l’idée traditionnelle de justice divine, l’infaillibilité de l’Écriture, les miracles, la divinité de Jésus au sens où l’entendent les Églises, l’éternité des peines de l’enfer… tout cela en prétendant défendre la religion chrétienne contre le déisme ! Certains cercles piétistes, quelques esprits éclairés l’ont certes suivie dans cette voie, mais la plupart des critiques sont négatives. L’Église romaine comme les pasteurs des diverses Églises protestantes ont rejeté ces idées. L’anonymat est donc de mise pour des œuvres en butte à la censure religieuse - le Sisteme des anciens et des modernes a d’ailleurs été mis à l’Index en 1739 et les Lettres sur la religion essentielle en 1740. Or Marie Huber appartient à une famille respectable de grands négociants-banquiers. Il est nécessaire de préserver sa réputation - même si, en 1754, c’est sa propre famille qui lève le voile sur son identité. Bien des raisons qui n’ont rien à voir avec le genre peuvent donc expliquer cet anonymat. Il faut pourtant se demander si le fait que Marie Huber ait été une femme n’est pas un motif supplémentaire, et peut-être le principal. Revenons pour cela à la construction sexuée des savoirs avancée par les critiques évoqués plus haut. La femme, quand elle a de l’instruction, peut être habile dans l’écriture. Elle jouit d’un ton léger, d’une certaine élégance, d’un style naturel surtout, car la femme est toujours près de la nature, alors que la culture est plutôt du domaine masculin - ce qui explique que seuls les hommes peuvent approfondir un sujet. Cette opposition entre natures féminine et masculine repose sur une opinion médicale : les fibres du cerveau sont d’une texture plus délicate chez les femmes que chez les hommes 15 . Il est donc évident que la théologie, comme la philosophie d’ailleurs, leur sont interdites. Quand elles en font, c’est forcément de la mauvaise théologie. Johann August Ernesti, professeur à l’université de Leipzig, s’en prend ainsi à ceux qui pensent pouvoir déterminer ce qui convient à Dieu : Quand je vois de chetives Créatures décider hardiment, ce que l’Etre supreme doit faire ou doit omettre de ce monde ; je crois voir quelques Femmelettes du commun, qui s’aviseroient de vouloir regler les démarches 14 Sur ce sujet, voir les développements de Roger Chartier, L’ordre des livres. Lecteurs, auteurs, bibliothèques en Europe entre XIV e et XVIII e siècles. Aix-en-Provence : Alinéa, 1992, pp. 35-67. 15 Linda Timmermans, L’accès des femmes à la culture sous l’Ancien Régime. Paris : H. Champion, 2005, p. 170. OeC01_2013_I-160End.indd 54 10.12.13 16: 17 Anonymat et interrogations sur le genre 55 d’un grand Prince, & de décider dans leurs petits cerveaux, de tout ce qu’il convient à sa justice, à son équité, & à sa prudence de faire 16 . Autrement dit, une femme théologienne, c’est le monde à l’envers. Cette incapacité supposée peut tenir lieu d’argument. En 1760, Georges-Louis Liomin réfute à son tour les Sentimens differens de quelques théologiens. Il précise : Ce qui augmente la confusion, c’est qu’il s’est trouvé à la fin que leurs auteurs n’étoient que deux filles, originaires de Genève, disciples de Mr. De Muralt de Colombier, qui se sont retirées à Lyon. Ceux qui ont combatu ces babillardes, avoient trop d’érudition & de solidité pour desabuser leurs partisans […] 17 . Les adversaires de l’ouvrage auraient plutôt dû montrer ce qui caractérise ces lettres jugées superficielles sur le fond comme sur la forme : le ridicule et la frivolité… qualités supposées bien féminines. À la fin du siècle, dans la même veine, Philippe Dutoit-Mambrini associe la féminité à la confusion des idées : C’est en brouillant, confondant ces deux points de vue, & faute de vouloir connoître cette distinction, qu’une femmelette dont l’orgueil s’est avisé de bâtir un systême tout hérétique, a fondé sa prétendue Religion essentielle à l’homme 18 . Peu auparavant, l’historien de Genève Jean Senebier avait exprimé une opinion beaucoup plus positive sur ces idées, mais au prix d’une négation de la féminité de leur auteur : […] ce qu’il y a de plus surprenant, c’est que, comme en lisant ses écrits, on ne sauroit la prendre pour une femme ; de même, ceux qui ont vécu avec elle disent qu’en l’écoutant on ne l’auroit jamais prise pour un Auteur 19 . 16 Cité dans Jean-Jacques Breitinger, Examen des Lettres sur la religion essentielle, dans lequel on discute les principes qu’il faut employer, pour déterminer l’essence de la religion. Zurich : Conrad Orell, 1741, pp. 156-163. 17 Georges-Louis Liomin, Préservatif contre les opinions erronées, qui se répandent au sujet de la durée des peines de la vie à venir. Heidelberg : [s.éd.], 1760, p. 14. 18 Keleph Ben Nathan [Jean-Philippe Dutoit-Mambrini], La philosophie divine, appliquée aux lumières naturelle, magique, astrale, surnaturelle, céleste et divine ou aux immuables vérités que Dieu a révélées de lui-même et de ses œuvres, dans le triple miroir analogique de l’univers, de l’homme, et de la révélation écrite. Lausanne : [s.éd.], 1793, vol. 1, p. 258. 19 Jean Senebier, Histoire littéraire de Genève. Genève : Barde, Mauget et C ie , 1786, vol. 3, p. 84. OeC01_2013_I-160End.indd 55 10.12.13 16: 17 56 Yves Krumenacker Ce n’est pas que les femmes ne doivent pas être instruites. Les clercs, catholiques comme protestants veulent qu’elles aient une éducation suffisante pour bien connaître leur religion, pour qu’elles ne tombent pas dans la superstition et puissent assurer l’instruction des filles et des jeunes enfants ; elles ont en effet en ce domaine un rôle fondamental qui leur est reconnu par les Églises 20 . Mais elles ne doivent pas être savantes, car elles risqueraient de dogmatiser et de donner dans les opinions nouvelles. Rousseau - qui a pourtant lu et apprécié les Lettres sur la religion essentielle 21 ! - prévient : « Ne faîtes point de vos filles des théologiennes et des raisonneuses ; ne leur apprenez des choses du ciel que ce qui sert à la sagesse humaine » 22 . Ce préjugé ressort dans la comédie du jésuite Guillaume-Hyacinthe Bougeant, La femme docteur ou la Théologie tombée en quenouille (1730), qui connaît un grand succès (25 éditions et des traductions en quelques années) au moment où Marie Huber écrit ses œuvres. Dans le meilleur des cas, une femme instruite peut lire des livres compliqués, mais elle doit le faire avec attention, et en demandant leur avis aux hommes, et non bâtir elle-même un système religieux. C’est ainsi qu’une dame écrit au rédacteur du Nouveau Journal ou Recueil littéraire pour lui dire qu’elle a apprécié le début des Lettres sur la religion essentielle et qui demande ce qu’il faut penser du deuxième tome de l’ouvrage. Le rédacteur lui répond : Vous même, Madame, qui avés tant de pénétration & de lumières, je suis persuadé que pour bien comprendre ce Livre, vous serés obligée de le lire avec la même attention que vous avés donné [sic] aux Entretiens ingénieux sur la Pluralité des Mondes 23 . Ce préjugé permet d’asseoir une « domination masculine » 24 qui assigne certaines positions aux femmes, en vertu de dispositions « féminines » inculquées par la famille et l’ordre social. Le soin des autres et l’instruction des jeunes enfants en font partie et se retrouvent, dans le domaine religieux, dans la valorisation des activités caritatives et éducatives des dévotes catholiques comme des épouses de pasteurs ou de notables protestants. Marie Huber se conforme en apparence à ce modèle : à sa mort, l’abbé Pernetti rappelle qu’elle a, toute sa vie, pratiqué la modestie - une vertu éminem- 20 Jean Delumeau, La religion de ma mère. Le rôle des femmes dans la transmission de la foi. Paris : Cerf, 1992. 21 Pierre-Maurice Masson, La religion de Jean-Jacques Rousseau. Paris : Hachette, 1916, vol. 1 (La formation religieuse de Rousseau). 22 Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l’éducation, dans Œuvres complètes, Bernard Gagnebin, Marcel Raymond (éds.). Paris : Gallimard (« La Pléiade »), 1969 [1762], vol. 4, p. 729 (livre V). 23 Nouveau Journal ou Recueil littéraire. Genève, 1740, 2 e partie, pp. 7-42 (citation p. 42). 24 Pierre Bourdieu, La domination masculine. Paris : Seuil, 1998. OeC01_2013_I-160End.indd 56 10.12.13 16: 17 Anonymat et interrogations sur le genre 57 ment chrétienne, mais louée surtout chez les femmes -, qu’elle a vécu cachée, et qu’elle a constamment pratiqué les bonnes œuvres 25 ; quoi de plus normal pour une fille et sœur de négociants ? En revanche le pouvoir doit être exclusivement masculin. En régime chrétien, il passe par le contrôle de la liturgie, des sacrements et de la parole. Or on sait que l’Église catholique exclut les femmes de ces domaines. Chez les protestants, une contestation forte de ce modèle a bien eu lieu aux débuts de la Réforme mais, dès 1560, les synodes provinciaux et nationaux condamnent les femmes qui font des lectures ou des prières publiques ; une résurgence de cette parole féminine apparaît au début du XVIII e siècle, avec les « prophétesses » du Dauphiné puis des Cévennes, mais elle s’est heurtée à la réorganisation de l’Église du Désert par Antoine Court et à l’opprobre jeté par les réfugiés protestants sur ces phénomènes charismatiques 26 . On ignore totalement si Marie Huber a eu des relations avec ces « prophétesses » ; en revanche, on sait qu’elle a fréquenté des anciens camisards disant obéir aux révélations de l’Esprit 27 mais surtout, elle connaît les prophéties d’une French Prophetess, Élisabeth Charras 28 , elle est peut-être liée à une piétiste genevoise, Jeanne Bonnet 29 , donc à des milieux où les femmes revendiquent une autorité spirituelle. Marie Huber, bien que femme pratiquant la charité, se retrouve donc en porte-à-faux par rapport à la répartition genrée des rôles communément admise. Elle conteste ainsi implicitement la domination masculine, dont Bourdieu estime qu’elle repose sur la parenté et le mariage. Aussi n’est-il peut-être pas insignifiant de noter que Marie Huber, quoique fille aînée d’un grand négociant et dotée, d’après ses biographes d’une grande beauté, manifestement intelligente et spirituelle, ne s’est jamais mariée. Or bien des auteurs piétistes justifient le célibat pour celles et ceux qui ont atteint la perfection spirituelle 30 . Le piétisme qui marque les œuvres de Marie Huber, 25 [Jacques Pernetti], Recherches pour servir à l’histoire de Lyon, ou les Lyonnais dignes de mémoire. Lyon : frères Duplain, 1757, t. 2, pp. 359-360. 26 Mémoires pour servir à l’histoire et à la vie d’Antoine Court (de 1695 à 1729), Pauline Duley-Haour (éd.). Paris : Les Éditions de Paris, 1995. 27 Yves Krumenacker, Des protestants au siècle des Lumières. Le modèle lyonnais. Paris : H. Champion, 2002, p. 116. 28 Genève : BGE, Ms. Fr. 601, f° 213. Yves Krumenacker, « Les French Prophets, Français ou Anglais ? », dans Les Huguenots dans les Îles britanniques de la Renaissance aux Lumières, Anne Dunan-Page et Marie-Christine Munoz-Teulié (éds.). Paris : H. Champion, 2008, pp. 227-243. 29 Eugène Ritter, « Jeanne Bonnet, épisode de l’histoire du piétisme à Genève (1724-1726) », Étrennes chrétiennes, XIII (1886), pp. 114-147. 30 Voir par exemple Johann Caspar Fuesslin, Les voyes et les œuvres de Dieu dans l’âme. Où comment Dieu convainc, régénère, éclaire et sanctifie le pauvre pecheur, et finalement l’amène au salut… Yverdon : Jean-Jacques Genath, 1728 ; l’ouvrage, écrit en allemand, a été traduit par François Magny, un piétiste lié à Marie Huber. OeC01_2013_I-160End.indd 57 10.12.13 16: 17 58 Yves Krumenacker au moins les premières d’entre elles, est donc lourd d’une revendication féministe. Mais s’attaquer de front à la domination masculine est courir le risque de ne pas être reconnu. Comment, alors, faire entendre une parole féminine ? C’est là que la dissimulation que permet l’anonymat prend tout son sens. Faire entendre une parole féminine Marie Huber se conforme en apparence à ce qu’attend la société : dans sa dernière œuvre, la Réduction du Spectateur Anglois 31 , qui est une édition d’extraits commentés de la traduction du Spectateur Anglais de Steele et Addison, elle explique son dessein : Je veux que toute mère sensée puisse mettre cet Ouvrage entre les mains de sa fille au-dessus de l’âge de douze à treize ans, tant pour lui donner quelque idée du monde & des hommes, que pour lui inspirer des sentimens & des mœurs 32 . Elle ajoute plus loin qu’une bonne partie des discours serviront aux jeunes filles, pour lesquelles seront exposés les devoirs de la virginité, du lien conjugal et du veuvage, que c’est surtout ce qui les regarde par rapport aux hommes et à l’amour qui sera développé 33 . Un chapitre - repris de Steele et Addison - est consacré au « faible des femmes pour tout ce qui brille » (t. 1, ch. VIII). Plus loin, on présente l’idéal des jeunes filles comme étant le mérite, la vertu, la modestie, la discrétion ; on ajoute qu’il faudrait éduquer les amants pour qu’ils ne se laissent pas éblouir par les faux charmes, mais c’est simplement pour dire que les filles voudraient ainsi d’elles-mêmes se conformer à ce modèle 34 . Le reste des six tomes de l’ouvrage est parsemé de remarques de ce type. Bornons-nous à relever, pour finir, le chapitre dirigé « contre les femmes oiseuses & qui négligent les ouvrages convenables à leur Sexe » 35 qui leur donne pour principale occupation les travaux d’aiguille, ce qui reprend le texte de Steele et Addison, Marie Huber ajoutant en note que c’est cependant moins important que de s’occuper de sa famille et de ses affaires domestiques. On le voit, Marie Huber accepte totalement la vision traditionnelle de la femme de son époque, au moins de la femme bourgeoise qu’elle est. 31 Reduction du Spectateur Anglois, à ce qu’il renferme de meilleur, de plus utile & de plus agréable, avec nombre d’insertions dans le texte, des additions considérables & quantité de notes, par l’auteur des XIV Lettres. Amsterdam : Zacharie Chatelain & Fils, 1753. 32 Idem, t. 1, p. XVI. 33 Idem, t. 1, pp. 27-28. 34 Idem, pp. 146. 35 Idem, t. 6, pp. 91-97. OeC01_2013_I-160End.indd 58 10.12.13 16: 17 Anonymat et interrogations sur le genre 59 Serait-ce parce que l’âge venant, elle a renoncé aux audaces de sa jeunesse ? Sans doute pas : toute la deuxième partie du Recueil de diverses pieces servant de supplément aux lettres sur la religion essentielle à l’homme &c., posthume, est une longue défense des idées exprimées dans la Religion essentielle, écrite en 1752, donc peu avant sa mort. Il faut donc supposer un art de la dissimulation : Marie Huber défend, dans la Réduction du Spectateur Anglois comme dans sa vie de tous les jours, tous les codes qui définissent une femme à l’époque des Lumières où, malgré quelques contre-exemples éclatants, les femmes ne sont guère nombreuses à écrire sur des questions théologiques ou philosophiques et où leur influence spirituelle a même décru depuis le XVII e siècle 36 . Mais elle est en même temps persuadée des capacités intellectuelles des femmes, de l’obligation qu’elles ont de les exploiter et de la possibilité d’exercer ainsi une influence sur la société, ce qui signifie se jouer de la domination masculine. Toutes celles qui l’admirent ne dissimulent pas. La « dame » qui écrit au Journal Helvétique pour suggérer que les sœurs Huber pourraient être les auteurs de la Religion essentielle en profite pour défendre les capacités des femmes à écrire sur des sujets religieux : « notre sexe en est capable », et il l’a prouvé. Suit une critique nuancée de l’ouvrage, qui irait trop loin dans la simplification de la religion mais qui comporte de nombreux passages intéressants. Il mérite en tout cas une discussion approfondie ; qu’il soit écrit par une femme ou par un homme n’entre pas en compte. L’esprit humain n’a pas de sexe. En prenant ainsi au sérieux un livre dont elle suppose qu’il est l’œuvre de femmes, et en risquant un regard de critique, cette « dame » remet en question, consciemment, la répartition genrée des savoirs 37 . Mais cette réaction est assez isolée. « Écrire, lorsqu’on est une femme, semble supposer une précaution préalable : le respect d’une règle de jeu, variable certes dans ses modalités mais impérative pour le cadre essentiel. L’écriture féminine est une transgression du rôle « naturel » qui n’est pas de se dire mais de se taire, qui n’est pas de se montrer mais de se cacher. Les auteurs doivent donc mettre en avant les signes dénotant cette indispensable modestie. » Evelyne Berriot-Salvadore, qui fait cette remarque, ajoute : « Les artifices qui accompagnent la plupart des œuvres - anonymat, pseudonyme, préface -, établissent le déguisement ostentatoire comme un premier principe d’écriture » 38 , ce qui convient parfaitement à l’analyse des œuvres de Marie Huber : toutes anonymes, elles 36 Timmermans, op. cit., p. 811. 37 Journal Helvétique, janvier 1740, pp. 29-43. 38 Évelyne Berriot-Salvadore, « Les femmes et les pratiques de l’écriture de Christine de Pisan à Marie de Gournay », Réforme Humanisme Renaissance, n° 16 (1983), pp. 59-60. OeC01_2013_I-160End.indd 59 10.12.13 16: 17 60 Yves Krumenacker sont précédées de préfaces, d’épîtres aux lecteurs, de lettres de l’auteur aux éditeurs, d’avis de l’éditeur, d’une « lettre d’un ami de l’Auteur » (dans le Monde fou), des éléments qui ne sont pas indispensables aux œuvres, mais qui brouillent l’identité de l’auteur et qui donnent l’impression qu’elles sont le fruit d’un apologète masculin soucieux de lutter contre le déisme. C’est d’autant plus précieux que bien des indices auraient pu faire soupçonner une écriture féminine : un type d’écrit (des lettres, des « promenades »), au moins pour ses premiers livres, qui ressortent d’une littérature plus légère que les essais traditionnels ; un style plaisant, refusant tout jargon théologique et analyse exégétique ; une absence apparente de plan, une impression de passer d’un sujet à l’autre comme dans une conversation - même si les Lettres sur la religion essentielle ont un caractère didactique et systématique plus prononcé ; une apologétique qui fait d’abord appel à la conscience et aux sentiments. Ces caractères, bien entendu, se retrouvent aussi dans maints ouvrages dus à des hommes qui cherchent à emprunter le langage de leurs adversaires et chercher à plaire. Mais ils sont systématiques dans les écrits féminins et c’est ce qui a quelquefois permis de soupçonner que l’auteur de ces livres est une femme. Il est d’autant plus important de masquer son genre par toutes sortes d’artifices. Pour être entendue, Marie Huber doit dissimuler en faisant croire que ses textes ont été écrits par des hommes. Critiqués pour leur déisme supposé, ils n’en sont pas moins lus, alors qu’ils auraient sans doute été davantage déconsidérés si l’on avait su qu’ils étaient l’œuvre d’une femme. L’attribution à un homme lui a paradoxalement été plutôt utile, car cela lui a permis de maintenir son anonymat, pourtant apparemment facile à dévoiler, et donc de continuer à approfondir des questions audacieuses. Les liens, que l’on peut deviner, de Marie Huber avec les réseaux piétistes de Genève, du pays de Vaud et de Neuchâtel et, à travers eux, avec les piétistes radicaux allemands, les rapports qu’elle a pu entretenir avec les French Prophets et les non-conformistes anglais grâce à son grand-oncle, Nicolas Fatio de Duillier, ont facilité la diffusion et la réception de ses œuvres. De ce fait, elle a exercé une influence incontestable sur les membres de ces réseaux, et la publication de ses livres lui a permis d’avoir un cercle de lecteurs plus large qui a puisé, au moins en partie, dans ses idées : Rousseau, Voltaire, Lessing, Isabelle de Charrière, puis les universalistes américains, et bien d’autres. La diffusion d’une apologétique singulière, influencée par le piétisme, fondée sur l’évidence des sentiments, était à ce prix. Pour qu’une parole féminine soit influente, elle devait rester anonyme, sous peine d’être ipso facto discréditée. OeC01_2013_I-160End.indd 60 10.12.13 16: 17