Oeuvres et Critiques
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0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
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Le risus sardonicus de Jean Boucher
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Bruce Hayes
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Œuvres & Critiques, XXXVIII, 2 (2013) Le risus sardonicus de Jean Boucher Bruce Hayes University of Kansas Dans la propagande polémique des guerres de Religion, l’humour était souvent employé d’une manière purement destructrice sous différentes formes (invective, diatribe, épithètes, etc.), un genre d’humour que Freud qualifiait de « tendancieux », où le but est d’insulter et d’humilier son adversaire 1 . Dans cet article, je propose d’examiner sous cette optique deux pamphlets importants du Ligueur Jean Boucher, La Vie et faits notables de Henry de Valois (1589) et les Sermons de la simulée conversion et nullité de la prétendue absolution de Henri de Bourbon (1594) 2 . Je propose de montrer comment Boucher exploite les possibilités du comique pour provoquer l’animosité du peuple contre Henri III et ensuite Henri IV. L’approche dont je me servirai pour effectuer cette analyse est le concept de risus sardonicus d’Érasme qu’il présenta dans ses Adages 3 , un concept qui sera repris par le médecin Laurent Joubert dans son Traité du ris 4 . Joubert définit ce rire ainsi : « Tel Ris et manteur, simulé & traitre, plein d’amertume & mal-talant, ou (pour le moins) de feintise : …comme le Ris qu’on dit vulgairemant d’Hotelier [hostile] ». Il poursuit : « Le Ris Sardonien et dit aussi de quelques uns, pour un ris de folie, ou d’arrogance, ou d’injure, ou de moquerie » 5 . Je traiterai des exemples dans ces deux ouvrages où l’humour et la satire sont tellement dominés par l’invective et la haine que cette intentionnalité rava- 1 Sigmund Freud, Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient (traduit de l’allemand Der Witz und seine Beziehung zum Unbewussten (1905) par Denis Messier). Paris : Gallimard, 1992. 2 Toute référence à la Vie et faits notables renvoie à l’édition critique moderne de Keith Cameron. Paris : Champion, 2003. Les Sermons, prêchés à l’église Saint-Merri du 1 au 9 août 1593, furent publiés à Paris en mars 1594 chez G. Chaudiere. Toute référence aux Sermons renvoie à cette première édition. 3 Toute référence à cet adage renvoie à l’édition magistrale des œuvres complètes d’Érasme : Opera Omnia, t. II, p. 5, Felix Heinimann et Emanuel Kienzle, éd. Amsterdam : North-Holland Publishing, 1981. pp. 289-97. 4 Laurent Joubert, Traité du ris, contenant son essence, ses causes, et merveilheus effais. Paris : Nicolas Chesneau, 1579. 5 Ibid., p. 214. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 25 18.12.13 08: 12 26 Bruce Hayes geuse enlève au comique toute forme de rire sauf celle du rire sardonique, un rire imposteur qui cache à peine une animosité acharnée. Pour commencer, je voudrais examiner le concept de risus sardonicus tel qu’il se présente dans les Adages d’Érasme. Il est intéressant de constater qu’Érasme, avant de fournir une explication de l’expression (qu’il donne d’abord en grec), avoue qu’il existe une telle diversité d’explications qu’il craint que son exploration ne fasse naitre le rire chez ses lecteurs, un mot d’esprit de l’auteur qui n’évoque guère le rire. La première définition qu’il offre est celle d’un rire faux (ficto), amer (amarulento) et fou (insano). Il explique ensuite que l’étymologie de l’expression vient de l’île de Sardaigne où, selon les légendes, des colons carthaginois sacrifiaient tous les hommes qui dépassaient l’âge de soixante-dix ans et, ce faisant, riaient. Il parle aussi d’une plante sauvage, le persil, au goût délicat mais qui empoisonne et défigure la personne qui meurt en agonisant, la bouche tordue comme si elle souriait. Comme il le fait ailleurs dans les Adages, Érasme étale ici son savoir immense sur l’Antiquité ; il cite, entre autres, Cicéron, Lucien, Homère, Platon. Il cite maints exemples d’usage du rire sardonique, mais situe l’origine de l’expression chez Homère, quand le guerrier Ajax va s’engager dans un combat singulier 6 ; en latin, le passage dit, « Sic ingens Aiax surgebat, murus Achiuum, / Terribili ridens vultu » 7 . La juxtaposition est frappante au deuxième vers, où le guerrier, sur le point de se battre, rit avec une grimace terrible. Érasme cite des sources qui expliquent comment ce rire est synonyme de meurtre, et il donne des exemples de chiens et de chevaux qui montrent les dents avant de mordre. Le rire sardonique est un rire où la bouche est gonflée et ouverte, comme sur le point de mordre. Or c’est précisément cet humour mordant qui m’intrigue dans ces deux ouvrages de Boucher. Il existe un autre point à prendre en considération lorsque l’on examine l’humour acerbe dans ces pamphlets. Boucher, comme beaucoup de polémistes de l’époque, accuse souvent ses ennemis d’une attitude légère, rieuse et moqueuse. Pour Boucher, cette légèreté d’esprit, que l’on trouve par exemple dans certaines satires protestantes, représente une forme de blasphème qu’il condamne sévèrement. En effet, beaucoup de références humoristiques dans ces ouvrages vont dans ce sens, où le rire est condamné. Comme le remarque Jean-Marie Constant, « les ligueurs, qui jouaient une rude partie, se méfiaient des rieurs qui se moquaient d’eux » 8 . L’humour dans les ouvrages bouchériens se manifeste selon deux modes négatifs - 6 Ailleurs dans les Adages, Érasme présente aussi l’expression Ajacis risus, le rire d’Ajax, qui ressemble beaucoup au risus sardonicus. 7 Illiade livre VII. C’est moi qui souligne. 8 Jean-Marie Constant, La Ligue. Paris : Fayard, 1996, p. 254. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 26 18.12.13 08: 12 Le risus sardonicus de Jean Boucher 27 d’un côté, l’humour dont se sert Boucher est si venimeux qu’il n’existe plus d’espace pour le jeu et l’ironie, aspects fondamentaux de l’humour franc et généreux ; de l’autre côté, il exprime une méfiance inébranlable envers l’humour employé par ses adversaires qu’il considère comme une forme de blasphème. Nous sommes bien loin de l’humour éclatant de Rabelais, même si ce dernier savait lui aussi employer la satire et l’invective contre ses ennemis. Le premier texte soumis à examen, publié sous l’anonymat mais souvent attribué à Boucher, est La Vie et faits notables de Henry de Valois 9 . Ce pamphlet, publié au début de 1589, tout de suite après les assassinats des frères Guise, eut un succès retentissant : au moins huit tirages et trois éditions différentes 10 . Il contient huit gravures qui illustrent des moments-clés dans la vie d’Henri, tels que son couronnement perturbé à Reims et l’assassinat des frères Guise. Le texte est en fin de compte une simple biographie du roi. Le contenu est, pour la plupart, assez plat. Les faits sont toujours racontés d’une perspective partisane qui cherche à nuire au roi, de sa naissance (il insiste par exemple sur le fait que le roi fut né en automne et non pas au jour de Pentecôte comme d’autres l’ont soutenu, et qui correspond à une date de naissance beaucoup plus favorable) jusqu’au présent où le roi est attaqué pour sa couardise et sa cruauté dans l’assassinat des frères Guise. On peut remarquer dans ce pamphlet certaines ressemblances avec les écrits d’autres historiens-témoins de l’époque, tels que Pierre de L’Estoile, De Thou et Pasquier, sauf qu’il s’agit d’une histoire racontée par un intégriste et qu’à certaines reprises, ce fanatisme déborde et envahit le texte, la trame de la narration étant interrompue par l’invective et la démagogie. Dans d’autres œuvres de Boucher, on peut constater la démonstration d’une érudition impressionnante, mais ici, le public visé est plutôt populaire et l’on voit très peu, voire aucune référence aux textes savants. On voit quand même, comme Keith Cameron le souligne, une rhétorique qui suit un des modèles proposés par Quintilien dans son Institution oratoire (III, 7, 10) : au lieu de 9 Dans son édition critique du pamphlet, Keith Cameron conclut, « il importe peu que ce soit Boucher ou un autre, mais ce qui est certain c’est que Boucher aurait pu les [il se réfère à deux autres pamphlets anonymes attribués à Boucher] écrire car ces livrets révèlent une pensée, une idéologie et un fanatisme dont non seulement sa conduite, minutieusement observée par ses contemporains au temps de la Ligue, mais aussi ses autres publications font foi. Un de ses biographes, l’abbé Feret, voit dans le fait que Boucher n’ait pas nié l’attribution de ces ouvrages, la preuve qu’il en était l’auteur, car « le docteur ne négligeait pas de protester, lorsqu’on mettait à tort quelque publication sur son compte », op. cit., pp. 10-11. Il est quand même curieux que Cameron ne va pas plus loin en établissant l’attribution du pamphlet. 10 Ibid., p. 9. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 27 18.12.13 08: 12 28 Bruce Hayes laus [louange], c’est évidemment vituperatio [vitupération] qui domine le récit 11 . La structure de cette biographie suit de près les règles d’une biographie vitupératrice. Les émotions que l’auteur cherche à évoquer chez ses lecteurs et lectrices sont celles de la démagogie : répugnance, horreur, et surtout haine. S’il cherche à plaire ou à amuser son public, c’est parce qu’il prêche aux convertis qui partagent son animosité contre le roi. Où se trouve le rire dans ce pamphlet polémique ? Il est évident que le sarcasme et la satire font partie de la rhétorique du pamphlet. Pour commencer, il est intéressant de noter que les deux usages d’une forme du mot « rire » sont employés négativement pour montrer le manque de respect d’Henri III envers les choses sacrées. Dans une anecdote où l’on montre au roi les reliques sacrées de la Sainte Chapelle, y compris la couronne d’épines, Henri est censé réagir de la manière suivante : O quel Roy se disant tres-Chrestien ! ô quel Atheiste ! Aussi quand un jour il fut à la saincte Chapelle voir les precieuses & sacrees reliques de nostre Seigneur, & qu’on luy monstra la couronne d’espines ; il commença à rire & dire que Jesus-Christ avoit la teste bien grosse. Cét Atheïste a ruyné plusieurs lieux de devotion, & entre autres l’Abbaye du Val : disant qu’il n’y avoit que trop de moynes en France 12 . Plus tard, après la journée des barricades du 12 mai 1588, où le roi se trouve obligé de fuir la ville capitale, Boucher observe : Henry de Valois, avec un visage riant, & une façon qui sentoit son humaine douceur & amitié ; luy sçait bien gré de s’estre tenu à Paris apres les barricades, puis que sa vertu avoit peu contenir le peuple en paix & union, & luy dit que veritablement il s’estoit abusé voirement de vouloir mal aux Parisiens : mais qu’il y avoit esté induit par un mauvais conseil 13 . Dans les deux cas, le prétendu rire d’Henri III est souligné pour illustrer son attitude légère et peu soucieuse des matières importantes et sacrées. Le rire est évoqué pour provoquer l’indignation des lecteurs et lectrices. Boucher dirige le rire contre le roi ; dans les deux cas où le roi est censé ricaner, il s’agit de situations qui exigent du roi révérence et sobriété. Son incapacité à maintenir la dignité exigée par sa position souveraine sert comme preuve de sa méchanceté et de son état déchu en tant que monarque. Finalement, le rire d’Henri III est représenté comme un rire malveillant, irrespectueux et insolent. L’acte de glousser est représenté comme une forme de blasphème, 11 Ibid., p. 23. 12 Ibid., p. 117. C’est moi qui souligne. 13 Ibid., p. 131. C’est moi qui souligne. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 28 18.12.13 08: 12 Le risus sardonicus de Jean Boucher 29 un manque de contrôle démontré dans les emportements insolents du roi. Le rire est clairement lié aux excès du roi dépeints par Boucher. Pendant cette période historique, si conflictuelle et sanglante, le rire est par définition suspect. Rire des choses sacrées ou des événements néfastes montre aux partisans que l’individu est un impie. Du côté catholique, si l’on remonte aux pamphlets polémiques des années 1530 et 1540, on remarque assez souvent des attaques contre les Protestants à cause de leurs satires, qui sont citées comme preuve de leur irréligion. Puisqu’ils se montrent prêts à se moquer des choses sacrées (l’eucharistie étant l’exemple le plus important) les Protestants sont accusés d’athéisme. Pour les polémistes catholiques, cette légèreté d’esprit atteste de l’irréligion des Protestants. Dans ce pamphlet, Boucher évoque cette tradition polémique au travers des deux formes du rire d’Henri III, afin de classer le roi parmi les hérétiques irrévérencieux qu’on doit extirper du royaume. Pour ce qui est de l’humour bouchérien, on voit des exemples dans les passages précédents, surtout le dernier passage. Dans la première citation, on voit l’invective et le sarcasme dans l’épithète, « O quel Roy se disant tres- Chrestien ! ô quel Atheiste ! » (C’est moi qui souligne). Le fait qu’il déforme une formulation considérée sacrée, « le roi très-chrétien », en insérant « se disant » représente le même genre d’humour irrévérencieux dont il accuse Henri. On voit aussi beaucoup de sarcasme dans le deuxième passage où il décrit l’attitude du roi envers les Parisiens, avec son visage riant et « une façon qui sentoit son humaine douceur & amitié ; luy sçait bien gré de s’estre tenu à Paris apres les barricades, puis que sa vertu avoit peu contenir le peuple en paix & union ». Impossible de ne pas lire « humaine douceur & amitié » de façon extrêmement ironique, étant donné le portrait qui est dressé du roi dans cette biographie diffamatoire. Parler de la « vertu » du roi souligne encore le côté moqueur du pamphlet. Le rire que peuvent évoquer ces descriptions sarcastiques est le risus sardonicus, un rire partisan et malicieux. Il y a d’autres moments dans le pamphlet où l’on trouve des exemples d’un rire sardonique et ravageur. Il n’est pas étonnant qu’un sujet majeur du pamphlet soit les mignons d’Henri III. Le mignon le plus commenté dans le pamphlet est le duc d’Épernon. Boucher présente le duc aux lecteurs de la manière suivante : Ainsi Henry de Valois s’adonna à une vie de Caligula, d’Heliogabale et de Neron, faisant grand estat des flateurs, notamment de Nogaret [futur duc d’Épernon], lequel de belistre qu’il estoit entré en cour, par sa flaterie, adherant à toutes les volontez de celuy duquel il sçavoit luy pouvoir advenir plusieurs moyens, parvint incontinent à grand credit et eut tout ce qu’il voulut demander : car les flateurs sont amis de la bourse, et n’ont autre but que le proffit, et pour y parvenir ils s’employent à toute villenie OeC02_2013_I-137_Druck.indd 29 18.12.13 08: 12 30 Bruce Hayes destestable qu[’]elle puist estre ; tous leurs conseils et façons de faire ne sont que trahisons et tromperies ; leurs paroles sont paroles de cuisine, elles loüent pour tirer proffit, et loüans ce qui ne doit estre loüé les Princes s’endorment en leurs vices & perdent eux & leurs Estats 14 . Dans cette description, l’effet corrupteur du mignon d’Henri III se manifeste à travers son langage. Il a toujours un mot flatteur et malhonnête. La référence aux « paroles de cuisine » fait penser à d’autres satires précédentes, telles que La Farce des Théologastres (ca. 1526), l’épisode de Messer Gaster dans le Quart Livre de Rabelais (1552) et les Satyres chrestiennes de la cuisine papale (1560), un fait assez ironique, puisque ces satires gastronomiques sont d’origine protestante ou réformiste. L’excès gastronomique, ainsi que la logorrhée qui en découle, est lié au vice, à l’abus et au mensonge. Avec Henri III, cette séduction s’avère aisée, puisque selon Boucher, le roi, « n’estant un Scipion en continence » 15 , s’adonne facilement aux vices les plus extrêmes, y compris le viol des religieuses. Nous retrouvons le sarcasme de Boucher lorsqu’il explique comment Nogaret devint le duc d’Épernon : Tels beaux & agreables services de Nogaret [il emmène Henri III aux couvents pour violer des religieuses] furent cause, que pour l’en rescompenser, Henry de Valois (moyennant les subsides qu’il mettoit sus, payees par le sang vif du pauvre peuple) luy acheta Espernon, & le feit eriger en Duché ; pour estre appellé Duc, & de là, à cause de ses prodigieuses vertus estre mis au Catalogue des Pairs de France 16 . La juxtaposition ironique de la prodigalité du roi et de son mignon et des vertus de Nogaret, expression qui suit la référence au « sang vif du pauvre peuple », cherche à provoquer un rire sardonique qui condamne les abus du roi et d’Épernon. Tout ici est sarcasme (les viols qualifiés de « beaux & agreables services »), mais c’est un sarcasme effronté et courroucé qui évoque le mépris plus que le rire. Le pamphlet est semé d’épithètes et de remarques sarcastiques ; les affaires amoureuses de la cour sont toujours qualifiées de « putacerie » 17 . Comme dans beaucoup de propagande contre Henri III, l’humour est ici de nature sexuelle, non seulement pour souligner la débauche du roi, mais aussi afin de remettre en question son hétérosexualité 18 . Il y a 14 Ibid., pp. 91-92. C’est moi qui souligne. 15 Ibid., p. 93. 16 Ibid., pp. 94-95. C’est moi qui souligne. 17 Ibid., pp. 77 et 92. 18 Voir, par exemple, l’article de Paul Scott, « Edward II and Henry III : Sexual Identity at the end of the Sixteenth Century » dans Self and other in Sixteenth-Century France : Proceedings of the Seventh Cambridge French Renaissance Colloquium, 7-9 July 2001. Kathryn Banks et Philip Ford, éd. Cambridge : Cambridge University Press, 2004, pp. 125-42. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 30 18.12.13 08: 12 Le risus sardonicus de Jean Boucher 31 dans cette représentation diffamatoire un effort pour susciter le rire, mais ici comme ailleurs, il s’agit d’un rire indigné et scandalisé. Les épithètes ne s’arrêtent pas là - le garde des sceaux de Henri III, Philippe Hurault, est appelé « Turault » 19 que Cotgrave définit comme « Old Mole-hills » 20 ; sur un ton xénophobe et populiste, les coutumes extravagantes de Henri sont considérées comme étant « à la Turquesque » 21 . Un dernier exemple se trouve à la fin du pamphlet et illustre sinon un mot d’esprit, du moins un jeu de mots lourd de signifiance pour Boucher et d’autres Ligueurs. On peut se demander pourquoi l’auteur continue d’appeler le souverain « Henri de Valois » et non pas Henri III. Est-ce pour souligner qu’il est en quelque sorte un roi illégitime ? Dans la deuxième édition du pamphlet, l’auteur offre une explication : « Henri de Valois » est une anagramme pour « Hérodes le Vilain » 22 . Les Ligueurs avaient d’autres anagrammes qu’ils employaient, comme « de Valoys » qui devient « O le Judas », « Enry de Valloys » qui devient « Le Ivdas le Néro », etc. Même si ce n’était que de simples jeux de mots, ces partisans attachaient beaucoup de valeur à leur symbolisme, comme une sorte de preuve divine de la cruauté de leur roi. Mais si les Ligueurs riaient de ces finesses verbales, cela prenait avant tout la forme d’un rire menaçant et amer. La vie et faits notables de Henry de Valois eut un succès assez important, avant et après l’assassinat du roi par Jacques Clément. Il parut à l’époque où le rayonnement et le pouvoir de la Ligue étaient à leur sommet, et où l’on appelait Boucher « un petit roy » à Paris 23 . Quelques années plus tard, en 1593, la situation était bien différente lorsqu’Henri IV fut couronné à Chartres le 25 juillet. Le pamphlet satirique contre la Ligue, la Satyre Ménippée, circulait déjà dans Paris avant d’être publié à Tours l’année suivante 24 . Cette œuvre royaliste qui se moquait des prétentions de la Ligue eut un succès phénoménal. Il est presque impossible de ne pas entendre dans les 19 Ibid., p. 102. 20 Randle Cotgrave, A Dictionarie of the French and English Tongues. Londres : Adam Islip, 1611. Moins précis, Huguet, dans son Dictionnaire de la langue française du seizième siècle (Paris : Champion, 1925-1976) le définit simplement comme une « masse » et il cite la traduction de Marius de Jacques Amyot : « S’estans venus camper aupres des Romains le long de la rivière, ilz…commencerent à la combler…y apportans de grosses pieces de rochers qu’ils brisoyent et des tureaux de terre qu’ilz y poussoyent. » C’est moi qui souligne. 21 Op. cit., p. 65. 22 Ibid., p. 146. 23 Elie Barnavi, Le Parti de Dieu. Étude sociale et politique des chefs de la Ligue parisienne 1585-1594. Bruxelles : Éditions Nauwelaerts, 1980, p. 142. 24 Voir l’excellente édition critique de Martial Martin, publiée chez Champion en 2007. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 31 18.12.13 08: 12 32 Bruce Hayes Sermons de Boucher une réponse désespérée à la Satyre Ménipée. Même si l’on peut considérer ces Sermons comme un échec, dans le sens où il était déjà trop tard lorsque Boucher les prêchait et les faisait circuler (en effet, il fuit la capitale au mois de février 1594, et les Sermons ne furent publiés qu’au mois de mars), l’audace des sermons est toujours remarquable et nous aide à comprendre pourquoi Boucher fut exilé par la suite. Bien avant ces prêches intrépides que Boucher fit seulement une semaine après le couronnement d’Henri de Navarre, Boucher était déjà reconnu pour ses talents oratoires et la témérité de ses discours contre le futur Henri IV. Dans ses sermons pour le carême en 1591, par exemple, il exprima parfaitement sa haine pour Henri de Navarre, qu’il appelait « ce chien de Béarnais » et de dont il souhaitait la mort 25 . Il y a tout d’abord des différences à souligner entre les prêches du mois d’août 1593 et le texte publié quelques mois plus tard en 1594, ainsi que des différences entre cet ensemble de sermons et la Vie et faits notables de Henry de Valois. Nous n’avons pas de témoignages quant aux sermons prêchés à l’église Saint-Merri au début d’août, mais rien que la longueur des sermons publiés (plus de 600 pages pour les neuf sermons) nous indique que le curé modifia de façon notable ses sermons avant de les faire publier. Au lieu de viser un large public, comme il le fit dans sa Vie et faits, ces sermons sont parsemés de références à l’Antiquité. Le recteur de la Sorbonne étale son immense savoir biblique et classique dans la version publiée des sermons. Toutefois, en comparaison avec sa De Justa Abdicatione, le style est plus simple et vise un public moins instruit. Tout le texte est en français, et presque sans exception, tout texte en latin est mis en marge de la page 26 . Le plus grand échec politique pour la Ligue fut l’exécution de Barnabé Brisson, président du Parlement, le 15 novembre 1591, suivie par la réaction sévère du duc de Mayenne, qui fit mettre à mort quatre des Seize de la Ligue. En cherchant à provoquer une deuxième Saint-Barthélemy, les ligueurs finirent par s’éloigner encore davantage de la noblesse et de s’isoler encore plus de la populace générale de Paris 27 . Au moment des prédications de Boucher 25 Voir Frederic J. Baumgartner, Radical Reactionaries : The Political Thought of the French Catholic League. Genève : Droz, 1976, pp. 176-77. 26 Voir Baumgartner, op. cit., p. 202 : « The Sermons de la conversion is a far different work from the De Justa Abdicatione. It has a different style of writing from the quasi-scholasticism in the earlier work, being pervaded with rhetorical flourishes which indicate its oratorical origin. Since the Sermons was in French, it was intended for a less educated public also ». 27 Il existe beaucoup d’analyses de cette période problématique de la Ligue ; pour un bon compte rendu, voir la préface de l’excellente édition critique de la Satyre Menipée de Martial Martin (Paris : Champion, 2007), pp. xxiii-xxviii. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 32 18.12.13 08: 12 Le risus sardonicus de Jean Boucher 33 en 1593, les militants de la Ligue avaient déjà perdu beaucoup de terrain sur les Politiques qui soutenaient le couronnement d’Henri de Navarre. Les quelques références à l’humour que l’on trouve dans ces prêches sont surtout négatives et attaquent les efforts satiriques des Protestants et des royalistes. Ces assauts verbaux révèlent une insécurité prononcée face à un ennemi qui domine la guerre de propagande. Boucher commence ses sermons en soulignant la solidité de la vraie foi catholique par rapport à l’hypocrisie des ennemis de l’Église (tôt dans le sermon il emploie la métaphore suivante pour établir un contraste qu’il répète ad nauseam : « l’hypocrisie faict des toilles d’areigne, qui n’ont force ny durée » 28 ). Tout de suite il rappelle à ses auditeurs la production pamphlétaire des Protestants, en juxtaposant leurs écrits avec ceux de Dieu : Bref ce sont livres bien reliez, et bien dorez dessus la trenche, bien marquez au petit fer, sur un beau maroquin de levant, mais dedans ce n’est qu’ordure, que mensonges et blasphemes (tels qu’on a veu cy devant aux petits livrets Huguenots) par le contenu desquels, ils seront un jour jugez au temps que les livres serons ouverts, devant le souverain throsne de Dieu 29 . Son observation s’avère assez ironique, puisqu’il cherche en même temps à attaquer la qualité luxueuse de la production d’écriture protestante (« bien dorez … bien marquez au petit fer, sur un beau maroquin de levant ») et à la dénigrer (« petits livrets Huguenots »). La contradiction de la logique de Boucher est irréconciliable ; soit les Protestants gagnent parce qu’ils produisent des œuvres de haute gamme (œuvres toutefois hypocrites, remplies comme elles le sont d’ « ordure…mensonges et blasphemes »), soit ils remportent la victoire contre les Catholiques ligueurs avec des œuvres minables et de mauvaise qualité. Du point de vue de la rhétorique, Boucher crée ici une sorte de chiasme qui commence avec les « livres bien reliez » qui sont faux et hypocrites ; au centre de la phrase il appelle ces livres « petits livrets », pour les minimiser afin de revenir sur le mot « livres », mais cette fois-ci, ce sont les livres divins qui symbolisent le jugement de Dieu. Or nous voyons dès le début des Sermons un intertexte basé sur la production livresque des deux camps idéologiques, une production pamphlétaire des deux côtés que les Ligueurs sont en train de perdre. La référence la plus évidente à cette 28 Sermons de la simulee conversion et nullité de la pretendue absolution de Henry de Bourbon, Prince de Bearn, à S. Denys en France, le Dimanche 25 Juillet, 1593. Sur le sujet de l’Evangile du mesme jour, Attendite a falsis Prophetis, etc. Matth. 7 Prononcez en l’Eglise S. Merry à Paris, depuis le premier jour d’Aoust prochainement suyvant, jusques au neufiesme dudict mois. Par Me Jean Boucher Docteur en Theologie. Paris : G. Chaudiere, 1594, p. 5. 29 Ibid., p. 12. C’est Boucher qui souligne. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 33 18.12.13 08: 12 34 Bruce Hayes production pamphlétaire, et surtout à la Satyre Menippée, se trouve deux fois dans les Sermons quand Boucher se réfère au Catholicon, cette drogue mirifique vendue par les deux charlatans (Espagnol et Lorrain) au début de la Satyre 30 . Dans le deuxième sermon, il remarque : Car tels sont les ingrediens, qui entrent en la composition, de ce beau Catholicum, pire que le nappellus, que l’arsenic, que l’Antimoine, et la ciguë, et pire que le venin de la queüe du scorpion, dont neantmoins on veut faire la medecine, et donner le mortel breuvage à la France 31 . Tout à la fin des sermons, cette drogue revient pour souligner le danger de l’hypocrisie des royalistes : C’est l’esprit de nostre Alchymie, la richesse de nostre vaisseau, le thresor de nostre cabinet, le fruict de tout nostre labeur, pour ne prendre un qui pro quo, une ciguë pour rheubarbe, un Catholicon eventé, une piece de faux aloy, un scorpion pour un œuf, une pierre pour du pain, un charbon pour un thresor, bref un crapault pour un lys 32 . Ici, la stratégie rhétorique est surtout d’ordre métonymique, qui opère sur une sorte de renversement de la métonymie originale. Dans la Satyre Menippée, le Catholicon représente métonymiquement tous les excès et la corruption de la Ligue ; pour Boucher, le Catholicon est toujours négatif, mais il symbolise désormais l’effort des royalistes pour saper les positions de la Ligue par le biais d’une production pamphlétaire qu’il caractérise comme hypocrite. Pourquoi hypocrite ? À cause de l’humour de la satire ; le danger pour Boucher est que les gens puissent trouver plaisante et amusante cette satire contre la Ligue (et d’après les témoignages, cela fut le cas) et qu’ils soient ainsi trompés. Ailleurs, dans le troisième sermon, en attaquant les moqueurs, il remarque que « la moquerie [est] une vraye peste de toutes les vertus, et le vray ennemy du sainct Esprit, qui est l’esprit de simplicité, bonté, et droicture » 33 . Cette position de Boucher s’avère assez problématique, puisque lui aussi se sert de la moquerie et de la satire pour attaquer ses ennemis 34 . Néanmoins, il poursuit ce raisonnement, tout particulièrement dans le troisième sermon où il s’en prend avant tout à celui qui est la cible première 30 Satyre Menipée. Martial Martin, éd., op. cit., p. 8. 31 Ibid., p. 96. C’est Boucher qui souligne. 32 Ibid., p. 572. C’est Boucher qui souligne. 33 Ibid., p. 144. 34 Plus tard au quatrième sermon, il offre une justification de ses actions : « le Sage donne advis de respondre au fol selon sa folie, à fin qu’il ne pense estre sage, la necessité ne nous y porroit, tant pour ce mesme effect, que pour n’en laisser tromper d’autres », p. 252. C’est Boucher qui souligne. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 34 18.12.13 08: 12 Le risus sardonicus de Jean Boucher 35 de son mépris, Henri de Navarre. En expliquant pourquoi ce prétendu roi ne mérite pas son titre, il fait une observation qui rappelle le risus sardonicus d’Érasme : « L’homme […] est cogneu à son regard, et le Sage a l’abordée de sa face. L’accoustrement de l’homme, le ris des dents, et l’alleure tesmoignent quel est le personnage » 35 . Comme nous l’avons déjà remarqué, ce « ris des dents » est un rire à la fois méchant et faux. Plus tard dans le même sermon, il décrit le « ris petulant et demesuré » 36 du roi. Les Protestants ainsi que les royalistes sont aussi condamnés à cause de leur rire : Si ce n’est qu’on vueille dire Catholiques, certains Atheistes, qui se rient à plaisir, disant que pour estre excommuniez, ils ne perdent l’appetit, ny le goust du vin, ne diminuent leur embonpoinct, n’en deviennent de rien plus maigres, qu’ils dorment comme au paravant, et se trouvent tousjours estre eux mesmes 37 . Pour Boucher, la gaieté d’esprit d’Henri de Navarre (ainsi que de ses alliés royalistes) sert comme preuve de son manque de sincérité et de la nullité de son couronnement. Dans ces sermons l’humour est rendu suspect, et ceux qui s’en servent contre la cause Ligueuse sont les ennemis de Dieu. Toutefois, Boucher n’hésite pas lui-même à employer la satire et le sarcasme contre Henri IV et ses alliés. On trouve dans les Sermons des exemples répétés d’insultes et d’invectives qui visent à provoquer le rire. À plusieurs reprises, il qualifie les écrits protestants de « faribolles » ; dans le premier sermon, il développe une comparaison extrêmement misogyne où il se moque des « hérétiques » qui sont représentés par les femmes, tandis que les mâles « Catholiques…sont la semence de l’Eglise » 38 . À un certain moment, il fait un calembour que l’on peut dénommer homotypographique au sujet de la prétendue conversion d’Henri de Navarre : « ceste saincte, je veux dire feincte conversion », puisque visuellement, le ‘s’ et le ‘f’ ne se distinguent presque pas 39 . Il qualifie les Politiques comme « ceste canaille…le rebut, l’excrement et ordure du monde » 40 . Parmi les insultes qu’il hurle contre les adversaires de la Ligue, l’exemple le plus frappant se trouve peut-être lorsqu’il associe ce groupe avec Rabelais. En se moquant du sacrement protestant, il remarque qu’ils « ont pour gosser à leur table les reliques de 35 Ibid., p. 147. C’est moi qui souligne. 36 Ibid., p. 148. 37 Ibid., Sermon IV, p. 231. 38 Ibid., p. 90. 39 Ibid., Sermon II, p. 97. Je tiens à remercier Anne Lake Prescott, qui m’a signalé cette possibilité lors de la Sixteenth Century Studies Conference à Puerto Rico le 25 octobre 2013. 40 Ibid., Sermon II, p. 116. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 35 18.12.13 08: 12 36 Bruce Hayes Rabelais » 41 . Rabelais revient une seconde fois dans une autre condamnation des hérétiques : « Et qui tous [les hérétiques] ont cela, de l’heritage de leurs peres, d’estre rieurs et moqueurs. Telles ont esté les railleries d’un Diagoras, d’un Theodorus, d’un Epicure, d’un Lucian, et en nostre temps d’un Rabelais, et de ceux de sa confrairie » 42 . Ce groupe de malfaisants, qui sont guidés par l’esprit de Rabelais, n’ont pas honte et ont « pris la saincte hostie (chose horrible, et non encore ouye) en ayent torché leur derriere » 43 . Évidemment, de telles diatribes scatologiques sont faites pour horrifier les auditeurs de Boucher, mais il y a aussi un côté comique dans ces références à Rabelais et l’usage des insultes scabreuses et vulgaires. L’exemple le plus clair de l’usage du comique dans les Sermons, est la façon dont Boucher tourne en dérision la cérémonie d’abjuration et le couronnement d’Henri de Navarre. Boucher veut faire de cette cérémonie, la plus importante et la plus sacrée des rois de France, une sorte de performance farcesque et vulgaire, pleine de momeries et d’actions repoussantes. Il commence avec le thème théâtral de la tromperie et du masque. En se référant à Machiavel et à Calvin, Boucher annonce, « Car le trompeur trouve tousjours qui si laisse tromper » 44 . En se moquant de l’ambassade envoyée à Rome de la part d’Henri de Navarre dans le deuxième sermon, Boucher développe cette image trompeuse et théâtrale en observant que l’ambassade cachait la vérité de la cérémonie, posant la question de savoir pourquoi ils « ne nous donne[nt] moyen de découvrir [leurs] mensonges, craignant que ce masque, qui est peint de mauvaise colle, ne soit bien tost écrousté » 45 . Il attaque la sincérité de l’effort d’Henri de Navarre pour recevoir la bénédiction du pape, une action que Boucher compare au théâtre comique et bouffon, avec des acteurs qui portent des masques « peint de mauvaise colle… écrousté » de saletés. Dans son quatrième sermon, Boucher décrit les actions de la cérémonie d’absolution ainsi, en les liant directement à la tradition théâtrale populaire : quelque poupée à petits enfans, ou quelque habit de fripperie, pour joüer l’Absolution, sur le theatre de S. Denys, comme jadis la Passion, tant à Paris qu’aillieurs en France (cause d’une partie de noz maux, pour l’irreverence y commise) ou comme les Huguenot ont fait, la tragedie du franc arbitre, et fait des farces de la Messe. 46 41 Ibid., Sermon II, p. 118. 42 Ibid., Sermon III, p. 143. 43 Ibid., Sermon III, p. 188. 44 Ibid., Sermon I, p. 44. 45 Ibid., p. 67. 46 Ibid., p. 228. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 36 18.12.13 08: 12 Le risus sardonicus de Jean Boucher 37 Au lieu d’une cérémonie sérieuse, Boucher la compare aux farces et autres pièces de théâtre populaires, rappelant à ses auditeurs le théâtre de propagande des Protestants. L’attaque est double - d’abord, les actions d’Henri de Navarre ne sont qu’une farce, et la farce (et tout le théâtre protestant) est pleine d’ « irreverence », et donc condamnable. Pour souligner combien il en est dégouté, il effectue un jeu de mots sur son propre nom, disant, « Ains seulement bouchons le nez, à ce que la puanteur ne nous offense » 47 . Il continue tout au long de ses sermons à comparer la cérémonie d’Henri de Navarre à une sorte de spectacle théâtrale farcesque. Il parle des « ceremonies ridicules, dont les penitens mesmes se mocquoient » 48 , et plus tard il veut savoir « de quelle boutique peut estre ceste invention, sinon de quelque moqueur athée » 49 . Peut-être son observation la plus mordante et la plus connue est la description suivante de la cérémonie : La risée qu’il fit regardant en hault, avec un bouffon, qui estoit a la fenestre, luy disant en veux tu pas estre ? …les tapis semez de fleurs de lys, l’adoration faites par les Prelats, à celuy qui se devoit submetre, et s’humilier devant eux, sont ce les traicts de penitence ? Ou qui en veit jamais de semblable ? 50 Tout ce qu’il observe au sujet de la cérémonie d’abjuration du couronnement a pour objectif de démontrer qu’elle est fausse, pervertie, et donc nulle. Une des stratégies de Boucher pour parvenir à son but est de renverser le sens de la cérémonie et de la présenter comme un spectacle profane et vulgaire. Il proclame vers la fin, « Car voilà les indignitez, dont on contamine et profane, la dignité du sacrifice pour faire comme une farce » 51 , et enfin il conclut, « Et si pour l’indignité qui y est, par la pieté simulée pour la conversion masqueee, pour la profanation des mysteres, cela s’appelle mommerie ? » 52 La métaphore théâtrale développée à travers les sermons fonctionne comme un renversement où Boucher tourne en dérision un spectacle qui est normalement considéré sérieux et sacré. En examinant les aspects comiques de ces deux ouvrages polémiques de Boucher, il faut tout de même constater que c’est surtout le sérieux qui domine, particulièrement dans les Sermons. Mais on peut quand même 47 Ibid., p. 228. 48 Ibid., Sermon IV, p. 342. 49 Ibid., Sermon VI, p. 369. 50 Ibid., Sermon VIII, p. 539 [339]. C’est Boucher qui souligne. Il existe plusieurs erreurs dans la pagination du livre ; la page indiquée est la page 339 dans le livre, mais il s’agit d’une faute de frappe, témoin parmi beaucoup d’autre de la façon hâtive dont on publia ces Sermons. 51 Ibid., Sermon VIII, p. 554 [354]. Voir la note précédente. 52 Ibid., Sermon VIII, p. 555 [355]. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 37 18.12.13 08: 12 38 Bruce Hayes déceler des techniques comiques employées, comme les jeux de mots, les épithètes, les hyperboles et les sarcasmes. Dans l’évolution de la satire avant et pendant les guerres de Religion, ces deux pamphlets présentent une illustration fascinante d’un humour tendancieux qui cherche à blesser autrui. Le ton est essentiellement moralisateur et grave, mais il y a des moments d’échappement et d’explosion verbale, et c’est dans ces moments que l’on rencontre le rire sous sa forme destructrice et sardonique. On a longtemps considéré l’humour comme remède ou guérison ; on découvre ici comment il peut être employé à des fins déshumanisantes et même mortelles, cherchant à justifier et même à encourager des actes de violence pendant cette période sanglante de l’histoire du pays. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 38 18.12.13 08: 12
