eJournals Oeuvres et Critiques 38/2

Oeuvres et Critiques
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0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
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2013
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Le testament de Jean Boucher. Édition accompagnée de quelques commentaires sur l'histoire familiale des Boucher de Louans

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2013
Robert Descimon
José Javier Ruiz Ibanez
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Œuvres & Critiques, XXXVIII, 2 (2013) Le testament de Jean Boucher. Édition accompagnée de quelques commentaires sur l’histoire familiale des Boucher de Louans Robert Descimon (LaDéHiS-CRH (EHESS) et José Javier Ruiz Ibáñez (Université de Murcie) Le document que nous éditons est conservé aux Archives du Chapitre cathédral de Tournai (fonds des testaments, reg. 2, fols° 201 v°-203 v°) 1 . Les testaments des autres chanoines sont conservés dans ce même fonds, ce qui ouvrirait peut-être la voie à des comparaisons fructueuses. Le testament, daté du 17 février 1646 (Boucher se disait lui-même âgé de 95 ans) avait été reçu par deux notaires apostoliques et royaux, alors que Boucher ne pouvait signer « pour avoir la main trop debille ». Le registre, extrêmement bien tenu et écrit, retranscrit ce testament qui ne correspond pas à la définition française de l’olographe quoique le testateur y parle en première personne (en marge d’autres testaments, il est fait parfois mention de « l’original » ; on peut donc considérer le registre comme un recueil de copies de testaments pris sous la dictée). Nous reproduisons ce texte avant d’en commenter brièvement la teneur. Les principes d’édition qui ont été retenus s’inspirent largement des règles en honneur dans la tradition de l’École des chartes (Paris) 2 ; toutefois, nous avons maintenu l’accentuation du texte dans la mesure où elle est précise et constante : le y est toujours doté d’un tréma et le u, ainsi que le v, porte un accent (ce qui les distingue des jambages des n), sauf, en général, quand il précède un s ; nous avons aussi maintenu la vocalisation i pour j et respecté les éléments de ponctuation (par exemple, les parenthèses), sans nous interdire de ponctuer selon les règles d’aujourd’hui, quand cela paraissait utile à l’intelligence du texte. L’usage des majuscules, qui sont difficiles à repérer, semble arbitraire, comme d’habitude dans les manuscrits du XVII e siècle, et on l’a négligé. Les abréviations ont été développées (st en sainct…) selon les usages repérables dans le manuscrit même. La séparation des paragraphes est explicite dans le document par le passage à la ligne et 1 Nous remercions monsieur le chanoine Jean Dumoulin, archiviste, qui a eu naguère l’obligeance de nous communiquer une photocopie de ce document. 2 L’Édition des textes anciens XVI e -XVIII e siècle, 2 e éd. Bernard Barbiche et Monique Chatenet, éd. Paris : École nationale des chartes, 1990. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 113 18.12.13 08: 12 114 Robert Descimon et José Javier Ruiz Ibáñez des lettres initiales qui sont interprétables comme des majuscules. Dans la mesure où ce texte est une transcription (et non un olographe), ces détails ne revêtent que peu d’importance. ----------- Testamentum domini Joannis Boúcher, qúondam húius Ecclesiae archidiaconi et canonici Au nom de la tres saincte Trinité, dú pere, du fils et dú sainct esprit Amen Je Jean Boucher, prebstre, quoÿ qu’indigne, docteúr et doÿen de la sacree faculté de theologie en l’Université de Paris et seinieur de la maison de Sorbone, chanoine et archidiacre de Tournaÿ, prevoÿant l’heúre de la mort aútant incertaine comme l’effect certain et inevitable, pour ne moúrir intestat et sans avoir disposé de mes affaires, estant en cest eage de nonante cinq ans, en bon sens et entendement (dieú mercÿ), ie faÿ et ordonne mon testament [fol.° 202] et ordonnance de derniere volonté en la forme et maniere que s’ensúit, revocqúant toús aúltres testamens faicts par moÿ iusqu’à huÿ et me reservant l’aúthorité de le changer, aúgmenter oú diminúer comme il plaira a dieú m’inspirer par icÿ apres Premierement ie resigne mon ame entre les mains de nostre bon et misericordieúx pere, saúveur et redempteúr Jesus Christ, júge des vivants et morts, roÿ de toús les siecles en la foÿ de l’eglise qúi n’est que la catholicque, apostolicque et romaine, protestant d’ÿ vivre et moúrir comme ie le remercie de la grace qu’il luÿ a pleú me faire sans l’avoir merité, non seúlement d’ÿ persister, ains aússÿ d’avoir combattú et soúffert poúr elle aúltant désireúx que ie súis (si l’occasion s’ÿ presentoit) de consigner mon sang et de ma vie, ce que i’en aÿ creú iúsqu’a huÿ, qúe me iúgeant indigne de ceste grace, ie le prie dú moins m’octroÿer ce que [toutefois, rayé] tant de fois ie luÿ aÿ prié que ie púisse vivant et moúrant protester de coeúr et de voix, comme aussÿ ie le súpplie par les merites de sa doúloúreuse mort et passion et de son tres pretieúx sang, par leqúel il a effacé les peschez dú monde, qu’a l’heure de mon deces et partement de ce corps, me pardonnant les péchez que j’aÿ commis en si grant nombre tant de pensees, de parolles et d’oeúvres que d’obmissions, negligences, pesanteúrs et imperfections et ce qúe i’auraÿ peú et deu mieux faire qúe ie n’aÿ faict toúte ma vie, me delivrant des peines non seúllement eternelles mais aussÿ temporelles, il lúÿ plaise colloquer mon ame en ioúÿssance du repos leqúel par le prix inestimable de son sang il noús a daigné acqúerir et oú gist ma seúle esperance. La recommandant pour cest effect aúx prieres et intercessions de la tres glorieuse vierge Marie mere dieú, de mon sainct ange gardien, de messieurs sainct Jean Baptiste, de sainct Jean l’evangeliste et Jean Chrisostome, mes OeC02_2013_I-137_Druck.indd 114 18.12.13 08: 12 « Boucher pamphlétaire » : entre sermon horatien et satyra illudens 115 patrons, et messieúrs sainct Thomas de Cantorbÿ, sainct Martin, saincts François d’Assize et de Paúl, et specialement de sainct Pierre le martÿr, mon protecteúr, tel qu’il a pleú a dieú [fol.° 202 v°] me faire veoir et declarer m’avoir esté donné poúr tel, des dix milles martyrs armeniens crúcifiez, de mes dames saincte Catherine martÿre, saincte Geneviefve, saincte Gertrúde, saincte Brigitte, saincte Elisabeth, saincte Ursúle et ses compaignes et de tous les saincts et sainctes de paradis, specialement ceúlx de qúi ie me recognois tant de fois (quoy qu’indigne) avoir esté secoúrú et aÿdé en des grands et divers accidens et perils. Pour a qúoÿ mieúx me disposer afin de moúrir en estat de charité de dieú et de mon prochain, ie pardonne de coeúr et d’affection toúttes iniúres et offences qu’aúcun m’ait faict en ma renommee en ma vie, en mes biens et en qúelqúe façon que ce soit, saúf de repeter par droict de jústice ce [qu’inst, rayé] qu’iniústement m’aúroît esté osté a moÿ et aúx miens et non aúltrement, priant dieú qu’il leúr pardonne et donne a eúx et a moÿ ce qúi est expedient pour sa gloire et le salút d’eúx et de moÿ, comme ie les prie qu’ils facent de mesme en mon endroit. Qúant a mon corps, ie súpplie messieúrs mes confreres qu’il púisse estre enterré devant la chaire dú predicateur, plús qúe mon service soit faict aú plustot avec le nombre de torches et flambeaux accoústúmez et distribútions faictes a mesdicts sieúrs confreres et grands vicaires et chapelains selon l’ordinaire de l’eglise oú chapitre. Je donne a la fabricque de l’eglise mon aúlmúse et súrplÿ oú chappe et sarot selon le temps de mon deces. Ordonnant qu’aú joúr de mondit service soient distribúees qúatre rasieres de golnée converties en pain, deúx aúx paúvres de Nostre Dame et les deúx aúltres a ceúx de Sainct Qúentin et se a distribúé [sic] par les distribúteúrs ordinaires de chacque paroisse. J’ordonne aússÿ qu’incontinent mon trespas advenú soient celebrees aú plústost qúe faire se poúrra a un aútel privilegé le nombre de trente messes pour le repos de mon ame et apres moÿ poúr mes parens et amÿs au proúfit de celúÿ qui sera plús pres d’estre delivré poúr chacúne desqúelles le celebrant aúra húict patars. [fol.° 203] Item oúltre celles qúe dessús seront encore celebrees a mesme fin septante (oú plus) messes là oú qúe Catherine et Marguerite, filles de feú Michel Gúÿnet dit de La Chambre, escuÿer (qúe je declare mes heritieres et legataires et non aúltres) troúveront mieúx a propos et par qúi qú’elles voúdront. Je donne aússÿ a Bastienne Varnenne, devote, ma Nostre Dame de Sichem enchassee avec vitre, ensamble mon image de Nostre Dame de Foÿ qúi est a part, comme aússÿ ma petitte boitte d’argent oú sont mes armes, a discretion neantmoins de mes deux niepces susdites. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 115 18.12.13 08: 12 116 Robert Descimon et José Javier Ruiz Ibáñez J’ordonne a mes deúx susdites niepces heritieres et legataires de donner a Martin Henard, paúvre devot, quelque piece d’argent, selon leúr commodité et discretion. Item moiennant main levee entiere (et non aúltrement) qúe ie pretend tous les ioúrs sur les biens de Paúl de Búillemont a caúse dú don de Sa Majesté faict a mon instance aúx Filles dites de saincte Agnes en la ville de Toúrnaÿ de deux tiers du reliqúa qúe le pere dúdit Paúl de Buillemont debvoit de sa recepte des annotations d’Ath et Enghien, qúe i’aÿ poursúivÿ poúr lesdites filles et en aÿ advancé la pluspart entre les mains de Marie Robert, mere desdites filles, le reste qúe ie leúr poúrrois debvoir encore, qúi est de six cent florins oú environ, ie veúx et entend expressement qúe ceste somme lúÿ soit fidelement paÿee, comme aússÿ, le cas advenant, qúe la main levee ne fút (qúe dieú ne veúille), ie qúitte ladite Marie Robert et ses compaignes de toút ce qúe ie lúÿ aúroÿ advancé pour le súbiect qúe dessús, sans qu’elle oú elles en púissent estre inqúietees nÿ molestees. Qúant a mes biens tant meúbles qu’immoeubles, ie veúx et ordonne qúe toús soient distribúez et partis esgallement et d’un mútúel consentement entre mes deúx niepces susnommees heritieres et legataires, comme i’aÿ dict cÿ dessús, ne voúlant avoir aúcun inventaire faict nÿ par júge ecclesiasticque nÿ secúlier, leúr donnant aússÿ plain poúvoir et aúthorité de partir entre eúx deúx [fol.° 203 v°] paisiblement et par accord comme ils troúveront mieúlx leur proúfit, leúr commandant de n’en laisser prendre la maniance a qúiconqúe qúe ce soit, moiennant toútefois qu’icelles mettent en execútion mes intentions, a quoÿ ie les oblige. Item ie veúx aússÿ qúe ma maison de la Belle Image size en la rue de Coúlongne demeure aú proúfit esgal [rayé legataires] de mesdites deúx niepces [rayé legataires] heritieres et legataires, la laissant a leúr discretion de la vendre oú la reserver pour demeúre comme elles ÿ troúveront leúr proúfit. En oúltre, si, apres ma mort, il se troúve en ma maison de l’argent monnoÿé, ie veux (apres toúttes iustes debtes paÿees [la parenthèse n’est pas refermée] qu’il soit aússÿ partÿ esgallement entre lesdites deúx niepces qúe dessús. De mesme toút ce qúe me sera aússÿ iústement deú en qúelqúe maniere qúe ce soit avant ou apres ma mort, ÿ compris les droicts qúe i’aÿ sur les biens dudit Paúl de Buillemont, il retournera encore aú proúfit esgal des deúx susdites Catherine et Margúeritte. Or d’aútant que les legats que i’aÿ faict concernent poúr la plus grande part mes deúx susdites niepces, qúi poúr ceste disgrace de gúerre sont refúgiees chez moÿ, destitúees de toús leúrs moÿens et par conseqúent redúictes a la necessité, ce qui caúse qúe ie ne peú bonnement faire (a mon grand regret) d’aúltres legats pieúx a la faveur des paúvres tant religieux qu’aúltres de la paroisse Nostre Dame comme i’avois proiecté de faire, OeC02_2013_I-137_Druck.indd 116 18.12.13 08: 12 « Boucher pamphlétaire » : entre sermon horatien et satyra illudens 117 ioinct aussÿ qúe les susdicts legats ne sont point de fort grande importance nÿ en fort grand nombre nÿ difficiles a executer, ie denomme mes deúx susdites niepces heritieres et legataires pour mettre ce mien testament en execútion, lesqúelles poúrront librement disposer de tout conioinctement d’un mútúel accord et satisfaire generalement a toúttes mes ordonnances comme i’aÿ declaré auparavant, sans qúe aúcun juge (di-ie) ecclesiasticque nÿ seculier, nÿ aultre personage púisse pretendre aúcún droict de manier, toúcher ou diriger aúcúnes choses des biens qúe ie laisseraÿ apres ma mort, a l’arbitre neantmoins et discetion [sic] de [fol.° 204] messire Matthias Navens, prebstre, docteur en la sacree theologie, chanoine de ceste ville de Toúrnaÿ, qúi, en cas de negligence, se poúrra consigner denier pour proceder a l’execútion de ce qúi resteroit a executer de mes susdites ordonnances, luÿ donnant (en cas, dis-ie, de negligence et non aúltrement) plain poúvoir et aúthorité, me confiant neantmoins a la preúdhomie et bonne conscience de mesdites deúx niepces súsnommees, ie croÿ qu’elles s’acqúitteront fort bien et deúement de l’execútion de ce mien testament a l’appaisement dú susdit denommé en cas de negligence. Ce fút ainsÿ faict, testé et ordonné par ledit sieur Boúcher, estant en bons sens, memoire et entendement par devant noús Leon Dúpont et Jean Baptiste Malpaix, notaires apostolicqúes et roÿaúx, aiant ledit sieur testateur declaré ne poúvoir signer poúr avoir la main trop debille, ce dix septiesme de febvrier seize cent qúarante six, tesmoins les seings de noús lesdicts notaires, icÿ mis. Estoit soubsigné L. Dúpont et J. Malpaix. ----------- Tester à 95 ans était un rare privilège au XVII e siècle. Et, encore plus, tester en relative bonne santé à un âge aussi avancé. Le vieillard qui attendait la mort à Tournai en 1646 était-il le même que le fougueux curé des temps de la Ligue parisienne dans la force de son âge ? Quoique Jean Boucher ait beaucoup écrit au long de sa vie, il est finalement difficile d’en juger. Son catholicisme était toujours aussi intransigeant : l’Église n’était que la catholique, apostolique et romaine, mais peut-être portait-il désormais l’accent sur d’autres dimensions de la religion que celles qui avaient guidé son action de curé de Saint-Benoît avant son exil brabançon ou flamand en 1594 3 . Le testament fait partie d’un ensemble documentaire tournaisien qui mériterait une exploitation plus large : dans sa « Notice sur le Chanoine Jean 3 Robert Descimon et José Javier Ruiz Ibáñez, Les Ligueurs de l’exil. Le refuge catholique français après 1594. Seyssel : Champ Vallon, 2005, consacrent des pages à Jean Boucher et même à son testament. Voir la version espagnole, revue et corrigée, Robert Descimon et José Javier Ruiz Ibáñez, Los franceses de Felipe II. El exilio católico después de 1594. Madrid : FCE, 2013. On ne rappellera pas ici les ouvrages récents consacrés (sur Internet) à Jean Boucher. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 117 18.12.13 08: 12 118 Robert Descimon et José Javier Ruiz Ibáñez Boucher », le vicaire général Voisin donna quelques éléments à ce propos, en particulier sur l’exécution testamentaire par les chanoines ; le chapitre de Tournai ordonna, malgré la volonté de l’ancien curé de Paris, de faire inventaire de ses biens, et confia cette tâche à maître Steenhuys. Grâce à ce notaire, « nous avons encore, commentait le vicaire général, l’inventaire des meubles et de la bibliothèque […] nombreuse et bien choisie. Quoique les indications du catalogue soient très incomplètes, on peut cependant juger qu’elle était composée d’un millier d’ouvrages. L’Écriture sainte y avait une large part. Parmi les meubles qu’on exposa en vente publique se trouvaient les bottes, les éperons, l’épée et le baudrier… » ! 4 Au-delà de l’anecdote, il y aurait certainement dans cet inventaire matière à une étude intéressante. La profession de foi à laquelle Boucher se livre, dans ce dernier écrit sorti de sa plume, est peut-être originale. De façon assez convenue, l’inspiration de Dieu est mise à l’origine de cette écriture testamentaire. Boucher ne semble pas nourrir grande confiance dans les « œuvres » : il n’a pas mérité d’être né ni d’avoir persisté dans la vraie foi, Dieu ne l’a pas jugé digne de la « grâce » du martyr auquel il aspirait, même si Boucher se targue d’avoir combattu et souffert pour le catholicisme. Toute action humaine s’efface devant « les mérites de sa douloureuse mort et passion et de son très précieux sang » par lequel le Christ a effacé les péchés du monde. Là gît la seule espérance du pécheur Jean Boucher, prêtre bien sûr indigne. Tout est dans le jugement de Dieu. Ces lieux communs permettent-ils de suggérer que Boucher aurait apprécié l’Augustinus de Jansenius (Louvain, 1640), s’il l’avait lu ? L’invocation des saints ne contient rien d’absolument surprenant : il a un ange gardien, ce qui n’était pas évident pour un catholique du XVI e siècle 5 ; son prénom de Jean lui confère la protection de trois patrons (l’évangéliste, le baptiste, et Chrisostome) par une opération antinominaliste radicale (le nom propre de Jean forme catégorie et recouvre tous les saints et les fidèles qui en sont les porteurs) ; le recours à Bouche d’or, l’archevêque déposé de Constantinople au IV e siècle, peut se comprendre à la fois comme l’exaltation du sacerdoce et de l’épiscopat, de la lutte éloquente contre hérétiques et juifs et de la résistance aux abus du pouvoir royal et il s’agit-là d’un patronage qui est loin d’être banal ; Boucher se réclame plus ordinairement de saint Martin et de deux saints François, d’Assise et de Paule, le fondateur 4 V. G. Voisin, « Notice sur le chanoine Jean Boucher ». Mémoires de la Société historique et littéraire de Tournai, t. IV (1856), pp. 102-20 et 150-53 (pp. 118-19 sur l’exécution). 5 L’évocation de l’Ange gardien est rare (Pierre Chaunu, La Mort à Paris, 16 e , 17 e , 18 e siècles. Paris : Fayard, 1978, p. 377). Voir Bernard Dompnier, « Des anges et des signes. Littérature de dévotion à l’ange gardien et image des anges au XVII e siècle », Les Signes de Dieu aux XVI e et XVII e siècles. Clermont-Ferrand : Publ. de la Faculté des Lettres, 1993, pp. 211-23. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 118 18.12.13 08: 12 « Boucher pamphlétaire » : entre sermon horatien et satyra illudens 119 des Cordeliers et le fondateur des Minimes consolateur de Louis XI. Boucher invoque un panthéon féminin assez éclectique : Catherine, « martyre » (donc sainte Catherine d’Alexandrie), sainte Geneviève, patronne de Paris, sainte Gertrude (moniale pippinide du VII e siècle, patronne de Nivelle, une sainte très brabançonne), sainte Brigitte (prophétesse suédoise qui œuvra à Rome pour l’unité de l’Église et contre les papes d’Avignon et mourut à son retour de Jérusalem en 1373), sainte Élisabeth (sans doute de Hongrie, parce qu’avec sa fille Sophie, épouse du duc Henri II de Brabant, elle aurait fondé, en 1240, le monastère marial de Notre-Dame d’Alsemberghe, ce qui en fit une sainte populaire dans ce qui est l’actuelle Belgique). Tout cela renvoyait à des cultes plus développés aux Pays-Bas qu’en France. Mais les saints préférés de Boucher sont incontestablement les martyrs, au nombre desquels il aurait bien voulu compter. On doit faire un sort à la remarquable invocation à saint Pierre Martyr, l’inquisiteur dominicain assassiné (credo per deum) en 1252 près de Milan par un cathare (qui s’est ensuite fait luimême dominicain et a été canonisé à son tour ! ). Ce saint Pierre-là était son protecteur, ce qu’il sait par une vision divine (cela éclaire le pseudonyme de François de Verone, constantin, pris par Boucher pour signer l’Apologie pour Jehan Chastel, publiée en 1595, Pierre Martyr étant appelé Pierre de Vérone 6 ). Pour faire bonne mesure, l’archevêque Thomas de Canterbury (martyrisé en 1170) est là pour rappeler les violences extrêmes que peut exercer le pouvoir royal, quand il est déréglé, sur les saints hommes (mais le roi d’Angleterre Henri II fit amende honorable pour ce meurtre perpétré par des serviteurs trop zélés, dit-il). Le martyre semble plus salvifique quand il est collectif et les dix mille martyrs arméniens (du mont Ararat en 120), ainsi que les compagnes de sainte Ursule, victimes d’Attila, sont appelées à la rescousse pour leur pouvoir d’intercession. Les saints ne sont pas pour Boucher reclus au paradis, ils sont des conseillers attentifs secourables dans les moments périlleux ou difficiles. Le catholicisme de Boucher est pétri d’immanence et, en cela, sans grande originalité, il reste attaché à une mentalité caractéristique du catholicisme ligueur. Le testament de Jean Boucher témoigne pourtant fortement de son intégration aux Pays-Bas catholiques des Archiducs. Il se sent pleinement chanoine de Tournai et son élection de sépulture est liée à son amour de la Parole qu’il portait lui-même avec un grand talent (pour attendre le Jugement Dernier, il veut être enterré devant la chaire du prédicateur, c’est-à-dire, au poste de combat, de son combat), le tout selon l’ordinaire 6 Voir Marco Penzi, La Pensée théologique et politique de la Ligue catholique, 1584-1594, Mémoire de DEA, Ehess, sous la direction de Robert Descimon, 1997. Le patronage spécial que revendique Boucher remontrait donc à la période ligueuse. Marco Penzi doit publier sous peu un livre sur Jean Boucher. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 119 18.12.13 08: 12 120 Robert Descimon et José Javier Ruiz Ibáñez du chapitre. Sans ostentation, sans humilité. Il demande trente messes dans un premier temps, aussitôt après son décès, et septante [70] ensuite, soit un total de cent, qui est fort modéré en ces temps de catholicisme baroque 7 . Sa charité s’exprime aussi en termes typiquement tournaisiens quand il donne aux pauvres honteux de deux paroisses de Tournai « quatre rasières de golnée », accolant une unité de mesure propre à la Flandre et à la Normandie (la rasière) et un terme, à l’origine lui aussi une unité de mesure (la galonée, « golnée »), qui désignait localement le blé méteil jusqu’au XVIII e siècle. De même l’usage du mot « maniance » (pour maniement, gouvernement) est typique d’un français très nordique (Boucher parisien n’aurait jamais utilisé un tel vocable). Dans le même ordre d’idée, deux des rares objets de piété qu’il mentionne sont liés de façon explicite à des cultes quasiment nationaux dans les Pays-Bas espagnols 8 . « Notre-Dame de Sichem » devait reproduire l’image miraculeuse de Notre-Dame de Montaigu ou de Sichem près de Malines. La statue avait été trouvée par un berger vers 1500 9 . « Notre-Dame de Foÿ » représentait l’image tout aussi miraculeuse de Foy Notre-Dame, village situé à six kilomètres de Dinant. Le sanctuaire marial de Notre-Dame de Foy avait été inventé en 1609 à la suite de la découverte dans un chêne par le charpentier Gilles de Wanlin d’une statuette de la Vierge Marie qui fut aussi tôt l’objet de pèlerinages 10 . Ces objets de faible valeur sont donnés à une dévote 7 L’historiographie sur ce point est bien établie, voir, entre autres, Michel Vovelle, Piété baroque et déchristianisation en Provence : les attitudes devant la mort d’après les clauses des testaments. Paris : Plon, 1973, et Pierre Chaunu, La Mort à Paris, op. cit. 8 Annick Delfosse, « La Vierge comme protectrice des Pays-Bas méridionaux dans les livrets de pèlerinage marial au XVII e siècle ». Revue belge de philologie et d’histoire, 80.4 (2002), 1225-41. Voir aussi Annick Delfosse, La « Protectrice du Païs-Bas ». Stratégies politiques et figures de la Vierge dans les Pays-Bas espagnols. Turnhout : Brepols, 2009, et Luc Duerloo, « Archiducal Piety and Habsburg Power » dans Albert & Isabella : 1598-1621. Essays. W. Thomas et L. Duerloo, éd. Turnhout : Brepols, 1998, pp. 270-76. 9 Philippe Numan, Histoire des miracles advenus n’aguères à l’intercession de la Glorieuse Vierge Marie, au lieu dit Mont-aigu, prez de Sichen, au Duché de Brabant. Mise en lumière et tirée hors des actes, instruments publicqz et informations sur ce prinses, par autorité de Monseigneur l’Archevêque de Malines, Louvain, Jean Baptiste Zangre et Rutger Velpius, 1604. Ce livret fut traduit en espagnol dès 1606. Juste Lipse, Diva Sichemiensis sive Aspricollis : Nova eius Beneficia et admiranda. Anvers : imprimerie Plantin Jean Moretus, 1605. Ouvrage qui fut traduit en français et assura, sans doute mieux que le livret dû à la plume du greffier de Bruxelles (Numan), la propagation de ce culte et des récits des miracles. 10 Albert Van Iterson, Rochefort et Notre-Dame de Foy, Dinant, 1964 ; Id., Rochefort et Notre-Dame de Foy : historique et catalogue d’exposition (Rochefort, 1976). Rochefort : Dinant, 1976. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 120 18.12.13 08: 12 « Boucher pamphlétaire » : entre sermon horatien et satyra illudens 121 pour satisfaire sans doute ses tendances objectales, trait assez commun du catholicisme de l’époque. Ces deux vierges étaient souveraines contre l’hérésie, comme toute image de la Vierge, d’ailleurs 11 . Mais la situation des Pays-Bas du Sud, qui souffraient de la guerre avec les Provinces-Unies calvinistes du Nord, explique suffisamment le développement de ce type de culte, qui répond à un schéma général qui traverse le temps jusqu’à nos jours 12 . Boucher semble donc être devenu un bon Brabançon. La logique de la lutte contre l’hérétique l’animait d’autant plus : pour financer les Filles de sainte Agnès en la ville de Tournai, une congrégation enseignante qui n’avait guère les faveurs de la papauté, mais était adorée par les archiducs et les autorités locales, Boucher, qui avait avancé une assez forte somme 13 à cette congrégation, réclamait encore dans son testament le reliquat des « annotations » levées à Ath et Enghien par les héritiers du receveur Buillemont que Boucher avait poursuivis au nom desdites Filles et dont il avait obtenu don de « Sa Majesté » (c’est-à-dire le roi d’Espagne ). Les annotations étaient des confiscations opérées sur les bannis (calvinistes) au beau temps de la guerre civile 14 , l’hérésie était donc amenée à alimenter par force les œuvres de la foi (catholique). Tout se tenait d’assez prêt dans les conceptions de Jean Boucher qui était un combattant fort pugnace, lui qui regrettait tant de ne pas avoir obtenu la consécration épiscopale aux Pays-Bas, à défaut de compter au nombre des martyrs. 11 Alphonse Dupront, « Réflexions sur l’hérésie moderne » dans Genèses des Temps modernes. Paris : Seuil, 2001 [1968] : « la théologie romaine en images de la Contre- Réforme triomphante enseigne que c’est par la Vierge que l’hérésie est détruite. Tu sola omnes haereses intermisti, ce verset d’une antienne médiévale éclaire ici et là la gloire exclusive de la Vierge. Seule, dans sa plénitude vitale, la Vierge tue l’hérésie », p. 120. 12 Élisabeth Claverie, Les Guerres de la Vierge. Une anthropologie des apparitions. Paris : Gallimard, 2003, dans le contexte des tensions violentes entre Croates catholiques et Serbes orthodoxes dans l’ancienne Yougoslavie au temps de la seconde Guerre mondiale et de l’éclatement de la Yougoslavie. L’exemple est paradigmatique et l’analyse de Claverie magistrale. 13 Six cents florins, soit 1. 2000 patards, soit 6,7 kilogrammes d’argent fin à 0,56 gramme le patard (voir Robert Descimon et José Javier Ruiz Ibáñez, Les Ligueurs de l’exil, p. 51), ce qui fait environ 600 livres tournois. L’engagement de Boucher à l’égard des Filles de sainte Agnès avait épuisé ses capacités charitables. 14 « Registre et quoier des biens, cens, rentes…, tant heritiers que mobiliairs, gisants ès meltes, villes et chastellenies d’Ath et Enghien appartenant à plusieurs bannis à recevoir par Jean de Buillemont, commissaire », 22 décembre 1580. Les Buillemont étaient une très ancienne famille de Tournai. Dans l’index de l’inventaire cité, Jean de Buillemont est dit « receveur des confiscations », Louis Prosper Gachard, Inventaire général des Archives de Belgique, Inventaire des Archives des Chambres des comptes. Bruxelles : Hayez, 1837, t. I, p. 330, n° 1194. Paul de Buillemont était-il fils de ce Jean ? OeC02_2013_I-137_Druck.indd 121 18.12.13 08: 12 122 Robert Descimon et José Javier Ruiz Ibáñez L’ancien curé de Saint-Benoît à Paris n’avait pourtant rompu ni avec son ancienne patrie, ni avec son histoire personnelle et familiale (la petite boîte portant les armes des Boucher qu’il lègue à la même dévote en témoigne). Cette patrie était celle que partageaient les exilés et le chanoine de Tournai semble avoir nourri une affection profonde pour ses nièces, qui, en 1646, n’étaient plus des jeunes femmes et l’avaient tardivement rejoint pour recueillir son héritage. Le testament les faisait à part égale ses héritières et légataires, ce qui excluait d’éventuels héritiers de France, lesquels ne se sentaient sans doute pas concernés. La succession de Boucher était relativement modeste (malgré la possession d’une maison importante et d’abondants biens meubles, dont les livres), puisque son beau bénéfice au chapitre de Tournai n’était évidemment pas héritage. Comment interpréter la persistance du sentiment lignager chez ce grand catholique ? Il est en effet assez tentant de faire place à quelques considérations sur l’histoire familiale du curé Boucher, sans trop remonter au-delà des années de sa longue existence 15 . Il pourrait paraître inutile d’épiloguer sur la position sociale des Boucher et les trajectoires suivies par les différentes branches du lignage : loin de tout déterminisme économique ou social (invocation de prétendues « frustrations », etc.), qui forme le fonds de commerce des historiens réductionnistes, on doit poser en principe que l’engagement ligueur de Jean Boucher fut affaire de conviction. Mais la conviction n’exclut ni l’histoire, ni le sentiment. La famille Boucher appartenait incontestablement au plus haut patriciat parisien du XV e siècle, les gens qui dominaient la ville en monopolisant charges royales et charges municipales. Les deux branches, l’aînée et la cadette, avaient toutefois opéré au cours du XVI e siècle deux choix stratégiques différents : tous les Boucher étaient des juristes dotés de diplômes qui les classaient parmi les lettrés, mais la branche d’Orsay détenait à la fois de très grandes charges de justice et d’importantes seigneuries 16 , tandis que la branche dite de Louans (aujourd’hui Morangis dans l’Essonne) n’était pas entrée dans les offices royaux ; ses membres étaient plus ou moins juristes, des avocats, qui plaidaient peu (ou pas), mais ils étaient eux aussi propriétaires d’importantes seigneuries et avaient tendance à jouer aux gen- 15 Geneviève d’Hombres, « Recherches sur une famille de robins parisiens au XVI e siècle : les Boucher d’Orsay et autres branches ». Mémoire de maîtrise, préparé sous la direction de Jean Jacquart (Université de Paris I), novembre 1981. Ce remarquable et scrupuleux travail, malheureusement inédit, nous a servi de guide, mais nous l’avons complété par nos propres recherches dans les archives notariales parisiennes. De nombreuses découvertes restent à y faire. 16 Sur les origines des Boucher, André Lapeyre et Rémy Scheurer, Les Notaires et secrétaires du roi sous le règne de Louis XI, Charles VIII et Louis XII (1461-1515). Paris : Bibliothèque nationale de France, 1978, t. I, pp. 47-48, notice Adam Boucher, et t. II, planche XX (généalogie). OeC02_2013_I-137_Druck.indd 122 18.12.13 08: 12 « Boucher pamphlétaire » : entre sermon horatien et satyra illudens 123 tilshommes campagnards 17 et aux nobles militaires. Le choix prématuré de la vie noble (les seigneuries) aux dépens du service du roi (les offices) semble, au XVI e siècle, avoir toujours mené à un net déclin social ceux qui avaient préféré cette option 18 : de fait, les Boucher de Louans paraissent relativement sur le déclin, non que leur richesse n’ait été considérable, mais parce qu’ils succombaient sous un endettement non maîtrisé. Leurs ennuis d’argent tinrent peut-être autant à une mauvaise gestion qu’à leur refus d’entrer dans l’appareil d’État monarchique. On se remémore toutefois la remarque sibylline de Charles Loyseau, au début du XVII e siècle, examinant les mérites comparées de la possession des terres, des offices et des rentes : l’immeuble, écrivait-il, était certes « le plus solide et assuré », mais les offices, « outre le plus grand profit, donnent rang, autorité & emploi au père de famille & si servent à maintenir les autres biens » [c’est nous qui soulignons] 19 . Faut-il comprendre que les offices permettaient de ne pas payer ses dettes ? En tout cas, pour les lignées en difficultés, la cléricature et les bénéfices ecclésiastiques offraient une porte de sortie honorable, qui avait toutefois l’inconvénient de provoquer l’extinction des branches par les hommes. C’est bien un tel choix que fit Jean Boucher. Il faut encore le souligner : les stratégies sociales n’avaient pas d’effet direct sur les engagements religieux qui répondaient à des logiques indépendantes. La haute situation des Boucher d’Orsay ne les empêcha pas d’adhérer à la Sainte Union dans le sillage des princes lorrains ; ils comptèrent même aux premiers rangs des ligueurs, puisque Charles Boucher exerça la prévôté des marchands de Paris de 1590 à 1592 et qu’Esprit Boucher, son frère, le greffier criminel du parlement, fut un émissaire actif du duc de Mayenne (il mourut en mission à Amiens en mars 1592). Mais les Boucher d’Orsay négocièrent leur ralliement au parti royal, alors que les descendants des Boucher de Louans restèrent fidèles au radicalisme catholique le plus intransigeant. La possession de l’office put être un amortisseur pour ceux qui avaient fini par comprendre que le catholicisme intégral s’était engagé dans une impasse où iraient se fracasser les positions et les espérances sociales de ses adhérents (de même que celles des huguenots fidèles) en ces temps de 17 Jean Jacquart, La Crise rurale en Île-de-France 1550-1670. Paris : Colin, 1974, p. 114 et 161. 18 La démonstration en avait déjà apportée par Denis Richet, « Élite et noblesse : la formation des grands serviteurs de l’État (fin XVI e -début XVII e siècle) ». Acta Poloniæ Historica, 36 (1977), 47-63, repris dans De la Réforme à la Révolution. Études sur la France moderne. Paris : Aubier, 1991, p. 152, à partir de la comparaison du sort des différentes branches des Séguier. 19 Charles Loyseau, Traité des offices, III, IV § 4, dans Œuvres. Lyon : la Compagnie des libraires, 1701 [1610], p. 170. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 123 18.12.13 08: 12 124 Robert Descimon et José Javier Ruiz Ibáñez confessionnalisation où l’Église était sommée de se reconstruire en symbiose avec l’État royal 20 . Il résulte de ce que nous venons d’avancer comme du texte du testament de 1646 que le curé Boucher était attaché à sa famille sur un mode népotique, la relation collatérale de l’oncle aux neveux et aux nièces se substituant à la transmission en ligne directe. C’était-là un mode ancien de reproduction familiale qui marquait un moindre attachement au patronyme et au patrilignage et un report des ambitions sociales sur les branches féminines, en conformité avec le caractère indifférencié de la parenté occidentale, qui ne faisait pas de distinction, au sein des parentèles, entre les consanguins par les hommes ou par les femmes, ou entre les alliés 21 . Pour mieux comprendre cela, entrons un peu plus avant dans l’histoire des Boucher de Louans (cf. le tableau généalogique à la fin de cette contribution). Philippe Boucher, avocat, seigneur de Toussus le Noble (près de Buc, dans les actuelles Yvelines), puis de Louans, le père du curé dont on édite ici le testament, était le dernier né de sa fratrie ; il se maria deux fois, la première avec Philippe Tuleu, fille de Nicolas Tuleu, examinateur au Châtelet, et de Philippe de Ganay ; la seconde avec Étiennette Poisle (ou Poille) 22 . Le premier mariage situait les Boucher dans leur milieu, celui des grands juristes du temps des Valois, comme le chancelier de Ganay (Philippe de Ganay était la sœur du 20 Robert Descimon, « The ‘Bourgeoisie seconde’ : Social Differentiation in the Parisian Municipal Oligarchy in the Sixteenth Century, 1500-1610 ». French History, 17.4 (2003), 388-424. Robert Descimon et José Javier Ruiz Ibáñez, Les Ligueurs de l’exil, pp. 7-49. 21 Robert Descimon, « Transmission collatérale et reproduction népotique au XVI e siècle. Un exemple de mobilité sociale et géographique (le Robillart de Valenton, de Paris et de Normandie) » dans Mélanges offerts au professeur Maurice Gresset, textes réunis par Paul Delsalle, François Lassus, Corinne Marchal et François Vion- Delphon, Annales littéraires de l’Université de Franche Comté, vol. 820, série « Historiques » n° 28, Besançon : Presses universitaires de Franche-Comté, 2007, pp. 311-18. Françoise Autrand, « ‘Tous parens, amis et affins’ : le groupe familial dans le milieu de robe parisien au XV e siècle », dans Commerce, finances et société, XI e -XVI e siècles, Recueil de travaux d’histoire médiévale offert à M. le Professeur Henri Dubois. Philippe Contamine, Thierry Dutour et Bernard Schnerb, éd. Paris : Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1993, pp. 347-57. Christophe Duhamelle, L’Héritage collectif. La noblesse d’Église rhénane 17 e et 18 e siècles. Paris : Éd. de l’Ehess, 1998, surtout pp. 269-283. 22 Archives nationales, Minutier central des notaires parisiens (désormais M. C.), étude CVII 93, 18 avril 1575, inventaire après décès d’Étiennette Poisle. Le titre 30 de cet inventaire indique que l’inventaire après décès de Philippe Boucher fut dressé le 11 février 1553 (n. s.) par le notaire Catherin Fardeau (non conservé). Jean Boucher requiert l’inventaire de sa mère en se désignant comme « recteur de l’Académie de Reims » et deux filles, Madeleine et Andrée, restaient à marier. Curieusement, le fils aîné Michel Boucher, avocat, ne requiert pas l’inventaire. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 124 18.12.13 08: 12 « Boucher pamphlétaire » : entre sermon horatien et satyra illudens 125 fameux magistrat) ou le futur premier président Christophe de Thou, époux de Jacqueline Tuleu (qui était la nièce de la première femme de Philippe Boucher), ou encore comme le premier président Jacques Olivier (beau-frère de Philippe Boucher) et de son fils, le chancelier de France Olivier (neveu de Philippe et par conséquent cousin germain beaucoup plus âgé du curé Jean Boucher) 23 . Le second mariage s’était conclu au sein d’un lignage plus neuf 24 . Le membre le plus en vue de la famille de la mère de Boucher fut le conseiller Jean Poisle, sous-doyen du parlement (oncle de Jean Boucher). Ce magistrat fut pris dans un épouvantable scandale en 1582. Le parlement finit par lui infliger une condamnation très sévère (amende honorable et bannissement) en raison de ses énormes malversations (si l’on en croit ses accusateurs, lui soutenait que ses adversaires le persécutaient parce qu’il s’était toujours montré un ennemi déterminé des huguenots). En 1587, le roi Henri III tançait Jean Boucher, lui rappelant la forfaiture de son oncle 25 . Signalera-t-on, pour préciser le contexte, que les Boucher et les lignages alliés n’étaient nullement exempts de protestantisme dans les années 1550-1570 ? Il est incontestable que la descendance de Philippe Boucher n’avait pas aussi bien réussi que l’avaient fait leurs cousins d’Orsay. Parmi les enfants du premier lit, on comptait Jean l’aîné, avocat, Adam, homme d’armes de la compagnie du duc d’Anjou (François, le frère et héritier d’Henri III) et gentilhomme ordinaire de « sa suite » 26 , et Marie, qui épousa Nicolas Soly, un avocat, mais fils de magistrat 27 . Comme trois héritiers nés de ce premier 23 Robert Descimon, « Les de Thou au miroir des archives notariales du XVI e siècle. Les chemins de la haute robe ». Jacques Auguste de Thou. Écritures et condition robine, Cahiers V. L. Saulnier, 24, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2007, pp. 13-35, note 9, où est signalé l’honneur que se faisait de Thou de « descendre » des Ganay. Jean Boucher aurait pu avoir la même prétention, mais il ne l’avait pas. 24 M. C., étude XIX 26, 27 juin 1506, contrat de mariage de Jean Poisle, procureur au parlement, et d’Olive de La Chesnaye (qui était morte en 1530). Ce Jean Poisle père devint procureur du roi au bailliage du Palais. Si les Poisle étaient une famille moins en vue que les Boucher, les La Chesnaye constituaient un lignage prestigieux qui se convertit au calvinisme (Guillaume, ancien conseiller clerc au parlement, devenu protestant, fut décapité en Grève en juillet 1569 ; il était un cousin germain des Boucher). 25 Élie Barnavi et Robert Descimon, La Sainte Ligue, le juge et la potence. L’assassinat du président Brisson (15 novembre 1591). Paris : Hachette, 1985, pp. 166-71. 26 M. C., étude LXXIII 89 fol. 399 v°, 5 juillet 1583, acte qui désigne ainsi Adam Boucher, écuyer, sieur de Montmort. 27 On connaît leur contrat de mariage (M. C., étude VIII, liasse 222, 10 novembre 1555), la future ameublissait 4.000 livres tournois pour entrer en la communauté et se voyait constituer un douaire au capital de 1.800 livres, ce qui donne à penser que sa part dans la succession de ses parents, tous deux décédés, montait à 5.400 livres. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 125 18.12.13 08: 12 126 Robert Descimon et José Javier Ruiz Ibáñez lit survécurent, on peut calculer, avec une grande part d’approximation, que l’actif de Philippe Boucher et de Philippe Tuleu à leur mort s’évaluait à environ 16.000 livres, plus 20.000 livres pour la seigneurie de Louans 28 . Quant à l’union entre Philippe Boucher et Étiennette Poisle 29 , elle donna naissance à quatre héritiers (Michel, Madeleine, Andrée et Jean), dont les parts dans les successions paternelle et maternelle montaient à 6.000 livres, ce qui permet d’évaluer approximativement le bilan de la succession à 24.000 livres 30 . Comme souvent, la belle-mère et les enfants des deux lits entretinrent entre eux des procès dont ils ne virent pas la fin. Si cette fortune ne pouvait donc être comparée avec l’opulence des Boucher d’Orsay, elle avait été suffisante pour assurer l’éducation et l’établissement de la descendance de Philippe Boucher, y compris les brillantes études de théologie de Jean. On a déjà dit que le problème qui lancinait les Boucher de Louans était le niveau excessif de leur endettement qui les menait fréquemment en prison (pour dettes) et qui finit par les ruiner en les obligeant à vendre leurs seigneuries et leurs immeubles parisiens (Louans vendu au président Le Charron ; l’hôtel de la rue du Bourgtibourg vendu au président Nicolaï). La fratrie issue d’Étiennette Poisle poursuivait toutefois le rêve peu réaliste de se refaire grâce à l’héritage des La Chesnaye, les parents collatéraux de leur grand-mère Olive de La Chesnaye 31 . 28 Geneviève d’Hombres, op. cit., pp. 143-44, citant la cession du château et de la seigneurie Louans par Jean Boucher l’aîné, le 18 décembre 1573, contre 1.700 livres de rente au denier 12 (soit 20.400 livres de principal). 29 M. C., étude VI, liasse 2, 19 août 1538, contrat de mariage de Philippe Boucher et d’Étiennette Poisle qui était dotée sur les successions de ses aïeul et aïeule (Nicolas de La Chesnaye et Étiennette Budé), le douaire s’élevant à 100 livres de rente rachetable pour 1.200 livres (la richesse du couple était donc modeste, mais les droits de la future pouvaient être valorisés, ainsi la maison de la rue du Bourtibourg dont le contrat lui donnait la jouissance et qui fut vendue par ses enfants). 30 Pour la supputation de ce calcul, voir les contrats de mariage cités aux notes suivantes. 31 M. C., XIX 106, 7 mai 1555, partage de la succession de Nicolas de Lachesnaye, écuyer, maître d’hôtel ordinaire des rois Louis XI, Charles VIII et Louis XII (comme le répètent les actes notariés), et d’Étiennette Budé, entre leurs cinq héritiers dont Jean Poisle, seigneur de Saint-Gratien et conseiller au parlement, et Étiennette Poisle, l’épouse de Philippe Boucher. La succession de ce Nicolas de La Chesnaye était un enjeu considérable, objet de procès encore pendants dans les années 1570, et donc d’espérances pour les Boucher enfants d’Étiennette Poisle (M. C., étude XIX 258, 18 août et 22 novembre 1575, transactions où l’on voit que Jean Poisle avait obtenu qu’un certain nombre des héritiers lui cédassent leurs droits). L’enjeu n’était rien moins que la possession des seigneuries de Castera (sans doute Castera Verduzan (Haute-Garonne)) et du Moulin de Pradières dans la sénéchaussée de Toulouse, presque des châteaux en Espagne, dont Jean Boucher faisait néanmoins mention en mariant sa sœur. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 126 18.12.13 08: 12 « Boucher pamphlétaire » : entre sermon horatien et satyra illudens 127 Ce fut dans ces circonstances que Jean Boucher s’affirma comme le chef de la lignée, fait qui est à mettre en rapport avec son état ecclésiastique. Le fils aîné Michel, sieur de Toussus, avocat au parlement, semble avoir occupé une place marginale, pour des raisons qui ne s’expliquent pas. Il conclut tardivement une alliance homogame 32 . La chronologie peut être reconstituée avec précision grâce aux mariages de leurs deux sœurs : la cadette, Madeleine, déjà majeure de vingt-cinq ans, avait épousé sous l’égide du conseiller Jean Poisle (qui était le seul témoin présent à ce mariage), Philippe (on peut noter que le testament de Jean Boucher porte par erreur Michel) Guynet, dit La Chambre, seigneur de La Pointe (il s’agit d’un lieu-dit situé sur l’actuelle paroisse de Villeneuve-le-Comte, en Brie) 33 . La fille aînée, Andrée, se maria quelques mois plus tard, mais entourée de toute sa parentèle. Le contrat ne portait aucune clause extraordinaire 34 . C’était cette fois Jean Boucher 32 M. C., étude III 402, 16 avril 1579, contrat de mariage de Michel Boucher et de Marthe Bigot (la dot de la future montait à 6.000 livres pour un douaire au principal de 2.400 livres). Michel était mort avant octobre 1594 et sa veuve se remaria avec Henri Charmolue, lieutenant général à Noyon (Geneviève d’Hombres, op. cit., p. 152). Elle ne se chargea apparemment pas de l’éducation de ses fils du premier lit qui rejoignirent leur oncle à Bruxelles. Ces histoires familiales restent obscures. Michel Boucher s’était marié après ses sœurs. 33 M. C., étude XIX 258, 7 septembre 1575, contrat de mariage. Les clauses sont marquées par une certaine étrangeté : elle apportait tous ses droits, aussi bien en ligne directe que collatérale, dont le mari jouirait sa vie durant si l’épouse décédait la première, à charge de payer ses dettes et d’exécuter son testament jusqu’à la somme de 500 livres tournois. En contrepartie, dans le cas où le couple n’aurait pas d’enfant, il donnait à sa future, si c’était lui qui mourait, tous ses biens, qu’ils aient été propres, acquêts ou conquêts, immeubles ou meubles, à charge d’exécuter son testament jusqu’à 1.000 livres. Au cas où il n’y aurait pas d’enfant, il donnait à Andrée Boucher, la sœur de Madeleine, 300 livres de rente (3.600 livres en capital) et sa seigneurie de La Pointe-le-Comte au second fils de Jean Poisle, nommé Jean Daniel, à charge qu’eux deux (Andrée Boucher et Jean Daniel Poisle) exécutassent son testament jusqu’à 600 livres et priassent pour son âme. Cette donation au lignage Poisle éclaire toutes ces clauses et porte la marque des pratiques reprochées à Jean Poisle, manoeuvres qui tiennent de la captation d’héritage. À noter que les relations entre les Boucher et les Guynet remontaient à une période antérieure à cette alliance : M. C., étude XXXVI 23, 20 février 1572, Ambroise Guynet, dit La Chambre, écuyer, capitaine de deux cents hommes de pied de la garde de monseigneur le duc d’Anjou (le futur Henri III) empruntait à Charles Boucher, seigneur de Houilles, conseiller au parlement (un membre de la branche des Boucher d’Orsay) 1.600 livres. 34 M. C., étude XIX 261 fol.° 66 et Archives nationales, Y 117 fol.° 278, 2 mars 1576, contrat de mariage d’Andrée Boucher avec Nicolas Doulcet, écuyer, seigneur Lésigny La Barre (la terre située aujourd’hui sur la commune de Férolles-Attilly en Brie ? ) et de Normandie (à Noisy-le-Grand en Seine-Saint-Denis) et homme OeC02_2013_I-137_Druck.indd 127 18.12.13 08: 12 128 Robert Descimon et José Javier Ruiz Ibáñez (« bachelier en théologie ») qui, « pour la bonne amitié qu’il porte à sad. sœur », lui donnait, pour tous ses droits, la somme de 6.000 livres, sans qu’elle fût tenue aux dettes (c’était la clause essentielle), et sans préjudice de percevoir plus grande somme, si jamais les droits revenant à sa sœur se révélaient monter à plus que les 6.000 livres en question 35 . Jean Boucher avait donc pris en mains (contre Jean Poisle ? ) les affaires de la famille entre ces deux contrats de mariage de 1575 et 1576. Il apparut désormais comme le chef de famille. Philippe Guynet était, en 1581, prévôt des maréchaux de France au pays de Champagne et habitait Meaux 36 . Il faut bien avouer que nous n’avons pas de connaissances bien précises sur sa carrière et sa vie. Ce sont ses filles qui accompagnèrent Jean Boucher dans son exil à Bruxelles, puis à Tournai, et qui vivaient encore en 1646. Mais la familia de Jean Boucher dans l’exil bruxellois avait été beaucoup plus nombreuse : elle avait compté Jean Guynet, frère de Catherine et Marguerite, qui seules survivaient à la mort de leur oncle qu’elles avaient apparemment rejoint assez tard ; mais aussi les enfants de Michel Boucher, le frère aîné de Jean : ces jeunes gens, Arnoul (mort jésuite en 1631) et Nicolas Boucher (ils portaient des prénoms qui venaient de la branche aînée, les Boucher d’Orsay), avaient rejoint leur oncle dès octobre 1594 pour ne pas être élevés dans l’hérésie, disaient-ils 37 . Solitude de l’exil et sollicitude familiale qui s’était reportée sur des nièces qui devaient avoir un âge certain et peuvent sans inconvénient être qualifiées de dévotes. Le vieil homme, au soir de sa vie, ne se sentait pas vraiment riche. d’armes de la compagnie du sieur de Rostaing. Toutes ces terres étaient venues à Doulcet par le mariage de son père avec la fille de Jean Luillier et de Jacqueline Grisson (voir M. C., étude LXX 51, 7 mars 1575). Ces fiefs étaient de faible valeur (M. C., étude XIX 157, 13 février 1541, le partage de la succession du conseiller au Parlement Jean Luillier (grand-père maternel de notre Nicolas Doucet) évaluait La Barre à 1.100 livres et Normandie à 400). 35 M. C., étude XIX 261 fol° 67, 2 mars 1576. M. C., étude XXXIII 200, 27 janvier 1584, Jean Boucher avait payé 1900 écus à Nicolas Doulcet) et Andrée Boucher sur les 2.000 qu’il leur avait promis. Les liens semblent s’être ensuite rompus entre Jean Boucher et ses alliés Doulcet. Nicolas Doulcet emprunte, avec Michel Boucher, frère de sa femme, 480 écus pour acheter à son frère la moitié de la seigneurie de La Mothe d’Esgry en Gâtinais (M. C., LXXIII 89 fol. 513, 20 août 1583). 36 M. C., étude VI 64, 29 août 1581, Jean Boucher, qui porte le titre de docteur régent en la faculté de théologie en l’Université de Paris, donne quittance d’une indemnité qu’un arbitrage du parlement a accordée aux Boucher sur les acquéreurs de leurs biens (en l’occurrence le président Nicolaï) comme procureur de ses deux beaux-frères. Encore une fois, il n’est pas question du frère aîné Michel. 37 Robert Descimon et José Javier Ruiz Ibáñez, Les Ligueurs de l’exil, p. 201. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 128 18.12.13 08: 12 « Boucher pamphlétaire » : entre sermon horatien et satyra illudens 129 Une des formules terminales du testament s’apitoie sur « cette disgrâce de guerre » et sur les réfugiées réduites à la nécessité, qui dépendaient de la piété de leur oncle. Cependant la maison de « la Belle Image » (certainement la Vierge) témoignait d’un notable enrichissement. Que Boucher ait préféré les siens à la communauté des pauvres du Christ en dit néanmoins beaucoup sur ses conceptions de l’existence, même très catholique. La pietas jouissait pour lui d’une sorte de priorité pratique ou ontologique sur la caritas. Peutêtre ce souci des siens était-il un reste de la notabilité des Boucher comme patriciens parisiens du XVI e siècle 38 . Assurément le testament ici édité ne résume pas la vie de Jean Boucher, qui était un intellectuel rompu à l’usage de la plume théologique plus qu’un oncle à héritage. Malgré le caractère obtus de ses convictions, cet homme qui ne souhaitait pas apprendre de l’expérience vécue s’était adapté aux mœurs et habitudes du catholicisme tel qu’il était traduit (spécialement sous le règne des archiducs) dans les Pays-Bas espagnols de la première moitié du XVII e siècle (il y vivait depuis 52 ans en 1646). On aurait presque le sentiment que le vieillard était prêt pour de nouvelles aventures théologiques, n’eût été son amour des jésuites et de l’ordre établi pourvu qu’il ait été très catholique. Boucher, dans ses si amples écrits, fait toujours référence à ses propres « mérites », mais, en même temps, il ne manque pas d’en relativiser le poids, d’établir une distance entre lui et le personnage « inventé » par ses ennemis. Cette défiance critique par rapport à lui-même est-elle à mettre en rapport avec l’angoisse eschatologique qui pousse à croire qu’aucune action en elle-même ne peut produire des « mérites » sans la volonté de Dieu ? Mais ce sentiment n’impliquait pas que Boucher n’ait pas éprouvé une immense fierté de ses actions et de ses combats. Il avait été vaincu par la vie : ni la guerre civile d’abord, ni l’alliance entre princes catholiques, ensuite (les deux voies expérimentées pour détruire l’hérésie dans la longue crise des années 1560-1640) n’avaient réussi, et Boucher en avait déduit que le triomphe de la foi ne pouvait intervenir que dans l’au-delà. L’Église militante avait ses mérites, seule l’Église triomphante donnait sens à l’aventure sotériologique qui restait l’horizon de l’humanité pour les catholiques de ces temps. 38 Sur la pietas qui est un ensemble particulier inclus dans la caritas, Wolfgang Reinhard, « Papa Pius. Prolégomènes à une histoire de la papauté » dans Papauté, confessions, modernité. Paris : 1998 [1972], pp. 41-67. Bruno Bon et Anita Guerreau- Jalabert, « Pietas : réflexions sur l’analyse sémantique et le traitement lexicographique d’un vocable médiéval ». Médiévales 42 (2002), 73-88. Bartolomé Clavero, La Grâce du don. Anthropologie catholique de l’économie moderne. Paris : Michel, 1996 [1991], spécialement pp. 163-75, sur la grammaire de la charité. OeC02_2013_I-137_Druck.indd 129 18.12.13 08: 12 130 Robert Descimon et José Javier Ruiz Ibáñez Généalogie simplifiée des Boucher de Louans (on n’a figuré que les héritiers, à l’exclusion des enfants morts jeunes et des religieuses ou religieux) * indique la date du mariage ; † la date du décès. Philippe Boucher, seigneur de Louans, avocat * (1) Philippe Tuleu (2) (19 VIII 1538) I Étiennette Poisle I I ---------------------------------------------------------------------------- I I I I I Jean Adam († 1585) Marie I († 1573) homme * (1555) I avocat d’armes Nicolas I * Catherine gentilhomme Soly I de Coeuret du duc d’Anjou avocat I I marié deux fois d’où I d’où I descendance I descendance d’où I descendance I I ----------------------------------------------------------------------------------- I I I I Michel Jean Andrée Madeleine († vers 1593) curé de *(1576) * (1575) Avocat de St-Benoît Nicolas Philippe * (1579) chanoine de Doulcet Guynet Marthe Bigot Tournai homme prévôt I d’armes des I I maréchaux I ? de Champagne ------------------ I I I I Arnoul Nicolas I († 1631) ? I Jésuite I ------------------------------- I I I Jean Catherine Marguerite ? filles majeures dévotes héritières de Jean Boucher ------------- OeC02_2013_I-137_Druck.indd 130 18.12.13 08: 12