eJournals Oeuvres et Critiques 39/1

Oeuvres et Critiques
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2941-0851
Narr Verlag Tübingen
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2014
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Le roman historique des années 1830 vu à travers le personnage de Cosme Ruggieri

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2014
Michel Tilby
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Œuvres & Critiques, XXXIX, 1 (2014) Le roman historique des années 1830 vu à travers le personnage de Cosme Ruggieri Michael Tilby L’exploitation systématique des guerres de Religion comme fonds de sujets par les romanciers et conteurs, auteurs dramatiques et, à un moindre degré, les artistes peintres de la génération de 1830 assura une place prépondérante à Catherine de Médicis. Moins prévisible sans doute est la mise en relief, par bon nombre d’écrivains, Dumas en tête, de Cosme Ruggieri, astrologue de la reine mère. Les premiers lecteurs du Secret des Ruggieri de Balzac, qui parut fin 1836, ne se seraient étonnés que d’une chose : la présence dans le titre d’un pluriel inattendu. A la suite de Henri III et sa cour (1829), qui s’ouvre sur des paroles de Ruggieri, l’astrologue florentin figurera non seulement dans plusieurs parodies du drame de Dumas, mais aussi dans Les Jours gras sous Charles IX (1832), drame historique de Lockroy et Arnould, ainsi que dans un conte signé « le Bibliophile Jacob » qui a pour titre « La chasse de Charles IX » (1831), pour enfin réapparaître en 1837 dans Crichton, roman historique de W. Harrison Ainsworth, auteur anglais féru de l’histoire et de la littérature de France. Si nous nous proposons de retracer les différentes étapes de cette évolution d’un personnage historique devenu personnage littéraire, ce ne sera ni afin d’énumérer les emprunts éventuels faits par chaque auteur à ses prédécesseurs, ni dans le but de déterminer l’apport de chacun à une meilleure compréhension d’une personnalité condamnée à rester obscure. Notre propos sera d’amorcer, à partir d’une considération de ces divers traitements de Ruggieri, une réflexion sur le genre du roman historique à une époque où le prestige des romans de Walter Scott en France n’allait plus de soi. Rappelons que Balzac, dans sa Préface à La Peau de chagrin (1831), prétend que « le public […] est aujourd’hui rassasié de l’Espagne, de l’Orient, des supplices, des pirates et de l’histoire de France walter-scottée » 1 . De même, son futur secrétaire Charles Lassailly avoue en 1833 : 1 Balzac, Honoré de, La Comédie Humaine - La Peau de Chagrin, éd. par Castex, Pierre-Georges e. a. Paris : Gallimard, 1976-1981, t. X, p. 54. OeC01_2014_I-102AK2.indd 43 OeC01_2014_I-102AK2.indd 43 23.06.14 17: 08 23.06.14 17: 08 44 Michael Tilby La Walterscotterie m’ennuie par-dessus toutes choses. Pauvre France ! où imitateurs que nous sommes d’habitude, avec nos passions factices et de mécanisme, on se convulsionne, devant des copies, à des pâmoisons de singes ! » 2 Nous soutiendrons néanmoins que la façon dont Balzac repense la représentation de Ruggieri fait preuve d’une position bien plus subtile à l’égard du modèle scottien et qu’il parvient, par là, à donner un nouveau sens au genre quelque peu décrié du roman historique. La première scène de Henri III et sa cour, qui montre Ruggieri dans son cabinet de travail entouré de « quelques instruments de physique et de chimie » 3 sur un fond qui consiste en « une fenêtre entr’ouverte […] avec un télescope », devint vite le point de repère essentiel pour toute représentation ultérieure de l’astrologue. Celui-ci est saisi ici en train de mesurer des figures avec un compas, « un livre d’astrologie ouvert devant lui ». Il résume d’emblée son programme ésotérique en se demandant : « parviendrai-je à évoquer un de ces génies que l’homme, dit-on, peut contraindre à lui obéir, quoiqu’ils soient plus puissants que lui » 4 . Pour des raisons faciles à deviner, Dumas coupe court à ce monologue en faisant pénétrer la reine mère à l’intérieur du cabinet de son protégé au moyen d’une porte secrète qui communique avec l’hôtel de Soissons. Le dramaturge se contente d’introduire des éléments pittoresques qui deviendront vite la panoplie de la plus grande partie de ses successeurs : horoscopes tirés, élixirs d’amour, aiguilles plantées dans des effigies de cire, miroir magique qui en fait n’en est pas un. Les prédictions de son Ruggieri, étant basées sur des renseignements connus de lui par des moyens bien plus prosaïques, ne relèvent nullement d’une science occulte. Le démantèlement progressif de l’image que Catherine s’était faite de Ruggieri, en tant qu’érudit détaché de ce monde, est loin d’être le moins intéressant des aspects de sa caractérisation. Ruggieri se retrouve dans deux des quatre parodies (éventuellement trois, car Le Duc de Frise, ou Le Mouchoir criminel, pièce à laquelle Dumas fait allusion dans ses Mémoires, n’a laissé presque aucune trace) qui suivirent de près la première de Henri III et sa cour. Un feuilleton dramatique nous apprend que dans Le Brutal, épisode de Henri III, dû à Masson, d’Artois et Jarnet, « l’astrologue Ruggiéri est devenu le diseur de bonne aventure Perlimpinpin » 5 . Dans Cricri et ses mitrons, de Carmouche, Jouslin de La Salle, et Dupeuty, le protégé de la reine mère se trouve transformé pareillement en 2 Lassailly, Charles, Les Roueries de Trialph. Paris : Silvestre, 1833, p. xvii. 3 Dumas, Alexandre, Henri III et sa cour, Théâtre complet I, éd. par Bassan, Fernande. Paris : Minard 1974, I, 1. 4 Ibid., I, 1. 5 Cf. La Semaine, 29 mars 1829. OeC01_2014_I-102AK2.indd 44 OeC01_2014_I-102AK2.indd 44 23.06.14 17: 08 23.06.14 17: 08 Le roman historique des années 1830 45 vulgaire escamoteur. La mise en scène est transposée dans le Paris de 1829 et les opposants religieux convertis en deux factions parmi les boulangers. Si la pièce s’ouvre sur un tableau où Ruggieri « achève des expériences physiques », celui-ci se présente ainsi (sur l’air « C’est un sorcier ») : Je suis Ruggieri, fécond en artifice, Connu pour posséder le sac à la malice. Je suis escamoteur, prestidigitateur, Rival de Monsieur Comte, et de plus, électeur ! Parlez, je vous dirai votre bonne aventure. Surtout, pas de cancans… je crains la Préfecture. 6 Il s’avère pourtant peu bavard par rapport aux autres personnages, du moins jusqu’au moment où il sera question d’ « étoiles » et de « signes », ce qui provoque de sa part cette observation : « Le destin met souvent des bâtons dans nos roues ! » 7 . Le pronostic qu’il propose en dialoguant avec Chaudchaud St. Pétrin (le Saint-Mégrin de la parodie) suscite la dérision : « c’est des bêtises » 8 . Quant à La Cour du roi Pétaud, parade historique mêlée d’anachronismes et de couplets en trois actes qui n’en font qu’un, de Cavé, Langlé, de Leuven et Dumas lui-même, Ruggieri s’y trouve transformé en cet autre astrologue cher à Catherine de Médicis que fut Nostradamus, malgré l’indication selon laquelle « la scène se passe à Paris en 630 » 9 . C’est toujours par l’astrologue, ici qualifié de « sorcier » 10 , que débute l’action, dans un grenier qui rappelle le cabinet de la pièce originale. Le Nostradamus de cette parodie, qui durant toute la pièce reste visiblement calqué sur le Ruggieri de Henri III et sa cour, est bien plus mis en relief que le Ruggieri de Carmouche et ses collaborateurs. Cependant, le commentaire dont il accompagne ses dernières prédictions révèle un implacable cynisme de sa part, ainsi que le besoin qu’il ressent d’entraver toute interprétation susceptible de lui apporter des malheurs. Il est évident que les auteurs de ces parodies ne font que pousser à l’extrême l’accent rationaliste et moqueur de Dumas lui-même à l’égard de 6 Carmouche, Pierre-Frédéric-Adolphe/ Jouslin de La Salle, Armand-François/ Dupeuty, Charles, Cricri et ses mitrons. Petite parodie en vers et en cinq tableaux d’une grande pièce en cinq actes et en prose. Paris : Quoy, 1829, I, 1. 7 Ibid., IV, 2. 8 Ibid., IV, 2. 9 Dumas, Alexandre/ Cavé, Jean/ Langlé (i. e. Langlois, Ferdinand)/ Leuven, Alphonse de, La Cour du roi Pétaud, parade historique mêlée d’anachronismes et de couplets en trois actes qui n’en font qu’un (Paris, Théâtre du Vaudeville 1829, inédit), Dumas, Théâtre complet, op. cit. (1994) : Liste des dramatis personae. 10 Ibid., I, 1, 3. OeC01_2014_I-102AK2.indd 45 OeC01_2014_I-102AK2.indd 45 23.06.14 17: 08 23.06.14 17: 08 46 Michael Tilby l’astrologie. Même si certains d’entre eux étaient plus disposés à exploiter le côté pittoresque de Ruggieri, aucun n’est motivé par le désir de porter sur ce personnage la moindre réflexion sérieuse. Cependant ces diverses pièces éphémères de 1829 n’eurent pas pour effet de mettre un terme à l’exploitation de Ruggieri en tant que personnage de théâtre. C’est bien avec lui que commence l’action des Jours gras sous Charles IX, de Lockroy et Arnould, même si cette fois il est dépeint comme propriétaire d’une boutique, car il est pourvoyeur de « costumes de bal » 11 . Une conversation à sous-entendus avec un client en la personne de René de la Môle confirme qu’il s’agit du même Ruggieri, « parfumeur, astrologue, empoisonneur » 12 , connu du public parisien à travers ses diverses représentations antérieures sur scène. Mais aucune de ces activités n’est actualisée. Si le Florentin est sollicité par des meneurs d’intrigues politique ou amoureuse, c’est pour la simple raison que l’agencement de sa maison facilite la discrétion. Loin d’être un savant, c’est le type de l’avare qui se montre peureux dans ses relations avec les grands de la ville. Son statut de personnage accessoire est confirmé par le fait qu’il ne paraîtra plus en personne après le premier acte. L’interférence du genre romanesque et du théâtre à l’époque en question trouve son illustration dans « La chasse de Charles IX » du « Bibliophile Jacob », conte qui paraît en 1831 dans la Revue de Paris, et qui fut vite repris dans une édition agrandie des Soirées de Walter Scott à Paris du même auteur. Lacroix reprend le tableau dumasien d’une dame rendant visite à Ruggieri dans son laboratoire, bien qu’il s’agisse dans sa version de la scène, non pas de Catherine de Médicis, mais de Madame de Gondy. Celle-ci le trouve occupé à embaumer les têtes des malheureux Coconnas et La Môle. Lacroix fait également des « images de cire » 13 un véritable refrain. C’est à juste titre que Nicole Cazauran qualifie ce « personnage ridicule » (dixit Lacroix) de « jeteur de sorts qui s’enrichit à vendre poisons et cosmétiques » 14 , et c’est vraisemblablement chez Lacroix que Lockroy et Arnould 11 Lockroy, Joseph-Philippe-Simon/ Arnould, Auguste, Les Jours gras sous Charles IX. Drame historique en trois actes. Paris : Dondey-Dupré, 1832, I, 1. 12 Ibid., I, 1. 13 Lacroix, Paul (i. e. le Bibliophile Jacob/ P. L. Jacob), Les Soirées de Walter Scott à Paris. Paris : Paulin, 1846, t. II, p. 194. 14 Cazauran, Nicole, « Notes et variantes (à propos de la deuxième partie de Sur Catherine de Médicis - La Confidence des Ruggieri (i. e. Le Secret des Ruggieri)) », Balzac, La Comédie Humaine - Sur Catherine de Médicis, op. cit., t. XI, p. 1377. Le texte Sur Catherine de Médicis comprend quatre parties : Introduction, Le Martyr Calviniste (I), La Confidence des Ruggieri (II) Les deux Rêves (III), dont I et II furent intitulés différemment dans les publications antérieures. Pour les différents titres et l’histoire de l’édition, cf. Cazauran, « Notes et variantes », op. cit., passim. OeC01_2014_I-102AK2.indd 46 OeC01_2014_I-102AK2.indd 46 23.06.14 17: 08 23.06.14 17: 08 Le roman historique des années 1830 47 empruntèrent l’idée d’un Ruggieri propriétaire d’un commerce. Le conteur n’hésite pas à lui faire débiter des jurons stéréotypés du genre « Corps et sang de Belzébuth ! » 15 ni à le qualifier de « charlatan » ou de « magicien », désignation qui est à l’origine du portrait physique de l’homme et de son costume. De même, entouré d’une nombreuse population féline, il s’exprime d’« une voix plus glapissante que le cri d’un chat » 16 . Le succès remporté par ce Ruggieri de pacotille ne doit rien aux sciences occultes. Au contraire, c’est à l’aide d’une vulgaire astuce, l’apparition d’un spectre sous forme de mannequin d’osier et d’image de cire représentant un seigneur assassiné par le roi lui-même le matin de la Saint-Barthélemy, qu’il cherche à provoquer chez Charles IX une terreur mortelle. Ce que cherche Mme de Gondy, objet malgré elle des attentions insistantes de la part du roi, représente le contraire des philtres d’amour dont l’astrologue tirait sa réputation, à savoir « quelque secret d’éteindre un feu d’amour éternel » 17 , commande que l’astrologue traduit facilement en « buccone d’Italie » 18 , autrement dit le poison. Croyant ne pas arriver à ses fins, celle-ci ne répugne pas à traiter Ruggieri de « vilain assassin, sorcier damné » 19 . Le Ruggieri de Lacroix est loin cependant d’être simplement ridicule. Motivé par un besoin de vengeance, pour avoir autrefois été condamné aux galères, il possède un caractère maléfique. Il est évident que Lacroix sut profiter du fait que l’histoire du règne de Charles IX faisait souvent la part large au « dit-on ». Ainsi Jules Dubern allèguera que Mme de Gondi (mariée, d’après lui, à un autre Gondi de Latour) eut deux fois recours au poison. Le roi y aurait échappé, mais, selon Dubern, elle « empoisonna avec plus de succès son époux » 20 . Incontestablement le thème de base se prêtait à des variations infinies. Attribuer la mort du jeune Charles IX aux effets du poison n’en invite pas moins à la supposition d’une intention parodique de la part de Lacroix du roman historique à la Walter Scott, intention nullement démentie par les propos du préfacier lorsqu’il prétend que les anecdotes qui suivront furent recueillies par lui à l’occasion d’un bref séjour à Paris fait par l’auteur de Waverley en 1826. Par contre, le portrait de Ruggieri que renferme le Crichton de Harrison Ainsworth, indique que, de l’autre côté de la Manche, le modèle de Scott était loin d’être méprisé. Le roman d’Ainsworth, qui connut un grand succès à sa parution mais qui pour Edgar Allan Poe constituait « a somewhat ingenious admix- 15 Lacroix, Les soirées de Walter Scott à Paris, op. cit., t. II, p. 195. 16 Ibid., p. 194. 17 Ibid., p. 198. 18 Ibid., p. 198. 19 Ibid., p. 199. 20 Dubern, Jules, Histoire des reines et régentes de France et des favorites des rois. Paris : Pougin, 1837, p. 351. OeC01_2014_I-102AK2.indd 47 OeC01_2014_I-102AK2.indd 47 23.06.14 17: 08 23.06.14 17: 08 48 Michael Tilby ture of pedantry, bombast, and rigmarole » 21 , met en action, sous forme de fiction, la très courte vie de l’« Admirable Crichton », personnage historique venu d’Écosse en France en 1579 afin de faire valoir ses remarquables talents dans les arts du débat et de l’épée. 22 Ruggieri, qui fait son apparition dès le premier chapitre, est intimement lié à l’intrigue, se trouvant accusé par Crichton de haute trahison. Ainsworth n’hésite pas non plus à doter l’astrologue d’une fille née des rapports de celui-ci avec Ginevra Malatesta. Ce recours à l’imagination est compensé par une documentation polyglotte qui témoigne d’une évidente passion pour le seizième siècle français, ainsi que pour le théâtre français contemporain. Crichton, dont la préface de la première édition est précédée d’une épigraphe tirée de l’Antony de Dumas, témoigne d’un souvenir de Henri III et sa cour et vraisemblablement de quelques-unes des autres pièces ou récits que nous avons eu l’occasion de citer, ainsi que des Barricades de Vitet (1827) ; un des chapitres s’intitule « The Court of Henri III ». Tous les stéréotypes déjà identifiés sont exploités par l’auteur, y compris la scène où la reine mère rend visite à Ruggieri dans son laboratoire, scène pourtant amplifiée à grand renfort de noms propres, de vers latins, de jurons ésotériques et autres réminiscences livresques au sujet de l’astrologie judiciaire. Le tirage des horoscopes et les incantations sont également plus élaborés. Mais il s’agit toujours d’un galimatias pittoresque qui ne va guère au-delà de la terminologie de la science occulte. Ainsworth, à l’instar de ses prédécesseurs, ne cherche nullement à approfondir chez Ruggieri son titre de savant. Le tableau de son laboratoire se complète par une importante présence féline, laquelle fait penser au conte du bibliophile Jacob. Le court chapitre intitulé « The magic ring » (qui dans la version française sera incorporé dans le chapitre précédent) fait de l’astrologue un charlatan qui accomplit « ses rites mystérieux » à l’aide d’un brasier et d’« un panier rempli de divers ingrédients magiques », créant ainsi une scène où « rien ne manquait à l’effet fantastique de cette cérémonie ». 23 Bien mise en évidence est également son activité d’empoisonneur. Catherine s’adresse à lui afin de se procurer une fiole de cette « teinture des Borgia » 24 21 Poe, Edgar Allan, Essays and Reviews, éd. par Thompson, Gary Richard. Cambridge : Cambridge University Press, 1984, p. 101 (cf. aussi, pp. 1314 et 1453). Un extrait de Crichton, précédé d’une notice élogieuse, fut pourtant publié dans le volume 7 (juillet 1837) du Ladies’ Companion du même Poe (cf. Essays and Reviews, op. cit., p. 63, et aussi pp. 102 et 255). 22 Sur le Crichton historique, cf. Masson, Michel, Les Enfants célèbres, dont la première édition remonte à 1837 (Paris : Bureau central des dictionnaires). 23 Ainsworth, William Harrison, Crichton, trad. par Rolet, A. Paris : Hachette, 1876, t. I, p. 212. 24 Ibid., p. 116. OeC01_2014_I-102AK2.indd 48 OeC01_2014_I-102AK2.indd 48 23.06.14 17: 08 23.06.14 17: 08 Le roman historique des années 1830 49 qu’il lui avait fournie, précise-t-elle, lorsqu’elle cherchait le moyen de mettre fin aux jours de Coligny. En accentuant l’aspect et le caractère antipathiques de Ruggieri, le romancier anglais aurait vraisemblablement gardé un souvenir des Jours gras sous Charles IX. Ce qui est indéniable, c’est qu’il multiple les injures dirigées contre celui que l’on traite de « vieux trafiquant de la noire science », de « sorcier », de « maudit astrologue », ou de « chien infidèle » 25 . A un moment donné, l’astrologue de Ruggieri est comparé à « une hyène en cage ». Les étudiants qui peuplent la première scène du roman brûlent de l’envie de le voir confié aux fagots. Le roi lui-même fait allusion à l’accusation selon laquelle ce fut Ruggieri qui avait « mêlé ses drogues au breuvage de notre frère Charles » 26 . La déformation du corps de l’astrologue date de son emprisonnement à la Bastille, « où il avait subi la torture, sous l’inculpation de pratiques de sorcellerie » 27 . Retenons néanmoins que son portrait physique et moral relève visiblement du stéréotype antisémite. Tout comme le Ruggieri de Lockroy et Arnould, l’astrologue d’Ainsworth cède facilement à des accès de « terreur mortelle », surtout lorsqu’il se trouve menacé du supplice du chevalet. Le Bernardin qui cumule des invectives à son intention, n’hésite point à le traiter de « Juif » 28 . Toujours est-il que ce personnage grotesque dispose d’un esclave africain muet, Elberich, « ce diable de couleur de suie » à propos de qui Ainsworth précise que « si étrange que fût la personne du sorcier, celle de son page était encore infiniment plus grotesque ». 29 Crichton fut publié fin février 1837, mais l’histoire de sa publication est assez compliquée. 30 La naissance du projet remonte au-delà du mois d’avril 1835. Dès juin 1836, Ainsworth en envoya les deux premiers tomes, déjà tirés, à Francis Mahony [« Father Prout » collaborateur de Fraser’s Magazine]. Par contre, l’achèvement du troisième dut attendre encore six mois. Il est donc évident que, même si l’attention du romancier anglais avait pu être attirée sur Le Secret des Ruggieri, que ce soit directement ou à travers sa participation au salon francophile de Lady Blessington (dédicataire de Crichton, à partir de sa deuxième édition de 1837), son troisième roman n’est nullement tributaire de la fiction de Balzac. Quant au romancier français, il n’aurait certainement lu ni l’extrait de Crichton qui parut en septembre 1836 dans The New-York Mirror (et vraisemblablement ailleurs) ni l’édition du roman qui paraîtra à Paris chez Galignani l’année suivante, car il s’agissait 25 Ibid., pp. 10, 65, 112, 181, 200. 26 Ibid.., p. 109. 27 Ibid.., p. 51. 28 Ibid., p. 10. 29 Ibid., p. 52. 30 Cf. Sutherland, John, « John Macrone, Victorian publisher », Dickens Studies Annual, 13 (1984), pp. 243-259. OeC01_2014_I-102AK2.indd 49 OeC01_2014_I-102AK2.indd 49 23.06.14 17: 08 23.06.14 17: 08 50 Michael Tilby de nouveau du texte anglais. (La version française, démunie des nombreux essais poétiques qui parsèment ce roman sans doute excessivement érudit, ne verra le jour qu’en 1857.) Toujours est-il que l’écho du projet d’Ainsworth aurait facilement retenti jusque dans les milieux littéraires franco-anglais de Paris, milieux avec lesquels Balzac entretenaient certaines relations. D’autant plus que l’éditeur Macrone avait commencé à faire de la publicité pour Crichton dès le mois de mai 1835. Reste qu’au moment de mettre sur le chantier sa propre représentation de Cosme Ruggieri, qu’il nomme également dans un ajout au texte de L’Enfant maudit datant précisément de l’automne 1836, 31 Balzac se trouvait devant une gamme de traitements assez variés du mystérieux personnage historique. Exception faite, en partie, pour le Ruggieri d’Ainsworth, qui, à quelques extraits près, n’était pas encore connu du public, les auteurs des différents portraits de l’astrologue s’accordaient pour ne pas prendre au sérieux les pratiques de celui-ci dans le domaine de l’astrologie judiciaire. La rupture de Balzac avec cette tradition est évidente dès sa description de Ruggieri comme « cet homme que les romanciers ou les dramaturges dépeignent comme un bateleur ». 32 Il n’est plus question d’un vulgaire escamoteur ou empoisonneur 33 ni du stéréotype du Juif lâche et peureux. Le Cosme Ruggieri de Balzac a beau présenter, à travers son insistance sur les « thèmes » qu’il a faits, une parenté de surface avec ses prédécesseurs littéraires et dramatiques, il est loin d’être ridicule. De même, si le romancier français n’hésite pas à incorporer dans Le Secret des Ruggieri la description habituelle du laboratoire de l’astrologue 34 , il fait un usage restreint du pittoresque, par rapport au roman d’Ainsworth. Selon son habitude, ce qu’on sait depuis les études magistrales de Nicole Cazauran 35 , il avait fait des recherches. Si chez lui l’astrologie judiciaire ne sert pas de prétexte à la raillerie, cela est dû en partie au fait qu’elle constituait, comme il le constatera dans Le Cousin Pons, un phénomène véridique à plus d’une cour européenne de l’époque, mais 31 Balzac, La Comédie Humaine - L’Enfant maudit, op. cit., t. X, p. 884. Balzac précise que Ruggieri remplaça Corneille Agrippa, congédié par Catherine de Médicis pour ne pas être prêt à faire, à la suite de Nostradamus, des pronostications. 32 Balzac, La Comédie Humaine - Le Secret des Ruggieri, op. cit., t. XI, p. 384. 33 Au lieu de confectionner lui-même des poisons, il s’en procure chez René, parfumeur et gantier florentin de Catherine, personnage qui avait figuré, sans Ruggieri, dans la pièce de Lesguillon, Jean, Aoust 1572, ou Charles IX à Orléans. Paris : Librairie de Mame-Delaunay, 1832. 34 Cf. Balzac, La Comédie Humaine - Le Secret des Ruggieri, op. cit., t. XI, p. 419. 35 Outre la précieuse documentation du tome XI de la Pléiade, rappelons les ouvrages suivants de Nicole Cazauran, Catherine de Médicis et son temps dans « La Comédie Humaine », Genève : Droz, 1976 et « Sur Catherine de Médicis » d’Honoré de Balzac. Paris : ENSJF, 1976. OeC01_2014_I-102AK2.indd 50 OeC01_2014_I-102AK2.indd 50 23.06.14 17: 08 23.06.14 17: 08 Le roman historique des années 1830 51 aussi au fait que, comme il le précise au sujet de la cartomancienne Mme Fontaine dans le même Cousin Pons ou de Colleville dans Les Employés, l’astrologie continuait à exercer son attrait en plein dix-neuvième siècle. 36 Dans Le Martyr calviniste, ainsi que dans Le Secret des Ruggieri, il rappelle la devineresse que Nostradamus avait amenée chez Catherine au château de Chaumont. 37 La discussion scientifique entre Ruggieri astrologue et Ruggieri alchimiste par laquelle se termine Le Secret n’a nullement son équivalent dans les textes qui le précèdent. L’opposition entre science et sorcellerie finit par devenir matière à réflexion. D’une importance capitale à cet égard est la scène où Charles IX cède à l’illusion de s’être imposé à travers une mise en question de la science de l’astrologue. Il est également vrai que les fines analyses avancées par Ruggieri doivent peu à l’astrologie judiciaire. Ses prédictions, comme celles du Ruggieri de Dumas, se basent plutôt sur une observation perspicace de la situation politique qui l’entoure. 38 C’est un fin politique jusqu’au bout des doigts. Le roi n’a nullement tort en disant aux deux Ruggieri : « vous êtes de grands politiques » 39 . Cet aspect de Cosme Ruggieri atteindra son apogée dans Le Martyr calviniste, où il adresse les paroles suivantes à la reine mère : Vous vous êtes résignée à perdre un enfant pour sauver vos trois fils et la couronne, il faut avoir le courage d’occuper celui-ci pour sauver le royaume, peut-être pour vous sauver vous-même. 40 Cependant d’autres interprétations du Ruggieri de Balzac sont admises, nous semble-t-il, surtout en ce qui concerne le rapport entre la représentation du personnage de l’astrologue et une réflexion balzacienne sur le roman historique lui-même. Dans la mesure où cette réflexion se construit visiblement à partir d’une prise de position à l’égard de la conception scottienne du roman historique, constatons préalablement sur le plan de l’intertextualité que l’omniprésence de l’astrologie judiciaire au seizième siècle est une leçon déjà transmise par Scott dans Kenilworth (1821), roman que Balzac, début 1838, 36 Cf. Balzac, La Comédie Humaine - Le Cousin Pons, op. cit., t. VII, pp. 587/ 588, ibid. - Les Employés, op. cit., t. VII, p. 980. 37 Cf. ibid. - Le Martyr calviniste, op. cit., t. XI, p. 319 et ibid. - Le Secret des Ruggieri, op. cit., t. XI, p. 382. 38 Citons dans Le Martyr calviniste son dialogue avec Lecamus père, où l’allusion au « thème » du duc de Guise est essentiellement décorative. (ibid. - Le Martyr calviniste, op. cit., t. XI, p. 315). Cf. aussi Anne-Marie Baron, Balzac occulte. Lausanne : L’Age d’homme, 2012, p. 120. 39 Balzac, La Comédie Humaine - Le Secret des Ruggieri, op. cit., t. XI, p. 435. 40 Balzac, La Comédie Humaine - Le Martyr calviniste, op. cit., t. XI, p. 355. Mise en relief dans l’original. OeC01_2014_I-102AK2.indd 51 OeC01_2014_I-102AK2.indd 51 23.06.14 17: 08 23.06.14 17: 08 52 Michael Tilby n’hésitera pas à nommer le chef-d’œuvre de Scott du point de vue du plan. 41 Il est vraisemblablement permis de voir dans la description que fait Scott du laboratoire (ou « Pandaemonium » 42 ) de l’astrologue (et empoisonneur) italien Alasco, avec son « confus assemblage de substances hétérogènes et d’ustensiles extraordinaires » 43 , le point de départ de celui de Ruggieri dès le drame de Dumas. 44 Déjà chez Scott, l’astrologue est traité (par Varney) de « maudit charlatan, sorcier, empoisonneur » 45 . Et, dans une « note de l’auteur », Scott précise qu’ « il était assez ordinaire à ceux qui professaient les sciences mystiques de réunir les titres d’empoisonneur, de charlatan, d’alchimiste et d’astrologue » 46 . L’auteur écossais ne tait nullement son scepticisme à l’égard de l’astrologie de l’ère élisabéthaine. Il est dit d’Alasco que « comme beaucoup d’autres insensés de ce siècle, il avait perdu un temps précieux et dépensé de grosses sommes en se livrant à recherche du grand secret » 47 . Son ancien domestique Wayland finit par le dépasser comme « médecin ». Quant au juif Yoglan, il vend une drogue qui, selon les autres pharmaciens de Londres « n’existait que dans le cerveau dérangé de quelques alchimistes » 48 . A propos du comte de Leicester, qui s’adonne volontiers à la contemplation du ciel, l’auteur de Kenilworth précise : On sait que ce siècle avait une grande confiance dans les vaines prédictions de l’astrologie judiciaire ; et Leicester, quoique généralement exempt de toute autre superstition, n’était pas, sous ce rapport, supérieur à son siècle ; au contraire, on remarquait les encouragements donnés par lui aux professeurs de cette prétendue science. 49 La continuation de ce passage aurait très bien pu naître sous la plume de l’auteur du Secret des Ruggieri : 41 Cf. sa lettre à Mme Hanska du 20 janvier 1838 (Balzac, Honoré de, Lettres à Madame Hanska, éd. par Pierrot, Roger, t. I. Paris : Delta 1967). 42 (Scott, Walter), Œuvres de Walter Scott - Kenilworth, trad. par Defauconpret, Auguste-Jean-Baptiste. Paris : Furne, Gosselin et Perrotin, 1835, t. XI, p. 271. 43 Ibid., p. 272. 44 Les auteurs dramatiques (Scribe et Mélesville, Borie et Lemaître, Soumet) qui, les premiers, avaient pris leur sujet dans le roman de Scott omettent tous le personnage de l’astrologue. Soumet aurait prétendu s’être débarrassé de « cet astrologue empoisonneur, qui finit par se tromper lui-même et par périr sur sa mort-aux-rats » (Le Globe, 6 septembre 1827). 45 Scott, Œuvres de Walter Scott - Kenilworth, op. cit., p. 235. 46 Ibid., p. 471. 47 Ibid., p. 271. 48 Ibid., p. 156. 49 Ibid., p. 225. Leicester feint pourtant devant Varney une attitude de sceptique à l’égard de l’art de son astrologue (cf. ibid., p. 365). OeC01_2014_I-102AK2.indd 52 OeC01_2014_I-102AK2.indd 52 23.06.14 17: 08 23.06.14 17: 08 Le roman historique des années 1830 53 En effet, le désir de connaître l’avenir, désir si général chez les hommes de tous les pays, se trouve surtout dans toute sa force parmi ceux qui s’occupent des mystères d’état, et qui passent leur vie au milieu des intrigues et des cabales des cours. 50 Les rapports intimes entre Leicester et Alasco, qui, avec les autres personnages principaux du roman de Scott, avaient fait leur réapparition, en 1828, dans Amy Robsart de Victor Hugo, préludent, en effet, ceux de Catherine et Ruggieri chez Balzac et Ainsworth. 51 Les deux allusions à Scott que renferme Le Martyr calviniste démentent en fait l’idée d’un simple refus de la part de Balzac de la « France walterscottée ». Balzac y rappelle d’abord le parti que Scott avait tiré de la manière dont les commis et apprentis des Aventures de Nigel interpellent ou interrogent les passants 52 , et ensuite salue son portrait des puritains d’Écosse. 53 Tout favorise la conclusion que sa prise de position contre la « walterscotterie » vise les imitateurs de Scott plutôt que ce dernier lui-même. A ce propos, l’article du Feuilleton des journaux politiques consacré aux Deux Fous du bibliophile Jacob, compte rendu que l’on n’attribue plus à Balzac, semble mieux résumer la pensée de celui-ci que ne le fait « l’article de camarade » qu’il consacre lui-même au même roman, où il proclame « Lire ce livre, c’est vivre dans le XVI e siècle » 54 . Le journaliste anonyme reproche à Lacroix d’utiliser un jargon archaïsant et d’avoir écrit, à la différence de Scott, pour des lecteurs du seizième siècle, et non point pour ceux du dix-neuvième. 55 Le même grief pourrait s’appliquer, dans un sens plus large, à Crichton, roman où la perspective adoptée est exclusivement celle présumée du seizième siècle. L’originalité de Balzac, par contre, réside dans une insistance sur la 50 Ibid., p. 225. 51 Ceci est surtout vrai dans la mesure où le Leicester de Scott (ibid., p. 226) et la Catherine d’Ainsworth (Ainsworth, Crichton, op. cit., t. I, p. 196) cherchent tous deux, mais en vain, à mettre en question un horoscope tiré par leur astrologue. 52 Cf. Balzac, La Comédie Humaine - Le Martyr calviniste, op. cit., t. XI, p. 210. Balzac avait fait allusion à la même scène dans son « Historique du procès auquel a donné lieu Le Lys dans la vallée » (ibid. - Le Lys dans la vallée, op. cit., t. IX, p. 923). Le portrait balzacien de Mme Fontaine déjà cité a été rapproché de celui de Dame Ursule dans Les Aventures de Nigel (cf. Garnand, Harry Jennings, The Influence of Walter Scott on the Works of Balzac. New York : Columbia University Press, 1926, p. 129). 53 Cf. Balzac, La Comédie Humaine - Le Martyr calviniste, op. cit., t. XI, p. 340. 54 Balzac, Honoré de, Œuvres diverses, éd. par Castex, Pierre-Georges e. a. Paris : Gallimard, 1990-1996, t. II, p. 656. 55 Cf. Balzac, Honoré de, Œuvres complètes de Balzac, éd. par la Société Balzacienne. Paris : Club de l’Honnête Homme, 1956, t. XXII, p. 622. Le même reproche fait surface dans l’article que le Feuilleton consacre la semaine suivante aux Mauvais Garçons d’Alphonse Royer (cf. ibid., p. 636). OeC01_2014_I-102AK2.indd 53 OeC01_2014_I-102AK2.indd 53 23.06.14 17: 08 23.06.14 17: 08 54 Michael Tilby perspective que partagent romancier et lecteur, et c’est là que Balzac pousse la leçon de Scott beaucoup plus loin. Les allusions directes au dix-neuvième siècle, dont celles qui consistent en un « aujourd’hui » déictique, sont d’un nombre à en faire un sujet qui rivalise avec le pittoresque du siècle de Ruggieri. Loin de se renfermer dans une capsule du temps impliquant une absence totale de réflexion sur le passé, l’auteur de Sur Catherine de Médicis fait d’une telle réflexion la raison d’être du roman historique. En plein accord avec la préoccupation de son siècle pour l’histoire universelle, qui s’y manifeste dans le groupement typiquement balzacien de personnages historiques de différentes époques (« Pitt, Luther, Calvin, Robespierre » ou bien « Potemkin, Mazarin, Richelieu » 56 ), Balzac croit fermement que le passé n’a de sens que par rapport au présent (ce qui expliquerait son parti, à première vue biscornu, de compléter les deux premiers volants de son triptyque par un rêve de Robespierre). L’art de Scott peut bien être plus autoréflexif que généralement reconnu 57 , Balzac va beaucoup plus loin que son modèle en mettant en relief le présent de l’écriture. Et non seulement le présent de l’écriture, mais l’acte d’écrire dans son intégralité. Pour Balzac, s’adonner au roman historique est indissociable d’un besoin d’en faire l’autocritique. Il ne se contente nullement d’exploiter, sous forme d’imitation, les poncifs du genre, jugeant nécessaire de se confronter perpétuellement aux contradictions innées de l’accouplement du roman et de l’histoire. Ainsi le roman historique qui renferme le Ruggieri de Balzac ne tire aucunement son originalité d’une prise de position en profondeur sur les capacités scientifiques ou politiques du personnage. Au contraire, la représentation balzacienne de l’astrologue ne cherche pas à trancher de telles questions, l’auteur se montrant disposé à tenir dans un état de suspension l’illusion d’une incarnation de pouvoirs occultes et sa mise en question rationaliste. Bref, le renouvellement du roman historique auquel procède l’auteur de Sur Catherine de Médicis ne fait point du personnage en tant que tel sa pierre d’achoppe. Il est possible cependant que cette mise en question, sans doute imparfaitement maîtrisée par Balzac, constitue à la fois l’intérêt et le côté faible de son roman. On peut aisément comprendre pourquoi, en relisant Le Secret des Ruggieri, l’auteur lui-même y décèle « la faiblesse d’une tête qui avait trop produit » 58 . 56 Balzac, La Comédie Humaine - Le Martyr calviniste, op. cit., t. XI, p. 341. 57 Cf. par exemple, Volker Neuhaus, « Illusion and narrative technique : the nineteenth-century historical novel between truth and fiction », Aesthetic Illusion. Theoretical and Historical Approaches, éd. par Burwick, Frederik et Pape, Walter. Berlin et New York : De Gruyter, 1990, p. 280. 58 Lettre de Balzac à Mme Hanska du 11 mai 1837 (Balzac, Lettres, op. cit.). OeC01_2014_I-102AK2.indd 54 OeC01_2014_I-102AK2.indd 54 23.06.14 17: 08 23.06.14 17: 08